Source : http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/marieagreda/ soutenir l'Abbaye saint Benoit de Port Valais qui a numérisé ce livre Vénérable Marie d'Agreda La Cité Mystique de Dieu Introduction MARIE D'AGRÉDA est née dans la ville de Castille dont elle porte le nom, le 2 avril 1602. 1. La religieuse extatique. - A l'éveil de sa raison elle entend une voix intérieure qui lui dit : Revenez à moi, quittez les choses terrestres; à huit ans, elle a l'inspiration d'offrir à Dieu sa virginité: à douze ans, elle fait connaître à ses parents sa vocation religieuse. Sa mère reçoit la mission de fonder dans sa maison un monastère où elle entre le 16 août 1618 avec Marie et une autre fille; le père est reçu avec son fils chez les franciscains. On fait profession de religieuses déchaussées de la Conception immaculée de la Mère de Dieu, le 2 février 1620, devant le père devenu le Frère du très Saint-Sacrement. Alors commence pour Marie une existence de visions presque continuelles : d'abord, la Reine des anges lui apparaît tenant son Fils sous la forme d'un très bel enfant; à la Pentecôte suivante, une colombe toute rayonnante se montre à elle; Notre-Seigneur est vu d'elle dans l'appareil de sa Passion. Le démon lui livre des assauts continuels; mais, quand elle communie, elle sent sur la langue une saveur exquise, elle voit le Saint- Sacrement environné d'une splendeur miraculeuse. A partir de Page de dix-huit ans, les extases et les ravissements sont si fréquents qu'elle ne peut plus les dissimuler; souvent, après la communion, elle tombe en extase : Notre-Seigneur la ravit, attire son âme et laisse son corps insensible soulevé de terre, si léger que par un souille on le remuait même de loin comme une plume; cela dure souvent deux ou trois heures. 2. La Cité mystique de Dieu. - Elle dit avoir reçu en 1627 l'ordre du Très-Haut d'écrire ce grand ouvrage qui est en réalité une vie de la très sainte Vierge, depuis le moment où la future Mère du Verbe incarné est conçue dans le plan divin jusqu'à son couronnement dans le ciel. Elle appelle elle-même son livre Histoire divine et semble vouloir exprimer par là qu'il est inspiré et révélé de Dieu clans toutes ses pages. C'est Dieu lui-même et la sainte Vierge par son ordre qui sont censés parler : Cette vie, dit-elle, est manifestée dans ces derniers siècles pour être une nouvelle lumière du monde, une joie nouvelle à l'Eglise catholique. Elle expose très bien la théorie scotiste de l'incarnation : " L'union hypostatique... fut le premier objet par lequel l'entendement et la volonté divine se manifestèrent au dehors. " L'ouvrage eut la destinée la plus extraordinaire : d'abord un confesseur ordonna à Marie de le briller, elle le recomposa en 1651. à peu près semblable à la copie qu'avait conservée Philippe IV; il parut à Madrid en 1670 avec de nombreuses approbations: en 1681, l'Index le censura, mais, sur la demande du roi d'Espagne, le décret ne fut pas inséré. Quand le livre eut été traduit en français, en 1691, Bossuet le critiqua vivement : " La prétention d'une nouvelle révélation de tant de sujets inconnus doit faire tenir le livre pour suspect... Tous les contes qui sont ramassés dans les livres les plus apocryphes sont ici proposés comme divins et on y en ajoute une infinité d'autres avec une affirmation et une témérité étonnantes." La Faculté de Paris censura plusieurs propositions en 1697; par contre. en 1715, l'Université de Louvain" y trouve ce qu'il y a de plus sublime clans la théologie ". Marie d'Agréda mourut le 21 mai 1665; en 1718, le pape Benoît XIV ordonna l'examen de son livre en vue de la reprise du procès de béatification commencé en 1668 qui n'a pas abouti. La Cité mystique de Dieu, par Marie de Jésus d'Agréda, traduite de l'espagnol par le P. Croset, 7 vol., Paris, 1862; Bossuet. Remarques sur le livre intitulé : La mystique cité de Dieu. Controverse. Article tiré du Dictionnaire pratique des connaissances religieuses, Paris 1926. Pour le compléter, on se référera au Dictionnaire de Spiritualité, un article est consacré à Marie d'Agréda. Mentionnons que le procès de béatification est actuellement relancé. On trouvera à cette adresse le site de son 400ème centenaire : http://www.mariadeagreda.org 1/30 INTRODUCTION A LA VIE DE LA REINE DU CIEL. Des raisons qu'on a eues de l'écrire, et de plusieurs autres avis sur ce sujet. LA CITÉ MYSTIQUE DE DIEU PREMIÈRE PARTIE. DE LA VIE ET DES MYSTÈRES DE LA SAINTS VIERGE, REINE DU CIEL. - CE QUE LE TRÈS-SAUT OPÉRA EN CETTE PURE CRÉATURE DEPUIS SON IMMACULÉE CONCEPTION JUSQU'À CE QUE LE VERBE PRIT CHAIR HUMAINE DANS SON SEIN VIRGINAL. - LES FAVEURS QU'IL LUI FIT PENDANT LES QUINZE PREMIÈRES ANNÉES DE SA VIE, ET LES GRANDES VERTUS QUELLE ACQUIT AVEC LE SECOURS DE LA GRACE. LIVRE PREMIER. OU IL EST TRAITÉ DE CE QUI PRÉCÉDA LA VENUE DE LA TRÈS-SAINTE VIERGE MARIE EN CE MONDE. - DE SON IMMACULÉE CONCEPTION ET DE SA SACRÉE NAISSANCE. - DES EXERCICES AUXQUELS ELLE S'OCCUPA JUSQU'À L'AGE DE TROIS ANS. CHAPITRE I . De deux visions particulières que le Seigneur découvrit à mon âme, et d'autres connaissances et mystères qui me forçaient de m'éloigner des pensées de la terre, élevant mon esprit et l'arrêtant aux choses du ciel. CHAPITRE II. Où il est déclaré de quelle façon le Seigneur manifeste ces mystères et la vie de la Reine du ciel à mon âme, dans l'état où sa divine bonté m'a mise. CHAPITRE III. De la connaissance que j'eus de la Divinité, et du décret que Dieu fit de créer toutes choses CHAPITRE IV. Les décrets divins y sont distribués par instants, déclarant ce que Dieu détermina en chacun, touchant sa communication au dehors. CHAPITRE V. De l'interprétation que le Très-Haut me donna du chapitre huitième des Proverbes, en confirmation du précèdent. CHAPITRE VI. Du doute que je proposai au Seigneur sur la doctrine des chapitres précédents, et la réponse que j'en eus. CHAPITRE VII. De quelle manière le Très-Haut commença. ses ouvres, et comme il créa les choses matérielles pour l'homme et les anges et les hommes, afin qu'ils fissent un peuple dont le Verbe humanisé fût le chef. CHAPITRE VIII. Où le discours du chapitre précédent est continué par l'application du chapitre douzième de l'Apocalypse. CHAPITRE IX. Qui poursuit l'explication du chapitre douzième de l'Apocalypse. CHAPITRE X. Qui continue l'explication du chapitre douzième de l'Apocalype. CHAPITRE XI. Que le Tout-Puissant en la création de toutes choses eut notre Seigneur Jésus-Christ et sa très-sainte Mère présents, et qu'il élut et favorisa son peuple figurant ces mystères. CHAPITRE XII. Comme le genre humain s'étant multiplié, les clameurs des justes s'augmentèrent pour demander la venue du Messie, et les péchés s'accrurent aussi, et Dieu envoya au monde deux flambeaux dans la nuit de la loi ancienne pour annoncer la loi de grâce. CHAPITRE XIII. Comme la conception de la très-sainte Marie fut annoncée par le saint archange Gabriel, et comme pour cela Dieu prévint sainte Anne d'une faveur singulière. CHAPITRE XIV. Comme le Très-Haut manifesta aux saints anges le temps déterminé et convenable de la conception de la très-sainte Vierge, et de ceux qu'il destina pour sa garde. INTRODUCTION A LA VIE DE LA REINE DU CIEL. Des raisons qu'on a eues de l'écrire, et de plusieurs autres avis sur ce sujet. 1. Si dans ces derniers siècles quelqu'un entend dire qu'une simple fille, qui n'est par son sexe qu'ignorance et que faiblesse, et par ses péchés que la plus indigne de toutes les créatures, se soit hasardée et déterminée d'écrire des choses divines et surnaturelles, je ne serai pas surprise qu'il me traite de téméraire, de présomptueuse et de légère : singulièrement dans un temps auquel notre mère la sainte Église est remplie de docteurs, d'hommes très-savants, et éclairés de la doctrine des sainte Pères, qui ont développé tout ce qu'il y a de plus caché et de plus obscur dans les mystères de la religion. Il y a pourtant des personnes prudentes, savantes et pieuses, qui, ne pénétrant pas les voies spirituelles et surnaturelles, par lesquelles Dieu conduit extraordinairement les âmes, fatiguent leurs consciences, et les mettent dans le trouble et dans la perplexité, suivant en cela le sentiment du commun du monde, qui croit que ces voies, qu'il ne comprend pas, (304) sont dans le christianisme des voies incertaines et dangereuses; mais si ces personnes considèrent sans préoccupation les motifs surnaturels qui m'ont nécessitée d'écrire sur des matières si sublimes et infiniment au-dessus de ma faiblesse et de ma capacité, elles trouveront la justification de ma témérité dans mon obéissance aveugle aux ordres si souvent réitérés du Ciel, et dans les douces violences qu'il m'a faites pour vaincre mes répugnances intérieures. Mais ce qui peut beaucoup mieux servir de garant à tout ce que je viens de dire, pour excuser mon entreprise, c'est la matière dont je traite dans cette divine histoire, qui étant au-dessus de l'esprit humain, doit faire conclure qu'une cause supérieure en est le principe, et qu'il n'y a que l'Esprit divin qui. en ait dicté les conceptions et les vérités sublimes qu'elle renferme. 2. Les véritables enfants de la sainte Église doivent avouer que tous les mortels sont incapables, ignorants et muets, non-seulement par leurs forces naturelles, mais même ces forces étant jointes à celles de la grâce commune et ordinaire, pour une entreprise aussi difficile que l'est celle d'expliquer, ou d'écrire les mystères cachés et les magnifiques faveurs que le puissant bras du Très-Haut opéra en la sainte Vierge, dont, la voulant faire 'sa mère, il fit une mer impénétrable de sa grâce et de ses dons, ayant déposé .en elle les plus grands trésors de sa divinité : et quel sujet y aura-t-il d'être sur. pris que notre ignorance et notre faiblesse s'en reconnaissent incapables, puisque les esprits angéliques sont dans le même sentiment, et avouent qu'ils ne font que bégayer lorsqu'il s'agit de parler des choses. qui sont si fort au-dessus de leurs pensées et de leurs (395) connaissances? C'est pourquoi la vie de. ce phénix des oeuvres de Dieu est un livre si sacré et si bien fermé (1), qu'il ne se trouvera aucune créature dans le ciel, ni sur la terre, qui le puisse dignement ouvrir: le Tout-puissant seul, qui l'a formée la plus excellente de toutes les créatures, ayant ce pouvoir; et après lui, notre auguste Reine, qui ayant été ,digne de recevoir tant de dons ineffables, fut aussi sans doute digne de les connaître. Et il dépend de son Fils unique de les manifester de la manière et au temps qu'il lui plaira, et de choisir les instruments qu'il aura proportionnés pour les déclarer, et qui seront les plus propres pour sa plus grande gloire. 3. Si le choix était à ma liberté, j'en donnerais la commission aux hommes les plus saints et les plus savante de l'Église catholique, qui nous ont enseigné le chemin de la vérité et de la lumière. Mais les jugements et les pensées du Très-Haut sont autant élevés au-dessus des nôtres (2), que le ciel est distant de la terre, personne ne les pouvant pénétrer (3), ni le conseiller dans ses. œuvres (4) ; c'est lui qui a entre ses mains le poids du sanctuaire et qui pèse les vents; il comprend tous les cieux (5); et par l'équité de ses très-saints conseils dispose toutes choses avec poids et mesure. Il distribue par sa très-juste bonté la lumière de sa sagesse (6); personne ne la peut aller tirer du ciel; ses voies noué sont impénétrables (7); cette sagesse ne se trouve qu'en lui-même (8) ; et il la communique aux nations par les (1) Apoc., IV, 8. - (2) Isaïe, LV, 9 . - (3) Rom., XI, 34. - (4) Apoc., VI, 5. - (5) Job, XXVIII, 25. - (6) Isaïe, XL, 12. - (7) Sap., XI, 21. - (8) Eccles., XXIV, 37. 306 âmes saintes, comme une vapeur émanée de son immense charité (1), comme un très-pur rayon de sa lumière éternelle (2), et comme un miroir sans tache et une image de sa bonté divine (3), afin de se faire par son moyen et des amis et des prophètes (4). Le Seigneur sait pourquoi il m'a élue et appelée (5), étant la plus abjecte de toutes les créatures; pourquoi il m'a élevée, m'a conduite et disposée; pourquoi il m'a obligée et contrainte d'écrire la vie de sa digne Mère, notre Reine et notre Maîtresse. 4. Je ne crois pas qu'une personne prudente puisse s'imaginer que, sans ce mouvement et cette force de la puissante main du Très-Haut, aucun esprit humain ait pu avoir cette pensée, ni que j'aie pu faire cette résolution; je reconnais et déclare mon impuissance et ma faiblesse pour une telle entreprise : mais comme il ne m'a pas été possible de la former de moi-même, je n'ai pas dû y résister avec opiniâtreté. Et afin qu'on en puisse juger solidement, je raconterai avec une sincère vérité quelque chose de ce qui m'est arrivé sur ce sujet. 5. La huitième année de la fondation de ce couvent, et dans la vingt-cinquième de mon âge, l'obéissance me fit prendre la charge de supérieure, que j'y exerce indignement: ce qui me causa beaucoup de troubles et d'afflictions, une grande tristesse et une extrême lâcheté; parce que ni mon âge, ni mes souhaits ne me portaient point à commander, mais bien plutôt à obéir : mes craintes même s'augmentaient, tant parce que je sus (1) Baruc., III, 29. - (2) Ibib. 31 - (3) Sapient., VII, 23. - (4) Ibid., 26. - (5) Ibid. 27. 307 que pour me donner cette charge on avait eu recours à des dispenses, que pour plusieurs autres justes raisons; de manière que le Très-Haut a crucifié mon coeur durant toute ma vie par une continuelle frayeur, que je ne puis exprimer, et qui est causée par l'incertitude où je me trouvais, ne sachant si j'étais dans le bon chemin, si je perdrais son amitié, ou si je jouissais de sa grâce. 6. Dans cette tribulation, j'adressai ma prière et la voix de mon coeur au Seigneur, afin qu'il me secourut, et qu'il me délivrât de ce danger et de cette charge, si c'était sa volonté. Et, quoiqu'il soit vrai que sa divine Majesté m'est prévenue quelque temps auparavant en me commandant de la recevoir, bien que je m'en excusasse avec beaucoup d'humilité, elle-me consolait pourtant toujours, en me manifestant que c'était son bon plaisir; nonobstant tout cela, je ne discontinuai point mes demandes: au contraire je les redoublai, parce que je connaissais, et je voyais dans le Seigneur une chose très-digne d'admiration: et c'était que, nonobstant que sa divine Majesté me découvrit que telle était sa très-sainte volonté, que je ne pouvais point empêcher, j'apercevais pourtant qu'elle me laissait libre, afin que je pusse m'en dispenser, ou y résister, étant libre de faire ce que je voudrais; mais comme créature faible, je reconnaissais combien mon incapacité était grande en toutes les manières: car les oeuvres du Seigneur envers nous sont toujours accompagnées d'une égale prudence. C'est pourquoi, connaissant la liberté dans laquelle j'étais, je fis plusieurs instances pour m'excuser d'un péril si évident, qui est si peu connu de la nature corrompue, de ses inclinations déréglées et de son aveugle (308) concupiscence. Mais le Seigneur continuait toujours à me faire connaître que c'était sa volonté, et me consolait par lui-même et par les saints anges, qui m'exhortaient incessamment de lui obéir. 7. Dans cette affliction, j'eus recours à ma divine Reine, comme à un singulier refuge de toutes mes peines, et lui ayant déclaré mes voies et mes désirs, elle daigna me répondre par ces très-douces paroles ; " Ma fille, console-toi, et prends garde que le souci ne te fasse perdre la tranquillité de ton coeur. Efforce-toi de le prévenir et de t'y disposer; et sache que je serai . ta mère et ta supérieure de même que de tes inférieures; tu m'obéiras, et je suppléerai à tes manquements; tu ne seras que ma coadjutrice, et c'est par toi que j'accomplirai la volonté de mon Fils et de mon Dieu. " Ce sont les paroles que notre auguste Princesse me dit, auxquelles je trouvai autant de consolation que de profit pour mon âme; c'est pourquoi je pris courage, et je modérai ma tristesse; dès ce jour, la Mère de miséricorde augmenta les faveurs qu'elle faisait à sa très-humble servante; parce que dans la suite ses communications me furent plus intimes et plus assidues, me recevant, m'écoutant et m'enseignant avec une bonté ineffable; elle me consolait et me conseillait dans mes afflictions, remplissant mon âme d'une lumière céleste, et d'une doctrine divine : elle me commanda de renouveler les voeux de ma profession entre ses mains; après quoi, cette très-aimable Mère se familiarisa davantage avec sa servante, et ôta le voile aux mystères très-relevés et très-magnifiques, qui sont renfermés dans sa vie, et qui sont cachés aux mortels. Et quoique cette insigne faveur et cette lumière surnaturelle fussent continuelles (309) ( singulièrement aux jours de ses fêtes, et dans d'autres différentes occasions, auxquelles je connus plusieurs mystères), ce n'était pourtant pas avec cette plénitude et avec cette clarté dont je jouissais lorsqu'elle me les a enseignés dans la suite; y ajoutant plusieurs fois le commandement de les écrire de la manière que je les concevrais, et qu'elle me les dicterait et me les enseignerait. Ce fut principalement dans le jour d'une dos fêtes de cette très-sainte Vierge, que le Très-Haut me dit qu'il tenait cachés plusieurs mystères qu'il avait opérés à l'égard de cette divine Reine, et plusieurs faveurs qu'il lui avait faites en qualité de salière, quand elle était encore voyageuse parmi les mortels; et qu'il voulait me les découvrir, afin que je les écrivisse comme elle me les enseignerait. Je résistai pourtant pendant dix ans à cette volonté de Dieu, jusqu'à ce que je commençai la première fois d'écrire cette divine histoire. 8. Ayant auparavant communiqué les. peines que j'avais sur ce sujet aux princes célestes que le Tout-Puissant avait destinés pour me conduire dans cet important ouvrage, et leur Ayant déclaré les troubles de mon esprit et les afflictions de mon coeur,et combien je me reconnaissais faible et incapable d'une telle entreprise, ils me répondirent plusieurs fois que c'était la volonté du Très-Haut que j'écrivisse la vie de sa très-pure Mère. Mais ce fut principalement un jour dans lequel je m'obstinais de leur représenter avec ardeur mes difficultés, mes impossibilités et mes craintes, qu'ils me répondirent; " C'est avec sujet, ô âme! que tu perds courage, et que tu te troubles; que tu doutes, et que tu prends de si grandes précautions dans une affaire d'une telle importance; puisque nous-mêmes, nous nous (310) reconnaissons incapables d'expliquer des choses aussi relevées et aussi sublimes que celles que le puissant bras du Seigneur a opérées en faveur de la Mère de piété, notre auguste Reine. Mais prends garde, notre très-chère soeur, que tout l'univers manquera, et.que tout ce qui a l'être s'anéantira, avant que la parole du Très-Haut manque; il l'a engagée fort souvent. en faveur de ses créatures, et elle se trouve dans les saintes Écritures, qu'il a laissées à son Église, dans lesquelles il est dit que l'obéissant chantera victoire de ses ennemis (1), et qu'il ne sera point repris d'avoir obéi. Lorsqu'il créa le premier homme, et qu'il lui défendit de manger du fruit de l'arbre de science (2), alors il établit cette vertu d'obéissance; et jurant, il jura pour assurer davantage l'homme (car c'est la coutume du Seigneur, comme il le fit à Abraham, lorsqu'il lui promit que le Messie descendrait de sa lignée (3), et qu'il le lui donnerait avec assurance de jurement). Il en usa de même. lorsqu'il créa le premier homme, en l'assurant que l'obéissant n'errerait point. Il réitéra aussi ce jurement lorsqu'il commanda que son très-saint Fils mourût (4) ; et il assura tous les hommes que qui obéirait à ce second Adam, en l'imitant dans son obéissance, par laquelle il restaura ce que le premier avait perdu par sa rébellion, vivrait éternellement, et que l'ennemi n'aurait nulle part en ses pauvres. Sache, Marie, que toute obéissance vient de Dieu comme de sa principale, et première cause; nous nous soumettons nous-mêmes au pouvoir (1) Prov., XXI, 28. - (2) Genes., II, 16. - (3) Ibid., XXII, 16. - (4) Luc, I, 72. 311 de sa divine droite, et nous obéissons à sa très. juste volonté, à laquelle nous ne pouvons résister, la connaissant, puisque nous voyons face à face l'Être immuable du Très-Haut, dans lequel nous découvrons que cette volonté est sainte, pure, véritable et juste. Or cette certitude que nous en avons par la vue béatifique, vous l'avez aussi, ô mortels! mais a respectivement, et selon la capacité de voyageurs, a comme il est déclaré par ces paroles de l'Écriture, où le Seigneur dit, parlant des prélats et des supérieurs: Qui vous écoute, m'écoute; et qui vous obéit, m'obéit (1). . Et comme c'est en vertu de ces divines paroles qu'on a obéit à un homme pour l'amour de Dieu, qui est le . véritable supérieur, il est aussi de sa divine Providence de rendre les voies des obéissants assurées et irrépréhensibles, lorsque ce que l'on commande . n'est point une matière de péché: c'est pourquoi le Seigneur l'assure avec serment, et il cessera d'être ( ce qui est impossible) plutôt que sa parole ne manque (2). Or, comme les enfants sont dans la dé. pendante de leurs pères, et que tous les hommes . sont renfermés dans la volonté d'Adam, et que naturellement ils multiplient cette dépendance dans leur postérité; de même tous les prélats procèdent et dépendent de Dieu, comme du souverain Seigneur, au nom duquel nous obéissons à nos supérieurs, vous a à vos prélats, et nous aux anges, qui sont d'une hiérarchie supérieure, et les uns et les autres à Dieu. Or souviens-toi, âme très-chère, que tous t'ont ordonné et commandé ce que tu crains pourtant de (1) Luc, X, 26. - (2) Matth., XXIV, 35. 312 faire ; que si voulant obéir, Dieu ne le jugeait point . convenable, il ferait à l'égard de ta plume ce qu'il a pratiqué envers l'obéissant Abraham lorsqu'il sacrifiait son fils Isaac (1), commandant à un d'entre nous d'arrêter le bras et le couteau; dans le cas présent, il ne nous commande point d'arrêter ta plume: au con. traire, il nous ordonne de la conduire, de t'assister, de te fortifier et d'éclairer ton entendement, selon sa divine volonté. " 9. Les saints anges destinés à me conduire dans cet ouvrage, me tinrent ces discours dans cette occasion. Le prince saint Michel me déclara aussi en plusieurs autres que c'était la volonté et le commandement du Très-Haut. Et j'ai découvert par les illustrations, par les faveurs et par les instructions continuelles de ce grand prince, des mystères magnifiques du Seigneur et de la Reine du ciel; parce que ce saint archange fut un de ceux qui l'assista, qui la servit, et qui, entre tous les ordres et toutes les hiérarchies, fut principalement destiné à sa garde, comme je le dirai en son lieu; et étant conjointement le patron et le protecteur universel de la sainte Église, il fut singulièrement en toutes choses le témoin et le ministre très-fidèle des mystères de l'Incarnation et de la Rédemption, ce que j'ai appris plusieurs fois de lui-même; et par, sa protection j'ai reçu de très-grands bienfaits; et des secours très-considérables dans mes afflictions et dans mes combats, m'ayant promis de m'assister et de m'enseigner dans cet ouvrage. 10. Outre tous ces commandements et plusieurs autres, (1) Genes., XXII, 11. 313 dont je parlerai dans la suite, je déclare ici que le Seigneur m'a commandé lui- même ce que ses anges et mes directeurs m'avaient auparavant fait connaître que c'était sa sainte volonté, comme l'on pourra juger par ce que j'en vais dire. Un jour de la présentation de la très-sainte Vierge, la divine Majesté me tint ce discours : " Ma chère épouse, il y a plusieurs mystères de ma Mère et des Saints, qui sont manifestés dans mon Église militante; mais il y en a beaucoup de cachés, et surtout ceux qui se sont passés dans leur intérieur. Je veux découvrir ces mystères, mais particulièrement ceux qui regardent ma très-pure Mère, et je veux que tu les écrives, selon que tu en seras instruite. Je te les déclarerai, je te les montrerai : les ayant réservés jusqu'ici par les secrets jugements de ma sagesse, parce que le temps n'était pas convenable à ma providence. Il est maintenant venu, et c'est ma volonté que tu les écrives. O âme! obéis-moi. ". 11. Toutes les choses que je viens de dire, et beaucoup d'autres que je pourrais déclarer, ne furent pas assez puissantes pour me déterminer à un ouvrage si difficile, et si fort au-dessus de mon sexe et de mon ignorance, si mes supérieurs, qui ont dirigé mon àn.e et qui m'ont enseigné le.chemin de la vérité, ne m'en avaient fait un commandement exprès : parce que mes craintes et mes doutes sont d'une telle qualité, qu'ils ne me laisseraient point en repos dans une matière de cette nature; puisque tout ce que je puis faire, c'est de me calmer par l'obéissance dans d'autres faveurs surnaturelles, et qui sont moins importantes. Ayant toujours penché de ce côté-là, comme une pauvre ignorante que je suis, parce (314) que l'on doit soumettre toutes choses, pour relevées et certaines qu'elles paraissent, à l'approbation des docteurs et des ministres de la sainte Église. C'est ce que j'ai triché de faire dans la direction de mon âme, et singulièrement dans ce dessein d'écrire la vie de la Reine du ciel. Et afin que mes supérieurs n'agissent point par mes relations, il m'en a coulé de très-grandes peines, leur cachant autant qu'il m'était possible bien des choses, et demandant au Seigneur avec beaucoup de larmes qu'il les éclairât, qu'il les fit aller au but de sa très-sainte volonté (souhaitant plusieurs fois qu'il leur fit oublier ce dessein), et qu'ils m'empêchassent d'errer, si j'étais trompée. 12. J'avoue aussi que le démon, se prévalant de la faiblesse de mon naturel et de mes craintes, a fait de grands efforts pour m'empêcher d'entreprendre cet ouvrage, cherchant des moyens pour m'intimider et pour m'affliger. A quoi il aurait sans doute réussi, en me le faisant entièrement abandonner, si la prudente conduite et la persévérance invincible de mes supérieurs n'eussent vaincu ma lâcheté; c'est pourquoi ce malin prince des ténèbres fut cause que le Seigneur, la très-sainte Vierge et les anges me donnèrent de nouvelles lumières, firent paraître de nouveaux signes, et éclater de nouvelles merveilles. Nonobstant tout cela, je différai, ou, pour mieux dire, je résistai plusieurs années à leur obéir (comme je le dirai dans la suite), sans avoir osé former le dessein de toucher à un sujet qui est si fort au-dessus de mes forces. Et je ne crois pas que ce fût par une providence particulière de sa divine Majesté : parce que pendant ce temps-là il m 'est arrivé tant d'événements, et, je puis dire, tant de mystères, tant d'afflictions si extraordinaires et si différentes, que je n'aurais pu, dans cet état, jouir du repos et de la sérénité d'esprit qu'il faut avoir pour recevoir cette lumière et cette science: puisque sans ce calme la partie supérieure de l'âme ne peut être disposée dans quelque état qu'elle se trouve (même le plus relevé et le plus avantageux ) à recevoir une influence si sublime, si sainte et si délicate. Outre cette raison de mon indétermination, j'en ai eu une autre, qui était mon instruction particulière, que je devais acquérir par un si long délai, et qui devait me rassurer en même temps par de nouvelles lumières, que l'on acquiert avec le temps et avec la prudence qu'une longue expérience donne. Mais enfin je découvris par ma persévérance quelle était la volonté de Dieu, qui me fut manifestée par les commandements réitérés du Seigneur, de ses saints anges et de mes supérieurs, qui me pressaient incessamment de ne plus résister aux lumières du Ciel, m'ordonnant de mettre fin à mes plaintes, de me rassurer, de revenir de toutes mes frayeurs, de mes lâchetés et de mes doutes, et de confier uniquement à la volonté du Seigneur ce que je n'osais entreprendre en vue de ma faiblesse. 13. Tous ces motifs m'obligèrent de me soumettre à cette grande vertu d'obéissance, et je me déterminai au nom du Très-Haut et de mon auguste Reine et Maîtresse de vaincre ma volonté. J'appelle cette vertu grande, non-seulement parce qu'elle offre à Dieu ce qui est le plus noble dans la créature, en lui offrant l'entendement, le propre sentiment et la volonté en holocauste et en sacrifice, mais aussi parce qu'il n'en est point d'autre qui conduise avec plus de sûreté au véritable but; puisqu'en obéissant, la créature n'opère pas par (315) elle-même, mais elle opère comme l'instrument de celui qui la conduit et la commande. Cette vertu rendit Abraham victorieux de la force de l'amour et de la nature envers Isaac (1). Que si elle fut assez puissante pour cela, si elle fut aussi assez puissante pour arrêter le cours du soleil et le mouvement des cieux (2), elle peut bien remuer un peu de cendre et de poussière ! Si Oza se fût gouverné par l'obéissance (3), sans doute il n'aurait pas été puni comme téméraire, lorsqu'il le fut assez pour toucher l'arche. Je vois bien que j'étends la main pour toucher, quoique très-indigne, non point une arche inanimée, et qui n'était qu'une figure dans l'ancienne loi; mais l'Arche vivante du nouveau Testament, où la manne de la Divinité, la source de toutes les grâces, et sa très-sainte loi furent renfermées. Ainsi, si je me tais, je crains avec sujet de désobéir à tant de commandements : c'est pourquoi je pourrais dire avec Isaïe : Malheur à moi, parce que je me suis tue (4) ! Il vaut donc bien mieux, ma divine Reine, et mon auguste Maîtresse, que votre très-douce miséricorde, et les puissantes faveurs de votre main libérale reluisent dans ma bassesse il vaut bien mieux que vous me donniez cette charitable main pour obéir à vos commandements, plutôt que de tomber dans votre indignation par ma désobéissance. Vous ferez, ô très-pure Mère de piété, une chose, digne de votre clémence d'élever une misérable de la poussière, et de faire d'un sujet le plus faible et le plus incapable un instrument pour opérer des oeuvres si difficiles et si sublimes, par lequel vous exalterez votre grâce, et (1) Genes., XXII, 3. - (2) Josue, X, 13. - (3) II Reg., VI, 7. - (4) Isaïe, VI, 5. 317 celles que votre très saint fils vous a communiquées; et ainsi vous ôterez l'occasion à la présomption trompeuse qu'on pourrait avoir de s'imaginer que cet ouvrage se soit fait par l'industrie humaine, ou par la " prudence terrestre, ou par la force et l'autorité de la dispute; puisqu'on aura plutôt lieu de croire que c'est par la vertu de la divine grâce que vous excitez de nouveau le coeur des fidèles, et les attirez après vous, qui ôtes une fontaine de piété et de miséricorde. Parlez donc, ma divine Maîtresse, car votre servante écoute avec une volonté ardente de vous obéir comme elle doit et comme il est juste (1). Mais comment pourrai-je proportionnel et égaler mes désirs à mea obligations ? Le juste retour est impossible; mais s'il était possible, je le souhaiterais. O grande et puissante Reine ! accomplissez vos promesses et vos paroles, en me manifestant vos grâces et vos attributs, afin que la connaissance de votre majesté et de vos grandeurs s'étende davantage parmi les nations; qu'elle passe de génération en génération, et que vous en soyez plus glorifiée. Parlez, ma souveraine Maîtresse, votre servante écoute; parlez, et exaltez le Très-Haut par les puissances et par les merveilleuses oeuvres que sa droite a opérées dans votre humilité très-profonde; qu'elles passent de ses divines mains, faites au tour et pleines de jacinthes (2), dans les vôtres, et des vôtres à vos dévots serviteurs, afin que les anges le bénissent; que les justes le louent, que les pécheurs le recherchent, et que tous aient en ces mêmes oeuvres un modèle d'une suprême sainteté, et d'une pureté sans tache, et afin que j'aie par la grâce de votre très saint Fils cette règle (1) I Reg., III, 10. - (2) Cant., VII, 14. 318 infaillible et ce miroir sans tache par le moyen desquels je puisse régler et composer ma vie, puisque ce doit être la première chose que je me dois proposer en écrivant la vôtre, comme vous me l'avez dit plusieurs fois, en me faisant la grâce de m'offrir un modèle vivant et un miroir animé, sur lequel je pusse embellir et orner mon âme pour être votre fille et l'épouse de votre très-saint Fils. 14. Voilà toute ma prétention. C'est pourquoi je n'écrirai point comme maîtresse, mais comme disciple; ce ne sera pas pour enseigner, mais pour apprendre; puisque les femmes sont obligées par leur condition de se taire dans la sainte Église, et d'y ouïr ses ministres. Je manifesterai néanmoins comme un instrument de la Reine du ciel ce qu'elle aura la bonté de m'enseigner, et ce qu'elle daignera me commander; parce que toutes les âmes sont capables de recevoir l'Esprit (1) que son très-saint Fils promit d'envoyer sur toutes sortes de personnes et de sexe (2) sans aucune exception (3); elles sont aussi capables de le manifester comme elles le reçoivent en leur manière convenable (4), lorsqu'une puissance supérieure l'ordonne par une prévoyance chrétienne, comme je crois que mes supérieurs l'ont déterminé. J'avoue que je puis errer, et que c'est le propre d'une fille ignorante; mais je ne crois pas que cela se puisse faire en obéissant, et si cela arrivait, ce ne serait point par ma volonté; ainsi je m'en remets, et je me soumets à ceux qui me gouvernent, et à la correction de la sainte Église catholique, prétendant d'avoir recours à ses ministres dans toutes (1) I Cor., XIV, 34. - (2) Joel., II, 28. - (3) Joan., XIV, 16 et 26, etc. - (4) Cant., IV, 26. 319 mes difficultés. Je veux que mon supérieur, mon directeur et mon confesseur soient témoins, et censeurs de cette doctrine que je reçois, et qu'ils soient juges vigilante et sévères de la manière que je l'écris, ou en ce que je manquerai à y correspondre en réglant toutes mes obligations sur la mesure d'un si grand bienfait. 15. J'ai écrit une seconde fois par la volonté du Seigneur et par l'ordre de l'obéissance, cette divine histoire parce que, la première fois, la lumière par laquelle je connaissais ses mystères était si abondante, et mon incapacité si grande, que la langue ne put exprimer toutes, choses, que les termes ni la légèreté de la plume ne furent pas suffisants pour les déclarer. J'en laissai donc quelques-unes, et je me trouve aujourd'hui, avec le secours du temps et des nouvelles connaissances que j'ai reçues, plus disposée à les écrire; et ce sera même toujours en omettent beaucoup de ce que l'on me découvre, et de ce que j'ai connu; car il est absolument impossible de tout dire dans une si grande abondance. Outre cette raison, le Seigneur m'en a fait connaître une autre: c'est que la première fois que j'écrivis, les soins du matériel et de l'ordre de cet ouvrage m'occupaient extrêmement, et alors les tentations et les craintes furent si grandes, les tempêtes qui me combattaient et m'agitaient si excessives, que, craignant de passer pour téméraire d'avoir mis la main à un ouvrage si difficile et si important, je me résolus de briller tout ce que j'en avais écrit; et je crois que ce ne fut point sans une permission singulière du Seigneur, parce que, dans les troubles où j'étais, mon âme n'était pas disposée à recevoir toutes (320) les préparations convenables dont le Très-Haut la voulait prévenir pour que j'écrivisse, en gravant en elle sa doctrine; et pour m'obliger ensuite de l'écrire en la manière qu'il m'ordonne a présent, ce qui se peut inférer de l'événement qui suit. 16. Un jour de la Purification de Notre-Dame, après avoir reçu le très-saint Sacrement, je voulus célébrer cette sainte fête, parée que c'était le jour auquel je fis ma profession, en y rendant de très-humbles actions de grâces an Très-Haut pour avoir daigné me recevoir pour son épouse, tout indigne que je fusse de cet honneur. Et pendant que je pratiquais ces affections, je sentis dans mon intérieur un changement efficace causé par une très-abondante lumière, qui m'attirait et me mouvait fortement et doucement (1) à la connaissance de l'Être de Dieu, de sa bonté, de ses perfections, de ses attributs, et à celle de ma propre misère, Dans le temps que. ces objets s'introduisaient dans mon entendement, ils produisaient en moi divers effets: le premier était d'élever toute mon attention et ma volonté; et le second était de m'anéantir et de m'abîmer dans mes propres abjections; de sorte que mon être se détruisait, et alors je sentais une douleur très-sensible, et une très- grande contrition de mes péchés énormes, avec un ferme propos de m'en corriger; de renoncer à toutes les vanités du monde, et de m'élever par l'amour du Seigneur sur tout ce qui est terrestre. Je restais pâmée dans ces afflictions, les plus grandes peines m'étaient des consolations, .et je trouvais la vie dans la mort. Le Seigneur ayant pitié de mes douleurs par sa seule miséricorde, me dit : (1) Sapient., VIII, 1. 321 Ne te décourage point, ma fille et mon épouse ; parce que pour te pardonner tes péchés, pour te laver et te nettoyer de tes souillures, je t'appliquerai mes mérites infinis, et le sang que j'ai versé pour toi : tâche de pratiquer la perfection que tu désires en imitant la vie de ma très-sainte Mère: écris-là une seconde fois, afin que tu ajoutes ce qui y manque, et que tu imprimes dans ton coeur sa doctrine. Cesse donc d'irriter ma justice et d'être ingrate à ma miséricorde en brillant ce que tu en écriras, de crainte, que mon indignation ne t'ôte la lumière, qui a été donnée sans la mériter pour connaître et pour manifester ces mystères. " 17. Ensuite je vis la Mère de Dieu et de piété, qui me dit; " Ma fille, tu n'as point encore tiré le fruit nécessaire à ton âme de l'arbre de vie de mon histoire, que tu as écrite, et tu n'es pas arrivée à la moelle de sa substance; tu n'as pas assez cueilli de cette manne cachée: et tu n'as pas eu la dernière disposition à la, perfection qu'il te fallait, afin que le Tout-Puissant gravât et écrivit dans ton âme mes perfections et mes vertus. Je te veux donner moi-même les qualités et les ornements convenables pour te disposer à ce que la divine Bonté veut opérer en toi par mon intercession; je lui ai demandé là permission d'embellir et de parer ton âme de mes propres mains, et de la très-abondante grâce qu'il m'a communiquée, afin que tu écrives une seconde fois ma vie sans t'amuser au matériel, mais seulement su formel et au substantiel que tu y trouveras, te comportant passivement, sans mettre le moindre obstacle qui te puisse empêcher de recevoir le courant de la divine grâce que le (322) Tout-Puissant m'adressa, et de donner passage à cette portion que la divine volonté te destine. Garde-toi bien de la limiter et de la rétrécir par ta lâcheté et par l'irrégularité de ta conduite. " Aussitôt je connus que la Mère de miséricorde me revêtait d'une robe plus blanche que la neige et plus brillante que le soleil. Elle me ceignit ensuite d'une ceinture très-précieuse, et me dit: " C'est une participation de ma pureté que je te donne. " Elle demanda au Seigneur une science infuse pour m'en orner, afin qu'elle me servit de très-beaux cheveux; elle lui demanda aussi plusieurs autres dons et pierreries; et quoique je visse qu'elles fussent d'un très- grand prix, je connaissais pourtant que j'en ignorais la valeur. Après avoir reçu cet ornement, la divine Reine me dit : " Tâche de m'imiter avec fidélité et avec diligence, et de devenir ma très-parfaite fille engendrée de mon esprit, et nourrie dans mon sein. Je te donne ma bénédiction, afin qu'en mon nom, par ma direction et par mon assistance, tu écrives une seconde fois ma vie. " 18. Pour garder donc quelque ordre dans cet ouvrage, et pour une plus grande clarté, je le divise en trois parties. La première traitera de tout ce qui appartient aux quinze premières années de la Reine du ciel, commençant dès sa très-pure conception jusqu'à ce que le Verbe éternel prit chair humaine dans son sein virginal; et de ce que le Très-Haut opéra durant ces années envers la très-sainte Vierge. La seconde partie contient le mystère de l'Incarnation, toute la vie de notre Seigneur Jésus-Christ, sa Passion, sa Mort, et son Ascension, qui fut le temps pendant lequel notre divine Reine demeura avec lui; faisant aussi mention de ce qu'elle y fit (323) elle-même. Et la troisième renfermera le reste de la vie de cette Mère de la grâce, je veux dire depuis qu'elle se trouva privée de la douce présence de son File notre rédempteur Jésus-Christ, jusqu'au temps de son heureuse mort, de son Assomption, et de son Couronnement dans la gloire, comme Reine du ciel, pour y vivre éternellement, comme Fille du Père, Mère du Fils, Épouse du Saint- Esprit. Je divise ces trois parties en huit livres. afin d'en faciliter l'usage, et d'en pouvoir faire le continuel objet de mon entendement, le continuel aiguillon de ma volonté, et le sujet ordinaire de ma méditation. 19. Tour déclarer avec ordre en quel temps j'écrivis cette divine histoire, il est bon que je fasse savoir que mon père frère François Coronel, et ma mère soeur Catherine de Arana fondèrent ce couvent des religieuses déchaussées de la Très- Immaculée Conception dans leur propre maison par la disposition et la volonté de Dieu, que ma mère connut par une révélation particulière. La fondation se fit le jour de l'octave de l'Épiphanie, le treizième de janvier de l'année 1619. Nous primes l'habit, ma mère, moi et ma soeur, le même jour: mon père alla aussi dans un autre couvent de l'ordre de notre séraphique Père saint François, oui doux de mes frères étaient déjà religieux; il y prit l'habit; il y fit profession, il y donna de grande exemples de vertus, et il y mourut saintement. Ma mère et moi reçûmes le voile le jour de la Purification de la grande Reine du ciel, le second de février de l'année 1620. La profession de ma saur fut différée, parce qu'elle n'avait point encore l'âge. Le Tout-Puissant favorisa, par sa seule bonté, notre famille, en nous faisant la grâce de nous consacrer tous à l'état (324) religieux: Dans la huitième année de la fondation, en la vingt-cinquième année de mon âge, et du Seigneur 727,: l'obéissance me fit prendre la charge de supérieure, que j'exerce indigné ment: aujourd'hui. Je passai dix ans de, ma supériorité, durant. lesquels je reçus, plusieurs commandements du Très-Haut, et de la grande Reine du ciel afin que j'écrivisse sa très-sainte vie; et je résistai à cause de mes craintes, pendant tout ce temps-là à ces ordres divins, jusqu'en l'année 1737, auquel temps je commençai de l'écrire pour la première fois. Et l'ayant achevée, je brûlai tous mes écrits, tant ceux qui regardaient cette sacrée histoire que plusieurs autres sur des matières fort graves et fort mystérieuses, par les craintes et les tribulations que j'ai déjà dites, et par le conseil d'un confesseur qui me dirigeait en l'absence de celui qui m'était ordinaire, parce qu'il me dit que: les femmes ne devaient point écrire dans la sainte Église. Je ne manquai point de lui, obéir avec exactitude, dont mes supérieurs et mon premier confesseur, qui savaient toute ma vie, me reprirent très-aigrement. Et ils me commandèrent de nouveau par la sainte obéissance de l'écrire une seconde fois. Le Très-Haut et la Reine da ciel réitérèrent aussi leurs commandements, pour me faire obéir: La lumière que je reçus de l'être divin, les faveurs. que la droite du Très-Haut me communiqua cette seconde fois, furent si. grandes et si abondantes, les recevant afin que ma pauvre âme se renouvelât et se vivifiât: parles instructions de ma divine Maîtresse, les doctrines, furent si profondes, et les mystères si relevés, qu'il en faut faire nécessairement un livre à part, qui correspondra à la même histoire; et son titre sera : Les lois de l'Épouse, les hautes perfections de son chaste amour, et (325) le fruit tiré de l'arbre de la vie de la très-sainte Vierge Marie, notre divine Maîtresse. Je commence d'écrire cette histoire par la grâce de Dieu ce huitième jour de décembre de l'année 1655, jour de la très-pure et très-immaculée Conception. LA CITÉ MYSTIQUE DE DIEU PREMIÈRE PARTIE. DE LA VIE ET DES MYSTÈRES DE LA SAINTS VIERGE, REINE DU CIEL. - CE QUE LE TRÈS-SAUT OPÉRA EN CETTE PURE CRÉATURE DEPUIS SON IMMACULÉE CONCEPTION JUSQU'À CE QUE LE VERBE PRIT CHAIR HUMAINE DANS SON SEIN VIRGINAL. - LES FAVEURS QU'IL LUI FIT PENDANT LES QUINZE PREMIÈRES ANNÉES DE SA VIE, ET LES GRANDES VERTUS QUELLE ACQUIT AVEC LE SECOURS DE LA GRACE. LIVRE PREMIER. OU IL EST TRAITÉ DE CE QUI PRÉCÉDA LA VENUE DE LA TRÈS-SAINTE VIERGE MARIE EN CE MONDE. - DE SON IMMACULÉE CONCEPTION ET DE SA SACRÉE NAISSANCE. - DES EXERCICES AUXQUELS ELLE S'OCCUPA JUSQU'À L'AGE DE TROIS ANS. CHAPITRE I . De deux visions particulières que le Seigneur découvrit à mon âme, et d'autres connaissances et mystères qui me forçaient de m'éloigner des pensées de la terre, élevant mon esprit et l'arrêtant aux choses du ciel. 1. Je vous glorifie: et je vous loue, ô Roi de gloire (1), qui, par un effet de votre adorable providence (1) Matth., XI, 25. 328 et de votre infinie Majesté, avez caché aux sages et aux savants ces sublimes mystères, et les avez révélés à votre plus humble servante, quoique inutile à votre Église, afin qu'on vous reconnaisse avec admiration pour le Tout-Puissant et pour l'auteur de cet ouvrage, à mesure que vous vous servez d'un plus pauvre et plus faible instrument. 2. Après de longues résistances que j'ai racontées, après plusieurs craintes mal fondées, et après de grandes suspensions causées par ma lâcheté, et par la connaissance que j'avais de cet immense océan de merveilles, sur lequel. je me hasarde, craignant d'y faire naufrage; ce très-haut Seigneur me fit sentir une vertu céleste, forte, douce, efficace; une lumière qui éclaire l'entendement (1), captive la volonté rebelle, apaise, redresse, gouverne et attire à soi tous les sens intérieurs et extérieurs, et soumet toute la créature à son bon plaisir et à sa volonté, afin qu'elle recherche en tout son honneur et sa seule gloire. Étant dans cette disposition, j'ouïs la voix du Tout-Puissant qui m'appelait et m'attirait à soi, élevant avec une grande force mon esprit aux choses supérieures, me fortifiant contre les lions rugissants, qui faisaient leurs efforts pour éloigner mon âme du bien (2) qu'on lui offrait dans la connaissance des grands mystères qui sont renfermés dans ce tabernacle et cette sainte cité de Dieu ; et me délivrant des portes des tribulations (3) par lesquelles ils me (1) Sap., VII, 22. - (2) Eccles., LI, 3 ; ibid., 4. - (3) Ibid., 5. 329 conviaient d'entrer, afin que, entourée des douleurs de la mort et de la perdition (1), environnée des flammes de cette Sodome et de cette Babylone dans lesquelles :nous vivons, je m'y précipitasse, et que dans mon aveuglement je suivisse leurs maximes, dans le temps qu'ils offraient à mes sens des objets d'un plaisir apparent, et les séduisaient par leurs artifices et leurs tromperies. Mais le Très-Haut nie délivra de toutes ces embûches qu'ils me préparaient (2), éclairant mon esprit et m'enseignant. le chemin de la perfection par des remontrances efficaces, me conviant de mener une vie toute spirituelle et angélique dans cette chair mortelle, me sollicitant à vivre avec tant de circonspection, que je ne fusse point atteinte du feu, même au milieu de la fournaise, et que je fermasse l'oreille aux discours des langues trompeuses (3) lorsqu elles m'entretiendraient des bassesses de la terre. Sa Majesté m'appela, afin que je me retirasse du misérable état que cause la loi du péché, que je résistasse aux malheureux effets que nous héritons de la nature corrompue, et que je l'arrêtasse dans ses inclinations désordonnées, les détruisant en vue de la lumière, et m'élevant au-dessus de moi-même. Il m'appelait plusieurs fois par les forces d'un Dieu puissant, par des corrections d'un père, par des caresses d'un époux, et me disait : " Lève-toi, hâte-toi, ouvrage de mes mains; viens à moi, qui suis la (1) Ps., XVII, 5. - (2) Ps. LVI, 7 ; Ps., XXIV, 15. - (3) Eccles., LI, 6 et 7. 330 sa lumière et la voie : car celui qui me suit ne marche point dans les ténèbres (1). Viens à moi, qui suis la vérité infaillible et la sainteté par excellence; je suis le Puissant, le Sage, et Celui qui corrige les sages. " 3. Les effets de ces paroles m'étaient des flèches d'amour, d'admiration, de respect, de crainte, de connaissance de mes péchés et de ma bassesse, de façon que je me retirais toute confuse et anéantie. Et pour lors le Seigneur me disait ; " Viens, âme, viens à moi, qui suis ton Dieu tout-puissant; et, bien que tu aies été prodigue et pécheresse, élève-toi de cette terre et viens à moi, qui suis ton père; reçois l'étole de mon amitié et l'anneau de mon alliance. " 4. Étant dans l'état que je dis, je vis un jour les six anges que le Tout-Puissant me destina pour m'assister et me diriger dans cet ouvrage (et dans d'autres occasions de combat), et ils me purifièrent et disposèrent. Ensuite ils me présentèrent au Seigneur, et sa Majesté enrichit mon dîne d'une nouvelle lumière et d'une qualité (comme de gloire) qui me disposèrent et fortifièrent pour apercevoir et connaître ce qui est au-dessus de, mes forces naturelles. Après, deux autres anges, d'une hiérarchie supérieure, m'apparurent, ils m'appelèrent d'une puissante force de la part du Seigneur; et il me fat révélé qu'ils étaient très-mystérieux, et qu'ils me voulaient découvrir de (1) Sap., VII, 15. 331 profonds secrets. Je leur répondis avec un grand souci (passionnée de jouir de ce bien qu'ils m'annonçaient) que je désirais ardemment de voir ce qu'ils me voulaient découvrir, et ce qu'ils me cachaient avec mystère. Ils me dirent fort sévèrement : " O âme! arrête-toi. " Et m'adressant à eux, je leur dis; " Princes du Tout-Puissant, messagers du grand Roi, pourquoi m'ayant appelée m'armez-vous à cette heure, violentant ainsi ma volonté, retardant ma consolation et ma joie? Quelle est votre force, et quel pouvoir est le vôtre, qui dans un même temps m'appelle, m'anime, me trouble et me retient, puisque c'est presque une même chose que de m'attirer après les douces odeurs de mon aimable Maître, et de me lier avec de fortes chaînes (1)? Dites-m'en, s'il vous plaît, la raison. Ils me répondirent ; " Parce qu'il faut que tu te dépouilles de tous a tes appétits et de toutes tes passions pour arriver à ces hauts mystères, qui ne s'accordent pas avec les perverses inclinations de la nature. Déchausse-toi donc comme Moïse, qui en reçut le commandement pour voir ce merveilleux buisson (2). " Je leur répondis; " Mes princes et mes seigneurs, on demanda beaucoup de Moïse en exigeant qu'il eût des opérations angéliques dans une nature corrompue et mortelle; mais il était saint et juste, et je ne suis qu'une pécheresse remplie de misères et soumise à cette malheureuse loi du péché si contraire à celle de (1) Cant., I, 3. - (2) Exod., III, 5. l'esprit (1). " A quoi ils repartirent ; " On te demanderait une chose très-malaisée s'il te fallait l'exécuter par tes seules forces; mais le Très-Haut veut. et demande ces dispositions; il est puissant, et il ne te refusera pas son secours si tu le lui demandes avec ardeur; et si tu te disposes à le recevoir. Ce même il pouvoir qui faisait brûler le buisson sans le cousumer (2), pourra bien empêcher que l'âme plongée a dans les flammes des plus fortes passions, ne se brille si elle veut s'en délivrer. Sa Majesté de mande ce qu'elle veut, et peut ce qu'elle demande; et avec son secours tu pourras ce qu'elle te commande (3). Dépouille-toi de cette loi dit péché, pleure amèrement, crie du profond de ton coeur, afin que ta prière soit exaucée et ton désir accompli. " 5. Je vis ensuite un . voile qui couvrait un très-riche trésor, et je souhaitais avec passion qu'il fût tiré, afin que la merveille que ces intelligences me montraient comme un profond mystère, me fût découverte. Et l'on me répondit ; " Ame, obéis à ce qu'il t'est commandé : dépouille-toi de toi-même, et l'on te découvrira ce qu'on te cache. " Je proposai de changer de vie et de vaincre mes appétits; je versais des torrents de larmes, je poussais de profonds soupirs et de tendres gémissements, afin de mériter la connaissance de ce secret; et à mesure que je proposais, le voile qui couvrait mon trésor se retirait. Il fut enfin tout à fait retiré, et je vis en esprit te que (1) Rom., VII, 23. - (9) Exod., III, 1. - (3) Philip., IV, 13. 333 je ne saurais exprimer. Un grand et mystérieux signe me parut dans le ciel: je vis une femme, une dame, une très-belle reine couronnée d'étoiles, revêtue du soleil, qui avait la lune sous les pieds (1). Et les anges me dirent ; " Celle que tu vois est cette heureuse femme qui parut à saint Jean dans son Apocalypse, et dans laquelle sont renfermés, mis en dépôt et, scellés, les merveilleux mystères de la rédemption. Le Très-Haut et Tout-Puissant si fort favorisé et enrichi cette dame, que tous les esprits célestes en sont dans l'admiration. Considère et contemple ses excellences, écris-les, car on t'en donne la connaissance pour cela aussi bien que pour ton profit. " Les merveilles que je découvris sont si grandes et en si grand nombre, qu'elles me rendent muette, et, la connaissance que j'en ai me ravit; et je crois même, que tous ne sont pas capables de connaître et de pénétrer, dans cette vie mortelle, ce que je dois déclarer dans la suite de cet ouvrage. 6. Un autre jour, dans le même état où j'étais, et dans une grande quiétude et sérénité de mon âme, fouis la voix du Très-Haut qui me disait ; " Ma chère, épouse, je veux maintenant que tu te détermines sans plus balancer, que tu me cherches avec zèle, que tu m'aimes avec ferveur, que ta vie soit plus angélique qui humaine, et que tu oublies tout ce qui appartient à la terre; je veux t'élever de tes bassesses et de ton bourbier (2), comme une pauvre: (1) Apoc., XII,11. -- (2) Psal. CXII, 7. 334 misérable et nécessiteuse, et que dans toit élévation tu t'abaisses, que tes vertus rendent une douce et agréable odeur en ma présence (1); et que dans la connaissance de tes faiblesses et de tes péchés, tu te persuades fortement que tu mérites les tribulations et les peines que tu souffres. Contemple ma grandeur et ta bassesse; considère que je suis juste et saint, que je t'afflige avec raison, et que je suis toujours miséricordieux, ne te châtiant pas comme a ton indignité le, demanderait. Efforce-toi d'acquérir a sur ce fondement de l'humilité toutes les autres vertus, afin que tu accomplisses ma volonté; et je te destine ma Mère pour ta maîtresse, afin qu'elle t'enseigne, te corrige et te reprenne; elle t'instruira, et dressera tes voies à tout ce qui me sera le plus agréable. " 7. J'étais en présence de cette Reine lorsque le Seigneur me tint ce discours, et cette divine Princesse ne dédaigna point d'accepter l'office que Sa Majesté lui donnait; elle l'accepta avec beaucoup de bonté et me dit : " Ma fille, je veux que tu sois ma disciple et mon associée, je serai ta maîtresse; mais sache que tu dois m'obéir aveuglément, et que dès à présent on ne doit plus reconnaître en toi aucun reste de fille d'Adam. Ma vie, et tout ce que j'ai a fait dans mon état mortel, et les merveilles que la puissance du Très-Haut a opérées en moi, te doivent servir de miroir et de règle. " Je me prosternai (1) Cant., I, 11. alors devant le trône du Roi et de la Reine de l'univers, et je m'offris d'obéir en tout ce qu'ils me commanderaient, rendant des grâces infinies au Seigneur. de l'honneur et de la faveur qu'il me faisait, si au-dessus de mes mérites, que de me donner une telle guide et protectrice. Je renouvelai les voeux de ma profession entre ses mains, et m'offris de nouveau de lui obéir et de coopérer de toutes mes forces à l'amendement de ma vie. Le Seigneur me dit : " Prends garde et vois. " Ce qu'ayant fait, je vis une fort belle échelle à plusieurs échelons, une grande multitude d'anges autour, et d'autres qui descendaient et qui montaient. Et sa Majesté me dit : " C'est cette mystérieuse échelle de Jacob qui est la maison de Dieu et la porte du ciel (1). Si tu te disposes, et que ta vie soit telle, que je n'y trouve rien à reprendre, tu viendras à moi par elle. " 8. Cette promesse excitait mon désir, animait ma volonté, suspendait mon. esprit, et je me plaignais de me sentir contraire à moi-même (2). Je soupirais après la fin de ma captivité, et pour arriver au lieu où il n'y a point d'obstacle au véritable amour. Je fus quelques jours dans ces peines, tachant néanmoins de me perfectionner par une nouvelle confession générale, et par le retranchement des imperfections que je pouvais découvrir en moi. Je continuais de voir l'échelle, mais je n'en comprenais pas encore le mystère. Je promis au Seigneur de m'éloigner toujours (1) Gen., XXVIII, 12 et 17. - (3) Job., VII, 20. 336 plus de toutes les vanités mondaines, et de mettre ma volonté en liberté pour l'aimer sur toutes choses, sans la laisser broncher même aux apparences des moindres défauts : je renonçai à tout le fabuleux et le visible, et je l'abandonnai. Et ayant passé quelques jours dans ces affections et dans ces dispositions, le Très- Haut me déclara que cette échelle était la vie, les vertus et les mystères de la très- sainte Vierge Marie; et sa Majesté me dit : " Je veux, ma chère épouse, que tu montes par cette échelle de Jacob, et que tu entres par cette porte du ciel pour connaître mes attributs et pour contempler ma divinité. Monte donc et avance-toi, viens à moi par elle. Ces anges qui l'accompagnent et qui la servent a sont ceux que j'ai destinés pour sa garde et pour la défense de cette sainte cité de Sion; fais en sorte qu'en méditant ses vertus, tu travailles à les imiter. " Il me sembla que je montais par cette échelle, et qu'en y montant je connaissais et je découvrais la plus grande des merveilles, et le plus ineffable prodige du Seigneur dans une pure créature, la plus grande sainteté et la plus grande perfection des vertus que le bras du Tout-Puissant eût jamais opérées. Je voyais au haut de l'échelle le Seigneur des seigneurs et la Reine de tout ce qui est créé, qui me commandèrent de le glorifier, de le louer et de l'exalter pour, de si magnifiques mystères (1), et d'écrire ce que j'en comprendrais. Le Seigneur tout-puissant m'écrivit (1) Psal. II, 2. 337 avec son doigt dans des tables bien plus augustes que celles de Moïse, une loi que je devais méditer et que je devais observer (1) ; il me fut inspiré de la manifester en sa présence à la très-pure Vierge, que Marie vaincrait ma résistance et mon incapacité, et qu'avec son aide j'écrirais sa très-sainte vie, qui produirait les trois réflexions que je souhaite. La première, que l'on connaisse et que l'on pénètre sérieusement le profond respect et la révérence que l'on doit à Dieu; que la créature se doit d'autant plus humilier et abaisser, que son immense Majesté se familiarise plus avec elle, et que les plus grands bienfaits et les faveurs les plus signalées doivent être le motif d'une plus grande crainte, révérence, assiduité et humilité. La seconde, afin que le genre humain, ayant si fort oublié son remède, découvre ce qu'il doit à sa Reine et charitable Mère touchant l'ouvrage de la rédemption, le grand amour et le profond respect qu'elle eut pour son Dieu, et ceux que nous devons avoir pour cette aimable princesse. La troisième, afin que mon directeur, et tout le monde, s'il est nécessaire, connaissent ma bassesse, ma lâcheté et le peu de soin que j'ai de correspondre aux grâces que je reçois. 9. La très-sainte Vierge, répondant à mon désir, me dit : " Ma fille, le monde a un grand besoin de cette doctrine, parce qu'il ignore la révérence qui est due au Seigneur tout-puissant, et qu'il y manque; et par cette ignorance les hommes provoquent se (1) Exod., III, 18. 338 justice, qui les afflige et les abat; ils croupissent dans l'oubli de ses vérités; aveuglés qu'ils sont par leurs propres ténèbres, ils ne s'avisent las de recourir à la lumière, qui les dissiperait; et cela leur arrive parce qu'ils manquent de cette crainte et de ce respect qu'ils lui doivent. " Le Très-Haut et la Reine des anges me donnèrent ces avis et plusieurs autres pour me faire connaître leur volonté dans cet ouvrage. Alors j'eus de la confusion de mon peu de charité à l'égard du prochain, et de la répugnance que j'avais portée jusqu'alors aux offres que cette princesse me faisait de me protéger et de m'assister dans la manifestation de l'histoire de sa très-sainte vie, voyant bien qu'il n'était pas à propos de la différer à un autre temps, parce que le Seigneur tri avait fait connaître que celui-ci était le plus convenable; et après cela il me tint ce discours ; " Ma fille, lorsque j'envoyai mon l'ils unique an monde, les hommes étaient dans le plus pitoyable état où ils eussent jamais été, excepté le petit nombre qui nie servait La nature humaine est si imparfaits, que, si elle ne se soumet à la direction intérieure de ma grâce et à la pratique de ce que mes ministres enseignent, en assujettissant sa propre volonté et me suivant, moi, qui suis la voie, la vérité et la vie (1), par l'observance de mes commandements, qui conserve mon amitié, elle tombe à l'instant dans de profondes ténèbres, se plonge dans des misères sans (1) Joan., XIV, 6. 339 nombre, et va d'abîme en abîme dans l'obstination du péché. Depuis la création et le péché du premier homme, jusqu'à la loi que je donnai à Moise (1), ils se gouvernèrent selon leurs propres et perverses inclinations, ils tombèrent dans de très-grandes erreurs, et ils y persévérèrent même après la loi, à laquelle ils ne voulurent pas se soumettre, et, marchant et s'éloignant ainsi toujours de la lumière et de la vérité, ils s'abîmèrent dans le malheureux oubli et de Dieu et d'eux-mêmes. J'envoyai alors, par un amour de père, le salut éternel et le remède à la nature humaine pour la guérir de ses infirmités; de sorte que j'ai justifié ma cause. Et comme je me servis alors du temps de la plus grande misère pour faire éclater davantage ma plus grande miséricorde (2), je veux maintenant départir aux hommes une nouvelle faveur, parce que le temps propre à la faire sentir est arrivé, en attendant que mon heure vienne, en laquelle le monde se trouvera si chargé d'iniquités, et la mesure des pécheurs si remplie, qu'ils connaîtront et seront contraints de confesser la juste cause de mon indignation. Je manifesterai alors ma justice, mon courroux et mon équité, et je ferai connaître par là combien ma conduite a été équitable à leur égard. Pour les confondre davantage, voici le temps où ma miséricorde va fort éclater, et auquel je veux que u mon amour ne soit point oisif; maintenant que le (1) Rom., V,13 ; Joan., VII, 19. - (2) Ephés., II, 4 et 5. 340 monde est arrivé au plus malheureux siècle qui se soit passé depuis l'incarnation du Verbe, auquel les a. hommes négligent d'autant plus leur bien, qu'ils devraient le chercher avec plus d'ardeur; en ce temps auquel la fin de leur vie passagère approché, et auquel la nuit de l'éternité pour les réprouvés va succéder au soleil de la grâce, qui doit faire naître aux justes un jour sans nuit et éternel; en ce temps auquel la plupart des mortels sont plongés dans les ténèbres de leur ignorance et dans l'abîme de leurs péchés, opprimant et persécutant les justes, et se moquant ouvertement de mes fidèles enfants; a en ce temps que cette inique raison d'État, autant odieuse à ma sagesse qu'injurieuse à ma providence, méprise si fort ma sainte loi, et lorsque les méchants se rendent plus indignes de mes faveurs Ayant égard aux justes qui se trouvent dans cet heureux temps pour eux, je leur veux ouvrir à tous une à porte par laquelle ils pourront avoir accès à ma miséricorde, et leur donner un flambeau, afin qu'ils soient éclairés dans les ténèbres de leur aveuglement. Je leur veux donner un souverain remède, s'ils veulent s'en servir, pour arriver à ma grâce; ceux qui le trouveront seront fort heureux, ceux qui en connaîtront la valeur ne le seront pas moins (1), ceux qui posséderont ce trésor, posséderont les véritables richesses, et ceux qui le méditeront avec respect, tâchant d'en concevoir les mystères, seront (1) Prov., III, 13 et seq. 341 les véritables sages. Je veux que les hommes sachent combien vaut l'intercession de Celle qui fut le remède à leurs péchés, lorsqu'elle donna dans son sein virginal la vie mortelle à l'Immortel. Je veux qu'ils aient pour miroir, dans lequel ils puissent voir leur ingratitude, les merveilles que ma puissance a opérées dans cette créature. Je leur veux découvrir plu sieurs de celles que j'ai faites en elle en qualité de Mère de mon Fils incarné pour le genre humain, et qui ont été cachées jusqu'à présent par mes secrets jugements. 10. " Je n'ai pas manifesté ces merveilles dans la primitive Église, parce qu'elles contiennent des mystères si relevés et si sublimes, que les fidèles se seraient arrêtés à les approfondir et à les admirer, lors:qu'il était nécessaire d'établir la Loi de grâce et de publier l'Évangile. Et, bien que cela n'eût pas été incompatible, néanmoins l'esprit humain, tout rempli d'ignorance, pouvait.recevoir quelques troubles et souffrir quelques doutes, dans un temps que la foi de l'incarnation et de la rédemption était encore a faible, et les préceptes de la .nouvelle loi dans le berceau. Et ce fut pour cela que le Verbe fait homme dit à ses disciples dans la dernière cène : J'aurais à vous dire plusieurs choses, mais vous n'êtes pas à présent disposés à les recevoir (1). Il parla en leurs personnes à tout le monde, qui était encore moins disposé, avant l'établissement de la loi et de la foi (1) Joan., XVI, 12. 342 du Fils, à recevoir la foi et à connaître les mystères de sa Mère. Présentement la nécessité en est bien plus grande, et cette nécessité m'est un motif plus pressant que la mauvaise disposition que j'y trouve. Et si les hommes m'obligeaient par leurs religieux procédés en connaissant et révérant avec respect les merveilles que cette Mère de miséricorde renferme en. soi, et s'ils réclamaient de coeur et avec sincérité son intercession, ils trouveraient quelque remède à leurs malheurs. Je leur présente cette mystique Cité de refuge : fais-en la description et le récit, selon que ta faiblesse te le permettra. Je ne veux pas qu'on les regarde comme des opinions ou de simples visions, mais comme une vérité constante et certaine. Que ceux qui ont des oreilles entendent (1); que ceux qui ont soif viennent aux eaux vives (2), et laissent les citernes croupissantes; que ceux qui aiment la lumière la suivent jusqu'à la fin. " C'est ce que le Seigneur Dieu tout-puissant dit. 11. Ce sont les paroles que le Très-Haut me dit sur le sujet que je viens de raconter. Je dirai au chapitre suivant de quelle manière je reçois cette doctrine et cette lumière, et comment je connais le Seigneur; exécutant en cela l'obéissance, qui me l'ordonne. Ainsi, dans la suite, tous seront informés de la nature des connaissances et des miséricordes que je reçois. (1) Matth., XI, 15. - (2) Apoc., XXII, 17. 343 CHAPITRE II. Où il est déclaré de quelle façon le Seigneur manifeste ces mystères et la vie de la Reine du ciel à mon âme, dans l'état où sa divine bonté m'a mise. 12. Afin que l'on soit averti et éclairci dans le reste de cet ouvrage de la façon dont le Seigneur manifeste ces merveilles, il m'a semblé à propos de mettre ce chapitre au commencement, dans lequel je l'expliquerai le mieux qu'il me sera possible, et selon qu'il me sera accordé. 13. J'ai reçu, depuis que j'ai l'usage de la raison, un bienfait du Seigneur que j'estime un des plus grands que sa main libérale m'ait faits : c'est de m'avoir donné une très-grande crainte de le perdre; ce qui m'a toujours poussée et excitée à désirer et à faire ce qui était le plus parfait et le plus assuré, et à demander la continuation de cette grâce au Très-Haut, qui m'a crucifiée en quelque façon, perçant ma chair d'une vive crainte de ses jugements (1); je tremble toujours de perdre l'amitié du Tout-Puissant, et même je doute si je la possède. Les larmes que cette perplexité. me causait étaient ma continuelle nourriture (2); cette crainte (1) Ps. CXVIII, 120. - (2) Ps. XLI, 4. 344 m'a fait faire de grandes instances à Dieu, et m'oblige de demander l'intercession de la très-pure Vierge dans ces misérables temps où nous sommes (auxquels les serviteurs de Dieu doivent être cachés, et ne paraître presque point), le suppliant de tout mon coeur qu'il me conduise par une voie assurée et cachée aux yeux des hommes. 14. Le Seigneur me répondit à ces demandes réitérées : " Ne crains point et ne t'afflige pas, ô âme, je te mettrai dans un état et dans un chemin de lumière et de sûreté si caché et si. relevé, que nul autre que moi ne le pourra connaisse. Dès aujourd'hui je t'ôterai tout ce qui éclate à l'extérieur, et qui peut être exposé au péril; ainsi ton trésor sera caché : garde-le, et conserve-le bien, par la vie la plus parfaite. Je te mettrai dans un sentier secret, clair, véritable et pur; marche par cette route. " Dès lors j'aperçus un changement et un état fort spiritualisé dans mon intérieur. Mon entendement fut doué d'une nouvelle lumière, et on lui communiqua une science avec laquelle il connut toutes choses en Dieu, ce qu'elles sont en elles-mêmes, et leurs opérations; il lui fut manifesté que c'est la volonté du Très-Haut que je les connaisse et que je les pénètre. Cette intelligence et cette lumière qui m'éclaire est sainte et douce, pure et subtile, aiguë et active, assurée et sereine (1). Elle fait aimer le bien et haïr le mal. C'est une vapeur de la vertu de Dieu (2), et une simple (1) Sap., VII, 22. - (2) Ibid., 25. émanation de ses infinies clartés, que l'on présente à mon entendement comme un miroir, dans lequel j'aperçois par ma vue intérieure, et par le plus suprême de mon âme, plusieurs choses; l'objet paraissant infini par la lumière qui en rejaillit, quoique les vues soit limitées et l'entendement faible. L'on voit le Seigneur comme s'il était assis sur un trône de grande majesté, d'où l'on découvrirait distinctement ses attributs, autant que les forces de l'esprit humain le peuvent permettre; y ayant entre deux comme un voile d'un cristal très-pur qui le couvre, à travers lequel l'on connaît et l'on discerne avec une vive clarté et une grande distinction lés merveilles et les attributs ou perfections de Dieu. Quoique ce voile dont je viens de parler empêche de le voir totalement, immédiatement et intuitivement, néanmoins la connaissance de ce qu'il cache ne cause aucune peine, mais elle est plutôt un sujet d'admiration à l'entendement, parce que l'on comprend que l'objet est infini et que celui qui le contemple est borné ; car elle lui donne des espérances que ce voile sera tiré, et qu'on lui en ôtera l'obstacle, quand l'âme sera dépouillée de cette chair mortelle (1), si elle tâche de s'en rendre digne. 15. Dans cette connaissance, il y a divers degrés et plusieurs manières de voir; et cela dépend de la divine volonté, Dieu étant un miroir volontaire. Quelquefois il se manifeste plus clairement, d'autres fois (1) I Cor., V, 4 et 6. 346 moins. Quelquefois on y montre quelques mystères, et on en cache d'autres, et toujours ils sont grands. Cette différence suit bien souvent la disposition de l'âme; parce que si elle n'est pas tranquille et en paix, ou qu'elle ait commis quelque faute, ou quelque imperfection, pour petite qu'elle soit, elle ne peut voir cette lumière de la façon que je dis, par laquelle l'on connaît le Seigneur avec tant de clarté et de certitude, qu'elle ne laisse aucun doute de ce qu'on y découvre: au contraire elle persuade et assure que c'est Dieu qui est présent, et elle fait mieux entendre tout ce que sa Majesté dit. Et cette connaissance produit une force solide, efficace et pleine de douceur, pour aimer et servir le Très-Haut, et pour lui obéir. L'on connaît de grands mystères dans cette clarté; l'on y voit combien la vertu est estimable, et combien il est avantageux de la pratiquer et de la posséder; l'on y découvre sa perfection et sa sûreté; et l'on y ressent une force et une vertu qui contraint de pratiquer le bien, de s'opposer su mal, de le combattre et de vaincre bien souvent les passions. L'âme ne saurait être vaincue pendant qu'elle jouit de cette vue et qu'elle conserve cette lumière (1), qui lui communique le courage et la ferveur, l'assurance et la joie, et qui, par ses soins et par ses impulsions, appelle, relève et donne cette agilité et cette vivacité qui font que la partie supérieure de l'âme attire après soi l'inférieure. Et le corps même s'en ressent, étant presque tout (1) sap., VII, 30. 347 spiritualisé pendant ce temps- là, auquel toutes ses pesantes inclinations sont suspendues. 16. Lorsque l'âme tonnait et ressent ces doux effets, elle dit avec une amoureuse affection au Très-Haut: Tirez-moi après vous: Trahe me post te (1), et nous courrons ensemble; parce qu'étant unie avec son bien-aimé, elle ne sent point les opérations terrestres; et se laissant attirer par la douceur des parfums de Celui qui la charme, elle se trouve plus on elle aime que là où elle vit. Elle laisse la partie animale déserte, et ne la rejoint que pour la réformer et la perfectionner, et pour y sacrifier les appétits criminels des passions. Que s'ils se veulent quelquefois révolter, elle les rejette avec impétuosité, parce que je ne vis plus, dit-elle, mais c'est Jésus-Christ qui vit en moi (2). 17. L'on aperçoit dans cet état, d'une certaine manière, le secours de Jésus-Christ, qui est Dieu (3) et la vie de l'âme, et qui agit dans toutes les saintes opérations et les saints mouvements; et l'on y découvre par la ferveur, par le désir, par la lumière et par l'efficace qui nous secondent en tout ce que nous faisons, une force intérieure que Dieu seul peut causer. L'on y ressent aussi l'amour que la continuation et la vertu de cette lumière produisent, et on y entend intérieurement une parole animée et continuelle (4), qui nous occupe à tout ce qui est divin, et nous sépare de tout ce qui est humain; et par là l'on découvre que la (1) Cant., I, 3. - (2) Gal., II, 20. - (3) I Joan., V, 11 et 12. - (4) Hebr., IV, 12. 343 vertu et la lumière du Soleil de justice, qui éclaire toujours dans les ténèbres, vivent en nous (1). Ce qui s'appelle proprement être au vestibule de la maison du Seigneur (2), puisque l'âme est en vue de ce divin Soleil et participe aux rayons qui en sortent (3). 18. Je ne dis pas que ce soit toute la lumière, mais seulement une partie; et cette partie est une connaissance qui surpasse les forces et le pouvoir de la créature. Le Très-Haut fortifie l'entendement pour le disposer à cette vue, lui donnant une qualité et une lumière surnaturelles, afin qu'il soit proportionné à cette connaissance, qui nous. affermit dans cet état par la certitude avec laquelle nous croyons et nous connaissons les autres choses divines: Mais ici la foi nous accompagne aussi, et le Tout-Puissant fait voir à l'âme dans cet état, par sa lumière éternelle, combien elle doit estimer cette science et cette clarté qu'il lui communique ; et avec elle tous les biens me sont venus ensemble, et par ses libérales mains j'ai reçu un honneur d'un très-grand prix. Cette lumière me précède en tout ce que je fais; je l'ai apprise sans fiction, et je désire de la communiquer sans envie, et de ne pas céler l'honneur que j'en reçois (4). Elle est une participation de Dieu et elle produit une grande douceur et une joie singulière (6). Elle enseigne beaucoup dans un, instant, et elle s'assujettit le coeur (6), nous retire et nous éloigne avec de puissants efforts de tous (1) Joan., I, 5. - (2) Ps. XCI, 14. - (3) Apoc., III, 23. - (4) Sap., VIII, 10, 11, 12 et 13. - (5) Sap., VIII, 16 et 18. - (6) Ibid. 4 et 7. 349 les objets qui pourraient nous séduire et qui dans cette lumière nous paraissent d'une amertume horrible : de sorte que l'âme, renonçant aux choses passagères, se va réfugier dans le sanctuaire de l'éternelle Vérité, et entre dans le cellier du Très- Haut (1), où par ses ordres je suis ornée de la charité, qui m'incite à être patiente et douce, sans envie et sans orgueil ni ambition (2); de n'être point colère, de ne juger mal de personne et de souffrir tout (3); ne cessant de m'instruire et de m'exhorter par de fortes impulsions dans le plus secret de mon âme, afin que je pratique toujours ce qui est le plus saint et le plus pur, m'enseignant même les moyens de le faire: et si je manque encore à la moindre petite chose, elle me reprend sans en laisser échapper aucune. 19. C'est une lumière qui dans un même temps éclaire et anime, enseigne et reprend, mortifie et vivifie, appelle et retient, instruit et violente; nous fait distinguer le bien et le mal, l'élevé et le profond, la longueur et la largeur (4), le monde, son état, sa disposition et ses tromperies, ses vaines promesses et l'infidélité de ses habitants et de ses amateurs; et surtout elle m'enseigne à le fouler, à le mépriser et A ne m'attacher qu'au Seigneur, le regardant comme le souverain maître et le gouverneur de toutes choses. Je vois et je connais en sa Majesté la disposition et les vertus des éléments; le commencement, le milieu et la (1) Cant, II, 4. - (2) Cor., XIII, 4. - (2) Ibid., 5. - (4) Éphés., III, 18. 360 fin des temps, ses vicissitudes et ses variétés, le cours des années, l'harmonie des créatures et leurs qualités (1); tout ce qui est le plus caché dans les hommes, leurs opérations et leurs pensées, et combien elles sont éloignées de celles du Seigneur; les périls dans lesquels ils vivent et les sinistres voies qu'ils suivent; les états, les gouvernements, leur inconstance et leur peu de fermeté; en quoi consiste leur commencement, leur fin, et ce qu'ils ont de véritable ou de trompeur. L'on connaît et l'on découvre fort distinctement toutes ces choses en Dieu par le moyen de cette lumière, y connaissant même les personnes et leur naturel. Il y a pourtant un état inférieur à celui dont je viens de parler, qui est ordinaire à l'âme, dans lequel elle, a véritablement l'usage de l'essentiel et de l'habitude de cette lumière, mais non pas de toute sa clarté. Ce qui lui limite cette si haute connaissance des personnes et des états, des secrets et des pensées que l'on reçoit dans le premier; parce que je n'ai pas plus de connaissance dans celui-là qu'il ne m'en faut pour me délivrer des dangers, pour éviter le péché et pour avoir une tendre et véritable compassion de mon prochain; sans que je me puisse donner la liberté de me déclarer à personne, ni de découvrir ce que je connais; car si l'auteur de ces merveilles ne me donne la permission et ne me commande parfois de donner des avis à quelqu'un, il semble que je devienne muette: et quand je lui rends ce bon office, ce doit être sans (1) Sap., VII, 17, 18,19 et 20. trop me déclarer, mais en lui touchant le coeur par des. raisons évidentes et claires, communes et charitables, et en priant pour ses nécessités, n'ayant cette pénétration que pour cela. 20. Bien que j'aie pénétré toutes ces choses avec une grande clarté, néanmoins le Seigneur ne m'a jamais découvert qu'une âme se dût perdre: et ç'a été un effet de sa Providence, parce que la damnation d'une personne ne se manifeste pas sans un grand sujet; outre que je mourrais sans doute de douleur, si je le connaissais, et ce serait un effet que cette lumière produirait, car c'est une chose fort déplorable de voir qu'une âme doive être privée de Dieu pour toujours. Je l'ai prié de ne pas me découvrir cette malheureuse perte de personne; et si je pouvais délivrer quelqu'un du péché pari ma propre vie, je le ferais avec plaisir et je ne refuserais pas que le Seigneur me le découvrit; mais pour celui auquel il n'y a point de remède, je le prie de me le cacher. 21. On ne me donne pas cette lumière pour m'obliger à déclarer mon secret en particulier, mais afin que j'en use avec prudence et avec sagesse. Elle me pénètre comme une substance qui vivifie (quoiqu'elle ne soit .qu'un accident), et qui émane de Dieu comme une habitude, par laquelle je dois régler mes sens et la partie inférieure de mon âme. Car dans la supérieure je jouis toujours d'une vision et d'un état de pais qui me font connaître intellectuellement tous les mystères et les secrets de la Reine du ciel que l'on m'y découvre, aussi bien que plusieurs autres de notre sainte (452) foi, qui me sont presque continuellement présents: et je ne perds jamais cette lumière de vue. Que si quelquefois je m'abaisse comme une misérable créature avec quelque attache aux choses humaines, à l'instant le Seigneur m'appelle avec une douce rigueur, m'oblige de retourner à lui et d'être attentive à ses paroles, à la connaissance de ses mystères et de ses grâces, aux vertus et aux opérations tant extérieures qu'intérieures de la très-sainte Vierge, comme je vais le déclarer. 22. Dans ces états spirituels et dans la clarté de nette même lumière je connaissais et je voyais la même Reine, Mère et Vierge, quand elle me parlait; et les anges, leur nature et leur excellence. Quelquefois aussi je les connais et je les vois en Dieu, et d'autres fois en eux-mêmes; mais avec cette différence, que pour les connaître en eux-mêmes il me faut, descendre quelques degrés plus bas. Et lorsque cela arrive je m'en aperçois par le changement des objets et par les divers mouvements de mon entendement. Je vois et j'entends ces princes célestes; je leur parle dans ces degrés inférieurs; ils y conversent avec moi, et m'éclaircissent de plusieurs de ces mystères que le Seigneur m'a montrés. La Reine du ciel m'y déclare et m'y manifeste ceux de sa très-sainte vie, et toutes les merveilles qui s'y sont passées; et je les distingue tous avec ordre par les divins effets que je ressens dans mon âme. 23. Je les vois en Dieu comme dans un miroir volontaire, sa Majesté m'y montrant les saints qu'elle (353) veut et de la manière qu'il lui plaît, avec une grande clarté et avec des effets plus relevés; on y connaît avec une admirable lumière le même Seigneur, les saints, leurs vertus héroïques, leurs prodiges, et comme ils les ont opérés avec la grâce, rien ne leur ayant été impossible par son secours et par sa, vertu (1) : la créature se trouvant dans cette connaissance plus abondante, plus remplie de vertu et de consolation, et comme dans le repos de son centre; parce que la lumière qu'on y ressent est d'autant plus forte, ses effets plus relevés, sa substance et sa certitude plus grandes, que ce repos est plus intellectuel, moins corporel et moins imaginaire. On y remarque encore ici une différence car l'on y connaît que cette vue ou cette connaissance du même Seigneur, de ses attributs et de ses perfec-tiens, est plus élevée; et que ce qui en résulte est d'une douceur inconcevable; et même que la connaissance des créatures en Dieu est inférieure à celle-là. Il me semble que cette subordination naît en partie de l'âme même: car comme sa vue est si bornée, elle ne,peut pas s'appliquer si fort à Dieu, ni le connaître si parfaitement avec les créatures que lorsqu'elle connaît sa seule Majesté sans elles: il semble même que dans cette seule vue on reçoit une plus grande plénitude de consolation, que quand on voit les créatures en Dieu. Cette connaissance de la divinité est si délicate, qu'elle diminue à mesure que nous y mêlons quelque autre chose, su moins pendant que nous sommes dans cette vie mortelle. (1) Philip. XV, 18. 354 24. Je vois dans l'autre état plus inférieur à celui que j'ai dit, la très-sainte Vierge en elle-même et les anges; j'y aperçois et j'y connais de quelle manière l'on m'y enseigne, l'on m'y parle et l'on m'y éclaire; laquelle est à peu près celle dont les anges se communiquent et se parlent entre eus, et dont ces esprits supérieurs éclairent et informent leurs inférieurs. Le Seigneur comme cause première. distribue cette lumière; mais celle dont la très-sainte Vierge participe et dont elle jouit avec une si grande plénitude, elle la communique à la partie supérieure de l'Ame, et je connais par cette communication cette Reine, ses prérogatives et ses mystères, de la manière dont l'ange inférieur tonnait ce que le supérieur lui communique. Je la connais aussi par la doctrine que cette même Reine enseigne, par l'efficacité de cette doctrine et par plusieurs autres effets, que la vérité, la pureté et l'élévation de cette vision font ressentir et font éprouver; dans laquelle on ne reconnaît rien d'impur, rien d'obscur, rien de faux et rien de douteux; au contraire tout y est saint, pur et véritable. Il m'en arrive de même dans mon état présent, avec les princes célestes; et le Seigneur m'a fait connaître plusieurs fois que je reçois ces communications et ces lumières, comme ils les pratiquent parmi eus. Il m'arrive souvent que cette illumination passe dans moi par tous ces sacrés canaux; que le Seigneur me donne l'intelligence et la lumière ou son objet; que la très-sainte Vierge m'en donne l'éclaircissement, et que les anges me fournissent les termes pour m'exprimer. D'autres (355) fois (et pour l'ordinaire) le Seigneur fait tout, et il m'enseigne ce que je dois écrire. La Reine du ciel m'instruit quelquefois de tout par elle-même; d'autres fois les anges me rendent cet office; et l'on a coutume aussi de ne m'en donner que l'intelligence; prenant les termes dont je me sers pour me faire entendre, de ce qui m'a été déjà inspiré. Il est vrai que je pourrais errer en ceci, si Dieu le permettait, parce que je suis une pauvre ignorante et que je me sers de ce que j'ai ouï : et quand il me vient quelque difficulté en déclarant ces connaissances, j'ai recours à mon directeur et à mon père spirituel dans les matières les plus délicates et les plus difficiles. 25. Dans ces sortes de temps et ces divers états, j'ai rarement des visions corporelles, mais j'y reçois quelques visions imaginaires : et celles-ci sont fort inférieures aux autres dont je viens de parler, qui sont bien plus élevées, plus spirituelles et plus intellectuelles. Et ce que je puis assurer est que dans toutes les connaissances et les intelligences qui me viennent de la part du Seigneur, de la très-sainte Vierge ou des anges, soit qu'elles soient grandes ou petites, inférieures ou supérieures, je reçois une lumière très-abondante et une doctrine fort profitable, dans laquelle je reconnais et je vois la vérité et tout ce qui est le plus parfait et le plus saint; j'y ressens même une force et une lumière divines qui m'obligent de travailler à la plus grande pureté de mon Ame, de désirer la grâce du Seigneur, de mourir pour elle et de pratiquer toujours ce qui lui est le plus agréable : (366) connaissant par ces divers degrés et par ces sortes d'intelligences, avec un grand profit, une douce consolation et une parfaite joie de mon âme, tous les mystères de la,vie de la Reine du ciel. De quoi je glorifie de tout mon coeur le Tout-Puissant, je l'exalte, je l'adore et je le reconnais pour saint, pour le Dieu fort et admirable, et digne de louange, de gloire et de révérence pendant tous les siècles des siècles. Amen. CHAPITRE III. De la connaissance que j'eus de la Divinité, et du décret que Dieu fit de créer toutes choses 26. Que vos jugements sont incompréhensibles, ô mon Dieu, et que vos voies sont impénétrables (1) 1 Votre commencement et votre fin sont autant inconnus qu'impossibles à trouver, vous êtes et vous serez toujours le même; qui pourra donc vous résister, qui pourra connaître votre grandeur, et qui pourra raconter vos oeuvres magnifiques (2)? Où se trouvera ce téméraire, qui aura la hardiesse de vous dire. Pourquoi les (1) Rom., XI, 53. - (2) Eccles., XVIII, 2-5. 357 avez-vous faites ainsi (1)? Votre trône est par-dessus toutes choses, et nos regards n'y sauraient arriver ni notre entendement vous comprendre. Soyez béni, ô Roi de gloire, de ce que vous avez daigné découvrir à votre servante et à ce chétif ver de terre de grands secrets et de très-hauts mystères, ayant suspendu mon esprit et m'ayant élevée dans un état où j'ai vu ce que je ne saurais exprimer. J'ai vu le Seigneur et le Créateur de tout ce qui a l'être. J'ai vu. une grandeur en elle-même avant qu'elle eût rien créé; j'ignore de quelle façon elle me fut montrée, mais non pas ce que je vis et ce que j'entendis. Sa Majesté, qui pénètre toutes choses, fait qu'ayant à parler de sa divinité, mes pensées me jettent dans le ravissement, mon âme est dans la crainte, mes puissances se suspendent dans leurs opérations, et toute la partie supérieure de mon âme abandonne l'autre, elle congédie les sens pour s'envoler vers ce qu'elle aime, délaissant ce qu'elle anime. Dans ces défaillances et dans ces amoureuses pamoisons, mes yeux, fondent en larmes et ma langue devient muette. O mon très-haut et incompréhensible Seigneur! objet infini de mon entendement, comment me trouvé-je anéantie lorsque je suis en votre présence (car vous êtes éternel et sans borne), mon être se réduit en poussière, et à peiné puis-je m'apercevoir de moi-même? Comment est-ce que cette pauvre créature osera regarder votre magnificence et votre souveraine majesté? Assistez- moi, (1) Rom., IX, 20. 358 Seigneur, fortifiez ma vue et encouragez ma crainte, afin que je puisse raconter ce que j'ai vu et obéir à vos ordres. 27. Je vis par mon entendement de quelle manière le Très-Haut était en lui-même, et j'eus une claire et véritable connaissance que c'est un Dieu infini en sa substance et en ses attributs, qu'il est éternel, qu'il est une souveraine trinité et un seul Dieu en trois personnes : trois, afin que les opérations de se connaître, de se comprendre et de s'aimer soient exercées; et un seulement, pour jouir du bien de l'unité éternelle. Il est trinité de Père, de Fils, et de Saint-Esprit. Le Père n'est pas fait, ni créé, ni engendré, et il ne le peut pas être ni avoir aucune origine. Je connus que le Fils est du Père seul par une éternelle génération, qu'ils sont égaux en l'éternité, et qu'il est engendré de la fécondité de l'entendement du Père, et que le Saint-Esprit procède du Père et du Fils par amour. Dans cette inséparable trinité, il n'est rien qu'on puisse dire premier ni dernier, plus grand ni moindre. Les trois personnes sont en elles-mêmes également éternelles et éternellement égales; je connus que. c'est une unité d'essence en une trinité de personnes, un Dieu en cette inséparable trinité, et trois personnes en l'unité d'une substance. Les personnes ne se confondent pas pour être un Dieu, ni la substance ne se sépare pas ou n'est pas divisée pour être en trois, personnes, qui étant distinctes dans le Père, dans le Fils, et. dans le Saint-Esprit, ne sont qu'une même divinité; la gloire en est égale et la majesté, le pouvoir, l'éternité, l'immensité, la sagesse, la sainteté et tous les attributs le sont aussi. Et quoique les personnes dans lesquelles subsistent ces perfections infinies soient trois, néanmoins il n'y a qu'un seul Dieu véritable, qu'un Saint, qu'un Juste, qu'un Puissant, qu'un Éternel, et qu'un Infini. 28. Je découvris aussi que cette divine Trinité se comprenait par un simple regard, sans. avoir besoin d'une nouvelle ni distincte connaissance; que le Père fait autant que le Fils, et le Fils et le Saint-Esprit autant que le Père; qu'ils s'aiment réciproquement par un même amour immense et éternel, que cette unité entend, aime et opère également et indivisiblement; qu'elle est une nature simple, incorporelle et indivisible, et un être du véritable Dieu, dans lequel se trouvent en un degré suprême et infini toutes les perfections unies et assemblées. 29. Je connus la nature de ces perfections du Très-Haut, je découvris qu'il est beau sans laideur, grand sans quantité, bon sans qualité, éternel sans succession de temps, fort sans faiblesse, vie sans mortalité, et véritable sans fausseté; qu'il est présent en tout lieu, le remplissant sans l'occuper,. et se trouvant en toutes choses sans extension; qu'il n'y a point de contradiction dans sa bonté ni de défaut dans sa sagesse; qu'il est incompréhensible en cette sagesse, terrible dans ses conseils, juste dans ses jugements, très-secret dans ses pensées, véritable dans ses paroles, saint dans ses oeuvres et riche en ses trésors; que l'espace ne lui donne pas plus d'étendue, ni le raccourci ne le rétrécit (360) pas; que sa volonté n'est point sujette au changement; qu'il n'y a 'en lui ni passé ni avenir; que les choses tristes ne le peuvent point affliger; que l'origine ne lui adonné aucun commencement, et que le temps ne lui donnera aucune fin. O immensité éternelle ! combien d'espace sans bornes ai- je découvert en vous quelle infinité ne reconnais-je pas dans votre être infini ! La vue ne saurait se lasser ni su borner contemplant cet objet sans fin. C'est un être immuable, un être au-dessus de tout être, une sainteté très-parfaite et une vérité très-infaillible; il est l'infini, la largeur et la longueur, la hauteur et la profondeur, la gloire et la cause de cette même gloire, le repos sans lassitude et la souveraine bonté. Enfin je vis toutes choses en le voyant, et je ne saurais trouver le moyen de dire ce que je vis. 30. Je vis comme le Seigneur était avant que de créer aucune chose, et je considérai avec admiration où il faisait sa demeure, car il est vrai qu'alors il n'y avait point de ciel empyrée ni d'autres cieux inférieurs; point de soleil, ni de lune, ni d'étoiles, ni aucun élément. Le Créateur était seulement, sans qu'il y eût rien de créé. Tout était désert, sans anges, sans hommes et sans animaux; et par cette vue je connus que l'on doit nécessairement convenir que Dieu était en lui-même, et qu'il n'avait besoin d'aucune créature, parce qu'il était autant infini en ses attributs avant que de les créer qu'après les avoir tirées du néant; car il les eût et les aura pendant toute son éternité comme dans un sujet indépendant et incréé; (361) aucune perfection ne pouvant manquer à sa divinité, parce qu'elle les contient toutes, et elle est seule ce qu'elle est, tous les avantages des créatures et tout ce qui a l'être se trouvant dans cet être infini d'une façon inconcevable et très-éminente, comme des effets dans leur cause. 31. Je connus que le Très-Haut était permanent en, lui-même, lorsque les trois divines personnes firent le décret (selon notre façon de concevoir) de communiquer leurs perfections et d'en faire des largesses. Il faut remarquer, pour mieux comprendre ceci, que Dieu connaît toutes choses par un acte indivisible, très- simple et sans discours; qu'il n'en connaît point une par la connaissance d'une autre qui l'ait précédée, comme nous, qui raisonnons et discourons, ne les connaissant que par divers actes de notre entendement; parce que la connaissance de Dieu les pénètre toutes ensemble dans un moment, sans qu'il y ait dans son entendement infini ni première, ni dernière, se trouvant toutes ramassées dans cette science divine et incréée, comme elles le sont dans l'être de Dieu, où elles sont renfermées et contenues comme dans leur premier principe. 32. Dans cette science de simple intelligence que nous appelons première selon la préséance naturelle de l'entendement sur la volonté, il faut considérer en Dieu un ordre, non de temps, mais de nature, selon lequel nous concevons que l'acte de son entendement précéda celui de sa volonté; car nous considérons premièrement en lui le seul acte d'entendre sans (362) réfléchir sur le décret qu'il forma de vouloir créer quelque chose. Dans cet instant donc, les trois personnes divines conférèrent ensemble par un acte d'entendement de la convenance des oeuvres ad extra, c'est-à- dire de ce que sa puissance devait tirer du néant, et de toutes les créatures qui ont été; qui sont et qui seront. 33. J'eus la hardiesse de demander à sa Majesté de satisfaire su. désir que j'avais de savoir l'ordre qu'elle tint dans la résolution qu'elle fit de créer toutes choses, et ce que nous en devons croire, ne le demandant que pour apprendre le rang que la Mère de Dieu eut dans l'entendement divin; et je dirai comme il me sera possible ce qu'elle daigna me ré. pondre et me manifester, et l'ordre que je découvris dans ces idées divines, le réduisant en instants, parce que autrement nous ne pourrions pas proportionner la connaissance de cette science de Dieu à notre capacité; laquelle science nous appellerons ici science de vision, dans laquelle ne trouvent les idées. ou les images des créatures que Dieu détermina de créer, et qu'il tient représentées dans son entendement, les connaissant infiniment mieux que nous ne les voyons et ne les connaissons présentement nous-mêmes. 34. Or, bien que cette science divine soit une, très-simple et très-indivisible; néanmoins, comme les choses qu'elle regarde sont plusieurs et qu'elles ont un tel ordre entre elles, que les unes sont avant les autres, que les unes reçoivent l'être ou l'existence des autres, et qu' elles ont une mutuelle dépendance, (363) il nous faut pour cette raison diviser la science et la volonté de Dieu en plusieurs instants ou en plusieurs actes qui correspondent aux divers instants de l'ordre des objets. Ainsi nous disons que Dieu connut et détermina une chose avant l'autre et par une autre, et que s'il n'avait pas premièrement voulu ou connu par cette science de vision une chose, il ne voudrait pas l'autre. Nous ne devons pas inférer de cela que Dieu eut plusieurs actes d'entendement ni de volonté; mais nous voulons faire entendre que, comme les choses succèdent les unes aux autres, et ont un tel enchaînement, que, les imaginant par cet ordre objectif, noua appliquons ( pour les mieux comprendre) ce même ordre dans les actes de la science et de la volonté de Dieu. CHAPITRE IV. Les décrets divins y sont distribués par instants, déclarant ce que Dieu détermina en chacun, touchant sa communication au dehors. 35. Il me fut manifesté que cet ordre se devait distribuer par les instants qui suivent : Au premier, Dieu connut ses attributs divins, ses perfections et cette ineffable inclination qu'il avait de se (364) communiquer hors de lui-même; et ce fut la première connaissance des communications au dehors. Sa Majesté contemplant la nature, la vertu et l'efficace que ses perfections infinies avaient pour produire des choses magnifiques, vit dans son équité qu'il était très convenable, et comme de la justice et de la nécessité, qu'une si souveraine bonté se communiquât, afin d'opérer selon son inclination communicative, et afin d'exercer sa libéralité et sa miséricorde, distribuant au dehors d'elle-même avec sa magnificence la plénitude . de ses trésors infinis que la Divinité renferme. Parce qu'étant tout infini, il lui est bien plus naturel de faire des dons et des grâces qu'au feu de monter à sa sphère, qu'à la pierre de descendre à son centre, et qu'au soleil de répandre sa lumière. Et cette profonde mer de perfections, cette abondance de trésors et cette infinité impétueuse de richesses désirent par leur propre inclination les voies de se communiquer aussi bien que par la connaissance qui leur vient de la volonté et de la sagesse du même Dieu, que ce n'est pas diminuer ses dons ni ses grâces que de les communiquer, mais plutôt eu quelque façon les augmenter en ouvrant cette source inépuisable de richesses. 36. Dieu regarda tout cela dans ce premier instant après la communication ad intra, ou su dedans, par les émanations éternelles. Et en les regardant il se trouva comme obligé par lui-même de se communiquer ad extra, c'est-à-dire au dehors de son être, connaissant qu'il était saint, juste, miséricordieux et (365) pieux de le faire, puisque rien ne s'y pouvait opposer. Et nous pouvons nous imaginer, selon notre manière de concevoir, qu'il manquait quasi quelque chose à la tranquillité de Dieu, jusqu'à ce qu'il fût arrivé au centre des créatures, dans lesquelles et avec lesquelles il devait prendre ses délices (1) en leur faisant part de sa divinité et de ses perfections. 37. Deux choses me causent de l'admiration, me suspendent, m'attendrissent et m'anéantissent dans cette connaissance et dans cette lumière que je reçois. la première est cette inclination que j'ai découverte en Dieu, et cette grande volonté qui est en' lui de communiquer sa divinité et les trésors de sa gloire. La seconde, est l'immensité ineffable et incompréhensible des biens et des dons que je connus qu'il destinait et qu'il voulait distribuer, ne laissant pas avec tout cela d'être autant infini que s'il ne sortait aucune chose de lui. Je connus dans cette inclination et dans ce désir de sa Majesté qu'elle était disposée de sanctifier, de justifier et de remplir de dons et de perfections toutes les créatures en général et en particulier, et de donner à chacune plus que les anges et les séraphins n'ont reçu, quand même toutes les gouttes de la mer et les grains de sable, les étoiles, les plantes, les éléments et tontes les créatures irraisonnables seraient capables de raison et de ses dons, pourvu que de leur côté elles n'y missent aucun obstacle capable de l'empêcher. O épouvantable horreur du péché et (1) Prov., VIII, 31. 366 de sa malice, qui seul peut arrêter ce torrent impétueux de tant de biens éternels ! 38. Il fut conféré et décrété dans le second instant de faire cette communication de la divinité à raison de la grande gloire et de l'exaltation qui en résulterait au dehors à sa Majesté, par la manifestation de ses grandeurs. Et Dieu regarda dans cet instant cette propre exaltation comme la fin de ses communications qui le devait faire connaître, louer et glorifier en manifestant sa libéralité et sa toute-puissance. 39. Dans le troisième instant, on connut et détermina l'ordre et la manière de faire cette communication, en façon que l'exécution d'une si grande résolution fût à la plus grande gloire de Dieu; l'ordre qu'il devait y avoir entre les objets et la manière, et la différence de leur communiquer la divinité et les attributs, afin que ce mouvement du Seigneur eût (à notre façon de concevoir) une fin honnête et des objets proportionnés, et qu'il se trouvât parmi eux la plus belle et la plus admirable de toutes les harmonies et de toutes les subordinations. Il fut déterminé en premier lieu dans cet instant que le Verbe divin prendrait chair humaine et se rendrait visible. La perfection et la disposition de la très sainte humanité de notre Seigneur Jésus-Christ y furent décrétées, et la forme en resta dans l'entendement divin. En second lieu, celles des autres qui devaient recevoir l'humanité à son imitation, y eurent place; l'entendement divin y désignant l'harmonie de la nature humaine, ses avantages, la disposition du corps organisé et l'âme qui le (367) devait animer avec ses puissances, pour connaître son Créateur et en jouir, capable de discerner le bien d'avec le mal, et avec une volonté libre pour aimer le même Seigneur. 40. Je découvris qu'il était comme nécessaire, pour des raisons très-relevées que je ne saurais exprimer, que cette union hypostatique de la seconde personne de la très-sainte Trinité avec la nature humaine fût le premier ouvrage, et le premier objet par où l'entendement et la volonté divine sortissent premièrement au dehors. L'une des raisons est, parce qu'après que Dieu se fut connu et aimé dans lui-même, il était le plus convenable et du plus bel ordre de connaître et d'aimer ce qui était le plus immédiat à sa divinité, comme l'est l'union hypostatique. Et l'autre, parce que sa divinité se devait aussi communiquer substantiellement au dehors, s'étant communiquée au dedans; afin que l'intention et la volonté divine commençassent leurs couvres par la fin la plus relevée, et que ses attributs se communiquassent avec une très-belle harmonie ; que ce feu de la divinité opérât premièrement le plus grand de tous ses ouvrages en ce qui lui était le plus immédiat, comme l'était l'union hypostatique; que sa divinité commençât en premier lieu par celui qui devait arriver su plus haut et au plus excellent degré, après le même Dieu, de sa connaissance, de son amour, des opérations et de la gloire de sa même divinité, et que Dieu ne se mit pas (selon notre façon de parler) comme en danger d'être privé de cette fin, car c'était avec lui seul qu'il pouvait trouver (368) quelque proportion et quelque espèce de justice qui méritât un si merveilleux ouvrage. Il était aussi convenable et comme nécessaire que, puisque Dieu voulait créer plusieurs créatures, il les créât avec ordre et subordination, et que celle-ci fût la plus admirable et la plus glorieuse de toutes. Et par cette raison il y en devait avoir une qui en fût le chef et au-dessus de toutes, et quelle fût, autant qu'il serait possible, immédiate et unie à Dieu, afin que par elle et par son moyen tous eussent accès à sa divinité. Et c'est pour ces raisons et plusieurs autres (que je ne puis exprimer) que la grandeur des ouvrages de Dieu a trouvé en la seule personne du Verbe incarné de quoi se satisfaire, parce que par lui il y avait dans la nature un très-bel ordre, qui sans lui ne s'y trouverait pas. 41. Dans le quatrième instant, les dons et les grâces qui se devaient donner à (humanité de notre Seigneur Jésus-Christ, unie à la divinité, furent décrétées. Ici le Très-Haut ouvrit la main de sa libéralité toute-.puissante et de ses attributs pour enrichir la très-sainte humanité et l'âme de Jésus-Christ par l'abondance de ses dons et de ses grâces dans la plus grande plénitude et au plus haut degré qui fût possible. Dans cet instant se détermina ce que David a dit depuis : L'impétuosité du fleuve de la divinité réjouit la cité de Dieu (1); le torrent de ses dons se dégorgeant dans cette humanité du Verbe, lui communiqua toute la science infuse, toute cette béatitude, (1) Psal. XLV, 5 369 cette grâce et cette gloire dont son âme très-sainte était capable, et qui convenait au sujet, qui était vrai Dieu et vrai homme tout ensemble, et chef de toutes les créatures capables de la grâce et de la gloire, qui leur devaient résulter de ce torrent impétueux de la manière qu'il arriva. 42. Le décret et la prédestination de la Mère du Verbe incarné appartient conséquemment et comme en second lieu à ce même instant, parce que je découvris ici que cette pure créature fut ordonnée avant qu'il y eût d'autre décret d'en créer aucune autre. Ainsi elle fut conçue dans l'entendement divin' la première de toutes, comme il était convenable à la dignité, à l'excellence et aux dons de l'humanité de son très-saint Fils; et incontinent, toute l'impétuosité du fleuve de la Divinité et de ses attributs, immédiatement avec lui, se versa en elle, autant qu'une pure créature était capable de le recevoir, et que sa dignité de Mère le requérait. 43. J'avoue que dans la connaissance que j'eus de des très-hauts mystères et décrets, je fus ravie d'admiration et tout hors de moi-même. Et connaissant cette très-sainte et très-pure créature, formée et désignée dans l'entendement divin dès le commencement et avant tous les siècles, enivrée de joie, je glorifie le Tout- Puissant de l'admirable et mystérieux décret qu'il fit de nous créer une si pure, si grande, si mystique et si divine créature, plus digne d'être admirée et louée de toutes les autres, qu'il n'est possible d'en faire la description. Et je pourrais (370) bien dire dans cette admiration ce que dit saint Denis l'Aréopagite, que si la foi ne m'enseignait et la connaissance de ce que je vois ne me convainquait que c'est Dieu qui la forme dans son idée, et que sa seule toute-puissance pouvait et peut former une telle image de sa divinité; et si tout cela ne m'était représenté dans un même temps, je pourrais douter si cette Vierge Mère aurait été elle - même une divinité. 44. Oh! combien de larmes sortent de mes yeux, et quelle perçante admiration ressent mon âme, de voir que ce divin prodige et cette merveille du Très-Haut ne soit pas connue, ni manifestée à tous les mortels! On en tonnait beaucoup, mais on en ignore bien davantage, parce que ce livre scellé n'a pas été ouvert. La connaissance de ce tabernacle de Dieu me suspend, et je reconnais son auteur plus admirable en sa formation que dans tout le reste des autres créatures inférieures à cette Dame, bien que leur diversité publie hautement la gloire et la puissance de leur Créateur mais cette Reine les renferme toutes, et possède plus de trésors elle seule que toutes les autres ensemble; la variété et l'inestimable valeur de ses richesses exaltent et glorifient plus son auteur qu'elles ne sauraient faire. 45. Dans cet instant il fut promis au Verbe (selon notre manière de parler), comme par un contrat touchant la sainteté, la perfection et les dons de grâce et de gloire, que celle qui était destinée pour être sa Mère devait recevoir, combien serait protégée et défendue cette véritable cité de Dieu, dans laquelle sa Majesté contempla les grâces et les mérites que cette princesse devait acquérir pour soi, et les fruits qu'elle pourrait procurer à son peuple par l'amour et par le retour qu'il en recevrait. Dans ce même instant, et comme en troisième et dernier lieu, Dieu détermina de créer un endroit où le Verbe fait homme et sa Mère pussent habiter et converser. Il créa en premier lieu, à leur considération et pour eux seuls, le ciel,les astres, la terre, les éléments et tout ce qu'ils contiennent. Le second décret et l'intention suivante fut pour les membres dont il devait être le chef et pour les sujets dont il devait âtre le roi; car tout le nécessaire fut disposé par avance avec une providence royale. 46. Je passe au cinquième instant, bien que j'aie trouvé ce que je cherchais. La création de la nature angélique fut déterminée dans ce cinquième: car étant plus excellents et plus proportionnés à la Divinité par leur être spirituel, leur création, l'admirable disposition des neuf choeurs et des trois hiérarchies furent premièrement prévues et décrétées. Ayant été crées en premier lieu pour la gloire de Dieu, pour servir, pour connaître et pour aimer sa Majesté, néanmoins ils furent ordonnés en second lieu pour assister, glorifier, honorer et servir l'humanité divinisée dans le Verbe éternel, et la reconnaître pour leur chef, et sa très-sainte Mère pour leur reine, avec ordre de les suivre en toutes leurs voies (1). Et notre Seigneur (1) Ps. XC, 11. 371 Jésus-Christ leur mérita dans cet instant par ses mérites infinis, présents et prévus, toutes les grâces qu'ils recevraient; il fut même établi leur chef, leur modèle et leur roi souverain, dont ils étaient sujets. Et, bien que le nombre des anges fût infini, les mérites de notre Seigneur Jésus-Christ étaient plus que suffisants pour leur mériter la grâce. 47. La prédestination des bons et la réprobation des mauvais anges appartient à cet instant, dans lequel Dieu vit et connut par sa science infinie les oeuvres des uns et des autres, avec l'ordre qu'il fallait pour prédestiner par sa volonté et par sa miséricorde ceux qui lui devaient âtre obéissants, et pour réprouver par sa justice ceux qui devaient se révolter contre sa Majesté par leur orgueil, par leur désobéissance et par leur amour-propre désordonné. Il fut déterminé dans ce même instant de créer le ciel empyrée, où Dieu devait manifester sa gloire et récompenser les bons dans cette même gloire ; la terre et le reste pour l'usage des autres créatures; et dans son centre ou son plus bas lieu, l'enfer pour y punir les mauvais anges. 48. Dans le sixième instant, il fut arrêté de créer un peuple et une multitude d'hommes à Jésus-Christ, qui avaient été désignés auparavant dans l'entendement et dans la volonté divine; leur formation fut décrétée à son image et à sa ressemblance, afin que le Verbe humanisé eût des frères semblables et inférieurs à lui, dont il serait le chef. Dans cet instant l'ordre de la création de tout le genre humain fut déterminé, (373) qui commencerait d'un seul homme et d'une seule femme, qui se multiplierait par leur moyen, jusqu'à la sainte Vierge et à son Fils, selon l'ordre qu'il y fut conçu. On y ordonna, par les mérites de Jésus-Christ notre Sauveur, la grâce, les dons qu'on leur devait faire, et la justice originelle s'ils y voulaient persévérer; et l'on. y prévit la chute d'Adam, et en lui celle de tous ses descendants, excepté la sainte Vierge, qui, ne fut pas comprise dans ce décret; on y ordonna leur remède, et que la très-sainte humanité serait passible; lés prédestinés y furent choisis par une grâce libérale, et les réprouvés rejetés par une justice équitable. Tout ce qui était nécessaire pour la conservation de la nature humaine et pour obtenir cette fin de la rédemption et de. la prédestination y fut ordonné; leur volonté libre étant laissée à tous les hommes, parce cela était plus conforme à leur nature et à la justice divine. On ne leur fit aucun tort, parce que, s'ils purent pécher avec leur libre arbitre, ils pouvaient ?ne le pas faire avec la grâce et la lumière de la raison; car Dieu ne devait violenter personne, comme aussi il ne prétend pas manquer au besoin, ni refuser le nécessaire à qui que ce soit. Ayant écrit sa loi dans les cœurs de tous les hommes (1), personne ne peut l'excuser de ne pas le reconnaître et de ne pas l'aimer comme le souverain bien et l'auteur de tout ce qui est créé. (1) Rom., II, 15. 374 49. Je connaissais dans l'intelligence de ces mystères avec une perçante clarté les grands et relevés motifs que les mortels avaient de louer et d'adorer leur Créateur et Rédempteur, par ce qui nous était manifesté dans ces ouvrages de sa gloire et de sa puissance. Je connaissais aussi combien ils sont lents à reconnaître ces obligations et à correspondre à de tels bienfaits; et combien sont justes les raisons qu'a le Très- Haut de se plaindre et de s'indigner de cet oubli. Sa Majesté me commanda et m'exhorta de ne pas tomber dans cette ingratitude, mais au contraire de lui offrir un sacrifice de louange et un cantique nouveau, et de le glorifier pour toutes les créatures. 50. Mon très-haut et incompréhensible Seigneur, qui pourrait avoir l'amour et les perfections de tous les anges et de tous les justes ensemble, pour glorifier et louer dignement vos grandeurs ! Je déclare, mon tout-puissant Seigneur, que cette chétive créature n'a pu mériter un si mémorable bienfait, que d'avoir reçu une si claire connaissance et une si grande lumière de votre ineffable Majesté; dans laquelle vue je vois aussi ma bassesse, que j'ignorais avant cette heure fortunée, ne pénétrant pas l'importance de cette vertu humiliante que l'on découvre et que l'on apprend dans cette science. Je ne voudrais pas me flatter de la posséder, mais je ne voudrais pas non plus nier avoir connu le moyen assuré de la trouver; parce que votre lumière, mon divin Maître, m'a éclairée, et le flambeau de votre grâce m'a découvert les voies qui me font connaître (3759 ce que j'ai été, ce que je suis (1), et me font craindre ce que je puis devenir. Vous avez, Seigneur, éclairé mon entendement et enflammé ma volonté par le très-noble objet de ces puissances, et vous m'avez entièrement soumise à tout ce qui peut vous plaire; j'en fais la déclaration à tous les mortels, afin qu'ils m'abandonnent et que je les abandonne. Je suis donc à mon bien-situé, et (quoique je ne le mérite pas) mon bien-aimé est à moi (2). Fortifiez donc, Seigneur, ma faiblesse, afin que je coure après les charmes de vos odeurs (3), qu'en courant je vous possède, qu'ut vous possédant je ne vous abandonne plus, et que je sois sans crainte de vous laisser et de vous perdre. 51. Je suis fort briève et bégayante dans ce chapitre, car on en pourrait faire plusieurs livres; mais j'abrége, parce que les paroles me manquent et que suis une pauvre ignorante, mon intention ayant été de déclarer seulement comme la très- sainte Vierge et Mère fut désignée et prévue avant tous les siècles dans l'entendement divin (4). Après quoi je me retire dans mon intérieur pour y contempler et admirer en silence ce que je ne puis exprimer de ce mystère ineffable, et pour y louer en esprit l'auteur de ces merveilles, lui disant le cantique des bienheureux : Saint, Saint, Saint est le Dieu des armées (5). (1) Ps. CXVIII, 105. - (2) Cant., II, 16. - (8) Ibid., I, 8. - (4) Eccles., XXIV, 4. - (5) Isaïe, VI, 8. 376 CHAPITRE V. De l'interprétation que le Très-Haut me donna du chapitre huitième des Proverbes, en confirmation du précèdent. 52. Quoique je ne sois que poussière et que cendre, je parlerai, Seigneur, à votre Majesté (!), puisque vous êtes le Dieu des miséricordes, et je supplierai votre grandeur incompréhensible de regarder de votre trône très-élevé cette chétive et inutile créature, et de m'être favorable en me continuant votre lumière pour éclairer mon entendement. Parlez, Seigneur, car votre servante écoute (2). Or le Très-Haut et Celui qui enseigne et corrige les sages parla (3), et me renvoya au chapitre huitième des Proverbes, dont il me découvrit les mystères; et il m'en déclara premièrement la lettre, que j'expose comme il s'ensuit. 53. " Le Seigneur me posséda dans le commencement de ses voies, dès le principe, avant que d'avoir a fait aucune chose. Je fus établie dès l'éternité et dès les choses anciennes, avant que la terre fût faite. Les abîmes n'étaient point encore, et j'étais a déjà conçue. Les fontaines des eaux n'avaient pas (1) Genes., XVIII, 27. - (2) I Reg., III, 10. - (3) Sap., VII, 15. 377 encore paru, ni la pesanteur des montagnes n'était a pas établie: j'étais engendrée avant les collines, avant que la terre, les fleuves et les fondements de la terre fussent faits. J'étais présente lorsqu'il préparait les cieux; quand par une loi certaine et un circuit assuré, il faisait un rempart aux abîmes; lorsqu'il assurait les cieux en haut et pesait les fontaines des eaux; quand il entourait la mer de son a rivage et imposait la loi aux eaux de ne passer pas leurs bornes; quand il jetait les fondements de la ", terre. J'étais avec lui ordonnant toutes choses, et je me récréais tous les jours, prenant en tout temps mes ébats en sa présence, m'égayant tout autour de la terre; et mes délices sont d'être avec les enfants des hommes (1). " 54. Voilà le passage des Proverbes dont le Très-Haut me donna l'intelligence. Et je connus qu'il parlait premièrement des idées, ou des décrets qu'il eut dans son entendement avant que de créer le monde; et qu'il parle à la lettre de la personne du Verbe incarné et de celle de sa très-sainte Mère; et. au sens mystique, des anges et des prophètes: car la très-sainte humanité de Jésus-Christ et sa très-pure Mère furent décrétées et désignées avant qu'il eût fait le décret ni formé les idées de créer le reste des créatures matérielles, et c'est ce que ces premières paroles nous signifient : 55. Le Seigneur me posséda dans le commencement (1) Prov., VIII, 22-31. 378 de ses voies (1). Il n'y eut ni voies ni chemins en Dieu, et sa divinité n'en avait pas besoin; mais il les traça afin que par eux toutes les créatures capables de sa connaissance le connussent et arrivassent à lui. Dans ce commencement, avant que de former aucune chose dans son idée, quand il voulait faire les sentiers et tracer les chemins dans son entendement divin, pour communiquer sa divinité et pour commencer toutes choses, il décréta premièrement de créer l'humanité du Verbe, qui devait être le chemin par où les autres devaient aller à son Père (2). Et avec ce décret fut uni celui regardant sa très-sainte Mère, par laquelle sa divinité devait venir au monde en naissant d'elle Dieu et homme : et c'est pour cela qu'il dit, Dieu me posséda, parce que sa Majesté les posséda tous deux; le Fils, parce que, quant à la divinité, il était la possession, la richesse et le trésor de son Père, sans en pouvoir être séparé, étant une même substance et une même divinité avec le Saint-Esprit. Il le posséda aussi quant à l'humanité, par la connaissance et le décret de la plénitude de grâce et de gloire, qu'il lui destinait dés sa création et son union hypostatique. Ce décret et cette possession se devant exécuter par le moyen de la Mère, qui devait engendrer et enfanter le Verbe (puisqu'il ne détermina pas de créer son corps, et son âme de rien, ni d'une autre matière), il était d'une conséquence nécessaire de posséder celle qui lui devait donner la forme humaine. Ainsi il la (1) Prov., VIII, 22. - (2) Joan., XIV, 6. 379 posséda et se l'adjugea dans ce même instant, voulait efficacement que dans aucun temps ni dans aucun moment le genre humain, ni aucun autre, sinon le même Seigneur; n'eût droit ni part en elle (pour ce qui est de la part de la grâce), car il prenait possession de cet héritage comme un droit qui appartenait à lui seul, et aussi étroitement qu'il le fallait à l'égard de Celle qui lui devait donner la forme humaine de sa propre substance, qui devait seule l'appeler Fils, être appelée par lui seul Mère, et Mère digne d'avoir pour Fils un Dieu. Et comme tout cela précédait en dignité tout ce qui est créé, il précéda de même dans la volonté et dans l'entendement du souverain Créateur. C'est pour cela qu'il dit : 56. Dès le commencement, avant que d'avoir fait aucune chose. Je fus établie dès l'éternité et dés les choses anciennes (1). Quelles choses anciennes étaient dans cette éternité de Dieu (que nous concevons à présent en nous imaginant un temps sans fin), s'il n'y en avait aucune de créée? Il est évident qu'il parle des trois personnes divines, si bien qu'il veut noue faire entendre que dès sa divinité sans commencement et dès ces choses qui sont seulement anciennes, c'est-à-dire la Trinité inséparable (car tout le reste qui a commencement, est moderne), elle fut ordonnée quand cet ancien incréé seulement précéda, et avant que le futur créé fût imaginé. Le milieu de l'union hypostatique se trouva entre les deux extrémités par (1) Prov., VIII, 23. 380 l'entremise de la très-sainte et très-pure Marie; et l'une et l'autre furent conjointement ordonnés immédiatement après Dieu, et avant toutes les autres créatures. Et ce fut la plus admirable ordonnance qui se soit faite et qui se fera jamais. La première et la plus admirable image de l'entendement de Dieu, après la génération éternelle, fut celle de Jésus-Christ, et, incontinent après, celle, de sa Mère. 57. Or quel ordre peut-il y avoir en Dieu, sinon celui-ci, dans lequel l'ordre est d'être tout ensemble ce qu'il est en soi, sans qu'il soit nécessaire qu'une chose y succède à une autre ni s'y perfectionne par les perfections d'une autre, ou qu'elle y soit sujette à aucune subordination? Toutes choses ont été très-bien ordonnées dans sa nature éternelle, le sont et le seront toujours. Ce qu'il ordonna donc, ce fut que la personne du Fils se ferait homme, et que de cette humanité divinisée, l'ordre de la volonté divine et de ses décrets commencerait; qu'il serait le chef et le modèle de tous les autres hommes et de toutes les créatures qui devaient se diriger et se subordonner à lui; parce que c'était le plus bel ordre et le plus beau concert de l'harmonie des créatures, que d'en avoir une qui leur fût première et supérieure, et que par elle toute la nature fût ordonnée, et singulièrement celle des hommes. Or, la première d'entre elles était la Mère de Dieu homme, comme créature la plus souveraine, la plus pure et la plus immédiate à Jésus-Christ, et en lui à la Divinité. Avec cet ordre les (381) canaux de la fontaine cristalline (1) qui sortit du trône de la nature divine, furent disposés pour la conduire premièrement à l'humanité du Verbe, et ensuite à sa très-sainte Mère dans le degré et en la manière qu'il était possible et convenable à une pure créature Mère de son Créateur. Et le convenable était que tous les attributs divins commençassent par elle de faire leurs libéralités, sans qu'on lui refusat aucun de leurs avantages dont . elle fait capable, et qui convenaient à celle qui,. n'étant inférieure qu'à notre Seigneur Jésus-Christ, se trouvait incomparablement élevée et au-dessus de toutes les autres créatures capables des grâces et des dons. Ce fut le bel ordre que la sagesse infinie institua, que de commencer par Jésus-Christ et par sa Mère; et ainsi le texte ajoute 58. Avant que la terre fût faite. Les abîmes n'étaient point encore, et j'étais déjà conçue (1). Cette terre fut celle du premier Adam; avant que sa formation se décrétât, et que les abîmes des idées su dehors se formassent dans l'entendement divin, Jésus-Christ et sa Mère étaient désignés et formés. Ces idées sont appelées abîmes, parce qu'entre d'être incréé de Dieu et les créatures il y a une distance infinie; cette distance se mesure, à notre manière de concevoir, quand les créatures furent seulement désignées et formées, et ces abîmes d'une distance immense furent aussi pour lors en leur façon.formés. Le Verbe était déjà (1) Apoc., XII, 1. - (2) Prov., VIII, 24. 382 conçu avant tout cela, non-seulement par la génération éternelle du Père, mais par la génération temporelle de la Mère Vierge et pleine de grâce, qui était aussi décrétée et conçue dans l'entendement divin; parce que sans la Mère, et une Mère de telle importance, cette génération temporelle ne se pouvait déterminer efficacement et avec un décret accompli. Ce fut donc là et alors que la très-sainte Marie fut conçue dans cette immensité bienheureuse, et sa mémoire éternelle fut écrite dans le sein de Dieu, afin qu'elle y demeurât ineffaçable pendant tous les siècles et toutes les éternités; de manière qu'elle fut gravée et ébauchée par le souverain Créateur dans son propre entendement, et possédée de son amour par des liens inséparables. 59. Les fontaines des eaux n'avaient pas encore paru (1). Les images ou les idées des créatures n'étaient pas encore sorties de leur origine et de leur principe; parce que les fontaines de la Divinité n'avaient pas rejailli par la bonté et par la miséricorde comme par leurs canaux, afin que la volonté divine se déterminât de créer l'univers et de communiquer ses attributs et ses perfections ; car par rapport à tout ce qui reste de l'univers,, le trésor de ces eaux était encore renfermé et retenu dans l'océan immense de la Divinité, n'ayant pas alors destiné de manifester ces miséricordieuses fontaines ni d'en faire part aux hommes; et quand ils les reçurent, elles avaient déjà été (1) Prov., VIII, 24. 383 communiquées à la très-sainte humanité du Verbe et à sa Mère Vierge. Ainsi il ajoute 60. Ni la pesanteur des montagnes n'était pas établie (1). Parce que Dieu n'avait pas décrété alors la création des hauts monts des patriarches, des prophètes, des apôtres et des martyrs, ni les autres saints de la plus grande perfection; ni le décret d'une si grande résolution ne s'était pas établi par l'importance de son poids et de son équité, ni par la forte et douce manière que Dieu observe dans ses conseils et dans ses plus grandes oeuvres (1). Non-seulement avant les hauts monts (qui sont les grands saints); mais j'étais engendrée avant les collines, qui sont les choeurs des anges, avant lesquels la très-sainte humanité (unie hypostatiquement au Verbe divin) et la Mère qui l'engendra, furent formés dans l'entendement divin. Le Fils et la Mère précédèrent tous les choeurs des anges, afin que tous soient informés et sachent que si David a dit en son psaume huitième : " Qu'est-ce que l'homme ou le Fils de l'homme, Seigneur, que vous vous souveniez de lui et le visitiez? Vous l'avez fait un peu moindre que les anges, etc. (2) ; " tous doivent reconnaître qu'il y a un homme et Dieu tout ensemble, qui est par-dessus tous les hommes et tous les anges, et qui ils sont tous ses inférieurs et ses serviteurs, parce qu'il est Dieu étant homme supérieur à tous; pour cette raison il occupe la première place dans l'entendement divin et dans sa volonté; et une (1) Prov., VIII, 25. - (2) Sap., VIII, 1. - (3) Ps. VIII, 5. 384 femme et très-pure vierge, sa Mère, supérieure et Reine de toutes les créatures, est unie avec lui d'une façon. inséparable. 61. Que si l'homme (comme le même psaume dit) fut couronné d'honneur et de gloire, et constitué au-dessus de toutes les oeuvres de la puissance du Seigneur (1), ce fut parce que son chef Dieu et homme lui mérita cette couronne et celle que les anges reçurent aussi. Le même psaume ajoute qu'après avoir abaissé l'homme au- dessous des anges, il le constitue au-dessus de ses ouvrages; et il est à remarquer que les mêmes anges furent aussi (ouvrage de ses mains. Ainsi David fit mention de tout, en disant qu'il fit les hommes un peu moindres que les anges; mais quoique inférieurs dans l'être naturel, il devait y avoir quelque homme qui fût supérieur et constitué au-dessus des mêmes anges, qui étaient l'ouvrage des mains de Dieu. Et cette supériorité était par l'être de la grâce; non-seulement à l'égard de la personne divine unie à l'humanité, mais aussi à cause de la même humanité, et par la grâce qui lui en résulterait par l'union hypostatique, et après elle à sa très- sainte Mère. Quelques saints aussi, en vertu du même Seigneur humanisé, peuvent être dignes d'arriver à un degré et à. une place au-dessus des anges. Il est dit : 62. J'étais engendrée ou née, qui signifie bien plus que d'être conçue : parce que ce terme être conçue, se rapporte à l'entendement divin de la très-sainte (1) Ps. VIII, 6 385 Trinité quand elle en fut connue, et lorsque la même Trinité consulta (à notre façon de parler) des convenances de l'incarnation. Mais être née se rapporte à la volonté qui détermina cet important ouvrage; afin qu'il fût efficacement exécuté, la très-sainte Trinité détermina dans son divin conseil, et comme l'exécutant premièrement en elle-même, cette merveilleuse opération de l'union hypostatique, et de l'être de la, très-sainte Vierge. Et c'est pour cela qu'elle dit en ce chapitre avoir été premièrement conçue, et ensuite engendrée ou née; parce quelle fut en premier lieu conçue, et après elle fut déterminée et résolue. 63. Avant que fussent faits la terre, les fleuves, et les fondements de la terre (1). Avant que de former une autre terre seconde (car c'est pour cela qu'elle répète deux fois la terre), qui fut celle du paradis terrestre, où le premier homme fut transporté (2) après avoir été créé de la terre première du champ de Damas; avant cette seconde terre où l'homme pécha, il fut déterminé de créer l'humanité du Verbe, et la manière dont elle devait être formée, qui était la sainte Vierge; parce que Dieu la devait prévenir par avance, afin qu'elle n'eût aucune part au péché, ni qu'elle y fût soumise. Les fleuves et les gonds de la terre sont l'Église militante, et les trésors de la grâce, et des dons qui doivent rejaillir avec impétuosité de la source de la Divinité sur tous, et efficacement sur les saints et les élus, qui comme des gonds se meuvent en Dieu, (1) Prov., VIII, 26. - (2) Gen., II, 8 et 15. 386 étant soumis et unis à sa volonté par les vertus de foi, d'espérance et de charité. Par ce moyen ils se soutiennent, se vivifient et se gouvernent, se portant au souverain bien et à leur dernière fin, aussi bien que dans les applications humaines, sans perdre les gonds sur lesquels ils s'appuient. Les sacrements, l'état de l'Église, sa protection, sa fermeté invincible, sa beauté et sa sainteté sans tache ni ride (1), y sont aussi compris; c'est ce que ce globe et ces torrents de grâces nous signifient. Car avant que le Très-Haut préparât tout cela, et ordonnât ce globe et ce corps mystique, dont notre Seigneur Jésus-Christ devait être le chef, il décréta auparavant l'union du Verbe avec. la nature humaine, et sa Mère, par le moyen de laquelle il devait opérer ces merveilles dans le monde. 64. J'étais présente lorsqu'il préparait les cieux (2). Lorsqu'il désignait et prévoyait le ciel, et la récompense qu'il devait donner aux fidèles enfants de cette Église après leur exil; la très-sainte humanité unie avec le Verbe s'y trouvait présente, leur méritant la grâce comme chef; et sa très-pure Mère était avec lui et ayant préparé au Fils et à la Mère la plus grande part de cette grâce et de cette gloire, il disposait et prévoyait celle que les autres saints devaient recevoir. 65. Quand par une loi certaine et un circuit assuré, il faisait un rempart aux abîmes (3). Quand il (1) Ephes., V, 27. - (2) Prov., VIII, 27. - (3) Ibid. déterminait de ceindre les abîmes de sa divinité en laper: sonne du Kits par une loi ferme et par un tel terme, qu'autan vivant ne peut le voir ni le comprendre. Quand il faisait ce circuit et ce contour où aucun autre n'a pu ni ne peut entrer, que le Verbe (qui seul se peut, comprendre), pour renfermer et abréger sa personne: divine dans. l'humanité, et la personne divine avec l'humanité, premièrement dans le sein de la très-sainte Vierge, et après dans de petites quantités et espèces de pain et de vin, et avec ses espèces dans la poitrine étroite d'un homme pécheur et mortel. Ces abîmes, cette loi, ce cercle ou ce ferme signifient tout cela; et ce mot de certaine n'y est mis qu'à cause des. grands mystères que ces choses contenaient, et à cause de la certitude de ce qui paraissait impossible dans l'exécution, et très-difficile à expliquer; par on ne pouvait s'imaginer de trouver la Divinité sous une loi, ni de la voir renfermée dans des limites déterminées. Mais le même Seigneur a bien su et a pu par sa sagesse, par sa puissance et par son amour, trouver le moyen de se cacher dans des choses limitées. 66. Lorsqu'il assurait les cieux en haut et pesait les fontaines des eaux; quand il entourait la mer de son rivage, et imposait la loi aux eaux de ne passer pas leurs bornes (1). Ici les justes sont appelés cieux, parce qu'ils le sont quand Dieu demeure et habite en eux par la grâce, et les confirme, les fortifie et les élève (1) Prov., VIII, 28 et 29. par cette grâce (même pendant cette vie présente) au-dessus de la terre, selon la disposition d'un chacun. Il les constitue ensuite dans la Jérusalem céleste (1) conformément à leurs mérites. C'est pour eux qu'il pèse les fontaines des eaux et les leur distribue avec poids et mesure par les dons de la grâce et de la gloire, par les vertus, les secours, et les perfections qu'elles nous représentent, et qu'un chacun reçoit selon l'ordre de la sagesse divine Quand la distribution de ces eaux se déterminait, le décret était fait de donner à l'humanité unie au Verbe (2) toute la mer de grâces et de dons qui résultait de la Divinité comme au Fils unique du Père. Et, bien que tout cela fût infini, il mit un terme à cette mer, qui fut l'humanité, où la plénitude de la Divinité habite (3), et où elle fut aussi cachée pendant trente- trois ans, se couvrant de ce terme comme d'un voile, afin de converser et d'habiter avec les hommes, et afin qu'il n'arrivât pas à tous ce qui arriva aux trois apôtres sur le Thabor (16). Dans le même instant que toute cette mer et ces fontaines de la grâce arrivèrent à notre Seigneur Jésus-Christ, comme immédiat à la Divinité, elles rejaillirent à sa très-sainte Mère, comme immédiate à son Fils unique; parce que sans la Mère, et une telle Mère, cet ordre et cette souveraine perfection qu'il fallait, auraient manqué dans la disposition des dons de son Fils; et l'admirable harmonie de (1) Hebr., XII, 22. - (2) Joan., I, 14. - (3) Colos., II, 9. - (4) Matth., XVII, 6. 389 l'économie céleste et spirituelle, aussi bien que la distribution des dons en l'Église militante et triomphante, ne commençait que par ce fondement. 67. Quand il jetait les fondements de la terre, mais avec lui, ordonnant toutes choses (1). Les oeuvres au dehors sont communes à toutes les trois personnes divines, parce qu'elles sont un seul Dieu, une seule sagesse et un seul pouvoir. Ainsi, il était nécessaire et indispensable que le Verbe, par lequel selon la divinité toutes choses furent faites (2), fait avec le Père pour les faire. Mais ici il nous est exprimé quelque autre chose, et c'est que le Verbe fait homme, avec sa très-sainte Mère, était déjà présent dans la divine volonté; parce que, tout de même que par le Verbe en tant que Dieu toutes choses furent faites, ainsi les fondements de la terre et tout ce qu'elle contient furent aussi créés en premier lieu pour lui, comme en étant la fin la plus noble et la plus digne. C'est pourquoi il dit : 68. Et je me récréais tous les jours, prenant en tout temps mes ébats en sa présence, m'égayant tout autour de la terre (3). Le Verbe fait homme se récréait tous. les jours, parce qu'il connaissait tous ceux qui composaient les siècles et les vies des mortels : car, en comparaison de l'éternité, ils ne sont qu'un de nos plus petits jours. Et il se réjouissait de ce que toute la succession de la création finirait, afin que, son dernier jour étant achevé, les hommes jouissent de la grâce et (1) Prov., VIII, 30. - (2) Joan., I, 3. - (3) Prov., VIII, 30. 390 de la couronne de gloire dans la plus grande perfection (1). Il se réjouissait comme voyant passer les jours après lesquels il devait descendre du ciel en terre pour y prendre chair humaine. Il connaissait que les pensées et les couvres des hommes terrestres n'étaient que jeu, que badinerie, que vanité et qui tromperie. Il voyait qua les justes, bien que faibles et chancelants, étaient disposés pour recevoir les communications et les manifestations de sa gloire et de ses perfections. Il regardait son être immuable, la lâcheté et la dureté des hommes, et comme il devait s'humaniser avec eux; il se complaisait en ses propres couvres, particulièrement en celles qu'il disposait pour sa très-sainte Mère, dont il lui était si agréable de prendre la forme humaine et de la rendre digne d'un ouvrage si admirable. Ce sont là les jours auxquels le Verbe humanisé se récréait; et parce que de la connaissance et des idées de toutes ses couvres et du décret efficace que la divine volonté en fit, leur exécution s'ensuivait, le Verbe divin ajouta : 69. Et mes délices sont d'être avec tes enfants des hommes (2). Mon plaisir est de travailler pour eux et de les favoriser; mon contentement est de mourir pour leur donner la vie, et ma joie est d'être leur maître et leur restaurateur. Mes délices sont de délivrer le pauvre de sa misère (3), de m'unir avec le misérable et d'humilier pour cela ma divinité (4), de (1) Isa., LXII, 3. - (2) prov., VIII, 31. - (3) Ps. CXII, 7 . - (4) Philip., II, 7 et 8. me servir de sa nature pour la cacher et la couvrir de me rétrécir, de m'abaisser et de suspendre la gloire de mon corps, pour devenir passible et leur mériter l'amitié de mon Père; d'être médiateur entre sa très-juste indignation et la malice des hommes, de me faire leur modèle et leur chef, abri qu'ils puissent m'imiter et me suivre (1). Voilà les délices du Verbe éternel humanisé. 70. O incompréhensible et éternelle bonté ! quelles admirations et quels ravissements la vue de l'immensité de votre être immuable ne me cause-t-elle pas; lorsque je le compare à la petitesse de l'homme! Et interposant vôtre amour éternel entre les deux extrémités d'une distance si fort éloignée; amour infini pour la créature, non-seulement petite, mais ingrate ! en quel objet si bas et si vil jetez- vous, Seigneur, votre vue! en quel objet si noble et si plein d'amoureux mystères l'homme ne devrait et ne pourrait-il pas fixer la sienne aussi bien que toutes ses affections 1 Suspendue d'admiration et mon cour percé de tendresse, je déplore le malheur, les ténèbres et l'aveuglement des mortels, puisqu'ils ne se disposent pas de connaître combien votre Majesté s'est hâtée de les regarder et de prévenir leur véritable félicité avec autant de soin et d'amour que si la vôtre en eût dépendu. 71. Dès le commencement toutes les œuvres, leur ordre, leurs dispositions et la manière dont le Seigneur (1) I Petr., II, 21. 392 devait les créer, furent présentes dans son entendement; et par son équité et par sa justice, il les compta, il les pesa toutes; et, comme il est écrit dans la Sagesse, il sut la disposition du monde avant que de le créer; il connut le commencement, le milieu et la fin, des temps (1), ses vicissitudes, les cours des années, la disposition des étoiles, les vertus des éléments, la nature des animaux, la férocité des bétel, la force des vents, les diversités des arbres, les vertus des racines et les pensées des hommes. Il pesa et compta tout cela (2); et non-seulement ce que les créatures matérielles et raisonnables . expriment en elles-mêmes selon la lettre, mais encore tout ce qu'elles signifient mystiquement et que je ne raconte pas ici, ne faisant pas à mon sujet. CHAPITRE VI. Du doute que je proposai au Seigneur sur la doctrine des chapitres précédents, et la réponse que j'en eus. 72. J'eus un doute touchant l'intelligence et la doctrine des deux chapitres précédents, fondée sur ce que j'avais ouï dire à des personnes doctes que cette (1) Sap., VII, 18 .- (2) Ibib., XI, 21. 393 doctrine était débattue et disputée dans les écoles. Le doute fut : que si la cause et le motif principal pour que le Verbe divin se fit homme fut de le faire chef et premier né de toutes les créatures (1), et de communiquer, par le moyen de l'union hypostatique avec la nature humaine, ses attributs et ses perfections, en la manière convenable, afin de glorifier par grâce les prédestinés; et que si de prendre une chair passible et de mourir pour l'homme fut un décret comme d'une seconde fin: cela étant ainsi véritable, comment y a-t-il tant de diverses opinions sur ce sujet dans l'Église ? et la plus commune opinion est que le Verbe éternel descendit du ciel comme dans le dessein principal de racheter les hommes par le moyen de sa très-sainte mort et passion. 73. Je proposai avec humilité ce doute su Seigneur, pet sa Majesté daigna m'y répondre, me donnant une intelligence et une lumière fort grandes qui me firent comprendre plusieurs mystères que je ne pourrai pas expliquer, parce que les paroles dont le Seigneur se servit dans sa réponse contiennent et signifient beau. coup de choses. Voici ce qu'il me dit : " Sache, mon épouse et ma colombe, que je veux répondre à ton doute, et t'enseigner dans ton ignorance comme ton Père et comme ton Mettre. Tu dois donc savoir que la fin principale et légitime du décret que je fis de communiquer ma divinité en la personne du Verbe unie hypostatiquement à la nature humaine, fut la (1) Coloss., I, 15. 394 gloire qui devait rejaillir de cette communication, sur mon nom et sur toutes les créatures capables de recevoir celle que je leur préparais. Et ce décret se serait sans doute exécuté dans l'incarnation, quand même le premier homme n'eût pas péché, parce que ce fut un décret absolu et sans condition en sa substance. Ainsi ma volonté devait être efficace; je devais en premier lieu me communiquer à l'âme et à l'humanité unie au Verbe. Et cela convenait ainsi ! à mon équité et à la rectitude de mes couvres: et bien qu'il fit dernier dans l'exécution, il fut pour tant premier dans l'intention. Et si je retardai d'envoyer mon Fils inique, ce fut parce que je déterminai auparavant de lui préparer dans le monde un peuple élu, saint et composé de justes, qui seraient, supposé le péché commun, comme des roses parmi les épines des autres pécheurs. Et ayant vu la chute du genre humain, je déterminai par un décret exprès que le Verbe viendrait en forme passible et mortelle pour racheter son peuple, dont il était le chef, afin de manifester et de faire connaître davantage mon amour infini aux hommes, et de donner à mon équité et à ma justice une due satisfaction; que si celui qui pécha était homme et le premier à recevoir l'être, le Rédempteur fut a aussi homme et le premier en dignité (1): et afin que les hommes connussent en cela la brièveté du péché et qu'il n'y eût qu'un seul amour en toutes les 395 âmes, puisque leur Créateur, leur Vivificateur, leur Rédempteur et Celui qui les doit juger est un seul Et je voulus aussi les attirer à moi et les obliger à cette reconnaissance et à cet amour, ne les punissant pas, comme je punis les anges apostats, que je condamnai sans ressource; mais je voulus attendre leur repentir, leur pardonner et leur donner un souverain remède, exerçant la rigueur de ma justice sur la personne de mon Fils unique (1), pendant que les hommes recevaient les plus grands effets de ma miséricorde. " 74. " Et afin que tu comprennes mieux ce que j'ai à répondre à ton doute, je veux que tu remarques que, comme il n'y a aucune succession de temps dans mes décrets et que je n'en ai pas besoin dans mes opérations ni dans mes conceptions, ceux qui disent que le Verbe s'incarna pont racheter le monde, disent bien; et ceux qui disent qu'il se serait incarné quoique l'homme n'eût pas péché, a parlent bien aussi, si on l'entend selon la vérité parce que si Adam n'eût pas péché, il serait descendu du ciel en la forme qui aurait été propre à cet état; mais parce qu'il pécha, je fis le second a décret, qu'il descendrait passible: car le péché étant survenu, il fallait qu'il le réparât de la manière qu'il le fit. Et parce que tu souhaites de sa voir comment ce mystère de l'incarnation du Verbe se serait exécuté si l'homme se fût conservé dans (1) Rom., VIII, 32 396 l'état d'innocence, tu dois remarquer que la forme humaine aurait été la même en substance, mais elle aurait eu le don d'impassibilité et d'immortalité. Il aurait vécu et conversé avec les hommes tel qu'il était depuis qu'il ressuscita, jusqu'à ce qu'il monta aux cieux. Les mystères et les secrets divins auraient été manifestés à tous; et il aurait plusieurs fois découvert sa gloire, comme il fit une seule fois (1) dans son état mortel; manifestant à tous dans cet heureux état d'innocence ce qu'il ne montra dans l'autre qu'à trois de ses apôtres; ils auraient tous vu mon Fils unique dans une grande gloire, et sa conversation les aurait extrêmement consolés; ils n'auraient mis aucun obstacle à ses divins effets, parce qu'ils auraient été sans péché. Mais le péché a tout désolé, tout corrompu et tout empêché, et à cause du péché il a été convenable qu'il vint passible et mortel. " 75. " Et s'il y a dans ces divins secrets et dans les autres mystères des opinions diverses dans mon Église, cela vient de ce que je découvre différemment mes mystères: car aux uns j'en découvre quelques-uns, aux antres j'en manifeste d'autres; parce que tous les mortels ne sont pas capables d'en recevoir toute la lumière. Il n'était pas aussi convenable que je donnasse à un seul la science de toutes choses, pendant cette vie voyageuse; puisque même dans la gloire ils ne la reçoivent que par (1) Matth., XVII, 2. 397 portions, et je ne la leur distribue que selon la proportion de l'état et du mérite d'un chacun, et a selon que ma providence l'a déterminé; car je n'en a devais seulement la plénitude qu'à l'humanité de a mon Fils unique, et à sa Mère par rapport à lui. Les autres hommes ne la reçoivent pas toute, ni toujours si claire qu'il ne leur reste quelque doute; et c'est pour cet effet qu'ils se l'acquièrent par leurs travaux et par l'usage des lettres et des sciences. Et, bien qu'il y ait dans mes Écritures plusieurs vérités a relevées; comme je laisse bien souvent les docteurs dans leur lumière naturelle, quoique je la leur communique quelquefois d'en haut, il s'ensuit de là qu'on entend diversement les mystères, qu'on a trouve des explications différentes, plusieurs sens dans les Écritures, et qu'un chacun suit son opinion selon qu'il la conçoit. Et, bien que la fin de a plusieurs soit bonne, que la lumière et la vérité ne soit qu'une en substance, on l'entend et on en use pourtant selon la diversité des opinions et des inclinations, les uns suivant un docteur, les autres un e autre: d'où naissent entre eux les disputes. " 76. " Que si la plus commune opinion est que le Verbe descendit du ciel avec intention principale de racheter le monde, l'une de plusieurs raisons qu'il y a, est que le mystère de la rédemption et la fin de ses oeuvres sont plus connus et manifestes a pour s'être exécutés, et si souvent réitérés dans les Écritures; et qu'au contraire la fin de l'impassibilité ne fut ni exécutée, ni décrétée absolument, ni (398) expressément, tout -ce qui appartenait à cet état ayant été caché, et personne ne le pouvant savoir avec certitude, sinon celui à qui j'en donnerai la lumière on révélerai les secrets de cet état et de l'amour que nous portons à la nature humaine. Et bien que ceci pourrait sensiblement toucher les mortels, s'ils le pesaient et le pénétraient comme il faut; néanmoins le décret et les couvres de la rédemption de leur misérable chute sont plus puissants et plus efficaces pour les mouvoir et les porter à la connaissance et à la gratitude de mon amour infini, qui est la fin de mes oeuvres. C'est pour cela que ma providence permet que ces motifs et ces mystères leur soient plus présents et plus familiers, parce qu'il est ainsi convenable. Remarque, ma fille, qu'une oeuvre peut bien avoir deux fins quand l'une est supposée sous quelque condition, comme il arriva dans cette occasion : car si l'homme ne péchait pas, le Verbe ne descendrait pas en forme passible; et s'il péchait, il serait passible et mortel Ainsi, quoi qu'il arrivât, le décret de l'incarnation a n'aurait pas laissé de s'accomplir. Je veux qu'on reconnaisse et qu'on estime les mystères de la rédemption, et qui on les ait toujours présents pour m'en rendre les actions de grâces qui m'en sont dues. Mais je veux aussi que les hommes reconnaissent le Verbe incarné pour leur chef et pour la cause finale de la création de tout le reste de la nature humaine; parce qu'il fat, après ma bénignité, a le principal motif que j'eus de donner l'être aux (399) créatures. Ainsi il doit être révéré non-seulement pour avoir racheté le genre humain, mais aussi pour. avoir été la cause de sa création. " 77. " Sache, ma chère épouse,, que je permets et dispose que les docteurs aient bien souvent des opinions différentes, et que les uns disent la vérité, et les autres, fondés sur leurs lumières naturelles, disent ce qui est douteux; quelquefois je permets qu'ils disent ce qui n'est pas, bien qu'il ne disconvienne point avec l'obscure vérité de la foi, en laquelle tous les fidèles sont fondés; d'autres fois ils disent ce qui est possible à leur manière. Et par cette variété l'on va à la découverte de la vérité et de la lumière, et l'on en développe mieux les mystères cachés, car le doute sert d'aiguillon à l'entendement pour rechercher la vérité, et en cela la cause de leur dispute est sainte et honnête. Et l'on connaît aussi, après tant de diligences et tant d'applications des plus savants docteurs, qu'il y a dans mon Église une science qui les rend plus éminents en sagesse que les sages du monde., et qu'il y en a un au-dessus de tous qui enseigne et corrige les sages, qui est moi, qui seul sais, comprends, pèse et mesure toutes choses (1), sans pouvoir être a mesuré ni compris; et qu'en vain les hommes recherchent et épluchent mes jugements et mes secrets (2), si étant le principe et l'auteur de toute v sagesse et de toute science, je ne leur en donne (1) Sap., VII,15. - (2) Ibid.. IX, 13. 400 l'intelligence et la lumière (1). Je veux que les mortels, en connaissant cela, me louent, me glorifient et me rendent d'éternelles actions de grâces. " 78. " Je veux aussi que les saints docteurs s'acquièrent plus de grâce, plus de lumière et plus de gloire parleur louable, honnête et saint travail; et que la vérité se découvre et se purifie d'autant plus qu'on s'approche davantage de sa source, et qu'on recherche et pénètre avec humilité les mystères et les œuvres admirables de ma droite, afin qu'ils en participent, et qu'ils jouissent du pain de l'intelligence (2) de mes Écritures. J'ai usé d'une grande providence envers les docteurs et les savants, bien que leurs opinions et leurs doutes aient été si opposés et leurs fins si différentes; parce que quelquefois elles sont à mon plus grand honneur et à ma gloire; et d'autres fois ce n'est que pour s'impugner et se contredire pour d'autres fins terrestres; et par cette émulation et cette passion ils ont procédé et procèdent inégalement. Mais nonobstant tout cela je les ai conduits, régis, éclairés et protégés de telle sorte, que la vérité s'en est beaucoup découverte et manifestée, et la lumière en a été plus grande pour pénétrer plusieurs de mes perfections a et de mes merveilles, et mes Écritures ont été si hautement interprétées, que j'en ai eu de l'agrément. Ce qui a été cause que la fureur de l'enfer a (1) Job., XXXII, 8. - (2) Ecclés., XV, 3. 401 élevé son trône d'iniquité avec une envie incroyable (et principalement dans ces temps présents), pour combattre la vérité; prétendant d'engloutir le Jourdain (1) et d'obscurcir par les hérésies et les fausses "doctrines la lumière de la sainte foi, contre laquelle il a semé la fausseté de son ivraie (2) par le ministère des hommes. Mais le reste de l'Église et ses vérités sont dans un très-parfait degré, et les fidèles catholiques, bien que plongés et aveuglés dans plusieurs autres misères, en reçoivent la foi et une lumière très-parfaite; et quoique je les appelle tous par un amour paternel à ce bonheur, le nombre des élus qui veuille me répondre est fort petit (3). " 79. " Je veux aussi que tu saches, ma fille, qu'encore que je permette par ma providence qu'il y ait plusieurs opinions entre les docteurs, afin que mes témoignages viennent à une plus grande connaissance, ayant intention que la moelle de mes divines Écritures soit manifestée aux mortels par le moyen de leurs louables diligences, de leurs études et de leurs travaux; néanmoins il me serait fort agréable et d'un grand service que les savants amortissent en eux l'orgueil, s'éloignassent de l'envie et de l'ambition, de la vaine gloire, des autres passions et des vices qui naissent de ces sortes de contestations, et qu'ils arrachassent le mauvais grain (4) que les mauvais effets de telles occupations sèment, (1) Job., XL,18. - (2) Matth., XIII, 25. - (3) Ibid., XXII, 14. - (4) Ibid., XIII, 29. 402 et que je laisse pour le présent, afin que le bon ne a soit pas arraché avec le mauvais. " Le Très-Haut me répondit tout cela et plusieurs autres choses que je ne puis manifester. Bénie soit éternellement sa Majesté de ce qu'elle a bien voulu éclairer mon ignorance et la satisfaire avec tant d'abondance et de miséricorde, sans dédaigner la petitesse d'une fille indiscrète et inutile en tout. Que tous les esprits bienheureux lui rendent grâces et le louent sans fin dans le ciel, et les hommes justes sur la terre. CHAPITRE VII. De quelle manière le Très-Haut commença. ses ouvres, et comme il créa les choses matérielles pour l'homme et les anges et les hommes, afin qu'ils fissent un peuple dont le Verbe humanisé fût le chef. 80. La cause de toutes les causes et le créateur de tout ce qui a l'être est Dieu; il commença par la puissance de son bras toutes ses oeuvres merveilleuses au temps que sa volonté avait déterminé. Moïse raconte l'ordre et le principe de cette création dans le premier chapitre de la Genèse; et parce que le Seigneur m'en a donné l'intelligence, je dirai ici ce qu'il faudra pour nous faire trouver les couvres et les mystères de (403) l'incarnation du Verbe et de notre rédemption dans leur source. 81. La lettre du chapitre premier de la Genèse est celle-ci : " Dans le commencement Dieu créa le ciel et la terre. Et la terre était vide et sans fruits, et les ténèbres étaient sur la face de l'abîme, et l'Esprit du Seigneur était porté sur les eaux. Et Dieu dit : " Que la lumière soit faite; et la lumière fut faite. Et a Dieu vit que la lumière était bonne; et il la sépara des ténèbres, et il appela la lumière jour, et les a ténèbres nuit, et il fut fait un jour du soir et du matin (1). " En ce premier jour, Moïse dit que Dieu créa dans le commencement le ciel et la terre, parce que ce principe fut celui que Dieu tout-puissant donna étant dans son être immuable, comme sortant de soi pour créer hors de lui-même les créatures, qui commencèrent alors à recevoir l'être en elles-mêmes, et Dieu commença à se récréer en ses ouvrages comme en des couvres également parfaites. Et afin que l'ordre en fût aussi très-parfait, avant que de donner l'être aux créatures intellectuelles et raisonnables, il forma le ciel pour les anges et pour les hommes, et la terre où premièrement les mortels devaient être passagers. Ce ciel et cette terre furent des lieux si proportionnés à leurs fins et si parfaits, que, comme le prophète David dit avec bien de la raison : " Les cieux publient la gloire de Dieu, et le firmament et la terre annoncent les rouvres de ses mains (2), " les cieux ; avec leurs (1) Gen., 1, 1-5. - (2) Ps. XVIII, 2. 404 beautés, manifestent sa magnificence et sa gloire, parce qu'ils sont le dépôt du prix qui est destiné pour les saints. Le firmament de la terre annonce qu'il y doit avoir des créatures et des hommes pour l'habiter et pour aller par elle à leur Créateur. Et avant que de les créer, le Très-Haut veut préparer et créer le nécessaire pour cela et pour le temps qu'il leur devait accorder de vivre ; afin que par tous les endroits ils se trouvent forcés d'obéir et d'aimer leur Créateur et leur bienfaiteur, et qu'ils connaissent par ses ouvrages son admirable nom et ses perfections infinies (1). 82. Moïse dit que la terre était vide (2), ce qu'il ne dit pas du ciel, parce qu'en celui- ci Dieu créa les anges dans l'instant dont Moïse dit : Dieu a dit : Que la lumière soit faite; et la lumière fut faite (3). Car il ne parle pas seulement de la lumière matérielle, mais aussi des lumières angéliques ou intellectuelles. Et il n'en fit pas une plus claire mention que de les signifier sous ce nom, à cause du facile penchant que les Hébreux avaient d'attribuer la divinité à des choses nouvelles et moins nobles que les esprits angéliques. Mais la métaphore de la lumière fut fort juste et fort propre pour nous signifier la nature angélique et pour nous faire mystiquement entendre la lumière de la science et de la grâce dont ils furent éclairés en leur création. Dieu créa, conjointement avec le ciel empyrée, la terre pour y former l'enfer en son centre; (1) Rom., I, 20. - (2) Gen., I, 2. - (3) Ibid., 3. 405 car dans le même instant qu'elle fut créée, il se trouva par la divine disposition au milieu dé ce globe des cavernes fort profondes et spacieuses, capables de contenir l'enfer, les limbes et le purgatoire. En même temps il fut créé dans l'enfer un feu matériel et toutes les autres choses qui y servent à présent pour tourmenter les damnés. Le Seigneur devait ensuite séparer la lumière des ténèbres et appeler la lumière jour, et les ténèbres nuit (1); et cela n'arriva pas seulement entre la nuit et le jour naturel, mais entre les bons et les mauvais anges; car il donna aux bons la lumière éternelle de sa vision, et il l'appela jour, et jour éternel; il appela les mauvais nuit du péché, et ils furent précipités dans les ténèbres éternelles de l'enfer, afin que nous connussions tous combien furent unies la libéralité miséricordieuse du Créateur et du Vivificateur dans la récompense, et la justice du très-équitable Juge dans le châtiment. 83. Les anges furent créés en grâce dans le ciel empyrée, afin que par son secours leur mérite précédât le prix de la gloire qui leur était préparée; car, bien qu'ils fussent dans le lieu de gloire, la Divinité ne leur avait pas été découverte face à face et avec une claire connaissance, jusqu'à ce que ceux qui furent obéissants à la divine volonté l'eurent mérité par la grâce. Ainsi ces bienheureux anges aussi bien que les autres apostats demeurèrent fort peu dans cet état de passage; parce que leur création, leur état et (1) Gen., I, 5. 406 leur terme furent divisés en trois demeures ou en trois stations, et même par quelque intervalle en trois instants. Dans le premier ils furent tous créés et ornés de la grâce et de dons, se trouvant de très-belles et très-parfaites créatures. A cet instant succéda une station, dans laquelle la volonté de leur Créateur leur fut à tous proposée et intimée; il leur fut imposé une loi et un précepte d opérer, de le reconnaître pour leur souverain Seigneur, et d'arriver à la fin pour laquelle il les avait créés. Dans cette demeure ou intervalle, cette fameuse bataille que saint Jean rapporte au chapitre 12 de l'Apocalypse, arriva entre saint Michel et ses anges, avec le dragon et les siens; les bons anges persévérant en la grâce méritèrent la félicité éternelle; et les désobéissants se révoltant contre Dieu méritèrent les peines qu'ils souffrent. 84. Et bien qu'en cette seconde demeure le tout eût pu se passer fort brièvement, selon la manière d'agir de la nature angélique et du pouvoir divin; néanmoins il me fut découvert que la charité du Très-Haut le suspendit et leur proposa par quelque intervalle le bien et le mal, la vérité et le mensonge, le juste et l'injuste, sa grâce et la malice du péché, l'amitié et l'inimitié de Dieu, la récompense et le châtiment éternels, la perte de Lucifer et de tous ses adhérents; sa Majesté leur montra même l'enfer et ses tourments, tellement qu'ils n'ignorèrent rien : car en leur nature si noble et si excellente, toutes les choses créées et terminées se peuvent voir comme elles sont en elles-mêmes, de sorte qu'ils virent, avant que de (407) déchoir de la grâce, le lieu du châtiment. Et bien qu'ils ne connussent pas de la même façon le prix de la gloire, ils en eurent pourtant une autre connaissance, aussi bien que de la promesse manifeste et expresse du Seigneur; de façon que le Très-Haut eut de quoi justifier sa cause, et opérer selon sa souveraine justice et équité. Et parce que tant de bonté et de justification ne suffirent pas pour retenir Lucifer et ses sectateurs dans leur devoir, ils furent, comme des obstinés, châtiés et précipités au profond des malheureuses cavernes infernales, et les bons furent confirmés en grâce et dans la gloire éternelle. Tout cela arriva dans le troisième instant, auquel il fut connu véritablement que Dieu seul était impeccable par nature; puisque l'ange, qui en a une si excellente et qui la reçut enrichie et ornée de tant de dons de science et de grâce, ne laissa pas de pécher et de se perdre. Que deviendra, après cette fatale expérience, la fragilité humaine, si le pouvoir divin ne la défend et si elle l'oblige de l'abandonner? 85. Il nous reste de savoir le motif que Lucifer et ses confédérés. eurent en leur péché (qui est ce que je cherche), et d'où naquit leur désobéissance et leur chute. Sur quoi j'ai appris qu'ils purent commettre plusieurs péchés, secundum reatum (ou dans cet intervalle que leur révolte dura, jusqu'à ce que Dieu prononça sa sentence), bien qu'ils ne commirent pas les actes de tous; mais il leur resta l'habitude de ceux qu'ils commirent par leur volonté dépravée, pour tous les mauvais actes, en sollicitant les autres et (408) approuvant le péché qu'ils ne pouvaient opérer par eux-mêmes. Et suivant la mauvaise affection que Lucifer eut alors, il tomba dans un amour très-déréglé de lui-même, qui lui vint de se voir avec de plus grands dons de grâce et avec une plus excellente beauté de nature que les autres anges inférieurs. Il â arrêta trop dans cette connaissance, et la complaisance qu'il eut de lui-même le retarda et l'attiédit en la reconnaissance qu'il devait à Dieu, comme l'unique cause de tout ce qu'il avait reçu. Et se contemplant dans ses propres, ingrates et réitérées réflexions, il eut une nouvelle et criminelle complaisance pour sa beauté et pour ses grâces; il se les attribua et les aima comme siennes; et cette affection propre et désordonnée ne le fit pas seulement se révolter avec ce qu'il avait reçu d'une vertu supérieure; mais elle l'obligea aussi d'envier et de désirer les autres dons et les excellences qu'il n'avait pas. Et parce qu'il ne put les obtenir, il conçut une indignation et une haine implacable contre Dieu qui l'avait tiré du néant, et contre toutes ses créatures. 86. De là la désobéissance, la présomption, l'injustice, l'infidélité, le blasphème, et presque quelque espèce d'idolâtrie prirent leur origine, car cet ingrat désira pour soi l'adoration et l'honneur qu'on doit à Dieu. Il blasphéma contre sa divine grandeur et contre sa sainteté; il manqua à la foi et à la fidélité qu'il lui devait; il prétendit de détruire toutes les créatures, et il présuma de venir à bout de tout cela et de plusieurs autres choses. Ainsi son orgueil croit (409) et persévère toujours (1), bien que sa témérité soit plus grande que son pouvoir (2), parce qu'il ne peut croître en celui-ci; et dans le péché un abîme en attire un autre (3). Lucifer fut le premier ange qui pécha, comme il contre par le chapitre 14 d'Isaïe; et celui-ci persuada les autres de le suivre, et c'est de là qu'on l'appelle prince des démons : ce n'est pas par sa nature qu'il reçoit ce titre, car elle ne pouvait pas le lui procurer; mais par son péché. Et les malheureux révoltés ne furent pas seulement d'un ordre ou hiérarchie, mais de chacune il y en eut plusieurs qui furent précipités. 87. Pour déclarer. comme il m'a été manifesté quel honneur et quelle excellence Lucifer désira et envia par son orgueil, je dirai que, comme l'équité, le poids et la mesure se trouvent dans les oeuvres de Dieu (4), sa providence détermina avant que les anges pussent tendre à des fins diverses, de leur manifester immédiatement après leur création la fin pour laquelle il les avait créés, avec une nature si relevée et si parfaite. Et cette illustration leur arriva de cette manière : ils eurent premièrement une très-claire connaissance de l'être de Dieu, un en substance et trois en personnes, et ils reçurent commandement de l'adorer et de l'honorer comme leur Créateur et leur. souverain Seigneur, infini en son être et en ses attributs. Ils se soumirent et obéirent tous à ce précepte, (1) PS. LXXIII, 23. - (2) Isa., XVI, 6. - (3) Ps. XLI, 8. - (4) Sap., XI, 21. 410 mais avec quelque distinction; car les bons anges obéirent par amour et par justice, se soumettant d'une volonté affectueuse, admettant et croyant ce qui était au- dessus de leurs forces, et y obéissant avec joie. Mais Lucifer ne s'y soumit que parce qu'il crut le contraire impossible. Il ne le fit pas avec une parfaite charité, parce qu'il partagea sa volonté entre lui-même et la vérité infaillible du Seigneur; et cela lui rendit ce précepte en quelque façon violent et difficile, et fit qu'il ne l'accomplit pas avec une affection pleine d'amour et de justice; ainsi il se disposa à n'y pas persévérer. Et bien que cette lâcheté qu'il eut à opérer ces premiers actes avec difficulté, ne le privassent pas de la grâce, sa mauvaise disposition commença pourtant de là; car sa vertu et son esprit en furent ralentis et affaiblis, sa beauté même perdit de son éclat; et je crois que l'effet que cette lâcheté et cette difficulté causèrent en Lucifer, fut semblable à celui que le péché véniel délibéré cause en l'âme; mais je n'assure pas qu'il pécha alors mortellement ni véniellement, parce qu'il accomplit le commandement de Dieu; mais cet accomplissement fut lâche et imparfait, et la force de la raison y eut plus de part que l'amour et que l'inclination volontaire d'obéir, et c'est ce qui le disposa à tomber. 88. En second lieu, Dieu leur manifesta qu'il devait créer une nature humaine et des créatures raisonnables et inférieures, afin quelles l'aimassent, le craignissent et l'honorassent, comme leur auteur et leur bien éternel; qu'il devait favoriser beaucoup cette (411) nature; que la seconde personne de la très-sainte Trinité devait s'incarner, se faire homme, et élever la nature humaine à l'union hypostatique et à la personne divine; qu'ils devaient reconnaître, honorer et adorer ce suppôt, Homme-Dieu, non-seulement en tant que Dieu, mais conjointement en tant qu'homme, et que les mêmes anges devaient être ses inférieurs et ses serviteurs en grâces et en dignité. Il leur fit connaître la convenance, l'équité, la justice et la raison qu'il y avait en cela; d'autant que l'acceptation des mérites prévus de cet Homme-Dieu leur avait mérité la grâce qu'ils possédaient et la gloire qui ils possèderaient; il leur fit aussi connaître qu'ils avaient été créés, et que toutes les autres créatures le seraient pour sa même gloire, parce qu'il devait être supérieur à toutes; et que celles qui seraient capables de connaître Dieu et de jouir de lui, devaient être son peuple et les membres de ce chef, pour le reconnaître et l'honorer. Et ils reçurent ensuite un commandement de se soumettre à tout cela. 89. Tous les bons anges se soumirent à ce précepte, y donnèrent leur consentement et y applaudirent avec une humble et amoureuse affection de toute leur volonté. Mais Lucifer y résista par son orgueil et par son envie, et provoqua ses adhérents à faire de même; ce qu'ils firent en effet en le suivant par cette désobéissance au divin commandement. Ce mauvais prince leur persuada qu'il serait leur chef, et qu'ils auraient une principauté indépendante et séparée de Jésus-Christ . l'envie et l'orgueil ayant bien pu (412) causer un tel aveuglément en un ange et une affection si désordonnée, qu'elle a été cause que la contagion du péché s'est communiquée à tant d'autres. 90. Ici se donna cette grande bataille que saint Jean dit s'être donnée dans le ciel (1). Car les anges obéissants, animés d'un ardent zèle de défendre la gloire du Très- Haut et l'honneur du Verbe humanisé prévu, demandèrent licence et comme l'agrément du Seigneur pour résister et contredire au dragon; et cette permission leur fut accordée. Mais il arriva ici un autre mystère; parce que, quand il fut proposé à tous les anges qu'ils devaient obéir su Verbe incarné, il leur fut fait un troisième commandement de recevoir conjointement une femme pour supérieure, dans le sein de laquelle le Fils unique du Père prendrait chair humaine; il leur fut dit que cette femme devait être leur Reine et la Maîtresse de toutes les créatures humaines, et qu'elle devait être distinguée au-dessus de toutes les créatures angéliques et humaines, et les surpasser en dons de grâce et de gloire. Les bons anges, en obéissant à ce précepte du Seigneur, augmentèrent leur humilité, et avec elle ils le reçurent, et louèrent le pouvoir et les mystères du Très-Haut. Mais l'orgueil et la présomption de Lucifer et de ses confédérés s'augmentèrent par ce mystérieux précepte; et il désira pour soi avec une fureur effrénée l'honneur d'être le chef de tout le genre humain et de tous les ordres angéliques, et que si cela devait (1) Apoc., XII. 413 s'accomplir par le moyen de l'union hypostatique, ce fût avec lui. 91. Il résista avec d'horribles blasphèmes sur ce qu'il devait être inférieur à la Mère du Verbe incarné et notre Reine; se tournant avec une effrénée indignation contre l'auteur de ces merveilles, et provoquant les autres, ce dragon leur dit ; " Ces préceptes sont injustes et injurieux à ma grandeur; et s'adressant à Dieu, il ajouta : " Je persécuterai et détruirai, Seigneur, cette nature que vous regardez avec tant d'amour, et à qui vous destinez de si grandes faveurs; j'emploierai pour cela tout mon pouvoir et tous mes soins, et j'abattrai cette femme Mère du Verbe de l'état honorable que vous lui promettez, et je renverserai vos desseins. " 92. Cette superbe présomption irrita si fort le Seigneur, qu'en humiliant Lucifer, il lui dit ; " Cette femme que tu n'as pas voulu honorer, t'écrasera la tête (1), et tu seras par elle vaincu et abattu. Et si par ton orgueil la mort entre su monde (2), par l'humilité de cette femme, la vie et le salut des mortels y entreront; et je tirerai de la nature, et de l'espèce du Fils et de la Mère, ceux qui doivent jouir des récompenses et des couronnes que tu as perdues, aussi bien que tes adhérents. " Le dragon ne répondait à tout cela, et contre tout ce qui lui était déclaré de la divine volonté et de ses décrets, qu'avec une superbe et téméraire indignation, en (1) Gen., III, 15. - (2) Sap., II, 24. 413 menaçant tout le genre humain. Et les bons anges connurent le juste courroux du Très-Haut contre Lucifer et contre les autres apostats; et ils combattaient contre eux avec les armes de l'entendement, de la raison et de la vérité. 93. Le Tout Puissant opéra ici un autre merveilleux mystère; car, après avoir manifesté par intelligence à tous les anges le grand ouvrage de l'union hypostatique, il leur montra la très-sainte Vierge en un signe ou espèce, à la manière de nos visions imaginaires, selon notre façon de concevoir. Ainsi il leur fit connaître et leur représenta la pure nature humaine en une femme très-parfaite, en laquelle le puissant bras du Très-Haut devait être plus admirable qu'en tout le reste des créatures, parce qu'il déposait en elle les grâces et les dons de sa droite en un degré supérieur et éminent. Ce signe de la Reine du ciel et Mère da Verbe humanisé, fut manifesté à tous les anges, bons et mauvais. Les bons furent ravis d'admiration à sa vue et lui donnèrent des cantiques de louanges, et dès lors ils commencèrent à défendre l'honneur de Dieu humanisé et de sa très-sainte Mère, armés par cet ardent zèle et par le bouclier impénétrable de ce signe. Au contraire, le dragon et ses alliés conçurent une fureur et une rage implacable contre Jésus- Christ et sa très-sainte Mère; de sorte qui il arriva tout ce qui est contenu au chapitre 12 de l'Apocalypse, dont je mettrai la déclaration comme elle m'a été communiquée, en celui qui suit. 415 CHAPITRE VIII. Où le discours du chapitre précédent est continué par l'application du chapitre douzième de l'Apocalypse. 94. La lettre de ce chapitre de l'Apocalypse dit : " Un grand signe apparut au ciel : une femme qui était revêtue du soleil, et qui avait la lune sous ses pieds, et sur son chef une couronne de douze étoiles. Et étant enceinte elle criait en travail d'enfant, et souffrait des tourments pour enfanter. Il fut aussi vu un antre signe au ciel : et voici un grand dragon roux, ayant sept tètes et dix cornes, et sur a ses tètes sept diadèmes. Et sa queue tramait la troisième partie des étoiles du ciel, et les jeta en terre; et le dragon s'arrêta devant la femme qui allait a enfanter; afin qu'ayant enfanté, il dévorât son fils. Or elle enfanta un fils qui devait gouverner toutes les nations avec une verge de fer, et son enfant fut a ravi à Dieu et à son trône. Et la femme s'enfuit en a un désert, où Dieu lui avait préparé un lien pour y a être nourrie l'espace de mille deux cent soixante a jours. Il se donna une grande bataille dans le ciel; Michel et ses anges combattaient contre le dragon, e et le dragon combattait, et ses anges. Mais ils ne (418) furent pas les plus forts, et on ne trouva plus leurs places dans le ciel. Et ce grand dragon, ce serpent a ancien appelé diable et Satan, qui séduit tout le monde, fut précipité, et il fut jeté en terre, et ses anges le furent avec lui. Alors j'entendis une grande voix dans le ciel, qui dit: Maintenant le salut et la force, et le règne de notre Dieu et la puissance de a son Christ sont assurés : car l'accusateur de nos a frères, qui les accusait devant la face de notre Dieu jour et nuit, est rejeté. Mais ils l'ont vaincu par le a sang de l'Agneau, et par le témoignage qu'ils ont rendu, sans que l'amour de la vie les ait empêchés de la sacrifier. C'est pourquoi, ô cieux, réjouissez-vous, et voua qui les habitez. Malheur à vous; terre et mer, parce que le diable est descendu vers vous dans une grande colère, sachant qu'il ne lui reste que peu de temps! Quand donc le dragon eut vu qu'il était rejeté en terre, il persécuta la femme qui a avait enfanté le fils. Mais deux ailes d'un grand a aigle furent données à la femme, afin qu'elle s'envolât dans le désert en son lieu, où elle est nourrie pendant un temps, des temps, et la moitié d'un temps, hors de la présence du serpent. Alors le sera pont jeta de sa gueule après la femme comme un a fleuve d'eau, afin qu'elle fût emportée par le courant. Mais la terre aida à la femme, et la terre ouvrit son sein, et engloutit le fleuve que le dragon avait jeté de sa gueule. Ce qui anima le dragon contre femme, et il sen alla faire. la guerre aux autres de sa génération qui gardent les commandements de (417) Dieu, et qui ont le témoignage de Jésus-Christ. Et a il s'arrêta sur le sable de la mer (1). " 95. C'est jusqu'ici la lettre de l'évangéliste; et il parle du passé, parce qu'alors on lui montrait la vision de ce qui était déjà arrivé; il dit qu'un grand signe apparut au ciel : une femme qui était revécue du soleil, et qui avait la lune sous ses pieds; et qu'une couronne de douze étoiles couronnait sa tête (2). Ce signe apparut véritablement au ciel par la volonté de Dieu, qui le manifesta aux bons et aux mauvais anges, afin qu'ils déterminassent leurs volontés par cette vue à obéir à ce qu'il lui plairait de leur ordonner. Ainsi ils le virent avant que les bons se déterminassent au bien, et les mauvais au péché. Et ce fut comme un signe qui signifiait combien Dieu se devait rendre admirable en la formation de la nature humaine. Et quoiqu'il en eût donné connaissance aux anges en leur révélant le mystère de l'union hypostatique, il la leur voulut néanmoins manifester par des façons différentes dans une pure créature, la plus parfaite et la plus sainte qu'il devait créer après notre Seigneur Jésus-Christ. Elle fut aussi comme un signe (3) qui devait assurer les bons anges que, bien que Dieu fût offensé par la désobéissance des mauvais, il ne laisserait pas.pour cela d'exécuter le décret qu'il. avait formé de créer les hommes : parce que le verbe humanisé et cette femme qui devait être sa Mère lui donneraient infiniment plus de satisfaction que les anges désobéissants ne (1) Apo., XII. - (2) Ibid., - (3) Gen., IX,13. 418 pourraient l'offenser et lui déplaire. Elle fut aussi comme un arc-en-ciel (dont la figure s'imprimerait aux nues après le déluge), afin qu'il assurât que si les hommes péchaient comme les anges et étaient désobéissants, ils ne seraient pas châtiés sans pardon comme eux, mais qu'il leur donnerait par le moyen de ce merveilleux signe un remède salutaire. Et ce fut comme s'il leur disait : Je ne châtierai pas de la sorte les hommes que je dois créer, parce que la nature humaine produira cette femme, en laquelle mon Fils unique prendra chair pour rétablir mon amitié, apaiser ma justice, et ouvrir le chemin de la félicité, que le péché fermera. 96. En témoignage: de cette vérité, après que les anges rebelles furent châtiés à la vue de ce signe, le Très-Haut se montra aux bons anges, s'étant apaisé du courroux auquel l'orgueil de Lucifer l'avait provoqué. Et, suivant notre façon de parler, il se récréait de la présence de la Reine du ciel, qui était représentée en cette figure; faisant entendre aux anges bienheureux qu'il donnerait aux hommes, par le moyen de Jésus-Christ et de sa Mère, la grâce et les avantages que les anges apostats avaient perdus par leur rébellion. Ce grand signe produisit aussi un autre effet aux bons anges: car étant, selon notre manière de concevoir, comme affligés, contristés et quasi troublés par la dispute et la contestation qu'ils avaient eue avec Lucifer, le Très-Haut voulut qu'ils se réjouissent à la vue de ce signe, et qu'ils reçussent avec la gloire essentielle cette joie accidentelle, que la victoire qu'ils venaient de (419) remporter contre Lucifer leur méritait aussi, et qu'en voyant cette marque de clémence, qui leur était montrée en signe de paix, ils connussent que la loi du châtiment ne s'étendait point sur eux (1), puisqu'ils avaient obéi à la divine volonté et à ses préceptes. Les anges confirmés découvrirent aussi en cette vision plusieurs mystères et plusieurs secrets de l'incarnation, de l'Église militante et de ses membres; qu'ils devaient assister et aider le genre humain, défendant tous les hommes contre leurs ennemis, et les dirigeant à la félicité éternelle : qu'eux-mêmes la recevaient par les mérites du Verbe humanisé; et que sa Majesté les avait préservés en vertu du même Jésus-Christ, prévu dans son entendement divin. 97. Et comme de tout ceci résulta une grande joie aux bons anges, il en résulta aussi un grand tourment aux mauvais, cela étant comme le principe et en partie la cause de leur punition; car ils connurent incontinent après ce dont ils n'avaient pas fait leur profit, que cette femme les vaincrait et leur écraserait la tète. L'évangéliste fit mention en ce chapitre de tous ces mystères et de plusieurs autres qui sont particulièrement compris dans ce grand signe, et qu'il ne m'est pas possible d'exprimer, bien qu'il les raconte sous un voile obscur et énigmatique jusqu à ce que le temps arrivât de les découvrir. 98. Le soleil dont il est dit que la femme était revêtue, est le véritable Soleil de justice, afin que les (1) Esther., IV, 11. 420 anges connussent la volonté efficace du Très-Haut, qui était déterminé à résider toujours par la grâce en cette femme, à la favoriser et la défendre par son bras tout- puissant et par sa protection singulière. Elle avait sous ses pieds la lune, parce qu'on la division que ces deux planètes font du jour et de la nuit, elle devait fouler aux pieds la nuit du péché, signifiée par la lune, et être éternellement revêtue du jour de la grâce, marqué par le soleil. Et aussi, parce que les déclins de la grâce, auxquels tous les mortels sont sujets, devaient être sous ses pieds, elle annonce que tous les hommes et les anges pourraient être soumis à ces vicissitudes, mais qu'elle seule devait être libre de la nuit, et des déclinaisons de Lucifer et d'Adam; qu'elle les dominerait toujours sans en pouvoir être surmontée. Et le Seigneur lui met sous les pieds, en présence de tous les anges, toutes les forces du péché, soit originel, soit actuel, comme des trophées de ses victoires, afin que les bons la reconnaissent, et les mauvais (bien qu'ils ne pénétrassent pas tous les mystères de cette vision) redoutent cette femme, même avant qu'elle reçoive l'être. 99. La couronne de douze étoiles nous représente fort clairement par leur éclat les vertus qui doivent couronner cette Reine du ciel et de la terre : mais le mystère de douze fut pour les douze tribus d'Israël, où tous les élus et les prédestinés se réduisent, comme l'évangéliste le marque au chapitre VII de l'Apocalypse. Et parce que tous les dons, toutes les grâces et les vertus de tous les élus devaient couronner leur (421) Reine su degré le plus sublime et le plus. éminent, la couronne des douze étoiles lui est mise sur la tête. 100. Elle était enceinte (1), afin qu'il fût manifesté en présence de tous les anges, pour la joie des bons et pour le châtiment des mauvais, qui résistaient à la divine volonté et à ces mystères, que. toute la très-sainte Trinité avait élu cette merveilleuse femme pour Mère du Fils unique du Père. Et comme cette dignité de Mère du Verbe était la plus grande, le principe et le fondement de toutes les excellences de cette grande princesse et de ce signe, c'est pour cela qu'on la propose aux anges, comme le dépôt de toute la très-sainte Trinité en la divinité et en la personne du Verbe incarné; puisque, par l'inséparable union et l'inexistence des personnes par l'indivisible unité, toutes les trois personnes ne peuvent pas manquer d'être où chacune se trouve, bien que la seule personne du Verbe ait été celle qui a pris chair humaine, et qu'elle ne fût enceinte que de lui seul. 101. Et étant enceinte elle criait (2); car, quoique la dignité de cette Reine et ce mystère dussent être occultes dans leur principe, afin que Dieu naquit pauvre, humble et caché; cet enfantement néanmoins éclata après si fort, et sa voix fut si véhémente, qu'au premier écho le roi Hérode en fut tout troublé (3) et hors de lui- même, et les Mages furent obligés d'abandonner leurs maisons et leurs pays pour le venir chercher. Il y eut des coeurs qui se troublèrent, et d'autres (1) Apoc., XII, 2. - (2) Ibid. - (3) Matth., II, 3. 422 qui furent émus d'une affection intérieure. Et le fruit de cet enfantement croissant, dès qu'il fut élevé à la croix (1), ses cris furent si forts, qu'ils se firent entendre de l'orient à l'occident, et du septentrion su midi (2) : si éclatante était la voix de cette femme, qui donna en enfantant la Parole du Père éternel. 102. Elle souffrait des tourments pour enfanter (3). Cela ne veut pas dire qu'elle dû enfanter avec don-leur, car en cet enfantement divin il n'y en devait avoir aucune; mais il nous exprime la grande douleur et le tourment que cette Mère ressentirait de voir que ce petit corps divinisé ne sortirait, quant à l'humanité, de son sein virginal que pour souffrir, et pour être obligé de satisfaire à son Père pour les péchés du monde, et de payer la dette qu'il ne pouvait pas contracter (4); car cette Reine connaîtrait et connut tout cela par la science des Écritures. Elle en devait avoir le coeur percé par l'amour naturel qu'une telle Mère portait à un tel Fils, quoiqu'elle fût parfaitement soumise à la volonté du Père éternel. Ce tourment comprend aussi celui que cette très- pieuse Mère devait souffrir, connaissant combien de temps elle devait être privée de la présence de son trésor, dès qu'il serait sorti de son sein virginal : car, quoiqu'elle l'eût conçu dans son lime quant à la divinité, néanmoins, quant à la très-sainte humanité, elle devait être plusieurs fois privée de ce Fils, qui n'appartenait qu'à elle seule. Et (1) Joan., XII, 32. - (2). Rom., X, 18. - (3) Apoc., XII, 2. - (4) Ps. LXVIII, 5. 423 quoique le Très-Haut eût déterminé de l'exempter de la coulpe, il ne l'exemptait pourtant pas des peines et des douleurs, proportionnées en quelque façon à la récompense qui lui était préparée. Ainsi les douleurs de cet enfantement ne furent pas des effets du péché, comme aux descendantes d'Ève (1), mais du plus tendre et du plus parfait amour de cette divine Mère envers son très-saint et unique Fils. Tous ces mystères furent un motif de louanges et d'admiration pour les bons anges, et pour les mauvais le principe de leur châtiment. 103. Il fut aussi vu un autre signe au ciel: et voici un grand dragon roux, ayant sept tètes et dix cornes, et sur ses têtes sept diadèmes; et sa queue traînait la troisième partie des étoiles du ciel, et les jeta en terre (2). Après ce que je viens de dire, le châtiment de Lucifer et de ses alliés arriva; car pour la peine qui était due aux blasphèmes qu'il avait vomis contre cette signalée femme, il se trouva changé, de très-bel ange qu'il était, en un furieux et horrible dragon, ce signe apparaissant sensible et d'une figure extérieure. Il souleva avec une extrême fureur sept tètes, qui furent les sept légions ou escadrons qui divisèrent tous ceux qui le suivirent et tombèrent dans son malheur: donnant à chacune de ces principautés une tête; leur ordonnant de pécher, et de prendre soin d'émouvoir et d'exciter les sept péchés mortels qu'on appelle communément capitaux, parce qu'ils contiennent tous les (1) Gen., III, 16. - (2) Apoc., XII, 3. 424 autres péchés, et sont comme chefs des partis qui s'élèvent contre Dieu. Les sept diadèmes qui couronnèrent Lucifer changé en dragon, furent l'orgueil, l'envie, l'avarice, l'ire, la luxure, la gourmandise et la paresse : le Très-Haut lui donnant ce châtiment comme une peine que lui et ses anges confédérés avaient méritée par leurs horribles méchancetés : car ce fut ici pour tous une punition éclatante et un châtiment proportionné à leur malice, comme auteurs des sept péchés capitaux. 104. Les dix cornes sont les triomphes de l'iniquité et de la malice du dragon, de l'orgueil et de l'exaltation vaine et téméraire qu'il s'attribue dans l'exécution des vices. Et par ces affections dépravées, pour arriver à la fin que son audace lui proposait, il offrit àux anges malheureux son amitié perverse et corrompue, aussi bien que des principautés, des supériorités et des récompenses imaginaires. Ces promesses, pleines d'une ignorance et d'une erreur plus que brutales, furent la queue par laquelle le dragon attira la troisième partie des étoiles du ciel: car les anges étaient des étoiles qui auraient brillé comme le soleil (1) dans l'éternité perpétuelle avec les autres anges et les justes, s'il eussent persévéré. biais le châtiment qu'ils avaient justement mérité les précipita dans le centre de la terre de leur malheur, qui est l'enfer, où ils seront éternellement privés de joie et de lumière (2). 105. Et le dragon s'arrêta devant la femme qui (1) Dan., XII, 3. - (2) Jud. epist., 6. 425 allait enfanter pour dévorer son fils (1). L'orgueil de Lucifer fut si démesuré, qu'il prétendit placer son trône au lieu le plus élevé (2), et dit en présence de cette femme signalée, avec une très-grande vanité : " Ce fils que cette femme doit enfanter est d'une nature inférieure à la mienne : c'est pourquoi je le dévorerai et je le perdrai; je formerai un parti contre lui dont je serai le chef, et je sèmerai des doctrines contraires aux lois qu'il prescrira, et je le contredirai toujours en lui faisant une guerre perpétuelle. " Mais la réponse du très-haut Seigneur fut que cette femme enfanterait un fils qui devait gouverner toutes les nations avec une verge de fer (3). " Et cet enfant, ajouta le Seigneur, ne sera pas seulement fils de cette femme, mais le mien aussi; il sera homme et a Dieu véritable, et si fort, qu'il vaincra ton orgueil a et t'écrasera la tète. Il sera pour toi, et pour tous a ceux qui te croiront et te suivront, un juge puisa saut qui te commandera avec une verge de fer (4), et détruira toutes tes prétentions vaines et téméraires. Il sera élevé à pion trône, où il s'assiéra, et jugera à ma droite; et afin qu'il triomphe de a ses ennemis, je les lui mettrai pour marche-pied (5) ; il sera récompensé comme un homme juste, et qui a étant Dieu a opéré de si grandes choses pour ses créatures; tous le connaîtront et lui rendront honneur et gloire (5). Tu connaîtras comme le plus (1) Apoc., XII, 4. - (2) Isa., XIV, 13 et 14. - (3) Apoc., XII, 5. - (4) Ps. II, 9. - (5) Ps. CIX, 1 et 2. - (6) Apoc., V, 13. 426 malheureux que le jour de l'ire du Tout-puissant est arrivé (1). " Et cette femme sera mise en la solitude où je lui préparerai un lieu (2). Cette solitude où cette femme s'enfuit, est celle de notre grande Reine, étant l'unique et la seule douée de la sainteté souveraine (3), et exempte de tout péché; car quoiqu'elle fût femme de la nature commune des mortels, elle surpassa néanmoins tous les anges en grâces, en dons et en mérites, qui lui procurèrent tous ces avantages. Ainsi elle s'enfuit et se mit parmi les pures créatures, dans une solitude qui est l'unique et sans égale entre toutes. Cette solitude fut si éloignée du péché, que le dragon la perdit de vue et ne la put apercevoir dès sa conception, le Très-Haut la mettant seule et unique dans le monde sans aucun commerce ni sujétion avec le serpent; mais au contraire il détermina avec une certitude, et comme une protestation ferme et constante, et dit : " Cette femme doit être a mon élue et mou unique dès l'instant qu'elle recevra l'être; je l'exempte dès à présent de la juridiction de ses ennemis, je lui destine et lui assigne un lieu solitaire d'une grâce très-éminente, afin qu'elle e y soit nourrit l'espace de mille deux cent soixante jours : " la Reine du ciel devant être ces jours- là dans un état singulier et très-élevé de faveurs intérieures et spirituelles, beaucoup plus admirables et plus mémorables que tout ce qu'on peut s'imaginer. Cela arriva dans les dernières années de sa vie, comme (1) Sophon., I, 14. - (2) Apoc., XII, 6. - (3) Cant., VI, 8. 427 je le dirai avec l'aide de Dieu en son lieu : étant dans cet état si divinement nourrie, que notre entendement est trop borné pour le pénétrer. Et parce que ces bienfaits furent comme la fin et le terme auquel tous les autres de la vie de la Reine du ciel devaient aboutir, l'évangéliste en fait pour cela une mention particulière. CHAPITRE IX. Qui poursuit l'explication du chapitre douzième de l'Apocalypse. 106. Il se donna une grande bataille dans le ciel Michel et ses anges combattaient contre le dragon, et le dragon combattait, et ses anges (1). Le Seigneur ayant manifesté ce qu'il fut dit aux bons et aux mauvais anges, le prince saint Michel et ses compagnons combattirent par la permission divine avec le dragon et ses sectateurs. Et cette bataille fut admirable, parce qu'ils combattaient avec leurs entendements et leurs volontés. Saint Michel, avec le zèle de l'honneur de Dieu, dont son coeur était enflammé, et orné de son pouvoir divin et de sa propre humilité, résista à (1) Apoc., XII, 7. 428 l'orgueil insolent du dragon, et lui dit : " Le Très-Haut est digne d'honneur, de louange et de respect, d'être aimé, craint et obéi de toutes les. créatures; il peut opérer tout ce qui lui plaira, il ne peut rien vouloir qui ne soit très juste; c'est lui qui est incréé et indépendant de tout autre être; qui nous a donné gratuitement celui que nous avons, en nous créant et nous tirant du néant, et qui peut créer d'autres créatures selon son bon plaisir. Il est raisonnable que, prosternés et humiliés devant cet Être digne d'un infini respect, nous adorions sa majesté et ses grandeurs royales. Venez donc, anges ! suivez-moi, adorons-le, louons ses secrets et ses admirables jugements, ses oeuvres très-parfaites et saintes. Il est Dieu, très- élevé et au-dessus de toutes les créatures; et il ne le serait pas si nous pouvions pénétrer et comprendre ses merveilleux ouvrages. Il est infini en sagesse et en bonté, riche en ses trésors et en ses bienfaits; il peut, comme Seigneur de toutes choses, qui n'a besoin de personne, les communiquer à qui lui plaira, ne pouvant errer en son choix. Il peut aimer, et se donner à ceux qu'il aime, aimer qui lui plaira, élever, créer et enrichir ce qui lui sera le plus agréable; et il sera en toutes ses ouvres sage, saint et puissant. Adorons-le donc avec actions de grâces, pour le grand ouvrage de l'incarnation qu'il a déterminé, pour les faveurs qu'il prétend faire à son peuple, et pour sa réparation en cas qu'il vienne à tomber. Adorons ce suppôt (429) des deux natures, la divine et l'humaine; recevons-le pour notre chef; avouons qu'il est digne de toute a gloire, louange et magnificence;. et reconnaissons en lui la vertu et la divinité, comme auteur de grâce et de la gloire. " 107. Saint Michel et ses anges se servaient de ces armes comme de foudres invincibles, et combattaient le dragon et les siens, qui se défendaient par des blasphèmes. Car ne pouvant résister à la vue de ce prince céleste, il enrageait dans sa fureur, et par le tourment qu'il ressentait, il aurait bien voulu fuir. Mais la volonté divine ordonna que non-seulement il serait puni, mais qu'il serait aussi vaincu, et qu'il connaîtrait malgré lui la vérité et le pouvoir de Dieu, quoiqu'il dit en blasphémant : " Dieu est injuste d'élever la nature humaine au-dessus de l'angélique. Je suis le plus beau et le plus excellent de a tous les anges, et c'est pour cela que le triomphe m'est cil. Je mettrai mon trône au-dessus des a étoiles, je serai semblable au Très-Haut (2), et je ne me soumettrai à aucun qui soit d'une nature inférieure à la mienne, ni je ne consentirai jamais que personne me précède ni soit plus grand que moi. " Les anges apostats, complices de Lucifer, répétaient la même chose. Mais saint Michel lui repartit : " Qui est celui qui pourra s'égaler et se comparer au Seigneur, qui habite les cieux? Tais-toi, ennemi de tout bien, et arrête tes horribles (1) Isa., XIV, 13. 430 blasphèmes; et puisque l'iniquité t'a possédé, sépare-toi de nous, malheureux, et marche avec ton ignorance aveugle et ta méchanceté dans la nuit ténébreuse, et au chaos des peines infernales. Et nous, O esprits du Seigneur, adorons et honorons cette heureuse femme qui doit donner chair humaine su Verbe éternel, et reconnaissons-la pour notre Reine et notre Maîtresse. " 108. Ce grand signe de la Reine servait de bouclier et d'armes offensives aux bous anges qui combattaient contre les mauvais, car à sa vue les raisons et les résistances de Lucifer perdaient leurs forces; et il était troublé et comme consterné, ne pouvant supporter les secrets mystérieux qui étaient représentés en ce signe. Et comme ce signe mystérieux avait paru par la vertu divine, sa Majesté voulut que l'autre figure. ou signe du dragon roux parût aussi, et qu'il fût en ce signe honteusement précipité du ciel avec effroi, avec terreur de ses sectateurs et avec admiration des anges confirmés ; car tout cela fut causé par cette nouvelle démonstration du pouvoir et de la justice divine. 109. Il est difficile d'exprimer par nos faibles paroles ce qui se passa dans cette mémorable bataille, à cause du peu de proportion qu'il y a de nos raisonnements matériels avec la nature et les opérations relevées de ces nobles esprits angéliques. Mais les mauvais ne furent pas les plus forts (1), parce que l'injustice, (1) Apoc., XII, 8. le mensonge, l'ignorance et la malice ne sauraient prévaloir à l'équité, à la vérité, à la lumière et à la bonté; ni ces vertus né peuvent être vaincues par les vices. Et pour cette raison saint Jean dit que dès lors leur place ne se trouva plus dans le ciel. Ces anges ingrats se rendirent indignes par les péchés qu'ils commirent, de la vue éternelle et de la compagnie du Seigneur; et leur mémoire fut rayée de son entendement, où ils étaient, avant que de tomber, comme écrits parles dons de grâce qu'il leur avait donnés; et comme ils furent privés du droit qu'ils avaient aux lieux qui leur étaient destinés s'ils eussent obéi, ce droit fut transporté aux hommes, et leurs places leur furent destinées, les vestiges des anges apostats restant si fort effacés qu'ils ne se trouvèrent plus au ciel. O méchanceté malheureuse, et jamais trop exagéré malheur, digne d'une punition si épouvantable et si formidable! Il ajoute et dit : 110. Et ce grand dragon, ce serpent ancien appelé diable et Satan, qui séduit tout le monde, fut précipité; et il fut jeté en terre, et ses anges le furent avec lui (1). Le prince saint Michel précipita du ciel Lucifer changé en dragon, avec cette parole invincible : Qui est égal à Dieu? qui fut si efficace, qu'elle eut le pouvoir d'abattre ce superbe géant et toutes ses troupes, et de les foudroyer avec une horrible infamie pour eux, aux plus bas lieux de la terre ; celui-là commençant de recevoir avec son malheur et sa punition, (1) Apoc., XII, 9. 432 les nouveaux noms de dragon, de. serpent, de diable et de Satan, que le saint archange lui donna dans cette bataille, et, qui découvrent son iniquité et sa malice., qui l'ayant privé de la félicité et de l'honneur dont il s'était rendu indigne, le privèrent aussi des noms et des titres honorables, et lui procurèrent ceux qui déclarent son infamie. La méchante proposition et l'injuste commandement qu'il fit à ses confédérés de tromper et, de pervertir tous les mortels, publient assez son iniquité. Mais le mal qu'il se proposait de faire à tout le genre humain, l'accompagna dans les enfers, et, comme dit lame en son chapitre quatorzième, su profond du lac, où son cadavre fut livré au ver dévorant de sa mauvaise conscience, tout ce que le prophète dit en cet endroit se trouvant accompli en Lucifer. 111. Le ciel demeura purgé des mauvais anges, et le voile qui couvrait la Divinité fut ôté pour la gloire et le bonheur des bons et obéissants ; ceux-ci restèrent triomphants et glorieux, et les rebelles châtiés en même temps. L'évangéliste poursuit qu'il ouit une grande voix dans le ciel disant : Maintenant le salut, la force, le règne de notre Dieu et la puissance de son Christ sont assurés; car l'accusateur de nos frères qui les accusait devant la face de notre Dieu jour et nuit, est rejeté (1). Cette voix que l'évangéliste ouït fut celle de la personne du Verbe, que tous les anges fidèles entendirent; et ses échos arrivèrent jusque (1) Apoc., XII, 10. 433 dans l'enfer, où ils firent trembler et transir les malheureux exilés, quoiqu'ils n'y pénétrassent pas tous ses mystères, mais seulement ce que le Très-Haut leur voulut manifester pour leur peine et leur punition. Ce fut la vois du Fils au nom de l'humanité qu'il devait prendre, demandant au Père éternel que le. salut, la force, le règne de sa Majesté et la puissance du Christ se fissent; parce que l'accusateur des frères. du même Christ, notre Seigneur, qui étaient les hommes, venait d'être rejeté. Et ce fut comme une, requête faite devant le trône de la très-sainte Trinité en faveur du salut et de la force; afin que les mystères, de l'incarnation et de la rédemption fussent confirmés contre l'envie et la fureur de Lucifer, qui était descendu du ciel tout irrité contre la nature humaine dont le Verte se devait revêtir. C'est pourquoi il les appela par un amour souverain et une compassion tendre, frères; il dit que Lucifer les accusait jour et nuit, parce qu'il les accusa en présence du Père éternel et de toute la très-sainte Trinité, au jour qu'il jouissait de la grâce, commençant dès lors de nous mépriser par son orgueil; et ensuite il nous accuse avec bien plus de rage dans la nuit de ses ténèbres et de notre chute, sans que cette accusation et cette persécution cessent jamais, tant que le monde durera. Et il appela force, puissance et règne, les oeuvres et les mystères de l'incarnation et de la mort de Jésus-Christ, car tout cela s'y trouva; et la force et la puissance s'y manifestèrent contre Lucifer. 112. Ce fut la première fois que le Verbe intercéda (434) au nom de l'humanité pour les hommes devant le trône de la Divinité; et à notre façon de concevoir, le Père éternel conféra sur cette demande avec les personnes de la très-sainte Trinité; et manifestant en partie aux anges bienheureux le décret que le divin consistoire avait formé sur ces mystères, il leur dit : " Lucifer a élevé les étendards de l'orgueil et du péché, il poursuivra avec toute sorte d'iniquité et de fureur le genre humain, il en pervertira plusieurs par sa malice, se servant des mènes hommes pour détruire les hommes, et par l'aveuglement que les péchés et les vices leur causeront, ils prévariqueront en divers temps avec une ignorance dangereuse; mais l'orgueil, le mensonge et toutes sortes de péchés et de vices sont infiniment éloignés de notre être et de notre volonté. Élevons donc le triomphe de la vertu. et de la sainteté; que la seconde personne s'incarne et qu'elle soit passible peur cet effet; qu'elle enseigne et rende recommandable l'humilité, l'obéissance et.toutes les vertus; qu'elle opère le salut des mortels, et que cette personne étant Dieu véritable, s'humilie et devienne le moindre de tous; qu'il soit homme juste, le modèle et le maure de toute sainteté, et qu'il meure pour le salut de ses frères. Que la seule vertu soit reçue à notre tribunal, comme celle qui triomphe toujours des vices. Élevons les humbles, et humilions les superbes; faisons que les travaux et ceux qui les souffriront soient glorieux à notre bon plaisir. Déterminons d'assister les affligés et les (435) persécutés (1), et que nos amis soient corrigés et affligés; qu'ils acquièrent par ces moyens notre grâce et notre amitié, et qu'ils opèrent aussi leur salut selon leur pouvoir, en pratiquant la vertu. Que ceux qui pleurent soient bienheureux; que les pauvres et ceux qui souffrent pour la justice et pour Jésus-Christ leur chef, soient heureux; que les humbles a soient exaltés, et les doux de coeur élevés. Aimons les pacifiques comme nos enfants. Que ceux qui pardonneront, souffriront les injures et aimeront leurs ennemis, nous soient très-chers (2). Préparons-leur à tous une abondance de fruits, de bénédictions de notre grâce, et le prix d'une gloire éternelle dans le ciel. Mon Fils inique établira cette doctrine, et ceux qui la suivront seront nos élus et nos bien-aimés (3), consolés et récompensés; et leurs bonnes oeuvres seront conçues dans notre entendement comme cause première de toute vertu Permettons aux méchants d'opprimer les bons et de coopérer à leur couronne, pendant qu'ils méritent pour eux-mêmes des punitions. Qu'il arrive des scandales à l'égard des bons; que celui qui les cause soit malheureux (4), et bienheureux celui qui les reçoit. Que les enflés d'orgueil, les grands et les puissants affligent, blasphèment et oppriment les humbles, les faibles et les pauvres; et que ceux-ci, au lieu de malédictions, leur donnent des (1) Matth., XI, 28. - (2) Ibid., v, 3-11. - (3) Ibid. XIX, 28. - (4) Ibid., XVIII, 7. 436 bénédictions (1); qu'ils soient réprouvée des hommes durant leur vie mortelle, placés ensuite avec les bienheureux. esprits angéliques nos enfants, et jouissent des places et des récompenses que les infortunés et les malheureux ont perdues. Que les obstinés et a les superbes soient condamnés à la mort éternelle, où ils connaîtront leur procédé imprudent et leur folle arrogance. " 113. " Afin que tous aient un véritable modèle et une grâce surabondante, s'ils en veulent faire leur a profit, que mon Fils descende passible pour réparer a et pour racheter les hommes (que Lucifer fera déchoir de leur état heureux), et relevons-les par ses a mérites infinis. Déterminons à présent que le salut soit fait, et qu'il y ait un Rédempteur et un Maître, qui mérite et enseigne, naissant et vivant pauvre (2), mourant méprisé et condamné par les hommes à une mort très-ignominieuse (3); qu'il a soit réputé pour pécheur et coupable, et qu'il satisfasse à notre justice pour l'offense du péché (4) ; et usons par ses mérites prévus de notre miséricorde et de notre clémence. Que tous sachent que l'humble, le pacifique, et celui qui pratiquera la vertu, qui souffrira et qui pardonnera, celui-là suivra notre Christ et sera notre fils. Que personne a ne pourra entrer par sa volonté libre dans notre royaume, si avant toutes choses il ne renonce à (1) I Cor., IV, 12 et 13. - (2) Matth., VIII, 20. - (3) Sap., II, 20. - (4) Isa., LIII, 12. 437 soi-même, et ne suit son chef et son maître en portant sa croix (1). Et celui-ci sera notre royaume, composé des parfaits qui auront légitimement travaille et combattu, persévérant jusqu'à la fin (2). Ceux-là participeront à la puissance de notre a Christ, qui vient d'Atre faite et déterminée, parce que l'accusateur de ses frères a été vaincu et rejeté: et son triomphe est fait; afin que les relevant et purifiant par son sang, il soit exalté et glorifié; car lui seul sera la voie, la lumière, la vérité et la vie (3), par lequel les hommes viendront à moi. Lui seul ouvrira les portes du ciel et le livre de la loi a de grâce, (4) ; il sera médiateur et avocat des mortels (5), et ils auront en lui un père, un frère et un protecteur, puisqu'ils ont un persécuteur et un a accusateur. Et que les anges, qui comme nos fidèles x enfants ont aussi opéré le salut et la vertu, et défendu la puissance de mon Christ, soient couronnés et honorés en notre présence pendant toute l'éternité. " 114. Cette vois (qui contient les mystères cachés dès la constitution du monde (6), et manifestés par la doctrine et par la vie de Jésus-Christ) sortait du trône, et disait plus que je ne puis expliquer. C'est par elle que les commissions que les anges bienheureux devaient exercer leur furent intimées. Elle déclara à saint Michel et à saint Gabriel qu'ils seraient (1) Matth., XVI, 24. - (2) II Tim., II, 5. - (3) Joan., XIV, 6. - (4) Apoc., VII, 14. - (5) I Joan., II, 1. - (6) Matth., XIII, 35. 438 ambassadeurs du Verbe incarné et de Marie sa très-sainte Mère, et qu'ils seraient ministres de l'incarnation et de la rédemption; et plusieurs autres anges furent destinés avec ces deux princes pour le même ministère, comme je le dirai dans la suite de cet ouvrage. Le Tout-Puissant destina et commanda à d'autres anges d'accompagner et d'assister les âmes; de leur inspirer et enseigner la sainteté et les vertus contraires aux vices auxquels Lucifer avait proposé de les exciter; il leur enjoignit aussi de les défendre, de les garder et de les porter en leurs mains, afin que les justes ne bronchassent contre les pierres (1), qui sont les tromperies et les embûches que leurs ennemis leur devaient tendre. 115. Plusieurs autres choses furent décrétées en cette occasion, ou dans ce temps, auquel l'évangéliste dit que la puissance, le salut, la force et le règne de Jésus- Christ furent faits; mais ce qui s'y opéra mystérieusement fut que les prédestinés y furent déterminés, mis en un certain nombre, et écrits dans l'entendement divin, par les mérites prévus de notre Seigneur Jésus-Christ. O mystère, ô secret ineffable de ce qui se passa dans le sein de Dieu! O heureux sort pour les élus ! Quel point si important, quel mystère si digne de la Toute-Puissance divine, et quel triomphe de la puissance de Jésus-Christ ! Heureux mille et mille fois les membres qui furent déterminés et unis à un tel chef ! O Église grande, peuple (1) Ps. XC, 12. 439 choisi et congrégation sainte, digne d'un tel prélat et d'un tel maître ! En la considération d'un si haut mystère, tous les entendements créés s'abîment, mes raisonnements se suspendent, et ma langue devient muette. 116. Dans le consistoire des trois personnes divines ce livre mystérieux de l'Apocalyse fut donné, et comme consigné au Fils unique du Père éternel, ayant été pour lors composé, signé, et scellé avec les sept sceaux dont l'évangéliste fait mention (1), jusqu'à ce qu'il prit chair humaine, et qu'il l'ouvrît en décachetant par son ordre les sceaux avec tous les mystères qu'il opéra dès sa naissance, pendant sa vie et en sa mort. Ce que le livre contenait était tout ce que la très-sainte Trinité décréta depuis la chute des anges, et qui appartient à l'incarnation du Verbe, à la loi de grâce, aux dix commandements, et aux sept sacrements, à tous les articles de la foi, à ce qu'ils contiennent, à l'ordre et à la disposition de toute l'Église militante, donnant puissance au Verbe, afin que s'étant incarné, il communiquât comme souverain prêtre et saint pontife (2) le pouvoir et les dons nécessaires aux apôtres, aux autres prêtres et ministres de cette Église. 117. La loi évangélique tira de là son principe mystérieux. Dans ce trône et consistoire très-secret fut établi et écrit dans l'entendement divin, que ceux qui garderaient cette loi seraient écrits au livre de (1) Apoc., V, 7. - (2) Hebr., VI, 20. 440 vie. De là sortirent les pontifes et les prélats, de même que leurs titres de successeurs ou vicaires du Père éternel. Les débonnaires, les pauvres, les humbles : et toua les justes n'ont point d'autre principe que sa Majesté, qui fut et qui est leur très-noble origine ; ce qui nous fait dire que qui obéit aux supérieurs obéit à Dieu, et qui les méprise le méprise aussi (1). Tout ceci fut décrété dans les idées et dans l'entendement divins. On y donna à notre Seigneur Jésus-Christ la puissance d'ouvrir en son temps ce livre, qui fut fermé et scellé jusqu'alors. Et en attendant, le Très-Haut donna son Testament et les témoignages de ses paroles divines en la loi naturelle et écrite, par des oeuvres mystérieuses manifestant aux patriarches et aux prophètes une partie de ses secrets. 118. Il dit que par ces témoignages et par le sang de l'Agneau : Les justes le vainquirent (2) ; car quoique le sang de notre Rédempteur Jésus-Christ fût suffisant et surabondant pour rendre tous les mortels vainqueurs du dragon leur accusateur; que les témoignages et les paroles infaillibles de ses prophètes soient d'un très-grand secours et d'une grande force pour arriver au salut éternel; néanmoins les justes coopèrent avec leur libre arbitre à l'efficace de la passion de Jésus-Christ, de la rédemption du monde et des saintes Écritures, et en obtiennent le fruit par les victoires qu'ils remportent sur eux-mêmes et sur (1) Luc, X, 16. - (2) Apoc., XII, 11. 441 le démon, en coopérant à la grâce. Et ils ne le vaincront pas seulement en ce que Dieu commande et demande d'ordinaire; mais par sa vertu et par sa grâce ils y ajouteront encore de donner leurs âmes, et de les sacrifier jusqu'à la mort pour le même Seigneur et pour ses témoignages (1), pour obtenir et pour mériter la couronne et le triomphe de Jésus-Christ, comme les martyrs ont fait pour la défense de la foi. 119. Le texte ajoute à cause de tous ces mystères, et dit: Réjouissez-vous, cieux, et vous qui habitez en eux (2). Réjouissez-vous, parce que vous devez être la demeure éternelle des justes et du Juste des justes, Jésus-Christ, et de sa très-sainte Mère. Réjouissez-vous, cieux, parce que le sort favorable que vous recevez n'est arrivé en aucune créature matérielle et inanimée; puisque vous devez être le palais du Dieu tout-puissant, lui servir d'une éternelle demeure, et recevoir pour votre reine la plus pure et la plus sainte de toutes les créatures. Réjouissez-vous, cieux, pour tous ces avantages, et vous qui habitez ces heureuses demeures, anges et justes, qui devez être associés et ministres de ce Fils du Père éternel et de sa Mère, et membres de ce corps mystique dont le même Jésus-Christ est le chef. Réjouissez-vous, anges fidèles, parce qu'en les secourant et les gouvernant par votre protection et par votre garde, vous augmenterez le pria de votre joie accidentelle. Que saint Michel, (1) Apoc., VI, 9. - (2) Ibid., XII, 12. 442 prince de la milice céleste, se réjouisse singulièrement, parce qu'il a défendu dans la bataille la gloire du Très-Haut et de ses mystères adorables, et qu'il sera ministre de l'incarnation du Verbe, et témoin particulier de ses effets jusqu'à la fin. Que tous ses alliés et défenseurs du nom de Jésus-Christ et de sa Mère se réjouissent avec lui de ce qu'ils ne perdront point dans tous ces ministères la jouissance de la gloire essentielle qu'ils possèdent déjà, et que les cieux fassent fête pour des mystères si relevés et si divins. CHAPITRE X. Qui continue l'explication du chapitre douzième de l'Apocalype. 120. Malheur à vous, terre et mer, car le diable est descendu vers vous dans une grande colère, sachant qu'il ne lui reste que peu de temps (1). Malheur à la terre, où tant de péchés et de méchancetés innombrables se doivent commettre! Malheur à la mer de ce que de telles offenses de son Créateur se commettant à sa vue, elle n'a pas rompu ses barrières pour (1) Apoc., XII, 12. 443 inonder et noyer, les transgresseurs, vengeant les injures de son Seigneur ! Mais malheur à la mer profonde et endurcie en méchanceté de ceux qui ont suivi ce diable, qui est descendu vers vous pour vous faire la plus cruelle et la plus inouïe de toutes les guerres! Sa rage est celle du plus fier des dragons, et surpasse celle d'un lion dévorant (1); car il prétend anéantir toutes choses, et il lui semble que tons les siècles sont courts pour exécuter son courroux. Telle est la, soif et l'avidité insatiable qu'il a de nuire aux mortels; car tout le temps de leur vie ne lui suffit pas, parce qu'elle doit finir, et sa fureur souhaiterait des temps éternels, s'ils étaient possibles, pour faire la guerre aux enfants de Dieu. Et surtout la colère qu'il a contre cette heureuse femme qui lui doit écraser la tète (2) est implacable. C'est pourquoi l'évangéliste ajoute 121. Quand donc le dragon eut vu qu'il était rejeté en terre, il persécuta la femme qui avait enfanté le Fils (3). Quand le serpent ancien eut vu le lieu et l'état très- malheureux ce il était tombé, ayant été lancé du ciel empyrée, il brillait d'une plus grande fureur et d'une plus cruelle envie, se rongeant comme une vipère les entrailles. Il conçut une telle indignation contre cette femme, Mère du Verbe humanisé, qu'il surpassa tout ce qui s'en peut dire et concevoir. Il s'en découvre néanmoins quelque chose par ce qui arriva immédiatement après que ce dragon fut précipité (1) I Petr., V, 8. - (2) Gen., III,15. - (3) Apoc., XII, 13. 444 dans les enfers avec ses troupes de méchancetés, que je raconterai ici le mieux qu'il me sera possible et selon que l'intelligence me l'a manifesté. 122. Pendant toute la première semaine dont la Genèse fait mention, en laquelle Dieu s'appliquait il la création du monde et de ses créatures, Lucifer et les démons s'occupèrent à conférer ensemble pour inventer des méchancetés contre le Verbe qui se devait humaniser, et contre la femme dont il devait naître. Le premier jour, qui répond au dimanche, les anges furent créés, il leur fat donné une loi et des préceptes sur ce en quoi ils devaient obéir; les mauvais y furent désobéissants et transgressèrent les commandements du Seigneur, et par la disposition de la divine Providence toutes les choses susdites arrivèrent jusqu'au matin du second jour, qui répond su lundi, auquel Lucifer et tous ceux de son parti furent précipités dans l'enfer. Ces stations, ces demeures ou ces intervalles des anges, de leur création, opérations, bataille et chuté, ou glorification, répondirent à cet espace de temps. Dans l'instant que Lucifer et ses associés eurent fait leur première et funeste.entrée dans l'enfer, ils y tinrent un conciliabule, qui dura jusqu'au jour qui répond su matin du jeudi. Lucifer employa pendant ce temps-là tout son savoir et toute sa malice diabolique à conférer avec les démons sur les moyens qu'ils pourraient trouver pour offenser Dieu davantage et se venger du châtiment dont il les avait punis. Leur conclusion fut que, comme ils connaissaient que Dieu devait aimer tendrement les (445) hommes, la plus grande vengeance qu'ils en pourraient avoir et la plus grande injure qu'ils lui pourraient faire, serait d'empêcher les effets de cet amour, en trompant, persuadant et incitant autant qu il leur serait possible les mêmes hommes à perdre l'amitié et la grâce de Dieu, à lui être ingrats et rebelles à sa volonté. 123. " Nous devons travailler à y réussir (disait Lucifer), et employer pour cela toutes nos forces, tous nos soins et toute notre science; nous soumettrons, les hommes à notre loi et à notre volonté pour les détruire; nous persécuterons la nature humaine et la priverons de la récompense qui luit a été promise. Procurons fortement qu'ils n'arrivent point à voir la face de Dieu, puisque nous en avons été privés injustement. Je dois remporter de grands triomphes sur eus, je les détruirai et je les réduirai à ma volonté.. Je sèmerai de nouvelles doctrines, des erreurs et des lois entièrement contraires à celles du Très-Haut. Je choisirai et j'élèverai parmi ces hommes des prophètes et des chefs de nouveautés, qui répandront les doctrines; que je sèmerai parmi eux (1); et pour me venger de leur Créateur, je les placerai ensuite avec moi dans ce profond tourment. J'affligerai les pauvres, j'opprimerai les affligés et je persécuterai les humbles; je sèmerai des discordes, je causerai des guerres, je susciterai des dissensions, et je formerai des superbes et des téméraires : je prolongerai la loi (1) Job., I, 3. 446 du péché, et quand ils s'y seront soumis, je les ensevelirai dans ce feu éternel; et ceux qui me seront les plus fidèles seront les plus tourmentés. Et c'est en cela que consistera mon royaume et la récompense de mes serviteurs. 126. " Je ferai une cruelle guerre au Verbe incarné, bien qu'il soit Dieu, puisqu'il sera homme aussi, d'une nature inférieure à la mienne. J'élèverai mon trône au- dessus du sien et ma dignité au-dessus de la sienne, je le vaincrai et l'abattrai par ma puissance et par mes ruses; la femme qui doit être sa Mère périra par mes mains. Comment une seule femme pourra-t-elle résister à ma puissance et nuire à ma grandeur? Et vous, ô démons! qui êtes insultés avec moi, suivez-moi et m'obéissez en cette vengeance, comme vous l'avez fait dans la désobéissance. Feignez d'aimer les hommes, pour les perdre, et de les servir, pour les détruire et les tromper; vous les assisterez pour les pervertir et les mener dans mes enfers. " Il n'est pas possible d'exprimer la malice et la fureur de ce premier conciliabule que Lucifer tint dans l'enfer contre le genre humain, qui n'était point encore, mais parce qu'il devait être. Tous les vices et tous les péchés du monde y furent inventés, le mensonge, les sectes et les erreurs en sortirent; toute sorte d'iniquités reçut son origine de ce chaos et de cette assemblée abominable; et tous ceux qui pratiquent le mal sont les esclaves de ce prince des ténèbres. 125. Ce conciliabule étant achevé, Lucifer désira de parler à Dieu, et sa Majesté lui en donna la (447) permission par ses jugements profonds. Cela arriva de la manière dont Satan parla quand il demanda le pouvoir de tenter Job (1) ; puis arriva le jour qui répond au jeudi; et il dit au Très-Haut : a Seigneur, puisque votre main m'a été si pesante, me punissant avec tant dé cruauté, et que vous avez déterminé tout ce qu'il vous a plu en faveur des hommes que vous voulez créer, voulant si fort agrandir et élever le Verbe incarné, et enrichir avec lui la femme qui doit être sa Mère par tous es dons que vous lui destinez soyez donc équitable et juste, et puisque vous m'avez donné la permission de persécuter les autres hommes, donnez-la-moi aussi de pouvoir tenter ce Christ Dieu et homme et la femme dont il doit naître et leur faire la guerre. Donnez-moi permission d'y employer tontes mes forces. " Lucifer tint alors d'autres discours, et il s'humilia à demander cette licence (l'humilité étant si fort opposée à son orgueil), parée que la rage et le désir démesuré qu'il avait d'obtenir ce qu'il souhaitait étaient si grands, qu'ils firent plier son orgueil, une méchanceté cédant à une autre; car il connaissait qu'il ne pouvait rien entreprendre sans la permission du Tout-Puissant. Et il se serait humilié une infinité de fois pour pouvoir tenter notre Seigneur Jésus-Christ, et singulièrement sa très-sainte Mère, appréhendant qu'elle ne lui écrasât la tête. 126. Le Seigneur lui répondit : " Tu ne dois pas, (1) Job., I, 3. 448 Satan, par justice, demander cette permission ; car le Verbe incarné est ton Dieu, ton Seigneur toutes puissant et ton Souverain, quoiqu'il doive être a. homme véritable tout ensemble, et tu n'es que sa. a créature. Que si les autres hommes pèchent et que tu les soumettes par leurs péchés à ta volonté, il n'est pas possible que tu trouves le péché en mon Fils unique incarné. Si les hommes deviennent par ton moyen esclaves du péché, le Christ doit être saint, juste et séparé des pécheurs (1), qu'il rachètera et relèvera s'ils tombent. Cette femme contre qui tu es si fort enragé, quoiqu'elle soit une pure créature et fille d'un pur homme, sera néanmoins par ma détermination préservée du péché, et elle a sera toujours toute mienne; et je ne veux pas que par aucun titre et par aucun droit tu aies jamais sur elle aucun pouvoir. " 127. A, quoi Satan repartit : " Quel mérite et quelle sainteté si singulière trouvera- t-on en cette femme si elle ne doit jamais avoir aucun ennemi qui. la persécuté et qui l'incite au péché? Cela n'est nullement de l'équité ni de la droite justice, et ne peut être ni raisonnable, ni louable. " Lucifer ajouta plusieurs autres blasphèmes avec un orgueil téméraire. Mais le, Très-Haut, qui dispose tout avec une sagesse. infinie, lui répondit : " Je te permets de tenter le Christ, car il sera en ceci le modèle et le maître des autres. Je te permets aussi de persécuter cette (1) Hebr., VII, 26. 449 à femme, mais tu ne la toucheras pas en sa vie naturelle, ne voulant pas en ceci exempter le Christ u et sa Mère, mais au contraire je consens que tu lés a tentes comme les autres. " Le dragon fut plus satisfait de cette permission que de toutes celles qu'il avait reçues de. persécuter tous lés hommes en général; et il détermina d'y porter un plus grand soin dans l'exécution (comme il fit en effet), qu'en aucun autre de ses ouvrages, et dune se fier en cela à aucun autre démon, mais d'en prendre lui-même le soin. Et c'est pourquoi l'évangéliste continue : 128. Le dragon persécuta la femme qui avait enfanté le Fils : parce qu'en ayant obtenu la permission du Seigneur, il combattit d'une manière inouïe et persécuta celle qu'il s'imaginait pouvoir être la Mère de Dieu incarné. Et parce que je dirai en son lieu quels furent ces essais et ces combats, je dis seulement ici qu'ils furent au- dessus de toute imagination humaine. La manière d'y résister et de les vaincre avec tant de gloire fut aussi admirable, puisqu'il est dit que pour se défendre du dragon : Il lui fut donné deux ailes d'un grand aigle, afin quelle s'envolât dans le désert en son lieu, où elle est nourrie pendant un temps et des temps (1). La très-sainte Vierge reçut ces deux ailes avant que, d'entrer en ce combat, car le Seigneur la prévint par des dons et des faveurs particulières. L'une des ailes fut une science infuse qu'elle reçut de nouveau des plus grands (1) Apoc., XII, 14. 450 mystères et des secrets divins. L'autre fut une nouvelle et très-profonde humilité, comme je l'expliquerai dans la suite. Elle s'envola avec ces deux ailes vers le Seigneur, comme vers son centre, car elle ne vivait et n'opérait qu'en lui seul. Elle vola comme un sigle royal, sans jamais se tourner du côté de l'ennemi, étant la seule en ce vol, vivant dans un lieu désert de tout.ce qui est créé et terrestre, et seule avec la seule Divinité, sa dernière fin. Dans cette solitude, elle fut nourrie pendant un temps et des temps; nourrie de la très-douce manne et de l'aliment de la grâce et des paroles divines; et fortifiée par les faveurs du bras du Tout-Puissant, pour un temps et par des temps ; parce qu'elle reçut durant sa vie cette nourriture, et principalement dans ce temps auquel elle soutint les plus grands efforts de Lucifer, car elle fut alors secourue par des faveurs plus grandes et plus proportionnées. Pour un temps et par des temps s'explique aussi de cette félicité éternelle où toutes ses victoires furent récompensées et couronnées. 129. Et la moitié d'un temps hors de la présence du serpent (1). Cette moitié de temps fut celui que la très-sainte Vierge vécut sur la terre, délivrée de la persécution du dragon et de; sa présence; car, après l'avoir vaincu dans les combats qu'elle eut avec lui par la disposition divine, elle en fut délivrée comme victorieuse. Et ce privilège lui fut accordé, afin qu'elle jouit de la paix et du calme qu'elle avait mérité étant victorieuse (1) Apoc., XII, 14. 451 de l'ennemi, comme je le dirai ci-après. Mais l'évangéliste dit que, pendant que la persécution dura, le serpent jeta de sa gueule après la femme comme un fleuve d'eau, afin qu'elle fût emportée parle courant mais la femme fut secourue par la terre, qui s'ouvrit et engloutit le fleure que le dragon avait jeté (1). Lucifer exerça toute sa malice et toutes ses forces contre cette divine Reine, et lui en donna les prémices, parce que tous ceux qui en ont été tentés lui étaient moins importants que la seule Marie. Et les tromperies, les méchancetés et les tentations sortaient avec plus de violence de la gueule de ce dragon coutre elle, que les eaux impétueuses d'un fleuve précipité ne courent dans leurs abîmes. Mais la terre lui fut favorable, parce que la terre de son corps et de ses passions ne fut point maudite, et n'eut aucune part ù cette sentence ni au châtiment que Dieu fulmina contre nous en Adam et Ève, que notre terre serait maudite, et qu'elle produirait des épines au lieu de fruits (2), restant blessée en sa nature par l'aiguillon du péché, qui nous pique et nous contrarie toujours, et dont le démon se sert pour perdre les hommes, car il trouve en nous ces armes si fortes et si puissantes contre nous- mêmes; et, se prévalant de nos propres inclinations, il nous entraîne par des charmes trompeurs, par des plaisirs apparents et par ses fausses persuasions, après les objets sensibles et terrestres. 130. Mais la très-pure Marie, qui fut une terre (1) Apoc., XII, 15 et 16. - (2) Gen., III, 17 et 18. sainte et bénie du Seigneur, sans aucune atteinte de ce fatal aiguillon ni d'aucun autre effet du péché, était si assurée en la terre, qu'elle n'en pouvait recevoir aucun dommage; au contraire, elle füt favorisée par ses inclinations très-bien réglées et entièrement soumises à la raison et à la grâce. Ainsi elle s'ouvrit pour engloutir le fleuve des tentations que le dragon lui vomissait inutilement, car il n'y trouva pas la matière disposée ni aucun penchant au péché, comme il arrive aux autres enfants d'Adam, dont les passions dépravées et terrestres aident plutôt à grossir ce fleuve qu'à le tarir, parce que nos passions et notre nature corrompue s'opposent toujours à la raison et à la vertu. Le dragon connaissant combien ses prétentions étaient inutiles contre cette mystérieuse femme, il est ajouté : 131. Ce qui anima le dragon contre la femme; et il s'en alla faire la guerre aux autres de sa génération qui gardent les commandements de Dieu et qui ont le témoignage de Jésus-Christ (1). Ce grand dragon ayant été entièrement vaincu par la glorieuse Reine de tout ce qui est créé, s'en alla pour éviter la confusion du nouveau tourment que lui et tout l'enfer devaient recevoir de sa,témérité, et se détermina de faire une cruelle guerre aux autres âmes de la même espèce et génération que la très-sainte Vierge, qui sont les fidèles marqués en leur baptême du caractère et du sang de Jésus-Christ pour garder ses témoignages. Car Lucifer et ses mous tournèrent toute leur rage avec plus de violence (1) Apoc., XII, 17. 453 contre la sainte Église et contre ses membres, quand ils virent qu'ils ne pouvaient rien gagner contre notre Seigneur Jésus-Christ leur chef, ni contre sa très-sainte Mère, s'attachant singulièrement à faire la guerre avec une indignation particulière aux vierges consacrées à Jésus-Christ, et faisant tout leur possible pour détruire cette vertu de chasteté virginale, comme une semence choisie, et comme les précieux gages de la très-chaste Vierge et Mère de l'Agneau. C'est pourquoi l'Évangéliste dit, en achevant le chapitre, que : 132. Le dragon s'arrêta sur le sablon de la mer (1), qui est la vanité méprisable de ce monde, dont le dragon se nourrit et la broute comme de l'herbe. Tout ceci se passa dans le ciel, et -plusieurs choses furent manifestées aux anges dans les décrets de la volonté divine touchant les privilèges qui s'y préparaient pour la Mère du Verbe, dans le sein de laquelle il devait se faire homme. Je n'ai pas bien pu déclarer tout ce que j'en ai découvert; car je suis devenue plus pauvre par l'abondance des mystères, et les termes me manquent pour les exprimer. (1) Apoc., XII, 18. 454 CHAPITRE XI. Que le Tout-Puissant en la création de toutes choses eut notre Seigneur Jésus-Christ et sa très-sainte Mère présents, et qu'il élut et favorisa son peuple figurant ces mystères. 133. La Sagesse, parlant de soi-même, dit au chapitre huitième des Proverbes, qu'elle se trouva présente en la création de toutes choses avec le Très-Haut. Et j'ai déjà dit que cette sagesse est le Verbe incarné, qui était présent avec sa très-sainte Mère lorsque Dieu déterminait dans son entendement divin la création de tout le monde; car dans cet instant non-seulement le Fils était avec le Père éternel et avec le Saint-Esprit en l'unité de la nature divine, mais aussi l'humanité qu'il devait prendre était, en premier lieu de tout ce qui est créé, prévue et désignée dans l'entendement du Père éternel; et avec son humanité, sa très-sainte Mère, qui devait la lui administrer du plus pur de son sang. En ces deux personnes tous ses ouvrages furent prévus, et à leur considération le Très-Haut s'obligeait, à notre façon de parler, de ne pas faire cas de toutes les ingratitudes que le genre humant et les anges mêmes qui prévariquèrent pouvaient commettre, et de ne pas laisser pourtant de procéder à la (455) création de ce qui restait à faire, et des autres créatures qu'il préparait pour le service de l'homme. 134. Le Très-Haut regardait son Fils unique humanisé et sa très-sainte Mère comme des modèles qu'il venait de former par la grandeur de sa sagesse et de son pouvoir, pour sen servir comme d'originaux, sur lesquels il copiait tout le genre humain; et parce que ces deux images avaient une grande ressemblance à sa divinité, toutes les autres aussi, par rapport à ces deux modèles, seraient formées sur cette ressemblance de la Divinité. Il créa aussi les choses matérielles qui sont nécessaires à la vie humaine, mais avec une telle sagesse, que quelques-unes servissent aussi de symboles qui représentassent en .quelque façon les deux objets, Jésus-Christ et Marie, sur lesquels il arrêtait principalement sa vue, et auxquels elles devaient servir. C'est pourquoi il fit ces deux grandes lumières du ciel, le soleil et la lune, afin qu'en divisant la nuit d'avec le jour (1), elles nous représentassent le Soleil de justice, Jésus-Christ, et sa très-sainte Mère, qui est belle comme la lune (2), lesquels divisent le jour de la grâce de la nuit du péché; et par ses continuelles influences le soleil éclairant la lune, les deux ensemble éclairent toutes les créatures, depuis le firmament et ses astres jusqu'au bout de l'univers. 135. Il créa les autres choses et en augmenta la perfection, voyant qu'elles devaient servir à Jésus-Christ, à la très-pure Marie, et à leur considération (1) Gen., I, 16. - (2) Cant., VI, 9. 456 aux autres hommes; auxquels il prépara, avant que de les tirer du néant, une table fort délicate, très-abondante et très-assurée, et bien plus mémorable que celle d'Assuérus (1), parce qu'il les devait créer pour ses plaisirs, et les convier aux saintes délices de sa connaissance et de son amour : il ne voulut pas, comme discret et magnifique Seigneur, que le convié attendit, mais que ce fût tout une même chose d'être créé et de se trouver assis à la table de sa connaissance et de son amour, afin qu'il ne fût point distrait en ce qu'il lui était si important, que de reconnaître et de louer son Créateur tout-puissant. 136. Au sixième jour de la création, il forma et créa Adam (2) comme dans un état de trente-trois ans; le même âge que notre Seigneur Jésus-Christ devait avoir au 'temps de sa mort, si semblable en son corps et en son âme à sa très-sainte humanité, qü à peine on l'aurait distingué. D'Adam il forma Ève, qui ressemblait si fort à la sainte Vierge, qu'elle la représentait en tous 1e traits de son visage et en sa personne. Le Seigneur regardait avec une extrême complaisance et avec un amour égal ces deux portraits des deux originaux qu'il devait créer en son temps; et, en leur considération, il donna de grandes bénédictions à leurs copies, comme pour entretenir avec eux et avec leurs descendants un commerce de charité, jusqu'à ce que le jour arrivât auquel il devait former Jésus et Marie. 137. Mais l'heureux. état auquel Dieu avait créé les (1) Esther., I, 3. - (1) Gen., I, 27. 457 deux premiers parents du. genre humain dura fort peu : parce que, aussitôt qu'ils furent créés, l'envie du serpent, qui était comme à l'affût, s'éleva contre eux quoique Lucifer ne pût point apercevoir la formation d'Adam et d'Ève, comme il aperçut celle des autres . créatures à l'instant qu'elles furent produites, car le Seigneur ne lui voulut point manifester l'ouvrage de la création de l'homme, ni la formation d'Ève de la côte d'Adam (1); sa Majesté lui cachant tout cela l'espace de quelque temps, pendant lequel ils vécurent ensemble. Mais quand le démon eut vu la disposition admirable de la nature humaine sur tout le reste; la beauté de lame et celle du corps d'Adam et d'Ève, et qu'il eut connu l'amour paternel que le Seigneur leur portait, et qui les faisait maîtres et souverains de tout ce qui était créé, leur faisant espérer outre cela la vie éternelle, ce fut alors que la rage de ce dragon devint plus furieuse, et il n'y a aucune langue qui puisse exprimer les convulsions et les troubles que cette bête féroce eu conçut, son envie effrénée lui inspirant de leur ôter la vie. Il l'aurait fait comme un lion dévorant, s'il n'eut ressenti une force supérieure qui l'en empêchait mais il méditait et cherchait les moyens de les faire déchoir de la grâce du très-Haut et de les rendre rebelles à leur Créateur. 138. Lucifer s'éblouit ici et se trouva dans de grands doutes, parce que, comme le Seigneur lui avait manifesté dès le commencement que le Verbe se devait faire (1) Gen., I,28. 458 homme dans le sein de la très-sainte Vierge, sans lui déclarer ni en quel lieu, ni quand ce mystère se devait accomplir; il lui cacha la création d'Adam et la formation d'Ève, afin qu'il commençât dès lors à ressentir cette ignorance du mystère et du temps de l'incarnation. Or, comme sa colère et tous ses soins étaient tendus singulièrement contre Jésus-Christ et Marie, il douta qu'Adam ne fût sorti d'Ève, et qu'elle ne fût la Mère, et lui le Verbe incarné. Et le doute que le démon avait s'augmentait d'autant plus qu'il ressentait cette vertu divine qui l'empêchait de les offenser en leur vie. Mais comme il connut d'ailleurs les préceptes que Dieu leur fit incontinent (car ils ne lui furent point cachés, les découvrant dans la conférence qu'Adam et Ève en eurent ensemble), il sortait insensiblement de son doute, épiant les entretiens des deux premiers parents et sondant leur naturel, commençant dès lors à rôder autour d'eux comme un lion affamé (1), et à s'introduire dans leurs esprits par la connaissance de leurs inclinations. Néanmoins, jusqu'à ce qu'il en fût tout à fait désabusé, il chancelait toujours entre la haine irréconciliable qu'il portait à Jésus-Christ et à sa Mère, et la crainte qu'il avait d'être vaincu par lai : outre qu'il craignait que la Reine du ciel ne le vainquit, bien qu'elle ne fuit qu une pure créature, et non pas un Dieu. 139. Or, considérant le précepte qu'Adam et Ève avaient reçu, armé d'un mensonge trompeur, avec ce (1) I Petr., V, 8. 459 secours il résolut de les tenter, commençant de contredire et de s'opposer avec tous ses efforts à la volonté divine. Ce ne fut pas l'homme qu'il attaqua le premier, mais la femme, parce qu'il la connut d'un naturel plus délicat et plus faible; ayant plus d'espérance de remporter ses prétendus avantages sur elle, qu'il savait bien n'être pas aussi forte pour lui résister que Jésus-Christ, au cas qu'Adam l'eût été; outre qu'il avait conçu une très grande indignation contre elle, depuis le signe qu'il avait vu su ciel, et depuis les menaces que Dieu lui avait faites de cette femme. Toutes ces considérations l'entraînèrent et l'émurent plutôt contre Éve que contre Adam : avant que de se déclarer à elle, il lui envoya plusieurs pensées ou imaginations fortes et désordonnées comme ses avant-coureurs, pour la rendre en quelque façon disposée par les troubles que ses passions en recevraient. Et parce que j'en écrirai quelque chose dans un autre endroit, je ne m'étends pas ici à dire avec combien de violence et de cruauté il la tenta; il suffit a mon propos qu'on sache pour le présent ce que les Écritures saintes en disent, et c'est qu'il prit la forme d'un serpent, et que sous cette forme il parla à Ève (1), qui prêta l'oreille A sa conversation, qu'elle ne devait point écouter; puisqu'en l'écoutant et y répondant elle commença à y donner créance, et ensuite à transgresser le précepte pour soi, et enfin à persuader à son mari d'enfreindre la loi qu'il avait reçue, à son grand dommage et à (1) Gen., III, 1. 460 celui de tous les autres, perdant potin eux et pour nous cet heureux état auquel le Très-Haut les avait mis. 140. Quand Lucifer vit leur chute, et que leur beauté intérieure par la grâce et la justice originelle s'était changée en la difformité du péché, le transport et le triomphe qu'il en témoigna à ses démons furent incroyables. Mais sa satisfaction ne fut pas de longue durée, parce qu'il connut d'abord avec combien de clémence (contre ce qu'il désirait) l'amour miséricordieux de Dieu s'était montré ù l'égard des criminels, et qu'il leur avait donné lieu de faire pénitence, d'en espérer le pardon et le retour de sa grâce; à quoi ils se disposaient par leur douleur et par leur contrition. Lucifer connut aussi qu'on leur rendait la beauté de la grâce et l'amitié du Seigneur, ce qui mit de nouveau dans le trouble tout l'enfer, voyant les heureux effets de la contrition. Et ses gémissements s'accrurent beaucoup plus, entendant la sentence que Dieu fulminait coutre les coupables, en laquelle le démon s'aveuglait, ne sachant à quoi se déterminer : et surtout ce lui fut un nouveau tourment d'ouïr qu'on lui renouvelait cette menace sur la terre : La femme t'écrasera la tête (1), comme elle lui avait été faite dans le ciel. 141. Les couches d'Ève se multiplièrent après le péché, par lequel se fit la distinction et la multiplication des bons et des mauvais, des élus et des réprouvés, les uns qui suivent Jésus-Christ notre Rédempteur (1) Gen., III, 15. 461 et notre Maître, et les autres Satan. Les élus suivent leur chef par la foi, l'humilité, la charité, la patience et par toutes les vertus : et pour remporter le triomphe il sont secourus, aidés et embellis de la divine grâce et des dons que le même Seigneur et restaurateur de. tous leur a mérités. Mais les réprouvés, sans recevoir des bienfaits et des faveurs semblables de leur cruel maître, ni en attendre d'autre récompense que la peine et la confusion éternelle de l'enfer, le suivent par orgueil, par présomption, par ambition, par toutes sortes d' impuretés et de méchancetés, qui partent du père du mensonge et de l'auteur du péché. 142. Nonobstant ce péché, l'ineffable bénignité du Très-Haut leur donna sa bénédiction, afin qu'avec elle ils crussent, et que le genre humain se multipliait. Mais sa divine providence permit que le premier enfantement d'Ève portât les prémices du premier péché en la personne de l'injuste Caïn, et que le second figurait, en celle de l'innocent Abel (1), le réparateur du péché, notre Seigneur Jésus-Christ; commençant tout à la fois de le représenter en la figure et en l'imitation, afin qu'en la personne du premier juste commençassent la loi et la doctrine de Jésus-Christ, dont tous les autres doivent être disciples, en souffrant pour la justice et étant laits et opprimés des pécheurs, des réprouvés et de leurs propres frères (2). C'est pourquoi la patience, l'humilité et la douceur eurent leurs prémices en Abel; et en Caïn, l'envie et toutes les (1) Gen., IV, 1. - (2) Matth., X, 21 et 22. méchancetés qu'il pratiqua pour le bonheur du juste et pour sa propre perte, le méchant triomphant, et le bon endurant; et l'on trouve en ces spectacles le commencement de ceux qui devaient ensuite arriver dans le monde, composé de deux villes bien contraires, de Jérusalem pour les justes, et de Babylone pour les réprouvés, chacune ayant son chef pour le bonheur des uns et pour le malheur des autres. 143. Le Très-Haut voulut aussi que le premier Adam fût la figure du second en la manière de la création; puisque, par préférence au premier, il créa pour lui et ordonna la république de toutes les créatures, dont il le faisait le seigneur et le chef : ainsi il laissa passer plusieurs siècles avant que d'envoyer son Fils unique, afin qu'il trouvât eu la multiplication du genre humain un peuple dont il devait être 1e chef, le maître et le roi naturel, et afin qu'il ne fût pas un seul moment sans royaume et sans sujets; la sagesse divine disposant toutes choses avec cet ordre admirable, et voulant que celui qui avait été le premier dans l'intention, fût le dernier dans l'exécution. 144. Le temps s'approchant auquel le Verbe devait descendre du sein du l'ère éternel pour se revêtir de notre mortalité, Dieu élut et prévint un peuple choisi et très-noble, le plus admirable de tous ceux qui l'avaient précédé et qui devaient le suivre; et dans ce peuple une lignée illustre et sainte, dont le Verbe devait descendre selon la chair humaine. Je ne m'arrête pas à raconter cette généalogie de notre Seigneur (463) Jésus-Christ, parce que cela n'est pas nécessaire et que les saints Évangélistes en font une assez ample mention (1). Je dis seulement, avec toutes les louanges que je puis rendre au Très-Haut, qu'il m'a découvert en plusieurs: occasions et en divers temps le grand amour qu'il porta à son peuple, les faveurs qu'il lui fit et les mystères qu il renfermait, comme ils ont ensuite été manifestés en sa sainte Église, sans que celui qui s'était constitué défenseur et protecteur d'Israël, ait jamais discontinué ses soins. 145. Il suscita des prophètes et de très-saints patriarches qui nous devaient montrer et annoncer de loin ce que nous possédons présentement, afin que nous l'honorions, connaissant la grande estime qu'ils firent de la loi de grâce, et avec combien d'élans et d'ardeur ils la souhaitèrent et la demandèrent. Dieu manifesta à ce peuple son esprit immuable par plusieurs révélations, et ils nous le manifestèrent par les Écritures, qui renferment des mystères immenses que nous devions développer et contraire par la foi, le Verbe incarné les ayant tous accomplis et autorisés, nous laissant par là une doctrine fidèle et assurée, et l'aliment spirituel des Écritures saintes pour sou Église. Et bien que les prophètes et les justes de ce peuple n'aient pu jouir de la vue corporelle de Jésus-Christ, néanmoins le Seigneur leur fut très-libéral en se manifestant à eux par les prophéties et en excitant leurs affections, afin qu'ils sollicitassent sa venue et (1) Matth., I ; Luc., III. 464 et qu'ils demandassent la rédemption de tout le genre humain. L'assemblage uniforme de toutes ces prophéties, de tous les mystères et de tous les soupirs des anciens Pères, étaient pour le Très-Haut une musique très-harmonieuse qui raisonnait au plus profond de son sein; de manière (qu'à notre façon de parler) il suspendait le temps, et ne laissait pas de le hâter pour descendre sur la terre et pour venir converser avec les hommes. 146. Sans me trop arrêter sur ce que le Seigneur m'en a fait connaître, et pour arriver aux préparations que je cherche et que ce Seigneur fit pour envoyer le Verbe humanisé et sa très-sainte Mère au monde, je les dirai succinctement, selon l'ordre des Écritures saintes. La Genèse contient ce qui regarde le commencement et la création du monde pour le genre humain; le partage des terres et des peuples, le châtiment et la restauration du genre humain, la confusion des langues, l'origine du peuple élu, sa descente en Égypte; et plusieurs autres grands mystères que Dieu déclara à Moïse, afin de, nous faire connaître par son moyen l'amour et la justice qu'il avait montrés dès le commencement aux hommes, pour les attirer à sa connaissance et à son service, et pour marquer ce qu'il avait déterminé de faire à l'avenir. 147. L'Exode contient les aventures du peuple élu, les plaies et les châtiments que Dieu envoya pour le racheter avec mystère, la sortie d'Égypte et le passage de la mer, la loi écrite donnée avec tant (465) d'appareils et de merveilles; et plusieurs autres, mystères qu'il opéra pour son peuple, affligeant quelquefois ses ennemis et d'autres fois ce même peuple, châtiant les uns comme un juge sévère, corrigeant l'autre comme un très-bon père, lui enseignant à connaître ses bienfaits dans les afflictions. Il fit de grands prodiges par la verge de Moïise, qui figurait la croix, ou le Verbe incarné devait être l'agneau sacrifié pour le remède des uns et pour la ruine des autres (1), comme la verge l'était et le fut en la mer Rouge, défendant le peuple en élevant autour de lui des remparts d'eau, et y faisant périr les Égyptiens. Et ainsi il formait un tissu avec tous ces mystères de la vie des saints, mêlée de joies et de pleurs, de tristesse et de consolation; copiant avec une sagesse infinie et une providence admirable toutes ces mystérieuses vicissitudes, sur la vie et sur la mort prévue de notre Seigneur Jésus-Christ. 148. Dans le Lévitique on décrit.et on ordonne plusieurs sacrifices et cérémonies légales pour apaiser Dieu, parce qu'ils signifiaient l'Agneau qui se devait sacrifier pour tous, et ensuite nous immoler avec lui à sa Majesté divine, lorsqu'il exécuterait dans le temps la vérité de ces sacrifices et de ces figures. Il déclare aussi les vêtements du souverain prêtre Aaron, figure de Jésus-Christ, quoiqu'il ne doive pas être d'un ordre si inférieur, mais selon l'ordre de Melchisédech (2). (1) Luc., II, 34. - (2) Ps. CIX, 4. 466 149. Les Nombres contiennent les demeures du désert, figurant la conduite que le Père voulait garder avec la' sainte Église, avec son Fils unique fait homme et avec la sacrée Vierge; et aussi avec les autres juges; car, selon les divers sens, ils sont tous renfermés dans ces événements de la colonne de feu, de la manne, de la pierre dont l'eau sortit, et de plusieurs autres grands mystères qu'ils contiennent en d'autres choses. Ils renferment aussi les mystères qui sont attachés aux divers nombres, contenant en tout de très-profonds secrets. 150. Le Deutéronome est comme une seconde loi, qui n'est pas différente, mais réitérée d'une autre manière, et une figure plus singulière de la loi évangélique; parce que l'incarnation du Verbe devant être différée (par les secrets jugements de Dieu et pour les raisons de convenance connues à sa divine sagesse), ce même Dieu renouvelait et préparait des lois qui eussent quelque, conformité avec celles qu'il devait ensuite établir par son Fils unique. 151. Josué introduit le peuple de Dieu en la terre de promission, et la lui distribue, ayant passé le Jourdain, faisant des actions héroïques et figurant assez clairement notre Rédempteur, tant en son nom qu'en ses oeuvres; en quoi il représenta la destruction des royaumes que le démon possédait, et la séparation qui se fera des bons d'aveu les méchants au dernier jour. 152. Après Josué (le peuple avant déjà pris possession de la terre promise et désirée, qui (467) représentait premièrement et singulièrement l'Église que Jésus-Christ s'était acquise par le prix de son sang), suit le livre des juges, que Dieu ordonnait pour la conduite de son peuple, particulièrement dans les guerres qu'il souffrait des Philistins et des autres ennemis ses voisins, pour ses péchés et ses idolâtries continuelles; mais il le protégeait et le délivrait quand il se convertissait à lui par la pénitence et par le changement de vie. On raconte dans ce livre ce que firent ces deux femmes fortes et vaillantes, Débora et Jabel, l'une jugeant le peuple et le délivrant d'une grande oppression; l'autre contribuant à la victoire qu'il remporta sur ses ennemis : toutes ces histoires étant des figures manifestes et des témoignages évidents de ce qui se passe dans l'Église. 153. En suite du livre des Juges, nous lisons ceux des Rois, que les Israélites demandèrent pour se conformer au gouvernement des autres peuples. Ces livres contiennent de grands mystères de la venue du Messie.l a mort du grand prêtre Héli et celle du roi Saül signifient l'abrogation de la loi ancienne. Sadoc et David figurent le nouveau règne et la prêtrise de Jésus-Christ et l'Église, avec le petit nombre qu'il devait y avoir en comparaison du reste du monde. Les autres rois d'Israël et de Juda et leurs captivités dénotent d'autres grands mystères de cette sainte Église. 154. Dans ces temps vint le très-patient Job, dont les paroles sont si mystérieuses, qu'il n'y en a aucune sans quelque profond mystère de la vie de notre Seigneur (468) Jésus-Christ, de la résurrection des morts et du jugement dernier, en la même chair que chaque homme aura eue dans le monde; de la violence, des ruses et des attaques du démon. Et surtout Dieu le proposa à tous les mortels comme un miroir de patience, afin que nous apprissions tous par ses exemples comment nous devons souffrir les afflictions après la mort de Jésus-Christ, que nous avons présente, puisque, avant quelle arrivât et le prévoyant de si loin, ce saint l'imita avec tant de patience. 155. Mais en la grande multitude des prophètes que Dieu envoya à son peuple pendant le règne de ses rois, car il en avait alors un plus grand besoin, il se trouve tant de mystères, que le Très-Haut n'en laissa aucun de ceux qui regardent la venue du Messie et sa loi,, qu'il ne lui révélât et déclarât, ayant tenu la même conduite avec les anciens pères et patriarches, quoique d'une manière plus éloignée. Et tout cela n'aboutissait qu'à multiplier les représentations et les images du Verbe incarné, lui.préparer un peuple et figurer la loi. qu'il devait établir. 156. Il mit en dépôt entre les mains des trois grands patriarches Abraham, Isaac et Jacob, de grands et de très précieux gages, pour pouvoir, s'appeler le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, voulant s'honorer de ce nom pour les honorer eux- mêmes, manifestant leur dignité, leurs excellentes vertus et les divins secrets qu'il leur avait confiés, afin qu'ils donnassent à Dieu un nom si honorable. Il éprouva le patriarche (469) Abraham en lui commandant de sacrifier Isaac (1), pour faire cette représentation si claire de ce que le Père éternel devait faire avec son Fils unique. Mais quand ce père obéissant voulut exécuter le sacrifice, le même Seigneur qui l'avait ordonné l'en empêcha, afin que l'exécution d'une action si héroïque fût réservée au seul Père éternel, sacrifiant en effet son Fils unique, et qu'il fût dit qu'Abraham ne l'avait fait qu'en la seule menace; en quoi il parait que le zèle de l'amour divin fut fort comme la mort (2). Mais il n'était pas convenable qu'une figure si expresse restât imparfaite; c'est pourquoi elle fut achevée par le sacrifice qu'Abraham fit du bélier, qui figurait aussi l'Agneau qui devait ôter les péchés du monde (3). 157. Il. montra à Jacob cette mystérieuse échelle chargée de divers secrets et de sens mystiques (4). Le plus grand fut qu'elle représentait le Verbe humanisé, qui est la voie et l'échelle par où nous montons au Père, duquel il descendit pour nous visiter; et par son moyen les anges qui nous éclairent et qui veillent à notre garde, montent et descendent, nous portant en leurs mains (5) ; afin que nous ne soyons pas maltraités des pierres des erreurs, des hérésies et des vices dont le chemin de la vie mortelle est rempli; ne laissant pas de monter malgré ces obstacles en sûreté, par cette échelle avec la foi et l'espérance, depuis cette sainte Église, qui est la maison de Dieu et la porte (1) Gen., XXII, 1. - (2) Cant., VIII, 6. - (2) Joan., I, 29. - (4) Gen., XXVIII, 12. - (5) Ps. XC, 12. 470 du ciel et de la sainteté, jusqu'au lieu de notre bonheur. 158. Il montra à Moïse, pour le constituer dieu de Pharaon et chef de son peuple, ce buisson mystique qui était ardent sans se consumer (1), pour marquer en prophétie la personne divine cachée sous notre humanité, sans que l'humain dérogent au divin, et sans que le divin consumât ce qui était humain. Et outre ce mystère la virginité perpétuelle de la Mère du Verbe y était aussi figurée, non- seulement quant au corps, mais aussi quant à l'âme; car pour être fille d'Adam, revêtue et dérivée de cette nature embrasée du premier péché, elle n'en serait point souillée ni offensée. 159. Il fit aussi David selon le modèle de son cœur (2), afin qu'il pût dignement chanter les miséricordes du Très-Haut (3), comme il le fit, comprenant dans ses psaumes tous les mystères, non-seulement de la loi de grâce, mais aussi de la loi écrite et de la loi naturelle. Les témoignages, les jugements et les oeuvres du Seigneur n'étant pas seulement en sa bouche, mais en ayant aussi le coeur pénétré pour les méditer jour et nuit (4). Et par le pardon qu'il fit des injures, il fut une vive image ou figure de Celui qui devait pardonner les nôtres; c'est pourquoi il reçut les plus claires et les plus assurées promesses de la venue du Rédempteur du monde. (1) Exod., III, 2. - (2) I Reg., XIII,14. - (3) Ps. LXXXVIII, 1. - (4) Ps. CXVIII et XVIII. 671 160. Salomon, roi pacifique, et en cela figure du véritable Roi des rois, fit éclater sa sagesse en manifestant par diverses écritures les mystères de Jésus-Christ, singulièrement dans la métaphore des Cantiques, où il renfermait les mystères du Verbe incarné, de sa très-sainte Mère, de l'Église et des fidèles. Il enseigna aussi en différentes manières la morale pour régler les moeurs, et plusieurs autres écrivains ont reçu dé cette fontaine les eaux de vérité et de vie. 161. Mais qui pourra dignement exagérer le bienfait du Seigneur, d'avoir tiré de son peuple la glorieuse troupe de ses saints prophètes, auxquels la Sagesse éternelle a abondamment élargi la grâce de prophétie, éclairant son Église par tant de flambeaux, qui commencèrent de nous montrer de fort loin le Soleil de justice et les rayons qui devaient rejaillir de ses oeuvres en la loi de grâce? Les deux grands prophètes Isaïe et Jérémie furent choisis pour nous annoncer, avec autant de douceur que de force, les mystères de l'incarnation du Verbe, de sa naissance, de sa vie et de sa mort. Isaïe nous promit qu'une vierge concevrait et enfanterait, et nous donnerait un fils qui s'appellerait Emmanuel (1), et qu'un petit enfant naîtrait pour nous, qui porterait son empire sur ses épaules (2), annonçant avec tant de clarté tout ce qui reste de la vie de Jésus-Christ, que sa prophétie parut un évangile. Jérémie déclara la nouvelle merveille que Dieu devait opérer dans une fille, qu'elle aurait (1) Isa., VII, 14. - (2) Id., IX, 6. 472 en son sein un fils, qui seul pouvait être le Christ, Dieu et homme parfait (1). Il annonça qu'il serait vendu, il décrivit sa passion, ses opprobres et sa mort. La réflexion que je fais sur ces prophètes me remplit d'admiration. Isaïe demande que le Seigneur envoie de la pierre du désert au mont de la fille de Sion (2), l'Agneau qui doit dominer le monde, parce que cet Agneau, qui est le Verbe incarné, était, quant à la divinité, au désert du ciel, qui est ainsi appelé à cause qu'il n'y avait point encore d'hommes. Et il s'appelle pierre à cause de la situation, de la fermeté et du repos éternel dont il jouit. Le mont où il demande qu'il vienne est, au sens mystique, la sainte Église, et premièrement la très-sainte Vierge, fille de la vision de paix, qui est Sion. Et le prophète l'interpose pour médiatrice pour obliger le Père éternel d'envoyer l'Agneau son Fils unique, parce qu'il n'y avait personne dans tout le reste du genre humain qui pût l'obliger si fort f avancer l'incarnation, que le mérite d'une si excellente mère, qui devait avoir la gloire de revêtir cet Agneau de la peau et de la toison de sa très-sainte humanité : et c'est ce que contient cette très-douce prière et cette prophétie d'Isaïe. 162. Ézéchiel (3) vit aussi cette mère vierge en la figure ou métaphore de cette porte fermée, qui ne devait être ouverte que pour le seul Dieu d'Israël, et par laquelle aucun, autre homme n'entrerait. Habacuc (4) contempla notre Seigneur Jésus-Christ en la (1) Jerem., XXXI, 22. - (2) Isa., XVI, 1. - (3) Ezech., XLIV, 2. - (4) Habac., III. 473 croix, et prophétisa par de profonds discours les mystères de la rédemption et les effets admirables de la passion et de la mort de notre Rédempteurs Joël (1) St la description de la terre des douze tribus, figure des douze apôtres qui devaient être chefs de tous les enfants de' l'Église. Il annonça aussi la venue du Saint-Esprit sur les serviteurs et les servantes du Très-Haut, marquant le tempe de la venue et de la vie de Jésus-Christ. Tous les autres prophètes l'annoncèrent par différents endroits, parce que le Très-Haut voulut que tout ce qui concernait la rédemption du genre humain fût dit, prophétisé et figuré si longtemps auparavant et si copieusement, que toutes ces oeuvres admirables pussent rendre témoignage de l'amour et, du soin que Dieu eut pour les hommes, et combien il prétendait d'enrichir son Église, ôter à notre tiédeur et à notre lâcheté toute d'excuses, puisque pour les seules ombrés et figures, ces anciens pères et prophètes furent enflammés de l'amour divin, et rendirent au seigneur des cantiques de louange et de gloire; et nous, qui nous trouvons dans la vérité et dans le beau jour de la grâce, sommes ensevelis dans un oubli criminel de tant de bienfaits, et abandonnons la lumière pour chercher les ténèbres. (1) Joel., II, 28. 474 CHAPITRE XII. Comme le genre humain s'étant multiplié, les clameurs des justes s'augmentèrent pour demander la venue du Messie, et les péchés s'accrurent aussi, et Dieu envoya au monde deux flambeaux dans la nuit de la loi ancienne pour annoncer la loi de grâce. 163. La postérité d'Adam W étendit en grand nombre, et. partant, les justes et les injustes se multiplièrent; et les saints augmentèrent leurs cris pour demander le Rédempteur, pendant que les pécheurs se rendaient indignes d'un tel bienfait par leurs crimes. Le peuple du Très-Haut et le triomphe du Verbe qui se devait faire homme, étaient déjà arrivés aux termes que la volonté divine avait marqués pour la venue du Messie; parce que le règne du péché avait si fort étendu sa malice sur les enfants de perdition, qu'il ne trouvait quasi plus de limites: c'est pourquoi le temps convenable au remède était arrivé. Les justes en augmentant leurs mérites avaient augmenté leurs couronnes; les prophètes et les saints pères connaissaient, par une joie extraordinaire que la divine lumière leur causait, que le salut et la présence de leur Restaurateur s'approchaient; et redoublant la ferveur de leurs cris, demandaient à Dieu que les prophéties et les promesses qu'il avait faites à son peuple fussent (475) accomplies. Et ils représentaient devant le trône de 1a divine miséricorde la longue et ténébreuse nuit du péché dans laquelle il avait vécu dès la création du premier homme, et l'aveuglement des idolâtries, dans lequel tout le reste du genre humain était enseveli (1). 164. Lorsque l'ancien serpent eut infecté tout l'univers par son source venimeux, et qu'il semblait jouir de la paisible possession des mortels; quand eux-mêmes, s'éloignant de la lumière de la raison naturelle et de celle qu l'ancienne loi écrite leur pouvait fournir (2), au lieu de chercher la véritable Divinité, en feignaient plusieurs fausses, et que chacun se forgeait un dieu à sa fantaisie, sans faire réflexion que la confusion de tant de dieux était contraire à la perfection, su bel ordre et à la tranquillité de l'âme ; quand par ces erreurs la malice, l'ignorance et l'oubli du vrai Dieu s'étaient déjà naturalisés, et cette mortelle langueur ou léthargie qui remplissait le monde, était si fort négligée, que les misérables et aveuglés malades n'ouvraient pas seulement la bouche pour en demander le remède; quand l'orgueil était sur le trône, et le nombre des forts presque infini (3), et que le superbe Lucifer faisait ses efforts pour boire les eaux du Jourdain les plus pures (4) ; quand Dieu était le plus offensé par toutes ces injures et le moins honoré des hommes; et lorsque l'attribut de sa justice (1) Sap., XVII, 20. - (2) Rom., I, 20. - (2) Eccles., I, 15. - (4) Job., XL, 18. 476 avait le plus de sujet de réduire tout ce qui est créé dans son premier néant : 165. Dans un tel état où les choses se trouvaient, le Très Haut (à notre façon de concevoir) tourna sa vue vers l'attribut de sa miséricorde, et fit pencher le poids de son incompréhensible équité du côté de la loi de clémence, voulant être plus adouci par sa même bonté, par les clameurs et par les services des justes et des prophètes de son peuple, qu'irrité par la méchanceté et par les offenses de tous les autres pécheurs. Il détermina donc de donner Jans cette nuit si rigoureuse de la loi ancienne des gages assurés du jour de la grâce, envoyant deux flambeaux très- reluisants su monde, qui annonçassent la prochaine aurore du Soleil de justice, Jésus-Christ notre Sauveur. Ces deux flambeaux furent saint Joachim et sainte Anne, que la volonté divine avait préparés et créés, afin qu'ils fussent faits selon son cœur. Saint Joachim avait sa maison, sa famille et ses parents à Nazareth, petite ville de Galilée. II fut toujours juste, saint et éclairé d'une grâce spéciale et d'une lumière céleste. Il pénétrait plusieurs mystères des Écritures et des anciens prophètes, et par ses continuelles et ferventes prières il demandait à. Dieu l'accomplissement de ses ,promesses; et sa foi et sa charité pénétraient les cieux. Il était très-humble en lui-même, pur, d'une fort grande sincérité et de saintes manières; homme grave et sérieux, et d'une modestie et honnêteté incomparables. 166. Sainte Anne avait sa maison en Bethléhem; (477) elle était une fille très- chaste, très-humble et très-belle, et dès son enfance, sainte, modeste et remplie de vertus. Elle reçut aussi du Très-Haut de grandes et de fréquentes illustrations, et s'occupait toujours à contempler les choses divines, sans négliger ses affaires domestiques, auxquelles elle était infatigable; et par ces saintes occupations-elle- ,arriva à la plus grande perfection de la vie active et de la contemplative. Elle avait une science infuse des Écritures saintes, et une connaissance profonde de leurs mystères les plus cachés; elle fut incomparable aux vertus infuses de foi, d'espérance et de charité. Prévenue de ces dons, elle priait continuellement pour avancer la venue du Messie; et ses prières furent si agréables au Seigneur, qu'elle pouvait mériter la réponse d'avoir blessé son coeur par un de ses cheveux (1), et avancé cet heureux temps, puisque sans aucun doute les mérites de sainte Anne ne contribuèrent pas peu à anticiper la venue du Verbe, tenant la plus haute place entre tous les saints du vieux Testament. 167. Cette femme forte fit aussi une fervente prière, afin que dans l'état de mariage le Très-Haut lui donnât un époux qui la secondât à garder la loi divine et à devenir plus parfaite en l'observance de ses préceptes; et en même temps que sainte Anne faisait cette prière au Seigneur, sa providence divine ordonna que saint Joachim la fit aussi, afin que ces deux requêtes fussent en même temps présentées devant (1) Cant., IV, 9. 478 le tribunal de la très-sainte Trinité, où elles furent exaucées et expédiées. Il fut aussitôt délibéré par une ordonnance divine que Joachim et Anne s'uniraient par le lien du mariage, et seraient les parents de celle qui devait être Mère de Dieu incarné. Et pour l'exécution de ce décret le saint archange Gabriel fut envoyé pour le manifester à l'un et à l'autre apparut en forme corporelle à sainte Anne lorsqu'elle était dans une fervente oraison, en laquelle elle demandait la venue du Sauveur du monde et le remède des hommes. Elle vit ce saint prince si resplendissant et d'une beauté si surprenante, qu'elle en reçut quelque trouble et une sainte crainte, accompagnée d'une joie intérieure que sa présence lui causait par les lumières qu'elle communiquait à son âme. La sainte se prosterna avec une profonde humilité pour honorer l'ambassadeur du ciel; mais il s'opposa à cette posture humiliante, et l'encouragea comme celle qui devait être l'arche de la véritable manne, la très-sainte Marie, Mère du Verbe éternel; car le Seigneur avait déjà découvert ce mystère caché au saint archange, lorsqu'il l'envoya pour faire cette ambassade, quoique les autres anges du ciel ne le pénétrassent point encore, parce que cette révélation ou illumination fut faite immédiatement du Seigneur au seul archange Gabriel, qui ne manifesta pas non plus alors ce grand mystère à sainte Anne; mais lui ayant demandé son attention, il lui dit ; " Servante du Seigneur, le Très-Haut vous bénisse et soit votre a salut. Sa Majesté divine a exaucé vos prières, et (479) veut que vous persévériez à demander la venue du Sauveur, et vous ordonne de recevoir Joachim pour votre époux ; il est homme juste et agréable aux yeux du Seigneur, et vous pourrez persévérer avec lui en l'observance de sa divine loi et en son service. Continuez vos prières et vos demandes, et n'ayez point d'autre soin, car le même Seigneur en ordonnera l'exécution. Marchez par le droit chemin de a la justice; élevez votre coeur et votre esprit aux choses du ciel, priez toujours pour la venue du Messie, et réjouissez- vous dans le Seigneur, qui est votre salut. " L'ange disparut après cela, l'ayant laissée fort éclairée pour pénétrer plusieurs mystères des Écritures, et ayant rempli son âme de consolations et renouvelé la ferveur de son esprit. 168. L'archange n'apparut point ni ne parla pas à saint Joachim en forme corporelle comme à sainte Anne; mais l'homme de Dieu s'aperçut qu'il lui tenait ces discours en songe : " Joachim, soyez béni de la divine droite du Très-Haut, persévérez en vos désirs et pratiquez la justice et la perfection. Le Seigneur veut que vous receviez Anne pont votre épouse, car le Tout-Puissant a rempli son âme de a bénédictions. Ayez soin d'elle et estimez-la comme un précieux don que sa main libérale vous fait, et rendez grâces à sa Majesté divine de vous l'avoir, confiée. " En vertu de ces divines ambassades, Joachim demanda la très-chaste Anne pour épouse, et le mariage se fit, obéissant tous deux à la volonté de Dieu, sans pourtant que l'un découvrit son secret 480 à l'autre, jusqu'à ce que quelques années fussent passées, comme je le dirai en son lieu. Les deux saints époux habitèrent à Nazareth, et y suivirent les voies du Seigneur. Ils se rendirent fort agréables au Très-Haut et sans reproches, donnant la plénitude des vertus à toutes leurs oeuvres par leur justice et par leur sincérité. Ils faisaient tous les ans trois portions de leurs revenus. Ils offraient la première au temple de Jérusalem pour le culte du Seigneur; ils distribuaient la seconde aux pauvres, et destinaient la troisième pour l'honnête entretien de leur famille. Dieu augmentait leurs biens temporels, parce qu'ils les employaient avec beaucoup de libéralité et de charité. 169. La paix était inviolable entre eux; ils vivaient dans une grande conformité de moeurs, sans querelle et sans bruit. La très-humble Anne était soumise en toutes choses à la. volonté de Joachim; et l'homme de Dieu allait avec une sainte émulation au-devant de tout ce qui pouvait être de l'inclination de sainte Anne: et ce n'était pas en vain qu'il se confiait entièrement à sa conduite (1). De manière qu'ils vécurent en une si parfaite charité, qu'ils n'eurent pendant toute leur vie qu'une même volonté. Et étant unis au nom du Seigneur (2), sa sainte crainte ne les abandonnait jamais : saint Joachim ne manquant pas d'obéir au commandement que l'ange lui avait fait d'honorer son épouse et d'en avoir un grand soin. (1) Prov., XXXI, 11. - (2) Matth., XVIII, 20. 170. Le Seigneur prévint la vénérable sainte Anne de ses plus douces bénédictions (1), lui communiquant des dons très-sublimes de grâce et de science infuse, pour la disposer au grand bonheur qui lui devait arriver, d'être mère de celle qui le devait être du même Seigneur. Et comme les oeuvres du Très-Haut sont parfaites et achevées, il la fit par conséquent digne mère de la, plus parfaite des créatures, qui devait être inférieure à Dieu seul en sainteté, et supérieure à toutes les pures créatures. 171. Ces saints mariés passèrent vingt ans sans avoir aucun enfant, ce qui était réputé en ce temps-là et parmi ce peuple comme une grande honte c'est pourquoi ils essuyèrent de leurs voisins et de leurs amis plusieurs opprobres; car on croyait que ceux qui n'avaient point d'enfants n'avaient aucune part à la venue du Messie qu'ils attendaient. Mais le Très-Haut, qui les voulut affliger et les disposer à la grâce qu'il leur préparait par le moyen de cette humiliation, leur donna la patience pour se conformer aveuglément à ses divines dispositions, et afin qu'ils semassent par des larmes et par des prières cet heureux fruit qu'ils devaient ensuite recueillir (2). Ils le demandèrent du plus profond de leur coeur, en ayant reçu un commandement exprès du Ciel; et ils firent un voeu particulier au Seigneur que, s'il- leur donnait un enfant, ils le lui offriraient dans le temple, et le consacreraient à son service comme un fruit de bénédiction qu'ils en auraient reçu. (1) Ps., XX, 4. - (2) Ps. CXXV, 5. 482 172. Le voeu de cette offrande fut fait par une particulière inspiration du Saint- Esprit, qui ordonnait que celle qui devait servir de demeure au Fils unique du Père, fût offerte et comme consignée par ses propres parents au même Seigneur avant qu'elle reçût l'être. Car sils ne se fussent obligés par un veau particulier de l'offrir au temple avant que de la connaître et de la pratiquer, la voyant ensuite si aimable, si douce et si agréable, ils auraient eu toutes les peines imaginables de s'en séparer, et ne l'eussent offerte qu'à contre-cœur, à cause du grand amour qu'ils auraient eu pour elle. Par cette offrande le Seigneur ne satisfaisait pas seulement, selon notre façon de parler, cette espèce de jalousie qu'il avait déjà, que nul autre que lui n'eût aucune prétention sur sa très-sainte Mère; mais son amour se trouvait aussi satisfait dans le retardement de sa venue. 173. Ayant persévéré un an entier dans ces ferventes demandes, selon l'ordre qu'ils en avaient reçu du Seigneur, il arriva que saint Joachim alla au temple de.Jérusalem par une inspiration divine et par un commandement exprès, pour y offrir des prières et des sacrifices pour la venue du Messie, et pour obtenir le fruit qu'il désirait. Y étant arrivé avec d'autres du lieu de sa demeure pour y offrir, en présence du souverain prêtre, les dons accoutumés, un prêtre appelé Issachar fit une forte correction au vénérable vieillard de ce qu'il offrait avec les antres, étant stérile. Et parmi les raisons qu'il lui allégua, il lui dit : " Joachim, pourquoi te présentes-tu pour (483) offrir, étant un homme inutile? Sépare-toi des autres et va- t'en ; n'irrite point le Seigneur par tes offrandes et par tes sacrifices, car ils ne sont pas agréables à ses yeux. " Le saint homme, tout honteux et confus, s'adressa avec une humble et amoureuse affection au Seigneur, lui disant ; " Mon souverain Seigneur et mon Dieu éternel, votre commandement et votre volonté m'ont fait venir au temple; celui qui y tient votre place me méprise; mes péchés ont mérité cet affront; je le reçois donc pour l'amour de vous: ne méprisez pas, Seigneur, l'ouvrage de vos mains (1). " Après quoi l'affligé Joachim sortant du temple (dans une assiette pourtant fort tranquille), s'en alla à une maison de campagne qu'il avait; et durant quelques jours qu'il passa dans cette solitude, il adressa ses soupirs su Seigneur, et lui fit cette prière : 174. " Dieu d'une éternelle majesté, de qui dépendent tout l'être et l'entière réparation du genre humain, prosterné en votre divine présence, je supplie votre bonté infinie de regarder d'un œil favorable l'affliction de mon âme, et d'exaucer mes prières et celles d'Anne votre servante. Vos yeux pénètrent tous nos souhaits: que si je ne mérite pas a d'être exaucé, ne rejetez pas mon humble épouse, Seigneur Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob nos anciens pères; ne détournez point de nous votre a clémence, et ne permettez pas, puisque vous êtes (1) Ps. CXXXVII, 8. 484 Père, que je sois du nombre des rejetée et des a réprouvés en mes offrandes, comme inutile, parce que vous ne. me donnez point de succession. Souvenez-vous, Seigneur, des sacrifices et des oblations de vos serviteurs et de vos prophètes tees anciens pères (1), et ayez présentes les oeuvres que votre divine vue a trouvées en eux dignes de vous être agréables. Et puisque vous me commandez, Seigneur, que je vous demande avec confiance, comme au Tout-Puissant et infiniment riche en miséricordes, accordez-moi ce que je désire et vous demande par votre ordre; car en vous demandant j'obéis à votre sainte volonté, en quoi vous me a promettez d'exaucer ma prière. Que si mes péchés arrêtent vos miséricordes, éloignez de moi ce qui .vous déplaît et cause cet empêchement. Vous êtes puissant, Seigneur Dieu d'Israël, et vous pouvez a opérer sans aucun obstacle tout ce qu'il vous plaira (2). Écoutez mes prières, et bien que ce soit un a pauvre et abject qui vous les fait, vous êtes infini et porté à, user de miséricorde envers les humbles Où trouverai-je mon refuge, sinon en vous, qui êtes le Roi des rois, le Seigneur des seigneurs et le Tout-Puissant? Vous avez comblé vos enfants et vos serviteurs de dons et de bénédictions en leurs générations, et vous m'enseignez de désirer et d'espérer de votre libéralité ce que vous avez opéré envers mes frères. Si c'est votre bon plaisir de m'accorder (1) Deut., IX, 27. - (2) Esth., XIII, 9. 485 ma demande, j'offrirai et je consacrerai à votre a saint temple et à votre service, le fruit de succession. que je recevrai de votre main libérale. J'abandonne mon coeur et mon âme à votre divine volonté, et j'ai toujours désiré d'éloigner mes yeux de la vanité. Faites de moi tout ce qu'il vous plaira, et consolez, Seigneur, nos âmes, par l'accomplissement de notre espérance. Regardez du trône de votre Majesté cette misérable poussière, et daignez la relever, afin qu'elle vous glorifie et vous adore, et que votre sainte volonté soit accomplie en toutes choses, et non pas la mienne. " 175. Joachim. fit cette demande dans sa solitude; cependant le saint ambassadeur déclara à sainte Anne qu'il serait agréable à la divine Majesté quelle lui demandât une succession d'enfants avec cette sainte intention et cette grande affection qu'elle avait de (obtenir. Et la sainte dame ayant connu que c'était la volonté de Dieu et celle de son époux Joachim, se prosternant avec une humble soumission et confiance en la présence du Seigneur, fit cette prière : " Très-haute Majesté, Seigneur, créateur et conservateur de toutes choses, que mon âme honore et adore a comme le Dieu véritable, infini, saint et éternel, je parlerai et je manifesterai en votre royale présence ma nécessité et mon affliction, quoique je ne sois que poussière et que cendre (1). Seigneur Dieu incréé, faites-nous dignes de votre bénédiction, en (1) Gen., XVIII, 27. 486 nous donnant un fruit saint que nous vous puissions offrir dans votre temple. Souvenez-vous, Seigneur, que votre servante Anne, mère de Samuel, était stérile, et que, par votre libérale miséricorde, elle reçut l'accomplissement de ses désirs (1). Je ressens dans mon coeur une force qui m'incite et me a provoque de vous demander d'user à mon égard de a la mime miséricorde. Exaucez donc, mon très- doux Seigneur, mon humble prière, et souvenez-vous des services, des offrandes et des sacrifices de mes anciens pères, et des faveurs que le bras de votre toute- puissance a opérées en eux. Je voudrais bien, Seigneur, vois présenter une oblation qui vous fût agréable et que vous pussiez accepter; mais la plus a grande que, je puisse vous offrir est mon âme, mes a puissances, mes sens, et tout l'être que vous m'avez donné. Et si, daignant me regarder de votre trône a divin, vous me donnez un enfant, je le consacre et a je l'offre dès à présent au temple pour vous servir. Jetez, Seigneur, Dieu d'Israël, les yeux de votre bénignité sur cette vile et pauvre créature, consolez votre a serviteur Joachim, accordez-nous cette demande; a et que votre sainte et éternelle volonté s'accomplisse en toutes choses. " 176. Saint Joachim et sainte Anne firent ces prières; et j'en ai reçu une telle intelligence et découvert une si grande sainteté en ces heureux parents, qu'il ne m'est pas possible de dire tout ce que j'en conçois et (1) I reg., I. 487 que j'en ressens, à cause de ma grande ignorance; on ne le peut pas tout raconter; aussi cela n'est-il pas nécessaire, puisque ce que j'en viens de dire suffit à mon propos. Que si l'on veut former de hautes conceptions de ces saints, l'on n'a qu'à les mesurer et les proportionner à la très-haute fin et su sublime ministère pour lesquels Dieu les avait choisis, qui était d'être les aïeux immédiats de notre Seigneur Jésus-Christ, et les parents de sa très-sainte Mère. CHAPITRE XIII. Comme la conception de la très-sainte Marie fut annoncée par le saint archange Gabriel, et comme pour cela Dieu prévint sainte Anne d'une faveur singulière. 177. Les demandes de saint Joachim et de sainte Anne arrivèrent à la présence et au trône de la très-heureuse Trinité, où, étant exaucées et acceptées, la volonté divine fut manifestée aux anges bienheureux, comme si, à notre façon de concevoir, les trois personnes divines eussent parlé à eux, et leur eussent dit : " Nous avons déterminé par notre bénignité que la personne du Verbe prenne chair humaine, pour réa parer en elle tout le genre humain : nous l'avons (488) a manifesté et promis aux prophètes, nos serviteurs, a afin gqu'ils le prédissent au monde. La malice et les a péchés des vivants sont arrivés à un tel excès, qu'ils nous obligeraient d'exécuter la rigueur de a notre justice: mais notre bonté et notre miséricorde surpassent toutes leurs méchancetés, qui ne peuvent éteindre notre charité (1). Ayons égard qu'ils sont les ouvrages de nos mains, et que nous les avons créés à notre image et ressemblance (2), afin qu'ils fussent héritiers et participants de notre gloire éternelle. Considérons les agréables services que nos serviteurs et amis nous ont rendus, et le grand nombre de ceux qui se distingueront en nos louanges, et en la pratique de tout ce qui sera de notre bon plaisir. Jetons singulièrement notre vue sur Celle qui doit être élue entre toutes, qui sera la plus agréable, et l'objet de nos délices et de nos complaisances, et qui doit recevoir en son sein la personne du Verbe, et le revêtir de la mortalité de la chair humaine. Et puisque l'œuvre en laquelle nous devons manifester les trésors de notre Divinité au monde doit commencer, c'est maintenant le temps propre d'exécuter ce mystère. Joachim et Anne ont trouvé grâce devant nous; c'est pourquoi nous les a regardons avec miséricorde, et les prévenons par la vertu de nos dons et de nos grâces. Ils ont été fidèles en toutes sortes d'épreuves, ils ont rendu a témoignage de la vérité, et leurs âmes se sont rendues (1) Cant, VIII, 7. - (2) Eccles., XVII, 1. 489 agréables en notre présence par leur sincère candeur. Que Gabriel, notre ambassadeur, leur aille donner des nouvelles de consolation et de joie, pour eux et pour tout le genre humain, et leur annonce que notre bénignité les a regardés et les a choisis pour l'accomplissement de nos desseins. " 178 Les esprits célestes ayant connu cette volonté et ce décret du Très-Haut, le saint archange Gabriel adorant et honorant sa divine Majesté en la manière que ces très-pures et spirituelles substances le font, étant humilié devant le trône de la très- sainte Trinité, il en sortit une voix intelligible qui lui dit ; " Gabriel, illuminez, vivifiez et consolez Joachim et Anne, nos serviteurs, et dites-leur que leurs prières sont arrivées à notre présence, et que notre clémence les exaucées Promettez-leur qu'ils recevront un fruit de bénédiction par la faveur de notre droite, et qu'Anne concevra et enfantera une fille à laquelle nous donnons le nom de MARIE. " 179. Plusieurs mystères et secrets qui concernaient cette ambassade furent révélés à (archange saint Gabriel, recevant ce commandement du Très-Haut, qui le fit descendre incontinent du ciel empyrée pour. s'acquitter de sa mission. Il apparut à saint Joachim, qui était en oraison, et lui dit ; " Homme juste et équitable, le Très- Haut a vu de son trône royal vos désirs, et a exaucé vos prières et vos larmes : il vous rend heureux en la terre. Anne, voire épouse, concevra et enfantera une fille qui sera bénie entre toutes les femmes, et que toutes les nations (490) reconnaîtront comme bienheureuse (1). Celai qui est le Dieu éternel, incréé et créateur de tontes choses, très-équitable en ses jugements, très-puissant et très- fort, m'envoie vers vous, d'autant que vos oeuvres et vos aumônes lui ont été agréables. La charité attendrit le coeur du Tout-Puissant, et hâte ses miséricordes; c'est pourquoi il veut enrichir avec libéralité votre maison et votre famille par la fille qu'Anne concevra, à laquelle le même Seigneur donne le nom de MARIE. Elle doit être dès a son enfance consacrée à Dieu dans son temple, comme vous le lui avez promis. Elle sera grande, a élue, puissante et remplie du Saint-Esprit; et sa conception sera miraculeuse à cause de la stérilité d'Anne; et cette fille sera en sa vie et en ses oeuvres a un prodige de grâces et de bénédictions. Louez, Joachim, le Seigneur pour un tel bienfait, et exaltez son saint nom, car il n'a rien opéré de si grand en aucune nation. Vous monterez au temple de Jérusalem pour y rendre vos actions de grâces; et, en témoignage de cette vérité et de cette bonne nouvelle que je vous annonce, vous rencontrerez votre soeur Anne à la porte d'Or, qui ira au temple pour le même sujet. Je vous avertis que cette ambassade est merveilleuse, car la conception de cette fille réjouira le ciel et la terre. " 180. Saint Joachim reçut cette apparition en un sommeil mystérieux qu ïl eut dans la longue prière (1) Luc., I, 48. 491 qu'il fit, afin que cette ambassade fût conforme à celle que saint Joseph, époux de la très-sainte Vierge, reçut ensuite, quand il lui fut manifesté qu'elle était enceinte par l'opération du Saint-Esprit (1). Le très-heureux saint Joachim revint de ce sommeil tout rempli de joie et de consolation; et, par une prudente précaution, il cacha dans son coeur le secret du grand Roi;. il s'en alla au temple par un commandement exprès, où il se prosterna avec une vive foi et une forte espérance en la présence du Très-Haut, et, tout pénétré qu'il était de tendresse et de reconnaissance, lui rendit des actions de grâces, et y adora ses jugements impénétrables (2). 181. Au même temps que ceci arrivait à saint Joachim, sainte Anne était dans une contemplation très-sublime, et tout absorbée cri Dieu et dans le mystère qu'elle attendait de l'incarnation dit Verbe éternel, dont le même Seigneur lui avait donné de très-hautes connaissances, et communiqué une lumière infuse toute particulière. Elle demandait à sa Majesté, avec une humilité profonde et une vive foi, que la venue du Réparateur du genre humain fût avancée, faisant cette prière; " Roi de très-haute majesté, et Seigneur de tout ce qui est créé, je désirerais, quoique vile a et abjecte créature (mais pourtant ouvrage de vos mains), obliger votre infinie bonté au prix de cette vie que j'ai reçue de vous, Seigneur, d'avancer le temps de notre salut. O quel bonheur, si votre clémence (1) Matth., I, 20. - (2) Tob., VIII, 7. 492 inépuisable s'inclinait à notre grand besoin, et si nos yeux avaient la consolation de voir le Réparateur et le Rédempteur des hommes! Souvenez-vous, Seigneur, des anciennes miséricordes que vous avez pratiquées envers votre peuple, lui promettant votre Fils unique, et que cette délibération de votre amour infini vous y oblige; que ce jour si désiré arrive avant que nous achevions les nôtres. Est-il bien possible que le Très Haut veuille descendre de son trône céleste! Est-il possible qu'il ait une mère sur la terre! Quelle femme sera si heureuse et si fortunée! Oh!. qui la pourrait voir! Qui serait digne de servir ses servante ! Bienheureuses les nations qui la verront et qui pourront se prosterner à ses pieds et l'adorer. Combien douce sera sa vue! Combien sera charmante sa conversation! Heureux les yeux qui la verront; heureuses les oreilles qui entendront ses discours, et la famille qui aura le glorieux avantage de lui donner une Mère. Que ce décret, Seigneur, s'exécute maintenant, et que votre divine volonté s'accomplisse. " 182. Sainte Aune s'occupait en de semblables oraisons et colloques après les connaissances qu'elle reçut de cet ineffable mystère, et elle en communiquait toutes les raisons à son ange gardien, qui lui apparaissait souvent, et principalement dans cette occasion, en laquelle il se fit voir plus éclatant qu'à l'ordinaire. Le Très-Haut ordonna que l'ambassade de la conception de sa très-sainte Mère frit en quelque chose semblable à celle qui se devait faire ensuite touchant son (493) ineffable incarnation; parce que sainte Anne s'occupait à méditer avec une humble ferveur sur le bonheur de celle qui devait être mère de la Mère du Verbe incarné; et la très-sainte Vierge formait les mêmes souhaits et les mêmes actes touchant celle qui devait être mère de Dieu, comme je le dirai eu son lieu : le même ange faisant sous une forme humaine les deux ambassades, bien que l'apparition qui se fit à la Vierge Marie fût avec plus d'éclat et avec plus de mystère. 183. Le saint archange Gabriel se présenta à sainte Anne sous une forme humaine, plus beau et plus reluisant que le soleil, et lui dit; " Anne, servante du Très-Haut, je suis l'ange du conseil de sa divine Majesté, envoyé des cieux par son infinie bonté, qui regarde toujours favorablement les humbles qui habitent la terre (1). La prière persévérante est bonne, et l'humble confiance lui est agréable. Le Seigneur a exaucé vos demandes, parce qu'il est près de ceux qui l'invoquent avec une foi vive et une ferme espérance (2), et qui attendent avec patience et avec résignation les effets de sa miséricorde. Que s'il tarde quelquefois d'accomplir les souhaits et les prières des justes, et s'il semble ne vouloir pas leur accorder ce qu'ils lui demandent, ce n'est que pour les disposer à l'obtenir de sa bonté beaucoup plus avantageusement. La prière et l'aumône sont des clefs qui ouvrent les trésors du Roi tout-puissant, et attirent (1) Ps. CXXXVII, 6. - (2) Ps. CXLIV,18. 494 les richesses de ses miséricordes sur ceux qui l'invoquent (1). Vous et Joachim avez demandé un fruit de bénédiction, et le Très-Haut a déterminé de vous le donner autant admirable que saint, et de vous accorder beaucoup plus que vous ne lui avez demandé, en vous enrichissant de ses dons célestes; parce que vous étant humiliés dans vos demandes, le Seigneur, satisfaisant vos désirs, se veut exalter avec magnificence : car la créature ne lui saurait être plus agréable que lorsqu'elle lui demande avec humilité et confiance, sans douter de son pouvoir infini. Persévérez dans vos prières, et demandez sans casse le remède du genre humain, afin d'obliger le Seigneur de vous exaucer. Moise (2), par la persévérance de sa prière, rendit son peuple victorieux. Esther(3), par la prière et par la confiance, le délivra de la mort. Juditli (4), par la même prière, fut fortifiée et encouragée pour réussir dans une aussi difficile exécution que celle qu'elle devait entreprendre pour la défense d'Israël; et elle en vint à bout, n'étant qu'une femme faible. David vainquit Goliath, parce qu'il pria en invoquant le nom du Seigneur (5). Élie obtint le feu du ciel pour son sacrifice, et il ouvrait et fermait les cieux par sa prière (6). L'humilité, la foi et les aumônes de Joachim aussi bien que les vôtres sont montées jusqu'au (1) Tob., XI, 8 et 9. - (2) Exod., XVII, 11. - (3) Esth., IV, 16. - (4) Judit., IX, 1 ; XIII, 6. - (5) I Reg., XVII, 45. - (6) III Reg., XVIII, 36; Jacob., V, 17. qu'au trône du Très-Haut, qui m'a envoyé, comme l'un de ses ministres angéliques, pour vous combler de joie et de consolation par les bonnes nouvelles que je vous annonce; parce que sa divine Majesté vous veut rendre bienheureuse, en vous choisissant pour mère de celle qui doit concevoir et enfanter le a Fils unique du Père éternel. Vous enfanterez une fille qui s'appellera MARIE par une ordonnance divine. Elle sera bénie entre toutes les femmes, et remplie du Saint-Esprit. Elle sera la nuée qui vous doit donner la rosée du ciel pour le soulagement des mortels, et les prophéties de vos anciens pères s'accompliront en elle. Elle sera la porte de la vie a et du salut pour les enfants d'Adam. Et vous saurez que j'ai annoncé à Joachim qu'il aurait une fille qui sera bienheureuse et.bénie; mais le Seigneur lui a caché le mystère, ne lui manifestant pas quelle dût être mère du Messie. C'est pourquoi vous devez garder ce secret : et vous irez au plus tôt au a temple, pour y rendre grâces au Très-Haut de tant de faveurs que sa puissante et libérale droite vous a faites. Vous rencontrerez Joachim à la porte d'Or, où vous confèrerez avec lui des assurances que vous avez reçues de votre enfantement. Mais pour vous, qui êtes bénie du Seigneur, son infinie Majesté veut vous visiter et enrichir par ses plus singulières a grâces; il parlera à votre cour dans la solitude (1), et donnera le principe ù la loi de grâce, en donnant (1) Osée, II,14. 496 l'être dans votre sein à Celle qui doit donner la chair mortelle au Seigneur immortel par la forme humaine qu'il en recevra. Et la véritable loi de miséricorde sera écrite dans cette humanité unie au Verbe par son sang (1). " 184. Afin que la faiblesse de l'humble coeur de sainte Anne pût supporter la grande admiration et la joie extraordinaire que lui causait la nouvelle que cet ambassadeur céleste lui donnait, elle fut fortifiée par le Saint-Esprit : ainsi elle la reçut avec une consolation inconcevable de son âme. Ensuite elle s'en alla au temple de Jérusalem, où elle rencontra saint Joachim, comme l'ange le leur avait prédit. Ils y rendirent tous deux des actions de grâces à l'auteur de cette merveille, et ils y offrirent des dons et des sacrifices particuliers. Ils y reçurent de nouvelles illustrations de la grâce de l'Esprit divin, et ils s'en retournèrent en leur maison remplis de consolations célestes, s'entretenant des faveurs qu'ils venaient de recevoir du Très- Haut par le ministère de son saint ange Gabriel, qui leur avait annoncé et promis à chacun en particulier, de la part du Seigneur, qu'il leur donnerait une fille qui serait la plus éminente en bonheur et en gloire. Et ils se communiquèrent dans cette occasion l'ordre qu'ils avaient reçu du même ange, de se marier ensemble pour le plus grand service de Dieu. Ils différèrent vingt ans de se communiquer ce secret, et ils ne le firent qu'après que l'ange leur eut promis la (1) Hebr., IX,12. 497 succession d'un telle fille. Ils renouvelèrent ensuite leurs vœux de l'offrir au temple, qu'ils y monteraient tous les ans dans un semblable jour, avec des offrandes extraordinaires, et qu'ils l'emploieraient en de divines louanges, en des actions de grâces et en aumônes. Ce qu'ils exécutèrent après; et ils ne cessèrent de rendre honneur et gloire au Très-Haut. 185. La prudence de sainte Anne lui fit garder le secret caché, sans jamais découvrir à. saint Joachim, ni à aucune autre créature, que sa fille dût être la mère du Messie. Et le saint père n'en connut autre chose durant tout le cours de sa vie, sinon qu'elle serait une grande et mystérieuse femme; mais le Très-Haut le lui manifesta seulement quelques moments avant sa mort, comme je le dirai en son lieu. Et quoique j'aie reçu de grandes pénétrations et de sublimes conna4ssances des vertus et de la sainteté de ces deux saints parents de la Reine du ciel, je ne m'arrête point à déclarer ce que tous les fidèles doivent supposer, pour passer à mon principal dessein. 186. La première conception du corps qui devait servir à la Mère de la grâce, ayant été faite, et avant que de créer son âme très-sainte, Dieu fit une faveur singulière à sainte Anne. Elle eut une vision ou apparition intellectuelle de sa divine Majesté qui lui arriva d'une façon très-relevée; et, lui communiquant dans cette vision de grandes connaissances et des dons particuliers de grâces, il la disposa et la prévint par de très-douces bénédictions (1). Par la parfaite pureté (1) Ps. XX, 4. qu'il lui communiqua, il spiritualisa tout son corps, et éleva son âme à un tel degré de perfection, que dès ce jour elle ne s'occupa à aucune chose humaine qui pût l'empocher d'unir toutes ses affections et toutes ses puissances à Dieu, sans le perdre jamais de vue. Le Seigneur lui dit, pendant qu'il lui départait, ces faveurs : " Anne, ma chère servante, je suis le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob : ma bénédiction et ma lumière éternelle est avec toi. J'ai formé l'homme pour l'élever de la poussière, pour le faire héritier de ma gloire et participant de ma Divinité. Quoique je l'aie enrichi de plusieurs dons et que je l'aie mis en un état très-parfait, il a tout perdu en écoutant le serpent. Mais, oubliant par un effet de ma bonté son ingratitude, je veux réparer son dommage, et accomplir ce que j'ai promis à mes serviteurs et à mes prophètes, de leur envoyer mon Fils unique et leur rédempteur. Les cieux sont fermés, les anciens pères sont détenus sans pouvoir jouir de ma face, et sont privés du prix de ma gloire éternelle, que je leur ai promis : l'inclination de ma bonté infinie est comme violentée en ne se communiquant pas au genre humain. Je voudrais déjà user de ma miséricorde libérale à son égard, et lui donner la personne du Verbe éternel, afin qu'il se fasse homme, naissant d'une femme qui soit mère et vierge immaculée, pure, bénie et sainte sur toutes les créatures; et, pour en venir à l'exécution, je te fais mère de cette mienne et unique élue (1). " (1) Cant., VI, 8. 499 187. Je ne puis pas facilement expliquer les effets que causèrent ces paroles du Très-Haut dans le coeur candide de sainte Anne, ayant été la première des mortels à qui le ministère de sa très-sainte fille fut révélé : qu'elle serait Mère de Dieu, et que celle qui était choisie pour le plus grand ouvrage de la puissance divine serait conçue dans son sein. Il était convenable aussi qu'elle en fût informée, parce qu'elle devait enfanter et élever avec tous ses soins cette mystérieuse fille, et afin qu'elle sût estimer le trésor qu'elle possédait. Elle écouta avec une humilité profonde la voix du Seigneur, et répondit avec une sainte crainte : " Seigneur Dieu éternel, c'est le propre de votre bonté immense, et l'ouvrage de votre puissant bras, de tirer le pauvre et le méprisé de la confusion (1). Je me reconnais, Seigneur, indigne de telles a miséricordes et de tels bienfaits. Que peut faire ce petit vermisseau en votre présence? Je ne puis vous offrir en actions de grâces que votre être même et votre propre grandeur, et en sacrifice, que mon âme et toutes mes puissances. Faites, Seigneur, de moi selon votre sainte volonté, puisque je m'y abandonne entièrement. Je voudrais être aussi dignement vôtre, que les grandes faveurs que vous me faites le méritent; mais que ferai-je, moi qui suis indigne d'être la servante de celle qui doit être mère de votre Fils unique et ma fille? Je confesserai, Seigneur, toujours cette vérité, dont je suis (1) Ps. CXII, 7. 500 pénétrée, aussi bien que mon extrême pauvreté, qui ne m'empêchera pas de me prosterner aux pieds de vos immenses grandeurs pour y attendre les effets de votre miséricorde, puisque vous êtes un père pitoyable et le Dieu tout-puissant. Rendez- moi telle, Seigneur, que la dignité dont vous m'honorez le demande. " 188. Sainte Anne eut une merveilleuse extase dans cette vision, où elle reçut des. connaissances très-profondes de la loi de nature, de la loi écrite et de la loi évangélique. Elle y découvrit comment la nature divine, dans le Verbe éternel, se devait unir à la nôtre; comment la très-sainte humanité serait élevée à l'être de Dieu, et plusieurs autres mystères de ceux qui se devaient opérer en l'incarnation du Verbe divin : le Très-Haut la disposant, par ces illustrations et par d'autres dons de grâces, pour la conception et la création de l'âme de sa très-sainte fille, qui devait être Mère de Dieu. 501 CHAPITRE XIV. Comme le Très-Haut manifesta aux saints anges le temps déterminé et convenable de la conception de la très-sainte Vierge, et de ceux qu'il destina pour sa garde. 189. Toutes les choses qui doivent être sont décrétées et déterminées avec leurs propriétés et leurs circonstances su tribunal de la volonté divine, comme dans un principe inévitable et dans la cause universelle de tout ce qui est créé, sans qu'aucune y soit oubliée, ni qu'après avoir été déterminée, elle puisse être empêchée par aucune puissance créée. Tout l'univers et tout ce qu'il contient dépend de ce gouvernement ineffable, qui survient et qui concourt à tout avec les causes naturelles, sans avoir jamais manqué ni même pouvoir manquer d'un seul point au nécessaire. Dieu a fait tout ce qui est créé, et il le soutient par sa seule volonté; il dépend de lui de conserver l'être qu'il a donné à toutes choses, ou de le leur ôter, les réduisant au néant, d'où il les a tirées. Mais comme il les créa toutes pour sa gloire et pour celle du Verbe incarné, il s'est employé dès le commencement de la création à ouvrir et à disposer les voies par où le même Verbe devait descendre pour (502) prendre chair humaine et pour converser avec les hommes, afin de les conduire à Dieu et de leur apprendre à le chercher, à le connaître, à le craindre et à le servir, à l'aimer, à mériter d'en jouir et de le louer éternellement. 190. Son saint nom a été admirable par toute la terre (1), et glorifié en la plénitude et en la société des saints, qu'il avait choisis pour en faire un peuple su Verbe incarné, qui en devait être le chef (2). Lorsque tout était en la dernière et convenable disposition en laquelle sa divine providence l'avait voulu mettre, et que le temps qu'elle avait déterminé pour créer cette merveilleuse femme, qui apparut su ciel revêtue du soleil (3), s'approchait; voulant réjouir et enrichir la terre par sa venue, la très-sainte Trinité pour exécuter son dessein décréta ce que je déclarerai par mes faibles expressions et par mes simples conceptions touchant ce que j'en ai découvert. 191. Nous avons déjà dit comment, à l'égard de Dieu, rien n'est ni passé ni futur, parce que tout est présent à son entendement divin et infini, connaissant toutes choses par un acte très-simple. Mais les réduisant à nos manières d'exprimer et à notre faible façon de concevoir, nous considérons que sa Majesté divine regarda les décrets quelle avait faits de créer une digne et proportionnée Mère dont le Verbe dût prendre chair humaine, car l'accomplissement de ses décrets est infaillible. Le temps convenable et déterminé (1) Ps. VIII, 1. - (2) Tit., II, 14. - (3) Apoc., XII, 1. 503 étant donc déjà arrivé, les trois divines personnes dirent en elles-mêmes : " Il est temps que nous commencions l'ouvrage de notre bon plaisir, et que nous créions cette pure créature et cette âme a bienheureuse qui nous doit être chère sur toutes les autres. Ornons-la de riches dons, et déposons en elle seule les plus grands trésors de notre grâce. Puisque toutes les autres à qui nous avons donné l'être ont été ingrates et rebelles à notre volonté, s'opposant à l'intention que nous avions, qu'elles se conservassent dans le premier et heureux état auquel nous créâmes les premiers hommes, qu'ils s'y sont opposés par leur péché, et puisqu'il n'est pas convenable que notre volonté soit entièrement frustrée, créons en toute sainteté et perfection cette créature, en laquelle le désordre du premier péché n'ait aucune part. Créons une âme selon nos désirs, un fruit de nos attributs, a nu prodige de notre pouvoir infini, sans que la tache du péché d'Adam la souille ni l'approche Faisons un ouvrage qui soit l'objet de notre toute-puissance et un modèle de perfection que nous présenterons à nos enfants comme la fin du projet que nous eûmes en la création. Et puisqu'ils ont tous prévariqué en la volonté libre du premier homme et par le péché qu'il a commis (1), que cette seule créature soit le dépôt par lequel ceux qu'il a perdus par sa désobéissance soient restaurés; qu'elle (1) Rom., V, 12. soit l'unique image et ressemblance de notre divinité, et qu'elle soit pendant toutes les éternités le chef-d'oeuvre de nos complaisances et de nos délices. Nous déposerons en elle toutes les prérogatives et toutes les grâces que nous destinions en notre première et conditionnelle volonté pour les anges et pour les hommes s'ils se fussent maintenus dans leur premier état. Mais puisqu'ils les ont perdues, renouvelons-les en cette créature, et nous ajouterons à ces dons plusieurs. autres. Ainsi le décret que nous fîmes ne sera pas entièrement frustré de ses fins, mais il sera plutôt accompli dans toute sa perfection en la personne de notre élue et unique (1). Car ayant déterminé pour les créatures ce qui était le plus saint, et ayant prévenu ce qui leur était le plus avantageux, le plus parfait et le plus louable, faveurs dont elles se sont rendues indignes, il faut tourner le torrent de notre bonté vers notre bien-aimée, et l'exempter de la loi ordinaire de la génération de tous les mortels, afin que la semence venimeuse du serpent n'ait aucune part en elle. Je veux descendre du ciel dans son sein, et me revêtir de la nature humaine, que je prendrai de sa propre substance. 192. Il est juste que la Divinité, qui est inépuisable en bonté, choisisse une matière très-pure et très-nette pour se renfermer et pour se couvrir, et qui n'ait jamais été souillée par le péché. Notre équité (1) Cant., VI, 8. 505 et notre providence demandent ce qui est le plus décent, le plus parfait et le plus saint, et cela s'exécutera, puisqu'il n'est aucune chose qui puisse résister à notre volonté (1). Le Verbe qui se doit faire homme, étant le rédempteur et le maître des hommes, doit fonder et établir la très-parfaite loi de grâce, et y enseigner à obéir et à honorer le père et la mère (2), comme des causes secondes de l'être naturel. Et le Verbe divin doit être le premier à l'exécuter, honorant celle qu'il a choisie pour sa Mère par la protection de son bras tout-puissant, qui l'anoblira et l'honorera, en la prévenant par ce qu'il y a de plus admirable, de plus saint et de plus excellent dans toutes les grâces et dans tous les a trésors de ses dons, entre lesquels le plus singulier sera l'honneur et la grâce de ne la pas assujettir à nos ennemis ni à leur malice : ainsi elle doit être exempte de la mort du péché. " 193. "Le Verbe aura enterre une Mère sans père, comme il a su ciel un Père sans mère. Et afin qu'il a y ait sine due correspondance et une juste proportion et convenance en appelant Dieu Père, et cette femme Mère, nous voulons que toute l'égalité et correspondance possible s'observe entre Dieu et la créature, afin qu'en aucun temps le dragon infernal ne puisse se glorifier d'avoir été supérieur à la femme à qui Dieu a obéi comme à sa véritable Mère. Cette dignité d'être délivrée du péché est due (1) Esth., XIII, 9. - (2) Matth., XV, 4. 506 et proportionnée à celle qui doit être Mère du Verbe, et lui sera d'un plus grand ornement et d'un plus grand profit, car c'est un plus grand bien d'être sainte que d'en être seulement Mère; ainsi toute la sainteté et toute la perfection doivent accompagner la dignité de Mère de Dieu. Et la chair humaine dont il se doit revêtir doit être éloignée et séparée du péché; et devant en elle racheter les pécheurs, il ne doit pas racheter sa propre chair, comme il rachètera les autres, puisque étant unie à la Divinité, elle doit être rédemptrice; et pour ce sujet nous la préservons par avance, puisque nous avons déjà prévu et accepté a en cette même chair et en cette nature les mérites infinis du Verbe; et nous voulons que pendant a toute l'éternité le Verbe incarné soit glorifié en son tabernacle et en la glorieuse habitation de l'humanité qu'il en a reçue. " 194. " Elle sera fille du premier homme, mais quant à la grâce singulière, elle sera libre et exempte de son péché; et quant à la nature, elle sera très-parfaite et formée par une providence spéciale. Mais parce que le Verbe incarné doit être le maître qui enseignera l'humilité et la sainteté, et qui ne les établira que par les travaux et les peines qu'il doit souffrir, pour confondre la vanité et les apparences trompeuses des mortels, faisant a élection de cet apanage comme d'un trésor que nous estimons le plus; nous voulons aussi que celle qui doit être sa Mère en ait sa bonne part, qu'elle soit (507) unique et singulière en la patience, admirable dans a les souffrances, et qu'elle nous offre avec son Fils unique un sacrifice de douleur, qui sera agréablement reçu de notre volonté et d'une plus grande a gloire pour elle. " 195. Ce fut le décret que les trois personnes divines manifestèrent aux anges bienheureux, qui exaltèrent et adorèrent leurs très-hauts et impénétrables jugements. Et comme la Divinité est un miroir volontaire qui manifeste dans la même vision de gloire, quand il lui plait, de nouveaux mystères aux bienheureux, elle leur fit cette nouvelle démonstration de sa grandeur, pour leur découvrir l'ordre admirable et l'accord merveilleux de ses oeuvres. Et tout ceci suivit ce que nous avons dit aux chapitres précédents, sur ce que Dieu fit en la création des anges, quand il leur proposa qu'ils devaient honorer et reconnaître le Verbe incarné et sa très-sainte Mère pour leurs supérieurs. Car le temps qu'il avait destiné pour la conception de cette grande Reine étant arrivé, il n'était pas convenable que le Seigneur, qui dispose toutes choses avec poids et mesure (1), le célât. Il ne m'est pas possible de ne pas ternir et de ne pas obscurcir par des termes humains et des expressions si bornées, la connaissance que le Très-Haut m'a donnée de mystères si profonds et si relevés; mais je ne laisserai pas de dire, autant que ma faiblesse me le permettra, ce que je pourrai touchant les grands secrets que (1) Sap., XI, 21. 508 le Seigneur découvrait aux anges dans cette occasion. 196. " Le temps est déjà arrivé, ajouta sa Majesté divine, auquel notre providence avait déterminé de donner le jour à notre plus agréable et chère créature, la restauratrice du premier péché du genre humain, celle qui doit écraser la tête du dragon (1), celle que cette mystérieuse femme représenta, et qui apparut en notre présence comme un très-grand signe (2), et celle qui donnera la chair humaine au Verbe éternel. Cette heure si fortunée pour les mortels s'est approchée, en laquelle nous leur devons distribuer les trésors de notre divinité, et par ce moyen leur ouvrir les portes du ciel. Que la rigueur de notre justice s'arrête dans les châtiments qu'elle a exercés jusqu'à présent sur les a hommes, et que l'attribut de notre miséricorde se fasse connaître, en enrichissant les créatures par les richesses de la grâce et de la gloire éternelle que le Verbe incarné leur méritera. " 197. " Que le genre humain reçoive un réparateur, un maître, un médiateur, un frère et un ami, qu'il soit la vie des morts, le salut des infirmes, .la consolation des affligés, le soulagement, le repos et le compagnon des persécutés. Que les prophéties de nos serviteurs et les promesses que nous leur avons faites de leur envoyer un Sauveur pour les racheter, s'accomplissent. Et afin que le tout 509 s'exécute selon notre bon plaisir, et pour commencer l'ouvrage de ce mystère caché dès le commencement du monde, faisons élection, pour former notre bien-aimée Marie, du sein d'Anne, notre humble servante, afin qu'elle y soit conçue, et que sa très-heureuse âme y soit créée. Et quoique sa génération et sa formation doivent être selon l'ordre commun de la naturelle propagation, ce sera néanmoins par un ordre différent de grâce, selon la disposition de notre immense pouvoir. " 198. " Vous savez déjà comme l'ancien serpent, depuis le signe qu'il vit de cette merveilleuse femme, rôde autour de toutes pour les dévorer; que depuis la première que nous créâmes, il poursuit par ses tromperies et par ses embûches celles qu'il connaît être les plus parfaites en leur vie et en leurs oeuvres, dans l'espérance qu'il a de rencontrer entre toutes celle dont on le menaça qu'elle a le foulerait aux pieds et lui écraserait la tète. Il a n'est pas douteux que quand il reconnaîtra, par e les grandes diligences qu'il y apportera, la sainteté u singulière de cette très-pure et très-innocente créature, tous les soins et tous les efforts qu'il emploiera pour la persécuter ne soient aussi grands que l'estime qui il en concevra. L'orgueil pourtant de ce dragon sera bien plus grand que sa force (1); ainsi il est de notre volonté que vous veilliez sur notre sainte cité, et protégiez d'une manière toute (1) Isa., XVI, 6. 510 particulière ce tabernacle du Verbe incarné, pour la garder, la secourir et la défendre contre nos ennemis, et pour l'éclairer, la fortifier et la consoler avec un soin et un respect digne de son mérite, pendant qu'elle sera parmi les mortels. " 199. Tous les anges bienheureux se montrèrent avec une profonde humilité, et comme prosternés devant le trône de la très-sainte Trinité, soumis à cette proposition que le Très-Haut leur fit, et tout prêts à exécuter son divin commandement. Chacun d'eux désirait avec une sainte émulation d'être envoyé, et s'offrait à un si heureux emploi : faisant tous su Très-Haut des hymnes et des cantiques nouveaux de louanges, de ce que l'heure arrivait en laquelle ils voyaient l'accomplissement d'une chose qu'ils avaient demandée avec tant d'ardeur durant plusieurs siècles. Je connus dans cette occasion que, depuis cette grande bataille que saint Michel eut su ciel avec le dragon et ses alliés, qui furent ensuite précipités dans les ténèbres éternelles (1), les légions de saint Michel restant victorieuses et confirmées en grâce et en gloire, ces esprits bienheureux commencèrent alors à demander l'exécution des mystères de l'incarnation du Verbe, qui leur furent révélés, et persévérèrent à réitérer leurs demandes jusqu'à ce que Dieu leur manifestât l'heure de l'accomplissement de leurs désirs. 200. Les esprits célestes reçurent par cette nouvelle révélation une nouvelle joie et une gloire (1) Apoc., XII, 7, 8, 9. 511 accidentelle, et dirent au Seigneur : " Très-Haut et incompréhensible Seigneur de toutes choses, vous êtes digne de tout honneur, de toute louange et d'une gloire éternelle, et nous sommes créés pour exécuter votre divine volonté. Employez- nous, Seigneur tout-puissant, à tout ce qui regardera vos merveilleux ouvrages et vos grands mystères, afin qu'en tous et en tout votre très-juste bon plaisir s'accomplisse. " Dans ces affections et dans ces souhaits, les princes célestes ne se croyaient pas dignes de cet honneur, et ils auraient souhaité, s'il eût été possible, d'être plus purs et plus parfaits, pour être plus dignes de garder et de servir cette Reine admirable. 201. Le Très-Haut détermina et assigna ceux qui devaient s'occuper à un ministère si relevé; et il fit choix de cent dans chaque chœur, pour faire le nombre de neuf cents, outre lesquels il en destina douze pour servir leur Reine en forme corporelle et visible avec plus d'assiduité, et leur imprima des signes on des devises de la rédemption : ce sont les douze dont il est fait mention dans l'Apocalypse, qui gardaient les portes de la cité, et j'en parlerai dans la déclaration que je ferai ci- après ce chapitre. Le Seigneur en assigna dix-huit autres des plus relevés, afin qu'ils montassent et descendissent par la mystique échelle de Jacob dont nous avons déjà parlé, pour faire les ambassades de la Reine au grand Roi, et du Seigneur à cette même Reine; car elle les envoyait plusieurs fois (1) Apoc., XXI, 12. 512 au Père éternel pour être dirigée dans toutes ses actions selon les mouvements du Saint-Esprit, n'en faisant aucune que par son ordre et conformément à sa divine volonté, en sorte qu'elle n'aurait pas fait la moindre. chose sans l'avoir consulté auparavant. Et quand elle n'était pas instruite par une spéciale illustration, elle envoyait ces anges bienheureux au Seigneur pour lui représenter son doute et le désir qu'elle avait de faire ce qui était le plus agréable à sa très-sainte volonté, et pour recevoir ses commandements, comme nous dirons dans la suite de cette histoire. 202. Par-dessus le nombre de tous ces anges dont nous venons de faire mention', le Très-Haut choisit encore soixante-dix des plus relevés séraphins et des plus proches du trône de la Divinité, afin qu'ils conférassent et communiquassent avec la Reine du ciel, de la même manière qu'ils communiquent et parlent entre eux, et que les supérieurs éclairent les inférieurs. Cet avantage fut accordé à la Mère de Dieu (quoiqu'elle fût supérieure en dignité et en grâce à tous les séraphins), parce qu'elle était voyageuse et inférieure par sa nature. Et quand le Seigneur s'absentait d'elle quelquefois en suspendant sa présence sensible, comme nous verrons: ci-après, ces soixante-dix séraphins l'illustraient et la consolaient, et elle leur communiquait les affections de son ardent amour et les tendres soucis que l'absence de son trésor lui causait. Le nombre de soixante-dix, dont elle fut favorisée, répond aux soixante-dix années de sa très-sainte vie, qui ne fut pas de soixante, comme je le dirai en (513) son lieu. Ce nombre a rapport à ces soixante courageux qui gardaient le lit du roi Salomon, comme il est écrit dans le troisième chapitre des Cantiques, qu'on choisissait entre les plus vaillants d'Israël et les plus expérimentés en la guerre, ayant leurs épées à la ceinture pour le préserver pendant la nuit des surprises des ennemis. 203. Ces princes et ces forts capitaines jurent destinés pour la garde de leur Reine, et choisis parmi les premiers des ordres hiérarchiques : parce qu'en cette ancienne bataille qui se donna dans le ciel entre les esprits humbles et le superbe dragon, ils furent armés par le Roi souverain de l'univers, afin qu'ils combattissent et vainquissent Lucifer et tous les apostats qui le suivirent, avec l'épée de sa vertu et de sa parole divine (1). Et parce que dans ce fameux combat ces suprêmes séraphins se distinguèrent par un grand zèle pour l'honneur du Très-Haut, comme de braves et adroits cal haines en l'amour divin, ces armes de la grâce leur étant données parla vertu du Verbe incarné, dont ils défendirent l'honneur, combattant pour leur chef et leur Seigneur aussi bien que pour sa très-sainte Mère, dont les intérêts se trouvent inséparables des siens; c'est pourquoi il est dit qu'ils gardaient le lit de Salomon et ne l'abandonnaient jamais, et qu'ils avaient leurs épées à la ceinture (2), endroit qui désigne la génération humaine, et en elle l'humanité de notre Seigneur Jésus-Christ, conçue dans le lit virginal de (1) Ephes., VI, 17. - (2) Cant., III, 7-8. 514 Marie, de sa propre substance et de son sang le plus pur. 204. Les autres dix séraphins, qui restent pour achever le nombre de soixante-dix, furent aussi des plus relevés de ce premier ordre, qui témoignèrent plus de zèle pour l'honneur de la divinité et de l'humanité du Verbe et de sa très-sainte Mère : et, quoique ce combat des auges fidèles fût fort court, il y eut assez d'instants pour toutes ces opérations. Les principaux chefs de cette sainte milice qui se signalèrent te plus dans cette première épreuve furent comme récompensés par cet honneur particulier qu'ils reçurent, d'être encore chefs parmi ceux qui devaient garder leur Reine et leur Maîtresse. Ils font tous ensemble le nombre de mille anges, en comptant les séraphins avec les autres des ordres inférieurs; de manière que cette Cité de Dieu était suffisamment garnie pour se défendre contre les légions infernales. 205. Pour mieux ordonner cet invincible escadron on y mit à la tète le prince de la milice céleste, saint Michel; lequel, bien qu'il ne fût pas toujours présent à la Reine, lui manifestait néanmoins sa présence et l'accompagnait souvent. Le Très- Haut le lui destina, afin que, comme principal et extraordinaire ambassadeur de notre Seigneur Jésus-Christ, il s'employât dans quelques affaires mystérieuses de la très-sainte Vierge. Le prince saint Gabriel y fut aussi employé, afin qu'il descendit, par l'ordre du Père éternel, pour les légations et les mystères qui regardaient cette princesse du ciel. Et ce fut ce que la très-sainte Trinité (515) ordonna pour sa défense et pour sa garde ordinaire. 206. Tout ce dénombrement se fit par une grâce spéciale du Seigneur; car j'eus connaissance qu'il y garda quelque ordre de justice distributive, parce que son équité et sa providence eurent égard aux opérations et à, la volonté avec lesquelles les anges bienheureux reçurent les mystères de l'incarnation du Verbe et de sa très- sainte Mère, qui leur furent révélés au commencement: les mouvements de leurs affections et de leurs inclinations n'étant pas égaux à obéir à la divine volonté et à recevoir les mystères qui leur furent proposés, la grâce tic produisant pas entiers tous les mémos effets : ce qui fut cause que les uns s'y soumirent par une dévotion spéciale, connaissant l'union des deux nature, la divine et l'humaine, en la personne du Verbe, cachée sous l'humble voile d'un corps humain, et élevée à titre chef de toutes les créatures. L'affection des autres se mouvait d'admiration de ce que le Fils unique du hère céleste voulait bien se faire passible et avoir ont si grand amour pour les hommes que de s'offrir à mourir pour eux. Les autres se distinguèrent par les louanges qu'ils rendirent au Très-Haut de ce qu'il devait créer une femme d'une excellence si admirable, qu'elle serait élevée en-dessus de tons les esprits célestes, et dont le Créateur prendrait chair humaine. Selon donc tous ces mouvements et leurs proportions, que le Tout Puissant voulut récompenser d'une gloire accidentelle, il destina ces anges fidèles pour les mystères de Jésus-Christ et de sa très-pure Mère, de la manière que seront récompensés ceux qui 516 se signaleront en cette présente vie en quelque vertu, comme les docteurs, les vierges, et les autres parleurs auréoles. 207. Lorsque ces esprits: bienheureux se manifestaient corporellement, selon cet ordre, à la Mère de Dieu, comme je le dirai dans la suite, ils lui découvraient et lui représentaient par des devises et par des caractères lumineux les divers mystères, soit de l'incarnation, soit de la passion de notre Seigneur Jésus-Christ, et plusieurs autres qui représentaient cette même Reine, ses grandeurs et sa dignité : quoiqu'elle ne les pénétrât pas quand ils commencèrent de les lui manifester, parce que le Très-Haut commanda à tous ces anges qu'ils ne lui déclarassent pas qu'elle dit être Mère de son Fils unique jusqu'à ce que le temps déterminé par sa divine sagesse fût arrivé; mais pourtant qu'ils l'entretinssent toujours des mystères de l'incarnation et de la rédemption des hommes, pour la conserver dans ses ferventes demandes. Les langues humaines sont incapables, et mes paroles sont trop faibles pour manifester une lumière aussi relevée et; une connaissance aussi sublimes que celles que j'en ai reçues. 2/30 CHAPITRE XV. De l'immaculée conception de Marie, Mère de Dieu, par la vertu du pouvoir divin. CHAPITRE XVI. Des habitudes des vertus dont le Très-Haut dota l'âme de la très- pure Marie, et des premières opérations qu'elle pratiqua par elles dans le sein de sainte Anne. - Cette auguste Reine commence de me donner elle-même une instruction pour m'animer A l'imiter. Instruction que la Reine du ciel me donna sur le chapitre précédent. CHAPITRE XVII. Poursuivant le mystère de la conception de la très-sainte Vierge, le chapitre vingt-unième de l'Apocalypse me fut expliqué. PREMIÈRE PARTIE DU CHAPITRE. CHAPITRE XVIII. Il poursuit le mystère de la conception de la très-pure Marie par la seconde partie du chapitre vingt-unième de l'Apocalypse. CHAPITRE XIX. Qui contient la dernière partie du chapitre vingt-unième de l'Apocalypse sur la conception de la très-sainte Vierge. Instruction que la Reine du ciel me donna sur ces chapitres. CHAPITRE XX. Ce qui arriva pendant les neuf mois de la grossesse de sainte Anne, et les opérations de la très-pure Marie dans son sein, et ce que sa mère fit durant ce temps-là. Instruction et réponse de la Reine du ciel. CHAPITRE XXI. De l'heureuse naissance de la très-pure Marie, notre auguste Reine, des faveurs qu'elle y reçut de la main du Très-Haut; et comme on lui imposa le nom au ciel et en la terre. Réponse et instruction de la Reine du ciel. CHAPITRE XV. De l'immaculée conception de Marie, Mère de Dieu, par la vertu du pouvoir divin. 208. La divine Sagesse avait préparé toutes choses pour séparer de la masse corrompue de la nature humaine la Mère de la, grâce. Le nombre destiné des patriarches et des prophètes était déjà complet et dans .sa perfection, et les hautes montagnes étaient élevées sur lesquelles cette Cité mystique de Dieu se devait édifier (1). Il lui avait préparé par la puissance de sa droite des trésors incomparables de sa divinité, pour la doter et pour l'enrichir. Il lui tenait mille anges tout prêts pour sa garnison et pour sa garde, et afin qu'ils servissent comme des sujets très-fidèles leur Reine et leur Maîtresse. Il lui prépara une lignée royale et très-noble dont elle descendrait; et il lui choisit des parents très-saints et très- parfaits dont elle devait immédiatement naître, sans qu'il s'en pût trouver de plus saints dans tout ce siècle; car s'il y en eût eu de plus grands et de plus propres pour être parents de (1) Ps. LXXXVI, 2. 518 celle que le même Dieu choisissait pour Mère, il n'y a point de doute que sa divine Majesté ne les eût choisis. 209. Il les disposa par une abondance de grâces et. de bénédictions de sa droite, et les enrichit de toutes sortes de vertus et d'une lumière particulière de la science divine et des dons du Saint Esprit. Après qu'il leur eut annoncé qu'ils auraient une tille admirable et bénie entre toutes les femmes, l'ouvrage de la première conception, qui était celle du très-pur corps de Marie, s'exécuta. L'âge de ses parent" quand ils se marièrent, était, celui de sainte Anne de vingt-quatre ans, et celui de saint Joachim de quarante-six. Vingt années se passèrent après leur mariage sans qu'ils eussent des enfants, et ainsi la mère avait, au temps de la conception de la fille, quarante-quatre ans, et le père soixante-six. Et quoiqu'elle fût selon l'ordre commun des autres conceptions, néanmoins la vertu du Très-Haut lui ôta ce qu'il y avait d'imparfait et de désordonné, ne lui laissant que le nécessaire et le précis de la nature, afin que le corps le plus excellent qui fut et qui sera jamais entre les pures créatures fût formé sans la moindre imperfection. 210. Dieu corrigea les fonctions des pères de notre Reine, et sa grâce les prévint, afin qu'elles fussent dans cette occasion vertueuses, méritoires et saintement réglées; de manière qu'agissant selon l'ordre commun, elles étaient dirigées, corrigées et perfectionnées par la force de cette divine grâce, qui devait opérer son effet sans que la nature y portât aucun obstacle. Cette vertu céleste éclata bien plus en sainte (519) Anne à cause de sa stérilité naturelle ; son concours étant miraculeux en la manière et très-pur en la substance car elle ne pouvait concevoir sans miracle, parce que la conception qui se fait sans ce secours et par la seule vertu et le seul ordre naturels, ne doit dépendre immédiatement d'aucune autre cause surnaturelle. 211. Mais en cette conception, quoique le père ne fût pas naturellement infécond, la nature était déjà néanmoins corrigée et quasi éteinte en lui à cause de son âge; et ainsi elle fut par la vertu divine réparée et prévenue, de sorte qu'elle put opérer et opéra de son côté avec toute perfection et retenue des puissances, et proportionnellement à la stérilité de la mère : la nature et la grâce concourant en l'un et en l'autre en ce qui était seulement précis et nécessaire; et cette grâce fut surabondante et puissante pour engloutir la même nature, ne la confondant pas pourtant, mais la relevant et la perfectionnant d'une manière miraculeuse, afin que l'on reconnût que la grâce s'était chargée de cette conception, ne se servant de la nature que pour en prendre ce qu'il fallait pour donner à cette ineffable fille des parents naturels. 212. La stérilité de la très-sainte mère Anne ne fut pas guérie par la réparation de ce qui manquait à la complexion et à la faculté naturelle, pour être féconde et pour concevoir sans aucune différence des autres femmes; mais le Seigneur concourut avec la puissance stérile par un autre moyen plus miraculeux, afin qu'elle fournit une substance naturelle à la formation de ce corps virginal. Ainsi la puissance qui le conçut (520) et la substance dont il fut formé furent bien naturelles , mais leur emploi fut l'effet du concours miraculeux de la vertu divine. Et le miracle de cette admirable conception cessant, la sainte mère se trouva dans son ancienne stérilité, en laquelle elle ne pouvait plus concevoir, pour n'y avoir ajouté ni diminué aucune nouvelle qualité à la complexion naturelle. Il me semble que ce miracle se développera mieux par l'exemple de celui que Jésus-Christ fit quand saint Pierre marcha sur les eaux (1) : car, pour le soutenir, il ne fut pas nécessaire de les affermir, ni de les changer en cristal ou en glace, sur quoi il marchât naturellement, et plusieurs autres après lui, sans aucun autre miracle que leur affermissement : mais le Seigneur put faire qu'elles soutinssent le corps de l'apôtre sans les affermir, concourant miraculeusement avec elles, de sorte que le miracle étant passé, les eaux se trouvèrent liquides, comme véritablement elles l'étaient lorsque saint Pierre y marchait, puisqu'il commençait de s'enfoncer; et le miracle continua sans les altérer par une nouvelle qualité. 213. Le miracle en vertu duquel sainte Anne, mère de la très-pure Marie, conçut, quoique incomparablement plus admirable que celui-là, lui fut néanmoins. fort semblable; ainsi les très-saints parents de cette sacrée fille furent gouvernés et dirigés dans cette innocente conception par la grâce, qui en éloigna si fort toute sorte de sensualité, que l'aiguillon du péché (1) Matth., XIV, 29. 521 originel n'y eut aucune part, et il ne s'y trouva nulle impression de ces effets qui accompagnent la conception des autres personnes. De sorte que ce qui servit à cette très-pure conception n'étant accompagné d'aucune imperfection, l'action en fut beaucoup méritoire. Ainsi par cet endroit il fut très-facile que le péché ne se trouvât point ni n'eût aucun pouvoir dans cette conception, la divine Providence l'ayant par une voie extraordinaire déterminé de la sorte : le Très-Haut réservant ce miracle pour elle, qui seule devait être sa très-digne Mère; parce que, puisqu'il était convenable qu'elle fût engendrée dans le substantiel de sa conception selon le même ordre que les autres enfants d'Adam l'étaient, il fut aussi très-convenable et dû à sa dignité, que, sans détruire la nature, la grâce y concourût avec elle dans toute l'étendue de sa vertu et de son pouvoir, en se signalant et opérant avec plus de distinction en elle qu'en tous les enfants d'Adam, et même qu'en les deux premiers pères, qui furent les premiers à donner l'entrée à la corruption de la nature et à sa concupiscence désordonnée. 214. La sagesse et le pouvoir du Très-Haut prirent un si grand soin, à notre façon de parler, de la formation du corps très-pur de Marie, qu'il le composa avec un grand poids et une juste mesure, tant en la quantité que dans les qualités des quatre humeurs naturelles, la sanguine, la mélancolique, la flegmatique et la bilieuse; afin qu'il aidât sans aucun empêchement ni contradiction, par la proportion de ce (522) mélange très-parfait et de cette composition bien réglée, les opérations d'une âme aussi sainte que celle qui le devait animer. Ce tempérament miraculeux fut ensuite comme le principe et une espèce de cause de la sérénité et de la paix que les puissances de la Reine du ciel conservèrent durant toute sa vie, sans qu'il y eùt entre ces humeurs aucune guerre, ni contradiction, ni rien d'excessif) su contraire, elles s'entr'aidaient et se secouraient réciproquement pour se conserver dans cet ouvrage admirable sans corruption et sans pourriture; car jamais le bienheureux corps de la très-sainte Marie n'en a souffert aucune, et il ne se trouva en lui aucun manquement ni superfluité, ayant toujours toutes les qualités et la quantité dans une juste proportion, sans plus ni moins de sécheresse ou d'humidité que celle qui lui était nécessaire pour sa conservation, ni plus de chaleur que celle qui lui suffisait pour sa défense et pour la digestion, ni plus de froideur que celle qu'il fallait pour rafraîchir et pour tempérer les autres humeurs. 215. Bien que ce corps fait en tout d'une admirable composition , il ne laissa pourtant pas de ressentir et d'endurer les rigueurs du chaud, du froid et les autres incommodités auxquelles nos corps sont naturellement sujets; car plus il était proportionné et parfait, plus il était sensible aux moindres impressions, à cause de la juste égalité qui était dans les humeurs, qui faisait qu'elles n'avaient pas tant de force pour résister à leurs contraires, qui font des efforts plus violents lorsque le tempérament est plus (523) réglé, et que par sa délicatesse il est plus susceptible des altérations qui peuvent s'y produire, ainsi que nous remarquons dans les excès qui arrivent à tous les corps. Celui qui se formait miraculeusement dans le sein de sainte Anne n'était pas capable, avant que d'avoir reçu l'âme, des dons spirituels; mais il l'était de recevoir les dons naturels, et ceux-ci lui furent accordés par un ordre et par une vertu surnaturelle, et avec toutes les qualités requises à la fin de la grâce singulière pour laquelle cette formation, faite au-dessus de tout ordre de la nature et selon le plus élevé de la grâce, était ordonnée. Ainsi il reçut une complexion et des puissances si excellentes, que toute la nature n'en pouvait pas former par elle seule de semblables. 216. Comme la main du Seigneur forma nos premiers pères Adam et Ève avec ces qualités et ces avantages qui convenaient à la justice originelle et à l'état d'innocence, dans lesquels ils excellèrent et furent plus privilégiés que n'auraient été tous leurs descendants, quand mène ils se seraient maintenus dans cet heureux état, parce que les œuvres du Seigneur seul sont plus parfaites; sa toute-puissance opéra de cette façon, bien qu'en un degré plus excellent, en la formation dit corps de la très-pure Marie, avec une providence et une grâce d'autant plus grande et plus abondante, que cette, créature surpassait non-seulement nos premiers parents, qui se laissèrent incontinent après tomber dans le péché, mais toutes les autres créatures, tant corporelles que spirituelles. (524) Suivant notre manière de concevoir, Dieu prit plus de soin à composer seulement ce petit corps de sa très- sainte Mère, qu'il n'en prit à former tous les cieux et tout ce qu'ils renferment. Et nous devons commencer de mesurer avec cette règle les dons et les privilèges que reçut cette Cité de Dieu (1), dès les premiers fondements sur lesquels ses grandeurs furent élevées, jusqu'à arriver à cette hauteur qui la fait immédiate et la plus proche de l'infinité du Très-Haut. 217. Le péché et les dangereuses flammes qui en résultent se trouvèrent fort loin de cette conception miraculeuse, puisque non-seulement ce péché ne se trouva point dans l'aurore de la grâce (que nous exprimerons toujours en nous servant de ce terme d'aurore), mais qu'il fut aussi lié dans ses parents quand ils la conçurent, afin qu'il ne s'émancipât ni ne troublât la nature, qui dans. cette production se reconnaissait véritablement inférieure à la grâce, n'y servant que de seul instrument au suprême Architecte, qui est supérieur aux lais de la nature et de la grâce: commençant dès cet instant à détruire le péché et même à abattre le château du fort armé, pour le renverser et le dépouiller de ce qu'il possédait avec tyrannie (2). 218. La première conception du corps de la très-sainte Vierge se fit en un jour de dimanche, répondant à celui de la création des anges, dont elle devait (1) Ps. LXXXVI, 3. - (2) Luc., XI, 22. 525 être la reine et la supérieure. Et, bien que, selon l'ordre naturel et commun, les autres corps aient besoin de plusieurs jours pour être entièrement organisés et pour recevoir la dernière disposition, afin que l'âme raisonnable y soit infuse; comme l'on dit qu'aux garçons il en faut quarante, et aux filles quatre-vingts, un peu plus ou moins, selon la chaleur naturelle et la disposition des mères; néanmoins la vertu divine abrégea le temps naturel en la formation du corps de la très-sainte Fille, et ce qui se devait opérer dans les quatre-vingts jours (ou en ceux que naturellement il fallait) se fit avec plus de perfection dans sept, pendant lesquels ce corps miraculeux fut entièrement organisé et tout disposé dans le sein de sainte Anne pour recevoir la très-sainte âme de sa fille et de notre Reine. 219. Lé samedi suivant et le plus proche de cette première conception, se fit la seconde, le Très-Haut créant l'âme de sa Mère et l'infusant dans son corps; de manière que le monde, en recevant cette pure créature au nombre de ses habitants, eut le bonheur de recevoir la plus sainte, la plus parfaite et la plus agréable aux yeux de sa divine Majesté, de toutes celles qu'il a créées et créera jusqu'à la fin du monde. Les intentions du Seigneur furent mystérieuses dans la correspondance des sept jours qu'il mit en cet ouvrage, avec les sept autres qu'il employa, selon la Genèse, à créer tout le reste de l'univers (1), puisqu'il (1) Gen., I. 526 reposa sans doute ici dans l'accomplissement de cette figure, ayant créé la première de toutes les pures créature, et nous donnant avec elle le principe du grand ouvrage de l'incarnation du Verbe divin et de la rédemption du genre humain. Ainsi ce jour-là fut comme un jour de fête pour Dieu aussi bien que pour toutes les créatures. 220. C'est à cause de ce mystère de la conception de la très-glorieuse Marie, que le Saint-Esprit a ordonné que l'Église lui consacrerait le jour du samedi comme celui auquel elle avait reçu le plus grand bienfait, lorsque son aine très-sainte fut créée et unie à son corps, sans que ni le péché originel ni le moindre de ses effets s'y trouvassent. Le jour de sa conception, que l'Église célèbre aujourd'hui, ne fut pas celui de la première du corps, mais le jour de la seconde conception ou infusion de l'âme, avec laquelle il demeura neuf mois complets dans le sein de sainte Amie, qui font le temps qu'il y a depuis la conception jusqu'à la nativité de cette reine. Durant les sept jours qui précédèrent l'animation, le seul corps fut disposé et organisé par la vertu divine, afin quo cette création ou formation répondit à celle que Moïse raconte de toutes les créatures qui composèrent et qui formèrent le monde dans son commencement. Ce fut à l'instant de la création et de l'infusion de l'âme de la très-heureuse Marie, que la très-sainte Trinité dit ces paroles, avec bien plus d'affection et de tendresse que celles qui se lisent dans le premier chapitre de la Genèse ; " Faisons Marie à notre image et à notre ressemblance, (527) rendons-la notre véritable Fille et Épouse, pour en faire la Mère du Fils unique de la substance du Père. 221. Par la force de cette divine parole et par l'amour qui l'accompagnait en sortant de la bouche du Tout-Puissant, l'âme très-heureuse de l'incomparable Marie fut créée et infuse dans son corps, et remplie au même instant de grâce et de dons qui la mirent au-dessus des plus hauts séraphins, sans qu'il y eût aucun moment auquel elle se trouvât dépouillée ni privée de la lumière, de l'amitié et de l'amour de son Créateur, nique la tache et les ténèbres du péché originel la pussent toucher en aucune manière; au contraire, elle fut créée avec une justice plus parfaite et plus relevée que colle qu'Adam et Ève reçurent en leur création. L'usage de la raison la plus parfaite, qui devait être proportionnée aux dons de la grâce qu'elle recevait, lui fut aussi accordé, afin que ces dons ne fussent pas inutiles un seul instant, et qu'ils opérassent des effets si admirables, que son Créateur y pût prendre de souveraines complaisances. J'avoue d'être ravie et absorbée dans la connaissance et dans la lumière que je reçois de ce grand mystère, et que mon coeur (dans l'insuffisance où je suis d'exprimer ce qu'il ressent) se transforme tout en des affections d'admiration, afin d'imposer le silence à ma langue. Je vois la véritable arche du Testament construite, enrichie et placée dans le temple d'une mère stérile, avec bien plus de gloire que la figurative dans la maison d'Obédédom, de David, et dans le temple de Salomon (528) (1). Je vois l'autel formé dans le sanctuaire où le premier sacrifice, qui doit vaincre la colère de Dieu en apaisant sa justice, se doit offrir; et je vois sortir la nature hors de ses limites dans sa formation, ei établir de nouvelles lois contre le péché sans garder les communes, ni du péché, ni de la nature, ni même de la grâce; et qu'une autre nouvelle terre et d'autres cieux nouveaux commencent à se former (2), dont le premier est le sein d'une très- humble femme auquel la très-sainte Trinité donne ses applications et ordonne, que d'innombrables courtisans de l'ancien ciel assistent, et qu'il y en ait mille d'entre eux pour garder ce trésor, ce petit corps animé, qui n'est pas plus grand qu'une petite abeille. 222. Dans cette nouvelle création la voix du Seigneur retentit bien plus fortement que dans la première, lorsque, se complaisant en l'ouvrage qu'il venait de faire, il dit qu'il était très-bon (3). Que la faiblesse humaine, s'approche de cette merveille avec une pieuse humilité, qu'elle la publie et avoue la grandeur du Créateur, qu'elle reconnaisse le nouveau bienfait que tout le genre humain reçoit en sa réparatrice, que le zèle vaincu par la force de la divine lumière cesse présentement; car si la bonté infinie de Dieu (ainsi qu'il m'a été découvert) regarda le péché originel en la conception de sa très-sainte Mère comme avec des yeux de courroux et irrité contre lui, se (1) II Reg., VI, 11-12 ; III Reg.,VIII, 6 ; VI, 16. - (2) Isa., LXV, 17. - (3) Hen., I, 31. 529 glorifiant d'avoir une juste cause et une belle occasion de l'éloigner et d'arrêter son courant, comment la sagesse humaine peut-elle approuver ce que Dieu a eu si fort en horreur ? 223. Au temps de l'infusion de l'âme dans le corps de cette divine dame, le Très- Haut voulut que sa mère, sainte Anne, ressentit et reconnût d'une.façon très relevée la présence de la Divinité, par laquelle elle fut remplie du Saint-Esprit et émue intérieurement de tant de joie, et d'une dévotion si sensible et si au-dessus de ses forces ordinaires, qu'elle fut ravie en une extase très-sublime, où elle reçut de très-hautes connaissances des mystères les plus cachés, et elle loua le Seigneur par de nouveaux cantiques de joie. Ces favorables effets durèrent tout le reste de sa vie; mais ils furent plus grands pendant les neuf mois quelle garda dans son sein le trésor du ciel; car durant ce temps-là ces faveurs lui furent renouvelées et plus souvent réitérées, recevant une connaissance particulière des Écritures saintes et de ses profonds mystères. O très-fortunée fille ! soyez appelée bienheureuse et louée de toutes les nations et générations de l'univers. CHAPITRE XVI. Des habitudes des vertus dont le Très-Haut dota l'âme de la très- pure Marie, et des premières opérations qu'elle pratiqua par elles dans le sein de sainte Anne. - Cette auguste Reine commence de me donner elle-même une instruction pour m'animer A l'imiter. 224. Dieu lâcha le torrent impétueux de sa divinité vers cette Cité mystique (1), l'âme très-sainte de Marie, pour la réjouir et l'enrichir par l'abondance de ses bénédictions, qui prenaient leur cours dès la source Inépuisable de se sagesse infinie et de son immense bonté, par laquelle et dans laquelle le Très-Haut avait déterminé de déposer en cette divine dame les plus grande trésors des grâces et des vertus qui furent jamais donnés ni tic se donneront pendant toute l'éternité à aucune autre créature. Quand l'heure arriva de les lui distribuer, qui frit dans ce même instant qu'elle reçut l'être naturel, le Tout-Puissant satisfit à l'inclination et ait désir qu'il tenait dès son éternité comme suspendus, jusqu'à ce que le temps convenable arrivât d'accomplir la promesse (1) Ps. XLV, 5. 531 qu'il avait faite à sa plus tendre affection. Ce très-fidèle Seigneur le fit, en répandant dans cette très-sainte âme de Marie, à l'instant de sa conception, toutes les grâces et tous les dons en un degré si éminent, que tous les saints ensemble n'y pourront jamais arriver, ni aucune langue humaine le manifester. 225. Mais quoiqu'elle fit alors ornée comme une épouse (1) qui descend du ciel avec toutes les perfections et les habitudes infuses de toutes sortes de vertus, il ne fut pas néanmoins nécessaire qu'elle les pratiquât toutes sitôt, mais seulement celles qu'elle pouvait exercer, et qui convenaient à l'état où elle était dans le sein de sa mère. En premier lieu elle pratiqua les trois vertus théologales, la foi, l'espérance et la charité, qui ont Dieu pour objet. Elle les exerça dans l'instant de l'heureuse union de son Aine , connaissant la Divinité d'une manière très-sublime et par une foi très-relevée, en laquelle elle pénétrait toutes ses perfections, ses attributs infinis, la Trinité et la distinction des personnes. Ses connaissances étaient d'un ordre admirable, sans que l'une empêchât l'autre, comme je m'en vais dire. Elle exerça aussi la vertu d'espérance, qui regarde Dieu comme l'objet du bonheur éternel et de la dernière fin, où cette très-sainte âme s'éleva et prit l'essor par de très-vastes désirs de s'y unir, sans jamais s'attacher à aucune autre, ni être un seul moment privée de ce (1) Apoc., XXI, 2. 532 mouvement. Enfin elle pratiqua la vertu de charité, qui contemple Dieu comme le bien souverain, et infini, avec tant d'attention, d'amour et de respect, qu'il n'est pas au pouvoir de tous les séraphins d'arriver, avec leurs plus grands efforts et toutes leurs vertus, à un degré si éminent. 226. Elle eut les autres vertus qui ornent et qui perfectionnent la partie raisonnable de la créature, au degré qui répond aux théologales, aussi bien que toutes les vertus morales et naturelles, en un degré miraculeux et surnaturel; elle eut dans l'ordre de la grâce les dons et les fruits du Saint-Esprit en un degré bien plus éminent. Elle fut remplie. de la science infuse et de l'habitude de toutes les sciences et de tous lés arts naturels., par laquelle elle sut et connut toutes les choses naturelles et surnaturelles qui se rapportent à la grandeur de Dieu; de sorte qu'elle fut dans le sein de sa mère, dès le premier instant, plus sage, plus prudente, plus pénétrée et informée de Dieu et de toutes ses oeuvres, que toutes les créatures ensemble, excepté son très-saint Fils, ne l'ont été ni ne le seront éternellement. Cette perfection ne consistait pas seulement aux habitudes, qui lui furent infuses en un si haut degré, mais encore dans les actes qui y répondaient selon son état et son excellence, et selon qu'elle les put exercer dans cet instant par le pouvoir de Dieu , qui la secondait; car dans cette pratique elle n'eut point de borne, ni elle ne fut point sujette à aucune loi, qu'à celle du divin et très~juste bon plaisir de son créateur. 533 227. Et parce que nous nous étendrons beaucoup sur toutes ces vertus et ces grâces , et sur leurs opérations, dans la suite de cette histoire de la très-sainte vie de Marie, je toucherai seulement ici quelque chose de ce qu'elle opéra dans l'instant de sa conception par les habitudes: qui lui furent infuses, et par la lumière que ces habitudes lui communiquèrent. Par les actes des vertus théologales (comme je viens de dire), et par la vertu de religion et des autres vertus cardinales qui les suivent, elle connut Dieu comme il est en lui-même, comme créateur et comme glorificateur; elle l'honora, le loua et le remercia par des actes héroïques pour en avoir été créée; et elle l'aima, le craignit, l'adora et lui fit des sacrifices de louanges et de gloire pour 'son être immuable. Elle connut les dons qu'elle recevait (quoiqu'il y en eût un qui lui fut scellé), pour lesquels elle rendit de très-humbles actions de grâces, accompagnées de profondes inclinations corporelles , qu'elle fit aussitôt dans le sein de sa mère avec ce corps si petit. Et elle mérita plus dans cet état par ces actes, que tous les saints dans le plus haut degré de leur perfection et de leur sainteté. 228. Elle eut, outre les actes de la foi infuse, une haute connaissance du mystère de la Divinité et de la très-sainte Trinité. Et quoiqu'elle ne la. vit pas dans cet instant de sa conception intuitivement comme bienheureuse, elle la vit néanmoins abstractivement par une autre lumière et par une autre vue inférieure à la. vision béatifique, mais supérieure à toutes les (534) autres manières par lesquelles Dieu se peut manifester ou se manifeste à l'entendement créé; parce qu'elle reçut des espèces de la Divinité si claires et si manifestes, qu'elle y connut l'être immuable de Dieu; et en lui. toutes les créatures avec une plus grande lumière et évidence que celles par lesquelles on tonnait une créature par une autre Ces espèces lui furent comme un miroir très-clair, dans lequel toute la Divinité reluisait, et en elle toutes les créatures. Ainsi par cette lumière et par ces espèces de la nature divine, elle les vit toutes et les connut avec une plus grande distinction et clarté qu'elle ne les connaissait en elles-mêmes par d'autres espèces ni par la science infuse. 229. Elle découvrit par tous ces moyens, avec une grande pénétration, dès l'instant de sa conception, tous les hommes, tous les anges, leur ordre, leur dignité et leurs opérations, et toutes les créatures irraisonnables avec leur instinct et leurs qualités. Elle connut la création, l'état et la perte des anges; la justification et la gloire des bons, la chute et la punition des mauvais; le premier état d'innocence d'Adam et d'Ève, comme ils furent trompés; leur péché et les misères auxquelles nos premiers parents furent sujets par ce péché, et par eux tout le genre humain; la délibération de la volonté divine pour le réparer, et comme cet heureux temps s'approchait et commençait de se disposer; l'ordre et la nature des cieux, des astres et des planètes; les qualités et la disposition des éléments; le purgatoire, les limbes (535) et l'enfer; et comme toutes ces choses et ce qu'elles renferment avaient été créées par le pouvoir divin et conservées par sa seule bonté infinie, sans qu'elle eùt besoin d'aucune. Et surtout elle pénétra de très-hauts secrets sur le mystère que Dieu devait opérer en se faisant homme pour racheter tout le genre humain , n'ayant pas accordé ce remède aux mauvais anges. 230. Toutes ces merveilles, dont cette très-sainte âme de Marie prenait connaissance selon leur ordre, dans l'instant qu'elle fut unie à son corps, lui firent pratiquer aussi des actes héroïques de vertu, qui elle accompagnait d'autres actes d'admiration, de louange, de gloire, d'adoration, d'humiliation, d'amour de Dieu, et de douleur des péchés qui offensaient ce souverain bien, qu'elle reconnaissait pont auteur et la fin de tant de merveilles. Elle offrit d'elle-même un sacrifice qui fut fort agréable au Très-Haut, commençant dès ce moment de le bénir avec une affection ardente, de l'aimer et de l'honorer pour suppléer à ce quelle connaissait, que les mauvais anges aussi bien que les hommes avaient manqué d'aimer en lui et de reconnaître. Elle demanda aux anges bienheureux (dont elle était déjà déclarée Reine) qu'ils l'aidassent à glorifier le Créateur et le Seigneur de tous, et d'intercéder aussi pour elle. 231. Le Seigneur lui manifesta dans cet instant les anges qu'il lui donnait pour sa garde; elle les vit, les connut et leur fit un accueil fort agréable, et les convia de glorifier alternativement le Très-Haut par des (536) cantiques de louange, et leur marqua en quoi devait consister ce divin office, qu'ils devaient continuer avec elle durant tout Je temps de sa vie mortelle, pendant lequel ils la devaient garder et assister. Elle connut aussi toute sa généalogie et tout le reste du peuple saint et choisi de. Dieu , les .patriarches et les prophètes; et combien sa Majesté divine avait été admirable dans les dons, les grâces et les faveurs qu'il avait opérés envers eux. Et c'est une chose digne d'admiration, que ce tendre corps étant si petit dans le premier instant qu'il reçut l'âme très-sainte, qu'on aurait bien de la peine d'apercevoir seulement ses puissances extérieures; néanmoins, afin qu'il ne manquât aucune de ces merveilles qui pouvaient rendre illustre celle qui avait été choisie pour Mère de Dieu , la puissance de sa droite divine ordonna que dans la connaissance et la douleur qu'elle avait de la chute. de l'homme, elle pleurât et versât des larmes dans le sein de sa mère, connaissant l'injure que la grièveté du péché faisait au souverain Bien. 232. Elle pria avec cette tendresse miraculeuse dès qu'elle eut. reçu l'être, pour le remède des hommes; et elle commença dès lors à exercer l'office de leur médiatrice, de leur avocate et de leur réparatrice. Elle représenta et offrit à Dieu les clameurs des saints pères et des justes de la terre, afin que sa miséricorde ne retardât pas le salut des mortels, qu'elle regardait déjà comme frères, et qu'elle aimait d'une très- ardente charité avant même que d'avoir conversé aven eux; cette aimable bienfaitrice n'eut (537) pas plutôt l'être naturel, que l'amour divin et fraternel commença de briller en son coeur embrasé. Le Très-Haut accepta ces demandes avec bien plus de complaisance que toutes les prières des saints et des anges, ce qui fut manifesté à celle qui venait d'être créée pour être Mère du même Dieu, quoiqu'elle en ignorât la fin; mais elle connut l'amour du même Seigneur, et le désir qu'il avait de descendre du ciel pour racheter les hommes. Il était juste aussi qu'il se sentit plus obligé de hâter cette venue par les prières et par les demandes de cette créature, pour laquelle il venait principalement, et en laquelle il devait prendre chair de sa propre substance, et opérer la plus admirable de toutes ses oeuvres et la fin de toutes ensemble. 233. Elle pria aussi. dans le même instant de sa conception pour ses pères naturels Joachim et Anne, qu'elle voyait et connaissait en Dieu avant que de les voir corporellement; et elle exerça en même temps envers eux la vertu de l'amour, du respect et de la gratitude de fille, les reconnaissant pour cause seconde de son être naturel. Elle fit aussi plusieurs autres demandes.en général et en particulier pour des causes différentes. Et elle composa, par la science infuse qu'elle avait, des cantiques de louanges dans son entendement et dans son coeur, pour avoir trouvé à la porte de la vie la précieuse drachme que nous perdîmes tous dans notre premier principe (1). Elle (1) Luc., XV, 9. 538 trouva la grâce qui vint à sa rencontre, et la Divinité qui l'attendait aux portes de la nature (1). Ses puissances rencontrèrent dans l'instant de leur être le très-noble objet qui les mut et les prévint, parce qu'elles n'étaient créées que pour lui; et devant entièrement lui appartenir, elles lui devaient les prémices de leurs opérations, qui furent la connaissance et l'amour divin, sans qu'il y eût en cette auguste dame aucun temps sans connaissance de Dieu, ni connaissance sans amour, ni amour sans mérite; auquel il n'y eut ni mesure des lois communes, ni règles générales, ni rien de médiocre. Tout fut grand en celle qui sortit grande de la main du Très-Haut, afin quelle marchât, crût et arrivât jusqu'à une telle grandeur, qu'il n'y eût que Dieu seul plus grand qu'elle. Oh! que vos pas furent beaux 1 fille du Prince céleste, puisque du seul premier vous arrivâtes à la Divinité. Vous êtes deux fois belle , parce que votre grâce et votre beauté sont au-dessus de toutes. les beautés et de toutes les grâces. Vos yeux sont divins, et vos pensées ressemblent à la pourpre du roi, puisque vous lui avez ravi le coeur, et l'avez amoureusement blessé et pris par vos cheveux (2); étant ainsi épris de votre amour, vous l'avez captivé dans votre sein virginal et l'avez enfermé dans votre coeur. 234. Ce fut véritablement ici oh l'Épouse du Roi de gloire dormait, pendant que son coeur veillait (3). (1) Eccles., XV, 2. - (2) Cant., IV, 1 et 9; ibid., VII, 1 et 5. - (8) Ibid.. V, 2. Ses sens corporels dormaient, et à peine avaient-ils reçu leur forme naturelle, et avant que d'avoir joui de la lumière du soleil matériel, que ce coeur divin, bien plus incompréhensible par la grandeur de ses dons que par la petitesse de son être naturel, veillait dans le sacré sein de sa mère, y étant éclairé de la lumière de la Divinité, qui l'abîmait et l'embrasait dans le feu de son amour immense. Il n'était pas convenable que les puissances inférieures opérassent en cette divine créature avant les supérieures de l'âme, et que celles-ci eussent leurs opérations inférieures sans être égales à celles des autres créatures; car si l'opération répond à l'être de chaque chose, celle qui était supérieurs à toutes, et en dignité et en excellence, devait aussi agir avec une supériorité proportionnée à toutes les créatures, tant angéliques qu'humaines. Et non-seulement elle ne devait pas être privée de l'excellence des esprits angéliques, qui usèrent de leurs puissances dès l'instant de leur création; mais cette même grandeur et cette prérogative étaient dues à celle qui était créée pour être leur Reine et leur Maîtresse. Et avec d'autant plus d'avantages, que le nom et l'once de Mère de Dieu est plus considérable et plus relevé que celui de ses serviteurs, et que le titre de Reine est au-dessus de celui de sujets; car le Verbe n'a dit à aucun des anges : Vous êtes ma Mère, ni aucun d'eux n'a pu lui dire: Vous êtes mon Fils (1); ce commerce et cette mutuelle correspondance ne se (1) Hebr., I, 5. 540 trouvant qu'entre Marie et le Verbe incarné; et c'est par là qu'il faut mesurer et rechercher la grandeur de Marie, comme l'Apôtre cherche celle de Jésus-Christ. 235. Je reconnais ma grossièreté; ma rudesse et mon insuffisance féminine, en écrivant ces divins secrets du Roi de gloire dans cet heureux temps, pour honorer et révéler ses oeuvres(1); je suis même affligée de ne pouvoir éviter de me servir des termes communs et vides , par lesquels je ne saurais exprimer ce que je découvre dans la lumière que mon âme reçoit de ces mystères. Il nous faudrait d'autres paroles, d'autres raisonnements et d'autres termes plus particuliers et plus proportionnés; mais ils sont au-dessus de mon ignorance. Et quand ils seraient même à ma disposition, ils surpasseraient et accableraient aussi la faiblesse humaine. Qu'elle se reconnaisse donc incapable de regarder fixement ce divin soleil, qui commence de venir au monde couronné de rayons de la Divinité, quoique couvert du nuage du sein maternel de sainte Anne. Que si nous voulons mériter l'avantage de nous approcher et de jouir de cette merveilleuse vision, venons-y libres et dépouillés, les uns de cette naturelle lâcheté , les autres de cette crainte et circonspection qui se couvrent du prétexte d'humilité. Mais approchons- nous-en avec une souveraine dévotion et avec une piété éloignée de tout esprit de contention (2), et alors il nous sera permis de voir de près (1) Tob., XII, 7. - (2) Rom., XIII, 13 et 14. 541 le feu de la Divinité au milieu du buisson qu'il brûle sans le consumer (1). 236. J'ai dit que la très-sainte âme de Marie vit abstractivement dans le premier instant de sa très-pure conception l'essence divine, parce qu'il ne m'a pas été manifesté qu'elle ait vu la gloire essentielle; mais plutôt je pénètre que ce privilège fut singulièrement réservé pour la très-sainte âme de Jésus-Christ, comme lui étant dû et devant accompagner l'union substantielle de la Divinité en la personne du Verbe, afin que son âme ne fût pas un seul instant sans être unie avec elle par ses puissances et par une grâce souveraine et une éminente gloire. Car notre Seigneur Jésus-Christ commença d'être homme et Dieu tout ensemble; il commença aussi de connaître Dieu et de l'aimer comme compréhenseur. Mais l'âme de sa très-sainte Mère n'étant pas substantiellement unie à la Divinité, elle ne commença pas aussi à jouir de ce privilège, parce qu'elle venait su monde comme voyageuse. Néanmoins comme dans cet ordre elle était la plus immédiate à l'union hypostatique, elle eut aussi une autre vision proportionnée et la plus immédiate à la vision béatifique, mais pourtant inférieure à celle de Jésus-Christ, quoique supérieure. à toutes les visions et les révélations que les autres créatures ont jamais reçues de la Divinité, excepté sa claire vision et sa jouissance. Cela n'empêcha pas néanmoins que la vision que la Mère de Jésus-Christ reçut de la Divinité (1) Exod., II, 2. 542 dans son premier instant, ne surpassât en quelque manière la claire vision de plusieurs, en ce qu'elle, y connut plus de mystères abstractivement , que quelques bienheureux ne le font par la vision intuitive. Et bien qu'elle ne vit pas la Divinité face à face dans le temps de sa conception, elle ne laissa pas de la voir après, plusieurs fois durant le cours de sa vie, comme je le dirai en continuant son histoire. Instruction que la Reine du ciel me donna sur le chapitre précédent. 237. J'ai déjà dit que la Reine et Mère de miséricorde m'avait promis de me donner une instruction après avoir écrit les premières opérations de ses puissances et de ses vertus, afin de régler ma vie sur le très-pur miroir de la sienne; car c'était là la principale intention de cet avertissement. Et comme cette grande Reine, qui m'est toujours présente dans le temps que ces mystères me sont déclarés, est très-fidèle en ses promesses, elle a commencé à la fin de ce chapitre d'effectuer la parole qu'elle m'en avait donnée, et de faire ce qu'elle continuera régulièrement durant tout le reste de cet ouvrage. Ainsi je garderai cet ordre, écrivant à la fin des chapitres suivants ce que sa (543) Majesté m'enseignera, comme elle l'a fait présentement me tenant ce discours. 238." Ma fille, je veux que les mystères que vous écrivez de ma très-sainte vie vous soient une occasion de cueillir pour vous-même le fruit que vous désirez; et que le prix de vos travaux soit la plus grande pureté et perfection de votre vie, si vous vous dis posez, aidée de la grâce du Très-Haut, à m'imiter par la pratique des choses que vous entendrez. C'est la volonté de mon très-saint Fils que vous soyez a pénétrée de ce que je vous enseignerai, et que votre plus grande application soit de considérer avec toute l'estime de votre cœur mes vertus et mes oeuvres. Écoutez-moi donc avec attention et avec foi, car je vais vous dire des paroles de vie éternelle , et vous enseigner ce qu'il y a de plus saint et de plus parfait dans la vie chrétienne, et ce qui est le plus agréable aux yeux de Dieu; c'est pour quoi vous commencerez dès à présent à vous disposer pour recevoir la lumière, en laquelle vous dé couvrirez les mystères cachés de ma très-sainte vie et les instructions que vous souhaitez. Continuez cet exercice, écrivez ce que je vous enseignerai pour ceci, et commencez de considérer : 239." Que c'est un acte de justice que la créature doit à son Dieu éternel, quand elle reçoit l'usage de la raison , de lui adresser son premier mouvement dès qu'elle est en état de le connaître pour l'aimer, l'honorer et l'adorer comme son Créateur et son unique et véritable Seigneur. Que l'obligation naturelle des (544) parents est d'instruire et de conduire leurs enfants dans cette connaissance, aussitôt qu'ils arrivent à l'horizon de cette lumière raisonnable, en .les dirigeant et les élevant avec tant de soin, qu'ils ne soupirent . et n'aspirent qu'après leur dernière fin, et fassent tous leurs efforts pour la rencontrer par les premiers actes de leur raison et de leur volonté. Ils devraient aussi faire tout leur possible pour les retirer de ces puérilités déréglées, auxquelles la même nature dépravée s'incline si on la laisse sans quelque personne capable de l'instruire; car si les pères et les mères se mettaient de bonne heure à prévenir ces trompeurs enchantements et ces mauvaises habitudes de leurs enfants, en les élevant dès leurs premières années à la connaissance de leur Dieu et de leur Créateur, ils se trouveraient ensuite bien plus disposés à le reconnaître et à l'adorer. Ma sainte mère, ignorant ma sagesse et mon état, pratiqua cette conduite à mon égard avec tant d'exactitude et de diligence, qu'en me portant dans son sein, elle adorait en mon nom le Créateur, lui rendait pour moi un souverain honneur et de dues actions de grâces de ce qu'il m'avait créée, et le priait de me garder, de me défendre et de me tirer libre de l'état où je me trouvais alors. Les parents doivent ainsi demander à Dieu, avec ferveur, qu'il fasse par sa providence divine que les âmes de leurs enfants arrivent à recevoir le baptême, et soient délivrées de la servitude du péché originel. 240. " Que si la créature raisonnable n'avait pas connu et adoré le Créateur dans son premier usage de (545) la raison, elle doit le faire dans l'instant que cet Être infini et cet unique bien qu'elle ignorait auparavant viendra à sa connaissance par les lumières de la foi. Et l'âme doit faire tous ses efforts, l'ayant une fois connu, de ne le perdre jamais de vue, de le craindre, de l'aimer et de l'honorer toujours. Vous avez eu cette obligation, ma -fille, durant le cours de votre vie, mais je veux à présent que vous la pratiquiez avec plus de perfection, et selon que je vous l'enseignerai. Adressez la vue de votre âme à cet être adorable de Dieu, qui n'a ni principe ni fin, et regardez-le, infini en ses attributs et en ses perfections; considérez que lui seul est la sainteté véritable, le souverain bien, le plus noble objet de la créature, celui qui a donné l'être à tout ce qui est créé, et qui le maintient et le protège sans en avoir besoin. Il est la beauté sans défaut, Celui qui est éternel en amour, véritable dans ses paroles et très-fidèle dans ses promesses, et Celui qui a donné sa propre vie et s'est livré aux tourments pour le bien de ses créatures, sans qu'aucune l'ait mérité. Jetez votre vue et occupez vos puissances dans cet immense champ de bonté et de bienfaits, sans l'oublier ni. vous en éloigner jamais; parce que, ayant une fois pénétré si avant dans la connaissance du souverain bien, c'est une noire rusticité et une infidélité bien grande que d'en sortir et de l'oublier par la plus horrible des ingratitudes, comme serait la vôtre, si, après avoir reçu une lumière divine au-dessus de la commune et supérieure à celle de la foi infuse, votre. entendement et votre volonté s'égaraient du chemin de (546) l'amour de Dieu. Que s'il vous arrive quelquefois de le faire par votre faiblesse, revenez à vous pour le chercher, sans perdre courage, et adorez le Très-Haut avec toute la diligence et toute l'humilité possibles, lui rendant honneur et gloire, et des louanges éternelles. Je vous avertis aussi que cette pratique que vous devez continuellement exercer, tant pour vous que pour toutes les autres créatures, doit être votre occupation ordinaire, à laquelle je veux que vous soyez fort exacte. 241. " Pour vous animer davantage, méditez sur ce que vous avez découvert de mes oeuvres; comme cette première vue du souverain bien blessa si heureusement mon cœur de son amour, que je m'abandonnai entièrement à lui pour ne le perdre jamais. Et nonobstant cela, j'étais toujours sur mes gardes, sans me lasser de marcher jusqu'à ce que je fusse arrivée au centre de mes désirs et de mes affections; parce que l'objet étant infini, l'amour ne doit avoir non plus de fin et ne reposer que dans sa possession. La connaissance de vous-même et de votre bassesse doit suivre de près celle de Dieu et son amour; car l'une vous doit servir d'échelle pour monter à l'autre. Soyez assurée que ces vérités, bien pénétrées et bien pesées, produisent de divins effets dans les âmes. " Ayant ouï ces saintes paroles et plusieurs autres de la Reine du ciel, je dis à sa Majesté 242. " Très-haute et très-sainteDame, dont j'ai l'honneur d'être la servante, et à qui je me consacre de nouveau pour me rendre, autant qu'il m'est possible, (547) moins indigne de ce titre, ce n'était pas sans sujet que, par un effet de votre bonté maternelle, mon cœur désirait si fort cet heureux jour pour y contempler et connaître les grandeurs ineffables de vos vertus dans le miroir très-pur de vos opérations, et pour ouïr la douceur de vos salutaires paroles. Je déclare, ma divine Reine, du plus sincère de mon cœur, qu'il n'est rien en moi qui puisse mériter cette insigne faveur : car je tiendrais pour une témérité fort grande d'écrire votre très- sainte vie; et je croirais qu'elle ne mériterait aucun pardon, si, en le faisant, je n'obéissais à votre volonté èt à celle de votre très-saint Fils. Recevez, Vierge sainte, ce sacrifice de louange, et parlez, car votre très-humble servante vous écoute (1). Que votre très-douce voix, ma divine Princesse, résonne à mes oreilles (2), puisque vos paroles sont des paroles de vie (3). Continuez, Vierge sacrée, de me faire part de vos instructions et de vos lumières, afin que mon cœur s'étende sur cette mer immense de vos perfections, et qu'il ait un si digne sujet de louer le Tout- Puissant. Je brûle du feu que votre charité ardente a allumé dans mon sein pour ne désirer que ce qui est le plus parfait, le plus pur et le plus agréable à vos yeux : mais je sens en moi-même cette fatale loi de mes membres toujours rebelle à celle de l'esprit, qui me retarde et m'embarrasse (4), et je crains avec justice, Mère très- pitoyable, qu'elle ne m'empêche d'embrasser le bien que vous (1) I Reg., III, 10 - (2) Cant., II, 14. - (3) Joan., VI, 69. - (4) Rom., VII, 23. 548 me proposez. Regardez-moi donc, ma bonne Reine, comme votre fille, enseignez- moi comme votre disciple, corrigez-moi comme votre servante, et forcez-moi comme votre esclave, dans mes négligences ou dans mes résistances : car ce ne sera pas ma volonté qui causera mes chutes, ce sera plutôt ma faiblesse. J'élèverai ma vue à la connaissance de l'être de Dieu, et, assistée de sa divine grâce, je règlerai mes affections,. afin qu'elles s'attachent à lui et qu'elles aiment ses perfections infinies; et si je le possède une fois, je ne l'abandonnerai jamais (1). C'est pourquoi je vous prie, bière de la belle connaissance et de l'amour le plus pur (2), de demander à votre Fils, mon Seigneur, la grâce de ne me pas délaisser, pour la grande complaisance qu'il eut lorsqu'il favorisa avec tant de profusion votre humilité (3), ô Reine et Maîtresse de l'univers ! (1) Cant., III, 4. - (2) Eccl., XXIV, 24. - (3) Luc., II, 48. 549 CHAPITRE XVII. Poursuivant le mystère de la conception de la très-sainte Vierge, le chapitre vingt-unième de l'Apocalypse me fut expliqué. PREMIÈRE PARTIE DU CHAPITRE. 243. Le privilège que la très-sainte Vierge a reçu d'être conçue en grâce, renferme un si grand nombre de mystères et si fort cachés, que, pour m'en mieux informer, sa Majesté m'en déclara plusieurs de ceux que l'évangéliste saint Jean renferme dans le chapitre vingt-unième de l'Apocalypse, et me renvoya à l'explication que j'en recevrais. Pour dire quelque chose avec. ordre de ce qui m'en a été manifesté, je diviserai l'interprétation de ce chapitre en trois parties, pour éviter la fatigue qu'il pourrait causer sil restait entier. Je présenterai premièrement la lettre, selon sa teneur, cri la manière qui suit : 244." Je vis après un nouveau ciel et une nouvelle terre; car le premier ciel et la première terre avaient disparu, et il n'y avait plus de mer. Et moi, Jean, je vis la sainte cité, la nouvelle Jérusalem qui venait de Dieu et descendait du ciel, préparée comme une épouse qui s'est ornée pour son époux. En même temps j'ouïs sortir du trône une grande vois qui (549) disait: Voici le tabernacle de Dieu avec les hommes, et il habitera avec eux. Et ils seront son peuple, et Dieu même demeurera avec eux et sera leur Dieu : et Dieu essuiera toutes les larmes de leurs yeux, et il n'y aura plus de mort, ni de gémissements, ni de a cris, ni de douleurs, car les choses premières sont passées. Et Celui qui était assis sur le trône dit : " Voici, je fais toutes choses nouvelles. Et il me dit : " Écrivez, car ses paroles sont très- fidèles et véritables. Puis il ajouta : Tout est fait; je suis l'alpha et l'oméga, le commencement et la fin. Je donnerai a gratuitement à boire de la fontaine de vie à celui qui aura soif. Celui qui aura vaincu possèdera ces choses, et je serai son Dieu, et il sera mon fils. Mais pour les lâches, les incrédules, les abominables, les homicides , les fornicateurs, les sorciers,. les idolâtres, et n tous les menteurs, leur partage sera dans l'étang brûlant de feu et de soufre, qui est la seconde mort (1). " 245. Cette partie est la première des trois de la lettre que j'expliquerai dans ce chapitre, en la divisant par ses versets. Je vis après (dit l'évangéliste) un nouveau ciel et une nouvelle terre (2). La très-pure Marie étant sortie des mains de Dieu tout-puissant, et le monde ayant déjà reçu la matière immédiate dont la très-sainte humanité du Verbe, qui devait mourir pour l'homme, se devait former, l'évangéliste dit qu'il vit un nouveau ciel et une nouvelle terre. Ce n'est pas sans une grande propriété que cette nature et le (1) Apoc., XXI, 1-9. - (2) Ibid., 1. sein virginal dans lequel et duquel elle se forma purent être appelés ciel (1), puisque Dieu commença d'habiter dans ce ciel d'une nouvelle manière, et bien différente de celle qu'il avait eue jusqu'alors dans l'ancien ciel et dans toutes les créatures. Le ciel même des bienheureux fut appelé nouveau après le mystère de l'incarnation, parce que la nouveauté, qui n'y était pas auparavant, lui venait de ce que les hommes mortels s'y trouvaient, et de l'innovation que la gloire de la très- sainte humanité de Jésus-Christ et de sa très pure bière aussi causa dans ce ciel; elle fut si grande après la gloire essentielle, qu'elle put renouveler les cieux et leur donner une nouvelle beauté et une splendeur particulière. Car, quoique les anges bienheureux y fussent, c'était une chose déjà passée, et par conséquent ancienne : ainsi il lui fut fort nouveau que le Fils unique du Père rendit aux hommes par sa mort le droit de la gloire, qu'ils avaient perdue par le péché, et qu'en la leur méritant de nouveau, il les introduisit dans le ciel, dont ils étaient privés, et dans l'impuissance de l'acquérir par eux mêmes. Et, parce que toute cette nouveauté du ciel eut son principe en la très-pure Marie, l'évangéliste dit avoir vu un nouveau ciel quand il la vit conçue sans le péché, qui en était le seul obstacle. 246. Il vit aussi une nouvelle terre, parce que l'ancienne terre d'Adam était maudite, souillée et coupable du péché qui lui faisait mériter la damnation (1) Jerem., XXXI, 22. 552 éternelle; mais la terre sainte et bénie de Marie fut une nouvelle terre sans tache ni malédiction d'Adam : et si nouvelle, que depuis cette première formation il ne s'en était vu ni connu dans le monde aucune autre nouvelle jusqu'à la très-pure Marie, Elle fut si nouvelle et si exempte de la malédiction de l'ancienne terre, qu'en cette bénie terre toutes les autres terres des enfants d'Adam se renouvelèrent, puisque par la terre de la bénie Marie, et avec .elle et en elle, la masse terrestre d'Adam, qui avait été jusqu'alors maudite, et avait vieilli dans sa malédiction, fut bénie, renouvelée et vivifiée. Ainsi elle se renouvela toute par la très-pure Marie et par son innocence; et, comme cette innovation de la nature humaine et terrestre trouva son principe en elle, saint Jean dit qu'il vit en Marie conçue sans péché un nouveau ciel et une nouvelle terre. Il poursuit : 247. Car le premier ciel et la première terre avaient disparu (1). Il devait s'ensuivre que la nouvelle terre et le nouveau ciel de la très-sainte Vierge, et de son Fils homme et Dieu, venant et apparaissant au monde, l'ancien ciel et la vieille terre de la nature humaine et terrestre par le péché disparussent. II y eut un nouveau ciel pour la Divinité en la nature humaine, qui, étant préservée et exempte du péché, donnait une nouvelle habitation à Dieu même dans l'union hypostatique en la personne du Verbe. Le premier ciel, que Dieu avait créé en Adam, ne subsistant plus, s'étant (1) Apoc., XXI, 1. 553 rendu indigne par la souillure de son péché que Dieu demeurât en lui, disparut, et il en survint un nouveau en la venue de Marie. Il y eut aussi un nouveau ciel de gloire pour a nature humaine : ce n'est pas que l'empyrée se changeât ou disparut, mais parce qu'il ne s'y trouvait aucun homme, plusieurs siècles s'étant écoulés sans qu'il y en eut : et en cela il n'était plus appelé premier ciel, car il fut renouvelé par les mérites de Jésus-Christ, qui commençaient déjà à poindre en l'aurore de la grâce, à savoir Marie sa très-sainte Mère : ainsi le premier ciel et la première terre, qui avaient été jusqu'alors sans remède, s'en allèrent. Et il n'y avait plus de mer, parce que la mer des abominations et des péchés, qui inondaient tout le monde et noyaient la terre de notre nature , disparut par la venue de la très-pure Marie et par celle de Jésus-Christ, puisque la mer de son précieux sang surpassa celle des péchés en la suffisance, et, en comparaison de cette mer et de son prix, il est sur qu'il n'est point de péché qui puisse subsister. Si les mortels voulaient profiter de cette mer infinie de la divine miséricorde et des mérites de notre Seigneur Jésus-Christ, tous les péchés seraient bannis du monde, car l'Agneau de Dieu est venu pour les détruire et les anéantir tous. 248. Et moi, Jean, je vis la sainte cité, la nouvelle Jérusalem, qui venait de Dieu et descendait du ciel, préparée comme une épouse qui s'est ornée pour son époux (1). Parce que tous les mystères commençaient (1) Apoc., XXI, 2. 555 et prenaient leur fondement en la très-sainte vierge, l'évangéliste dit qu'il la vit sous la figure de la sainte cité de Jérusalem, etc. Car en cette métaphore il parla de notre auguste Reine; et il lui fut accordé de la voir, afin qu'il connut mieux le trésor qui lui avait été recommandé et confié au: pied de la croix, et qu'il le garda avec d'autant plus d'estime et de respect, qu'il en pénétrait mieux les grandeurs. Et, quoiqu'il n'y 'eùt personne qui ptit dignement suppléer à la présence du Fils de la vierge, néanmoins il était à propos que saint Jean, qui lui était substitué (1), fût particulièrement informé de la valeur de ce trésor, selon que le requérait la dignité dont il était honoré: 249. Les mystères que Dieu opéra en la sainte cité de Jérusalem l'ont rendue plus propre à servir de symbole à celle qui était ma Mère, le centre et l'abrégé de toutes les merveilles du Tout-Puissant; et par conséquent aussi de, l'Église militante et de la triomphante; Saint Jean étendit sa, vue sur toutes, comme un aigle; des plus nobles, par le rapport et par l'analogie que ces cités mystiques de Jérusalem ont entre elles. Mais sa fin fut de regarder singulièrement la suprême Jérusalem, la très-pure Marie, en qui se trouve l'abrégé de toutes les grâces, les merveilles, les dons et les excellences des églises militante et triomphante. Car tout ce qui se fit dans la Jérusalem de Palestine, et tout ce gui elle et ses habitants signifient, est compris dans la très-sacrée vierge Marie, la sainte cité de Dieu, (1) Jaon., XIX, 27. avec bien plus d'excellence qu'en tout le reste. du ciel, de la terre et des pures créatures qu'ils renferment. C'est pour ce sujet qu'il l'appelle nouvelle Jérusalem, parce que tous ses dons, toutes ses grandeurs et toutes ses vertus sont nouvelles, et causent aux saints une nouvelle merveille. Nouvelle, parce qu'elle fut après tous les anciens pères, tous les patriarches et tous les prophètes, et que leurs clameurs, leurs oracles et leurs promesses s'accomplirent et se renouvelèrent en elle. Nouvelle, parce qu'elle vient sans souillure de péché, et descend de la grâce par un sien nouvel ordre, et très-éloignée de la loi commune du péché. Enfin elle est nouvelle, parce qu'elle entre au monde triomphant du démon et de la première erreur, qui est la chose la plus nouvelle qui s'y fût encore vue depuis son commencement. 250. Parce que ce prodige était nouveau en la terre et qu'il ne pouvait pas venir d'elle, l'évangéliste dit qu'il descendait du ciel. Et quoique le sujet de nos admirations descendît par l'ordre commun de la nature d'Adam ; néanmoins ce ne fut pas par le grand et ordinaire chemin du péché, par on tous es prédécesseurs, enfants de ce premier coupable, avaient passé. Il y eut un autre décret dans la divine prédestination pour cette seule Reine, et il s'ouvrit une nouvelle voie par où elle vint avec son très-saint Fils au monde, sans qu'aucun autre des mortels eût le privilège d'y passer ni de les y suivre dans cet ordre particulier de la grâce. Ainsi elle descendit nouvelle, dès le ciel de l'entendement et des dispositions éternelles de Dieu. 556 Et lorsque les autres enfants d'Adam descendent de la terre terrestre et souillés par cette même terre, cette Reine de l'univers vient du ciel, comme descendante seule de Dieu par l'innocence et par la grâce; car nous disons communément que quelqu'un vient de cette maison d'où il descend, et qu'il descend d'où il a reçu l'être qu'il tient. L'être naturel que la très-pure Marie a reçu d'Adam, à peine se peut-il apercevoir en la considérant Mère du Verbe, et comme à côté du Père éternel par la grâce et par la participation qu'elle en reçut à cause de cette dignité. Et cet être étant en elle l'âtre principal, celui qu'elle tient de la nature sera comme accessoire et moins principal; et ainsi l'évangéliste regarda le principal, qui descendit du ciel, et non pas l'accessoire, qui vint de la terre. 251. Il poursuit, en disant qu'elle venait préparée comme une épouse qui s'est ornée pour son époux. L'on cherche parmi les mortels, pour le. jour des épousailles, les plus riches et les plus propres ornements qu'on puisse trouver pour parer et embellir l'épouse terrestre; quoique même les pierreries se trouvent empruntées, pourvu que rien ne manque ni à sa qualité ni à son état. Or, si nous avouons, comme il le faut nécessairement, que la très-pure Marie fut en telle sorte Épouse de la très-sainte Trinité, qu'elle était aussi Mère de la personne du Fils, et que pour être disposée à ces dignités elle fut ornée par le même Dieu tout-puissant, infini, riche, mm borne et sans mesure; quels furent donc les ornements, les (557) préparatifs et les joyaux avec lesquels il embellit et orna son Épouse et sa Mère, afin qu'elle fût digne de lui? En aurait-il peut-être réservé quelqu'un dans ses trésors? Lui aurait-il refusé quelque grâce dont la puissance de son bras la pouvait parer et enrichir? L'aurait-il laissée laide,, difforme, en désordre et tachée en quelque endroit ou pour quelques instants? Serait-il avare envers sa Mère et envers son Épouse, lui qui verse avec tant de profusion les trésors de sa divinité sur les autres âmes, qui sont à son égard moins que les servantes et les esclaves de sa maison? Elles avouent toutes, avec le même Seigneur, que l'élue et la parfaite est. unique (1) , et que toutes les autres la doivent reconnaître , déclarer et glorifier pour l'immaculée et la très-heureuse entre toutes les femmes; et, ravies d'admiration en la considérant, elles s'interrogent pénétrées de joie et de ses louanges : Qui est celle qui parait comme l'aurore, qui est belle comme la lune, élue comme le soleil, et terrible comme une armée bien rangée (2)? C'est la très- pure Marie, l'.unique Épouse et la Mère du Tout-Puissant, qui descendit au monde comme l'Épouse de la très-sainte Trinité, ornée et disposée pour son Époux et pour son Fils. Cette venue et cette entrée se firent avec tant de dons de la Divinité, quo sa lumière la fit plus agréable que l'aurore, plus, belle que la lune, plus singulière que le soleil et sans Égale, plus forte et plus puissante que toutes les armées du ciel et des (1) Cant., VI, 8. - (2) Ibid. 3. 558 saints. Elle descendit ornée et enrichie pour Dieu, qui lui donna tout ce qu'il voulut, et lui voulut donner, tout ce qu'il put, et lui put donner tout ce qui n'était pas l'être de Dieu; mais il lui accorda tout ce qui une pure créature était capable de recevoir de plus immédiat à sa divinité, et de plus éloigné du péché. Cet ornement fut très-achevé et très-parfait; il ne le serait pas s'il lui manquait quelque chose , comme il lui manquerait s'il eût été quelques instants sans l'innocence et sans la grâce. Que si les richesses et les ornements de la grâce eussent été appliqués sur une personne souillée du péché, ils n'auraient pas pu la faire si belle qu'on la dit; car on aurait beau travailler et embellir un habit de la plus riche broderie, si son étoffe était difforme et tachée, on y découvrirait toujours quelque vilaine marque qui le rendrait désagréable. Le tout serait indigne de la pureté de Marie, et indécent à sa dignité de Mère et d'Épouse de Dieu; et étant injurieux à elle-même, il le serait aussi à cette Majesté infinie, qui ne l'aurait as ornée ni enrichie avec cet amour d'Époux ni avec cette tendre prévoyance de Fils, si, ayant en son pouvoir les plus beaux, les plus propres et les plus précieux ornements, il n'avait employé que les pires et les plus malpropres pour revêtir sa Mère, son Épouse et soi-même. . 252. Il est déjà temps que l'entendement humain se tire de sou assoupissement et s'étende sur l'honneur de notre grande Reine; et que ceux qui, étant fondés en une opinion s'opposent à son honneur, se taisent et cessent de la dépouiller et de lui ravir l'ornement (559) de son immaculée pureté dans l'instant de sa divine conception. Je déclare une et plusieurs fois, par la force de la vérité et de la lumière en laquelle je vois ces mystères ineffables, que tous les privilèges, toutes les grâces, toutes les prérogatives, toutes les faveurs et tous les dons de la très-pure Marie, y comprenant la dignité de Mère de Dieu, tous dépendent et tirent leur origine, selon qu'on me le découvre., d'avoir été immaculée, pleine de grâce en sa conception très-pure; de sorte que sans ce privilège tous les autres paraîtraient défectueux, ou comme un superbe édifice sans fondement solide et sans proportion. Ils se rapportent tous, par un certain ordre et par un enchaînement inséparable, à la pureté et à l'innocence de la conception. C'est pourquoi il a été nécessaire de toucher si souvent ce mystère dans le récit de cette histoire, dès les décrets divins et la formation de Marie et de son très-saint Fils en tant qu'homme. Je ne m'y étends plus présentement, mais je vous avertis, tous que la Reine du ciel estima si fort l'ornement et la beauté qu'elle avait reçue de sou Fils et de son Époux en sa très-pure conception, que c'est par rapport à cette insigne faveur que se règlera l'indignation qu'elle aura contre ceux qui prétendront de la lui ôter et de la noircir par leurs disputes et par leur opiniâtreté, dans le temps que son très-saint Fils a bien voulu la manifester au monde avec un si riche appareil et avec tant de beauté, pour sa propre gloire et pour l'espérance et la consolation des mortels. L'évangéliste poursuit : 560 253. Et jouis une grande voix du trône qui disait Voici le tabernacle de Dieu avec les hommes, et il habitera avec eux, et ils seront son peuple, etc. (1). La voix du Très-Haut est grande, forte, douce et efficace pour émouvoir et pour attirer à soi toute la créature. Telle fut cette voix qui sortait du trône de la très-sainte Trinité et qui se fit entendre à saint Jean, de sorte qu'elle captiva toute l'attention qu'elle lui demandait, en lui disant de considérer avec attention le tabernacle de Dieu, afin de recevoir par cette même attention une connaissance parfaite du mystère qui lui était manifesté dans la vision du tabernacle de Dieu avec les hommes, qu'il demeurerait avec eux, qu'il serait leur Dieu et qu'eux seraient son peuple. Tout cela était renfermé dans la vue de l'heureuse descente du ciel de la très-pure Marie en la forme que j'ai déjà dite; car ce divin tabernacle de Dieu étant au monde, il s'ensuivait que le même Dieu serait aussi avec les hommes, puisqu'il résidait dans son tabernacle sans s'éloigner jamais de lui. Et ce fut comme si l'on eût voulu dire à l'évangéliste : Le Roi de l'univers ayant son palais et sa cour sur la terre, il n'y a point de doute que ce ne soit pour y venir demeurer. Et Dieu devait habiter d'une telle façon dans ce sien tabernacle, qu'il en prît la forme humaine, en laquelle il devait converser dans le monde, habiter avec les hommes, être leur Dieu et eux son peuple (2), comme un héritage que son Père lui donnait et à sa Mère aussi. Le Père éternel (1) Apoc., XXI, 8. - (2) Gal., IV, 4. nous donna pour héritage à son très-saint Fils, non-seulement parce qu'en lui et par lui il créa toutes choses, et lui en donna la possession dans l'éternelle génération; mais aussi parce qu'en tant qu'homme lii nous racheta en notre même nature, nous acquit pour son peuple et pour son héritage paternel, et nous fit ses propres frères (1). Par la même raison de la nature humaine, nous filmes et nous sommes l'héritage et la légitime de sa très-sainte Mère; parce qu'elle donna su Verbe éternel la forme du corps humain, de sorte qu'elle nous fit son acquisition. Et étant la Fille du Père éternel, la Mère du Verbe et l'Épouse du Saint-Esprit, elle était par conséquent la maîtresse de toutes les créatures, car son . Fils unique devait hériter de toutes choses; et ce que les lois humaines établissent pour de bonnes raisons naturelles, ne devait pas moins être établi par les lois divines. 254. Cette voix sortit du trône céleste par l'organe d'un ange qui disait à peu près, avec une sainte émulation , à l'évangéliste : Considérez avec toutes. vos attentions le tabernacle de Dieu avec les hommes, il doit demeurer avec eux, eteux doivent êtreson peuple; il sera leur frère et il prendra leur même forme par le moyen de ce tabernacle, l'auguste Marie, que vous voyez descendre du ciel par sa conception et par sa formation. Mais nous pouvons répondre à ce courtisan céleste d'une manière agréable et pleine de joie, (1) Tit, II,14. 562 que le tabernacle de Dieu est fort Bien avec nous, puisqu'il est à nous, et que par lui Dieu doit aussi être à nous en y recevant la vie et le sang qu'il doit offrir pour nous; et que par cette vie il doit nous acquérir et nous faire son peuple, et demeurer avec noua comme dans son domicile (1), puisque nous le recevrons au très-saint Sacrement, et qu'il nous fera par cette heureuse réception son tabernacle. Que ces divins esprits se contentent d'être nos aînés et dans de moindres nécessités que les hommes. Nous sommes les faibles cadets, et d'une santé si fragile, que nous avons besoin des caresses et des faveurs de notre Père et de notre Frère. Qu'il vienne donc au tabernacle de sa Mère et de la nôtre; qu'il prenne de son sein virginal la forme de la chair humaine; que la Divinité y soit couverte comme dans un voile sacré, et qu'il demeure avec nous et en nous. Ayons-le si proche, qu'il soit notre Dieu, et que nous soyons son peuple et son habitation. Que les esprits angéliques soient ravis d'admiration et le bénissent de tant de merveilles; et nous en devons jouir en les imitant dans leur reconnaissance, dans leurs louanges et dans leur amour. Le texte poursuit 255. Et Dieu essuiera toutes les larmes de leurs yeux, et il n'y aura plus de mort, de gémissements, de cris ni de douleurs, etc. (2). Les larmes que le péché tirait des yeux des mortels, furent essuyées par le fruit de la rédemption humaine, dont nous eûmes (1) Joan., VI, 57. - (2) Apoc., XXI, 4. des gages assurés en la conception de la très-pure Marie; car il ri est point de mort, point de douleurs ni de pleurs pour ceux qui profiteront des miséricordes du Très- Haut, du sang et des mérites de son Fils, de ses sacrements, des trésors de sa sainte Église et de l'intercession de sa très-sainte Mère pour les obtenir; parce que la mort du péché n'est plus, et tout son ancien venin et ses fatales suites sont arrivées à leur fin. Les véritables larmes ont suivi les enfants de perdition dans le profond de l'abîme, où elles ne tariront jamais. La douleur des travaux n'est pas une vraie douleur, ni les larmes qu'elle cause, mais plutôt apparentes, car elles peuvent se trouver avec la souveraine et véritable joie, et étant reçues avec tranquillité et résignation, elles sont d'un prix inestimable (1), le Fils de Dieu les ayant choisies pour soi, pour sa Mère et pour ses frères, comme un gage de son amour. 256. Il n'y aura aussi ni cris ni voix turbulentes, parce que les justes, comme de douces et de tendres brebis qui vont être sacrifiées (2), doivent apprendre à se taire à l'exemple de leur divin Maître et de sa très-humble bière. Car les amis de Dieu doivent renoncer su droit que la faible et délicate nature a de chercher quelque soulagement dans ses plaintes et dans ses gémissements, en voyant sa Majesté, qui est leur chef et leur modèle, humiliée jusqu'à la mort honteuse de la croix (3), pour réparer les dommages (1) Rom., V, 3. - (2) Isa., LIII, 7. - (3) Phil., II, 8. 564 de nos impatiences et de nos inquiétudes. Avec quelles raisons pourrait-on accorder à notre nature, qu'à la vue d'un tel exemple, elle se troublât et se plaignit dans les travaux? Comment lui peut-on permettre d'avoir des mouvements déréglés et contraires à la charité, lorsque Jésus-Christ vient établir la loi de l'amour fraternel ? L'évangéliste ajoute qu'il n'y aura plus de douleurs, parce que, s'il en devait rester quelqu'une parmi les hommes, ce serait la douleur de la mauvaise conscience; mais l'incarnation du Verbe dans le sein de la très-sainte Vierge lui fut un si doux remède, que cette douleur est à présent une cause de consolation et de joie, ne méritant plus le nom de douleur, puisqu'elle contient la plus douce et la plus agréable de toutes les joies, et que par sa venue au monde les choses premières disparurent, qui étaient les douleurs et les rigueurs inefficaces de l'ancienne loi, parce que toutes choses furent radoucies et achevées par la surabondance de la loi évangélique qui nous comblait de grâce. C'est pourquoi l'évangéliste dit ensuite : Voici, je fais toutes choses nouvelles (1). Cette voix sortit de, Celui qui était assis sur le trône, parce que, lui-même se déclara l'auteur de tous les mystères de la nouvelle loi de l'Évangile. Et donnant le principe à cette nouveauté si admirable et si inouïe parmi les créatures, que le fut de faire incarner le Fils unique du Père éternel, que de lui donner une Mère vierge et très-pure, il était nécessaire que toutes (1) Apoc., XXI, 5. choses étant nouvelles; il n'y eût rien de vieux en sa très-sainte Mère; et ne pouvant pas nier que le péché originel ne fût quasi aussi ancien que la nature, nous devons inférer de là que, s'il se fût trouvé en la Mère du Verbe incarné, il n'aurait pas fait toutes choses nouvelles. 257. Et il me dit : Écrivez, car ces paroles sont très-fidèles et véritables; puis il ajouta : Tout est fait, etc. (1). Selon notre manière de parler, Dieu est fort outré qu'on oublie les marques du grand amour qu'il nous a témoigné dans son incarnation et dans la rédemption du genre humain; et afin de laisser une perpétuelle mémoire de tant de faveurs, et pour suppléer à notre ingratitude, il commande qu'on les écrive. Ainsi les mortels les devraient écrire et graver dans leurs coeurs, et craindre l'offense qu'ils commettent contre Dieu par un oubli si brutal et si exécrable. Et quoiqu'à la vérité les catholiques conservent la foi et la créance de ces mystères, ils semblent néanmoins, par le mépris qu'ils témoignent à les reconnaître, et par celui qu'ils supposent en les oubliant, les nier tacitement, vivant comme s'ils ne les croyaient pas. Et afin qu'ils aient un accusateur de leur très-noire ingratitude, le Seigneur dit que ces paroles sont très-fidèles et véritables. Et puisqu'il n'y a rien de si constant, qu'on considère avec indignation l'infâme brutalité que les mortels pratiquent en dissimulant et en méconnaissant ces vérités, qui, étant en (1) Apoc., XXI, 5. 566 effet très-fidèles, seraient aussi très-efficaces pour émouvoir le coeur humain et pour vaincre sa dureté, si on s'en remplissait la mémoire, et si on les ruminait et pesait comme fidèles, certaines et infaillibles, considérant que Dieu les opéra toutes pour chacun de nous. 258. Mais comme les dons de Dieu ne sont pas sujets au repentir (1), car il ne révoque point le bien qu'il fait, quoiqu'il y soit provoqué par les offenses des hommes, il dit que tout est déjà fait (2). Comme s'il nous disait que, bien que nous l'ayons irrité par notre ingratitude, il ne veut pas suspendre les effets de son amour; ou disons plutôt qu'ayant envoyé la très-sainte Vierge au monde sans péché originel, il donne pour certaines toutes les choses qui regardent le mystère de l'incarnation; puisque, Marie se trouvant très-pure en la terre, il semblait que le Verbe éternel fût comme forcé de descendre du ciel pour prendre chair humaine dans son sein, et que cette vaste demeure ne lui suffisait pas. Il nous en donne de plus fortes preuves lorsqu'il dit: Je suis l'alpha et r oméga, la première et la dernière lettre, qui, comme le principe et la fin, renferment la perfection de toutes les oeuvres écrites; parce que , si je leur donne un commencement, ce n'est que pour les conduire jusqu'à la perfection de leur dernière fin : comme je le ferai par le moyen de cet ouvrage admirable, Jésus et Marie; car j'ai commencé par cet ouvrage, et par lui j'achèverai (1) Rom., XI, 29. - (2) Apoc., XXI, 6. verai toutes les oeuvres de la grâce, et j'attirerai à moi toutes les créatures en l'homme, comme à leur dernière fin et à leur unique centre, où elles doivent trouver leur véritable repos. 259. Je donnerai gratuitement à boire de la fontaine de vie à celui qui aura soif. Celui qui aura vaincu possèdera ces choses, etc. (1). Laquelle des créatures a prévenu toutes les autres pour donner des conseils à Dieu, ou pour lui faire quelque don qui l'obligeât au retour (2)? L'Apôtre nous fait cette proposition afin que nous soyons persuadés que tout ce que Dieu fait et a fait pour les hommes a été fait gratuitement et sans qu'il y fût obligé. La source des fontaines ne doit son cours à qui que ce soit de ceux qui y vont boire; ses eaux se donnent gratuitement à tous ceux qui les ;abordent. Que si tous ne participent pas à ses liquides trésors, ce n'est pas la faute de la source, mais de ceux qui sont assez négligents pour n'y pas aller étancher leur soif, puisqu'elle les convie avec tant de profusion et de complaisance (3). Et pour épargner encore nos peines, elle-même sort et va chercher les nécessiteux par des courses continuelles, s'offrant à tous d'une manière très- agréable. O tiédeur insupportable des mortels ! O ingratitude abominable! Si le véritable Seigneur ne nous doit rien et s'il nous a tout donné par grâce, et qu'entre toutes la plus grande fut de s'être fait homme et de mourir pour nous, parce qu'en cette faveur ii se donna entièrement (1) Apoc., XXI, 6 et 7. - (2) Rom., V, 34 et 35. - (3) Joan., VII, 37. 568 à nous, l'impétuosité de la Divinité ne cessant point jusqu'à ce qu'elle eût trouvé notre nature pour s'unir à elle et par elle à nous (1) : comment est-il possible, qu'étant si avides d'honneur, de gloire et de plaisirs, nous ne nous adressions pas à cette fontaine pour y puiser toutes ces choses qu'elle nous offre si libéralement (2) ? Mais j'en découvre la cause : c'est que nos avidités ne sont pas pour la véritable gloire, ni pour le véritable honneur, ni pour les véritables plaisirs; que nous ne soupirons qu'après les félicités trompeuses et apparentes, et que nous méprisons et négligeons les fontaines de la grâce et de toute consolation que notre Seigneur Jésus-Christ nous a ouvertes par ses mérites et par sa mort. A celui qui aura soif de la divinité et de la grâce, le Seigneur dit qu'il lui donnera gratuitement de la fontaine de vie. Hélas! quel spectacle digne de nos larmes et de notre compassion est celui de voir que la fontaine de vie s'étant découverte et même offerte, il y en ait si peu qui en soient altérés, et qu'il s'en trouve tant qui courent après les eaux de la mort (3) ! Mais courage, car celui qui vaincra en lui-même le diable, le monde et sa propre chair, possédera ces choses. Et il dit qu'il les aura, parce que, les recevant par grâce, il pourrait craindre d'en être privé, ou qu'on ne les lui révoquât dans quelque temps. C'est pourquoi, pour l'en assurer, on lui dit qu'on lui en donnera la possession sans restriction. (1) Ps. XLV, 5. - (2) Isa., LV, 1. - (3) Jerem., II, 13. 569 260. Et il y est encore plus affermi par une nouvelle et plus grande assurance, le Seigneur voulant bien ajouter ces paroles : Je serai son Dieu, et il sera mon fils (1) ; que s'il est notre Dieu et si nous sommes ses enfants, il s'ensuit de là que nous devons être héritiers de ses biens; étant héritiers (quoique tout l'héritage soit gratuit), nous le possédons pourtant avec sûreté, comme les enfants possèdent les biens de leur père (2). Et étant Père et Dieu tout ensemble, infini en ses attributs et en ses perfections, qui pourra exprimer ce qu'il nous offre en nous faisant ses enfants? car cette qualité renferme l'amour paternel, la conservation, la vocation, la vivification, la justification, les moyens pour y arriver et pour la fin du tout , la glorification et l'état bienheureux que les yeux n'ont point vu, ni les oreilles n'ont point entendu, ni le coeur de l'homme n'a pu concevoir (3). Et le tout est pour ceux qui vaincront et qui seront des enfants courageux et véritables. 261. Mais pour les lâches, les incrédules, les abominables, les homicides, les fornicateurs, les sorciers, les idolâtres et tous les menteurs, etc. (4). Tous ces innombrables enfants de perdition ont écrit leurs noms de leurs propres mains dans ce registre formidable; car le nombre des insensés qui ont préféré la mort à la vie, est infini (5). Ce n'est pas que les voies qui conduisent à cette vie soient cachées à ceux qui ont des (1) Apoc., XXI, 7. - (2) Rom., VIII, 17. - (3) I Cor., II, 9. - (4) Apoc., XXI, 8. - (5) Eccles., I, 15. 570 yeux pour s'en servir; mais parce que ceux-là les ferment à la lumière, et se sont laissés et se laissent tromper et aveugler par les embûches de Satan, .qui offre aux différentes inclinations et aux appétits dépravés des hommes, le mortel venin déguisé sous les diverses douceurs apparentes des vices qui flattent leurs passions (1). Aux lâches, qui sont continuellement agités et irrésolus, parce qu'ils n'ont pas goûté la douce manne de la vertu, et ne sont pas entrés dans le chemin de la vie éternelle; à ceux-là,il la représente insipide et terrible; et cependant le joug du Seigneur est doux et son fardeau fort léger (2). Ainsi trompés par cette terreur panique, ils sont plutôt vaincus par la paresse que par le travail. Pour ce qui est des incrédules, ou ils n'admettent point les vérités révélées, et ne leur donnent aucune créance, comme les hérétiques, les païens et les infidèles; ou, s'ils les croient, comme les catholiques, il semble qu'ils ne les entendent que de fort loin, et qu'ils. les croient plutôt pour les autres que pour eux-mêmes. Ainsi leur foi étant morte, ils opèrent comme des incrédules (3). 262. Les abominables, qui s'abandonnent à toutes sortes de vices avec impudence, se glorifiant de leurs méchancetés, Dieu les a en horreur, il les méprise et les retarde comme des exécrables et des rebelles qui sont presque dans l'impuissance de faire le bien; et s'éloignant du chemin de la vie éternelle, comme (1) Sap., IV, 12. - (2) Matth., XI, 30. - (3) Jacob., II, 25. 571 s'ils n'étaient pas créés pour elle, ils se séparent de Dieu, renoncent à ses faveurs et à ses bénédictions, et sont maudits du Seigneur et des saints. Quant aux homicides, qui usurpent sans crainte ni respect de la justice divine le droit que le souverain Seigneur a de gouverner cet univers et d'y châtier et venger les injures, ils seront mesurés et jugés avec la même mesure qu'ils ont voulu mesurer et juger les autres (1). Les fornicateurs, qui, pour un plaisir sale et passager dont la fin est toujours accompagnée de regret et d'horreur, sans pourtant que l'appétit désordonné en soit rassasié, renoncent à l'amitié de Dieu et méprisent les voluptés éternelles, qui plus elles rassasient, plus elles sont désirées, et qui, en remplissant tous nos souhaits, ne finiront jamais. Les sorciers, qui croient et se confient aux fausses promesses du dragon, caché sous les apparences d'ami, sont trompés et pervertis pour tromper et pervertir les autres. Les idolâtres, qui ne trouvèrent pas cette divinité qu'ils cherchaient et qui est si proche de tous (2), l'attribuant à qui ne la pouvait pas avoir, parce qu'ils en voulaient être eux-mêmes les distributeurs et l'appliquer à leurs propres ouvrages, qui n'étaient que des ombres inanimées de la vérité, incapables de contenir la grandeur de l'être du véritable Dieu. Les menteurs, qui s'opposent à la suprême vérité, qui est Dieu, et qui, pour s'en éloigner davantage, se privent de sa rectitude et de sa vertu, ayant plus de confiance au mensonge trompeur (1) Luc., VI, 38. - (2) Act., XVII, 27. 572 qu'à l'auteur de la vérité et de tout bien (1). 263. L'évangéliste dit, parlant de toua ces malheureux, avoir ouï que leur partage serait dans l'étang brûlant de feu et de soufre, qui est la seconde mort. Personne ne se peut plaindre de l'équité et de la justice divine; puisqu'ayant justifié sa cause par la multitude de ses bienfaits, et par tant d'effets de son infinie miséricorde; descendant du ciel pour vivre et pour mourir parmi les hommes, et les racheter par sa propre vie et par son propre sang; nous laissant dans sa sainte Église tant de fontaines de grâces pour nous les distribuer, sans que nous les eussions méritées, et surtout la Mère de la même grâce et la fontaine de la vie, la très-pure Marie, par le moyen de laquelle nous la pussions obtenir : les mortels n'ont pas voulu profiter de tous ces trésors, et qu'ils ont renoncé à la vie pour courir après l'héritage de la mort par un plaisir d'un moment; il ne faut donc pas être surpris s'ils recueillent ce qu'ils ont semé, et si leur partage est le feu éternel dans cet abîme formidable de soufre, où il n'est point de rédemption ni aucune espérance de vie, pour avoir encouru la peine de la seconde mort. Et, quoique cette mort soit infinie par son éternité, néanmoins la première mort du péché, dont les réprouvés ont fait le choix, est bien plus terrible, parce qu'elle fut une mort à la grâce que le péché leur causa, lui qui s'oppose à la bonté et à la sainteté infinies de Dieu, qu'ils offensaient lors (1) Jerem., II, 13. - (2) Apoc., XXI, 8. 573 qu'ils étaient dans les plus fortes obligations de l'adorer et de le servir. Et la mort de la peine est une juste punition de celui qui mérite d'être condamné à ces flammes dévorantes, que l'attribut de sa justice très-équitable lui applique; et par les effets de cette même justice, il est exalté et glorifié, comme par le péché il avait été méprisé et offensé. Que ce miséricordieux et juste Seigneur soit craint et adoré par tous les siècles. Amen. CHAPITRE XVIII. Il poursuit le mystère de la conception de la très-pure Marie par la seconde partie du chapitre vingt-unième de l'Apocalypse. 264. La lettre du chapitre vingt-unième de l'Apocalypse, que je poursuis, est celle- ci: a Aussitôt il vint un des sept anges qui avaient les fioles pleines des sept dernières plaies, et, parlant à moi, il me dit : " Venez, et je vous montrerai l'épouse qui est mariée avec l'Agneau. Et il me transporta en esprit sur une grande et haute montagne, et il me fit voir la ville sainte de Jérusalem, qui descendait du ciel et venait de Dieu; elle était vêtue de la clarté de Dieu, et sa lumière était semblable à une pierre précieuse, comme une pierre de jaspe transparente comme le (574) cristal. Elle avait une grande et haute muraille ayant douze portes, où étaient douze anges et des inscriptions qui contenaient les noms des douze tribus des enfants d'Israël. Il y avait vers l'orient trois portes; vers l'aquilon, trois portes; vers le midi, trois portes; et vers l'occident, trois portes. La muraille de la ville avait douze fondements, où étaient écrits les douze. noms des douze apôtres de l'Agneau. Et celui qui parlait à moi avait pour règle une canne d'or, dont il devait mesurer la ville, et ses portes et sa muraille. Et la ville était d'une figure carrée, aussi longue que large. Et il mesura la ville avec la canne d'or par douze mille stades, et la longueur, la largeur et la hauteur en étaient égales. Il mesura aussi les murailles, qui étaient de, cent quarante-quatre coudées, avec la mesure de l'homme, qui est celle de l'ange. Et ses murailles étaient bâties de pierre de jaspe: mais la ville était d'or très-pur, semblable à du verre fort clair (1). " 265. Ces anges, dont (évangéliste parle en cet endroit, sont sept, de ceux qui assistent particulièrement devant le trône de Dieu, et auxquels sa Majesté a donné la charge et le pouvoir de châtier certains péchés des hommes (2). Cette vengeance de la colère du Tout-Puissant arrivera dans les derniers siècles du monde, et la punition sera si extraordinaire, qu'il ne s'en sera jamais vu de semblable. Ces mystères sont si fort cachés, que je ne les puis pas tous pénétrer; et parce que (1) Apoc., XXI, 9-18. - (2) Id., XV, 1. 675 tous ne regardent pas cette histoire, et qu'il n'est, pas même convenable que je m'y arrête, je passe à ce qui est de mon sujet. Cet ange qui parla à saint Jean est celui par lequel Dieu vengera singulièrement, d'une manière formidable, les injures qu'on aura faites à sa très-sainte Mère, pour avoir irrité, en la méprisant par une folle témérité, l'indignation de sa toute puissance. Car la très-sainte Trinité s'étant engagée d'honorer et d'élever cette Reine du ciel sur toutes les créatures humaines et angéliques, et de la donner au monde comme un miroir de la Divinité et pour la médiatrice incomparable des mortels, Dieu même prendra un soin particulier de venger les hérésies, les eoeurs, les blasphèmes et toutes les injures qu'on aura commises contre elle, comme aussi de ne l'avoir pas glorifié, reconnu et adoré en ce sien tabernacle, et de n'avoir pas profité d'une si grande faveur. Toutes ces punitions sont prophétisées dans la sainte Église. Et quoique l'énigme de l'Apocalypse couvre par son obscurité cette rigueur, malheur, néanmoins, à ceux qui se l'attireront! Hélas! que je l'appréhende, moi qui ai offensé un Dieu si fort et si puissant à punir! Je suis abîmée dans la connaissance de tant de calamités dont il nous menace. 266. L'Ange parla à l'évangéliste, et il lui dit Venez, et je vous montrerai l'Épouse qui est mariée d l'Agneau, etc. (1). Il déclare ici que la sainte cité de Jérusalem, qu'il lui montra, est cette femme qui est (1) Apoc., XXI, 9. 576 l'Épouse de l'Agneau, prétendant de parler sous cette métaphore (comme j'ai déjà dit) de la très-sainte Vierge, que saint Jean regardait Mère et Épouse de l'Agneau, qui est Jésus-Christ; parce que notre Reine eut ces deux offices et les exerça divinement. Elle fut digne Épouse de la Divinité, et singulière par la grande foi (1) et par l'amour particulier avec lequel ces épousailles se firent et s'achevèrent : elle fut Mère du même Seigneur incarné, en lui donnant sa propre substance, la chair mortelle, la nourriture et l'entretien dans les nécessités de la forme humaine qu'elle lui avait donnée. L'évangéliste fut transporté en esprit sur une haute montagne de sainteté et de lumière, pour y être mieux disposé à y apercevoir et à pénétrer des mystères si relevés : car il ne les pouvait pas comprendre sans être élevé au-dessus de la faiblesse humaine, comme pour cette raison nous, qui sommes des créatures imparfaites, terrestres et lâches, n'y pouvons rien découvrir. Et dans ce transport, il dit : Il me fit voir la ville sainte de Jérusalem qui descendait du ciel (1), comme n'étant pas construite ni formée sur la terre, où elle n'était que comme passagère et étrangère, mais dans le ciel, où elle ne pouvait être formée par les seuls matériaux d'une terre commune; et quoiqu'elle en reçût la nature, ce fut néanmoins pour l'élever au ciel, où cette cité mystique se devait construire sur le modèle céleste, angélique et divin, semblable à la Divinité. (1) Cant., VI, 8. - (2) Apoc., XXI, 10. 577 267. C'est pourquoi il ajoute qu'elle était vêtue de la clarté de Dieu (1) ; parce que lame de la très-sainte Vierge eut une participation de la Divinité, de ses attributs et de ses perfections; que s'il nous était possible de la voir comme elle est, elle nous paraitrait rayonnante de la clarté éternelle de Dieu. il nous est dit de grandes et glorieuses choses dans l'Église catholique de cette Cité de Dieu (2), et ale la clarté qu'elle reçut du Seigneur; mais tout ce qu'on en dit est fort peu de chose, et tous les termes humains ne suffisent pas pour en exprimer la vérité. L'entendement créé étant vaincu et accablé de ses grandeurs, dit que la très-pure Marie eut un je ne sais quoi de la Divinité; déclarant en cela la vérité en substance, et son ignorance à exprimer ce qu'il avoue pour véritable. Si elle fut construite dans le ciel, le seul ouvrier et le souverain artisan qui la forma, connaîtra sa grandeur et l'alliance qu'il contracta avec la très-sacrée Marie, en comparant les perfections qu'il lui donna avec celles que sa divinité et sa grandeur infinie renferment. 288. Sa lumière était semblable à une pierre précieuse, comme une pierre de jaspe transparente comme le cristal, etc. (3). Il nous est plus. facile de voir qu'elle est comparée au cristal et au jaspe tout ensemble, entre lesquels il y a si peu de proportion, que d'être persuadés qu'elle soit aussi semblable à Dieu; mais par cette similitude nous comprendrons (1) Apoc., XXI, 11. - (2) Ps. LXXXVI, 9. - (3) Apoc., XII, 11. 578 quelque chose de celle-ci. Le jaspe renferme plusieurs couleurs, plusieurs aspects et quelque diversité d'ombres dont il est composé; et le cristal est fort clair, très-pur et uniforme, et tout cela uni ensemble ne peut que former une agréable et charmante variété. La très-pure Marie reçut en sa formation la variété des vertus et des perfections, dont il semble que Dieu ait formé son âme, composée et enrichie de ces divers ornements. Toutes ces grâces, toutes ces perfections, cette ressemblance qu'elle a avec un cristal très-pur, sans tache et sans vestige du péché, cette clarté et cette pureté qui l'embellissent (1), nous donnent des rayons et des traits de la Divinité, comme le cristal, qui, frappé du soleil, paraît le contenir en lui- même, et le représente en rayonnant comme lui. Mais ce jaspe cristallin a quelques ombres, parce qu'elle est fille d'Adam et une pure créature, et que toute cette splendeur qu'elle a du soleil de la Divinité est participée; et quoiqu'elle ressemble au soleil divin, ce n'est pas par nature, mais par participation et par une communication de sa grâce; elle 'est créature formée par la puissante main de Dieu, mais pour devenir sa propre Mère. 269. La ville avait une grande et haute muraille ayant douze portes (2). Les mystères renfermés dans cette muraille et aux portes de cette Cité mystique, la très-pure Marie, sont si cachés et si grands, que je.ne pourrai pas exprimer aisément ce qui m'en a été (1) Ps. XLIV, 10. - (2) Apoc., XXI, 12. 579 découvert, moi qui ne suis qu'une femme ignorante et grossière. Je le dirai pourtant le mieux qu'il me sera possible, devant présupposer que dans le premier instant de la conception de la très-sainte Vierge, lorsque la Divinité lui fut manifestée par cette vision, et en cette manière que j'ai dite ci-dessus, alors la très- sainte Trinité, à notre façon de concevoir, comme si elle eitt voulu renouveler ses premiers décrets de la créer et de l'exalter, fit comme un contrat en faveur de cette Reine, sans pourtant le lui faire connaître alors; et ce fut comme si les trois personnes divines eussent conféré ensemble en cette matière. 270. " La dignité que nous donnons à cette pure a créature de notre Épouse et de Mère du Verbe, qui doit naître d'elle, mérite que nous l'établissions Reine et Maîtresse de tout l'univers. Et outre les dons et les richesses de notre divinité, que nous lui donnons pour dot, il est convenable de lui accorder le pouvoir de manier les trésors de nos infinies miséricordes, afin qu'elle puisse distribuer et communiquer selon sa volonté les grâces et les faveurs nécessaires aux mortels, et singulièrement à ceux qui, comme ses enfants affectionnés, l'invoqueront, et qu'elle puisse enrichir les pauvres, secourir les a pécheurs, accroître les justes et être le refuge universel de tous. Et afin que toutes les créatures la a reconnaissent pour leur Reine, pour leur Supérieure et pour la dépositaire de nos biens infinis, avec puissance de les pouvoir dispenser, nous lui consignons les clefs de notre coeur et de notre (580) volonté, et elle sera en toutes choses l'exécutrice de notre bon plaisir envers les créatures. Nous lui donnerons de plus le domaine et la puissance sur le dragon notre ennemi, et sur tous les démons ses alliés, afin qu'ils craignent sa présence et son nom, et que par lui leurs tromperies s'évanouissent; et que tous les mortels qui se retireront sous la protection de cette ville de refuge, se trouvent en assurance , sans crainte des démons ni de leurs embûches. " 271. Le Seigneur ordonna à l'âme de la très-pure Marie, sans lut manifester tout ce qui était contenu dans ce décret on cette promesse, de prier avec affection pour toutes les âmes, et de leur procurer par ses sollicitations le salut éternel, et singulièrement pour ceux qui se recommanderaient à elle dans le cours de leur vie. Et la très-sainte Trinité lui promit que rien ne lui serait refusé en ce tribunal très- équitable, et qu'elle commanderait au démon et l'éloignerait de toutes les âmes avec force et empire, puisque le bras du Tout-Puissant la seconderait en tout. Mais on ne lui découvrit pas le sujet pour lequel elle recevait cette faveur et toutes les autres qui s'y trouvaient renfermées, qui était de la faire Mère du Verbe. Saint Jean, en disant que la sainte cité avait une grande et haute muraille, y comprit cette faveur que Dieu fit à sa Mère en la constituant le sacré refuge et la protectrice de tous les hommes, afin qu'ils trouvassent en elle toutes sortes de secours, comme en une forte ville et un invincible rempart contre leurs ennemis, (581) et que tous les enfants d'Adam recourussent à elle comme à la puissante Reine et Maîtresse de tout l'univers, et comme à la dispensatrice des trésors du ciel et de la grâce. Il dit aussi que cette muraille était fort haute, parce que le pouvoir qu'a la très-sainte Vierge de vaincre le démon et d'élever les âmes à la grâce est si haut, qu'il est immédiat à Dieu : cette sainte cité étant si bien pourvue et d'une défense si assurée, autant pour elle-même que pour ceux qui s'y vont réfugier, qu'il n'est que Dieu seul qui puisse franchir ses murailles inaccessibles à toutes les forces créées. 272. Il y avait douze portes à cette muraille (1) de la sainte cité, parce que son entrée est libre et générale à toutes les nations, sans en exclure aucune; mais au contraire elles y sont toutes conviées, afin qu'aucun (s'il ne le veut) ne soit privé de la grâce des dons et de la gloire du Très-Haut par le moyen de la Reine et de la Mère de miséricorde. Et aux douze portes il -y avait' douze anges. Ces princes célestes sont les douze dont j'ai déjà fait mention, et qui furent choisis d'entre les mille pour la garde de la Mère du Verbe incarné. Le ministère de ces douze anges, outre qu'il était d'assister à notre Reine, fut aussi pour lui servir particulièrement à inspirer et à défendre les âmes qui invoquent avec dévotion la protection de cette puissante Reine, et se distinguent en son service, en son honneur et en son amour. C'est (1) Apoc., XXI, 12. 582 pourquoi l'évangéliste dit qu'il les vit aux portes dé cette cité, parce qu ils sont ministres et comme agents qui aident, excitent et conduisent les mortels, afin qu'ils entrent à la félicité éternelle par les portes de la charité de la très-sainte Vierge. Et elle les envoie bien des fois avec des inspirations et des faveurs singulières, pour retirer des dangers et des travaux d'esprit et de corps ceux qui l'invoquent, délivrant par leur moyen ses affectionnés enfants de plusieurs peines et de beaucoup de périls. 273. L'évangéliste dit, qu' ils avaient des inscriptions qui contenaient les noms des douze tribus des enfants d'Israël (1), parce que les anges bienheureux participent aux noms du ministère et de (office pour lesquels ils sont envoyés su monde. Et comme ces douze princes assistaient singulièrement la Reine du ciel, afin que selon les ordres qu'ils en recevraient ils aidassent les hommes à opérer leur salut, et tous les élus compris clans les douze tribus d'Israël, qui forment le peuple choisi de Dieu; c'est pourquoi il est dit que ces anges avaient les douze noms des tribus, comme étant chacun destiné pour sa tribu, recevant sous leur protection et sous leur conduite tous ceux qui devaient entrer par ces portes de l'intercession de la très-pure Marie dans la Jérusalem céleste de toutes les générations. 274. Étant dans l'admiration de cette grandeur et de cette puissance de Marie, et de ce qu'elle était la (1) Apoc., XXI, 12.. 583 médiatrice et la porte de tous les prédestinés, il me fut découvert que cette prérogative répondait à la dignité de Mère de Jésus-Christ, et à l'office qu'elle avait exercé comme Mère envers son très-saint Fils et envers les hommes; car elle lui donna un corps humain de son très-pur sang et cette substance en laquelle il devait souffrir pour racheter les hommes. Ainsi, en quelque façon, elle souffrit et mourut en Jésus-Christ par cette union de la chair et du sang; outre qu'elle l'accompagna en sa passion et en sa mort, qu'elle souffrit par sa volonté en la manière qu'elle le pouvait avec une sublime humilité et une force divine. Et comme elle coopéra à la passion de son Fils et lui donna le corps qu'il sacrifiait pour tout le genre humain, de même le Seigneur voulut lui communiquer la dignité de rédemptrice, et lui donner les mérites et le fruit de la rédemption, afin qu'elle les distribuât et que ceux qui étaient rachetés les reçussent de ses mains. O admirable trésorière de Dieu, combien les richesses de la droite du Tout-Puissant sont assurées entre vos divines et libérales mains ! Cette sainte cité avait trois portes vers l'orient, trois portes vers le midi, et trois portes vers l'occident, etc. (1). Trois portes qui répondent à chaque partie du monde; et le nombre de trois nous facilite la possession de tout ce que le ciel et la terre renferment, et de Celui-là même qui a donné l'être à toutes les créatures, et ce sont les trois divines (1) Apoc., XXI, 13. 584 personnes, Père, Fils, et Saint-Esprit, chacune des trois voulant et prétendant que la très-sainte Marie ait trois portes par où elle puisse libéralement offrir et distribuer aux mortels les trésors de Dieu; et quoique ce Dieu soit en trois personnes, chacune néanmoins lui donne un accès et une porte libre, afin que cette très-pure Reine entre au tribunal de l'Être immuable de la très-sainte Trinité, pour y intercéder, demander et puiser des dons et des grâces pour enrichir tous ceux qui auront recours avec dévotion à sa protection; afin qu'en nul endroit de l'univers aucun ne puisse former des plaintes et des excuses; puisqu'en chacune de ses parties il n'y a pas seulement une porte, mais trois, qui convient toutes ses ustions. Car il est si aisé d'entrer dans une ville par une porte publique et ouverte à tous, que si quelqu'un n'y entre ce ne sera pas par le défaut des portes, mais par la faute de ceux qui par leur négligence n'auront pas voulu s'y réfugier. Que nous répondront ici les infidèles, les hérétiques et les païens? Quelle excuse auront les mauvais chrétiens et les pécheurs obstinés? Si les trésors du ciel sont à la disposition de notre Mère, si elle nous y appelle par ses anges et nous sollicite d'en profiter, et si elle n'est pas seulement la porte, mais plusieurs portes du ciel; comment se peut-il faire que le nombre de ceux qui restent dehors soit si grand, et celui de ceux qui y entrent soit si petit? 275. La muraille de celte ville avait douze fondements, oit étaient écrits les douze noms des douze apôtres (585) de l'Agneau (1). Les fondements solides et inébranlables sur lesquels Dieu construisit cette sainte Cité Marie sa très-pure Mère, furent toutes les vertus qui y répondaient par une conduite particulière du Saint-Esprit. Il y en eut douze avec les noms des douze apôtres, parce qu'elle fut fondée sur leur plus grande sainteté comme étant les plus grands des saints, selon David, qui nous dit que les fondements de la cité de Dieu furent jetés sur les saintes montagnes (2); parce que la sainteté et la sagesse de Marie servirent aussi de fondement et d'appui aux apôtres, après la mort de Jésus-Christ et après son ascension. Car, outre qu'elle fut toujours leur maîtresse et leur modèle, elle fut aussi alors le plus grand appui de la primitive Église. Et parce qu'elle y fut destinée parce ministère dès son immaculée conception avec toutes les vertus et les grâces nécessaires, c'est pour ce sujet que l'évangéliste dit quelle avait douze fondements: 276. Celui qui parlait à moi avait pour règle une canne d'or, et il mesura la ville avec cette canne par douze mille, stades, etc. (3). Saint Jean renferme dans ces mesures; de grands mystères de la dignité, des grâces, des dons et des mérites de' la Mère de bien. Et quoiqu'elle fût mesurée en la dignité et en toutes les faveurs qu'elle, reçut du Très-Haut avec une fort grande mesure, néanmoins la mesure s'accommoda malgré un retour possible avec tant d'égalité, qu'elle (1) Apoc., XXI, 14. - (2) Ps. LXXXVI, 2. - (3) Apoc., XXI, 15. 586 fut trouvée aussi longue que large (1), étant proportionnée et uniforme en toutes ses parties, sans aucune irrégularité. Je ne m'arrête pas ici sur ce sujet, parce que j'en dois parler dans toute la suite de cette histoire. Je me contente seulement de dire que cette règle, avec laquelle on mesura la dignité, les mérites et la grâce de la très-pure Marie, fut l'humanité sacrée de son Fils très-béni, unie au Verbe divin. 277. La règle est appelée par l'évangéliste canne, à cause de la fragilité de notre nature, composée d'une chair faible et débile; il la nomme d'or à cause de la divinité de la personne du Verbe. Avec cette dignité de Jésus-Christ, Dieu et homme véritable, avec les dons de la nature humaine, unie à la personne divine, et avec les mérites qu'il opéra, sa très-sainte Mère fut mesurée par le même Seigneur. Il la mesura avec lui-même; et l'ayant mesurée, elle parut être égale et proportionnée en la hauteur de sa dignité de Mère, en la longueur de ses dons et de ses faveurs, et en la largeur de ses mérites; elle fut égale en tout, sans diminution et sans disproportion. Et quoiqu'elle ne piyt, absolument parlant, W égaler à son très-saint Fils d'une égalité que les docteurs appellent mathématique, parce que notre Seigneur Jésus-Christ était homme et vrai Dieu, et elle une pure créature, et par cet endroit la règle excédait infiniment ce qu'elle mesurait en elle; néanmoins, la très-pure Marie eut une espèce d'égalité de proportion (1) Apoc., XXI, 16. 587 avec son très-saint Fils; car comme il ne lui manqua rien de ce qu'il devait avoir et lui convenait comme véritable Fils de Dieu, ainsi il se trouva en elle tout ce qui lui était dù et tout ce qu'elle devait à Dieu comme sa véritable Mère. De sorte que la très-sainte Vierge comme mère, et Jésus-Christ comme fils, eurent une égale proportion de dignité, de grâce, de dons et de mérites, puisqu'il n'y avait aucune grâce créée en Jésus-Christ qui ne fitt aussi avec proportion .en sa très-pure Mère. 278. Il mesura la ville avec cette canne par douze mille stades (1). Cette mesure de stades et le nombre de douze mille dont notre divine reine fut mesurée en sa conception, renferment des mystères très-relevés. L'évangéliste appelle stade la mesure parfaite avec laquelle la hauteur de la sainteté des prédestinés est mesurée , selon les dons de grâce et de gloire quo Dieu a résolu et ordonné en son entendement et en son décret éternel de leur communiquer par le moyen de son Fils incarné, les mesurant et les déterminant par son infinie équité et par sa miséricorde paternelle. Le Seigneur mesure avec ces stades tous les élus, et la hauteur de leurs vertus et de leurs mérites. Malheur à celui qui ne se trouvera pas juste à cette mesure quand le Seigneur le mesurera 1 Le nombre de douze mille contient tout le reste des prédestinés et dés élus compris dans les douze chefs de ces milliers, qui sont les douze apôtres, princes de l'Église (1) Apoc., XXI, 16. 588 catholique, ainsi qu'ils le sont au chapitre septième de l'Apocalypse dans les douze tribus d'Israël, parce que tous les élus se devaient soumettre à la doctrine que les apôtres de l'Agneau enseignèrent comme je l'ai dit ci-dessus sur le même chapitre. 279. L'on peut arriver à la connaissance de la grandeur de cette cité de Dieu, Marie sa très-sainte Mère, par tout ce que je viens de dire; car si nous donnons à chacun de ces stades pour le moins cent vingt-cinq pas géométriques, une ville qui aurait douze mille stades de circuit paraîtrait immense. Or, notre auguste Reine fut mesurée avec la règle et les stades dont Dieu se sert pour mesurer tous les prédestinés; mais la hauteur, la longueur et la largeur de tous ensemble ne la surpassèrent en rien, parce que celle qui était Mère de Dieu, Reine et Maîtresse de tout l'univers, les égala tous, pouvant elle seule contenir plus de grandeur que toutes les autres créatures. 280. Il mesura aussi les murailles, qui étaient de cent quarante-quatre coudées, avec la mesure de l'homme, qui est celle de l'ange (1). Cette mesure des murailles de la cité de Dieu n'était pas pour mesurer la longueur, mais la hauteur qu'elles avaient, parce que si les stades du carré de la ville étaient douze mille en largeur et en longueur, le carré étant égal par tous les endroits, il fallait nécessairement que les murailles eussent plus de circonférence, et que cette (1) Apoc., XXI, 17. 589 circonférence fût plus grande, si on les mesurait par la superficie extérieure pour enfermer dans leur circuit toute la ville; ainsi la mesure de cent quarante-quatre coudées (de quelque manière qu'elles eussent été) n'était pas proportionnée pour la longueur des murailles d'une si grande ville, mais bien pour la hauteur de ce rempart assuré pour ceux qui s'y trouvaient. Cette hauteur nous signifie la grande sûreté avec laquelle la très-pure Marie devait garder tous les dons et toutes les grâces de sainteté et de dignité qu'elle avait reçues du Très-Haut. C'est pourquoi il est dit que la hauteur était de cent quarante-quatre coudées, qui est un nombre inégal; y comprenant trois différentes murailles, grande, médiocre et petite, qui répondaient aux oeuvres de la Reine du ciel, dont il y en eut de très-grandes, de médiocres et de petites. Ce n'est pas qu'il se trouvât rien de petit en elle, mais à cause que les matières auxquelles elle s'occupait étaient différentes, et par conséquent les ouvres l'étaient aussi. Les unes étaient miraculeuses et surnaturelles, les autres d'une vertu morale; et celles-ci se partageaient en intérieures et en extérieures; et elle les pratiquait toutes avec une si grande plénitude de perfection, qu'elle n'omettait point les petites d'obligation pour les plus grandes, ni les plus relevées pour les moindres; mais elle lés exerça toutes dans un si haut degré de sainteté et de complaisance du Seigneur, qu'elles furent toutes justes à la mesure de son très-saint Fils, tant aux dons naturels qu'aux surnaturels. Et cette mesure fut (590) celle de l'Homme-Dieu , qui est l'ange du grand conseil, supérieur à tous les hommes et à tous les anges, que la Mère surpasse avec le Fils dans quelque proportion. 281. L'évangéliste dit que ses murailles étaient bâties de pierre de jaspe (1). Les murailles sont les premiers objets que rencontre la vue de ceux qui abordent une ville : et la diversité des aspects, des couleurs et des ombres, qui se trouvent dans le jaspe, dont les murailles de cette cité de Dieu, la très-pure Marie, étaient composées, nous signifient l'humilité ineffable qui servait de voile pour cacher toutes les grâces et toutes les excellences de cette grande Reine : car, étant digne Mère de son Créateur, exempte de toute sorte de tache de péché et d'imperfection, elle parut néanmoins à la vue des hommes comme tributaire et sous les ombres de la loi commune des autres enfants d'Adam , se soumettant aux lois pénibles de la vie commune, comme je le dirai en son lieu. Mais cette muraille de jaspe, qui découvrait les mêmes ombres que les autres femmes ont, n'était en elle que selon les apparences, servant en effet à cette sainte cité d'un invincible rempart. L'intérieur de la ville était d'or très-pur semblable à du verre fort clair, parce qu'il ne se trouva jamais ni en la formation de la très-pure Marie, ni durant tout le cours de sa vie très-innocente, aucune tache (2) qui pût obscurcir sa pureté cristalline. Car, comme la moindre paille (fût-elle (1) Apoc., XXI, 18. - (2) cant., IV, 7. comme un atome) qui tomberait dans le verre quand on le forme, ternirait pour toujours sa clarté transparente, sans qu'on la pùt jamais tirer qu'il n'y restât quelque vestige désagréable : de même si la très-pure Marie eût contracté en sa conception la tache et la souillure du péché originel, sa difformité n'en sortirait jamais, elle en serait noircie pour toujours, et ne pourrait pas être un verre très-net , ni un or si pur qu'on le dit, puisqu'il se trouverait en sa sainteté et en ses dons ce noir alliage du péché originel, qui amoindrirait sa valeur : mais cette sainte cité fut comparée à l'or et au verre, parce qu'elle fut très-pure et semblable à la Divinité. CHAPITRE XIX. Qui contient la dernière partie du chapitre vingt-unième de l'Apocalypse sur la conception de la très-sainte Vierge. 282. Le texte de la troisième et dernière partie du chapitre vingt-unième de l'Apocalypse, que je vais expliquer, est celui-ci : " Les fondements des murailles de la ville étaient embellis de toutes sortes de pierres a précieuses. Le premier fondement était de jaspe, et le second de saphir, le troisième de calcédoine, le (592) quatrième d'émeraude, le cinquième de sardonix, le sixième de sardoine, le septième de chrysolithe, le huitième de béril, le neuvième de topaze, le dixième de chrysoprase, le onzième d'hyacinthe, le doua zième d'améthyste. Et les douze portes étaient de douze perles, chaque porte d'une seule perle; et la place de la ville était d'or pur, comme du verre fort transparent. Et je ne vis point de temple en elle; car le Seigneur Dieu tout-puissant est son temple et l'Agneau. Cette ville n'a pas besoin du soleil ni de la lune pour l'éclairer, parce que la gloire de Dieu l'éclaire, et que l'Agneau en est la lampe. Et a les nations marcheront dans sa lumière; et les rois de la terre apporteront leur honneur et leur gloire en elle. Et ses portes ne seront point fermées de jour; car il n'y aura point là de nuit. Il n'y entrera rien de souillé, ni aucun de ceux qui commettent des choses exécrables et des faussetés, mais seulement ceux qui sont écrits dans le livre de vie de l'Agneau (1). " Voilà la lettre de cette dernière partie, que je dois expliquer. 283. Le très-haut Seigneur ayant élu cette sainte cité, l'auguste Marie, pour la plus propre et la plus agréable demeure qu'il pouvait avoir au dehors de lui-même, entre les pures créatures, il ne faut pas, s'étonner s'il tira des trésors de sa divinité et des mérites de son très-saint Fils les plus riches matériaux pour construire les fondements des murailles de sa ville, (1) Apoc., XII, 19-21. embellis de toutes sortes de pierres précieuses (1) : afin que la force et la sûreté , signifiées par les murailles, l'excellence de sa beauté, la hauteur de sa sainteté et des dons, qui sont les pierres précieuses, et sa très-pure conception, qui en est le fondement, fussent avec une égale correspondance proportionnées en elles-mêmes, et à la fin pour laquelle il la fondait, qui était de demeurer en elle par amour et par l'humanité sa crée de son Fils, qui la reçut dans son sein virginal. L'évangéliste nous dit tout ceci, selon qu'il le découvrit en notre très- sainte Reine, parce qu'il était convenable à la dignité, à la sainteté et à la sûreté qu'exigeait l'habitation que Dieu devait faire en elle, comme dans un invincible rempart, que les fondements de ses murailles, qui étaient les premiers principes de son immaculée conception, fussent construits de toutes sortes de vertus, en un degré si éminent et si précieux, qu'il ne se pût trouver d'autres pierres plus riches pour les fondements de cette muraille. 284. Il est dit que le premier fondement ou la première pierre était de jaspe (2), dont la variété et la force marquent la constance et la fermeté que cette grande dame reçut au moment de sa très-sainte conception, afin qu'avec cette habitude elle fût disposée à pratiquer durant le cours de sa vie, toutes les vertus avec une magnanimité et une constance invincible; .et parce que ces vertus et ces habitudes, qui furent (1) Apoc., XXII,19. - (2) Ibid. 594 accordées et infuses à la très-pure Marie dans l'instant de sa conception, signifiées par ses pierres précieuses, eurent des privilèges singuliers que le Très-Haut avait accordés à chacune de ces douze pierres, je les déclarerai selon ma faible portée, afin que l'on pénètre le mystère que renferment les douze fondements de la cité de Dieu. Il lui fut donné en cette habitude de force. une supériorité spéciale, et comme un empire sur l'ancien serpent, afin qu'elle pût l'humilier, le vaincre et l'assujettir, et qu'elle donnât une si grande terreur aux démons, qu'ils prissent honteusement la fuite, et craignissent si fort ses approches, que la seule. pensée d'aborder sa présence les fit trembler. C'est pourquoi ils ne s'approchaient jamais de la très-sainte Vierge que leurs tourments n'en fussent redoublés. La divine Providence lui fut si libérale, que non-seulement elle ne la comprit point dans les lois communes des enfants du premier père' en la délivrant du péché originel et de la servitude du démon, que ceux qui s'y trouvent renfermés contractent; mais aussi l'éloignant de tous ces malheurs, elle lui accorda l'empire que tous les hommes perdirent sur les démons, pour ne s'être pas conservés dans l'heureux état d'innocence. Il fut de plus accordé à cette divine princesse, en qualité de Mère du Fils du Père éternel, qui descendit dans son sein pour détruire l'empire d'iniquité de ces ennemis de tout. bien (1), une puissance royale, participant de l'être (1) Joan., XII, 31. 595 de Dieu, par laquelle elle soumettait les démons et les envoyait plusieurs fois dans les abîmes de l'enfer, comme je le dirai en. continuant cette histoire. 285. Le second est de saphir (1). Cette pierre représente la couleur d'un ciel serein et clair, et elle marque certains petits points ou atomes d'or reluisant; elle. signifie la tranquillité que le Très-Haut accorda aux dons et aux grâces de la très-pure Marie, afin qu'elle jouît toujours, comme un ciel immuable, d'une paix sereine exempte des nuages turbulents, découvrant dans cette sérénité des traits de la Divinité dès l'instant de son immaculée conception, tant à cause de la participation et de la ressemblance que ses. vertus avaient avec les attributs divins, singulièrement avec celui de l'immutabilité, que parce qu'étant encore voyageuse, le voile lui fut plusieurs fois tiré pour lui faire voir clairement Dieu, comme je le dirai dans la suite : sa Majesté lui accordant en ce don singulier la vertu et le privilège de communiquer le repos et le calme d'esprit à ceux qui le demanderaient par son intercession. Que si tous les catholiques qui sont agités et étourdis par les funestes orages que les vices excisent en eux, demandaient comme il faut ce calme, ils en éprouveraient des effets merveilleux. 286. Le troisième est de calcédoine (2). Cette pierre prend son nom de la province où elle se trouve, qui s'appelle Calcédoine. Sa couleur approche fort de celle (1) Apoc., III, 19. - (2) ibid. 596 de l'escarboucle, et sa lueur parait de nuit comme celle d'une lampe. Le mystère de cette pierre est de manifester le très-saint nom de Marie et sa vertu. Elle le prit de cette province du inonde où elle se trouva, s'appelant fille d'Adam, comme les autres, et Marie, dont le nom et l'accent changé en latin, signifie les mers, parce qu'elle fut l'océan des grâces et des dons de la Divinité. Elle vint su monde par la voie de sa très-pure conception, qui l'inonda de ses eaux salutaires, détruisant la malice et les effets du péché, et bannissant les ténèbres de l'abîme par la lumière de son esprit éclairé des rayons de la sagesse divine. Le Très-,Haut lui accorda par rapport à ce fondement une vertu particulière, afin qu'elle dissipât, par le moyen de son très-saint nom de Marie, les épais nuages de l'infidélité, et détruisit les erreurs des hérésies, du paganisme, de l'idolâtrie, et tous les doutes formés sur la foi catholique. Et si les infidèles avaient recours à cette lumière en l'invoquant, il est assuré qui en fort peu de temps ils secoueraient de leurs entendements les ténèbres de leurs erreurs, qui se noieraient toutes dans cette mer par la vertu du Très-Haut, qui à cette fin la lui communiqua. 287. Le quatrième fondement est d'émeraude (1), dont la couleur est d'un vert fort agréable, qui récrée la vue sans la fatiguer; il nous découvre avec beaucoup de mystères la grâce que la très-sainte Vierge reçut en sa conception, afin qu'étant très-aimable et (1) Apoc., XXI, 19. 597 très-agréable aux yeux de Dieu et des créatures, elle conservât sans jamais l'offenser, ni perdre son très-doux souvenir, la belle verdure et la force de la sainteté, des vertus et des dons qu'elle recevait et qu'on lui accordait. Et le Très- Haut lui donna actuellement en cette correspondance le pouvoir de distribuer cette même faveur et de la communiquer à ses fidèles serviteurs qui l'invoqueraient pour obtenir la persévérance et la fermeté dans l'amitié de Dieu. 288. Le cinquième est de sardonix (1). Cette pierre est transparente, et sa couleur tire plus vers l'incarnat clair, approchant de la nacre, que sur le noir et le blanc qu'elle renferme, et dont elle reçoit une agréable variété. Le mystère de cette pierre et de ses couleurs nous représente tout à la fois la Mère et le très-saint Fils qu'elle devait concevoir. Le noir signifie en Marie la partie terrestre du corps, noirci par la mortification et par les travaux qu'elle endura; il signifie la même chose de son très-saint Fils, défiguré par nos péchés. Le blanc marque la pureté de l'âme de la Mère vierge et de notre Seigneur Jésus-Christ. Et l'incarnat manifeste en l'humanité la Divinité unie hypostatiquement; et en la Mère, il déclare l'amour de son très-saint Fils avec tous les brillants de la Divinité qui lui furent communiqués. Il fut accordé par ce fondement à la grande Reine du ciel qu'elle pût rendre par son intercession et par ses prières le mérite de l'incarnation et de la rédemption , (1) Apoc., XXI, 20. 598 qui est suffisant à tous, efficace à ses fidèles serviteurs; et que pour obtenir cette grâce, elle leur procurât aussi une dévotion particulière aux mystères et à la vie de notre Seigneur Jésus-Christ. 289. Le sixième de sardoine (1). Cette pierre est aussi transparente, et comme elle a du rapport avec la plus claire flamme du feu, elle fut le symbole du don que le coeur de la Reine du ciel reçut, de briller incessamment du. feu de l'amour divin comme une flamme inextinguible; car cet amoureux embrasement n'eut jamais aucun intervalle de diminution en elle; mais au contraire, dès l'instant de sa conception, auquel ce feu céleste commença de s'allumer, il ne cessa de croître jusqu'à ce qu'il fût arrivé au plus haut degré oh une pure créature pouvait parvenir, dans lequel elle brûle et brûlera heureusement pendant toute l'éternité. Il fut ici accordé à la très-pure Marie un privilège singulier de distribuer avec cette correspondance les influences du Saint-Esprit, son amour et ses dons, à ceux qui les demanderaient par son intercession. 290. Le septième de chrysolithe (2). La couleur de cette pierre ressemble à un or reluisant avec quelque brillant qui a un grand rapport avec le feu, qu'on dé, couvre plus facilement pendant la nuit que pendant le jour. Elle déclare en la très-pure Marie l'ardent amour qu'elle eut pour l'Église militante, pour ses mystères, et singulièrement pour la loi de grâce. Cet (1) Apoc., XXI, 20. - (2) Ibid. amour brilla davantage dans la nuit que la mort de son très-saint Fils causa à toute l'Église, par le gouvernement que cette grande Reine eut aux commencements de la loi évangélique, et par la fervente affection avec laquelle elle demanda son établissement et celui de ses sacrements; coopérant à tout (comme je le dirai en son lieu), avec cet amour très-ardent qu'elle avait pour le salut de tout le genre humain, elle fut la seule qui sût et qui pût dignement estimer la très-sainte loi de son Fils autant qu'elle le méritait. Avec ce même amour elle fut destinée dès son immaculée conception, pour être la coadjutrice de notre Seigneur Jésus-Christ. Il lui fut aussi accordé un privilège particulier pour procurer à ceux qui l'invoqueraient, la grâce de se bien disposer à recevoir avec fruit les sacrements de la sainte Église, sans porter aucun obstacle à leurs divins effets. 291. Le huitième de béril (1). Cette pierre précieuse est de couleur verte et jaune, mais elle participe plus du vert, de sorte qu'elle approche fort de l'olive, brillant avec beaucoup d'éclat. Elle représente les vertus singulières de foi et d'espérance que la très-sainte Vierge reçut en sa conception avec une particulière clarté, afin qu'elle entreprit des choses trèssublimes, comme en effet elle le fit pour la gloire de son Créateur. Il lui fut accordé avec ce don le pouvoir de communiquer à ses dévots serviteurs la force et la patience dans les tribulations, dans leurs peines , (1) Apoc., XXI, 20. 600 et dans leurs difficultés, aussi bien que de disposer de ces vertus et de ces dons en vertu de la fidélité et de la présence du Seigneur. 292. La neuvième de topaze (1). Cette pierre est transparente, dé couleur du violet, d'un grand prix et fort estimée. Elle fut le symbole de la virginité. de la très-pure Marie, notre bonne Reine et Mère du Verbe incarné. Elle en fit un si grand cas, qu'elle eu rendit de très-humbles actions de grâces au Seigneur pendant toute sa vie. Dès l'instant de sa conception elle demanda au Très-Haut la vertu de chasteté, et elle lui en fit un sacrifice pour tout le reste de ses jours; elle connut alors que sa demande lui était accordée selon ses désirs : cette grâce ne se limitant pas à elle seule, puisque le Seigneur mit sous sa conduite et sous sa protection toutes les personnes vierges et chastes, et prétendit que ces fidèles serviteurs obtinssent ces précieuses vertus et le don d'y persévérer par son intercession. 293. Le dixième est de chrysoprase (2) , dont la couleur est verte, tirant quelque peu sur celle de l'or. Elle signifie la forte espérance qui fut accordée à la très-pure Marie en sa conception, et qu'étant animée de l'amour de Dieu, elle en fut divinement rehaussée. Cette vertu a toujours été inébranlable en notre Reine, ainsi qu'elle le devait être pour communiquer le même effet à toutes les autres; car leur stabilité s'appuyait sur la force immuable et la constante (1) Apoc., XXI, 20. - (2) Ibid. magnanimité de son âme dans toutes les souffrances et dans tous les exercices pénibles de sa très-sainte vie, et principalement dans cette affliction qui la pénétra en la mort et en la passion de son Fils très-béni. Elle reçut avec cette faveur le pouvoir d'être la médiatrice efficace auprès du Très-Haut, pour obtenir à ses serviteurs cette vertu de fermeté dans leur espérance. 294. Le onzième de hyacinthe (1), qui est d'une couleur d'un parfait violet. Ce fondement renferme l'amour qui fut infus à la très-sainte Vierge en sa conception, et qu'elle devait avoir pour tout le genre humain, le recevant comme l'avant- coureur de celui que son Fils devait avoir en mourant pour les hommes. Et comme de cet amoureux principe tous les remèdes de nos péchés et la justification de nos âmes devaient prendre leur origine, cette grande Reine reçut un singulier privilège avec cet amour, qu'elle conserva toujours dès ce premier instant, afin que par son intercession aucune, sorte de pécheurs, pour grands et abominables qu'ils pussent être , ne fussent exclus du fruit de la rédemption et de la justification s'ils l'invoquaient avec confiance, et que par le moyen de cette puissante avocate ils obtinssent la vie éternelle. 295. Le douzième d'améthyste (2), de couleur reluisante tirant sur le violet. Le mystère de cette pierre ou de ce fondement a quelque correspondance avec le premier, parce qu'il signifie une certaine vertu qui (1) Apoc., XXI, 20. - (2) Ibid. 602 fut accordée à la très-pure Marie en sa conception, contre les puissances de l'enfer, afin que les démons ressentissent et éprouvassent qu'il en sortait une force (sans pourtant leur commander ni agir contre eux) qui les tourmentait lorsqu'ils voulaient approcher de sa personne. Ce privilège lui fut accordé par rapport au zèle incomparable que cette princesse avait d'exalter et de défendre la gloire et l'honneur de Dieu : la très-sainte Vierge ayant en vertu de cette faveur spéciale une puissance particulière de chasser les démons des corps humains par la prononciation de son très-saint nom, qui est si puissant contre ces malins esprits, qu'en l'entendant prononcer toutes leurs forces s'évanouissent. Voilà enfin les mystères des douze fondements sur lesquels Dieu construisit sa sainte cité, l'auguste Marie; et quoiqu'ils renferment plusieurs autres mystères des faveurs qu'elle reçut et que je ne puis expliquer, j'en déclarerai pourtant quelque chose dans la suite de cette histoire, selon les lumières et les forces que j'en recevrai du Seigneur. 296. L'évangéliste poursuit : Que les douze portes étaient de douze perles, chaque porte d'une seule perle (1). Le grand nombre des portes de cette ville déclare que l'entrée de la ville éternelle devint aussi facile que libre à tous par la très-pure Marie et par sa dignité ineffable. Car il était comme dû et convenable à l'excellence de cette auguste Reine, que la miséricorde (1) Apoc., XXI, 21. 603 infinie du Très-Haut s'exaltât en elle et par elle, en ouvrant tant de chemins pour communiquer à sa Divinité, et pour faire entrer en sa possession tous les mortels par le moyen de la très-sainte Vierge, s'ils voulaient se prévaloir de ses mérites et de sa puissante intercession. Mais le prix inestimable, la prodigieuse grandeur, la beauté et l'éclat de ces douze portes, qui étaient autant de perles,' découvrent l'inestimable dignité et les charmants attraits de cette Impératrice du ciel, et les ravissants appâts de son très-doux nom pour attirer à Dieu les mortels. La très-pure Marie connut cette faveur du Seigneur, qui la faisait la médiatrice sans égale du genre humain, et. la dispensatrice des trésors de sa divinité par son fils uniques Et par cette connaissance la prudente et charitable dame sut rendre les mérites de ses oeuvres et de sa dignité si précieux et si beaux, qu'elle est l'admiration de tous les esprits bienheureux. C'est pourquoi les portes de cette sainte cité furent des perles précieuses devant le Seigneur et devant les hommes. 297. Et dans ce rapport saint Jean dit que la place de cette ville était d'or pur comme du verre fort transparent (1). La place de cette cité de Dieu, la très-pure Marie, est son intérieur, où (comme dans une place publique) toutes les puissances de l'âme et tout ce qui y entre par les sens, concourent pour se trouver dans cet important commerce. Cette place fart, en la très-auguste Marie, un or très-pur et très-reluisant, (1) Apoc., XXI, 21. 604 car elle était comme construite de sagesse et d'amour divin; il n'y eut jamais ni tiédeur, ni ignorance, ni aucune légèreté; toutes ses pensées furent très-relevées et ses affections toujours ardentes d'une immense charité. Ce fut en cette place qu'on consulta les très-hauts mystères de la Divinité ; en cet heureux endroit a été accordé ce fiat mihi, etc. (1) , qui donna le principe au plus grand ouvrage que Dieu ait fait et qu'il fera; on y projeta les demandes innombrables qui devaient être présentées au tribunal de Dieu en faveur du genre humain. Et si tous veulent participer au commerce de cette place, ils y trouveront assez de richesses pour se tirer de leur état misérable, et suffisantes même pour bannir toute sorte de pauvreté (2). Elle sera aussi une place d'armes contre les démons et contre tous les vices , puisque dans l'intérieur de la très-pure Marie se trouvaient les grâces et les vertus qui la rendirent terrible à l'enfer, et qui nous devaient animer et nous donner des forces pour le vaincre. 298. L'évangéliste dit aussi qu'il ne vit point de temple en cette ville, car le Seigneur Dieu tout-puissant est son temple et l'Agneau (3). Les temples sont destinés dans les villes pour la prière et pour le culte que nous devons rendre à Dieu. Ce serait donc un grand défaut dans la cité de Dieu, s'il y en avait un tel que sa grandeur et sa Majesté l'exigent. C'est pourquoi il y eut en cette Cité, la très- pure Marie, un temple si (1) Luc., I, 38. - (2) Prov., VIII, 18. - (3) Apoc., XXI, 22 605 auguste et si sacré, que le même Dieu tout-puissant et l'Agneau, qui sont la divinité et l'humanité de son Fils unique, lui servirent de temple (parce qu'ils se trouvèrent en elle comme en leur propre et légitime lieu), auquel temple ils furent adorés et honorés en esprit et en vérité (1), bien plus dignement qu'en tous les temples du monde. Ils furent aussi le temple de la très-sainte Vierge, parce qu'elle fut comprise, environnée et comme enfermée dans la divinité et dans l'humanité, l'une et l'autre lui servant d'habitation et de tabernacle dans cette heureuse demeure; elle ne cessa jamais d'adorer, de prier et de rendre un culte agréable au même Dieu et au Verbe incarné dans son sein virginal (2); ainsi elle était en Dieu et en l'Agneau comme dans un temple, puisque le temple ne demande pas moins qu'une sainteté continuelle en tout temps. Pour contempler dignement cette divine Princesse, nous la devons toujours considérer renfermée dans la même Divinité et en son très-saint Fils comme dans un temple; et là nous comprendrons quels actes et quelles opérations d'amour, d'adoration et d'honneur elle rendait à Dieu, quelles devaient être les délices qu'elle ressentait avec le même Seigneur, et les demandes qu'elle lui faisait dans ce temple en faveur du genre humain; car, comme elle voyait en Dieu le grand besoin que les hommes avaient du remède, elle s'enflammait en sa charité, demandait avec des clameurs ardentes, et priait du (1) Joan., IV, 23. -(2) Ps. XCII, 5. 606 plus profond et du plus tendre de son coeur pour le salut des mortels. 299. Notre saint secrétaire ajoute que cette ville n'a pas besoin de soleil ni de lune pour l'éclairer, parce que la gloire de Dieu l'éclaire, et que l'Agneau en est la lampe (1). En la présence d'une clarté plus grande et plus rayonnante que celles du soleil et de. la lune, celles-là n'y sont nullement nécessaires, comme il arrive dans le ciel empyrée, qui est éclairé par des soleils infinis, sans avoir besoin de celui qui nous illumine sur la terre, quoiqu'il soit d'une beauté si éclatante. La très-pure Marie pouvait se passer du soleil et de la lune qui servent aux mortels; elle n'en devait pas être enseignée ni éclairée, car elle fut la seule et sans exemple qui plut au Seigneur, sa sagesse, sa sainteté et la perfection de ses oeuvres ne pouvant pas avoir d'autre maître et d'autre arbitre que le même Soleil de justice, son très-saint Fils. Toutes les. créatures ne furent pas capables de lui enseigner les moyens de mériter d'être la digne Mère de son Créateur. Ce fut dans cette même école où elle apprit à être la plus humble et la plus obéissante de toutes ses servantes, puisqu étant instruite de Dieu même, elle ne laissa pas de consulter les plus inférieurs et de leur obéir dans les choses les plus petites de bienséance; apprenant d'un tel maître cette divine philosophie, se montrant en cela la plus digne disciple de Celui. qui corrige les sages. Aussi elle en. devint si sage et si prudente, que l'évangéliste a dit (1) Apoc., XXI, 23. 607 300. Que les nations marcheront dans sa lumière (1). Car si notre doux Rédempteur Jésus-Christ a appelé les docteurs et les saints des flambeaux allumés, et mis sur le chandelier de l'Église afin qu'ils l'éclairassent (2), la lumière et l'éclat que les patriarches et les prophètes, les apôtres, les martyrs et les docteurs ont répandus, ayant rempli l'Église catholique de tant de clarté; qu'elle paraît un ciel orné de plusieurs soleils et de plusieurs lunes, que pouvait-on dire de la très-sainte Vierge, dont la resplendissante lumière surpasse incomparablement celle de tous les saints, de fous les docteurs et même de tous les esprits angéliques? Si les mortels avaient des yeux assez pénétrants pour voir les lumières de la très-pure Marie, ils avoueraient qu'elle seule suffirait pour éclairer tous les hommes qui viennent au monde, et pour les conduire par les voies assurées de l'éternité bienheureuse. Et d'autant que tous ceux qui sont arrivés à la connaissance de Dieu ont marché en la lumière de cette sainte Cité, saint Jean dit que les nations marcheront dans sa lumière Et il s'ensuivra ainsi 301. Que les rois de la terre apporteront leur honneur et leur gloire en elle (3). Les rois et les princes qui travailleront avec une heureuse vigilance pour accomplir cette prophétie en leurs personnes et en leurs monarchies, seront fort heureux. Tous le devraient faire, mais ceux qui y contribueront le plus seront les plus dignes d'envie, s'ils se dévouent avec (1) Apoc., XXI, 24. - (2) Matth., V, 14. - (2) Apoc., XXI, 24. 608 une sincère affection de leur coeur à la très-pure Marie, employant leur vie, leur honneur, leurs richesses et la grandeur de leurs forces et de leurs États pour la défense de cette cité de Dieu, pour étendre sa gloire par tout le monde, et pour faire exalter son saint nom dans toute l'Église, en dépit de la folle témérité des infidèles et des hérétiques. Je m'étonne avec douleur que les princes catholiques ne fassent tous leurs efforts- pour mériter la protection de cette auguste Dame, et ne l'invoquent avec ardeur dans leurs périls (qui sont toujours plus grands à l'égard des princes qu'à l'égard de tous les autres hommes), afin de trouver en elle un lieu de refuge, une protectrice et une puissante avocate. Que si les rois et les princes sont exposés à de grands dangers, qu'ils se souviennent donc que les obligations et la reconnaissance qu'ils doivent à leur libératrice en sont d'autant plus grandes, puisque cette divine Reine parlant d'elle-même, dit que c'est par elle que les rois sont élevés et maintenus sur leur trône, que par elle les princes commandent et les puissants de la terre administrent la justice (1), qu'elle aime ceux qui l'aiment, et que ceux qui l'invoquent jouiront de la vie éternelle (2), parce qu'en opérant en elle ils ne pècheront point. 302. Je ne veux point cacher la lumière qui m'a été si souvent communiquée, et principalement celle que je reçois en cet endroit avec ordre de la manifester, (1) Prov., VIII, 15 et 16. - (2) Eccl., XXIV, 31. 609 Il m'a été découvert en Dieu que toutes les afflictions de l'Église catholique et tous les travaux que le peuple . chrétien souffre, se sont toujours dissipés par l'intercession de la très-pure Marie, et que dans ce malheureux siècle où nous sommes, auquel l'orgueil des hérétiques s'élève avec' tant d'impudence contre Dieu et contre son Église affligée, il n'y a qu'un seul remède pour mettre fin à des misères si déplorables, qui est que les rois et les royaumes catholiques adressent leurs voeux et leurs prières à la Mère de la grâce et de la miséricorde, la très-sainte Vierge, et se la rendent favorable par quelque service signalé, qui augmente sa dévotion et étende sa gloire par toute la .terre; afin qu'elle nous regarde avec miséricorde, et nous obtienne de son très-saint Fils la grâce de nous corriger et de détruire le grand nombre de vices énormes que l'ennemi commun a semés parmi le peuple chrétien, apaisant par son intercession la colère du Seigneur qui nous châtie avec tant de justice, et nous menace de plus grandes afflictions et de plus grands malheurs. Et de ce retranchement de nos.crimes s'ensuivra la victoire contre les infidèles, et l'extirpation des hérésies et des fausses sectes qui oppriment la sainte Église, parce que la très-auguste Marie est une épée qui les doit vaincre et les exterminer dans le monde. 303. Le monde ressent aujourd'hui le funeste effet de cet oubli, et si les princes catholiques ne prospèrent pas dans le gouvernement de leurs royaumes, dans leur conservation, à augmenter la foi, à résister (610) à leurs ennemis, et dans les guerres contre les infidèles; tout cela arrive parce qu'ils ne se sont pas conduits par ce nord, et n'ont pas dédié leurs actions et leurs pensées à Marie, oubliant que cette Reine se trouve dans les chemins de la justice pour la leur enseigner, pour les conduire par ses voies (1), et pour enrichir tous ceux qui l'aiment. 304. O prince et chef de la sainte Église catholique, et vous prélats qui recevez aussi le titre de princes ! ô prince catholique et monarque d'Espagne! à qui par une obligation naturelle, par une affection singulière et par un ordre du Très-Haut, j'adresse cette humble mais néanmoins charitable et solide exhortation, mettez votre couronne et votre monarchie aux pieds de cette Reine du ciel et de la terre; adressez-vous avec confiance à la restauratrice de tout le genre humain; ayez recours à celle qui est par le pouvoir divin au-dessus de toutes puissances des hommes et de l'enfer; tournez vos affections vers celle qui a en main les clefs de la volonté et des trésors du Seigneur ; apportez votre gloire en cette sainte Cité de Dieu (2), qui ne vous la demande point par un besoin d'augmenter la sienne, mais pour accroître et pour étendre la vôtre. Efforcez-vous avec votre piété catholique et de tout votre coeur de lui rendre quelque important et agréable service, en récompense duquel Dieu a destiné des biens infinis, comme la conversion des gentils, la victoire contre les hérétiques et les (1) Prov., VIII, 20. - (2) Apoc., XXI, 24. païens, la paix et la tranquillité de l'Église, une nouvelle lumière et des secours efficaces pour réformer les moeurs dépravées de vos sujets, et pour faire un grand roi, glorieux en cette vie et en l'autre. 305. O monarchie catholique d'Espagne! et en ce glorieux titre, très-heureuse, si vous ajoutiez à la fermeté et au zèle de la foi que, vous avez reçue de la droite du Tout-Puissant au-dessus de vos mérites, la sainte crainte de Dieu, qui répondit à la possession de cette foi si distinguée entre toutes les nations de la terre : oh ! si pour arriver à cette fin et à cette couronne de vos félicités, tous vos habitants s'appliquaient avec une ardente ferveur à la dévotion de la très-sainte Vierge, quel serait l'éclat de votre gloire! quelle illumination , quelle protection et quelle défense ne recevriez-vous pas de cette Reine ! de quels trésors célestes vos rois catholiques ne seraient-ils point enrichis, et par leur moyen la douce loi de l'Évangile étendue par toutes les nations! Sachez que cette auguste princesse honore ceux qui l'honorent, enrichit ceux qui la recherchent (1), glorifient ceux qui la glorifient, et défend ceux qui espèrent en elle. Et je vous assure que pour pratiquer à votre égard ces faveurs de Mère singulière, elle attend et désire que vous l'obligiez et que vous excitiez son amour maternel. Mais prenez garde aussi que Dieu n'a besoin de personne, qu'il est puissant pour faire naître des pierres mêmes des enfants à Abraham (2); et que si (1) Prov., VIII, 21. - (2) Luc., III, 8. 612 vous vous rendez indigne d'un si grand bien, il peut réserver cette gloire pour ceux qui lui plairont et la mériteront davantage. 306. Et afin que vous n'ignoriez pas le service que vous pouvez rendre aujourd'hui à cette Reine de l'univers, et par lequel vous la devez sensiblement obliger, entre plusieurs que votre dévotion et votre piété vous pourront inspirer, voyez en quel état se trouve le mystère de son immaculée conception dans toute l'Église, et ce qui manque pour assurer avec solidité les fondements de cette Cité de Dieu. Ne croyez pas que cet avis vienne d'une femme ignorante et faible, ou soit inspiré d'une particulière dévotion et d'un amour de l'état que je professe sous ce nom et dans la religion de Marie sans péché originel, puisque ma créance et la lumière que j'ai reçue dans cette histoire me suffisent. Cette exhortation n'est pas pour moi, je ne la donnerais pas aussi de mon propre mouvement; j'obéis en elle au Seigneur qui donne la parole aux muets et rend les langues des enfants éloquentes. Et si quelqu'un est surpris de cette libérale miséricorde, qu'il considère avec attention ce que l'évangéliste ajoute touchant cette grande Reine, disant : 307. Que ses portes ne seront point fermées de jour, car il n'y aura pas là de nuit (1). Les portes de la miséricorde de la très-glorieuse Marie ne furent ni ne sont jamais fermées , comme aussi dès le premier instant (1) Apoc., XXI, 25. 613 de son être et de sa conception, il n'y eut en elle aucune nuit du péché qui fermât les portes de cette Cité de Dieu comme aux autres saints. Et comme dans une ville,où les portes sont toujours ouvertes, tous ceux qui y veulent entrer et en sortir le peuvent faire en toutes sortes de temps avec une grande liberté; ainsi il n'est aucun d'entre les hommes qui ne puisse entrer avec la même franchise dans la communication de la Divinité par les portes de la miséricorde de notre auguste Reine, où .les trésors du ciel tiennent leur bureau, sans aucun égard de temps, de lieu, d'âge ni de sexe. Tous ont eu la liberté d'y entrer dès sa fondation; c'est pourquoi le Très-Haut l'a fondée avec tant de portes, qui sont toujours ouvertes, libres et au jour; car dès sa très-pure conception les miséricordes et les faveurs commencèrent de sortir par ces portes pour tout le genre humain. Mais quoiqu'elle ait un si grand nombre de portes, afin que les richesses de la Divinité en sortent, elle ne laisse pas d'être très-assurée contre ses ennemis. Et partant le texte ajoute : 308. Il n'y entrera rien de souillé, ni aucun de ceux qui commettent des choses exécrables et des faussetés, mais seulement ceux qui sont écrits dans le livre de vie de l'Agneau (1). L'évangéliste met fin à ce chapitre vingt-unième en renouvelant le privilège des immunités de cette Cité de Dieu, la très-sacrée Vierge nous assurant qu'aucune chose souillée n'entrera jamais en (1) Apoc., XXI, 27. 614 elle, parce qu'elle reçut une âme et un corps immaculés; car on ne pourrait point dire qu'il n'y est rien entré de souillé, si elle avait eu la tache du péché originel, puisque les souillures des péchés actuels n'entrèrent pas même par cette porte. Tout ce qui entra dans cette sainte Cité fut ce qui était écrit en la vie de l'Agneau; parce que l'on prit le modèle et l'original de son très-saint Fils pour la former, aucune des vertus de la très-pure Marie n'ayant liu se tirer d'aucun autre principe pour petite qu'elle fût, s'il était possible de trouver quelque chose de petit en elle. Et si Marie étant cette porte, elle est encore une ville de refuge.pour les hommes, c'est avec cette condition que ceux qui commettront des choses exécrables et des faussetés n'y auront aucune part ni entrée. Mais il n'est pas pour cela défendu aux souillés et aux pécheurs enfants d'Adam d'approcher des portes de cette sainte Cité de Dieu; car, s'ils s'en approchent contrits et humiliés pour y chercher la netteté de la grâce , ils la trouveront aux portes de notre grande Reine, et non point en d'autres. Elle est nette, elle est pure, elle est abondante, et surtout elle est Mère de la miséricorde, douce, amoureuse et puissante pour nous enrichir dans nos pauvretés et pour nettoyer les taches de tous nos péchés. Instruction que la Reine du ciel me donna sur ces chapitres. 309. " Ma fille, les mystères de ces chapitres renferment une grande doctrine et beaucoup de lumière, quoique vous y ayez omis bien des choses. Tâchez de profiter de tout ce que vous avez ouï et écrit, afin que vous ne receviez pas en vain la lumière de la grâce (1). Je veux bien vous avertir en peu de mots que, quoique vous ayez été conçue dans le péché, et soyez sortie de la terre avec des inclinations terrestres, vous ne perdiez pas courage en combattant vos passions, et ne vous rebutiez point jusqu'à ce que vous les ayez tout à fait vaincues, et détruit vos ennemis en elles; puisque par les forces de la grâce du Très-Haut qui vous secondera, vous pouvez vous élever au-dessus de vous-même et devenir fille du ciel, d'où la grâce descend; et afin que vous puissiez arriver à ce bonheur, vous ne devez plus vivre que dans la sainteté la plus relevée, ayant toujours votre entendement occupé à la connaissance de litre immuable et des perfections de Dieu, sans permettre qu'aucune autre application aux choses même nécessaires vous en fasse déchoir. Par ce souvenir continuel et cette vue intérieure des grandeurs de bien, vous serez disposée en tout le reste pour pratiquer la plus haute perfection (1) II Cor., VI, 1. 616 des vertus, pour recevoir les influences et les dons du Saint-Esprit, et pour arriver ù cet étroit lien d'amitié et de communication avec le Seigneur. Afin donc que vous ne mettiez en cela aucun empêchement à sa sainte volonté, qui vous a été si souvent manifestée et déclarée , travaillez à mortifier la partie inférieure de filme où résident les inclinations perverses.et .les .passions sinistres. Mourez à tout ce qui appartient à la terre, sacrifiez en la présence du Très-Haut tous vos appétits sensuels; sans condescendre à aucun; que votre volonté n'agisse que par l'obéissance, et gardez-vous bien de sortir de votre intérieur, où la clarté de l'Agneau vous illuminera. Préparez-vous pour entrer dans le lit nuptial de votre Époux, et laissez-vous orner selon, que la droite du Tout-Puissant a destiné de faire, si vous y concourez de votre part et n'y portez aucun obstacle. Purifiez votre âme par plusieurs actes de douleur de l'avoir offensé, et qu'elle le loue et le glorifie avec un amour très-ardent. Cherchez-le avec de saintes et perpétuelles inquiétudes, jusqu'à ce que vous ayez trouvé Celui que votre âme désire (1); et l'ayant une fois trouvé, ne l'abandonnez point. Je veux aussi que vous viviez dans cette vie passagère comme ceux qui l'ont achevée, attachant toutes vos vues sans discontinuer à l'objet qui les rend bienheureux. Cet objet doit être la règle de votre vie, afin que par la lumière de la foi et de la clarté du Tout-Puissant, qui vous illuminera et remplira votre esprit, (1) Cant.,VIII, 4. vous l'aimiez, l'adoriez et l'honoriez toujours. Voilà ce que le Très-Haut demande de vous. Faites de sérieuses réflexions sur ce que vous pouvez acquérir et sur ce que vous devez perdre. Ne mettez point par votre négligence la chose au hasard, mais soumettez votre volonté, et réduisez-vous entièrement à la doctrine de votre Époux , à la mienne et à celle de l'obéissance , que vans devez consulter en toutes choses. n Telle fut l'instruction que la Mère du Seigneur me donna, à laquelle je répondis, toute pleine de confusion, ce qui suit 310. " Reine et Maîtresse de l'univers, à qui j'appartiens et à qui je désire d'appartenir éternellement, je loue la toute-puissance du Très-Haut, qui vous a si fort exaltée, et rendue si riche et si puissante auprès de lui; je vous supplie, mon auguste Princesse, de regarder avec miséricorde votre pauvre servante, de réparer ma lâcheté avec ces dons que le Seigneur a mis entre vos mains pour les distribuer aux misérables, de m'enrichir dans mon extrême pauvreté, et de me forcer, comme maîtresse absolue, jusqu'à ce que je veuille et opère efficacement ce qui est le plus parfait, et que je sois agréable aux yeux de votre très-saint Fils, mon Seigneur. Procurez-vous cette gloire d'avoir élevé de la poussière la plus inutile de toutes les créatures. J'abandonne mon sort entre vos mains (1); rendez-le-moi favorable, Vierge sainte, et travaillez-y efficacement : rien n'est impossible à (1) Ps. XXX, 16. 618 votre volonté, qui est toute sainte et puissante par les mérites de votre très-saint Fils, et par la parole irrévocable que la très-sainte Trinité vous adonnée de vous accorder tout ce que vous lui demanderiez. Je ne puis mériter cette grâce de vous, et j'en suis très-indigne; mais je vous la demande, ô ma Souveraine , par votre sainteté même et par votre clémence royale. " CHAPITRE XX. Ce qui arriva pendant les neuf mois de la grossesse de sainte Anne, et les opérations de la très-pure Marie dans son sein, et ce que sa mère fit durant ce temps-là. 311. La très-sainte Vierge ayant été conçue sans péché originel, comme nous avons déjà dit par cette première vision qu'elle eut de la Divinité, son esprit fut tout absorbé et ravi de cet objet de son amour, qui commença de l'enflammer dès l'instant que son âme très-heureuse fut créée dans cet étroit tabernacle du sein maternel, pour ne cesser jamais ses ardeur, mais bien pour les continuer pendant toute l'éternité dans la gloire la plus relevée d'une pure créature, dont elle jouit à la droite de son très-saint Fils. Et afin qu'elle s avançât dans la contemplation et dans (619) l'amour divin, outre les espèces infuses qu'elle reçut des choses créées et de celles qui rejaillirent de la première vision de la très-sainte Trinité, par lesquelles elle exerça plusieurs actes des vertus proportionnées à l'état où elle se trouvait alors, le Seigneur lui renouvela la merveille de cette vision abstractive de sa divinité, en la lui accordant deux autres fois: de sorte que la très-sainte Trinité se manifesta à elle en cette manière trois fois avant qu'elle naquit : l'une dans le premier instant qu'elle fut conçue, l'autre environ au milieu des neuf mois, et la troisième le jour qui précéda sa naissance. Il ne faut pas inférer de là que, parce que cette manière de vision ne lui était pas continuelle, elle n'en eût point d'autre , car elle en reçut une plus inférieure, quoique très-grande et fort élevée, en laquelle elle voyait par la foi et par une illustration singulière l'être de Dieu; cette manière de contemplation n'abandonna jamais notre auguste Reine, et surpassa toutes elles qu'eurent tous les voyageurs ensemble: 312. Mais bien que cette vision abstractive de la Divinité filet conforme à l'état de voyageuse, elle était toutefois si relevée et si immédiate à la vision intuitive, qu'elle ne devait pas être continuelle en cette vie mortelle à celle qui devait mériter la gloire intuitive par d'autres actes; elle lui fut néanmoins un souverain secours de grâce pour arriver à cette fin, parce qu'elle laissait dans l'âme des espèces imprimées du Seigneur, l'élevait et absorbait toute la créature dans cet heureux embrasement. de l'amour divin. Par ces visions, (620) ces saintes affections se renouvelèrent dans l'âme de la très-pure Marie pendant qu'elle fut dans le sein de sainte Anne; d'où s'ensuivit, qu'ayant l'usage très-parfait de la raison , et s'occupant à des demandes continuelles en faveur du genre humain, à des actes héroïques d'adoration , d'honneur et d'amour de Dieu , et à une sainte communication avec les anges, elle ne ressentit point la clôture de la naturelle et étroite prison du sein maternel; l'interdiction de l'usage des sens extérieurs ne lui causa aucune peine, et les incommodités ordinaires de cet état ne lui furent point à charge. Elle ne s'aperçut point de tout cela, parce qu'elle était plus en son Bien-Aimé que dans le sein de sa Mère, et même plus qu'en elle-même. 313. La dernière de ces trois visions qu'elle eut fut accompagnée par de nouvelles et par de plus admirables faveurs du Seigneur, parce qu'il lui manifesta qu'il était déjà temps de sortir à la lumière du monde et à la conversation des mortels. Et, se soumettant à la divine volonté, la princesse du ciel dit au Seigneur : " Dieu de très- haute majesté, Maître absolu de tout mon être, âme de ma vie et vie de mon Mue, infini u en attributs et en perfections, incompréhensible, puissant et riche en miséricordes, mon divin Roi et mon Seigneur, je n'étais rien, et vous m'avez fait a ce que je suis; et, sans l'avoir pu mériter, vous m'avez enrichie de votre divine grâce et de votre lumière, afin que par elle je connusse aussitôt votre être immuable et vos perfections divines, et qu'en vous connaissant, vous fussiez le premier objet de (621) ma vue et de mon amour, afin que je ne cherche a point d'autre bien que vous, qui en êtes le souverain, le véritable, et toute ma consolation. Vous me commandez, Seigneur, que je sorte pour jouir de la lumière matérielle et de la conversation des créatures; et j'ai vu dans votre être même, comme dans un très-clair miroir, l'état dangereux de la vie mortelle et toutes ses misères. Si en elle je dois manquer (par ma faiblesse et par ma nature débile) d'un seul point à votre amour et à votre service, et que je doive y mourir alors, que je meure ici présentement plutôt que de passer à un état où je puisse vous perdre. Mais, Seigneur, si votre sainte volonté se doit accomplir en m'exposant sur la mer orageuse de ce monde, je vous supplie, très-haut et très- puissant protecteur de mon âme, de diriger ma vie, de conduire mes pas, et de rendre toutes mes actions agréables à votre bon plaisir. Ordonnez en moi la charité, afin que par le nouvel usage des créatures, par vous et par elles, elle se perfectionne." J'ai connu en vous l'ingratitude de plusieurs âmes, et je crains avec sujet (moi qui suis de leur même nature) de commettre par quelque malheur cette a faute. J'ai joui dans cette étroite demeure, le sein de ma mère, des.espaces infinis de votre divinité : je possède ici l'unique et le souverain bien (1) en a vous possédant, mon bien-aimé, et n'ayant présentement que vous seul pour mon partage et pour ma (1) Cant., VI, 8. 622 possession, je ne sais si, étant hors de cette clôture, je ne perdrai point mon trésor à la vue d'une autre lumière, et par l'usage de mes sens. S'il était possible et convenable de renoncer au commerce de la vie qui m'attend, j'y renoncerais volontiers et je m'en priverais; mais que votre volonté soit faite, et non la mienne. Et puisque vous l'ordonnez ainsi, donnez-moi votre bénédiction et votre agrément pour naître au monde, et continuez-moi votre divine protection dans l'état où vous me mettez. " Cette prière ayant été faite par la très-douce et tendre Marie, le Très- Haut lui donna sa bénédiction, et lui commanda, comme avec empire, de sortir à la lumière matérielle de ce soleil visible, et l'éclaira sur ce qu'elle devait faire pour l'accomplissement de ses désirs. 314. Sa très-heureuse mère sainte Anne, toute spiritualisée par des effets divins, laissait couler le temps de sa grossesse avec une grande douceur qu'elle ressentait en ses puissances; mais la divine Providence voulut, pour augmenter sa gloire et pour assurer la prospérité de son pèlerinage, qu'elle eût le contre-poids de quelques afflictions; car sans ce pénible secours on . ne profite pas assez des fruits de la grâce et de l'amour. Et pour mieux pénétrer ce qui arriva à cette très-sainte dame, il faut savoir qu'après que Lucifer et tous les anges rebelles furent précipités dans les abîmes, ce chef de la révolte était toujours aux aguets pour sonder toutes les plus saintes femmes de l'ancienne loi et tâcher de découvrir parmi elles celle dont il (623) avait vu le signe (1), et qui le devait fouler aux pieds et lui écraser la tète (2). Et sa rage était si grande, qu'il ne voulait pas laisser tout le soin de cette découverte à ses inférieurs; mais il s'y employait lui-même, quoiqu'il se servit d'eux contre quelques vertueuses femmes, réservant toujours ses attentions pour découvrir e attaquer celles qui se distinguaient le plus dans la pratique des vertus et en la grâce du Très-Haut. 315. Par de telles méchancetés et par ces embûches, il découvrit avec beaucoup d'étonnement la grande sainteté de notre illustre dame, et remarquait avec assiduité tout ce qui lui arrivait; et, quoiqu'il ne lui fût pas possible de pénétrer l'importance du trésor que son sein bienheureux renfermait (parce que le Seigneur lui cachait ce mystère et plusieurs autres), il se sentait néanmoins repoussé par une grande force et par une vertu extraordinaire qui rejaillissait de sainte Anne; et ne pouvant découvrir la cause de cette puissante efficacité, il s'en troublait, et s'inquiétait bien souvent dans sa propre fureur. D'autres fois il s'apaisait un peu, croyant que cette grossesse était selon le même ordre et les mêmes causes naturelles que les autres, et qu'il n'avait en elle rien à craindre de nouveau, parce que le Seigneur le laissait chanceler dans sa propre ignorance , et permettait qu'il fût agité dans les superbes flots de son indignation. Mais son esprit très-pervers s'étonnait fort, nonobstant cela, de voir tant de quiétude en sainte Anne pendant sa grossesse, (1) Apoc., XII, 1. - (2) Gen., III, 15. 624 et que plusieurs anges l'assistaient, ce qui lui était quelquefois découvert: et surtout il avait un sensible dépit de voir que ses forces étaient inutiles pour résister à Celle qui sortait de notre bienheureuse sainte, commençant de douter qu'elle ne provint pas d'elle seule. 316. Le dragon, étant tout alarmé par ces soupçons, détermina d'ôter la vie, s'il pouvait, à la très-heureuse Anne, ou du moins de faire ses efforts, s'il n'y pouvait réussir, pour empêcher qu'elle n accouchât heureusement de son fruit. Car l'orgueil de Lucifer était si démesuré, qu'il se flattait de pouvoir vaincre ou faire périr (si la chose ne lui était cachée) Celle qui devait être Mère du Verbe incarné, et même le ;Messie, le restaurateur du monde Il fondait cette suprême audace sur ce que sa nature angélique était supérieure en qualité et en forces à la nature humaine : comme si la grâce n'eût point été au-dessus de l'une et de l'autre, et qu'elles ne fussent pas soumises à la volonté de leur Créateur. Avec cette folle et téméraire présomption il osa tenter sainte Anne par plusieurs fausses persuasions, par des terreurs, des troubles et des défiances de sa grossesse, en lui représentant le nombre de ses années et celles qu'elle avait passées sans enfants : le démon pratiquant tout cela pour sonder la vertu de la sainte, et pour voir si l'effet de ses persuasions lui donnerait quelque jour pour lui ravir la volonté par quelque consentement. 317. Mais notre invincible dame résista courageusement à ces attaques avec une force admirable, une (625) patience constante, une prière continuelle, et par une vive foi au Seigneur, se servant de ses armes pour rendre inutiles et vains tous les efforts du dragon, qui, à sa grande confusion, augmentaient en elle la grâce et la protection divine; car outre les grands mérites que la sainte mère s'acquérait, les princes célestes, qui gardaient sa très-sainte fille, la défendaient et chassaient les démons de sa présence. L'insatiable malice de cet ennemi ne se rebutant point pour cela, et comme sa témérité et son orgueil surpassent ses forces (1), il entreprit de se servir des moyens humains, parce qu'il se promet toujours par de telles voies des victoires plus assurées. Ayant donc tâché en premier lieu d'abattre la maison de saint Joachim et de sainte Anne, afin qu'elle se troublât et s'inquiétât par cette alarme, et n'y ayant pu réussir, parce que les anges bienheureux lui résistèrent, il suscita et irrita certaines femmelettes d'un esprit faible de la connaissance de sainte Anne, afin qu'elles eussent du bruit avec elle, comme elles le firent véritablement, s'acharnant contre notre sainte avec beaucoup de rage, lui vomissant mille injures, et lui faisant de sensibles affronts. Elles firent entre elles de grandes moqueries et de grandes railleries de sa grossesse, lui disant que c'était une tromperie du démon de croire d'être enceinte dans l'âge où elle était. 318. Sainte Anne ne fut point troublée par cette tentation; au contraire elle supporta toutes ces (1) Isa., XVI, 6. 626 injures avec une grande douceur et une charité admirable, obligeant celles qui les lui faisaient; et dès lors elle regarda ces femmes avec plus d'affection, et leur rendit des services plus considérables. Leur animosité pourtant ne se modéra pas sitôt, parce que le démon les avait déjà possédées pour les animer contre la sainte; et quand on s'est une fois abandonné à ce cruel tyran , son empire s'accroît pour maîtriser avec plus de violence ceux qui s'y sont soumis. Il incita donc ces furieuses à machiner quelque trahison contre la personne et la vie de sainte Anne; ce qu'elles .firent, sans pouvoir pourtant exécuter leurs mauvais desseins, parce que la vertu divine rendait toujours plus faibles et plus vaines les forces de ces méchantes femmes, qui ne purent rien faire contre la sainte: au contraire. elle les rangea à la raison par ses douces remontrances, et les convertit par ses charitables prières. 319. Ainsi le dragon fut vaincu, mais non pas désabusé, parce que, persistant toujours dans sa téméraire obstination, il se servit d'une servante de nos deux saints mariés, et l'irrita de telle sorte contre sainte Anne, qu'elle devint plus méchante que les autres, étant ennemie domestique, et partant plus obstinée et plus dangereuse. Je ne m'arrête point à raconter ce que l'ennemi essaya par le moyen de cette servante, parce que c'était la même chose que ce qu'il venait d'entreprendre, quoique ce fût avec bien plus d'affliction et de péril pour notre sainte dame; elle sortit néanmoins par le secours divin victorieuse de (627) cette tentation, et beaucoup plus glorieusement que des autres, parce que le défenseur d'Israël, qui gardait sa sainte Cité, ne dormait pas (1), l'ayant environnée des plus valeureux de sa milice céleste pour sa garde, qui mirent en fuite Lucifer et ses ministres, afin qu'ils ne troublassent plus le repos de la victorieuse mère, qui se préparait déjà pour son très-heureux accouchement de la Princesse du ciel, s'y étant disposée par les actes héroïques des vertus et par les mérites qu'elle s'était acquis dans ces combats, car cette fin tant désirée s'approchait toujours davantage. Et je souhaite aussi celle de ces chapitres pour ouïr les salutaires instructions de ma Reine et ma Maîtresse; car, bien qu'elle me fournisse tout.ce que j'écris, ses avis maternels me sont néanmoins d'un très-grand profit. Aussi je les attends avec une joie inconcevable et une consolation particulière de mon âme. 320. Parlez donc, ma divine Princesse, car votre servante écoute. Et si vous me donnez la permission, bien que je ne sois que poussière et que cendre (2), je prendrai la liberté de vous proposer un doute qui m'est venu sur ce chapitre, puisque je veux soumettre à votre bénignité de mère, de reine et de princesse tous ceux qui me pourront survenir. Le doute où je suis est celui-ci : Comment est-il possible, Princesse de l'univers, qu'ayant été conçue sans péché et avec une si sublime connaissance de toutes choses que (1) Ps. CXX, 4.. - (2) Gen., XVIII, 27. 628 votre âme très-sainte reçut dans la vision de la Divinité, la crainte et les douleurs si grandes que vous aviez de perdre l'amitié de Dieu et de l'offenser, se trouvassent et compatissent avec cette grâce ? Si dans le premier instant de votre être la grâce vous prévint, comment appréhendiez-vous de la. perdre dans un commencement si tendre? Et si le Très-Haut vous exempta du péché, comment pouviez-vous tomber en d'autres et offenser Celui qui vous préserva du premier? Instruction et réponse de la Reine du ciel. 321. Ma fille, écoutez la réponse à votre doute. Quand j'aurais connu mon innocence et ma conception immaculée dans la vision que j'eus de la Divinité au premier instant de mon être, les faveurs et les dons de la main du Seigneur sont d'une telle nature, que plus ils affermissent et sont connus, plus les applications qu'ils excitent à les conserver sont grandes, aussi bien que les soins de ne pas offenser leur Auteur, qui les communique à la créature par sa seule bonté; et ils sont accompagnés de tant de lumières, qu'on ne peut douter qu'ils ne proviennent de la seule vertu divine, et par les mérites de mon très-saint Fils; l'insuffisance et la bassesse de la créature s'y découvrent (629) si fort, qu'elle est très-clairement convaincue qu'elle ne mérite point ce qu'elle reçoit, et qu'elle ne peut ni ne doit se l'approprier, ne lui appartenant en aucune manière. Connaissant aussi qu'il y a un Seigneur et une cause suprême qui le lui accorde par pure libéralité, et que Celui qui le lui donne, le lui peut ôter et lé distribuer à qui bon lui semblera; de là naissent absolument les applications et les soins qu'on prend pour ne pas perdre ce que l'on a reçu par grâce, et de faire tout son possible pour le conserver et pour augmenter le talent (1), puisque l'on connaît que c'est le seul moyen de ne point perdre ce que nous avons en.dépôt, et qu'on le donne à la créature afin qu'elle le fasse valoir et travailler à la gloire de son Créateur. Car le plus juste moyen que nous ayons pour conserver les bienfaits de la grâce reçue, est d'agir pour cette fin. 322. Outre cela on tonnait dans cet état la fragilité de la nature humaine, et son libre arbitre pour le bien et pour le mal. Le Très-Haut ne m'ayant point privée de. cette connaissance, ne l'ôtant même à personne dans cette vie passagère; au contraire, il la laisse à tous comme il est convenable, afin que par cette vue la sainte crainte de tomber dans le moindre petit péché s'enracine davantage. Cette lumière fut plus grande en moi, car je connus qu'une petite faute dispose à une plus grande, et que, la seconde est un châtiment de la première. Il est vrai que par les (1) Matth., XXV, 16. 630 faveurs et les grâces que le Seigneur avait opérées en mon âme, il n'est pas possible que je tombasse en aucun péché. Mais sa providence disposa de telle sorte ce bienfait, qu'il me cacha l'assurance absolue de ne point pécher, connaissant qu'il m'était possible de tomber par moi seule, et qu'il dépendait seulement de la divine volonté de ne le faire pas. Ainsi il réserva pour lui la connaissance et ma sûreté, me laissant l'heureuse méfiance et la sainte crainte de pouvoir pécher comme voyageuse, la conservant toujours depuis ma conception jusqu'à la mort; et plus j'avançais dans la vie, plus elle augmentait. 323. Le Très-Haut me donna aussi la discrétion et l'humilité, afin que je ne m'informasse point de ce mystère par une recherche trop curieuse ; ma seule application était de me confier à sa bonté et à son amour, dont j'attendais tout mon secours pour ne point l'offenser. Et de là résultaient deux effets nécessaires à la vie chrétienne, l'un qui procurait la tranquillité à mon âme, et l'autre,qui me maintenait dans la crainte de perdre mon trésor, et dans la vigilance pour le conserver. Et comme c'était une crainte filiale, elle ne diminuait en rien l'amour : au contraire, elle l'enflammait et l'augmentait toujours plus. Ces deux effets d'amour et de crainte faisaient en mon âme un accord divin, qui réglait toutes mes actions pour m'éloigner du mal et m'unir au souverain bien. 324. Ma chère amie, c'est la plus grande preuve des choses qui concernent l'esprit, quand elles (631) viennent avec une véritable lumière et une sainte doctrine, quand elles enseignent la plus haute perfection des vertus, et meuvent avec une sainte violence à la cher-. cher. Les bienfaits qui descendent du Père des lumières ont cette propriété d'assurer en humiliant, et d'humilier sans faire perdre l'espérance; de mêler la confiance avec les applications et les soins , et ceux-ci avec la tranquillité et la paix, de telle sorte qu'il ne se trouve dans ces affections aucun obstacle qui puisse empêcher l'accomplissement de la divine volonté. Et vous, âme favorisée, offrez au Seigneur de ferventes et humbles actions de grâces, pour avoir été si libéral à votre égard lorsque vous le méritiez si peu; pour vous avoir illustrée de sa divine lumière, introduite dans le cabinet de ses secrets, et prévenue de la sainte crainte de sa disgrâce. Usez-en pourtant avec modération, et excédez davantage en amour, vous élevant Avec ces deux ailes au-dessus de tout ce qui est terrestre et au-dessus de vous-même. Tâchez de vous dépouiller maintenant de toutes les affections désordonnées qu'une crainte excessive pourrait émouvoir en vous; abandonnez votre cause au Seigneur, et prenez la sienne pour la vôtre. Craignez jusqu'à ce que vous soyez purifiée et nettoyée de vos péchés et de vos ignorances; aimez le Seigneur jusqu'à ce que vous soyez toute transformée en lui, faites-le maître de tout et l'arbitre de vos actions, sans que vous le soyez de personne. Défiez-vous de votre propre jugement, et ne faites point la sage avec vous-même (1), parce (1) Prov., III, 7. 632 que les passions aveuglent facilement le propre sentiment, l'entraînent après elles, et ce sentiment, de concert avec les passions, ravit la volonté; de façon que l'on craint ce qu'on ne devrait pas craindre, et qu'on a de vaines complaisances pour ce qui est préjudiciable. Assurez-vous de telle sorte que vous ne vous complaisiez point en vous-même par de légères et vaines satisfactions ; doutez et craignez jusqu'à ce que par une tranquillité soigneuse et agissante vous ayez trouvé le juste équilibre de toutes choses; et vous le trouverez toujours si vous vous soumettez à l'obéissance de vos supérieurs et à ce que le Très-Haut vous enseignera et opérera en vous. Et bien que les effets soient bons en la fin que l'on désire, ils doivent néanmoins être tous examinés et réglés par l'obéissance et par le conseil, car sans cette direction ils deviennent des avortons et inutiles. Appliquez-vous donc, ma fille, en toutes choses à ce qui est le plus saint et le plus parfait. 633 CHAPITRE XXI. De l'heureuse naissance de la très-pure Marie, notre auguste Reine, des faveurs qu'elle y reçut de la main du Très-Haut; et comme on lui imposa le nom au ciel et en la terre. 525. L'agréable jour du très-heureux accouchement de sainte Anne vint réjouir le monde par la naissance de celle qui le venait honorer de sa présence, étant sanctifiée et consacrée pour être la Mère de Dieu. Cet accouchement arriva le huitième jour de septembre, les neuf mois après la conception de l'âme très-sainte de notre Reine et Maîtresse ayant été accomplis. Sa mère Anne fut prévenue d'une illustration intérieure en laquelle le Seigneur l'avertit que l'heure de son accouchement s'approchait. Et étant remplie de la joie de l'Esprit divin, elle donna toutes ses attentions à sa voix; et se prosternant dans sa prière, elle demanda au Seigneur de l'assister de sa grâce et de sa protection, afin qu'elle accouchât heureusement. Dans cet instant elle ressentit un mouvement dans son sein, que les enfants excitent naturellement au temps de leur naissance. Et alors cette très- heureuse fille Marie fut élevée par une providence et une vertu divines en une extase très-sublime, en (634) laquelle se trouvant absorbée et abstraite de toutes les opérations sensibles, elle naquit au monde sans s'en apercevoir par les sens, comme par eux elle l'aurait pu connaître, si, étant joints à l'usage de la raison qu'elle avait, on les eût laissés agir naturellement dans cette heure favorable; mais le pouvoir du Très-Haut le disposa ainsi, afin que la Princesse du ciel ne ressentit point ce qu'il y avait de naturel dans le progrès de cet enfantement. 326. Elle naquit pure, nette, belle et toute pleine de grâces, nous donnant à connaître par là qu'elle venait exempte de la loi et du tribut du péché. Et quoiqu'elle naquit comme les autres filles d'Adam en la substance, ce fut néanmoins avec de telles circonstances et des accidents si particuliers de grâces, qu'ils rendirent cette naissance miraculeuse et admirable pour toute la nature, et pour une éternelle louange de Celui qui en était l'auteur. Cette divine étoile avant- courière du jour parut donc au monde sur la minuit, commençant à diviser celle de l'ancienne loi et des premières ténèbres, du nouveau jour de la grâce qui se disposait à paraître. On l'enveloppa de ses langes, et celle qui avait toutes ses pensées et tous ses désirs en la Divinité, fut emmaillotée comme les autres enfants et traitée comme une petite créature, quoiqu'elle surpassât en sagesse et les hommes et les anges. Sa mère ne voulut point permettre alors que d'autres mains que les siennes s'employassent à l'accommoder; elle en prit elle-même tout le soin, n'étant nullement embarrassée de ses couches, parce (635) qu'elle fut délivrée des tributs incommodes que les autres mères paient ordinairement. 327. Sainte Anne reçut entre ses bras celle qui étant sa propre fille était aussi le plus riche trésor du ciel et de la terre, entre les pures créatures, dont elle était la Reine, n'étant inférieure qu'à Dieu seul. Sa mère l'offrit avec ferveur et avec des larmes de joie à sa divine Majesté, disant intérieurement; " Seigneur, dont la sagesse et le pouvoir sont infinis, créateur de tout ce qui a l'être, je vous offre le fruit que je viens de recevoir de votre divine bonté, et je vous rends des actions éternelles de grâces de me l'avoir donné sans l'avoir pu mériter. Faites, Seigneur, de la fille et de la mère selon votre très-sainte volonté, et daignez regarder de l'inaccessible trône de votre gloire notre petitesse. Soyez éternellement a béni d'avoir enrichi le monde d'une créature qui est si fort agréable à votre bon plaisir, et d'avoir préparé en elle la demeure et le tabernacle du Verbe éternel (1). J'en félicite mes saints pères et les prophètes, et en eux tout le genre humain, à cause du gage assuré que vous leur donnez de leur rédemption. Mais comment me comporterai-je avec celle que vous me donnez pour fille, ne méritant pas d'être sa servante? Comment oserai-je toucher à la véritable Arche du Testament? Donnez- moi, mon Seigneur et mon Roi, la lumière qui m'est nécessaire pour découvrir votre sainte volonté et pour (1) Sap., IX, 4. 636 l'exécuter selon votre bon plaisir, et dans les services que je dois rendre à ma fille. " 328. Le Seigneur répondant intérieurement à la sainte dame, lui dit de traiter cette divine créature comme de mère à fille en ce qui concernerait l'extérieur, sans lui témoigner aucun sensible respect; mais qu'elle le conservât dans son intérieur, et que dans son éducation elle accomplit les devoirs d'une véritable mère, élevant sa fille avec autant de soin que d'amour. L'heureuse mère pratiqua tout cela, et usant de ce droit et de cette permission sans manquer pourtant à l'honneur qui lui était dû, elle s'égayait avec sa très-sainte fille, la traitant et la caressant selon la coutume des autres mères, y observant néanmoins une certaine estime et retenue dignes du mystère si caché et si divin qui se trouvait renfermé entre la fille et la mère. Les anges de la garde de la très-douce fille, accompagnés d'une autre grande multitude, l'adorèrent, lui rendirent leurs honneurs entre les bras de sa mère, et lui chantèrent une musique céleste que la bienheureuse Anne ouït en partie; les mille anges destinés pour la garde de notre auguste Reine s'offrirent et se dédièrent à elle pour la servir, et ce fut la première fois que la divine Princesse les vit en forme corporelle avec les devises et les marques que je dirai dans un autre chapitre; et l'enfant leur demanda qu'ils louassent le Très-Haut avec elle et en son nom. 329. A l'instant que notre Reine Marie naquit, le Très-Haut envoya le saint archange Gabriel afin qu'il (637) annonçât aux saints pères des Limbes une nouvelle si heureuse et si consolante pour eux. L'ambassadeur céleste descendit incontinent, illustrant cette profonde caverne et réjouissant les justes qui s'y trouvaient détenus. Il leur annonça que le jour de la félicité éternelle tant désiré et attendu par les saints pères commençait déjà à paraître, que la réparation du genre humain, si fort prédite par les prophètes, s'approchait, parce que celle qui devait être bière du Messie promis venait de naître, et qu'ils ne tarderaient pas de voir le salut et la gloire du Très-Haut. Le saint prince leur fit connaître les excellences de la très-sainte Marie, et ce que la main du Tout-Puissant avait commencé d'opérer en elle, afin qu'ils pénétrassent mieux l'heureux principe du mystère qui devait mettre fin à leur longue prison; de sorte, que tous ces pères, ces prophètes et tous les autres justes qui étaient aux Limbes se réjouirent et louèrent le Seigneur par des cantiques nouveaux pour cette faveur. 330. Tout ce que je viens de raconter étant arrivé en fort peu de temps, auquel notre Reine vit la lumière du soleil matériel, elle connut ses parents naturels et plusieurs autres créatures par ses propres sens; et ce fut le premier pas qu'elle fit dans ce monde en naissant. Le puissant bras du Très-Haut commença alors d'opérer en elle de nouvelles merveilles au-dessus de tout ce que les hommes peuvent s'imaginer; et la première et fort surprenante fut d'envoyer une multitude innombrable d'anges, afin qu'ils (638) enlevassent dans le ciel empyrée, en corps et en âme, celle qui était élue pour être la Mère du Verbe éternel, pour la cause que le Seigneur avait déterminée. Les princes bienheureux exécutèrent cet ordre; et ayant pris cette aimable enfant des bras de sa mère sainte Anne, ils ordonnèrent une solennelle et nouvelle procession, enlevant avec des cantiques d'une joie incomparable la véritable Arche du Nouveau Testament, afin qu'elle fût pour quelque espace, non en la maison d'Obededom, mais dans le temple du souverain Roi des rois, et Seigneur des seigneurs, où elle devait être ensuite éternellement placée. Voilà le second pas que la très-pure Marie fit en sa vie, depuis ce monde inférieur jusqu'au ciel de la gloire. 331. Qui pourra dignement exalter ce merveilleux prodige de la droite du Tout- Puissant? Qui racontera la joie et l'admiration des esprits célestes, lorsqu'ils contemplaient cette merveille si étrange entre les oeuvres du Très- Haut, et la célébraient par des cantiques nouveaux? Ils reconnurent dans cette occasion leur Reine, et rendirent hommage à leur Maîtresse, qui était élue pour être la Mère de Celui qui devait être leur chef, et qui était la cause de la grâce et de la gloire qu'ils possédaient, puisqu'il les leur avait acquises par ses mérites prévus en la divine acceptation. Mais qui peut pénétrer le secret du coeur de cette tendre et aimable enfant dans le progrès et les effets d'une si rare faveur? Je le laisse à penser à la piété catholique, et beaucoup plus à ceux qui le connaîtront dans le Seigneur, et à nous, quand par sa (639) miséricorde infinie nous arriverons à jouir de lui face à face. 332. La petite Marie entra par le ministère des anges dans le ciel empyrée; et étant prosternée par affection devant le. trône royal du Très-Haut, il y arriva (à notre façon de concevoir) la vérité de ce qui se fit auparavant en figure, lorsque Bethsabée entrant en la présence de son fils Salomon, qui de son trône jugeait le peuple d'Israël, il se leva, et recevant sa mère il l'exalta et l'honora, en lui donnant une place de reine à son côté (1). La personne du Verbe éternel pratiqua avec bien plus de gloire et d'admiration la même chose en faveur de l'enfant Marie, qu'il avait élue pour être sa Mère, la recevant dans son trône et la mettant à son côté en possession du titre de sa propre Mère et de Reine de toutes les créatures, bien qu'elle ignorât alors cet avantage et la fin de ces mystères et de ces faveurs si ineffables; mais ses tendres forces furent augmentées par la vertu divine pour les recevoir. Elle reçut de nouvelles grâces et des dons extraordinaires, par lesquels ses puissances extérieures et intérieures furent élevées à proportion, et les intérieures reçurent encore une nouvelle grâce et une lumière distinguée, par lesquelles elles furent disposées, Dieu les élevant et les proportionnant par ces moyens à l'objet qu'il lui devait manifester; et lui ayant donné cette lumière nécessaire, il découvrit sa divinité, et la lui manifesta (1) III Reg., II, 19. 640 intuitivement et clairement en un degré très-sublime ce fut la première fois que cette très-sainte âme de Marie vit la très-heureuse Trinité par une vision claire et béatifique. 333. Le seul auteur d'un miracle si inouï, et les anges, qui connaissaient avec admiration quelque chose de ce mystère en lui, furent témoins de la gloire que l'enfant Marie reçut dans cette vision, des nouveaux secrets qui lui furent révélés, et des effets qui en rejaillirent dans son âme très-pure. Mais notre divine Reine étant à la droite du Seigneur, qui ,devait être son Fils, et le voyant face à face, lui demanda bien plus heureusement que Bethsabée à son fils Salomon, qu'il donnât la Sunamite Abysag (1) pure et sans tache, qui était son inaccessible divinité, à la nature humaine sa propre soeur, et qu'il accomplit sa parole en descendant du ciel en terre pour y célébrer le mariage de l'union hypostatique en la personne du Verbe, puisqu'il l'avait si souvent engagée aux hommes par l'organe des patriarches et des anciens prophètes. Elle le pria de hâter le remède du genre humain, qui l'attendait depuis tant de siècles, pour empêcher par là que les péchés, seule cause de la perte des âmes, ne se multipliassent toujours plus. Le Très-Haut écouta cette demande si agréable, et promit à sa Mère avec bien plus de bonté que Salomon à la sienne, qu'il ne tarderait pas d'effectuer ses promesses et qu'il descendrait au monde, y prenant chair humaine pour le racheter. (1) III Reg., 11, 21. 641 334. Il fut déterminé dans ce consistoire et ce tribunal divin de la très-sainte Trinité, de donner le nom à l'enfant Reine; et comme il n'en est point de légitime et de propre que celui qui est imposé dans l'âtre immuable de Dieu , où toutes choses se distribuent et s'ordonnent avec équité, poids et mesure, et avec une sagesse infinie, sa Majesté le lui voulut imposer et donner par lui-même dans le ciel, où elle manifesta aux esprits angéliques que les trois personnes divines, dès' le commencement et avant tous les siècles, avaient décrété et formé le très-doux nom de Jésus pour le Fils, et celui de Marie pour la Mère, et que dans toutes,les éternités elles avaient pris leur complaisance en eux, et les avaient gravés en leur mémoire éternelle , les ayant présents en toutes les choses auxquelles elles avaient donné l'être, parce qu'elles les créaient pour leur service. Les saints anges connaissaient ces mystères, et plusieurs autres ouïrent une voix sortant du trône, qui disait en la personne du Père éternel ; " Notre élue se doit appeler Marie, et ce nom doit être merveilleux et magnifique; ceux qui l'invoqueront avec une affection sincère et dévote , recevront des grâces très-abondantes ; ceux qui l'auront en vénération et le prononceront avec respect seront consolés et vivifiés, et tous trouveront en lui le remède à leurs maux, des trésors pour s'enrichir, et la lumière pour les conduire à la vie éternelle. Il sera terrible contre l'enfer, il écrasera la tête du serpent, et remportera d'insignes victoires sur les princes des (642) ténèbres. " Le Seigneur commanda aux esprits angéliques d'annoncer cet heureux nom à sainte Anne, afin que ce qui avait été confirmé dans le ciel fût exécuté sur la terre. La divine enfant, prosternée par affection devant le trône, rendit de très-humbles . actions de grâces à litre éternel, et elle reçut le nom avec d'admirables et très-doux, cantiques. S'il fallait écrire les prérogatives et les grâces qui lui furent accordées, il en faudrait faire plusieurs volumes à part. Les saints anges adorèrent, et reconnurent encore dans le trône du Très-Haut la très-sainte Marie, pour celle qui devait être la Mère du Verbe, leur Reine et leur, Maîtresse; et ils, en honorèrent le nom en se prosternant à la prononciation que la voix du Père éternel en fit; et cette vois sortait du trône, et ceux qui avaient ce nom sur leur sein pour devise, s'y distinguèrent , chantant tous des cantiques de louanges pour de si grands et si cachés mystères; cette jeune Reine ignorant toujours la cause de tout, ce quelle connaissait, parce que la dignité de Mère du Verbe incarné ne lui fut manifestée qu'au temps de l'incarnation. Les mêmes anges qui l'avaient portée dans le ciel empyrée, la remirent avec la même joie et le même honneur entre les bras de sainte Anne, à laquelle ce succès et l'absence de sa fille furent aussi cachés; parce qu'un ange de sa garde occupa sa place, ayant pris un corps aérien pour cet effet. Outre que pendant un assez long temps que la divine enfant fut dans le ciel empyrée, sa mère Anne eut une extase d'une très-haute contemplation, en laquelle (643) (bien qu'elle ignorât ce qui se passait en sa fille) de très-grands mystères lui furent découverts touchant la dignité de Mère de Dieu pour laquelle elle était choisie. Et la prudente dame- les conserva toujours dans son cœur pour régler. sur leur importance tout ce qu'elle devait pratiquer à l'égard de sa très-sainte Fille. 335. Huit jours après la naissance de la grande Reine, un très grand nombre de très- beaux anges descendit du ciel d'une manière très-magnifique, ayant ebacun' un bouclier lumineux où le nom de MARIE était gravé tout éclatant et : rayonnant de lumière; ils se manifestèrent tous à l'heureuse mère Anne, et lui dirent que le nom de sa fille était celui de Marie, qu'elle y voyait marqué:, que la divine Providence le lui avait donné, et voulait qu'elle et Joachim le lui imposassent sans différer. La sainte l'appela, et ils conférèrent ensemble sur la volonté de Dieu pour donner le nom à leur fille; le bienheureux père reçut ce nom avec une joie particulière et une dévote affection. Ils déterminèrent de convoquer leurs parents et un prêtre, et ils imposèrent avec beaucoup de solennité, et dans un banquet fort somptueux, le nom de Marie à celle qui venait de naître. Les Anges: le célébrèrent avec une très- douce et admirable musique, qui ne fut ouie que de la mère et de sa très-sainte fille; de sorte que le même nom qui avait été. donné à notre divine Princesse parla très-sainte Trinité dans le ciel, lui fut pareillement donné sur la terre huit jours après sa naissance. Il fut écrit (644) sur le registre commun, lorsque sa mère monta au temple pour y accomplir la loi, comme nous le dirons dans la suite. Ce fut là le plus extraordinaire enfantement et le plus nouveau que l'on eût jamais vu jusqu'alors au monde, et qui se puisse trouver en une pure créature. Ce fut la plus heureuse naissance que la nature pût connaître, puisqu'elle ne se trouva pas seulement exempte des souillures du péché dans le premier jour de son enfance et de sa vie; mais aussi plus pure et plus sainte que les plus hauts séraphins. La naissance de Moïse (1) fut célébrée à cause de la beauté et des charmes que l'on découvrait en lui; mais tout cela n'était qu'apparent et corruptible. Oh! que notre petite Marie est belle ! oh! qu'elle est belle! Elle est toute belle (2) et très-douce en ses délices, parce qu'elle possède toutes les grâces et toutes les beautés sans qu'il lui en manque aucune. La naissance d'Isaac promis, et conçu d'une mère stérile, fut le ris et la joie de la maison d'Abraham (3) ; mais cet enfantement n'eut rien de plus grand, qu'en ce qu'il participait et dérivait de notre divine Reine, à laquelle toute cette joie tant désirée s'adressait. Et s'il causa tant d'admiration et tant de réjouissances dans la famille du patriarche, c'est parce qu'il était comme les prémices de la naissance de la très-douce Marie; en celui-ci le ciel et la terre se doivent réjouir, puisqu'il nous donne celle qui doit réparer les ruines du ciel et sanctifier le monde. Noé (4) consola son père (1) Exod., II, 2. - (2) Cant., IV, 1 et 7. - (3) Gen., XXI, 6. - (4) Id., V, 29. 645 Lamech en naissant, parce que Dieu le destinait pour assurer en lui la conservation du genre humain dans l'arche, et la restauration de ses bénédictions dont les hommes s'étaient rendus indignes par leurs péchés; mais le tout ne se faisait que pour préparer les voies à la venue au monde de notre divin enfant, qui était aussi l'Arche mystique qui portale nouveau et le véritable Noé, l'ayant attiré du ciel pour remplir de bénédictions tous les habitants de la terre. O heureux enfantement ! ô agréable naissance ! qui pendant tous les siècles passés avez été la plus grande complaisance de la très-heureuse Trinité, la réjouissance des anges, le soulagement des pécheurs, la joie des justes et la singulière consolation des saints qui vous attendaient dans les limbes. 336. O précieuse et riche perle! qui parûtes au soleil enfermée dans la grossière nacre de ce monde. O grande enfant ! si les yeux terrestres peuvent à peine apercevoir votre petitesse à la faveur de la lumière matérielle, vous ne laissez pas de surpasser en cet état, aux yeux du souverain Roi et de ses courtisans, en dignité et en grandeur, tout ce qui n'est pas Dieu ! Que toutes les générations vous bénissent; que toutes les nations reconnaissent et louent vos grâces, vos charmes et vos beautés. Que la terre soit illustrée par cette naissance , et que les mortels se réjouissent, parce que leur réparatrice est née, qui doit remplir le vide que le premier péché causa, et dans lequel il les laissa. Que l'excès de bonté que vous avez pratiqué envers moi, qui ne suis qu'un petit ver de terre que (646) poussière et que cendre, soit béni et exalté. Si vous me permettez, mon aimable princesse, de parler en votre présence, je vous proposerai un doute qui m'est venu sur ce mystère de votre sainte et admirable naissance, et sur ce que le Très-Haut opéra envers vous à l'heure qu'il vous mit dans cette lumière matérielle du soleil. 337. Comment pourra-t-on concevoir que vous fûtes portée en corps par le ministère des anges bienheureux jusque dans li ciel empyrée et en vue de la Divinité? puisque ; selon la doctrine de la sainte Église et de ses docteurs, le ciel fut fermé et comme interdit aux hommes jusqu'à ce que votre très-saint Fils l'eût ouvert par sa vie et par sa mort, et y eût fait son entrée comme leur rédempteur et leur chef, lorsque après être ressuscité, il y monta le jour de son admirable et glorieuse Ascension, étant le premier pour lequel s'ouvrirent ces portes éternelles qui étaient fermées par le péché. Réponse et instruction de la Reine du ciel. 338. Ma très-chère fille, il est vrai que la divine justice ferma le ciel aux mortels à cause du premier péché, jusqu'à ce que mon très-saint Fils l'ouvrit (647) en satisfaisant par sa vie et par sa mort surabondamment pour les hommes, puisqu il était très juste et très-convenable que le Réparateur, qui comme chef avait uni à soi les membres rachetés et leur ouvrait le ciel, y entrât avant les enfants d'Adam. Car si ce premier homme n'eût pas péché, il ne serait pas nécessaire de garder cet ordre, afin que les hommes montassent dans le ciel empyrée pour y jouir de la Divinité; mais la très-sainte Trinité ayant vu la chute du genre humain, détermina ce qui s'exécute et s'accomplit maintenant. Et ce grand mystère fut celui que David renferma dans le psaume XXIII, lorsqu'il dit deux fois en parlant avec les esprits célestes : Ouvrez, princes, vos portes; et vous, portes éternelles, élevez-vous, et le Roi de gloire entrera (1). Il dit aux anges que les portes étaient les leurs, parce qu'elles n'étaient ouvertes que pour eux, étant fermées pour les hommes mortels. Et bien que ces courtisans du ciel n'ignorassent pas que le Verbe incarné ne leur eût déjà ôté les verrous et les serrures du péché, le voyant monter enrichi et glorieux par les dépouilles de la mort et du péché, et même par les prémices qu'il recevait de sa passion en la gloire des saints pères des limbes qu'il conduisait en sa compagnie; néanmoins les saints auges vont au-devant de lui, comme émerveillés et ravis de cette aimable nouveauté, se demandant les uns les autres : Qui est ce Roi de gloire (2), étant homme et de la nature de celui qui perdit pour soi (1) Ps. XXIII, 7. - (2) Ibid., 8. 648 et pour tous ses descendants le droit de monter au ciel? 339. A ce doute, ils se répondent en disant que c'est le Seigneur fort et puissant en bataille, et le Seigneur des vertus, Roi de gloire (1). Et c'était comme déclarer qu'ils étaient déjà convaincus que cet homme qui venait du monde pour ouvrir les portes éternelles, n'était pas seulement homme et nullement compris dans la loi du péché, mais qu'il était homme et Dieu véritable, qui, étant fort et puissant en bataille, avait vaincu le fort armé qui régnait dans le monde, et l'avait dépouillé de son royaume et de ses armes. Il était aussi Seigneur des vertus, parce qu'il les avait pratiquées comme en étant le maître, avec empire et sans opposition du péché et de ses effets. Et comme Seigneur de la vertu et Roi de gloire (2), il venait triomphant, et distribuant les vertus et la gloire à ses rachetés, pour lesquels, en tant qu'homme, il avait souffert et était mort; et en tant que Dieu il les élevait dans l'éternité de la vision béatifique, ayant brisé les serrures et les empêchements que le péché y avait mis. 340. Ce fut, ma fille, ce que fit mon Fils bien-aimé, Dieu et homme véritable ; il m'éleva comme Seigneur des vertus et des grâces , dont il m'orna dès le premier instant de ma conception; et comme je ne fus point atteinte de la souillure du premier péché, je n'eus pas aussi cet empêchement des autres mortels (1) Ps. XXIII, 8. - (2) Ibid., 10. 649 pour entrer par ces portes éternelles; su contraire, le puissant bras de mon Fils agit avec moi comme avec la Maîtresse des vertus et la Reine du ciel. Et parce que je le devais revêtir de ma chair et de mon sang et le faire homme, sa divine bonté voulut me prévenir et me faire semblable à lui en la pureté, en l'exemption du péché, et en d'autres dons et privilèges divins. Car n'étant pas esclave du péché, je ne pratiquais point les vertus comme lui étant soumises, mais comme maîtresse avec empire et sans contradiction; non point comme semblable aux enfants d'Adam, mais comme semblable au Fils de Dieu, qui était aussi le mien. 341. C'est pourquoi les esprits célestes m'ouvrirent les portes éternelles, qu'ils gardaient comme les leurs, reconnaissant que le Seigneur m'avait créée plus pure que tous eux, pour être leur Reine et la Maîtresse de toutes les créatures. Et sachez, ma très-chère fille, que Celui qui avait fait la loi, en pouvait absolument dispenser, comme le souverain Seigneur et Législateur le fit envers moi, étendant bien plus loin le sceptre de sa clémence gu'Assuérus ne le fit à l'égard d'Esther (1), afin que je ne fusse point comprise, devant être Mère de l'auteur de la grâce, dans les lois communes du péché, qui comprenaient les autres enfants d'Adam. Et bien que je ne pusse pas mériter ces faveurs, n'étant qu'une pure créature; néanmoins la clémence et la bonté divine s'inclinèrent avec libéralité, (1) Esth., IV, 11. 650 et me regardèrent comme une humble servante, afin que je louasse éternellement l'auteur de telles oeuvres. Et je veux , ma fille, que vous l'en bénissiez, et que vous l'exaltiez aussi. 342. L'instruction que je m'en vais vous donner est que, comme je vous ai choisie par une bonté libérale pour être ma disciple et mon associée, toute pauvre, inutile et faible que vous étiez, vous vous efforciez de m'imiter dans un exercice que j'ai pratiqué toute ma vie depuis ma naissance, sans l'avoir jamais omis pour quelques occupations, quelques soins et quelques travaux que j'eusse. Cet exercice fut qu'au commencement de chaque jour je me prosternais en la présence du Très-Haut, je lui rendais des actions de grâces, et le louais pour son être immuable, pour ses perfections infinies et pour m'avoir tirée du néant; et, me reconnaissant créature et ouvrage de ses mains, je le bénissais, je l'adorais, lui donnant l'honneur, la gloire et la divinité, comme à mon souverain Seigneur et créateur de tout ce qui a l'être. J'élevais mon esprit pour l'abandonner entièrement entre ses mains, et je m'offrais en elles à sa divine Majesté avec une profonde humilité et une parfaite résignation; je le priais de disposer de moi pendant ce jour-là et pendant tous ceux qui me restaient à vivre, selon sa sainte volonté, et qu'il m'enseignât ce qui lui serait le plus agréable, afin de l'accomplir avec exactitude. Je réitérais plusieurs fois tout cela dans mes occupations extérieures de ce jour, consultant toujours en premier lieu sa Majesté dans les intérieures, et lui demandant son conseil (651), sa permission et sa bénédiction pour toutes, mes actions. 343. Vous serez fort dévote à mon très-doux nom, et je veux que vous sachiez que toutes les prérogatives et toutes les grâces que le Tout-Puissant lui accorda furent si nombreuses, que la connaissance que j'en eus à la vue de la: Divinité m'engagea et m'obligea à un continuel retour; de sorte que, toutes les fois que MARIE se présentait à ma mémoire (ce qui arrivait assez souvent), et lorsque je m'entendais nommer, mon affection se sentait excitée à la reconnaissance, et à entreprendre de grandes choses pour le service du Seigneur, qui me l'avait donné. Vous avez, ma fille, le même nom; c'est pourquoi je veux qu'il produise en vous les mêmes effets, et que vous m'imitiez avec ponctualité dans l'instruction de ce chapitre, sans y manquer dès à présent, quoi qu'il puisse arriver. Et si comme faible vous vous négligez, revenez incontinent à vous, et avouez votre faute en la présence du Seigneur et en la mienne, la reconnaissant avec douleur. Par ce soin, et en réitérant divers actes dans ce saint exercice, vous éviterez les imperfections, et vous vous accoutumerez à pratiquer les vertus les plus éminentes et ce qui est le plus agréable au Très-Haut, qui ne vous refusera pas sa divine grâce, par laquelle vous viendrez à bout de toutes choses, pourvu que vous donniez toutes vos attentions à sa lumière et à l'objet le plus agréable, qui est celui de vos affections et des miennes: attentions qui doivent consister à vous appliquer entièrement à ouïr la voix de votre époux et de (652) votre Seigneur, à le servir, et à vous soumettre à sa divine volonté, qui demande de vous ce qui est le plus pur, le plus saint et le plus parfait, et une intention prompte et fervente pour l'exécuter. FIN DU TOME I. 3/30 CHAPITRE XXII. Comme sainte Anne accomplit dans ses couches ce qui était ordonné par la loi de Moise, et comme Marie se comportait dans son enfance. Réponse et instruction de la Reine du ciel. CHAPITRE XXIII. Des devises avec lesquelles les saints anges de la garde de la très-sainte Marie se manifestaient à elle, et de leurs perfections. CHAPITRE XXIV - Des saintes occupations et des exercices de la Reine du ciel pendant les dix-huit premiers mois de son enfance. Instruction de la Reine du ciel. CHAPITRE XXV. Comme la très-sainte Marie commença de parler après ces dix- huit mois, et de ses occupations jusqu'à ce qu'elle fût au temple. Instruction de la Reine du ciel. Note de l'Éditeur Ici commence le tome II de l'édition de Paris 1857(Poussièlgue-Rusand) CHAPITRE XXII. Comme sainte Anne accomplit dans ses couches ce qui était ordonné par la loi de Moise, et comme Marie se comportait dans son enfance. 344. C'était un précepte de la loi dans le douzième chapitre du Lévitique, que si la femme enfantait une fille, elle fût tenue pour immonde pendant deux semaines , et qu'elle demeurât soixante-six jours dans la purification de l'enfantement (où elle n'en devait employer que trente-trois quand elle avait enfanté un mâle), et ayant accompli ceux de sa purification, il lui était ordonné d'offrir en holocauste à la porte du tabernacle un agneau d'un an pour les filles ou pour les mâles, et un pigeonneau ou une tourterelle pour le péché, le consignant au prêtre, afin qu'il l'offrît au Seigneur et priât pour elle, et qu'avec cela elle fût purifiée. L'accouchement de la très-heureuse Anne fut aussi pur et aussi privilégié qu'il était convenable à sa (2) divine fille, dont la pureté rejaillissait sur la mère Bien qu'elle n'est pas besoin pour cette raison d'aucune autre purification, elle satisfit pourtant à la loi, qu'elle accomplit fort ponctuellement; ainsi cette mère, qui était exempte des charges que la loi imposait touchant la purification, passa pour immonde aux yeux des hommes. 345. Les soixante-six jours de la purification étant passés, sainte Anne alla au temple tout enflammée d'une divine ardeur, et portant elle-même sa très-bénie fille : elle se présenta à la porte du tabernacle avec l'offrande que la loi exigeait, étant accompagnée d'une multitude innombrable d'anges, et y eut quelque conférence avec le souverain prêtre, le vénérable Siméon, qui, étant toujours fort assidu au temple, reçut par privilège cette singulière faveur, que toutes les fois que l'enfant Marie était présentée et offerte au Seigneur dans le temple, ce fut eu sa présence et par son ministère : quoique le saint prêtre ne pénétrât point dans toutes ces occasions la dignité de cette divine Reine, comme nous le dirons dans la suite; mais il eut toujours de grands mouvements et de fortes impulsions dans son âme que cette fille était très-grande aux yeux de Dieu. 346. Sainte Anne lui offrit l'agneau et la tourterelle avec les autres choses qu'elle portait, et le conjura fort humblement et avec beaucoup d'ardeur de prier le Seigneur pour elle et pour sa fille, afin que, s'il se trouvait en elles quelque défaut, il le leur pardonnât. Sa divine Majesté n'eut rien à pardonner ni (3) en la fille ni en la mère, auxquelles la grâce était si abondante; mais il trouva plutôt des sujets de récompenses en leur profonde humilité, puisque, étant l'une et l'autre très-saintes, elles se croyaient pécheresses et se présentaient comme telles. Le saint prêtre reçut l'offrande, et en la recevant son âme fut enflammée et éprise d'une joie extraordinaire, et d'une consolation sensible; et, sans en comprendre la cause ni manifester ce qu'il ressentait, il dit en lui même: Quelle nouveauté est celle-ci? Il pourrait bien être que ces femmes fussent parentes du Messie, qui doit venir? Demeurant dans cette agréable suspension, et pénétré de cette joie intérieure, il leur témoigna une grande bienveillance. Et la sainte mère Anne entra alors avec sa très-sainte fille, qu'elle avait entre ses bras, et l'offrit au Seigneur avec des larmes de dévotion et de tendresse, comme étant la seule au monde qui connaissait le trésor qu'on lui avait donné en dépôt. 347. Sainte Anne renouvela alors le voeu qu'elle avait, déjà fait d'offrir au temple sa première-née, lorsqu'elle serait arrivée à l'âge convenable : et étant illustrée dans ce renouvellement de veau par une nouvelle grâce et une lumière spéciale du Très- Haut, elle entendit alors une voix qui lui disait intérieurement d'accomplir dans trois ans ce même voeu, de porter et d'offrir sa fille au temple. Cette voix fut comme l'écho de là très-sainte Reine, qui toucha le coeur dé Dieu, afin qu'il résonnât dans celui de sa mère: car elles ne furent pas plutôt entrées dans le temple, que cette aimable enfant, voyant par ses yeux corporels la (4) majesté et la grandeur de cet auguste temple consacré au culte et à l'adoration de la Divinité, son esprit en reçut des effets merveilleux, et elle aurait bien voulu s'y prosterner et en baiser le pavé, pour y adorer le Seigneur avec plus de marques d'humilité. Mais, ne pouvant pas effectuer par des actions extérieures ce quelle désirait, son affection intérieure y suppléa en adorant et bénissant Dieu avec un amour le plus sublime et un respect le plus profond qui se soient jamais trouvés ni qui se trouveront en aucune pure créature : et parlant dans son coeur au Seigneur, elle lui fit cette prière : 398." Dieu très-élevé et incompréhensible, mon Roi et mon Seigneur, digne de toute gloire, de toute louange et de tout honneur, je vous adore dans ce saint lieu, qui est votre temple; moi qui ne suis qu'une vile et abjecte poussière, mais pourtant l'ouvrage de vos mains, je vous exalte et je vous glorifie pour votre être et pour vos perfections infinies; je rends grâces, autant que ma faiblesse me le peut permettre, à votre libérale bonté de m'avoir accordé le bonheur de voir ce saint temple et cette maison d'oraison où vos prophètes et mes anciens pères vous ont loué et béni, et où votre miséricorde magnifique a opéré envers eux de si grandes mer veilles et des mystères si profonds. Daignez, Seigneur, m'y recevoir, afin que je puisse vous y servir au temps que votre sainte volonté l'a dé terminé. " 349. Celle qui était la Reine de tout l'univers fit (5) cette très-humble offrande en qualité de servante du Seigneur; et, en témoignage de l'acceptation que le Très- Haut en faisait, une très-claire lumière descendit du ciel d'une manière sensible sur l'enfant et sur la mère, les remplissant de nouvelles splendeurs de grâce. Alors il fut redit à sainte Anne qu'elle offrît sa fille en sa troisième année dans le temple; parce que la grande complaisance que le Très-Haut en devait recevoir ne permettait pas un plus long délai, non plus que l'ardente affection et le désir extrême que la divine enfant avait de se consacrer entièrement à sa Majesté. Les saints anges de sa garde, et une multitude innombrable d'autres qui l'assistèrent à cette cérémonie, chantèrent de très-douces louanges à l'auteur de tant de merveilles; mais il n'y eût, de toutes les personnes qui s'y trouvaient, que notre auguste Princesse et sa sainte mère Anne qui entendissent cette céleste musique, y apercevant intérieurement et extérieurement ce qu'il y avait de spirituel et de sensible qui l'accompagnait : le vénérable Siméon reconnut pourtant quelque chose de cette lumière sensible. Après quoi sainte Anne s'en retourna chez elle, enrichie de son trésor et des nouveaux dons du Très-Haut. 350. A la vue de toutes ces merveilles, l'ancien serpent avait un désir ardent d'y découvrir la vérité; mais le Seigneur la lui cacha, ne lui permettant d'y pénétrer que ce qu'il avait déterminé pour sa plus grande gloire, afin que, détruisant toutes ses vaines prétentions, il s'en servît comme d'instrument dans l'exécution de ses justes et impénétrables jugements. (6) Cet ennemi de tout bien tirait plusieurs conjectures sur les nouveautés qu'il découvrait dans la mère et dans la fille. Mais voyant qu'elles portaient des offrandes au temple, qu'elles observaient comme pécheresses ce que la loi commandait, et qu'elles demandaient au prêtre qu'il priât pour elles, afin que le Seigneur leur pardonnât; tout cela fut cause qu'il se méprit, et qu'il apaisa sa fureur dans la créance que cette mère et cette fille étaient comprises sous son empire comme les autres femmes, et que toutes étaient dans le même état, quoique les unes fussent plus parfaites et plus saintes que les autres. 351. Notre auguste et tendre Reine était traitée comme les autres enfants de son âge. Sa nourriture était commune, quoique fort petite pour la quantité; il en était de même de son sommeil, auquel il fallait la provoquer. Mais elle n'était point fâcheuse, et ne pleura jamais par les petits chagrins des autres enfants, ses larmes étant extrêmement douces et paisibles; elle pleurait et sanglotait souvent (quoiqu'en Reine et en Maîtresse, et en la manière que la tendresse de son âge le permettait) pour les péchés du monde, pour en obtenir le remède, et pour la venue du Rédempteur des hommes, sana qu'on en découvrit la cause merveilleuse. Son air était (même dans son enfance) ordinairement joyeux, agréable, mêlé néanmoins de quelque sévérité, et l'on y découvrait une rare majesté sans qu'il y eût jamais rien de puéril; elle recevait pourtant dans de certaines rencontres les caresses qu'on lui faisait; mais à l'égard de celles qui (7) n'étaient point de sa mère (étant par conséquent moins réservées), elle en modérait ce qu'il y avait d'imparfait par une vertu singulière et par le sérieux qu'elle témoignait. La prudente et vénérable mère Anne traitait sa fille avec un soin Incomparable et avec des marques de l'amour le plus tendre: son père Joachim L'aimait aussi d'une affection sainte et paternelle, bien qu'il ignorât alors le mystère que sa fille renfermait; et cette aimable enfant lui témoignait. une grande amitié comme celle qui le connaissait déjà pour père et pour celui qui était si fort aimé de Dieu. Et, quoi qu'elle en reçût plus de caresses que des autres, Dieu inspira néanmoins dès lors et au père et à tous les. autres un respect si extraordinaire et une si grande pudeur pour celle qu'il avait choisie pour être sa Mère, que même la sincère affection et l'amour de son père étaient toujours fort réservés et modérés dans les démonstrations sensibles qu'elle en recevait. 352. La Reine enfant était en toutes choses reconnaissante, très-parfaite et admirable. Et, bien qu'elle passât dans son enfance par les lois communes de la nature, elles ne causèrent pourtant aucun empêchement à la grâce, puisque, lors même qu'elle dormait, . les actions intérieures de l'amour et les autres effets de la même grâce, qui ne dépendent point des sens extérieurs, ne cessaient point en elle et n'étaient nullement interrompus. Et, quoique plusieurs autres âmes aient pu aussi recevoir cette insigne faveur, le pouvoir divin nous en ayant donné divers exemples, il est néanmoins très-certain que Dieu départit cette grâce (8) à celle qu'il avait élue pour être sa Mère et la Reine de toutes les créatures, en un degré si haut, que personne d'entre elles n'y pourra jamais arriver ni le concevoir, Dieu parla à Samuel (1), à d'autres saints et à d'autres prophètes dans leur. sommeil, et suscita à plusieurs des visions ou des songes mystérieux (2), car il importe fort peu à son pouvoir, quand il veut éclairer un entendement, que les sens extérieurs dorment d'un sommeil naturel ou qu'ils soient suspendus par la force, qui les ravit dans l'extase, puisque dans tous les deux ils cessent, et que l'esprit peut sans leur concours entendre, agir et parler avec ses objets proportionnés. Ce privilège fut perpétuel en notre Reine dès sa conception jusqu'à présent, et le sera pendant toute l'éternité, son état n'étant point un état de voyagère dans ces grâces, n'y ayant aucun intervalle, comme il y en a à l'égard des autres créatures. Lorsqu'elle était seule ou qu'on la mettait dans son berceau pour dormir, ce qu'elle ne faisait que fort sobrement, elle conférait sur les mystères et les louanges du Très-Haut avec les saints anges de sa garde, et jouissait des divines visions et des entretiens de sa Majesté Et, parce que ses conversations avec les anges étaient très-fréqueutes, je dirai dans le chapitre suivant en quelles manières ils se manifestaient à elles, et quelque chose de leurs excellences. 353. Reine du ciel, Vierge sainte, si vous écoutez comme mère pitoyable et comme ma charitable (1) 1 Reg., III, 4. - (t) Gen., XXXVII, 5 et 6. 9 maîtresse, mes ignorantes grossièretés sans vous en offenser, je proposerai à votre bonté magnanime quelques doutes qui me sont venus sur ce chapitre. Que s'il se trouve dans mon ignorance et dans ma trop grande hardiesse quelque manquement, su lieu de me répondre, corrigez-moi, ma divine Princesse, par votre miséricorde maternelle. Mon doute est, si vous sentiez en votre enfance la nécessité et la faim que les autres enfants ressentent naturellement? Et supposé que vous endurassiez ces peines, comment demandiez-vous les aliments et les secours nécessaires, ayant une patience si admirable, pendant qu'aux autres enfants les pleurs servent de langue et de paroles? J'ignore aussi si les sujétions de cet âge étaient pénibles à votre Majesté, comme de vous emmailloter et développer votre corps virginal, vous donner la nourriture enfantine et autres choses semblables que tous les enfants reçoivent sans avoir; pour les connaître, l'usage de la raison, dont vous étiez pourtant douée, ma divine Dame, pour faire discerner tout ce qui vous arrivait? Car il me semble presque impossible qu'il n'y eût quelque excès ou quelque manquement en la manière, au temps, en la quantité et en d'autres circonstances , vous y considérant dans votre enfance, très-grande en sagesse, pour donner à toutes choses leur juste poids. Votre prudence céleste vous y faisait conserver un maintien majestueux; votre âge, la nature et ses lois exigeaient le nécessaire; et si pourtant vous ne le demandiez pas en pleurant comme une enfant, ni en parlant comme une grande fille, ni l'on ne pénétrait (10) pas vos pensées et l'on ne vous traitait point selon l'usage de la raison que vous aviez, ni votre sainte mère ne le pouvait pas connaître, ni toujours rencontrer son heure, ignorant le temps et la manière, ne pouvant non plus servir votre Majesté en toutes choses. Tout cela me cause de l'admiration, et me fait naître le désir de connaître les mystères que toutes ces choses renferment. Réponse et instruction de la Reine du ciel. 354. Ma fille, je réponds fort agréablement à votre admiration. Il est vrai que j'eus la grâce et l'usage de la raison dès le premier instant de ma conception, comme je vous l'ai déjà si souvent fait. connaître, que j'ai passé par les sujétions de l'enfance comme les autres enfants, et qu'on m'éleva selon l'ordre commun de tous. Je fus sujette à la faim , à la soif, au sommeil et aux autres peines corporelles, ayant été soumise à ces accidents comme fille d'Adam; parce qu'il était juste que j'imitasse mon très-saint Fils, qui reçut ces disettes et ces peines, afin qu'il méritât par leur moyen et que je servisse d'exemple avec sa Majesté aux autres mortels qui le devaient imiter. Comme je me réglais par la divine grâce, je prenais la nourriture et le sommeil avec la discrétion requise, et avec plus de (11) sobriété que les autres, n'en recevant que ce qui était précis et nécessaire pour mon accroissement, et pour la conservation de ma vie et de ma santé; parce que l'excès de ces choses n'est pas seulement contraire à la vertu, mais il est aussi ennemi de la nature, qui en est altérée et détruite. La faim et la soif m'étaient plus sensibles qu'aux autres enfants, à cause de mon juste tempérament et de ma complexion délicate c'est pourquoi le défaut de nourriture m'était plus dangereux; mais si on ne me la donnait pas en son temps, ou qu'on y excédât, je prenais patience jusqu'à ce que l'occasion se présent de la demander par quelque décente démonstration. Je me passais aussi plus facilement du sommeil à cause de la liberté que j'avais dans ma petite solitude, de voir les anges et de conférer avec eux des mystères divins. 355. Je ne ressentais aucune peine de me voir enveloppée, pressée et attachée dans mon maillot, mais au contraire, une joie particulière à cause de la lumière que j'avais que le Verbe incarné devait souffrir une mort très-honteuse et être ignominieusement attaché. Lorsque j'étais seule dans cet âge, je me mettais en forme de croix, priant à son imitation, parce que je savais que mon Bien-Aimé devait mourir en elle, bien que j'ignorasse alors que le divin crucifié dût être mon Fils. Je souffris toutes les incommodités qui m'arrivèrent durant toute ma vie, avec résignation et avec joie, parce que je fus toujours intérieurement pénétrée d'une considération, que je veux être inviolable et perpétuelle en vous, c'est que vous (12) pesiez dans votre cœur et dans votre entendement les vérités infaillibles que je contemplais et que je méditais , afin que vous fassiez le discernement et le jugement solide de toutes choses, et que vous donniez à chacune son juste prix, sans qu'il s'y trouve aucune tromperie ni injustice, dans lesquelles les enfants d'Adam sont ordinairement plongés ; et je ne veux point , ma fille, que vous soyez dans cet aveuglement. 356. Je ne fus pas plutôt venue au monde, et je n'eus pas plutôt vu le jour, que je sentis les effets des éléments , les influences des planètes et des astres, la terre qui me recevait, les aliments qui me nourrissaient, et toutes les autres causes de la vie. Je rendis des actions de grâces infinies à Celui qui en était l'auteur, reconnaissant ces oeuvres pour un bienfait singulier qu'il me faisait, et non point pour une obligation qu'il me dût. C'est pourquoi, lorsqu'il me manquait ensuite quelque chose de celles dont j'avais besoin, je déclarais.et j'avouais sans me troubler, au contraire avec une sensible joie, que l'on pratiquait à mon égard ce qui était raisonnable, parce que tout ce que l'on me donnait était par grâce, sans l'avoir mérité, et que l'on m'aurait fait justice de m'en priver. Or sachez, ma fille, qu'en me faisant ce discours à moi-même, je reconnaissais une vérité que la raison humaine ne peut nier ni ignorer; quel est donc le jugement des hommes, lorsque manquant de quelque chose qu'ils souhaitent avec plus de passion et qui leur est le plus souvent nuisible, ils s'attristent et s'emportent les uns contre les autres, s'irritant même (13) contre Dieu, comme s'ils en recevaient quelque tort? Qu'ils s'interrogent eux-mêmes, de quels. trésors et de quelles richesses ils étaient en possession avant que de recevoir la vie. Quels services rendirent-ils au Créateur afin qu'il la leur donnât? Et si le néant ne pouvait acquérir autre chose que le néant, ni mériter l'être qu'on lui donna dans ce même néant, quelle obligation de justice y a-t-il de lui conserver ce qu'on lui a donné par grâce? Lorsque Dieu l'eut créé, ce ne fut pas un bienfait que sa Majesté se fit à elle-même, mais au contraire il le fut aussi grand pour la créature que l'étaient l'être et la fin pour laquelle on le lui donnait. Et si en recevant l'être il contracta une dette qu'il ne pourra jamais payer, qu'il dise le droit qu'il a maintenant, afin que lui ayant donné l'être sans l'avoir mérité, l'on soit dans l'obligation de le lui conserver après s'en être si souvent rendu indigne? D'où tirera-t-il le contrat et la caution, afin que rien ne lui manque? 357. Que si avec le premier mouvement et avec la première opération qu'il reçut en la création, il contracta une dette qui l'obligea plus étroitement, comment ose-t-il demander avec impatience ce second mouvement ou cette opération de la conservation? Et si nonobstant tout cela la souveraine bonté du Créateur lui fournit gratuitement le nécessaire, pourquoi se trouble-t-il, lorsque le superflu lui manque? O ma fille! quel désordre si exécrable et quel aveuglement si odieux est celui des mortels! Ils reçoivent ce que le Seigneur leur donne par une pure. grâce sans le (14) connaître et sans y satisfaire; ils s'inquiètent et s'enorgueillissent sur ce qu'il leur refuse par justice et bien souvent par une grande miséricorde, se le procurant même par des voies injustes et illicites, courant ainsi avec précipitation après le dommage qui les suit. Par le seul premier péché que l'homme commet en perdant Dieu, il perd aussi l'amitié de toutes les créatures; et si le même Seigneur ne les retenait, elles s'uniraient toutes pour venger son injure, et refuseraient à l'homme les opérations et les secours par lesquels elles le conservent et lui donnent la vie. Le ciel le priverait de sa lumière et de ses influences, le feu de sa chaleur, l'air lui refuserait la respiration, et toutes les autres choses à leur manière en feraient de même , parce qu'elles y seraient obligées avec justice. Que l'homme donc, ingrat et abject, s'humilie, et qu'il prenne garde de ne point thésoriser l'ire du Seigneur pour ce jour assuré des grandes assises et des comptes universels, lorsque la terre refusera ses fruits, les éléments leur doux accord et leur concours, et que toutes les autres créatures s'armeront pour venger les injures qu'on aura faites au Créateur (1), jour auquel toutes ses obligations lui paraîtront si formidables. 358. Et vous, ma chère amie, évitez une si noire ingratitude, reconnaissez avec humilité que vous avez reçu l'être et la vie par grâce, et que c'est aussi par grâce que Celui qui en est l'auteur vous la conserve; (1) Sap., V, 18. 15 que vous recevez gratuitement tous les autres bienfaits sans les avoir mérités, et qu'en recevant` beaucoup et payant toujours moins, vous vous en rendez tous les jours plus indigne, pendant que la libéralité du Très-Haut s'augmente à votre égard, et que vos obligations s'augmentent par conséquent à l'égard de sa Majesté (1). Je veux que vous fassiez continuellement cette considération, afin qu'elle vous anime et vous excite à pratiquer plusieurs actes de vertus. Si les créatures qui sont dépourvues de raison manquent à vous secourir dans vos nécessités, je veux aussi que vous vous en réjouissiez au Seigneur, que vous en rendiez, grâces à sa Majesté , et que vous les bénissiez de ce qu'elles obéissent au Créateur. Et si les raisonnables vous persécutent, aimez-les de tout votre coeur, les regardant comme les instruments de la justice divine, afin qu'elle se satisfasse en quelque chose de ce que vous lui devez. Et soyez persuadée que la miséricorde infinie se sert bien souvent des afflictions, des adversités et des tribulations pour vous enflammer davantage à son amour et pour vous consoler; car outre que vous les avez méritées par vos péchés, elles servent d'ornement à votre âme, et bous sont comme des joyaux fort précieux dont votre Époux vous enrichit. 359. Voilà la réponse à votre doute: je vais vous donner maintenant l'instruction que je vous ai promise à la fin de tous les chapitres. Considérez donc, ma (1) Rom., II, 5. 16 fille, avec quelle ponctualité ma sainte mère Anne accomplit le précepte de la loi du Seigneur, à qui cette exactitude fut très-agréable. Vous la devez imiter en cela, en observant inviolablement tout ce que votre règle et vos constitutions vous ordonnent; car Dieu récompense libéralement. cette fidélité, et se sent extrêmement offensé quand on le sert avec négligence. Je fus conçue sans péché, c'est pourquoi il n'était pas nécessaire que j'allasse trouver le prêtre , afin que le Seigneur me purifiât; ma mère n'était point aussi dans cette nécessité, puisqu'elle, était fort sainte et sans péché. Nous obéîmes néanmoins avec humilité à la loi , et par cette soumission nous méritâmes de grands accroissements de vertus et de grâce.. Le mépris que fon fait des lois justes et bien ordonnées, et la dispense que l'on en donne à tout moment, font perdre le culte et la crainte de Dieu, confondant et détruisant aussi le gouvernement humain. Prenez garde de n'être point trop facile à la dispense des obligations de votre religion ni pour vous ni pour les autres. Et lorsque la maladie ou quelque autre chose juste et raisonnable le permettra, que ce soit avec discrétion et par le conseil de votre confesseur, justifiant toujours votre conduite devant Dieu et devant les hommes par la vertu de l'obéissance. Si vous vous trouvez quelquefois fatiguée, ou que vos forces soient diminuées, ne relâchez point sitôt de vos rigueurs, car Dieu vous les donnera selon votre foi; mais ne donnez jamais aucune dispense à cause des occupations, préférez le plus essentiel à ce qui l'est moins, (17) et le Créateur aux créatures; car en qualité de supérieure vous aurez moins d'excuses, puisque dans l'observation des lois, vous devez être la première par votre exemple; vous n'aurez jamais pour vous de considérations humaines, quoique vous en ayez quelquefois pour vos soeurs et pour vos inférieures. Et sachez, ma très-chère, que j'exige de vous le bien le plus grand le plus parfait ; c'est pourquoi cette sévérité est nécessaire; parce que l'étroite observation des préceptes est une dette que l'on a contractée à l'égard de Dieu et des hommes. Que personne ne se flatte d'avoir satisfait ce qu'il doit au Seigneur, s'il reste redevable envers son prochain, auquel il doit encore le bon exemple en lui évitant aucune occasion d'un véritable scandale. - Reine et maîtresse de tout ce qui a été créé, je voudrais acquérir la pureté et la vertu des esprits angéliques, afin que cette partie de moi-même qui appesantit l'âme fût plus prompte à pratiquer ce que vous me marquez dans votre céleste instruction. Je suis pesante à moi-même, mais je tâcherai ma divine Princesse, avec le secours de votre intercession, et avec la faveur de la grâce du Très-Haut, d'obéir à votre volonté et à la sienne avec promptitude et avec la plus forte affection de mon coeur. Continuez-moi , Vierge sacrée, votre protection et votre très-sainte et très-relevée instruction. 18 CHAPITRE XXIII. Des devises avec lesquelles les saints anges de la garde de la très-sainte Marie se manifestaient à elle, et de leurs perfections. 360. Nous avons déjà dit qu'il y eut mille anges destinés pour la garde de notre Reine, quoique les autres personnes particulières n'en aient ordinairement qu'un. dais selon la dignité de la très-auguste Marie, nous devons être persuadés que ses mille anges la gardaient et l'assistaient avec encore bien plus de vigilance et de soins que les autres anges ne gardent et n'assistent les âmes des personnes du commun qui leur sont recommandées. Outre ce nombre de mille, qui étaient pour sa garde ordinaire et les plus assidus, elle en avait dans de diverses, occasions plusieurs autres à son service, principalement après qu'elle eut conçu le Verbe incarné. J'ai dit aussi que Dieu fit le choix de ces mille anges au commencement de la création de tous, de la justification des bons et de la chute des méchants, lorsque après leur avoir proposé l'objet de la Divinité comme voyageurs, la très-sainte humanité que le Verbe devait prendre, et sa très-pure Mère, qu'à devaient reconnaître pour (19) leurs supérieurs, leur furent aussi proposées et manifestées. 361. Lorsque j'ai parlé ci-dessus de la punition des anges apostats et de la récompense des fidèles,: dans laquelle le Seigneur garda la due proportion en sa très-juste équité, j'ai dit qu'il Y eut dans cette récompense accidentelle quelque diversité entre les saints anges, causée par les affections différentes qu'ils eurent sur les mystères du Verbe incarné et de sa très-pure Mère, arrivant selon l'ordre, de ces mêmes affections à la connaissance de ces mystères, avant et après la chute des mauvais anges. Et le choix qu'on en fit pour accompagner et pour servir la très- pure Marie et le Verbe incarné, est renfermé dans cette récompense accidentelle aussi bien que la manière de se manifester en la forme qu'ils prenaient, quand ils se rendaient visibles à notre grande Reine et quand ils la servaient. Voilà ce que je prétends déclarer dans ce chapitre, en avouant mon incapacité; car il est bien difficile de réduire à des raisonnements et à des termes matériels les perfections et les opérations des esprits intellectuels, et si fort élevés au-dessus de nos faibles conceptions. Mais si je passais sous silence cet article, j'omettrais dans cette histoire une grande partie des plus excellentes occupations que la Reine du ciel eut dans le temps qu'elle fut voyageuse : parce qu'après les oeuvres qu'elle exerçait envers le Seigneur et avec lui, la plus continuelle de ses applications et ses plus fréquents entretiens étaient avec les, esprits angéliques, ses (20) ministres : et si nous ne touchions cet illustre endroit, le récit de cette très-sainte vie serait imparfait. 362. Supposant tout ce que j'ai dit jusqu à présent touchant les ordres, les hiérarchies et la différence de ces mille anges, je parlerai, ici de la forme en laquelle apparaissaient à leur Reine et Maîtresse, réservant les apparitions intellectuelles et imaginaires pour un autre chapitre, auquel je raconterai expressément les manières des visions qu'avait notre auguste, Princesse. Les neuf cents anges qui furent élus et pris d'entre les neuf choeurs, au nombre de cent de chaque choeur, furent choisis et tirés d'entre ceux qui se portèrent et se distinguèrent le plus en la vénération, en l'amour et en la révérence admirable pour l'auguste Marie. Et lorsqu'ils lui apparaissaient, ils avaient la forme de jeunes hommes d'une excellente et charmante beauté. Ce merveilleux corps manifestait fort peu du terrestre, parce qu'il était très pur et comme un cristal animé et rayonnant de cette heureuse lumière de l'empyrée; de manière que les corps de ces princes célestes ressemblaient à des corps glorieux et brillants de gloire. Ils joignaient à cette beauté une gravité noble, un air majestueux et un aimable Sérieux. Leurs vêtements étaient pompeux et magnifiques, enrichis d'une agréable splendeur, semblables à un or émaillé et embelli des plus fines couleurs, causant à la vue une admirable et très-belle variété; l'on découvrait pourtant que toute cette parure on forme visible n'était point proportionnée à l'attouchement, et que les mains n'y pouvaient rien discerner, quoique la vue en aperçût les merveilles comme elle aperçoit les rayons majestueux du soleil qui, entrant par nos fenêtres, nous découvrent les atomes ; la splendeur de ces anges était incomparablement plus agréable et plus belle. 363. Outre ce brillant Ornement, ils avaient sur leurs têtes des couronnes de fleurs les plus exquises et les plus rares; qui exhalaient des odeurs très douce, n'ayant rien de terrestre; mais elles étaient toutes spirituelles et célestes. Ils portaient en leurs mains, des palmes tissues de variété et de beauté, qui signifiaient les vertus que la très-sainte Marie devait pratiquer, et les couronnes qu'elle devait acquérir en un très haut degré de sainteté et de gloire ; ils semblaient les lui offrir par avance d'une manière cachée, quoique avec des effets d'un enjouement sensible. Ils portaient aussi en leurs poitrines de certaines devises, qui avaient quelque rapport, à ces glorieuses marques des ordres militaires, et qui signifiaient par des chiffres éclatants et mystérieux ces Mots : Marie, Mère de Dieu, dont ces aimables princes célestes se tenaient fort glorifiés et se servaient comme d'un de leurs plus beaux ornements ; mais ce merveilleux secret ne fut manifesté à notre auguste Reine que dans l'instant qu'elle conçut le Verbe incarné. 364. La devise que ces chiffres marquaient causait une singulière admiration à la vue par la splendeur extraordinaire qui en sortait, et qui se distinguait sur tout ce qui servait d'ornement et d'éclat aux anges ses aspects et ses brillants, variaient aussi (21) d'une manière très-agréable, cette variété nous signifiant la diversité des mystères et des excellences que cette sainte Cité de Dieu renfermait. Elle contenait le titre le plus auguste et la dignité 1a plus haute qu'une pure créature prit recevoir : Marie, Mère de Dieu, parce qu'avec ce titre ils honoraient plus leur Reine et la nôtre, et ils en étaient aussi eux-mêmes fort honorés, le portant comme sa livrée et comme le prix que la dévotion et la vénération distinguée qu'ils . eurent pour celle qui fut digne d'être honorée de toutes les créatures, leur avaient acquis. Heureuses mille fois celles qui mériteront le singulier retour de l'amour de Marie et de son très-saint Fils! 365. Les effets que ces princes célestes, aussi bien que leurs ornements, causaient à notre auguste Marie, ne peuvent être exprimés que par elle seule. lis lui manifestaient par des emblèmes mystérieux la grandeur de Dieu, ses attributs et les faveurs qu'elle en avait reçues et qu'elle en recevait, l'ayant créée, élue, enrichie et rendue bienheureuse par tant de dons du Ciel et des trésors de la divine droite, ce qui la mouvait et l'enflammait dans de très-grands embrasements de l'amour divin et de ses louanges. Toutes sortes de vertus et de perfections croissaient en elle avec l'âge et avec ces heureux événements; mais dans l'incarnation du Verbe elles eurent une bien plus grande étendue, parce que ses anges lui expliquèrent les glorieux et mystérieux chiffres qu'ils portaient, et dont l'intelligence avait été cachée jusqu'alors à notre aimable Reine. Dans la connaissance qu'elle eut (28) de sa dignité et des grandes obligations qu'elle avait à Dieu par la déclaration de ces chiffres amoureux; l'on ne put assez dignement exagérer combien d'amour, d'humilité et de tendres affections ces considérations . causaient et excitaient dans le cœur candide de la très-pure Marie, qui se connaissait incapable et indigne d'un mystère si ineffable, et de cette si haute dignité de Mère de Dieu. 366. Les soixante-dix séraphins d'entre les plus proches du trône de la Divinité qui assistaient notre jeune Reine, furent de ceux qui se distinguèrent le plus en la dévotion et en l'admiration de l'union hypostatique des deux natures, la divine et l'humaine, en la personne du Verbe; parce qu'étant plus proches de Dieu par la connaissance et par l'amour, ils désirèrent plus particulièrement et avec plus de zèle que ce mystère s'opérât dans le sein d'une femme; la récompense de leur gloire essentielle et accidentelle répondit à cette singulière et distinguée affection. Et c'est à cette gloire accidentelle, dont je fais ici mention, qu'appartient d'assister la très- sainte Marie, et aux mystères qui s'opérèrent en elle. 367. Lorsque ces soixante-dix séraphins se rendaient visibles, la divine Reine les voyait en la même forme qu'Isaïe (1) en vit dans une vision imaginaire, ayant six ailes, deux qui voilaient leur face; nous signifiant par cette humble figure l'obscurité de leur entendement, pour pénétrer les mystères au service (1) Isa., VI, 2. 24 desquels ils étaient destinés, et, qu'étant prosternés devant la majesté et la grandeur de leur Auteur, ils croyaient ces mystères et les découvraient à travers le voile de l'obscure connaissance qu'ils en recevaient, et par cette même connaissance ils exaltaient les saints et incompréhensibles jugements du Très-Haut par des louanges éternelles. Deux autres, qui voilaient leurs pieds, parties du corps les plus basses, et qui touchent la terre ; et en cela ils signifiaient la Reine et Maîtresse du ciel, qui était d'une nature humaine et terrestre; ils la voilaient pour marquer la vénération qu'ils lui portaient, comme à la plus relevée de toutes les créatures, et à cause de son ineffable dignité et de sa grandeur immédiate à celle de Dieu et au-dessus de tout entendement créé; ils couvraient aussi leurs pieds pour signifier que, quoiqu'ils fussent des séraphins et si élevés en la gloire, leurs pas néanmoins ne pouvaient être comparés à ceux de Marie, non plus qu'à ceux de sa dignité et de ses excellences. 368. Ils volaient avec les deux ailes qu'ils avaient à leur poitrine, ou ils étendaient ces deux mêmes ailes, pour donner à entendre par là deux choses. L'une, le mouvement continuel, ou le vol de leur amour pour Dieu, des louanges et du profond respect qu'ils lui rendaient; l'autre; qu'ils découvraient, l'intérieur de leur cœur à la très-sainte Marie, dans lequel elle découvrait comme dans un miroir très pur les rayons de la Divinité; car il n'était pas convenable, ni quasi possible, qu'elle lui fût si souvent manifestée en elle-même pendant qu'elle était voyageuse. 25 C'est pourquoi la très-heureuse, Trinité ordonna que sa Fille et son Epouse eût les séraphins qui sont les créatures les plus proches de la Divinité afin que cette grande Reine y vit représenté, comme dans une vive image ce qu'elle ne pouvait pas toujours voir en son original. 369 . La divine Épouse jouissait par ce moyen comme du portrait de son bien-aimé, dans l'absence où elle en était en qualité de voyageuse, et, par la vue et les conférences qu'elle avait, avec ces ardents et suprêmes prince, elle était toute pénétrée des flammes de son saint amour. La manière de communiquer avec eux, outre la sensible, était la même qu'ils gardaient entre eux, les supérieurs illuminant les inférieur selon leur ordre, comme j'ai dit ailleurs ; car bien que la Reine du ciel leur fût supérieure et plus grande qu'eux tous en dignité et en grâce, néanmoins en la nature, selon David (1), l'homme a été fait moindre que les anges, et l'ordre commun d'illuminer et de recevoir ces influences divines suit la nature, et non point la grâce. 370. Les autres douze anges, qui sont ceux, des douze portes dont saint Jean a fait mention dans le chapitre 21 de l'Apocalypse, comme j'ai dit ci-dessus, se distinguèrent en amour et en louanges en voyant que le Fils de Dieu s'incarnait pour être le Maître des hommes; pour converser avec eux, pour les racheter, et pour leur ouvrir les portes du ciel par ses (1) Ps VIII, 6 26 mérites, sa très-sainte Mère étant coadjutrice de cet admirable mystère. Ces saints anges s'arrêtèrent particulièrement à des oeuvres si merveilleuses, et aux voies que Dieu devait enseigner, afin que les hommes arrivassent à la vie éternelle, lesquelles étaient signifiées par les douze portes qui répondent aux douze tribus. Pour récompense de cette singulière dévotion, Dieu destina ces saints anges pour être témoins et comme secrétaires des mystères de la Rédemption, et afin qu'ils coopérassent avec la Reine du ciel au privilége d'être Mère de miséricorde et médiatrice de ceux qui auraient recours à elle pour arriver à leur salut. C'est pourquoi j'ai dit ci-dessus que notre auguste Reine se sert particulièrement de ces douze anges, afin qu'ils protègent, illuminent et défendent ses dévots serviteurs dans leurs besoins, singulièrement pour les retirer du péché lorsqu'ils invoquent la très-sainte Vierge et qu'ils implorent leur protection. 371. Ces douze anges lui apparaissaient corporellement, comme les premiers dont j'ai déjà parlé, si ce n'est qu'ils portaient plusieurs couronnes et plusieurs palmes, qu'on découvrait en quelque manière qu'ils réservaient pour les dévots de cette divine Dame. Ils la servaient, et leur emploi particulier était de lui faire connaître la charité ineffable du Seigneur envers le genre humain, l'excitant à l'en louer et à le prier de l'exercer en faveur des hommes. Elle les envoyait, pour cette charitable négociation, porter ces demandes devant le trône du Père éternel; les (27)envoyant aussi pour inspirer et secourir ceux qui l'invoquaient avec dévotion, ou ceux qu'elle voulais protéger et assister dans leurs besoins, comme il arriva ensuite plusieurs fois aux apôtres, qu'elle favorisait par le ministère des anges dans les persécutions et dans les afflictions de la primitive Église; et jusqu'à présent ces douze anges exercent le même emploi, quoiqu'ils soient dans le ciel, assistant les dévots serviteurs de leur Reine aussi bien que la nôtre. 372 Les dix-huit anges, qui restent pour accomplir le nombre de mille, furent de ceux qui se distinguèrent en leur affection envers les travaux du Verbe incarné; c'est pourquoi ils acquirent une très-grande gloire. Ces anges apparaissaient à la très-sainte Marie avec une admirable beauté; ils étaient ornés de plusieurs devises de la Passion et d'autres mystères de la Rédemption; ils avaient particulièrement à leur poitrine une croix, et entre leurs bras une autre, l'une et l'autre d'une beauté singulière, d'un éclat et d'une splendeur extraordinaire. Un si rare ornement causait une grande admiration, des affections de compassion, et un tendre souvenir en notre divine Reine sur ce que le Rédempteur du monde devait souffrir, et l'excitait à rendre de ferventes actions de grâces et à reconnaître les bienfaits que les hommes devaient recevoir par les mystères de la Rédemption et par le rachat de leur captivité. La Princesse du ciel se servait plusieurs fois de ces anges pour les envoyer faire diverses demandes et (28) ambassades à son très-saint Fils pour le bien des âmes. 373. J'ai déclaré, sous ces différentes formes et devises quelque chose des perfections et des opérations de ces esprits célestes, mais la déclaration en a été fort médiocre en comparaison de ce qu'ils contiennent véritablement : parce qu'ils sont des rayons invisibles de la Divinité, très-agiles en leurs mouvements et en leurs opérations, très-puissants en leur vertu, très-parfaits en leur connaissance , et en leur volonté ; ce qu'ils apprennent une fois en leur connaissance, et sans y pouvoir rencontrer aucune erreur, immuables en leur nature et en leur volonté ; ce qu'ils apprennent une fois, ils ne l'oublient jamais et ne le perdent point de vue. Ils sont déjà remplis de grâce et de gloire sans danger de les perdre : et, parce qu'ils sont incorporels et invisibles lorsque le Très-Haut veut favoriser quelqu'un d'entre nous de leur présence sensible, ils prennent un corps aérien, apparent et proportionné aux sens et à la fin pour laquelle ils le prennent. Tous ces mille anges de la Reine Marie avaient été choisis parmi les plus éminents de leur ordre : et cette supériorité consiste principalement en la grâce et en la gloire. Ils assistèrent à la garde de cette grande Reine , sans y jamais manquer, durant le cours de sa très-sainte vie ; et ils jouissent maintenant dans le ciel d'une joie accidentelle et fort singulière par sa présence et par sa compagnie. Et, bien qu'elle se serve en particulier de quelques- uns d'entre eux pour les envoyer, tous les mille néanmoins servent aussi dans de certaines occasions pour ce ministère, selon la disposition de la divine Providence. Instruction que la Reine du ciel me donna. 374. Ma file, je veux vous partager l'instruction de ce chapitre en trois articles. Le premier, que vous reconnaissiez par des louanges éternelles et par de continuelles actions de grâces la faveur que Dieu vous a faite en vous donnant des anges pour vous assister, vous enseigner, et vous conduire dans vos tribulations et dans vos peines. Les hommes oublient ordinairement ce bienfait par la plus noire de toutes les ingratitudes et par une très-lourde grossièreté, sans faire réflexion que le Très-Haut, par un effet de sa divine miséricorde et de son infinie bouté, a ordonné à ces princes célestes d'assister, de garder et de défendre les autres créatures terrestres, remplies de misères et de péchés, bien qu'ils soient d'une nature si spirituelle et si fort au-dessus de la leur, et ornés de tant de gloire, de dignité et de beauté : et par cet oubli ces malheureux ingrats se privent de plusieurs faveurs qu'ils en recevraient, et provoquent l'indignation du Seigneur; mais pour vous, ma très-chère fille, reconnaissez ce bienfait, et donnez-lui un juste et fervent retour. 375. Le second article est que voua portiez, en toutes sortes de temps et de lieux , un amour plein de respect et de reconnaissance à ces esprits célestes, comme si vous les voyiez de vos yeux corporels, afin (30) que vous viviez, par ce moyen, dans cette modestie et circonspection qu'exige la présence de ses nobles et saints courtisans; que vous ne vous hasardiez point de faire en leur présence ce que vous ne voudriez pas faire en publie, et que vous tâchiez de les imiter autant qu'il vous sera possible dans le service du Seigneur, et de pratiquer fidèlement tout ce qu'ils demandent de vous. Or, sachez qu'étant bienheureux comme ils le sont, ils voient toujours la face de Dieu (1), et, lorsqu'ils vous regardent aussi, il n'est pas juste qu'ils y aperçoivent rien d'indécent. Remerciez-les de ce qu'ils vous gardent, vous défendent et vous protégent. 376. Enfin l'article troisième est que vous soyez fort attentive à leurs inspirations et à leurs avis, par lesquels ils vous meuvent et vous éclairent, pour conduire votre entendement et votre volonté dans la pratique de toutes les vertus par le souvenir du Très-Haut. Considérez combien de fois vous les avez appelés, et qu'ils vous ont répondu; combien de fois vous les avez cherchés, et que vous les avez trouvés; combien de fois vous leur avez demandé des nouvelles et des marques de votre bien-aimé, et qu'ils vous les ont données; combien de fois ils vous ont sollicitée d'aimer votre Époux, et reprise avec beaucoup de douceur de vos nonchalances et de vos lâchetés; et lorsque, par vos tentations et par vos faiblesses, vous avez perdu le pôle de la véritable lumière, ils vous ont (1) Matth., XVIII, 10 charitablement attendue, soufferte et désabusée, en vous remettant dans le droit chemin des justifications du Seigneur et de ses témoignages. N'oubliez pas, ma chère fille, les grandes obligations que vous avez à Dieu de vous avoir si souvent favorisée par ses anges, et au-dessus même de plusieurs nations et générations ; tâchez donc d'être reconnaissante à votre Seigneur et aux anges ses ministres. CHAPITRE XXIV - Des saintes occupations et des exercices de la Reine du ciel pendant les dix-huit premiers mois de son enfance. 377. Le silence nécessaire des autres enfants dans leurs premières années, et -leur état engourdi et bégayant, ne sachant ni ne pouvant parler, tout cela fut une vertu héroïque en notre Reine naissante; car, comme les paroles sont des productions de l'entendement et des indices. de la raison, que l'auguste Marie eut très-parfaite dès l'instant de sa conception, si elle ne parla pas dès sa naissance, ce n'est pas qu'elle ne pût le faire, mais c'est quelle ne le voulut pas. Et quoique les forces naturelles manquent à tous les enfants pour ouvrir la bouche, pour remuer leur tendre 32 langue et pour prononcer les paroles, ce défaut ne se trouva point néanmoins dans l'enfance de Marie, parce que sa constitution était plus robuste, et que, si elle eût voulu se servir de l'empire et du domaine qu'elle avait sur toutes les créatures, toutes ses puissances et ses propres organes auraient obéi à sa volonté. C'est pourquoi le silence fut une très grande vertu et une très particulière perfection en elle, cachant par son moyen et avec beaucoup de prudence la science aussi bien que la grâce, et évitant l'admiration qu'on aurait eue d'ouïr parler un enfant qui ne faisait que de naître. Que si c'est un sujet d'admiration d'entendre parler quelqu'un qui est dans une impossibilité naturelle de le faire, je doute fort s'il ne fut pas plus admirable de voir dans le silence pendant dix-huit mois Celle qui pouvait parier; en naissant. 378. Ce fut par une disposition du Très-Haut que notre jeune Maîtresse garda le silence durant le temps que les autres enfants ne peuvent pas ordinairement parler. Elle se dispensa seulement de cette loi envers les saints anges de sa garde, ou lorsque dans sa solitude elle priait vocalement le Seigneur; car, quand il fallait qu'elle parlât à Dieu, auteur de ce bienfait, et avec les auges ses envoyés, lorsqu'ils conversaient visiblement avec elle, la raison qui l'obligeait de se taire avec les hommes n'avait aucun lieu dans cette occasion; au contraire, il était à propos qu'elle priât et conversât alors d'une voix articulée, puisque, n'ayant aucun empêchement en cette puissance, les organes qui la contenaient ne devaient pas être si longtemps 33 oisifs. Sa sainte mère Anne fut même comprise parmi ceux qui n'eurent pas le bonheur de l'ouïr parler en cet âge, et elle n'eut aucune connaissance aussi que sa sainte fille eût le pouvoir de le faire; et par là l'on comprend mieux que ce fut une vertu qu'elle pratiqua en se taisant durant ces premiers dix-huit mois de son enfance. Pendant ce temps-là, et lorsque sa sainte mère le jugea à propos, elle délia les mains à sa fille Marie, qui ne les eut pas plutôt en liberté qu'elle prit celles de son père et de sa mère, et les leur baisa avec une grande soumission et un très- profond respect: elle continua cette sainte pratique durant toute leur vie, leur demandant par quelques démonstrations, dans cet âge si tendre, leur bénédiction, et, pour en obtenir ce qu'elle souhaitait, elle adressait sa demande tacite au coeur de ses saints parents, ne voulant pas se faire entendre autrement. L'amour, le respect et l'obéissance qu'elle leur portait furent si grands, qu'elle n'y manqua jamais d'un seul point; elle ne leur donna non plus aucun chagrin ni aucune peine, parce quelle connaissait leurs pensées et prévenait leur volonté. 379. Elle était conduite en toutes ses actions et dans tous ses mouvements par le Saint-Esprit, de façon que tout ce qu'elle opérait était très-parfait: et en le pratiquant elle ne satisfaisait point néanmoins son très.ardent amour, car elle renouvelait continuellement ses ferventes affections pour tâcher d'acquérir de plus grandes grâces et de plus riches dons. Les révélations divines et les visions intellectuelles étaient fort fréquentes en notre jeune Reine, le Très-Haut l'assistant 34 toujours de sa protection. Et lorsque sa Providence suspendait pour elle quelquefois certaines visions ou intelligences, elle s'occupait alors à d'autres, parce que la claire vision de la Divinité (dont j'ai fait mention ci-dessus, en racontant comment les anges l'enlevèrent dans le ciel aussitôt qu'elle fut née) lui laissa de merveilleuses espèces de ce qu'elle avait connu; et dès lors, comme elle sortit de cet heureux cellier ornée et enrichie de charité (1), son coeur en fut si amoureusement pénétré, qu'en s'appliquant à celte contemplation elle en était toute embrasée; et comme son corps était tendre et faible, et son amour aussi fort que la mort (2), cet amour lui causait des douleurs inconcevables dont elle serait morte, si le Très-Haut ne l'eut fortifiée et ne lui eût conservé la vie par un miracle de sa toute-puissance. Néanmoins le Seigneur permettait plusieurs fois que ce très-pur et tendre corps tombât dans de grandes défaillances par la violence de l'amour, et que les anges la soutinssent et la soulageassent, afin d'accomplir ce qui est dit de l'Épouse Fulcite me floribus, quia aurore langueo (3) : Appuyez-moi par des fleurs, car je languis d'amour. Ce fut un très-noble genre de martyre qui se réitéra une infinité de fois en notre divine Princesse, par lequel elle surpassa tous les martyrs en mérite aussi bien qu'en douleur: 380. La peine de l'amour est si douce et si désirable, que plus le sujet qui la cause en est digne, plus (1) Cant. II, 4. - (2) Id., VIII, 6. - (3) Id., II, 5. 35 la personne qui la ressent souhaite qu'on lui en:parle, prétendant guérir sa plaie en la renouvelant. Cette très-agréable tromperie entretient une âme entre une vie pénible et une douce mort. C'est ce qui arrivait à notre aimable enfant lorsqu'elle parlait avec ses anges de son bien-aimé; car elle les interrogeait plusieurs fois et leur disait ; " Ministres et envoyés de mon Seigneur, très-beaux ouvrages de ses mains, étincelles de ce feu divin qui embrase mon coeur, puisque vous jouissez sans voile et sans énigme de sa beauté éternelle, donnez-moi quelques nouvelles de mon a bien-aimé; dites-moi quelles sont les inclinations de Celui pour qui je soupire. Avertissez-moi si par malheur je ne lui aurais point déplu; apprenez-moi ce qu'il désire et ce qu'il demande de moi, et ne tardez pas de soulager ma peine, car je languis d'amour. " 381. Sur quoi ces esprits suprêmes lui répondaient : " Très-chaste Épouse du Très- Haut, votre bien-aimé est le seul qui est seul par lui-même; il n'a besoin de personne, et tous ont besoin de lui. Il est infini en ses perfections, immense en ses grandeurs, sans limite en pouvoir, sans borne en sagesse, sans mesure en bonté; c'est lui qui a donné le principe à tout ce qui est créé, sans en avoir aucun; c'est lui qui gouverne le monde sans se fatiguer, qui le conserve quoiqu'il n'en ait nul besoin; qui orne toutes les créatures de beauté, sans qu'aucune puisse comprendre la sienne, et qui rend par elle bienheureux tous ceux qui arrivent à la contempler face à face. 36 Toutes les perfections de votre Époux sont infinies, divine Princesse; elles surpassent notre entendement, et ses très-hauts jugements sont impénétrables à la créature. " 382. La très-sainte Marie passait son enfance en ces entretiens et en plusieurs autres que toutes nôs connaissances ensemble ne peuvent pénétrer, tant avec ses anges qu'avec le Très-Haut, en qui elle était toute transformée. Comme il s'ensuivait de lit que la ferveur et les véhéments désirs qu'elle avait de voir le souverain bien, qu'elle aimait au-dessus de toutes nos expressions, s'augmentaient, elle était plusieurs fois enlevée corporellement par la volonté du Seigneur et par le ministère des anges dans le ciel empyrée, où elle jouissait de la présence de la Divinité; la voyant quelquefois clairement, et d'autres fois seulement par des espèces infuses, mais très-relevées et très-claires dans cette sorte de vision. Elle y connaissait aussi clairement et intuitivement les anges, leurs degrés de gloire, leurs ordres, leurs hiérarchies, et découvrait d'autres grands mystères et secrets dans cette insigne faveur. Cette grâce lui étant très-souvent accordée, elle acquit par ces fréquentes visions de la gloire et de la divinité, et par les actes des vertus éminentes qu'elle pratiquait, une si grande et si ardente habitude d'amour de Dieu, qu'elle paraissait plutôt divine qu'humaine : il n'y avait aussi qu'elle seule qui pût être capable de cette admirable faveur et de tant d'autres qui l'accompagnaient; la nature mortelle de notre aimable Reine ne les aurait pas même pu recevoir sans 37 mourir, si elle n'eut été fortifiée et conservée par un miracle de la toute-puissance. 383. Quand elle était obligée de recevoir dans cette enfance quelque secours et quelque bienfait de ses parents ou de quelque autre créature, elle les recevait toujours avec une humilité et une reconnaissance intérieure , et priait le Seigneur de récompenser le bien qu'on lui faisait pour son amour. Bien qu'elle fût en un si haut degré de sainteté, et remplie de la divine lumière du Seigneur et de ses mystères, elle se croyait néanmoins la moindre des créatures; et, par cet humble sentiment qu'elle avait d'elle-même, elle se mettait au dernier rang de toutes; se réputant encore indigne des aliments qu'elle prenait pour conserver sa vie naturelle, toute Reine et Maîtresse de l'univers qu'elle était. Instruction de la Reine du ciel. 384. Ma fille, celui qui reçoit le plus, doit s'estimer le plus pauvre, parce que ses dettes sont plus grandes; et si tous ont sujet de s'humilier, parce qu'ils ne sont rien d'eux-mêmes, qu'ils ne peuvent rien et qu'ils ne possèdent rien; pour cette même raison , celui qui n'est que poussière, et que la puissante main du Très-Haut n'a pas laissé d'élever, se doit 38 abaisser davantage vers son centre, puisque n'étant par lui-même et en lui-même que néant, il se trouve plus obligé et plus endetté de ce qu'il reçoit, ne le pouvant point satisfaire de son propre fonds. Que la. créature connaisse donc ce qu'elle est, puisqu'il n'en est aucune qui puisse dire : Je me suis faite moi-même, je me conserve par mon pouvoir, je puis prolonger ma vie et m'empocher de mourir. Puisque tous les êtres et leur conservation dépendent de la main du Seigneur, qu'on s'anéantisse donc en sa présence ; et vous , ma très-chère fille, profitez de ces avis. 385. Je veux aussi que vous estimiez comme un très-grand trésor la vertu du silence, que je commençai de garder fort religieusement dès ma naissance, parce que je connus dans le Seigneur toutes les vertus par la lumière que je reçus de sa main toute-puissante, et je m'attachai à celle-ci avec beaucoup d'affection , me proposant de l'avoir, pour ma fidèle compagne et pour ma bonne amie durant toute ma vie; c'est pourquoi je l'ai pratiquée avec une exactitude inviolable, quoique j'eusse pu parler dès le premier moment que je vins au monde. Les paroles démesurées et indiscrètes sont des couteaux à deux tranchants, qui blessent celui qui parle aussi bien que celui qui écoute, et l'un et l'autre détruisent la charité ou pour le moins l'empochent, et servent aussi d'obstacle à toutes les vertus. Vous comprendrez par là, ma fille, combien Dieu est, offensé par le vice d'une langue effrénée et inconsidérée, et avec combien de justice il éloigne son esprit et sa présence du 39 murmure et des folles conversations, où dans la multitude des paroles il n'est pas possible d'éviter de très-grands péchés. On, peut seulement parler avec sûreté à Dieu et à ses saints, et cet entretien doit être encore avec une grande circonspection. Mais avec les créatures il est fort difficile de conserver ce milieu, où consiste la perfection, sans passer du juste et du nécessaire dans l'injuste et le superflu (1). 386. Le remède qui vous préservera de ce danger, est de pencher toujours vers l'extrémité contraire, excédant plutôt en silence, parce que le milieu prudent de parler se trouve plus proche de se taire beaucoup, que de parler avec excès: Sachez, ma fille,,que vous ne pouvez aller à la recherche des conversations volontaires des créatures, sans tourner le dos à Dieu et sans le chasser de votre intérieur; c'est pourquoi gardez-vous bien de pratiquer envers votre Seigneur, et le Seigneur de tous, ce que vous ne feriez pas sans honte et sans une notable marque d'incivilité avec vos semblables. Eloignez donc vos oreilles de ces entretiens trompeurs, qui vous peuvent porter à dire ce que vous devez taire; car il n'est pas juste que vous parliez plus que ce que vous commande votre Maître et votre Seigneur. Soyez attentive à sa sainte loi, qu'il a écrite et gravée dans votre coeur avec une main si libérale; écoutez ici la voix de votre Pasteur, et répondez à lui seul. Je veux vous avertir aussi que, si vous devez être ma disciple et mon associée, vous (1) Prov., I, 19. 40 devez vous distinguer singulièrement en cette vertu du silence. Parlez peu, et taisez beaucoup de choses; gravez maintenant cet avis dans votre coeur, et affectionnez-vous toujours plus à cette vertu; car je veux en premier lieu établir en vous ce fondement et cette affection , et ensuite je vous enseignerai la manière de parler. 387. Je ne vous défends point de parler, lorsqu'il faudra que vous repreniez et consoliez vos filles et vos inférieures. Parlez aussi avec ceux qui vous peuvent donner des nouvelles et vous entretenir de votre Bien-Aimé, et qui vous renouvellent et vous enflamment en son divin amour; car par ces entretiens vous acquerrez le silence tant désiré et si avantageux à votre âme, puisqu'ils vous causeront de l'horreur et du dégoût pour les conversations humaines, en vous laissant dans une sainte intention de ne parler que du seul bien éternel que vous désirez; et par la force de l'amour qui vous transformera en votre Bien-Aimé, cette agitation funeste des passions se dissipera , et alors vous éprouverez quelque chose de ce doux martyre que j'endurais, lorsque je me plaignais du corps et de la vie, parce qu'ils me semblaient de cruelles prisons qui empochaient mon vol, sans pouvoir pourtant arrêter mon amour. O ma chère fille, oubliez et ensevelissez tout ce qui est terrestre dans le secret de votre silence, et suivez-moi de toutes vos forces et de toutes vos ardeurs, afin que vous arriviez dans l'état où votre Époux vous désire, et dans lequel vous puissiez avoir cette consolation d'entendre ce qui charmait 41 les douleurs de mon amour : " Disposez, ma très-chère colombe, votre cœur à recevoir cette douce peine, car le mien est blessé de votre a amour. n C'est ce que le Seigneur me disait, et ce que vous avez oui plusieurs fois, parce que sa Majesté parle dans la solitude et dans le secret. CHAPITRE XXV. Comme la très-sainte Marie commença de parler après ces dix- huit mois, et de ses occupations jusqu'à ce qu'elle fût au temple. 388. Le temps convenable arriva auquel le pieux silence de la très-pure Marie se devait entièrement rompre, et auquel nous devions ouïr en notre terre la voix de cette divine tourterelle (1), qui devait être la très-fidèle avant-courrière du printemps de la grâce. Mais avant que de recevoir la permission du Seigneur de commencer à parler avec les hommes (qui fut au dix-huitième mois de sa plus tendre enfance), elle eut une vision intellectuelle de la Divinité, qui ne fut point intuitive, mais par des espèces, en laquelle vision, celles qu'elle avait reçues autrefois lui furent (1) Cant., II, 12. 42 renouvelées, y recevant aussi un accroissement de dons, de grâces et de faveurs. Il se passa encore dans cette divine vision entre la sainte enfant et le souverain Seigneur, un très-doux entretien que j'entreprends avec crainte de raconter par des expressions faibles et grossières. 389. Notre aimable Reine dit à sa divine Majesté Très-haut Seigneur et Dieu incompréhensible, coin ment favorisez-vous tant la plus inutile et la plus chétive de vos créatures? Comment votre grandeur s'abaisse-t-elle avec tant de bonté vers sa servante incapable de retour? Le Très-Haut daigne regarder son esclave? Le Puissant enrichit la misérable? Le Saint des saints se familiarise avec la poussière? " Moi, Seigneur, qui suis la plus petite d'entre toutes vos créatures, et celle qui mérite le moins vos faveurs, comment paraîtrai-je en votre divine présence? Que peut-il y avoir en moi qui puisse me donner le moyen de m'acquitter de ce que je vous dois? Que puis-je avoir, Seigneur, qui ne vous appartienne, puisque c'est de vous que je tiens l'être, la vie et le mouvement? Mais je me réjouirai, mon Bien- Aimé, que tout le bien soit vôtre , et que la créature n'en ait point d'autre que vous-même, et que ce soit votre propre inclination, aussi bien que votre gloire, d'élever ce qui est le plus bas, de, favoriser ce qui est le plus inutile, et de donner l'être au néant; afin que votre magnificence en soit plus connue et plus exaltée. " 390. Le Seigneur lui répondit et lui dit : " Mes 43 yeux ont découvert vos grâces, ma très-chère colombe, et vous les avez trouvées en ma présence; vous êtes mon amie et mon élue en mes délices. Je veux vous faire connaître ce qui me sera en vous le plus agréable et de mon bon plaisir. " Ces discours du Seigneur renouvelaient par la force de l'amour les plaies et les défaillances du tendre mais toujours fort et robuste coeur de notre jeune Reine; et le Très-Haut poursuivant dans ses complaisances, lui dit ; " Je suis le Dieu des miséricordes, et j'aime d'un amour immense les mortels, et parmi le grand nombre des ingrats qui m'ont outragé par leurs péchés, je rencontre pourtant des justes et des amis qui m'ont servi et me servent avec fidélité et avec amour. C'est pourquoi j'ai résolu de les secourir, en leur envoyant mon Fils unique, afin qu'ils ne soient pas si longtemps privés de ma gloire, ni moi de son éternelle louange. " 391. A quoi la très-sainte enfant Marie répondit Très-haut Seigneur et puissant Roi, les créatures sont à vous, et la puissance vous appartient; vous êtes le seul saint et Celui qui régit souverainement tout ce qui est créé: que votre même bonté vous excite d'avancer les pas de votre Fils unique pour la rédemption des enfants d'Adam. Que cet heureux jour, tant désiré de mes anciens pères arrive, et que les mortels ne tardent point de voir votre a salutaire éternel. Eh ! pourquoi, mon aimable a Maître, étant, comme vous êtes, un si pitoyable a, Père de miséricorde, retardez-vous tant celle que 44 vos enfants affligés et captifs attendent avec tant de besoins? Que si ma vie leur peut être de quelque utilité, je vous l'offre, Seigneur, et je suis prête à la donner pour eux. " 392. Le Très-Haut lui ordonna avec une grande bienveillance qu'elle commençât de lui demander plusieurs fois chaque jour l'avancement de l'incarnation du Verbe éternel et le remède de tout le genre humain, et qu'elle pleurât les péchés des hommes qui retardaient leur salut et leur réparation. Il lui déclara ensuite qu'il était déjà temps qu'elle fit agir tous ses sens, et qu'il fallait pour sa plus grande gloire qu'elle parlât avec les créatures humaines. Avant que d'exécuter cet ordre, la sainte enfant dit à sa divine Majesté : 393." Très-haut Seigneur d'une grandeur incompréhensible, comment celle qui n'est que poussière et la moindre de toutes les créatures qui sont nées, osera-t-elle traiter de mystères si cachés et si sublimes, et que votre coeur estime d'un prix infini? Comment vous pourra-t-elle obliger de les opérer? et que peut mériter de vous une créature qui ne vous a rendu encore aucun service? Mais j'espère, mon Bien-Aimé, que vous vous y tiendrez obligé par la même nécessité; c'est pourquoi la malade cherchera la santé, l'altérée désirera les a fontaines de votre miséricorde et obéira à votre divine volonté. Et si vous ordonnez, Seigneur, que je délie mes lèvres pour converser et parler avec d'autres que vous, qui êtes tout mon bien et mon 45 unique désir, ayez, je vous supplie, égard à ma fragilité et au danger auquel je m'expose; car il est bien difficile à la créature raisonnable de ne pas excéder en paroles; je me tairais volontiers toute ma vie pour éviter ce danger, si c'était votre bon plaisir, et pour ne pas me mettre au hasard de vous perdre; car si ce malheur m'arrivait, il me serait impossible de survivre un moment à cette perte. " 394. Ce fut la réponse que la très-sainte enfant Marie fit dans la crainte où elle était touchant le nouveau et dangereux mystère de parler qu'on lui ordonnait; et si elle eût consulté sa propre volonté, elle aurait souhaité (si Dieu l'eût voulu permettre), de garder un silence inviolable durant toute sa vie. C'est une grande confusion, aussi bien qu'un grand exemple pour l'imprudence des mortels, que celle qui ne pouvait pécher en parlant, craignit si fort le péril de la langue, pendant que nous, qui ne pouvons parler qu'en péchant, nous tourmentons et mourons d'envie de le faire ! Mais, très-douce et très-aimable enfant et Reine de toutes les créatures, comment voulez-vous vous abstenir de parler? Vous ne prenez pas garde, ma divine Princesse, que votre silence serait la ruine du monde, la tristesse du ciel, et même, selon notre faible manière de concevoir, il ferait un grand vide pour la très-sainte Trinité? Ignorez-vous que par cette seule réponse que vous devez faire au saint Archange, Fiat mihi, etc. (1), vous donnerez cette (1) Luc., I, 38. 46 agréable plénitude à. tout ce qui a l'être : au Père éternel une fille, au Fils éternel une Mère, et au Saint-Esprit une Épouse; la réparation aux anges, le remède aux hommes, la gloire aux cieux , la paix à la terre , une avocate su monde, la santé aux malades et la vie aux morts, et que vous accomplirez aussi la volonté et le bon plaisir de tout ce que Dieu peut vouloir hors de lui-même. Or, si le plus grand ouvrage du pouvoir infini dépend de votre seule parole, coin, ment prétendez-vous, mon auguste Maîtresse, vous taire, vous qui devez si bien parler? Parlez, parlez donc, aimable enfant, et que votre voix s'entende par toute l'étendue de l'univers. 395. Le Très-Haut agréa fort la très-prudente précaution de son Épouse, et son coeur fut nouvellement blessé par l'amoureuse crainte de notre incomparable enfant. La très-sainte Trinité étant comme satisfaite de sa bien-aimée, et comme conférant en elle-même sur sa demande, les trois personnes divines se servirent de ces paroles des Cantiques : Notre soeur est petite et n'a point de mamelles, que ferons-nous à notre soeur au jour qu'elle parlera? Puisqu'elle est un mur invincible, construisons-lui des tours d'un argent le plus pur. " Vous êtes petite à vos yeux, notre chère soeur, mais vous êtes grande et le serez toujours aux nôtres. Dans ce mépris de vous-même vous avez blasé notre cœur par un de vos cheveux. Vous vous estimez petite, et c'est ce qui redouble notre (1) Cant., VIII, 8 et 9 47 amour pour vous. Vous n'avez point de mamelles pour nourrir par vos paroles (1); mais aussi vous n'êtes pas une femme par la loi du péché, auquel je n'ai pas voulu vous comprendre, ni ne prétends que vous soyez comprise. Vous vous êtes humiliée bien que vous fussiez grande au-dessus de toutes les créatures, vous craignez étant assurée, et vous prévoyez le danger qui ne pourra pas vous nuire. Que ferons-nous envers notre soeur le jour qu'elle ouvrira par notre volonté ses lèvres pour nous bénir, pendant que les mortels ouvrent les leurs pour blasphémer notre saint nom? Que ferons-nous pour célébrer un jour aussi solennel que l'est celui auquel elle doit parler? Comment récompenserons nous cette si humble précaution de Celle qui fut toujours agréable à nos yeux? Son silence fut doux, et sa voix sera très-douce à nos oreilles. Puisqu'elle est une forte muraille pour avoir été bâtie par la vertu de notre grâce, et cimentée par la puissance de notre bras, construisons sur une telle forteresse de nouveaux boulevards d'argent, ajoutons de nouveaux dons aux passés, et qu'ils soient d'argent, afin qu'elle en soit plus enrichie et plus précieuse, a et que ses paroles, quand elle devra parler, soient très- pures, très-polies et très-harmonieuses à nos oreilles (2); versons dans sa bouche notre grâce, et que notre puissante protection l'accompagne par tout. " (1) Cant., IV, 9. - (2) Ps. XLIV, 3. 48 396. Dans le même temps que cette conférence se passait, selon notre manière de parler, entre les trois personnes divines, nôtre jeune Reine fut animée et consolée touchant les peines qu'elle avait sur ce qu'elle devait commencer de parler : car le Seigneur lui promit de régler ses paroles et de lui être toujours présent, afin que tout ce qu'elle dirait lui fût agréable et pour son service. Après quoi elle demanda à sa divine Majesté une permission et une bénédiction nouvelle pour ouvrir ses lèvres pleines de grâce. Comme elle était très-prudente en toutes choses, elle adressa ses premières paroles à saint Joachim et à sainte Anne pour leur demander leur bénédiction, les reconnaissant pour ceux qui lui avaient donné, après Dieu, l'être qu'elle avait. Son père et sa mère eurent le bonheur et la consolation d'ouïr sa douce voix, et de voir en même temps qu'elle commençait de marcher toute seule; et la bienheureuse mère Anne, la prenant avec une grande joie entre ses bras, lui dit ; " Ma chère fille et mon plus tendre amour, que ce soit à la bonne heure et pour la gloire du Très-Haut que nous entendions votre voix et vos paroles, et que vous commenciez aussi de marcher pour son plus grand service. Que vos paroles soient mesurées et d'un grand poids, et que tous vos pas soient droits et consacrés au service et à l'honneur de notre Créateur " 397. La très-sainte enfant fut fort attentive aux discours que sa sainte mère Anne lui tint, et les grava dans son tendre coeur, pour pratiquer avec une profonde 49 humilité et une très-exacte obéissance tout ce, qu'elle lui disait. Elle parla fort peu pendant cette année et demie qui restait pour achever les trois ans, après lesquels elle devait être consacrée su Temple, n'ouvrant presque jamais sa bouche que pour répondre à sa sainte mère, qui l'appelait et lui commandait plusieurs fois de parler, pour avoir le plaisir de s'entretenir avec elle de Dieu et de ses mystères, ce que la divine enfant faisait en écoutant, et interrogeant avec beaucoup de modestie et d'humilité sa vénérable mère. Car celle qui surpassait en sagesse tous les enfants d'Adam voulait bien être enseignée et instruite; et la fille et la mère, dans ces occasions, s'occupaient en de très-doux entretiens du Seigneur. 393. Il n'est pas possible de raconter tout ce que la divine enfant Marie fit pendant ces dix-huit mois qu'elle fut avec sa mère, qui considérait quelquefois cette sainte fille comme celle qui était plus digne de vénération que l'arche du Testament; et, dans cette considération, elle versait de douces larmes d'amour, et de reconnaissance. Elle ne lui découvrit jamais péan-, moins le mystère qu'elle tenait caché dans son cœur, sur ce qu'elle avait été élue pour être la Mère du Messie, quoiqu'elles en fissent le plus fréquent sujet de leurs entretiens, auxquels la sainte fille s'enflammait par de très-ardentes affections, et disait des choses merveilleuses sur ce mystère aussi bien que sur sa propre dignité, qu'elle ignorait par une providence mystérieuse: ce qui augmentait à sainte Anne, sa très- 50 heureuse mère, la joie, l'amour et les soins envers son trésor aussi bien que sa fille. 399. Les tendres forces de notre jeune Reine étaient fort inégales aux exercices et aux pratiques d'humilité que son ardent amour et sa profonde humilité lui inspiraient : car la Maîtresse de toutes les créatures, s'en estimant la moindre, la voulait être dans les fonctions les plus basses et les plus serviles de sa maison; croyant ne point satisfaire au Seigneur ni à son devoir si elle ne rendait quelque service à tous ceux qui s'y trouvaient, quoiqu'elle ne manquât à rien autre qu'à satisfaire sa fervente affection, parce que les forces de son petit corps ne pouvaient point seconder ses désirs, et les plus hauts séraphins, admirant ses vertus, auraient souhaité de baiser la terre où ses sacrés pieds avaient marché : nonobstant tout cela, elle entreprenait souvent de pratiquer les choses les plus humbles, comme de nettoyer et de balayer sa maison; mais, comme on ne voulait pas le lui permettre, elle tâchait de le faire quand elle se trouvait seule, et alors les saints anges l'aidaient, pour quelle reçut en quelque chose le fruit de son humilité. 400. La maison de Joachim n'était pas fort riche , mais aussi elle n'était pas des plus pauvres: c'est pourquoi sainte Anne souhaitait de parer sa très-sainte fille selon le rang honorable de sa famille, et avec le plus bel habit qu'elle aurait pu, d'une manière pourtant fort honnête et fort modeste. La très-sainte enfant reçut, pendant qu'elle ne parlait point, cette marque de l'affection de sa mère sans aucune résistance; mais, 51 quand elle commença de parler, elle la pria très-humblement de ne lui mettre aucun habit de prix ni d'aucune ostentation, mais au contraire qu'il fût grossier, pauvre et déjà porté (s'il se pouvait), et de couleur de cendre ( telle que les religieuses de Sainte-Claire s'en servent aujourd'hui). La sainte mère, qui commençait de regarder et de respecter sa propre fille comme sa Maîtresse, lui répondit ; " Ma fille , je vous accorderai ce que vous me demandez en la forme et en la couleur de votre habit; mais la faiblesse de votre âge ne vous permettra pas de le porter aussi grossier que vous le désirez, et en cela vous devez m'obéir. " 401. La très-sainte et très-obéissante enfant ne résista point à la volonté de sa mère, car elle ne le faisait jamais; et partant elle se laissa habiller comme il plut à sainte Anne, qui la satisfit néanmoins en la couleur et en la forme qu'elle demandait, avec quelque rapport aux habits qu'on met par dévotion aux enfants pour qui on a fait quelque voeu. Quoiqu'elle le souhaitât plus rude et plus pauvre, elle récompensa pourtant l'un et l'autre par son obéissance, qui est une vertu plus excellente que le sacrifice (1) : c'est pourquoi la très-sainte fille fut obéissante à sa mère et pauvre en ses désirs, se croyant indigne de tout ce dont elle se servait, pour conserver sa vie naturelle. Elle excella beaucoup en cette obéissance à ses parents, et elle y fut très-prompte pendant ses trois premières années (1) I Reg., XV, 22. 52 qu'elle demeura avec eux, parce que, par la divine science qui lui faisait pénétrer leurs intentions, elle était toujours disposée à obéir au moindre signe de leur volonté. Quand elle voulait faire quelque chose de son mouvement, elle en demandait la bénédiction et la permission à sa mère, lui baisant ensuite la main avec une grande humilité et révérence. Ce que la prudente mère permettait selon l'extérieur, car intérieurement elle honorait avec un très-grand respect la grâce et la dignité de sa très-sainte fille. 402. Elle se retirait quelquefois, lorsque le temps le lui permettait, pour jouir avec plus de- liberté dans la solitude de la vue et des divins entretiens de ses saints anges, et pour leur découvrir par des marques extérieures l'ardent amour qu'elle portait à son Bien-Aimé. Elle se prosternait aussi dans quelques-unes de ses occupations, pleurant et macérant ce très-innocent, très-délicat et très-parfait corps, pour les péchés des hommes; en cette posture elle suppliait et provoquait la miséricorde du Très-Haut , afin qu'elle opérât les grands bienfaits qu'elle commençait de mériter. Bien que la douleur intérieure des péchés qu'elle cou naissait et la force de l'amour, que cette connaissance lui causait, opérassent en cette aimable enfant des effets d'un martyre inconcevable, elle ne laissa pas, dans cet âge si tendre et si faible, de donner les prémices de ses forces corporelles à la pénitence et à la 'mortification; afin d'être en toutes les manières la mère de miséricorde et la médiatrice de la grâce, sans perdre aucun moment, aucune opération, ni aucune occasion, 53 de la mériter pour soi-même, aussi bien que pour nous. 403. Ayant passé ses deux premières années, elle commença de se signaler en l'affection et en la charité envers les pauvres. Elle demandait pour eux l'aumône à sa sainte mère : et la pitoyable mère satisfaisait et les pauvres et sa très-sainte fille tout ensemble, et l'exhortait à les aimer et à les honorer, elle qui était maîtresse de la charité et de toutes les perfections. Outre ce qu'elle recevait pour distribuer aux pauvres, elle retranchait encore quelque chose de ses repas, dans cet âge, pour leur donner, afin de pouvoir mieux dire que Job : " La miséricorde crût avec moi dès mon enfance (1). " Elle ne donnait point l'aumône au pauvre comme en lui faisant un bienfait par grâce, mais comme en lui payant une juste dette; et en lui donnant, elle disait dans son coeur : L'on doit à ce' mien frère ce qu'il n'a pas, pendant que j'ai ce que je ne mérite pas: et après avoir fait l'aumône, elle baisait la main du pauvre, et si elle se trouvait seule, elle lui baisait les pieds, et ne le pouvant pas faire, elle baisait la terre où il avait marché. Mais elle ne donna jamais l'aumône à aucun pauvre qu'elle n'en fit une bien plus grande à son âme, en priant pour elle, et ainsi il partait de sa très-sainte présence , avec le secours de l'âme et du corps. 404. L'humilité et l'obéissance de la très-sainte fille ne furent pas moins admirables. lorsqu'elle se laissait (1) Job, XXXI, 18. 54 enseigner à lire, ou à faire les autres choses qu'on enseigne ordinairement aux autres enfants de cet âge. Car les parents la traitèrent ainsi, lui enseignant à lire et plusieurs autres choses; à quoi elle se soumettait avec une grande docilité, bien qu'elle fût remplie d'une science infuse de toutes les matières créées : elle écoutait tous les avertissements qu'on lui donnait sans réplique, mais non pas sans l'admiration des anges, qui étaient ravis de voir une si rare prudence en une si jeune fille. Sainte Anne, selon l'amour et les lumières qu'elle avait, prenait un grand soin de notre divine Princesse, et bénissait le Très- Haut des merveilles qu'elle y découvrait: mais comme le temps de la conduire su Temple approchait, la crainte et la douleur s'augmentaient avec l'amour, de voir qu'immédiatement après le terme de trois ans, que le Tout-Puissant avait déterminé, il fallait qu'elle accomplit son voeu. C'est pourquoi cette aimable fille commença de prévenir et de disposer sa mère, lui découvrant six mois auparavant le désir qu'elle avait de se voir déjà dans le Temple: et pour préparer son esprit à cette sensible séparation, elle lui représentait des bienfaits qu'elles avaient reçus de la main du Seigneur, combien il était juste de faire ce qui lui était le plus agréable, et qu'étant consacrée à Dieu dans le Temple, elle lui appartiendrait plus étroitement que dans sa propre maison. 405. Sainte Anne ayant ouï les prudentes raisons de sa très-sainte fille, quoiqu'elle fût soumise à la volonté divine, et qu'elle voulût bien accomplir la 55 promesse qu'elle avait déjà faite de lui offrir ce tendre objet de ses amours, néanmoins la force de l'amour naturel pour un gage si unique et si cher, jointe à la connaissance qu'elle avait du trésor inestimable que ce gage renfermait, combattait dans son très-fidèle coeur avec la douleur de l'absence, qui la menaçait déjà de si près; et il n'y a point de doute qu'elle ne fût morte dans une si dure et si vive peine , si la puissante main. du Très-Haut ne l'eût fortifiée : car la grâce et la dignité qu'elle seule connaissait de sa divine fille, lui avaient ravi le coeur; et elle aimait et désirait bien plus sa présence et sa conversation que sa propre vie. Étant abîmée dans cette douleur, elle répondait quelquefois à notre auguste enfant ; " Ma très- chère fille, je vous ai souhaitée durant plusieurs années, et je ne mérite pas de jouir longtemps de la consolation de votre compagnie, car il faut que la volonté de Dieu se fasse; mais quoique je ne résiste point à la promesse que j'ai faite de vous mener au Temple, il me reste encore assez de temps pour l'accomplir attendez avec patience, ma fille, que le jour arrive auquel vos désirs seront satisfaits. " 400. Peu de jours avant que la très-pure Marie achevât les trois ans, elle eut une vision abstractive de la Divinité, en laquelle il lui fut manifesté que le temps s'approchait auquel sa divine Majesté ordonnait de la mener à son Temple, pour y être consacrée et dédiée à son service. Cette nouvelle remplit son très-pur esprit d'une nouvelle joie et son coeur de reconnaissance ; et adressant son discours au Seigneur, 56 elle lui rendit des actions de grâces, et lui dit : " Grand Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob; mon éternel et souverain bien, puisque je ne puis vous louer dignement, je souhaite que tous les esprits angéliques le fassent au nom de votre très-humble servante, de ce que mon immense Seigneur n'ayant besoin de personne, vous daignez néanmoins regarder par la grandeur de votre libérale miséricorde cette vile enfant de la terre. Hé ! d'on puis-je mériter une telle faveur, que vous me receviez dans votre maison et à votre service, puisque je ne mérite pas seulement que l'endroit le plus abject de la terre me soutienne? Mais si c'est votre propre grandeur qui vous oblige de me l'accorder, je vous supplie, mon Dieu, de porter le coeur de mes parents à exécuter l'ordre de votre sainte volonté. " 407. Dans le même temps sainte Anne eut une autre vision en laquelle le Seigneur lui commanda d'accomplir le voeu qu'elle avait fait de mener sa fille au Temple pour l'offrir à sa divine Majesté dès qu'elle serait arrivée au jour qui terminerait la troisième année de son âge. Ce commandement causa bien plus de douleur à cette tendre mère que ne le fit à Abraham celui qu'il reçut de sacrifier son fils Isaac. Mais le Seigneur la consola et la fortifia, lui promettant sa grâce, et de ne pas l'abandonner dans la solitude que l'absence de sa chère fille lui causerait. La sainte dame témoigna d'être soumise, et prompte à faire ce que le souverain Seigneur lui ordonnait, et dans cette humble disposition elle fit cette prière : " Seigneur, 67 Dieu éternel, maître absolu de tout mon a être, j'ai voué à votre temple et à votre service la fille que vous m'avez donnée par une miséricorde ineffable; elle vous appartient, et par conséquent je vous la rends avec actions de grâces pour le temps que je l'ai gardée et pour l'avoir conçue et nourrie mais souvenez-vous, mon Seigneur et mon Dieu , que j'étais riche par le seul dépôt de votre trésor inestimable; que j'avais une douce compagnie dans a cet exil et dans cette vallée de larmes; une sensible joie dans ma tristesse, un soulagement dans mes peines, un miroir dans lequel je pouvais régler ma vie et un modèle de la plus haute perfection, qui échauffait ma tiédeur et enflammait mon affection : j'espérais, Seigneur, de recevoir votre grâce et votre miséricorde par cette seule créature, et je crains que tout ne me manque si j'en suis privée un seul moment. Guérissez, mon Dieu, la blessure de mon coeur, et ne me traitez point selon mes mérites, mais regardez-moi en pitoyable père de miséricordes; je conduirai, Seigneur, exactement ma fille dans le Temple comme vous me l'ordonnez. " 408. Saint Joachim fut aussi visité dans ces temps-là par une autre vision du Seigneur, qui lui commandait la même chose qu'à sainte Anne, dont ayant conféré ensemble, ils déterminèrent dans la connaissance qu'ils eurent de la divine volonté, de l'exécuter avec beaucoup d'exactitude et de soumission, arrêtant le jour auquel ils devaient mener cette aimable enfant au Temple; et quoique ce fût avec une très- grande 58 douleur du saint vieillard, elle ne fut pas néanmoins si forte que celle de sainte Anne, parce qu'il ignorait alors ce très-haut mystère, que sa tille dût être Mère de Dieu. Instruction de la Reine du ciel. 409. Sachez, ma très-chère fille, que tous. les vivants naissent pour mourir, et qu'ils ignorent le terme de leur vie, mais ce qu'ils savent avec certitude, est que ce terme leur est fort court, et que l'éternité n'a point de fin, et que dans cette éternité l'homme doit seulement recueillir le fruit des bonnes ou des mauvaises oeuvres qu'il aura semées dans le temps, car alors elles lui donneront le fruit de mort ou de vie éternelle; que Dieu ne veut point que personne connaisse avec certitude, dans un si dangereux passage, s'il est digne de son amour ou de sa haine (1) ; parce que, s'il lui reste tant soit peu de jugement, ce doute lui doit servir d'un aiguillon pour l'exciter à faire tous ses efforts pour acquérir son amitié; et que le Seigneur justifie sa cause dès que l'âme commence d'avoir l'usage de la raison, car dès lors il allume dans cette âme un flambeau, et lui donne des impulsions (1) Eccles., II, 1. 59 qui la meuvent, la dirigent à la vertu et la détournent du péché, lui enseignant à distinguer entre le feu et l'eau, à approuver le bien, à condamner le mal, à élire la vertu et à éviter le vice (1). Outre cela, il l'excite et l'appelle par lui-même, se servant de ses saintes inspirations et de mouvements continuels; l'appelant aussi par le moyen des sacrements, de la foi et des commandements; par le ministère des anges, des prédicateurs, des confesseurs, des supérieurs et des docteurs; par les afflictions ou par les bienfaits qu'elle reçoit; par l'exemple de ses semblables, par des tribulations, par des morts funestes, par des événements fâcheux, et par plusieurs autres vicissitudes et moyens que sa providence dispose pour attirer tous les hommes à sa divine Majesté, parce qu'elle veut que tous soient sauvés (2); faisant de toutes ces choses un heureux assemblage de très-grands secours et de faveurs très-singulières , dont la créature se peut et se doit servir pour en faire son profit. 410. La rébellion de la partie sensitive s'élève contre tout ce que je viens de dire; car par ce malheureux germe du péché qui s'y trouve, elle s'incline aux objets sensibles, et meut les appétits concupiscible et irascible, afin qu'après avoir troublé la raison, ils entraînent la volonté aveugle, pour la plonger avec plus de liberté dans les voluptés criminelles. Le démon, par ses illusions et par ses fausses et trompeuses persuasions, obscurcit les puissances de l'âme (1) Eccl., IV, 17. - (2) I Tim., II, 4. 60 et lui cache le mortel venin qui se trouve dans ces plaisirs passagers (1). Mais le Très-Haut n'abandonne pas pour cela incontinent ses créatures: au contraire, il leur renouvelle ses miséricordes et ses assistances, par lesquelles il les rappelle à soi de nouveau. Et si elles répondent aux premières vocations, il leur en communique d'autres plus grandes, selon son équité, les augmentant et les multipliant à proportion de cette correspondance; et en récompense des victoires que l'âme a remportées sur elle-même, ses passions sont affaiblies, aussi bien que la loi du péché, et alors l'esprit est plus disposé à s'élever aux choses du ciel, h réprimer ses mauvaises inclinations, et à résister su démon. 411. Mais si l'homme donne entrée à l'ennemi de Dieu et au sien en s'abandonnant aux voluptés, à l'ingratitude et à l'oubli, alors il s'éloigne de la bonté divine s et plus il s'en éloigne, plus il se rend indigne de ses impulsions et de ses vocations; c'est pourquoi il profite moins de ses secours, quoiqu'ils soient très-grands, et se trouve presque insensible à ses divins attraits, parce que le démon et les passions ont pris un plus grand empire sur la raison, et par cet ascendant tyrannique, ils la rendent moins disposée et presque incapable de recevoir la grâce du Très-Haut. Le point le plus important du salut ou de la perte des âmes se trouve, ma très-chère fille, dans cette instruction car cette grande affaire dépend de rejeter (1) Sap., IV, 12. 61 ou de recevoir avec les dispositions requises les secours du Seigneur dans le commencement. Je veux,. ma fille, que cette instruction vous fasse impression, et que vous vous eu souveniez toute votre vie, afin que vous puissiez répondre aux grandes grâces que vous avez reçues de la main du Très-Haut. Tâchez de résister fortement à vos ennemis et d'être ponctuelle à faire tout ce que le Seigneur demande de vous, et par ce moyen vous lui serez agréable et accomplirez sa volonté , qui vous est connue par sa divine lumière. Je portais un grand amour à mes parents, et les entretiens et les tendresses de ma mère me pénétraient jusqu'au coeur; mais sachant que c'était la volonté du Seigneur que je m'en séparasse, j'oubliai leur maison et toutes mes connaissances pour suivre mon seul Époux (1). La bonne éducation et les saintes instructions que l'on reçoit dans l'enfance sont d'une très-grande utilité pour tout le reste de la vie, et disposent les enfants à pratiquer la vertu avec moins de répugnance, en commençant de les conduire dès le port de la raison par ce nord très-infaillible et très-assuré. (1) Ps. XLIV, 11. 4/30 LIVRE DEUXIÈME. QUI TRAITE DE LA PRÉSENTATION DE LA TRÈS-PURE MARIE DANS LE TEMPLE, DES DIVINES FAVEURS QU'ELLE Y REÇUT, DES VERTUS QU'ELLE Y PRATIQUA, DES AFFLICTIONS QU'ELLE Y SOUFFRIT, DE LA MORT DE SES PARENTS SAINT JOACHIM ET SAINTE ANNE, AUSSI BIEN QUE DES ÉPOUSAILLES QU'ELLE FIT AVEC SAINT JOSEPH PAR LE COMMANDEMENT DU TRÉS-HAUT, ET DE L'ORDRE DE VIE QU'ELLE SE PRESCRIVIT DANS SON TRÈS-CHASTE MARIAGE. CHAPITRE I. De la présentation de la très-sainte Vierge dans le Temple, après avoir achevé la troisième année de son âge. Instruction de la très-sainte Vierge. CHAPITRE II. D'une faveur singulière que le Très-Haut fit à la très-sainte Vierge aussitôt qu'elle fut dans le Temple. Instruction de la très-sainte Vierge. CHAPITRE III. L'instruction que la Reine du ciel me donna touchant les quatre vœux de ma profession. CHAPITRE IV. De la perfection avec laquelle la très-sainte Vierge observait les cérémonies du Temple, et ce qu'on lui ordonna dans ce saint lieu. Instruction de la Reine du ciel. CHAPITRE V. Du degré très-parfait des vertus de la très-sainte Vierge en général, et comme elle les pratiquait. Instruction de la Mère de Dieu. LIVRE DEUXIÈME. QUI TRAITE DE LA PRÉSENTATION DE LA TRÈS-PURE MARIE DANS LE TEMPLE, DES DIVINES FAVEURS QU'ELLE Y REÇUT, DES VERTUS QU'ELLE Y PRATIQUA, DES AFFLICTIONS QU'ELLE Y SOUFFRIT, DE LA MORT DE SES PARENTS SAINT JOACHIM ET SAINTE ANNE, AUSSI BIEN QUE DES ÉPOUSAILLES QU'ELLE FIT AVEC SAINT JOSEPH PAR LE COMMANDEMENT DU TRÉS-HAUT, ET DE L'ORDRE DE VIE QU'ELLE SE PRESCRIVIT DANS SON TRÈS-CHASTE MARIAGE. CHAPITRE I. De la présentation de la très-sainte Vierge dans le Temple, après avoir achevé la troisième année de son âge. 412. Entre les figures qui représentaient la très-auguste Marie dans la loi écrite, il n'y en eut aucune où elle ait été plus clairement exprimée que dans l'arche du Testament, tant par la matière dont elle était construite, que par ce qu'elle renfermait; tant pour l'usage que le peuple de Dieu en faisait, que pour les autres choses que le Seigneur opérait par le 63 moyen de cette arche, et avec elle et par elle dans cette ancienne synagogue, parce que le tout était un crayon très-fidèle de cette divine dame, et de ce que le Seigneur devait opérer par elle dans la nouvelle Église de l'Évangile. La matière du cèdre incorruptible (1), dont cette arche fut bâtie par une providence particulière de la sagesse de Dieu , et non par un effet du hasard, représente fort clairement nôtre Arche mystique Marie, exempte de la corruption du péché actuel, du ver caché de l'originel, de ses aiguillons et des désordres qui en sont inséparables. L'or très-fin et très-pur qui la revêtait au dedans et ait dehors (2), signifie évidemment les degrés les plus parfaits et les plus éminents de la grâce et des dons qui éclataient dans les pensées divines, dans les couvres, dans les manières, dans les habitudes et dans les puissances de notre auguste Reine, sans qu'on pût découvrir dans l'intérieur et à l'extérieur de cette Arche merveilleuse aucun endroit, aucun temps, ni aucun moment, quelle ne fût toute remplie et revêtue d'une grâce d'un très haut prix. 413. Les tables de pierre de la loi, l'urne de la manne et la baguette des prodiges (3) que cette ancienne arche contenait, ne pouvaient pas signifier avec plus de clarté le Verbe incarné et renfermé dans cette Arche animée, la très-sainte vierge, puisque son Fils unique était la pierre vive et fondamentale (1) Exod., XXV, 10. - (2) Ibid., 11. - (3) Hebr., IX, 4. 64 de l'édifice de l'Église évangélique (1) , la pierre angulaire (2) qui unit les deux peuples, les Juifs et les Gentils, si fort opposés, ayant été taillée pour cet effet du mont de la génération éternelle (3), afin que le doigt de Dieu y ayant écrit la nouvelle loi de, grâce, elle fût déposée dans l'Arche virginale l'auguste. Marie, et que l'on aube que cette grande Reine était la dépositaire de tout ce que Dieu est et opère dans les créatures. Elle renfermait aussi la manne de la Divinité et de la grâce, le pouvoir et la baguette des prodiges, afin que la source des grâces , qui est l'être de Dieu, se trouvât seulement dans cette Arche divine et mystique, que ces grâces rejaillissent d'elle aux autres mortels, que par elle et en elle le bras du Tout- Puissant opérât des merveilles, et que l'on fût informé que tout ce que ce Seigneur veut, ce qu'il est et ce qu il opère, est renfermé et mis en dépôt en notre auguste Marie. 414. Il devait résulter de tout ce que nous venons de dire, que l'arche du Testament servit de base (non par là figure, mais par la vérité qu'elle signifiait) au propitiatoire (4), dans lequel le Seigneur tenait le tribunal de ses miséricordes, pour écouter son peuple, pour lui répondre, pour exaucer ses prières et lui accorder des faveurs, parce que Dieu ne s'est servi d'aucune autre créature que de la très-pure Marie pour en faire un trône de grâce, ne pouvant pas (1) 1 Cor., III, 11. - (2) Ephes., II, 20. - (3) Daniel., II, 34. - (4) Exod., XXVI, 34. 65 s'empêcher de faire un propitiatoire de cette mystique et véritable Arche, ne l'ayant construite que pour s'y renfermer. Ainsi il semble que le tribunal de la divine justice fut dans Dieu, et qu'il mit le propitiatoire et le tribunal de la miséricorde en Marie,. afin que nous ayons recours à elle avec une confiance assurée, comme à un trône de grâce pour lui présenter nos requêtes et lui demander les faveurs, les grâces et les miséricordes qui ne sont ni reçues ni accordées au genre humain que dans le propitiatoire qui se trouve en l'auguste Reine Marie. 415. Une arche si mystérieuse, consacrée et construite par la main du Seigneur pour sa propre demeure, et pour être un propitiatoire à son peuple, n'aurait pas été bien placée hors de son temple, où l'os gardait l'autre arche matérielle qui était la figure de cette arche véritable et spirituelle du nouveau Testament. C'est pourquoi l'auteur de cette merveille ordonna que la très-pure Marie fût consacrée dans son temple, lorsqu'elle eut achevé ses trois premières années depuis sa très-heureuse naissance. Je suis pourtant fort surprise d'une différence admirable que je trouve entre ce qui arriva à cette première arche, qui ri était qu'une figure, et ce qui arrive à la seconde, qui est la véritable. Car lorsque le roi David transporta l'arche en divers endroits, et qu'après lui son fils Salomon l'eut placée dans le Temple, comme en son propre lieu, quoique cette arche n'eût point d'autre excellence que de représenter notre auguste Princesse et ses mystères, ses translations furent néanmoins magnifiques 66 et accompagnées d'une joie universelle de cet ancien peuple, comme nous l'apprennent les professions solennelles que David fit faire en la transportant de la maison d'Aminadab à celle d'Obededom, et de celle-ci au tabernacle de Sion (1), sa propre ville; aussi bien que les fêtes que Salomon fit célébrer en la transportant de la ville de Sion au nouveau temple, qu'il fit bâtir par le commandement du Seigneur, pour en faire une maison de Dieu et de prières (2). 416. L'ancienne arche du Testament fut portée dans toutes ces translations avec une vénération publique, avec un culte très-solennel accompagné de musique, de danses, de sacrifices, et d'une joie particulière de ces rois et de tout le peuple d'Israël, selon que l'histoire sacrée le raconte dans le second et troisième livre des Rois, et dans le premier et second du Paralipomène. Mais bien que notre Arche mystique et véritable, la très-pure Marie, fût la plus riche, la plus excellente et la plus digne de vénération d'entre toutes les créatures, elle ne fut pourtant pas conduite au Temple avec la même solennité : il n'y eut point dans cette mystérieuse translation de sacrifices d'animaux, et on n'y découvrait aucune pompe royale ni aucune majesté de Reine; su contraire, elle fut transportée de la maison de son père Joachim entre les bras de sa mère Anne, laquelle, n'étant pas des plus pauvres, porta néanmoins dans cette occasion sa chère fille d'une manière humble, sans suite et sans ostentation (1) II Reg., VI, 10 et 12. - (2) III Reg., VIII, 5. 67 populaire, pour la présenter et la consacrer au Temple. Le Très-Haut voulut que toute la gloire et la majesté de cette pompe fût invisible et divine, parce que les mystères de notre auguste Reine furent si relevés et si cachés, qu'il y en a plusieurs qui n'ont pas été encore découverts, par les impénétrables jugements du Seigneur, qui détermine à toutes les choses, et à chacune en particulier, son temps et son heure. 417. Étant donc dans l'admiration de cette merveille en la présence du Seigneur, lorsque j'en louais et adorais les jugements, sa divine Majesté daigna me dire : " Sachez, ma fille, que si j'ai ordonné que l'arche du vieux Testament fût honorée avec tant de solennité, ce fut parce qu'elle était une figure fort juste de Celle qui devait être Mère du Verbe incarné. Celle-là était une arche insensible et matérielle; c'est pourquoi on la pouvait honorer avec cette magnificence sans aucun danger; mais je ne permis point que cette même vénération fût rendue à l'Arche véritable et animée pendant qu'elle vécut dans une chair mortelle, pour apprendre et à vous et aux autres, par cet exemple, ce que vous ne devez pas ignorer pendant que vous êtes voyageurs. C'est que je ne veux point exposer mes élus, que j'ai acceptés et que j'ai écrits pour m'en souvenir éternellement, dans des occasions auxquelles les honneurs et les applaudissements éclatants et démesurés des hommes leur puissent servir de quelque récompense, pendant leur vie mortelle, des peines qu'ils y soutirent pour mon honneur et pour mon 68 service. Il ne faut pas non plus qu'ils soient exposés au danger de partager l'amour qu'ils doivent à Celui qui les justifie et qui les rend saints, avec ceux qui les reconnaissent et les publient pour tels. Il n'y a qu'un Créateur, qui les a faits, qui les conserve, qui les éclaire et qui les défend; il ne doit y avoir aussi qu'un amour et qu'une application, qu'ils ne doivent nullement partager, quoique ce soit pour reconnaître les honneurs qu'on leur rend par un pieux zèle. L'amour divin est délicat, mais la volonté humaine est très-fragile, très-limitée; et si on la partage, ce qu'elle produit est fort peu de chose et très-imparfait, et elle s'expose à tout perdre en moins de rien. pour, ces raisons, et pour faire un modèle de Celle qui était très- sainte et inébranlable par ma protection, je ne voulus point qu'elle fuit connue ni honorée pendant sa vie, ni qu'elle fût conduite au Temple avec des solennités visibles. 418. " Outre cela, j'ai envoyé mon Fils unique du ciel, et j'ai créé celle qui devait être sa Mère, afin a qui ils retirassent le monde de son erreur et désabusassent les mortels : car c'était une loi très-inique et établie par le péché, que le pauvre fût méprisé et le riche estimé; que l'humble fût abaissé, et le superbe a exalté; que le vertueux fût blâmé, et le pécheur loué; que le timide et soumis passât pour insensé, et l'arrogant pour généreux; que la pauvreté fût honteuse et malheureuse, et que les richesses, la vanité, l'ostentation, les pompes, les honneurs et les plaisirs périssables fussent recherchés des hommes, 69 charnels. Le Verbe incarné et sa Mère sont venus condamner toutes ces choses comme trompeuses et mensongères, afin que les mortels connussent le danger formidable dans lequel ils vivent en les aimant, et en s'abandonnant avec tant d'aveugle ment à ces sensibles et délectables ennemis de leur salut, parce qu'ils font tous leurs efforts, à cause de cet amour désordonné qu'ils leur portent, pour s'éloigner de l'humilité, de la douceur et de la pauvreté, bannissant par là tout ce qui a quelque odeur de véritable vertu et de pénitence sincère, et qui pourrait refréner leurs passions, et satisfaire à mon équité par l'acceptation que j'en ferais; parce que c'est ce qui est saint, honnête et juste qui doit a être récompensé d'une gloire éternelle, le contraire devant être puni d'une peine sans fin. 419. " Les yeux terrestres des mondains et des charnels n'aperçoivent pas cette vérité, ni ne veulent point se servir de la lumière qui la leur enseignerait. Mais pour vous, ma fille, écoutez-la et écrivez-la dans votre coeur par l'exemple du Verbe incarné et de celle qui fut sa Mère, et qui l'imita en toutes choses. Elle était sainte, et la première après Jésus-Christ dans mon estime et dans ma complaisance : c'est pourquoi toutes les vénérations et tous les honneurs des hommes lui étaient dus, puisqu'ils ne lui pouvaient pas même rendre ce qu'elle méritait; mais j'ordonnai qu'elle ne fût point honorée ni connue alors, afin d'établir en elle ce qui était le plus saint, le plus parfait, le plus précieux et le 70 plus assuré, que mes élus devaient imiter et apprendre de cette Maîtresse de la vérité : cela consistait à pratiquer l'humilité, le silence et la retraite; à mépriser la vanité trompeuse et dangereuse du monde; à aimer les travaux, les tribulations, les injures, les afflictions et le mépris des créatures. Et parce que toutes ces choses ne pouvaient pas compatir avec les applaudissements, les honneurs et l'estime des mondains, j'ordonnai que la très-pure Marie ne les recevrait point; je ne veux pas non plus que mes amis les reçoivent, ni qu'ils y donnent aucune de leurs attentions. Que si je les manifeste quelquefois au monde pour ma gloire, ce n'est pas qu'ils le souhaitent, mais ils l'admettent avec humilité sans sortir de leur centre, se soumettant à la disposition de ma volonté; et d'eux-mêmes ils ne désirent ni n'aiment que ce que le monde méprise, et que ce que le Verbe incarné et sa très-sainte Mère ont pratiqué et enseigné. " Ce fut ce que le Seigneur me fit entendre dans l'admiration où j'étais sur cette différence; de manière que j'en fus satisfaite et instruite pour ce que je devais et ce que je désirais exécuter. Les trois ans que le Seigneur avait déterminés étant accomplis, Joachim et Anne, accompagnés de quelques-uns de leurs parents, sortirent de Nazareth portant avec eux la véritable Arche du Testament, la très-pure Marie, pour la consacrer dans le saint temple de Jérusalem. La très-aimable et très-belle enfant courait par ses ferventes affections après l'odeur des parfums 71 de son Bien-Aimé (1), pour aller chercher dans le Temple Celui quelle portait dans son cœur. Cette humble procession marchait sans être suivie d'un grand nombre de créatures terrestres et sans aucune magnificence visible, mais non pas sans une suite fort nombreuse et très-illustre d'esprits angéliques qui étaient descendus du ciel, et s'étaient unis à ceux qui gardaient leur jeune Reine, pour solenniser cette fête en y chantant avec une harmonie céleste de nouveaux cantiques de gloire et de louange au Très-Haut (la Princesse du ciel, dont les démarches étaient très-belles à la vue du suprême et véritable Salomon, les attendant et les voyant tous); cette sainte compagnie poursuivit son chemin de Nazareth jusqu'à la sainte cité de Jérusalem, pendant lequel les parents de notre auguste et jeune Marie ressentirent une grande consolation spirituelle. 421. Ils arrivèrent enfin au saint Temple, et avant d'y entrer, sainte Anne et saint Joachim prirent leur fille et leur maîtresse par la main et la conduisirent au dedans; et après y avoir fait tous trois une dévote et fervente prière au Seigneur, le père et la mère lui offrirent leur fille , pendant que la très-sainte fille s'offrait elle-même avec une humble adoration et un profond respect. Elle seule connut l'agréable acceptation que le Très-Haut faisait d'elle; et elle nuit dans une divine splendeur qui remplissait le Temple une voix qui lui disait : " Venez, mon Épouse et mon Élue ; (1) Cant., I, a. 72 venez dans mon temple, oh je veux que vous m'offriez un sacrifice de louange et de bénédiction. " Cette prière étant achevée, ils allèrent trouver le prêtre, auquel ils présentèrent leur fille Marie; et le prêtre lui ayant donné sa bénédiction, ils la conduisirent tous ensemble dans l'appartement des vierges, où elles étaient élevées dans une sainte retraite et en de pieuses occupations, jusqu'à un âge de pouvoir prendre l'état de mariage. Les aînées de la tribu royale de Juda et de la tribu sacerdotale de Lévi étaient singulièrement gardées dans cet appartement. 422. La montée pour y aller avait quinze degrés, où l'on trouva d'autres prêtres qui venaient recevoir notre jeune Reine. Celui qui la conduisait, et qui devait être un des prêtres du commun, la mit au premier, degré. Elle lui demanda alors la permission de prendre congé de ses parents; et l'ayant obtenue, elle se tourna vers saint Joachim et sainte Anne, et s'étant mise à genoux, elle demanda leur bénédiction, leur baisa les mains et les pria de la recommander à Dieu. Les deux saints la lui donnèrent avec beaucoup de tendresse et de larmes; ensuite elle monta toute seule les quinze degrés avec une ferveur et une joie admirable, sans tourner la tête, sans verser aucune larme, sans faire la moindre action puérile, et sans témoigner aucun regret de la séparation de ses parents; au contraire, elle les mit tous dans l'admiration de la voir, en un âge si tendre, avec une majesté si agréable et avec une résolution si ferme. Les prêtres la reçurent et la conduisirent dans l'appartement des 78 autres vierges; le souverain prêtre saint Siméon la remit et la recommanda à celles qui en prenaient le soin, parmi lesquelles se trouvait Anne la prophétesse. Cette sainte matrone avait été prévenue par une grâce spéciale et par une lumière extraordinaire du Très-Haut, afin qu'elle se chargeât de cette fille de Joachim et d'Anne.; ce qu'elle fit par une providence divine avec beaucoup de ponctualité, ayant mérité par sa sainteté et par ses vertus d'avoir pour disciple Celle qui devait être la Mère de Dieu et la Maîtresse de toutes les créatures. 423. Saint Joachim et sainte Anne s'en retournèrent à Nazareth bien plus pauvres qu'ils n'étaient venus, et pénétrés d'une vive douleur d'être privés du riche trésor de leur maison; mais le Seigneur suppléa à son absence en les favorisant et en les consolent dans toutes les occasions. Quoique le saint prêtre Siméon ne connût pas alors le mystère que la jeune Marie renfermait, il reçut néanmoins une grande lumière dans laquelle il découvrit sa sainteté et le 'choix que le Seigneur en avait fait; les autres prêtres mêmes en conçurent de très-hauts sentiments d'estime et de respect. Ce que Jacob vit en sa mystérieuse échelle (1) fut accompli en cet escalier par lequel monta la très-sainte fille; là se trouvaient les anges qui montaient et descendaient réellement, les uns qui accompagnaient leur Reine, et les autres qui venaient au-devant d'elle; Dieu l'attendait au bout 'pour la (1) Gen., XXVIII, 12. 74 recevoir et pour la reconnaître pour sa Fille et pour son Épouse ; et elle connaissait par les effets de son amour que c'était véritablement la maison de Dieu et la porte du ciel. 424. La jeune Marie ayant été remise à sa maîtresse, elle lui demanda à genoux et avec une profonde humilité sa bénédiction, et la pria de la recevoir sous sa sage conduite, et de supporter patiemment ses. imperfections. Anne, sa maîtresse, la reçut avec de grandes démonstrations d'amour, et lui dit : " Ma fille, vous trouverez en moi une mère et une protectrice, et je vous promets de prendre tous les soins possibles de votre personne et de votre éducation. " Ensuite elle alla offrir avec la même humilité ses services à toutes les vierges qui se trouvaient dans cette clôture, les salua et les embrassa chacune en particulier, les priant, comme les plus anciennes et les plus capables, de lui enseigner et de lui commander ce qu'il y aurait à faire; elle les remercia de l'avoir reçue en leur compagnie, tout indigne qu'elle sen reconnaissait. Instruction de la très-sainte Vierge. 425. Ma fille, le plus grand bonheur qu'une âme puisse recevoir en cette vie mortelle, est que le Très- 75 Haut l'introduise dans sa maison et la consacre entièrement à son service, parce qu'il la délivre par cette faveur d'une dangereuse servitude, et l'exempte des honteux engagements du monde, où elle mange son pain à la sueur de son front (1), sans y jouir jamais d'une parfaite liberté. Où est l'insensé et l'aveugle qui ne connaisse le péril de la vie mondaine, chargée de tant de lois et de tant de coutumes contraires à la raison, que les diables et les impies y ont introduites? Le meilleur parti est la religion et la retraite: c'est là où se trouve le port assuré , tout le reste n'étant rempli que de flots et de tempêtes, que d'afflictions et de malheurs. Si lés hommes ne découvrent point cette vérité et ne reconnaissent point cette faveur, ils sont dans une étrange dureté de coeur et dans un oubli déplorable d'eux- mêmes. Pour vous, ma fille, ne fermez point vos oreilles à la voix du Très-Haut , rendez-vous y attentive, opérez ce qu'elle vous inspirera, et répondez fidèlement à ses conseils; car je vous avertis qu'un des plus grands efforts du démon, est d'empêcher l'effet de la vocation du Seigneur, lorsqu'il appelle et dispose les âmes pour être consacrées à son service. 426. Ce seul acte public et sacré que l'on fait de recevoir l'habit et d'entrer en religion, quoiqu'on ne le fasse pas toujours avec la ferveur et la pureté d'une due intention, met le dragon infernal et tous ses démons dans de grandes indignations et dans des fureurs (1) Gen., III, 19. 76 horribles, tant à cause de la gloire du Seigneur et d¢ la joie des anges, que parce que cet ennemi mortel sait que la religion sanctifie pt perfectionne (homme. Et il arrive bien souvent qu'étant embrassée par des motifs humains et terrestres, la grâce divine y opère et conduise ensuite toutes choses à une sainte fin. Que si elle a ce pouvoir lorsque le commencement n'a pas été avec cette droite intention qu'il y fallait porter, la lumière et la vertu du Seigneur seront bien plus puissantes et efficaces, et la discipline religieuse bien plus heureuse, lorsqu'une âme y entrera par l'impulsion de l'amour divin et par un désir intérieur et sincère d'y trouver Dieu, de le servir et de l'aimer. 427. Et pour que le Très-Haut réforme ou perfectionne celui qui entre dans la religion par quelque motif que ce soit, il faut qu'en tournant le dos au monde il ne le regarde plus; qu'il efface de sa mémoire toutes ses imagés trompeuses, et qu'il oublie ce qu'il a abandonné avec tant de bonheur et de gloire. Le châtiment de la femme de Loth (1) arrive sans doute à ceux qui ne profitent point de cet avis, et qui sont ingrats et infidèles à Dieu; que si, par la divine miséricorde, ce châtiment n'est pas si sensible aux yeux extérieurs, ils le reçoivent néanmoins intérieurement en y demeurant glacés, secs, sans aucune ferveur et sans vertu : et, par cet abandonnement de la grâce, ils ne parviennent point à la fin de leur vocation, ils ne font aucun progrès dans la religion; ils n'y trouvent (1) Gen., XIX, 26. 77 aucune consolation spirituelle, et ils ne méritent point que le Seigneur les regarde et les visite comme des enfants, mais au contraire qu'il les abandonne et les rejette comme des esclaves infidèles et fugitifs. Je vous avertis, Marie, que tout ce qui appartient au monde doit être mort et crucifié en vous., et que vous le devez être en lui, sans qu'il vous reste le moindre souvenir ni la moindre affection pour aucune chose terrestre. Que si vous êtes quelquefois obligée d'exercer la charité envers votre prochain, vous devez la régler de telle manière que vous établissiez principalement le bien de votre âme, votre sûreté, la paix et la tranquillité de votre intérieur; et je vous recommande et vous ordonne dans cette pratique cette extrême circonspection qui n'est point vice, si vous voulez demeurer dans mon école. CHAPITRE II. D'une faveur singulière que le Très-Haut fit à la très-sainte Vierge aussitôt qu'elle fut dans le Temple. 428. Après que les parents de la divine Marie eurent pris congé d'elle, et l'eurent laissée dans le Temple pour y être élevée et consacrée à Dieu, sa maîtresse 78 lui donna sa petite chambre parmi les antres vierges, qui en avaient chacune une semblable. La Princesse du ciel ne s'y vit pas plutôt seule, qu'elle s'y prosterna et baisa la terre, dans la pensée que c'était une partie du Temple; elle y adora le Seigneur, et lui rendit grâces pour cette nouvelle faveur qu'elle venait d'y recevoir; elle en remercia aussi la terre, parce quelle l'avait reçue et qu'elle la soutenait, s'estimant indigne d'un tel bienfait. Ensuite elle s'adressa à ses anges, et leur dit ; " Princes célestes, envoyés du Très-Haut mes très-fidèles amis et compagnons, je vous supplie de toute l'affection de mon âme d'exercer envers moi, dans ce saint temple de mon Seigneur, l'office de vigilantes gardes, en me marquant tout ce que je dois faire; enseignez-moi et me redressez comme maîtres et conducteurs de mes actions, afin que je puisse en toutes choses accomplir la volonté de Dieu, plaire aux prêtres qui le servent dans ce saint lieu, et obéir à ma maîtresse et à mes compagnes. " S'adressant ensuite particulièrement aux douze anges (dont nous avons déjà fait mention, ayant marqué qu'ils étaient les douze de l'Apocalypse), elle leur dit : " Je vous prie, mes saints ambassadeurs, d'aller consoler mes parents dans leur tristesse et dans leur solitude, si le Seigneur veut bien vous le permettre. " 429. Les douze anges obéirent à leur Reine; et, pendant qu'elle s'occupait avec les autres en de divins entretiens, elle ressentit une vertu supérieure qui la mouvait avec beaucoup de force et de douceur, et qui 79 la spiritualisa et l'éleva en une extase ardente : alors le Très-Haut commanda aux séraphins qui l'assistaient d'illuminer son âme très-sainte et de la préparer. Ensuite elle reçut une lumière et une qualité divine, afin que ses puissances en fussent perfectionnées et proportionnées à l'objet que sa divine Majesté lui voulait manifester. Étant accompagnée, dans cette préparation où elle était, de tous ses anges et de plusieurs autres, et étant revêtue d'une petite nue fort reluisante, elle fut élevée en corps et en âme dans le ciel. empyrée, où elle fut reçue par la très- sainte Trinité avec une grande démonstration de bienveillance. Elle se prosterna en la présence du Seigneur tout-puissant, comme elle avait accoutumé de faire dans les autres visions, et l'adora avec une profonde humilité et révérence. Après cette adoration, elle fut éclairée de nouveau d'une autre qualité ou lumière par laquelle elle vit la Divinité intuitivement; c'est la seconde fois qu'elle lui fut découverte en cette même manière claire ou intuitive, qu'elle la vit dans le cours des trois premières années de son âge. 430. Il n'est aucune langue qui puisse exprimer les effets de cette vision et de cette participation de l'essence divine. La personne du Père éternel parla à celle qui devait être Mère de son Fils, et lui dit; " Je veux, a ma colombe et ma bien-aimée, que vous voyiez les trésors de mon être immuable, les perfections infinies et les dons cachés que je destine pour les âmes que j'ai élues pour être héritières de ma gloire, et qui seront rachetées par le sang de l'Agneau qui 80 doit mourir pour elles. Connaissez, ma Fille, combien je suis libéral envers mes créatures qui me connaissent et qui m'aiment; combien je suis véritable en mes paroles, fidèle en mes promesses, puissant et admirable en mes oeuvres. Voyez, ma chère Épouse, comme c'est une vérité infaillible, que celui qui me suivra ne vivra point dans les ténèbres. Je veux que, comme mon élue, vous soyez témoin oculaire des trésors que je tiens préparés pour élever les humbles, enrichir les pauvres, honorer les méprisés et récompenser tout ce que les mortels feront ou souffriront pour mon nom. " 431. La très-sainte enfant connut d'autres grands mystères dans cette vision de la Divinité, parce que l'objet est infini; et quoiqu'il lui eût été manifesté une autre fois avec la noème clarté, il lui reste néanmoins infiniment de quoi communiquer de nouveau et de quoi causer toujours plus d'admiration et d'amour à qui reçoit cette faveur. La très-heureuse Marie répondit au Seigneur, et lui dit : " Très-Haut et très-souverain Dieu éternel, vous êtes incompréhensible en votre grandeur, riche en miséricordes et abondant en trésors ; ineffable en mystères, très-fidèle en promesses, véritable en paroles et très-parfait en vos oeuvres, parce que vous êtes, Seigneur, infini et éternel en votre être et en vos perfections. Mais que deviendra, mon souverain Seigneur, ma petitesse à la vue de votre grandeur? Je me reconnais indigne de voir ce que vous m'en découvrez, et pourtant je me trouve dans la 81 nécessité que vous daigniez me regarder de ce même trône de gloire. Toutes les créatures, Seigneur, s'anéantissent en votre présence; que deviendra donc votre servante, qui n'est que poussière? Accomplissez en moi votre sainte volonté et votre bon plaisir ; et si les afflictions, les peines, les mépris des hommes, l'humilité, la patience et la douceur sont en une si grande estime à vos yeux ne permettez pas, mon Bien-Aimé, que je sois privée d'un si riche trésor et d'un si cher gage de votre amour, réservez-en la récompense pour vos serviteurs et pour vos amis, qui la mériteront mieux que moi , puisque je n'ai encore rien fait pour votre service et pour vous plaire. " 432. Le Très-Haut agréa avec beaucoup de complaisance la demande de notre jeune Reine; il lui fit connaître qu'il l'acceptait, et qu'il lui accordait, comme elle le souhaitait, de travailler et de souffrir pour son amour durant le cours de sa vie, sans qu'elle découvrit alors de quelle manière et en quel ordre cela lui devait arriver. La Princesse du ciel rendit grâces d'avoir été choisie afin d'endurer quelque chose pour le nom et pour la gloire du Seigneur; et dans le fervent désir où elle était d'obtenir cette grâce, elle demanda permission à sa divine Majesté de faire quatre voeux en sa présence : de chasteté, de pauvreté, d'obéissance, et de clôture perpétuelle dans le Temple où il l'avait conduite. Le Seigneur, répondant à sa demande, lui dit : " Ma chère Épouse, mes pensées sont élevées au-dessus de toutes les 82 créatures; c'est pourquoi , mon Élue , vous ignorez présentement ce qui peut vous arriver dans le cours de votre vie, et qu'il ne sera pas possible d'accomplir tous vos fervents désirs en la manière que vous venez de le projeter; j'accepte le voeu de chasteté, et je veux que vous le fassiez, et que vous renonciez dès à présent aux richesses terrestres. C'est pourtant ma volonté que vous fassiez de votre mieux pour agir à l'égard des autres voeux comme si vous les eussiez véritablement faits; et le désir que vous avez de les faire s'accomplira dans le temps à venir de la loi de grâce en plusieurs autres vierges, qui, pour me servir et vous suivre, feront les mêmes voeux, vivant ensemble dans de diverses communautés; ainsi vous serez Mère de plusieurs filles. " 433. La très-sainte Fille fit alors le voeu de chasteté en la présence du Seigneur, et, sans s'obliger aux autres, elle renonça à l'affection des choses de la terre , et se proposa d'obéir à toutes les créatures pour Dieu , ayant été plus ponctuelle , plus fervente et plus fidèle à accomplir les résolutions qu'elle en fit , qu'aucun de ceux qui s'y sont obligés et qui s'y obligeront par voeu. Après quoi la claire vision de la Divinité . cessa; mais elle ne fut pas incontinent transportée en terre, parce qu'elle reçut dans un autre état plus inférieur une vision imaginaire du Seigneur, et sans sortir de l'empyrée elle en eut plusieurs autres de la même espèce à la vue de la Divinité. 434. Quelques séraphins de ceux qui sont le plus 83 près de Dieu s'approchèrent d'elle dans cette seconde vision imaginaire, et par le commandement de sa divine Majesté l'ornèrent en cette manière. Premièrement, tous ses sens furent comme illuminés par une clarté qui les remplissait de grâce et de beauté. Ensuite on la revêtit d'une robe très-magnifique de splendeur, et on la ceignit d'une ceinture de différentes pierres précieuses de diverses couleurs transparentes et fort reluisantes, dont elle était embellie au-dessus de toutes nos expressions; cette ceinture signifiait la très-pure candeur des différentes et héroïques vertus de son âme très-sainte. On lui mit aussi un collier d'un prix inestimable, duquel pendaient sur sa poitrine trois grandes pierres, symbole des trois plus excellentes vertus, la foi, l'espérance et la charité, comme si elles eussent voulu marquer le lieu où de si riches joyaux se devaient trouver. Elle reçut ensuite sept anneaux d'une rare beauté, que le Saint-Esprit lui mit aux doigts pour marquer qu'il l'ornait de ses dons en un degré très-éminent. Outre cet ornement, la très- sainte Trinité lui mit sur la tète une couronne impériale d'une matière très- précieuse, et enrichie de pierreries plus brillantes que le soleil, l'établissant tout ensemble et son Épouse et l'Impératrice du ciel ; en confirmation de cela, le vêtement blanc et lumineux dont on l'avait revêtue était re-haussé de chiffres d'un or très-fin et très-éclatant, qui disaient : Marie, Fille du Père éternel, Épouse du Saint-Esprit et Mère de la véritable Lumière. Ce dernier titre pourtant ne fut point pénétré par la 84 divine Dame, les anges seuls, qui assistaient à une chose si nouvelle, en ayant l'intelligence, dans laquelle ils étaient remplis d'admiration de la louange qui en résultait à son auteur. Pour finir cette merveille, le Seigneur renouvela l'attention des anges, et ensuite il sortit du trône de la très- sainte. Trinité une voix qui, s'adressant à la glorieuse Vierge, lui dit; " Vous serez notre Épouse, notre bien- aimée et a notre élue entre les créatures pendant toute l'éternité, les anges vous serviront, et toutes les nations et les générations vous appelleront bienheureuse (1). " 435. Cette auguste Fille ayant été embellie par les ornements de la Divinité, on y célébra les épousailles les plus solennelles et les plus merveilleuses qu'aucun des plus hauts chérubins et séraphins pouvait imaginer : parce que le Très-Haut l'accepta pour son Épouse unique et singulière, et la constitua en la plus suprême dignité qu'une pure créature pouvait recevoir, pour déposer en elle sa divinité en la personne du Verbe, et par lui tous les trésors de grâces qu'une si éminente dignité exigeait. La très-humble entre les humbles était absorbée dans un abîme d'amour et d'admiration que tant de faveurs lui causaient, et en la présence du Seigneur elle dit ; " Roi très-haut et Dieu incompréhensible, qui ôtes-vous et qui suis-je, que vous daigniez regarder celle qui n'est que poussière et qui est si fort indigne de si hautes (1) Luc., I, 48. 85 faveurs? Connaissant en vous, mon divin Seigneur, comme dans un clair miroir, votre Être immuable, j'y vois et j'y connais sans aucune illusion la bassesse du mien; j'y découvre votre immensité et mon néant, et je m'anéantis dans cette connaissance, a voyant avec admiration que la Majesté infinie s'abaisse jusqu'à un si abject vermisseau, qui ne mérite que le rebut et le mépris entre toutes les créatures. O mon Seigneur et mon tout, combien serez-vous glorifié et exalté en cette œuvre ! Com bien causerez-vous d'admiration à vos esprits angéliques, qui connaissent vôtre bonté, vos grandeurs et vos miséricordes infinies, quand ils considèreront avec quelle magnificence vous élevez cette poussière et celle qui est si pauvre en mérites, pour être mise au rang des princes (1)! Je vous accepte, mon Seigneur et mon Roi, pour mon Époux, et je m'offre d'être votre servante. Mon entende ment, ma mémoire et ma volonté n'auront point a d'autre objet, d'autre fin, ni d'autre désir que vous, qui ôtes mon souverain bien, mon véritable et mon unique amour; mes yeux ne s'arrêteront a sur aucune créature humaine, et mes puissances et mes sens n'auront d'application que pour vous et pour ce que votre divine Majesté m'ordonnera ; vous serez, mon Bien-Aimé, seul et unique pour votre Épouse (2), et elle ne sera que pour vous, a qui êtes le bien éternel et immuable. " (1) Ps. CXII,. 7. - (2) Cant., II, 16. 86 436. Le Seigneur reçut avec une complaisance ineffable cette acceptation que fit la Princesse céleste des nouvelles épousailles qu'il avait célébrées avec sa très-sainte âme, et en qualité de sa véritable Épouse et de Maîtresse de toutes les créatures, il lui mit entre les mains les pouvoirs de son trésor et de ses grâces, et lui commanda de demander ce qu'elle souhaiterait, l'assurant que rien ne lui serait refusé. La très- humble colombe exécuta l'ordre qu'elle venait de recevoir, demandant avec une charité très-ardente au Seigneur, qu'il envoyât son Fils unique au monde pour racheter les hommes; qu'il les appelât tous à la véritable connaissance de sa divinité , qu'il augmentât le saint amour et les dons de sa puissante droite à ses parents Joachim et Anne ; qu'il consolât les pauvres et les affligés, et qu'il les soulageât dans leurs besoins, demandant pour elle d'accomplir avec perfection ce qui serait le plus agréable à sa divine volonté. Ce furent les plus particulières demandes que la nouvelle épouse Marie fit à la très-sainte Trinité dans cette occasion. Tous les esprits angéliques, pour louer l'auteur de toutes ces merveilles , firent de nouveaux cantiques d'admiration, et ceux que sa divine Majesté avait destinés, l'accompagnèrent dans sa descente du ciel avec une musique céleste, et la remirent à l'endroit du Temple d'où elle avait été enlevée. 437. Elle n'y fut pas plutôt qu'elle voulut commencer de pratiquer ce qu'elle avait promis en la présence du Seigneur; ainsi elle alla trouver sa maîtresse et lui remit tout ce que sa mère sainte Anne lui avait 87 laissé , tant pour ses nécessités que pour ses petites récréations, jusqu'à ses livres et à ses habits ; et la pria de les distribuer aux pauvres , ou de l'employer à ce qu'elle voudrait, et de lui commander ce qu'elle devait faire. La discrète maîtresse ( qui était, comme j'ai déjà dit, Anne la prophétesse) reçut par une divine impulsion ce que cette aimable fille lui offrait; elle la laissa fort pauvre, puisqu'il ne lui resta que les habits qu'elle portait, et ayant loué son action, elle résolut d'en prendre un soin particulier, comme de la plus dépourvue du nécessaire, parce que les autres vierges gardaient chacune leur pension, conservaient en leur propre leurs hardes, et en disposaient selon leur volonté. 438. La maîtresse Anne prescrivit aussi une manière de vivre à la très-douce et très-bénigne enfant, en ayant auparavant conféré avec le souverain prêtre, et par ce détachement et cette résignation, la Reine et Maîtresse des créatures obtint d'en être elle seule détachée , aussi bien que d'elle-même, et de n'avoir point d'autre possession que le seul amour de Dieu et celui de son humiliation. Je déclare mon ignorance et la bassesse de mon génie à expliquer des mystères si sublimes et si cachés; et que je suis tout à fait indigne de toucher des matières dont les langues les plus éloquentes des sages, la science et l'amour des plus hauts chérubins et séraphins seraient incapables de donner une entière et fidèle connaissance : ainsi , que pourra faire une pauvre ignorante et inutile comme je suis? Je reconnais combien j'offenserais la 88 grandeur de mystères si sacrés et si vénérables, si l'obéissance ne m'excusait; je ne laisse pas même de craindre avec elle, et je crois en ignorer et en taire le plus considérable; et que ce que je connais et ce que je dis de chaque merveille de cette Cité de Dieu , la très-pure Marie, en est la moindre partie. Instruction de la très-sainte Vierge. 439. Ma fille, une des plus grandes et des plus ineffables faveurs que j'ai reçues durant ma vie de la droite du Tout-Puissant , est celle que vous venez de découvrir et d'écrire, parce que je connus dans cette claire vue de la divinité et de l'ètre incompréhensible du Seigneur, des mystères très-cachés. Je reçus dans cet ornement et dans ces épousailles des faveurs inconcevables, et mon âme y ressentit de très-doux et très-divins effets. Le Seigneur agréa beaucoup ce désir d que j'eus de faire les quatre voeux de pauvreté, d'obéissance, de chasteté et de clôture; par ce désir je méritai que les mêmes voeux seraient établis dans (Église et dans la loi de grâce, en la manière qu'on le pratique aujourd'hui, et tout ce que vous autres religieuses faites maintenant, vient de là comme de son principe, selon ce qui est écrit dans le psaume XLIV : 89 Adducentur Regi Virgines post eam, parce que le Très-Haut ordonna que mes désirs fussent le fondement des religions de la loi évangélique. J'accomplis avec une très-grande perfection tout ce que je proposai de pratiquer dans cette occasion en la présence du Seigneur, autant que mon état me le permit; je ne regardai jamais aucun homme su visage, sans en excepter mon époux Joseph , ni même les anges; lorsqu'ils m'apparaissaient en forme humaine : je les vis et les connus tous néanmoins en Dieu; je n'eus point d'affection pour aucune chose créée ni de propre volonté, et l'on ne m'entendait point dire: Je veux faire cela, ou je ne veux pas le faire; parce que le Seigneur me gouvernait en toutes choses, ou par lui-même immédiatement, ou par l'obéissance qu'il me faisait rendre aux créatures, à qui je me soumettais agréablement pour son amour. 440. Sachez, ma très-chère fille, que, comme l'état religieux est un état sacré et établi de Dieu pour y conserver la doctrine de la perfection chrétienne, et la parfaite imitation de la très-sainte vie de mon Fils, c'est pour cette raison que le Seigneur est fort irrité contre les personnes religieuses qui croupissent dans l'oubli d'une si haute faveur, et qui vivent avec plus de lâcheté et de relâchement que plusieurs mondains ainsi elles en recevront un plus sévère jugement et des punitions plus rigoureuses. Elles doivent être d'autant plus sur leurs gardes, que le démon, comme un ancien et rusé serpent, emploie plus de soins et plus de ruses à les tenter et à les abattre qu'à l'égard des mondains 90 soit par rapport su petit nombre de ces âmes choisies, soit par rapport aux difficultés qu'il trouve à les séduire, et au scandale que causent leurs chutes quand il les a fait tomber : ainsi, lorsqu'il en a fait donner quelqu'une dans ses piéges, il se tient bien plus de conseils dans l'enfer qu'après la chute d'un séculier, et l'on y cherche bien plus de moyens pour empêcher qu'elle ne se relève par les secours, qui se trouvent plus prompts dans la religion que dans le monde, comme sont l'obéissance, les exercices de piété et le fréquent usage des sacrements. Et, afin que le tout soit inutile à un religieux relâché et qu'il n'en puisse faire son profit, cet ennemi pratique tant de ruses et de stratagèmes, que ce serait une chose épouvantable si l'on. pouvait les découvrir. On en tonnait pourtant quelque peu, si l'on considère les inquiétudes qui agitent l'âme d'un religieux, et les adresses dont elle se sert pour justifier ses relâchements; elle tâche de les excuser par des prétextes spécieux; que si elle ne le peut, elle donne ouvertement dans toutes sortes de rébellions, de désordres et de crimes. 441. Soyez donc, ma fille, sur vos gardes, et craignez un danger si formidable; tâchez de vous élever par les forces de la divine grâce au-dessus de vous-même, et bannissez de votre coeur toutes sortes d'affections et de mouvements déréglés. Je veux que vous fassiez tous vos efforts pour mourir à vos passions et pour vous spiritualiser, afin qu'ayant détruit en vous tout ce qui est terrestre, votre vie et votre conversation deviennent tout angéliques. Vous devez sortir de 91 votre état humain et monter dans un autre toit divin, si vous voulez remplir dignement le nom d'épouse de Jésus-Christ: et, quoique vous soyez terre, vous devez être une terre bénie, sans épines de passions, dont les fruits doivent tous appartenir au Seigneur, qui en est le maître. Ayant donc, comme vous avez, ce souverain et puissant Seigneur, qui est le Roides rois et le Seigneur des seigneurs, pour époux, vous ne devez pas daigner tourner les yeux, et encore moins le coeur, vers de vils serviteurs qui sont les créatures humaines, puisque les anges même vous aiment et vous respectent à cause de cette dignité d'épouse du Très-Haut. Que si, parmi les mortels, l'on jugé que c'est une grande témérité à un homme ordinaire de regarder l'épouse du prince, quel crime serait-ce de jeter les yeux sur l'épouse du Roi du ciel et du Tout-puissant! et quel manquement ne commettrait-elle pas si elle le permettait, ou si elle y avait quelque complaisance ! Faites-y de sérieuses réflexions, et soyez assurée que la punition que Dieu destine pour ce péché est également terrible et incompréhensible; je ne vous la découvre pas, parce que votre faiblesse n'en saurait supporter la vue. Je veux que mon instruction vous suffise, afin que vous pratiquiez tout ce que je vous ordonne, et que vous m'imitiez comme disciple autant que vos forces vous le permettront; faites aussi votre possible pour inculquer ces avis à vos religieuses, et pour les leur faire mettre en pratique. 442. J'écoute, ma divine Reine et Maîtresse très-pitoyable, vos très-douces paroles remplies d'esprit 92 et de vie avec une fort grande joie, et je désire de les écrire dans le plus profond de mon coeur par la grâce de votre très-saint Fils, que je vous prie de m'obtenir. Je parlerai en votre présence, comme une disciple ignorante à sa maîtresse, si vous m'en donnez la permission. Je souhaite, ma très-sainte Mère, que vous me donniez une instruction plus ample qui me serve de règle et de guide dans la pratique de ce devoir et de cette affection que vous avez gravée dans mon âme, afin de pouvoir accomplir les quatre vœux de ma profession comme vous me le commandez, comme je le dois et comme je le désire. CHAPITRE III. L'instruction que la Reine du ciel me donna touchant les quatre vœux de ma profession. 443. Je ne veux point vous refuser, ma fille, les préceptes que vous me demandez avec intention de les exécuter; recevez-les avec estime, avec dévotion et avec une disposition docile. Le Sage dit ; " Mon fils, si vous avez promis pour votre ami, vous avez engagé votre main à un étranger, vous vous êtes lié par votre bouche, et vous avez été pris par vos 93 paroles (1). " Selon cette vérité, celai qui a voué à Dieu a cloué la main de sa propre volonté, pour n'être plus libre de faire aucune autre chose que ce qu'il a promis, et pour suivre en tout la volonté et le bon plaisir de celui à qui il s'est obligé et attaché par sa propre bouche et par les paroles de sa profession. Il était à sa disposition, avant que de faire les voeux, de choisir le chemin qu'il voulait; mais quand une fois l'âme religieuse s'est liée et obligée, elle a perdu entièrement sa liberté, en ayant fait un sacrifice à Dieu entre les mains de son supérieur. Le salut ou la perte des âmes dépend de leur liberté; mais, comme la plupart en font mauvais usage et se perdent, le Seigneur a établi l'état religieux pour les fixer au bien par le moyen des voeux, afin que la créature, usant une fois de sa liberté avec une parfaite et prudente élection, consacrât à sa divine Majesté dans cet acte ce qu'elle aurait perdu en plusieurs, si elle eût été libre de vouloir et de ne pas vouloir. 444. On perd heureusement par ces vœux la liberté pour le mal, et on l'assure pour le bien, comme par une bride qui détourne du danger et conduit par le chemin assuré; l'âme perdant par ce moyen la servitude qui la rendait sujette à ses propres passions, en acquérant un nouvel empire sur elles et en étant maîtresse absolue dans son économie intérieure; dans cet heureux état, elle n'est subordonnée qu'à la grâce et aux mouvements du Saint-Esprit, qui la conduit dans (1) Prov., VI, 1-2. 94 ses opérations, pourvu qu'elle réserve toute sa volonté afin de pratiquer seulement ce qu'elle a promis à Dieu: Ainsi la créature passe de l'état de servitude à l'excellente dignité pie fille de Dieu, et de son état terrestre à un état angélique; et, par cette conduite du Saint-Esprit, elle W affranchit du péché, de ses malheureux effets et de ses terribles punitions. Il n'est pas possible que vous puissiez comprendre dans la vie mortelle combien une âme qui fait tous ses efforts pour accomplir parfaitement les veaux de sa profession, acquiert de faveurs et de trésors; car je vous assure, ma fille, que les parfaites religieuses peuvent mériter autant que les martyrs, et surpasser même leurs mérites. 445. Vous entrâtes, ma fille, en possession de l'heureux. commencement de tant de biens, le jour que vous choisîtes la meilleure part; mais prenez bien garde que vous vous y obligeâtes à un Dieu éternel et puissant, à qui le plus caché des cœurs est à découvert. Que si manquer de parole aux hommes terrestres, et ne point s'acquitter des justes promesses qu'on leur a faites, est une chose si noire et si détestée de la propre raison, combien ne le sera-t-il pas davantage d'être infidèle à Dieu dans les promesses très-justes et très-saintes! En qualité de votre Créateur, de votre conservateur et de votre bienfaiteur, vous lui devez la reconnaissance; en qualité de Père, le respect; en qualité d'Époux, la fidélité; et en qualité d'ami, la bonne correspondance. Vous lui devez la foi et l'espérance, parce qu'il est très-fidèle; l'amour, 95 parce qu'il est le bien souverain et éternel; là soumission, parce qu'il est tout- puissant; et une sainte et humble crainte , parce qu'il est juge très-équitable. Or, vous commettriez une trahison horrible contre tous ces titres et contre beaucoup d'autres, si vous transgressiez ce que vous avez promis en votre profession. Que si c'est une chose si monstrueuse en toutes les religieuses, qui sont dans l'obligation de mener une vie spirituelle, de s'appeler épouses dé Jésus-Christ, et d'être, nonobstant cette obligation, , membres et esclaves du démon; cette faute serait bien plus honteuse en. vous, qui avez reçu plus que toutes les autres , et qui par conséquent les devez toutes surpasser en amour, en travaux et en reconnaissance de tant de faveurs. 446. Voyez donc, ô âme, combien ce crime énorme vous rendrait odieuse au Seigneur, à moi, aux anges et aux saints, parce que nous sommes témoins de l'amour et de la fidélité dont il a usé envers vous en qualité d'Époux très-riche, très- amoureux et très-fidèle. Tâchez donc de faire tout votre possible pour ne le jamais offenser en la moindre chose; ne l'obliges point de vous abandonner aux brutales passions du péché, puisque vous n'ignorez point que ce ne soit un plus grand malheur et un châtiment plus rigoureux que s'il vous exposait à la fureur des éléments, à la cruauté des animaux les plus farouches et à la rage même des démons, à toutes les peines que les hommes pourraient inventer, et aux plus sanglants affronts qu'ils sauraient vous faire, comme à autant d'exécuteurs 96 de sa justice; oui, ma fille, tout cela vous serait un moindre mal, que de commettre un seul péché véniel contre Dieu, que vous devez servir et que vous devez aimer toujours. Toutes les peines de ce monde sont moindres que le péché, parce qu'elles finissent avec la vie mortelle, et le péché peut être éternel, et en lui sa punition peut aussi n'avoir aucune fin. 447. Les peines et les afflictions de la vie présente causent beaucoup de crainte aux mortels, parce qu'elles leur sont sensibles; mais le péché ne les afflige nullement, parcs que n'étant touchés que de ce qui frappe leurs sens , ils n'aperçoivent point la peine éternelle de l'enfer qui le suit immédiatement. Et cette même peine étant inséparable du péché, le coeur de l'homme est si appesanti, que, se laissant enivrer de son crime, il ne lui reste aucune connaissance pour en considérer la punition, parce que l'enfer ne lui est ni présent ni sensible; et quand il pourrait le voir et le toucher par la foi, il la laisse oisive et morte comme s'il ne l'avait pas. O aveuglement déplorable des hommes ! ô mortelle négligence, combien d'âmes capables de raison et de gloire n'opprimes-tu pas honteusement ! Il n'est point de paroles qui puissent dignement déclarer ce terrible malheur. Ma fille, éloignez-vous d'un si dangereux état par la sainte crainte du Seigneur; abandonnez-vous à toutes les peines et à toutes les afflictions de la vie présente, qui n'est que passagère, plutôt que de vous y hasarder, puisque rien ne vous manquera si vous ne perdez point Dieu. Ce sera un puissant moyen pour vous assurer 97 dans le bien, d'être persuadée qu'il n'y a point de petite faute dans votre état; vous devez craindre beaucoup les moindres manquements, parce que le Seigneur tonnait qu'en méprisant les petites fautes la créature ouvre son coeur à d'autres plus grandes; et l'amour de celui qui n'appréhende pas de déplaire en la moindre chose à la personne qu'il aime, est fort imparfait. 448. L'ordre que les âmes religieuses doivent observer en effectuant leurs désirs , est celui-ci : qu'en premier lieu elles soient ponctuelles à accomplir les obligations de leurs voeux et toutes les vertus qu'ils renferment. Ensuite elles peuvent donner lieu aux oeuvres volontaires qu'on appelle de surérogation. Il s'en trouve plusieurs qui, trompées du démon, renversent cet ordre par un zèle indiscret et contraire à la perfection, parce que, manquant (en matière considérable) aux choses essentielles de leur état, elles veulent ajouter d'autres occupations volontaires, qui sont ordinairement inutiles et inspirées de l'esprit de présomption et de singularité, prétendant en cela d'être distinguées d'entre toutes les autres, comme les plus ferventes et les plus parfaites ,lorsqu'elles sont fort éloignées des principes de la perfection. Je ne veux point, ma fille, que vous tombiez dans une si lourde faute; au contraire, je veux que vous vous acquittiez en premier lieu de toutes les obligations de vos voeux et de la vie commune, et que vous ajoutiez ensuite ce que vous pourrez avec la grâce de Dieu et selon vos forces, parce que l'âme s'embellit , 98 se perfectionne et se rend agréable aux yeux de son Créateur en observant cet ordre. 449. Le veau d'obéissance est le plus grand de la religion, parce qu'il renferme un renoncement entier à la propre volonté; de sorte que la religieuse n'a aucune juridiction ni aucun droit sur elle-même, elle né peut plus dire je veux , ou je ne veux pas, je ferai, ou je ne ferai pas; elle a renoncé à tout cela par l'obéissance et en se soumettant à son supérieur. Si vous le voulez accomplir, il ne faut pas que vous fassiez la sage envers vous-même , ni que vous vous imaginiez d'être maîtresse de vos inclinations, de votre volonté ni de vos sentiments, parce que la véritable obéissance doit être semblable à la foi; elle doit estimer, respecter et croire ce que le supérieur commande, sans prétendre de l'examiner ni de le comprendre. Ainsi, pour obéir avec perfection et avec mérite, vous vous devez croire sans raison et sans vie, et vous considérer comme un corps mort, qui se laisse remuer et gouverner comme l'on veut: que si dans cette mort il vous reste quelque mouvement, vous ne le devez employer que pour exécuter avec plus de diligence tout ce que le supérieur vous ordonnera. Ne vous proposez jamais ce que vous aurez à faire; pensez seulement comment vous vous acquitterez de ce que l'on vous commandera. Sacrifiez votre propre volonté , étouffez tous vos appétits et toutes vos passions; et après que vous vous trouverez morte à vos propres mouvements par cette résolution efficace que vous en aurez formée , faites que l'obéissance soit 99 l'âme et la vie de toutes vos couvres. On doit trouver toutes vos pensées, toutes vos paroles, toutes vos actions et votre volonté dans celle de votre supérieur; demandez qu'on vous ôte eu toutes choses votre être propre, et qu'on vous en donne un autre tout nouveau; tâchez de n'avoir rien à vous, et que tout soit de l'obéissance sans aucune contradiction ni résistance. 450. Remarquez que la manière la plus parfaite d'obéir est celle qui ne donne aucun lieu au supérieur de reconnaître la moindre inquiétude qui lui puisse déplaire, parce qu'on lui doit obéir avec complaisance et avec promptitude, sans répliquer ni murmurer; niais su' contraire on doit lui donner des marques agréables que l'on fait avec plaisir tout ce qu'il ordonne. Les supérieurs tiennent la place de Dieu, et en leur obéissant on obéit au Seigneur, qui est en eux, qui les gouverne, et qui les éclaire en ce qu'ils commandent à leurs inférieurs, pour le bien de leurs âmes et pour leur salut; et le mépris que l'on fait des supérieurs s'adresse à Dieu, qui par eux et en eux vous manifeste sa volonté (1); il faut que vous soyez bien persuadée que Dieu fait parler votre supérieur, ou qu'il parle par sa bouche. Tâchez donc, ma fille, de devenir obéissante, afin que vous puissiez chanter des victoires (2). Ne craignez point en obéissant, parce que c'est le chemin assuré; et il l'est si fort, que Dieu ne grave point dans sa mémoire les (1) Luc., X, 16. - (2) Prov., XXI, 28. 100 fautes des obéissants pour les leur imputer au jour du jugement, pardonnant même avec facilité les autres manquements à cause du sacrifice de l'obéissance. Mon très- saint Fils offrit avec une particulière affection sa très-précieuse mort et passion au Père éternel pour les obéissants, afin qu'ils fussent privilégiés dans le pardon et dans la grâce, et afin qu'ils n'errassent point et qu'ils se perfectionnassent dans tout ce qu'ils opèreraient en obéissant; et maintenant il représente plusieurs fois au Père, pour l'apaiser envers les hommes, qu'il a été obéissant pour eux jusqu'à la mort de la croix (1), ce qui apaise sa divine Majesté. Enfin le Seigneur agréa si fort l'obéissance d'Abraham et de son fils Isaac, qu'il ne se contenta pas seulement d'empêcher qu'un fils qui s'était montré si obéissant mourût, mais il en voulut faire encore l'ancêtre du Verbe incarné, et le choisit entre tous les autres pour être le chef et le fondement de tant de bénédictions (2). 451. Le voeu de pauvreté est une généreuse dé. charge du pesant fardeau des choses temporelles: c'est un repos d'esprit, un soulagement de la faiblesse humaine, et une sainte liberté de la noblesse d'un coeur capable des biens éternels et spirituels C'est une satisfaction et un assouvissement dans lesquels l'appétit altéré des trésors terrestres s'apaise; c'est une possession et un usage très-noble de toutes ces richesses. Tout cela, ma fille, et d'autres plus (1) Phil., II, 8. - (2) Gen., XXII, 16. 101 grands biens se trouvent renfermés dans la pauvreté volontaire; et si la plupart des hommes ne les estiment pas, c'est parce que les enfants du siècle, les amateurs des richesses périssables et les ennemis de la riche et sainte pauvreté en sont privés et n'ont pas le bonheur de les connaître. Ils ne prennent pas garde combien le poids des richesses est insupportable, quoiqu'ils l'endurent et qu'ils en soient même abattus jusqu'aux entrailles de la terre, pour y chercher avec tant de soins, de sueurs et de peines, cet or et cet argent qui leur font perdre la raison et les rendent semblables aux bêtes brutes, qui ignorent ce qu'elles font et ce qu'elles souffrent. Que si les richesses coûtent tant pour les acquérir, combien ne coûteront-elles pas pour les conserver ! Que ceux qui sont tombés dans les enfers avec cette malheureuse charge le disent; que les cruelles alarmes qu'on a de les perdre le déclarent, et que les lois intolérables que les richesses et ceux qui les possèdent ont introduites au monde, en fassent une foi publique. 452. Si toutes ces apparences trompeuses accablent l'esprit, oppriment tyranniquement sa faiblesse et déshonorent la très-noble capacité qu'a l'âme pour les biens éternels et pour Dieu, il n'y a point de doute que la pauvreté volontaire ne remette la créature dans sa généreuse condition, ne la délivre de sa servitude honteuse, et ne la mette en possession de cette noble liberté dans laquelle elle fut créée pour être maîtresse de toutes choses. Elle ne les possède jamais mieux que par le mépris qu'elle en fait; quand 102 elle les distribue ou qu'elle les abandonne volontairement, elle en fait un plus excellent usage; et quand elle se plait dans la privation des richesses, elle apaise le désir insatiable de l'appétit, et surtout en ayant le cœur débarrassé, elle le tient tout .disposé à recevoir les trésors de la Divinité, pour lesquels il a été créé avec une capacité presque infinie. 453. Je souhaite, ma fille, que vous étudiiez beaucoup en cette science divine, que le monde affecte si fort d'ignorer, et non-seulement le monde, mais aussi plusieurs âmes religieuses qui ont promis à Dieu de la pratiquer, et qui s'attirent par leur manquement de parole une grande indignation du Seigneur. Les transgresseurs de ce voeu ne prennent pas garde au châtiment très-rigoureux qu'ils reçoivent sur-le- champ; car en bannissant la pauvreté volontaire, ils éloignent incontinent d'eux- mêmes l'esprit de mon très-saint Fils Jésus-Christ, et celui que nous sommes venus enseigner aux hommes en pratiquant la plus étroite pauvreté. Et quoiqu'ils ne le ressentent pas maintenant, parce que le juste Juge dissimule pendent qu'ils jouissent de l'abondance qu'ils désirent, ils se trouveront néanmoins confus et désabusés dans le jugement qui les attend, auquel ils expérimenteront des rigueurs qu'ils ne croyaient point rencontrer en la justice divine. 454. Dieu créa les biens temporels afin qu'ils servissent aux hommes pour entretenir seulement leur vie; étant donc arrivés à cette fin, la cause de la nécessité cesse; cette vie est fort limitée, elle s'achève 103 en très-peu de temps et se contente de peu; et l'âme subsistant, parce qu'elle est éternelle, il n'est pas juste que les soins qui la regardent soient temporels et comme, en passant, et que les soucis que les hommes prennent pour acquérir les richesses soient éternels. C'est une grande perversité d'avoir renversé les fins et les moyens dans une affaire si importante; il faut bien que l'homme soit ignorant pour donner tous ses soins, toutes ses peines, toutes ses pensées et tout le temps à la vie passagère et incertaine du corps, et de ne vouloir donner qu'avec peine une heure à sa pauvre âme durant plusieurs années de vie, et bien souvent la dernière et la pire de toutes. 455. Profitez donc, ma très-chère fille, de la véritable lumière et de l'avis charitable que le Seigneur vous a donné pour vous empêcher de tomber dans une faute si dangereuse. Renoncez à l'affection des choses terrestres; et bien. qu'il vous semble qu'il y ait quelque nécessité dans votre monastère, ne vous employez point, sous prétexte de pauvreté, à lui procurer avec trop d'empressement les choses nécessaires à l'entretien de la vie; et y ayant porté tous les soins modérés que vous devez, gardez-vous bien de vous troubler quand les choses que vous souhaitez vous manqueraient, ni de les désirer avec passion, quoique vous les crussiez même nécessaires pour le service de Dieu, puisque l'amour que vous lui portez diminue à mesure que vous prétendez d'aimer quelque autre chose avec lui. Vous devez regarder le trop comme superflu et inutile, et y renoncer comme à un crime; 104 le peu se doit aussi estimer peu, parce que ce serait un très-grand défaut d'embarrasser le coeur de ce qui ne vaut rien et qui détourne beaucoup. Si vous obtenez ce que vous croyez vous être nécessaire, vous n'êtes pas véritablement pauvre, parce que le propre de la pauvreté est de manquer de quelque chose dans le besoin; on appelle seulement riche celui à qui rien ne manque, parce que le superflu inquiète plutôt qu'il n'accommode, et n'est qu'une pure affliction d'esprit; et le désirer ou le garder sans le mettre en usage, c'est une pauvreté sans quiétude et sans repos. 456. Je veux que vous ayez cette liberté d'esprit de ne vous attacher à aucune chose, grande ou petite, superflue ou nécessaire; et pour ce qui est de ce dont vous aurez besoin pour votre entretien, vous n'en devez recevoir que ce qu'il vous faut précisément pour vous empêcher de mourir et d'être dans un état indécent, vous servant toujours des étoffes les plus pauvres, des habits les plus rapiécés pour votre habillement, et des choses les plus communes pour votre nourriture, sans tomber dans des délicatesses fantasques, vous contentant même de ce qui est le moins conforme à votre goût, sans demander autre chose, afin que, vous puissiez par ce moyen mortifier vos désirs, réprimer vos appétits, et pratiquer ce qu'il y a de plus parfait en toutes choses. 457. Le voeu de chasteté renferme la pureté de l'âme et du corps : il est facile de la perdre, et difficile ou même impossible de la réparer, selon les manières dont on la perd. Ce grand trésor est mis en 105 dépôt dans un château qui a un grand nombre de portes et de fenêtres; que si elles ne sont ni bien gardées; ni bien défendues, il n'est pas en sûreté. Ma fille, pour garder ce voeu avec perfection, il est nécessaire que vous fassiez un pacte inviolable avec vos sens, de ne vous en servir que pour ce qui sera ordonné par la raison et pour la gloire du Créateur. Les sens étant morts, il est facile de remporter la victoire sur les ennemis qui ne peuvent vous vaincre que parleur secours; parce que les pensées ne reviennent point et ne sauraient être suscitées, si les images des choses visibles qui les fomentent n'entrent par les sens extérieurs. Vous ne devez point toucher ni regarder aucune créature humaine, de quelque sexe qu'elle soit, ni même discourir avec personne, et il faut bien prendre garde que leur souvenir n'occupe votre imagination. La conservation de cette pureté que je demande de vous dépend de cette précaution, que je vous recommande beaucoup : que si la charité ou l'obéissance vous obligent de parler (ne le devant faire que par ces deux principes), ce doit être avec toute sorte de gravité, de modestie et de circonspection. 458. Vivez avec vous-même comme n'étant point du monde, pauvre, mortifiée, affligée, et aimant les amertumes de la vie sans en désirer le repos ni les douceurs; vous considérant comme dans un pays étranger, auquel on vous a conduite pour travailler et pour combattre contre de forts ennemis. Et, parce que la chair est le plus formidable de tous, vous devez faire 106 votre possible pour résister à vos passions naturelles et aux tentations du démon. Élevez-vous au-dessus de vous-même, cherchez une habitation fort élevée, qui ne tienne point de la terre, afin que vous viviez sous l'ombre de Celui que vous désirez (1), et que, sous sa protection, vous jouissiez d'une véritable tranquillité. Abandonnez-vous entièrement à son chaste et saint amour, sans croire qu'il y ait d'autres créatures que celles qui vous aident et vous obligent d'aimer et de servir votre Seigneur, puisqu'elles vous doivent être en horreur pour tout le reste. 459. Quoique toutes les vertus se doivent trouver en celle qui s'appelle épouse de Jésus-Christ, et qui ; en fait profession, la chasteté néanmoins est celle qui la proportionne davantage à son Époux : parce qu'en l'éloignant de la corruption terrestre elle la rend spirituelle, l'élève à un être angélique, et même à une certaine participation de Dieu. C'est une vertu qui embellit toutes les autres, qui élève le corps à un état supérieur, illumine l'entendement et conserve les âmes en leur noblesse, et qui est au-dessus de tout ce qui est corruptible. Et parce que cette vertu fut un fruit spécial de la rédemption, et méritée par mon très-saint, Fils mourant sur la croix, où il ôta les péchés du monde, c'est singulièrement pour cela qu'il est dit que les vierges accompagnent l'Agneau (2). 460. Le veau de clôture est le mur de la chasteté et de toutes les vertus, le chaton où elles se conservent (1) Cant., II, 3. - (2) Apoc., XIV, 4. 107 et reluisent;. c'est aussi un privilège du Ciel pour exempter les religieuses épouses de Jésus-Christ des pesants et dangereux tributs que la liberté du monde paie su prince de ses vanités. Par le moyen de ce voeu, les religieuses vivent dans un port assuré, pendant que les autres âmes sont agitées, et bien souvent submergées dans la tourmente des occasions périlleuses. La clôture ne doit pas être un lieu fort borné, puisqu'il s'y trouve de si grands avantages, et puisque les religieuses y peuvent jouir des champs spacieux. des vertus et de la connaissance de Dieu, de ses perfections infinies et de ses grands mystères, et des oeuvres admirables qu'il a faites et qu'il opère tous les jours pour les hommes. On se peut et l'on se doit étendre et récréer dans ces vastes champs; que, si on ne le fait pas, la plus grande liberté paraîtra une étroite prison. Je veux, ma fille, que l'étendue de vos pensées et de vos désirs aille au delà des limites du monde. Montez aux hauteurs de la connaissance de Dieu et de son amour, où vous puissiez vivre dans une spacieuse liberté, sans qu'aucune chose vous borne et vous connaîtrez de là combien toute la terre est étroite, basse et méprisable, pour y renfermer votre âme. 461. Ajoutez à cette clôture du corps à laquelle vous vous êtes obligée, celle de vos sens, afin que vous défendiez et conserviez, comme par autant de forts, votre pureté, et en elle le feu du sanctuaire, que vous devez toujours entretenir et empêcher de s'éteindre (1). (1) Levit., VI, 12. 108 Et, afin de garder vos sens et de profiter de la clôture, n'abordez jamais la porte, ni la grille, ni les fenêtres, et ne vous souvenez pas même qu'il y en ait dans le monastère, si ce n'est que votre charge ou l'obéissance vous y oblige. Ne désirez point ce qu'il ne vous est pas permis de posséder, et ne vous empressez nullement pour ce que vous ne devez pas désirer : vous trouverez le bien et la paix, de môme que mes complaisances, dans votre retraite et dans cette circonspection; et si vous profitez de mes avis, vous mériterez le riche fruit et le prix inestimable de l'amour et de la grâce que vous souhaitez. CHAPITRE IV. De la perfection avec laquelle la très-sainte Vierge observait les cérémonies du Temple, et ce qu'on lui ordonna dans ce saint lieu. 462. Retournant à notre divine histoire, je dirai qu'après que la très-sainte fille eut consacré le Temple par sa présence et par sa demeure, elle s'adonna à la pratique de toutes les perfections, et à mesure qu'elle croissait en âge, elle croissait aussi en sagesse et en grâce devant Dieu et devant les hommes. Les connaissances 109 que j'ai reçues de ce que la main toute-puissante opérait en la Princesse du ciel dans ses premières années, me jettent comme sur le rivage d'une mer immense et sans borne, où je me trouve dans une si grande admiration, que je ne saurais déterminer par quel endroit je commencerai d'entrer dans un si vaste océan, pour en pouvoir sortir heureusement, car il n'est pas possible que je n'omette beaucoup de ce que j'en connais, et il est très-difficile de bien exprimer ce que j'en dois écrire. Je dirai pourtant ce que le Seigneur m'en a déclaré dans une occasion, me parlant en cette manière 463. " Les oeuvres que pratiqua dans le Temple celle qui devait être Mère du Verbe incarné, furent toutes dans une très-grande perfection, et dans un si haut degré de sainteté, que toutes les créatures humaines et angéliques ne peuvent ni les concevoir ni les imiter. Ses actes des vertus intérieures furent si multipliés et si relevés en mérite et en ferveur qu'ils surpassèrent tous ceux des séraphins; et vous en connaîtrez, ma fille, beaucoup plus que vous n'en pourrez exprimer par vos paroles. C'est ma volonté que vous mettiez la très-pure Marie pour le principe de votre joie durant tout le temps de votre vie mortelle, et que vous la suiviez dans le désert du renoncement de tout ce qui est humain et visible. Suivez-la par une parfaite imitation autant que vos forces et la lumière que vous recevez vous le permettront; elle sera votre guide et e votre maîtresse qui vous manifestera ma volonté, et 110 vous trouverez en elle ma très-sainte loi, écrite par a la puissance de mon bras, en laquelle vous méditerez jour et nuit. Elle frappera par son intercession la pierre de l'humanité de Jésus-Christ, afin que dans ce désert, les eaux de la divine grâce et de la lumière céleste rejaillissent sur vous (1), et que par elles votre soif soit étanchée, votre entendement éclairé, et votre volonté enflammée. Elle sera une colonne de feu qui vous éclairera (2), et un nuage qui vous rafraîchira par sa protection, et Vous mettra à l'abri des ardeurs des passions et des insultes de vos ennemis. Vous trouverez en elle un ange qui vous conduira et vous éloignera des dangers de la Babylone et de la Sodome du monde (3), afin que vous ne soyez point comprise a dans mes punitions. Vous rencontrerez en elle une mère qui vous aimera, une amie qui vous consolera, a une maîtresse qui vous commandera, une protectrice qui vous défendra, et une Reine à qui vous devez vos hommages et vos obéissances en qualité de sa servante. Vous trouverez dans les vertus que pratiqua dans le Temple cette Mère de mon Fils unique, un modèle universel de toutes les perfections, avec lequel vous pourrez régler votre vie; un a miroir sans tache dans lequel la vive image du Verbe incarné est représentée. Vous découvrirez en a cette image une juste et fidèle copie de toute la sainteté, la beauté de la virginité, les attraits de (1) Num., X, 11. - (2) Exod., XIII, 21. - (9) Id., XXIII, 20. 111 l'humilité, l'activité de la dévotion et de l'obéissance, la fermeté de la foi, la certitude de l'espérance, l'ardeur de la charité, et un raccourci de toutes les merveilles de ma puissance, auquel vous a devez conformer votre vie; et je veux que vous vous serviez de ce miroir pour la régler et pour vous orner, y augmentant vos beautés et vos grâces, comme une épouse qui désire d'entrer dans le lit nuptial de son Époux et de son Seigneur. 464." Que si la noblesse et les belles qualités du maître excitent le disciple, et lui rendent sa doctrine plus aimable, qui peut vous attirer avec une plus grande force, si ce n'est cette même Mai tresse, qui est Mère de votre Époux, et élue pour être la plus pure, la plus sainte, étant exempte de la tache du péché, pour être vierge, aussi bien que la Mère du Fils unique du Père éternel, et la splendeur de sa divinité en la même substance? Écoutez donc votre souveraine Maîtresse, suivez- la en l'imitant, et faites votre continuelle méditation de ses excellences et de ses vertus admirables. Et a sachez que la vie qu'elle a menée dans le Temple et tout ce qu'elle y a pratiqué, a été le modèle sur a lequel toutes les âmes qui à son exemple se sont consacrées pour épouses de Jésus-Christ, doivent se mouler. " Voilà l'intelligence et l'instruction que le Seigneur me donna en général; touchant les actions de la très-sainte Vierge pendant le temps qu'elle fut dans le Temple. 465. Mais pour descendre dans le détail de ses 112 occupations, il faut savoir qu'après cette vision de la Divinité dont j'ai parlé au chapitre second, après que Marie se fut offerte entièrement au Seigneur, ayant remis à sa maîtresse tout ce qu'elle avait, afin de se trouver comme elle souhaitait, dans un plus parfait dénûment, et s'étant abandonnée à une aveugle obéissance, couvrant par le voile de ses vertus les trésors de sagesse et de grâce, en quoi elle surpassait les plus hauts séraphins; dans ces dispositions elle demanda très- humblement aux prêtres et à sa maîtresse de lui prescrire tout ce qu'elle aurait à faire. Sur quoi, assistés d'une lumière particulière, ils conférèrent ensemble, et ayant délibéré de proportionner les exercices de la divine Marie à la tendresse de son âge, le souverain prêtre et sa maîtresse la firent venir en leur présence. La Princesse du ciel y étant arrivée se mit à genoux. pour les écouter, et, bien qu'on lui commandât de se lever, elle demanda avec une grande modestie la permission de demeurer en cette situation devant le ministre du Seigneur et devant sa maîtresse , à cause de leur office et de leur dignité. 466. Le prêtre lui parla et lui dit ; " Ma fille, le Seigneur vous a conduite fort jeune dans son saint Temple, reconnaissez cette faveur et tâchez d'en faire votre profit en le servant avec vérité et avec toute l'étendue de votre coeur, et en vous adonnant à la pratique de toutes les vertus, afin que vous sortiez de ce lieu sacré munie de toutes les forces qui sont nécessaires pour supporter les travaux 113 vaux du monde et pour vous défendre de ses écueils. Obéissez à votre maîtresse Anne, commentez à porter de bonne heure le doux joug de la vertu, afin que vous le trouviez plus aisé le reste de votre vie (1). " A quoi la très-sainte fille répondit : " Monseigneur, comme prêtre et ministre du Très-Haut, dont vous tenez la place, et vous, ma maîtresse, vous me commanderez et m'enseignerez ce que je dois faire, afin que je ne sois point trompée. Ainsi je vous supplie de me rendre ce bon office, vous protestant que je n'ai point d'autre désir que d'obéir en tout à votre volonté. " 467. Le souverain prêtre et la maîtresse Anne ressentaient de pieux sentiments qui leur inspiraient de prendre un soin particulier de cette divine fille, et de la préférer à toutes les autres vierges : et ayant conféré sur la grande estime qu'ils en faisaient, ignorant le mystère caché de cette vertu surnaturelle qui les mouvait intérieurement, ils déterminèrent de l'assister et de s'attacher à sa conduite avec des attentions singulières. Mais, comme toutes ces précautions ne pouvaient point passer au delà des actions extérieures, ils ne purent point aussi lui prescrire les actes intérieurs et les affections de son coeur, dont le Seigneur se réservait tout le soin, prétendant le favoriser et le conduire par des grâces distinguées: ainsi ce coeur candide de la Princesse du ciel se trouvait en liberté de croître et de s'avancer dans les vertus intérieures, sans qu'il (1) Thren., III, 27. 414 y eût aucun instant auquel il n'opérât ce qu'il y avait de plus parfait et de plus excellent dans ces mêmes vertus. 468. Le souverain prêtre régla ses occupations, et lui dit ; " Ma fille, vous assisterez avec beaucoup de révérence et de dévotion aux cantiques du Seigneur, et vous prierez le Très-Haut pour les nécessités de son saint Temple et de son peuple , et pour la venue du Messie. Vous vous retirerez à huit heures du soir pour vous reposer, et vous vous lèverez au point du jour pour prier et bénir le Seigneur jusqu'à tierce (qui était ce que nous appelons maintenant les neuf heures du matin); depuis tierce jusqu'au soir vous vous occuperez à quelque travail manuel, afin que vous soyez instruite à tout ce qui regarde votre état. Observez une discrète sobriété dans le repas, que vous prendrez après le travail. Ensuite vous irez recevoir les instructions de votre maîtresse; vous emploierez le reste de la journée à lire les saintes Écritures; et vous serez en toutes choses humble, affable et fort obéissante à tout ce que votre maîtresse vous commandera. " 469. La très-sainte fille écouta le discours du pontife à genoux ; et après lui avoir demandé sa bénédiction et . baisé la main, aussi bien qu'à sa maîtresse, elle proposa dans son cœur d'observer, durant tout le temps qu'elle demeurerait au Temple, l'ordre de vie qu'on lui prescrivait, pourvu que dans la suite ses supérieurs ne changeassent point de sentiment. Cette Maîtresse de la sainteté et de la vertu accomplit tout ce qu'elle avait proposé 115 avec la même soumission que si elle eût été la moindre de toutes les disciples. Ses affections et son amour très-ardent s'étendaient sur beaucoup d'autres oeuvres extérieures qu'on ne lui avait point ordonnées, mais elle voulut se soumettre entièrement au ministre du Seigneur, et préférer le sacrifice de la parfaite et sainte obéissance à ses ferveurs et à ses propres sentiments, connaissant fort bien, comme Maîtresse de toute perfection, qu'on était beaucoup plus assuré d'accomplir la volonté de Dieu en obéissant aveuglément qu'en suivant les plus hauts désirs de réduire en pratique les autres vertus. Par un exemple si rare, nous devons être tous persuadés, et singulièrement les religieuses, de ne point écouter nos petites ferveurs ni nos propres sentiments au préjudice de l'obéissance et sans la volonté de nos supérieurs, puisque Dieu nous découvre par eux son bon plaisir; au lieu qu'en nos propres désirs nous ne cherchons qu'à satisfaire nos caprices ; c'est Dieu qui opère en nos supérieurs; mais en nous-mêmes (si nous ne leur déférons pas) ce sont les tentations, les passions aveugles et les illusions qui agissent. 470. Notre Reine se signala lorsque, outre ce qu'on lui avait ordonné de faire, elle demanda la permission à sa maîtresse de servir toutes les autres vierges, et de s'employer aux exercices les plus humbles, comme de balayer et de laver la vaisselle. Bien que ceci semble surprenant, parce qu'elle était du nombre des aînées (qu'on traitait avec beaucoup de distinction et de respect), l'humilité sans exemple de cette divine Princesse 116 ne pouvait pas néanmoins se contenir dans les bornes de la majesté sans la faire descendre à toutes les pratiques les plus basses : ainsi elle les faisait avec tant d'ardeur, qu'elle prévenait le temps et l'occasion d'exercer ce que les autres étaient obligées de faire, afin d'être la première en toutes les fatigues. Elle approfondissait par la science infuse tous les mystères et toutes les cérémonies du Temple; elle les apprit pourtant, comme si elle les eût ignorées, par une discipline religieuse et par une pratique fort exacte, sans jamais manquer à la moindre chose. Elle était très- industrieuse à trouver les moyens d'être inséparable des abaissements et des mépris; elle demandait chaque jour, et le matin et le soir, la bénédiction à sa maîtresse, et lui baisait ensuite la main, faisant la même chose toutes les fois qu'elle lui commandait quelque acte d'humilité ou qu'elle lui donnait la permission de le pratiquer; et bien souvent elle lui baisait les pieds avec un profond respect, ce qu'elle n'obtenait qu'avec beaucoup de peine. 471. Notre divine Princesse était si docile,, si agréable et si douce en ses manières; si obligeante, si soumise et si prompte à s'humilier, à servir et à respecter ses compagnes, qu'elle leur gagnait le coeur; elle leur obéissait aussi, comme si chacune eût été sa maîtresse. Elle réglait, par cette ineffable et céleste prudence qu'elle avait, toutes ses actions en telle sorte, qu'elle ne laissait échapper aucune occasion d'exercer les choses les plus pénibles et les plus humbles; de servir les autres filles, et de faire ce 117 qu'elle croyait être le plus agréable à la volonté de Dieu. 472. Que dirai-je, chétive créature que je suis, après cet exemple animé d'une si rare humilité? Que diront les fidèles enfants de l'Église catholique, s'ils le lisent et s'ils lui donnent toutes leurs attentions? Il nous semble que c'est une grande vertu que - l'inférieur obéisse au supérieur, et le moindre au plus grand; que c'est une profonde humilité que les égaux veuillent obéir à leurs égaux; mais que l'inférieur commande, et que le supérieur obéisse, que la Reine se soumette à sa servante, la très-sainte et la parfaite créature à un chétif ver, la Maîtresse du ciel et de la terre à une très-basse femme, et le tout avec tant d'affection et de sincérité! qui ne sera ravi en admiration et confondu dans l'aveuglement de son orgueil? Qui se regardera dans un miroir si clair sans s'apercevoir de sa malheureuse présomption? Qui pourra se flatter d'avoir connu la véritable humilité, et encore moins de l'avoir pratiquée, s'il la reconnaît et la regarde en la très-pure Marie comme dans son propre centre? Venons, venons à cette lumière, nous qui vivons sous l'obéissance que nous avons promise pour connaître et pour corriger nos désordres, lorsque les commandements de nos supérieurs, qui représentent Dieu, nous sont fâcheux et rudes, s'ils choquent en la moindre chose nos bizarreries. Que notre dureté se brise ici; que les plus élevés dans leur propre estime s'humilient, et que la vaine présomption de celle qui croit avoir été obéissante et humble pour 118 avoir obéi quelquefois à ses supérieurs, s'évanouisse et se confonde, puisqu'elle n'a pas encore cru être inférieure à toutes et n'être égale à personne, comme le croyait Celle qui était Maîtresse de l'univers. 473. La beauté, la bonne grâce et les façons agréables de notre Reine étaient inconcevables : parce que, outre qu'elle possédait toutes les grâces et tous les dons naturels de l'âme et du corps, ces avantages, étant accompagnés de la grâce surnaturelle et divine, qui les rehaussait, faisaient un merveilleux assemblage, tant en sa personne qu'en toutes ses actions, par lequel elle ravissait les esprits et s'acquérait l'affection et les coeurs de tous ceux qui avaient le bonheur de la voir et de la fréquenter; la divine Providence modérait pourtant les marques qu'ils n'auraient pas pu s'empêcher de donner, s'ils se fussent laissé emporter à la violence de l'amour et de l'estime qu'ils avaient pour cette aimable Reine. Elle était très- parfaite, soit qu'elle prît ses repas, soit qu'elle prît son repos, comme dans toutes les autres actions : la tempérance lui servait de règle; jamais elle n'excédait, elle ne pouvait pas aussi tomber dans le superflu , au contraire, elle retranchait quelque chose du nécessaire. Et, bien que le peu de sommeil qu'elle prenait ne la détournât aucunement de la très haute contemplation (comme j'ai déjà dit), elle y aurait renoncé s'il eût dépendu de sa volonté; mais, en vertu de l'obéissance, elle se retirait au temps qu'on lui avait marqué, et jouissait dans son pauvre petit lit florissant 119 de ses vertus (1), en présence des séraphins et des anges qui la gardaient, de plus hautes connaissances (excepté la vision béatifique) et d'un plus ardent amour que ceux. dont tous ces esprits célestes étaient capables. 474. Elle ménageait le temps avec une discrétion admirable, pour donner à chacune de ses actions celui qui lui était convenable. Elle en employait beaucoup à lire les saintes Écritures, dont elle avait une entière connaissance, et pénétrait si profondément ses mystères par le don de la science infuse, qu'il n'y en eut aucun qui ne lui fût découvert, le Seigneur ayant bien voulu lui faire part de tous ses secrets, qui faisaient le sujet des conférences qu'elle avait avec ses anges, dans lesquelles elle leur: proposait beaucoup de choses d'une manière très-profonde, et avec une subtilité inconcevable. Que si cette divine Maîtresse eût écrit les connaissances qu'elle en avait, nous aurions beaucoup d'autres écritures saintes; et il n'y aurait aucun sens ni aucun mystère dans celles que l'Église a présentement dont nous n'eussions une parfaite intelligence. Mais elle se servait de toute cette plénitude de science pour le culte divin, pour la louange et pour l'amour du Seigneur; elle la réduisait toute à cette fin sans qu'il y eût un rayon de lumière oisif et stérile. Elle était très-prompte dans ses réparties, très-profonde dans ses conceptions, très-relevée et très-noble dans ses pensées, très-prudente dans ses élections et dans (1) cant., I, 15. 120 ses décisions, très-efficace et très-douce dans ses oeuvres ; enfin elle était en toutes choses une règle très-parfaite et un objet prodigieux d'admiration pour les hommes, pour les anges, et en quelque manière pour Dieu même, qui l'a faite entièrement selon son cœur et selon ses plus grandes complaisances. Instruction de la Reine du ciel. 475. Ma fille, la nature humaine est imparfaite, lâche dans la pratique de la vertu , et fragile à tomber dans le péché, parce qu'elle a beaucoup de penchant pour le plaisir et de répugnance pour la peine. Lorsque l'âme écoute les inclinations de la partie animale, qu'elle s'arrête avec elles et donne le moindre jour à cette servante de s'insinuer, celle-ci prend un certain ascendant qui la rend supérieure aux forces de la raison et de l'esprit , et le réduit ensuite à une basse et dangereuse servitude. Ce désordre de la nature est détestable et tyrannique en toutes les âmes; mais Dieu le regarde sans comparaison avec bien plus d'horreur en ses ministres et en ses religieux , qui, étant dans une obligation plus étroite d'être parfaits, rendent par là plus grand le dommage qui résulte de ne pas sortir toujours victorieux de cette dispute des 121 passions. Cette tiédeur qu'ils ont à résister, et là facilité avec laquelle ils se laissent vaincre, leur ayant ôté le courage et perverti le jugement, ils tombent dans une vaine satisfaction d'eux-mêmes, et se croient fort assurés en pratiquant quelque faible apparence de vertu : il leur semble même (dans l'erreur où ils sont) qu'ils font marcher les montagnes, et cependant ils ne font rien qui vaille. Le démon, profitant de ce désordre, leur suscite d'autres distractions et de nouvelles tentations ; par le peu d'estime qu'ils font des lois et des cérémonies communes de la religion, ils les transgressent presque toutes, et croyant que chacune en particulier est une bagatelle , ils viennent insensiblement à perdre la connaissance de la vertu et à vivre dans une fausse sécurité. 476. Mais pour vous, ma fille, je veux que vous évitiez une tromperie si dangereuse et que vous soyez persuadée qu'une négligence sur une imperfection dispose à une autre; que celles-ci ouvrent le chemin aux péchés véniels, et les véniels aux mortels, et que l'on va d'abîme en abîme dans le précipice et dans le mépris de toute sorte de mal. Pour éviter ce malheur, il faut couper la racine de bonne heure à ces méchantes ronces, parce qu'une chose qui parait petite est un contre-mur qui éloigne l'ennemi, et les préceptes des plus grandes oeuvres d'obligation sont les plus proches défenses de la conscience; que si le démon se rend maître de la première, il est bien proche de gagner la seconde; et s'il fait brèche à celle-ci par quelque péché, quoiqu'il ne soit pas des plus grands, 122 il a déjà un moyen plus aisé d'aller ravager tout l'intérieur de l'âme; de manière que se trouvant affaiblie par les actes et par les habitudes du vice, sans aucun secours de la grâce, elle ne saurait résister au démon qui l'attaque avec tant de violence, et qui l'assujettit ensuite sans rencontrer aucune opposition. 477. Considérez donc maintenant, ma très-chère fille, quelle doit être votre vigilance parmi tant de dangers, et votre obligation à vous tenir sur vos gardes pour les éviter. Faites réflexion que vous êtes religieuse, épouse de Jésus-Christ., supérieure instruite, éclairée et remplie de tant de faveurs singulières; mesurez, par ces titres et par beaucoup d'autres que vous devez fort estimer, tous vos soins, puisque vous devez à chacun le retour, et à votre Seigneur la correspondance. Tâchez d'être ponctuelle à tout ce qui regarde la religion, et de n'y trouver rien de petit; ne méprisez aucune de ses lois ou coutumes, ne les oubliez point, observez- les toutes dans la dernière rigueur, parce que tout ce qui se fait pour plaire à Dieu est précieux à ses yeux. C'est une de ses complaisances que de voir accomplir ce qu'il commande, et quand on le méprise, c'est pour lui un sujet de courroux. Considérez en toutes choses que vous avez un Époux à qui vous devez plaire, un Dieu que vous devez servir, un Père à qui vous devez obéir, un Juge que vous devez craindre, et une Maîtresse que vous devez imiter et suivre. 478. Pour remplir tous ces devoirs, il faut que vous renouveliez en vous une résolution forte et efficace 423 de résister à vos inclinations, de ne vous laisser point abattre à votre lâcheté naturelle, et de n'omettre aucune cérémonie de votre religion, quand elle serait même de baiser la terre, quelque répugnance que vous y ayez. Pratiquez, ma fille, tout ce qu'il y a de grand et apparemment de petit dans votre état avec ferveur et avec constance, et vous vous rendrez agréable aux yeux de mon Fils et aux miens. Demandez conseil à votre confesseur et à votre supérieur dans les couvres de surérogation, ayant auparavant prié Dieu dé les éclairer; soyez dépouillée de toute sorte d'attachement et d'amour-propre; gravez dans votre tueur tout ce qu'ils détermineront, et exécutez-le avec ponctualité; n'entreprenez jamais aucune chose, pour sainte qu'elle vous paraisse, sans les consulter autant qu'il vous sera possible, parce que Dieu vous découvrira toujours sa volonté par la voie de la sainte obéissance. CHAPITRE V. Du degré très-parfait des vertus de la très-sainte Vierge en général, et comme elle les pratiquait. 479. La vertu est une habitude qui orne et ennoblit la puissance raisonnable de la créature, et la 124 porte à pratiquer le bien. Elle est appelée habitude, parce qu'elle est une qualité permanente qui n'est séparée qu'avec difficulté de la puissance; elle est distinguée par là de l'acte, qui n'est que passager. Elle incline aux opérations, elle facilite leur pratique, et elle les rend bonnes, la puissance n'ayant pas d'elle-même cette propriété, parce qu'elle est indifférente pour le bien et pour le mal. La très-sainte Vierge fut ornée dès le premier instant de sa vie des habitudes de toutes les vertus dans un tres-haut degré; elles s'augmentaient continuellement par une nouvelle grâce et par ses opérations très-parfaites, dans lesquelles elle exerçait avec un très- grand mérite toutes les vertus qu'elle avait reçues de la main du Seigneur. 480. Bien que les puissances de cette divine Princesse ne fussent point déréglées, et n'eussent aucune répugnance à vaincre, comme chez les autres enfants d'Adam (n'ayant jamais été souillée du péché, ni môme de son aiguillon , qui incline au mal et résiste su bien), ces puissances réglées avaient néanmoins une capacité, afin que les habitudes des vertus les fissent pencher à ce qui était meilleur, plus parfait, plus saint et plus louable: outre qu'étant une pure et passible créature, elle était sujette à ressentir la peine, à chercher un repos licite, et à ne pas faire quelques oeuvres pour le moins de, surérogation, pouvant môme ressentir quelque penchant à les omettre sans aucun péché. Ainsi les habitudes très-parfaites des vertus lui aidèrent à vaincre cette inclination naturelle, et la Reine du ciel coopéra avec tant de ferveur et de 125 courage aux favorables impulsions de ces saintes habitudes, qu'elle n'en détourna aucun effet, se laissant emporter à cette douce violence dont elles se servaient pour la mouvoir et la purifier dans toutes ses affections. 481. L'àme de la très-sainte Vierge était, par cette belle harmonie de toutes les habitudes des vertus, si éclairée, si ennoblie et si accoutumée au bien, si facile, si prompte et si efficace à se porter à la dernière fin de la créature, et si joyeuse en pratiquant les choses les plus parfaites, que, s'il nous était possible de pénétrer par notre faible vue le plus caché et le plus sacré de son coeur, ce serait l'objet le plus beau, le plus admirable parmi toutes les créatures, et de la plus grande consolation dont on pût jouir après la vision de Dieu. Dieu était en la très-pure Marie comme en son propre centre : ainsi toutes ces vertus avaient en elle leur dernière perfection, sans qu'il y manquât la moindre chose pour l'accomplissement de leur beauté. Outre les vertus infuses qu'elle reçut, elle eut aussi les acquises, dont elle augmenta son trésor par un continuel travail. Que si l'on dit ordinairement qu'un acte ne saurait être une habitude de vertu parmi les autres âmes, parce qu'il en faut plusieurs réitérés pour l'acquérir, cet axiome n'a point de lieu en l'auguste Marie, à cause que ses œuvres furent si efficaces et si remplies de perfections, qu'il n'y en eut aucune qui ne surpassât toutes celles des autres pures créatures. Ainsi les actes de vertu de cette divine Dame ayant été si réitérés, sans qu'elle 126 perdît aucun instant de les pratiquer dans le plus haut degré de perfection , il nous faudrait inventer un autre terme que celai d'habitude, pour bien exprimer ce qu'elle acquit par ses oeuvres. La fin de l'opération, qui rend aussi l'acte vertueux (parce que cet acte doit être bon et bien fait), fut en notre auguste Reine la plus sublime de toutes les oeuvres, qui est Dieu même ; parce qu'elle ne fit aucune chose que par le mouvement de la grâce, et qu'elle ne la dirigeât à la plus grande gloire du Seigneur et à son bon plaisir, le regardant comme le motif et la dernière fin de toutes ses actions. 482. Ces deux genres de vertus infuses et acquises s'appuient sur une autre vertu, qui est appelée naturelle, parce qu'elle naît en nous avec la nature raisonnable, et son nom est syndérèse: Cette vertu est une connaissance que la lumière de la raison a des premiers principes de la vertu, et une inclination pour la même vertu; cette inclination répondant à cette lumière en notre volonté, comme serait, par exemple, de connaître qu'il faut aimer celui qui nous fait du bien, de ne point faire à autrui ce que nous ne voudrions pas qu'il fût fait à nous-mêmes, etc. Cette syndérèse, ou vertu naturelle, fut très-excellente en notre auguste Reine. Elle inférait des principes naturels avec une admirable pénétration les conséquences de tout le bien, quoiqu'il fût fort éloigné, parce qu'elle discourait avec une vivacité et avec une rectitude inconcevable. Elle se servait dans ces sortes de discours de la connaissance infuse des créatures , 127 singulièrement des plus nobles et des plus universelles, comme des cieux, du soleil, de la lune, des étoiles, et de la disposition de tous les globes et des éléments; et elle discourait en toutes choses dès le commencement jusqu'à la fin, conviant toutes ces créatures de louer leur Créateur, d'attirer l'homme après elles jusqu'à ce qu'il fuit arrivé à cette connaissance qu'il pouvait recevoir par leur moyen, et de ne le point délaisser qu'elles ne l'eussent conduit à l'Auteur de tout ce qui a l'être. 483. Les vertus infuses se partagent en deux classes. La première renferme seulement celles qui ont Dieu pour objet immédiat; c'est pourquoi on les appelle théologales, et elles sont la foi, l'espérance et la charité Toutes les autres vertus, qui ont pour objet prochain quelque bien honnête qui conduit l'âme à sa dernière fin, qui est Dieu, sont comprises dans la seconde; et on les appelle vertus morales, parce qu'elles regardent les moeurs ; quoique le nombre' en soit grand, on les réduit à quatre principales, qu'on nomme cardinales, qui sont la prudence, la justice, la force et la tempérance. Je traiterai particulièrement de toutes ces vertus et de leurs espèces dans la suite, pour déclarer, le mieux qu'il me sera possible comme elles se trouvèrent toutes dans les puissances de la très-sacrée Vierge. Je me contente de dire maintenant en général qu'elle les posséda toutes en un degré très-parfait, et qu'elle eut aussi avec elles les dons du Saint-Esprit, les fruits et les béatitudes. Dieu lui communiqua dès le premier instant 128 de sa conception toutes les grâces et les faveurs nécessaires pour rendre son âme et ses puissances très- parfaites et très-belles; sa volonté et son entendement, où les habitudes et les espèces des sciences se trouvaient, étant enrichis de cette abondance céleste. Et pour le dire en peu de mots, Dieu la remplit de toute sorte de biens et l'éleva au plus haut degré de perfection où sa toute-puissance pouvait élever une pure créature destinée pour être Mère de son Fils. Toutes ses vertus ne laissaient pourtant pas de croître : les infuses, parce qu'elle les augmentait par son mérite; et les acquises, parce qui elle les produisit et se les procura par les très- saints actes qu'elle exerçait en méritant. Instruction de la Mère de Dieu. 484. Ma fille, le Seigneur communique la lumière des vertus naturelles sans aucune distinction à toutes ses créatures raisonnables; il accorde les infuses à celles qui s'y disposent avec elles et avec leur secours , lorsqu'il les justifie, distribuant, comme auteur de la nature et de la grâce , plus ou moins ces dons, selon son équité et son bon plaisir. Il répand en celui qui reçoit le sacrement de baptême les vertus de foi, d'espérance et de charité , et beaucoup d'autres avec 129 celles-là, afin qu'il les fasse valoir, et que par leur moyen il opère le bien; ne recevant pas seulement ces vertus pour conserver par la grâce du sacrement les dons qu'il a reçus, mais aussi pour en acquérir d'autres par ses oeuvres et par ses mérites. Que si les hommes répondaient à l'amour que leur Créateur et leur Rédempteur leur témoigne en embellissant leurs âmes, et en leur facilitant par les habitudes infuses les exercices vertueux de la volonté, ils jouiraient d'un souverain bonheur; mais le peu de correspondance à tant de bienfaits inestimables les rend extrêmement malheureux, parce que la première et la plus grande victoire que le démon remporte sur eux naît de cette infidélité. 485. Je veux, ma chère fille, que vous tâchiez de vous exercer incessamment avec le secours des vertus naturelles et surnaturelles , à acquérir les habitudes des autres vertus que vous pouvez vous procurer par les actes fréquents de celles que Dieu vous a communiquées avec tant de libéralité; parce que les dons infus étant unis à ceux que l'âme s'acquiert par son propre travail, causent un ornement et un composé d'une admirable beauté qui est très-agréable aux yeux du Seigneur. Et je vous avertis, ma très-chère, que la puissante main du Très-Haut a été si magnifique envers votre âme, en l'enrichissant de tant de faveurs et de dons si précieux de sa grâce, que si vous lui devenez ingrate, vous aurez plus de compte à rendre que plusieurs nations ensemble. Estimez la noblesse des vertus, et considérez combien elles seules peuvent 130 ennoblir et orner une âme. Quand elles n'auraient d'autre fin qu'elles-mêmes, ni d'autre récompense que leur possession, cette fin et cette récompense seraient fort grandes, à cause de leur propre excellence; mais ce qui en augmente le prix, c'est d'avoir pour dernière fin le même Dieu, qu'elles cherchent par la perfection et par la vérité qu'elles renferment; et étant arrivées à une si haute récompense que d'avoir été terminées à Dieu comme à leur propre centre, elles rendent alors la créature bienheureuse. 5/30 CHAPITRE VI. De la vertu de foi, et de l'exercice que la très-sainte Vierge en fit. Instruction de la Mère de Dieu. CHAPITRE VII. De la vertu d'espérance qu'eut la très-sainte Vierge, et de l'exercice qu'elle en fit. Instruction de la très-sainte Vierge. CHAPITRE VIII. De la vertu de charité de la très-sainte vierge. Instruction de la Reine du ciel. CHAPITRE IX. De la vertu de prudence de la très-sainte Vierge. Instruction de la Reine du ciel. CHAPITRE VI. De la vertu de foi, et de l'exercice que la très-sainte Vierge en fit. 486. Sainte Élisabeth comprit en peu de mots (selon que l'évangeliste saint Luc le rapporte) la grandeur de la foi de la très-sainte Vierge, lorsqu'elle lui dit : Vous êtes bien heureuse d'avoir cru, car les paroles et les promesses du Seigneur s'accompliront en vous (1). L'on doit mesurer la foi de cette divine Reine par sa félicité et par sa dignité ineffable, puis (1) Luc., I, 46. 131 qu'elle fut si excellente, que pour avoir cru elle arriva à la plus grande élévation qu'on puisse s'imaginer après celle de Dieu. Elle crut le plus grand des mystères qui se devait opérer en elle. La prudence et la science divine de l'auguste Marie furent telles, pour ajouter créance à cette vérité si nouvelle et si fort au-dessus de tout ce que l'entendement humain et angélique peut concevoir, qu'il fallait nécessairement que sa foi eût été produite dans l'essence divine, comme dans l'officine (pour ainsi dire) du pouvoir immense du Très-Haut, où toutes les vertus de cette Reine du ciel furent formées par le bras de sa toute-puissance. Plus je considère ses vertus, plus je me trouve incapable d'en parler, et surtout des intérieures, parce que je suis si fort éblouie de la grandeur des connaissances et des lumières que j'en ai reçues, que les termes me manquent pour les pouvoir déclarer, et pour exprimer les actes de foi qui ont été formés dans l'entendement de la plus fidèle et de la plus grande de toutes les pures créatures; j'en dirai pourtant ce que je pourrai, en avouant toujours mon incapacité pour en faire une aussi juste déclaration que je le voudrais, et que la grandeur du sujet dont nous allons traiter, le demanderait. 487. La foi de la très-fidèle Marie fut un étonnement de toute la nature créée, et un prodige évident du pouvoir divin, parce que cette vertu reçut en elle le plus haut degré de perfection qu'elle pouvait recevoir; Dieu étant en quelque façon satisfait par cette très-sainte Dame pour le manquement de foi que les 132 hommes devaient avoir. Le Très-Haut départit cette excellente vertu aux mortels voyageurs, afin qu'ils eussent, sans aucun embarras de la chair mortelle, une connaissance aussi certaine et aussi infaillible de sa divinité, de ses mystères et de ses couvres admirables, que s'ils le voyaient face à face comme les bienheureux. Nous croyons, sous le voile et l'obscurité de la foi, le même objet et la même vérité qu'ils voient à découvert. 488. Si l'on considère quel a été l'état du monde et celui où il se trouve à présent, il ne sera pas difficile de s'apercevoir combien de nations, de royaumes et de provinces dès leur commencement se sont rendus indignes d'un si grand bienfait, si peu connu et si peu estimé des hommes ingrats; combien y en a-t-il eu qui ont malheureusement renoncé à cette vertu que le Seigneur leur avait accordée avec tant de miséricorde et de libéralité! Et combien y a-t-il de fidèles qui, après l'avoir reçue sans la mériter, la méprisent, la laissent oisive, sans aucun effet et sans s'en servir pour arriver à la dernière fin pour laquelle elle leur a été donnée 1 Il fallait donc que la divine équité se dédommageât en quelque façon d'une perte si déplorable, qu'un tel bienfait eût un juste et proportionné retour, autant qu'il était possible à la nature humaine, et que parmi les créatures il s'en trouvât quelqu'une en qui la vertu de foi fût en son' plus parfait degré, pour servir de modèle à toutes les autres. 489. Toutes ces prérogatives, dont nous venons 133 de parler, se trouvèrent dans la grande foi. de la très-pure Marie; et Dieu aurait établi fort à propos seulement par elle et pour elle (quand elle aurait été seule dans le monde) l'excellente vertu de foi: parce que cette seule Princesse eût été capable de réparer le tort que les hommes faisaient à la divine Providence de la frustrer de ses prétentions dans l'établissement de cette vertu par le peu de correspondance qu'ils lui en devaient témoigner. La foi de notre auguste Reine suppléa à ce manquement, et elle copia en elle-même la divine idée de cette vertu avec autant de perfection qu'il fut possible : tous les autres fidèles se peuvent régler à la foi de cette très-sainte Dame, et leur créance sera plus ou moins grande, selon qu'ils la conformeront plus ou moins à la perfection de sa foi incomparable. C'est pourquoi elle a été destinée pour être la Maîtresse et le modèle de tous les fidèles, y comprenant même les patriarches, les prophètes, les apôtres, les martyrs et tous ceux qui ont cru avec eux, et qui croiront les articles de la foi chrétienne jusqu'à la fin du monde. 490. Quelqu'un pourrait objecter: Comment se pouvait-il faire que la Reine du ciel exerçât la foi, supposé qu'elle eut plusieurs visions claires de la Divinité, et beaucoup plus des abstractives, qui rendent en quelque façon évident ce que l'entendement tonnait, comme nous l'avons déjà dit, et comme je le répéterai plusieurs fois dans la suite? Et le doute naîtra de ce que la foi est le soutien des choses que nous espérons, et la certification de celles que nous ne 134 voyons pas, comme dit l'Apôtre (1). Et c'est comme s'il nous disait que nous n'avons d'autre apparence ni d'autre substance des choses que nous espérons touchant la dernière fin de la béatitude pendant que nous sommes voyageurs, que celles que la foi renferme dans son objet cri obscurément et par énigme; de sorte que la force de cette habitude infuse par laquelle elle nous incline à croire ce que nous ne voyons pas, et la certitude immanquable de ce que l'on croit, forment un argument infaillible et efficace à l'entendement, afin que par ce moyen la volonté croie avec fermeté et sans aucun doute ce qu'elle désire et espère. Et selon cette doctrine, si la très-sainte Vierge vit Dieu en cette vie, et jouit de sa Divinité (ce qui est la même chose) sans le voile de la foi obscure, il semble qu'il ne lui devait rester aucune obscurité, pour croire par la foi ce qu'elle avait vu. clairement face à face, si elle eût conservé dans son entendement les espèces, acquises en la claire vision de la Divinité. 491. Cette objection non-seulement n'empêche point la foi de la très-sainte Vierge, mais au contraire elle l'augmente et l'élève à un plus haut degré, puisque le Seigneur voulut que sa Mère fût si admirable dans le privilège de cette vertu (aussi bien que dans celui de l'espérance), qu'elle surpassât tout l'ordre commun des autres voyageurs, et que, son entendement fût éclairé, pour qu'elle pût être la Maîtresse et l'ouvrière de ces grandes vertus, (1) Hebr., XI, 1. 135 quelquefois par les actes très-parfaits de la foi et de l'espérance , d'autres fois par la vision et par la jouissance (quoique passagères) de la fin et de l'objet qu'elle croyait et qu'elle espérait, afin qu'elle connût et goûtât dans leur propre source les vérités qu'elle devait enseigner à croire par la vertu de foi en qualité de Maîtresse des fidèles: il était fort facile à la puissance de Dieu d'unir ces 'deux choses en l'âme très-sainte de Marie, et cela étant, ce privilège était comme dit à sa très-pure Mère, qui s'attirait par sa dignité et par ses mérites les plus grandes faveurs, car il était très-convenable que rien ne manquât à cette éminente qualité de Mère de Dieu. 492. Il est vrai que l'obscurité de la.foi, par laquelle nous croyons ce que nous ne voyons pas, est incompatible avec la clarté de l'objet que nous connaissons; que l'espérance ne s'accorde point avec la possession, et que la très-auguste Princesse du ciel n'exerçait point les actes obscurs de la foi, et ne se servait pas de son habitude, lorsqu'elle jouissait des visions claires, et usait des espèces, qui lui manifestaient les objets avec une évidence même abstractive; mais alors elle employait seulement l'habitude de la science infuse. Les habitudes néanmoins des deux vertus théologales de foi et d'espérance ne demeuraient point oisives pour cela: parce que le Seigneur suspendait ou arrêtait l'usage des espèces évidentes, afin que la très-pure Marie se servît de ces habitudes; de manière que la science actuelle cessait, et la foi obscure opérait: toutes les connaissances claires du 136 Seigneur étant bien souvent suspendues pour: notre auguste Reine dans cet état très-parfait, comme il lui arriva dans le très-haut mystère de l'Incarnation du Verbe, dont je ferai mention en son lieu. 493. Il ne fallait pas que la Mère de Dieu fût privée de la récompense de ces vertus infuses de foi et d'espérance; pour la recevoir, elle la devait mériter; et pour la mériter elle devait exercer leurs opérations proportionnées à cette récompense; et comme elle fut d'un prix inestimable, les actes de la foi, que cette divine Dame pratiqua dans toutes les vérités catholiques et en chacune en particulier, le furent aussi, parce qu'elle connut ces vérités et les crut explicitement comme voyageuse avec: une créance très-relevée et très-parfaite. Il n'y a point de doute que, lorsque l'entendement a une évidence de ce qu'il connaît, il n'attend point le consentement de la volonté pour le croire: parce qu'il est forcé par cette évidence de lui donner une créance ferme, avant que la volonté le lui commande; c'est pourquoi cet acte de croire ce qu'il ne peut pas nier, n'est point méritoire. Quand la très-sainte Vierge consentit à l'ambassade de l'archange, elle fut digne d'une très-grande récompense, à cause de ce qu'elle mérita dans le consentement d'un tel mystère: il arriva la même chose dans les autres, qu'elle crut, lorsque le Très-Haut voulait qu'elle usât de la foi infuse sans se servir de la science, bien qu'elle méritât beaucoup en cette science infuse, à cause de l'amour qu'elle exerçait avec elle, comme je l'ai déjà dit en divers lieux. 137 494. Elle n'eut pas non plus l'usage de la science infuse lorsqu'elle perdit l'enfant Jésus, au moins pour connaître l'endroit où il était, comme elle connaissait plusieurs autres choses par cette lumière; ni elle ne se servait pas alors des espèces claires de la Divinité. La même chose lui arriva au pied de la croix, parce que le Seigneur suspendait la vue et les opérations, qui auraient empêché la douleur en l'Ante très-sainte de sa Mère : car il était convenable qu'elle pratiquât seulement la foi et l'espérance dans cette occasion. Parce que la joie, qu'elle eût reçue par la moindre vue ou connaissance (quoique abstractive) de la Divinité, aurait naturellement empêché cette douleur, si Dieu n'eût fait un nouveau miracle, afin que la peine et la jouissance se trouvassent ensemble. Il n'était pas convenable que sa divine Majesté fit ce miracle, puisque avec la souffrance son propre mérite et l'imitation de son très-saint Fils s'unissaient en elle par les grâces et par l'excellence de la dignité de Mère. C'est pour cela qu'elle chercha le divin Enfant avec douleur, comme elle-même l'a dit (1), ayant accompagné cette douleur d'une foi vive et d'une ferme espérance. Elle pratiqua aussi ces deux vertus dans la passion et dans la résurrection de son Fils unique et bien-aimé, en qui elle croyait et espérait; cette foi de l'Église ne se trouvant alors qu'en elle seule, comme en sa Maîtresse et en sa fondatrice. 495. On peut considérer en la foi de la très-sainte (1) Luc., II, 48. 138 Vierge trois excellences particulières: la continuation, l'intention et l'intelligence avec laquelle elle croyait. La continuation était seulement interrompue lors qu'elle voyait la Divinité avec une clarté intuitive ou avec une évidence abstractive, comme j'ai déjà dit. Mais pour distribuer les actes intérieurs que la Reine du ciel avait de la connaissance de Dieu, quoiqu'il n'y ait que le seul Seigneur, qui les ordonnait, qui puisse savoir en quel temps sa très sainte Mère exerçait ces divers actes, je dirai que son entendement ne fut jamais oisif, et qu'il n'y eut, dès le premier moment de sa conception, aucun instant de toute sa vie auquel elle perdît Dieu de vue : car si elle suspendait la foi, c'était parce qu'elle jouissait de la claire vision de la Divinité, ou qu'elle lui était manifestée par une très-sublime science infuse; et; si le Seigneur lui cachait cette connaissance, la foi lui succédait en opérant : la succession et la vicissitude de ces actes causant une si belle harmonie dans l'entendement de la très-pure Marie, que le Très-Haut conviait les esprits angéliques à lui donner leur attention, selon ce qui est dit dans les Cantiques: Vous qui habitez dans les jardins, faites-moi entendre votre voix, parce que nos amis sont attentifs (1). 496. Cette auguste Princesse surpassait dans l'efficacité ou dans l'intention de la foi tous les apôtres, tous les prophètes et tous les saints ensemble, et elle arriva au plus haut degré qui fût possible à une pure (1) Cant., VIII, 18. 139 créature. Elle n'excella pas seulement sur tous les fidèles, mais elle eut aussi la foi dont tous ceux qui ont été assez malheureux de ne croire point furent privés; ils pouvaient même être tous éclairés par la foi de cette divine Dame. C'est pourquoi elle se trouva si ferme, si immobile et si constante en elle lorsque, dans le temps de la Passion, les apôtres chancelèrent, que, si toutes les tentations, les tromperies, les erreurs et toutes les faussetés du monde se fussent unies ensemble, elles n'auraient pu ébranler ni troubler la foi invincible de la Reine des fidèles; la fondatrice et la maîtresse de cette vertu en serait sortie victorieuse et triomphante. 497. On ne peut exprimer l'intelligence avec laquelle elle croyait explicitement toutes les vérités divines, sans la diminuer et l'obscurcir par les termes humains. La très-pure Marie savait tout ce qu'elle croyait, et croyait tout ce qu'elle savait : parce que la science infuse théologique de la créance des mystères de la foi et leur intelligence furent en cette très-sage vierge et mère au plus haut degré dont une pure créature était capable. Elle avait cette science en acte, et une mémoire angélique par laquelle elle n'oubliait jamais ce qu'elle avait une fois appris; elle se servait toujours de cette puissance et" de ces dons pour croire profondément, excepté lorsque Dieu ordonnait par sa divine providence que la foi fût suspendue par d'autres actes, comme j'ai dit ci-dessus. Et hormis qu'elle ne fût dans l'état de gloire, elle avait dans celui de voyageuse, pour croire et connaître Dieu, la plus haute de toutes les intelligences, qui ne séparait la foi 140 d'avec la claire connaissance de la Divinité que par un imperceptible horizon; de sorte quelle surpassait (état de tous les voyageurs, et qu'elle en avait un tout particulier pour elle seule, auquel nulle autre créature n'a jamais pu atteindre. 493. Que si la très-auguste Marie descendait dans son état ordinaire et inférieur lorsqu'elle exerçait les habitudes de la foi et de l'espérance, dans ce même état elle surpassait tous les saints et tous les anges en mérite, parce qu'elle les surpassait en amour. Qu'en était-il donc de ses opérations, de son mérite et de son amour, lorsqu'elle était élevée par la puissance divine à d'autres plus grandes faveurs et au plus haut état de la vision béatifique ou de la connaissance claire de la Divinité? Que si l'entendement angélique n'est pas assez fort pour le concevoir, comment le pourrai-je exprimer par mes faibles paroles, moi qui ne suis qu'une pauvre créature terrestre? Je voudrais du moins que tous les mortels connussent et estimassent le prix de cette vertu de foi en la considérant dans ce divin modèle, où elle reçut le dernier degré de sa i perfection, et arriva justement à la fin pour laquelle elle avait été formée. Que les infidèles, les hérétiques et les idolâtres viennent à la maîtresse de la foi, la très pure Marie, afin qu'ils soient éclairés dans leurs ténébreuses erreurs, et par le secours de cette lumière ils trouveront le chemin assuré qui les conduira à la dernière fin pour laquelle ils ont été créés. Que tous les catholiques y viennent aussi; qu'ils reconnaissent l'inestimable valeur de cette excellente vertu, et qu'ils 141 demandent au Seigneur, avec les apôtres, de leur augmenter la foi (1), non point pour atteindre à celle de l'auguste Marie, car la chose n'est pas possible, mais pour l'imiter et pour la suivre; puisqu'elle nous enseigne par sa foi et nous donne même espérance de l'obtenir par ses grands mérites. 499. Saint Paul appela le patriarche Abraham le père de tous les fidèles (2), parce qu'il fut le premier qui reçut les promesses du Messie et qui crut ce que le Seigneur lui promit, croyant en l'espérance contre l'espérance; ce qui nous exprime combien la foi du patriarche fut excellente, puisqu'il fut le premier qui crut les promesses du Seigneur (3), lorsqu'il ne pouvait avoir aucune espérance humaine en la vertu des causes naturelles, tant pour espérer un enfant de sa femme Sara, qui était stérile, que pour en attendre la succession innombrable que Dieu lui avait promise en la personne de cet enfant, après l'avoir offert en sacrifice à sa divine Majesté, comme elle le lui commandait. Abraham crut tout celât, quoiqu'il fit naturellement impossible, et ne douta nullement des promesses du Seigneur, étant très-persuadé que les moyens surnaturels ne manqueraient pas au pouvoir divin pour en venir à bout, et il mérita par cette foi d'être appelé le père des fidèles et d'en recevoir la marque, qui fut la circoncision, en laquelle il devait être justifié. 500. Mais notre très-auguste Marie a bien plus de titres et de prérogatives qu'Abraham pour être appelée (1) Luc., XVII, 5. - (2) Rom., IV, 11. - (3) Ibid., 18 ; Gen., XV, 5. 142 Mère de la foi et de tous les.. fidèles; elle en porte l'étendard, pour y conduire tous ceux qui doivent croire à la loi de grâce. Le patriarche fut premier selon l'ordre du temps; il fut destiné par une première intention pour être le père et le chef du peuple hébreu sa foi fut grande et excellente à l'égard des promesses que le Très- Haut lui avait faites de notre Seigneur Jésus-Christ, et il crut parfaitement à toutes ses paroles; mais en toutes ces choses, la foi de Marié fut sans comparaison plus admirable : ainsi elle est la première en la dignité. C'était une plus grande difficulté, et presque une impossibilité à une vierge de croire qu'elle concevrait et qu'elle enfanterait sans perdre sa virginité , qu'à une vieille stérile de croire qu'elle pourrait enfanter; le patriarche Abraham n'était pas si assuré que le sacrifice d'Isaac s'exécuterait, que l'était la sacrée Marie que son très-saint Fils serait sacrifié en effet. Ce fut elle qui crut et qui espéra en tous les mystères, et qui enseigna à toute l'Église comme elle devait croire en Dieu et les œuvres de la rédemption. Cette foi de notre auguste Reine étant donc reconnue, elle est sans contredit la Mère des fidèles, le modèle de la foi catholique et de la sainte espérance. Et pour conclure ce chapitre, je dis que, comme notre Maître et Rédempteur Jésus-Christ était compréhenseur, son âme très-sainte jouissant de la souveraine gloire et de la vision béatifique, il n'avait point la foi; il ne pouvait pas s'en servir, ni nous enseigner cette vertu par ses actes. Mais ce que le Seigneur ne put pas faire par soi-même il le fit par sa 143 très-sainte Mère, en la constituant fondatrice, bière et modèle de la foi de son Église évangélique, afin qu'elle assistât au jour du jugement universel pour juger, avec son très-saint Fils, singulièrement ceux qui n'ont pas reçu la foi, après leur en avoir donné mi tel exemple dans le monde. Instruction de la Mère de Dieu. 501. Ma fille, les mortels qui ne regardent qu'avec des yeux charnels et terrestres, ne découvrent pas le trésor inestimable de la vertu de la foi divine : c'est pourquoi ils ne savent pas estimer la valeur ni reconnaître le mérite et le bienfait qui se trouvent dans un don si précieux. Considérez, ma très-chère, en quel état malheureux a été le monde sans la foi : et dans quel désordre ne serait-il pas aujourd'hui si mon Fils et mon Seigneur ne la lui conservait ! Combien d'hommes que le monde estimait grands, puissants et sages, ne se sont pas précipités des ténèbres de leur infidélité dans les plus abominables péchés, et de là dans les ténèbres éternelles de l'enfer, pour n'avoir pas été éclairés par la lumière de la foi ! Combien de provinces et de royaumes entiers n'ont-ils pas entraînés dans leur aveuglement, combien ces mêmes 144 personnes n'en entraînent-elles pas aujourd'hui jusque dans le plus profond de l'abîme ! Les mauvais fidèles, ma fille, suivent les traces .de ceux-là, puisque ayant reçu cette grâce et cet insigne bienfait de la foi; ils vivent sans la pratiquer et comme si leurs âmes ne l'avaient point. 502. Faites tous vos efforts, ma chère fille, pour reconnaître cette précieuse perle que le Seigneur vous a donnée comme un gage et un lien des épousailles qu'il a célébrées avec vous pour vous faire entrer dans le lit nuptial de sa sainte Église, et ensuite dans celui de son éternelle vision béatifique. Exercez toujours cette vertu de foi, puisque par son moyen vous parviendrez à cette dernière fin ou vous tendez, et vous vous unirez à l'objet de vos désirs et de vos amours. C'est elle qui enseigne le chemin assuré de la félicité éternelle; elle luit dans les ténèbres de la vie mortelle des voyageurs pour les conduire en toute sûreté à la possession de leur patrie, s'ils ne s'y opposent par leur infidélité et par leurs péchés. C'est elle qui excite les autres vertus, qui sert de nourriture au juste, et qui l'entretient et le soulage dans ses travaux. Elle confond et épouvante les infidèles et les lâches fidèles qui négligent de pratiquer le bien, parce qu'elle leur, découvre leurs péchés en cette vie et la punition qui les attend en l'autre. La foi est puissante pour venir à bout de tout, puisque rien n'est impossible à celui qui croit (1); au contraire, il (1) Matth., IX, 22. 145 peut faire et obtenir toutes choses par le moyen de cette vertu : elle éclaire et ennoblit l'entendement humain, puisqu'elle le redresse de peur qu'il ne s'égare dans les ténèbres de son ignorance naturelle; elle l'élève au-dessus de lui-même afin qu'il voie et connaisse avec une certitude infaillible ce qu'il ne pourrait pénétrer par ses propres forces; et le lui fait croire avec autant de fermeté que s'il le voyait effectivement; enfin elle le dépouille de cette grossièreté et de cette bassesse qui font que l'homme ne croit que ce qu'il comprend par ses faibles lumières, qui sont si bornées pendant que l'âme vit dans la prison du corps corruptible et n'agit que par la pesanteur de ses sens. Estimez donc, ma fille, cette précieuse perle de la foi catholique que Dieu vous a donnée, conservez-la avec soin et pratiquez-la avec respect. CHAPITRE VII. De la vertu d'espérance qu'eut la très-sainte Vierge, et de l'exercice qu'elle en fit. 503. La vertu d'espérance suit celle de foi, qui est en quelque façon la cause de l'autre; parce que, si Dieu nous donne la lumière de la foi avec intention 146 que par elle nous arrivions tous sans aucune distinction ni dépendance de temps à la connaissance infaillible de sa divinité, de ses mystères et dé ses promesses, ce n'est qu'afin qu'en le connaissant pour notre dernière fin et unique félicité, et qu'après avoir découvert les moyens d'aller à lui , nous soyons tous épris d'un désir véhément d'en jouir, chacun le souhaitant pour soi- même. Ce désir, qui est suivi du projet que l'on fait d'obtenir le souverain bien comme de son effet, est appelé espérance, dont l'habitude est infuse dans notre volonté lorsque nous recevons le baptême, et cette volonté est appelée appétit raisonnable, parce qu'il lui appartient de désirer la félicité éternelle comme son plus grand bien et ce qui lui importe le plus, de faire tout son possible avec la grâce divine pour l'acquérir, et de vaincre toutes les difficultés qui s'y pourraient opposer. 504. On connaît combien la vertu d'espérance est excellente, en ce qu'elle a Dieu pour objet, comme notre dernier et souverain bien ; et quoiqu'elle le regarde et le cherche comme absent, elle se le représente néanmoins comme un bien dont l'acquisition est possible par le moyen des mérites de Jésus-Christ et des bonnes œuvres que fait celui qui espère. Les actes de cette vertu, par lesquels nous nous appliquons les promesses ineffables du Seigneur, se règlent par la lumière de la fui et d'une prudence particulière. L'espérance infuse opère selon cette règle dans le milieu raisonnable qui se trouve entre les extrémités vicieuses du désespoir et de la présomption, 147 afin que l'homme ne présume point vainement d'obtenir la gloire éternelle par ses propres forces, ou sans faire ce qu'il doit pour la mériter; et qu'en faisant son possible il ne tombe point dans la crainte et dans la défiance de l'obtenir, comme le Seigneur le lui promet et l'en assure. L'homme s'applique cette certitude commune et générale à tous que la vertu de foi enseigne, lorsqu'il espère par le moyen d'une prudence religieuse et d'un jugement sain et droit qu'il forme en lui-même, et qui l'éloigne également et de la présomption et du désespoir. 505. On juge par ce que nous venons de dire que le désespoir peut provenir de ne croire point ce que la foi nous promet, ou de ne s'appliquer point à soi-même, si on le croit, la certitude des promesses divines dans la pensée erronée où l'on est de ne les pouvoir pas obtenir. L'espérance marche avec sûreté entre ces deux extrêmes, en supposant et croyant que Dieu ne me refusera point ce qu'il a promis à tous; et que sa promesse n'est point absolue, mais avec condition que je travaillerais et tâcherais de mon côté à le mériter autant qu'il me serait possible avec le secours de sa divine grâce; parce que, Dieu ayant fait l'homme capable de jouir de sa vue et de sa gloire éternelle, il n'était pas convenable qu'il arrivât à une telle félicité en faisant mauvais usage de ses propres puissances, et en s'en servant pour l'offenser, puisqu'elles devaient être les organes de son bonheur éternel, mais plutôt en les appliquant à des œuvres proportionnées à la fin où il devait tendre par leur 148 moyen. Et cette proportion consiste dans une sainte pratique de toutes les vertus, par lesquelles l'homme se dispose pour arriver à la jouissance du souverain bien, qu'il cherche dès cette vie présente par la connaissance de Dieu et par son saint amour. 506. Cette vertu d'espérance eut en Marie le plus haut degré de perfection qu'elle pouvait recevoir en elle-même, dans tous ses effets et dans toutes ses circonstances, parce que les sujets qui causaient les désirs et les projets qu'elle formait d'obtenir la dernière fin de la vue et de la jouissance de Dieu, furent plus grands en elle qu'en toutes les créatures ensemble; et bien loin d'empêcher leurs effets, cette très-fidèle et très-prudente Dame les exécuta dans la plus grande perfection qu'il fût possible à une pure créature. Elle n'eut pas seulement la foi infuse des promesses du Seigneur, à laquelle (comme à la plus excellente) répondait aussi avec proportion l'espérance la plus parfaite; mais, outre la foi, elle eut la vision béatifique, en laquelle elle connut par expérience la vérité et la fidélité infinie du Très-Haut. Et bien qu'elle ne se servît point de (espérance lorsqu'elle jouissait de la vue et de la possession de la Divinité, néanmoins, revenant ensuite dans son état ordinaire, le souvenir du souverain bien dont elle avait joui lui aidait à espérer et à le désirer dans son absence, avec plus d'ardeur et de résolution de faire tous ses efforts pour l'acquérir; et ce désir était en la Reine des vertus une espèce d'une nouvelle et singulière espérance. 149 507. L'espérance de la très-pure Marie eut aussi une autre cause qui la faisait surpasser celle de tous les fidèles ensemble, parce que la gloire de cette auguste Princesse (qui est l'objet principal de l'espérance) surpassa celle des anges et des saints; et elle eut, par rapport à la connaissance d'une gloire si extraordinaire que le Très-Haut lui donna, la suprême espérance et la plus forte de toutes les affections pour l'acquérir. Et afin qu'elle arrivât au plus haut degré de cette vertu, en espérant avec mérite tout ce que le puissant bras de Dieu voulait opérer en elle, elle fut prévenue par la lumière de la foi la plus excellente, par les habitudes, les secours et les dons proportionnés à cette foi, et par un mouvement singulier du Saint-Esprit. Ce que nous disons de cette grande espérance qu'elle eut de l'objet principal de cette vertu, se doit aussi entendre. des autres objets (qu'on appelle, seconds ou moins principaux), parce que les faveurs, les dons et les mystères que Dieu opéra en la Reine du ciel furent si grands, que son bras tout-puissant ne put pas s'étendre davantage. Et comme cette très-sainte Dame les devait recevoir par le moyen de la foi et de l'espérance des promesses divines, se disposant par ces vertus à recevoir ces promesses, c'est pour cela qu'il fallait que sa foi et son espérance fussent les plus grandes qu'on pût s'imaginer en une pure créature. 508. Que si (comme nous avons déjà dit en parlant de la foi) la Reine du ciel eut une connaissance et une foi explicite de toutes les vérités révélées, de tous 150 les mystères et de toutes les couvres du Très-Haut, les actes de son espérance répondant aussi à ceux de sa foi, qui pourra comprendre le nombre et les qualités des actes d'espérance que cette Maîtresse des vertus pratiqua, si ce n'est le Seigneur; puisqu'elle connut tous les mystères de sa propre gloire et de la félicité éternelle, et tous ceux qui se devaient opérer en elle et en tout le reste de l'Église évangélique par les mérites de son très-saint Fils? De sorte que Dieu aurait formé cette vertu pour la seule Marie, sa très-sainte Mère, et à sa considération il l'aurait donnée comme il la donna à tout le genre humain, ainsi que nous avons dit ci- dessus de la vertu de foi. 509. C'est pour cela que le Saint-Esprit l'appela Mère du bel amour et de la sainte espérance (1); et comme la chair qu'elle donna au Verbe éternel la fit Mère de Jésus-Christ, ainsi le Saint-Esprit la fit Mère de l'espérance, parce qu'elle conçut et enfanta par son concours spécial et par son opération , cette vertu pour les fidèles de f Église. Cette qualité de Mère de la sainte espérance qu'elle avait, fut comme annexée à celle de Mère de notre Seigneur Jésus-Christ, puisqu'elle connut qu'elle nous donnait toute notre espérance en son très-saint Fils : la très-sacrée Vierge acquérant par ces deux conceptions et ces enfantements une certaine espèce de domaine et d'autorité sur la grâce et sur les promesses du Très-Haut, qui se devaient accomplir par la mort de notre Rédempteur 151 Jésus-Christ, fils de Marie, parce que cette auguste Princesse nous donna toutes choses lorsqu'elle conçut et enfanta par le moyen de son libre consentement le Verbe incarné, et en lui toutes nos plus assurées espérances. Ce fut alors que les paroles de l'Époux furent accomplies : Emissiones tuae paradisus (1), parce que tout ce qui sortit de cette Mère de grâce fut pour nous une félicité, un paradis et une espérance très-certaine de l'obtenir. 510. L'Église avait un Père céleste et véritable en Jésus-Christ, qui l'engendra et la fonda, et qui l'enrichit de grâces, d'exemples et de doctrines par ses mérites et par ses travaux, avec autant de profusion que la qualité d'un tel Père, auteur de cet ouvrage admirable, le demandait; il semble qu'il était convenable qu'elle eût aussi, pour n'avoir plus rien à désirer, une Mère charitable qui allaitât les enfants dans leur plus tendre jeunesse avec de douces caresses et avec une affection maternelle, qui les élevât dans son sein et qui les protégeât et les nourrit délicatement, lorsqu'ils ne pourraient souffrir le pain des robustes et des forts, à cause de leur faiblesse. Cette douce Mère fut la très-sainte Vierge, qui dès la primitive Église, quand elle naissait avec les tendres enfants de la loi de grâce, commença à leur donner le doux lait de la lumière et de la doctrine comme une mère très-pitoyable; et elle continuera par ses prières ce charitable office jusqu'à la fin du monde envers les nouveaux (1) cant., IV, 13 152 enfants que notre Seigneur Jésus-Christ engendre tous les jours par les mérites de son sang et par les intercessions de -la Mère de miséricorde., Ils naissent par elle, elle les nourrit et les entretient; elle est notre douce Mère, notre vie et notre espérance, l'original de celle que nous avons et le modèle que nous devons imiter; nous espérons par son intercession d'obtenir la félicité éternelle que son très-saint Fils nous a méritée, et les secours qu'il nous communique par elle afin que nous y arrivions par leur moyen. Instruction de la très-sainte Vierge. 511. Ma fille, mon esprit cherchant l'infini et le souverain bien, s'élevait par les deux vertus de foi et d'espérance, comme par deux ailes d'un vol infatigable, jusqu'à ce qu'il se fût reposé dans l'union de son plus fort amour. Il jouissait plusieurs fois de sa claire vision; mais comme cette faveur ne m'était point continuelle à cause de mon état de pure voyageuse , l'exercice de la foi et de l'espérance ne cessait jamais dans cet éloignement ; parce que, comme elles demeuraient hors de cette douce jouissance, je les trouvais incontinent dans mes puissances, et je ne 153 faisais d'autre intervalle dans leurs opérations que celui de cette heureuse vision. L'entendement humain est trop faible pour comprendre tous les effets que les affections, les souhaits et les fortes résolutions que je faisais.de ne rien oublier pour arriver à la jouissance éternelle de Dieu, causaient dans mou âme; ceux qui mériteront néanmoins de jouir de sa vue dans le ciel, les connaîtront en sa divine Majesté, et lui en rendront des louanges éternelles. 512. Vous devez, ma fille, puisque vous avez reçu tant de lumière touchant (excellence de cette vertu et des oeuvres que j'exerçais par elle, tâcher de m'imiter sans aucune interruption, et autant que vous le pourrez avec les forces de la divine grâce. Renouvelez toujours dans votre souvenir les promesses du Très-Haut; élevez votre coeur par la certitude de la foi que vous avez de sa vérité, et faites que vos plus ardents désirs n'aspirent qu'à les obtenir; vous vous pourrez promettre avec cette ferme espérance d'arriver par les mérites de mon très-saint Fils à la.patrie céleste, et d'avoir le bonheur d'être en la compagnie de ceux qui y jouissent d'une gloire immortelle, et qui y voient la face du Seigneur. Que si vous vous éloignez par ce secours de tout ce qui est terrestre , et ne fixez votre coeur qu'à ce bien immuable après lequel vous soupirez , toutes les choses sensibles et mortelles vous deviendront à charge ; vous les mépriserez, et ne pourrez rien souhaiter, que ce très-aimable objet de vos désirs. Mon âme fut toute pénétrée de cette ardeur de l'espérance, comme de Celui en qui elle avait cru par 154 la foi et qu'elle avait goûté par expérience, dont les douceurs ne se peuvent exprimer par des paroles humaines. 513. Afin que vous soyez encore plus touchée, considérez et pleurez avec une douleur sensible le malheur de tant d'âmes qui sont les images de Dieu et capables de sa gloire, et qui sont néanmoins, par leur faute, privées de la véritable espérance d'en jouir. Que si les enfants de la sainte Église faisaient quelque trêve avec leurs vaines pensées, pour faire de profondes réflexions que Dieu leur a donné une foi assurée et une espérance infaillible, les ayant séparés des ténèbres, et distingués (sans qu'ils l'eussent mérité) par ces glorieuses marques, abandonnant les païens et tant d'infidèles dans leur aveuglement, ils seraient sans doute confus de leur injuste oubli et condamneraient leur noire ingratitude. Mais qu'ils se désabusent, et qu'ils soient persuadés que les tourments qui les attendent sont bien plus formidables, et que Dieu et les saints les ont beaucoup plus en horreur à cause du mépris qu'ils font du sang que Jésus-Christ a versé, en vertu duquel ils ont reçu ces insignes bienfaits; cependant ils les traitent de fables, méprisent le fruit de la vérité, et passent toute leur vie sans donner un jour ni même une heure de réflexion à leurs obligations et au danger qui les menace. Pleurez, pleurez, ma chère fille, ce malheur déplorable; faites tous vos efforts pour n'y être pas comprise; demandez-en avec ardeur le remède à mon très-saint Fils, et soyez assurée que sa divine Majesté 155 vous récompensera de tous les soins que vous prendrez pour l'obtenir. CHAPITRE VIII. De la vertu de charité de la très-sainte vierge. 514. La très-éminente vertu de charité est la maîtresse, la reine, la mère, l'âme, la vie et la beauté (le toutes les autres vertus; la charité est celle qui les règle toutes, les meut et les conduit à la véritable et dernière fin; elle les produit dans leur être parfait, les augmente et les conserve, les ennoblit, les orne et leur donne la vie et l'efficacité. Que si toutes les autres vertus causent quelque avantage et quelque ornement à la créature, la charité les leur donne et les perfectionne, parce que sans la charité elles sont toutes difformes, obscures, languissantes, mortes et inutiles, parce qu'elles n'ont aucun sentiment parfait de vie. La charité est pleine de douceur, patiente, paisible, sans émulation, sans envie, sans offense; C'est elle qui ne s'approprie rien, qui distribue tout, qui cause tous les biens, et qui ne permet aucun mal (1) , autant qu'il dépend de son pouvoir, parce (1) I Cor., XIII, 4, 5, 6. qu'elle est la plus grande participation du véritable et souverain bien. O vertu des vertus et abrégé des trésors du ciel! vous êtes la seule qui avez les clefs du paradis; vous êtes l'aurore de la lumière éternelle, le soleil du jour de l'éternité , un feu qui purifie, un vin qui enivre en donnant de nouveaux sentiments, un nectar qui réjouit, une douceur qui rassasie sans dégoût, un lit délicieux où l'âme repose; et vous êtes un lien si étroit, que vous nous faites un avec Dieu, en la manière que le Père, le Fils, et le Saint-Esprit le sont ensemble (1). 515. La noblesse de cette maîtresse des vertus est si fort au-dessus de notre estime, que Dieu a bien voulu (selon notre manière de concevoir) s'honorer de son nom, ou l'honorer en s'appelant charité, comme l'a dit saint Jean. L'Église catholique a plusieurs raisons d'attribuer, entre les perfections divines, au Père la toute- puissance, su Fils la sagesse, et au Saint-Esprit l'amour, parce que le Père est principe sans principe, le Fils est engendré du Père par l'entendement, et le Saint- Esprit procède du Père et du Fils par la volonté; mais le Seigneur se fait l'application du nom et de la perfection de la charité sans aucune différence des personnes, lorsque l'évangéliste dit de toutes sans distinction . Dieu est charité (2). Cette vertu est dans le Seigneur comme le terme et la fin de toutes les opérations au dedans et su dehors, parce que toutes les processions divines (1) Joan., XVII, 21. - (2) 1 Joan., IV, 18. 157 (qui sont les opérations de Dieu dans lui-même) se terminent en l'union de l'amour et de la charité réciproque des trois personnes divines;-de sorte qu'elles ont entre elles un autre lien indissoluble, outre l'unité de la nature indivisible, en laquelle elles sont un même Dieu. Toutes les oeuvres au dehors, qui sont les, créatures, naissent de la charité divine et se terminent à elle, afin qu'en sortant de la mer immense de cette bonté infinie, elles s'en retournent parla charité et par l'amour à la source d'où elles étaient sorties. La vertu de charité est singulière entre toutes les autres vertus et entre tous les autres dons, en ce qu'elle est une parfaite participation de la charité divine; qu'elle sort du même principe et regarde la même fin, et que cette fin se proportionne plus avec elle qu'avec les autres vertus. Que si nous appelons Dieu notre espérance, notre patience et notre sagesse, c'est parce que nous les recevons de sa main libérale, et non pas parce que ces vertus sont eu Dieu comme en nous. Mais pour ce qui regarde la charité, nous ne la recevons pas du Seigneur de la même manière; car il ne s'appelle pas charité seulement parce qu'il nous la communique, mais parce qu'il l'a essentiellement en lui-même; et de cette divine perfection que nous concevons comme une forme et un attribut de sa nature divine, notre charité résulte avec bien plus de perfection et de proportion, qu'aucune autre vertu. 516. La charité tire du côté de Dieu,d'autres qualités admirables, qui nous sont fort avantageuses ; 158 parce qu'étant le principe qui nous a communiqué tout le bien de notre être, et ensuite le souverain bien, qui est Dieu même, elle nous sert de modèle et d'aiguillon pour exciter notre amour envers le Seigneur: afin que, si la connaissance que nous avons, qu'il est l'infini et le souverain bien, ne nous porte point à l'aimer, nous y soyons du moins obligés en qualité de notre propre souverain bien. Et que si nous étions assez malheureux de ne savoir pas trouver les moyens de nous acquitter de ce devoir avant qu'il noue eût donné son Fils unique,, nous n'ayons aucune excuse pour ne le pas aimer après qu'il nous l'a donné car si nous pouvons alléguer de justes raisons pour ne savoir pas mériter un tel bienfait, nous rien trouverons aucune pour ne le pas reconnaître avec amour, après l'avoir reçu sans le mériter. 517. L'exemple que notre charité a en celle de Dieu , déclare beaucoup mieux l'excellence de cette vertu, bien que je ne puisse exprimer ce que j'en conçois qu'avec difficulté. Notre Seigneur Jésus-Christ nous enseigna, lorsqu'il fondait sa très-parfaite loi d'amour et de grâce, d'être parfaits à l'exemple de notre Père céleste , qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants sans aucune distinction (1). Le seul fils du Père éternel pouvait donner une telle doctrine et un tel exemple aux hommes. Il n'est aucune d'entre toutes les créatures visibles qui nous manifeste la charité, divine et qui nous la propose (1) Matth., V, 45. 159 pour l'imiter, comme le soleil : parce que cette très-noble planète communique sa lumière partout, et à tous ceux qui sont capables de la recevoir, par sa seule inclinaison naturelle, sans aucune différence ni aucune autre délibération que de suivre son penchant: elle ne la refuse jamais autant qu'il dépend d'elle, et elle en fait des largesses sans y être obligée d'ailleurs, sans recevoir aucun retour dont elle puisse avoir besoin, sans trouver dans les choses qu'elle éclaire et entretient aucune bonté qui ait prévenu la sienne, pour la mouvoir et se l'attirer, et sans en espérer aucune autre utilité que de verser cette vertu qu'elle renferme en elle-même, afin que tous en participent. 518. Or, qui ne découvrira dans les qualités d'une si magnifique et généreuse créature, s'il les considère avec attention, l'image de la Charité incréée, sur laquelle il pourra se mouler? Qui ne se confondra de n'avoir pas assez de bonté pour l'imiter? Et qui s'imaginera de jouir de la véritable charité, s'il ne copie cette image en soi-même? Notre amour ne peut causer aucune bonté en l'objet qu'il aime, comme le fait la charité incréée du Seigneur; mais du moins, si nous ne pouvons rendre meilleur ce que nous aimons, nous pouvons bien aimer sans aucun intérêt, sans distinction des personnes, et faire le bien sans en espérer aucun retour. On ne doit point croire que la charité ne soit libre, ni que Dieu fasse aucune œuvre hors de lui-même par une nécessité naturelle; aussi, l'exemple que nous proposons ne s'étend, point jusque-là , parce 160 que toutes les oeuvres au dehors (qui sont celles de la création) sont libres en Dieu. Mais la volonté libre ne doit pas détourner l'inclination de la charité ni lui faire aucune violence : au contraire, elle la doit suivre à l'exemple du souverain bien, dont la nature demandant de se communiquer, la volonté divine ne s y' opposa nullement au temps de la création; et bien loin de l'empêcher, elle se laissa emporter et mouvoir par son charitable penchant, pour communiquer. les rayons de sa lumière inaccessible à toutes les créatures, selon la capacité que chacune avait pour la recevoir, et cela sans que de notre côté aucune bonté ni aucun service eussent précédé, et sans que Dieu même en espérât ensuite aucun profit, parce qu'il n'a besoin de personne. 519. Ayant donc déjà connu en partie la- qualité de la charité en son principe, qui est Dieu, où la trouverons-nous hors du Seigneur dans toute sa perfection possible à une pure créature, afin de pouvoir plus immédiatement associer la nôtre avec la sienne, si ce n'est en la très-pure Marie? Il est certain que les rayons de cette lumière et de cette charité du Soleil incréé sortant de cette source infinie de bonté, se communiquent à toutes lés créatures, sans en excepter aucune, avec ordre, poids et mesure, et selon le degré que chacune a en son particulier, pour être plus, proche ou plus distante de son principe: la perfection de la Providence divine se trouvant dans cet ordre, puisque sans lui l'harmonie des créatures que Dieu avait tirées du néant pour leur faire part de sa 161 bonté et de son amour, serait défectueuse et confuse. L'humanité de Celui qui était tout ensemble et Dieu incréé et homme créé, devait avoir après Dieu le premier lieu dans cet ordre, afin que la suprême union de la nature fût suivie de la souveraine grâce et de la plus étroite participation de l'amour, comme il se trouva et se trouve en notre Seigneur Jésus-Christ. 520. Le second lieu appartient à sa très-sainte Mère, en qui la charité et l'amour divin reposèrent d'une manière admirable; parce que (selon notre façon de concevoir) la Charité incréée n'aurait pas eu tout le repos qu'il lui fallait si elle ne se fut communiquée à une pure créature avec une telle plénitude, que l'amour et la charité de tout le genre humain fussent réunis en elle, et qu'elle seule pût suppléer et répondre pour lé reste de sa pure nature, lui donner tout le retour possible, et participer à cette Charité incréée sans les défectuosités que tous les autres mortels infectés du péché y mêlent: La seule Marie fut élue entre toutes les créatures comme le Soleil de justice (1), afin qu'elle l'imitât en la charité, et tirât de lui une copie de cette vertu qui fût conforme à son original. Elle seule sut aimer avec plus de perfection que toutes les autres ensemble , aimant Dieu purement pour Dieu, et les créatures pour Dieu môme et comme il les aime. Elle seule a suivi justement les mouvements et les généreuses inclinations de la charité, aimant le souverain bien (1) Cant., VI, 9. 162 pour le souverain bien, sans aucune autre prétention, et aimant les créatures à cause de la participation qu'elles ont de Dieu, et non pas pour le retour ni pour la récompense, et afin qu'imitant en toutes choses la Charité incréée, elle seule pût et sût aimer pour rendre meilleur' ce qu'elle aimait, puisqu'elle opéra de telle sorte par son amour, qu'elle procura des avantages au ciel et sur la terre en tout ce qui a l'être, excepté Dieu. 521. Que si l'on pouvait mettre la charité de cette auguste Reine dans un des bassins d'une balance, et celle de tous les hommes et de tous les anges dans l'autre, la sienne l'emporterait, puisque tous ensemble n'ont jamais pu connaître autant qu'elle seule a connu la nature et la qualité de la charité de Dieu, puisqu'il n'y a que la seule Marie qui ait su l'imiter avec une juste proportion, et avec tant de perfection, qu'elle a surpassé toute la na:ure.des pures créatures intellectuelles. Dans cet excès d'autour et de charité, elle satisfit et répondit à la dette que les créatures avaient contractée envers l'amour infini que le Seigneur leur portait, autant que cet autour le pouvait exiger, ne leur demandant pas des choses d'un prix infini, parce que cela leur était impossible. Et comme l'amour et la charité de l'âme très-sainte de Jésus-Christ eut quelque proportion dans le degré possible avec l'union hypostatique, ainsi la charité de Marie eut une autre proportion avec l'insigne faveur que le Père éternel lui fit en lui donnant sou très-saint Fils, afin qu'elle fût conjointement sa 163 Mère, et qu'elle le conçût et l'enfantât pour le remède du monde. 522. D'où nous pouvons inférer que tout le bien et toute la félicité des créatures se terminent en quelque façon à la charité et à l'amour que la très-pure Marie a eu pour Dieu. Elle a été cause que cette vertu et cette participation de l'amour divin fut dans sa dernière et sa plus haute perfection parmi les créatures. Elle paya cette dette entièrement, pour tous, lorsque aucun ne songeait à en faire la juste satisfaction, et ne s'apercevait même de cette obligation. Elle obligea par cette très- parfaite charité le Père éternel , en la manière possible, de lui donner son très-saint Fils, pour elle et pour tout le genre humain; parce que, si la très-auguste Marie eût moins aimé, ou que sa charité eût eu le moindre défaut, il n'y avait point de disposition dans notre nature pour s'attirer l'incarnation du Verbe; mais se trouvant la créature parmi toutes qui a imité la charité divine dans un si haut degré de perfection, il semblait devoir s'ensuivre que Dieu descendit en elle comme il le fit. 523. Le Saint-Esprit nous exprime tout ce que nous venons de dire en l'appelant Mère de la belle dilection (1), et en lui attribuant ces paroles (comme je l'ai déjà dit de la sainte espérance), Marie est Mère de notre très-doux amour Jésus-Christ, notre Seigneur et Rédempteur, très-beau sur tous les enfants des (1) Eccles., XXIV, 24. 164 hommes, ayant par la Divinité une beauté infinie et incréée, et par l'humanité toutes les perfections, tous les attraits et toutes les grâces que la Divinité lui put communiquer, sans qu'aucun péché ni défaut se soient jamais pu trouver en lui (1). Elle est aussi Mère du bel amour, parce qu'elle seule conçut dans son entendement l'amour le plus parfait et la plus belle charité que toutes les autres créatures pussent jamais former avec toute cette beauté et cette perfection qu'il fallait pour mériter absolument le titre de beau. Elle est Mère de notre amour, parce qu'elle nous l'a attiré au monde, qu'elle nous l'a gagné, et qu'elle nous a enseigné à le connaître et à le pratiquer; car sans la très-pure Marie, il n'y avait aucune autre pure créature dans le ciel ni sur la terre de qui les hommes et les anges eussent pu être disciples du bel amour. C'est pourquoi tous les saints sont comme des rayons de ce soleil et comme des ruisseaux qui sortent de cette source; ils savent d'autant plus aimer, qu'ils participent davantage à l'amour et à la charité de l'auguste Marie, et qu'ils l'imitent avec plus de perfection. 524. Les causes de cette charité et de cet amour de notre Princesse Marie furent sa profonde connaissance et sa très-haute sagesse, tant pour ce qui regardait les vertus infuses de foi et d'espérance, que pour ce qui concernait les dons du Saint-Esprit, et surtout à l'égard des visions intuitives et abstractives (1) I Petr., II, 22. 165 qu'elle eut de la Divinité. Toutes ces choses lui servirent de voies pour arriver à la très-haute connaissance de la Charité incréée, qu'elle puisa dans sa propre source; et comme elle connut qu'il fallait aimer Dieu pour lui-même, et les créatures pour Dieu, elle le pratiqua ainsi avec un très-ardent amour. Le pouvoir divin, ne trouvant en la volonté de cette grande Reine aucun empêchement, aucune trace du péché, aucune ignorance, ni la moindre imperfection, opéra efficacement en elle tout ce qu'il voulut, et même ce qu'il n'opéra pas envers les autres créatures, parce qu'il ne trouva point en aucune autre la disposition qu'il rencontra en .la très-sainte Vierge. 525. Ce fut le prodige da pouvoir de Dieu, la plus grande épreuve de sa charité incréée; et l'accomplissement de ce grand précepte naturel et divin : Tu aimeras ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme, de tout ton entendement et de toutes tes forces (1), parce que la seule Marie suppléa pour toutes les créatures en payant cette dette, à laquelle elles ne savaient ni ne pouvaient entièrement satisfaire pendant cette vie et avant que de voir Dieu. Cette divine Dame s'en acquitta avec plus de perfection étant voyageuse, que les séraphins ne le font étant compréhenseurs. Elle sauva aussi en quelque façon les intérêts de Dieu dans ce précepte, afin qu'il reçût sa plénitude et ne fût pas comme frustré dans son accomplissement (1) Deut., VI, 5. 166 du côté des voyageurs, puisque la seule Marie le sanctifia et le remplit pour tous, suppléant abondamment à tous leurs défauts. Que si Dieu ne se fût pas représenté notre auguste Reine en prescrivant aux mortels ce commandement de tant d'amour et de charité, il ne l'aurait pas peut-être mis en cette forme; mais il voulut bien le faire ainsi, seulement pour cette divine Princesse; et nous pouvons dire que nous lui sommes redevables tant du commandement de la parfaite charité que de son juste accomplissement. 626. O très-douce Mère de la belle dilection et de l'ardente charité (1)! que tontes les nations vous connaissent, que toutes les générations vous Unissent, et que toutes les créatures vous glorifient et vous louent; vous êtes la seule parfaite, la seule bien-aimée et la seule choisie pour Mère par la Charité incréée; elle vous a formée unique et élue comme le soleil pour reluire dans votre très-beau et très- parfait amour. Approchons-nous tous, nous qui ne sommes que de misérables enfants d'Ève, vers ce soleil (2), afin qu'il nous éclaire et nous enflamme. Unissons-nous à cette M ère, afin quelle nous régénère en amour. Ayons recours à cette Maîtresse, afin qu'elle nous enseigne à avoir et à pratiquer le pur amour, l'ardente dilection et la belle charité sans aucune imperfection: Amour signifie une affection qui se plaît et se repose en celui qui est aimé; dilection dénote une oeuvre de quelque élection, ou une. séparation de ce (1) Eccles., XXIV, 24. - (2) Cant., VI, 9. 167 que l'on aime d'avec tout le reste; et charité, qui excelle sur tout cela, signifie une très-haute estime qu'on fait de celui qu'on veut honorer et aimer tout ensemble au plus haut degré possible. La Mère de ce bel amour nous l'enseignera tout, puisqu'il ne possède ce titre de beau que parce qu'il renferme tous ces avantages; nous apprendrons en elle à aimer Dieu pour Dieu, en lui abandonnant tout notre coeur et toutes nos affections, à le distinguer de tout ce qui n'est pas le souverain bien, puisque l'amour de celui qui veut aimer quelque autre chose avec lui est fort imparfait, et à le savoir estimer plus que l'or et plus que tout ce qui passe, pour précieux aux yeux des hommes, puisque à son égard tout ce qui est précieux est méprisable, toute la beauté n'est que laideur, et tout ce que les yeux charnels estiment grand est abject et de nulle valeur. Je parlerai dans tout le cours de cette histoire des effets de la charité de la très-pure Marie, le ciel et la terre en sont remplis; c'est pourquoi je rie m'arrête pas à particulariser ce que les langues ni les paroles des hommes, ni même celles des anges, ne peuvent exprimer. Instruction de la Reine du ciel. 527. Ma fille, si je désire avec une tendresse de mère que vous me suiviez et m'imitiez dans toutes les 168 autres vertus, pour ce qui regarde celle de la charité (qui est la fin et la couronne de toutes), je vous enjoins et vous déclare que c'est ma volonté que vous fassiez tous vos efforts pour graver dans votre âme avec une plus grande perfection une fidèle image de tout ce que vous avez connu en la mienne. Allumez le flambeau de la foi et de la raison pour tacher de trouver cette drachme d'un prix infini (1), et quand vous l'aurez rencontrée, oubliez et méprisez tout ce qui est terrestre et corruptible, et considérez, pesez et repassez plus d'une fois dans votre esprit les raisons et les causes infinies qu'il y a en Dieu pour être aimé sur toutes choses. Et, afin que vous sachiez comme vous le devez aimer avec la perfection que vous le souhaitez, voici les marques et les effets de l'amour par lesquels vous connaîtrez si celui que vous avez est parfait et véritable : si vous méditez et pensez continuellement en Dieu, si vous observez ses commandements et ses conseils sans tiédeur et sans dégoût; si vous appréhendez de l'offenser; si, l'ayant offensé, vous faites incontinent votre possible pour l'apaiser; si vous avez de la douleur qu'il soit offensé, et vous réjouissez que toutes les créatures le servent; si vous désirez et prenez plaisir de parler incessamment de son amour; si vous ressentez une sensible joie de son souvenir et de sa présence, si vous vous affligez de son oubli et de son absence; si vous aimez ce qu'il aime et haïssez ce qu'il hait; si vous tâchez d'attirer tous les hommes à son (1) Luc, XV, 8. 169 amitié et à sa grâce; si vous demandez avec confiance; si vous recevez ses bienfaits avec gratitude; si vous ne les perdez point et les employez à son honneur et à sa gloire; et si vous désirez toujours ce qui est le plus parfait, et ne travaillez qu'à détruire en, vous-même les mouvements des passions, qui vous retardent ou empêchent les saintes et amoureuses affections et la pratique des vertus. 528. Tous ces effets et plusieurs autres que je ne déclare pas marquent, comme des indices de la charité, le plus ou le moins de perfection de celle qui est en l'âme. Et surtout lorsqu'elle est forte et enflammée, elle ne souffre aucune oisiveté dans les puissances, ni ne tolère aucune souillure dans la volonté; parce que aussitôt elle les purifie et lés consume toutes, n'ayant aucun repos que quand elle goûte la douceur du souverain bien qu'elle aime : à cause que sans lui elle languit, elle est blessée, elle est malade et altérée de ce vin qui enivre le coeur (1), en lui faisant oublier tout ce qui est corruptible, terrestre et passager. Et, comme la charité est la mère de toutes les autres vertus, on ne tarde pas longtemps de s'apercevoir de sa fécondité dans une âme qui est assez heureuse que de lui servir de demeure : parce qu'elle la remplit et l'orne des habitudes des autres vertus, qu'elle produit par les actes réitérés, comme l'Apôtre nous l'a signifié (2). L'âme qui est ornée de la charité n'a pas seulement les affections de cette vertu par lesquelles elle aime le (1) Cant., V, 1. - (2) I Cor., XIII, 4, etc. 170 Seigneur, mais elle est aimée de Dieu même; et elle reçoit de l'amour divin cet effet réciproque qui fait que Dieu est en celui qu'il aime, et que la très-sainte Trinité vient faire sa demeure en lui comme dans son temple; cette faveur étant si grande, qu'on ne la peut exprimer par des paroles, ni faire comprendre par des exemples pendant la vie des mortels. 529. L'ordre de cette vertu est d'aimer premièrement Dieu, qui est au-dessus de toutes les créatures; ensuite la créature se doit aimer elle-même, et après elle son prochain (2). On doit aimer Dieu de tout son entendement sans erreur, de toute sa volonté sans tromperie, de toute sa mémoire sans oubli, de toutes ses forces sans lâcheté, sans tiédeur et sans négligence. Le motif que la charité a d'aimer Dieu, et tout le reste sur quoi elle s'étend, est Dieu, parce qu'il doit être aimé à cause de lui- même, étant comme il est le souverain bien, infiniment parfait et infiniment saint. Et aimant Dieu par ce motif, il doit s'ensuivre que la créature est dans l'obligation de s'aimer et d'aimer son prochain comme elle-même : parce que ni elle ni son prochain ne s'appartiennent pas si étroitement qu'au Seigneur, puisque c'est de sa participation qu'ils reçoivent l'être, la vie et le mouvement. Que si fon aime véritablement Dieu pour ce qu'il est, on aime aussi tout ce qui est de Dieu, et qui a quelque participation de sa bonté. C'est pourquoi la charité regarde le prochain comme un ouvrage et une participation de (1) I Joan., IV, 16. - (4) Joan., XIV, 23. Dieu; elle ne met point de différence entre ami et ennemi, parce qu'elle considère seulement ce qu'ils ont reçu de Dieu, et qu'ils lui appartiennent : cette vertu ne faisant nullement réflexion sur les qualités que la créature peut avoir d'ami ou d'ennemi, de bienfaiteur ou de malfaiteur; toute la distinction qu'elle fait est entre ceux qui participent plus ou moins à la bonté infinie du Très-Haut, et elle les aime tous en Dieu, et pour Dieu, selon cet ordre. 530. Toutes les autres choses que les créatures aiment pour d'autres fins ou d'autres motifs, en espérant quelque retour et quelque utilité, ou les aimant d'un amour désordonné de concupiscence, ou avec un amour humain et naturel, bien qu'il soit vertueux et bien ordonné, tout cela n'a nulle relation à la charité infuse. Et comme c'est la coutume des hommes de se mouvoir par ces biens particuliers et par ces fins intéressées et terrestres, c'est pour cela qu'il y en a trèspeu qui recherchent, embrassent et connaissent la noblesse de cette généreuse vertu, et qui l'exercent avec la perfection requise, puisqu'ils cherchent et invoquent même Dieu pour les biens temporels ou pour les faveurs et les consolations spirituelles. Je veux, ma fille, que vous éloigniez votre coeur de tous ces amours désordonnés, et que la seule charité bien ordonnée à laquelle le Très-Haut a fait pencher vos désirs, demeure en lui. Que si vous redites tant de fois que cette vertu est la plus belle et la plus reconnaissante, la plus digne d'être aimée et estimée de toutes les créatures, faites aussi tous vos efforts pour la bien connaître, et, l'ayant 172 connue, achetez cette précieuse perle, en oubliant et éteignant dans votre coeur tout l'amour qui n'est point de la charité très-parfaite. Vous ne devez aimer aucune créature que pour Dieu seulement, pour ce que vous connaissez en elle qui vous le représente, et comme une chose qui lui appartient, en la manière que l'épouse aime tous les serviteurs et domestiques de la maison de son époux, ne les aimant que parce qu'ils sont à lui : que si vous vous écartez d'aimer quelque créature sans aucune considération de Dieu en elle, et de ne la pas aimer pour le Seigneur, soyez persuadée que vous ne l'aimez point avec charité, ni comme je l'exige de vous, et comme le Très-Haut vous l'a commandé. Vous connaîtrez aussi si vous aimez votre prochain avec charité dans la différence que vous ferez entre l'ami et l'ennemi, le pacifique et le revêche, le civil et l'incivil, et entre celui qui a des perfections naturelles et celui qui ne les a pas. La véritable charité ne fait point toutes ces distinctions; ce désordre est causé par les inclinations naturelles ou par les passions des appétits, que vous devez maîtriser, éteindre et égorger par cette vertu. CHAPITRE IX. De la vertu de prudence de la très-sainte Vierge. 531. Comme l'entendement précède dans ses opérations la volonté, et la dirige dans les siennes, ainsi les vertus qui appartiennent à l'entendement sont devant celles qui appartiennent à la volonté. Et, quoique le propre de l'entendement soit de connaître la vérité et de la concevoir, d'où résulte quelque sujet de douter si ses habitudes sont des vertus (dont la nature consiste à porter su bien et à le pratiquer), néanmoins il est certain qu'il y a aussi des vertus intellectuelles dont les opérations sont louables et bonnes, étant réglées par la raison et par la vérité, que l'entendement reconnaît pour son propre bien. Et lorsqu'il enseigne et propose ce bien à la volonté, afin qu'elle le désire et lui donne des règles pour le pratiquer, alors l'acte de l'entendement est bon et vertueux, par rapport à l'objet théologique, comme la foi, ou moral, comme la prudence, qui redresse et conduit par ses connaissances les opérations des appétits. Pour ce sujet la vertu de prudence est la première, et elle appartient à l'entendement, celle-ci étant comme 174 la racine des autres trois vertus morale et cardinales; car avec la prudence leurs opérations sont louables, et sans cette vertu elles sont vicieuses et blâmables. 532. Notre auguste Reine Marie eut cette vertu de prudence dans le plus haut degré, proportionné à celui des autres vertus dont j'ai déjà fait mention, et comme je le dirai dans la suite en traitant de celles qui redent: l'Église appelant cette divine Dame Vierge très-prudente à cause de la prééminence de cette vertu. Et comme elle est celle qui conduit, qui redresse et commande toutes les oeuvres des autres vertus , et que dans toute cette histoire il est traité de celles que la très-pure Marie opérait, et que dans la suite tout le discours sera rempli . du peu que je pourrai dire et écrire de cet Océan de prudence, puisque la lumière de cette vertu éclatera dans toutes ses œuvres, qu'elle dirigeait par cette lumière, c'est pour cette raison que je parlerai maintenant plus en général de la prudence de notre très-sainte Dame, en la déclarant par ses parties et par ses qualités, selon la doctrine commune des docteurs et des saints, afin qu'on en puisse avoir par ce moyen une plus grande connaissance. 533. Notre auguste Reine eut au plus haut degré possible les trois sortes de prudence, qu'on appelle prudence politique, prudence purgative, et prudence de l'esprit purgé ou purifié et parfait : car, bien que ses puissances fussent très- purifiées ou qu'elles n'eussent, pour mieux dire, aucune chose à purifier du péché ni aucune contradiction en la vertu, elles avaient néanmoins quelque chose à purifier dans l'ignorance 175 naturelle, et elles devaient marcher du bon et du saint au plus parfait et au très- saint. Cela se doit entendre par rapport à ses propres oeuvres, en les comparant entre elles-mêmes, et non point avec celles des autres créatures : parce que, en comparaison des autres saints, il n'y eut aucune œuvre moins parfaite en cette Cité de Dieu, dont les fondements étaient établis sur les saintes montagnes (1); mais, comme elle croissait dès l'instant de sa conception en la charité et en la grâce, les œuvres, qui furent en soi très-parfaites et supérieures à toutes celles des saints, furent en cette très-sainte Dame moins parfaites par rapport aux autres plus relevées auxquelles elle montait. 534. La prudence politique, en général, est celle qui fait réflexion sur tout ce qui est à faire, et qui le pèse avec ponctualité; et en le soumettant à la raison, elle ne fait rien qui ne soit droit et bon. La prudence purgative est celle qui arrache notre coeur de tout ce qui est sensible pour le porter à la contemplation divine et à tout ce qui est céleste. La prudence de l'esprit purgé est celle qui regarde le souverain bien et qui lui adresse toute l'affection pour s'y unir et s'y reposer, comme s'il n'y avait aucune autre chose hors de lui. Toutes ces différentes prudentes étaient dans l'entendement de la très-sainte Vierge pour discerner et pour connaître sans tromperie, pour diriger et mouvoir sans lâcheté et sans retardement le plus haut et le plus parfait de ces opérations. Le jugement de (1) Ps. LXXXVI,2. 176 cette auguste Princesse ne put jamais inspirer ni estimer aucune chose dans toutes sortes de matières que ce ne fût le meilleur et le plus droit. Personne n'a pu si bien qu'elle éloigner tout ce qui est mondain et sensible, pour porter avec plus de liberté l'affection à la contemplation des choses divines. Et, les ayant connues, comme elle le fit avec tant de différentes lumières, elle était si fort unie par amour au souverain bien, que rien ne la retarda ni l'empêcha de reposer dans le centre de son amour. 535. Il n'y a point de doute que toutes les parties qui composent la prudence ne se trouvassent en notre Reine dans leur plus haut degré de perfection. La première est la mémoire, pour rendre présentes les choses passées et expérimentées, d'où plusieurs règles de procéder et d'opérer dans le futur et dans le présent sont déduites : parce que cette vertu traite des opérations en particulier; et comme elle ne peut avoir une règle générale pour toutes, on est dans la nécessité d'en tirer plusieurs de beaucoup d'exemples et d'expériences; et pour cela il faut avoir recours à la mémoire. Cette partie fut si constante en notre auguste Reine, qu'elle ne fut jamais sujette au défaut naturel de l'oubli, parce qu'elle eut toujours immobile et présent dans sa mémoire ce qu'elle conçut et ce qu'elle apprit une fois. La très-pure Marie surpassa en cette faveur tout l'ordre de la nature humaine et même l'angélique, Dieu faisant en elle un épilogue de tout ce qu'il y avait de plus parfait dans toutes les deux. Elle eut de la nature humaine l'essentiel, et de l'accidentel 177 ce qui en était le plus parfait, le plue éloigné du péché et le nécessaire pour mériter; et quant aux dons naturels et surnaturels de la nature angélique, elle en eut plusieurs dans un plus haut degré que les anges mêmes par une grâce singulière : l'un desquels fut la mémoire ferme et constante sans pouvoir oublier ce qu'elle apprenait, et autant qu'elle surpassa lés anges eu la prudence, autant elle les surpassa en cette partie, la mémoire. 536. L'humble pureté de la très-sainte vierge limita cette faveur avec mystère en une seule chose, parce que, comme les espèces de toutes les choses demeuraient fermes en sa mémoire, il n'était pas possible qu'elle n'eût connu parmi elles plusieurs souillures et péchés des créatures; c'est pourquoi la très-humble et très- pure Princesse demanda au Seigneur que le bienfait de la mémoire ne s'étendit à conserver ces espèces que sur ce qui serait nécessaire pour exercer la charité fraternelle envers son prochain, et pour l'exercice des autres vertus. Le Très-Haut lui accorda cette demande, plus en témoignage de son humilité très-candide que pour son propre danger, puisque le soleil ne peut être souillé par les ordures que ses rayons touchent, ni les anges être troublés par nos saletés, parce que tout est net pour les purs (1). Mais le Seigneur des anges voulut avantager, sa Mère en cette faveur plus qu'ils ne l'avaient été, et conserver seulement en sa mémoire les espèces de (1) Tit., I, 15. 178 tout ce qui était le plus saint, le plus honnête et le plus net, le plus aimé de sa pureté et le plus agréable à sa divine Majesté : de sorte que cette très-sainte âme était (même touchant cet article) plus belle et plus ornée d'espèces en sa mémoire que tout ce qu'on peut s'imaginer de plus pur et de plus à souhaiter. 537. La seconde partie de la prudence s'appelle intelligence, qui regarde principalement ce qui se doit faire dans le présent. Elle consiste à pénétrer profondément et véritablement les raisons et les principes assurés des oeuvres vertueuses pour les exécuter; en déduisant leur exécution de cette intelligence, tant en ce que l'entendement connaît de l'honnêteté de la vertu en général, qu'en ce que doit faire eu particulier celui qui se propose d'opérer avec rectitude et avec perfection; par exemple, lorsque j'ai une profonde intelligence de cette vérité : Tu ne dois faire à personne le dommage que tu. ne veux pas recevoir d'un autre; donc tu ne dois pas faire à ton frère ce tort particulier que tu trouverais mauvais que l'on te fit. La très-sainte Vierge eut cette intelligence en un degré d'autant plus haut que toutes les créatures, qu'elle connut plus que toute autre des vérités morales, et qu'elle pénétra plus profondément leur droiture ineffable et la participation que cette rectitude avait de la divine. Dans cet entendement très-éclairé par les plus grandes splendeurs de la divine lumière, il n'y avait ni tromperie, ni igorance, ni doute, ni opinions, comme dans les autres créatures, parce qu'il pénétra toutes les vérités (spécialement dans les 179 matières pratiques des vertus), et les conçut en général et en particulier comme elles sont en elles-mêmes, ayant cette partie de la prudence dans ce degré incomparable. 538. La troisième est appelée prévoyance, et elle est la principale partie de la prudence, parce que le plus important dans la direction des actions humaines, est d'ordonner le . présent à l'avenir, afin qu'on règle toutes choses avec droiture, et c'est ce que la prévoyance fait. Notre Reine et Maîtresse eut cette partie de la prudence en un degré plus excellent que toutes les autres, selon une certaine manière, car le moins ne se pouvait point trouver en elle, parce que outre la mémoire du passé et la profonde intelligence du présent, elle avait une science et une connaissance infaillible de plusieurs choses futures, sur lesquelles la bonne prévoyance s'étendait. Elle prévoyait les choses futures par cette connaissance et par cette lumière infuse, et elle réglait les événements de telle sorte qu'il n'y en pût avoir aucun qui fût fortuit et inconsidéré à son égard. Elle avait prévu, considéré et pesé toutes choses dans le poids du sanctuaire de son entendement, éclairé par la lumière infuse ; ainsi elle attendait sans aucun doute ni aucune incertitude, au contraire des autres hommes, mais avec une assurance très-claire, tous les événements avant qu'ils arrivassent : disposant toutes choses de façon que chacun trouvât son lieu, son temps et sa conjoncture convenable, afin que tout fit bien ordonné. 180 539. Ces trois parties de la prudence renferment les opérations que l'entendement a par le moyen de cette vertu, en les distribuant par rapport aux trois parties du temps, passé, présent et futur. Mais si nous considérons toutes les opérations de cette vertu en tant qu'elle connaît les moyens des autres vertus et qu'elle dirige les opérations de la volonté, nous trouverons que les docteurs et les philosophes ajoutent dans cette considération cinq autres parties et cinq opérations à la prudence, qu'on appelle docilité, raisonnement, pénétration, circonspection et précaution. La docilité est la banne disposition qu'a la créature pour être enseignée par les plus sages, et qui l'empêche de croire l'être et de s'appuyer sur son propre jugement, ni sur sa sagesse particulière. Le raisonnement consiste à discourir juste, tirant des connaissances générales qu'on a les raisons ou les conseils particuliers pour les opérations vertueuses. La pénétration est une grande attention et une application diligente et avisée qui s'étend sur tout ce qui arrive (comme la docilité sur ce qu'on nous enseigne) pour juger sainement et tirer des règles qui nous fassent bien opérer dans nos actions. La circonspection est une considération des circonstances que l'oeuvre vertueuse doit avoir, parce que la bonne fin qu'on se propose ne la rend pas louable, si les circonstances et le temps propre et requis ne l'accompagnent. La précaution est un soin discret que l'on prend pour prévoir et pour éviter les dangers, ou les obstacles qui nous peuvent arriver sous des apparences de 181 vertu , et qui pourraient nous surprendre si nous ne nous tenions sur nos gardes. 540. Toutes ces parties de la prudence se trouvèrent sans aucun défaut et avec leur dernière perfection en la Reine du ciel. La docilité fut en elle comme la fille légitime de son humilité incomparable, puisque ayant reçu dès l'instant de son immaculée conception une si grande plénitude de science, et étant la Maîtresse et la Mère de la véritable sagesse elle se laissa néanmoins toujours enseigner par les plus grands et par les égaux selon la nature, aussi bien que par les plus petits, s'estimant la moindre de tous, et voulant bien être disciple de ceux qui étaient très-ignorants par rapport à elle. Elle donna durant toute. sa vie des marques de cette docilité comme une très-innocente colombe, cachant sa sagesse avec une prudence plus grande que celle du serpent (1). Elle se laissa enseigner par ses parents, par sa maîtresse Anne, par ses compagnes, par son époux Joseph et par les apôtres, voulant apprendre de toutes les créatures pour être un exemple admirable de cette vertu et de celle de l'humilité, comme j'ai déjà dit. 541. Le raisonnement de la très auguste Marie se découvre fort clairement dans les endroits où l'évangéliste saint Luc parlant d;elle, dit qu'elle conservait et ruminait dans son coeur ce qui arrivait touchant les couvres et les mystères de son très-saint Fils (2). Cette réflexion qu'elle y faisait ne pouvait être qu'un (1) Matth., X,16. - (2) Luc., II, 19 et 51. 182 effet de son raisonnement, par lequel elle confrontait les choses premières avec celles qui succédaient, les méditant en elle-même pour former dans son coeur des conseils très-prudents, et les appliquer ensuite à tout ce qui était convenable pour opérer aussi justement et avec cette rectitude qu'elle le faisait. Et quoiqu'elle connût plusieurs choses sans discours, et par une vue ou intelligence très-simple qui surpassait tous les discours humains, elle pouvait néanmoins se servir du raisonnement, par rapport aux couvres qu'elle devait exercer dans les vertus et appliquer par le discours le raisonnement général des vertus à ses propres opérations. 542. La Princesse du ciel fut aussi fort avantagée en la pénétration, qui est un prompt avertissement de la prudence, parce qu'elle n'était aucunement embarrassée du pesant fardeau des passions et de la corruption; ainsi elle ne ressentait ni défaut, ni retardement dans ses puissances; au contraire, elle était toujours prête et fort dégagée en toute sorte de rencontre pour délibérer et prendre garde sur tout ce qui pouvait servir à faire un jugement droit et un conseil sain et judicieux lorsqu'elle voulait pratiquer les vertus, pénétrant avec une grande vivacité d'esprit tous les moyens d'arriver à la vertu et de la pratiquer dans toute sa perfection. Elle fut également admirable en la circonspection, parce que toutes ses oeuvres furent si accomplies qu'il ne leur manqua aucune bonne circonstance, étant toutes accompagnées de celles qui purent les élever dans le plus haut degré de perfection ; 183 et comme la plus grande partie de ses oeuvres se terminait à la charité du prochain, et qu'elle les faisait toutes si à propos, c'est pour cela que, soit qu'elle enseignât, consolât, avertit, priât, ou corrigeât, on ressentait toujours avec quelque profit la douceur efficace de ses raisonnements, et l'on était charmé de l'agrément de ses oeuvres. 543. Il fallait que la dernière partie, qui est la précaution, fût avec plus de perfection en la Reine des anges que dans eux-mêmes, afin qu'elle allât au-devant des empêchements qui peuvent détourner ou détruire la vertu, parce que la grande sagesse qu'elle avait, et l'amour qui répondait à cette sagesse, la rendaient si fort avisée, qu'il n'y out aucun événement ni aucun obstacle qui pussent la surprendre, et qu'elle ne surmontât pour opérer toutes les vertus dans une très-haute perfection. Et comme l'ennemi (selon que je le dirai dans la suite) était si vigilant à lui former des empêchements extraordinaires pour la détourner du bien, ne pouvant les exciter dans ses passions, c'est pour cela que la très-prudente Vierge exerça plusieurs fois cette précaution avec l'admiration de tous les anges. Le démon conçut de cette conduite discrète de la très-pure Marie autant de rage que de crainte et d'envie; et il aurait bien voulu connaître par quel pouvoir elle détruisait tant d'embûches et tant de tromperies, qu'il lui dressait pour la faire manquer en quelque chose, dont il demeurait toujours trompé, confus et vaincu parce que la maîtresse des vertus opérait toujours en toutes les matières 184 et dans toutes les occasions ce qui en était le plus parfait. Outre les parties dont nous venons de parler, qui composent la prudence, on partage encore cette vertu en diverses espèces, selon que les objets et les fins pour lesquelles on s'en sert, le demandent; et comme la conduite de la prudence se peut étendre sur soi-même ou sur les autres, c'est pour cela qu'on la divise selon qu'elle nous enseigne à nous conduire nous-mêmes, et à gouverner les autres. Je crois que celle qui sert à chacun pour la conduite de ses propres actions, s'appelle énarchique, et de celle-ci nous n'en dirons pas davantage que ce que nous en avons dit ci-dessus, parlant de la conduite que la Reine du ciel observait principalement envers elle-même. Celle qui enseigne le gouvernement de plusieurs, est appelée poliarchique, et on la divise en quatre espèces, selon les différentes manières de gouverner les diverses parties de la multitude. La première de ces espèces se nomme prudence monarchique, qui enseigne à gouverner les royaumes par des lois justes et nécessaires; c'est la propre des rois, des princes, des monarques, et de ceux en qui la puissance suprême se. trouve. La seconde est la politique, on applique ce nom à celle qui enseigne le gouvernement des villes où des républiques. La troisième est la prudence économique, qui s'étend sur le gouvernement domestique des familles et des maisons particulières. La quatrième, la prudence militaire, qui enseigne à faire la guerre et à conduire les armées. 644. Il ne manqua aucune de ces sortes de prudences 185 à notre grande Reine, parce qu'elle les reçut toutes en habitude dans l'instant qu'elle fut conjointement et conçue et sanctifiée, afin qu'elle eût toutes les grâces, toutes. les vertus et toutes les perfections qui la devaient embellir et élever au- dessus de toutes les créatures. Le Très-Haut la forma pour être la trésorière et la dépositaire de tous ses dons, le modèle de toutes les autres créatures, pour faire éclater sa puissance et sa grandeur, et afin que l'on connût entièrement dans la Jérusalem céleste ce qu'il put et ce qu'il voulut, opérer en une pure créature. Les habitudes de ces vertus ne furent point oisives dans la très-pure Marie, parce qu'elle les exerça toutes en des occasions qui lui arrivèrent pendant le cours de sa vie. Pour ce qui regarde la prudence économique, on sait assez combien elle y excella dans le gouvernement de sa maison, envers son époux Joseph et envers son très-saint Fils; se comportant dans son éducation et dans le service qu'elle lui rendait, avec la prudence que le plus haut et le plus caché mystère que Dieu ait confié aux créatures, demandait, comme j'en traiterai dans son lieu, où je dirai ce qu'il me sera possible de ce que j'en ai connu. 645. Elle eut, en qualité de seule Impératrice de l'Église, la prudence monarchique, enseignant, instruisant et gouvernant les saints apôtres dans la primitive Église, afin de l'assurer et d'établir en elle les lois et les cérémonies les plus nécessaires et les plus convenables à sa propagation et à sa fermeté; et quoiqu'elle leur obéît et les interrogeât, dans les choses 186 particulières, singulièrement saint Pierre, comme vicaire de Jésus-Christ, et saint Jean, comme son aumônier ; néanmoins ils la consultaient et lui obéissaient conjointement avec les autres fidèles dans les choses générales et dans toutes les affaires qui concernaient le gouvernement de l'Église. Elle enseigna aussi les rois et les princes chrétiens qui lui demandèrent conseil, parce que plusieurs s'adressèrent à elle après la glorieuse ascension de son très-saint Fils pour avoir le bien de la connaître et d'en être instruits ; principalement les trois rois mages , qui le consultèrent après avoir adoré l'Enfant; et elle leur répondit et leur enseigna tout ce qu'ils devaient faire clans leur gouvernement et dans leurs États, avec tant de lumière et si à propos, quelle fut l'étoile et la guide qui leur enseigna le chemin de l'éternité. Ils s'en retournèrent en leur pays éclairés, consolés et remplis d'admiration de sa sagesse , de sa prudence et de la très-douce efficace des paroles qu'ils avaient ouïes d'une si jeune vierge; et pour être convaincus de cette vérité, il ne faut qu'entendre cette même Reine quand elle dit : Les rois règnent par moi, et c'est par moi que les princes commandent, et les législateurs ordonnent ce qui est juste (1). 546. Elle exerça aussi la prudence politique, enseignant les républiques, les peuples et les assemblées des premiers fidèles, singulièrement comment ils se devaient comporter dans leurs actions publiques et (1) Prov., VIII, XV. 187 dans leurs gouvernements; comment il fallait obéir aux rois, aux princes temporels, et particulièrement au vicaire de Jésus-Christ et chef de l'Église, aux supérieurs et aux évêques; et en quelle manière on devait régler les conciles, aussi bien que les définitions et les décrets qu'on y faisait. La prudence militaire se trouva pareillement en notre auguste Reine, parce qu'elle fut aussi consultée sur ce qui regardait cet exercice, par quelques fidèles à qui elle conseilla et enseigna ce qu'ils devaient faire dans les guerres justes contre leurs ennemis, afin qu'elles se fissent avec plus de justice et avec un plus grand agrément du Seigneur. On pourrait rapporter ici le courage invincible et la prudence héroïque dont cette puissante Dame se servit pour vaincre le prince des ténèbres, nous enseignant de combattre contre lui avec bien plus de sagesse et de prudence que ne le firent David contre le géant (1), Judith coutre Holopherne (2), ni Esther contre Aman (3). Quand nième ces espèces et ces habitudes de prudence n'eussent point dû servir à la Mère de la sagesse pour toutes les actions que nous venons de raconter, il, était convenable qu'elle les eût toutes, non-seulement à cause de l'ornement qui en résultait à son âme très-sainte, mais aussi pour être la médiatrice et l'avocate incomparable du monde; car devant demander sous ces qualités tous les secours que Dieu avait destinés aux hommes, sans qu'ils en dussent recevoir aucun qui ne leur vint par (1) 1 Reg., XVII, 50. - (2) Judith., XIII, 10. - (3) Esther., VII, 6. 188 ses mains et par son intercession, il fallait qu'elle eût une connaissance parfaite des vertus quelle demandait pour eux , et qu'elles sortissent de cette Dame comme de leur origine et de leur source, après notre Seigneur Jésus-Christ, où elles se trouvent comme dans leur principe incréé. 547. On attribue d'autres aides à la prudence, qui sont comme ses instruments, qu'on appelle, parties potentielles, dont elle se sert pour opérer. Ces aides sont la force ou la vertu , qui fait un jugement sain, et qui s'appelle synesis; celle qui forme un bon conseil et qu'on nomme ebulia; et celle qui dans certains cas particuliers enseigne de sortir des règles communes, qui s'appelle gnome; celle-ci est nécessaire pour l'epiqueya, qui juge certains cas par des règles supérieures aux lois ordinaires. La prudence se trouva dans toutes ces perfections ,et dans toute cette force en la très-sage Marie, parce que personne ne sut former comme elle un bon conseil pour tous dans les occasions, et ne put aussi (quand même ç'aurait été le plus élevé de tous les anges) faire un jugement si solide qu'elle le faisait sur tous les objets qui se présentaient. Notre très-prudente Reine pénétra surtout les raisons et les règles supérieures d'agir très à propos dans les cas qu'on ne pouvait pas décider par les règles ordinaires et communes, et dont il nous faudrait faire un trop long discours si nous les voulions raconter ici; on en verra plusieurs dans la continuation de sa très-sainte vie. Enfin, pour conclure tout ce présent discours de sa prudence, on n'a qu'à la mesurer 189 sur celle de l'âme très-sainte de notre Seigneur Jésus-Christ, et l'on trouvera qu'elle lui était égale en toutes choses, autant que la qualité d'inférieure à ce divin Seigneur, et de supérieure à toutes les pures créatures le pouvait permettre, comme avant été formée pour être sa coadjutrice, et semblable à lui dans les oeuvres de la plus grande prudence et de la plus haute sagesse qu'opéra le Maître- absolu de tout ce qui est créé et le Rédempteur du monde. Instruction de la Reine du ciel. 648. Ma fille, je veux que tout ce que vous avez écrit et connu dans ce chapitre, vous serve comme d'une instruction que je vous y donne pour la conduite de toutes vos actions. Gravez dans votre entendement, et conservez avec fermeté dans votre mémoire la connaissance que vous avez reçue de ma prudence dans tout ce que je pensais, que je voulais et que j'exécutais; et cette lumière vous guidera parmi les ténèbres de l'ignorance humaine, afin que l'enchantement des passions ne vous trouble et ne vous laisse faire.quelque faux pas, et principalement celui que vos ennemis tâchent avec tant de soin et de malice d'introduire dans votre esprit. La créature 190 n'est point coupable de n'avoir pas toutes les règles de la prudence, mais bien de négliger de les acquérir, pour être avisée en toutes choses comme elle le doit, puisque cette négligence est une faute très-considérable, et la cause que ses oeuvres sont pleines. de tromperies et de péchés. Outre que de là vient que les passions s'émancipent, et qu'elles détruisent et empochent la prudence, surtout la tristesse désordonnée et le plaisir déréglé qui détournent le jugement droit de la prudente considération du bien et du mal. Ce désordre produit deux vices bien dangereux , qui sont la précipitation dans tout ce que l'on fait sans découvrir les moyens convenables, ou l'inconstance dans les bons propos et dans les bonnes oeuvres commencées. La colère démesurée ou le zèle indiscret précipitent également dans plusieurs actions extérieures que l'on fait sans considération et sans conseil. La légèreté dans le jugement et le peu de fermeté dans le bien sont cause que l'âme chancelle imprudemment dans tout ce qu'elle commence de bon, parce qu'elle reçoit aveuglément les choses contraires qui se présentent, embrassant à l'étourdie tantôt le véritable bien , et tantôt l'apparent et le trompeur, que les passions demandent avec importunité, et que le démon représente avec malice. 549. Je veux que vous soyez prévenue et prudente contre tous ces dangers ; et vous le serez si vous vous réglez sur mes couvres et si vous suivez les avis et les conseils que vous donnent vos pères spirituels, sans l'ordre desquels vous ne devez rien entreprendre pour 191 agir avec conseil et docilité. Sachez que par cette obéissance le Très-Haut vous communiquera une abondante sagesse, parce qu'un coeur souple, soumis et docile porte extrêmement sa miséricorde à faire part de ses faveurs. Souvenez-vous toujours du malheur de ces vierges imprudentes et folles (1) qui méprisèrent par leur liche négligence le soin et le bon conseil lorsqu'elles en étaient dans la plus grande nécessité; et que le cherchant ensuite, elles trouvèrent la porte du secours et de la consolation fermée. Tâchez , ma fille, d'unir la prudence. du serpent avec la sincérité de la colombe (2), et vos couvres seront parfaites. 6/30 CHAPITRE X. De la vertu de justice qu'eut la très-sainte Vierge. Instruction de la Reine du ciel. CHAPITRE XI. Où l'on voit ta vertu de force qu'eut la très-sainte Vierge. Instruction de la Reine du ciel. CHAPITRE XII. Où l'on découvre la vertu de tempérance qu'eut la très-sainte Vierge. Instruction de la Reine du ciel. CHAPITRE XIII. Des sept dons du Saint-Esprit que reçut la très-sainte Vierge. CHAPITRE XIV. Où sont déclarées les formes et les manières des visions divines qu'avait la Reine du ciel, et les effets que ces visions causaient en elle. La claire vision qu'eut la très-sainte Vierge de l'essence divine. Vision abstractive de la Divinité dont jouissait la très-sainte Vierge. Visions et révélations intellectuelles de la très-sainte vierge. Visions imaginaires de la Reine du ciel. Visions divines en formes corporelles que reçut la très-sainte Vierge. Instruction de la Reine du ciel. CHAPITRE XV. On y déclare une autre manière de vue et de communication que la très-sainte Vierge avait avec les saints anges qui la servaient. Instruction de la très-sainte Vierge. CHAPITRE XVI. On y continue l'enfance de la très-sainte Vierge dans le Temple. - Le Seigneur la dispose pour les afflictions. - Mort de son père saint Joachim. Instruction que la très-sainte Vierge me donna. CHAPITRE XVII. La Reine du ciel commence à souffrir dans son enfance. - Dieu lui fait ressentir ses absences. - les douces et les amoureuses plaintes qu'elle fait. Instruction que mon auguste Reine et Maîtresse me donna. CHAPITRE XVIII. On y continue le récit de quelques autres afflictions de notre Reine, dont il se trouvait quelques-unes que Dieu permit par lé moyen des créatures et de l'ancien serpent. Instruction de la Reine du ciel. CHAPITRE XIX. Le Très-Haut découvrit aux prêtres l'innocence de la très-sainte Vierge, et à elle-même que heureuse mort de sa mère sainte Anne s'approchait, à laquelle elle se trouva. Instruction de la très-sainte Vierge. CHAPITRE XX. Le Très-Haut se manifeste à sa bien-aimée Marie, notre Princesse, par une faveur singulière. Instruction de la Reine du ciel. CHAPITRE XXI. Le Très-Haut commande à la très-sainte Vierge de prendre l'état de mariage, et la réponse à ce commandement. Instruction que la Reine du ciel me donna. CHAPITRE XXII. On célèbre les épousailles de la très-sainte Vierge avec le très- chaste Joseph. Instruction de la Reine du ciel. CHAPITRE XXIII. Qui explique une partie du chapitre trente-unième des Proverbes de Salomon, où le Seigneur m'a renvoyée pour découvrir l'ordre que la très-sainte Vierge tint dans le mariage. CHAPITRE XXIV. Qui poursuit l'explication de ce qui reste du chapitre trente- unième des Proverbes. Instruction de la Reine du ciel. CHAPITRE X. De la vertu de justice qu'eut la très-sainte Vierge. 550. La grande vertu de justice est celle qui sert le plus à la charité qu'on exerce envers Dieu et envers le prochain; ainsi elle est la plus nécessaire pour la conversation et communication humaine, parce qu'elle est une habitude qui incline la volonté à rendre à chacun (1) Matth, XXV, 1-11. - (2) ID., X, 16. 192 ce qui lui appartient; elle a pour matière et pour objet l'égalité et le droit qu'on doit observer à l'égard du prochain et à l'égard de Dieu même. Comme les choses dans lesquelles l'homme peut garder ou violer cette égalité envers son prochain sont en si grand nombre, et les manières de le faire si différentes, c'est pour cela que la matière de la justice est fort étendue, et que cette vertu est partagée en plusieurs espèces. On l'appelle justice légale quand elle regarde le bien public, et elle est appelée vertu générale, parce qu'elle peut conduire toutes les autres vertus à cette fin, quoiqu'elle ne participe point de leur nature; mais quand la matière de la justice est une chose déterminée et qu'elle concerne seulement les personnes particulières, parmi lesquelles on rend à chacune son droit, alors on la nomme justice particulière ou spéciale. 551. L'Impératrice de l'univers exerça cette vertu dans toutes ses parties et dans ses différentes espèces envers toutes les créatures, avec bien plus de perfection qu'elles toutes, parce qu'elle seule connut parfaitement ce qui était dû à chacune; et, quoique cette vertu de justice ne regarde pas immédiatement les passions naturelles, comme la force et la tempérance (ainsi que je le dirai dans la suite), néanmoins il arrive plusieurs fois, et fort ordinairement, que ces mêmes' passions n'étant pas modérées et corrigées, on perd la.' justice envers le prochain, comme nous le voyons en ceux qui, par une convoitise désordonnée ou par un plaisir sensuel, usurpent le bien d'autrui. Or, comme il n'y avait aucune passion désordonnée en la très-pure 193 Marie ni aucune ignorance qui l'empêchât de connaître le milieu des choses, dans lequel la justice consiste; c'est pour cela qu'elle l'accomplissait envers tous, opérant ce qui était très-juste à l'égard de chacun, enseignant à tous de faire la même chose, lorsqu'ils méritaient d'ouïr ses paroles et sa doctrine de vie. Pour ce qui regarde la justice légale, non-seulement elle l'exerça en accomplissant les lois communes, comme celle de la purification et les autres préceptes de la loi, bien qu'elle en frit exempte comme Reine, en qui il n'y avait point de péché; mais il n'y eut personne, excepté son très-saint Fils, qui travaillât autant que cette Mère de miséricorde au bien commun des mortels, adressant toutes ses vertus et toutes ses opérations à cette fin, pour leur mériter la divine miséricorde et pour être utile,à son prochain, en lui procurant plusieurs autres avantages. 552. Les deux espèces de justice, qu'on appelle distributive et commutative, se trouvèrent aussi en la très-sainte Vierge dans un degré héroïque. La justice distributive conduit les opérations par lesquelles on distribue les choses communes aux personnes particulières : et cette incomparable Princesse garda cette équité dans plusieurs choses que l'on fit par sa volonté et par sa disposition. parmi les fidèles de la primitive Église : comme de distribuer les biens communs pour l'entretien et pour diverses autres nécessités des personnes particulières; et quoiqu'elle ne distribuât jamais l'argent par ses propres mains, parce qu'elle ne le touchait aucunement, on le partageait néanmoins par son 194 ordre, et plusieurs fois par ses conseils; gardant toujours dans ces rencontres, comme dans beaucoup d'autres semblables, une très-grande équité; car chacun recevait ce charitable secours selon sa nécessité et sa condition. Elle observait la même chose dans la distribution des offices et des dignités entre les disciples et les premiers enfants de l'Évangile, dans les assemblées qu'on tenait pour ce sujet. Ainsi cette très-sage Dame ordonnait et disposait toutes choses avec une très- parfaite équité : car, outre la science infuse et la connaissance ordinaire qu'elle avait de tous les sujets, elle ne faisait rien que ce ne fût après une oraison singulière et par une impulsion divine. C'est pourquoi les apôtres avaient recours à elle dans ces sortes d'occasions, et dans la conduite de ceux qui leur étaient soumis , n'entreprenant rien que par soi conseil : et tous ceux qui le suivaient exerçaient eu tout une entière justice sans faire distinction des personnes. 553. La justice commutative enseigne à garder l'égalité dans les choses que les personnes particulières se donnent et reçoivent réciproquement, connue de donner deux pour deux, etc., ou le juste prix de ce que la chose vaut. L'exercice de cette espèce de justice fut moindre en la Reine du ciel que celui (les autres vertus, parce qu'elle n'achetait ni ne vendait rien par elle-même : que si elle avait besoin de faire quelque achat on quelque échange, c'était saint Joseph qui le faisait, et après sa mort, saint Jean l'Évangéliste ou quelque autre des apôtres lui rendait cet office. Car le Maître de la sainteté, qui venait détruire 195 et arracher l'avarice, racine de toutes sortes de maux (1), voulut éloigner de lui- même et de sa très-sainte Mère les actions qui allument et entretiennent ordinairement le feu de la convoitise des hommes. C'est pour cela que la divine Providence ordonna que ni le Fils ni la Mère n'achèteraient ni ne vendraient aucune chose, bien qu'elle fût nécessaire à l'entretien de la vie naturelle. Néanmoins notre auguste Reine ne laissa pas pour cela d'enseigner tout ce qui regardait cette vertu de justice commutative, afin que ceux qui d'entre les apôtres et d'entre les fidèles de la primitive Église la devaient pratiquer, s'en acquittassent avec toute sorte de perfection. 554. Cette vertu a d'autres opérations qui s'étendent sur le prochain, comme que les uns jugent les autres par un jugement public et civil ou par un jugement particulier, le Seigneur ayant parlé du vice contraire à ce dernier, lorsqu'il nous dit en saint Matthieu : Ne jugez point, afin que vous ne soyez pas jugés (2). Par ces jugements, on donne à chacun ce qui lui est dû, selon l'estime de celui qui juge : c'est pourquoi ces actions sont justes si elles sont conformes à la raison, et injustes si elles s'en éloignent. Notre incomparable Reine n'exerça pas le jugement public et civil, bien qu'elle eût le pouvoir de juger tout l'univers; néanmoins elle accomplit par ses très-sages et très-justes conseils durant sa vie, et par sou intercession après sa mort, ce qui est écrit d'elle dans les Proverbes : (1) I Tim., VI, 10. -(2) Matth., VII,1. 196 Je marche dans les voies de la justice, et par moi les puissants décident ce qui est juste (1). 555. On ne put jamais trouver aucune injustice touchant les jugements particuliers, dans le coeur très-pur de l'auguste Marie, parce qu'elle ne put jamais être légère dans les soupçons, ni téméraire dans les jugements, ni avoir aucun doute; et, quand. même elle l'aurait eu, elle n'aurait pas eu la malice de l'interpréter en mauvaise part. Ces sortes, de vices très-injustes sont propres. et comme naturels parmi les enfants d'Adam, en qui les passions désordonnées de la haine, de l'envie et de l'émulation au mal dominent et suscitent d'autres vices qui les maîtrisent comme de malheureux esclaves. Les injustices, que l'on commet en soupçonnant facilement le mal, lorsqu'on juge témérairement et qu'on attribue le pire à ce qui est douteux par de faibles conjectures, naissent de ces racines si fort infectées, parce que chacun présume de son frère sans beaucoup de difficulté la faute qu'il a lui-même commise. Que s'il s'attriste par haine ou par envie du bien de son prochain et se réjouit de son mal, donnant légèrement à ce mal la créance qu'il ne lui devait pas donner, c'est parce qu'il le lui désire, et que son jugement suit son affection dépravée. Notre Reine fut libre de toutes ces maladies du péché, comme celle qui n'y avait aucune part: tout ce qui entrait dans son coeur. et en sortait n'était que charité, que pureté, que sainteté et qu'amour le plus parfait; on trouvait en (1) Prov., VIII, 16 et 20. 197 elle la grâce de la vérité et le chemin de la vie (1). Elle ne doutait ni soupçonnait de rien, à cause de la plénitude de la science et de la sainteté qu'elle avait parce qu'elle connaissait et voyait tous les intérieurs par une véritable lumière et à travers une grande miséricorde, sans soupçonner mal de personne, et sans attribuer aucun péché à celui qui en était exempt, remédiant au contraire aux péchés de ceux qui en étaient atteints, donnant à tous et à chacun ce qui leur appartenait, et étant toujours dans de favorables dispositions de remplir tous les hommes des grâces et des douceurs de la vertu. 556. Il se trouve encore, dans ces deux sortes de justice commutative et distributive, plusieurs espèces de vertus sur lesquelles je ne m'étends point, puisque la Reine du ciel eut en habitude et en actes très-sublimes et très-excellents toutes celles qui lui étaient convenables. Outré ces vertus, il y en a pourtant d'autres qui ont du rapport à la justice, parce qu'elles s'exercent envers le prochain et qu'elles participent en quelque chose à ses qualités, quoique ce ne soit pas en tout : parce que nous ne payons point avec égalité tout ce que nous devons, ou parce que, si nous le pouvons payer, la dette et l'obligation ne sont pas si étroites que la rigueur de la parfaite justice commutative ou distributive le persuade. Je ne dirai point tout ce que ces vertus contiennent, parce qu'elles sont en fort grand nombre et fort différentes; j'en dirai (1) Eccles., XXIV, 25. 198 néanmoins quelque chose d'une manière très-succincte, pour ne les pas omettre entièrement, afin que l'on sache comment notre incomparable Reine les posséda. 557. C'est un devoir de justice de révérer nos supérieurs : l'obligation que nous avons de reconnaître leurs bienfaits et d'honorer leurs personnes est plus grande ou plus petite, selon la grandeur de leur excellence, de leur dignité et des biens que nous en recevons, quoique notre retour ne puisse égaler ni leur dignité ni ce que nous en avons reçu. Il y a donc trois vertus qui servent à cela, selon les trois degrés de supériorité que nous reconnaissons en ceux que nous devons honorer. Le premier de ces devoirs est la vertu de religion, par laquelle nous rendons à Dieu le culte et l'honneur que nous lui devons, bien que sa grandeur les` surpasse infiniment, et que ses dons ne puissent pas avoir un égal retour de reconnaissance ni de louange. Cette vertu est très-noble entre les vertus morales, à cause de son objet, qui est le culte de Dieu; et sa matière est autant étendue que le sont les manières par lesquelles Dieu peut être immédiatement loué et honoré. On renferme clans cette vertu de religion les oeuvres intérieures de l'oraison, de la contemplation et de la dévotion ; on y comprend aussi tontes ses parties, ses qualités, ses causes, ses effets, tous ses objets et sa fin. Touchant ses œuvres extérieures, l'adoration de latrie est la principale, la plus sublime, et celle qui n'est due qu'à Dieu seul ; ses espèces oit ses parties viennent ensuite : comme sont le sacrifice, 199 les oblations, les dîmes, les voeux, les serments et les louanges extérieures et vocales; parce que Dieu est honoré et respecté de ses créatures par tous ces actes, lorsqu'elles s'en acquittent selon leur obligation; au contraire, il est fort offensé par les vices qui leur sont opposés. 558. Le second lieu appartient à la piété, qui est une vertu par laquelle nous honorons nos parents, à qui nous devons, après Dieu, et l'être et l'éducation; ce devoir s'étend aussi sur tout ce qui a quelque rapport à cette cause, comme sont nos alliés et notre patrie, qui nous protège et nous gouverne. Cette vertu de piété est si grande, qu'on la doit préférer dans l'occasion aux actes de surérogation de la vertu de religion, comme notre Seigneur Jésus-Christ nous l'enseigne par saint Matthieu (1), lorsqu'il reprit les pharisiens, qui, sous prétexte du culte de Dieu, enseignaient qu'on était dispensé de cette piété envers les parents. Nous donnerons le troisième lieu à la révérence, par laquelle nous rendons honneur et respect à ceux qui ont quelque excellence ou quelque dignité supérieure : cette dignité ne se trouve pas dans le même rang que celle de nos parents ou de notre patrie. Les théologiens renferment dans cette vertu le culte de dulie et l'obéissance comme ses espèces. Par ce culte de dulie nous honorons ceux qui ont quelque participation de l'excellence ou du pouvoir du souverain Seigneur, qui est Dieu, à qui seul appartient la (1) Matth., XV, 3. 200 suprême adoration de latrie. C'est pourquoi nous honorons les saints par celle de dulie, aussi bien que les personnes constituées en quelque dignité supérieure à laquelle nous nous reconnaissons inférieurs. L'obéissance est celle qui nous fait soumettre notre volonté à celle de nos supérieurs, en voulant toujours accomplir la leur, et non point la nôtre : et la liberté, que nous sacrifions dans l'exercice de cette vertu, est si estimable, que l'obéissance dévient une des plus excellentes et des plus admirables d'entre toutes les vertus morales : parce qu'en elle la créature abandonne plus pour Dieu qu'en aucune autre. 559. Ces vertus de religion, de piété, et de révérence furent dans la très-sainte Vierge dans toute la plénitude dont une pure créature fût capable. Quel esprit pourra concevoir l'honneur, la vénération et le culte que cette auguste Dame rendait à son très-saint et trèsaimé Fils, le connaissant et l'adorant comme Dieu et homme véritable, comme Créateur, Restaurateur et Glorificateur; comme Souverain infini, immense en son être, en sa bonté et en tous ses attributs? Elle seule eut plus de connaissances je ses grandeurs que toutes les autres créatures ensemble; elle mesurait sur cette connaissance l'honneur qu'elle devait rendre à Dieu, et elle s'en acquitta si dignement, qu'elle l'enseigna même aux séraphins. Il ne fallait seulement que la voir dans ses profonds respects pour être incité par une certaine vertu qui sortait de sa sacrée personne, d'honorer le souverain Seigneur, créateur du ciel et de la terre : ce qui fut cause qu'elle porta plusieurs 201 personnes à louer Dieu sans quel lui en coutât aucune peine. Tous les anges et tous les bienheureux connaissent avec admiration l'oraison, la contemplation et la dévotion qu'elle eut, l'efficace de toutes ses couvres, qui est inséparable de ses demandes; mais tous ne sont pas capables d'exprimer ce qu'ils en pensent. Tous les hommes lui sont redevables d'avoir suppléé, non-seulement à l'impuissance dans laquelle leurs offenses les avaient mis, mais encore à ce qu'ils n'avaient pu obtenir, ni opérer, ni mériter, puisque cette très-sainte Dame a avancé le remède du monde; car si elle ne s'y fût pas trouvée, le Verbe ne serait pas sorti du sein de son Père éternel pour y venir. Dès le premier instant de sa conception elle surpassa les séraphins en contemplation, en prières, en demandes, aussi bien que dans le zèle qu'elle avait pour le service divin. Elle offrit des sacrifices; des oblations et des dîmes, qui furent si agréables à Dieu, qu'il n'y eut personne au monde, si nous en exceptons son très-saint Fils, dont les offrandes fussent reçues de la divine Majesté avec tant de complaisance. Enfin elle surpassa tous les patriarches et les prophètes dans les louanges continuelles, dans les hymnes, les cantiques et les prières vocales qu'elle fit; et il est constant que si nous les pouvions avoir dans l'Église militante comme on les connaîtra dans la triomphante, ce serait une nouvelle admiration du monde. 560. Notre Reine eut les vertus de piété et de révérence, comme celle qui connaissait le mieux ce qu'on devait aux parents, et qui pénétrait le plus leur 202 héroïque sainteté. Elle rendit aussi tous les bons offices qu'elle put à ses proches, les comblant de grâces singulières, comme elle fit à saint Jean-Baptiste, à sainte Élisabeth, et à ceux qui furent appelés à l'apostolat. Si les Juifs ne se fussent pas rendus indignes de ses bienfaits par leur ingratitude et par leur dureté, elle aurait rendu sa patrie très-heureuse; elle lui fit néanmoins de très-grandes faveurs spirituelles et temporelles autant que la divine équité le permit. Elle fut admirable en la révérence qu'elle portait aux prêtres, comme étant la seule qui sût et pût donner le juste prix à la dignité des oints du Seigneur. Elle enseigna à tous le grand respect qu'on devait avoir pour eux, comme aussi d'honorer les patriarches, les prophètes et les saints, et ensuite les seigneurs temporels et tous ceux qui sont constitués en dignité et eu puissance. Il n'y eut aucun acte de ces vertus qu'elle n'exerçât dans les différentes occasions, et qu'elle n'enseignât à tous ceux qui l'approchaient, particulièrement aux fidèles de l'Église naissante, dans laquelle elle n'obéissait plus à son Fils ni à son époux saint Joseph, puisqu'elle ne jouissait plus de leur présence naturelle, mais à ses ministres, envers qui elle fut d'un exemple admirable pour tout le monde, vu qu'alors, loin d'être obligée d'obéir, elle était en droit de gouverner et de commander toutes les créatures en qualité de Reine et de Maîtresse de l'univers. 561. Il y a encore d'autres vertus qui ont du rap port à la justice, parce que nous rendons par leur 203 moyen ce que nous devons aux autres par quelque espèce de dette morale, qui en est un titre honnête et décent. Ce sont la gratitude, la vérité, la vengeance, la libéralité, l'amitié ou l'affabilité. Par la gratitude nous nous acquittons en quelque façon envers ceux dont nous avons reçu quelque bienfait, leur en rendant es actions de grâces, selon sa qualité et selon l'affection avec laquelle ils nous l'ont départi, qui est ce qu'on prise le plus; nous avons aussi égard à l'état et à la condition de notre bienfaiteur, car la reconnaissance doit être proportionnée à tout cela, et on peut la témoigner par des actes différents. La vérité porte a pratiquer la sincérité envers tout le monde, comme il est juste qu'on la pratique dans le commerce et dans les conversations indispensables des hommes, y bannissant toute sorte de mensonge (dont il n'est jamais permis de se servir), toute sorte de dissimulation trompeuse, d'hypocrisie, de vanité et d'ironie : vices qui s'opposent tous à la vérité; et bien qu'on puisse quelquefois la cacher, et qu'il soit même convenable de le faire, du moins quand l'occasion se présente de parler de notre propre excellence ou de quelque vertu qui est en nous, pour ne pas fatiguer personne par un excès de vanité, il ne serait pourtant pas juste de dissimuler nos avantages par un mensonge, en nous imposant un vice que nous n'aurions pas. La vengeance est une vertu qui enseigne à réparer par quelque peine le dommage qu'on nous a fait ou celui que notre prochain a reçu. La pratique de cette vertu est fort difficile parmi les mortels, qui d'ordinaire 204 se laissent emporter par la colère immodérée, et posséder par la haine fraternelle, ce qui est cause qu'on manque à la charité et à la justice. Mais ce n'est pas une petite vertu lorsqu'on ne prétend point le dommage d'autrui et qu'on n'a en vue que le bien public ou particulier, puisque notre Seigneur Jésus-Christ l'exerça quand il chassa du Temple ceux qui le violaient par leurs irrévérences (1); qu'Élie demanda 'le feu du ciel pour châtier quelques péchés (2); et qu'il est dit dans les Proverbes , que celui qui épargne la verge hait son fils (3). La libéralité sert pour distribuer avec discrétion l'argent ou d'autres choses semblables, sans tomber dans les vices d'avarice et de prodigalité. L'amitié ou l'affabilité consiste en une certaine manière honnête et convenable de converser et négocier sans débats ni flatterie, qui sont les vices contraires à cette vertu. 562. La Reine du ciel eut toutes ces vertus, et si l'on en attribue quelqu'une de plus à la justice, elle ne lui a pas sans doute manqué. Elle les eut toutes en habitude, les exerça par des actes très-parfaits, selon que les occasions se présentaient, et les enseigna, comme Maîtresse de toute sainteté, à plusieurs âmes, leur donnant une lumière particulière, afin qu'elles les opérassent avec perfection. Elle exerça la vertu de gratitude envers Dieu par les actes de religion et par le culte dont nous avons déjà parlé, parce que c'est le moyen le plus excellent de lui être agréable, et (1) Joan., II, 15, - (2) IV Reg., I, 10. - (3) Prov., XIII, 24. 205 comme la dignité de la très-pure Marie, et sa sainteté proportionnée à cette dignité furent au-dessus de. tout ce que les hommes peuvent concevoir, ainsi le retour que cette très-auguste Dame rendit à Dieu, fut proportionné au bienfait qu'elle en avait reçu, autant qu'il était,possible à une pure créature; elle fit la même chose en la piété qu'elle pratiqua envers ses parents et envers sa patrie, comme je viens de dire. La très-humble Princesse reconnaissait si fort les moindres services que les autres personnes lui rendaient, qu'on aurait dit que rien ne lui eût été dû, croyant ne recevoir que des grâces et des faveurs, pendant qu'elle pouvait tout exiger par justice. Elle fut la seule qui sût regarder les offenses qu'on lui faisait comme de très-grands bienfaits, et en rendre des actions de grâces, parce que son incomparable humilité ne s'apercevait jamais des injures : au contraire, elle se ressentait obligée de toutes celles qu'elle recevait; et. comme elle n'oubliait point les bienfaits, elle ne cessait aussi d'en témoigner sa reconnaissance. 563. Tout ce qu'on peut dire de la vérité que la sacrée Vierge exerçait, sera fort peu de chose, puisqu'un vice si méprisable comme est celui qui combat cette vertu, ne pouvait être que très-éloigné de celle qui fut toujours si supérieure au démon , père du mensonge et de la tromperie. La règle dont on se doit servir pour mesurer en notre Reine cette vertu de vérité;- est sa charité et sa simplicité de colombe, qui bannissent toute sorte de déguisement et de fourberie 200 du commerce dés créatures. Comment la tromperie se pourrait-elle trouver en la bouche de celle qui par une parole d'une humilité véritable, a attiré dans son sein Celui qui est la vérité même et la sainteté par essence? Elle exerça aussi plusieurs actes très-parfaits de la vertu qu'on appelle vengeance, non-seulement en l'enseignant comme maîtresse en diverses occasions qui se présentèrent dans la primitive Église, mais en témoignant elle-même un zèle ardent pour la gloire du Seigneur, et en tâchant de réduire plusieurs pécheurs par le moyen de la correction, comme souvent elle le fit envers Judas; ou en commandant aux créatures (car toutes lui obéissaient) de châtier certains péchés pour le bien de ceux qui méritaient par eux une punition éternelle. Et bien qu'elle fût très-douce dans ces sortes d'occasions , elle n'omettait pas pour cela le châtiment, quand elle voyait que c'était un moyen efficace pour purifier quelqu'un du péché. Mais celui contre qui elle exerça le plus la vengeance, ce fut le démon, afin de délivrer, en le réprimant, le genre humain de sa servitude. 564. Elle excella tout de même dans les actes de libéralité et d'affabilité, parce qu'elle distribuait ses largesses comme Reine de l'univers, et comme celle qui savait donner le juste prix à tout ce qui était visible et invisible. Elle croyait toujours que les choses par le moyen desquelles la libéralité pouvait s'étendre, appartenait plus à son prochain qu'à elle-même; dans cette vue elle n'en refusa jamais aucune, et elle 207 épargna même les demandes lorsqu'elle put anticiper ses dons. Les nécessités et les misères des pauvres qu'elle soulagea , les biens qu'elle leur, fit, et les actes de miséricorde qu'elle pratiqua , tant pour ce qui regarde le spirituel que pour ce qui regarde le temporel, ne sauraient' être racontés même dans un très-grand volume. Sa douce affabilité envers toutes les créatures fut si particulière: et si admirable, que si elle ne l'eût ménagée par une rare prudence, elle attrait attiré tout le monde après elle par les charmes de ses très-douces manières, parce que tous ceux qui la vouaient et conversaient avec elle, découvraient dans cette extrême douceur, tempérée par son air grave et par sa sagesse céleste, quelque chose de plus qu'humain. Le Très-Haut disposa par une telle providence cette grâce en son .Épouse, que, donnant quelquefois aux personnes qui la fréquentaient de certains indices du mystère du 'grand Roi qu'elle renfermait, il tirait incontinent le voile et le leur cachait, afin de donner lieu aux travaux, en empêchant les applaudissements des hommes ; outre que, ces applaudissements étaient au- dessous de ce qu'on lui devait, et que les mortels n'étaient pas alors capables de trouver le juste point de ce devoir, car le temps n'étant pas encore arrivé d'éclairer les enfants de l'Église par la foi chrétienne et catholique, ils n'auraient su honorer comme créature celle qu'ils auraient reconnue pour Mère du Créateur, sans excéder ou manquer à quelque chose. 565. Les docteurs attribuent une autre partie à 208 cette grande vertu de justice pour rendre son exercice plus parfait et plus conforme à l'équité; cette partie est appelée epiqueya, par laquelle on décide certains cas qui sortent des règles et des lois, communes, parce qu'elles ne les peuvent pas tous prévoir ni remédier à toutes les circonstances qui leur arrivent; ainsi il est nécessaire d'agir dans quelques occasions par une raison supérieure et extraordinaire. Notre auguste Reine eut besoin de cette vertu, et elle s'en servit dans plusieurs rencontres qu'elle eut durant sa très-sainte Vie , avant et après l'ascension de son très-saint Fils; et singulièrement après pour l'établissement de l'Église, comme je le dirai en son lieu, avec l'aide du Seigneur. Instruction de la Reine du ciel. 566. Ma fille, quoique vous ayez connu bien des choses du mérite de cette grande vertu de justice, vous en ignorez pourtant beaucoup d'autres à cause de l'état mortel où vous vous trouvez, et pour cette même raison les paroles n'en pourront pas donner une parfaite intelligence; néanmoins vous trouverez abondamment en elle tout ce qui vous sera nécessaire pour vous bien comporter envers les créatures, et pour vous acquitter dûment du culte que vous devez 209 à Dieu. Je vous avertis aussi, ma très-chère fille; que l'offense que les hommes font à sa Majesté, en oubliant la vénération, l'adoration et le respect qu'ils lui doivent, et la juste indignation qu'elle a de cet oubli, répondent à la grondeur de cette vertu; et que lorsqu'ils lui rendent quelque honneurs c'est avec tant de lâcheté, de distraction et d'irrévérence, qu'ils méritent plutôt des châtiments que des récompenses. Ils honorent et adorent même avec beaucoup de respect les princes et les puissants de la terre; ils leur demandent des faveurs, et-les sollicitent avec dés empressements étranges, et quand ils les ont reçues ils leur en rendent mille actions de grâces; en pro testant qu'ils cesseront plutôt de vivre que de cesser de les reconnaître. Mais à l'égard du souverain Seigneur qui leur donne l'être, la vie et le mouvement, qui les conserve et les entretient, qui les a rachetés et élevés à la dignité de ses propres enfants, qui leur veut bien faire part de sa gloire, et qui est l'infinie le souverain bien, ils oublient, dis-je, cette divine Majesté, parce qu'ils ne la voient pas par les yeux corporels, comme si toutes sortes de biens ne leur venaient point de sa main libérale; et ils croient avoir tout fait lorsqu'ils lui ont témoigné quelque tiède souvenir, et qu'ils lui ont rendu précipitamment quelques actions de grâces. Je ne veux point ajouter a ce que je viens de vous dire, combien le très-juste Seigneur de l'univers est offensé de ceux qui renversent et foulent aux pieds tout l'ordre de la justice envers leur prochain, pervertissant toute la raison et 210 la nature par cette iniquité, qui leur ait désirer à leurs frères ce qu'ils ne voudraient pas pour eux-mêmes. 567. Ayez de l'horreur, ma fille, pour des vices si exécrables; tâchez de réparer autant que vous le pourrez, par vos couvres, ce qu'on manque de rendre au Très- Haut par une si noire ingratitude ; et puisque vous êtes dédiée au culte divin par votre profession, faites-en votre principale occupation et le sujet de votre plus ardent amour, imitant en cela les esprits angéliques qui s'y emploient incessamment Portez un grand respect aux choses divines et sacrées, jusqu'aux ornements et aux vases qui servent à ce ministère. Tâchez d'être toujours à genoux pendant l'office divin, l'oraison et le sacrifice; demandez avec foi, et recevez avec une humble reconnaissance, et pratiquez-la envers toutes les créatures , même lorsqu'elles vous offensent. Montrez -vous pitoyable, honnête, douce, sincère et véritable envers tous; sans dissimulation, sans tromperie, sans médisance ni murmure, sans juger légèrement de votre prochain; et afin que vous vous acquittiez de cette obligation de justice, ayez toujours en votre mémoire et en votre désir de faire à autrui ce que vous voudriez qu'on vous fit à vous-même, et souvenez-vous sur toutes choses de ce que mon très-saint Fils a fait et de ce que j'ai fait à son imitation pour tous les hommes. CHAPITRE XI. Où l'on voit ta vertu de force qu'eut la très-sainte Vierge. 568. La vertu de force, qui est la troisième des quatre cardinales, sert pour modérer les opérations que chacun exerce, principalement à l'égard de soi-même, par la passion de l'appétit irascible : et quoique l'appétit concupiscible, auquel la tempérance appartient, précède l'irascible, en ce que le désir du concupiscible produit la résistance que l'irascible fait à tout ce qui peut empêcher d'obtenir la chose désirée, on ne laisse pas pour cela de traiter premièrement de l'irascible et de sa vertu, qui est la force : parce que dans l'exécution on obtient d'ordinaire ce qu'on désire par le moyen de cet appétit, qui en surmonte tous les obstacles. C'est pourquoi la force est une vertu plus noble et plus excellente que la tempérance, dont je parlerai dans le chapitre suivant. 569. On réduit l'économie de la passion irascible par la vertu de forcé, en deux parties ou en deux sortes d'opérations, qui consistent à user de la colère selon la raison, et avec de dues circonstances qui la rendent louable et honnête; et à réprimer cette passion, lorsqu'il est plus convenable de la suspendre que 212 de l'exécuter, puisque l'un et l'autre peuvent être louables ou blâmables, selon la foi et selon les diverses circonstances avec lesquelles on les fait. On donne à la première de ces opérations le nom de force, que quelques docteurs appellent valeur. On nomme la seconde patience, qui est la plus noble, et qui renferme une force supérieure dont les saints se sont principalement servis et se servent, bien que les mondains aient accoutumé d'appeler, par un renversement de jugement aussi bien que des noms, la patience pusillanimité, et la présomption impatiente et téméraire, force, parce qu'ils ne connaissent pas encore en quoi consistent les actes véritables de cette vertu. 570. La très-sainte vierge n'eut pas besoin d'employer la vertu de force pour réprimer aucun mouvement désordonné dans l'appétit irascible, parce que toutes les passions de cette très-innocente Reine étaient réglées et soumises à la raison, et la raison à Dieu, qui la gouvernait dans toutes les actions et dans tous les mouvements; cette vertu lui fut pourtant nécessaire pour s'opposer aux empêchements que le démon lui suscitait par les divers moyens dont il se servait afin qu'elle n'obtint point tout ce qu'elle désirait avec beaucoup de prudence et de règle, tant pour soi que pour son très-saint Fils. Car, puisqu'il n'y avait aucune d'entre toutes les créatures qui pût égaler la force qu'elle témoigna dans cette courageuse résistance et dans un combat si opiniâtre, puisque toutes ensemble n'eurent pas tant d'attaques ni de contradictions à essuyer de la part de l'ennemi commun que 213 notre auguste et victorieuse Reine. Mais, lorsqu'il fallait qu'elle se servit de cette force envers les hommes, elle était aussi douce que forte, ou, pour mieux dire, aussi forte que douce dans ses opérations : parce que cette incomparable Dame fut la seule qui pût imiter dans toutes ses oeuvres cet attribut de Dieu, qui unit toujours dans les siennes la douceur avec la force (1). Notre Reine tint cette conduite à l'égard de la force; et son coeur généreux ne fut jamais atteint d'aucune crainte désordonnée, parce qu'il s'élevait au-dessus de tout ce qui est créé; sa fermeté ne fut pas pour cela sans modération; elle ne pouvait point tomber dans ces extrémités vicieuses, parce qu'elle connaissait par sa souveraine sagesse les craintes qu'elle devait vaincre et l'audace qu'elle devait éviter : ainsi elle était revêtue de force et de beauté, comme étant l'unique femme forte (1) 571. La très-sainte Vierge fut plus admirable en la partie de la force qui regarde la patience qu'en l'autre, étant la seule qui participa à l'excellence de la patience de Jésus-Christ son très-saint Fils, qui fut de souffrir sans péché, et plus même que tous ceux qui le commirent. Toute la vie de cette auguste Reine ne fut qu'une souffrance continuelle de travaux, singulièrement durant la vie et la mort de notre rédempteur Jésus-Christ, pendant. lesquelles sa patience surpassa tout ce qu'on en peut imaginer; car il n'y a que le seul Seigneur qui la lui donna qui la puisse dignement (1) Sap., VIII, 1. - (2) Prov., XXXI, 25. 214 faire connaître. Cette très-innocente colombe ne s'impatienta jamais contre aucune créature; tant de travaux immenses qu'elle endura lui parurent petits, et ne furent pas capables de l'affliger, puisqu'elle les recevait tous avec joie et avec actions de grâces. La patience étant donc, selon le rang que l'Apôtre lui donne (1), la fille aînée de la charité., et notre Reine étant la mère de l'amour (2), il faut qu'elle le soit aussi de la patience qu'on doit mesurer avec cet amour : parce que, plus nous aimons et estimons le bien éternel au-dessus de tout ce qui est visible, plus nous nous déterminons à souffrir toutes les choses pénibles que la patience est capable d'endurer pour l'acquérir et pour ne le pas perdre. C'est pourquoi la très-pure Marie surpassa toutes les créatures en patience, et fut mère de cette vertu pour nous, qui, ayant recours à elle, trouverons cette tour de David garnie de mille boucliers de patience (3), dont les forts de l'Église et de la milice de notre Seigneur Jésus-Christ s'arment et se servent dans toutes les occasions qui se présentent. 572. Notre très-patiente Reine ne donna jamais aucun signe de cette faiblesse qui est naturelle aux femmes, ni aucune marque de colère extérieure; parce qu'elle prévoyait toutes choses par la lumière et par la sagesse divine : quoiqu'elles ne l'exemptassent point de douleur, mais qu'elles l'augmentassent en elle au contraire, parce qu'elle connut mieux que personne (1) I Cor., XIII, 4. - (2) Eccl., XXIV, 24. - (3) Cant., IV, 4. 215 l'énormité des péchés et des offenses infinies qu'on commettait contre Dieu. Son coeur invincible ne s'altéra pas néanmoins pour cela, ni pour les méchancetés de Judas, ni pour les outrages et les irrévérences des pharisiens; son extérieur, encore moins son intérieur n'en furent aucunement troublés : et bien qu'en la mort de son très-saint Fils toutes les créatures et toits les éléments, quoique insensibles, semblassent vouloir perdre la patience contre les hommes, ne pouvant souffrir l'injure qu'ils faisaient à leur Créateur (1), la seule Marie demeura pourtant inébranlable , et toute disposée à recevoir Judas, les pharisiens et les prêtres en ses bonnes grâces, si, après avoir crucifié notre Seigneur Jésus-Christ, ils eussent eu recours à elle comme à la Mère de miséricorde. 573. La princesse du ciel attrait pu s'irriter contre ceux qui avaient procuré une mort si ignominieuse à son très-saint Fils, sans qu'elle eût passé dans une si piste colère les limites de la raison et de la vertu, puisque le même Seigneur a châtié avec beaucoup de justice ce péché : et, comme je pensais en moi-même qu'elle pouvait, bien avoir ces sentiments, il me fut répondu que le Très-Haut ordonna que cette grande Dame n'eût point ces mouvements et ces opérations, quoiqu'elle les eût pu dûment avoir : parce qu'il ne voulait point qu'elle fût un instrument contre les pécheurs et comme leur accusatrice, a cause qu'il l'avait choisie pour être leur médiatrice, leur avocate et la (1) Matth., XXVII, 51 et 52. 216 Mère de miséricorde, afin due les hommes reçussent par elle toutes les grâces que le Seigneur voulait bien encore donner aux enfants d'Adam, et qu'il y eût une personne qui pût dignement apaiser la colère du juste Juge en intercédant pour les coupables. Elle pratiqua seulement la colère contre le démon, et en ce qui fut nécessaire pour exercer la patience et pour vaincre les empêchements que cet ennemi, (ancien serpent, lui suscitait pour diminuer la perfection de ses couvres. 574. On réduit aussi la magnanimité et la magnificence à la vertu de force, parce qu'elles participent en quelque chose à ses qualités; donnant dans les matières qui les regardent . une fermeté héroïque à la volonté. La magnanimité consiste à opérer des choses grandes, et à les inspirer à ceux qui se sont acquis un grand honneur par leur éminente vertu; c'est pourquoi l'on dit que les grands honneurs servent de matière à cette vertu, qui est accompagnée de plusieurs qualités qui se trouvent dans les magnanimes; comme de haïr les flatteries et les hypocrisies (qui ne peuvent plaire qu'aux âmes basses), de n'être point ambitieux ni intéressé; de préférer le plus honnête et le plus grand au plus utile; de ne parler jamais de soi- même avec vanité; de ne pas s'appliquer à des choses médiocres, se réservant pour les plus grandes; d'être plus enclin à donner qu'à recevoir, parce que toutes ces pratiques sont dignes d'un très-grand honneur. Cette vertu n'est pourtant pas contraire à l'humilité, une vertu ne s'opposant jamais à l'autre : parce 217 que la magnanimité fait qu'une personne, par ses dons et par ses vertus, se rend digne de grands honneurs sans les désirer par une ambition désordonnée; et l'humilité lui enseigne de les rapporter à Dieu et de se mépriser soi-même par ses fautes, et par sa propre nature inclinée à les commettre. Ainsi les grandes et honorables couvres de vertu demandent, à cause de la difficulté qu'on y trouve, une fermeté singulière qu'on appelle magnanimité, qui consiste à proportionner les forces aux grandes actions, afin que nous ne les omettions pas par pusillanimité, et que nous ne les entreprenions pas aussi par une présomption ambitieuse ni par un appétit de vaine gloire : parce que c'est le propre du magnanime de mépriser tous ces vices. 575. La magnificence signifie aussi lés opérations de grandes choses : et, en cette signification si étendue, elle peut être prise pour une vertu commune, car elle en opère de grandes dans toutes les matières vertueuses. Mais comme il y a une raison particulière ou quelque difficulté à faire de grandes dépenses, quoiqu'elles soient conformes à la raison, c'est pour cela qu'on appelle magnificence singulière la vertu qui incline déterminément aux grandes dépenses en les réglant par la prudence, afin que le coeur ne soit ni avare lorsque la raison demande qu'on donne beaucoup, ni porté à de grandes profusions lorsqu'il n'est pas nécessaire, dissipant ce qu'il doit garder pour de meilleures occasions; et quoique cette vertu semble être confondue dans la libéralité, néanmoins les philosophes les distinguent: parce que celui qui est 218 magnifique n'a en vue que les grandes choses sans aucune autre prétention, et celui qui est libéral regarde l'amour et l'usage modéré de l'argent : une personne pouvant être libérale sans être magnifique, si elle s'abstient de distribuer ce qui approche le plus de la grandeur et de l'abondance. 576. Ces deux vertus de magnanimité et de magnificence se trouvèrent en la Reine du ciel avec de certains avantages auxquels toutes les autres personnes qui les eurent ne purent point arriver. Marie fut la seule qui ne trouva point de difficulté ni de résistance à opérer les plus grandes choses; elle seule les fit toutes grandes, même dans les matières petites, et elle seule connut parfaitement la nature et les qualités de ces vertus comme de toutes les autres. Ainsi elle leur put donner la plus sublime perfection, sans que cette perfection fût obligée de passer par les inclinations contraires, ni par l'ignorance des moyens, ni par le besoin des autres vertus, comme il arrive aux plus saints et aux plus prudents, qui, ne pouvant pas venir à bout de tout, choisissent et opèrent ce qui leur semble meilleur. Cette très- sainte Dame fut si magnanime, qu'elle fit toujours ce qui était le plus grand, le plus digne d'honneur et de gloire, et, méritant cette gloire de toutes les créatures, elle fut encore plus magnanime eu la méprisant, cri la rapportant seulement à Dieu, et en opérant dans la nième humilité ce que cette vertu avait de plus grand et de plus sublime les oeuvres de cette humilité héroïque étant comme dans une divine émulation avec ce qui est le magnanime 219 de toutes les autres vertus, s'unissaient ensemble comme de riches joyaux qui ornaient à l'envi parieur belle variété la fille du Roi, cette fille ayant toute sa gloire dans son intérieur, ainsi dire son père David nous l'a dit (1). 577. Notre lierne excella aussi cri la magnificence, car, bien qu'elle fût pauvre et de biens et d'esprit, sans avoir aucune attache aux choses de la terre, elle dispensa néanmoins fort magnifiquement ce que Dieu lui donna, comme il arriva lorsque les rois mages offrirent de riches dons à l'enfant Jésus (2); et ensuite pendant le temps qu'elle vécut dans l'Église après l'Ascension du Seigneur. Sa plus grande magnificence fut qu'étant maîtresse de tout ce qui est créé, elle le destinât, tout autant qu'il dépendait de son affection, pour être distribué magnifiquement en faveur des pauvres, à l'honneur et au culte de Dieu. Elle enseigna, comme Maîtresse de toute perfection, cette doctrine et cette vertu à plusieurs dans des occasions auxquelles les hommes ont tant de répugnance, à cause de leurs coutumes et de leurs basses inclinations à agir avec l'honnêteté et la prudence requises. Les mortels désirent ordinairement (selon leur penchant) l'honneur et la gloire de la vertu, et de passer pont. de grands personnages. Aveuglés de cette affection désordonnée, ils oublient de rapporter cette gloire an Seigneur de toutes choses; ils se trompent dans les moyens qu'ils prennent, et si l'occasion se présente de faire quelque (1) Ps. XLIV,14. - (2) Matth., II, 11. 220 oeuvre de magnanimité ou de magnificence, ils l'évitent et ne s'y sauraient résoudre, parce qu'ils ont l'âme basse et le courage abattu . et comme ils veulent paraître grands, excellents et dignes de vénération par un autre endroit, ils prennent, pour en venir à bout, d'autres moyens faussement proportionnés et véritablement vicieux, comme d'affecter d'être colères, vains, impatients, dédaigneux, hautains et orgueilleux; mais tous ces vices découvrent plutôt la pusillanimité et la bassesse d'un coeur que la magnanimité; c'est pour cela qu'au lieu de l'honneur et de la gloire qu'ils souhaitent, ils n'acquièrent parmi les sages que du blâme et du mépris. Parce qu'on trouve plus facilement l'honneur en le fuyant qu'en le recherchant, et plutôt par les bonnes œuvres que par les vains désirs. Instruction de la Reine du ciel. 578. Ma fille, si vous tâchez de connaître avec attention (comme je vous le commande) la qualité de cette vertu de force et la grande nécessité qu'on en a, vous aurez par son moyen à votre disposition, la conduite de l'appétit irascible, qui est une des passions qui se meut plus facilement et qui trouble le plus la raison. Vous aurez aussi en cette vertu un instrument par lequel vous pourrez opérer ce qu'il y a de plus 221 grand et de plus parfait dans toutes les autres vertus; ainsi que vous le désirez; et vous aurez de quoi résister à vos ennemis et vaincre les empêchements qu'ils vous opposent, pour vous faire perdre le courage dans ce qui est le plus difficile de la perfection. Mais prenez bien garde, ma très-chère fille, que comme la puissance irascible sert à la concupiscible pour résister à ce qui s'oppose à ses désirs, il arrive que si la puissance concupiscible s'égare et aime ce qui est vicieux et qui n'est seulement qu'un bien apparent, incontinent elle entraîne après soi l'irascible, et cette puissance étant une fois en désordre, bien loin de pratiquer la vertu de force, elle tombe dans des vices très-énormes. Par ce que je viens de vous dire, vous comprendrez que de l'appétit désordonné de la propre excellence et de la vaine gloire, qui tire son origine de l'orgueil, naissent plusieurs vices dans l'irascible, qui sont les débats, les querelles, les louanges, les cris, les impatiences, les opiniâtretés, et d'autres vices qui appartiennent à l'appétit concupiscible, comme sont l'hypocrisie, le mensonge, le désir des vanités et des curiosités, et la passion de paraître quelque chose de plus parfait que l'on n'est dans la vérité, et de cacher avec adresse ce qu'on a d'imperfection tant par ses propres péchés que par sa propre bassesse. 579. Vous serez exempte de tous ces vices pernicieux si vous vous efforcez de mortifier et d'étouffer les mouvements désordonnés de l'appétit concupiscible par la tempérance dont vous allez parler. Mais 222 lorsque vous désirez et que vous aimez ce qui est juste et convenable, bien que vous deviez vous aider de la force et de l'appétit irascible bien ordonné pour l'acquérir, il faut bien prendre garde de n'y pas excéder, parce qu'il est toujours dangereux de s'emporter quand on est sujet à son amour-propre. Quelquefois ce vice se cache sous les apparences d'un saint zèle, et alors il trompe facilement la créature qui s'emporte pour les choses qu'elle désire pour soi-même, voulant ensuite que l'on croie que c'est par un zèle qu'elle a pour Dieu et pour le bien de son prochain. C'est pour cela que la patience qui naît de la charité et qui est accompagnée du désintéressement et de la magnanimité, est si nécessaire et si glorieuse; puisque celui qui aime véritablement le souverain bien , souffre avec plaisir la perte du vain honneur et de la gloire apparente, les méprisant avec magnanimité comme des choses viles et trompeuses ; et quoiqu'il soit honoré des créatures, il ne fait aucun cas de cet honneur, se montrant dans toutes les autres pertes et dans tons les travaux qui lui peuvent arriver, invincible et constant; de sorte qu'il fait tout son possible pour acquérir le trésor de la persévérance et de la patience. CHAPITRE XII. Où l'on découvre la vertu de tempérance qu'eut la très-sainte Vierge. 580. La créature a deux mouvements par lesquels elle désire le bien sensible et s'éloigne du mal , et ce dernier est modéré parla force qui sert (comme j'ai déjà dit) pour empêcher que la volonté, par le secours de l'appétit irascible, ne se laisse vaincre, mais au contraire, qu'elle vainque elle-même avec hardiesse en supportant patiemment toutes sortes de maux sensibles pour acquérir le bien honnête. La tempérance, qui est la dernière et la moindre des vertus cardinales, sert pour régler les autres mouvements de l'appétit concupiscible. Elle en est la moindre, parce que le bien qu'elle poursuit n'est pas si général que celui que regardent les autres vertus, la tempérance concernant immédiatement le bien particulier de celui qui a cette vertu. Les théologiens considèrent la tempérance en tant qu'elle renferme une modération générale de tous les appétits naturels; et dans ce sens elle est une vertu générale et commune qui comprend toutes les vertus qui meuvent l'appétit conformément à la raison. Nous ne prenons 224 pas ici la tempérance dans cette généralité, mais en tant qu'elle sert pour régler la puissance concupiscible dans les matières de l'attouchement, où la volupté meut avec plus de violence, comme aussi dans les autres matières, délectables qui ont du rapport au plaisir de l'attouchement, quoique ce ne soit pas avec la même violence. 581. Dans cette considération, la tempérance a le dernier rang parmi les vertus cardinales, parce que son objet n'est pas si noble que celui des autres; néanmoins on ne laisse pas de lui attribuer quelques excellences particulières, en tant qu'elle retire des objets les plus sales et les plus ravalés, tels qu'on les découvre dans l'intempérance des voluptés sensitives, qui se trouvent dans les hommes et dans les bêtes. C'est pourquoi David dit que l'homme devient semblable à elles lorsqu'il se laisse entraîner par cette infâme passion (1). Pour ce même sujet on appelle le vice de l'intempérance puéril, parce qu'un enfant ne se meut point par la raison, mais par la fantaisie de l'appétit, et qu'on ne le modère que par le châtiment, ainsi que la puissance concupiscible le demande, si on la veut réprimer dans ces sortes de plaisirs. La tempérance retire l'homme de ce déshonneur et de cette souillure, en lui enseignant à se conduire plutôt par la raison que par la volupté; c'est pour cela que cette vertu a mérité qu'on lui attribuât une certaine honnêteté et une certaine beauté qu'on distingue dans (1) Ps. XLVIII, 13 et 21. 225 l'homme qui se conduit selon les règles de la raison contre une passion si effrénée et si souvent rebelle à cette même raison; comme au contraire celui qui s'assujettit au plaisir animal s'attire une grande infamie, puisqu'il se rend par là semblable,aux bêtes. 582. La tempérance renferme les vertus d'abstinence et de sobriété, qui combattent les vices de la gourmandise et de l'ivrognerie (le jeûne est compris dans l'abstinence); ces vertus sont les premières productions de la tempérance, parce que la nourriture, qui est l'objet du goût, est la première chose qui se présente à l'appétit pour la conservation de la nature. Les vertus de chasteté et de pudicité, qui modèrent l'usage de la propagation naturelle, viennent ensuite accompagnées de ces deux filles, la virginité et la continence, pour s'opposer à l'incontinence, à la luxure et aux autres vices qui en sont inséparables. Après ces vertus, qui tiennent le premier rang dans l'ordre de la tempérance, il y en a d'autres qui refrènent l'appétit dans de moindres plaisirs, comme sont celles qui modèrent les sens de l'odorat, de l'ouïe et de la vue, et qui sont renfermées dans les vertus qui règlent le sens du toucher. Outre celles-là, il s'en trouve d'autres qui leur sont semblables, quoiqu'elles regardent d'autres sujets: ce sont la clémence et la douceur, qui arrêtent la colère, règlent le châtiment et empêchent de tomber dans une cruauté brutale. La modestie, qui a pour inférieures quatre différentes vertus, dont la première est l'humilité, qui éloigne l'homme de l'orgueil, afin qu'il ne souhaite point 226 désordonnément sa propre excellence. La seconde est la modération de l'étude, afin qu'il ne désire point de savoir plus qu'il ne lui est convenable, et cette vertu est opposée au vice de la curiosité. La troisième est la retenue, qui sert à l'homme pour ne pas rechercher le superflu et l'ostentation dans son vêtement et dans les autres choses extérieures. Et la quatrième est celle qui modère l'appétit déréglé dans l'usage des plaisirs, tels que sont les jeux, les railleries, les danses, etc. Bien que cette vertu n'ait point de nom particulier, elle ne laisse pas d'être fort nécessaire, et c'est ce qu'on appelle généralement modestie ou tempérance. 583. Les termes dont nous nous servons pour exprimer les vertus des créatures en général, sont (comme je l'ai déjà dit si souvent) trop faibles pour expliquer l'excellence de celles qui se trouvèrent eu la Reine du ciel. Les grâces de la très- pure Marie curent bien plus de proportion avec celles de son Fils bien-aimé, et celles de l'humanité de ce divin Seigneur avec les perfections divines, que toutes les vertus de tous les saints ensemble n'en eurent avec celles de cette auguste Reine des vertus. Ainsi tout ce que nous en pouvons dire n'approche pas de ce quelles sont clans la vérité, puisque -nous n'en pouvons parler que par comparaison aux grâces et aux vertus qu'ils ont reçues, qui, quelque consommées qu'elles fussent, étaient toujours dans des sujets fort imparfaits, capables de péché, et ensuite de désordre. Que si l'Ecclésiastique, parlant de ces vernis, dit qu'on ne saurait 227 assez priser l'excellence d'un homme continent (1), que dirons-nous de la tempérance de cette maîtresse des grâces et des vertus, et de la beauté que leur abondance donnait à son aime très-sainte? Tous les domestiques de cette femme forte étaient pourvus d'un double vêtement (2), parce que ses puissances étaient ornées de deux perfections d'une beauté et d'une force incomparables. L'une était la justice originelle, qui soumettait ses appétits à la raison et à la grâce; l'autre, les habitudes infusés, qui augmentaient continuellement ses grâces et ses vertus, pour donner à toutes ses actions la perfection la plus sublime. 584. Tout ce que les autres saints qui se sont signalés dans la tempérance out pu faire, a été de réduire la concupiscence rebelle sous le joug de la raison, afin qu'ils ne désirassent rien avec excès et qu'elle ne leur donnât pas occasion de se repentir dans la suite de ce qu'ils auraient souhaité avec trop d'empressement; que s'il s'en trouve quelqu'un d'entre eux qui se soit distingué dans la pratique de cette vertu, tout ce qu'il a pu faire a été de refuser à l'appétit ce qu'on peut retrancher à la nature humaine sans la détruire; mais il sentait toujours dans les actes de la tempérance quelque difficulté qui retardait l'affection de la volonté, ou du moins qui lui faisait tant de résistance, que son désir ne pouvait pas être entièrement satisfait, et qu'il avait sujet de se (1) Eccles., XXVI, 20. - (2) Prov., XXI, 21, 228 plaindre avec l'Apôtre de la malheureuse sujétion où le mettait son corps pesant et rebelle (1). Cette contradiction ne se trouvait point en la très-sainte Vierge; ses appétits, sans se plaindre et sans prévenir la raison, lui laissaient opérer toutes les vertus avec tant d'harmonie et de concert, que, la fortifiant comme une armée bien ordonnée et rangée en bataille (2), ils faisaient un choeur d'une mélodie céleste; et comme il n'y avait aucun dérèglement â réprimer dans ces mêmes appétits, elle s'exerçait de telle sorte dans cette vertu de tempérance, qu'il n'y eut jamais le moindre mouvement désordonné dans son âme; su contraire, imitant les perfections divines, ses opérations étaient comme émanées de ce sacré modèle; et tirées sur lui, qu'elles regardaient toujours comme l'unique règle qui pouvait les rendre parfaites, et comme la dernière fin à laquelle elles devaient se terminer. 585. L'abstinence et la sobriété de la très-pure Marie furent un sujet d'admiration aux anges, parce qu'étant Reine de l'univers et souffrant les passions naturelles de la faim et de la soif, elle ne désira jamais les viandes qui eussent rapport à son pouvoir et â sa grandeur; elle ne se servait point des aliments pour contenter son goût, elle rien usait que par nécessité, et cela avec tant de tempérance, qu'elle n'excéda ni ne pouvait excéder, n'en prenant qu'autant qu'elle en avait besoin pour l'entretien de l'humide (1) Rom., VII, 24. - (2) Cant., VI, 8. 229 radical et la conservation de sa vie : encore n'en prenait-elle qu'après avoir enduré les extrémités de la faim et de la soif, voulant par ce peu de nourriture laisser en elle, pour ainsi dire, plus d'espace et de vide à la grâce. Elle ne souffrit jamais aucune altération par la superfluité du manger ou du boire; elle n'en fut pas plus. pressée dans un jour que dans un autre, et elle n'en ressentit aussi aucune par le défaut des aliments, parce que si elle retranchait quelque chose de ce que la chaleur naturelle demandait, la divine grâce y suppléait, la créature se devant nourrir de cette grâce, et. non. pas seulement du pain (1). Le Très-Haut la pouvait bien entretenir sans qu'elle bût ni ne mangeât, mais il ne le fit point, parce que cela n'était pas convenable,' ni pour elle, qui aurait cessé de mériter dans cet usage modéré du manger et d'être le modèle de la tempérance, ni pour nous, qui aurions été privés du fruit de tant de mérites qu'elle y acquit. Je parle dans plusieurs endroits de cette histoire, de la qualité de sa nourriture, et des temps auxquels elle la recevait. Elle ne voulut jamais manger de viande ni manger plus d'une fois par jour, excepté lorsqu'elle fut avec saint Joseph ou qu'elle accompagnait son très- saint Fils dans ses voyages; car dans ces occasions, pour la nécessité qu'il y avait de se conformer aux autres, elle suivait l'ordre que le Seigneur lui donnait, et dans toutes sortes de rencontres elle était toujours admirable en la tempérance. (1) Matth., IV, 4. 230 586. Les séraphins ne sont pas capables de parler dignement de la pureté et de la pudeur de la Vierge des vierges, puisqu'ils furent en cette vertu, qui leur est naturelle, inférieurs à leur Reine, et que l'exemption du vice contraire se trouva, par un privilège de la grâce et du pouvoir de Dieu, dans un plus haut degré en la très-sainte Marie que dans les anges mêmes, que par leur nature ce vice ne peut point atteindre. Il n'est pas possible aux mortels de former en cette vie une juste idée de cette vertu en la Reine du ciel, parce que ce corps terrestre, qui nous environne, nous embarrasse beaucoup, et sert comme d'un nuage qui empêche notre âme de voir entièrement la lumière cristalline de la chasteté. Notre grande Reine eut cette vertu dans un tel degré, qu'elle aurait pu avec justice la préférer à la dignité de Mère de bien, si cette dignité n'eût été celle qui la proportionnait le plus à cette grandeur ineffable où elle se trouve. Mais en mesurant la pureté virginale de Matie avec l'estime qu'elle. en fit et avec la dignité à laquelle cette pureté l'éleva, on découvrira en partie quelle fut cette vertu en son corps virginal et en son âme très-pure. Elle se la proposa dès son immaculée conception, elle la voua dès sa naissance et l'observa de telle, manière durant tonte sa vie, qu'il n'y eut rien au monde qui l'ait jamais pu offenser cri sa pudeur. Pour ce sujet elle ne parla jamais et aucun homme que ce ne fût par la volonté de Dieu, et n'en regarda jamais aucun au visage, non plus que les femmes; ce n'était pas pourtant pour le danger, mais pour augmenter 239 son mérite, pour nous servir d'exemple et à cause de cette surabondance de prudence, de sagesse et d'amour divin qui se trouvait en elle. 587. Salomon, parlant de la clémence et dé la douceur de cette auguste Reine, dit qu'elle était sur sa langue (1), parce qu'elle ne la remua jamais que ce ne fût pour distribuer la grâce, qui était répandue sur ses lèvres (2). La douceur règle la colère, la clémence modère le châtiment. Notre très-douce Reine n'eut point de colère à modérer, elle ne se servait de cette puissance que contre le péché et le démon, comme j'ai déjà. dit dans le chapitre précédent, traitant des actes de la force, etc. Elle n'en eut point contre les créatures raisonnables, qui lui inspirât de les punir; elle n'en fut jamais émue pour quelque sujet qu'elle en eût; sa douceur ne pouvait pas être altérée; l'égalité de son intérieur et de son extérieur fut inébranlable et au- dessus de nos imitations; on ne découvrit jamais aucun changement en sa personne, ni en sa voix, ni en ses actions, qui marquât le moindre mouvement intérieur de colère. Le Seigneur regarda cette douceur et cette clémence comme des canaux par lesquels il voulait nous communiquer toutes ses faveurs, et tous les effets de ses éternelles et anciennes miséricordes; et pour cette fin il fallait que la clémence de notre auguste Reine fût proportionnée à celle que ce divin Seigneur a pour les créatures. Que si l'on considère avec attention les oeuvres (1) Prov., XXXI, 26. - (2) Ps. XLIV, 34. 232 de la clémence divine envers les pécheurs, et que la très-sainte Vierge était l'instrument propre par lequel elles s'exécutaient, on découvrira en partie la clémence de cette Dame. Toutes ses corrections furent plus en priant, en enseignant, en instruisant, qu'en châtiant : elle demanda cela au Seigneur, et sa providence le disposa ainsi , afin que la loi de la clémence se trouvât en cette très- douce Reine comme dans tin exemplaire dont sa divine Majesté se servit pour enseigner aux hommes cette vertu aussi bien que les autres. 588. Il nous faudrait faire plusieurs livres, et emprunter même les langues des anges pourparler dignement de quelque partie des autres vertus que la modestie de la très-sainte Vierge renferme, singulièrement de son humilité, de sa retenue, et de sa pauvreté. Toute cette histoire est remplie de ce que j'en puis dire parce que l'humilité incomparable de la Reine du ciel éclata dans toutes ses actions sur toutes les autres vertus. Je crains beaucoup d'offenser la grandeur de cette vertu singulière, en entreprenant de réduire dans des termes si bornés que les nôtres l'immense océan qui a bien pu recevoir et renfermer Celui qui est incompréhensible et sans limites. Tout ce que les saints et les anges mêmes ont pu connaître de cette vertu d'humilité, et opérer par elle, n'est jamais arrivé aux premiers degrés de celle de notre Reine. Qui est celui d'entre les saints et d'entre les anges même que Dieu ait bien voulu appeler sa Mère? Qui est-ce, excepté le Père éternel et Marie, qui ait pu 233 appeler le Verbe incarné son Fils? Or, si celle qui arriva à être semblable au Père en cette dignité, et qui reçut les grâces et les dons convenables à cette même dignité, s'estima la dernière de toutes les créatures, et les regarda toutes comme ses supérieures, quelle odeur, quel doux parfum ne devait-il pas exhaler en la présence de Dieu , cet humble nard (1) renfermant dans son sein le souverain Roi des rois ? 589. Ce n'est pas une merveille que les colonnes du ciel tremblent en présence de la lumière inaccessible de la majesté infinie de Dieu (2), puisqu'elles y virent la perte de leurs semblables, et qu'elles furent préservées de ce malheur par des faveurs qui ne leur, furent point cachées. Que les plus forts et les plus invincibles d'entre les saints s'humilient en embrassant le mépris et en se reconnaissant indignes du moindre bienfait de la grâce , et même du moindre secours des choses naturelles, tout cela est fort juste et fort à propos : parce que nous avons tous péché, et nous avons besoin de la miséricorde de Dieu pour arriver à sa gloire (3); il n'y en a aucun de si saint et de si grand, qu'il ne le puisse être davantage; ni de si parfait, qu'il ne lui manque quelque vertu; ni de si innocent, que les yeux de Dieu n'y découvrent quelque défaut : quand même il s'en trouverait quelqu'un qui serait parfaitement accompli en toutes choses, il est néanmoins compris comme tous les (1) Cant, I, 11. - (2) Job., XXVI, 11. - (3) Rom., III, 23. 234 autres dans les grâces communes, sans qu'aucun soit supérieur, ni à tous, ni en tout. 590. Mais en cela l'humilité de la très-pure Marie a été sans exemple; car quoiqu'elle fût l'aurore de la grâce, le commencement de tout le bien des créatures, la plus sublime de tontes, le prodige des perfections de Dieu, le centre de son amour, le théâtre de sa toute-puissance; quoiqu'elle eût le bonheur de l'appeler son Fils, et d'en être appelée sa Mère, elle s'humilia néanmoins au-dessous de tout ce qui est créé; bien qu'elle jouit de la plus grande excellence de toutes les oeuvres de Dieu, n'étant qu'une pure créature , car il n'y en avait aucune, pour élevée quelle fût, quelle ne surpassât, elle ne laissa pas de s'humilier, se croyant indigne de la moindre estime, de la moindre excellence et du moindre honneur qu'on eût pu donner à la plus petite de toutes les créatures raisonnables. Elle ne s'estimait pas seulement indigne de la dignité de Mère de Dieu , et des grâces que cette dignité renfermait, mais même de l'air qu'elle respirait, de la terre qui la soutenait, des aliments qu'elle recevait, et de la moindre assistance des créatures; elle se réputait indigne de tout, et lorsqu'elle recevait quelque chose, elle en témoignait sa reconnaissance comme si elle l'eût véritablement été. Pour dire beaucoup en peu de paroles, ce n'est pas une fort grande humilité à une personne de ne désirer point l'excellence, qui ne lui appartient pas absolument, ou qu'elle ne mérite par aucun titre, quoique la clémence infinie du Très-Haut admette cette humilité, 235 et agrée celui qui s'humilie de la sorte. Mais ce qui est admirable est que celle à qui toute la majesté et toute l'excellence étaient dues, s'humilia plus que toutes les créatures ensemble, et ne désira ni ne rechercha aucun honneur ni aucune déférence; et qui étant en la forme de digne Mère de Dieu, elle s'anéantit en elle- même, méritant par cette humilité d'être élevée , comme de justice, à l'empire et à la souveraineté de tout ce qui est créé. 591. Les autres vertus qui sont renfermées dans la modestie répondaient en Marie à cette humilité incomparable : parce que l'appétit de savoir plus qu'il n'est convenable naît d'ordinaire du peu d'humilité ou de charité que l'on a; et étant un vice sans profit, ne laisse pas pourtant d'entraîner beaucoup de dommages, comme nous le voyons dans l'exemple de Dina (1), qui, sortant pour voir par une curiosité inutile ce qui ne lui était pas profitable, fut vue avec une perte si grande de son honneur. De la même racine de l'orgueil naît ordinairement l'ostentation extraordinaire dans les habits, dans les actions déréglées et dans les gestes du corps qui ne servent qu'à la vanité, à la sensualité et à témoigner la légèreté du coeur, selon que l'Ecclésiastique nous l'enseigne, disant que le vêtement du corps, le ris de la bouche, les mouvements de l'homme nous découvrent son intérieur (2). Toutes les vertus contraires à ces vices étaient en la très-sainte Vierge inaccessibles à leurs atteintes, (1) Gen., XXXIV, 4. - (2) Eccles., XIX, 27. 236 il n'y avait ni contradiction , ni mouvement, qui pussent les retarder ou les ternir; au contraire elles découvraient en cette auguste Princesse, comme filles et compagnes inséparables de sa profonde humilité, de son ardente charité et de sa pureté incomparable, de certains traits qui la faisaient paraître plus divine qu'humaine. 592. Elle était très-studieuse sans curiosité : parce qu'étant remplie de sagesse, et surpassant en cela les chérubins mêmes, elle apprenait néanmoins, et se laissait instruire de tous, comme ignorante. Lorsqu'elle se servait de la science divine, ou qu'elle consultait la divine volonté, elle était si prudente; et c'était avec des fins si relevées et des circonstances si saintes, que ses désirs blessaient toujours le coeur de Dieu, et l'attiraient à sa volonté bien ordonnée. Elle fut admirable en la pauvreté , puisque étant Maîtresse de tout ce qui est créé, et l'ayant à sa disposition, elle laissa, pour imiter son très-saint Fils, tout ce qu'elle en avait reçu (1) : parce que, comme le Père éternel mit toutes choses entre les mains du Verbe incarné, ainsi ce Seigneur les remit toutes en celles de sa Mère, et elle, pour suivre son exemple, les abandonna toutes avec plaisir, pour la gloire de son Fils et de son Seigneur. Touchant la modestie de ses actions, la douceur de ses paroles, et pour tout ce qui regardait son extérieur, il suffira de dire qu'elle aurait été prise pour plus qu'humaine, par la grandeur (1) Joan., XIII, 3. 237 ineffable qui en, rejaillissait, si la foi n'eût appris qu'elle était une pure créature, comme le sage d'Athènes saint Denis le déclara. Instruction de la Reine du ciel. 593. Ma fille, vous avez dit quelque chose de la dignité de cette vertu de tempérance, touchant l'excellence que vous en avez connue, et celle que j'exerçais, quoique vous omettiez beaucoup de choses, par lesquelles on pourrait être entièrement persuadé du grand besoin qu'ont les mortels de se servir de la tempérance dans leurs actions. Ce fut une peine du premier péché, que l'homme perdit le parfait usage de la raison, et que les passions désobéissantes se révoltassent contre elle et en elle, contre celui qui s'était révolté contre son Dieu en méprisant son très-juste précepte. La vertu de tempérance a été nécessaire pour réparer ce dommage, afin que par elle on maîtrisât les passions, on refrénât leurs mouvements sensuels, on donnât à ces mouvements une règle; que par elle l'homme fût rétabli dans la connaissance du milieu parfait et prudent, qui se trouve dans l'appétit concupiscible, et que ce milieu lui enseignât et l'inclinât de nouveau à suivre la raison, comme capable de la Divinité, et à ne plus suivre ses plaisirs, comme une bête dépourvue de raison. Il est impossible que la 238 créature se dépouille du vieil homme sans cette vertu , et qu'elle se dispose pour recevoir les dons de la grâce et de la sagesse divine, parce qu'elles n'entrent point dans l'âme du corps sujet aux péchés (1). Celui qui sait modérer ses passions par la tempérance, en leur refusant le plaisir brutal et immodéré qu'elles demandent, celui-là pourra dire et expérimenter que le souverain Roi l'introduit dans les endroits où se trouvent son vin délicieux , les trésors de la sagesse et les dons spirituels (2), parce que cette vertu est comme une officine universelle, qui est remplie de vertus les plus belles et les plus agréables à Dieu. 594. Quoique je veuille que vous travailliez beaucoup pour les acquérir toutes, je veux aussi que vous considériez singulièrement la beauté et les charmes de la chasteté, la force de l'abstinence et de la sobriété dans le manger et le boire, la douceur et les effets de la modestie dans les paroles et dans` les couvres, et la noblesse de la très-haute pauvreté dans l'usage des choses. Vous obtiendrez par ces vertus la lumière divine, la paix et la tranquillité de votre âme, la sérénité de vos puissances, la conduite de vos inclinations; vous serez toute illuminée par les splendeurs de la divine grâce et des dons célestes; et sortant de la vie animale, vous serez élevée à la conversation et à la vie angélique, qui est celle que je demande de vous, et celle que vous-même souhaitez par la vertu divine. Prenez donc bien garde, ma très (1) Sap., I, 4. - (2) Cant., II, 4. 239 chère fille, et tachez d'opérer toujours par la lumière de la grâce, et d'empêcher que vos puissances ne se meuvent jamais par le seul plaisir et par leurs propres passions; conduisez-vous dans toutes les choses nécessaires à la vie, par la raison et pour la gloire du Très-Haut; et soit que vous mangiez, soit que vous dormiez ou que vous vous habilliez, dans vos conversations, dans vos désirs, dans les corrections, les commandements ou les prières que vous ferez, faites en sorte que ce soit la lumière et la volonté de votre Seigneur et de votre Dieu, qui vous règlent et gouvernent en cela comme en tout le reste, et non point votre propre caprice. 595. Afin que vous vous affectionniez davantage à la beauté et à la grâce de cette vertu, considérez la laideur des vices contraires, et pesez par la lumière que vous recevez combien le monde est abominable, horrible et monstrueux aux yeux de Dieu et des saints par l'énormité de tant d'abominations que les hommes commettent contre cette aimable vertu. Regardez combien il y en a qui suivent comme des brutes l'horreur de la sensualité; les uns la gourmandise et l'ivrognerie, les autres le jeu et la vanité, ceux-là l'orgueil et la présomption, d'autres l'avarice et le plaisir d'amasser des richesses, et tous généralement l'impétuosité de leurs passions , ne recherchant maintenant que la volupté, qui leur doit thésoriser dans la suite des tourments éternels, et les priver de la vue bienheureuse de leur Dieu. 240 CHAPITRE XIII. Des sept dons du Saint-Esprit que reçut la très-sainte Vierge. 596. II me semble que les sept dons du Saint-Esprit,(selon la lumière que j'en reçois) ajoutent quelque chose aux vertus ou ils se réduisent, et par cette augmentation ils en sont distingués, quoiqu'ils aient le même objet. Il n'est point de bienfait du Seigneur qu'on ne puisse appeler don ou présent de sa main libérale, bien qu'il soit naturel; mais nous ne parlons pas ici des dons dans cette généralité, quoiqu'ils soient des vertus et des libéralités infuses; parce que tous ceux qui ont quelque vertu ou plusieurs ensemble, n'ont pas la grâce des dons dans cette matière, ou du moins ils n'ont pas les vertus dans ce degré qui fait qu'on les appelle des dons parfaits, selon que les docteurs sacrés l'entendent en interprétant les paroles d'Isaïe qui disent que l'Esprit du Seigneur reposerait en notre Sauveur Jésus-Christ (1), faisant mention de sept grâces qu'on appelle communément dons du Saint-Esprit, qui sont: l'esprit de sagesse et d'entendement, l'esprit de conseil (1) Isa., XI, 2. 241 et de force, l'esprit de science et de piété, et celui de crainte de Dieu, qui furent en l'âme très-sainte de Jésus-Christ rejaillissant de la divinité, à laquelle elle était unie hypostatiquement, comme le ruisseau l'est à la source dont il sort pour se communiquer à d'autres (1), parce que nous participons tous des eaux du Sauveur, grâce pour grâce, et don pour don (2), les trésors de la sagesse et de la science 4e Dieu étant cachés en ce divin Seigneur (3). 597. Les dons du Saint-Esprit répondent aux ver tus auxquelles ils se réduisent; et quoique les théologiens admettent quelque distinction en cette ressemblance, il n'y en peut pourtant pas avoir en la fin des dons, qui est de donner quelque perfection singulière aux puissances, afin qu'elles opèrent plus parfaitement et plus héroïquement qu'à l'ordinaire dans les matières des vertus, parce que sans cette qualité on ne les pourrait pas appeler dons particuliers, et plus parfaits et plus excellents que les autres dons en la manière commune de pratiquer les vertus. Cette perfection des dons doit consister principalement en quelque singulière ou forte impulsion du Saint-Esprit, qui surmonte les empêchements avec une plus grande efficace, excite le libre arbitre et lui donne une plus grande force, afin qu'il n'opère point lâchement dans cette espèce de vertu sur laquelle le don s'étend, mais su contraire avec une grande plénitude de perfection et de force. Le libre arbitre ne pouvant pas obtenir (1) Isa., XII, 3. - (2) Joan., I, 16. - (3) Colos., II, 3. 242 toutes ces choses s'il n'est éclairé et mû par une vertu efficace et une force singulière du Saint-Esprit qui le portent avec une douce violence, afin qu'il suive cette lumière, qu'il opère avec liberté, et qu'il veuille cette action, qui semble être faite en la volonté par l'efficace de l'Esprit divin, comme l'Apôtre le dit écrivant aux Romains (1). C'est pourquoi ce mouvement est appelé instinct du Saint-Esprit; car quoique la volonté opère librement et sans violence, elle a pourtant dans ces oeuvres beaucoup de rapport à un instrument volontaire, parce qu'elle opère avec moins de dépendance de la prudence commune que les vertus, quoique cela ne diminue en elle ni l'intelligence ni la liberté. 598. J'en ferai comprendre quelque chose par un exemple : Deux choses concourent dans les puissances pour mouvoir la volonté aux actions vertueuses : l'une est le poils ou l'inclination qu'elle a en soi, qui l'attire et la meut en la manière que la pesanteur se trouve en la pierre, et la légèreté au feu pour les faire mouvoir à leur centre; cette inclination augmentant plus ou moins les habitudes vertueuses en la volonté (les vices faisant la même chose en leur manière), parce que ces habitudes pèsent par l'inclination que la volonté a pour l'amour, et cet amour sert de poids à la volonté qui l'attire librement. L'autre chose concourt du côté de l'entendement à ce mouvement, qui est une illustration dans (1) Rom., VIII. 243 les vertus, par laquelle il se meut et détermine la volonté; et cette illustration est proportionnée aux habitudes et aux actes que la volonté fait. La prudence et la délibération ordinaire de cette même prudence servent pour les actes ordinaires, les autres plus élevés ayant besoin d'un plus haut secours et d'un mouvement supérieur du Saint-Esprit : alors ce mouvement appartient aux dons. Et parce que la charité et la grâce sont une habitude surnaturelle qui dépend de la volonté divine, en fa manière que le rayon naît du soleil, c'est pour cela que la charité a une influence particulière de la Divinité, et par cette influence elle est mue et meut les autres vertus et les habitudes de la volonté, et beaucoup plus lorsqu'elle opère par les dons du Saint-Esprit. 599. Il me semble, conformément à ce que je viens de dire, que je connais dans les dons du Saint-Esprit, en ce qui regarde l'entendement, une illustration singulière en laquelle il se comporte fort passivement pour mouvoir la volonté, à laquelle ses habitudes répondent avec un certain degré de perfection qui l'incline au-dessus de la force ordinaire des vertus à des oeuvres fort héroïques. Et comme, si l'on ajoute à la pesanteur de la pierre une autre impulsion, elle se meut avec un mouvement plus rapide, de mètre ajoutant en la volonté la perfection ou impulsion des dons, les mouvements des vertus sont plus excellents et plus parfaits. Le don de sagesse communique un certain goût à l'âme, par lequel elle tonnait sans tromperie les choses divines et les humaines, 244 leur donnant à chacune leur prix et leur poids contre le goût qui provient de l'ignorance et de la folie humaine, et ce don appartient à la charité. Le don d'entendement illumine pour pénétrer et connaître les choses divines; il est contre la grossièreté et la pesanteur de notre entendement. Celui de science pénètre les difficultés les plus obscures, et rend les docteurs parfaits; il est contre l'ignorance, et ces deux dons appartiennent à la foi. Le don de conseil redresse et retient la précipitation humaine contre l'imprudence, et il appartient à sa propre vertu. Celui de force chasse la crainte désordonnée et anime la faiblesse, et il appartient à sa vertu. Celui de piété rend le coeur doux, lui ôte la dureté, et l'attendrit contre l'impiété et l'insensibilité, et il appartient à la religion. Le don de crainte de Dieu humilie amoureusement contre l'orgueil, et il se réduit à l'humilité. 600. Tous les dons du Saint-Esprit se trouvèrent en la très-sainte Vierge comme en celle, qui avait quelque sorte de rapport à lui et un certain droit à ses dons en qualité de Mère du verbe divin, dont le Saint-Esprit procède, à qui on les attribue. Mesurant ces dons à la dignité singulière de Mère, il fallait qu'ils se trouvassent en elle avec la que proportion et avec autant de différence de toutes les autres âmes qu'il y en a d'être Mère de Dieu, et les autres d'être seulement créatures; outre que notre auguste Reine était par cette dignité et par l'impeccabilité fort proche du Saint-Esprit, et les autres créatures en étaient fort `éloignées, tant par le péché que par la distance de 245 l'être commun, sans aucun autre rapport ni proximité avec l'Esprit divin. Que s'ils étaient en notre Maître et Rédempteur Jésus-Christ comme en leur source, ils étaient aussi en Marie, sa digne Mère, comme en un lac, d'où ils se distribuent à toutes les créatures, parce que de sa plénitude surabondante ils se répandent sur toute l'Église. Ce que Salomon a exprimé par une autre métaphore dans les Proverbes, disant que la sagesse s'est bâti une maison sur sept colonnes, etc. etc., et qu'elle y dressa la table, y mêla le vin, et y convia les petits enfants et les insensés, pour les tirer de leur puérilité et leur enseigner la prudence (1). Je ne m'arrête point à en donner l'explication, puisqu'il n'est aucun catholique qui ne sache que cette habitation magnifique du Très-Haut fut la très-pure. Marie, qui était comme construite et fondée sur ces sept dons, tant pour sa beauté et sa fermeté que pour préparer en cette maison mystique le festin général de toute l'Église, parce. que la table se trouve toute prête en Marie, afin que tous les ignorants et les petits enfants d'Adam y aillent se rassasier des influences et des dons du Saint-Esprit. 601. Quand on acquiert ces dons parle moyen de la discipline et de l'exercice des vertus en vainquant les vices contraires, alors la crainte tient le premier rang; mais en notre Seigneur Jésus-Christ, Isaïe commença à les raconter par le don de sagesse, qui en est le plus sublime, parce qu'il les reçut comme Maître (1) Prov., IX, 1-6. 246 et comme Chef, et non point comme disciple qui les apprit. Nous les devons considérer dans ce même ordre en sa très-sainte Mère, parce qu'elle fut plus semblable à son très-saint Fils dans les dons que' les autres créatures ne le furent à elle-même. Le don de sagesse contient une agréable lumière par laquelle l'entendement connaît la vérité des choses par leurs causes internes et suprêmes, et la volonté par la douceur et le plaisir qui résultent du véritable bien; le discerne et le sépare du faux et de l'apparent, parce que celui-là est véritablement sage, qui connaît sans tromperie le véritable bien pour le goûter, et il le goûte même en le connaissant. Ce goût de la sagesse consiste à jouir du souverain bien par une étroite union de l'amour, qui est suivi de la saveur et du goût du bien honnête, auquel on participe et qu'on exerce par les vertus inférieures à l'amour. C'est pour cela qu'on n'appelle point sage celui qui ne connaît la vérité que par spéculation , quoiqu'il reçoive quelque plaisir de cette connaissance; on ne doit pas non plus appeler sage celui qui opère les actes de vertu pour la seule connaissance, et encore moins s'il le fait pour quelque moindre sujet; mais il sera véritablement sage s'il opère par le goût d'un amour intime et unitif à cause du véritable et souverain bien, qu'il connaît sans tromperie, et en lui et par lui toutes les vérités inférieurs. Cette connaissance communique à la sagesse le don d'entendement, qui la précède et l'accompagne; et il consiste en une profonde pénétration des vérités divines et de celles qu'on 241 petit réduire et rapporter à cet ordre, parce que l'esprit sonde les choses profondes de Dieu, comme le dit l'Apôtre (1). 602. Nous avions besoin de ce même esprit pour comprendre et pour dire quelque chose des dons de sagesse et d'entendement qu'eut la, Reine du ciel. L'impétuosité du fleuve qui était comme retenu depuis tant de siècles dans la bonté souveraine, réjouit enfin cette Cité de Dieu par le torrent qu'elle versa dans son âme très-sainte par le moyen du Fils unique du Père, et le sien, qui habita en elle comme si elle eùt déchargé, à notre manière de concevoir, la mer infinie de la Divinité dans cet océan de sagesse, au même instant qu'elle en put demander l'esprit; et pour qu'elle le pût demander, ce même esprit vint en elle, afin qu'elle apprit cette sagesse sans fiction , et la communiquât sans jalousie (2), comme elle le fit véritablement, puisque par le moyen de Ait sagesse la lumière du Verbe incarné fut manifestée su monde. Cette Vierge très-sage connut la disposition du monde, les qualités des éléments, le principe, le milieu et la fin du temps et ses vicissitudes, le cours des étoiles, la nature des animaux, les fureurs des bêtes féroces, la force des vents, la complexion et les pensées des hommes, les vertus des plantes, des herbes, des arbres, des fruits et des racines, tout ce qui est au-dessus des connaissances des hommes, les mystères et les voies les plus cachées du Très-Haut (3). (1) 1 Cor., II, 10. - (2) Sap., VII, 13. - (3) Ibid., 17-21. 248 Notre grande Reine connut toutes ces choses, et les goutta par le don de sagesse, qu'elle puisa dans sa propre source, et alors elle devint comme la parole de la pensée de cette sagesse. 603. Ce fut là qu'elle reçut cette vapeur de la vertu de Dieu et cet écoulement de sa charité sincère (1) , qui la rendit immaculée, et la préserva de la souillure qui salit l'âme, pour en faire un miroir sans tache de la majesté de Dieu. Là, elle fut enrichie de l'esprit d'intelligence; qui contient l'esprit de sagesse, qui est saint, unique, multiplié, subtil, pénétrant et disert; prompt, net, doux, amateur du bien, et surmontant tous les obstacles; bienfaisant, bénin, stable, constant, qui renferme toutes ces vertus et qui pénètre tout avec une netteté et une vivacité très-pure, de sorte qu'il touche le commencement et la fin de toutes choses (2). Ces qualités que Salomon attribue à l'esprit de sagesse, se trouvèrent uniquement et parfaitement en la Reine du ciel après son très-saint Fils; toutes sortes de biens lui vinrent avec la sagesse, et. ces dons de sagesse et d'entendement très-sublimes la précédaient dans toutes ses opérations (3), afin de lui servir de règle dans tous les actes des autres vertus, et qu'elles fussent toutes remplies de cette sagesse avec laquelle elle opérait. 604. Nous avons dit quelque chose des autres dons, parlant des vertus qui leur appartiennent; mais comme tout ce que nous pouvons concevoir et (1) Sap., VII, 25. - (2) Ibid., 22. - (3) Ibid., 11 et 12. 249 dire de cette Cité mystique, l'auguste Marie, n'est rien au prix de ce qu'elle renfermait, c'est pour cela que nous trouverons toujours beaucoup de choses à y ajouter. Le don de conseil suit dans l'ordre d'Isaïe celui d'entendement, et consiste en une lumière surnaturelle, par laquelle le Saint-Esprit touche l'intérieur, en l'éclairant au-dessus de toute intelligence humaine et commune, afin qu'il choisisse tout ce qui est le plus utile, le plus décent et le plus juste,. et rejette le contraire, soumettant la volonté, par les règles de la loi divine, à l'unité d'un seul amour et à la conformité de la volonté parfaite du souverain bien; et que par cette érudition la créature s'éloigne de la multiplicité des diverses affections, des amours inférieurs et extérieurs, et des mouvements qui peuvent empêcher le coeur humain d'ouïr et de suivre cette sainte impulsion et ce conseil divin, et de se conformer à notre Seigneur Jésus-Christ, qui dit par un très-haut conseil au Père éternel : Que ma volonté ne s'accomplisse point, mais bien la vôtre (1). 605. Le don de force est une participation ou une influence de la vertu divine, que le Saint-Esprit communique à la volonté créée, afin qu'étant par ce moyen animée, elle s'élève heureusement au-dessus de tout ce que la faiblesse humaine peut craindre, ce qui lui arrive d'ordinaire dans les tentations, les douleurs, les tribulations et les adversités; et qu'après avoir surmonté toutes ces choses, elle acquière (1) Matth., XXVI, 39. 250 et conserve ce que les vertus ont de plus sublime et de plus excellent, et surpasse même toutes les vertus, les grâces, les consolations intérieures et spirituelles, les révélations, les autours sensibles, pour nobles et excellents qu'ils soient, et qu'ayant enfin comme abandonné tout cela , elle s'élève par un divin effort jusqu'à ce qu'elle ait obtenu la parfaite union du souverain bien , après laquelle elle soupire avec des désirs très-ardents, d'où il arrive que du fort coule véritablement la douceur (1) , ayant une fois surmonté tous ces obstacles en celui qui le fortifie (2). Le don de science est une connaissance judicieuse avec une rectitude infaillible de tout ce qu'on doit croire et opérer par les vertus. Il se distingue de celui de conseil, en ce que celui-ci choisit, et l'autre juge; le premier fait le jugement droit, et le second l'élection prudente. Il se distingue aussi du don d'entendement, parce que celui-ci pénètre les vérités divines et internes de la foi et des vertus comme en une simple intelligence; et le clou de science commit en maître ce qu'on eu peut inférer, appliquant les opérations extérieures des puissance, à la perfection de la vertu; en laquelle le clou de science est comme la racine et la mère de la discrétion. 606. Le don (le piété est une vertu ou influence divine par laquelle le Saint-Esprit amollit et liquéfie en quelque façon la volonté humaine, la mouvant pour tout ce qui regarde le service de Dieu et l'utilité (1) Judic., XIV, 14 - (2) Phil., IV, 13. 251 du prochain. Par cette tendresse et cette douceur, notre volonté est prompte, et la mémoire toute disposée à louer et bénir le souverain bien, et à lui rendre grâces et honneur en toutes sortes de temps, de lieux et de rencontres ; et à porter une tendre et amoureuse compassion aux créatures, sans leur manquer dans leurs travaux et dans leurs nécessités. L'envie ne se trouve point dans ce don de piété qui ne tonnait ni haine ni tiédeur, ni attachement ni bassesse de coeur, parce qu'il cause à celui-ci une forte et douce inclination par laquelle il se porte amoureusement à toutes les oeuvres de l'amour de Dieu et du prochain , rendant celui qui le possède, honnête, doux, officieux et diligent. C'est pour cette raison que l'Apôtre a dit que l'exercice de la piété est utile à toutes choses, et qu'elle a la promesse de la vie éternelle (1), parce qu'elle est un instrument très-noble de la charité. 607. On trouve en dernier lieu le don de crainte de Dieu, si hautement loué et si souvent recommandé dans l'Écriture (2) et par les Pères comme le fondement de la perfection chrétienne et le principe de la véritable sagesse, parce duc la crainte de Dieu est la première qui résiste à la folie arrogante des hommes, et celle qui la détruit avec plus de force. Ce don si important consiste en une fuite amoureuse, en une honte et timidité très-noble; de sorte que, par leur moyen, l'âme se retire en elle-même et en sa propre condition et bassesse, considérant cette bassesse en comparaison (1) I Tim., IV, 8. -(2) Ps. II, XVIII, XXXIII, CX, CXVIII, et alibi. 252 de la grandeur et de la majesté suprême de Dieu; et ne voulant pas présumer ni savoir hautement de soi et en soi, elle craint, comme l'Apôtre l'a enseigné (1). Cette sainte crainte a divers degrés, parce que dans son principe on la nomme initiale, et dans la suite filiale : car elle commence premièrement à éloigner l'âme du péché, comme contraire au souverain bien, qu'elle aime avec respect; ensuite elle l'introduit dans l'abattement et dans le mépris d'elle-même, lui faisant comparer son être propre avec la Majesté divine, son ignorance avec sa sagesse, et sa pauvreté avec ses richesses infinies; et l'âme se trouvant par son secours entièrement soumise à la divine volonté, s'humilie et se soumet aussi à toutes les créatures pour Dieu, et agit envers lui et envers elles avec un très-grand amour qui l'élève à la perfection des enfants de Dieu, et à la suprême unité d'esprit avec le Père; le Fils, et le Saint-Esprit. 608. Si je m'étendais davantage sur l'explication de ces dons, je m'éloignerais beaucoup de mon sujet, et le discours en serait trop diffus : il me semble que ce que j'en dis est suffisant pour faire entendre leur nature et leurs qualités. Ce qu'ayant compris, on doit considérer que tous les dons du Saint-Esprit se trouvèrent en notre auguste Reine, non-seulement dans le degré suffisant et commun que chacun d'eux renferme dans son genre (parce que cela peut être commun aux autres saints), mais ils se trouvèrent en cette très (1) Rom., XI, 20. 253 sainte Dame avec une excellence et un privilège singulier, tel qu'aucun autre saint ne l'a jamais eu, ne pouvant pas même être convenable à tout ce qui lui était inférieur. Ayant donc connu en quoi consiste la sainte crainte, la piété, la force, la science, le conseil, comme dons particuliers du Saint-Esprit, que le jugement humain et l'entendement angélique s'y étendent autant qu'ils pourront, et en pensent tout ce qu'il peut y avoir de plus relevé, de plus noble, de plus excellent, de plus parfait, de plus divin; et qu'ils avouent après cela que les dons de Marie sont au-dessus de ce que toutes les créatures ensemble en ont conçu, et que ce qui en est même le plus bas est aussi le plus relevé de toutes les pensées créées, et que le sublime des dons de cette auguste Reine des vertus touche (en quelque façon et selon notre manière d'exprimer les choses) l'extrémité inférieure de Jésus-Christ et de la Divinité. Instruction de la très-sainte Vierge. 609. Ma fille, ces dons très-nobles et très-excellents du Saint-Esprit que vous avez connus, sont l'émanation par où la Divinité se communique aux âmes saintes : et c'est pour cela qu'ils n'admettent aucune limitation de leur côté, comme ils l'ont du sujet qui les reçoit. Que si les créatures bannissaient de leur 254 coeur les affections terrestres (quoique ce coeur soit limité), elles ne laisseraient pas de participer sans mesure, par le moyen des dons inestimables du Saint-Esprit, au torrent de la Divinité, qui est infinie. Les vertus purifient la créature de la laideur et de la souillure des vices, s'il s'en trouve quelqu'un en elle; elle commence à rétablir par ces vertus le bel ordre de ses puissances, qu'elle a perdu premièrement par le péché originel, et ensuite par ses péchés actuels; outre cela, elles lui ajoutent la beauté, la force et le plaisir dans l'exercice des bonnes oeuvres. Mais les dons du Saint-Esprit élèvent ces mêmes vertus à une perfection sublime, à un ornement et à une beauté incomparable; de sorte que, par tous ces avantages, l'âme se dispose, s'embellit et se rend agréable pour être unie en esprit d'une manière admirable à la Divinité dans le lien de la paix éternelle, sortant de cet état très-heureux pour opérer avec autant de fidélité que de constance les vertus les plus héroïques, qui lui fournissent des ailes pour s'en retourner dans le même principe d'où elle est sortie, qui est Dieu, sous l'ombre duquel elle repose tranquillement (1), sans que les impétuosités furieuses des passions et de leurs appétits désordonnés la troublent. Mais peu de personnes arrivent à cette félicité, et il n'y a que l'expérience de celui qui la reçoit qui la puisse faire connaître. 610. Prenez donc bien garde, ma très-chère fille, et considérez avec une profonde attention comme vous (1) Cant., II, 3 monterez au plus haut de ces dons- car c'est la volonté du Seigneur et la mienne que vous montiez aux premières places du festin (1) que sa douceur divine vous prépare par la bénédiction des dons que vous avez reçus de sa libéralité pour cette fin (2). Sachez qu'il n'y a que deux chemins pour arriver à l'éternité : l'un qui mène à la mort éternelle par le mépris de la vertu et par l'ignorance de la Divinité, l'autre qui conduit à la vie éternelle par la connaissance fructueuse du Très-Haut, parce que c'est la vie éternelle que de le connaître aussi bien que son Fils unique, qu'il a envoyé au monde (3). Une infinité de fous suivent le chemin de la mort (4), ignorant leur propre ignorance, leur présomption et leur orgueil par une folie horrible. Ceux que Dieu a appelés par sa miséricorde à son admirable lumière, et régénérés en enfants de cette même lumière (5), ont reçu de sa bonté infinie dans cette régénération le nouvel être qu'ils ont par la foi, l'espérance et la charité, qui les rend siens et héritiers de la divine et éternelle jouissance (6); et, les ayant réduits à l'être dé ses enfants, il leur a donné les vertus qui se répandent en la première justification, afin que, comme enfants de la lumière, ils produisent avec proportion les oeuvres de lumière; et en suite de ces opérations il leur prépare les dons du Saint-Esprit. Et comme le soleil matériel ne refuse à aucun sa chaleur et sa lumière, s'il est propre et disposé (1) Luc., XIV, 10. - (2) Ps. XX,4. - (3) Joan., XVII, 3. - (4) Eccles., I, 15. - (5) I Petr., II, 9. - (6) Ephes., V, 8. 256 à recevoir la force de ses rayons, de même la sagesse divine, qui crie sur les hautes montagnes et dans les grands chemins, à la porte des villes, au milieu des rues et dans tous les endroits les plus retirés (1) pour convier et appeler tous les mortels, ne devait se refuser ni se cacher à personne. Mais la folie des hommes les rend sourds, ou l'impiété malicieuse les rend moqueurs, et la perversité incrédule les éloigne de Dieu, dont la sagesse ne trouve aucune place dans le coeur malin ni dans le corps sujet aux péchés (2). 611. Mais vous, ma chère fille, faites de sérieuses réflexions sur vos promesses, sur votre vocation et sur vos désirs, car la langue qui ment à Dieu est homicide de son âme : ne courez pas après la mort dans le désordre de la vie; gardez-vous d'acquérir, la perdition par les oeuvres de vos mains (3), comme le font les enfants de ténèbres, ainsi qu'il vous est découvert par la lumière divine. Craignez le Tout- Puissant par une crainte sainte, humble et bien ordonnée, et que cette crainte vous serve de guide dans tout ce que vous ferez. Osez votre coeur doux, soumis et docile à la discipline et aux oeuvres de piété. Jugez avec droiture de la vertu et du vice. Animez-vous par une force invincible pour opérer ce qui sera le plus rude et le plus élevé, et pour souffrir ce qui se trouvera de plus contraire et de plus difficile dans les travaux. Choisissez avec discrétion les moyens pour l'exécution de (1) Prov., VIII, 1, 2, 3. -- (2) Sap., I, 4. - (8) Ibid., 11 et 12. 257 ces oeuvres. Secondez la force de la divine lumière, par laquelle vous vous élèverez au-dessus de tout ce qui est sensible; vous monterez à la connaissance sublime des secrets de la divine sagesse; vous apprendrez à distinguer le vieil homme du nouveau, et vous vous rendrez capable de recevoir cette sagesse, lorsque étant entrée dans le cellier de votre époux, vous serez enivrée de son amour et ornée de sa charité éternelle (1). CHAPITRE XIV. Où sont déclarées les formes et les manières des visions divines qu'avait la Reine du ciel, et les effets que ces visions causaient en elle. 612. Quoique la grâce des visions divines, les révélations et les ravissements (je ne parlerai pas ici de ln vision béatifique) soient des opérations du Saint-Esprit, on les distingue néanmoins de la grâce justifiante et des vertus qui sanctifient et perfectionnent l'âme dans ses opérations : et l'on prouve que la sainteté et les vertus peuvent être en une personne sans ces dons, en ce que plusieurs ont été justes et saints sans qu'ils (1) Cant., II, 4. 258 aient eu besoin absolument pour cela de recevoir des visions et des révélations divines. On ne doit pas aussi régler les révélations et les visions par la sainteté et la perfection de ceux qui les ont, mais bien par la volonté de Dieu, qui les accorde, à qui il lui plait, au temps qu'il le juge convenable, et au degré que sa sagesse et sa volonté dispensent, opérant toujours avec poids et mesure (1) pour les fins qu'il prétend dans son Église. Car Dieu peut communiquer les plus grandes et les plus hautes visions et révélations au moindre saint, et les plus petites au plus grand (2) pouvant même accorder le don de prophétie et plusieurs autres dons gratuits à ceux qui ne sont pas saints; car il y a des ravissements qui peuvent résulter d'une cause qui ne soit pas précisément vertu de la volonté; c'est pourquoi, lorsqu'on fait comparaison entre l'excellence des prophètes, on ne prétend pas parler de la sainteté (puisqu'il n'y a que Dieu seul qui la puisse examiner), mais de la lumière de prophétie et de la manière de la recevoir, par où l'on peut juger laquelle des prophéties est la plus on la moins élevée, selon les différentes raisons. Celle sur laquelle on établit cette doctrine est, parce que la charité et les vertus, qui rendent saints et parfaits ceux qui les ont, regardent la volonté; et les visions et les révélations appartiennent à l'entendement ou à la partie intellectuelle, dont la perfection ne sanctifie point l'âme. 613. Mais encore que la grâce des visions divines (1) Sap., XI, 21. - (2) Prov., XVI, 2. 259 soit distincte de la sainteté et des vertus, dont on peut la séparer, la volonté. et la Providence divine les unissent néanmoins plusieurs fois, selon la fin et le motif que Dieu. a lorsqu'il communique ces dons gratuits des révélations particulières; parce qu'il les ordonne quelquefois pour le bien commun de l'Église, comme l'Apôtre nous l'enseigne (1), et comme il arriva envers les prophètes, qui, étant inspirés de Dieu par les révélations du Saint-Esprit et non point par leur propre imagination, prophétisèrent pour nous les mystères de la rédemption et de la loi évangélique (2). Et lorsque les révélations et les visions sont de cette nature, il n'est pas nécessaire qu'elles se joignent avec la sainteté, puisque Balaam fut prophète sans être saint. Il fut pourtant convenable, et d'une grande bienséance, que la divine Providence fit que les prophètes fussent ordinairement saints, et qu'elle ne confiât point trop fréquemment l'esprit de prophétie et les révélations divines à des vases impurs (quoique Dieu l'ait fait dans quelques cas particuliers comme Tout-Puissant), afin que la mauvaise vie de l'instrument ne dérogea point à la vérité divine et à son ministère, et pour plusieurs autres raisons. 614. D'autres fois, les révélations et les visions divines ne regardent pas des choses si générales, et ne s'adressent point immédiatement au bien commun, mais au bien particulier de celui qui les reçoit : et comme les premières sont des effets de l'amour que (1) I Cor., XII. - (2) I Petr., I, 10 et 21. 260 Dieu porta et porte à son Église, de même ces révélations particulières ont pour cause l'amour spécial par lequel Dieu aime l'âme à laquelle il les communique, pour l'enseigner et pour l'élever à un plus haut degré d'amour et de perfection. Dans cette manière de révélations, l'esprit de sagesse se répand parmi les nations dans les âmes saintes, pour faire des prophètes et des amis de Dieu (1). Et comme la cause efficiente est l'amour divin singulièrement communiqué à quelques âmes, ainsi la cause finale aussi bien que l'effet de ces insignes faveurs sont la sainteté, la pureté, l'amour de ces mêmes âmes; et la grâce des révélations et des visions est le moyen par oh l'on acquiert tous ces avantages. 615. Je ne prétends pas établir par là que les révélations et les visions divines soient des moyens absolument requis et nécessaires pour faire des saints et des parfaits, parce que plusieurs le sont par d'autres moyens que par ceux-là; néanmoins ayant supposé cette vérité, qu'il dépend seulement de la volonté divine d'accorder on de refuser aux justes ces dons particuliers, nous découvrons pourtant qu'il y a, tant de notre côté que de celui du Seigneur, quelques raisons de bienséance, afin que sa divine Majesté les communique aussi fréquemment qu'elle fait à plusieurs de ses serviteurs. L'une desquelles se prend du côté de la créature ignorante, parce que le moyen le plus proportionné et le plus convenable de s'élever (1) Sap., VII, 27. 261 aux choses éternelles, de les pénétrer et de se spiritualiser pour arriver à la parfaite union du souverain bien, est la lumière surnaturelle des mystères et des secrets du Très-Haut, qui lui est communiquée par les révélations, les visions et les intelligences particulières qu'elle reçoit dans la solitude et dans l'excès de son entendement, ce divin et très-doux Seigneur la conviant à cet heureux état par des promesses et par des caresses très-fréquentes, dont l'Écriture sainte est remplie, et en particulier les Cantiques de Salomon. 616. L'autre raison est du côté du Seigneur, parce que l'amour est impatient de communiquer ses biens et ses secrets au bien-aimé et à l'ami. Je ne veux plus vous appeler serviteurs ni vous traiter comme tels, mais comme mes amis (dit le Maître de la vérité éternelle aux apôtres), parce que je vous ai découvert les secrets de mon Père (1). On lit aussi que Dieu parlait à Moïse comme à un ami (2). Les saints Pères, les patriarches et les prophètes ne reçurent pas seulement les révélations générales de l'Esprit divin, mais plusieurs autres particulières et familières, en signe de l'amour que Dieu leur portait, comme on peut l'inférer de la demande que Moïse fit au Seigneur de lui laisser voir. sa face. Les titres que le Très-Haut donne aux âmes choisies le prouvent aussi, les honorant du nom d'épouses, d'amies, de colombes, de sueurs, de parfaites, de bien-aimées, de belles, etc. (3). Et (1) Joan., XV, 15. - (2) Exod., XXXIII, 11. - (3) Cant., IV, 8 et 9; I, 14; II, 10. 262 quoique tous ces titres déclarent assez la grandeur de l'amour divin et ses effets, tous ensemble ne sauraient pourtant exprimer les douceurs inconcevables que le souverain Roi communique à ceux qu'il veut bien honorer de la sorte, parce qu'il est le seul qui puisse tout ce qu'il veut, et qui sache aimer comme époux, comme ami, comme père, comme infini et souverain bien, sans borne et sans mesure. 617. Cette vérité ne perd rien de son crédit pour n'être pas connue de la sagesse charnelle, ni en ce que quelques âmes aveuglées par cette sagesse se sont laissé tromper par l'ange des ténèbres transformé en ange de lumière dans quelques faussés visions (1) et quelques révélations apparentes. Ce dommage ayant été plus fréquent parmi les femmes, tant à cause de leur ignorance que de leurs passions, il s'est néanmoins trouvé plusieurs hommes, qui paraissaient forts et savants, qui en ont été atteints. Mais il est provenu en tous d'une mauvaise racine; je ne parle point ici dé ceux qui par une hypocrisie diabolique ont feint des révélations, des visions et des ravissements sans les avoir eus, mais de ceux qui les ont soufferts et reçus par une tromperie du démon, quoique ce n'ait pas été sans un grand péché et sans un consentement criminel. On peut dire que les premiers trompent plutôt qu'ils ne sont trompés, et que les seconds le sont dans le commencement, parce que l'ancien serpent, qui les tonnait immortifiés en leurs passions, et qui (1) II Cor., XI, 14 263 voit bien que leurs sens intérieurs sont fort peu exercés dans la science des choses divines, introduit dans eux, par une subtilité remplie de malice, une secrète présomption qui les flatte d'être favorisés de Dieu, et bannit de leur coeur l'humilité et la crainte, en les élevant dans de vains désirs de curiosité, de savoir les choses sublimes, d'avoir des révélations, des visions extatiques, et d'être singuliers et distingués dans ces faveurs; de sorte qu'ils ouvrent la porte au démon, afin qu'il les remplisse d'erreurs et d'illusions , et leur trouble les sens par une confusion de ténèbres intérieures, sans qu'ils puissent pénétrer ni connaître dans cet état aucune chose divine ni véritable, excepté quelque apparence de l'un et de l'autre que l'ennemi leur représente pour autoriser ses tromperies et cacher son venin. 618. On évite cette tromperie dangereuse en craignant avec humilité, en ne désirant point cette science avec présomption, et en ne s'en rapportant point au tribunal passionné du jugement particulier et de la propre prudence (1); mais remettant cette cause à Dieu, à ses ministres et aux savants confesseurs à qui il appartient d'en examiner l'intention, puisque par ce moyen l'on connaîtra certainement si l'âme a désiré ces faveurs par la voie de la vertu et de la perfection, ou pour la gloire extérieure des hommes. Le chemin le plus assuré est de ne les désirer jamais, et de craindre toujours le danger, qui est (1) Rom., XI, 20. 264 grand en toute sorte de temps, et principalement dans les commencements; parce que le Seigneur n'envoie pas les dévotions et les douceurs sensibles, supposé qu'elles viennent du Seigneur (car le démon les contrefait bien souvent), à cause que l'âme se trouve capable de la nourriture solide de ses plus grands secrets et de ses plus sublimes faveurs; mais pour servir d'aliments aux faibles et aux petits, afin qu'ils se retirent avec plus de courage des vices et renoncent avec plus d'ardeur à tout ce qui est sensible , et non point afin qu'ils s'imaginent d'être fort avancés dans la vertu, puisque même les ravissements qui résultent de l'admiration supposent plus d'ignorance que d'amour. Mais quand l'amour est extatique, fervent, ardent, pur, agissant, inaccessible, impatient de toute autre chose, excepté de celle qu'il aime , et qu'avec cela il a recouvré l'empire sur toutes les passions et les affections humaines, alors l'âme est . disposée à recevoir la lumière des révélations cachées et des visions divines; et elle s'y dispose d'autant plus, qu'avec cette divine lumière elle les désire le moins, se croyant indigne des moindres faveurs. Que les hommes savants et les sages ne soient pas surpris si les femmes ont été si fort favorisées en ces dons , parce que, outre qu'elles sont ferventes en amour, Dieu choisit d'ordinaire ce qui est le plus faible pour rendre un plus grand témoignage de son pouvoir : elles n'ont pas aussi la science acquise de la théologie, comme les hommes doctes, mais le Très-Haut la leur communique par infusion, pour illuminer 265 et fortifier leur jugement faible et ignorant. 619. Étant fondés sur cette doctrine, nous connaîtrons (quand même il n'y aurait point eu en la très-sainte vierge d'autres raisons particulières) que les révélations et les visions divines que le Très-Haut lui communiqua furent plus relevées, plus admirables, plus fréquentes et plus divines qu'à tout le reste des saints. On,doit mesurer ces dons (comme les autres) à sa dignité, à sa sainteté, à sa pureté et à l'amour que son Fils et toute la très-sainte Trinité portait à celle qui était Mère du Fils, Fille du Père, et Épouse du Saint-Esprit. Elle recevait selon la grandeur de ces titres les influences de la Divinité, notre Seigneur Jésus-Christ et sa Mère en étant infiniment plus aimés que tout le reste des saints, des anges et des hommes. Je réduirai les visions divines qu'eut notre auguste Reine à cinq espèces différentes, et je traiterai de chacune le mieux que je pourrai et selon qu'il m'a été manifesté. La claire vision qu'eut la très-sainte Vierge de l'essence divine. 620. La première et la plus excellente fut la vision béatifique de l'essence divine, qu'elle vit plusieurs fois clairement étant voyageuse et en passant, dont j'ai déjà fait mention six commencement de cette histoire, 266 et je continuerai de la faire dans la suite, selon les temps et les occasions auxquelles elle reçut ce suprême bienfait quant à la créature. Il y a des docteurs qui doutent si d'autres saints ont aussi vu en leur chair mortelle, clairement ou intuitivement, la Divinité; mais laissant à part les opinions des autres, je dis qu'on n'en peut pas douter à l'égard de la Reine du ciel, à qui l'on ferait injure de la mesurer par la règle commune des autres saints, puisque la Mère de la grâce reçut plusieurs faveurs qu'il ne leur était pas possible de recevoir; l'on peut dire pourtant que, de quelque manière que la chose se fasse, les voyageurs peuvent jouir de la vision béatifique comme en passant. La première disposition de l'âme qui doit voir la face de Dieu est la grâce sanctifiante en un degré très-parfait et fort extraordinaire; celle que l'âme très-sainte de Marie avait dès le premier instant de sa conception fut surabondante et avec une telle plénitude, qu'elle surpassait celle des plus hauts séraphins. La grâce sanctifiante doit être accompagnée, pour voir Dieu, d'une grande pureté dans les puissances, sans qu'il y en ait aucun reste ni le moindre effet du péché; et comme il serait nécessaire de laver et de purifier un vase qui aurait reçu quelque mauvaise liqueur jusqu'à ce qu'il ne lui eu restât ni senteur ni la moindre chose qu'il pat communiquer à une autre très-pure qu'on y voudrait mettre, ainsi l'âme se trouve infectée et souillée par le péché et par ses effets, principalement par les actuels. Et parce que tous ces effets la disproportionnent avec la souveraine 267 bonté, il est nécessaire que pour s'unir à cette bonté par la claire vision et par l'amour béatifique, elle soit premièrement lavée et purifiée de telle sorte qu'il ne lui reste ni marque, ni senteur, ni saveur du péché, ni aucune habitude vicieuse, ni aucune inclination acquise par les vices. Cela ne se doit pas entendre seulement des effets et dés souillures que les péchés mortels laissent, mais aussi des véniels, qui causent à lime juste une laideur particulière, comme pour ainsi dire un cristal très-pur est terni et obscurci par le souffle qui le touche : ainsi tout cela se doit purifier et réparer pour voir Dieu clairement. 621. Outre cette pureté, qui est comme une négation de souillure, si la nature de celui qui doit voir Dieu par la vision béatifique est corrompue par le premier péché, il en faut purger l'aiguillon ; de sorte que pour cette suprême faveur il doit être éteint ou lié comme si la créature ne l'avait point, parce qu'alors elle ne doit avoir aucun principe ni aucune cause prochaine qui l'inclinent an péché, ni à la moindre imperfection; car le libre arbitre doit être comme dans l'impossibilité pour tout ce qui répugne et à la sainteté et à la bonté souveraine. On connaîtra par là et par ce que j'en dirai dans la suite la difficulté de cette disposition pendant que l'âme vit dans une chair mortelle, et l'on avouera qu'il faut de très-sages précautions, beaucoup de prudence et de très-grandes raisons avant que de croire que l'on ait reçu une si haute faveur. La raison que j'y découvre est qu'il y a en la créature sujette au péché deux disproportions 268 et deux distances immenses, étant comparée avec la nature divine. L'une de ces distances consiste en ce que Dieu est invisible, infini, un acte très-pur et très- simple, et la créature au contraire est corporelle, terrestre, corruptible et grossière. L'autre est celle qui est causée par le péché, qui s'éloigne sans mesure de la bouté souveraine, et cette disproportion est plus grande que la première ; c'est pourquoi toutes les deux doivent être ôtées pour unir ces extrémités si fort éloignées, lorsque la créature est mise dans la manière la plus sublime d'être unie à la Divinité, et qu'elle devient semblable à Dieu même en le voyant et en jouissant de lui comme il est (1). 622. La Reine du ciel avait cette disposition de pureté de péché ou d'imperfection en un plus haut degré que les anges, parce qu'elle ne fut atteinte ni du péché originel, ni de l'actuel, ni d'aucun de leurs effets; la grâce et la protection divine furent plus puissantes en elle pour cela que la nature dans les anges, par laquelle ils étaient exempts de contracter ces difformités; ainsi par cet endroit la très-sainte Vierge n'avait point la disproportion ni l'obstacle du péché qui pussent l'empêcher de voir la Divinité; et par un autre endroit; outre qu'elle était immaculée, sa grâce surpassait dans le premier instant de sa conception celle des anges et des saints, et ses mérites étaient proportionnés à la grâce, parce qu'elle mérita plus dans le premier acte que tous ensemble, par les (1) Joan., III, 2. 269 plus sublimes et les derniers qu'ils firent pour arriver à la vision béatifique dont ils jouissent. Selon cette doctrine, s'il est juste de différer aux autres saints la récompense de la gloire qu'ils méritent jusqu'à ce que le terme de leur vie mortelle soit arrivé, et avec ce terme celui de la mériter, il ne paraît pas que l'on fasse contre la justice de ne prendre point cette loi avec tant de rigueur à l'égard de la très-sainte Vierge, et de croire que le souverain Maître exerça une autre providence envers elle, et qu'elle en reçut les effets pendant qu'elle vivait en la chair mortelle. L'amour de la très-sainte Trinité ne pouvait pas souffrir un si long retardement à son égard sans lui manifester clairement ses grandeurs dans de diverses rencontres, puisqu'elle méritait cette faveur au-dessus de tous les anges, des séraphins et des saints qui devaient jouir, et jouissaient avec moins de grâce et de mérites du souverain bien. Outre cette raison, il y en avait une autre de bienséance pour faire que la Divinité se découvrît clairement en elle, qui était parce qu'étant élue pour être Mère du même Dieu, elle connût par expérience et par jouissance le trésor infini de la Divinité, qu'elle devait revêtir d'une chair mortelle et porter dans son sein virginal, et qu'ensuite elle traitât son très-saint Fils comme vrai Dieu, ayant déjà joui de sa divine présence. 623. Mais avec toute la pureté dont nous venons de parler, y ajoutant même la grâce sanctifiante, l'âme n'est pas encore avec tout cela proportionnée ni disposée pour la vision béatifique, parce qu'il lui 270 manque d'autres dispositions et d'autres effets divins que la Reine du ciel recevait quand elle jouissait de ce bienfait; et toute autre âme que la sienne en aurait besoin avec plus de raison, si elle était assez heureuse que d'être destinée à cette faveur pendant sa vie mortelle. L'àme étant donc purifiée et sanctifiée domine j'ai déjà dit, le Très-Haut la retouche comme avec un feu très-spirituel , qui la renouvelle et la purge comme l'or dans le creuset, en la manière que les séraphins. purifièrent Isaïe (1). Ce bienfait cause deux effets dans l'âme, l'un qui la spiritualise et qui sépare en elle (selon notre façon d'exprimer) la crasse et la rouille de son être et de l'union terrestre du corps matériel; l'autre qui remplit toute l'âme d'une nouvelle lumière , qui bannit je ne sais quelle obscurité et quelles ténèbres, comme la lumière de l'aube bannit celle de la nuit; et cette nouvelle lumière en prend possession et la laisse toute clarifiée et remplie de nouvelles splendeurs de ce feu. En suite de cette lumière l'âme reçoit d'autres effets, parce que si elle a ou qu'elle ait eu des péchés, elle les pleure avec une douleur et une contrition incomparable, parce qu'il n'y a aucune douleur humaine qui puisse arriver à celle-là, car tout ce qu'on peut souffrir en comparaison de ce qu'on souffre dans cette occasion, est fort peu pénible. On ressent incontinent après un autre effet de cette lumière qui purifie l'entendement de toutes les espèces des choses terrestres , visibles ou (1) Isa., VI, 7 271 sensibles qu'il a reçues par les sens, parce que toutes ces images et ces espèces acquises par les sens disproportionnent l'entendement et lui servent d'obstacle pour voir clairement le souverain esprit de la Divinité. Ainsi il faut nettoyer et purger la puissance de ces fantômes et de ces représentations terrestres, qui l'empêchent non-seulement de voir Dieu 'intuitivement, mais de le voir même abstractivement, car l'entendement doit être aussi purifié pour cette vision. 624. Comme il n'y avait point de péchés à pleurer en l'âme très-pure de notre Reine, ces illuminations et ces purifications causaient en elle les autres effets, commençant à élever et à proportionner sa propre nature , afin qu'elle ne fût pas si éloignée de la dernière fin, et qu'elle ne ressentît point les effets du sensible et de la sujétion du corps. Avec cela elles causaient aussi dans cette âme très-candide de nouveaux mouvements d'humiliation et de la propre, connaissance du néant de la créature, comparée avec le Créateur et avec ses faveurs, de sorte que son coeur enflammé se mouvait à plusieurs autres actes héroïques des vertus; et ce bienfait causerait à proportion les mêmes choses aux autres âmes, si Dieu le leur communiquait en les disposant pour les visions de sa Divinité. 625. Nous pourrions avoir quelque sujet de croire, dans l'ignorance où nous sommes, que ces dispositions dont nous venons de parler suffisent pour arriver à la vision béatifique; mais cela n'est pas 272 ainsi, parce qu'il y manque encore une autre qualité et un rayon plus divin avant que d'arriver à la lumière de gloire. Et, bien que cette nouvelle purification ne diffère point des autres , elle en est cependant distinguée dans ses effets, parce qu'elle élève l'âme à un autre état plus haut et plus serein, on elle sent avec une plus grande tranquillité une très-douce paix, qu'elle ne sentait point dans l'état des premières dispositions ni dans les autres purifications, parce qu'on ressent en elles quelque peine et quelque amertume des péchés si on les a commis; ou, si on ne les a pas commis, l'on se trouve du moins dans un dégoût des bassesses de la nature terrestre, et ces effets ne s'accordent point avec cette si grande proximité du souverain bonheur ou l'âme se trouve. Il me semble que les premières purifications servent pour mortifier la nature, et que celle-ci sert pour la vivifier et la guérir; et le Très-Haut agit en toutes comme le peintre qui dessine premièrement le portrait, ensuite il en fait l'ébauche, en lui donnant les premières couleurs, et après il lui donne les dernières, afin qu'il paraisse dans sa plus grande perfection. 626. En suite de ces purifications, de ces dispositions et des effets admirables qu'elles causent, Dieu communique la dernière disposition, qui est la lumière de gloire, par laquelle l'âme est élevée, fortifiée et achevée d'être proportionnée pour voir Dieu et pour en jouir par la vision béatifique. La Divinité lui est manifestée dans cette lumière, car aucune créature ne la pourrait voir sans son secours; et comme il est 273 impossible que la créature acquière cette lumière et ces dispositions par elle seule, c'est pour ce sujet qu'il est aussi impossible de voir Dieu naturellement, car tout cela surpasse les forces de la nature. 627. L'Épouse du Saint-Esprit, la Fille du Père, et la Mère du Fils fut prévenue de tous ces avantages et de toutes ces beautés pour entrer dans le lit nuptial de la Divinité, quand elle jouissait, comme en passant, de sa vue et de sa jouissance intuitive. Et comme tous ces bienfaits répondaient à sa dignité et à ses agréments, c'est pour cela que ni les raisons ni les pensées créées (et encore moins celles d'une fille ignorante comme je le suis) ne les peuvent concevoir ai exprimer; ces illuminations étaient si hautes et si divines en nôtre Reine, que nous ne pouvons que les admirer; l'on est aussi dans une plus grande impossibilité de comprendre la joie que cette âme, qui surpasse en sainteté tous les séraphins et tous les saints ensemble, en ressentait. Que si l'on peut dire avec une vérité infaillible que les yeux n'ont point vu, ni les oreilles entendu, ni le coeur de l'homme conçu ce que Dieu a préparé aux moindres justes qui jouissent de sa vue (1), que sera-ce de ce que les plus grands saints en reçoivent? Et si le même apôtre qui nous appris cette vérité a avoué qu'il ne lui était pas possible de dire ce qu'il en avait entendu (2), qu'est-ce que pourra alléguer notre ignorance de la Sainte des saints, et de la Mère de Celui qui est la gloire des (1) I Cor., II, 9. - (2) Id., XII, 4. 274 saints? Ce fut elle qui connut et découvrit, après l'âme de son très-saint Fils, qui était homme et vrai Dieu , le plus de mystères dans ces espaces immenses et dans ces secrets infinis de la Divinité ; elle eut plus de part que tous les bienheureux ensemble aux trésors infinis et aux grandeurs éternelles de cet objet inaccessible, que ni le principe ni la fin ne peuvent renfermer; ce fut là où cette Cité de Dieu fut réjouie et arrosée par le torrent de la Divinité, qui l'inonda par les impétuosités de sa sagesse et de sa grâce, qui la spiritualisèrent et la divinisèrent (1). Vision abstractive de la Divinité dont jouissait la très-sainte Vierge. 628. La seconde forme des visions de la Divinité qu'eut la Reine du ciel fut abstractive , qui est fort différente de l'intuitive, et lui est même fort inférieure; c'est pourquoi elle lui était plus fréquente, quoiqu'elle ne lui fût pas continuelle. Cette connaissance ou vision du Très-Haut n'arrive point eu ce qu'il se découvre immédiatement en lui-même à l'entendement créé, mais parle moyen de quelques espèces dans lesquelles il se manifeste : et, parce qu'il s'y trouve un milieu entre l'objet et la puissance, cette (1) Ps., XLV, 5. 275 vue est très-inférieure par rapport à la vision claire ou intuitive; elle n'indique pas non plus la présence réelle, quoiqu'elle la contienne intellectuellement avec des qualités inférieures. Et, bien que la créature connaisse qu'elle approche la Divinité et qu'elle découvre en elle les attributs, les perfections et les secrets que Dieu lui veut montrer dans un miroir volontaire, néanmoins cette créature ne sent ni ne connaît point sa présence, ni elle n'en jouit pas entièrement. 629. Ce bienfait est pourtant fort grand et fort rare; et; après celui de la vision intuitive, il est le plus grand : et, quoiqu'il n'ait pas besoin de la lumière de la gloire, mais seulement de celle qui se trouve dans les mêmes espèces, et qu'il n'exige pas aussi la dernière disposition et la purification qu'il faut avoir pour entrer dans cette lumière de gloire, néanmoins toutes les autres dispositions qui précèdent la claire vision doivent précéder celle-ci : parce que par elle l'âme entre dans les vestibules de la maison du Seigneur (2). Les effets de cette vision sont admirables, parce que, outre l'état qu'elle suppose en l'âme, la trouvant au dessus d'elle-même, elle l'enivre d'une douceur ineffable par laquelle elle l'enflamme de l'amour divin, la transforme en cet amour, et lui cause un oubli et un éloignement de tout ce qui est terrestre et d'elle-même; car alors elle ne vit plus en soi, mais en Jésus-Christ, et Jésus-Christ en elle (3). Outre cela, (1) Ps., LXIV, 5. - (2) Ps. XXXV, 9. - (3) Gal., II, 20. 276 cette vision laisse en l'âme une lumière qui la conduirait toujours au plus haut de la perfection, qui lui enseignerait les chemins les plus assurés de l'éternité, et la rendrait comme le feu perpétuel du sanctuaire (1) et comme la lampe de la cité de Dieu (2), si elle ne la perdait par sa négligence, par sa tiédeur et par quelque péché. 630. Cette vision divine causait ces effets et plusieurs autres en notre auguste Reine dans un degré si éminent; qu'il ne m'est pas possible d'exprimer ce que j'en conçois par nos termes ordinaires. L'on en pourra pourtant découvrir quelque chose, si ion considère le très-pur état de cette âme, où il n'y avait aucun empêchement de tiédeur, ni de péché, ni de négligence, ni d'oubli, ni d'ignorance, ni la moindre inconsidération; su contraire, elle était pleine de grâce, ardente eu amour, diligente dans ses exercices, continuelle dans les louanges du Créateur, prompte à le glorifier et toujours disposée, afin que son bras tout-puissant opérât en elle sans aucune résistance. Elle eut cette sorte de vision et de faveur. dans le premier instant de sa conception, comme j'ai dit en son lieu et redit plusieurs fois dans le récit que j'ai fait de sa très sainte vie, et comme je le dirai encore dans la suite. (1) Levit, VI, 12. - (2) Apoc., XXIII, 5. 277 Visions et révélations intellectuelles de la très-sainte vierge. 631. La troisième sorte de visions ou révélations qu'eut la très-sainte Vierge fut intellectuelle. Et, bien qu'on puisse appeler la connaissance ou vision abstractive de la Divinité révélation intellectuelle, je donne néanmoins à cette connaissance un autre rang particulier, et plus haut, pour deux raisons. L'une, parce que l'objet en est unique et suprême entre les choses intelligibles; et ces révélations intellectuelles et plus communes, dont nous parlons ici, ont plusieurs et divers objets, parce qu'elles s'étendent sur les choses matérielles et spirituelles, et sur les vérités et les mystères intelligibles. L'autre raison est parce que la vision abstractive de l'essence divine est causée par des espèces très-hautes, infuses et surnaturelles de cet objet infini : mais la révélation commune, ou vision intellectuelle, quelquefois se fait par les espèces infuses dans l'entendement des objets révélés; et d'autres fois ces espèces infuses ne sont pas nécessaires pour ce qu'on y découvre, parce que les mêmes espèces qu'a la fantaisie ou l'imagination peuvent servir dans cette révélation; et par ces espèces l'entendement étant éclairé d'une nouvelle lumière ou vertu surnaturelle; peut entendre les mystères que Dieu lui révèle, comme il arriva à Joseph en Égypte, et à Daniel (2) en Babylone. (1) Gen., XL et XLI. - (2) Dan., I, II, IV, V. 278 David eut aussi cette sorte de révélation, qui est, après la connaissance de la Divinité, la plus noble et la plus assurée, parce que ni les démons ni les bons anges mêmes ne peuvent point répandre cette lumière surnaturelle dans l'entendement, quoiqu'ils puissent mouvoir les espèces par l'imagination. 632. Cette espèce de révélation intellectuelle fut commune aux saints prophètes du vieux et du nouveau Testament, parce que la lumière de la prophétie parfaite qu'ils eurent se termine à l'intelligence de quelque mystère caché : sans cette intelligence ou lumière intellectuelle, ils n'eussent pas été parfaitement prophètes, ni ils n'eussent pas parlé prophétiquement. C'est pourquoi celui qui fait ou dit quelque chose prophétique (comme Caïphe et les soldats, qui ne voulurent point diviser là tunique de notre Seigneur Jésus-Christ (1), quoiqu'il fût mû comme eux par l'impulsion divine), celui-là ne serait pas parfaitement prophète, parce qu'il ne parlerait pas prophétiquement, c'est-à-dire par la lumière: ou intelligence divine.. Il est vrai que les saints prophètes et ceux qui le sont parfaitement, qu'on appelait Videntes ou Voyants, par la lumière intérieure par laquelle ils découvraient les secrets cachés, pouvaient aussi faire quelque action prophétique sans connaître tous les mystères que ces secrets renfermaient; mais en cette action ils n'eussent pas été si parfaitement prophètes qu'en celles auxquelles ils prophétisaient par l'intelligence surnaturelle. (1) Joan., XI, 49; XIX, 24. 279 Cette révélation intellectuelle a plusieurs degrés dont il n'est pas nécessaire de parler ici; et, bien que le Seigneur la puisse communiquer toute seule, sans qu'elle soit accompagnée de.la charité et des vertus de celui qui la reçoit, néanmoins elle se trouve d'ordinaire avec elles comme elle se trouva dans les prophètes, les apôtres et les justes, lorsque ce divin Seigneur leur découvrait ses secrets comme à ses amis; la même chose arrive aussi quand les révélations intellectuelles sont pour le plus grand bien de la personne qui les reçoit, comme nous avons déjà dit. C'est pour cela que les révélations demandent une très-sainte disposition en l'âme qui doit être élevée à ces divines intelligences; car d'ordinaire Dieu ne les communique que quand l'âme est tranquille, pacifique, séparée des affections terrestres, et quand ses puissances sont bien ordonnées et disposées pour recevoir. les effets de cette divine lumière. 633. Ces révélations intellectuelles furent en la Reine du ciel fort différentes de celles des saints ét des prophètes, parce qu'elles lui étaient continuelles en acte et en habitude, quand elle ne jouissait pas des autres visions plus relevées de la Divinité. Outre que la clarté, l'extension de cette lumière intellectuelle et leurs effets furent incomparables en la très-sainte Vierge, parce qu'elle connut plus de mystères, de vérités et de secrets du Très-Haut que tous les saints patriarches, prophètes, apôtres, et plus même que tous les anges ensemble; et elle connaissait toutes ces choses avec plus de pénétration, de clarté, de fermeté 480 et d'assurance. Par cette intelligence elle pénétrait depuis l'être de Dieu et ses attributs jusqu'à la plus petite de ses œuvres et de ses créatures, sans qu'il y eût aucune chose où elle ne connût la participation de la grandeur du Créateur, sa disposition et sa providence divine; de sorte qu'elle seule a pu dire avec assurance que le Seigneur lui manifesta les secrets et les mystères les plus cachés de sa sagesse, comme le prophète nous l'a assuré (1). Il n'est pas possible de raconter les effets que ces intelligences causaient en notre auguste Reine; toute cette histoire leur sert pourtant d'une ample déclaration. Elles sont d'une utilité admirable dans les autres Ames, parce qu'elles illuminent d'une manière très-relevée l'entendement, enflamment avec une ardeur incroyable la volonté, désabusent, détournent, élèvent et spiritualisent la créature : et il semble même quelquefois que le corps pesant et terrestre en est subtilisé et se trouve dans une sainte émulation avec l'Ame qui l'anime. La Reine du ciel eut dans ces sortes de visions un autre privilège dont je ferai mention dans le chapitre suivant. Visions imaginaires de la Reine du ciel. 634. Le quatrième rang contient les visions imaginaires qui se font par des espèces sensitives, causées (1) Ps., L, 8. 281 ou mues dans l'imagination ou fantaisie; elles représentent les choses d'une manière matérielle et sensible, comme une chose qu'on peut regarder, entendre, toucher et goûter. Les prophètes du vieux Testament manifestèrent sous cette forme de visions de grands mystères, que le Très-Haut leur révéla en elles, singulièrement Ézéchiel, Daniel et Jérémie; et saint Jean l'Évangéliste écrivit sous de semblables visions son Apocalypse. Ces visions sont inférieures aux précédentes par ce qu'elles ont de sensible et de corporel; c'est pourquoi le démon les peut contrefaire dans la représentation en mouvant les espèces de la fantaisie; mais, étant père du mensonge, il ne le saurait faire dans la vérité. Néanmoins on doit fort rebuter ces visions, et les examiner par la doctrine assurée des saints Pères et de nos docteurs, parce que, si le démon aperçoit quelque avidité dans les Ames qui pratiquent l'oraison et la dévotion, et si Dieu le lui permet, il les trompera facilement, puisque même les saints qui craignaient le danger de cers visions en ont été surpris par le démon transformé en ange de lumière, comme il est écrit dans leurs vies, tant pour notre instruction que pour nous faire tenir sur nos gardes. 635. Où trouverons-nous donc ces visions et ces révélations imaginaires sans danger, avec, toute, sûreté et avec toutes les qualités divines, si ce n'est en la très- pure Marie, dont la lumière ne pouvait être obscurcie ni atteinte par la tromperie du serpent ? Ces sortes de visions furent fort fréquentes 282 à notre Reine; parce quelle y découvrait plusieurs oeuvres que faisait son très-saint Fils lorsqu'elle en était absente , comme nous le verrons dans la suite de cette histoire. Elle connut aussi par la vision imaginaire plusieurs autres créatures et. mystères, dans des occasions où il était nécessaire qu'elle les découvrit, selon que la volonté divine le disposait. Comme cette faveur et les autres que recevait la Reine du ciel étaient ordonnées à des fins très-relevées, tant en ce qui regardait sa sainteté, sa pureté et ses mérites, que par rapport au bien de l'Église, dont la maîtresse et la coopératrice de la rédemption était cette grande Mère de la grâce, c'est pour cela que les effets de ces visions et de leurs intelligences étaient admirables, et toujours avec des fruits incomparables de la gloire du Très-Haut, et avec une augmentation de nouveaux dons et de nouvelles grâces en l'âme de la très-sainte Vierge. Je dirai dans la vision qui suit ce qui arrive ordinairement dans les autres âmes par celles-ci, parce qu'on doit faire un même jugement de ces deux sortes de visions. Visions divines en formes corporelles que reçut la très-sainte Vierge. 636. Le cinquième et le dernier degré des visions et des révélations est celui qu'on aperçoit par les sens extérieurs du corps, et c'est pour cela qu'on appelle ces visions corporelles, quoiqu'elles puissent 283 arriver en deux manières. L'une qui est véritablement corporelle quand quelque chose de l'autre vie, comme Dieu, l'ange, le saint, ou le démon, ou l'âme, etc , apparaît à la vue ou à l'attouchement avec un' corps réel et qui a une quantité; les anges, bons ou mauvais, formant alors par leur ministère et par leur vertu quelque corps aérien et. fantastique, lequel, bien qu'il ne soit pas un corps naturel, ni ce qu'il représente, véritable, néanmoins est véritablement corps de l'air condensé, ayant ses dimensions de quantité. L'autre manière peut être impropre et comme abusant la vue, lorsque le corps qui paraît n'a point de quantité, mais seulement quelques espèces de ce corps et de sa couleur, etc., qu'un ange peut causer aux yeux en altérant l'air qui se trouve entre deux; et celui qui la reçoit croit voir quelque corps réel et présent, et cependant il ne voit que de seules espèces par lesquelles sa vue est altérée avec une tromperie imperceptible aux sens. Cette manière des visions qui trompent les sens n'est pas le propre des bons anges ni des apparitions divines, quoiqu'elle soit possible; la voix que Samuel entendit (1) en pouvait être une; mais le démon les affecte pour ce qu'elles ont de trompeur, singulièrement à la vue; et tant pour cette raison que parce que notre Reine n'eut pas ces sortes de visions, je traiterai seulement ici de celles qui étaient véritablement corporelles, et qui furent celles dont elle fut favorisée. (1) I Reg., III, 4. 284 637. L'Écriture sainte fait mention de plusieurs visions corporelles qu'eurent les saints et les patriarches. Adam vit Dieu représenté par un ange (1), Abraham par les trois anges (2), Moise par le buisson, et vit plusieurs fois le même Seigneur (3). Il s'en est trouvé d'autres, qui étaient. pécheurs, qui en ont eu aussi plusieurs corporelles et imaginaires, comme Caïn (4), Balthazar (5), qui vit la main qui écrivait sur la muraille; des visions imaginaires, Pharaon (6) eut celle des vaches, et Nabuchodonosor celles de l'arbre et de la statue (7) ; et il y en a d'autres semblables dans l'Écriture sainte. D'où l'on peut connaître que pour ces visions corporelles et imaginaires la sainteté n'est pas requise en celui qui les reçoit. Il est vrai que celui qui a quelque vision imaginaire ou corporelle, sans en avoir la lumière ou quelque intelligence, n'est pas appelé prophète, ni ce n'est pas une révélation parfaite en celui qui voit ou reçoit les espèces sensibles, mais en celui qui en a l'intelligence, qui est nécessaire en la vision , selon Daniel (8); ainsi Joseph et le même Daniel furent prophètes, et non pas Pharaon, ni Balthazar, ni Nabuchodonosor. Et pour ce qui regarde la vision en elle-même, celle qui vient avec une plus grande et plus haute intelligence est plus relevée et plus excellente, bien que, par rapport aux apparences, celles qui représentent Dieu et sa très-sainte Mère soient plus grandes, et (1) Gen., III, 8. - (2) Id., XVIII, 1. - (3) Exod., III, 2. - (4) Gen., IV, 9. - (5) Dan., V, 5. - (6) Gen., XLI, 2. - (7) Dan., II, 1. - (8) Dan., X, 1. 408 ensuite celles qui représentent les saints selon leurs différents degrés. 638. Il est constant que pour recevoir les visions corporelles par les sens, il faut qu'ils soient disposés. Pour les visions imaginaires, Dieu les envoie fort souvent dans des songes, comme il arriva à saint Joseph (1), le très-chaste époux de la très- pure Marie, aux rois mages (2), à Pharaon (3), etc. On en peut recevoir d'autres ayant l'usage des sens corporels, car en cela il n'y a aucune répugnance. Néanmoins, l'ordre le plus commun et le plus naturel à ces visions et sua intellectuelles est que Dieu les communique dans quelque extase ou ravissement des sens extérieurs, parce qu'alors toutes les puissances intérieures sont plus recueillies et mieux disposées pour l'intelligence des choses relevées et divines, quoique en cela les sens extérieurs aient coutume de causer moins d'empêchement pour les visions intellectuelles que pour les imaginaires, parce gaie les dernières sont plus proches de l'extérieur que les intelligences de l'entendement. C'est pourquoi quand les révélations intellectuelles se font par des espèces infuses, ou quand l'affection ne ravit point les sens, on y reçoit plusieurs fois, sans perdre ces sens, de très-hautes intelligences des mystères les plus grands et les plus relevés. 639. Cela arrivait plusieurs fois, et presque ordinairement en la Reine du ciel; car bien qu'elle eût plusieurs ravissements pour la vision béatifique (ce (1) Matth., I, 20. - (2) Id.. II, 12. - (3) Gen., XL, 2. 286 qui est toujours nécessaire dans l'état de voyageurs) et qu'elle en eût aussi dans quelques visions intellectuelles et imaginaires; néanmoins, quoiqu'elle y eût fort souvent l'usage de ses sens, elle y reçut pourtant de plus considérables révélations et des connaissances plus sublimes que tous les saints et les prophètes dans leurs plus grands ravissements, où ils virent tant de mystères. L'usage des sens extérieurs n'était pas non plus un empêchement à notre grande Reine pour les visions imaginaires, parce que son noble coeur et sa sublime sagesse n'étaient point retardés par les effets d'admiration et d'amour qui ont coutume de ravir les sens dans les autres saints et dans les prophètes. Pour ce qui concerne les visions corporelles qu'elle eut des anges, nous en avons une preuve dans l'Annonciation du mystère de l'Incarnation que le saint archange Gabriel lui fit (1). Et bien que les évangélistes ne fassent aucune mention des autres qu'elle eut durant le cours de sa très-sainte vie, le jugement prudent et catholique ne les doit pas révoquer en doute, puisque la Reine du ciel et des anges devait être servie par ses sujets, comme nous le dirons dans la suite, en déclarant le continuel service que ceux de sa garde et plusieurs autres lui rendaient en forme corporelle et visible, et en une autre manière, comme on le verra dans le chapitre qui suit. 640. Les autres âmes doivent être fort circonspectes, et se tenir sur leurs gardes dans ces sortes de (1) Luc., I, 18. visions corporelles, à cause qu'elles sont sujettes aux tromperies et aux illusions. dangereuses de l'ancien serpent. Celle qui ne les désirera jamais évitera une bonne partie du danger. Que si l'âme se trouvant éloignée de ce désir et même des autres affections désordonnées, il lui arrive quelque vision corporelle ou imaginaire, elle doit être fort retenue à y ajouter foi et à exécuter ce que la vision lui demande; car ce serait une très-mauvaise marque et propre du démon de vouloir incontinent, sans précaution et sans conseil, lui obéir et lui donner créance : ce que les saints anges, qui sont maîtres en l'obéissance, en la vérité, en la prudence et en la sainteté, n'inspirent pas. L'on peut découvrir d'autres signes dans la cause et dans les effets de ces visions pour connaître leur sûreté, leur vérité ou leur tromperie; mais je ne m'arrête point sur ce sujet, pour ne me pas écarter de mon propos, et parce que je m'en remets aux personnes savantes dans les mystères de la théologie. Instruction de la Reine du ciel. 641. Ma fille, vous pouvez tirer de la lumière que vous avez reçue dans ce chapitre une règle pour vous conduire dans les visions et les révélations du Seigneur; elle est renfermée en deux points. L'un consiste à les soumettre avec un coeur humble et sincère 288 au jugement et à la censure de vos confesseurs et de vos supérieurs, demandant avec une vive foi au Très-Haut de les éclairer, afin qu'ils y découvrent sa sainte volonté et sa vérité divine, et qu'ils vous les enseignent en toutes choses. L'autre doit être dans votre intérieur, et il consiste à bien considérer les effets que les visions et les révélations y causent, pour les discerner avec prudence et sans tromperie; car la vertu divine qui opéré par elles vous enflammera dans le chaste amour du Très-Haut, et vous inspirera un profond respect pour lui, vous portera dans la connaissance de votre bassesse à avoir du dégoût pour la vanité mondaine, à souhaiter d'être méprisée des créatures, à souffrir avec joie, à aimer la croix et à la recevoir avec un cœur courageux et constant, à désirer les choses les plus humbles, à aimer ceux gui vous, persécutent, à craindre le péché, et à avoir même en horreur le plus léger, à aspirer au plus pur et au plus parfait de la vertu, à renoncer à vos inclinations, et à vous unir au souverain et véritable bien. Ce seront là les marques infaillibles de la vérité avec laquelle le Très-Haut vous visite par le moyen de ses révélations, en vous enseignant ce qu'il y a de plus saint et de plus parfait dans la loi chrétienne, dans son imitation et dans la mienne. 642. Afin donc, ma très-chère fille, que vous mettiez en pratique cette doctrine que le Seigneur vous enseigne par un effet de son infinie bouté, tâchez de n'oublier jamais, ni de perde de vue les faveurs qu'il vous a faites, de vous l'avoir enseignée avec tant 289 d'amour et de tendresse. Renoncez à toute sorte d'attache et de consolation humaine, aux plaisirs et aux appâts que le monde vous offre; résistez avec une forte résolution à tout ce que les inclinations terrestres demandent, quoique ce soit en des choses permises et petites; et après que vous aurez tourné le dos à tout ce qui est sensible, je veux que vous n'ayez de l'amour que pour les souffrances. Les visites du Très-Haut vous ont enseigné, vous enseignent et vous enseigneront cette science et cette philosophie divine; par ces mêmes visites vous sentirez la force du feu divin, qui ne se doit jamais éteindre dans votre cœur ni par aucun péché ni par la moindre tiédeur. Soyez sur vos gardes, préparez votre cœur et ceignez-vous de la force pour recevoir et pour opérer de grandes choses, et soyez ferme en la foi de ces instructions, en les croyant, les estimant et les gravant dans votre cœur avec une humble affection et un profond respect de votre âme, comme étant envoyées par la fidélité de votre Époux, et distribuées par moi , qui suis votre Maîtresse. 290 CHAPITRE XV. On y déclare une autre manière de vue et de communication que la très-sainte Vierge avait avec les saints anges qui la servaient. 643. La force de la grâce divine et de l'amour que cette même grâce cause en la créature, est si puissante, qu'elle peut effacer en elle l'image du péché et de l'homme terrestre (1), et faire que sa conversation soit dans le ciel (2), en la faisant entendre, aimer et agir, non plus comme créature terrestre, ruais comme céleste et divine, parce que la force de l'amour ravit le coeur et l'âme du corps quelle anime, la met et la transforme en ce qu'elle aime. Cette vérité chrétienne, qui est crue de tous, entendue des doctes et éprouvée des saints, doit être considérée dans son exécution en notre grande Reine et Maîtresse , avec des privilèges si particuliers , qu'elle ne peut pas être expliquée par l'exemple des autres saints, ni comprise par l'entendement des anges. La très-pure Marie était, en qualité de Mère du Verbe, maîtresse de tout ce qui est créé; mais étant une vive image de son Fils unique, elle usa si peu des créatures à son imitation, qu'elle (1) I Cor., XV, 49. - (2) Philip., III, 20. 291 n'en voulut prendre que ce qui était, précisément nécessaire pour le service du Très-Haut, pour la vie naturelle de son très-saint Fils et la sienne. 644. Sa conversation céleste devait répondre à cet oubli et à cet éloignement de toutes les choses terrestres, et cette conversation devait être proportionnée à la dignité de Mère de Dieu et de Maîtresse des cieux, en la communication desquels sa conversation terrestre était dûment changée. Pour cette même raison, il devait s'ensuivre, et il était comme nécessaire, que la Reine et Maîtresse des auges fût singulière et privilégiée dans les services et les assiduités de ses courtisans et sujets, et qu'elle conversât et communiquât avec eux d'une manière qui ne fût pas commune à toutes les autres créatures humaines, pour saintes qu'elles fussent. J'ai dit quelque chose, dans le chapitre 23 du premier livre, des apparitions ordinaires et diverses par lesquelles les anges et les séraphins, destinés pour la garde de notre Reine, se manifestaient à elle; et nous avons généralement déclaré dans le précédent les manières et les formes des visions divines qu'elle avait; car il est à remarquer que dans ces sortes de visions , les siennes étaient toujours beaucoup plus excellentes et plus divines que celles des autres saints, tant en la substance et en la manière que dans les effets qu'elles produisaient en sa très-sainte âme. 645. J'ai réservé pour ce chapitre une autre manière de, vision plus singulière et plus privilégiée, que le Très-Haut accorda à sa très-sainte Mère, afin 292 qu'elle communiquât d'une façon sensible avec les saints anges de sa garde et avec les autres qui la visitaient en de diverses occasions de la part du même Seigneur. Cette sorte de vision et de communication était la même que celle que les ordres et les hiérarchies angéliques gardaient entre eux, où chacun de ces esprits sublimes connaît les autres par lui-même, sans autre espèce qui meuve son entendement que la propre substance et nature de l'ange qui est connu. Outre cela, les anges supérieurs illuminent les inférieurs en leur découvrant les mystères cachés que le Très-Haut révèle et manifeste immédiatement aux supérieurs, afin que cette communication se fasse avec harmonie, en passant comme par autant de degrés du plus haut jusqu'au plus bas; car ce bel ordre était convenable à la grandeur et à la majesté du souverain Roi de tout ce qui est créé. D'où l'on connaîtra que cette illumination ou révélation si bien ordonnée est hors de la gloire essentielle des anges; parce qu'ils reçoivent cette gloire immédiatement de la Divinité, dont la vision et la jouissance sont communiquées à chacun selon la mesure de ses mérites; et un linge ne peut pas rendre un autre essentiellement bienheureux en lui révélant ou découvrant quelque mystère, parce que celui qui est illuminé ne verrait pas Dieu face à face par cette illumination, et sans cela il ne peut pas être bienheureux ni obtenir sa dernière fin. 646. Mais comme l'objet est infini et un miroir volontaire, il a, outre ce qui appartient à la science béatifique des saints, des secrets et des mystères 293 infinis , qu'il peut révéler et qu'il révèle particulièrement pour le gouvernement de son Église et du monde; et l'ordre que je dis est gardé dans ces illuminations. Et bien que ces révélations soient hors de la gloire essentielle, on ne doit pas pour cela appeler le manquement de leur connaissance, ignorance ni privation de science dans les anges; mais on le doit appeler négation, et la révélation on la doit nommer illumination ou purification de cette négation de science; la chose arrive (selon notre manière d'exprimer) comme si les rayons du soleil pénétraient plusieurs cristaux étant mis les uns derrière les autres, car alors tous participeraient d'une même lumière, communiquée des premiers aux derniers, touchant ou pénétrant premièrement ceux qui lui seraient les plus immédiats. Il y a néanmoins une différence dans cet exemple, qui est que les cristaux, par rapport aux rayons, se portent passivement sans y avoir aucune autre activité que celle du soleil qui les illumine tous par une seule action; mais les anges sont passifs quand ils reçoivent l'illumination des supérieurs, et agents quand ils la communiquent aux inférieurs; et ils communiquent ces illuminations avec louange ; admiration et amour, connaissant qu'elles émanent ou dérivent du suprême Soleil de justice, Dieu éternel et immuable. 647. Le Très-Haut introduisit sa très-sainte Mère, dans cet ordre admirable de révélations divines, afin qu'elle jouit des privilèges que les courtisans du ciel ont comme propres; et il destina pour cela les séraphins 294 dont il a été fait mention dans le chapitre 14 du premier livre, où nous avons dit qu'ils étaient des plus sublimes et des plus immédiats à la Divinité; il y avait aussi d'autres anges de sa garde qui faisaient cet office, selon que la volonté divine la disposait, dans le temps et en la manière qu'il était nécessaire et convenable. Notre Reine connaissait tous ces Anges et plusieurs autres par eux-mêmes, sans aucune dépendance des sens et de la fantaisie, et sans aucun empêchement du corps mortel et terrestre. Les séraphins et les anges du Seigneur l'illuminaient et la purifiaient par cette vue et par cette connaissance de cette négation de science dont nous venons de parler, en lui révélant plusieurs mystères qu'ils recevaient du Très-Haut pour ce sujet. Et quoique cette sorte, de vue intellectuelle et d'illumination ne fût pas continuelle en la très-sainte vierge, elle lui fut néanmoins fort fréquente, principalement lorsque le Seigneur, pour lui donner occasion d'augmenter ses mérites et de former divers actes d'amour, lui cachait sa présence, comme je le dirai dans la suite. Car alors les anges usaient plus fréquemment de cet office, continuant l'ordre de s'éclairer eux-mêmes jusqu'à arriver à notre auguste Reine, où cette illumination se terminait. 648. Cette sorte d'illumination ne dérogeait point à la dignité de Mère de Dieu et de Maîtresse des anges; parce que ce bienfait et la manière de le communiquer ne se rapportent pas à la dignité et à la sainteté de notre auguste Princesse, en quoi elle était supérieure 295 à tous les ordres angéliques, mais à l'état et à la condition de sa nature, en laquelle elle leur était inférieure, parce qu'elle était voyageuse et de nature humaine, corporelle et mortelle, et vivant dans une chair passible et dans une nécessité naturelle de l'usage des sens, ce lui fut un grand privilège, quoique digne de sa sainteté. et de sa dignité, que de s'élever à l'état et aux opérations angéliques. Je crois que la puissante main du Très-Haut a étendu cette faveur sur d'autres âmes dans cette vie mortelle, bien que ce n'ait pas été si fréquemment qu'à sa très-sainte Mère, ni avec une si grande plénitude de lumière, ni avec tant d'autres particularités dont elle fut avantagée. Que si plusieurs docteurs accordent (avec quelque fondement) la vision béatifique à saint Paul, à Moïse et à d'autres saints, il sera bien plus croyable que quelques voyageurs aient eu cette connaissance des natures angéliques, puisque cette faveur n'est autre chose que voir intuitivement ou clairement la substance de l'ange ainsi cette vision, dans cette clarté, a du rapport avec la première, dont je viens de parler dans le chapitre précédent; et, étant intellectuelle, elle en a avec celle qui tient le troisième rang dans le même chapitre, quoiqu'elle ne se fasse point par des espèces impresses. 649. Il est vrai que ce bienfait n'est pas ordinaire ni commun, mais fort rare et extraordinaire : aussi il exige une grande disposition de pureté en l'âme et une singulière netteté de conscience. Il ne s'accorde point avec les affections terrestres ni avec les imperfections volontaires, et encore moins avec les effets du péché, 296 parce que l'âme doit mener une vie plus angélique qu'humaine pour entrer dans l'ordre des anges, puisque, si cette ressemblance et ce rapport y manquaient, les contrariétés qui se trouveraient dans cette union feraient une disproportion monstrueuse. Mais la créature peut (quoique revêtue d'un corps terrestre et corruptible), avec le secours de la divine grâce, renoncer entièrement à ses passions et à ses inclinations dépravées; mourir à tout ce qui est visible, en effacer les espèces et le souvenir, et vivre plus en l'esprit qu'en la chair. Quand elle aura obtenu et acquis la véritable paix, la tranquillité et le repos d'esprit, qui lui causeront une sérénité douce et amoureuse envers le souverain bien, alors elle sera plus disposée pour atre élevée à la vision des esprits angéliques par la clarté intuitive, et pour en recevoir les révélations divines qu'ils se communiquent entre eux, et les effets admirables qui résultent de cette vision. 650. L'on ne peut pas comprendre humainement combien ceux que notre auguste Reine en recevait répondaient à sa pureté et à son amour. La lumière divine qu'elle recevait de la vue des séraphins était incomparable, parce que l'image de la Divinité éclatait d'une certaine manière on eux, qui la lui représentaient comme dans des miroirs spirituels et très-purs, où elle la connaissait avec des attributs et des perfections infinies. La gloire dont les mêmes séraphins jouissaient lui était aussi manifestée dans quelques effets par des manières admirables (parce qu'on connaît beaucoup de ces merveilles en voyant clairement 297 la substance angélique), et par la vue de tels objets elle était toute embrasée dans les flammes de l'amour divin, et ravie plusieurs fois dans des extases miraculeuses. Étant alors assistée des séraphins et des anges, elle chantait de doux cantiques de gloire et de louange à la Divinité, et c'était avec tant d'ardeur, qu'elle causait de l'admiration à ces esprits célestes : car, bien qu'elle en fût illuminée en son entendement, ils lui étaient néanmoins fort inférieurs en la volonté; et, par une plus grande force d'amour, elle montait et s'unissait avec bien plus de légèreté qu'ils ne le font au dernier et souverain bien, d'où elle recevait immédiatement de nouvelles influences du torrent de la Divinité, dont elle était nourrie. Que si les mêmes séraphins n'eussent pas eu présent l'objet infini, qui était le principe et le terme de leur amour béatifique (1), ils eussent sans doute été les disciples de l'auguste Marie en l'amour divin, comme elle était la leur dans les illustrations de l'entendement qu'elle en recevait. 651. Après cette forme de vision immédiate des natures spirituelles et angéliques, suit la vision intellectuelle, qui lui est inférieure et plus commune aux autres âmes, et qui se fait par des espèces infuses, comme il arrive en la vision abstractive de la Divinité dont j'ai déjà parlé. La Reine du ciel eut quelquefois cette sorte de vision angélique, mais elle ne lui fut pas si ordinaire que la précédente; car, bien que cette faveur de connaître les anges et les saints par des espèces (1) Ps. XXXIX, 9. 298 intellectuelles et infuses soit fort rare et fort estimable aux autres âmes justes, néanmoins elle n'était pas nécessaire en la Reine des anges, parce qu'elle communiquait avec eux et les connaissait d'une manière plus relevée, excepté lorsque le Seigneur ordonnait qu'ils se cachassent, et que cette vision immédiate lui manquât pour son plus grand mérite et pour l'exercer davantage; car alors elle les voyait par des espèces intellectuelles ou imaginaires, comme j'ai déjà dit dans le chapitre précédent. Ces visions angéliques par des espèces produisent des effets divins dans les autres âmes, parce qu'on y connaît ces substances célestes comme des effets et des ambassadeurs du souverain Roi, l'âme y ayant avec eux de très- doux entretiens du Seigneur et de tout ce qui est céleste et terrestre : et elle y est en toutes choses éclairée, enseignée, corrigée, gouvernée, redressée et incitée à s'élever à l'union parfaite de l'amour divin, et à opérer le plus pur, le plus parfait, le plus saint et le plus sublime de la vie spirituelle. Instruction de la très-sainte Vierge. 652. Ma fille, l'amour, la fidélité et les soins avec lesquels les esprits angéliques assistent les mortels dans leurs nécessités, sont admirables, et l'oubli, l'ingratitude et la malhonnêteté que ces mêmes hommes témoignent 299 dans de si grandes obligations sont insupportables. Ces esprits célestes connaissent dans le secret du coeur du Très-Haut, dont ils regardent la face (1) par la clarté béatifique, l'amour infini et paternel que le Père, qui est aux cieux, porte aux hommes terrestres; c'est là qu'ils donnent le juste prix au sang de l'Agneau par lequel ils furent achetés et rachetés (2), et qu'ils savent ce que valent les âmes achetées par le trésor de la Divinité. De là vient le grand soin que les saints anges portent: à garder les âmes que le Très-Haut a confiées à leur conduite par un effet de son amour et de son estime. Je veux que vous sachiez que les mortels recevraient, par ce sublime ministère des anges, de grandes influences de lumière et des faveurs incomparables du Seigneur, si leurs péchés , leurs abominations et l'oubli d'un si grand bienfait n'y mettaient obstacle; et parce qu'ils ferment le chemin que Dieu avait choisi par une providence ineffable pour les conduire à la félicité éternelle, c'est pour cela que la plupart se perdent, qui se seraient sauvés par la protection des anges s'ils eussent profité de leurs secours et d'un bienfait si utile. 653. O ma très-chère fille! puisque la plupart des hommes sont si lents à considérer et à estimer les oeuvres paternelles de mon Fils et mon Seigneur, je veux,que vous en ayez une singulière reconnaissance, vous qui en avez été favorisée avec tant de libéralité, particulièrement lorsqu'il a destiné les auges pour (1) Matth., XVIII, 10. - (2) I Cor., V, 20. 300 votre garde. Tâchez de ne vous rendre pas indigne de leur compagnie, et d'écouter avec attention et avec respect leurs instructions; laissez-vous conduire par leur lumière, honorez-les comme des ambassadeurs du Très-Haut, et priez-les qu'ils vous fassent part de leurs secours, afin qu'étant purifiée de vos péchés, exempte d'imperfections et enflammée dans l'amour divin, vous puissiez vous réduire dans un état si spiritualisé, que vous soyez capable de converser avec eux, d'être reçue en leur compagnie et de participer à leurs divines illustrations; car le Très-Haut ne les refusera pas, si vous vous y disposez de votre côté comme je vous l'ordonne. 654. Et parce que vous avez désiré de savoir (après en avoir consulté l'obéissance) la raison pourquoi les saints anges se communiquaient à moi par tant de sortes de visions, je réponds à votre désir en vous déclarant davantage ce que vous en avez connu et écrit par la lumière divine. La cause de cela fut, du côté du Très-Haut, son amour libéral avec lequel il me favorisait; et du mien, l'état de voyageuse où je me trouvais dans le monde : parce qu'il n'était pas possible ni même convenable que cet état fût uniforme ou égal dans les actions des vertus par le moyen desquelles la sagesse divine projetait de m'élever sur tout ce qui est créé; et étant dans la nécessité d'agir comme voyageuse, humaine et sensible dans la diversité des rencontres et des couvres vertueuses, j'agissais quelquefois comme spiritualisée sans aucun empêchement des sens, et les anges conversaient et 301 traitaient avec moi comme ils conversent et traitent entre eux; d'autres fois il fallait que je souffrisse et que je fusse affligée dans la partie inférieure de l'âme, quelquefois dans le sensible et dans le corps; je souffrais en d'autres occasions des nécessités, des solitudes et des abandonnements intérieurs, et je recevais, selon la vicissitude de ces effets et de ces états, les faveurs et les visites des saints anges; car je parlais plusieurs fois avec eux par intelligence, d'autres fois par vision imaginaire, et en d'autres rencontres par vision corporelle et sensible, selon que l'état et la nécessité le demandaient, et selon que le Très-Haut le disposait. 655. Mes puissances et mes sens furent illustrés et sanctifiés dans toutes ces différentes manières par les couvres des influences et des faveurs divines, afin que je connusse par expérience tout ce qui en résulte, et que je reçusse pour toutes ces couvres les communications de la grâce surnaturelle. Mais je veux que vous sachiez, ma fille, que, bien que le Très-Haut fût si magnifique et si miséricordieux envers moi dans ces faveurs, son équité y garda pourtant un tel ordre, que non- seulement il me favorisa si fort par ses anges à cause de la dignité de Mère, mais encore qu'il eut égard, dans la distribution de ces mêmes faveurs, à mes couvres et à la disposition avec laquelle j'y concourus, assistée de sa divine grâce. Et parce que j'éloignai mes puissances et mes sens du commerce des créatures, et que, renonçant à tout ce qui est sensible est créé, je me convertis au souverain bien eu 302 m'abandonnant de toutes les forces de ma volonté à son unique et saint amour; à cause de cette disposition que je mis en mon âme, il sanctifia toutes mes puissances par la rétribution de tant de bienfaits;. de visions, d'illustrations de ces mêmes puissances, qui pour son amour, s'étaient privées de tout ce qui est délectable, humain et terrestre. Et je reçus en la chair mortelle de si grandes choses en récompense de mes oeuvres, que vous ne les pouvez ni concevoir ni écrire pendant que vous y vivez, le Seigneur étant si riche en libéralité et en bonté, qu'il ne donne cette récompense dans le temps que comme un gage de celle qu'il réserve dans l'éternité. 656. Outre que le bras du Tout-Puissant me disposa par ces . moyens, afin que dès ma conception l'incarnation du Verbe fût dignement prévenue dans mon sein, et que mes puissances et mes sens fussent sanctifiés et préparés pour la conversation et la communication que je devais avoir avec le Verbe incarné. Que si les autres âmes se disposaient à mon imitation en ne vivant plus selon la chair, mais par une vie spirituelle, pure et éloignée de la contagion des choses terrestres, le Très-Haut est si fidèle envers ceux qui travailleraient de la sorte à s'attirer son amitié, qu'il ne leur refuserait point ses faveurs par l'équité de sa divine providence. CHAPITRE XVI. On y continue l'enfance de la très-sainte Vierge dans le Temple. - Le Seigneur la dispose pour les afflictions. - Mort de son père saint Joachim. 657. -Nous avons laissé notre auguste Princesse Marie employant les années de son enfance dans le Temple, et nous en avons diverti le discours pour donner quelque connaissance des vertus, des dons et des révélations divines qu'elle recevait dé la main du Très-Haut, et quelle exerçait par ses puissances dans un âge le plus tendre et toutefois dans une sagesse la plus sublime, La très-sainte enfant croissait en âge et en grâce devant Dieu et devant les hommes, mais avec une telle proportion, que la dévotion était toujours au-dessus de la nature; cette grâce ne fut jamais mesurée à son âge, mais au bon plaisir divin et aux fins relevées auxquelles le torrent impétueux de la Divinité qui s'allait arrêter et reposer dans cette Cité de Dieu, la destinait. Le Seigneur lui continuait ses dons et ses faveurs, lui renouvelant à tout moment les merveilles de son puissant bras, comme si elles n'eussent été réservées que pour la seule Marie. Et cette incomparable enfant y répondait avec tant d'ardeur dans cet âge si tendre, qu'elle remplissait le 304 coeur du même Seigneur de complaisance et les esprits célestes d'admiration. Ces mêmes esprits découvraient comme une émulation admirable entre le Très-Haut et notre jeune Reine; car pour l'enrichir, le pouvoir divin tirait tous les jours de ses trésors nouveaux et anciens (1) des bienfaits réservés pour elle seule; et comme, elle était une terre bénite (2), non-seulement la semence de la perle éternelle. de ses dons et de ses faveurs n'y était point perdue, ni elle ne rendait pas seulement cent pour un, comme le plus grand des saints, mais encore avec l'admiration de tout le ciel une jeune fille surpassait en amour, en reconnaissance, en louanges et en toutes les vertus possibles, les plus. sublimes et les plus ardents séraphins, sans qu'il y eût ni temps, ni lieu, ni occasion, ni emploi, où elle n'opérât le plus éminent de la perfection, qui lui était alors possible. 658. Étant déjà capable dans les tendres années de son enfance de lire les Écritures, elle en faisait sa plus ordinaire occupation : et comme elle était remplie de sagesse, elle conférait dans son coeur ce qu'elle savait par les révélations divines avec ce qui était révélé dans les Écritures pour tous: dans cette lecture et ces conférences secrètes, elle faisait des demandes et des prières continuelles et ferventes pour la rédemption du genre humain et pour l'incarnation du Verbe. Elle lisait plus fréquemment les psaumes et les prophéties d'Isaïe et de Jérémie, à cause que les mystères du Messie et de (1) Matth., XIII, 52. - (2) Luc., VIII, 8. 305 la loi de grâce y étaient plus- clairs et plus réitérés elle proposait des questions admirables et très-relevées aux saints anges sur ce qu'elle y découvrait et comprenait, et leur parlait fort souvent avec des tendresses inconcevables de la très-sainte humanité du Verbe; sur ce qu'il se devait faire enfant, naître et se nourrir comme les autres hommes; qu'il devait avoir une mère vierge, croître, souffrir et mourir pour tous es enfants d'Adam. 659. Ses anges et ses séraphins répondaient à ses demandes, l'illustrant de nouveau, la confirmant, et embrasant son coeur ardent et virginal par de nouvelles flammes de l'amour divin, en lui cachant toujours néanmoins sa très-haute dignité, quoiqu'elle s'offrit plusieurs fois avec une humilité très-profonde d'être la servante du Seigneur et de l'heureuse mère qu'il devait choisir pour naître sur la terre. D'autres fois, interrogeant les saints anges, elle disait avec admiration : " Mes princes et mes seigneurs, est-il bien possible que le Créateur naisse d'une créature et la reconnaisse pour mère? Que le Tout-Puissant, l'Infini, Celui qui a formé les cieux et qui n'en peut pas être compris, se renferme dans le sein d'une fille et se revête d'une nature terrestre? Que Celui qui orne les éléments, les cieux et les anges mêmes de beauté, se rende passible? Qu'il y ait une fille de notre propre nature humaine assez heureuse que de pou voir appeler fils Celui-là même qui l'a tirée du néant, et qu'elle s'entende appeler mère par Celui qui est incréé et Créateur de tout l'univers? O, miracle 306 inouï, si l'Auteur même ne l'eût publié, coin ment pourrait l'esprit humain former une pensée si magnifique ! O merveille de ses merveilles! O heureux les yeux qui le verront, et les siècles qui le mériteront! " Les saints anges répondaient à ces affections et à ces exclamations amoureuses, lui déclarant les mystères divins, excepté celui qui la regardait de si près. 660. La moindre des hautes, des humbles et des ardentes affections de la jeune Marie, était ce seul et unique cheveu de l'Épouse, qui blessait le coeur de Dieu par une si douce flèche d'amour (1); que s'il n'eût pas été convenable d'attendre l'âge propre pour concevoir et enfanter le Verbe incarné, la complaisance du Très-Haut n'eût pas pu s'empêcher (selon notre manière de concevoir) de prendre incontinent notre humanité dans son sein; mais il ne le fit point (quoiqu'elle en fût capable, et par la plénitude des grâces qu'elle avait reçues, et par les mérites singuliers dont elle fut douée dés son enfance), afin que, son enfantement virginal arrivant en l'âge naturel des autres femmes, le mystère de l'Incarnation fût mieux caché, et l'honneur de sa très-sainte Mère plus à couvert; et le Seigneur s'entretenait dans ce délai par les affections et les cantiques agréables qu'il écoutait, selon nos façons d'exprimer, avec complaisance et avec attention en sa Fille et son Épouse, qui devait être ensuite la digne. Mère du Verbe éternel. Les cantiques (1) Cant., IV, 9. 307 et les psaumes que notre Reine et Maîtresse fit, furent si relevés et en si grand nombre, que s'ils eussent été écrits (comme il m'a été découvert dans la lumière que j'en ai reçue), la sainte Église en aurait beaucoup plus que de tous les prophètes et les saints ensemble, parce que la très-pure Marie dit et renferma tout ce qu'ils ont écrit, et outre cela elle connut et dit beaucoup, plus de choses qu'ils n'en ont écrit, et dont ils n'eurent aucune connaissance. Mais le Très-Haut. ordonna que son Église militante eût surabondamment tout le nécessaire dans les écritures des apôtres et des prophètes, et réserva écrit dans son entendement divin ce qu'il révéla à sa très-sainte Mère, afin de découvrir dans l'Église triomphante ce qui sera convenable à la gloire accidentelle des bienheureux. 661. Outre que la divine bonté condescendit en cela à la volonté de la très-sainte fille notre Maîtresse, qui, pour accroître sa très-prudente humilité, et laisser aux mortels ce rare modèle de tant d'excellentes vertus, voulut toujours cacher le secret du Roi ( 1 ) , et quand il fut nécessaire d'en découvrir quelque chose pour le service de sa Majesté et pour le bien de l'Église, l'auguste Marie y procéda avec tant de prudence, que, quoiqu'elle fût Maîtresse, elle ne laissa pas de paraître toujours une très-humble disciple. Dans son enfance, elle consultait les saints anges et suivait leurs conseils; après la naissance du Verbe incarné, elle eut son Fils unique pour maître (1) Tob., XII, 7. et pour modèle dans toutes ses actions; et, à la fin de ses mystères et de son ascension glorieuse, la grande Reine de l'univers obéissait aux apôtres, comme nous le dirons dans la suite; et ce fut une des raisons pourquoi l'évangéliste saint Jean cacha les mystères qu'il écrivit de cette très-sainte Dame dans l'Apocalypse sous tant d'énigmes, qu'on pût les entendre de l'Église militante ou de la triomphante. 662. Le Très-Haut détermina que la plénitude des grâces et des vertus de Marie prévint le comble de ses mérites, cette très-sainte Vierge s'appliquant aux couvres pénibles et magnanimes autant que ses tendres années le lui pouvaient permettre : et sa divine Majesté lui dit dans une de ses visions ; " Mon Épouse et a ma colombe, je vous aime d'un amour infini, et je demande de vous ce qui est le plus agréable à mes yeux et l'entière satisfaction de mon désir. N'ignorez pas, ma Fille, le trésor caché qui se trouve renfermé dans les travaux et dans les afflictions, que l'ignorance aveugle des mortels a si fort en horreur; et que mon Fils unique enseignera, quand il se sera revêtu de la nature humaine, le chemin de la croix par son exemple et par sa doctrine , la laissant pour héritage à mes élus, après qu'il en a aura fait son partage; et il établira la loi de grâce, fondant sa fermeté et son excellence en l'humilité et en la patience de la croix et des afflictions, parce que la condition de la nature des hommes l'exige a de la sorte, et singulièrement depuis qu'elle a été dépravée par le péché, qui a corrompu son inclination. 309 Il est aussi conforme à mon équité et à ma providence que les mortels obtiennent et acquièrent la couronne de gloire par le moyen des travaux et des croix, puisque c'est par là que mon Fils unique incarné la leur doit mériter. Vous entendrez par ce discours, ma Fille, que vous ayant élue par la puissance de ma droite pour mes délices, et enrichie de mes dons, il ne serait pas juste que ma grâce fût oisive dans votre cœur, que votre amour fait privé de son fruit, et que vous n'eussiez aucune part à l'héritage de mes élus. Ainsi je veux que vous vous disposiez à souffrir des tribulations et des peines pour mon amour. " 663. L'invincible Princesse Marie répondit à cette proposition du Très-Haut avec plus de fermeté de coeur que tous les saints et les martyrs n'en ont eu dans le monde, et dit à sa divine Majesté ; " Mon Seigneur, mon Dieu et mon Roi, j'ai déjà consacré à votre divine volonté et bon plaisir toutes mes opérations, mes puissances, et l'être même que j'ai reçu de vous, de votre bonté infinie, afin que toutes choses s'accomplissent en moi selon le choix de votre suprême sagesse et immense bonté. Que si vous me permettez de faire choix de quelque chose, je ne veux plus que souffrir pour votre amour jusqu'à la mort, et vous supplier, mon bien-aimé, de faire de votre servante un sacrifice et un holocauste de patience agréable à vos yeux. Je me sens si obligée à vous, mon Seigneur et mon Dieu tout- puissant et très-libéral, qu'il n'est aucune des créatures qui 310 vous doive un si grand retour, ni même toutes ensemble ne vous sont pas si redevables que je le suis moi seule, la plus incapable de m'acquitter de la satisfaction que je souhaite de donner à votre magnificence; mais si les souffrances qu'on endure pour vous ont lieu de quelque satisfaction, faites, Seigneur, que toutes les tribulations et les douleurs de la mort viennent sur moi : je demande seulement votre divine protection, et, prosternée devant le trône royal de votre Majesté infinie, je vous supplie de ne me point abandonner. Souvenez-vous, Seigneur, des promesses fidèles que vous avez faites à vos serviteurs par nos anciens pères et vos prophètes, de favoriser le juste, d'être avec le persécuté, de consoler l'affligé, de le protéger et le dé fendre dans le combat de la tribulation (1) : vos paroles sont véritables et vos promesses infaillibles; le ciel et la terre manqueront plutôt que leur certitude; la malice de la créature ne pourra point éteindre votre charité envers celui qui espère en votre miséricorde; que votre sainte et parfaite volonté s'accomplisse donc en moi. 664. Le Très-Haut reçut ce sacrifice du matin de la jeune Marie, et lui dit avec des marques de bienveillance ; " Vous êtes belle dans vos pensées, Fille du Prince, ma colombe et ma bien aimée; j'accepte vos désirs, agréables à mes yeux, et je veux vous apprendre, pour un principe de leur accomplissement, (1) Ps. XC. 311 que le temps s'approche auquel, par ma divine disposition, votre père Joachim doit passer de la vie mortelle dans l'immortelle et éternelle : sa mort arrivera bientôt, et incontinent après il reposera en paix et sera mis avec les saints dans les limbes, en attendant la rédemption de tout le genre humain. " Cet avis du Seigneur ne troubla point le coeur magnanime de la Princesse du ciel; mais, comme l'amour des enfants envers leurs pères est une juste dette de la nature, cet amour se trouvant en la très-sainte Fille dans toute sa perfection, elle ne pouvait pas empêcher la douleur naturelle qu'elle ressentait de se voir privée de son très-saint père Joachim, qu'elle aimait saintement en qualité de fille. La tendre et douce Marie ressentit ce mouvement douloureux, compatible avec la sérénité de son esprit; et, comme elle agissait en toutes choses avec une grandeur d'âme incomparable, donnant ce qu'elle devait à la grâce et à la nature, elle fit une fervente prière pour son père Joachim. Elle demanda au Seigneur de le regarder dans le passage de son heureuse mort comme Dieu puissant et véritable; de le défendre du démon singulièrement en cette heure, et de le conserver et constituer dans le nombre des élus, puisqu'il avait confessé et glorifié son saint et admirable nom durant sa vie : et, pour y obliger davantage sa divine Majesté, la très-reconnaissante fille s'offrit d'endurer pour son très-saint père tout ce que le Seigneur. ordonnerait. 665. Sa divine Majesté agréa cette demande et consola la très-sainte enfant, l'assurant qu'il assisterait 312 son père comme miséricordieux et pitoyable bienfaiteur de ceux qui l'aiment et le servent, et qu'il le placerait entre les patriarches Abraham, Isaac et Jacob, et la prévint de nouveau pour recevoir et souffrir d'autres afflictions. Elle reçut, huit jours avant la mort du saint patriarche Joachim, un autre nouvel avis du Seigneur qui lui déclara le jour et l'heure où il devait mourir; comme en effet il arriva six mois après gaie notre Reine fut entrée dans le Temple. Ayant reçu ces avis du Seigneur, elle demanda aux douze anges (desquels nous avons déjà dit que saint Jean fait mention dans l'Apocalypse) de (assister et le consoler dans sa maladie; ce qu'ils firent avec beaucoup de complaisance. Dans la dernière heure de sa mort, elle lui envoya tous ceux de sa garde, et pria le Seigneur de les lui manifester pour sa plus grande consolation. Le Très-Haut accorda sa prière et accomplit en toutes choses le désir de son élue, unique et parfaite : le grand patriarche et heureux Joachim vit. les mille anges qui gardaient sa chère fille Marie, dont les demandes et les voeux furent surpassés par la grâce du Tout-Puissant; et par son commandement les anges dirent à Joachim ce qui suit : 666." Homme de Dieu, le Très-Haut et Tout-Puissant soit votre salut éternel, et qu'il envoie de son lieu saint le secours nécessaire et convenable à votre âme. Votre fille Marie nous a envoyés ici pour vous assister en cette heure, en laquelle vous devez payer à votre Créateur la dette de la mort naturelle. Elle est votre très- fidèle et très-puissante avocate 313 auprès du Très-Haut, su nom et en la paix duquel vous devez partir de ce monde avec beaucoup de consolation, parce qu'il vous a fait père d'une fille remplie de tant de bénédictions. Et, bien que sa divine et incompréhensible Majesté ne vous ait pas manifesté par ses secrets jugements jusqu'à cette heure le mystère de la dignité en laquelle il doit élever votre fille, il veut que vous le connaissiez maintenant, afin que vous l'exaltiez et le glorifiiez, et que vous joigniez par cette nouvelle la joie de votre esprit à la douleur et à la tristesse de la mort. Votre fille et notre Reine Marie est choisie par le Tout-Puissant afin que le Verbe divin se revête de la chair et de la formé humaine dans son sein virginal. Elle doit être l'heureuse Mère du Messie et la bénie entre toutes les femmes, supérieure à toutes les créatures et seulement inférieure à Dieu. Votre très-heureuse fille doit être la restauratrice de ce que le genre humain a perdu par le premier péché, et le haut mont où la nouvelle loi de grâce se doit former et établir: et, puisque vous laissez au monde sa réparatrice et une fille par laquelle Dieu lui prépare le remède convenable, partez-en avec joie : le Seigneur de Sion vous bénisse et vous constitue entré les saints, afin que vous arriviez à la vue et à la jouissance de l'heureuse Jérusalem (1). " 667. Lorsque les saints anges tenaient ce discours à Joachim, son épouse sainte Anne était présente, (1) Ps., CXXVI, 5. 314 assistant au chevet de son lit, et elle l'entendit par la divine disposition ; dans le même instant le saint patriarche perdit la parole, et entrant dans la voie commune à tous les hommes, il commença. d'agoni,Ber, combattant merveilleusement entre la joie d'une nouvelle si agréable et la douleur de sa mort. Il fit dans ce combat, par ses puissances intérieures, plusieurs actes d'amour de Dieu, de foi, d'admiration, de louange, de reconnaissance et d'humilité; il exerça aussi d'autres vertus d'une manière fort héroïque, et étant ainsi absorbé dans la nouvelle connaissance d'un mystère si divin, il arriva au terme de la vie naturelle par la précieuse mort des saints (1). Sa très-sainte âme fut portée par les anges aux limbes des saints pères et des justes, et le Très-Haut ordonna, pour leur consolation et pour leur causer une nouvelle lumière dans cette longue nuit où ils étaient, que l'âme du saint patriarche Joachim fût le nouveau paranymphe et le légat de sa divine Majesté, qui apprit à cette assemblée de justes que le jour de la lumière éternelle commençait à paraître, que l'aurore Marie, fille de Joachim et d'Anne, était déjà venue au monde, de laquelle naîtrait le Soleil de la Divinité, Jésus-Christ rédempteur de tout le genre humain. Les saints. Pères et les justes des limbes apprirent ces nouvelles et les ayant reçues avec beaucoup de joie, ils firent su Très-Haut de nouveaux cantiques de louange. (1) Ps. CXV, 15. 315 668. L'beureuse mort du patriarche saint Joachim arriva (comme je viens de dire) six mois après l'entrée de sa très-sainte fille, dans le Temple, étant âgée seulement de trois ans et demi lorsqu'elle fut privée de son père naturel, qui vécut soixante- neuf ans et demi, les partageant en cette sorte; dans sa quarante-sixième année il reçut sainte Anne pour épouse; vingt ans après leur mariage, ils eurent la très-pure Marie; et trois ans et demi qu'elle en avait font les soixante-neuf et demi et quelques jours. 669. Le saint patriarche et père de notre Reine étant mort, les saints anges de sa garde s'en retournèrent incontinent auprès d'elle et lui apprirent tout ce qui était arrivé en la mort de son père; après quoi la très-prudente fille sollicita par ses prières la consolation de sa sainte mère, priant le Seigneur de la gouverner et de l'assister comme père dans la solitude en laquelle la privation de son époux Joachim la laissait. La sainte mère lui envoya aussi la nouvelle de la mort, elle fut premièrement adressée à la maîtresse de notre auguste Princesse, afin qu'en la lui donnant elle la consolât. La maîtresse le fit comme sainte Anne le souhaitait, et la très-sage fille, cachant tout ce qu'elle en savait, la reçut avec beaucoup de résignation et avec une modestie de Reine, qui n'ignorait pas ce qu'on prétendait lui apprendre comme une chose nouvelle. Mais comme elle était très-parfaite en tout, elle s'en alla aussitôt au Temple pour y renouveler le sacrifice de louange, d'humilité, de patience et de plusieurs autres vertus et prières, marchant toujours avec des 316 pas aussi grands que beaux aux yens du Seigneur (1). Et pour comble de toutes ces actions comme de toutes les autres, elle demandait aux saints anges de concourir avec elle et de lui aider à le bénir. Instruction que la très-sainte Vierge me donna. 670. Ma fille, renouvelez plusieurs fois dans le secret de votre coeur l'estime que vous devez Mire du bienfait des travaux que la providence secrète du Seigneur ménage avec sagesse aux mortels. Ce sont ses jugements justifiés en eux-mêmes et plus estimables que l'or et les pierres précieuses, et plus doux que le rayon de miel (1) pour celui qui n'a pas doux goût dépravé. Je veux, ma chère fille, que vous considériez que soit que la créature souffre sans aucun péché ou bien pour ses péchés, c'est un bienfait dont elle ne peut être digne sans une grande miséricorde du Très-Haut; et quoique ce soit une grâce que de recevoir des souffrances pour ses péchés, cette même grâce est néanmoins accompagnée de beaucoup de justice. Cela étant , faites maintenant de sérieuses réflexions sur la folie commune des enfants d'Adam, qui veulent tous des consolations et des faveurs sensibles, et n'aiment que ce qui flatte leur goût dépravé ; (1) Cant., VII, 1. - (2) Ps., XVIII, 1 et 11. 317 ils ne travaillent que pour s'éloigner du pénible et pour empêcher que la douleur des travaux ne les touche, et lorsque leur plus grand bonheur consisterait à les rechercher avec empressement sans même les avoir mérités, ils le font cependant tout consister à éviter ce qu'ils méritent, et sans quoi ils ne peuvent être bienheureux. 671. Si l'or fuit la fournaise, le fer la lime, le grain le moulin et le fléau, les raisins le pressoir, ils seront tous inutiles, et l'on ne jouira point de la fin pour laquelle ils ont été créés. Or comment est-ce que les mortels se laissent tromper en croyant qu'autant remplis d'horribles vices et de péchés abominables, ils puissent être assez purs et assez dignes de jouir de Dieu éternellement, sans passer par la fournaise et par la lime des travaux? Si lorsqu'ils étaient innocents ils n'étaient point capables d'obtenir le bien infini et éternel pour récompense et pour couronne, comment le feront-ils étant dans les ténèbres et en la disgrâce de Dieu? Joint que les enfanta de perdition font tout ce qu'ils peuvent pour se rendre indignes et ennemis de Dieu, et pour éviter la croix des travaux et des afflictions, qui sont le chemin pour retourner à Dieu, la lumière de l'entendement, le flambeau qui découvre les tromperies des choses apparentes, l'aliment des justes, l'unique moyen de la grâce, le prix de la gloire, et surtout l'héritage que mon Fils et mon Seigneur a choisi pour soi et pour ses élus, naissant et vivant toujours dans les travaux, et mourant sur une croix. 318 672. C'est par là, ma fille, que vous devez mesurer la valeur des souffrances, que les mondains ne découvrent pas, parce qu'ils sont indignes de cette science divine; et comme ils l'ignorent, ils la méprisent. Réjouissez-vous et consolez-vous dans les tribulations, et quand le Très-Haut daignera vous en envoyer quelqu'une, tâchez d'aller au-devant pour la recevoir comme une de ses bénédictions et un gage de son amour et de sa gloire. Préparez votre coeur par la magnanimité et par la constance, afin que dans l'occasion de souffrir, vous soyez égale et la même que vous étiez dans la prospérité et dans vos résolutions; gardez-vous d'accomplir avec tristesse ce que vous promettez avec joie, parce que Dieu aime celui qui est le même en donnant qu'en offrant (1). Sacrifiez donc votre coeur et vos puissances en holocauste de patience, et vous chanterez, par des cantiques nouveaux de joie et de louange, les justifications du Très-Haut, lorsque dans le lieu de votre pèlerinage il vous distinguera et traitera comme sienne par les marques les plus sensibles de son amitié, qui sont les travaux et les croix des tribulations. 673. Sachez, ma très-chère, que mon très-saint Fils et moi désirons d'avoir parmi les créatures quelques unes de celles qui sont arrivées au chemin de la croix, auxquelles nous puissions enseigner avec ordre cette divine science, et que nous puissions détourner de la sagesse du monde, en laquelle les (1) II Cor., IX, 7. 319 enfants d'Adam veulent avec une obstination aveugle si fort s'avancer, et rejeter la discipline salutaire des afflictions. si vous voulez être notre disciple, entrez dans cette école, où l'on n'enseigne que la science de la croix, et qu'à chercher en elle le repos et les délices véritables. L'amour terrestre des plaisirs sensibles et des richesses ne s'accorde point avec. cette sagesse, non plus que la vaine ostentation, qui éblouit les yeux faibles des mondains avides du faux honneur, du précieux et du grand, qui entraîne après soi l'admiration des ignorants. Pour vous, ma fille, aimez la vérité, faites choix de la meilleure part et souhaitez d'être de celles qui sont cachées et en oubli dans le monde. J'étais Mère du même Dieu incarné, et par cet endroit Maîtresse avec mon très-saint Fils de tout ce qui est créé; mais je fus fort peu connue, et sa divine Majesté fut fort méprisée des hommes; et si cette doctrine n'eut été la plus estimable et la plus assurée, nous ne l'aurions pas enseignée par nos exemples et par nos paroles: c'est la lumière qui luit dans les ténèbres (1), chérie des élus et rejetée des réprouvés. (1) Joan., I, 5. 320 CHAPITRE XVII. La Reine du ciel commence à souffrir dans son enfance. - Dieu lui fait ressentir ses absences. - les douces et les amoureuses plaintes qu'elle fait. 674. Le Très-Haut, qui règle par son infinie sagesse la conduite des siens avec poids et mesure (1), voulut exercer notre auguste Princesse par quelques afflictions proportionnées à son jeune âge, quoiqu'elle fût toujours grande en la grâce, qu'il voulait par ce moyen lui augmenter avec une plus abondante gloire. Notre jeune Marie était toute remplie de sagesse et de grâce; néanmoins il était convenable qu'elle fût disciple en expérience, et qu'elle y avançât et y apprît la science de souffrir, qui arrive à sa dernière perfection par la pratique. Elle avait joui durant le cours de ses tendres années des délices et des caresses du Très-Haut, de celles des saints anges, aussi bien que de ses parents; et étant dans le Temple elle en avait beaucoup reçu de sa maîtresse et des prêtres, parce qu elle était aimable et agréable aux yeux de tous; il était déjà temps qu'elle commençât d'avoir une (1) Sap., XI, 21. 321 autre nouvelle science du bien qu'elle possédait, et une certaine connaissance que l'on acquiert par l'absence et la privation de ce bien, et par le nouvel usage des vertus que cette privation cause, comparant l'état des consolations et des caresses avec celui de la solitude, de la sécheresse et des tribulations. 675. La première des afflictions que souffrit notre Princesse fut la suspension des visions continuelles dont le Seigneur lui faisait part; et cette douleur lui fut d'autant plus grande, qu'elle lui était nouvelle, et que le trésor qu'elle, perdait de vue lui était plus précieux et plus sublime. Elle fut aussi privée de la communication sensible des saints anges, et par l'éloignement de tant d'objets si excellents et si divins qui se cachèrent dans un même temps à sa vue (sans pourtant abandonner sa compagnie ni lui discontinuer leurs secrètes assistances), cette âme très-pure et très-affligée croyait être demeurée seule dans la nuit obscure de l'absence de son bien-aimé, qui la revêtait de lumière. 676. Cet événement parut étrange à notre jeune Reine; car bien que le Seigneur l'eût prévenue pour recevoir de plus grands travaux, il ne les lui avait pourtant pas spécifiés. Et comme le coeur candide de cette très-simple colombe ne pouvait rien penser ni opérer que ce ne fût un fruit de son humilité et de son amour incomparable, elle s'appliquait toute à ces deux vertus : par l'humilité elle attribuait à son ingratitude de n'avoir pas mérité la présence et la possession du bien qu'elle venait de perdre, et par l'ardent 322 amour elle le souhaitait et le cherchait avec une douleur et avec des affections si amoureuses, qu'il n'est pas possible de les exprimer. Dans ce nouvel état de souffrances elle s'adressa entièrement au Seigneur et lui dit 677. " Grand Dieu et Seigneur de tout ce qui est créé, infini en bonté et riche en miséricordes, je déclare, mon divin Maître, qu'une si vile créature n'a pu mériter vos faveurs, et que mon âme se plaint avec une intime douleur de sa propre ingratitude et de vous avoir été désagréable. Si cette ingratitude s'est interposée pour faire éclipser le soleil qui m'animait, me vivifiait et m'éclairait, et si j'ai été lâche dans le retour de tant de bienfaits, faites, mon Seigneur et mon Pasteur, que je connaisse la faute de ma grossière négligence. Si, comme une ignorante et simple brebis, je n'ai pas su être reconnaissante, ni opérer ce qui était le plus agréable à vos yeux, je suis prosternée en terre et unie à la poussière, afin que vous, mon Dieu, qui habitez dans les hauteurs, me releviez comme une pauvre et délaissée (1). Vos puissantes mains m'ont formée (2), et vous ne pouvez pas ignorer notre faiblesse (3), ni en quels vases vous avez confié vos trésors. Mon âme languit dans son amertume et dans votre absence (4), vous qui êtes sa douce vie; je ne trouve aucun soulagement dans (1) Ps. CXII, 8 et 7. - (2) Job., X, 8. - (3) Ps. CII, 14. - (4) Ps. XXX, 11. mes défaillances. Où irai-je si vous me délaissez? Où pourrai-je arrêter mes yeux sans la lumière qui les éclairait? Qui me consolera au milieu de ces peines? Qui me préservera de la mort sans la vie? " 678. Elle s'adressait aussi aux saints anges, et continuant toujours ses amoureuses plaintes, elle leur disait : " Princes célestes, ambassadeurs du grand Roi, et très- fidèles amis de mon âme, pourquoi m'avez-vous aussi délaissée? Pourquoi me privez vous de votre douce vue et me refusez votre sainte présence? Mais je ne m'étonne point, mes seigneurs, de votre courroux, puisque peut-être par ma disgrâce j'ai mérité de tomber dans celle de votre Créateur et le mien. Lumières agréables des a cieux, éclairez mon entendement dans mon ignorance, et si j'ai manqué en quelque chose, corrigez moi et obtenez-m'en le pardon de mon divin Maître. Très-nobles courtisans de la Jérusalem céleste, ayez pitié de mon affliction et de mon abandonnement; dites-moi où est allé mon bien-aimé? Où s'est-il caché? Où le trouverai-je, sans que je sois obligée d'aller errante et de parcourir la multitude de toutes les créatures (1) ? Mais, hélas ! vous ne me répondez pas non plus, vous qui êtes si honnêtes et qui connaissez les véritables signes de mon Époux, parce qu'il ne vous éloigne point de la vue de sa divine face et de ses beautés infinies. " (1) Cant., I, 6; III, 3. 324 679. Ensuite elle s'adressait aux autres créatures, et se plaignait à elles, leur disant avec de profonds et redoublés soupirs d'amour ; " Sans doute que a vous qui êtes aussi armées contre les ingrats (1), serez indignées, comme reconnaissantes, contre celle qui ne l'a pas été; mais si par la bonté de mon Seigneur et le vôtre vous me souffrez parmi vous, quoique je sois la plus abjecte, vous ne pouvez pas pourtant satisfaire mon désir. Cieux, vous êtes fort beaux et spacieux; planètes et étoiles, vous êtes toutes fort reluisantes; les éléments sont grands et invincibles, la terre est revêtue et ornée de plantes et d'herbes odoriférantes, les pois sons qui habitent les eaux sont innombrables, les étendues des mers causent de l'admiration (2), les oiseaux sont légers, les minéraux cachés, les animaux se parent de leurs forces, et tous ensemble a font une longue échelle et une douce harmonie pour arriver à la connaissance de mon bien-aimé; mais ce sont de trop grands détours pour celle qui aime, et après les avoir tous parcourus avec toute la diligence possible, je nie trouve enfin seule absente de mon bien; et par la fidèle relation que vous me faites, ô créatures, de sa beauté infinie, vous n'arrêtez pas mon vol, vous ne soulagez pas ma douleur, vous ne diminuez pas ma peine : au contraire vous augmentez mon affliction et mon a désir, vous enflammez davantage mon coeur, et (1) Sap., V, 18. - (2) Ps. XCII, 4. 325 vous faites languir ma vie terrestre dans l'amour que vous ne sauriez rassasier. O douce mort sans ma vie! ô pénible vie sans mon âme et sans mon bien-aimé ! Que ferai je? où irai-je? où est-ce que je vis ? Mais plutôt où est-ce que je meurs? Et puisque la vie m'a manqué, quelle vertu est celle qui m'anime sans elle ? O créatures ! qui par votre continue conservation et par vos perfections renouvelées me donnez tant de signes de mon divin Maître, regardez s'il se trouve une douleur semblable à la mienne (1) ! " 680. Notre très-affligée Reine formait dans son coeur, et redisait de bouche plusieurs autres discours, qui ne peuvent être compris par aucun autre entendement créé que le sien, parce qu'il n'y avait que sa prudence et son amour qui pussent estimer la peine et le sentiment que l'absence de Dieu causait dans une lutte qui l'avait déjà goûté et connu comme la sienne. Mais si les mêmes anges s'empressaient, comme avec une sainte et amoureuse émulation, de voir et d'admirer en une pure créature et tendre enfant une si grande variété d'actions très- prudentes, d'humilité, de foi et d'amour, aussi bien que les affections et les élans de son coeur, qui pourra exprimer les délices et les complaisances que le Seigneur prenait en l'âme de son élue et en ses mouvements, dont chacun en particulier blessait le coeur de sa divine Majesté, et procédait d'une plus grande grâce et (1) Thren., I, 12. 326 d'un plus ardent amour que tout ce que sa main libérale avait départi aux mêmes séraphins? Et si tous ensemble à la vue de la Divinité ne savaient exercer ni imiter les actions de la très-sainte Vierge, ni garder les lois de l'amour avec autant de perfection qu'elle les gardait lorsque Dieu lui était absent et caché, quelle complaisance devait être celle que toute la très-heureuse Trinité recevait d'un tel objet? C'est un mystère caché pour notre bassesse; mais nous devons le révérer avec admiration et l'admirer avec toute sorte de respect. 681. Notre très-innocente colombe ne trouvait pas où elle pourrait arrêter son coeur, ni où reposer le pied de ses affections (1), qui par des vols et des gémissements redoublés voltigeaient au-dessus de toutes les créatures. Elle s'adressait plusieurs fois su Seigneur par de douces larmes et des soupirs amoureux; tantôt elle se tournait vers les anges de sa garde et les invitait; ensuite elle excitait toutes les créatures, comme si elles eussent été capables de raison; et ne trouvant nulle part ce qu'elle désirait, elle montait par son entendement éclairé et par son ardente affection dans cette très-haute demeure, où ils avaient accoutumé de rencontrer le souverain bien et de jouir réciproquement de ses délices ineffables. Mais le divin Seigneur et amoureux Époux qui se laissait posséder de sa bien- aimée, quoiqu'il l'eût privée de sa jouissance, embrasait par cette possession (1) Gen., VIII, 9. 326 de plus en plus ce coeur très-pur, augmentant ainsi ses mérites, et le possédant de nouveau par des dons renouvelés et cachés, afin que plus elle le possédait, plus elle l'aimât, et plus elle l'aimait et possédait, plus elle le cherchât par de nouvelles inventions et par des désirs ardents d'un amour enflammé. Je l'ai cherché (disait notre Princesse affligée) et je ne l'ai point trouvé; je me lèverai de nouveau, et parcourant avec plus de diligence les rues et les places de la cité de Dieu, je renouvellerai mes soins. Mais, hélas ! mes mains ont distillé la myrrhe, mes empressements et mes oeuvres ne servent que pour augmenter ma douleur. J'ai cherché celui que mon coeur aime, je l'ai cherché, et je ne l'ai point trouvé. Mon bien-aimé s'est absenté, je l'ai appelé, et il ne m'a pas répondu; j'ai tourné les yeux pour le chercher, mais les gardes de la ville, les sentinelles et toutes lés créatures m'ont déplu et m'ont offensée par leur vue. Filles de Jérusalem, âmes saintes et justes, je vous prie, si vous rencontrez man bien-aimé, dites-lui que je languis et que je meurs de son amour (1). 682. Notre Reine s'occupa pendant quelques jours à ces douces et amoureuses plaintes, cet humble nard exhalant de très-agréables odeurs de suavité (2) dans la crainte qu'elle avait d'être rejetée du Seigneur, qui reposait dans le plus secret de son très-fidèle coeur. La divine Providence prolongea ce terme pour sa plus grande gloire et pour augmenter les mérites de son (1) Cant., III, 9; V, 5-8. - (2) Cant., I, 11. 328 Épouse, de sorte qu'il dura quelque temps; et quoiqu'il ne fût pas fort long, notre auguste Maîtresse y souffrit néanmoins plus de tourments spirituels et plus d'afflictions que tous les saints ensemble, parce que dans la perplexité où elle était, si elle avait perdu Dieu et encouru sa disgrâce par sa faute, il n'y a que le même Seigneur qui put connaître et découvrir combien fut grande la douleur de ce coeur enflammé qui sut aimer avec tant de perfection, que Dieu s'en réservait la connaissance et en voulait laisser les sentiments aux craintes que cette très-sainte Fille avait de l'avoir perdu. Instruction que mon auguste Reine et Maîtresse me donna. 638. Ma fille, l'on prise tous les biens selon l'estime que les créatures en font, et elles les estiment autant qu'elles les connaissent pour tels; mais comme il n'y a seulement qu'un véritable bien, tous les autres n'étant qu'apparents et trompeurs, ce souverain bien doit être le seul estimé et connu; et quand vous le goûterez, le connaîtrez et le priserez sur tout ce qui est créé, alors vous lui donnerez et le prix et l'amour qu'il mérite. C'est par ces deux règles que l'on doit mesurer la douleur de l'avoir perdu; ainsi par cet amour et par cette estime, vous découvrirez quelque 329 chose des effets que je sentais, lorsque le bien éternel s'absentait de moi, me laissant dans le doute et dans la crainte, si j'étais assez malheureuse que de l'avoir perdu par ma faute. Il est constant que la douleur de ces incertitudes et la force de l'amour m'eussent plusieurs fois privée de la vie, si le Seigneur ne me l'eût conservée. 684. Considérez donc maintenant quelle doit être la douleur de perdre véritablement Dieu par les péchés, puisque l'absence du. véritable bien en peut causer une si grande dans une âme qui ne ressent point les mauvais effets du péché; car il est très-certain qu'elle ne le perd pas dans cet état, mais au contraire elle le possède, quoique d'une manière cachée à sa propre connaissance. Cette sagesse ne se trouve point dans l'entendement des hommes charnels, puisqu'ils lui préfèrent par un aveuglement très-insensé le bien apparent, et sont inconsolables lorsqu'ils en sont privés, ne faisant aucun cas du souverain et véritable bien, parce qu'ils ne l'ont jamais goûté ni connu. Et bien que mon très-saint Fils ait banni cette ignorance formidable, contractée par le premier péché, en leur méritant la foi et la charité, afin qu'ils pussent connaître et goûter en quelque manière le bien qu'ils n'avaient jamais expérimenté. Hélas ! l'on perd la charité, et l'on y renonce pour le moindre plaisir; et la foi étant oisive et morte, elle est inutile; ainsi les enfants de ténèbres vivent comme s'ils n'avaient que quelque fausse ou douteuse relation de l'éternité. 330 685. Craignez, ma fille, ce danger, qui ne peut jamais être assez redouté; veillez et soyez toujours préparée contre les ennemis qui ne dorment jamais. Que votre méditation, tant le jour que la nuit, soit sur ce que vous devez faire pour ne point perdre le souverain bien que vous aimez. Il ne faut pas dormir, ni vous négliger parmi des ennemis invisibles; et si quelquefois votre bien-aimé se cache, attendez- le avec patience, et cherchez-le avec empressement sans discontinuer, car vous ignorez ses secrets jugements; préparez l'huile de la charité pour le temps de l'absente et de la tentation; portez-y aussi une droite intention, afin que cette huile ne vous manque et que vous ne soyez réprouvée avec les vierges folles (1). CHAPITRE XVIII. On y continue le récit de quelques autres afflictions de notre Reine, dont il se trouvait quelques-unes que Dieu permit par lé moyen des créatures et de l'ancien serpent. 686. Le Très-Haut continuait de se cacher à la Princesse du ciel, joignant à cette affliction (qui était la plus grande) plusieurs autres, afin d'augmenter en elle (1) Matth., XXV, 12. le mérite, la grâce et la couronne, en embrasant toujours plus son très-chaste amour. Le grand dragon, l'ancien serpent Lucifer, était attentif aux oeuvres héroïques de la très-sainte Vierge; et, quoiqu'il ne pût pas être témoin oculaire des intérieures, parce qu'elles lui étaient cachées, il prenait néanmoins un grand soin d'en découvrir les extérieures, qui étaient si hautes et si parfaites, qu'elles suffisaient pour tourmenter l'orgueil et l'indignation de cet ennemi envieux, parce que la pureté et la sainteté de la jeune Marie l'offensaient au delà de tout ce qu'on en peut dire. 687. Poussé par cette fureur, il assembla un conciliabule dans l'enfer, pour consulter sur cette affaire les plus qualifiés d'entre les esprits de ténèbres; et, les ayant convoqués, il leur tint ce discours : a Je crains que le grand triomphe que nous nous sommes acquis jusqu'à présent dans le monde par la possession de tant d'âmes que nous y soumettons à notre volonté, ne soit abattu et humilié par une femme : nous ne pouvons ignorer ce danger, puisque nous l'avons connu dans notre création, et qu'ensuite la sentence nous a été prononcée, que la femme nous écraserait la tête (1); ainsi il nous faut être sur nos gardes et ne nous pas négliger. Vous avez eu déjà connaissance des grandes perfections d'une fille qui est née d'Anne, et qui, croissant en âge, croît aussi en toutes sortes de vertus j'ai considéré avec attention toutes ses actions, ses (1) Gen., III, 15. 332 mouvements et ses oeuvres, et je n'y ai pas pu découvrir, dans le temps auquel les passions naturelles se font communément ressentir, les moindres effets de notre mauvaise semence et-de notre malice victorieuse, comme dans les autres enfants d'Adam. Je la vois toujours modeste et très-parfaite, sans la pouvoir-porter ni réduire aux puérilités peccamineuses et humaines ou naturelles des autres enfants; c'est pourquoi toutes ces marques me font douter et craindre en même temps qu'elle ne soit l'élue pour être la Mère de Celui qui se doit faire homme. 688. " Mais je ne puis me persuader que cela soit, puisqu'elle est née comme les autres, soumise aux lois communes de la nature; ses parents ont fait des prières et des offrandes pour eux et pour elle, afin que le péché leur fût pardonné, ayant même été portée au Temple comme les autres filles. Néanmoins, bien qu'elle ne soit point l'élue, elle a pourtant dans son enfance de grands principes qui nous menacent, et qui promettent une vertu et une sainteté distinguée; je ne puis supporter ses manières si prudentes et si discrètes. Sa sagesse me tourmente, sa modestie m'irrite, sa patience me choque, et son humilité me détruit et m'opprime; enfin tout ce qui est en elle me jette dans une fureur qui m'est insupportable, et j'ai plus d'horreur pour elle que pour tous les autres enfants d'Adam. Elle a une certaine vertu singulière qui m'empêche de l'approcher; et si je lui envoie des tentations, elle les rejette, de sorte que tous mes soins envers elle ont été jusqu'à présent inutiles et sans effet. Il nous faut 333 remédier à ceci et y employer tous nos efforts, si nous voulons éviter la ruine de notre monarchie : je désire plus la perte de cette seule âme que de tout le monde ensemble. Dites-moi donc maintenant, quels moyens et quelles mesures prendrons-nous pour la vaincre et pour en venir à bout? car je promets de récompenser celui qui y réussira par des effets les plus grands de ma libéralité. " 689. La chose fut discutée dans cette confuse synagogue, qui n'est jamais d'accord que pour notre dommage; et, entre plusieurs avis qu'on y donna, un de ces horribles conseillers dit : " Notre prince et seigneur, ne vous tourmentez pas pour une affaire de si peu de conséquence, car il n'est pas possible qu'une faible et jeune fille soit aussi invincible et puissante que nous tous, qui vous suivons. Vous avez trompé Ève en la faisant déchoir de l'état heureux où elle était (1), et par elle vous avez vaincu Adam, son chef. Or, comment ne vaincrez-vous pas cette enfant, leur descendante, qui est née après leur première chute? Promettez-vous dès maintenant cette victoire, et, pour l'obtenir, déterminons-nous à la tenter avec persévérance et à ne perdre point courage, quoiqu'elle y résiste plusieurs fois; et s'il faut que nous dérogions en quelque chose à notre grandeur et présomption, que cela ne nous arrête point, pourvu que nous venions à bout de la tromper; et si cela ne suffit, nous tâcherons de lui faire perdre l'honneur et la vie. " (1) Gen., III, 4. 334 690. Ensuite il y eut d'autres démons qui dirent à Lucifer : " Nous avons expérimenté, ô grand prince, que c'est un puissant moyen de nous servir des autres créatures pour précipiter plusieurs âmes; cette voie est la plus efficace pour opérer ce que nous ne pouvons par nous-mêmes : c'est par là que nous tramerons la ruine de cette femme, observant, pour y réussir, le temps et les conjonctures les plus propres qu'elle nous présentera par sa conduite. Et surtout il nous importe d'employer tout notre savoir pour lui faut perdre une fois la grâce par quelque péché, et, lorsqu'elle sera privée de ce secours et de cette protection des justes, nous la persécuterons et la vaincrons; car étant seule, elle ne se pourra pas délivrer de nos mains; et ensuite nous tâcherons de la jeter dans le désespoir du pardon. " 691. Lucifer agréa les avis que lui donnèrent ses sectateurs et coopérateurs de la méchanceté, et commanda aux plus savants en malice de l'accompagner, se constituant de nouveau le chef d'une entreprise si difficile, car il ne la voulut confier qu'à sa propre conduite; et bien que Lucifer fût assisté par d'autres démons, néanmoins il se trouva toujours le premier à tenter Marie et son très-saint Fils lorsqu'il fut dans le désert, et dans tout le cours de leur vie, comme nous le verrons en continuant celle-ci. 692. Cependant notre auguste Princesse continuait dans les afflictions et dans la douleur de l'absence de son bien-aimé, lorsque cette troupe infernale l'assaillit de tout côté pour la tenter. Mais la vertu divine 335 qui la protégeait empêcha les efforts de Lucifer, afin qu'il ne pût s'en approcher de trop près ni exécuter tout ce qu'il projetait; néanmoins, par la permission du Très- Haut, ils attaquaient les puissances de son âme de quantité de troubles remplis de malice et d'iniquité, parce que le Seigneur voulut bien permettre que la Mère de la grâce fût aussi tentée en toute manière, sans aucun péché pourtant, comme son très-saint Fils le devait être dans la suite (1). 693. On ne saurait concevoir ce que le coeur de Marie souffrit dans ce nouveau combat, se voyant environnée de tentations si étranges et si éloignées de sa sainteté ineffable et de la sublimité de ses divines pensées. Et comme l'ancien serpent reconnut notre très-sainte Dame affligée et tout en pleurs, il prétendit par là d'avoir fort avancé ses affaires, aveuglé qu'il était de son orgueil, et parce qu'il ignorait le secret du ciel. Mais, animant ses ministres infernaux, il leur dit : " Poursuivons, poursuivons-la maintenant, car il semble que nous venons déjà à bout de nos intentions; elle est plongée dans la tristesse, grand chemin du désespoir. " Et dans cette erreur où ils étaient, ils lui envoyèrent de nouvelles tentations de crainte et de méfiance, et l'attaquèrent sans relâche, quoique toujours en vain; car plus on frappe la pierre de la généreuse vertu; plus elle envoie d'étincelles et de feu du divin amour. Notre invincible Reine fut si supérieure et si immobile aux attaques de l'enfer, que (1) Hebr., IV, 15. 336 son intérieur n'en avant pas pu être troublé ni même ébranlé, elles ne servirent que pour la fortifier davantage dans le retranchement de ses vertus incomparables, et pour faire élever toujours plus la flamme du divin embrasement d'amour qui brûlait dans son coeur. 694. Comme le dragon ignorait la sagesse et là prudente cachée de notre Princesse, quoiqu'il la reconnût forte et inébranlable dans ses puissances, et ressentit la résistance de la vertu divine, son ancien orgueil persévérait néanmoins, attaquant la Cité de Dieu par des manières diverses et par de différentes batteries. Nais, bien que l'ennemi rempli de ruses mît en usage toutes ses machines avec autant de vigueur que d'artifice, elles ne firent pourtant non plus d'effet que celles d'un faible fourmi contre un mur de diamant. Notre Princesse était la femme forte à laquelle le cœur de son Époux pouvait se fier, sans crainte d'être trompé dans ses désirs. La force, la pureté et la charité dont elle était armée, embellie et revêtue, lui servaient d'ornement (1). Le superbe et immonde serpent ne pouvait supporter cet objet, dont la vue l'éblouissait et le troublait par une nouvelle confusion ; ainsi il se détermina à lui ôter la vie, animant toute cette troupe de malins esprits à faire leurs derniers efforts pour en venir à bout. Ils employèrent quelque temps à cette entreprise, qui fut aussi vaine que les autres. (1) Prov., XXXI, 11 et 25. 337 695. La connaissance d'un mystère si caché m'a causé une grande admiration, considérant jusqu'où la fureur de Lucifer s'étendit contre la très-sacrée Vierge dans ses premières années; et, par un autre endroit, la secrète et vigilante protection du Très-Haut pour la défendre. Je vois combien le Seigneur était attentif à protéger son Épouse, son Élue et son unique entre les créatures, et je regarde en même temps tout l'enfer converti en fureur contre elle, pour lui faire ressentir les prémices de la plus grande indignation qu'il eût exercée jusqu'alors envers aucune autre créature, et avec quelle facilité le pouvoir divin dissipe tous le efforts et tous les artifices infernaux. O plus qu'infortuné et misérable Lucifer, combien la grandeur de ton orgueil et de ta témérité surpasse-t-elle celle de ta force (1) ! Tu es trop faible et trop petit pour une si extravagante présomption; commence de te défier de toi-même, et ne te promets point tant de triomphes; puisqu'une jeune et tendre fille t'a écrasé la tète et t'a vaincu en toutes les manières, avoue que tu vaux peu de chose, et que tu n'en sais pas davantage, puisque tu as ignoré le plus grand secret du Roi, et que son pouvoir t'a humilié par l'instrument que tu méprisais le plus, qui est une jeune et faible fille par sa propre nature. Oh! que ton ignorance serait grande si les mortels se prévalaient de la protection du Très-Haut, de l'exemple, de l'imitation et de l'intercession de cette victorieuse et triomphante Reine des anges et des hommes (1) Isa., XVI, 8. 338 696. La très-forte et très jeune Marie était dans de continuelles et ferventes prières parmi ces successives tentations et ces combats obstinés; elle y disait au Seigneur : " A cette heure, mon Dieu, que je suis dans la tribulation, vous serez avec moi; à cette heure que je vous invoque de tout mon coeur et que je a cherche vos justifications, vous exaucerez mes demandes (1); maintenant que je souffre de si grandes violences, vous répondrez pour moi (2). Vous êtes mon Seigneur et mon Père , ma force et mon refuge; vous me tirerez par votre saint Nom du danger, vous me conduirez par le chemin assuré, et m'entretiendrez comme votre fille. " Elle rappelait aussi dans son esprit plusieurs mystères de la sainte Écriture, et singulièrement les psaumes qui parlent contre les ennemis invisibles (3), et c'est par ces armes invincibles quelle combattait et vainquait Lucifer, avec des complaisances inconcevables du Seigneur, et de très-grands mérites pour elle, sans perdre en la moindre chose la paix, la fermeté et la tranquillité intérieure, auxquelles elle se fortifiait toujours plus, ayant sans cesse son très-pur esprit dans les hauteurs célestes. 697. Après avoir triomphé de ces tentations, elle commença d'entrer dans un nouveau combat, que le serpent lui livra par l'entremise des créatures,, et cet esprit malicieux envoya pour cela quelques étincelles d'envie et d'émulation contre la très-sainte vierge (1) Ps. CX, 16; CXVIII, 145. - (2)Isa., XXXVIII, 14. - (3) Ps., XXX, 14. 339 dans le coeur de ses compagnes qui se trouvaient dans le Temple. Le remède de ce poison était d'autant plus difficile, qu'il procédait de la ponctualité avec laquelle notre auguste Princesse s'avançait à l'exercice de toutes les vertus, croissant en sagesse et en grâce devant Dieu et devant les hommes; car, où l'ambition de l'honneur pique, les lumières mêmes de la vertu aveuglent le jugement, et y allument ensuite la flamme de l'envie. Le dragon suscitait à ces pauvres, filles plusieurs pensées qui leur persuadaient qu'en vue des vertus éclatantes de la très- pure Marie, elles étaient obscurcies et peu estimées; que leurs propres négligences y étaient mieux connues de la maîtresse et des prêtres, et que la seule Marie serait préférée de chacun dans toutes les occasions. 198. Les compagnes de notre Reine ouvrirent leur coeur à cette mauvaise semence et la laissèrent croître, comme imprudentes et peu exercées qu'elles étaient dans les combats spirituels, jusqu'à ce qu'elle fût changée en une aversion intérieure contre la très-pure Marie. Cette haine passa à l'indignation, avec laquelle elles la voyaient et la fréquentaient, ne pouvant supporter la modestie de cette innocente colombe, parce que le dragon incitait ces filles mal avisées, les revêtant de la même fureur qu'il avait conçue contre la Mère des vertus. La tentation se fortifiant toujours plus, ne tarda pas à éclater par les effets; ces filles vinrent à se la communiquer entre elles, ignorant de quel esprit elles étaient prévenues, dans cette conférence elles résolurent d'inquiéter et de 340 persécuter la Reine de l'univers, qu'elles ne connaissaient pas, jusqu'à prétendre de la faire chasser du Temple, et l'ayant tirée à part, elles lui dirent des paroles fort rudes, la traitant d'une manière fort hautaine, de brouillonne, d'hypocrite, et qu'elle ne songeait qu'à acquérir par ses artifices les bonnes grâces de la maîtresse et l'approbation des prêtres, et à leur rendre toutes sortes de mauvais offices par ses murmures, exagérant même les moindres fautes qu'elles faisaient, ne considérant pas qu'elle était la plus inutile de toutes, et que pour ce sujet elles la regardaient comme un petit démon. 699. La très-prudente Vierge ouït toutes ces injures et plusieurs autres sans se troubler aucunement; elle leur répondit avec une profonde humilité : " C'est avec justice, mes chères compagnes, que vous me tenez ces discours, car je suis véritablement la moindre et la plus imparfaite de toutes; mais vous, mes sueurs, vous devez pardonner mes fautes comme étant mieux avisées, et m'enseigner dans mon ignorance, me conseillant dans toutes les occasions, afin que je sois assez heureuse que de pratiquer ce qui sera le plus saint et le plus agréable à votre goût. Je vous prie, mes bonnes amies, de ne me pas refuser votre amitié, quoique je sois si inutile, et d'être persuadées que je veux bien faire tout ce que je pourrai pour la mériter, car je vous aime et je vous honore comme votre très humble servante, et je le ferai en tout ce en quoi il vous plaira faire l'épreuve de ma bonne volonté. 341 Commandez-moi donc, mes chères sueurs, et dites moi ce que vous souhaitez que je fasse. n 700. Ces humbles et douces raisons de la très-patiente Marie n'amollirent point le tueur endurci de ses compagnes, possédées de la même rage que le dragon avait conçue contre elle; au contraire: s'irritant toujours plus, il les incitait et les irritait aussi, afin que la morsure et le venin du serpent, répandu contre la femme qui avait été un grand signe dans le ciel (1), s'irritassent davantage par la douceur' du remède. Cette persécution dura plusieurs jours, sans que l'humilité, la patience et la modestie de l'auguste Reine fussent assez puissantes pour diminuer la haine de ses compagnes: au contraire, le démon leur inspira encore plusieurs mouvements remplis de témérité, afin qu'elles missent les mains sur la très-innocente brebis, la maltraitassent et lui ôtassent même la vie. Mais le Seigneur ne permit pas que des pensées si sacrilèges fussent exécutées; tout ce qu'elles purent faire fut de l'injurier et de la pousser en passant. Tout cela se passait en secret, sans que la maîtresse ni les prêtres en eussent connaissance. Cependant la très-sainte Vierge acquérait des mérites incomparables et de riches dons du Très-Haut par l'occasion qu'elle recevait d'exercer toutes les vertus envers sa divine Majesté et envers les mêmes créatures qui la persécutaient. Elle pratiqua à leur égard des actes héroïques de charité et d'humilité, rendant le bien (1) Apoc., XII, 15. 342 pour le mal, les bénédictions pour les malédictions; les supplications pour les blasphèmes (1), et accomplissant en toutes choses le plus parfait et le plus élevé de la loi divine. Envers le Très-Haut elle exerça les plus excellentes vertus, elle pria pour celles qui la maltraitaient, et s'humilia comme si. elle eût été la plus abjecte et la plus digne des injures qu'elle recevait, causant en cela de l'admiration aux anges; et nous pouvons dire que tout ce qu'elle fit dans jette (encontre surpassait l'entendement humain et le plus haut mérite des séraphins. 701. Il arriva un jour que ces filles étant enivrées de la tentation diabolique, emmenèrent notre jeune Princesse dans une chambre des plus retirées, et croyant y être en toute liberté, elles la chargèrent l'imprécations et d'outrages atroces, afin d'aigrir sa douceur et d'ébranler sa modestie immobile par quelque emportement indiscret. Mais comme la Reine des vertus ne pouvait être, même pour un instant, esclave d'aucun défaut, sa patience se montra plus invincible lorsqu'elle fut plus nécessaire : ainsi elle leur répondit avec plus de douceur et de bénignité. Étant extrêmement fâchées de ne pouvoir arriver à leur fin, elles haussèrent la voix d'une manière si 'extraordinaire , que, se faisant entendre dans le Temple contre la coutume, elles y causèrent une grande nouveauté et une étrange confusion. Les prêtres et la maîtresse accoururent au bruit, et le (1) I Cor., IV, 13. 343 Seigneur donnant lieu à cette nouvelle affliction dé son Épouse, ils demandèrent avec sévérité la causé de ce trouble. Et la paisible colombe se taisant, les autres filles répondirent avec beaucoup d'indignation et dirent : " Marie de Nazareth nous inquiète toutes par son terrible naturel, et nous insulte en votre absence de telle sorte, que si elle ne sort du Temple; il ne nous sera pas possible de vivre en paix avec elle. Si nous la supportons elle est hautaine, et si nous la reprenons elle se moque de nous, se prosternant à nos pieds avec une humilité feinte, et ensuite elle nous brouille ensemble par ses murmures. " 702. Les prêtres et la maîtresse menèrent la Reine de l'univers à une autre chambre, et là ils la reprirent avec une sévérité proportionnée à la créance qu'ils donnèrent alors à ses compagnes; et après l'avoir exhortée de se corriger et d'agir comme l'où devait agir dans la maison de Dieu, ils la menacèrent que si elle ne le faisait, ils la congédieraient du Temple. Cette menace fut le plus grand châtiment qu'on lui pouvait donner, comme si elle eût été coupable, étant pourtant innocente en toutes les manières. Ceux qui recevront l'intelligence et la lumière du Seigneur pour connaître quelque partie de la très profonde humilité de l'auguste Marie, comprendront quelque chose des effets que ces mystères causaient dans son cœur très-bon, parce qu'elle se croyait la plus, abjecte des enfants d'Adam, la plus indigne de vivre parmi eux et de marcher même sur la terre. La très-prudente Vierge s'attendrit un peu par cette menace, 344 et, mêlant ses paroles avec ses larmes, elle répondit aux prêtres ; " Mes seigneurs, je vous remercie de la faveur que vous me faites de me reprendre et de m'enseigner, comme la plus imparfaite et la plus digne de correction; mais je vous supplie de me pardonner, puisque vous êtes les ministres du Très-Haut, de dissimuler mes fautes et de me conduire en toutes choses, afin que dans la suite je puisse mieux plaire à sa divine Majesté et à mes sœurs, que je n'ai fait jusqu'à présent; c'est ce que je propose de nouveau avec la grâce du Seigneur, et je commente dès maintenant. " 703. Notre Reine ajouta d'autres raisons remplies de sincérité et de modestie, de sorte que la maîtresse et les prêtres la laissèrent, après l'avoir avertie de nouveau de ce en quoi elle était très-savante. Elle s'en alla incontinent joindre ses compagnes, et, se prosternant à leurs pieds, elle leur demanda pardon, comme si les fautes qu'on lui imputait eussent pu se trouver en elle, qui était la Mère de l'innocence. Alors elles la reçurent avec quelque douceur, croyant que ses larmes étaient des effets du châtiment et de la correction des prêtres et de la maîtresse, qu'elles avaient réduits à leurs mauvaises intentions. Le dragon, qui tramait secrètement cette insigne méchanceté, augmenta la fierté de toutes ces filles, élevant leurs cœurs imprudents à une plus grande témérité; et, comme elles avaient déjà fait quelque impression dans celui des prêtres, elles continuèrent avec plus d'effronterie de tâcher de leur faire perdre, par de nouvelles inventions, l'estime qui leur 345 pouvait encore rester pour la très-sainte Vierge. Elles inventèrent pour cela de nouveaux mensonges par l'impulsion du même démon; mais le Très-Haut ne souffrit jamais qu'on dit ni présumât des choses fort considérables ni indécentes de celle qu'il avait choisie pour être Mère très-sainte de son Fils unique. Il permit seulement que l'indignation et la tromperie des filles du Temple exagérassent beaucoup quelques petites fautes qu'elles avaient controuvées, et que leur malice lui imputait; toutes ces subtilités ne servirent qu'à découvrir leur méchanceté, qui, étant jointe aux réprimandes de la maîtresse et des prêtres, donnait occasion à notre très-humble et très-innocente Marie d'exercer les vertus et d'accroître les dons du Très-Haut et ses propres mérites. 704. Tout ce que notre Reine faisait était agréable aux yeux du Seigneur, qui trouvait ses délices dans la très-suave odeur de cet humble nard (1), méprisé et maltraité des créatures qui ne le connaissaient pas. Elle redoublait ses plaintes et ses larmes par la longue absence de son bien-aimé; et dans une de ces occasions elle lui dit ; " Mon souverain bien et Seigneur des miséricordes infinies, on ne doit pas être sur pris si toutes les créatures me baissent et s'arment contre moi, puisque vous, qui êtes mon Maître et mon Créateur, m'avez abandonnée. Mon ingratitude envers vos bienfaits mérite bien plus de rigueur; mais je vous reconnais et vous avoue toujours pour (1) Cant., I, 11. 346 mon, refuge et mon trésor : vous seul êtes ma richesse, mon bien-aimé et mon repos; et si vous m'êtes tout cela et que vous soyez absent de moi, comment est-ce que mon coeur affligé pourra se consoler et s'apaiser? Les créatures font ce qu'elles doivent à mon égard; elles n'arrivent pas même à me traiter comme je le mérite, parce que vous êtes doux à affliger et très-libéral à récompenser. Faites, mon Seigneur et mon Père, une juste compensation de mes négligences avec la douleur que votre absence me cause, et rendez avec largesse le bien que a vos créatures me procurent, en m'obligeant à toua paître toujours plus votre bonté et ma bassesse; élevez, Seigneur, l'indigente de la poussière (1); renouvelez celle qui est la plus abjecte des créatures, et faites que je voie votre divine face, et je serai sauvée (2). " 705. Il n'est pas possible ni même nécessaire de raconter tout ce qui arriva à notre grande Reine dans cette épreuve de ses vertus; mais, la laissant en elle-même pour le présent, nous dirons qu'elle est un modèle animé qui nous doit enseigner à supporter avec joie les plus rudes tribulations, puisque nous sommes dans la nécessité de recevoir de très-rigoureuses peines et de très-dures afflictions pour satisfaire à nos péchés et dompter notre orgueil sous le joug de la mortification. Notre très-innocente colombe ne commit aucun péché, il ne se trouva aucune faute en elle, et elle souffrit (1) I Reg., II, 8. - (2) Ps. LXXIX, 4. 347 avec un humble silence et une patience inébranlable d'être gratuitement haïe et persécutée. Soyons donc confondus en sa présence, nous qui prenons la moindre injure pour une offense irréparable (quoiqu'elles doivent être toutes légères à ceux qui se sont attiré la colère de Dieu), n'ayant même aucun repos que nous ne nous en soyons vengés. Le Très-Haut pouvait éloigner de son élue et de sa Mère toute sorte de persécution; mais s'il eût usé en cela de son pouvoir, il ne l'eut pas manifesté en se conservant celle qui était persécutée, il ne lui aurait pas donné des gages si assurés de son amour, ni elle n'aurait pas joui du doux fruit d'aimer ses ennemis et ses persécuteurs. Nous nous rendons indignes de tant de biens lorsque, dans les injures qu'on nous fait, nous élevons la voix contre les créatures, et le coeur orgueilleux contre Dieu même, qui les gouverne en toutes choses, et elles ne veulent point s'assujettir à leur Créateur et à leur justificateur, qui sait et connaît ce dont elles ont besoin pour faire leur salut. Instruction de la Reine du ciel. 706. Puisque vous faites réflexion, ma fille, sur le modèle qu'on peut trouver dans ces événements, je veux qu'il vous serve d'instruction, afin que vous la conserviez avec estime dans votre coeur, le disposant 348 à recevoir avec joie les persécutions et les calomnies des créatures, quand vous aurez le bonheur de participer à ce bienfait. Les enfants de perdition, aveuglés de la vanité qu'ils suivent, ne découvrent pas le trésor que la souffrance et le pardon des injures renferment; ils font gloire de la vengeance, qui est même, selon la loi naturelle, la plus grande des bassesses et le plus noir de tous les vices, parce qu'elle part d'un cœur inhumain et s'oppose le plus il. la raison : au contraire, celui qui les pardonne et les oublie, quoiqu'il n'ait pas la foi divine ni la lumière de ]'Évangile, devient par cette magnanimité comme roi de la même nature, parce qu'il reçoit d'elle ce qui en est le plus noble et le plus excellent, et n'est point sujet à l'infâme tribut de se rendre irraisonnable par la vengeance. 707. Que si le vice de la vengeance s'oppose si fort à la même nature, considérez, ma chère fille, quelle opposition il y aura entre elle et la grâce, et combien le vindicatif sera odieux et horrible aux yeux de mon très-saint Fils, qui se fit homme passible, et qui ne mourut et souffrit que pour pardonner, et qu'afin que le genre humain obtint le pardon des injures commises contre le même Seigneur. La vengeance s'oppose à cette intention, à ses œuvres, à sa propre nature, à sa bonté infinie, et elle détruit en quelque façon Dieu, du moins autant qu'il dépend du vindicatif; ainsi il mérite que Dieu emploie tout son pouvoir pour l'anéantir. Il y a la même différence entre celui qui pardonne les injures et le vindicatif, qu'entre le Fils unique et 349 l'ennemi de nos âmes : celui-ci provoque toute la force de l'indignation de Dieu, et l'autre mérite et acquiert tous les biens, parce qu'il est en cette grâce la très-parfaite image du Père céleste. 708. Je veux que vous sachiez , ma fille, que le Seigneur agréera plus de vous voir souffrir et pardonner les injures avec un coeur tranquille pour son amour que si vous faisiez par votre choix de rudes pénitences et versiez même votre propre sang. Humiliez-vous envers ceux qui vous persécutent, aimez-les et priez pour eux de tout votre coeur ; par cette pratique votre amour s'attirera le coeur de Dieu , vous monterez au degré le plus parfait de la sainteté et vous vaincrez tout l'enfer. Par mon humilité et ma douceur je confondais ce grand dragon, persécuteur des hommes; sa fureur ne pouvait supporter ces vertus, qui le chassaient de ma présence plus vite que la foudre; ainsi je remportai par leur moyen de grandes victoires pour mon âme et de glorieux triomphes pour l'exaltation de la Divinité. Quand quelque personne s'emportait contre moi , je ne concevais aucune indignation contre elle, parce que je connaissais fort bien qu'elle était un instrument du Très-Haut, dont sa divine providence se servait pour mon propre avantage; cette connaissance et la considération que je faisais , qu'elle était créature de mon Seigneur et capable de sa grâce, m'inclinaient et me forçaient même à l'aimer avec sincérité , et je n'étais point en repos que je ne lui eusse procuré, autant qu'il m'était possible , le salut éternel en récompense de ce bienfait. 350 709. Tâchez donc d'imiter ce que vous avez découvert et écrit; montrez-vous très- douce, très-pacifique et très-agréable à ceux qui vous seront importuns ; faites-en une estime particulière, et gardez-vous de prendre vengeance du même Seigneur en la prenant de ses instruments; ne méprisez point la précieuse perle des injures, et autant qu'il dépendra de vous, rendez toujours le bien pour le mal, le bienfait pour les offenses, l'amour pour la haine, la louange pour les opprobres, la bénédiction pour les imprécations, et vous serez fille parfaite de vôtre Père (1), épouse bien- aimée de votre Maître, mon amie et ma très-chère. CHAPITRE XIX. Le Très-Haut découvrit aux prêtres l'innocence de la très-sainte Vierge, et à elle-même que heureuse mort de sa mère sainte Anne s'approchait, à laquelle elle se trouva. 710. Le Très-Haut ne dormait point (2) parmi les douces plaintes de sa très-chère épouse Marie : au contraire, il leur donnait toutes ses attentions, quoiqu'il lit semblant de ne les pas entendre, à cause des (1) Rom., XII, 14; Matth., V, 48. - (2) Ps., CXX, 4. 351 grandes complaisances qu'il prenait de la voir continuer avec tant de constance dans l'exercice de ses peines, qui lui procuraient de si glorieux -triomphes et causaient tant de nouveaux sujets d'admiration et de louange aux esprits angéliques. Le feu lent de cette persécution dont nous venons de parler, durait toujours, afin que la divine Marie se renouvelât comme un phénix dans les cendres de son humilité, et que son très-amoureux coeur et son très-pur esprit renaquissent en un être et en un état nouveau de la divine grâce. Mais quand le temps auquel Dieu avait déterminé d'arrêter l'envie et l'émulation aveugle de ces filles déçues fut arrivé, ne voulant pas permettre que leurs puérilités fissent perdre le crédit à celle qui devait être l'honneur et la beauté de toute la nature et de la grâce , alors ce miséricordieux Seigneur parla en songe au prêtre, et lui dit : " Ma servante Marie est agréable à mes yeux, elle est parfaite, elle est mon élue, et très-innocente de ce dont on l'accuse. " Anne, la maîtresse des filles, reçut la même révélation. Et sitôt qu'il fut jour le prêtre et la maîtresse se communiquèrent la lumière et l'avis qu'ils venaient de recevoir du Seigneur. Cette connaissance céleste qu'ils eurent d'avoir été trompés, leur causa une sensible douleur; ils appelèrent notre auguste Princesse, lui demandèrent pardon d'avoir trop facilement ajouté foi aux fausses accusations de ses compagnes, et lui proposèrent tous les expédients possibles pour la retirer et pour la défendre de leur persécution et des peines qu'elle en pouvait recevoir. 352 711. Celle qui était mère de l'humilité ouït cette proposition, et répondit au prêtre et à la maîtresse : " C'est à moi que les corrections sont dues, c'est pourquoi je vous supplie de me les continuer, puisque je les demande et les estime comme en ayant un grand besoin. La compagnie de mes soeurs m'est fort agréable, et je veux faire tout mon possible pour ne la pas perdre et pour la mériter, puisque je leur suis si redevable de ce qu'elles m'y ont soufferte; et en reconnaissance de cette faveur je désire toujours plus de les servir; mais si vous me commandez quelque autre chose, je suis prête à vous obéir." Cette réponse de l'auguste Marie confirma et consola davantage le prêtre et la maîtresse des filles; ils approuvèrent son humble demande, mais dans la suite ils en prirent un plus grand soin, la regardant avec un nouveau respect et une affection plus tendre. La très-humble Vierge demanda, selon sa coutume, au prêtre et à la maîtresse de baiser leurs mains et ensuite leur bénédiction, après quoi ils la laissèrent. Mais comme le courant d'une eau cristalline entraîne après soi les sens et la volonté de celui qui en est altéré; ainsi le coeur de notre incomparable Dame fut attiré par le désir de nouvelles souffrances, car étant altérée et embrasée de l'amour divin, elle craignait avec douleur d'être privée du riche trésor des afflictions par les expédients que le prêtre et la maîtresse avaient résolu de prendre. 712. Notre Reine se retira incontinent, et parlant au Très-Haut dans sa solitude, elle lui dit ; " Pourquoi, mon aimable Seigneur, usez-vous de tant de rigueur envers moi? Pourquoi une si longue ab sente et un si grand oubli de celle qui ne peut vivre sans vous? Que si dans ma triste solitude privée de votre douce et amoureuse vue, les gages assurés de votre amour qui étaient les petits travaux que je souffrais pour lui, me consolaient, comment pour rai-je vivre maintenant dans les peines de votre absence sans ce soulagement? Pourquoi, Seigneur, me retirez- vous sitôt cette faveur? Quel autre que vous eût pu changer le coeur des prêtres et de la maîtresse? Mais je ne méritais pas la grâce de leurs charitables corrections, et je ne suis pas digne de souffrir des travaux, puisque je ne le suis pas non plus de jouir de votre très-douce et très-désirée présence. Si je n'ai pas su vous plaire, mon divin Seigneur, je me corrigerai à l'avenir de mes négligences, et si vous donnez quelque soulagement à mes peines, elles n'en pourront recevoir aucun pendant que mon âme sera privée des délices (le o votre divine face; mais je désire, mon époux, avec ardeur et soumission, que votre très-sainte volonté s'accomplisse en toutes chose. " 713. Les prêtres et la maîtresse ayant été désabusés par cet avertissement, la persécution que souffrait notre souveraine Princesse cessa; le Seigneur adoucit aussi la mauvaise humeur des filles qui la lui faisaient souffrir, arrêtant la fureur du démon qui les irritait. dais l'absence par laquelle il se cachait à sa divine 354 Épouse dura (chose étrange) l'espace de dix ans, bien que le Très-Haut l'interrompit quelquefois, tirant le voile de sa face afin que sa bien-aimée reçût quelque soulagement; ces doux intervalles ne lui furent pourtant pas fort fréquents pendant ce temps-là, et elle ne les recevait point avec tant de caresses que dans les premières années de son enfance. Cette absence du Seigneur fut convenable, afin que notre Reine se disposât par l'exercice de toutes les vertus et avec une perfection accomplie, à la dignité à laquelle le Très-Haut la destinait; que si elle eût joui toujours de la vue de sa divine Majesté par les manières qui lui étaient successivement et si souvent communiquées dans le temps de son enfance (comme nous avons déjà déclaré au chapitre XIVe de ce livre), elle n'e 7/30 INTRODUCTION DE LA DEUXIÈME PARTIE. De l'Histoire divine, et de la très-sainte vie de Marie, Mère de Dieu. DEUXIÈME PARTIE. QUI CONTIENT LES MYSTÈRES DEPUIS L'INCARNATION DU VERBE DANS LE SEIN VIRGINAL DE MARIE JUSQU'À SON ASCENSION. LIVRE TROISIÈME. QUI CONTIENT LA TRÈS-HAUTE DISPOSITION QUE LE TOUT-PUISSANT OPÉRA EN LA TRÈS-SAINTS VIERGE POUR L'INCARNATION DU VERBE. - CE QUI CONCERNE CE MYSTÈRE. - LE TRÈS-SUBLIME ÉTAT AUQUEL L'HEUREUSE HÈRE SE TROUVA. - LA VISITE QUELLE FIT A SAINTE ÉLISABETH, ET LA SANCTIFICATION DE JEAN-BAPTISTE. - LE RETOUR A NAZARETH, ET UN FURIEUX COMBAT QU'ELLE EUT AVEC LUCIFER. CHAPITRE I. Le Très-Haut commence à disposer la très-sainte Vierge su mystère de l'Incarnation, et le tout s'exécute pendant les neuf jours qui précédèrent cet auguste mystère. - On commence par déclarer ce qui arriva dans le premier jour. Instruction, que la Reine du ciel me donna. CHAPITRE II. Dans le second jour, le Seigneur continue en la très-sainte Vierge les faveurs et les dispositions pour l'incarnation du Verbe. Instruction de la Reine die ciel. CHAPITRE III. Qui continue ce que le Très-Haut communiqua à la très-sainte Vierge dans le troisième jour. Instruction que notre auguste Reine me donna. CHAPITRE IV. Le Très-Haut continue ses bienfaits à la très-sainte Vierge dans le quatrième jour. Instruction que la divine Reine me donna. CHAPITRE V. Le Très-Haut manifeste de nouveaux mystères à la très- sainte.Vierge en lui découvrant les œuvres du cinquième jour de la création. - Elle renouvelle ses demandes pour l'incarnation du Verbe. Instruction que la Reine du ciel me donna. CHAPITRE VI. Le Très-Haut manifeste à notre Reine d'autres mystères, et les œuvres du sixième jour de la création. Instruction que la divine Dame me donna. CHAPITRE VII. Le Très-Haut célèbre de nouvelles épousailles avec la Princesse du ciel pour la préparer aux noces de l'incarnation. Instruction que la très-sainte Vierge me donna. CHAPITRE VIII. Notre grande Reine demande, en la présence du Seigneur, l'exécution de l'incarnation et de la rédemption du genre humain, et sa divine Majesté lui accorde sa demande. Instruction de la Reine du ciel. CHAPITRE IX. Le Très-Haut fait de nouvelles faveurs à la très-sainte Vierge. - Il la met de nouveau en possession de l'empire de toutes les créatures, et ce fut la dernière disposition qu'elle reçut pour l'incarnation du Verbe. Instruction que la très-sainte Vierge me donna. CHAPITRE X. La très-sainte Trinité envoie l'archange Gabriel pour annoncer à la très-pure Mère qu'elle était choisie pour être la Mère de Dieu. Instruction de la Reine du ciel. CHAPITRE XI. La très-pure Marie reçoit l'ambassade du saint archange. - Le mystère de l'Incarnation s'accomplit, elle conçoit le Verbe éternel dans son sein virginal. Instruction de la Mère de Dieu. CHAPITRE XII. De ce que la très-sainte âme de notre seigneur Jésus-Christ fit dans le premier instant de sa conception, et ce que sa très-pure Mère opéra alors. Instruction que notre auguste Reine me donna. CHAPITRE XIII. Qui déclare l'état où se trouva la très-sainte Vierge après l'incarnation du Verbe dans son sein virginal. Réponse et instruction de notre Reine. CHAPITRE XIV. Des soins que la très-sainte Vierge prenait de sa grossesse, et de plusieurs choses qui lui arrivèrent pendant ce temps. Instruction de la Mère de Dieu. CHAPITRE XV. La très-pure Marie sut que c'était la volonté du Seigneur qu'elle allât voir sainte Élisabeth. - Elle en demande la permission à saint Joseph sans lui déclarer autre chose. Instruction de la Reine du ciel, ANNEXE. (Note sur Marie d'Agréda) INTRODUCTION DE LA DEUXIÈME PARTIE. De l'Histoire divine, et de la très-sainte vie de Marie, Mère de Dieu. 1. Lorsque je présentais à la divine Majesté le petit service et le travail de ce que j'avais écrit sur la première partie de la très-sainte vie de Marie, Mère de Dieu, pour soumettre à la correction de sa divine lumière ce que j'en avais exprimé par son secours, mais selon mon pauvre génie, je voulus en même temps savoir de nouveau, pour ma consolation, si le tout était du bon plaisir du Très-Haut, et s'il me commandait de continuer ou de suspendre cet ouvrage, si fort au-dessus de ma portée. Le Seigneur me répondit : " Vous avez bien écrit, et ce que vous avez fait a été de notre bon plaisir; mais nous voulons que vous sachiez que vous avez besoin d'une nouvelle et plus grande disposition pour manifester les très-hauts mystères renfermés dans le reste de la vie de notre incomparable et bien-aimée Épouse, Mère de notre Fils unique. Nous voulons que vous mouriez entièrement à tout ce qui est imparfait 432 et visible, et que vous viviez selon l'esprit; que vous renonciez à toutes les opérations et à toutes les coutumes de la créature, afin que les vôtres, purifiées et conformées à ce que vous devez apprendre et écrire, soient plutôt de l'ange. " 2. J'aperçus dans cette réponse du Très-Haut que sa divine Majesté m'ordonnait et exigeait de moi une manière de pratiquer les vertus si nouvelles et une si haute perfection de vie et de mœurs, qu'étant comme dans la méfiance de moi-même, je me trouvai toute troublée et tremblante d'entreprendre une chose si ardue et si difficile pour une créature terrestre. Je ressentis en moi de grandes contradictions entre la chair et l'esprit (1). Celui-ci m'appelait par une force intérieure, m'excitant à acquérir la parfaite disposition que le Seigneur me demandait; et pour ses raisons, il m'alléguait la grande complaisance du même Seigneur et mes propres avantages. Celle là me contredisait, résistait à la divine lumière et me faisait perdre courage, me jetant dans de terribles craintes de mon inconstance (2). Je sentais dans ce combat une sorte de résistance qui me retenait et une lâcheté qui me terrassait; et dans ce trouble je me persuadais toujours plus que je n'étais pas capable de traiter de choses si relevées et si éloignées de la condition de mon sexe. 3. Vaincue par la crainte et par la difficulté, je me déterminai de ne poursuivre pas cet ouvrage, et de faire tout mon possible pour cela. L'ennemi commun connut ma lâcheté, et, comme sa cruauté s'acharne davantage contre les faibles et les timides, se prévalant de l'occasion, il (1) Galat., V, 17. - (2) Rom., VII, 23. 433 m'attaqua avec une fui mur incroyable, parce qu'il lui semblait me trouver abandonnée de Celui qui me pouvait délivrer de ses mains; pour déguiser sa malice, il tâchait de se transformer en ange de lumière, feignant d'être fort zélé pour mon âme et pour mon avancement; et, sous ce faux prétexte, il s'opiniâtrait à me persuader que j'étais prête à faire naufrage, m'exagérant le péril de ma damnation, et me menaçant d'un châtiment semblable à celui du premier ange (1), parce qu'il me représentait que j'avais voulu entreprendre par orgueil ce qui était au-dessus de mes forces et contre Dieu même. 4. Il me proposait plusieurs âmes qui, faisant profession de la vertu, avaient été déçues par quelque secrète présomption, et pour avoir donné lieu aux tentations du serpent; et il me faisait entendre que de scruter les secrets de la Majesté divine, comme je faisais, cela ne pouvait pas être sans un orgueil fort téméraire (2) dans lequel je me trouvais plongée. Il insista beaucoup sur ce que les temps présents étaient malheureux pour ces sortes de matières, et il le confirma par quelques exemples de différentes personnes assez connues qui y avaient été trompées; par les troubles et les frayeurs que plusieurs autres reçurent en voulant entreprendre de mener une vie spirituelle; par le déshonneur que la moindre imperfection qu'on découvrirait en moi me procurerait, et par les mauvais effets que mon entreprise causerait en ceux qui ont peu de piété, m'assurant que je connaîtrais tout cela par expérience et à mon préjudice, si je continuais à écrire sur celte matière. Étant une chose certaine que toutes les contradictions que souffre la vie spirituelle et (1) Isa., XIV, 10. - (2) Prov., XXV, 27. 434 le mauvais accueil que le monde fait aux idées mystiques sont l'ouvrage de cet ennemi mortel, qui, pour détruire la dévotion et la vertu chrétienne en plusieurs, tâche d'en tromper quelques-uns et de semer son ivraie parmi la bonne semence du Seigneur pour l'étouffer (1), s'il pouvait, et pour détourner le véritable jugement qu'on doit faire des choses, afin que l'on ait parce moyen plus de difficulté de séparer les ténèbres de la lumière; et cette difficulté ne me. surprend pas, parce que cette séparation est réservée à Dieu et à ceux qui participent à la véritable sagesse, et qui ne se gouvernent point par celle de la chair. 5. Il est difficile de discerner, durant la vie mortelle, la véritable prudence d'avec la fausse; parce que, bien souvent même, la bonne intention et le zèle éblouissent le jugement humain, s'il n'est sur ses gardes et éclairé de la lumière céleste. Et c'est ce que j'ai découvert dans cette occasion; parce que plusieurs personnes que je connaissais, les unes par dévotion, les autres par amitié et par zèle de mon avancement, et d'autres par mépris, toutes tâchèrent en un même temps de me dissuader de continuer cet ouvrage, et de me détourner du chemin que le suivais, comme si je l'avais choisi moi-même : et l'ennemi ne me troubla pas médiocrement par le moyen de ces personnes, parce que la crainte de quelque confusion ou de quelque déshonneur, qui pouvait arriver à ceux qui exerçaient leur charité à mon égard, à la religion et à mes parents, et singulièrement au monastère où je suis, leur causait de très-grandes peines, et à moi des afflictions bien. sensibles. La sûreté qu'on me promettait (1) Matth., XIII, 25. 435 en suivant le chemin ordinaire des autres religieuses m'ébranlait extrêmement. Et je confesse que cela s'accordait davantage avec mes inclinations naturelles et mes désirs, et beaucoup plus avec ma faiblesse et mes terreurs. 6. Mon coeur étant agité parmi ces flots impétueux, je tâchai d'arriver au port de l'obéissance, qui me rassurait dans la mer amère de ma confusion. Et ce qui augmenta mes peines, fut qu'on parlait dans cette occasion d'employer à de plus hautes charges de la religion mon Père spirituel et supérieur, qui avait conduit mon âme durant plusieurs années et connu mon intérieur et mes persécutions; qui m'avait aussi ordonné d'écrire tout ce qui m'était inspiré, me faisant espérer que par sa direction j'arriverais à bon port, et je jouirais du repos et de la consolation. Ce projet ne fut point exécuté, mais il s'absenta dans cette conjoncture pour un assez long temps, et le dragon infernal se prévalait de tout cela pour faire déborder sur moi le fleuve de ses plus furieuses tentations (1) : ainsi, dans cette rencontre comme dans plu. sieurs autres, il employa toute sa malice à vouloir me détourner de l'obéissance et des bons avis de mon supérieur, mais tous ses efforts furent vains. 7. Le démon joignit à toutes les traverses et les tentations que je dis, et à plusieurs autres que je ne puis raconter, la perte de ma santé, dont il me priva en me causant plusieurs indispositions et en altérant toutes mes humeurs. Il me suscita une tristesse invincible, il me! troubla le cerveau, et il me semble qu'il voulait obscurcir l'entendement, empêcher la raison, affaiblir la volonté (1) Apoc., XII, 15. 435 et me bouleverser entièrement quant à l'âme et quant au corps. Et c'est ce qui arriva, parce que, dans la confusion on j'étais, je tombai dans quelques manquements assez considérables pour moi; et, quoique je les tisse plus par fragilité humaine que par malice, néanmoins le serpent s'en prévalut plus que d'aucun autre moyen pour m'abattre; parce que, m'ayant troublé le cours des bonnes oeuvres pour me faire tomber, il lâcha ensuite sa fureur en me délivrant de ces troubles, afin que je connusse avec une plus grande réflexion lés fautes que j'avais commises. Il me seconda en cela par des suggestions aussi impies que spécieuses, voulant me persuader que tout ce qui s'était passé à mon égard, dans les voies ou je suis, était faux et trompeur. 8. Comme cette tentation se présentait ainsi, accompagnée du remords de fautes réellement commises et du cortége de toutes les terreurs qui m'assaillaient sans cesse, je lui résistai moins qu'aux autres; et ce fut une singulière miséricorde du Seigneur que je ne perdisse pas entièrement dans cette situation l'espérance et la foi d'y obtenir un remède. Mais je fus si remplie de confusion et si fort abîmée dans les ténèbres, que je puis dire que les frayeurs de la mort et les douleurs de l'enfer m'environnèrent (1), et, m'ayant portée jusqu'à reconnaître le dernier péril, je me déterminai à brûler les écrits de la première partie de cette divine histoire pour ne pas poursuivre la seconde. Et le démon ajouta à cette résolution qu'il m'inspirait la pensée de tout quitter, me faisant entendre que je ne devais plus traiter des voies de la vie spirituelle ni de ce qui se passait dans mon intérieur, (1) Ps. XVII, 5 et 6. 437 et que je ne devais plus m'y amuser ni le communiquer à personne; moyennant quoi je pouvais faire pénitence de mes péchés et apaiser le Seigneur, qui était irrité contre moi. Pour assurer davantage sa, malice cachée, il me proposa de faire voeu de n'écrire plus, à cause du danger qu'il y avait d'être trompée et de tromper, pour ne. plus prendre soin que de corriger ma vie, d'en retrancher les imperfections et d'embrasser la pénitence. 9. Par toutes ces apparences de vertu, le dragon prétendait donner du crédit à ses mauvais conseils, et se couvrir de la peau de brebis, n'étant cependant qu'un loup carnassier et ravissant. Il s'obstina quelque temps é cette lutte; et je fus (surtout pendant quinze jours) dans une nuit fort ténébreuse, sans repos et sans aucune consolation divine ni humaine, parce que le conseil de mon directeur et le secours de l'obéissance me manquaient, et que d'ailleurs le Seigneur avait suspendu les, effusions de ses faveurs, les communications et les lumières intérieures qu'il m'avait auparavant accordées. C'est surtout la perte de ma santé qui me tourmentait, et avec elle 1a pensée des approches de la mort et du péril de ma damnation : car l'ennemi dressait et faisait jouer toutes ses machines. 10. Mais, comme il ne laisse dans son départ que des amertumes insupportables et des sentiments de désespoir, le même trouble dont il se servait pour altérer toutes mes puissances et les habitudes acquises, me rendit plus avisée pour n'exécuter aucune des choses auxquelles il me poussait, ou que je projetais dans mon désordre. Il ne cessait de se servir de la crainte pour me crucifier l'âme; me faisant constamment prévoir le danger, d'offenser Dieu et de perdre son amitié, et en outre, il 438 m'objectait l'ignorance que j'avais des choses divines, pour me les faire suspecter de fausseté. Mais cette même crainte me faisait douter aussi sur ce que le fin dragon me persuadait, et par ce doute j'étais empêchée de lui ajouter foi. Les égards que j'avais pour l'obéissance m'étaient pareillement d'un grand secours, mes supérieurs m'ayant commandé d'écrire et de faire tout le contraire de ce que je sentais dans ces sortes de persuasions, m'ordonnant de leur résister et de n'en faire aucun cas. Joint qu'une secrète protection du Très-Haut me défendait, et ne voulait point abandonner aux bêtes l'âme qui le glorifiait parmi tant de troubles et d'afflictions, quoique ce fût avec des gémissements et des soupirs continuels. Je ne puis trouver des termes pour exprimer les tentations, les résistances, les insultes, les peines, les douleurs que je ressentis dans ce combat, parce que je me vis dans un tel état, que je crois qu'intérieurement il n'y avait point d'autre différence de celui-là à celui des damnés, sinon qu'en celui-ci il n'y a aucune rédemption, et en l'autre il peut y en avoir. 11. En un de ces jours, pour respirer un peu, je m'écriai du profond de mon coeur, et je dis : Hélas! en quel état suis-je? Une âme qui s'y trouve est digne de compassion. Où irai-je, tous les ports de salut me sont fermés? A quoi une voix forte et douce me répondit intérieurement : Où voulez-vous aller, si vous n'avez recours à Dieu ? Je compris par cette réponse que mon remède favorable me viendrait du Seigneur, et par le secours de cette lumière je commençai à sortir du sombre abattement où j'étais tombée, et je sentis une force qui m'animait dans les désirs et dans les actes de foi, d'espérance et de charité. Je m'humiliai en la présence du 439 Très-Haut, et ayant une confiance assurée en sa bonté infinie, je pleurai mes péché, avec une amère contrition, je m'en confessai plusieurs fois, et je me mis à chercher avec de plus profonds soupirs mon ancienne lumière et mon unique vérité. Et comme la sagesse divine prévient les désirs de celui qui l'appelle, elle me vint à la rencontre avec un visage serein (1), chassa les ténèbres de ma confuse nuit, et calma la tempête qui me causait tant de frayeur. 12. Enfin le beau jour que je désirais parut; je recouvrai ma première tranquillité, jouissant de la douceur dé l'amour et de la vue de mon Seigneur et de mon Dieu; et par cette vue je. connus les motifs que j'avais de croire, d'approuver et de respecter les faveurs de son bras tout-puissant qui opérait en moi. Je lui en témoignai mes reconnaissances autant qu'il me fut possible; je connus ce que je suis, ce que Dieu est, et ce que la créature peut par elle seule, et qu'elle n'est qu'un pur néant; je connus les raisons que nous avons de dire que le péché l'est aussi, et ce que cette même créature peut, étant élevée et assistée dé la droite du Tout-Puissant, qui est sans doute beaucoup plus que ce que nous pouvons concevoir; et, abîmée dans la connaissance de ces vérités et en la présence de la lumière inaccessible (qui est grande, forte, à l'abri de l'illusion et de l'erreur), j'épanchais toute mon âme en de douces affections d'amour, de louange et de reconnaissance, parce que cette lumière m'avait si fort protégée dans la nuit de mes tentations, que par son moyen ma lampe n'y fut point éteinte (2); et pour reconnaître ce bienfait (1) Sap., VI,17. - (2) Prov., XXXI, 18. 440 j'aurais voulu m'humilier jusqu'au centre de la terre. 13. Pour me confirmer dans cette faveur; je reçus une correction intérieure sans connaître clairement qui me la faisait; je fus blâmée avec sévérité de mon peu de foi et de ma mauvaise conduite; l'on m'exhortait, et en même temps on m'éclairait avec une aimable majesté, de sorte que je fus corrigée et enseignée tout ensemble. Dans celte correction je reçus de nouvelles notions du bien et du mal, de la vertu et du vice, de ce qui est certain et utile, favorable et contraire. Celui qui me la faisait me découvrait le chemin de l'éternité, en me donnant une connaissance des principes, des moyens et des fins, de l'estime qu'on doit faire de la vie éternelle , et de l'appréhension que l'on doit avoir du mal. heur peu connu de la perdition qui n'a point de fin. 14. J'avoue que je devins muette dans la profonde connaissance de ces deux extrémités, et presque toute troublée entre la crainte de ma fragilité, qui me faisait perdre courage, et le désir d'obtenir ce dont je n'étais pas digne, parce que je me trouvais sans mérites. La miséricorde du Seigneur m'animait, et l'étais affligée par la crainte que j'avais de le perdre; je regardais avec admiration les deux fins si différentes de la créature, qui consistent en la gloire et en la peine éternelle; et pour acquérir l'une et m'éloigner de l'autre, toutes les peines du monde, du purgatoire, et même de l'enfer, me paraissaient légères, Et quoique je connusse que la créature doit être certaine et assurée de la grâce divine si elle en veut l'aire son profit, néanmoins, comme je découvrais aussi en cette lumière que la mort et la vie sont entre nos mains (1), que nous pouvons perdre par (1) Eccl., IV, 18, 441 notre faiblesse ou par notre malice cette mime grâce, et que l'arbre demeurera éternellement à l'endroit où il sera tombé (1), je m'abîmais dans une douleur qui remplissait mon âme de crainte et de tristesse. 15. Une très-sévère réponse ou demande que le Seigneur me fit augmenta extrêmement cette affliction, parce que comme je me trouvais si fort anéantie dans le sentiment de ma faiblesse, du danger où je me trouvais, et du malheur que j'avais eu d'irriter sa justice, je n'osais lever les yeux en sa divine présence, et dans ce silence j'adressai mea soupirs à sa miséricorde, auxquels le Seigneur me répondit : " O âme! que voulez ? Que cherchez-vous ? Lequel de ces chemins voulez-vous choisir? " Cette demande fut une flèche qui me perça le coeur; et, bien que je fusse assurée que le Seigneur connaissait mieux mon désir que moi-même, néanmoins, l'intervalle qu'il y avait entre la demande et la réponse m'était d'une peine incroyable, parce que j'aurais souhaité que le Seigneur eût présupposé ma réponse, et qu'il n'eût point fait semblant de l'ignorer. Mais étant mue d'une grande force, je répondis à haute voix et du plus profond de mon coeur : " Seigneur et Dieu tout- puissant, c'est le chemin de la vertu et de la vie éternelle que je veux et que je choisis, afin que a vous m'y conduisiez; que si je ne le mérite pas, j'appelle de votre justice à votre miséricorde, et je présente en ma faveur les mérites infinis de votre très-saint Fils et mon Rédempteur Jésus-Christ. " 16. Je connus alors que ce souverain Juge se souvenait de la parole qu'il donna à son Église, lorsqu'il (1) Eccles., XI, 3. 442 lui promit d'accorder tout ce qu'on lui demanderait au nom de son Fils unique (1); qu'en lui et par lui il accordait ma demande selon mon pauvre désir, et que cette faveur m'était signifiée avec de certaines conditions, qu'une voix intellectuelle me déclara en me disant intérieurement: " Ame créée par la main du Tout-Puissant, si vous prétendez, comme élue, suivre le chemin de la véritable lumière et devenir la très-chère épouse du Seigneur qui vous a appelée, il faut que vous gardiez les lois et les préceptes de l'amour qu'il exige de vous. Le premier de ces préceptes consiste à renoncer entièrement à vous-même, à toutes vos inclinations terrestres, et au plus léger amour des choses passagères, afin que vous n'aimiez aucune créature visible, ni soyez en état d'en agréer l'amour, a pour utile, belle et agréable qu'elle vous paraisse: vous devez fermer la porte à leurs impressions, à leurs caresses et à leurs affections, et prendre garde que celles de votre volonté ne se terminent à aucune chose créée qu'autant que votre Seigneur et votre Époux vous le commandera, pour l'exercice de la charité bien ordonnée ou en ce qu'elle peut vous aider à n'aimer que lui seul. 17. " Et lorsque, par ce parfait renoncement, vous vous trouverez seule et libre de tout ce qui est terrestre, le Seigneur veut que vous preniez légèrement votre vol avec les ailes de la colombe jusqu'à une haute demeure, où sa divine bonté veut placer votre esprit, afin que vous y viviez et y trouviez votre repos. Ce Seigneur est un époux très-jaloux (2), et (1) Joan., XVI, 23. - (2) Exod., XX, 5. 443 son amour est fort comme la mort (1); ainsi il veut vous élever en un lieu assuré d'où vous ne devez point sortir pour descendre en un autre où vous courriez risque de perdre ses caresses. Il veut aussi vous marquer lui-même les personnes que vous pourrez fréquenter sans crainte; et c'est une très-juste loi que les e épouses d'un si grand Roi doivent observer, puisque même celles des hommes mortels l'observent quand a elles leur veulent être fidèles. La noblesse de votre Époux exige que vous gardiez une correspondance convenable à la dignité et au titre que vous en recevez, sans que vous vous attachiez à aucune chose qui soit indigne de votre état et qui puisse vous priver de l'ornement qu'il est disposé à vous donner, afin que vous entriez dans son lit nuptial. 18. " Le second précepte de l'amour demande que a vous vous dépouilliez promptement de la bassesse de a vos vêtements déchirés et souillés par vos péchés, a par vos imperfections et par les effets de ces mêmes a péchés, qui sont horribles par l'inclination de la nature dépravée. Sa divine Majesté veut laver vos taches, elle veut vous purifier et vous renouveler par sa propre beauté; mais à condition que vous ne perdrez jamais de vue les pauvres vêtements dont vous vous serez dépouillée, afin que par le souvenir de ce bien fait et par la connaissance que vous en aurez, le nard de l'humilité envoie une agréable odeur à ce grand Roi (2), et que vous n'oubliiez jamais le retour que a vous devez à l'auteur de votre salut, qui a bien voulu a vous purifier et guérir vos plaies parle précieux baume (1) Cant., VIII, 6. (2) Id., I, 11. 444 de son sang, et vous remplir abondamment de ses lumières. 19. " Outre cela (ajouta cette voix), le Seigneur veut que vous soyez ornée des joyaux qu'il vous a destinés, afin qu'ayant oublié tout ce qui est terrestre (1); votre beauté lui soit plus agréable; le vêtement qui vous doit toute couvrir sera plus blanc que la neige, plus brillant que le diamant, plus éclatant que le soleil, mais si délicat, que vous le souillerez facilement pour peu que vous vous négligiez; et si vous le faites, vous vous rendrez horrible à votre Epoux; que si vous le conservez dans la pureté qu'il désire, vos pas seront très-beaux (2), comme ceux de la fille du Prince, et sa divine Majesté regardera vos affections et vos oeuvres avec complaisance. Pour ceinture de ce vêtement, il vous donnera la connaissance de son pouvoir divin et la sainte crainte de l'offenser, afin que vos inclinations étant ceintes, vous vous ajustiez à tout ce qui sera de son bon plaisir. Les joyaux qui orneront le cou de votre humble soumission, seront les riches perles de la foi, de l'espérance et de la charité. La sagesse et la science infuse que le Seigneur vous communique et dont il parfume vos pensées et vos hautes contemplations, seront comme le bandeau qui servira à attacher votre chevelure; et les vertus seront, par leur richesse et leur éclat, les broderies qui rehausseront votre vêtement. La diligence soigneuse que vous aurez à opérer toujours ce qu'il y a de plus parfait, vous servira de chaussure dont les courroies seront la retenue et les amoureuses (1) Ps., XLIV, 11 . - (2) Cant., VII, 1. 445 chaînes qui vous empêcheront d'aller au mal. Le sept dons du Saint-Esprit seront les bagues qui rendront vos mains agréables; le blanc de votre visage sera la participation de la Divinité, qui en augmentera l'éclat par son saint amour; et vous y ajouterez le vermeil de la confusion de l'avoir offensée, qui vous empêchera par pudeur de le faire encore à l'avenir, en ne cessant jamais de comparer le pauvre vêtement que vous venez de quitter, avec l'inestimable que vous recevez maintenant. 20. Mais parce que de votre propre fonds vous n'êtes pas assez riche pour de si nobles épousailles, le Très-Haut veut affermir davantage ce contrat en vous assignant pour dot les mérites infinis de voire époux Jésus-Christ, comme s'ils fussent seulement pour vous, et il vous fait participante de ses biens et de ses trésors, qui contiennent tout ce que les cieux et la terre renferment. Tout appartient à ce souverain Seigneur (1), et vous serez maîtresse de tout pour en user en qualité de son épouse, en lui-même et pour l'aimer toujours plus. Mais sachez, ô âme! que pour jouir d'un si rare bienfait, votre Seigneur et votre Époux veut que vous vous recueilliez toute dans vous. même sans perdre jamais votre secret, parce que je vous avertis du danger où vous êtes exposée de ternir cette beauté par la plus petite imperfection, Que vous y tombez par faiblesse, ne manquez pas de vous relever incontinent avec courage et de pleurer avec reconnaissance, considérant votre faute, quoique petite, comme si elle était des plus grandes. (1) Esth., XIII, 11. 446 21." Afin que vous ayez aussi un logement convenable à un tel état, votre Époux ne veut point rétrécir votre demeure; au contraire, il a pour agréable que vous habitiez toujours dans les espaces infinis de sa divinité, et que vous vous promeniez dans les champs immenses de ses attributs et de ses perfections, où la vue s'étend sans trouver aucune borne, la volonté s'égaie sans nul sujet de crainte, et le goût se rassasie sans amertume. C'est le paradis rempli de délices et toujours plus agréable, où les très-chères épouses de Jésus-Christ se récréent, où elles cueillent les fleurs et la myrrhe odoriférante, et où l'on trouve le tout infini pour avoir renoncé au néant. C'est là où votre habitation sera assurée; et afin que votre conversation soit à la même hauteur, le Seigneur veut que vous l'ayez avec les anges , et que vous les receviez pour amis et compagnons; que , par leur fréquent commerce vous graviez en vous-même leurs vertus, et que vous les imitiez en ces mêmes vertus. 22. " Considérez, ô âme! (continua la voix) la grandeur de ce bienfait présent; car la Mère de votre Époux et la Reine du ciel vous adopte de nouveau pour sa fille, vous reçoit pour sa disciple, et s'établit a votre Mère et Maîtresse; c'est par son intercession que vous recevez tant de faveurs singulières, et elles vous sont toutes accordées afin que vous écriviez sa très. sainte vie; parce moyen vous avez reçu le pardon que vous ne méritiez pas, et en vue de cette mission, il vous a été accordé ce qu'autrement vous n'auriez pas obtenu. Que serait-ce de vous, si la Mère de miséricorde ne vous protégeait? Vous seriez déjà perdue si 447 son intercession vous eût manqué; et vos oeuvres eussent été pauvres et inutiles si vous n'eussiez pas été élue par la divine bonté pour écrire cette histoire; mais le Père éternel regardant cette fin, vous choisit pour sa fille et pour épouse de sort Fils unique; le Fils vous reçoit afin que vous participiez à ses plus tendres embrassements , et le Saint-Esprit vous fait entrer dans ses illuminations. L'écriture de ce contrat et de ces épousailles est imprimée sur le papier blanc de la pureté de l'auguste Marie; elle est tracée par le doigt et par la puissance du Très- Haut, l'encre est le sang de l'Agneau, le Père éternel en est l'exécuteur, et le Saint- Esprit est le lien qui vous unira à Jésus-Christ, et les mérites du même Jésus-Christ et de sa Mère serviront de caution, puisque vous êtes un pauvre vermisseau qui n'a rien à offrir, et l'on ne demande que votre volonté. 23. La voix qui m'instruisait ne se fit plus entendre. Et, bien que je jugeasse qu'elle fût d'un ange, néanmoins je ne le connus pas si clairement alors pour en être assez bien persuadée, parce que je ne le voyais point comme les autres fois. Car lorsque ces sortes de faveurs se manifestent ou se cachent, elles s'accommodent à la disposition qui est en l'âme pour les recevoir, comme il arriva aux disciples d'Emmaüs (1). J'eus pour vaincre les oppositions que le serpent me suscitait afin de m'empêcher d'écrire cette divine histoire, plusieurs autres moyens que je ne raconte pas maintenant, pour ne pas allonger le discours; je continuai pourtant quelques jours ma prière, demandant au Seigneur qu'il me (1) Luc., XXIV, 16. 448 conduisit et qu'il m'enseignât, afin que je ne tombasse point dans l'erreur, lui représentant mon insuffisance et mes craintes. Sa divine Majesté me répondit toujours que je réglasse ma vie avec beaucoup de pureté et de perfection, et que je continuasse ce que j'avais commencé; et la Reine des anges me fit particulièrement connaître plusieurs fois sa volonté avec une grande douceur et beaucoup de caresses , me commandant de lui obéir en qualité de fille, et d'écrire sa très-sainte vie sans interruption. 24. Je voulus joindre à tout cela la sûreté de l'obéissance, et sans découvrir ce que le Seigneur et sa très-sainte Mère m'avaient répété, je demandai à mon supérieur, qui était mon confesseur, ce qu'il m'ordonnait dans cette circonstance. Il me répondit en me commandant en vertu de l'obéissance d'écrire et de continuer cette seconde partie. Ainsi me voyant contrainte par, le Seigneur et par cette même obéissance, j'allai de nouveau aux pieds du Très-Haut, à qui je fus un jour présentée pendant mon oraison, et me dépouillant de toutes mes affections dans la connaissance où j'étais de ma bassesse et de ma faillibilité, prosternée devant le tribunal divin, je dis à sa Majesté : " Mon Dieu, mon Seigneur, que voulez-vous faire de moi? " A cette espèce de question, voici la réponse que je reçus. 25. Il me sembla que la divine lumière de la très-sainte Trinité me faisait voir que j'étais pauvre et remplie de défauts, et qu'en m'en reprenant elle m'avertissait avec sévérité de m'en corriger, me donnant en même temps une très-sublime doctrine et des instructions fort salutaires pour la perfection de la. vie. Pour cet effet, je fus purifiée et illustrée de nouveau. J'aperçus que la Mère 449 de grâce, la très-sainte Vierge, étant présente su trône de la Divinité, intercédait pour moi. Cette protection m'anima, et me prévalant de la clémence d'une telle Mère, je m'adressai à elle et je lui dis ces seules paroles : " Ma souveraine Princesse et mon refuge, ayez égard comme mère véritable à la pauvreté de votre servante. " Il me sembla qu'elle exauçait ma demande, et que, parlant au Très-Haut, elle lui disait : " Mon divin Seigneur, daignez recevoir de nouveau cette inutile et pauvre créature pour votre fille, et l'adopter pour la mienne " (action d'une Reine aussi libérale que puissante). Mais le Très-Haut lui répondit : " Mon Épouse, qu'est-ce qu'allègue cette âme de son côté pour une si grande faveur, puisa qu'elle ne la mérite point, et qu'elle est un pauvre et inutile vermisseau, ingrate à nos bienfaits? " 26. " O force incomparable de la divine parole ! comment pourrai-je exprimer les effets que cette réponse du Tout-Puissant causa en moi? Elle m'humilia jusque dans mon propre néant; je connus la misère de la créature et mea ingratitudes envers Dieu; mon coeur était brisé entre la douleur de mes péchés et le désir d'obtenir ce grand bonheur d'être adoptée pour fille de cette auguste Princesse, ce que je ne méritais pas. Je levais les yeux avec crainte au trône du Très-Haut; le trouble et l'espérance me bouleversaient le visage, et dans ces agitations je me tournais vers mon avocate, souhaitant qu'elle me reçu pour sa servante, puisque je ne méritais pas d'être sa fille, et n'osant pas ouvrir la bouche, je parlais du plus profond de mon coeur; et j'ouïs que mon aimable Maîtresse disait au Seigneur: 27. " Il est vrai, mon Roi et mon Dieu, que cette pauvre créature n'a pas d'elle- même de quoi offrir à votre 450 justice; mais je présente en sa faveur les mérites de votre très-saint Fils et le sang qu'il a versé pour elle, et avec cela je présente la dignité de Mère de votre f même Fils que j'ai reçue de votre bonté ineffable, toutes les oeuvres que j'ai faites pour son service, le temps que je l'ai porté dans mon sein et que je l'ai s nourri de mon propre lait; et surtout je vous présente votre même Divinité et votre miséricorde infinie, et je vous supplie d'avoir pour agréable que cette créature soit maintenant adoptée pour ma fille et pour ma disciple : je réponds pour elle, et je vous suis caution, Seigneur, que par mes instructions elle se corrigera de ses fautes et perfectionnera ses oeuvres selon votre bon plaisir. " 28. Le Très-Haut accorda cette demande (qu'il soit éternellement loué d'avoir exaucé la grande Reine intercédant pour la plus petite des créatures). Je sentis incontinent de si grands effets et une joie si extraordinaire en mon âme, qu'il ne m'est pas possible de les raconter; mais je m'adressai par toutes mes facultés à toutes les créatures du ciel et de la terre, et sans pouvoir retenir mon contentement, je les invitai toutes à louer pour moi et avec moi l'auteur de la grâce. Il me semblé que je leur disais d'une voix haute : " O habitants et courtisans du ciel, et vous, créatures vivantes formées par la main du Très-Haut, regardez cette merveille de sa miséricorde libérale; bénissez et louez le éternellement pour elle, puisqu'il a relevé de la poussière la plus abjecte de l'univers; puisque, Dieu souverain et Roi tout-puissant, il a enrichi la plus pauvre et honoré la plus indigne de ses servantes. Et vous, enfants d'Adam, voyez l'orpheline protégée et la 451 pécheresse à qui le Seigneur a pardonné; sortez main tenant de votre ignorance, relevez-vous de votre lâcheté et animez votre espérance; que si le puissant bras m'a favorisée, si la bonté divine m'a appelée et ensuite pardonné, vous pouvez tous espérer votre salut; et si vous voulez être assurés d'y arriver, recherchez la protection de l'auguste Marie, priez-la qu'elle intercède pour vous, et vous éprouverez qu'elle est une mère de miséricorde et de clémence ineffable. 29. Je m'adressai aussi à cette très-puissante Reine, et je lui dis: " Ma Souveraine, je ne m'appellerai donc plus désormais orpheline, puisque j'ai une mère, et c une mère qui est Reine de tout ce qui est créé; je ne serai plus maintenant ignorante (si je ne le deviens parme, propre faute) , puisque j'ai pour maîtresse celle a qui enseigne la sagesse divine; je ne serai plus pauvre, puisque j'ai un seigneur qui a en son pouvoir tous les trésors du ciel et de la terre; j'ai présentement une mère qui me protégé, une maîtresse qui m'instruit et me corrige, une reine qui me commande et me gon verne. Vous êtes bénie entre toutes les femmes, excellente entre les créatures, admirable su ciel et en la terre, et tous exaltent vos grandeurs par des louanges éternelles. Il n'est pas facile, ni même possible, que moi qui suis la moindre des créatures, et le plus abject vermisseau de terre, vous rende le juste retour: recevez-le donc de la divine droite et dans la vision à, béatifique où vous êtes du Dieu qui vous possède et vous possédera durant toute l'éternité. Je vous serai très-reconnaissante et tres-obligée servante, et je rendrai grâces et louanges au Tout-Puissant pendant 452 toute ma vie, parce que sa bonté libérale m'a favorisée en me donnant, ma divine Reine, une telle mère et maîtresse que vous. Que mes affections vous louent dans le silence, puisque ma langue n'a pas de termes a assez forts pour le faire, et elle n'en saurait point trouver pour vous exprimer ma gratitude. " 30. Il n'est pas possible d'expliquer ce que l'âme ressent dans de tels mystères, qui sont toujours accompagnés de très-grandes faveurs. Celles que j'y reçus causèrent des biens fort considérables à la mienne, parce qu'il me fut en même temps proposé de mener une vie si parfaite, que je n'ai point de termes pour la représenter comme je la conçus; mais le Très-Haut me fit entendre que tout cela m'était accordé à la considération de la très-pure Marie et afin que j'écrivisse sa vie. Je découvris à l'instant qu'en confirmation de ce bienfait j'étais choisie par le Père éternel pour manifester les mystères de sa Fille; par le Saint-Esprit, pour révéler, sous son inspiration et à sa lumière, les dons cachés de son Épouse; que j'étais également destinée par le Fils à pénétrer dans les secrets de sa Mère, l'auguste Marie. Je compris que pour me disposer à cet ouvrage, la très-sainte Trinité éclairait mon esprit par une lumière spéciale dé la Divinité, et que le pouvoir. divin touchait mes puissances comme avec un pinceau, et les fortifiait par de nouvelles habitudes pour les opérations parfaites qui regardaient ce sujet. 31. Le Très-Haut me commanda aussi de faire mon possible pour imiter, autant que mes faiblesses me le pourraient permettre, tout ce que j'apprendrais et écrirais des vertus héroïques et des saintes oeuvres de la divine Reine, en réglant ma vie sur 'ce parfait modèle. 453 Et comme je me reconnaissais si fort incapable de m'acquitter de ce devoir, la même Reine, par un effet de sa clémence, m'offrit de nouveau son secours et ses avis pour tout ce que le Très-Haut me commandait et à quoi il me destinait. Ensuite je demandai la bénédiction à la très-sainte Trinité pour commencer la seconde partie de cette histoire, et je connus que toutes les trois personnes me la donnaient. Étant sortie de cette vision, je tâchai de purifier mon âme par les sacrements et par la contrition de mes péchés; et au nom du Seigneur et de l'obéissance, je mis la main à l'œuvre pour la gloire du Très-Haut et de sa très- sainte et toujours immaculée Mère et Vierge Marie. 32. Cette seconde partie contient la vie de la Reine des anges dès le mystère de l'Incarnation jusqu'à l'Ascension de notre Seigneur Jésus-Christ inclusivement; c'est ce qu'il y a de plus notable dans cette divine histoire, puisque cette partie renferme toute la vie et les mystères du même Seigneur, sa passion et sa très-sainte mort. Je veux seulement avertir ici que les grâces accordées à la très-pure Marie pour la disposer au mystère de l'Incarnation, prirent leur cours dès l'instant de son immaculée conception, parce que dès lors Dieu avait décrété dans son entendement qu'elle serait la Mère du Verbe éternel. Mais les dons et les faveurs de la grâce croissaient à mesure qu'elle s'approchait de l'effet de l'Incarnation. Et quoique tontes ces faveurs paraissent être de la même nature dès le commencement, elles ne laissaient pourtant pas de croître, et je n'ai point de nouveaux termes pour exprimer ces augmentations et ces nouvelles faveurs : ainsi il faut de nécessité que nous nous en remettions dans toute cette histoire au pouvoir 454 infini du Seigneur, à qui, en donnant beaucoup, il reste infiniment de quoi donner encore, d'autant plus que l'âme, et surtout celle de la Reine du ciel, a comme une capacité infinie pour recevoir toujours davantage, ainsi qu'il advint à cette divine Reine jusqu'à ce qu'elle fat arrivée au comble de la sainteté et de la participation de la Divinité, où aucune autre pure créature n'a pu ni ne pourra jamais arriver. Plaise au Seigneur de m'éclairer, afin que je poursuive cet ouvrage selon son bon plaisir Ainsi soit-il. DEUXIÈME PARTIE. QUI CONTIENT LES MYSTÈRES DEPUIS L'INCARNATION DU VERBE DANS LE SEIN VIRGINAL DE MARIE JUSQU'À SON ASCENSION. LIVRE TROISIÈME. QUI CONTIENT LA TRÈS-HAUTE DISPOSITION QUE LE TOUT-PUISSANT OPÉRA EN LA TRÈS-SAINTS VIERGE POUR L'INCARNATION DU VERBE. - CE QUI CONCERNE CE MYSTÈRE. - LE TRÈS-SUBLIME ÉTAT AUQUEL L'HEUREUSE HÈRE SE TROUVA. - LA VISITE QUELLE FIT A SAINTE ÉLISABETH, ET LA SANCTIFICATION DE JEAN-BAPTISTE. - LE RETOUR A NAZARETH, ET UN FURIEUX COMBAT QU'ELLE EUT AVEC LUCIFER. CHAPITRE I. Le Très-Haut commence à disposer la très-sainte Vierge su mystère de l'Incarnation, et le tout s'exécute pendant les neuf jours qui précédèrent cet auguste mystère. - On commence par déclarer ce qui arriva dans le premier jour. 1. Le Seigneur mit notre Reine et Maîtresse dans les occupations d'épouse de saint Joseph et dans les occasions plus fréquentes de converser avec le prochain, afin que sa vie innocente fût un modèle public de sublime 456 sainteté. La divine Princesse, se trouvant dans ce nouvel état, forma de si hauts desseins et régla toutes les actions de sa vie avec tant de sagesse, qu'elle donna une émulation admirable aux, anges et un exemple incomparable aux hommes. Elle était connue de peu de personnes, et très-peu la fréquentaient; mais celles qui avaient ce bonheur recevaient tant de divines influences de la céleste Marie, que, ravies d'admiration, de joie et d'estime, elles eussent voulu exhaler leurs sentiments et faire éclater au dehors le feu sacré qui les enflammait, comprenant qu'il provenait de la très-pure Vierge. La très-prudente Reine n'ignorait point -ces effets que la main du Tout-Puissant opérait en elle; mais le temps de les révéler au monde n'était pas encore venu, et sa très-profonde humilité ne le lui permettait pas. Elle demandait continuellement au Seigneur de la cacher aux yeux des hommes; que toutes les faveurs qu'elle recevait de sa droite fussent rapportées à sa seule louange, et qu'il permit qu'elle fût inconnue et méprisée de tous les mortels, afin que sa bonté infinie ne fût point offensée. 2. Le Seigneur exauçait une grande partie des demandes de son Épouse, et fa providence faisait que la même lumière imposât le silence à ceux qui étaient portés par cette même lumière. à l'exalter; et ils se taisaient, parce que la vertu divine qui y était renfermée les empêchait de parler, et les faisait rentrer dans leur intérieur pour y louer le Seigneur à cause de la lumière qu'ils y recevaient; et, se trouvant remplis d'admiration, ils suspendaient leur jugement et laissaient 457 la créature pour adresser toutes leurs louanges au Créateur. Plusieurs sortaient du péché pour l'avoir seulement regardée; d'autres perfectionnaient leur vie, et tous étaient dans une grande modestie à sa seule vue, parce qu'ils en recevaient des influences célestes en leurs âmes; mais ils oubliaient aussitôt l'original, et l'âme où il s'était représenté en perdait toutes les impressions; parce que si ceux qui l'avaient une fois vue en eussent conservé les idées, ils n'auraient pu supporter son absence; et il est constant que tous se seraient empressés de la voir avec importunité, si Dieu ne l'eût empêché avec mystère. 3. Notre Reine et épouse de Joseph s'occupa à des oeuvres d'où l'on recueillait des fruits si admirables, et elle travailla continuellement, durant l'espace de six mois et dix-sept jours qui se passèrent depuis ses épousailles jusqu'à l'incarnation du Verbe, à augmenter les mérites et les grâces qui produisirent tant de merveilles. Il ne m'est pas possible de raconter en détail les actes héroïques de toutes les vertus intérieures et extérieures qu'elle y pratiqua; comme de charité, d'humilité, de religion, d'aumônes et de plusieurs autres oeuvres de miséricorde : parce que tout cela surpasse nos expressions et tout ce que l'on en peut concevoir. Tout ce que j'en puis déclarer, c'est que le Très-Haut trouva en la très sainte-Vierge la plénitude de ses complaisances, et la juste correspondance qu'une pure créature pouvait rendre à son Créateur. Par cette sainteté et ces mérites, Dieu se trouva comme obligé et comme forcé, pour ainsi dire, d'avancer le 458 pas et de mettre la main de sa toute-puissance à la plus grande des merveilles que l'on ait connue et que l'on connaîtra jamais, le Fils unique du Père prenant chair humaine dans le sein virginal de cette auguste Vierge. 4. Pour exécuter cette oeuvre d'une manière digne de lui, Dieu prévint d'une manière toute particulière la très-sainte Vierge durant les neuf jours qui précédèrent immédiatement le mystère, et laissant comme déborder de son sein la source dont les flots devaient inonder cette vivante Cité divine (1), il lui communiqua tant de dons, tant de grâces et tant de faveurs, que je perds la parole dans la connaissance que j'ai reçue de cette merveille; et ma bassesse n'a pas le courage d'entreprendre de raconter ce que j'en conçois, parce que la langue, la plume et toutes les puissances dés créatures sont de trop faibles instruments pour découvrir des mystères si relevés. Ainsi je veux qu'on sache que tout ce que je dirai ici n'est qu'une ombre très-obscure de la moindre partie de ce prodige inexplicable, qu'on ne doit pas circonscrire dans les limites de notre langage, mais étendre avec le pouvoir divin, qui n'a point de bornes. 5. Dans le premier jour de cette très-heureuse neuvaine, il arriva que la divine princesse Marie, ayant pris le peu de repos qu'elle prenait toujours avec mesure, se leva à minuit à l'exemple de son père David (2) et selon l'ordre qu'elle en avait reçu (1) Ps., XLV, 5. - (2) Ps. CXVIII, 62. 459 Seigneur, et se prosternant en la présence du Très-Haut, elle commença ses prières accoutumées et ses saints exercices. Les anges qui l'assistaient lui,parlèrent en ces termes : " Épouse de notre divin Maître., levez-vous, car sa Majesté vous appelle. " Elle se leva avec une ardente affection et elle répondit : " Le Seigneur ordonne que la poussière s'élève de la poussière. " Et se tournant vers le même Seigneur qui l'appelait, elle continua, disant : " Mon divin Maître, que voulez-vous faire de moi? " En suite de ces paroles, son âme très-sainte fut élevée en esprit à une autre nouvelle habitation, qui était plus immédiate au même Seigneur et plus éloignée de tout ce qui est terrestre et passager. 6. Elle ressentit aussitôt que dans cette nouvelle habitation on la disposait par ces mêmes illuminations et purifications qu'elle avait reçues autrefois, à quelque plus haute vision de la Divinité. Je ne m'arrête point à les raconter, parce que je l'ai déjà fait dans la première partie. Après cette préparation la Divinité lui fut manifestée par une vision qui n'était point intuitive, mais abstractive; ce fut néanmoins avec tant d'évidence et de clarté, que par ce moyen cette divine Dame comprit plus de cet objet incompréhensible que les bienheureux qui le connaissent et qui en jouissent intuitivement. Cette vision fut plus haute et plus profonde que beaucoup d'autres de cette même espèce, parce que chaque jour notre auguste Princesse faisait de nouveaux progrès dans les perfections; et les premières faveurs, par le saint usage 460 qu'elle en faisait, la préparaient à de plus hautes, parce que ces enseignements réitérés et ces sublimes visions développaient sans cesse ses facultés, ses forces morales et son aptitude à converser avec litre infini. 7. Notre Reine apprit dans cette vision de très-hauts secrets de la Divinité et de ses perfections, singulièrement de sa communication au dehors par l'oeuvre de la création; elle perçut que cette oeuvre procéda de la bonté et de la libéralité de Dieu , et qu'il n'avait pas besoin des créatures pour son Être divin et pour sa gloire infinie, parce qu'il était glorieux sans elles dans son éternité avant la création du monde. Plusieurs mystères qu'on ne peut et que l'on ne doit pas déclarer à tous, lui furent communiqués, parce qu'elle fut l'unique et l'élue pour les délices (1) du souverain Roi et Seigneur de tout ce qui est créé. Mais cette auguste Dame découvrit aussi dans cette même vision l'inclination que la Divinité avait à se communiquer au dehors, qui était plus grande que celle qu'ont tous les éléments pour se porter à leur centre; et comme elle était si fort avancée dans la sphère de ce feu du divin amour, embrasée de ce même amour, elle demanda au Père éternel d'envoyer son Fils unique au monde, de départir aux hommes leur remède, et d'accorder en même temps, si nous pouvons nous exprimer ainsi, à sa divinité et à ses perfections, la satisfaction et le couronnement qu'elles demandaient. (1) Cant., VI, 8 ; VII, 6 461 8. Le Seigneur trouvait beaucoup de douceur dans les paroles de son Épouse; elles étaient cétte bandelette d'écarlate des Cantiques par laquelle elle liait et entraînait - son amour (1). Et pour venir à l'exécution de ses désirs , il voulut préparer le tabernacle ou le temple dans lequel il voulait descendre du sein de son Père éternel; il détermina de donner à sa bien-aimée qu'il avait choisie pour Mère, une connaissance de toutes les oeuvres du dehors, lui montrant comme sa toute- puissance les avait opérées. Ce jour-là il lui manifesta en la même vision tout ce qu'il fit dans le premier jour de la création du monde, selon qu'il est raconté dans la Genèse; et elle connut toutes ces merveilles avec plus de clarté et de pénétration que si elle les eût eues présentes à ses yeux corporels, parce qu'elle les connut premièrement en Dieu, et ensuite en elles-mêmes. 9. Elle comprit comme au commencement le Seigneur créa le ciel et la terre (2), combien et comment celle-ci fut vide, et comment les ténèbres couvrirent la surface de l'abîme, comment l'esprit du Seigneur était porté sur les eaux, et comment la lumière fut faite par le commandement divin, et la qualité de cette même lumière; qu'en divisant les ténèbres, elles furent appelées nuit, et la lumière jour, et que le premier fut employé à cela. Elle connut la grandeur de la terre; sa longueur, sa largeur et sa profondeur, ses abîmes, l'enfer, les limbes, le purgatoire et toutes (1) Cant., iv, 3. - (2) Gen., I, 1-5. 482 ceux qui s'y trouvaient; les régions, les climats, la division du monde et tous ceux qui les occupaient et les habitaient. Elle connut avec la même clarté les sphères inférieures et le ciel empyrée; et en quelle partie du premier jour les anges furent, créés, pénétrant leur nature, leurs qualités, leurs différences, leurs hiérarchies, leurs offices, leurs degrés et leurs vertus. La rébellion des mauvais anges, leur chute, les causes et les occasions de cette même chute lui furent découvertes (le Seigneur lui cachait néanmoins toujours ce qui la regardait). Elle eut connaissance de leur punition et des effets que le péché produit en ces malheureux rebelles, les voyant comme ils sont en eux-mêmes; et pour mettre fin à cette faveur du premier jour, le Seigneur lui manifesta de nouveau comme elle était formée de cette matière abjecte de la terre et de la même nature que tous ceux qui retournent en poussière; il ne lui dit pas qu'elle serait convertie en cette même poussière, mais il lui donna une si profonde conception de son être terrestre, que notre grande Reine s'humilia jusque dans l'abîme du néant; et étant innocente elle s'abaissa plus que tous les enfants d'Adam ensemble, quoique remplis de misères. 10. Le Très-Haut ordonna cette vision et ses effets pour creuser dans le coeur de Marie des fondements aussi profonds que le demandait l'édifice qu'il voulait construire en elle; le voulant élever si haut, qu'il devait toucher jusqu'à l'union substantielle et hypostatique de la même Divinité. Et comme la dignité de Mère de 463 Dieu était sans bornes et en quelque façon infinie, il fallait qu'elle frit fondée en une humilité proportionnée et qui n'eût point d'autres limites que celles de la raison. Ainsi celle qui était bénie entre toutes les femmes, étant arrivée au plus sublime de la vertu, s'humilia si fort, que la très-sainte Trinité fut comme satisfaite, et à notre manière de concevoir, obligée de l'élever à la plus haute dignité qu'il y est entre les pures créatures, et à la plus immédiate à la Divinité; et dans cette complaisance du Très-Haut, sa divine Majesté lui dit : 11." Ma chère Épouse et ma Colombe, les désirs que j'ai de racheter l'homme du péché sont grands, et ma miséricorde infinie souffre comme violence de ce que je ne descends point pour réparer le monde; je veux que vous me demandiez continuellement durant ces jours, avec beaucoup d'ardeur, l'exécution de ces désirs, et que, prosternée eu ma divine présence, vous ne cessiez vus demandes et vos cris, afin que le Fils unique du Père descende pour s'unir avec la nature humaine. " La divine Princesse, répondant à ce commandement , dit : " Seigneur et Dieu éternel, tout pouvoir et toute sagesse vous appartiennent, personne ne peut résister à votre volonté (1). Qui est-ce donc qui empêche votre toute- puissance? Qui arrête le courant impétueux de votre divinité pour ne pas exécuter votre bon plaisir en faveur de tout le genre humain? Si (1) Esth., XIII, 9. 464 c'est moi, mon bien-aimé, qui suis la cause de l'empêchement d'un si grand bienfait, faites que je meure plutôt que de m'opposer aux desseins de votre miséricorde; aucune créature ne peut mériter cette faveur : ne veuillez donc pas attendre , mon divin Maître, que nous nous en éloignions davantage par notre peu de mérite. Les hommes multiplient leurs péchés, et ils augmentent de plus en plus leurs offenses; or comment pourrons-nous mériter le même bien dont nous nous rendons tous les jours plus indignes? Le motif de notre remède est en n vous, Seigneur, votre bonté et vos miséricordes infinies vous y obligent, les gémissements des prophètes et des pères de votre peuple vous sollicitent, les saints vous désirent, les pécheurs vous attendent, et tous ensemble vous appellent; et si moi, petit ver de terre, ne me suis pas rendue indigne de votre clémence par mes ingratitudes, je vous a supplie du plus intime de mon âme d'avancer le pas, et de nous venir procurer notre remède pour votre propre gloire. " 12. La Princesse du ciel ayant achevé cette prière, revint en l'état qui lui était et plus ordinaire et plus naturel; mais par le nouveau commandement qu'elle venait de recevoir du Seigneur, elle ne cessa durant ce jour d'implorer l'incarnation du Verbe, et elle réitéra avec une très-profonde humilité ses exercices en se prosternant et en priant les bras étendus en croix, parce que le Saint-Esprit, qui la gouvernait, lui avait enseigné cette posture pour laquelle la très 465 sainte Trinité devait avoir une si grande complaisance; et comme si elle eût vu de son trône royal la personne de Jésus-Christ crucifiée au corps de la future Mère du Verbe, ainsi elle recevait ce sacrifice du matin de la très-pure Vierge par lequel elle prévenait celui de son divin Fils. Instruction, que la Reine du ciel me donna. 13. Ma fille, les. mortels ne sont pas capables de concevoir les oeuvres ineffables que le bras du Tout-Puissant opéra en moi, en me préparant pour l'incarnation du Verbe, singulièrement durant les neuf jours qui précédèrent ce mystère incompréhensible, pendant lesquels mon esprit fut élevé et uni à l'Être immuable de la Divinité, et se trouva si absorbé dans cet océan de perfections infinies dont il recevait de si sublimes effets, qu'il n'est pas possible que l'entendement humain les comprenne. La science des créatures qu'il me communiqua, pénétrait ce qu'elles avaient de plus intime et avec bien plus de clarté et de privilèges que celle de tous les esprits angéliques, qui furent si admirables en cette connaissance de tout ce qui est créé après avoir eu le bonheur de voir Dieu face à face; et les images de tout ce que je vis ne s'effacèrent point de mon entendement, afin qu'ensuite je m'en pusse servir selon ma volonté. 466 14. Ce que je demande de vous maintenant, est, que faisant réflexion sur ce que je fis par le secours de cette science, vous tâchiez de m'imiter avec le secours de la lumière infuse que vous avez reçue pour cela; profitez, ma fille, de la science des créatures, et faites-en une échelle qui vous porte à votre Créateur; cherchez en elles leur principe et leur fin; servez-vous-en comme d'un miroir qui vous représente sa. divinité, qui vous fasse souvenir de sa toute-puissance, et qui vous enflamme de ce saint amour qu'il exige de vous. Admirez et louez la grandeur et la magnificence du Créateur, humiliez-vous en sa divine présence jusqu'au plus profond du néant, et n'épargnez aucune chose pour devenir douce et humble de coeur. Considérez, ma très-chère fille, que cette vertu d'humilité fut le fondement très-solide de toutes les merveilles que le Très-Haut opéra en moi, et afin que vous estimiez cette vertu, il faut que vous sachiez que, bien qu'elle soit d'un si haut prix entre toutes les autres, elle ne laisse pas d'être très-délicate et très-facile à se perdre, et que si vous la perdez en quelque chose ou que vous ne soyez pas humble en toutes sans nulle distinction, vous ne le serez véritablement en aucune. Reconnaissez l'être terrestre et corruptible que vous avez, et sachez que le Très-Haut a formé l'homme avec une telle providence , que son être propre et sa formation lui signifient, lui enseignent et lui redisent l'importante leçon de l'humilité, et ne le laissent jamais sans cette instruction; c'est pour cela qu'il ne le forma pas de la matière la plus noble, 467 et qu'il lui laissa le poids du sanctuaire dans son intérieur (1) , afin qu'il mit dans un des bassins de la balance l'Être infini et éternel du Seigneur, et dans l'autre sa très-vile matière, et qu'ensuite il rendit à Dieu ce qui est de Dieu (2), et se rendit à soi-même ce qui lui appartient. 15. Je fis avec beaucoup de perfection ce juste discernement pour l'exemple et l'instruction des mortels; et je veux que vous m'imitiez en cela, et que tous vos soins tendent à devenir humble; car par ce moyen vous vous rendrez agréable au Très-Haut et à moi, qui veux votre véritable perfection, et qu'elle soit fondée sur les fondements très-profonds de votre propre connaissance; et plus vous les creuserez, plus vous élèverez l'édifice de la vertu, et votre volonté aura un plus intime accès à celle du Seigneur, qui regarde de la hauteur de son trône avec complaisance les humbles de. la terre. (1) Exod., 24 XXX, 24. - (2) Matth., XXII, 21. 468 CHAPITRE II. Dans le second jour, le Seigneur continue en la très-sainte Vierge les faveurs et les dispositions pour l'incarnation du Verbe. 16. J'ai dit dans la première partie de cette divine histoire que le très-pur corps de la très-sainte Vierge fut conçu et formé en toute perfection dans l'espace de sept jours, le Très-Haut opérant ce miracle afin que sa très-sainte âme n'attendit pas le même temps que celles des autres enfants , mais au contraire qu'elle fût créée et infuse par avance, comme il arriva en effet, afin que cé principe de la réparation du monde eût une juste correspondance avec celui de la création. L'harmonie de ces oeuvres fut renouvelée dans le temps immédiat à la descente que le Réparateur du monde y devait faire, afin que le nouvel Adam, Jésus-Christ, étant formé, Dieu se reposât comme ayant employé toutes les forces de sa puissance à la plus grande de ses merveilles, et que le doux sabbat de toutes ses délices fût célébré dans ce repos. Or, comme la Mère du Verbe devait être interposée pour ces prodiges de la bonté divine, en lui donnant la forme humaine et visible, il fallait que, tenant le milieu entre les deux extrémités de Dieu et des hommes, elle les 469 touchât toutes deux, se trouvant en dignité inférieure à Dieu seul, et supérieure à tout le reste qui n'était pas Dieu; et la science proportionnée, tant de la Divinité suprême que de toutes les créatures inférieures, appartenait à cette dignité. 17. Le souverain Seigneur, voulant poursuivre son dessein, continua les faveurs par lesquelles il disposa la très-sainte Vierge durant les neuf jours qui précédèrent l'incarnation, et que je déclare ici; le second jour étant donc arrivé, notre auguste Princesse fut visitée à la même heure de minuit et en la même forme qua j'ai dit au chapitre précédent : le pouvoir divin l'élevant par ces dispositions, par ces qualités, ou ces illuminations qui la préparaient pour les visions de la Divinité. Elle lui fut manifestée ce jour-là abstractivement, comme dans le premier; et elle vit les couvres qui appartenaient au second jour de la création du monde : elle connut en quel temps et de quelle manière Dieu fit la division des eaux, les unes au-dessus et les autres au-dessous du firmament (1), formant au milieu le même firmament, et comme de celles qui étaient au-dessus il forma le ciel cristallin, qu'on appelle aquatique. Elle,pénétra la grandeur, l'ordre, les qualités, les mouvements et toutes les dispositions des cieux. 18. Cette science n'était ni oisive ni stérile en la très-pure Vierge, parce qu'elle la recevait presque immédiatement de la très-claire lumière de la Divinité ; (1) Gen., I, 6 et 1. 470 ainsi elle l'enflammait toujours plus de l'amour de Dieu, ne cessant d'admirer et de louer sa bonté et sa puissance; et, transformée en Dieu même, elle faisait des actes héroïques de toutes les vertus, se rendant très-agréable à sa divine Majesté par l'entier accomplissement de son bon plaisir. Et, comme le jour précédent Dieu lui fit part de l'attribut de sa sagesse, ainsi dans ce second jour il lui communiqua en la manière convenable celui de sa toute-puissance, et lui donna un entier pouvoir sur les influences des cieux, des planètes et des éléments, et commanda à tous de lui obéir. De sorte que cette grande Reine eut un empire absolu sur la mer, la terre, les éléments, les globes célestes, et sur toutes les créatures qu'ils renferment. 19. Cet empire et cette puissance appartenaient aussi à la dignité de la très-sainte Vierge pour les raisons que j'ai dites ci-devant; et outre celles-là nous en avons deux autres particulières : l'une, parce que cette auguste Dame était Reine privilégiée et exempte de la loi commune du péché originel et de ses effets; et c'est pour cela qu'elle ne devait pas être comprise dans la masse universelle des insensés enfants d'Adam, contre lesquels le Tout-Puissant donna des armes aux créatures pour venger ses injures et pour châtier la folie des mortels (1); car s'ils ne se fussent point rendus désobéissants à leur Créateur, les éléments et les autres créatures ne leur auraient pas été rebelles ni (1) Sap., V, 18. 471 nuisibles, et n'eussent pas tourné contre eux la rigueur de leur activité. Que si cette rébellion des créatures fut un châtiment du péché, elle ne devait point s'étendre à la très-sainte, très-immaculée et très-innocente Marie : dans ce privilège, elle ne devait pas être inférieure à la nature angélique, sur laquelle ni la peine du péché ne s'étend point, ni les éléments ne peuvent avoir aucune juridiction. Bien que la très- sainte Vierge fût d'une nature corporelle et terrestre, néanmoins l'avantage qu'elle eut de monter au-dessus de toutes les créatures terrestres et spirituelles, et de se rendre par ses mérites digne Reine et Maîtresse de tout ce qui est créé, était en elle d'autant plus estimable qu'il était plus rare et plus précieux : il fallait bien que la Reine reçût plus de prérogatives que les sujets, et que la Maîtresse fût beaucoup plus privilégiée que les serviteurs. 20. La seconde raison est parce que Jésus-Christ devait obéir à cette divine Reine en qualité de sa propre Mère, et puis qu'il était Créateur des éléments et de tout le reste : il était juste que toutes les créatures obéissent .à celle à qui le même Créateur voulait ]lien obéir, et qu'elle les commandât toutes, puisque la personne de cet adorable Seigneur humanisé devait être soumise à sa Mère par une obligation de la loi de nature. Ce privilège avait une grande convenance pour relever les vertus et les mérites de la très-sainte Vierge, parce que ce que nous ne pouvons pas éviter, et ce qui nous arrive bien souvent contre notre volonté, était en elle et volontaire et méritoire. La très-prudente 472 Reine n'usait point de cet empire sur les éléments et Fur les autres créatures indistinctement ni en sa faveur; au contraire, elle leur commanda à toutes d'exercer envers elle ce qui lui pouvait être naturellement pénible, parce qu'en cela elle devait être semblable à son très- saint Fils et souffrir avec lui ; car il est sûr que l'amour et l'humilité de cette grande Dame n'auraient pas permis que les créatures eussent suspendu leurs rigueurs, et l'eussent privée du mérite des souffrances, qu'elle connaissait être d'un si grand prix aux yeux du Seigneur. 21. La douce Mère ne dominait sur la force des éléments que quand elle comprenait qu'il fallait mettre son Fils et son Créateur à couvert de leurs rigueurs, comme nous verrons dans la suite en leur voyage d'Égypte et en d'auges occasions, où elle jugeait dans sa grande sagacité qu'il était convenable que les créatures reconnussent leur Créateur en lui rendant quelque service. Qui n'entrera dans l'admiration en apprenant une chose si nouvelle? Une pure créature, une femme terrestre avoir un empire absolu sur tout ce qui est créé! s'estimer la plus indigne et la plus vile de toutes; et dans une telle pensée commander aux créatures de tourner leurs rigueurs contre elle, et elles n'exécuter cet ordre que par obéissance ! Mais, craignant et respectant une telle Maîtresse, elles agissaient plutôt pour lui témoigner leur soumission que pour venger la cause de leur Créateur, comme elles le font envers les autres enfants d'Adam. 22. A la vue de cette humilité de notre auguste 473 Reine, nous ne pouvons pas nier notre très-vaine présomption, pour ne pas dire témérité, puisque, quand nous méritons que tous les éléments et toutes les forces offensives des autres créatures se révoltent contre nos folies, nous nous plaignons de leurs rigueurs, comme si elles nous faisaient un grand tort. Nous condamnons la rigueur du froid, nous ne voulons pas souffrir que la chaleur nous fatigue; nous avons de l'horreur pour tout ce qui est pénible, et tous nos soins ne tendent qu'à blâmer ces ministres de la justice divine, et à procurer à nos sens ce que les commodités et les plaisirs passagers ont de plus délicat; comme si leur jouissance devait durer toujours, et qu'il ne fût pas certain que nous en sortirons pour subir un plus dur châtiment de nos péchés. 23. Faisant réflexion sur ces dons de science et de puissance que reçut la Princesse du ciel, et sur les autres qui la disposaient à devenir la digne Mère du Fils unique du Père éternel, l'on connaîtra l'excellence de cette auguste Dame, dans laquelle on, découvrira une espèce d'infinité, ou une intelligence participant d'une manière spéciale à l'intelligence divine, et semblable d celle que la très-sainte âme de Jésus- Christ eut dans la suite; car non-seulement elle connut toutes les créatures en Dieu; mais elle les comprenait de telle sorte, qu'elle les renfermait dans sa capacité, et cette capacité eût pu s'étendre sur plusieurs autres s'il y en eût eu encore quelques-unes à connaître. Je trouve là une espèce d'infinité, parce qu'il y a, semble-t-il, quelque chose de la science infinie, et 474 parce que Marie voyait et connaissait simultanément et sans succession de temps le nombre des cieux , leur largeur, leur profondeur, leur ordre, leurs mouvements, leurs qualités, leur matière et leur forme, les éléments avec toutes leurs propriétés et tous leurs accidents, sa connaissance renfermant tout cela ensemble. Cette très- sage et très-savante Vierge n'ignorait que la fin prochaine de toutes ces faveurs, jusqu'à ce que l'heure de son consentement et de la miséricorde ineffable du Très- Haut arrivât; mais elle continuait durant tous ces jours ses ferventes prières pour la venue du Messie, le même Seigneur le lui commandant et lui révélant qu'il ne tarderait pas, parce que le temps destiné s'approchait. Instruction de la Reine die ciel. 24. Ma fille, par tout ce que vous découvrez des faveurs que j'ai reçues pour arriver à la dignité de bière du Très-Haut, je veux que vous connaissiez l'ordre admirable de sa sagesse en la création de l'homme. Considérez donc, comme son Créateur ne le tira pas du néant pour en faire un serviteur, mais pour en faire le roi et le seigneur de toutes choses, et afin qu'il s'en servit avec empire, voulant néanmoins qu' il se reconnût en même temps et pour son 475 ouvrage et pour son image (1), et qu'il fût plus soumis à la divine volonté que, les autres créatures ne l'étaient à la sienne, parce que l'ordre, la raison et la justice l'exigent de la sorte. Et afin que la connaissance du Créateur et des moyens pour savoir et pour exécuter sa volonté ne manquât pas à l'homme, le Seigneur lui donna, outre la lumière naturelle, une autre lumière plus grande, plus prompte, plus facile, plus certaine, moins fatigante et plus accessible à tous, qui fut celle de la foi par laquelle il devait connaître l'Etre de Dieu, ses perfections et ses œuvres. Par cette science et par cet empire l'homme se trouva dans un ordre bien sublime, où il fut fort honoré et fort enrichi, et sans aucune excuse qui pût le dispenser de se consacrer entièrement à la volonté de son Créateur. 25. Mais la folie des mortels renverse tout cet ordre et jette la confusion dans cette harmonie divine, lorsque celui qui fut créé pour être le seigneur et le roi des créatures se rend leur vil esclave et s'assujettit à leur empire tyrannique, déshonorant sa dignité et n'usant pas des choses visibles comme un seigneur prudent, mais comme un serviteur indigne qui a renoncé à sa prérogative en se soumettant avec bassesse i1 ce que les créatures ont de plus abject. Tout ce renverseraient nuit de ce qu'on n'use pas de ces choses pour le service du Créateur en les lui rapportant par le moyen de la foi, et de ce que l'on en (1) Gen., I, 20. 476 fait un mauvais usage, ne s'en servant que pour satisfaire les passions et les sens par tout ce qu'elles ont de délectable; et c'est pour ce sujet qu'on a si fort en horreur celles qui n'ont rien pour les flatter. 26. Pour vous, ma très-chère fille, regardez avec les yeux de la foi votre Créateur et votre Seigneur, et tachez de graver dans votre âme l'image de ses divines perfections; conservez l'empire que vous avez sur les créatures, et ne permettez pas qu'aucune assujettisse votre liberté; au contraire, je veux que vous triomphiez de toutes, et que vous n'en mettiez aucune entre votre âme et votre Dieu. Vous ne devez pas vous laisser prendre aux appâts dangereux et trompeurs des créatures, qui obscurciraient votre entendement et affaibliraient votre volonté; mais vous devez plutôt vous soumettre par inclination à ce qu'elles ont de rigoureux et de pénible, le supportant avec une joie volontaire, puisque je l'ai fait pour imiter mon très- saint Fils, quoiqu'il fût en mon pouvoir de choisir le repos, n'ayant aucun péché à expier. 477 CHAPITRE III. Qui continue ce que le Très-Haut communiqua à la très-sainte Vierge dans le troisième jour. 27. La droite du Tout-Puissant, qui rendit l'entrée de sa divinité libre et familière à la très-sainte Vierge, enrichissait et ornait toujours plus par les dispensations de ses attributs infinis ce très-pur esprit et ce corps virginal qu'il avait choisi pour être le tabernacle, le temple et la sainte Cité de son habitation; et cette divine Dame, absorbée dans cet océan de la Divinité, s'éloignait chaque jour davantage de l'are terrestre. pour se transformer en un être céleste, qui lui permettait de découvrir de nouveaux mi stères due le Très-haut lui manifestait; car, comme en des cas semblables, c'est un objet infini qui est mis à là merci de la volonté, même lorsque son appétit est rassasié de ce qu'elle reçoit, il reste toujours davantage à désirer et à contempler. Jamais une pure créature n'est arrivée ni n'arrivera à ce que l'auguste Marie pénétra et de Dieu et des créatures. Elle découvrit de si profonds secrets et de si hauts mystères dans ces faveurs, que toutes les hiérarchies des anges et tous les hommes ensemble n'y pourront jamais arriver, 478 surtout en ce que cette Princesse du ciel reçut pour être Mère du Créateur. 28. Le troisième des neuf jours dont je parle ici, la Divinité se manifesta n elle comme aux deux autres jours, dans une vision abstractive, précédée des grâces préparatoires que j'ai. indiquées au chapitre premier. Nos conceptions sont trop faibles et trop disproportionnées pour comprendre les augmentations (les dons et des grâces que le Très-Haut réunissait en la divine Marie, et je n'ai point (le nouveaux termes pour exprimer ce qui m'en a été découvert. J'en déclarerai pourtant quelque chose, en (lisant que la sagesse et le pouvoir divin proportionnaient celle qui devait être Mère, du Verbe, afin qu'elle eût (autant qu'il était possible à une pure créature) un rapport convenable aie; les personnes divines. Et celui qui calculera mieux la distance qui se trouve entre ces deux extrémités, un Dieu infini et une créature humaine et bornée, pourra mieux juger des moyens nécessaires pour les unir et les proportionner. 29. Les nouvelles notions que notre incomparable Reine recevait des attributs de la Divinité, gravaient en son âme de nouvelles vertus, et, sa beauté augmentait à mesure que le pinceau de la sagesse divine la retouchait. Les oeuvres du troisième jour de la création du monde lui furent manifestées dans celui-ci. Elle sut en quel temps et comment les vaux s'assemblèrent en un lieu par le commandement divin, et comme Dieu appela l'endroit qu'elles avaient abandonné, terre, et l'assemblage des mêmes eaux, mers. 479 Elle sut comment la terre produisit l'herbe qui devait porter sa semence; elle connut toutes les plantes, les arbres fruitiers et leurs semences, chaque chose en sa propre espèce. Elle découvrit et pénétra l'étendue des mers, leur profondeur et leurs divisions; la correspondance des fleuves et des fontaines qui en sortent, et qui s'y rendent d'un cours précipité comme à leur centre; les propriétés des plantes, des herbes et des fleurs, des arbres, des racines, des fruits et des semences, et comme elles peuvent toutes servir en quelque chose à l'homme (1). Notre grande Reine connut tout cela d'une manière plus claire, plus distincte et plus complète qu'Adam et Salomon, et nous pouvons dire que par rapport à elle tous les savants du monde furent des ignorants, nonobstant leurs longues études et leur longue expérience. La très-pure Marie apprit les choses les plus cachées, comme dit le Sage (2); et comme elle les apprit sans fiction, elle les communiqua sans envie, et tout ce que Salomon a dit dans cet endroit fut accompli en elle d'une manière très-éminente. 30. Notre Reine se servit de cette science dans quelques occasions pour exercer la charité envers les pauvres (comme je le dirai dans la suite de cette histoire); mais elle en disposait aussi librement, elle en usait aussi facilement que le plus habile et le plus expert des musiciens pourrait se servir de ses instruments; et nous pouvons dire la même chose de toutes (1) Gen., I, 9-13. - (2) Sap., VII, 21; ibid., 13. 480 les autres sciences, si elle eût voulu en user ou si les applications en eussent été nécessaires au service du Très-Haut, car elle était maîtresse en toutes, et elles se trouvaient réunies en elle dans un tel degré de perfection, qu'aucun des mortels n'en a jamais pu si bien posséder une seule qu'elle les possédait toutes. Elle avait aussi un entier pouvoir sur toutes les vertus et les qualités des pierres, des herbes et des plantes, et ce que notre Seigneur Jésus-Christ promit à ses apôtres et à ses premiers fidèles, qu'ils ne recevraient aucun dommage des choses empoisonnées , quand même ils en boiraient (1) , fut accordé à notre auguste Princesse avec un tel empire, qu'aucune, de ces choses ne pût lui nuire ni la blesser sans qu'elle le voulût. 31. La très-prudente Dame tint ces privilèges toujours, cachés et elle ne sen appliquait point l'usage, comme nous l'avons déjà dit, pour ne pas se priver des souffrances que son très-saint Fils devait choisir; et avant que de le concevoir et que d'être mère, elle était gouvernée en cela par la divine lumière, et par la connaissance quelle avait de la passibilité que le Verbe incarné devait recevoir. Après qu'elle fut devenue sa mère, voyant et expérimentant cette vérité en son propre Fils, elle donna permission, ou pour mieux dire, elle commanda aux créatures de l'affliger partout ce qu'elles avaient de rigoureux, comme elles le faisaient envers leur propre Créateur humanisé. Et parce que le Très-Haut ne voulait pas toujours que (1) Matth , XVI, 18. 481 son Épouse, son unique et son élue fût maltraitée des créatures, il les retenait ou les empêchait plusieurs fois, afin qu'il y eût quelques intervalles auxquels la divine Princesse jouit des délices du souverain Roi. 32. La très-sainte Vierge reçut un autre privilège singulier en faveur des mortels dans la vision de la Divinité qu'elle eut le troisième jour; parce que Dieu lui manifesta dans cette vision d'une manière particulière l'inclination qui portait l'amour divin à remédier au malheur des hommes, et. à les délivrer de toutes leurs misères. Dans la connaissance qu'elle eut de cette infinie miséricorde et de ce que le Très-Haut devait opérer par elle avec tant de bonté, sa divine Majesté la fit participer à un plus haut degré à ses attributs, afin qu'ensuite, comme mère et avocate des pécheurs, elle intercédait pour eux. L'influence sous laquelle la très- pure Marie participa au même amour que Dieu portait aux hommes, et le désir qu'elle ressentit de les soulager, furent si divins et si puissants, qu'il ne lui aurait pas été possible de résister au feu du zèle qui l'embrasait pour le salut de tous les pécheurs, si la vertu du Seigneur ne l'eût fortifiée. Par la violence de cet amour et de cette charité, elle se serait livrée mille fois aux flammes, aux tourments les plus rudes et à la mort même s'il eût été nécessaire, et elle aurait embrassé avec beaucoup de joie tous les martyres, toutes les afflictions, les fatigues et les douleurs pour le salut des mortels. Nous pouvons même dire que tout ce que les hommes ont souffert depuis le commencement du monde jusqu'à cette heure, et tout. 483 ce qu'ils souffriront jusqu'à la fin, tout cela n'aurait pas été capable de satisfaire l'amour de cette très-miséricordieuse Mère. Que les mortels et les pécheurs considèrent donc ce qu'ils doivent à la très-sainte Vierge. 33. Il est certain que dès ce jour-là notre aimable Princesse devint mère de pitié et de miséricorde, et d'une grande miséricorde, pour deux raisons : l'une , parce que dès lors elle voulut avec une affection et une ardeur singulière communiquer sans réserve les trésors de la grâce qu'elle avait connus et reçus; ainsi ce bienfait du Seigneur la remplit d'une bénignité si admirable et lui donna un coeur si doux, qu'elle en aurait voulu donner un semblable à tous les hommes , et faire passer dans leurs coeurs ces mimes trésors, afin qu'ils eussent été participants du divin amour qui brûlait dans le sien. La seconde raison est parce due cet amour que la très-sainte Vierge conçut pour le salut du genre humain, fut mue des plus grandes dispositions qui la préparèrent à concevoir le Verbe éternel dans son sein virginal. Aussi il était très-convenable qu'elle fût toute pleine de miséricorde, de douceur et de pitié, puisqu'elle seule devait concevoir et enfanter le Verbe incarné qui voulut bien par sa miséricorde, par sa clémence et par son amour, s'humilier jusqu'à notre nature et naître d'elle passible pour les hommes. On dit que les enfants participent du naturel de leurs mères, parce qu'ils eu reçoivent les qualités comme l'eau reçoit celles des minéraux à travers lesquels elle filtre; ainsi, quoique 483 le Fils de Marie tirât ses avantages de la Divinité, il ne laissa pas néanmoins d'avoir aussi part dans le degré possible aux inclinations de sa mère , et elle n'eût pas été ordonnée pour concourir avec le Saint-Esprit à cette conception (qui fut la seule exempte de père), si elle n'eût eu les relations convenables avec le fils dans les qualités de l'humanité. 34. La divine Marie sortit de cette vision, et elle employa tout le reste du jour aux prières et aux demandes que le Seigneur lui ordonnait, augmentant sa ferveur et laissant le coeur de son époux toujours plus pénétré de son amour, de sorte qu'il était déjà impatient, pour emprunter notre langage ordinaire, de se voir entre les bras de sa bien-aimée. Instruction que notre auguste Reine me donna. 35. Ma très-chère fille, le bras du Tout-Puissant opéra de grandes choses en moi dans les visions de sa divinité, dont il me fit jouir durant ces jours qui précédèrent celui auquel je le devais concevoir dans mon sein. Et quoiqu'elle ne me fût pas manifestée immédiatement ou sans voile, elle le fut pourtant d'une manière très- sublime et avec des effets réservés à sa seule sagesse. Quand j'en renouvelais la connaissance par les images qui m'en étaient restées, alors je m'élevais eu' esprit et je comprenais ce que Dieu était 484 envers les hommes, et ce qu'ils étaient envers sa divine Majesté; dans cette considération mon cœur s'embrasait d'amour et se brisait de douleur; parce que je pénétrais en même temps la grandeur immense de l'amour que Dieu a pour les mortels, et la noire ingratitude de l'oubli par lequel les hommes répondent il une bonté aussi ineffable. Je serais morte plusieurs fois en considérant ces choses, si Dieu même ne m'eut soutenue et conservée. Ce sacrifice de sa servante fut très- agréable a sa divine Majesté, et elle l'accepta avec. plus de complaisance que tous les holocaustes de l'antienne loi, parce qu'il eut égard à mon humilité, qui lui fut fort agréable. Et quand je m'exerçais ù ces actes, le Seigneur me faisait de grandes miséricordes, tant pour moi que pour mon peuple. 36. Je vous découvre ces mystères, ma chère fille, pour vous animer à m'imiter autant que vos forces, assistées de la grâce, vous le permettront, regardant comme votre modèle les oeuvres que vous avez connues. Considérez avec beaucoup d'attention, il ma lumière , demandez mime à la raison combien les mortels devraient correspondre à une bonté si immense, a cette inclination qui porte Dieu in les secourir, et opposez à tant d'avances de sa part la pesanteur et la dureté du coeur de ces mêmes enfants d'Adam. Je veux , ma fille, que le vôtre soit. rempli de sentiments de reconnaissance pour le Seigneur, et de compassion du malheur que les hommes s'attirent, par leurs ingratitudes. Je veux bien que vous sachiez que l'oubli de ces importantes vérités auquel les 485 hommes ingrats se seront livrés, sera le sujet de la plus grande indignation du souverain Juge au jugement universel; et ces mêmes vérités seront si puissantes en ce jour formidable , elles leur causeront en les accusant une confusion telle, que de désespoir ils se précipiteraient dans l'abîme des peines, quand même il n'y aurait point d'autres ministres de la justice divine pour l'exécuter. 37. Si vous voulez éviter un péché si énorme et prévenir cette horrible punition, renouvelez souvent en votre mémoire les bienfaits que vous avez reçus de cet amour et de cette clémence infinie, et considérez qu'elle s'est signalée envers vous entre plusieurs nations. Ne croyez pas que tant de faveurs et tant de dons singuliers aient été pour vous seule, ils ont été faits pour vos frères aussi, puisque la divine miséricorde s'étend sur tous. C'est pour ce sujet que le retour que vous devez au Seigneur doit être premièrement pour vous et ensuite pour eux. Et parce que vous êtes pauvre, présentez, avec le peu que vous avez, la vie et les mérites de mou très- saint Fils, et tout ce que j'ai souffert par la force de l'amour pour me rendre reconnaissante à Dieu; par ce moyen vous suppléerez en quelque façon à l'ingratitude des mortels, et c'est ce que vous devez fréquemment pratiquer en réfléchissant à ce que moi-même j'éprouvais lorsque je m'adonnais à des pratiques semblables. 486 CHAPITRE IV. Le Très-Haut continue ses bienfaits à la très-sainte Vierge dans le quatrième jour. 38. Le Très-Haut continuait ses faveurs à notre Reine et Maîtresse, en lui découvrant les sublimes mystères , par la révélation desquels il la préparait de plus en plus prochainement à la dignité de la maternité divine. Le quatrième jour de cette préparation étant arrivé, elle fut élevée, à la même heure que les autres jours précédents, à la vision de la Divinité en la forme abstractive dont nous venons de parler. Mais son très-pur esprit, illuminé de splendeurs plus éclatantes, en ressentit des effets tout nouveaux. La puissance et la sagesse divine n'arrêtent leur action que devant la borne que leur opposent les œuvres de notre volonté, ou le peu de capacité que nous avons comme créatures essentiellement finies. Le pouvoir divin né trouva aucun empêchement en la très-sainte Vierge pour ce qui regarde les œuvres, car elle fit toutes les siennes clans une plénitude de sainteté souverainement agréable au Seigneur, de sorte que par cet endroit elle s'attirait toutes ses complaisances et lui blessait le coeur d'amour, comme lui-même le dit (1). Le bras (1) Cant., IV, 9. 487 du Seigneur eût pu seulement trouver quelque borne, en ce que la très-sainte Marie était une simple créature; mais dans sa sphère, cette simple créature franchit toutes limites et dépassa toute mesure, parce le Seigneur lui ouvrit les eaux de la sagesse, afin qu'elle les bût très-pures et très-claires à la source inépuisable de la Divinité. 39. Dans cette vision le Très-Haut se manifesta à elle avec une lumière très- particulière, il lui révéla la nouvelle loi de grâce que le Sauveur du monde devait établir, les sacrements qu'elle devait contenir, la fin pour laquelle il les instituerait et les laisserait dans la nouvelle Église évangélique, les secours, les dons et les faveurs qu'il destinait aux hommes, avec le désir qu'ils fussent tous sauvés et qu'ils profitassent du fruit de la rédemption. La sagesse que la très-sainte Vierge reçut dans cette vision fut si grande, y étant enseignée par le souverain Maître qui corrige les sages (1), que si par impossible quelque homme ou quelque ange eût pu écrire ce quelle y apprit, on en ferait plus de livres que de tout ce qu'on a écrit des sciences et des arts jusqu'à présent, et qu'on en pourra écrire jusqu'à la fin des siècles. Et il ne faut pas s'en étonner, parce qu'étant la plus grande de toutes les pures créatures, l'océan de la Divinité que les péchés et la mauvaise disposition des hommes tenaient renfermé en elle-même, se répandit dans son coeur et dans son entendement avec une abondance (1) Sap., VII, 15. 488 inconcevable. Ainsi elle y découvrit toutes choses , excepté sa prochaine dignité de Mère du Fils unique du Père éternel, qui lui fut toujours cachée jusqu'au temps que le Seigneur avait déterminé. 40. Parmi les douceurs de cette science divine, notre Reine eut une amoureuse et intime douleur que cette même science lui renouvela. Elle vit du côté du Très- Haut les trésors ineffables des grâces qu'il destinait aux mortels, et la forte inclination que la Divinité avait à communiquer à tous sa félicité éternelle; elle découvrit et considéra en même temps le mauvais état du monde, et l'aveuglement excessif avec lequel , les hommes se privaient de cette félicité. Ce qui lui fut un nouveau genre de martyre causé par la force avec laquelle elle se plaignait de leur perte, et par le désir véhément qu'elle avait de remédier en quelque manière à un mal si déplorable. Elle fit pour ce sujet des demandes, des prières, des offrandes, des humiliations et des actes héroïques d'amour de Dieu et des hommes, afin qu'aucun ne se perdit désormais s'il était possible, que tous connussent leur Créateur et Rédempteur, et qu'ils le confessassent, l'adorassent et l'aimassent. Tout cela lui arrivait dans la même vision de la Divinité. Et parce que ces choses furent faites en la manière de plusieurs autres dont nous avons parlé, je ne m'arrête point à les raconter. 41. Le Seigneur lui manifesta dans la même occasion les ouvres de la création du quatrième jour (1); (1) Gen., I, 14-17. 489 notre divine Princesse y apprit en quel instant et comment les luminaires du ciel furent formés au firmament pour diviser le jour d'avec la nuit, et afin qu'ils marquassent les temps, les jours et les années; et c'est pour ce sujet que le grand luminaire du ciel, qui est le soleil, fut fait, comme président et seigneur du jour, et en même temps que lui fut formée la lune, qui est le moindre luminaire, et qui éclaire dans les ténèbres de la nuit : elle y découvrit comme les étoiles furent formées dans le huitième ciel, afin qu'elles rendissent la nuit agréable par leur brillante lumière, et qu'elles présidassent tant à la nuit qu'au jour parleurs diverses influences. Elle y connut la matière de ces corps lumineux, leur, forme, leurs qualités, leur grandeur, leurs divers mouvements et l'uniforme inégalité des planètes. Elle y connut le nombre des étoiles, et toutes les influences qu'elles communiquent à la terre et à tous ses êtres animés; les effets qu'elles rangent en eus, et en quelle manière elles les modifient et les meuvent. 42. Ce que je viens de dire n'est pas contraire à ce que le prophète dit au psaume 146 , où il nous apprend que Dieu tonnait le nombre des étoiles et qu il les appelle par leurs noms; car David ne nie pas que ce souverain Seigneur ne puisse. accorder à la créature, et par son pouvoir infini et par grâce, ce qu'il en a lui-même par nature. Et il est évident que, lui étant possible de communiquer cette science, et que cette communication contribuant à la glus grande excellence de l'auguste Marie, sa divine Majesté ne lui 490 devait pas refuser cette faveur, puisqu'elle lui en avait accordé d'autres plus grandes, en la faisant Reine et Maîtresse des étoiles comme des autres créatures. Et ce bienfait devait être comme inséparable de l'empire que le Seigneur lui donna sur les vertus, les influences et les opérations de tous les corps célestes, commandant à teins de lui obéir comme à leur souveraine Maîtresse. 43. La très-sainte Vierge reçut une si grande puissance par cette. loi, que, suivant notre manière de parler, le Seigneur imposa aux créatures célestes, et de l'empire qu'il lui donna sur elles, que si elle eût commandé aux étoiles de quitter leur place dans le ciel, elles lui auraient obéi incontinent, et elles eussent pris la place que cette divine Dame leur eût assignée. Le soleil et les autres planètes en eussent fait de même, et tous les corps célestes eussent arrêté leur cours et leur mouvement, suspendu leurs influences et leurs opérations au commandement de Marie. J'ai déjà dit qu'elle usait quelquefois de cet empire, ainsi qu'il lui arriva en Égypte (comme nous verrons dans la suite), où les chaleurs sont fort grandes, et où elle se servit du pouvoir qu'elle avait de commander au soleil de modérer son ardeur, et de ne point incommoder par ses rayons l'enfant Dieu et son Seigneur; à quoi le soleil lui obéissait, incommodant la Mère, parce qu'elle le voulait bien de la sorte, et respectant le Fils, le Soleil de justice, qu'elle avait entre ses bras. Il arrivait la même chose à l'égard des autres planètes, et quelquefois elle arrêtait le soleil, comme je le dirai en son lieu. 491 44. Le Très-Haut, dans cette vision, manifesta à notre grande Reine plusieurs autres mystères cachés; et tout ce que j'en ai dit et que j'en dirai me met dans une gène violente, parce que je ne puis dire que fort peu de ce que j'en connais; que je comprends beaucoup moins que tout ce qui arriva à cette divine Dame, et que plusieurs de ces mystères sont réservés, afin que son très-saint Fils les manifeste au jour du jugement universel, parce que présentement nous ne sommes pas capables de tous. La très-pure Marie sortit de cette vision toujours plus enflammée et toujours plus imprégnée des attributs et des perfections qu'elle avait contemplés, toujours plus transformée en cet objet infini; et par l'accroissement des divines faveurs elle augmentait les vertus et redoublait les prières, les soupirs, les ferveurs et les mérites par lesquels elle avançait. l'incarnation du Verbe et notre salut. Instruction que la divine Reine me donna. 45. Ma très-chère fille, je veux que vous considériez avec beaucoup d'attention et que vous estimiez également ce que vous avez compris des choses que je fis et que j'endurai, lorsque le Seigneur me donna une si haute connaissance de sa bonté, inclinée par un poids infini à enrichir les mortels; et que vous tâchiez d'approfondir en même temps et leur peu de retour et 492 leur noire ingratitude. Quand je me mis à considérer et à pénétrer, étant sortie de ce lieu où cette très-libérale bonté m'avait élevée, la dureté insensée des pécheurs, mon coeur, comme s'il avait été percé d'une flèche, fut pénétré d'une mortelle amertume qui me navra toute ma vie. Et je veux vous faire part d'un autre mystère : c'est que le Très-Haut, répondant à mes soupirs, me disait plusieurs fois, pour soulager l'affliction que mon coeur ressentait dans cet abîme de douleurs : " Recevez, ma chère Épouse, ce que le monde ignorant et aveugle méprise, indigne qu'il est de le recevoir et de le connaître. " Et, en me répondant ainsi, le Seigneur semait à pleines mains dans mon âme des trésors qui la consolaient au delà de tout ce que l'entendement en peut concevoir, et de tout ce qu'on en peut exprimer. 46. Je veux donc maintenant, ma chère amie, que vous soyez ma compagne dans cette douleur que je souffris pour les vivants, et à laquelle ils font si peu de réflexion. Et, afin que vous m'imitiez en cela et clans les effets qu'une si juste peine vous causera, vous devez entièrement renoncer à vous-même, vous oublier en tout et couronner cotre coeur d'épines et de douleurs, contrairement à ce que les mortels ont accoutumé de faire. Pleurez ce qui fait le sujet de leurs railleries, de leurs plaisirs et de leur damnation éternelle; car c'est la plus juste occupation de celles qui sont les véritables épouses de mon très-saint Fils; et à celles-là il ne leur est permis de se réjouir que dans les larmes quelles versent pour leurs péchés et pour ceux d'un 493 monde ignorant. Préparez votre coeur par cette disposition, afin que le Seigneur vous fasse part de ses trésors, et ne faites pas tant cela pour ce que vous' en pouvez recevoir, qu'afin que sa divine Majesté satisfasse son libéral amour en vous les communiquant et en justifiant les âmes. Imitez-moi en tout ce que je vous enseigne, puisque vous savez que c'est ma volonté que vous le fassiez. CHAPITRE V. Le Très-Haut manifeste de nouveaux mystères à la très- sainte.Vierge en lui découvrant les œuvres du cinquième jour de la création. - Elle renouvelle ses demandes pour l'incarnation du Verbe. 47. Le cinquième jour de la neuvaine que la très-sainte Trinité célébrait dans son Temple., l'auguste Marie, arriva, afin que, par ses dispositions, le Verbe, éternel prit en elle notre chair humaine : alors la Sagesse infinie, levant plus que les autres fois le voile des profonds secrets, lui en découvrit de nouveaux, l'élevant à la vision abstractive de la Divinité de la même manière que les jours précédents ; mais en se renouvelant, ces opérations, ces illuminations n'avaient lieu qu'avec une plus grande effusion de lumières 494 et de grâces qui s'écoulaient de la source des trésors infinis dans son âme très- sainte et dans ses puissances; de sorte que notre divine Dame s'approchait davantage de litre de Dieu et de sa ressemblance, et se transformait toujours de plus en plus en lui, pour devenir ainsi la digne Mère du même Dieu. 48. Le Très-Haut parla dans cette vision à la divine Reine, pour lui manifester d'autres secrets, et en lui témoignant une bienveillance incroyable, il lui dit : " Vous avec connu , mon Épouse et ma Colombe, dans le secret de mon cœur l'immense libéralité à laquelle me porte l'amour que j'ai pour le genre humain, et les trésors cachés que j'ai préparés pour leur félicité. Cet amour est si puissant en moi, que je veux bien leur donner mon Fils unique pour les instruire et pour les racheter. Vous avez aussi connu quelque chose de leurs mauvaises dispositions et de leur affreuse ingratitude; vous savez le mépris qu'ils font de ma clémence et de mon amour. Mais bien que je vous aie dévoilé une partie de leur malice, je veux, ma chère amie, que vous découvriez de nouveau en mon être combien est petit le nombre de ceux qui auront le bonheur et de m'ai mer comme mes élus, et combien est grand celui des ingrats et des réprouvés. Les péchés et les abominations innombrables que je prévois par ma science infinie chez tant d'hommes souillés et noir cis, arrêtent l'impétuosité de mes miséricordes; ils ont mis de puissants obstacles aux canaux par où 495 les trésors de ma divinité doivent sortir, et rendent le monde indigne de les recevoir. 49. Notre Princesse apprit par ces paroles du Très-Haut de grands mystères touchant le nombre des prédestinés et des réprouvés; elle y découvrit aussi la résistance, l'obstacle que tous les hommes opposaient dans l'entendement humain, par leurs péchés réunis, à ce que le Verbe éternel vint su monde pour s'y faire homme. Et la très-prudente Dame, ravie d'admiration à la vue de la bonté et de l'équité infinie du Créateur, et de la malice et iniquité immense des hommes, dit, toute embrasée de l'amour divin, à sa divine Majesté 50. " Mon Seigneur et mon Dieu infini, qui êtes d'une sagesse et d'une sainteté incompréhensible, quel mystère, ô mon souverain bien ! est celui que a vous venez de me manifester? Les méchancetés des hommes n'ont point de bornes, et votre seule sa gesse les pénètre; mais toutes ces iniquités et beau coup d'autres plus grandes peuvent-elles bien éteindre le feu de votre amour, ou rivaliser avec lui? Non, mon divin Maître, cela ne sera pas ainsi, a la malice des mortels ne doit pas arrêter votre a miséricorde. Je suis la plus inutile de tout le genre humain , mais je vous représente de sa part ce que demande la fidélité de vos promesses. C'est une vérité infaillible que le ciel et la terre passeront plutôt que la véracité de vos paroles (1); vous (1) Matth., XXIV, 35. 496 l'avez plusieurs fois donnée au monde par la bouche de vos saints prophètes, et à ceux-ci par votre a propre bouche, quand vous leur avez dit que vous leur enverriez leur Rédempteur et Sauveur. Comment donc, mon Dieu, pourraient manquer de a s'accomplir ces promesses autorisées par votre sa gesse infinie, qui ne peut être trompée, et par votre bonté ineffable, qui ne peut tromper l'homme? Il n'y eut aucun mérite du côté des mortels pour leur faire cette promesse, et pour leur offrir leur félicité éternelle en votre Verbe humanisé, ni aucune créature, Seigneur, n'a pu vous obliger cela; que si l'on eût pu mériter ce bien, votre clémente infinie et libérale n'eût pas été si fort exaltée; cette obligation ne s'est trouvée qu'en vous même, car la raison qui oblige Dieu à se faire a homme ne peut être qu'en Dieu seul: cette raison et le motif que vous avez eu de nous créer, de nous relever après notre chute et de nous réparer, ne se trouvent qu'en vous seul. Ne cherchez point, mon Dieu, d'autres mérites, ni d'autre raison pour lin carnation, que votre miséricorde et l'exaltation de votre gloire. 51. " Il est vrai, ma chère Épouse, répondit le Très-Haut, que par mon immense bonté je m'obligeai à promettre aux hommes que je me revêtirais de leur nature et que j'habiterais avec eux; il est constant aussi qu'à mon égard personne n'a pu mériter cette promesse; mais l'ingrate conduite des hommes, si odieuse à mes yeux, si blessante 497 pour ma justice, n'en mérite pas l'exécution , puisque ne prétendant que l'intérêt de leur félicité éternelle en retour de mon amour, je connais et je découvre leur dureté, par laquelle ils doivent dissiper et mépriser les trésors de ma grâce et de ma gloire; et je vois qu'ils ne me rendront que des épines au lieu de fruit, que des offenses énormes pour des bienfaits, et qu'une noire ingratitude pour mes grandes et libérales miséricordes; et la fin de toutes ces méchancetés sera pour eux la privation de ma vue dans des tourments éternels. Considérez, ma chère amie, ces vérités écrites dans le secret de ma sagesse, et pesez ces grands mystères, car mon coeur vous est ouvert, où vous connaissez la cause de ma justice. " 52. Il n'est pas possible de révéler les mystères: cachés que la très-sainte Vierge connut en Dieu; parce qu'elle vit en lui toutes les créatures présentes, passées et futures, l'ordre que toutes les âmes devaient tenir, les bonnes et les mauvaises oeuvres qu'elles feraient, la fin que toutes devaient avoir; et si elle n'est été fortifiée par la vertu divine, elle n'eût pu conserver la vie parmi les sentiments et les impressions que la science et la vue de tant de profonds mystères excitaient en elle. Mais comme sa divine Majesté visait dans ces nouveaux miracles et dans ces bienfaits singuliers à des fins si relevées, elle ne fut point avare, mais très-libérale envers sa bien-aimée et celle qui était élue pour être sa Mère. Comme notre Reine puisait cette science dans le sein de Dieu même, 498 elle en recevait le feu de la charité éternelle qui l'embrasait de l'amour de Dieu et du prochain; et continuant ses demandes dans cette même charité, elle dit 53. " Seigneur Dieu éternel, invisible et immortel, je confesse votre justice, j'exalte vos œuvres, j'a dore votre Être infini, et je respecte vos jugements. Mon coeur s'exhale entièrement en des affections amoureuses, connaissant d'un côté votre bonté sans bornes envers les hommes, et de l'autre leur lâche ingratitude et leur grossièreté insupportable envers vous. Vous voulez, mon Dieu, que tous aient part à la vie éternelle; mais il y en aura fort peu qui reconnaîtront ce bienfait inestimable, et le nombre de ceux qui le perdront par leur malice sera fort grand. Si par cet endroit, mon souverain bien, vous vous rebutez, nous sommes tous perdus; mais si par votre science infinie vous avez prévu les péchés et la malice des hommes qui vous offensent si fort, par cette même science vous regardez aussi votre Fils unique humanisé et ses oeuvres, qui sont a d'un prix infini en votre acceptation et qui sur passent sans comparaison tous les péchés. Votre équité doit être satisfaite de cet Homme-Dieu, et à sa seule considération vous nous le devez donner a sans nous faire plus souffrir; et pour vous le demander derechef au nom de tout le, genre humain, je me revêts de l'Esprit même du Verbe fait homme dans votre entendement , et je sol licite la réalisation de vos desseins, et par suite la vie éternelle pour tous les mortels. " 499 54. Dans cette requête que la très-pure Marie présenta au Père éternel, elle exposa pour ainsi dire comment son Fils unique devait descendre dans le sein virginal de la grande Reine prédestinée à devenir sa Mère, et ses humbles et amoureuses prières finirent par le gagner. Il se montrait encore indécis, mais c'était là une industrie qu'employait son tendre amour, afin d'entendre plus longtemps la voix de sa bien-aimée, dont les douces lèvres distribuaient le miel le plus suave (1), et dont les élans ressemblaient aux transports du paradis. Et pour faire durer davantage cet amoureux débat, le Seigneur lui répondit : " Ma chère Épouse et ma douce Colombe, vous me demandez beaucoup, et ce que font les hommes pour l'obtenir est fort peu de chose; or comment accorderai-je à des indignes un si rare bienfait? Laissez-moi les traiter, ma bien-aimée, selon leur ingratitude." A quoi notre puissante et pitoyable Avocate répondit : " Non, mon divin Maître, je ne vous laisserai point, je vous serai toujours importune; si ce que je vous demande est grand, c'est à vous que je le demande, qui êtes riche en miséricorde, puissant dans les oeuvres et véritable dans les paroles. Mon père David dit de vous et du Verbe a éternel : Le Seigneur a juré, et il ne se rétractera point : vous êtes prêtre selon l'ordre de Melchisédech (2). Que ce pontife qui doit être en même temps victime, vienne donc pour notre rachat; (1) Cant., IV, 11, 13. - (2) Ps. CIX, 4. 600 qu'il vienne, puisque vous ne pouvez pas vous repentir de votre promesse, parce que vous ne promettez pas avec ignorance. Mon doux amour : je suis revêtue de la vertu de cet Homme-Dieu, je ne vous laisserai point que vous ne m'ayez donné votre bénédiction comme à mon père Jacob (1). " 55. Il fut demandé à notre Reine dans cette divine lutte, ainsi qu'à Jacob (2), quel était son nom. Elle répondit : " Je suis fille d'Adam, formée par vos mains d'une vile matière. " Et le Très-Haut lui repartit : " Désormais vous vous appellerez l'Élue, pour être Mère du Fils unique. " Mais ces dernières paroles ne furent entendues que des courtisans du ciel, et elles lui furent cachées jusqu'à son temps, n'ayant entendu que le seul terme d'Élue. Cette amoureuse dispute ayant duré le temps que la sagesse divine déterminait, et qui était convenable pour enflammer le coeur fervent de l'Élue, la très-sainte Trinité donna sa parole royale à la très-pure Marie, notre Reine, lui promettant qu'elle enverrait su plus tôt le Verbe éternel au monde pour se faire homme. Étant remplie d'une joie inconcevable que cet agréable fiai lui causait, elle demanda la bénédiction, et le Très-Haut la lui donna. Cette femme forte sortit de la lutte qu'elle venait de soutenir contre Dieu, bien plus victorieuse que Jacob, car elle se trouva riche, puissante, chargée de dépouilles; et pour employer l'humain langage, je dirai que Dieu (1) Gen., XXXII, 26. - (2) Ibid., 27. 501 fut comme blessé et affaibli, ayant été contraint par l'amour de cette auguste Dame de se revêtir dans son sein virginal de la faiblesse humaine de notre chair passible, dans laquelle il devait cacher et couvrir la force de sa divinité pour vaincre dans sa défaite, et nous donner la vie par sa mort. Que les mortels apprennent et voient comme l'incomparable Marie est la cause de, leur salut après son très-béni Fils. 56. Ensuite les oeuvres du cinquième jour de la création du monde furent manifestées dans cette même vision à notre Princesse, dans le même ordre qu'elles étaient arrivées. Elle connut comment la force de la parole divine produisit les eaux qui sont sous le firmament, les reptiles qui rampent sur la terre, les oiseaux qui volent dans l'air, et les poissons qui se trouvent dans ces mêmes eaux (1). Elle connut le principe, la matière, la forme et la figure de toutes ces créatures, le genre et toutes les espèces des animaux sauvages, leurs qualités, leurs propriétés et leurs classes; les oiseaux du ciel (car nous appelons ainsi l'air), avec leur différence, la forme, le plumage, les ornements et la légèreté de chaque espèce; elle découvrit les poissons innombrables de la mer et des rivières, les diverses sortes de monstres marins, leur structure, leurs qualités, leurs cavernes, la nourriture que la mer leur fournit, la fin pour laquelle ils ont été créés et le rôle qu'ils remplissent dans le monde. Le Seigneur commanda singulièrement (1) Gen., I, 20-22. 502 à toute cette multitude de créatures d'obéir à la très-sainte Vierge, lui donnant un entier pouvoir de les commander toutes et de s'en servir, comme il arriva en plusieurs occasions; j'en raconterai quelques-unes dans la suite. Après cela elle sortit de la vision de ce jour, et elle employa le reste aux exercices et aux demandes que sa divine Majesté lui ordonna. Instruction que la Reine du ciel me donna. 57. Ma fille , Dieu s'est réservé de donner aux prédestinés dans la Jérusalem céleste une plus ample connaissance des œuvres merveilleuses que son puissant bras opéra en moi, pour m'élever à la dignité de Mère par les visions abstractives de sa divinité. C'est là qu'ils les connaîtront et les verront en ce divin Seigneur avec autant de joie et d'admiration que les anges lorsqu'ils en louaient et glorifiaient la divine Majesté au moment où il lui plut de les leur manifester. Et parce que le Très-Haut vous a témoigné son amour libéral avec tant de distinction parmi toutes les nations, en vous donnant l'intelligence de ces mystères si profonds, je veux, ma chère amie, que vous vous signaliez entre toutes les créatures dans les louanges que vous devez à son saint nom, pour les 603 grandes choses que la puissance de son bras a opérées envers moi. 58. Ensuite, vous devez faire tous vos efforts pour m'imiter dans les œuvres que je faisais à la suite de ces admirables faveurs. Redoublez vos prières et vos cris pour le salut éternel de vos frères, et afin que le nom de mon Fils soit exalté et connu de tous. Il faut que vous fassiez ces demandes avec une insistance persévérante, affermie dans une foi vive et dans une confiance inébranlable, sans perdre de vue votre misère, avec une humilité profonde et une entière soumission: Ayant fait ces préparatifs, vous devez combattre avec l'amour divin pour le bien de votre peuple, devant être persuadée que ses plus glorieuses victoires consistent à se laisser vaincre par les humbles qui l'aiment sincèrement et avec droiture; élevez-vous au- dessus de vous-même et rendez grâces au Seigneur pour les bienfaits que vous en avez reçus et pour ceux de tout le genre humain; que si vous vous adressez à ce divin amour et si vous en êtes prévenue, vous mériterez de recevoir d'autres nouvelles faveurs tant pour vous que pour vos frères; souvenez-vous aussi de lui demander sa bénédiction toutes les fois que vous vous mettrez en sa divine présence. 504 CHAPITRE VI. Le Très-Haut manifeste à notre Reine d'autres mystères, et les œuvres du sixième jour de la création. 59. Le Très-Haut continuait de. préparer de plus en plus notre Princesse pour l'entrée que le Verbe éternel devait faire dans son sein virginal, et elle persévérait sans relâche ni interruption dans ses, ferventes affections et ses saintes prières, afin qu'il ne tardât pas de venir au monde; la nuit du sixième jour de ceux que je déclare ici étant donc arrivée , elle fut appelée et élevée en esprit par la même voix et par la même force que j'ai dit ci-devant, et étant prévenue par de plus hauts degrés d'illuminations, la Divinité lui fut manifestée par la vision abstractive en la même manière que les autres jours; mais c'était toujours avec des affections plus divines et avec une connaissance plus profonde de ses attributs. Elle employait neuf heures dans cette oraison, et elle en sortait à l'heure de tierce. Et quoique cette sublime vision de l'être de Dieu cessât alors, la très-sainte Vierge ne perdait pas entièrement sa vue et ne quittait point l'oraison pour cela; au contraire, elle entrait dans une autre qui, bien qu'inférieure à celle 505 qu'elle laissait, était pourtant sans contredit très. relevée, et au-dessus de la plus sublime de celles de tous les saints ensemble. Toutes ces faveurs la rapprochaient de plus en plus de la Divinité dans les derniers jours qui étaient les plus proches de l'incarnation, sans que les occupations extérieures de son état y portassent aucun empêchement, parce que dans cette rencontre Marthe ne se plaignait point que Marie la laissait seule dans ses fonctions (1). 60. En suite de la connaissance de la Divinité qu'elle reçut dans cette vision, les oeuvres du sixième jour de la création du monde lui furent manifestées; et comme si elle s'y fût trouvée présente, elle connut en Dieu de queue manière la terre produisit par sa divine parole l'âme vivante en on genre, selon que Moïse le dit (2); entendant par ce terme les animaux terrestres qui, étant plus parfaits que les poissons et les oiseaux dans les opérations et dans la vie animale, sont appelés par la partie principale, âme vivante. Elle connut toutes ces espèces d'animaux qui furent créés dans ce sixième jour; et comme les uns étaient, appelés bêtes de somme; les autres, simplement bêtes,comme étant plus sauvages; et les autres, reptiles, parce qu'ils rampent sur la terre. Elle en connut distinctement les qualités, les instincts féroces, les forces, les fonctions, les habitudes et les fins. Elle reçut un empire absolu sur tous ces animaux, et il leur fut commandé de lui obéir, de sorte qu'elle eût pu sans appréhension (1) Luc., X, 40. - (4) Gen., I, 24. 506 fouler aux pieds l'aspic et le basilic; tous se seraient soumis à cette Reine sans répugnance, ce que quelques-uns d'entre eux filent plusieurs fois, comme il arriva en la naissance de son très-saint Fils, en laquelle le boeuf et l'âne se prosternèrent devant l'Enfant-Dieu et le réchauffèrent de leur baleine, parce que la divine Mère le leur commanda. 61. Notre auguste Reine connut parfaitement dans cette plénitude de science la manière secrète par laquelle Dieu conduisait tout ce qu'il créait au service et à l'avantage du genre humain , aussi bien que le retour que les hommes devaient à leur Créateur pour un tel bienfait. Il fut très-convenable que la très-sainte Vierge eût cette sorte de science, afin qu'elle s'en servit pour rendre à l'auteur d'aussi grands bienfaits les justes actions de grâces, auxquelles et les anges et les hommes avaient manqué en ne s'acquittant pas de tout ce qu'ils devaient en qualité de créatures. L'auguste Marie remplit tous ces vides et suppléa à tous nos manquements, causés tant par notre impuissance que par notre ingratitude. Elle satisfit en quelque façon la divine équité par le retour qu'elle lui rendit, faisant l'office de médiatrice entre cette même équité et les créatures; et nous pouvons dire que par sa sainteté et par sa reconnaissance elle se rendit plus agréable que toutes ensemble, le Très-Haut témoignant d'être plus satisfait de la seule Marie que de tout le reste des autres créatures. Ainsi par ce moyen si mystérieux le temps de la venue de Dieu au monde s'approchait fort, parce que ce qui en empêchait 507 l'exécution était ôté par l'innocence de celle qui devait être sa mère. 62. Après avoir eu connaissance de la création de toutes les créatures incapables de raison, elle connut dans la même vision comme la très-sainte Trinité dit, pour donner l'entière perfection au monde : " Faisons l'homme a notre image et ressemblance (1)," et comme le premier homme fut formé de terre par la vertu de ce divin décret, pour être l'origine des autres. Elle découvrit fort clairement l'harmonie du corps humain; l'Ame, ses puissances, sa création, son infusion dans le corps, l'union qu'elle a avec lui pour composer le tout i dans la formation de ce mène corps, elle eu connut distinctement toutes les parties, le nombre des os, les i Bines, les artères, les nerfs, les muscles, la combinaison des quatre humeurs qui lui donnaient un tempérament convenable ; la faculté qu'il avait de se nourrir, de s'altérer, de se mouvoir; chroment les maladies étaient causées par l'altération de cette harmonie, la disproportion de ces éléments, et de quelle sorte ce désordre était réparé. Notre très-sagace Vierge connut et pénétra tout cela avec bien plus de clarté que tous les philosophes du monde et que les anges mêmes. 63. Le Seigneur lui manifesta aussi l'heureux état de la justice originelle dans lequel il mit nos premiers parents, Adam et Ève. Elle connut les qualités, la beauté et la perfection de leur innocence et de la (1) Gen., I, 26. 508 grâce, et le peu de temps qu'ils y persévérèrent; elle pénétra de quelle manière ils furent tentés et vaincus par la malice du serpent, les effets que le péché causa , la fureur et la haine des démons contre le genre humain (1). A la vue de tous ces objets, notre Reine fit des actes héroïques de toutes les vertus qui furent très- agréables au Seigneur; elle reconnut qu'elle était fille de ces premiers parents, descendante d'une nature si ingrate envers son Créateur. Dans cette connaissance, elle s'humilia en la présence divine, blessant le coeur de Dieu et l'obligeant de l'élever au-dessus de tout ce qui était créé. Elle se chargea de pleurer ce premier péché, aussi bien que tous les autres qui en résultèrent, comme si elle en eût été coupable. C'est pourquoi l'on put appeler dès lors cette faute heureuse, puisqu'elle mérita d'être pleurée avec des larmes si précieuses et si estimées du Seigneur, qu'elles commencèrent d'être la caution et en même temps un gage assuré de notre rédemption. 64. Elle rendit de dignes actions de grâces au Créateur pour l'oeuvre merveilleuse de la création de l'homme. Elle considéra avec beaucoup d'attention la désobéissance qu'il avait commise, et la tromperie avec laquelle Ève avait été séduite; elle se résolut d'observer la perpétuelle obéissance que ces premiers pères refusèrent à leur Dieu et Seigneur. Et cette soumission lui fut si agréable, que sa divine Majesté ordonna que la vérité figurée dans l'histoire du roi (1) Gen., III, 1 509 Assuérus (1), qui répudia la reine Vasthi et la priva de la dignité royale à cause de sa désobéissance, mettant en sa place et élevant à cette dignité l'humble et gracieuse Esther, fut accomplie et exécutée dans ce jour en présence des courtisans célestes. 65. Ces mystères avaient en tout un admirable rapport : car le souverain et véritable Roi fit comme un grand banquet de la création pour découvrir la grandeur de son pouvoir et les trésors de sa divinité, lorsque, ayant préparé la table ouverte et remplie de toutes les créatures, il y invita le genre humain en la création de ses premiers parents. Vasthi , notre mère Ève, étant fort peu soumise au commandement divin, fut assez malheureuse que de désobéir; c'est pourquoi le véritable Assuérus commanda dans ce jour, aux applaudissements et au milieu des magnifiques cantiques des anges, que la très-humble Esther, l'auguste Marie, pleine de grâce et de beauté, fût élevée à la dignité de Reine de tout ce qui est créé, et élue entre toutes les filles du genre humain pour sa restauratrice et Mère de son Créateur. 66. Pour donner la plénitude à ce mystère, le Très-Haut répandit dans le coeur de notre Reine une nouvelle horreur pour le démon, qui correspondait à celle qu'Esther eut pour Aman (2) : et l'horreur que cette vision lui inspira produisit ses effets dans la suite, lorsqu'elle le priva du pouvoir qu'il avait dans le monde et qu'elle écrasa la tète de son orgueil, le menant jusqu'au (1) Esth., I, 2. - (2) Ib., VII, 10. 510 qu'au gibet de la croix, où il prétendit de vaincre et de détruire l'Homme-Dieu, afin que lui-même y fût vaincu et puni comme un malheureux rebelle; la très-sainte Vierge contribuant à tout cela, comme nous le dirons en son lieu, par l'inimitié qu'elle avait contre ce grand dragon, qui commença avant même que d'être précipité du ciel à dresser toutes ses embûches contre cette femme, qu'il y vit revêtue du soleil (1), et qui était, comme nous avons dit, la figure de l'auguste Marie. De sorte que le combat dura jusqu'à ce qu'elle l'eût privé de son pouvoir tyrannique : et comme le très-fidèle Mardochée fut honoré en la place de l'orgueilleux Aman (2), ainsi le très-chaste et très-fidèle Joseph, qui prenait soin de ce qui regardait notre divine Esther et qui lui inspirait continuellement de prier pour la liberté de son peuple (car c'était l'occupation ordinaire de cet incomparable saint et de sa très-pure épouse), fut élevé par son moyen à une si grande sainteté et à une dignité si excellente, que le suprême Roi lui donna l'anneau de son sceau (3) afin qu'il commandât par cette marque d'honneur le même Dieu humanisé, qui lui était soumis, comme l'Évangile le dit (4). Après ce que je viens de dire, notre Reine sortit de celle vision. (1) Apoc., XII, 4. - (2) Esth., VI, 10. - (3) Ib., VIII, 2. -(4) Luc., II, 51. 511 Instruction que la divine Dame me donna. 67. Ma fille, le don d'humilité que je reçus du Très-Haut dans cette rencontre que vous venez d'écrire, fut admirable; et puisque sa divine Majesté ne rebute point celui qui l'appelle, et qu'il ne refuse pas sa faveur à celui qui se dispose à la recevoir, je veux que vous m'imitiez et que vous soyez ma compagne dans l'exercice de cette vertu. Je n'avais nulle part dans le péché d'Adam, puisque je fus exempte de sa désobéissance; mais parce que je participai à sa nature, n'étant sa fille que par ce seul endroit, je m'humiliai jusqu'à m'anéantir. Or, combien doivent s'humilier à mon exemple ceux qui ont non-seulement participé au premier péché, mais qui en ont commis ensuite une infinité d'autres ! Le motif et la fin de cette humble connaissance ne doivent pas tant consister à éviter la peine qu'on a méritée par ces péchés, qu'à réparer l'honneur que l'on a ôté par leur moyen su Créateur et Seigneur de l'univers. 68. S'il arrivait qu'un de vos frères offensât grièvement votre père naturel , vous ne seriez pas une tille reconnaissante et fidèle, ni une soeur véritable, si vous n'étiez affligée de l'offense que votre père aurait reçue, et si vous ne pleuriez la faute de votre frère comme si vous l'aviez commise, parce que l'on doit honorer le père et aimer le frère comme soi-même ; or, considérez, ma très-chère fille, et examinez bien 512 par le secours de la véritable lumière quelle différence il y a entre votre Père qui est aux cieux et votre père naturel, et que vous êtes tous ses enfants, unis par les liens les plus étroits comme frères et serviteurs d'un seul et même Maître, souverain et véritable. Combien ne seriez-vous pas humiliée, confuse et affligée , ma fille , si vos frères naturels tombaient dans quelque faute honteuse? Je veux que la même chose vous arrive pour les péchés que les mortels commettent contre Dieu, et que vous les pleuriez avec autant de confusion que si vous les reconnaissiez pour vôtres. C'est ce que je fis, après avoir connu la désobéissance d'Adam et d'Ève, et les maux qu'elle causa au genre humain. Le Très-Haut regardant avec beaucoup de complaisance ma gratitude et ma charité, parce que celui qui pleure les péchés de ceux qui les oublient après les avoir commis, est fort agréable à sa divine Majesté. 69. Je vous avertis aussi que pour grandes et sublimes que soient les faveurs que tous recevez du Seigneur, vous ne devez pas pour cela négliger le danger, ni dédaigner de pratiquer les moindres couvres d'obligation et de charité. Cet exercice ne vous éloignera pats de Dieu, puisque la foi ne vous enseigne et sa lumière ne vous conduit qu'afin que vous l'ayez toujours avec vous dans toute sorte d'occupation et de lieu, et que vous ne vous sépariez que de vous-même et de votre propre satisfaction pour accomplir le bon plaisir de votre Seigneur et de votre Époux. Ne vous laissez point entraîner dans ces sortes 513 d'affections par le poids de vos inclinations, ni par celui de la bonne intention et de la consolation intérieure; car il arrive bien souvent que ces apparences couvrent de très-grands périls. Faites en sorte que la sainte obéissance vous serve toujours de règle et de maîtresse dans ces doutes, ou plutôt ignorances; par elle vous vous conduirez sûrement dans toutes vos actions, et vous en retrancherez le poison de l'amour-propre , parce que les plus grandes victoires et les augmentations des mérites se trouvent inséparables de la véritable soumission et de l'humble déférence que l'on a pour les sentiments d'autrui; Vous ne devez jamais témoigner de vouloir ou de ne vouloir pas une chose, par ce moyen vous remporterez des victoires et battrez vos ennemis (1). CHAPITRE VII. Le Très-Haut célèbre de nouvelles épousailles avec la Princesse du ciel pour la préparer aux noces de l'incarnation. 70. Les œuvres du Très-Haut sont grandes, parce qu'il les a faites et qu'il les fait toutes avec une plénitude de science et de bonté, ans l'équité et dans la mesure (2). Il n'en est aucune qui soit défectueuse, (1) Prov., XII, 28. - (2) Sap., XI, 21. 514 inutile, ou superflue : elles sont toutes excellentes et magnifiques, parce que le même Seigneur les a faites et les conserve par les dispositions de sa divine volonté, les ayant voulues en la manière qu'elles étaient convenables, pour être connu et glorifié en elles. Mais nous pouvons dire que toutes ses oeuvres extérieures, quoiqu'elles soient grandes, merveilleuses et plus admirables que compréhensibles, ne sont, par rapport au mystère de l'Incarnation, qu'une petite étincelle qui a jailli du foyer immense de la Divinité. Car ce seul grand mystère dans lequel Dieu s'est fait homme passible et mortel, est le grand ouvrage de tout son pouvoir et de sa sagesse infinie, et celui qui surpasse sans mesure toutes les autres oeuvres et merveilles de la puissance de son bras : parce que dans cet adorable mystère les hommes ne reçurent pas une étincelle de la Divinité, mais ils y reçurent tout ce feu adorable, lorsque Dieu s'unit à notre nature humaine et terrestre par une union indissoluble et éternelle. 71. Que si l'on mesure cette merveille du souverain Roi à sa divine grandeur, l'on trouvera qu'il devait s'ensuivre que la femme dans laquelle il allait prendre la forme humaine, fût si parfaite et si bien ornée de toutes ses richesses, qu'il ne lui manquât aucune grâce possible, et que tous les dons qu'elle recevait fussent si parfaits, qu'il n'y eût rien à souhaiter. Or, comme cela était aussi juste que convenable à ta grandeur du Tout-Puissant, sa divine Majesté l'accomplit beaucoup mieux à l'égard de la très-pure Marie, que te roi Assuérus ne l'avait fait à l'égard de l'aimable 515 Esther (1), lorsqu'il voulut l'élever, au trône de sa grandeur. Le Très-Haut prévint notre Reine par de si grandes faveurs et des privilèges si fort au-dessus de tout ce que les créatures peuvent concevoir, que lorsqu'elle parut à la vue des courtisans de ce grand Roi immortel de tous les siècles (2), ils connurent et ils louèrent tous le pouvoir divin : avouant que s'il avait choisi une fille pour être sa Mère, il avait bien pu et su la rendre digne de cet honneur. 72. Le septième jour qui s'approchait de cet admirable mystère, arriva; et la très- sainte Vierge fut appelée et élevée à la même heure que nous avons dit ci-devant, mais d'une manière différente des jours précédents; car dans celui-ci elle fut transportée corporellement au haut de l'empyrée par le ministère des saints anges; il y en eut un néanmoins qui demeura et tint sa place sur la terre, la représentant sous une forme corporelle. Parvenue à ce suprême ciel, elle vit la Divinité par une vision abstractive, comme les autres fois, mais avec une lumière toujours plus grande et des mystères plus profonds, que le grand Être, essentiellement libre, sait et peut cacher et manifester quand il lui plaît. Ensuite elle entendit une voix qui sortait du trône divin, et qui lui disait: " Venez, notre Épouse, notre Colombe et notre bien aimée; vous vous êtes rendue agréable à nos yeux; vous êtes choisie entre mille; nous voulons vous recevoir de nouveau pour notre unique Épouse (1) Esth, II, 9. - (2) I Tim., I, 17. 516 c'est pourquoi nous voulons aussi vous donner des ornements et une beauté dignes de vos désirs. " 73. A cette voix, la très-humble entre les humbles s'anéantit de telle sorte en la présence du Très-Haut, qu'il n'est pas possible à l'entendement humain de le comprendre : et s'étant entièrement soumise au bon plaisir divin, elle répondit avec une agréable timidité: " Voici, Seigneur, cette poussière; voici ce petit vermisseau; voici votre pauvre servante toute prête à exécuter ce qui vous sera le plus agréable. Servez-vous, mon bien-aimé, de cet instrument abject de votre volonté, conduisez-le par votre droite. " Ensuite le Très-Haut commanda à deux séraphins des plus proches de son trône et des plus excellents en dignité , d'assister cette divine fille, et, suivis de plusieurs autres de ces courtisans célestes, ils se mirent sous une forme visible su pied du trône, où la très-sainte Vierge se trouvait bien plus embrasée du divin amour que tous ces esprits séraphiques. 74. C'était un spectacle qui causait une nouvelle admiration et une joie inconcevable à toua les esprits angéliques, de voir une jeune fille dans ce lieu céleste, où aucune autre créature humaine n'avait jamais mis le pied et où elle fut sacrée pour être leur Reine et la plus voisine de Dieu parmi toutes les simples créatures : d'y voir cette femme inconnue et méprisée du monde dans une si haute estime; et d'y voir la nature humaine placée d'avance au milieu d'eux, et déjà nantie des gages d'une élévation supérieure à celle de tous les chœurs célestes. O quelle sainte émulation ne 517 devait pas causer cette rare merveille aux habitants primitifs de la sublime Jérusalem ! O quelles louanges ne chantaient-ils pas à Celui qui en était l'auteur ! O de quels sentiments d'humilité ne renouvelaient-ils pas l'expression en soumettant leurs entendements à la volonté divine! Ils reconnaissaient qu'il était juste et saint que Dieu élevât les humbles, qu'il favorisât l'humilité humaine et qu'il la préférât à l'angélique. 75. Les habitants du ciel étant dans cette juste admiration, la très-sainte Trinité, selon notre basse manière d'exprimer les choses divines, conférait en elle-même combien l'auguste Marie lui était agréable; avec combien de perfection elle avait répondu à tous les bienfaits qu'elle en avait reçus; sur ce qu'elle avait mérité par le secours de ses grâces; sur la proportion qu'il y avait entre la gloire qu'elle rendait à sa divine Majesté et les dons qu'elle en recevait; comme il ne se trouvait en elle ni péché, ni défaut, ni la moindre chose qui pût empêcher sou élévation à la dignité de Mère du Verbe , à laquelle elle était destinée. Les trois personnes divines déterminèrent dans cette conférence d'élever cette créature au suprême degré de grâce et d'amitié de Dieu lui-même, où aucune autre pure créature n'était encore arrivée et n'arriverait jamais. Après cette résolution la très-sainte Trinité se plut en la sainteté suprême de Marie, compte étant conçue dans son entendement divin. 76. Pour répondre à cette sainteté, et au témoignage de la bienveillance avec laquelle le Seigneur lui communiquait les nouvelles influences de sa nature 518 divine, sa Majesté ordonna que la très-sainte Vierge fût ornée visiblement d'une robe et de joyaux mystérieux, qui signifiassent les dons intérieurs des grâces, et les privilèges qu'elle recevait en qualité de Reine de l'univers et de son Épouse. Et quoi qu'elle eût reçu cet ornement et ces prérogatives d'Épouse en d'autres occasions, comme nous l'avons dit, lorsqu'elle fut présentée au Temple; néanmoins dans celle- ci la chose arriva avec de telles circonstances, qu'elles en renouvelaient l'excellence et en rehaussaient le merveilleux, parce que l'auguste Marie entrait dans une disposition plus proche du miracle de l'incarnation. 77. Incontinent les deux séraphins revêtirent la très- sainte Vierge, par l'ordre du Seigneur, d'une robe fort majestueuse, qui, comme symbole de sa pureté et de sa grâce, était si lumineuse, d'une blancheur si rare et d'une beauté si éclatante, que si elle avait projeté sur le monde : un seul de ses rayons infinis, elle l'eût illuminé d'une clarté plus vive que toutes les étoiles ensemble, fussent-elles transformées en autant de soleils; parce que toute la lumière que nous voyons ici ne paraîtrait qu'obscurité en comparaison de ce rayon. Au même temps que les séraphins la revêtaient, le Très-Haut lui donna une profonde intelligence de l'obligation dans laquelle ce bienfait la mettait de correspondre à sa divine Majesté par la fidélité, par l'amour, par une sublime et excellente manière d'opérer en toutes choses, à, laquelle elle se sentait tenue; mais le Seigneur lui cachait toujours le dessein qu'il avait de prendre chair humaine 519 dans son sein virginal. Notre auguste Dame découvrait tout le reste, et par cette connaissance elle s'humiliait avec une singulière sagesse, et demandait le secours divin pour répondre fidèlement à une telle faveur. 78. Les mêmes séraphins lui mirent sur cette robe une ceinture fort riche, qui était un symbole de la sainte crainte qui lui était infuse; elle était d'un éclat extraordinaire, comme si elle eût été composée de diverses pierres précieuses. Au même moment la source de lumière dont la divine Princesse recevait les effusions, l'inonda d'un nouveau jour, afin quelle vît d'une manière toute spéciale les raisons pourquoi Dieu doit être craint de toutes les créatures. Avec ce don de crainte du Seigneur, elle fut dûment ceinte comme il seyait à une simple créature, qui devait traiter et converser si familièrement avec le Créateur lui-même, étant sa véritable Mère. 79. Ensuite elle sentit qu'ils lui ornaient la tète d'une longue et magnifique chevelure réunie par une riche attache; elle était plus brillante que l'or le plus pur. Elle comprit qu'avec cet ornement, il lui était donné d'avoir toute sa vie des pensées relevées, divines et enflammées d'une très-ardente charité , signifiée par ce précieux métal. Elle reçut en même temps de nouveau les habitudes de sagesse et de science très-claire, qui devaient comme tresser et rassembler cette chevelure symbolique avec un art merveilleux, par une participation ineffable des attributs de science et de sagesse de Dieu. Elle obtint aussi 620 avec sa mystérieuse chaussure le privilège que tous ses pas et tous ses mouvements fussent très-beaux (1) , et toujours dirigés vers les fins les plus hautes et les plus saintes de la gloire du Très-Haut. Et ces fins furent atteintes avec une grâce, avec un soin et avec une diligence toute particulière, quand l'occasion se présenta d'opérer le bien, tant envers Dieu qu'envers le prochain , comme il arriva lorsqu'elle visita sainte Élisabeth et saint Jean (2).; de sorte que cette fille du Prince fut trouvée très-belle dans toutes ses démarches (3). 80. Ses mains furent ornées par des bracelets ayant reçu une nouvelle magnanimité pour pratiquer de grandes couvres par une participation de l'attribut de la magnificence; ainsi elle les étendit toujours sur des choses fortes (4). Elle eut les doigts enrichis dé bagues, afin que par les nouveaux dons du Saint-Esprit, elle exerçât les plus petites choses d'une manière. sublime, et avec une intention et des circonstances très-relevées qui devaient rendre toutes ses couvres magnifiques et admirables. Elle reçut aussi un collier rempli de pierres d'un éclat merveilleux et d'un prix inestimable; à ce collier était suspendu un chiffre mystérieux composé de trois pierres bien plus précieuses et excellentes que celles qui représentaient les trois vertus de foi, d'espérance et de charité; ce chiffre avait quelque rapport avec les trois (1) Cant., VII, 1. - (2) Luc., I, 39. - (3) Cant., VII, 1. - (4) Prov., XXXI, 19. 521 personnes divines. Ces très-nobles vertus lui furent renouvelées dans cette occasion, pour l'usage qu'elle avait besoin d'en faire dans les mystères de l'incarnation et de la rédemption. 81. On lui mit aux oreilles des pendants d'or attachés à .des boucles d'argent (1), préparant son ouïe par cet ornement à l'ambassade du saint archange Gabriel qu'elle devait bientôt entendre; elle reçut en même temps une science particulière, afin qu'elle l'écoutât avec attention, qu'elle lui répondit avec prudence, et que ses paroles fussent très-agréables à la volonté divine, et surtout afin que l'argent de sa pureté, ce métal pur et sonore, retentit aux oreilles du Seigneur, et que ces sacrées et tant désirées paroles : Fiat mihi secundum verbum tuum (2), fussent gravées dans le sein de la Divinité. 82. Sa robe fut ensuite parsemée de plusieurs chiffres, qui lui servaient comme de broderie de diverses couleurs rayonnantes; il y en avait qui disaient : Marie, Mère de Dieu, et d'autres Marie, Vierge et Mère mais le sens énigmatique et sacré que renfermaient ces chiffres mystérieux, ne lui fut pas alors découvert, mais seulement aux anges. Les éclatantes couleurs qui rehaussaient la beauté de sa robe étaient les habitudes excellentes de toutes les vertus qu'elle pratiquait par des actes très-éminents et dans un si haut degré de perfection, que toutes les autres créatures intelligentes n'y ont jamais pu arriver. Et (1) Cant., I, 10. - (2) Luc., I, 38. 522 afin qu'il ne manquât rien à cette parure, elle eut le visage embelli de plusieurs illuminations qui lui vinrent de la proximité et de la participation de l'Être infini et des perfections de Dieu, car pour le recevoir réellement et véritablement dans son sein virginal, il était convenable qu'elle l'eût reçu auparavant par grâce dans lé plus sublime degré qui était possible à une pure créature. 83. Cette parure rendit notre auguste Princesse si belle et si ravissante, que ses attraits gagnèrent le coeur du souverain Roi (1), et lui donnèrent lieu de se complaire dans sa beauté. Je ne m'étends pas davantage sur les ornements dont elle fut revêtue d'une manière plus sublime et avec des effets plus divins que les autres fois, parce que j'ai parlé ailleurs de ses vertus, et je serai encore forcée de retoucher la même mature dans la suite de cette divine histoire. L'on ne doit pas être surpris de ces redites, parce que le pouvoir de Dieu étant infini, et le champ de la perfection et de la sainteté immense, on trouve toujours beaucoup à ajouter à ce que l'on en a dit, et l'on y découvre toujours de nouvelles merveilles, car l'incomparable Marie étant une mer impénétrable, nous ne faisons que voltiger sur la surface de ses grandeurs sans pouvoir jamais bien les pénétrer; mon entendement est rempli du peu qu'il en a connu, et une de ses peines est de ne pouvoir exprimer les pensées qu'il en a formées. En suite de ce que je viens de (1) Ps. XLIV, 12. 523 dire, les mêmes anges ramenèrent notre Reine au lieu où ils l'avaient prise. Instruction que la très-sainte Vierge me donna. 84. Ma fille, les garde-robes du Très-Haut sont fournies comme le doivent être celles d'un Roi-Dieu et d'un Seigneur tout-puissant; c'est pourquoi les miches ornements et les précieux joyaux qu'il y conserve pour embellir ses épouses et ses élues, sont sans nombre et sans mesure. Il pourrait enrichir une infinité d'âmes comme il enrichit la mienne, sans diminuer pour cela ses trésors. Que si sa main libérale n'en distribue à aucune autre créature autant qu'à moi, ce n'est pas qu'il ne le puisse ou qu'il ne le veuille, mais c'est parce qu'aucun ne se dispose à la grâce comme je le fis; et si le Tout-Puissant est très-libéral envers plusieurs et les enrichit beaucoup, c'est parce qu'elles apportent moins d'obstacles à ses faveurs, et s'y préparent mieux que les autres. 85. Je désire, ma très-chère, que vous ne mettiez aucun empêchement à l'amour que le Seigneur vous porte, et je veux que vous vous disposiez à recevoir les. dons et les joyaux qu'il vous destine, afin que vous soyez digne d'avoir part à son amitié. Sachez que toutes les âmes justes reçoivent cet ornement de sa libéralité; mais chacune le reçoit dans le degré d' 524 initié et de grâce dont elle s'est rendue capable. Et si vous souhaitez d'arriver, aux plus hauts degrés de cette perfection, et de vous rendre digne de la présence de votre Seigneur et de votre Époux, lichez de croître et de vous fortifier en amour : mais il faut que vous;sachiez que cet amour croît à mesure que la mortification s'augmente. Vous devez renoncer à tout ce: qui est terrestre et en perdre le souvenir; vous ne devez plus avoir d'inclination pour vous ni pour les choses visibles, et vous ne devez vous avancer que dans le seul amour divin: Purifiez-vous dans le sang de Jésus-Christ votre réparateur, et appliquez-vous-le plusieurs fois en renouvelant l'amoureuse douleur de la contrition de vos péchés. Par ce moyen vous lui serez agréable; il désirera votre beauté (1), et vos progrès seront accompagnés de toute sorte de perfection et de sainteté. 86. Le Seigneur vous ayant si fort favorisée et distinguée dans es bienfaits, il est juste que vous surpassiez plusieurs nations en reconnaissance, et que vous le glorifiiez par de continuelles louanges pour tant de faveurs qu'il a daigné vous faire. Que si le vice de l'ingratitude est si noir et si digne de punition dans les créatures, qui en ont moins reçu, quand leurs passions terrestres et grossières leur font oublier, avec un mépris impardonnable, les bienfaits du Seigneur; la faute que vous commettriez par cette vilenie serait bien plus grande après tant d'obligations que vous lui (1) Ps. XLIV, 12. 525 devez. Prenez garde de vous tromper sous prétexte de vous humilier : parce qu'il y a une grande différence entre l'humilité reconnaissante et l'ingratitude faussement humiliée : et sachez que le Seigneur fait bien souvent de grandes faveurs aux indignes, pour manifester sa bonté et sa grandeur; et afin qu'aucun ne s'en enorgueillisse après les avoir reçues, il doit connaître sa propre bassesse et son peu de mérite; ce qui lui servira de contre-poids et de préservatif contre le poison de la présomption; mais ce discernement est toujours compatible avec la reconnaissance, parce qu'il lui fait découvrir que tout don parfait vient du Père des lumières (1); que les bienfaits lui appas tiennent, et que la créature ne les a jamais pu mériter par elle-même, mais qu'elle les reçoit de sa seule bonté; ainsi elle lui doit être entièrement soumise, et dévouée par une très-grande reconnaissance. (1) Jacob., I, 17. 526 CHAPITRE VIII. Notre grande Reine demande, en la présence du Seigneur, l'exécution de l'incarnation et de la rédemption du genre humain, et sa divine Majesté lui accorde sa demande. 87. La divine Princesse était toute remplie de grâce et de beauté, et le coeur de Dieu était si touché de ses tendres affections et de ses ardents désirs (1), qu'il commençait à se déterminer de sortir du sein du Père éternel pour entrer dans ses sacrées entrailles, et de venir enfin su monde, qui l'attendait depuis plus de cinq mille ans. Mais comme cette nouvelle merveille devait être exécutée avec une plénitude de sagesse et d'équité, le Seigneur disposa les choses de telle sorte, que la même Reine du ciel fût digne Mère du Verbe incarné, et en même temps médiatrice efficace de sa venue, beaucoup plus qu'Esther ne le fut de la délivrance de son peuple (2). Le coeur de la très-sainte Vierge brûlait du feu que Dieu même y avait allumé, et elle ne cessait de lui demander le salut pour le genre humain; mais la très-humble Dame balançait entre la crainte et l'espérance, sachant que, par le (1) Cant., IV, 9. -(2) Esth., VII, 8. 527 péché d'Adam, la sentence de mort et de la privation de la présence de Dieu était prononcée contre tous les mortels (1). 88. L'amour et l'humilité se livraient dans le cœur très-pur de Marie un divin combat, durant lequel elle ne cessait d'exhaler d'humbles et amoureux sentiments : " Oh! qui serait assez puissant pour obtenir la guérison de mes frères ! Oh! qui pourrait tirer du Père son Fils unique, et le décider à se faire mortel ! Oh! qui pourrait l'obliger de donner à notre nature ce baiser que l'Époux lui a demandé (2)! Mais nous descendons du transgresseur qui a coma mis le péché: comment pourrions-nous nous concilier la faveur de ce Fils? Comment pourrions-nous attirer Celui que nos premiers parents ont si fort dégoûté? O mon divin amour, que je serais heureuse si je vous voyais entre les bras de votre Mère, revêtu de notre nature (3)! O lumière de la lumière, Dieu véritable engendré par le Dieu véritable, quel bonheur si vous descendiez (4) et si vous abaissiez vos lumières pour éclairer ceux qui sont plongés dans les ténèbres (5), apaisant par ce moyen votre Père irrité! O Père éternel, si votre puis saut bras, qui est votre Fils unique, renversait le superbe Aman (6), notre ennemi le démon! Où se trouvera, Seigneur, la médiatrice qui nous tire de l'autel céleste cette braise de la divinité pour purifier (1) Gen., III, 19. - (2) Cant., X, 1. - (3) Ib., VIII, 1. - (4) Ps. CXLIII, 5. - (5) Isa., IX, 2. - (6) Esth., XIV, 13. 528 le monde, comme le séraphin dont votre Prophète nous parle (1)? " 89. La très-sainte Vierge réitérait cette prière su huitième jour de la neuvaine; et étant ravie et élevée en Dieu au temps ordinaire de minuit, elle entendit sa divine Majesté lui répondre : " Venez, mon Épouse, ma Colombe et mon Élue; vous n'êtes pas comprise dans la loi commune (2); vous êtes exempte du péché et de ses effets dès l'instant de votre conception : lorsque je vous donnai l'être, je détournai a de vous le sceptre de ma justice, et je mis sur votre cou celui de ma grande clémence (3), afin que la loi générale du péché ne vous atteignit point." Approchez-vous donc de moi, et ne craignez point dans votre humilité et dans la connaissance de votre nature : j'élève celui qui est humble, et je comble de richesses celui qui est pauvre; je suis dans vos a intérêts, et ma miséricorde libérale vous sera favorable. " 90. Notre Reine ouït intellectuellement ces paroles, ensuite elle sentit qu'elle était transportée corporellement au ciel par le ministère des saints anges, comme la veille, et vit que l'un d'eux avait pris sa place. Elle monta de nouveau à la présence du Très-Haut, si fort enrichie des trésors de sa grâce et de ses dons, si agréable et si belle, que c'était surtout alors que les esprits célestes , ravis d'admiration , se disaient les uns aux autres, en louant le Seigneur : " Quelle est (1) Isa , VI, 6. - (2) Esth., XV, 13. - (3) Ibid., 15. 629 celle qui s'élève du désert si magnifiquement parée? Quelle est celle qui, appuyée sur bon bien-aimé(1), l'entraîne doucement avec elle jusque dans la terrestre demeure? Quelle est celle qui s'avance comme l'aurore à son lever, belle comme la lune, brillante comme le soleil (2)? Comment s'élève-t-elle si radieuse d'une terre pleine de ténèbres? Comment est-elle si forte et si généreuse dans une nature si fragile? Comment est-elle si puissante, qu'elle veuille vaincre le Tout-Puissant? Et comment, le ciel étant fermé aux enfants d'Adam, l'entrée en est-elle si libre à cette seule fille, qui est de cette même postérité? " 91. Le Très-Haut reçut son élue et son unique Épouse Marie en sa présence; et quoique la vision dé notre Reine ne fût qu'abstractive, elle y reçut néanmoins des faveurs inénarrables que le Seigneur avait réservées pour ce huitième jour, et elles opérèrent en elle une transformation si sublime, que Dieu même, qui y présidait, applaudit pour ainsi dire d'admiration à l'ouvrage de sa puissance, et en étant comme épris, il lui dit : Revertere, revertere, Sulamiiis, ut intueamur te (3). " Tournez-vous, ma chère Épouse, ma très-parfaite Colombe et ma bien-aimée, agréable à mes yeux; tournez-vous vers nous, afin que nous nous voyions et que nous prenions nos complaisances en votre beauté; je ne me repens point d'avoir créé l'homme, a au contraire je me plais en sa formation, puisque vous en êtes sortie; que mes esprits célestes voient (1) Cant., VIII, 5. - (2) Cant., vt, 9. - (3) Ibid., 12 630 avec combien de raison j'ai voulu, et je veux vous choisir pour mon Épouse et pour Reine de toutes mes créatures ; qu'ils sachent que c'est avec justice que je me plais dans vous, en qui mon Fils unique trouvera le plus de gloire, après celle qu'il puise dans mon sein. Qu'ils connaissent que si j'ai justement répudié Ève, la première Reine de la terre, à cause de sa désobéissance , je vous élève et vous mets en la suprême dignité , faisant éclater ma magnificence et mon pouvoir envers vous à cause de votre très-pure humilité et de votre mépris de vous-même. " 92. Les anges éprouvèrent ce jour-ci plus de joie accidentelle qu'ils n'en avaient encore éprouvé en aucun autre jour depuis leur création. Et lorsque la très-sainte Trinité proclama son Épouse Reine des créatures et Mère du Verbe , tous les esprits célestes la reconnurent avec enthousiasme pour leur Supérieure et célébrèrent sa gloire par des hymnes harmonieux , où ils louaient Celui qui l'avait ainsi exaltée. L'auguste Marie était si absorbée par tant d'admirables mystères dans l'abîme de la Divinité et dans la lumière de ses infinies perfections, que par une particulière disposition du Seigneur, elle ne s'aperçut pas de tout ce qui lui arriva, de sorte que son élection à la maternité divine lui fut encore cachée jusqu'au temps déterminé. Le Seigneur ne fit jamais tant de faveurs à aucune autre créature (1), et il ne manifesta (1) Ps. CXLVII, 50. 531 la grandeur de son pouvoir envers aucune, comme il fit envers la très-pure Marie dans ce huitième jour. 93. Le Très-Haut, qui voulait faire éclater davantage sa magnificence, lui dit avec une bonté incomparable : " Ma chère Épouse et mon Élue, puisque vous vous êtes rendue si agréable à mes yeux, demandez-moi sans crainte ce que vous souhaitez; je vous assure, comme Dieu très-fidèle et comme Roi tout-puissant, que je ne rejetterai pas vos demandes et que je satisferai vos désirs. " Notre grande Princesse s'humilia profondément; et, rassurée par la promesse royale du Seigneur, elle lui répondit : " Mon Dieu, si j'ai trouvé grâce devant vos Yeux, je parlerai en votre divine présence, et je vous dirai tout ce que j'ai dans le coeur, quoique je ne sois que poudre et que cendre (1). " Sa divine Majesté lui donna de nouvelles assurances, et lui enjoignit de demander tout ce qu'elle voudrait en présence de tous les courtisans du ciel , quand même ce serait une partie de son royaume (2). " Je ne demande pas pour moi, mon divin Seigneur (répondit la très-sainte Vierge), une partie de votre royaume; mais je le demande tout entier pour tous les hommes, qui sont mes frères. Je vous demande, mon très-puissant Roi , de nous envoyer par votre miséricorde, infinie votre Fils unique, notre Rédempteur, afin, que satisfaisant pour tous les péchés au monde, (1) Gen., XVIII, 3 et 27; Ps. LXI, 9. - (2) Esth., V, 3. 532 votre peuple obtienne la liberté qu'il désire (1), que votre justice étant satisfaite, la paix soit annoncée aux hommes qui sont sur la terre , et que les portes du ciel qu'ils tenaient fermées par leurs péchés leur a soient ouvertes. Ne tardez pas, Seigneur, de nous a faire voir notre Sauveur (2); faites que la paix et la justice se donnent le doux embrassement et le à baiser pacifique que David demandait (3); donnez nous un maître, un guide, un restaurateur et un a chef (4), qui demeure et qui converse avec nous (5). Faites, mon Dieu, que le jour de vos promesses a arrive, accomplissez vos paroles et envoyez-nous notre Messie, qui est désiré depuis tant de siècles. Voilà, Seigneur, ce qui cause tous mes soupirs, ce qui augmente l'ardeur de mes prières et la confiance que j'ai en votre clémence infinie. " 94. Le Très-Haut, qui pour se laisser gagner, inspirait et excitait les demandes de sa chère Épouse, les exauça avec des marques d'une bonté singulière, et il lui répondit avec une douceur inexprimable : " Vos prières sont agréables à ma volonté, et j'ai reçu avec complaisances vos demandes : qu'il soit fait comme vous le demandez; je veux, ma Fille et mon Épouse, ce que vous désirez; et en foi de cette vérité je vous donne ma parole et vous promets que dans fort peu de temps mon Fils unique descendra sur la terre, et se revêtira de la nature humaine, (1) Ezech., XXXIV, 28. - (2) Isa., LII, 10. - (3) Ps. LXXXIV, 11. - (4) Isa., XXX, 20; LV, 4. - (6) Baruc., III, 3 38. 538 s'unissant avec cette même nature : ainsi vos pieux désirs seront accomplis. " 95. Notre grande Princesse sentit intérieurement, à ce témoignage de la divine parole, une nouvelle lumière et une pleine assurance qui la persuadaient que la longue nuit du péché et, des lois anciennes allait finir, et que le nouveau jour, de la rédemption du genre humain s'approchait. Et comme elle était si proche du Soleil de justice qui s'avançait pour prendre notre chair dans son sein virginal, elle, paraissait comme une très-belle aurore, resplendissante des rayons de la Divinité qui la transformait toute en elle-même, et pleine de sentiments d'amour et de reconnaissance pour le bienfait de la rédemption prochaine, elle donnait de continuelles louanges au Seigneur en son nom et en celui de tous les mortels. Elle employa tout le reste de ce jour en cette sainte occupation, après que les mêmes anges l'eurent replacée sur la terre. Je me plains toujours avec raison de mon ignorance et de ma faiblesse, qui me mettent dans l'impossibilité de bien expliquer ces mystères si relevés; mais si les esprits les plus éminents ne le pourront jamais faire entièrement, comment y pourrais-je réussir, moi qui ne suis qu'une pauvre femme? Que la lumière de la piété chrétienne supplée donc à mon ignorance, et que mon obéissance excuse, ma témérité. 534 Instruction de la Reine du ciel. 96. Ma très-chère fille; les ouvres admirables que le pouvoir divin opéra en moi dans ces mystères de l'incarnation du verbe, sont si fort au-dessus de la sagesse mondaine, que la chair, ni le sang, ni même les anges, ni les plus hauts séraphins ne les peuvent pénétrer, si Dieu ne leur en donne une intelligence particulière, n'étant pas capables d'eux-mêmes de connaître des mystères si profonds et si au- delà de la grâce des autres créatures. Louez-en, ma chère amie, le Seigneur, avec un ardent amour et avec une reconnaissance continuelle, et commencez maintenant de considérer avec beaucoup d'attention la grandeur de son divin amour et les grandes choses qu'il fait pour ses amis, dans le désir de les relever de leur bassesse et de les enrichir de divers dons. Si vous pénétrez bien cette vérité, elle vous rendra reconnaissante et vous portera à, faire toujours ce qui sera le plus grand et le plus parfait, comme une fille et une épouse très-fidèle. 97. Je veux bien vous avertir; afin de vous animer davantage, que le Seigneur dit plusieurs fois ces paroles à ses élues : Revertere, revertere, ut intueamur te (1), parce qu'il se plaît si fort en tout ce qu'elles font, qu'il n'est point de père parmi les mortels qui (1) Cant., VI, 12. 535 reçoive tant de plaisir d'être avec son fils unique, et de. le voir accompli de tous points, ni d'artisan de trouver l'ouvrage de ses mains dans sa dernière perfection, ni de roi de se voir dans une ville forte et opulente qu'il viendrait de conquérir, -ni d'ami de jouir de la présence de son estime. Que le Très-Haut reçoit de satisfaction d'être avec ces âmes qu'il a choisies pour ces délices ! car à mesure qu'elles s'avancent dans la perfection, les faveurs et les complaisances du Seigneur croissent aussi. Que si les mortels qui ont la lumière de la foi pénétraient cette vérité, ils ne s'abstiendraient pas seulement de pécher pour cette seule complaisance du Très-Haut, mais ils feraient de grandes oeuvres et ils sacrifieraient même leur vie pour le service et pour l'amour de Celui qui est si libéral à récompenser, à caresser et à favoriser ceux qui lui sont fidèles. 98. Lorsque le Seigneur me dit ces paroles : Revertere, revertere (1), afin que je le regardasse, et que les esprits célestes me vissent, je connus qu'il me les disait avec tant de complaisance, que cette seule complaisance surpasse tout ce que sa divine Majesté a trouvé et trouvera de plus agréable dans toutes les âmes qui sont au plus haut degré de sainteté; je reçus dans cette occasion plus de témoignages de son infinie bonté que tous les apôtres, les martyrs, les confesseurs, les vierges, et que tous les autres saints ensemble. Et mon âme fut comblée d'une effusion si (1) Cant., VI, 12. 536 abondante de grâces et tellement enrichie des communications de la Divinité, que vous ne le pouvez ni connaître ni expliquer parfaitement dans votre chair mortelle. Mais je vous déclare ce mystérieux secret afin que vous en bénissiez Celui qui en est l'auteur, et que vous tâchiez, sous ma protection, d'étendre votre bras sur des choses fortes (1) pendant tout le temps que votre bannissement de la patrie durera, et de vous rendre aussi agréable au Seigneur qu'il le désire, en faisant toujours votre possible pour vous attirer ses complaisances, en profitant de ses bienfaits et en les demandant pour vous et pour votre prochain avec une parfaite charité. CHAPITRE IX. Le Très-Haut fait de nouvelles faveurs à la très-sainte Vierge. - Il la met de nouveau en possession de l'empire de toutes les créatures, et ce fut la dernière disposition qu'elle reçut pour l'incarnation du Verbe. 99. Au dernier jour de la neuvaine, pendant laquelle le Très Haut préparait et embellissait de plus en plus-le tabernacle qu'il allait bientôt sanctifier par (1) Prov., XXXI, 19. 537 sa venue (1), sa divine Majesté détermina d'y renouveler ses merveilles et de lui donner de nouvelles marques qui le devaient distinguer en redoublant toutes les faveurs qu'elle avait faites jusqu'à ce jour à notre auguste Princesse. Mais le Tout- Puissant opérait de telle sorte en elle, que. lorsqu'il tirait de ses trésors infinis des choses anciennes, il y en ajoutait toujours plusieurs nouvelles (2); et toutes ces merveilles sont renfermées et ce que Dieu devait s'humilier jusqu'à se faire homme, et une femme devait être élevée jusqu'à être sa propre Mère. Il ne pouvait arriver aucun changement en Dieu lorsqu'il descendit si bas que de prendre un corps humain, parce qu'il eut bien le pouvoir d'unir notre nature à sa personne sans rien perdre de son immutabilité; mais pour faire qu'une femme qui avait un corps terrestre donnât sa propre substance afin que Dieu s'y unit et se fit homme, il semblait qu'il fallut nécessairement franchir un espace infini, et que cette femme fût aussi distante des autres créatures qu'elle s'approchait davantage de Dieu. 100. Or, le jour arriva auquel la très-sainte Vierge, dans cette disposition, devait se trouver aussi proche de Dieu que d'être sa propre Mère. Dans cette nuit, à la même heure du plus grand silence, elle ouït la voix du Seigneur qui l'appelait comme dans les précédentes. La très-humble et très-prudente Reine, répondant à cette voix, dit : " Me voici, Seigneur, (1) Ps. XLV, 5. - (2) Matth., XIII, 52. 538 mon coeur est préparé; faites de moi tout ce qu'il vous plaira. " Ensuite elle fut ravie eu corps et en âme, comme les autres jours, par le ministère de ses anges dans le ciel empyrée; et ayant été mise devant le trône royal du Très-Haut, sa puissante Majesté l'éleva et la plaça à son côté, lui marquant le siége et lieu quelle devait éternellement occuper en sa divine présence. Et ce fut le plus haut et le plus proche de Dieu, excepté celui qui lui était réservé pour l'humanité du Verbe , parce qu'il surpassait sans comparaison celui de tous les bienheureux. 101. Ensuite elle vit de ce saint lieu où elle fut placée la Divinité par une vision abstractive, comme les autres fois; et sa propre dignité de Mère de Dieu lui étant toujours cachée, sa divine Majesté lui manifesta des mystères si nouveaux et si relevés, qu'il m'est impossible de les révéler à cause de leur profondeur et de mon ignorance. Elle vit de nouveau dans la Divinité toutes les choses créées, et plusieurs possibles et futures. Les choses matérielles lui furent manifestées, Dieu les lui faisant connaître par des sensations physiques et sensibles, comme si elles avaient toutes frappé ses organes extérieurs, et comme si elle les eût aperçues dans la sphère de sa puissance visuelle par les yeux du corps. Elle connut en général toute la fabrique de l'univers, qu'elle n'avait connu auparavant que par ses parties; elle connut distinctement les créatures qu'il contient, comme si elles se fussent présentées dans un tableau. Elle vit toute leur harmonie, leur ordre, leur connexion, 539 la dépendance qu'elles ont entre elles, et comme toutes ensemble sont soumises à la volonté divine, qui les a créées, qui les gouverne, et les conserve chacune en son lieu et en son être. Elle vit de nouveau tous les cieux, les étoilés, les éléments, leurs habitants, le purgatoire, les limbes, l'enfer, et tous ceux qui se trouvaient dans leurs abîmes. Et comme le lieu où la Reine des créatures avait été placée était le plus éminent après celui de l'humanité du Verbe, la science qu'elle reçut fut aussi la plus sublime, parce que n'étant inférieure qu'à Dieu seul elle devait être supérieure à tout ce qui est créé. 102. Pendant que notre auguste Princesse; était ravie en extase dans l'admiration de ce que le Très-Haut lui manifestait, et qu'elle rendait pour tout cela le retour de louange et de gloire qui était dit à un tel Seigneur, sa divine Majesté lui dit : " Je n'ai créé, ma chère Fille, mon Élue et ma Colombe, toutes les choses visibles que vous connaissez, et je ne les conserve par ma providence dans une si agréable variété, qu'à cause de l'amour que je porte aux hommes. Et je dois choisir et tirer d'entre toutes les âmes que j'ai créées jusqu'à présent et que j'ai a déterminé de créer jusqu'à la fin, une assemblée de fidèles, afin qu'ils soient séparés et lavés dans le sang de l'Agneau qui ôtera les péchés du monde (1). Ceux-là seront le fruit spécial de la rédemption qu'il doit opérer; ils jouiront de ses (1) Apoc., VII, 14. 540 effets par le moyen de la nouvelle loi de grâce et des sacrements que leur Restaurateur y établira pour eux; et ensuite ceux qui persévéreront arriveront à la participation de ma gloire et de mon amitié éternelle. Ma première intention a été de créer pour ces élus tant de merveilleux ouvrages, et si tous me voulaient servir, adorer et connaître mon saint nom, je créerais volontiers pour tous et pour chacun en particulier tout autant de trésors que je mettrais à leur disposition. 103. " Et quand je n'aurais créé qu'une seule des créatures qui sont capables de ma grâce et de ma gloire, je la ferais elle seule maîtresse de tout ce qui est créé, puisque tout cela est moindre que de la faire participante de mon amitié et de ma félicité éternelle. Pour vous, ma chère Épouse, vous êtes mon élue et vous avez trouvé place dans mon coeur; ainsi je vous fais maîtresse de tous ces biens, et je vous en donne la possession et le domaine, afin qu'étant Épouse fidèle, comme je veux que vous le soyez, vous les dispensiez à ceux qui. me les demanderont par votre intercession, car c'est pour cela que je les mets entre vos mains. " La très-sainte Trinité lui mit une couronne sur la tête en la consacrant Reine et Souveraine de tout ce qui est créé, et cette couronne était semée de chiures rayonnants d'une lumière de gloire, qui disaient Mère de Dieu, sans qu'elle en découvrit alors le sens mystérieux. Les esprits célestes en eurent pourtant connaissance, et furent remplis d'admiration à la vue 541 de la magnificence du Seigneur envers cette femme. bienheureuse, bénie entre toutes ses compagnes, qu'ils reconnurent pour leur Reine et Maîtresse légitime aussi bien que de tout l'univers. 104. La droite du Tout-Puissant opérait toutes ces merveilles avec un très-bel ordre de son infinie sagesse, parce qu'avant de descendre pour prendre chair humaine dans le sein virginal de cette Daine, il était convenable que les courtisans de ce grand Roi reconnussent sa bière pour leur Reine, et lui rendissent l'honneur qui lui était dû. Il était aussi juste et conforme à l'ordre que Dieu la fit premièrement Reine et ensuite bière du Prince des éternités; car celle qui devait enfanter le Prince devait nécessairement être Reine et reconnue pour telle de ses sujets; or il n'y avait nul inconvénient que les anges la connussent, il ne fallait pas la leur cacher : au contraire, il seyait à la majesté du Très-Haut que le tabernacle qu'il avait choisi pour sa demeure frit prévenu et honoré de toutes les excellences de dignité, de perfection, de grandeur et de magnificence dont il était capable, sans qu'il lui en manquât aucune; et c'est pour ce sujet que les saints anges la reçurent et la reconnurent pour leur Reine en lui rendant hommage. 105. Le Seigneur, voulant mettre la dernière main à cet ouvrage merveilleux (je veux dire l'incomparable Marie), étendit son puissant iras, et renouvela par lui- même l'esprit et lés puissances de cette grande Dame , lui donnant des illustrations, des habitudes et 542 des qualités toutes nouvelles, dont les grandeurs et les particularités ne peuvent être exprimées par nos termes. C'était le dernier coup de pinceau de cette image inanimée de Dieu (1), pour modeler en elle et sur elle la forme dont le Verbe éternel, qui est par essence l'image du Père éternel et la figure de sa substance, devait se revêtir (2). De sorte que ce Temple, la sacrée Marie, se trouva, bien mieux que celui de Salomon (3), tout revêtu dedans et dehors, du très-pur or de la Divinité, sans qu'on y pat découvrir la moindre marque terrestre de la paternité d'Adam. Elle fut toute déifiée par des traits et des devises de la Divinité, parce que le Verbe qui devait sortir du sein du Père éternel pour descendre dans celui de Marie, la préparé de telle sorte, qu'il y trouva à son arrivée tout le rapport possible qui pouvait se rencontrer entre la Mère et le Père. 106. Je n'ai point de nouveaux termes pour expliquer comme je voudrais les effets que toutes ces faveurs produisirent dans le coeur de notre grande Reine. Que si l'entendement humain ne les peut concevoir, comment pourrons-nous les exprimer par nos paroles ? Mais ce qui me cause plus d'admiration dans le lumière que j'ai reçue touchant ces mystères si sublimes, est l'humilité de cette divine Dame, et la sainte émulation qu'il y avait entre elle et le pouvoir divin c'était une rare merveille et un miracle de l'humilité, que de voir cette très-sainte fille élevée (1) II Cor., IV, 4 . - (2) Hebr., I, 3. - (3) III Reg., VI, 30. 543 à la plus haute dignité et à la suprême sainteté après Dieu, et de voir en même temps qu'elle s'humiliât et s'anéantit jusqu'au-dessous de toutes les créatures, et que cette humilité fût assez forte pour l'empêcher d'avoir la moindre pensée qu'elle pût être la Mère du messie; et non-seulement cela, mais il ne se trouva pas même en elle l'ombre de la plus petite présomption. Son coeur et ses yeux ne s'élevèrent point (1) : au contraire, plus les oeuvres du bras du Seigneur l'élevaient, plus elle s'humiliait dans les bas sentiments d'elle-même. Aussi fut-il juste que le Tout- Puissant eût égard à son humilité, et que toutes les nations l'appelassent bienheureuse (2). Instruction que la très-sainte Vierge me donna. 107. Ma fille, celle qui a un amour intéressé et servile n'est pas une digne épouse du Très-Haut, parce que l'épouse ne doit pas aimer ni craindre comme l'esclave, ni elle ne doit pas non plus servir comme une mercenaire. Mais quoique son amour doive être filial et généreux, ayant pour fin le bon plaisir et la bonté immense de son Époux; néanmoins elle a beaucoup de sujet de se croire obligée de le servir, lui qui se montre si riche et si libéral, quia créé (1) Ps. CXXX, 1. - (2) Luc., I, 48. . 544 tant de sortes de biens visibles, à cause de l'amour qu'il porte aux âmes, afin que tous soient utiles à ceux qui servent sa divine )Majesté, lui enfin qui réserve tant de trésors cachés à ceux qui le craignent (1) et les leur distribue avec une excessive abondance de douceur, comme aux disciples de l'infaillible vérité. Je veux que vous vous reconnaissiez fort obligée à votre Seigneur, à votre Père, à votre Époux et à votre ami, voyant combien il enrichit les tunes, qui deviennent par sa grâce et ses filles et ses bien-aimées : puisqu'il a préparé comme Père puissant tant de biens inestimables pour ses enfants, et tous ces biens pour chacun en particulier, s'il était nécessaire. Le peu d'amour que les hommes lui portent, et l'ingratitude qu'ils témoignent, ne peuvent avoir aucune excuse parmi tant de motifs qu'ils ont de l'aimer et parmi tant de bienfaits qu'ils en reçoivent. 108. Faites donc réflexion, ma chère fille, que vous n'êtes point étrangère dans cette maison du Seigneur, qui est sa sainte Église (1); mais que vous y êtes domestique, et épouse de Jésus-Christ parmi les saints, entretenue par les faveurs et accoutumée aux caresses de l'Époux. Et parce que tous les trésors et toutes les richesses qui appartiennent à l'époux, appartiennent aussi à l'épouse légitime, considérez de combien de trésors immenses il vous rend participante et maîtresse. Jouissez-en donc comme domestique, c'est-à-dire comme étant chez vous; soyez zélée (1) Ps. XXX, 20. - (2) Ephes., II, 19. 545 pour son honneur comme une fille et une épouse fervente; et reconnaissez toutes ses oeuvres et tous ses bienfaits, comme si votre Seigneur ne les eût créés que pour vous seule : aimez et honorez-le tant pour vous que pour votre prochain, envers qui il a été si libéral. Tâchez aussi d'imiter en tout cela, autant que vos faiblesses vous le permettront, ce que vous avez appris que je faisais : et sachez, ma fille, qu'il me sera fort agréable que vous exaltiez le Tout-Puissant par d'ardentes affections, pour toutes les faveurs que sa droite me fit pendant cette neuvaine, qui furent au-delà de tout ce que l'esprit humain peut concevoir. CHAPITRE X. La très-sainte Trinité envoie l'archange Gabriel pour annoncer à la très-pure Mère qu'elle était choisie pour être la Mère de Dieu. 109. Dieu avait déterminé de toute éternité le moment opportun où le grand mystère de piété, justifié dans l'esprit, prêché aux hommes, déclaré aux anges et cru dans le monde, devait être manifesté dans la chair (1); mais il le tenait caché dans le sein de sa (1) I Tim., III, 16; Gal., IV, 4. 546 sagesse éternelle. Or la plénitude de ce temps arriva, qui était jusqu'alors fort vide, quoique rempli de prophéties et de promesses, parce qu'il lui manquait celle de la très-pure Marie, par la volonté et le consentement de laquelle tous les siècles devaient recevoir leur perfection (1), qui était le Verbe humanisé, passible et restaurateur. Ce mystère était prédestiné avant tous les siècles, afin qu'il f fût réalisé par l'intermédiaire de notre divine Vierge; et elle, se trouvant dans le monde, la rédemption du genre humain et la venue du Fils unique du Père ne devaient point être différées, puisque Dieu ne devait plus, pour ainsi dire, chercher pour sa demeure des tabernacles empruntés, ou des maisons étrangères (2); mais demeurer dans son propre temple construit et enrichi, au moyen de toutes les ressources qu'il lui avait consacrées, bien mieux que le temple de Salomon ne le fut par les trésors que son père David lui laissa à cet effet (3). 110. Le Très-Haut détermina, dans cette plénitude de temps prédéfini, d'envoyer son Fils unique su monde. Et confrontant, selon notre manière de concevoir et d'exprimer, les décrets de son éternité avec les prophéties et les témoignages qu'il avait donnés aux hommes dès le commencement des choses, et tout cela avec l'état et la sainteté à laquelle il avait élevé la très-pure Marie, il jugea qu'il était convenable pour la gloire de son saint nom que l'exécution de sa sainte volonté et de ce décret éternel fût manifestée (1) I Cor., II, 7. - (2) II Reg., VII, 6. - (3) I Paralip , XXII, 5. 547 aux anges bienheureux , et qu'elle commençât à paraître par leur ministère. Sa divine Majesté fit entendre à l'archange Gabriel cette voix par laquelle elle. signifie sa volonté aux anges. Et quoique l'ordre commun quelle tient pour illuminer ses esprits célestes soit de commencer parles supérieurs, qui, selon leur rang hiérarchique,éclairent les inférieurs jusqu'à ce que cette illumination, en transmettant des uns aux autres ce que Dieu a révélé aux premiers, soit arrivée aux derniers, les choses ne se passèrent point ainsi en cette circonstance: car le saint archange reçut sa mission immédiatement du Seigneur. 111. Gabriel, au pied du trône et toujours attentif aux ordres de l'Être suprême et immuable, s'inclina pour recueillir la manifestation de la divine volonté sa Majesté lui déclara et lui prescrivit l'ambassade qu'il devait faire à l'auguste Marie, et les paroles dont il devait se servir pour la saluer; de sorte que Dieu même en fut le premier auteur; il les forma dans son entendement divin, de là elles passèrent au saint archange, et de lui à la très-pure Marie. Le Seigneur révéla dans cette occasion plusieurs autres mystères de l'incarnation à ce prince céleste, et la très- sainte Trinité lui commanda d'aller annoncer à la divine Fille qu'elle était élue entre toutes les femmes pour être la Mère du Verbe éternel, et qu'elle le concevrait dans son sein virginal par (opération du Saint-Esprit, en conservent intacte sa virginité, et tout le reste que le messager céleste devait révéler à son auguste Reine et Maîtresse. 548 112. Ensuite sa divine Majesté déclara à tous les autres anges, comme le temps de la rédemption du genre humain était arrivé, et qu'elle se déterminait à descendre au monde sans plus différer, puisqu'elle avait déjà disposé et orné la très-pure Marie pour être sa Mère, lorsqu'en leur présence elle lui avait décerné cette suprême dignité. Les divins esprits ouïrent la voix de leur Créateur et lui chantèrent, pleins d'allégresse, des actions de grâces ineffables et de nouveaux cantiques de louange pour l'accomplissement de son éternelle et parfaite volonté, en y répétant toujours cet hymne de Sion : Saint, saint, saint est le Seigneur Dieu des armées (1)." Vous êtes juste et puissant, Seigneur notre Dieu, qui habitez les lieux les plus élevés, et qui regardez les humbles de la terre (2). " Toutes vos couvres sont admirables, et vos pensées très-relevées. " 113. Le prince saint Gabriel, obéissant avec une joie particulière au commandement divin, descendit de l'empyrée, accompagné de plusieurs milliers d'anges radieux. de beauté, qui le suivaient sous une forme visible. Ce grand prince et ambassadeur céleste ressemblait à un adolescent d'une grâce et d'une beauté extraordinaires : son visage était tout rayonnant de gloire, son air majestueux, sa démarche grave, ses paroles remplies de sagesse et d'éloquence; et toutes ses manières, empreintes d'une modeste grandeur, représentaient plus de traits de la Divinité qu'aucun des (1) Isa., VI, 3. - (2) Ps. CXII, 5. 549 autres anges que notre auguste Reine eût jusqu'alors vus sous cette forme. Il portait un diadème d'une splendeur singulière; ses vêtements pompeux brillaient de diverses couleurs d'un éclat admirable; il avait sur la poitrine une très-belle croix comme émaillée, qui découvrait le mystère de (Incarnation pour laquelle il était envoyé; et toutes ces circonstances attirèrent davantage l'attention de cette très- prudente Reine. 114. Le divin ambassadeur, suivi de cette cour céleste, descendit à Nazareth, ville de la province de Galilée, où se trouvait la demeure de la très-sainte Vierge, qui était une pauvre maison. Le lieu de sa retraite était une fort petite chambre, dépourvue des ornements dont 1e monde se sert; elle en condamnait ainsi la vanité par le mépris qu'elle en faisait, et suppléait à leur absence par de plus grands biens spirituels. La divine Dame était alors âgée de quatorze ans six mois et dix-sept jours; car elle avait eu quatorze ans révolus le huit septembre: les six mois et dix- sept jours en sus se trouvaient depuis celui-là jusqu'à celui-ci, auquel le plus grand des mystères que Dieu ait opérés dans le monde fut exécuté. 115. Sa taille surpassait la taille des autres filles de son âge; elle était fort agréable en sa personne, très-bien proportionnée, d'une beauté et d'une perfection achevée : elle avait le visage ovale; les traits en étaient fins et délicats; il n'était ni trop plein ni trop maigre; le teint clair entant soit peu brun; le front large et bien fait; les sourcils bien arqués et bien dessinés; les yeux grands et modestes, d'une couleur entre le 550 noir et le pers, d'un éclat incomparable, mais tempéré par le sourire de l'innocence; le nez droit et régulier; la bouche petite, vermeille et délicatement prise; enfin elle était si merveilleusement belle, et tellement comblée de tous les dons de la nature, qu'il ne se rencontrera jamais aucune créature qui puisse l'égaler. Ceux qui la regardaient étaient en même temps, pénétrés de joie, de vénération, d'affection et de respect elle attirait leurs cœurs, et elle les retenait dans une douce crainte révérentielle; elle les forçait à la louer, et cependant la grandeur de ses grâces et de ses perfections imposait le silence; et elle causait dans tous ceux qui avaient le bonheur de la voir, de mystérieux effets qu'on ne peut facilement expliquer : enfin elle remplissait et animait les rimes d'influences et de mouvements célestes qui les conduisaient à Dieu. 116. Son habit était modeste, pauvre et propre; `d'un gris argenté, ou plutôt cendré, mais fort honnête. Lorsque l'ambassade du ciel s'approchait, Marie, ignorant qu'elle frit déjà commencée, était plongée dans la sublime contemplation d'un mystère due le Seigneur avait renouvelé en elle par cette multitude de faveurs qu'il lui avait faites pendant les neuf jours précédents. Et le Seigneur lui-même l'ayant assurée , comme nous avons dit, que son Fils unique ne tarderait pas de descendre pour prendre chair humaine, elle était fervente et joyeuse en la foi de cette divine parole, et redoublant ses humbles et ardentes affections, elle disait intérieurement: " Est-il possible que l'heureux temps soit arrivé où le Verbe du Père 551 éternel doit descendre pour naître et converser parmi les hommes (1)? que le monde en ait la possession? que les mortels puissent le voir (2)? que cette lumière inaccessible paraisse pour éclairer ceux qui sont plongés dans les ténèbres. (3)? Oh! qui mériterait de le voir et de le connaître ! Oh! qui pourrait baiser la terre que ses pieds adorables auraient foulée! 117. " Que les cieux se réjouissent; que la terre se console, et que les hommes bénissent et glorifient Dieu (4), puisque leur félicité éternelle, s'approche. O enfants d'Adam affligés par le péché, mais pour tant ouvrages de mon bien-aimé, vous lèverez bien tôt la tête, et secouerez le joug de votre ancienne a servitude (5) ! Votre rédemption est proche; votre a salut viendra bientôt. O pères anciens, prophètes et justes, qui espérez dans le sein d'Abraham, qui a êtes détenus dans les limbes, vous allez recevoir votre consolation! Votre désiré le Rédempteur pro mis ne tardera pas (6). Exaltons-le tous, et chantons-lui des hymnes de louange. Oh! qui pourrait être la servante de ses servantes! Oh! qui se rait l'esclave de celle qu'Isaïe lui a. assignée pour Mère (7)! O Emmanuel, Dieu et homme véritable! a 0 Clef de David, qui devez ouvrir le ciel (8) ! O Sagesse éternelle! O Législateur de la nouvelle Église, (1) Baruch., III, 38. - (2) Isa., XL, 5. - (3) Ibid., IX, 5. - (4) Ps. XCV, 11. - (5) Isa., XIV, 25. - (6) Aggae., II, 8. - (7) Isa., VII, 14. - (8) Ibid., XXII, 22. 552 venez, venez, Seigneur! Approchez-vous de nous! Délivrez votre peuple de la captivité, et que toute chair voie le salut (1). " 118. Lorsque saint Gabriel arriva, la très-sainte Vierge était occupée à ces demandes, à ces affections, et ravie dans des transports divins que je ne saurais expliquer. Elle était très-pure en son âme, très-parfaite en son corps, très-noble dans ses pensées, très-éminente en sainteté, remplie de grâces, si divinisée et si agréable aux yeux de Dieu, qu'elle put bien être sa digne Mère, et l'instrument efficace pour le faire sortir du sein du Père, et l'attirer dans le sien. Elle fut le puissant moyen de notre rédemption, et nous lui en sommes redevables à bien des titres; et c'est pour ce sujet qu'elle mérite que toutes les nations la bénissent et la louent éternellement (2). Je dirai dans le chapitre suivant ce qui arriva à l'entrée de l'ambassadeur céleste. 119. Je toucherai seulement ici une chose digne d'admiration, et c'est que pour l'accomplissement d'un si haut ministère, que le saint archange devait lui annoncer, et qui devait s'opérer en elle, sa divine b1ajesté la laissa dans l'état commun des vertus dont nous avons parlé dans la première partie. Le Très-Haut le disposa de la sorte, parce que ce mystère devait être opéré comme un sacrement de foi, et les opérations de cette vertu, aussi bien que celles d'espérance et de charité, devaient s y rencontrer : ainsi le (1) Isa., XL, 5. - (2) Luc., I, 48. 553 Seigneur la laissa dans ces opérations, afin qu'elle crût et espéra en ses divines promesses. Et ces actes ayant précédé, il arriva ce que je dirai bientôt, selon que la faiblesse de mes termes et la grandeur des mystères qui augmentent mon impuissance, me le permettront. Instruction de la Reine du ciel. 120. Ma fille, je vous déclare maintenant avec une affection singulière ma volonté, et le désir que j'ai de vous voir travailler à vous rendre digne de la conversation intime et familière avec Dieu; vous devez vous y disposer avec un grand soin, en pleurant vos péchés, et en renonçant à tout ce qui est visible, et de telle sorte que vous n'occupiez vos pensées qu'en Dieu seul. Pour y réussir, il faut que vous mettiez en pratique tout ce que je vous ai enseigné jusqu'à présent et quant à ce que vous aurez à écrire dans la suite, je vous le dicterai. Je vous montrerai comme vous devez vous conduire dans cette familiarité et dans les faveurs fréquentes que vous recevrez de la bonté de Dieu, en le concevant dans votre coeur par la foi, par la lumière et par la grâce qu'il vous donnera. Que si vous ne vous disposez premièrement en suivant cet avis, vous n'obtiendrez jamais l'accomplissement de 554 vos désirs, ni moi le fruit des leçons que je vous donne comme votre maîtresse: 121. Or, puisque vous avez trouvé sans l'avoir mérité le trésor caché et la précieuse perle de ma doctrine (1), vous devez mépriser tout ce que vous pouvez avoir pour vous acquérir ce seul gage d'un prix inestimable; avec lui vous recevrez tous les biens (2), et vous vous rendrez digne de l'amitié intime du Seigneur et de son habitation éternelle dans votre coeur. En échange de ce grand bonheur, je veux que vous mouriez à tout ce qui est terrestre, que vous offriez votre volonté pleine de sentiments d'un amour reconnaissant, et qu'à mon exemple vous soyez si humble, que de votre côté vous soyez persuadée que vous ne valez rien, que vous êtes dans la dernière des impuissantes, que vous n'avez aucun mérite, et que vous n'êtes pas même digne d'être reçue pour esclave des servantes de Jésus-Christ. 122. Considérez combien j'étais éloignée de me croire élevée à la dignité de Mère de Dieu, à laquelle son infinie bonté me destinait; c'était pourtant après qu'il m'avait promis qu'il ne tarderait pas de venir au monde, m'obligeant à le désirer avec tant d'ardeur, que le jour avant l'exécution de ce merveilleux mystère, je serais sans doute morte dans ces amoureux transports, si la Providence divine ne m'eût fortifiée. J'étais remplie de consolation dans l'assurance où j'étais que le Fils unique du Père éternel descendrait (1) Matth., XIII, 44 et 45. - (2) Sap., VII, 11 555 bientôt du ciel; et d'un autre côté mon humilité me faisait croire que, me trouvant dans le monde, je pourrais bien retarder sa venue. Pénétrez donc, ma très-chère fille, le secret mystérieux de mon coeur, voyez quel exemple est celui-là pour vous et pour tous les mortels! Et parce qu'il est difficile que vous receviez et écriviez une sagesse si sublime, regardez-moi en Dieu, où vous méditerez et découvrirez par le secours de sa lumière mes très-parfaites actions : suivez-moi en m'imitant et en marchant sur mes traces. CHAPITRE XI. La très-pure Marie reçoit l'ambassade du saint archange. - Le mystère de l'Incarnation s'accomplit, elle conçoit le Verbe éternel dans son sein virginal. 123. Je veux confesser, en présence du ciel, de la terre, de leurs habitants et du Créateur universel, notre Dieu éternel, qu'au moment où je prends la plume pour décrire le profond mystère de l'Incarnation, je sens mon peu de force défaillir, ma langue se paralyser, mes discours se glacer, mes facultés s'évanouir; je me trouve tout interdite, et je ne sais plus que tourner mon intelligence éperdue du côté de la divine lumière qui me dirige et qui m'éclaire. A ses 558 rayons on tonnait toutes choses sans illusion, on les découvre sans détours, et je vois mon insuffisance, je reconnais l'impossibilité d'exprimer par de faibles paroles et par des phrases creuses ce que je puis concevoir d'un mystère qui renferme en abrégé Dieu même et la plus grande merveille de sa toute-puissance. Je vois dans ce mystère l'harmonie admirable de la providence et de la sagesse infinie avec laquelle le Seigneur l'a conduit de toute éternité et dès la création du. monde, afin que toutes ses oeuvres et ses créatures fussent comme un moyen adapté à la très- haute fin qu'il avait de descendre dans le monde pour s'y faire homme. l24. Je vois comment le Verbe éternel attendit pour descendre du sein de son Père, et choisit comme le temps et l'heure la plus propre, le silence de la pleine nuit (1), qui figurait l'ignorance des mortels, lorsque la postérité d'Adam était ensevelie dans le profond sommeil de l'oubli et dans la funeste méconnaissance de son Dieu, sans qu'il y eût personne qui ouvrit la bouche pour le confesser et le bénir (2). A l'exception de quelques rares fidèles de son peuple, tout le reste du monde se taisait au fond de ses ténèbres, qu'avait accumulées une longue nuit de près de cinq mille deux cents ans sur les siècles et les peuples se succédant les uns aux autres, chacun à l'époque fixée d'avance et déterminée par la sagesse éternelle, afin que tous puissent rencontrer et reconnaître (1) Sap., XVIII, 14. - (2) Rom., I, 18, 557 ce Créateur qui se manifestait sans cesse, en leur donnant la vie, l'être et le mouvement (1). Mais comme le jour de la lumière inaccessible n'était point encore arrivé, ils marchaient comme des aveugles, touchant les créatures sans y apercevoir la Divinité et sans la connaître; et dans cet aveuglement ils l'attribuaient à des choses sensibles et même à ce que la terre a de plus vil (2). 125. Or, le jour fortuné luisit où le Très-Haut, méprisant les longs siècles d'une si lourde ignorance, détermina de se manifester aux hommes (3) et de commencer leur rédemption , en prenant leur nature dans le sein de la très-pure Marie, préparée, comme nous l'avons dit, à l'accomplissement de ce mystère. Et pour mieux expliquer ce qui m'en est découvert, il faut que je parle auparavant de quelques mystères qui arrivèrent au moment où le Verbe allait descendre du sein du Père éternel. Je présuppose que, bien qu'il y ait une distinction personnelle entre les trois personnes divines, comme la foi nous l'enseigne, il n'y a pourtant aucune inégalité dans la sagesse, dans la toute-puissance, ni dans les autres attributs, pas plus qu'il ne saurait y en avoir dans la substance de la nature divine; et comme elles sont égales en dignité et en perfection infinie, elles le sont aussi dans les opérations qu'on appelle du dehors, parce qu'elles aboutissent, hors de Dieu, à la production extérieure d'une créature ou d'une chose temporelle quelconque. (1) Act., XVII, 27 et 28. - (2) Rom., I, 23. - (8) Act., XVII, 30. 558 Ces opérations sont indivisibles entre les personnes divines; parce que ce n'est pas une seule qui les fait, mais toutes trois, en tant qu'elles sont un même Dieu et qu'elles ont une même sagesse, un même entendement et une même volonté; et comme le Fils fait, veut et opère ce que le Père fait et veut, tout de même le Saint- Esprit fait, veut et opère les mêmes choses que le Père et le Fils. 126. Toutes les trois personnes exécutèrent et opérèrent avec cette indivisibilité d'une même action l'œuvre de l'Incarnation, quoique la seule personne du Verbe reçût en soi la nature de l'homme, l'unissant hypostatiquement à elle-même; et c'est pour cela que nous disons que le Fils fut envoyé par le Père éternel, de l'entendement duquel il procède, et que le Père l'a envoyé par l'opération du Saint- Esprit, qui intervint dans cette mission. Or, comme la personne du Fils était celle qui venait s'humaniser, avant que dé descendre des cieux, sans sortir du sein du Père, il fit dans le divin consistoire, au nom de la même humanité dont il devait revêtir sa personne, une proposition et une demande par lesquelles il représenta ses mérites futurs, afin qu'en considération desdits mérites toute la race humaine obtint sa rédemption et le pardon des péchés pour lesquels il avait à satisfaire la justice divine. Il demanda le fiat de la volonté du Père qui l'envoyait, pour accepter ce rachat en considération de ses oeuvres, de sa très-sainte passion, et des mystères qu'il voulait opérer dans la nouvelle Église et dans la loi de grâce. 559 127. Le Père éternel accepta cette demande et les mérites prévus du Verbe, et lui accorda tout ce qui il proposa et tout ce qu'il demanda pour les mortels. Il lui recommanda aussi ses élus et ses prédestinés comme son héritage, et c'est pour ce sujet que notre Seigneur Jésus-Christ dit par l'organe. de saint Jean, qu'il ne perdit aucun de ceux que son Père lui donna (1), parce qu'il les conserva tous, excepté le fils de perdition, qui fut Judas (2). Et une autre fois il dit. Que personne ne ravirait de sa main, ni de celles de son Père, aucune de ses brebis (3). Il en serait de même pour tous les hommes, si la rédemption, qui fut suffisante pour tous, se trouvait par leur correspondance efficace pour tous et en tous; puisque sa divine miséricorde n'en a exclu aucun, pourvu que tous la reçussent par le moi en de leur Restaurateur. 128. Tout cela eut lieu, selon notre manière de concevoir, dans le ciel, au trône de la très- sainte Trinité, avant le fiat de la très-pure Marie, dont je vais bientôt parler. Au moment de la descente du Fils unique du Père dans son sein virginal, les cieux et toutes les créatures s'émurent; et les trois personnes divines, par suite de leur union inséparable, descendirent toutes avec le Verbe, qui seul devait s'incarner. Tous les membres de la milice céleste sortirent avec le Seigneur Dieu des armées, remplis d'une force invincible et d'une splendeur admirable. Et bien qu'il ne fait pas nécessaire de débarrasser le chemin, parce que la (1) Joan., XVIII, 9. - (2) Ibid., XXVII, 12. - (3) Ibid., X, 28. 560 Divinité pénètre toutes choses, qu'elle occupe tous les espaces et que rien ne la saurait arrêter, néanmoins les lieux matériels, pour témoigner à leur Créateur leur profond respect, s'ouvrirent tous aussi bien que les éléments qui leur sont inférieurs; les étoiles augmentèrent et renouvelèrent leur lumière, la lune, le soleil et les autres planètes avancèrent leur cours pour rendre hommage à leur Seigneur, et pour assister à la plus grande de ses merveilles. 129. Les mortels ne connurent point cette émotion ni ce renouvellement de toutes les créatures, tant parce que la chose arriva de nuit, que parce que le même Seigneur voulut qu'elle fût seulement manifestée aux anges, qui, initiés à des mystères aussi sublimes que vénérables, le louèrent avec un surcroît d'admiration: car ces mystères cachés aux hommes, encore éloignés de ces merveilles et de ces bienfaits, ravissaient les esprits célestes, auxquels alors il était seulement enjoint d'en bénir et glorifier l'auteur. Le Très-Haut fit naître pourtant au même moment dans le coeur de quelques justes une impression de joie extraordinaire et inaccoutumée , et ils en furent si doucement frappés, qu'ils y donnèrent tous une attention toute particulière. Ils conçurent du Seigneur des pensées plus grandes que jamais; plusieurs furent instinctivement portés à attribuer ce qu'ils ressentaient d'insolite à la venue du Messie , qui devait racheter le monde; mais ils tinrent tous la chose secrète, parce que, par une disposition expresse de la puissance divine, chacun croyait en être le seul favorisé. 561 130. Les autres créatures eurent aussi part à ce renouvellement. Les oiseaux redoublèrent leur chant,. les plantes augmentèrent leur odeur, et les arbres leurs fruits ; enfin toutes les créatures ressentirent en elles quelque changement favorable. Mais ceux qui éprouvèrent la joie la plus vive furent les saints pères et les justes, habitant les limbes , où l'archange saint Michel fut envoyé pour leur donner des nouvelles si agréables, qui furent pour eux un grand sujet de consolation. Il n'y eut que l'Enfer qui en fut affligé et qui en ressentit de nouvelles douleurs; parce qu'à la descente du Verbe éternel, les démons sentirent une force impétueuse du pouvoir divin qui les surprit, comme les flots d'une mer irritée, et qui les renversa tous dans, le plus profond des ténébreux abîmes sans qu'ils y pussent résister. Il est vrai que y par la permission divine, ils revinrent sur la terre , où ils firent toutes leurs diligences pour trouver la cause de ce qui venait de leur arriver; mais ils ne purent pas la découvrir, malgré les conférences qu'ils tinrent pour résoudre le cas, parce que le pouvoir divin leur cacha le mystère de l'Incarnation, comme il arriva encore lorsque la très sainte Vierge conçut le Verbe humanisé, ainsi que nous le verrons dans, la suite; car ils ne surent que Jésus- Christ était véritablement Dieu et homme, qu'au moment de sa mort, comme je le dirai en son lieu. 131. Le Très-Haut voulant réaliser ce mystère. l'archange Gabriel, accompagné d'une multitude innombrable d'anges ayant tous une forme humaine 562 d'un éclat et d'une beauté incomparables à proportion de leur élévation entra sous les traits que j'ai dépeints au chapitre précédent, dans la petite chambré où la très- pure Marie était en prière; c'était un jeudi, à sept heures du soir et à l'entrée de la nuit. La Princesse da ciel l'apercevant le regarda avec une modestie et avec une retenue admirable , et ce ne fut qu'autant qu'il fallait pour reconnaître en lui l'ange du Seigneur. Elle ne l'eut pas plutôt reconnu, qu'elle voulut avec son humilité ordinaire se prosterner. à ses Pieds, mais le saint ambassadeur ne le voulut pas permettre, au contraire il lui fit lui-même une profonde révérence comme à sa Reine et Maîtresse, en laquelle il. adorait les divins mystères de son Créateur; il savait d'ailleurs que dès ce jour-là les anciennes coutumes que les hommes avaient d'adorer les anges comme Abraham le fit (1), étaient, changées ; parce que la nature humaine étant élevée à la dignité de Dieu en la personne du Verbe, les hommes étaient en même temps adoptés pour ses enfants et pour compagnons, ou frères des mêmes anges, comme celui qui ne voulut pas recevoir l'adoration de l'évangéliste saint Jean, le lui dit (2). 132. Le saint archange salua notre Reine et la sienne; et il lui dit : Ave, gratia plena, Dominus tecum, benedicta tu in mulieribus (3). La plus humble des créatures, entendant cette nouvelle salutation de l'ange, fut troublée, sans perdre la tranquillité de son âme. (1) Gen., XXVIII, 2. - (2) Apoc., XIX, 10. - (3) Luc., I, 28 et 29 563 Ce trouble eut deux principes en notre auguste Princesse : l'un fut sa très-profonde humilité par laquelle elle se croyait la dernière de toutes les créatures; et s'étant ouïe saluer et appeler bénie entre toutes les femmes, tandis qu'elle nourrissait de si bas sentiments d'elle-même, cela lui parut tout à fait étrange. Le second principe fut, que pendant qu'elle recevait ta salutation et qu'elle la considérait dans son coeur, le Seigneur lui fit connaître qu'il la choisissait pour être sa Mère, et cela la troubla beaucoup plus, parce qu'elle était fort éloignée de cette pensée. Alors l'ange la voyant dans ce trouble, poursuivit son discours, et lui déclara l'ordre du Seigneur, en ces termes: Marie, ne craignez point, parce que vous avez trouvé grâce devant Dieu. Je vous déclaré que vous concevrez dam votre sein. et que vous enfanterez un fils que vous nommerez Jésus. Il sera grand, et sera appelé le Fils du Très-Haut (1); et le reste que le saint archange acheva. 133. il ne se trouva parmi les pures créatures gîte notre très-prudente et très- humble Reine qui pût dûment estimer et pénétrer un mystère si nouveau et si surprenant, et c'est parce qu'elle en apprécia toutes les grandeurs qu'elle en fut ravie et troublée. Mais dans ce trouble elle tourna son humble coeur vers le Seigneur, qui ne pouvait pas lui refuser ses demandes, et elle lui demanda du plus profond de son aime une nouvelle lumière et un secours particulier pour se conduire selon son bon plaisir dans une affaire (1) Luc., I, 30, 31 et 32. 565 d'une si grande importance; parce que, comme j'ai dit dans le chapitre précédent, le Très-Haut la laissa pour opérer ce mystère dans l'état commun de la foi, de l'espérance et de la charité, lui suspendant les autres sortes de faveurs intérieures auxquelles d'ordinaire elle était élevée. Dans cette disposition elle repartit à saint Gabriel ce que saint Luc rapporte : Comment cela se fera-t-il, car je ne connais point mon mari (1)? En même temps, elle représentait en elle-même au Seigneur le. voeu de chasteté qu'elle avait fait, et les épousailles que sa divine Majesté avait contractées avec elle. 134. L'ambassadeur céleste lui répondit : " Noble Dame, il est facile au pouvoir divin de vous rendre mère sans que vous connaissiez aucun homme ; le Saint- Esprit surviendra en vous par sa présence, il s'y trouvera d'une manière nouvelle, et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre (2) , afin que le Saint des saints, qui sera appelé le Fils de Dieu, puisse naître devons. Je vous déclare aussi que votre cousine Élisabeth a conçu un fils dans sa vieillesse, et que celle qu'on appelle stérile est présentement dans le sixième mois de sa grossesse (3) , car rien n'est impossible à Dieu; et Celui qui peut faire concevoir et enfanter une stérile, peut bien, illustre Dame, faire que vous deveniez sa Mère, tout en ne cessant point d'être vierge, et en marquant au contraire votre pureté d'un sceau plus (1) Luc., I, 34. - (2) Ibid., 35. - (3) Ibid., 36. 565 inviolable. Dieu donnera au Fils que vous enfanterez le trône de David, son père, et il régnera à ja mais dans la maison de Jacob (1). Vous n'ignorez pas la prophétie d'Isaïe, qui dit qu'une vierge concevra et enfantera un fils qui sera appelé Emmanuel, c'est-à-dire Dieu avec nous (2). Cette prophétie est infaillible, et elle doit être accomplie en votre personne. Vous savez aussi le grand mystère du buisson ardent que Moïse vit brûler sans qu'il fût consumé ni endommagé par le feu (3), pour signifier le rapprochement des deux natures divine et humaine, a sans que la seconde soit consumée par la première; et pour montrer que la Mère du Messie le concevra et l'enfantera sans le moindre préjudice de son intégrité virginale. Souvenez-vous aussi, grande Dame, de la promesse que notre Dieu éternel fit au patriarche Abraham, qu'après la servitude de sa postérité en Égypte, ses descendants retourneraient en ce pays à la quatrième génération (4). Le mystère de cette promesse était que Dieu humanisé rachèterait alors par votre moyen tous les enfants d'Adam de l'oppression du démon. Et cette échelle que Jacob vit en songe (5) fut une figure expresse a du chemin royal que le Verbe incarné ouvrirait, afin que les mortels montassent au ciel et que les anges descendissent sur la terre, où le Fils unique du Père descendrait pour y converser avec les hommes, et leur communiquer les trésors de sa (1) Luc., I, 32. - (2) Isa., VII, 14. - (3) Exod., III, 2. - (4) Gen., XV, 16. - (5) Gen., XXVIII, 12. 566 divinité par la participation des vertus et des perfections qui se trouvent en son être immuable, et éternel. " 135. Le saint archange informa la très-pure Marie par ces raisons et par plusieurs autres , dissipant par l'autorité des anciennes promesses et des prophéties de l'Écriture le trouble que son ambassade lui avait causé, aussi bien que par la foi et par la connaissance qu'elle avait, de toutes ces choses et du pouvoir infini du Très- Haut. Mais comme notre auguste Reine surpassait les anges même en sagesse, en prudence et en sainteté , elle différait sa réponse pour la donner avec autant de solidité qu'elle la donna, parce qu'elle fut telle que l'exigeait le plus grand des prodiges de la puissance divine. Cette dame considéra avec beaucoup de réflexion, que de sa réponse dépendaient le dégagement de la parole de la très-sainte Trinité, l'accomplissement de ses promesses et de ses prophéties, l'oblation du plus agréable sacrifice qui lui eût été encore offert, l'ouverture des portes du paradis, la victoire et le triomphe sur l'enfer, la rédemption de tout le genre humain, la satisfaction de la justice divine, l'établissement de la nouvelle loi de grâce, la gloire des hommes, la joie des anges; et tout ce qui est renfermé dans l'incarnation du Fils unique du Père, et qui se trouve caché sous cette adorable forme de serviteur qu'il devait prendre dans le sein virginal de Marie (1). (1) Phil., II, 7. 567 136. C'est à la vérité une merveille bien grande et bien digne de notre admiration que le Très-Haut laissât entre les mains d'une jeune femme tous ces mystères et tant d'autres qui s'y trouvent renfermés, et que le tout dépendit de son flat. Mais aussi ce fut avec beaucoup de sûreté qu'il s'en rapporta à la sagesse et à la discrétion de cette femme forte et sublime, qui, après avoir médité ce que Dieu lui proposait, ne trompa point la confiance qu'il avait mise en elle (1). Aux opérations qui ont lieu au dedans de Dieu, la coopération des créatures est inutile, et Dieu ne l'attend pas pour opérer au dedans de lui-même; mais il en est autrement des œuvres contingentes du dehors, et comme son incarnation fut la plus grande et la plus excellente de toutes, il ne voulut pas l'exécuter sans la coopération et sens le consentement de la très-pure Marie, afin de donner par son moyen cette perfection à toutes les autres, et afin que nous fussions obligés de ce bienfait à la Mère de la sagesse et à notre Restauratrice. 137. Cette auguste Dame considéra et parcourut attentivement le champ immense de la dignité de Mère de Dieu, qu'il s'agissait d'acheter par un fiat; elle fut revêtue d'une force plus qu'humaine, elle goûta et elle vit que le commerce de la Divinité était. bon. Elle connut les voies de ses bienfaits cachés, elle s'orna de force et de beauté (2). Et lorsqu'elle eut conféré avec elle-même et avec l'ambassadeur céleste (1) Prov., XXXI, 11. - (2) Ibid., 16, 17 et 18. 568 sur la grandeur de .mystères si hauts et si divins, lorsqu'elle fut bien pénétrée de l'objet de l'ambassade qu'elle recevait, son très-pur esprit fut ravi et absorbé dans l'admiration , dans le respect et dans un très-ardent amour de Dieu. A la suite de ces mouvements si vifs et de ces affections si véhémentes, et comme par leur effet naturel, son très-chaste coeur fut comme étreint et pressé par une force qui lui fit distiller trois gouttes de son très-pur sang dans son sein virginal, où le corps de notre Seigneur Jésus-Christ fut conçu et formé d'elles par l'opération et par la vertu du Saint-Esprit , de sorte que le coeur de la très-pure Marie a réellement et véritablement fourni, à force d'amour, la matière dont la très-sainte humanité du Verbe fut formée pour notre rédemption. Et tout cela arriva su moment où elle prononçait avec une humilité ineffable (ayant la tête un peu inclinée et les mains jointes) ces paroles qui furent le commencement de notre réparation : Ecce ancilla Domini, fiat mihi secundum verbum tuum (1). 138. Ce fiat, si doux aux oreilles de Dieu et si favorable pour nous, ayant été prononcé, quatre choses furent opérées dans un instant. La première fut le très- saint corps de notre Seigneur Jésus-Christ, qui fut formé de ces trois gouttes de sang que le coeur de la sacrée Vierge fournit. La seconde fut la création de la très- sainte âme du même Seigneur, car elle fut aussi créée. La troisième fut l'union (1) Luc., I, 38 569 de l'âme et du corps du Sauveur, union qui donna a son humanité toute la perfection dont elle était capable. Enfin la quatrième fut l'union hypostatique de la Divinité en la personne du Verbe avec l'humanité, qui par cette union devint le suppôt de l'incarnation ; de sorte que Jésus-Christ fut formé Dieu et homme véritable, pour être notre Seigneur et notre Rédempteur. Cette merveille arriva un vendredi , vingt-cinquième de mars, à la pointe du jour, dans l'année dé la création du monde 5199, selon que l'Église romaine, inspirée par le Saint-Esprit, le raconte dans le Martyrologe, et à la môme heure que notre père Adam fut formé. Cette supputation est la véritable, et c'est ce qui m'a été déclaré, l'ayant demandé par ordre de l'obéissance. Conformément à cela, le monde fut créé dans le mois de mars , qui répond au commencement de la création; et parce que les oeuvres du Très-Haut sont toutes parfaites et achevées (1), les plantes et les arbres sortirent de la main de sa divine Majesté avec leurs fruits, et ils ne les eussent jamais perdus si le péché n'eût altéré et corrompu toute la nature, comme je le dirai, s'il plait à Dieu, dans un autre traité; et je ne le dis pas présentement parce qu'il n'est pas nécessaire à celui-ci. 139. Dans le même instant que le Tout-Puissant célébra les épousailles de l'union hypostatique dans le sein de la très-sainte Vierge, elle fut élevée à la vision béatifique où la Divinité lui fut manifestée intuitivement, (1) Deut., XXXII, 4 570 et elle y connut de très-hauts mystères dont je parlerai dans le chapitre qui suit. Elle y découvrit notamment le sens secret des chiffres, qui se trouvaient dans l'ornement qu'elle reçut, et dont j'ai parlé au chapitre septième, et elle eut aussi connaissance de ceux que les anges portaient. Le divin Enfant croissait dans ce lieu sacré par, l'aliment, par la substance et par le sang de sa très-sainte Mère, ainsi que les autres le font, quoiqu'il fut exempt de plusieurs choses que les enfants d'Adam souffrent dans cet état, la Reine du ciel n'ayant pas été sujette à de certains accidents qui ne Font pas essentiels à la génération, mais inhérents au péché, puisque cette nourriture que les autres mères descendantes d'Ève fournissent à leurs enfants avec des imperfections qui leur sont naturelles et communes, la très- sainte Vierge la fournissait au sien en exerçant des actes héroïques de toutes les vertus, et singulièrement de la charité. Et comme les opérations ferventes et les affections amoureuses de l'âme émeuvent le sang et les humeurs, par cette émotion la divine Providence communiquait à ce divin Enfant l'aliment naturel dont son humanité avait besoin pour se nourrir, pendant que sa divinité se récréait par la complaisance qu'elle prenait dans L'exercice des vertus héroïques de sa Mère. De sorte que la sacrée Vierge fournit au Saint-Esprit, pour la formation du corps, un sang pur et limpide, comme étant conçue sans péché et exempte de ses suites. Et bien loin de donner à son divin Enfant un sang impur et imparfait, comme les autres mères le donnent aux aux 571 leurs, elle lui donnait. le plus pur, le plus substantiel et le plus délicat, parce qu'elle le lui communiquait à force d'affections d'amour et des autres vertus., Comme elle savait qu'elle devait partager la nourri, turc qu'elle prenait avec le Fils de Dieu et le sien elle la prenait toujours avec des dispositions si saintes; que les esprits célestes étaient ravis en admiration de voir en des actions si communes tant de mérites pour elle et tant de sujets de complaisance pour le Seigneur. 140. Cette divine Dame fût mise en possession de la dignité de Mère de Dieu avec des privilèges si éminents, que tout ce que j'ai dit jusqu'à présent, et que je dirai dans la suite, est fort au-dessous de leur excellence; il ne m'est pas possible de les expliquer, parce que l'entendement humain ne les saurait dûment concevoir, et les plus doctes même ne trouveront pas des termes assez justes pour exprimer ce qu'ils eu pourront découvrir. Les humbles, qui sont expérimentés en l'amour divin, en connaîtront quelque chose par la lumière infuse et par un certain goût intérieur qui fait pénétrer le secret de pareils mystères. L'auguste Marie ayant été élevée si haut et si ennoblie par cette nouvelle et merveilleuse assistance de la Divinité dans son sein virginal, ne devint pas seulement le ciel, le temple et la demeure de la très- sainte Trinité, mais cette pauvre, maison et ce petit oratoire furent aussi consacrés pour servir de nouveau sanctuaire au Seigneur. Les esprits angéliques qui y assistaient comme témoins de ce prodige, exaltaient 572 le Tout-Puissant avec une joie indicible; ils le bénissaient en la compagnie de cette très-heureuse Mère par de nouveaux cantiques de louange, et ils lui rendaient de continuelles actions de grâces en son nom et en celui du genre humain , qui ignorait le plus grand de ses bienfaits et les plus tendres marques de ses miséricordes. Instruction de la Mère de Dieu. 141. Ma fille, je vous vois dans l'admiration, et c'est avec raison, puisque vous venez d'apprendre par une nouvelle révélation le mystère dans lequel vous découvrez que la Divinité s'est humiliée jusqu'à s'unir avec la nature humaine dans le sein d'une pauvre fille comme j'étais. Je veux dore, ma très-chère, que vous employiez votre plus forte attention à considérer que Dieu ne s'abaissa pas de la sorte pour moi seule, mais qu'il le fit aussi bien pour vous que pour moi (1). Le Seigneur, est infini en miséricorde , et son amour n'a point de bornes; il prend un aussi grand soin d'une seule âme qui le reçoit, il se plait autant avec elle, que s'il n'en eût point créé d'autres; et qu'il ne se fût fait homme que pour elle seule. C'est pourquoi vous devez vous considérer comme étant seule dans le (1) Gal., II, 29. 673 monde pour y reconnaître avec les plus ardentes affections la venue du Seigneur; ensuite vous lui rendrez des actions de grâces de ce qu'il y est venu également pour. tous. Que si vous pénétrez avec une vive foi que le même Dieu, dont les attributs sont infinis et la majesté éternelle, est descendu pour prendre chair humaine dans mon sein; que c'est lui-même qui vous cherche, qui vous appelle, qui vous caresse, et qui se donne tout à vous comme si vous étiez l'unique de ses créatures, cette pénétration vous fera sans doute découvrir ce à quoi un effet si admirable de sa bonté vous oblige, et vous fera changer cette admiration en des actes animés d'une foi la plus ferme et d'un amour le plus ardent, puisque vous êtes redevable de tout cela à un tel Roi et Seigneur, qui a daigné venir à vous lorsque vous ne le pouviez ni chercher ni trouver. 142. Tout ce que cet adorable Seigneur vous peut donner hors de lui-même , vous paraîtrait fort grand, même en ne l'envisageant qu'au point de vue et avec des sentiments humains, sans élever votre esprit à ce souverain bien ; tant il est vrai que tout ce qui vient de la main d'un si grand Roi est digne d'une très-haute estime. Mais si vous le considérez en lui-même, à la lueur du divin flambeau de la foi, et si vous êtes assurée, comme vous le devez être, qu'il vous a rendue capable de sa Divinité; alors vous verrez que si Dieu ne se donnait pas à vous, tout ce qui est créé vous semblerait un néant, et deviendrait pour vous un objet de mépris; cette seule pensée satisfera tous 674 vos désirs, et vous comblera de consolation, lorsque vous ferez attention que vous avez un Dieu si amoureux, si aimable, si puissant, si doux, si riche; et qu'étant si infini en tontes choses, il a daigné s'humilier jusqu'à votre bassesse, pour vous relever de la poussière, pour enrichir votre pauvreté, et pour voué rendre l'office de pasteur, de père, d'époux et d'ami très-fidèle. 1143. Or prenez bien garde, ma fille, aux effets que ces vérités produiront au fond de votre coeur. Faites de sérieuses réflexions sur le très-doux amour que ce grand Roi vous témoigne par sa sollicitude continuelle, par les caresses et les faveurs qu'il vous prodigue, par les tribulations qu' il vous envoie, par le don du flambeau que sa divine science a allumé dans votre âme, afin qu'elle connût à fond les grandeurs infinies de son être, le caractère admirable de ses oeuvres et les mystères les plus cachés, la vérité eu tontes choses et le néant de ce qui est visible,. Cette science est le principe essentiel et la base fondamentale de la doctrine que je vous ai enseignée, pour vous faire apprécier avec combien de respect et de retour vous devez recevoir les bienfaits da Seigneur votre Dieu, votre véritable bien, votre trésor, votre lumière et votre guide. Regardez-le comme un Dieu infini, amoureux et terrible. Soyez attentive à mes paroles et à mes instructions; vous trouverez en elle$ la pari de votre cour. et la lumière de vos yeux. 575 CHAPITRE XII. De ce que la très-sainte âme de notre seigneur Jésus-Christ fit dans le premier instant de sa conception, et ce que sa très-pure Mère opéra alors. 144. Pour mieux pénétrer les premières opérations de 1'âme très-sainte de notre Seigneur Jésus-Christ, il faut présupposer ce que nous avons dit dans le chapitre précédent an paragraphe, 138, que tout le substantiel de ce divin mystère, savoir, la formation du corps, la création et l'infusion de l'âme, l'union de l'humanité inséparable de la personne du Verbe, tout cela fut opéré simultanément, de sorte qu'on ne peut pas dire que notre Seigneur Jésus-Christ ait été un seul instant homme pur : car il fut toujours véritablement homme et Dieu , puisqu'au moment où il pouvait, à causé de son humanité, être appelé homme, il était déjà Dieu. Ainsi il n'est aucun instant auquel on puisse l'appeler simplement homme : il a toujours été Homme-Dieu et Dieu-Homme. Et comme l'être naturel, étant actif, peut incontinent exercer ses facultés, ainsi, au moment même où l'incarnation fut accomplie, l'âme très-sainte de notre Seigneur Jésus-Christ fut béatifiée par la vision et par l'amour béatifique, de manière que les 576 puissances de son entendement et de sa volonté s'élevèrent aussitôt, selon notre manière de concevoir, à la même divinité qu'avait trouvée son être de nature uni substantiellement à elle, et ces puissances s'unirent en même temps à l'être de Dieu par leurs opérations, afin que notre Seigneur Jésus-Christ fût entièrement. déifié et en son être et en ses opérations. 145. La grande merveille de ce mystère est que tant de gloire, que toute l'immensité divine fussent ramassées dans un aussi petit abrégé qu'était un corps qui n'était pas plus grand qu'une abeille: car le volume du très-saint corps de Jésus- Christ n'était pas plus considérable que cela, lorsque la conception et l'union hypostatique furent célébrées. La grande merveille, c'est encore que ce corps si réduit se trouvât à la fois dans là gloire et dans la passibilité : car l'humanité de Jésus-Christ, essentiellement compréhenseur, quoique voyageur du temps, fut glorieuse et passible tout ensemble. biais Dieu put bien, dans son pouvoir et clans sa sagesse infinie, abréger, si j'ose ainsi parler, si fort sa di. alité toujours infinie, que, sans qu'elle cessât de l'être, elle fût renfermée dans la sphère d'un si petit corps par une nouvelle et admirable manière d'y être. il fit aussi par la même toute- puissance, que l'âme très-sainte de. notre Seigneur Jésus-Christ fut bienheureuse dans la partie supérieure des plus nobles opérations, et que toute la gloire sans mesure qui lui causait son bonheur, fût comme retenue dans la suprême partie de son âme, suspendant les effets et les dons qu'elle devait communiquer à son corps; afin 577 que Jésus-Christ fût passible et voyageur aussi bien que compréhenseur; cela ne se faisant que pour donder lieu à notre rédemption par le moyen de sa passion et de sa mort. 146. La très-sainte humanité de Notre-Seigneur fut douée, à l'instant même de sa conception, de toutes les dispositions convenables et nécessaires pour le plein exercice de ses facultés et la réalisation de toutes les choses qu'il devait faire, tant comme compréhenseur que comme passible et pèlerin de la terre; ainsi il reçut la science bienheureuse et infuse, la grâce justifiante et les dons du Saint-Esprit, qui reposa sur lui, comme dit Isaïe (1). Il eut toutes les vertus, excepté la foi et l'espérance, qui ne peuvent compatir avec la vision et la possession béatifique. Et s'il se trouve quelque autre vertu qui présuppose quelque imperfection en celui qui l'a, elle ne pouvait pas être dans le Saint des saints, qui ne put commettre aucun péché, et dont la bouche ne proféra jamais aucune parole de mensonge (2). Il n'est pas nécessaire que nous nous étendions ici davantage sur la dignité et l'excellence de la science, de la grâce, des vertus et des perfections de notre Seigneur Jésus- Christ, parce que les saints docteurs et les théologiens l'enseignent amplement. Pour moi, il me suffit de savoir qu'il poussa la perfection dans tous les sens jusqu'aux dernières limites de la puissance divine, et au delà de tout ce que l'entendement humain peut (1) Isa., XI, 2. - (2) I Petr., II, 22. 578 concevoir, parce qu'ayant la source de la vie (1), qui est la Divinité, son âme très- sainte devait, suivant l'expression de David, boire sans fin ni mesure de l'eau de son torrent (2). Ainsi il eut la plénitude de toutes les vertus et de toutes les perfections. 147. L'âme de notre Sauveur Jésus-Christ étant déifiée et enrichie de tous les dons de la Divinité, voici dans quel ordre eurent lieu ses opérations. Ce fut d'abord de voir et de connaître intuitivement la Divinité, comme elle est en soi, et comme elle était unie à sa très-sainte humanité. Ensuite elle l'aima d'un souverain amour béatifique. Après cela cette âme très-sainte reconnut l' être de son humanité, inférieur à litre de Dieu, et elle s'humilia très-profondément; et elle rendit grâces avec la même humilité à l'Être immuable de Dieu, du bienfait de la création et de celui de l'union hypostatique, par laquelle elle fut élevée à l'Être de Dieu avec la nature humaine. Elle connut aussi que son humanité était passible, afin que le but de la rédemption pût être atteint. Dans cette connaissance, Jésus-Christ s'offrit en sacrifice propitiatoire pour être le Rédempteur du genre humain (3); et cet homme adorable recevant avec complaisance l'être passible, rendit grâces au Père éternel en son nom et en celui de tous les hommes. Il vit l'organisation de sa très-sainte humanité, la matière dont elle avait été formée, et comme la très-pure Marie la lui avait fournie par un mouvement ardent de sa (1) Ps. XXXV, 10. - (2) Ps., CIX, 7. - (3) Hebr., X, 5 et 6. 579 charité, et par l'exercice des vertus les plus héroïques. Il prit possession de ce saint Tabernacle, il se plut dans sa demeure, il en agréa l'éminente beauté, et s'appropria au même moment pour toute l'éternité l'âme de la plus parfaite et de la plus pure des créatures. Il loua le Père éternel de l'avoir créée avec une telle prééminence de grâces et de dons, et de l'avoir exemptée, quoique issue d'Adam, de la loi commune du péché que toutes ses descendantes avaient encourue (1). Il pria pour saint Joseph et pour sa chaste compagne, dont il demanda le salut éternel. Toutes ces opérations et les autres qu'il fit furent aussi relevées qu'elles pouvaient l'être dans un véritable Homme-Dieu, et indépendamment de celles qui se rattachent à la vision et à l'amour béatifiques, il donna à toutes et à chacune de ses actions un mérite tel, qu'il aurait pu suffire au rachat d'une infinité de mondes s'il eût été possible de les trouver. 148. Notre rédemption eût été surabondante par le seul acte d'obéissance que fit la très-sainte humanité unie au Verbe, en acceptant la passibilité et en consentant avec plaisir à ce que la gloire de son âme ne rejaillit. point sur son corps. Mais, quoique la valeur d'un seul acte fût plus que suffisante pour notre rançon, il ne pouvait pas satisfaire l'amour immense que Jésus-Christ portait aux hommes, et qui l'a forcé à nous aimer avec une volonté effective jusqu'à la fin de l'amour, qui était celle de sa propre vie, en la donnant (1) Rom., V, 12. 580 pour nous (1) avec des démonstrations et des circonstances de la plus grande affection que l'entendement humain et angélique ait pu imaginer. Que si notre Seigneur Jésus-Christ nous enrichit si fort dans le premier instant qu'il vint au monde, quels trésors, quelles richesses, quels mérites ne nous devait-il pas laisser, lorsqu'il en sortit par sa passion et par la mort de la croix, après trente-trois ans de travaux si grands et d'opérations si divines ! O amour immense ! O charité sans borne! O miséricorde sans mesure! O bonté très-libérale ! Mais, ô noire ingratitude et oubli damnable des mortels à la vue d'un bienfait aussi inouï qu'il est important! Que deviendrions-nous sans lui? Mais comment nous comporterions-nous envers ce divin Seigneur, s'il eût moins fait pour nous, puisque, ayant fait tout ce qu'il a pu, nous n'en sommes pas touchés? Si nous ne lui rendons pas le retour comme à notre Rédempteur, qui nous a donné la vie et la liberté éternelle, écoulons-le du moins comme notre Maître; suivons-le comme notre capitaine, comme notre guide et comme notre chef, qui nous enseigne le chemin de notre véritable félicité. 149. Cet adorable Seigneur ne travaillait pas pour lui-même; il ne méritait point pour son âme très-sainte la récompense ni les augmentations de sa grâce; c'était pour nous qu'il le faisait : car il n'en avait pas besoin; il ne pouvait recevoir aucun accroissement de grâce ni de gloire; il en était tout rempli, comme (1) Joan., XIII, 1. 581 l'évangéliste nous le dit (1), parce qu'étant homme, il était aussi Fils unique du Père. En cela il n'eut point de -semblable, il ne pouvait non plus pas en avoir. Tous les saints et toutes les simples créatures méritèrent pour eux-mêmes et eurent pour fin de leurs travaux leur propre récompense; le seul amour de Jésus-Christ fut désintéressé; il fut tout pour nous. Que s'il étudia et s'instruisit à l'école de l'expérience (2), il ne le fit que pour nous enseigner et nous enrichir par l'exercice de l'obéissance, par les mérites infinis qu'il acquit et par l'exemple qu'il nous donna (3), afin que nous devinssions savants dans l'art d'aimer, qu'on ne saurait apprendre parfaitement par les seules affections et les simples désirs, si on ne le met en pratique par les oeuvres réelles et effectives. Je ne m'étendrai point sur les mystères de la très-sainte vie de notre Seigneur Jésus-Christ, à cause de mon incapacité; je m'en rapporterai aux évangélistes, n'en touchant que ce qu'exigera cette divine histoire de sa Mère et notre Maîtresse : car la vie du Fils et celle de la Mère ont une relation si étroite, que je ne puis éviter d'en prendre certains traits dans les évangélistes, et d'en ajouter d'autres dont ils n'ont fait aucune mention parce que la connaissance n'en était pas nécessaire dans les premiers temps de l'Église catholique. 150. Après toutes les merveilles qu'opéra notre Seigneur Jésus-Christ à l'instant de sa conception, sa (1) Joan., I, 14. - (2) Luc., II, 62. - (3) Hebr., V, 8; 1 Petr., II, 21. 582 très-sainte Mère jouit, dans un autre instant de nature, de la vision béatifique de la Divinité dont nous avons parlé au chapitre précédent, sous le paragraphe 139 ; car dans un instant de temps il peut y en avoir plusieurs qu'on appelle de nature. Notre auguste Dame connut très-clairement et très-distinctement, dans cette vision , l'union hypostatique des deux natures divine et humaine en la personne du Verbe éternel et la très-sainte Trinité la confirma dans le titre, dans le nom et dans le droit de Mère de Dieu, comme elle l'était réellement et dans toute la rigueur du mot, étant Mère naturelle d'un Fils qui était Dieu éternel, avec la même certitude qu'il était homme véritable. Et, quoique cette grande Dame ne coopérât point immédiatement à l'union de la Divinité avec l'humanité, elle ne perdit pas pourtant le droit de véritable Mère de Dieu, puisqu'elle concourut à cette conception en fournissant la matière, et en coopérant par ses puissances à tout ce qui regardait l'office de la maternité; et beaucoup plus que les autres femmes, car elle y concourait seule et. sans la participation d'aucun homme. Et comme dans les autres conceptions on appelle père et mère les agents qui y concourent naturellement, quoiqu'ils ne contribuent point immédiatement à la création de l'âme ni à l'infusion qui en est faite dans le corps de l'enfant, tout de même la très- pure Marie devait être appelée, comme on l'appelle véritablement et avec beaucoup plus (le raison, Mère de Dieu, puisque dans la conception de Jésus-Christ, Dieu et homme véritable, elle seule y concourut comme Mère, sans 583 aucun autre concours naturel; et par le moyen de ce concours et de cette conception naquit Jésus-Christ, homme et Dieu. 151. La très-sainte Vierge, fière de Dieu, connut aussi dans cette vision tous les mystères futurs de la vie et de la mort de son très-doux Fils, de la rédemption du genre humain, de la nouvelle loi de l'Évangile, par le moyen de laquelle ces mystères devaient être établis, et plusieurs autres sublimes et profonds secrets qui ne furent découverts à aucun saint. La très-prudente Reine, se voyant en la présence intuitive de la Divinité, et avec la plénitude de science et des dons dont elle fat enrichie en qualité de fière du Verbe, s'humilia devant le trône de sa Majesté immense; abîmée dans son humilité et dans l'amour divin, elle y adora le Seigneur en son Être infini et eu l'union de la très-sainte humanité. Elle lui rendit grâces pour la dignité de Mère qu'elle avait reçue, et pour la faveur que sa divine Majesté faisait à tout le genre humain. Elle le glorifia pour tous les mortels. Elle s'offrit en sacrifice agréable pour servir et nourrir son très-doux Fils, pour l'assister dans tous ses besoins temporels, et pour coopérer (autant qu'elle pourrait de son côté) à l'oeuvre de la rédemption. La très-sainte Trinité reçut son offre avec complaisance, et la destina à être la coadjutrice de ce divin ministère. En conséquence , elle demanda une grâce spéciale pour se conduire dans la dignité et dans la mission de Mère du Verbe humanisé , et pour le traiter avec la magnificence convenable et avec la vénération 584 due à Dieu même. Elle offrit à son très-saint Fils tous les enfants d'Adam qui devaient naître, comme aussi les saints pères et les justes des limbes; et elle fit en son nom et en celui de tous plusieurs actes héroïques de vertus et plusieurs grandes demandes que je ne raconte pas ici, parce que j'ai touché quelque chose de semblable en d'autres occasions, d'où l'on pourra inférer ce que notre divine Reine faisait dans celle-ci, qui surpassait si fort en excellence toutes celles où elle s'était trouvée avant ce jour fortuné. 152. Ses affections furent plus ardentes envers le Très-Haut dans la demande qu'elle fit d'une grâce spéciale pour se gouverner dignement comme Mère du Fils unique du Père, parce que son humble coeur la portait à cela, qu'elle en faisait le plus pressant motif de son humilité, et qu'elle désirait d'être conduite dans tout ce qu'elle ferait en s'acquittant de cet office de Mère. Le Tout-Puissant lui répondit : " Ne craignez point, ma Colombe, je vous assisterai et vous dirigerai, vous ordonnant tout ce que vous devrez faire envers mon Fils unique. " Après cette promesse, elle sortit de l'extase en laquelle il lui arriva tout ce que je viens de dire, et ce fut la plus admirable qu'elle eût eu jusqu'alors. La première chose qu'elle fit, étant revenue dans son état ordinaire, fut de se prosterner à terre et d'adorer son très-saint Fils, Dieu et homme conçu dans son sein virginal, parce qu'elle ne lui avait pas encore rendu ces marques corporelles et extérieures de son humble et amoureux respect, et rien ne fut à la disposition et 585 au pouvoir de la très-prudente Mère, qu'elle ne le mit en pratique pour le service de son Fils et de son Créateur. Dès lors elle reconnut et sentit de nouveaux effets de la divine grâce dans son âme très-sainte, et dans toutes ses puissances intérieures et extérieures. Et bien qu'elle eût été, en la disposition de son âme et de son corps, dans un très-noble état durant toute sa vie, néanmoins elle se trouva, dès ce jour de l'incarnation du Verbe, beaucoup plus spiritualisée et comme divinisée par un nouveau surcroît de grâces et de dons ineffables. 153. L'on ne doit pourtant pas croire que la très-pure Mère reçut toutes ces faveurs, et que l'union de la Divinité avec l'humanité de son très-saint Fils se fit en elle afin qu'elle vécût toujours dans les délices et dans les consolations spirituelles, et jamais dans les souffrances. Il n'en fut pas ainsi, car cette auguste Dame imitant la passibilité de son bien -aimé Fils, partagea sa vie entre les joies et les afflictions, la connaissance profonde qu'elle avait reçue des travaux et de la mort du doux Seigneur Jésus lui perçant le coeur comme un glaive de douleur, et le remplissant d'amertume (1). L'on pouvait mesurer cette douleur à la connaissance qu'une telle Mère avait d'un tel Fils, et à l'amour qu'elle lui, portait, ses afflictions maternelles étant renouvelées et augmentées par sa présence et par sa conversation. Ainsi , quoique toute la vie de notre Seigneur Jésus-Christ et de sa très (1) Luc., II, 35. 586 sainte Mère ne fût qu'un martyre continuel et un long exercice de la croix, qui se passait dans des peines et des travaux qu'on ne peut exprimer; néanmoins il y. eut dans le coeur si tendre de notre divine Reine un genre particulier de souffrance, venant de ce qu'elle avait toujours présents à son esprit la passion, les tourments, les ignominies et la mort de son Fils. De sorte que nous pouvons dire qu'elle observa la longue veille de notre rédemption par une, douleur continuelle de trente-trois ans, tenant cet affligeant mystère caché dans son coeur sans le communiquer à personne, et sans recevoir aucun soulagement des créatures. 154. Pénétrée de cet amour douloureux, et pleine de sentiments à la fois doux et pénibles, elle s'adressait maintes fois à son très-saint Fils, et elle lui tenait, avant et après sa naissance, ce discours qui partait du plus profond de son coeur : " Seigneur de mon âme ! mon très-doux Fils! comment avez-vous joint à la possession de la dignité de Mère dont vous m'avez honorée, l'affligeant regret que j'ai de vous perdre et d'être privée de votre aimable compagnie? Vous n'avez pas plutôt reçu la vie, que vous acceptez pour le rachat des hommes la sentence de votre cruelle mort! La première de vos oeuvres serait d'un prix surabondant pour satisfaire à leurs péchés. Oh! si la justice du Père éternel se contentait de cela, et que la mort et les tourments me fussent réservés à moi ! Vous avez pris de mon sang et de ma propre substance un corps, sans lequel vous, qui êtes 587 Dieu impassible et immortel, ne pourriez pas souffrir. Que si je vous ai fourni l'instrument ou le sujet des douleurs, il est bien raisonnable que je souffre aussi la même mort avec vous. O cruel péché! ô chute lamentable et cause de tant de maux ! ô homme! comment as-tu mérité un si grand bonheur, que d'avoir pour ton restaurateur. Celui qui, étant le souverain bien, a pu te rendre heureux dans ton infortune? O mon très-doux Fils et les délices de mon âme ! qui pourrait vous servir de rempart et de défense contre vos ennemis? Oh! si c'était la volonté du Père que je vous préservasse de la mort, ou que je mourusse en votre compagnie et que je ne la perdisse jamais ! Mais il n'arrivera pas ce qui arriva au patriarche Abraham (1), parce que ce qui est déterminé sera exécuté. Que la volonté du Seigneur soit accomplie. n Notre Reine redoublait souvent ces soupirs amoureux, ainsi qu'on le verra dans la suite , le Père Éternel les recevant comme un sacrifice agréable, tandis que le Fils en faisait le sujet de ses délices. Instruction que notre auguste Reine me donna. 155. Ma fille, puisque par la foi et parla lumière divine vous êtes parvenue à la connaissance de la grandeur (1) Gen., XXII, 11 et 12. 588 de Dieu et de la bonté ineffable qu'il a témoignée en descendant du ciel pour vous et pour tous les mortels, tâchez de ne pas recevoir en vain ces bienfaits. Adorez son infinie Majesté avec un profond respect, et louez-la pour ce que vous connaissez de sa clémence inépuisable. Faites fructifier la lumière et la grâce que vous avez reçues (1) , que ce que mon très-saint Fils et moi avons fait vous serve d'exemple, imitez-le comme je l'ai imité , ainsi que vous l'avez appris, puisque étant , lui Dieu véritable, et moi sa Mère (car en tant qui homme sa très-sainte humanité était créée), nous reconnûmes notre être humain, nous nous abaissâmes et nous glorifiâmes la Divinité au delà de tout ce que les créatures peuvent concevoir. Vous devez offrir ce respect et ce culte à Dieu en tout temps et en tout lieu; mais plus particulièrement lorsque vous recevez le Seigneur lui-même sous les espèces eucharistiques. Dans cet admirable sacrement, la divinité et l'humanité de mon très-saint Fils viennent en vous et s'y trouvent d'une nouvelle manière qui est incompréhensible, et il y manifeste la magnificence de sa bonté trop méconnue et trop outragée des mortels, qui ne songent pas au retour dont ils devraient payer un si excessif amour. 156. Unissez donc à votre reconnaissance toute l'humilité et tout le respect dont vous serez capable, puisque tout ce que vous pourrez faire sera toujours au-dessous de ce que vous devez, et de ce que Dieu mérite. (1) II Cor., VI, 6. 589 Et afin de suppléer autant que possible à votre insuffisance, vous offrirez ce que mon très-saint Fils et moi avons fait, unissant votre esprit avec celui de l'Église triomphante et militante; et dans cet esprit vous demanderez que toutes les nations, fût-ce aux dépens de votre propre vie, connaissent, glorifient et adorent leur véritable Dieu humanisé pour tous. Vous devez aussi le remercier des faveurs qu'il a faites, et qu'il fait à tous ceux qui le connaissent et qui l'ignorent, et à tous ceux qui le confessent et qui le nient. Et surtout je veux, ma très-chère fille, que vous fassiez une chose qui sera fort agréable au Seigneur et à moi: c'est que vous vous affligiez et que vous gémissiez avec une charitable tristesse de la grossièreté, de l'ignorance, de la paresse des enfants des hommes, du danger où ils se trouvent, et de l'ingratitude des fidèles enfants de l'Église, qui, ayant reçu la lumière de la foi divine, vivent intérieurement dans un tel oubli de ces oeuvres et de ces bienfaits de l'incarnation, et de Dieu même, qu'il semble qu'ils ne se distinguent des infidèles que par quelques cérémonies extérieures, qu'ils font sans esprit et sans aucun sentiment de dévotion, offensant et provoquant par là bien souvent la divine justice qu'ils devraient apaiser. 157. Ils tombent dans cette ignorance et dans ce désordre parce qu'ils ne se disposent point à acquérir la véritable science du Très-Haut ; ils méritent aussi que la divine lumière s'éloigne d'eux et qu'elle les laisse à la merci de leurs épaisses ténèbres, de sorte 690 qu'ils se rendent plus indignes que les infidèles, et s'attirent une punition beaucoup plus grande. Affligez-vous de la perte si considérable que fait votre prochain, et demandez-en le remède du plus profond de votre coeur. Que si vous voulez vous mettre de plus en plus à l'abri d'un danger si formidable, vous ne devez pas refuser, sous prétexte d'humilité, les faveurs que le Seigneur vous fait, ni mépriser et oublier ses bienfaits. Souvenez-vous qu'il y a très-longtemps que la grâce du Très- Haut vous appelle. Considérez qu'il vous a attendue dans vos retardements, qu'il vous a consolée dans vos doutes, qu'il a apaisé vos craintes, qu'il a dissimulé et pardonné vos fautes, et qu'il vous a si fort comblée de faveurs et de caresses, que vous devez, ma fille, avouer sincèrement, et être assurée que le Seigneur n'en a point fait de semblables à nulle autre nation, et que vous les avez reçues lorsque vous étiez plus pauvre et plus inutile que les autres. Cela étant, vous les devez surpasser en reconnaissance. 591 CHAPITRE XIII. Qui déclare l'état où se trouva la très-sainte Vierge après l'incarnation du Verbe dans son sein virginal. 158. Plus je découvre les divins effets et les dispositions admirables qui se trouvèrent en la Reine du ciel après avoir conçu le Verbe éternel, plus je rencontre de difficultés pour continuer cet ouvrage, parce que je me trouve abîmée dans de très-profonds mystères, et je n'ai que des termes fort inférieurs à ce que j'en conçois. Mais mon âme ressent une telle douceur dans cette même insuffisance, que je ne saurais me repentir d'avoir commencé une chose qui me paraîtrait impossible si l'obéissance ne m'animait, et même ne me forçait de chercher à vaincre les obstacles qu'un courage faible comme le mien ne saurait braver, et à expliquer des choses que ne comporte point notre langage, principalement dans le présent chapitre, où je découvre les excellences qui sont renfermées dans la dot des bienheureux. le m'en servirai comme d'un exemple pour exprimer ce que je conçois de l'état où se trouva l'auguste Marie après qu'elle fut devenue Mère de Dieu 159. Je considère dans les bienheureux deux choses 592 qui font à mon sujet : l'une de leur côté, l'autre du côté de Dieu. Du côté du Seigneur, il y a la divinité qui se manifeste clairement avec toutes ses perfections et tous ses attributs, et c'est ce qu'on appelle objet béatifique, gloire, félicité objective, dernière fin où toutes choses aboutissent et trouvent leur repos. Du côté des saints se rencontrent les opérations béatifiques de la vision et de l'amour, et plusieurs autres qui les accompagnent dans ce très-heureux état, que l'oeil n'a point vu, que l'oreille n'a point entendu, et que le coeur de l'homme n'a point conçu (1). Parmi les dons et les effets de cette gloire dont les saints jouissent, il y en a quelques-uns qu'on pourrait appeler dotant, et ils les reçoivent comme autant d'épouses pour l'état du mariage spirituel, qu'ils doivent consommer dans la jouissance de la félicité éternelle. Or, comme l'épouse temporelle acquiert la propriété de sa dot, sauf à en laisser l'usufruit commun entre elle et l'époux; de même les saints reçoivent dans la gloire cette dot comme propre, et l'usufruit est commun à Dieu en tant qu'il se glorifie en ses saints, et à eux en tant qu'ils jouissent de ces dons ineffables, qui sont plus ou moins excellents, selon le mérite et la dignité de chacun. Mais sous ce titre de dot, il n'y a que les bienheureux qui les reçoivent, comme appartenant à la même nature que l'Époux, c'est-à-dire notre Seigneur Jésus-Christ. Les anges ne sont pas proprement dotés; car le Verbe (1) Isa., LXIV, 4 ; I Cor., II, 9. 593 incarné ne fit pas avec eut les mêmes épousailles qu'il célébra avec la nature humaine en s'unissant à elle dans ce grand sacrement, grand en Jésus-Christ et en l'Église, suivant l'expression de l'Apôtre (1): Ce divin Époux, en tant qu'homme, a une âme et un corps comme les autres, et tous les deux doivent être glorifiés en sa présence; c'est pour cette raison que la dot de la gloire appartient à l'âme et du corps. Cette dot renferme trois excellentes perfections, qui regardent l'âme, et que l'on appelle vision, acquisition de la gloire, ou compréhension et jouissance de cette même gloire; et quatre autres qui concernent le corps, à savoir, la clarté, l'impassibilité, la subtilité et l'agilité. Ces quatre dernières sont proprement des effets de la gloire dont l'âme jouit. 160. Notre Reine participa pendant sa lié à toutes les excellences que cette dot renferme, surtout après l'incarnation du Verbe dans son sein virginal. Mais tandis que les bienheureux, élevés à la compréhension, reçoivent cette dot comme un gage infaillible de là félicité éternelle qu'ils ne doivent jamais perdre (et c'est pour cette raison que les voyageurs ne la reçoivent pas), la très-pure Marie l'obtint, non point comme les compréhenseurs, mais comme les pèlerins de la terre; elle ne jouissait donc pas toujours de ces dons merveilleux, mais seulement par intervalles et avec la différence que nous dirons. Afin de mieux comprendre la manière dont notre auguste Reine profitait de ce rare (1) Ephes., V, 32. 594 bienfait, on doit se souvenir de ce que noms avons rapporté au chapitre septième et dans la autres jusqu'à celui de l'incarnation; c'est là que nous parlons des préparatifs que fit et da fiançailles que le Très-Haut contracta avec sa très-sainte Mère, avant de l'élever à la plus sublime dignité. Le jour où le Verbe prit chair humaine dans son sein virginal, ce mariage spirituel fut en quelque sorte consommé à l'égard de cette divine Dame par la vision béatifique et par tant d'excellentes qualités qu'elle reçut en ce jour, ainsi que nous avons dit : bien qu à l'égard de tous les autres fidèles ce fût comme le jour des épousailles, qui se consommeront dans la patrie céleste (1). 161. Notre grande Reine avait un autre avantage qui la disposait à recevoir ce privilèges : c'est qu'absolument exempte de tout péché actuel et originel, elle était confirmée en grâce par une impeccabilité permanente : dans cette position exceptionnelle elle était capable de célébrer ce mariage au nom de l'Église militante, et de donner sa parole pour tous les hommes, afin de recevoir les prémices des mérites futurs du Rédempteur su moment même où elle devint sa Mère, et de pouvoir, à la suite de cette gloire et de cette vision passagères, garantir que la même récompense serait accordée à tous les enfants d'Adam, s'ils se disposaient à la recevoir avec le secours de leur Restaurateur. C'était aussi un grand sujet de complaisance pour le Verbe humanisé, de voir que son très-ardent (1) Os., II,19. 595 amour et ses mérites infinis produisissent incontinent leurs effets en rêne qui était à la fois sa Mère, sa première Épouse et le temple de .la Divinité, et que la récompense suivit le mérite où il ne se trouvait aucun empêchement. Notre Seigneur Jésus-Christ satisfaisait en partie par ces faveurs, qu'il accordait à sa très- sainte Mère, l'amour qu'il lui portait, et celui qu'il témoignait en elle avoir pour tous les mortels : car c'était, pour l'amour de cet adorable Seigneur, un trop long temps que d'attendre trente-trois ans pour manifester sa divinité à sa propre Mère. Et, bien qu'il lutent fait cette faveur en d'autres circonstances (ainsi que nous l'avons dit dans la première partie), néanmoins elle la reçut cette fois dans des conditions différentes, en rapport avec la gloire que reçut elle-même l'âme de son très-saint Fils, encore pourtant d'une manière transitoire, et autant que le comportait son état commun de voyageuse. 162. Suivant ce que nous venons de dire, le jour où la très-pure Marie prit possession de la royale maternité du Verbe éternel en le concevant dans son sein, Dieu nous donna droit sur notre rédemption dans les épousailles qu'il y célébra avec notre nature, et dans la consommation de ce mariage spirituel qu il y fit en béatifiant sa très-sainte Mère, et en lui donnant les excellences de la gloire pour dot; il nous promit la même chose pour récompense de nos mérites, et en vertu de ceux de son très-saint Fils notre Restaurateur. Mais dans le bienfait que le Seigneur fit ce jour-là à sa Mère, il l'éleva si fort au-dessus de toute la 596 gloire des saints, que tous les anges et les hommes ensemble ne purent arriver, en ce que leur vision et leur amour béatifique ont de plus sublime, au suprême degré de cette divine Dame : il en fut de même pour les excellences, qui rejaillissent sur le corps par l'abondance de la gloire de l'âme; parce que le tout répondait à son innocence, à sa sainteté et à ses mérites, et ceux-ci à la suprême dignité qu'elle avait parmi les créatures d'être Mère de son Créateur. 163. Pour entrer dans le détail des excellences de cette dot, il faut présupposer que la première dont l'âme est enrichie est la vision béatifique, qui est comme la contre-partie de la connaissance obscure de la foi chez les voyageurs du temps. L'auguste Marie obtint cette vision dans les circonstances et aux degrés que j'ai rapportés et que je rapporterai par la suite. Outre cette vision intuitive de la Divinité, elle en eut plusieurs autres abstractives dont j'ai déjà parlé. Et, bien qu'elle ne les eût que comme en passant ou par intervalles, il en resta néanmoins dans son entendement des impressions si claires, quoique diverses, qu'elles lui permettaient de jouir des plus vives lumières et d'une connaissance sublime de la Divinité, au point que je ne trouve point de termes pour l'expliquer: car en cela cette très-sainte Dame fut exceptionnelle entre toutes les créatures; ainsi l'effet de cette excellente perfection se trouvait toujours en elle, autant que le comportait son état de voyageuse. Et lorsque le Seigneur, comme il arrivait quelquefois, se cachait à elle en lui suspendant, pour des fins particulières, 597 l'usage de ces espèces, elle se servait de la seule foi infuse, qui était en elle très- excellente et très-efficace. De sorte que, de quelque manière que ce fût, elle ne perdit jamais de vue cet objet divin et ce souverain bien, elle n'en détourna jamais un seul instant les yeux de son âme; mais elle jouit beaucoup plus de la vue et des caresses de la Divinité pendant les neuf mois qu'elle eut le Verbe humanisé dans son sein. 164. La seconde perfection dont l'âme est dotée est l'acquisition de la gloire, que les théologiens appellent compréhension; elle consiste à être parvenu à la fin à laquelle tend l'espérance, et que nous cherchons, par son moyen, jusqu'à ce que nous la possédions sans crainte de la perdre. La très-sainte Vierge eut cette possession d'une manière correspondante aux visions dont nous avons parlé, parce que, comme elle voyait la Divinité, elle la possédait. Et lorsqu'elle se trouvait dans la seule foi, l'espérance était en elle plus ferme qu'elle ne fut et ne sera en aucune autre simple créature, comme aussi plus grande était sa foi. Comme d'ailleurs la sécurité de la possession consiste surtout, pour la créature, dans la certitude de la sainteté et dans l'impeccabilité, notre divine Dame était si privilégiée à cet égard, que la sécurité imperturbable avec laquelle, quoique encore voyageuse, elle possédait Dieu, égalait en quelque façon celle des bienheureux, parce que, du côté de la sainteté innocente et incapable de pécher, elle était assurée de ne pouvoir jamais perdre Dieu : seulement la cause de cette assurance n'était pas la même en elle, qui était voyageuse, qu'en 598 ceux qui jouissent de la gloire. Pendant les neuf mois de sa grossesse, elle eut cette possession de Dieu par diverses sortes de grâces singulières et admirables, par le moyen desquelles le Très Haut se manifestait et s'unissait à son âme très-pure. 165. La troisième excellence de l'âme bienheureuse est la jouissance du souverain bien; elle répond à la charité qui ne cesse point dans la gloire (1), mais qui s'y perfectionne, parce que cette jouissance consiste à aimer le bien qu'on possède, et c'est ce que la charité fait dans la patrie céleste, où ainsi qu'elle le connaît et qu'elle en jouit comme il est en lui-même, ainsi elle, l'aime pour lui-même. Et quoique nous l'aimions aussi pour lui-même et dans l'état de voyageurs, la différence y est pourtant bien grande, parce que présentement nous l'aimons en le désirant, et nous le connaissons non tel qu'il est, mais sous des espèces étrangères ou à travers des énigmes (2). Ainsi cette manière de l'aimer et de le connaître ne perfectionne pas notre amour; elle ne remplit point nos désirs et elle ne nous donne pas la plénitude de la joie, bien que nous en ayons beaucoup en l'aimant. Mais dans sa claire vision et dans sa possession, nous le verrons comme il est en lui-même et par lui-même, et non point par énigmes (3) ; c'est pourquoi nous l'aimerons comme il doit être aimé, et autant que nous pouvons l'aimer selon notre capacité; notre amour sera (1) I Cor., XIII, 3. - (2) Ibid. 12. - (3) I Joan., III, 2 ; Ps. XVI, 15. 599 perfectionné et nos désirs entièrement satisfaits par cette heureuse possession. 166. La sainte vierge fut en quelque sorte plus largement pourvue de ce don gaie de tous les autres; car sous plusieurs rapports excellents, son très-ardent amour était supérieur à celui des bienheureux, même dans son état ordinaire, quoiqu'il pût lui être inférieur quand elle ne jouissait point de la vision claire de la Divinité. Personne n'eut la science des choses divines au point où l'eut cette auguste Dame; elle connut par son moyen comment Dieu devait être aimé pour lui-même, et cette science se servait des espèces et du souvenir de la mime Divinité, qu'elle avait vue de plus près que les anges. Et comme son amour était proportionné à cette connaissance de Dieu, il fallait qu'elle surpassât aussi les bienheureux en amour, en tant qu'il ne supposait pas là possession immédiate et cet état où il ne peut plus ni croître ni augmenter. Que si le Seigneur permettait, pour favoriser sa très-profonde humilité, qu'en agissant dans les conditions des voyageurs, elle conservât le respect et la crainte et se préoccupât constamment du soin de ne point déplaire à son bien- aimé, cet amour inquiet n'en était pas moins très-parfait et nu sujet de complaisance pour Dieu, en même temps qu'il la pénétrait d'une joie ineffable et la remplissait de délices qui répondaient à la nature et à l'excellence de ce même. amour divin dont elle était embrasée. 167. Pour ce qui regarde les dons du corps qui lui 600 viennent de la gloire et des excellentes perfections de l'âme, et qui font une partie de la gloire accidentelle des bienheureux , je dis qu'ils servent pour la perfection des corps glorieux en leurs sens et dans leurs mouvements, afin qu'ils deviennent semblables aux âmes en tout ce qui est possible, et que sans être empêchés de leur matière terrestre, ils soient disposés à obéir à la volonté des saints , qui dans ce très-heureux état ne peut pas être imparfaite ni contraire à celle de Dieu. Ils ont besoin de deux dons pour leurs sens, l'un qui les dispose à recevoir les espèces sensibles, et c'est ce que le don de clarté perfectionne; l'autre qui préserve le corps de l'atteinte des choses extérieures ou des passions nuisibles et corruptrices, et l'impassibilité sert à cela. D'autres dons sont nécessaires pour le mouvement du corps ; l'un pour vaincre la résistance ou le retardement du côté de sa propre pesanteur, et à cet effet il est doué de l'agilité; l'autre pour surmonter la résistance étrangère des autres corps, et c'est ce qu'il fait au moyen de la subtilité. Avec ces dons, les corps glorieux deviennent clairs, incorruptibles, agiles et subtils. 168. Notre grande Reine fut partagée pendant cette vie de tous ces privilèges. Comme le don de clarté rend le corps glorieux , susceptible à la fois de recevoir et de réfléchir la lumière, et plus transparent que le cristal, en lui ôtant son obscure opacité, le corps virginal de la très-pure Marie, lorsqu'elle jouissait de la claire vision béatifique, participait à ce privilège au delà de tout ce que l'entendement humain 601 peut concevoir. Il lui restait après ces visions un certain reflet de cette. clarté : que si les yeux l'eussent pu apercevoir, c'eût ; été un sujet d'une admiration bien grande. On en découvrait quelque chose en son très-beau visage, combe je le dirai plus loin, surtout dans la troisième, partie, bien que ceux qui la fréquentaient ne s'en aperçussent pas tous, parce que le Seigneur suspendait l'action de ce rayonnement, afin que par son intermittence il ne frappât point indifféremment toutes sortes de personnes. Mais elle ressentait par plusieurs effets le privilège de ce don qui était caché aux autres, et elle n'éprouvait point l'embarras de l'opacité matérielle que nous rencontrons dans cette vie mortelle. 169. Sainte Élisabeth remarqua cette clarté, lorsque, voyant l'auguste Marie, elle s'écria avec admiration : " D'où me vient ce bonheur, que la Mère de mon Créateur me visite (1)? n Le monde n'était, pas capable de connaître ce mystère du grand Roi, et le temps n'était pas convenable pour le manifester; mais le visage de la sainte Vierge avait toujours un certain éclat qu'on ne découvrait pas chez les autres créatures; elle avait en tout le reste de sa personne une disposition qui était au-dessus de l'ordre naturel des autres corps, et qui lui donnait une complexion très-délicate et comme spiritualisée, ainsi qu'un cristal animé, qui n'a rien de rude au sens; et cette complexion était si admirable, que je ne trouve point (1) Luc., I, 43 d'exemple ici-bas pour la faire comprendre. Et qu'on ne soit pas surpris de ce que je dis de la Mère de Dieu , de celle qui le portait dans son sein et qui rayait vu plusieurs fois face à face, puisque les Hébreux ne pouvaient regarder Moïse en face, ni supporter l'éclat qui rejaillissait de sa personne lorsqu'il descendit de la montagne après l'entretien qu'il y eut avec Dieu (1), et qui était de beaucoup inférieur à celui de notre divine Dame. Il est certain que si le . seigneur n'est caché et voilé par une providence: particulière la clarté que le visage et: le corps de sa très-pure Mère étaient capables d'envoyer, le monde en eût reçu plus e lumière que de mille soleils réunis; aucun mortel n'eût pu naturellement supporter ses éblouissantes splendeurs, puisque su moment même où elles étaient cachées et retenues, il sortait encore de son visage de divins éclairs assez brillants pour causer en tous ceux qui la regardaient l'effet qu'éprouva saint Denis l'aréopagite quand il la vit. 170. L'impassibilité donne an corps glorieux une disposition par suite de laquelle aucun agent, excepté Dieu, ne le peut altérer, quelque forte et puissante que soit son action. Notre Reine participa à ce privilège en deux manières; l'une en ce qui regardait le. tempérament du corps et des humeurs, parce qu'elle les eut si bien réglées , qu'elle ne pouvait contracter ni souffrir les maladies, ni les autres incommodités humaines qui naissent de leur inégalité, et par cet (1) Exod., XXXIV, 19 et 30; II Cor., III,7. 603 endroit elle était presque impassible. L'astre , à cause de l'empire absolu qu'elle avait sur toutes les créatures, comme nous l'avons déjà dit; car aucune ne l'eût offensée sans son consentement. Nous pouvons ajouter une autre troisième participation à l'impassibilité qui fut une assistance de la vertu divine en rapport avec son innocence. Et nos premiers parent, n'eussent point souffert dans le paradis de mort violente, s'ils eussent persévéré dans la justice originelle; il est vrai qu'ils n'eussent pas joui de ce privilège par une vertu propre qu'on appelle intrinsèque ou inhérente (car s'ils eussent été blessés, ils eussent pu mourir de la blessure); mais par une assistance spéciale du Seigneur, qui les eût préservés d'être blessés : cette protection était due à bien plus de titres à l'innocence de l'incomparable Marie; ainsi elle en jouissait comme Reine et Maîtresse; et nos premiers parents n'eurent ce privilège, et leurs descendants ne l'eussent eu, que comme serviteurs et sujets. 171. Notre humble Princesse n'usa point de ces privilèges, parce qu'elle y renonça, à l'imitation de son très-saint Fils, pour mériter et pour coopérer à notre rédemption, voulant bien souffrir pour ce sujet des peines qui surpassaient celles des martyrs. On ne saurait en exprimer la grandeur dans le langage des hommes; nous en dirons quelque chose en divers endroits de cette histoire, attendu qu'il n'est pas possible de les raconter toutes, à cause de l'insuffisance des termes que nous sommes réduits à employer. Mais 604 on doit remarquer deux choses. C'est d'abord que les souffrances de notre ,Reine n'avaient nulle relation aux, propres péchés, puisqu'elle n'en avait point; ainsi elle souffrait sans ressentir l'amertume qui se trouve renfermée dans les peines que nous souffrons par la mémoire et la considération de nos propres crimes, comme étant les sujets qui les avons commis. C'est ensuite que la très-sainte Vierge fut divinement fortifiée dans ses souffrances, dans la mesuré de son très-ardent amouri ; car naturellement elle n'eût pu supporter tontes les peines que lai fuirait demander son amour, et c'est à cause de ce thème amour que le Très-Haut l'exauçait. 172. La subtilité est un privilège qui affranchit et quelque sorte le corps glorieux des lois de la densité; et qui supprime l'obstacle que la matérialité de son volume opposerait à ce qu'il put pénétrer un autre corps semblable à lui et occuper le même point de l'espace; ainsi le corps subtilisé du bienheureux est loué des qualités de l'esprit, qui peut sans difficulté pénétrer les corps d'une configuration déterminée, et se met dans la même place qu'ils occupent, sans les diviser ni les éloigner, comme le corps de notre Seigneur Jésus-Christ le fit lorsqu'il sortit du sépulcre (1) et qu'il entra, les portes fermées, dans l'appartement où étaient les apôtres (2), pénétrant les corps qui fermaient ces endroits. La très-sainte Vierge participa à ce don, non-seulement dans les diverses fois (1) Matth., XXVIII, 2. - (2) Joan., XX, 19 605 qu'elle jouissait de la vision béatifique, mais elle l'eut après comme à sa disposition, pour en user en plusieurs rencontres, comme il lui arriva dans quelques apparitions qu'elle fit corporellement pendant sa vie, ainsi que nous le dirons dans, la suite, parce qu'elle. usa en toutes de cette subtilité au moyen de laquelle elle pénétra plusieurs autres corps. 173. La dernière excellence de la dot des bienheureux est l'agilité, faculté de se mouvoir d'un lieu à un autre, si puissante dans le corps glorieux, que, sans nul empêchement de la pesanteur terrestre, il peut instantanément se transporter en divers endroits, à la manière des esprit.%, qui, n'ayant point de corps, se meuvent par leur propre volonté. La très-pure Marie eut une admirable et une continuelle participation à cette agilité, qui lui vint spécialement des visions divines dont elle fut favorisée : car elle ne ressentait point en son corps la pesanteur terrestre que nous éprouvons; ainsi elle marchait sans le retardement qui nous est ordinaire, et il lui eût été facile de se mouvoir avec une très-grande vitesse sans s'exposer comme nous à la lassitude et à la fatigue. Tout cela résultait de l'état et des conditions physiologiques de son corps, qui était tout spiritualisé et merveilleusement constitué. Pendant les neuf mois de sa grossesse, elle sentit moins cette pesanteur corporelle, bien que pour souffrir à son gré elle se mit dans des embarras et des occupations propres à la fatiguer. Enfin, elle avait tous ces privilèges, et: elle en usait d'une manière si admirable et si parfaite, que 606 je ne trouve point de paroles pour dépeindre ce qui m'a été montré : car cela surpasse tout ce que j'en ai dit et tout ce que j'en puis dire. 174. Reine du ciel, ma divine Dame, après que vous eûtes la bonté de m'adopter pour tille, vous me promîtes d'être ma guide et ma maîtresse. Et dans cette confiance j'ose bien vous proposer un doute oh je me trouve : Comment se pouvait-il faire, ma Mère et ma Gouvernante, que votre dîne très-sainte ayant vu Dieu et joui de sa divine présence toutes les fois que sa suprême Majesté le voulut, vous n'eussiez pas toujours l'état des bienheureux ? Et comment ne disons-nous pas que vous l'eûtes toujours pendant votre vie mortelle, puisqu'il n'y avait nul péché en vous ni aucun autre empêchement qui pût vous en priver, suivant la notion qui m'a été donnée de votre excellente dignité et de votre sainteté incomparable? Réponse et instruction de notre Reine. 175. Vous doutez, ma très-chère fille, comme celle qui m'aime, et vous m'interrogez comme celle qui ignore. Sachez donc que la perpétuité est un des caractères de la félicité réservée aux saints, car elle doit être absolument parfaite, et si elle eût été temporaire, il lai eût manqué la plénitude, la consommation nécessaire pour être une souveraine félicité. 607 Quand même une créature serait exempte de péché, il n est pas compatible avec la loi commune et ordinaire qu'elle soit en même temps glorieuse et sujette aux souffrances. Que si mon très-saint Fils a fait exception à cette règle, ce fut parce qu'étant homme et Dieu véritable, son âme très-sainte unie hypostatiquement à la Divinité ne devait pas être privée de la vision béatifique (1) , et étant en même temps Rédempteur du genre humain, il n'eût pas pu souffrir ni payer la dette du péché (qui est la peine), s'il n'eût été passible en son corps. Mais pour moi, simple créature i je ne devais pas jouir toujours de la vision due à celui qui était Dieu. On ne pouvait pas dire non plus que je fusse toujours dans l'état des bienheureux, parce que je n'y étais qu'en passant. Dans ces conditions, il était tout à fait convenable que, tantôt je jouisse, tantôt je souffrisse, et que le temps auquel je souffrais et méritais fût plus long que celui auquel je jouissais, attendu que je vivais parmi les voyageurs, et non point encore parmi les compréhenseurs. 176. Le Très-Haut a disposé par une loi très-juste qu'on ne jouirait point dans la vie mortelle des conditions de la vie éternelle (2), et que l'on parviendrait à l'immortalité en passant par la mort corporelle, après avoir préalablement mérité dans l'état passible, qui est celui de la vie présente des hommes. Et bien (1) Joan., IV, 12 ; Joan., I, 18; I Tim., VI, 16; Joan., VI, 46. - (2) Exod., XXXIII, 20. 608 que la mort que subissent tous les enfants d'Adam soit le salaire et la punition du péché (1), et qu'à ce titre je n'eusse aucune part à la mort, ni aux autres effets ou peines du péché, néanmoins le Très-Haut ordonna que moi aussi j'entrerais dans la vie et dans la félicité éternelle par le milieu de la mort corporelle , comme mon très-saint Fils (2), parce qu'en cela il n'y avait nul inconvénient pour moi : au contraire je trouvais plusieurs avantages en suivant le chemin royal de tous, et en acquérant les grands fruits des mérites et la gloire par le moyen des souffrances et de la mort. Cela procurait en outre aux hommes l'avantage de mieux connaître que mon très-saint Fils et moi, qui étais sa Mère, étions de la véritable nature humaine, comme les autres, puisque nous étions mortels comme eux. Par cette connaissance l'exemple que nous laissions aux hommes était plus efficace pour imiter en leur chair passible les oeuvres que nous avions faites en cette même chair : ainsi tout tournait à la plus grande gloire et à l'exaltation de mon Fils, mon Seigneur, et à la mienne. Une grande partie de ces effets n'aurait pas réussi, si les visions de la Divinité m'eussent été continuelles. Après que j'eus conçu le Verbe éternel, elles devinrent pourtant plus fréquentes, comme plus grands les bienfaits et les faveurs que j'en reçus: c'est qu'il m'était plus propre et plus proche. Voilà la réponse à votre doute. Soyez persuadée que tout ce que vous avez pu concevoir de (1) Rom., VI, 23. - (2) Luc., XXIV, 26. 609 grand, touchant les privilèges et les effets dont je jouissais pendant la vie mortelle, et tout ce que vous en avez pu dire ne saurait égaler ce que le puissant bras du Très-Haut opérait en moi. Et autant vos conceptions seront au-dessous de la réalité, autant vos expressions humaines seront au-dessous de vos propres conceptions. 177. Donnez maintenant votre attention à la doctrine qui complète celle que je vous si enseignée dans les chapitres précédents. Si je fus le modèle qu'on doit suivre lorsque j'accueillis Dieu, qui venait visiter les âmes et le monde, avec le respect, la dévotion, l'humilité, la reconnaissance et l'amour qu'on lui doit, il s'ensuivra que si vous et les autres âmes le faites à mon imitation, le Très-Haut viendra à vous pour vous communiquer et opérer de divins effets, comme il le fit en moi, quoiqu'ils soient inférieurs et moins efficaces en vous, aussi bien que dans les autres. Parce que si la créature commençait d'aller à Dieu, comme elle le doit, dès qu'elle a l'usage de la raison (1) y en dirigeant ses pas dans les voies droites du salut et de la vie, sa divine Majesté, qui aime ses ouvrages, viendrait à sa rencontre, la prévenant de ses faveurs et de sa communication (2) : car la fin de la vie présente lui parait un terme trop long à attendre pour se manifester à ses amis. 178. Il arrive de là que les âmes puisent dans la pratique de la foi, de l'espérance et de la charité; et (1) Sap., VI, 15. - (2) Ibid., 14. 610 dans l'usage des sacrements dignement reçus, beaucoup de divins effets que sa bonté infinie leur communique , aux uns par les procédés communs de la grâce, aux autres dans un ordre plus surnaturel et plein de miracles, chacun en obtenant plus ou moins suivant ses dispositions et suivant les desseins du Seigneur, que l'on ne découvre pas toujours pendant la vie présente. Et si toutes les âmes ne mettaient point d'empêchement de leur côté, l'amour divin serait aussi libéral envers toutes qu'il l'est envers quelques-unes qui s'y disposent , auxquelles il donne une plus grande lumière et une connaissance plus étendue de son être immuable, qu'il attire en lui-même par une douce et puissante influence , auxquelles enfin il fait éprouver plusieurs effets de la béatitude, parce qu'il se laisse prendre par ce secret embrassement dont jouit l'Épouse lorsqu'elle dit après avoir trouvé son bien- aimé : Je l'ai saisi, et je ne le laisserai point aller (1). Par cette présence et cette possession, le Seigneur donne à une âme sainte plusieurs gages et de tendres marques de son amitié, afin qu'elle le possède dans un amour tranquille comme les bienheureux, quoique ce ne soit que pour un temps limité. Telle est la grandeur de la libéralité de notre Dieu et Seigneur à récompenser les affections d'amour, et les peines que la créature se donne pour lui être agréable, pour se conserver dans sa grâce et pour ne le point perdre. 179. Par cette douce violence la créature meurt à (1) Cant., III, 4. 611 tout ce qui est terrestre; c'est pour ce sujet que l'amour est appelé fort comme la mort (1). Et elle ressuscite de cette mort à une nouvelle vie spirituelle qui la rend capable de recevoir une nouvelle participation de la béatitude et de ses dons, parce qu'elle jouit plus fréquemment de l'ombre salutaire, et des doux fruits du souverain bien qu'elle aime (2). Il résulte de ces mystères cachés que la partie inférieure et animale est elle-même éclairée d'une lumière nouvelle, qui, la purifiant des effets des. ténèbres spirituelles, la rend forte et comme impassible pour braver tout ce qui est contraire à la nature et aux inclinations de la chair. C'est pourquoi elle souhaite avec une ardeur extrême toutes les difficultés et les violences au moyen desquelles on force le royaume du ciel (3); elle se trouve agile et dégagée du poids de la matière, de sorts que le corps même, qui est de sa nature pesant, profite parfois du don d'agilité; alors les peines qui lui paraissaient auparavant insupportables, lui deviennent légères. Vous connaissez, ma fille, et vous avez expérimenté tous ces effets; je vous les rappelle et vous les explique, afin que vous vous disposiez et conduisiez d'une manière telle, que le Très-Haut, cet agent divin et puissant, puisse opérer en vous selon son bon plaisir, comme en une matière toute préparée , souple et molle à la main de l'ouvrier. (1) Cant., VIII, 6. - (2) Cant., III, 2. - (3) Matth., XI,12. 612 CHAPITRE XIV. Des soins que la très-sainte Vierge prenait de sa grossesse, et de plusieurs choses qui lui arrivèrent pendant ce temps. 180. Notre Reine ne fut pas plutôt sortie de cette extase, qui lui arriva au moment de la conception du Verbe incarné, qu'elle se prosterna à terre, et l'adora dans son sein comme nous avons dit au chapitre XIIe, paragraphe 152. Elle continua cette adoration pendant toute sa vie, la commençant chaque jour à minuit; elle y faisait pour l'ordinaire plus de trois cents génuflexions quand elle se trouvait libre, mais surtout pendant les neuf mois de sa divine grossesse. Elle demanda plus instamment que jamais la grâce de rem plia entièrement les obligations que lui imposait le Père éternel en logeant l'Hôte céleste dans son sein virginal, et de garder soigneusement le trésor inestimable qui venait de lui être confié, sans pourtant manquer aux devoirs de son état. Elle consacra de nouveau à ce but son âme très-sainte et ses puissances; exerçant tous les actes des vertus dans un degré si héroïque et si sublime, qu'elle causait une nouvelle admiration aux anges mêmes. Elle dédia, aussi toutes ses actions corporelles au service de l'Enfant-Dieu, 613 qu'elle portait dans son sacré corps. Soit qu'elle mangeât, soit qu'elle dormît, soit qu'elle travaillât, soit qu'elle se reposât, elle ne visait, toujours enflammée de l'amour divin, qu'à l'entretien et à la conservation de son bien-aimé Fils. 181. Le jour après l'incarnation, les mille anges qui l'assistaient se manifestèrent à elle sous une forme corporelle; ils adorèrent avec une profonde humilité leur Roi humanisé dans le sein de la Mère, ils la reconnurent derechef pour leur Reine et pour leur Maîtresse; et, en lui rendant l'honneur qui lui était du, ils lui dirent: " Vous êtes maintenant, auguste Princesse, la véritable Arche du Testament; vous renfermez conjointement et le Législateur et la Loi (1); vous gardez la manne du ciel, qui est notre pain véritable (2). Agréez, divine Reine, nos congratulations à raison de votre dignité; nous exaltons le Très-Haut, parce qu'il vous a justement élue pour être sa Mère et son tabernacle (3). Nous nous offrons de nouveau à votre service, prêts à vous obéir comme sujets et serviteurs du Roi suprême et tout puissant, dont vous êtes la véritable Mère. v Cette offre et ces nouveaux hommages des anges ne firent que redoubler chez la Mère de la sagesse les plus incompréhensibles effets d'humilité, de reconnaissance et d'amour divin. Car ayant dans son coeur très-prudent le poids du sanctuaire pour donner le juste prix à toutes choses, elle put dignement évaluer le culte (1) Deut., X, 5. - (2) Hebr., X, 4; Ps. LXXVII, 26. - (3) Eccles., XXIV, 12. 614 d'honneur et de soumission que les esprits angéliques lui rendaient comme à leur Souveraine. Et, quoique ce fût une chose bien plus considérable de se voir Mère du Roi et du Seigneur même de tout ce qui est créé, néanmoins toutes ces faveurs et cette même dignité lui étaient plus fortement manifestées par les démonstrations et par les services des anges. 182. Ils s'acquittaient de ces offices comme exécuteurs et ministres de la volonté du Très-Haut (1). Et lorsque notre Reine était seule, ils l'assistaient tous sous une forme corporelle et la servaient dans ses occupations, lui fournissant dans son travail ce qui lui était nécessaire. S'il se trouvait qu'elle mangeât seule, comme il arrivait quelquefois en l'absence de saint Joseph, ils la servaient ù sa pauvre table et en son manger, qui était fort commun. Ils l'accompagnaient partout; et quand elle faisait quelque chose pour saint Joseph, ils lui aidaient. Dans toutes ces faveurs et dans tous ces secours, la divine Dame n'oubliait point de demander sri Seigneur des seigneurs, avant chacune de ses actions, une permission spéciale, et de solliciter sa direction et son assistance. Toutes ses occupations étaient si bien réglées; toutes ses oeuvres si pleines qu'il n'y a que Dieu qui le puisse comprendre et pénétrer. 183. Outre cette pratique ordinaire, tant qu'elle eut le Verbe incarné dans son sein , elle sentit sa présence de diverses manières, qui étaient toutes admirables (1) Hebr., I, 14. 615 et délicieuses. Bien souvent il se manifestait à elle par des visions abstractives, comme nous avons dit. Quelquefois elle le voyait, elle le contemplait dans son sacré corps, tel qu'il y était, hypostatiquement uni à la nature humaine. D'autres fois elle apercevait l'humanité très-sainte comme au travers d'un très-pur cristal, et cette sorte de vision apportait à notre grande Reine une consolation singulière et une joie incomparable. En d'autres occasions, elle observait que la Divinité envoyait au corps de l'Enfant-Dieu une certaine influence de la gloire de son âme très-sainte, qui lui communiquait par ce moyen des effets des corps glorieux, notamment la clarté et la lumière qui rejaillissaient du corps naturel du Fils sur celui de la Mère par une infusion ineffable et divine. Cette faveur la transformait entièrement en un autre être, enflammant son coeur et y excitant des effets si extraordinaires, qu'il n'est pas possible de les exprimer. Que l'entendement du plus élevé des séraphins s'en approche tant. qu'il pourra, je suis sûre qu'il sera ébloui de cette gloire (1) : parce que cette divine Reine était un ciel intellectuel et animé qui renfermait en abrégé la grandeur et la gloire que l'immensité des cieux ne saurait contenir (2). 184. Ces bienfaits se suivaient les uns les autres, selon les actions de la divine Mère, et selon la diversité de ses opérations, les unes étant spirituelles, les autres corporelles : employant les unes au service de (1) Prov., XXV, 27. - (2) III Reg., VIII, 27. 616 son Époux, les autres en faveur de son prochain; et tout cela, exécuté par la sagesse d'une mortelle, présentait le plus doux spectacle à Dieu et aux esprits angéliques, et formait à leurs oreilles comme un concert harmonieux. Lorsque par la disposition divine la Reine de l'univers se trouvait le plus dans son état naturel, au milieu de cette variété d'occupations, elle souffrait des langueurs mortelles, causées par la force et par la violence de son amour : car alors elle pouvait véritablement dire ce que Salomon dit pour elle sous le nom de l'Épouse : Fortifiez mon coeur avec l'odeur des fleurs, parce que je languis d'amour (1) ; c'est ainsi que, profondément blessée par cette très-douce flèche, elle était souvent sur le point d'expirer; mais bientôt la main puissante du Très-Haut la fortifiait d'une manière surnaturelle. 185. Il arrivait parfois que, pour lui donner quelque soulagement sensible, plusieurs petits oiseaux venaient la visiter par le commandement du Seigneur; et, comme s'ils eussent connu leur Maîtresse, ils la saluaient en voltigeant autour d'elle et en lui faisant un agréable concert; ils attendaient sa bénédiction pour prendre ensuite congé d'elle. Cela arriva en particulier aussitôt qu'elle eut conçu le Verbe divin, comme si, après que les anges l'eurent félicitée de sa dignité, les chantres de la nature eussent voulu l'en féliciter à leur tour. La Reine des créatures commanda ce jour-là à diverses espèces d'oiseaux qui se trouvaient avec elle (1) Cant., II, 5. 617 de reconnaître leur Créateur, et de lui chanter des louanges en reconnaissance de l'être qu'ils en avaient reçu et de leur conservation. Ils obéirent incontinent à leur Maîtresse; ils renouvelèrent leur chant, remplissant l'air d'une très-douce harmonie, et voltigeant jusqu'à terre, ils firent la révérence au Créateur et à sa Mère, qui le portait dans son sein. Ils se présentaient souvent à elle avec des fleurs dans leurs becs, et ils les laissaient tomber entre ses mains, attendant ensuite qu'elle leur commandât de chanter ou de se taire, selon sa volonté. Il arrivait aussi qu'ils venaient dans des temps rigoureux se mettre sous la protection de leur divine Maîtresse; elle les recevait avec plaisir, et les nourrissait avec la tendre sollicitude que lui inspirait leur innocence, glorifiant le Créateur de toutes choses en ces petits animaux. 186. Notre ignorance ne doit pas être surprise de ces merveilles; car, quoique l'on puisse estimer petits les sujets où elles s'opéraient, les couvres du Très-Haut sont pourtant toujours grandes et vénérables dans leurs fins : celles de notre très- prudente Reine l'étaient aussi dans les plus petites choses. Trouvera-t-on quelqu'un assez ignorant ou assez téméraire pour ne point comprendre ou pour ne point avouer que la créature raisonnable ne fait qu'un acte de justice lorsqu'elle reconnaît la participation de l'être de Dieu et de ses perfections dans toutes les créatures (1) , où elle doit le chercher et le trouver, le bénir et le proclamer (1) Eccles., XLII, 16. 618 admirable, puissant, libéral et saint, comme l'auguste , Marie le faisait, sans qu'il y eût ni tempe, ni lien, ni créature visible qui ne la portassent à cela? Comment ne rougirions-nous pas de notre ingratitude et de notre oubli? Comment est-ce que notre dureté ne serait point attendrie? Comment ne noua enflammerions-nous pu, dans notre tiédeur, en voyant que des 8/30 TOME II CHAPITRE XVI. Le voyage que la très-sainte Vierge fit pour aller visiter sainte Élisabeth, et son entrée dans la maison de Zacharie. Instruction que notre Reine et Maîtresse me donna. CHAPITRE XVII. Le salut que la Reine du ciel fit à sainte Élisabeth, et la sanctification de Jean. Instruction que la divine Reine me donna. CHAPITRE XVIII. La très-pure Marie règle ses exercices dans la maison de Zacharie, et gnelques particularités qui arrivèrent entre les deux saintes cousines. Instruction que la Reine du ciel me donna. CHAPITRE XIX. Quelques conférences que la très-sainte Vierge eut dans la maison de sainte Élisaheth avec ses anses, et celles qu'elle y eut avec la même sainte. CHAPITRE XX. Quelques bienfaits singuliers de la très-sainte Vierge dans la maison de Zacharie, à l'égard de personnes particulières. Instruction que la très-sainte Vierge me donna. CHAPITRE XXI. Sainte Élisabeth prie la Reine du ciel de ne point l'abandonner au moment de ses couches. - Elle est avertie de la prochaine naissance de Jean. Instruction que la très-sainte Vierge me donna. CHAPITRE XXII. La naissance du précurseur de Jésus-Christ, et ce que notre souveraine Maîtresse y fit. Instruction que la Reine de l'univers me donna. CHAPITRE XXIII. Les avis que la très-sainte Vierge donne à sainte Élisabeth. - A sa demande on circoncit l'enfant, et on lui donne son nom: - Zacharie prophétise. Réponse et instruction que la très-sainte Vierge me donna. LA CITÉ MYSTIQUE DE DIEU TOME II CHAPITRE XVI. Le voyage que la très-sainte Vierge fit pour aller visiter sainte Élisabeth, et son entrée dans la maison de Zacharie. 200. En ce temps-là, dit le texte sacré, l'auguste Marie partit pour s'en aller promptement dans les montagnes, en une ville de Juda (1). Ce mouvement de notre Reine n'aboutissait pas seulement à une démarche extérieure et au départ pour la maison de Zacharie; il se produisait aussi dans son esprit et dans sa volonté, sous une divine impulsion, pour faire sortir son âme de cette pauvre retraite intérieure où elle se tenait dans une fort humble estime d'elle-même. Me sortit de là comme du pied du trône de Dieu, où elle attendait sa volonté pour en exécuter les ordres, comme la plus humble servante, qui a, selon David, les yeux fixés sur les mains de sa maîtresse (2), pour (1) Luc., I, 39. - (2) Ps. CXXII, 2. saisir les moindres signes de ses commandements. S'étant donc levée à la voix du Seigneur, elle s'anima des plus doux sentiments pour accomplir sa très-sainte volonté, en hâtant autant qu'il lui fut possible la sanctification du précurseur du Verbe incarné, qui était dans le sein d'Élisabeth, comme renfermé dans la prison du péché originel. C'était là le but de cet heureux voyage. Et c'est pour ce sujet que la Princesse du ciel se leva, et marcha avec la diligence que saint Luc exprime dans son Évangile. 201. Or les très-chastes époux Marie et Joseph, ayant laissé la maison de leurs parents et oublié leur peuple (1), se mirent en chemin pour aller à la maison de Zacharie dans les montagnes de Judée, qui étaient à vingt-sept lieues de Nazareth; une grande partie de la route était âpre et rude pour une jeune femme si frêle et si délicate. L'unique ressource qu'elle eût contre des fatigues si au-dessus de ses forces était un petit animal, dont elle se servit durant tout le voyage. Il n'avait été pris que pour son service et pour son soulagement, néanmoins la plus humble et la plus modeste des créatures en descendait souvent, et priait son époux Joseph de partager les peines et les commodités, et de se reposer lui-même de temps en temps, eu y montant à son tour. Ce que le discret époux ne voulut jamais faire, mais pour condescendre en quelque chose aux prières de la divine Dame, il permettait qu'elle fût de temps en temps à pied avec lui, (1) Ps. XLIV, 11. 3 autant qu'il lui semblait que son tempérament délicat le pouvait souffrir sans une trop grande fatigue. Ensuite le saint lui disait avec beaucoup de respect, de ne point refuser ce petit soulagement, et la Reine du ciel obéissait en se remettant sur sa monture. 202. Ils continuaient leur voyage dans ces humbles débats, et ils y employaient si bien le temps, qu'il n'y eut aucun moment qui ne fût rempli de quelque acte de vertu. Ils marchaient seuls, sans être accompagnés des créatures humaines; mais les anges qui gardaient la couche de Salomon (1), l'auguste Marie, les assistaient en toutes choses; et quoiqu'ils s'y trouvassent sous une forme visible pour servir leur Reine et son très-saint Fils, qu'elle portait dans son sein, il n'y eut pourtant qu'elle qui les vit; et ayant égard aux anges et à son époux Joseph, la bière de la grâce marchait avec tant de modestie, qu'elle remplissait par sa présence les champs et les montagnes des doux parfums de ses vertus et des louanges divines, auxquelles elle s'occupait continuellement. Elle s'entretenait quelquefois avec ses anges, et ils faisaient alternativement des cantiques divins avec des motifs différents, tirés des mystères de la Divinité et des oeuvres de la création et de l'incarnation; de sorte que dans cet entretien le coeur très-pur de notre Princesse s'embrasait de nouveau de l'amour de Dieu. Saint Joseph contribuait à tout cela par le discret silence qu'il gardait, recueilli en lui-même et absorbé dans une très-sublime (1) Cant., III, 7. 4 contemplation, afin de permettre, pensait-il, à sa dévote épouse d'en faire autant. 203. l'autres fois, les saints époux parlaient ensemble et conféraient de beaucoup de choses qui regardaient le salut de leur âme, les miséricordes du Seigneur, la venue du Messie, les prophéties qui l'avaient annoncé aux patriarches, et divers autres mystères et secrets du Très-Haut. Il arriva à saint Joseph dans ce voyage une chose qui lui causa de l'admiration : il aimait tendrement son épouse d'un amour, très- saint et très-chaste, ordonné par une grâce spéciale et une dispensation de l'amour divin lui-même (1) ; d'ailleurs le saint était d'un naturel très-noble, trèsbonnète, très-agréable et très-obligeant; tout cela lui inspirait une sollicitude prudente et affectueuse, à laquelle le portaient déjà la sainteté même et la grandeur qu'il reconnaissait en sa divine épouse, comme eu l'objet spécialement favorisé des plus beaux dons du ciel. C'est ainsi que le saint marchait à côté de la très-sainte Vierge, plein de soins et de prévenances, ne cessant de lui demander si elle ne se lassait et se fatiguait point, ou en quoi il pouvait l'aider et la soulager. Or, comme la Reine du ciel portait dans son sein virginal le feu divin du Verbe incarné, le saint ressentait dans son âme, par les paroles et la conversation de son aimable épouse, des effets tout nouveaux dont il ignorait la cause, et bien qu'il se voyait toujours plus enflammé de l'amour divin, et élevé à une (1) Cant, II, 4. 5 plus haute connaissance des mystères qui faisaient le sujet de leur entretien, par une flamme intérieure et une nouvelle lumière qui spiritualisaient et renouvelaient tout son être; en sorte que plus ils s'avançaient dans le chemin et prolongeaient ces entretiens célestes, plus ces faveurs augmentaient. C'est pourquoi saint Joseph comprenait que les paroles de son épouse, qui pénétraient son coeur et enflammaient sa volonté du divin amour, étaient comme les organes par où elles lui étaient communiquées. 204. Il y avait la quelque chose de si étrange, que le discret époux Joseph ne put manquer d'en être fortement frappé, et quoiqu'il n'ignorât point que tout cela lui arrivait par le moyen de l'auguste Marie, et que, dans l'admiration où il était, il lui eût été d'une consolation singulière d'en rechercher et d'en apprendre la cause sans une vaine curiosité, néanmoins sa modestie fut telle, qu'il n'osa lui demander aucune chose pour s'en éclaircir; le Seigneur le disposant de la sorte, parce qu'il n'était pas encore temps de lui découvrir le secret du grand Roi (1), qui était caché dans le sein virginal. La divine Princesse regardait son époux, connaissant tout ce qui se passait dans le fond de son tueur; et réfléchissantes elle-même avec sa prudence ordinaire, elle vit bien qu'il fallait naturellement que son très-cher et très- chaste époux s'aperçût dans la suite de sa grossesse, et qu'elle ne la lui pouvait pas cacher. Notre aimable Reine ignorait alors les voies dont Dieu (1) Tob., XII, 7. 6 se servirait pour conduire ce mystère; mais, quoiqu'elle n'eût reçu aucun ordre du Seigneur de le lui cacher, son extrême prudence et sa propre discrétion lui apprirent combien il était bon de le faire, comme un divin secret, et comme le plus grand de tous les mystères : ainsi, après que l'ange le lui eut annoncé, elle le tint caché sans le découvrir à son époux, ni dans cette occasion ni plus tard, lors des angoisses où saint Joseph se trouva quand il eut connaissance de sa grossesse, comme nous le dirons ci-après. 205. O discrétion admirable ! O prudence plus qu'humaine! Votre grande Dame s'abandonna entièrement à la divine Providence en attendant ce qu'elle en ordonnerait; mais elle ressentit quelque peine en prévoyant qu'elle ne pouvait ni empêcher ni dissiper d'avance ses perplexités; Et ce qui augmentait ses peines, c'étaient les réflexions qu'elle faisait sur les grands soins que le saint prenait de sa personne, auxquels elle croyait devoir un juste retour en tout ce qui lui serait prudemment possible. Elle fit pour cela une prière particulière au Seigneur, lui représentant ses pénibles sentiments, son désir de bien faire, et le besoin que Joseph avait de son secours dans l'occasion qu'elle prévoyait, le priant de l'assister et de la diriger en toutes choses. Dans cette anxiété, notre divine Maîtresse exerça des actes héroïques de foi, d'espérance, de charité, de prudence, d'humilité, de patience et de force, donnant la plénitude de sainteté à tout ce qu'elle faisait, parce qu'elle opérait toujours le plus parfait. 7 206. Ce fut le premier voyage que le Verbe incarné fit en ce monde, quatre jours après y avoir fait son entrée ; cet ardent amour qu'il avait ne put point souffrir de plus longs retards; il fallait que déjà il commençât, en donnant le principe à la justification des mortels en son divin Précurseur (1), à allumer le feu qu'il venait répandre. C'est pourquoi il communiqua cette ardeur à sa très-sainte Mère, afin qu'elle partit en diligence pour aller visiter Élisabeth (2). La divine Dame servit dans cette occasion de char au véritable Salomon; mais bien plus riche, mieux orné et plus léger que celui du premier, auquel le même Salomon la compara dans ses cantiques (3) : ainsi cette sortie fut beaucoup plus glorieuse, agréable et magnifique pour le Fils unique du Père, parce qu'il allait plus commodément dans le sein virginal de sa Mère, où il jouissait de ses délices amoureuses dans lesquelles elle l'adorait, le bénissait, le contemplait, lui parlait, l'écoutait et lui répondait; car elle seule, qui était alors la dépositaire de ce divin trésor et la confidente d'un si magnifique mystère, l'honorait et lui témoignait beaucoup plus de reconnaissance pour les faveurs qu'elle et tout le genre humain en recevaient, que tous les hommes et les anges ensemble ne l'auraient su faire. 207. Durant le trajet qu'ils parcoururent en quatre jours, nos saints voyageurs n'exercèrent pas seulement les vertus qui ont Dieu pour objet et beaucoup (1) Luc., XII, 49. - (2) Luc., I, 89. - (3) Cant., III, 9. 8 d'autres intérieures, mais ils pratiquèrent aussi plusieurs actes de charité envers le prochain, parce que notre charitable Dame ne pouvait pas être oisive en présence de ceux qui avaient besoin de secours. Ils ne trouvaient pas partout le même accueil; parce que quelques-uns, laissés dans leur naturelle inadvertance, les congédiaient avec rusticité : d'autres, mus de la divine grâce, les recevaient avec plaisir et amour. Mais la Mère de la miséricorde ne refusait à personne celle qu'elle pouvait exercer en sa faveur; c'est pourquoi elle n'en laissait échapper aucune occasion; et si elle pouvait décemment visiter ou chercher les pauvres, les malades et les affligés, elle les secourait et les consolait, ou bien elle les guérissait de leurs maladies. Je ne m'arrête point à raconter tous les faits de ce genre. Je dirai seulement l'heureuse rencontre qu'une pauvre fille malade eut de notre grande Reine dans un village par où elle passait, au premier jour de son départ. La charitable Princesse la vit, et, touchée de compassion de l'état dangereux dans lequel elle était, se servit de son pouvoir, et, comme Maîtresse des créatures, elle commanda à la fièvre de quitter cette fille, et aux humeurs de reprendre leur cours et leur tempérament naturel. Grâce à ce commandement et à la très-douce présence de la très-pure Marie, le corps de la malade se trouva aussitôt dans une parfaite santé, et son âme dans un meilleur état : elle vécut ensuite fort saintement, parce qu'elle ne perdit jamais le souvenir de sa bienfaitrice; elle en conserva toujours l'image dans son imagination, et elle lui porta toute sa vie un 9 amour intime, quoiqu'elle ne revit plus notre divine Princesse, et que ce miracle ne fût point divulgué. 208. Le quatrième jour de leur voyage ils arrivèrent à la ville de Juda, qui était le lieu où Élisabeth et Zacharie demeuraient. C'était le nom propre de cette ville, où les parents de saint Jean se trouvaient alors, et c'est pour cela que l'évangéliste saint Luc l'appelle Juda (1), quoique la plupart des commentateurs de l'Évangile aient cru que ce n'était pas son nom propre, mais qu'elle le tirait de cette province qu'on appelait Juda ou Judée, comme l'on appelait aussi pour cette raison montagnes de Judée celles qui de la partie australe de Jérusalem s'étendent vers le midi. Mais ce 'qui m'a été manifesté, est que la ville était appelée Juda, et que l'évangéliste la nomme par son propre nom , bien que les docteurs aient pris communément pour le nom de Juda celui de la province où elle se trouvait. Cela vient de ce que cette ville, appelée Juda, fut ruinée quelques années après la mort de notre Seigneur Jésus-Christ; et comme les commentateurs n'en ont trouvé nulle part aucune mention, ils ont cru que saint Luc, par le, nom de Juda, avait entendu la province et non point le lieu; et c'est à cela qu'il faut attribuer les diverses opinions sur la difficulté de savoir qu'elle était la ville où se fit la visitation. 200. Et parce qu'il m'a été ordonné de déclarer plus exactement cet article à cause de la nouveauté (1) Luc., I, 89. 10 que l'on y peut trouver; ayant fait ce que l'obéissance m'a prescrit à cet égard, je dis que' la maison de Zacharie et d'Élisabeth où la visitation se fit, fut dans le même endroit où maintenant ces mystères divins sont honorés par les fidèles qui habitent les saints lieux de la Palestine, et par les pèlerins qui y vont satisfaire leur dévotion. Et bien que la ville de Juda, où la maison de Zacharie se trouvait, ait été ruinée, le Seigneur ne permit point que l'on perdit entièrement la mémoire de lieux si vénérables, témoins de tant de mystères et consacrés par les pas de la très-pure Marie, de notre Seigneur Jésus-Christ, de Jean-Baptiste et de ses saints parents. Ainsi les anciens fidèles qui firent construire ces églises et qui réparèrent les lieux saints, furent éclairés, indépendamment du flambeau de la tradition, d'une lumière divine, pour connaître la vérité dans tous ces cas, afin que la mémoire de mystères si admirables fût renouvelée, et que les fidèles eussent dans la suite le bonheur de les adorer, confessant la foi catholique dans les lieux sacrés de notre rédemption. 210. II faut remarquer, pour confirmer ce point, que le démon ayant reconnu, au moment de la mort de Jésus-Christ, que cet adorable Seigneur était Dieu et rédempteur des hommes, travailla avec nue fureur incroyable à en effacer la mémoire de la terre des vivants, comme dit Jérémie (1), aussi bien que celle de sa très-sainte Mère. Ainsi il fit en sorte que la sainte (1) Jerem., XI, 19. 11 croix une fois fût cachée et enterrée, une autre fois prise et emportée en Perse , et dans cette même vue il fit que plusieurs des lieux saints furent ruinés et abolis. De là vint que les anges transportèrent si souvent la sainte maison de Lorette, parce que le même dragon qui persécutait cette divine Dame (1) avait déjà excité les esprits des habitants du pays à la destruction complète du sanctuaire dans lequel s'est opéré le très-haut mystère de l'incarnation. Or, c'est par les mêmes machinations de l'ennemi que l'ancienne ville de Juda tomba en ruine, tant à cause de la négligence de ses habitants qui l'abandonnèrent successivement, que par suite de divers accidents et calamités qui lui arrivèrent; mais le Seigneur ne permit point que la maison de Zacharie fût entièrement ruinée, à cause des mystères qui y avaient été célébrés. 211. Cette ville était éloignée, comme j'ai dit, de vingt-sept lieues de Nazareth , et environ de deux lieues de Jérusalem, dans cette partie des montagnes de Judée où le torrent de Sorec a sa source. Après la naissance de saint Jean, et quand la très- pure Marie et son saint époux eurent pris congé pour sen retourner à Nazareth, sainte Élisabeth out une révélation divine qui lui apprit qu'un désastre effroyable frapperait bientôt les enfants de Bethléem et des environs (2). Et bien que cette révélation fût faite dans ces termes vagues et généraux qui ne précisaient et (1) Apoc., XII, 13. - (2) Matth., II,16. 12 ne spécifiaient rien, elle détermina la mère de saint Jean à se retirer avec son mari Zacharie à Hébron, distante de Jérusalem d'environ huit lieues. Les saints y allèrent, parce qu'ils étaient riches, nobles, et qu'ils avaient des maisons et des biens non-seulement en Juda et en Hébron, mais en plusieurs autres endroits. Et quand notre Reine et saint Joseph, fuyant la cruauté d'Hérode, partirent pour l'Égypte (1) (quelques mois après la naissance du Verbe, qui eut lieu après celle de Jean-Baptiste), alors sainte Élisabeth et Zacharie habitaient à Hébron ; et Zacharie mourut quatre mois après que notre Seigneur Jésus-Christ fut né, et dix après qu'Élisabeth eut mis. son fils au monde. J'en ai dit assez pour éclaircir ce doute; ainsi la maison où la visitation a eu lieu n'était ni à Jérusalem , ni à Bethléem , ni à Hébron , mais en la ville qu'on appelait Juda. Et c'est ce que j'ai découvert par la lumière du Seigneur, aussi bien que les autres mystères de cette divine histoire, et l'ayant ensuite demandé nue autre fois à l'ange, pour obéir à de nouveaux ordres, il me le déclara de nouveau. 212. Ils arrivèrent enfin à cette ville de Juda et à la maison de Zacharie. Saint Joseph prit les devants pour prévenir ceux qui s'y trouvaient; et les appelant il les salua de ces paroles : Le Seigneur soit avec vous et remplisse vos âmes de sa divine grâce. Sainte Élisabeth était déjà avertie, car le Seigneur lui même lui avait révélé que sa cousine Marie de Nazareth partait (1) Matth., II, 14. 13 pour la visiter. Elle apprit seulement dans cette vision combien la divine Dame était agréable aux yeux du Très-Haut; quant au mystère de la maternité divine, il ne lui fut révélé qu'au moment où elles se saluèrent en particulier. Or Élisabeth , informée de son arrivée, sortit incontinent avec quelques-uns de sa famille pour recevoir la très-sainte Vierge, qui (comme la plus humble et la moins avancée en âge) fut la première à saluer sa parente, et lui dit: Le Seigneur soit avec vous, ma très-chère cousine. Et le même Seigneur (répondit Élisabeth) vous récompense d'avoir pris la peine de venir me donner cette consolation. Après cela elles montèrent à la maison de Zacharie, et s'étant toutes deux retirées en particulier, il arriva ce que je dirai dans le chapitre suivant. Instruction que notre Reine et Maîtresse me donna. 213. Ma fille, quand la créature donne le juste prix aux bonnes couvres et à l'obéissance qu'elle doit au Seigneur, qui les lui ordonne pour sa gloire, elle éprouve alors un grand bonheur à les pratiquer, une douceur singulière à les entreprendre, et mue vive ardeur pour les continuer, et ces effets rendent témoignage de la vérité et du profit qu'elles renferment. Mais l'âme ne peut pas ressentir ni expérimenter ces 14 mêmes effets, si elle n'est entièrement soumise au Seigneur, et attentive à tout ce que sa divine volonté demande d'elle pour l'écouter avec joie, et l'exécuter avec une agréable diligence, sans se soucier de ses propres inclinations et commodités, comme le serviteur fidèle qui cherche uniquement à faire la volonté de son maître et non la sienne. C'est la manière utile d'obéir que toutes les créatures doivent à Dieu, et surtout les religieuses, qui s'y sont obligées par un voeu particulier. Et afin que vous la pratiquiez, ma très-chère fille, dans toute sa perfection, considérez avec quelle estime David parle en plusieurs endroits es commandements du Seigneur, de ses paroles, de la justice de ses prescriptions, des effets qu'elles produisaient en lui et qu'elles produisent toujours dans les âmes, lorsqu'il proclame qu'elles donnent la sagesse aux enfants, qu'elles réjouissent le coeur humain, qu'elles éclairent les yeux de l'intelligence, qu'elles lui servent d'une très-claire lumière pour se conduire dans toutes ses voies, qu'elles sont plus douces que le miel, plus désirables et plus estimables que l'or et que, les pierres les plus précieuses. Cette prompte soumission à la volonté et à la loi divine rendit David selon le coeur de Dieu; car tels il veut ses serviteurs et ses amis (1). 214. Or regardez, ma fille, avec une très-grande estime les oeuvres de vertu et de perfection que vous savez cotre du bon plaisir de votre Seigneur; ayez soin (1) Lib. Psal., passim; II Reg., XIII, 14; Act., XIII, 22. 15 de n'en mépriser, de n'en rejeter, de ne laisser d'en entreprendre aucune, quelque violence qu'il vous faille faire à votre faiblesse et à vos inclinations. Placez votre confiance en Dieu ; mettez-vous bravement à l'oeuvre, et vous verrez que son pouvoir vaincra incontinent toutes les difficultés; aussitôt vous reconnaîtrez par une heureuse expérience combien léger est le fardeau et combien doux est le joug du Seigneur (1), et qu'en parlant ainsi, le divin Maître n'a trompé personne, comme voudraient se l'imaginer les lâches et les négligents, qui par leur mollesse et leur peu de confiance combattent tacitement cette vérité. Je veux aussi que, pour m'imiter dans cette perfection, vous fassiez réflexion sur la faveur que la divine clémence me fit en me donnant une pitié et une affection très-douce envers les créatures , comme étant des ouvrages qui participent à la bonté et en quelque façon à l'Être divin. Je souhaitais par cette affection de consoler, de soulager et d'animer toutes les âmes, et par une compassion naturelle, je leur procurais toute sorte de bien spirituel et corporel; je ne désirais du mal à personne , pour grand pécheur qu'il frit : au contraire, c'est vers les pécheurs que je m'inclinais vivement de toute la compatissante de mon coeur, pour leur obtenir le salut éternel. C'est de cette tendre affection que j'avais pour tous les hommes que naissait la peine que j'avais en pensant combien ma grossesse tourmenterait mon époux Joseph, lui (1) Matth., XI, 30. 16 que je devais plus aimer que tous les autres. Cette douce pitié, je l'éprouvais surtout pour les affligés et les malades, et je tâchais toujours de leur procurer quelque soulagement. Et je veux que dans les applications de ce sentiment, dont vous devez user avec prudence, vous m'imitiez autant qu'il vous sera passible. CHAPITRE XVII. Le salut que la Reine du ciel fit à sainte Élisabeth, et la sanctification de Jean. 215. Sainte Élisabeth avait accompli le sixième mois de sa grossesse, et le précurseur futur de notre Seigneur Jésus-Christ était dans la prison du sein maternel, lorsque la très-sainte Mère Marie arriva à la maison de Zacharie. La condition du petit corps de Jean était dans l'ordre naturel, et beaucoup plus parfaite que celle des autres, à cause du miracle qui se fit dans la conception d'une Mère stérile, et parce que Dieu lui destinait la plus grande sainteté qu'il y eût entre les enfants des hommes (1). Mais son âme, (1) Matth., XI, 11. 17 était alors plongée dans les ténèbres du péché qu'elle avait contracté en Adam, comme les autres enfants de ce premier et commun père du genre humain. Et comme, par la loi commune et générale, les mortels ne peuvent recevoir la lumière de la grâce qu'après avoir reçu celle du soleil matériel, c'est pour cela qu'en suite du premier péché que l'on contracte, avec la nature, le sein maternel nous sert comme d'une prison ou d'un cachot, d'autant que nous sommes coupables en notre père et chef Adam (1). Notre Seigneur Jésus-Christ voulut devancer, au profit de son grand prophète et précurseur, l'heure de ce grand bienfait, en lui accordant par anticipation la lumière de la grâce et la justification six mois après que sainte Élisabeth l'eut conçu, afin que sa sainteté fût privilégiée, comme devait être l'office de précurseur et de. baptiste. 216. Après le premier salut que la très-pure Marie fit à sa cousine Élisabeth, elles se retirèrent toutes deux en particulier, comme j'ai dit à la fin du chapitre précédent. Et dans cette retraite la Mère de la grâce salua de nouveau sa parente (2), et lui dit Dieu vous garde, ma très-chère cousine et sa divine lumière vous communique la grâce et la vie. A ces paroles de la très-sainte Vierge, Élisabeth fut remplie du Saint-Esprit (3), et son intérieur fut si fort éclairé qu'elle connut dans un instant de très-hauts mystères et de très - profonds secrets. Ces effets et ceux que (1) Rom., V, 12. - (2) Luc., I, 40. - (3) Ibid., 41. 18 l'enfant ressentit en même temps dans le sein de sa mère, résultèrent de la présence du Verbe incarné dans celui de Marie, où, se servant de la voix de sa très-sainte Mère comme d'un instrument, il commença d'user de la puissance que le Père éternel lui donna, pour sauver et justifier les âmes, en qualité de leur restaurateur (1). Et comme il exerçait cette puissance en tant qu'homme, ce petit corps adorable, quoiqu'il ne fût conçu que depuis huit jours (chose merveilleuse), ne laissa pas que de se mettre dans ce même sein virginal , en une posture humble pour prier le père; et dans cette prière il demanda la justification de son précurseur futur; et la très sainte Trinité la lui accorda. 217. Saint Jean, qui était dans le sein de sa mère, fut le troisième pour lequel notre Rédempteur pria particulièrement, étant lui-même dans celui de Marie car celle-ci fut la première pour qui il rendit grâces et adressa à son Père diverses demandes et prières; saint Joseph, en qualité de son époux, obtint le second rang dans les prières que fit le Verbe incarné, comme nous l'avons dit su chapitre douzième; et le précurseur eut le troisième dans l'intercession spéciale qu'il offrit en faveur de personnes déterminées et nominativement désignées. Le bonheur et le privilège de saint Jean furent si grands, que notre Seigneur Jésus-Christ présenta au Père éternel ses mérites, la passion et la mort qu'il venait souffrir pour les hommes; et, en vertu de (1) Matth., IX, 6. 19 tout cela, il demanda la sanctification de cette âme, et il nomma et signala l'enfant qui devait naître saint pour être son précurseur, pour rendre témoignage de sa venue au monde (1), et pour disposer le coeur de son peuple à le connaître et à le recevoir (2); il sollicita en faveur de cet élu toutes les grâces, tous les dons, toutes les faveurs convenables et proportionnées à la sublimité de son ministère, et le Père accorda tout ce que son Fils unique humanisé lui demanda. 218. Cela se fit avant le salut et les paroles de la très-sainte Vierge Et au moment où la divine Dame prononça la formule que nous avons rapportée, Dieu regarda l'enfant dans le sein de sainte Élisabeth, lui donna le plus parfait usage de la raison, et l'éclaira par des secours extraordinaires de la divine lumière, afin qu'il se préparât à sa mission en connaissant le bien qu'il recevait. Par cette disposition., il fut délivré du péché originel et sanctifié, constitué fils adoptif du Seigneur et rempli du Saint-Esprit, avec une grâce très-abondante et une plénitude de dons et de vertus, de sorte que toutes ses facultés furent sanctifiées, dociles et soumises à la raison. Ainsi s'accomplit ce que l'ange saint Gabriel avait dit à Zacharie, que son fils serait rempli du Saint-Esprit jusque dans le ventre de sa mère (3). Au même instant l'heureux enfant vit, du lieu où il était, le Verbe incarné : le sein maternel lui servant comme d'un verre fort clair, et celui de l'auguste Marie, d'un très-pur cristal; et, se mettant (1) Joan., 1,7. - (2) Luc., 1, 17. - (3) Ibid., 15. 20 à genoux, il y adora son Créateur et son Rédempteur. Et ce fut le tressaillement de joie que sainte Élisabeth sentit et remarqua en son enfant et dans son sein (1). Le petit Jean reconnut par beaucoup d'autres actes pieux le bienfait dont il était l'objet; il exerça toutes les vertus qui se rattachent à la foi, à l'espérance, à la charité, au culte, à la gratitude, à l'humanité, à la dévotion , et les autres vertus qu'il pouvait opérer dans cet état. Il commença dès lors à mériter et à croître en sainteté, sana en déchoir jamais, et sans cesser d'agir avec toute la force de la grâce. 219. Sainte Élisabeth connut au même moment le mystère de l'incarnation, la sanctification de sou fils; la fin et les mystères de cette nouvelle merveille. Elle connut aussi la pureté virginale et la dignité suprême de l'auguste Marie. En cette occasion, la divine Reine étant toute absorbée dans la vision de ces mystères et de là Divinité qui opérait en son très-saint Fils, fut toute divinisée et remplie de la lumière des dons auxquels elle participait. Sainte Élisabeth la vit dans cette majesté; elle vit aussi comme à travers la glace la plus transparente le Verbe humanisé dans le sein virginal, comme dans une couche d'un cristal ardent et animé. L'instrument efficace de tous ces admirables effets, ce fut la voix de la très- pure Marie, aussi forte et aussi puissante que douce aux oreilles du Très-Haut; toute cette vertu était comme émanée de celle qu'eurent ces puissantes paroles : Fiat mihi secundum (1) Luc., I, 44. 21 verbum tuum (1), par lesquelles elle attira le Verbe éternel du sein du Père dans son entendement et dans ses sacrées entrailles. 220. Sainte Élisabeth, ravie en admiration par les choses qu'elle ressentait et découvrait en des mystères si divins, fut toute transportée d'une joie spirituelle du Saint-Esprit, et, considérant la Reine de l'univers et ce qu'elle y apercevait, elle exhala ses sentiments en s'écriant à haute voix, suivant le récit de saint Luc : " Vous êtes bénie entre les femmes, et le fruit de votre ventre est béni. Et d'où me vient ce bonheur, que la Mère de mon Seigneur me visite? Car je n'ai pas plutôt entendu votre voix, lorsque vous m'avez saluée, que mon enfant a tressailli de joie dans mon sein. Vous ôtes bienheureuse d'avoir cru, car les choses que le Seigneur vous a dites seront accomplies (2). a Sainte Élisabeth renferma dans ces paroles prophétiques de grandes excellences de l'auguste Marie, voyant à la lumière divine ce que le pouvoir du Tout-Puissant avait opéré en elle, ce qu'il opérait alors, et ce qu'il y devait opérer dans la suite. En entendant ces paroles, le petit Jean connut et comprit tout cela dans le sein de sa mère, qui, tout éclairée à l'occasion de sa sanctification, exalta pour elle-même et pour son fils, comme l'instrument de leur commun bonheur, cette très-pure Marie, que lui ne pouvait encore ni bénir ni louer par sa propre bouche, dans l'état où il était. (1) Luc., 1, 38. - (3) Ibid., 48-45. 22 221. A ce discours de sainte Élisabeth, qui élevait si haut notre grande Reine, la Maîtresse de la sagesse et de l'humilité répondit en renvoyant toutes ses louanges à l'auteur même de ces merveilles, et de la voix la plus douce et la plus mélodieuse elle entonna le cantique du Magnificat, que nous répète saint Luc : " Mon âme glorifie le Seigneur; et mon esprit se réjouit en Dieu mon Sauveur, de ce qui il a a regardé la bassesse de sa servante, car désormais je serai appelée bienheureuse dans la durée de tous les a siècles. Parce que le Tout-Puissant a fait en moi de grandes choses, et son nom est saint. Sa miséricorde s'étend de génération en génération sur ceux qui le craignent. Il a déployé la puissance de son bras; il a dissipé les desseins que les hommes superbes formaient dans leur coeur. Il a renversé les puissants de leurs trônes, et il a élevé les humbles." Il a comblé de biens ceux qui étaient pressés de la faim, et a réduit à la disette ceux qui vivaient dans l'abondance. Il a pris en sa protection Israël son serviteur, se souvenant de sa miséricorde, qu'il avait promise à nos pères, à Abraham et à sa postérité pour jamais (1). " 222. Comme sainte Élisabeth fut la première qui ouït ce doux cantique de la bouche de la très-pure Marie, elle fut aussi la première qui l'approfondit et qui le commenta par l'intelligence infuse qu'elle en avait reçue. Elle y découvrit plusieurs des grands (1) Luc., I, 47-57. 23 mystères qu'y avait renfermés en si peu de paroles celle qui l'avait composé. L'esprit de l'auguste Marie glorifia le Seigneur pour l'excellence de son être infini (1); elle lui rapporta et lui donna toute la gloire et toute la louange, comme au principe et à la fin de toutes ses oeuvres (2), comprenant et confessant que la créature ne se doit glorifier et réjouir qu'en Dieu seul, puisque lui seul est tout son bien et toute sa félicité (3). Elle confessa aussi l'équité et la magnificence du Très- Haut dans les soins qu'il prenait des humbles (4), en leur communiquant son amour et son esprit divin avec largesse; et combien il était juste que les mortels vissent, connussent et considérassent que ce fut par cette humilité qu'elle mérita que toutes les nations l'appelassent bienheureuse, et que par cette vertu tous les humbles mériteront aussi le même bonheur, chacun selon son degré. En un mot elle manifesta aussi toutes les miséricordes et tous les bienfaits que le Tout- Puissant lui fit, et toutes les faveurs qu'elle recevait de son saint et admirable nom (5), les appelant de grandes choses, parce qu'il n'aurait su y en avoir de petite, avec une capacité et une disposition aussi immenses que celles de cette grande Reine. 223. Comme les miséricordes du Très-Haut débordèrent de la plénitude de l'auguste Marie sur tout le genre humain, comme elle est la porte du ciel par où elles sortirent et sortent toutes, par où nous (1) Luc., I, 47. - (2) I Tim., I, 17; Apoc., I, 8. - (3) II Cor., X, 17, 18. - (4) Ps. CXXXVII, 6. - (5) Luc., I, 49. 24 devons tous entrer dans la participation de la Divinité, elle confessa que la miséricorde du Seigneur s'étendra par elle sur toutes les générations pour se communiquer à ceux qui le craignent (1). Et comme ses miséricordes infinies élèvent les humbles et cherchent ceux qui Je craignent, de même le puissant brai de la justice dissipe et détruit les superbes (2) , et tous les vains projets qu'ils forment dans leur coeur, les renversant de leur trône pour y placer les pauvres et les humbles (3). Cette justice du Seigneur appliqua avec beaucoup de gloire ses premiers et admirables effets sur Lucifer, le chef des superbes, et sur ses adhérents, lorsque le puissant bras du Très-Haut les dissipa et les abattit (car ils se précipitèrent eux-mêmes) de ce rang élevé quant à l'ordre de la, nature et quant à l'ordre de la grâce qu'ils occupaient primitivement dans le plan divin, et dans les desseins de l'amour infini qui veut que tous soient sauvés (4). Ils se précipitèrent par leur, orgueil avec lequel ils essayèrent de monter là où ils ne pouvaient ni ne devaient parvenir (5); par cet orgueil ils tombèrent sous le poids des justes et impénétrables jugements du Seigneur, qui dissipèrent et abattirent l'ange superbe et tous ses partisans; et les humbles furent mis en leur place par le moyen de la très-sainte Vierge et Mère, qui est la dépositaire des anciennes miséricordes. (1) Luc., I, 51. - (2) Ibid., 51. - (3) Ibid.. 53. - (4) I Tim., II, 4. - (5) Isa., XIV, 13. 25 224. C'est pour cette mène raison que cette divine Dame dit et confesse; que Dieu a enrichi les pauvres (1), les comblant de l'abondance de ses trésors de grâce et de gloire; et que quant aux riches de leur propre estime, aux hommes enflés d'une présomptueuse arrogance, à ceux dont l'âme n'aspire qu'à se gorger des faux biens dans lesquels `le monde fait consister l'opulence et la félicité, le Très-Haut a renvoyé et renvoie toujours ceux-là vides de la vérité, qui né peut entrer dans des coeurs qu'occupent tout entiers le mensonge et la vanité. Il prit sous sa protection Israël, son serviteur et son enfant, se souvenant de sa miséricorde (2), pour lui enseigner où est la prudence, où est la vérité, où est l'entendement, où sont la longue vie et la nourriture, où sont la lumière des yeux et la paix. Il lui enseigna le chemin de la, prudence et les voies cachées de la sagesse et de la discipline, que n'ont point su découvrir les `princes des nations, et qu'ont ignorés les puissants qui dominent sur les animaux de la terre, qui prennent leur plaisir avec les oiseaux du ciel, et qui amassent des trésors d'or et d'argent, non plus que les enfants d'Agar et les habitants de Theman, qui sont les sages, les prudents et les superbes de ce monde (3). Le Très-Haut communique cette sagesse à ceux qui sont enfants' de lumière et d'Abraham par la foi, 'par l'espérance et par l'obéissance (4) , parce qu'il le promit ainsi et à lui (1) Luc., I, 53. - (2) Ibid., 54. - (a) Baruch., III, 14, 16, 17, 18, 20, 23, 24, 37. - (4) Gal., III, 7. 26 et à sa postérité spirituelle (1), par le béni et heureux fruit du ventre virginal de la très-pure Marie. 225. Sainte Élisabeth pénétra ces mystères cachés en entendant les paroles de la Reine des créatures, et non-seulement ce que je puis exprimer de ce que cette heureuse Dame y découvrit, mais plusieurs autres grands secrets qui dépassent mon intelligence; je ne veux pas non plus m'étendre sur ce qui m'en a été révélé, parce que je serais trop diffuse dans ce discours. biais les deux saintes et prudentes dames Marie et Élisabeth me rappelèrent, dans les doux et divins entretiens qu'elles eurent, ces deux séraphins qu'Isaïe vit autour du trône du Très-Haut, chantant alternativement ce cantique sublime et toujours nouveau, Saint, satins, etc., et ayant chacun six ailes, deux dont ils voilaient leur face, deux dont ils cachaient leurs pieds, et deux autres dont ils volaient (2). Il est sûr que l'ardent amour de ces très-saintes Dames surpassait celui de tous les séraphins, puisque la seule Marie aimait beaucoup plus qu'eux tous ensemble. Elles s'enflammaient dans ce divin embrasement, étendant les ailes de leur coeur pour se le découvrir mutuellement, et pour voler à la plus haute intelligence des mystères du Très-Haut. Elles voilaient leur face par deux autres ailes d'une rare sagesse, parce qu'elles résolurent toutes deux de garder toute leur vie le secret du grand Roi (3), et parce qu'elles assujettirent aussi leur raison à une foi (1) Luc., I, 55. - (2) Isa., VI, 3 et 4. - (3) Tob., XII, 7. 27 soumise, exempte d'orgueil et de curiosité. Elles voilèrent les pieds du Seigneur aussi bien que les leur par des ailes séraphiques, étant humiliées et anéanties dans une très-basse estime d'elles-mêmes à la vue d'une si grande Majesté. Que si la très-pure Marie renfermait le souverain Seigneur dans son sein virginal, nous pouvons dire avec raison et avec vérité qu'elle voilait le trône oit le Seigneur faisait sa demeure. 226. Quand l'heure arriva pour les deux saintes femmes de sortir de leur retraite, sainte Élisabeth s'offrit elle-même comme esclave à la Reine du ciel; elle mit toute sa famille à son service et toute sa maison à sa disposition; elle la pria d'accepter pour son oratoire une chambre où elle même avait l'habitude de vaquer à l'oraison, comme le lieu le plus tranquille et le plus propre aux pieux exercices. La divine Princesse l'accepta avec d'humbles remerciements, et se proposa de s'en servir pour s'y recueillir et pour y prendre son repos; et dès lors personne n'y entra que les deux saintes cousines. Notre aimable Reine s'offrit à son tour de servir et d'assister sainte Élisabeth comme sa servante, lui disant que c'était un des principaux motifs de la visite qu'elle lui faisait. Oh! quelle amitié si douce, si sincère et si inséparable, resserrée par le plus fort lien de l'amour divin! Je vois que le Seigneur est admirable, de découvrir le grand mystère de son incarnation à trois femmes plutôt qu'à aucun autre du genre humain: la première fut sainte Anne, comme nous avons dit en son lieu; 28 la seconde fut a Fille et la Mère du Verbe, la très-pure Marie; la troisième fut sainte Élisabeth et son fils avec elle; mais comme il était alors dans le sein de sa mère, on ne le prend pas pour une autre personne: d'où l'on peut inférer que ce qui semble folie en Dieu surpasse toute la sagesse des hommes, comme dit saint Paul (1). 227. Notre divine Reine et sa cousine Élisabeth sortirent de leur retraite à l'entrée de la nuit; après y avoir demeuré un assez long temps, la très-sainte Vierge vit Zacharie qui était devenu muet; elle lui demanda sa bénédiction comme su prêtre du Seigneur, et le saint la lui donna. Mais quoiqu'elle ne pût le voir dans cet état sans ressentir une affectueuse pitié, comme elle savait le mystère que cette affliction renfermait, elle ne s'empressa pas de lui procurer le remède; néanmoins elle pria pour lui. Sainte Élisabeth, qui connaissait le bonheur du très-chaste époux joseph (que lui-même ignorait), le traita avec beaucoup d'estime et de vénération, et le combla des plus tendres prévenances. Après que le saint eut demeuré trois jours dans la maison de Zacharie, il demanda permission à sa divine épouse de s'en retourner à Nazareth, la laissant en la compagnie de sainte Élisabeth, afin qu'elle l'assistât dans ses couches. Il prit congé avec promesse de revenir chercher notre aimable Princesse quand elle. le ferait avertir. Sainte Élisabeth lui offrit quelques présents, le priant de les (1) I Cor., I, 25. 29 accepter et de les porter à sa maison; mais il n'en voulut recevoir que fort peu de chose, et cela à cause de ses vives instances, parce que l'homme de Dieu n'était pas seulement amateur de la pauvreté, mais il était aussi d'un coeur magnanime et généreux. Ensuite il prit le chemin de Nazareth avec la petite monture qu'il avait empruntée. Étant arrivé à sa maison, il y fut servi, dans l'absence de son épouse, par une de ses parentes et voisines qui avait le soin de leur porter les choses nécessaires du dehors; lorsque notre très-sainte Dame s'y trouvait. Instruction que la divine Reine me donna. 228. Ma fille, afin que votre coeur soit toujours plus embrasé de la flamme du désir que vous avez continuellement d'acquérir la grâce et l'amitié de Dieu, je souhaite fort que vous connaissiez la grande dignité, l'excellence et la félicité de l'âme qui parvient à en être embellie; mais cette beauté est si ravissante et d'un si haut prix, que toutes mes explications ne suffiront point pour vous en donner une juste idée, et il vous sera encore moins possible de l'exprimer par vos paroles. Contemplez le Seigneur, et regardez-le à là divine lumière dont il vous éclaire; elle vous fera voir qu'il lui est bien plus glorieux de justifier une seule âme que d'avoir créé tous. les globes 30 du ciel et de la terre avec cette suprême perfection naturelle qu'ils présentent. Que si les créatures connaissent la grandeur et la puissance de Dieu par ces merveilles (1), dont elles n'aperçoivent la plupart que par leurs sens corporels, que diraient- elles , que penseraient-elles, si elles voyaient des yeux de l'âme les charmes ineffables que la grâce répand sur tant de créatures capables de la recevoir? 229. Ce ne sont point des mots, ce ne sont point des phrases qui peuvent faire comprendre ce que sont ces communications du Seigneur, cette participation aux perfections divines, dont fait jouir la grâce sanctifiante : on en dit fort peu de chose en l'appelant plus pure et plus blanche que la neige, plus brillante que le soleil, plus précieuse que l'or et les pierreries, plus douce, plus aimable, plus agréable, que les dons les plus riches, que les caresses les plus délicieuses; plus belle enfin que tout ce que les créatures peuvent rêver dans leurs désirs. Considérez aussi, ma fille, la laideur du péché, afin que vous puissiez arriver à une plus grande connaissance de la grâce par son contraire: car les ténèbres, la corruption, les choses les plus horribles et les plus monstrueuses n'en sauraient figurer la difformité et la puanteur. Les martyrs et les saints l'ont bien compris, puisque, pour acquérir et conserver cette beauté, et pour ne pas tomber dans cet abîme de malheur, ils n'ont appréhendé ni les prisons, ni les ignominies, ni le feu, ni les bêtes féroces, (1) Rom., I, 20. 31 ni les rasoirs, ni les tourments, ni la longueur des peines et des douleurs, ni la mort même (1). Tout cela ne vaut et ne pèse que bien peu de chose; tout cela doit se compter pour rien, sil s'agit de s'élever d'un seul degré sur l'échelle de la grâce. Et ce degré, et 'successivement beaucoup d'autres degrés peuvent être franchis par une âme, fût-elle la plus rabaissée par le monde. Voilà ce qu'ignorent les hommes qui n'estiment et ne convoitent que la beauté passagère et trompeuse des créatures, et à qui les objets qui en sont dépourvus paraissent vils et méprisables. 230. Par tout ce que. je viens de dire, vous jugerez jusqu'à nu certain point du bienfait que le Verbe incarné fit à sou précurseur dans le sein de sa mare. Lui- même l'apprécia, et c'est pourquoi il y tressaillit de la joie la plus vive. Vous saurez aussi ce que vous devez l'aire, et ce que vous devez souffrir pour acquérir et conserver ce bonheur, et pour ne point ternir une si grande beauté par le moindre péché , pour ne point en retarder le développement par la plus légère imperfection. Je ceux qu'en imitant ce que je fis dans la visite que je rendis à ma cousine Élisabeth , vous n'acceptiez ni ne recherchiez aucune amitié humaine, et que, parmi les créatures, vous ne fréquentiez que celles avec qui vous pouvez et devez parler des ouvres et des mystères du Très-Haut, et qui peuvent vous enseigner le véritable chemin de son bon plaisir. Et quelque grands que soient vos embarras et vos occupations, (1) Hebr., XI, 36 et 37. 32 qu'ils ne vous fassent jamais oublier les exercices spirituels et les règlements de la vie parfaite, parce qu'on doit les observer et les suivre, non-seulement dans la tranquillité, mais encore dans les contradictions, dans les difficultés et dans les occupations les plus pénibles, d'autant plus que la nature imparfaite se relâche à la moindre occasion. CHAPITRE XVIII. La très-pure Marie règle ses exercices dans la maison de Zacharie, et gnelques particularités qui arrivèrent entre les deux saintes cousines. 231. Le précurseur du Seigneur ayant été sanctifié, et sa mère sainte Élisabeth renouvelée par de plus grands dons et par des faveurs, spéciales dont la communication était le but principal de la visite de la très-sainte Vierge, cette grande Reine voulut régler les occupations auxquelles elle devait se livrer dans la maison de Zacharie, parce qu'elles ne pouvaient pas être en tout conformes à celles qu'elle avait dans la sienne. Et afin de conduire son désir par la direction de l'Esprit divin, elle se retira dans son oratoire, où elle se prosterna en la présence du Très- Haut, et lui demanda, selon sa coutume, de la gouverner et de lui prescrire ce qu'elle devait faire pendant le temps 33 qu'elle demeurerait dans la maison de ses serviteurs Élisabeth et Zacharie , afin qu'elle lui fût agréable en toutes choses, et qu'elle accomplit entièrement ce qui plairait le plus à sa divine Majesté. Le Seigneur exauça sa prière, et lui répondit : " Mon Épouse et ma Colombe, je règlerai toutes vos actions, et je conduirai vos pas à ce qui me sera le plus agréable; je vous marquerai le jour que je veux que vous retourniez à votre maison. Pendant que vous serez dans celle de ma servante Élisabeth, vous couver serez avec elle. Au surplus, vous continuerez vos a exercices et vos prières, surtout pour le salut des hommes; vous demanderez toujours que je n'use point de ma justice envers eux à cause des offenses continuelles qu'ils commettent et qu'ils multiplient contre ma bonté. Et en intercédant ainsi pour eux vous offrirez l'Agneau sans tache, que vous portez dans votre sein, et qui ôte les péchés du monde (1). Voilà quelles seront vos occupations pour le présent. " 232. C'est d'après cette leçon et ce nouveau commandement du Très-Haut que la Princesse du ciel régla toutes les occupations qu'elle devait avoir dans la maison de sa cousine Élisabeth. Elle se levait à minuit, sans manquer jamais à cette pieuse pratique, pour vaquer incessamment à la contemplation des mystères divins, donnant à la veille et au sommeil ce qui était précisément nécessaire à l'état (1) I Petr., I, 19 ; Joan., I, 29. 34 naturel du corps. Elle recevait du Très-Haut, en chacun de ces temps, des faveurs, des lumières, des élévations et des caresses toujours plus particulières. Pendant les trois mois qu'elle demeura avec sa cousine, elle eut plusieurs visions de la Divinité, de cette manière abstractive qui lui était la plus familière; elle jouissait encore plus souvent de la vision de la très-sainte humanité du Verbe dans l'union hypostatique; parce que son sein virginal où elle le portait, lui servait d'un autel et d'un oratoire perpétuel. Elle le regardait avec les accroissements que ce sacré corps recevait chaque jour; et à la vue de ce développement, à la vue du mystère qu'elle découvrait chaque jour dans le champ immense de la Divinité et de la puissance divine, l'intelligence de cette illustre Dame grandissait aussi. Maintes fois elle aurait succombé à l'excès de son amour, consumée du feu de ses ardentes affections, si la vertu du Seigneur ne l'eût fortifiée. Elle ne laissait pas de s'employer parmi ces occupations secrètes à tout ce qui regardait le service et la consolation de sa cousine Élisabeth , sans y consacrer néanmoins un moment de plus que ce que la charité demandait. Elle s'en retournait incontinent dans sa petite solitude, où elle répandait are esprit en la présence du Seigneur avec plus de liberté. 233. Ses applications intérieures ne l'empêchaient pas non plus de s'occuper bien souvent à des ouvrages manuels. Et le divin précurseur fut si heureux en tout, que cette grande Reine lui fit elle-même les bandes et les langes dans lesquels il fut enveloppé; parce que la 35 dévotion et la prévoyance de sa mère sainte Élisabeth lui procurèrent cette faveur, qu'elle, sollicita de notre divine Maîtresse avec beaucoup d'humilité et de respect. La très-pure Marie s'empressa de faire la layette avec une incroyable charité et obéissance : elle voulait, pour s'exercer à cette dernière vertu, obéir à celle qu'elle était disposée à servir comme la moindre de ses servantes, surpassant toujours toutes les créatures en humilité et en obéissance. Quoique sainte Élisabeth tâchât de la prévenir en plusieurs choses qui regardaient soli service, elle la devançait néanmoins pan sa rare prudence et par sa sagesse incomparable, et sa constante prévoyance lui faisait toujours remporter la palme de la vertu. 234. Les deux saintes cousines avaient ainsi de grandes et douces disputes qui étaient fort agréables 'au Très-Haut, et faisaient l'admiration des anges : car sainte Élisabeth prenait un grand soin de servir notre aimable Princesse, et de porter tous ceux de sa famille à en faire de même; mais celle qui était la Maîtresse des vertus, toujours plus officieuse, prévenait et évitait avec une adresse admirable les soins de sa cousine, et lui disait : " Ma cousine, je trouve ma consolation a à être commandée, et mon plaisir est de toujours obéir: il n'est pas juste qu'étant la plus jeune, votre amitié me prive des douceurs que cette habitude me a procure; la même raison demande que non-seulement je vous serve comme ma Mère, mais que je a serve aussi tous ceux de votre maison. Traitez-moi donc comme votre servante tant que je jouirai de 36 votre compagnie. Sainte Élisabeth lui répondit Madame et ma bien-aimée, au contraire je dois vous obéir, et vous devez me commander et me gouverner en toutes choses; et je vous demande cette grâce avec bien plus de justice, parce que si vous voulez, Madame, exercer l'humilité, moi je dois le culte et la révérence à mon Dieu et à mon Seigneur, que vous portez dans votre sein virginal; et je connais votre dignité, qui mérite toute sorte d'honneur et de respect. " Mais la très-prudente Vierge lui repartait: " Mon Fils et mon Seigneur ne m'a pas élue pour Mère afin que l'on me regardât pendant cette vie comme Maîtresse; car son royaume n'est pas de ce monde (1), et il n'y vient pas. pour être servi, mais pour y servir (2), y souffrir et y enseigner aux mortels la pratique de l'obéissance et de l'humilité (3), a en condamnant leur luxe et leur orgueil. Or, si la Majesté souveraine me donne cette leçon et s'appelle a l'opprobre des hommes (4), comment permettrai-je, moi qui suis sa servante et qui ne mérite point la compagnie des créatures, que celles qui sont formées à son image et à sa ressemblance (5) me servent ? " 235. Sainte Élisabeth persistait dans ses sentiments, et disait à sa très-sainte cousine : " Madame, ce que a vous dites pourrait servir à ceux qui ignorent le mystère que vous renfermez; mais moi, qui en ai (1) Joan., XVIII, 36. - (2) Matth., XX, 28. - (3) Matth., XI, 29. - (4) Ps., XXI, 7. - (5) gen., I, 27. 37 reçu du Seigneur la connaissance sans l'avoir, mérités, je serais fort blâmable devant lui si je ne lui rendais en votre personne l'honneur que je lui dois comme à mon Dieu, et à vous comme à sa Mère : car il est juste que je vous serve tous deux, comme aune esclave sert ses maîtres. " La divine Marie, répondant à cela, lui disait : " Ma très-chère soeur, cette vénération que vous désirez justement témoigner est due au Seigneur, que je porte dans mon, sein, qui est notre souverain bien et notre Sauveur: mais moi, qui ne suis qu'une simple créature, et parmi les créatures qu'un petit vende terre, ne me considérez donc qu'en ce que je suis par moi-même, tout en adorant le Créateur, qui m'a choisie, pour sa pauvre demeure; ainsi, par la même lumière de la vérité, vous donnerez à Dieu ce qui lui est dû, et à moi ce qui m'appartient; c'est-à-dire que vous me laisserez servir et me mettre au-dessous de tout le monde, et c'est ce que je vous demande pour ma consolation et pour l'amour du même Seigneur que je porte dans mon sein. " 236. Les deux saintes cousines passaient d'heureux et assez longs moments dans ces édifiants débats. Mais la sagesse divine rendait notre Reine si ingénieuse en matière d'humilité et d'obéissance, qu'elle en sortait toujours victorieuse, imaginant mille moyens de se faire commander pour pouvoir obéir, C'est ainsi qu'elle agit avec sainte Élisabeth tout le temps qu'elles demeurèrent ensemble; mais la chose se passait de telle sorte, que toutes dent traitaient respectivement 38 avec magnificence le mystère du Seigneur qui était caché et mis en dépôt dans le sein de la très-pure Marie, comme Mère et Maîtresse des vertus et de la grâce; et dans le coeur de sa cousine Élisabeth, comme matrone très-prudente et remplie de la lumière du Saint-Esprit. Ce fut par cette même lumière qu'elle régla la manière de se comporter envers la Mère. de Dieu, en lui obéissant autant que possible, et en combinant la déférence qu'elle montrait à ses désirs avec le respect qu'elle devait à sa dignité, et en elle, à son Créateur. Elle se dit donc en elle-même, que si elle ordonnait quelque chose à la Mère de Dieu , ce ne serait que pour lui obéir et pour la satisfaire; lorsqu'elle le faisait, elle en demandait la permission et pardon au Seigneur : loin, d'ailleurs, de lui donner jamais aucun ordre en termes impératifs, elle employait la prière, et elle n'usait d'une certaine autorité que lorsqu'il s'agissait de procurer quelque soulagement à notre aimable Reine, comme de la faire manger ou dormir. Elle la pria aussi de faire quelques petits ouvrages pour elle, ce que notre Princesse fit avec bien du plaisir : mais sainte Élisabeth ne s'en servit jamais, parce qu'elle les garda avec beaucoup de vénération. 237. La très-sainte Vierge acquérait par ces moyens la pratique de la doctrine que le Verbe incarné venait enseigner, s'humiliant, lui qui était la forme du Père éternel, la figure de sa substance (1) , et, Dieu véritable (1) Hebr., I, 3. 39 de Dieu véritable, jusqu'à prendre la forme et le ministère d'esclave (1). Cette auguste Dame était Mère de Dieu, Reine de tout ce qui est créé, supérieure en dignité et en excellence à toutes les pures créatures, et cependant elle se soumit toujours aux moindres; elle n'en reçut jamais aucun service comme une chose qui lui fût due, elle ne s'enorgueillit point et ne sortit jamais des très-bas sentiments qu'elle avait d'elle-même. Quelles excuses pourront alléguer ici notre, présomption et notre vanité insupportable, puisque étant rempli de péchés abominables, nous sommes si insensés que de croire, par la plus horrible des folies, que tout nous soit dû, et que le monde entier doive fort s'empresser de nous honorer et de nous rendre, service? Et si on nous le refuse, nous perdons aussitôt le peu de bon sens que nos passions nous peuvent avoir laissé. Toute cette histoire divine est un tableau d'humilité qui condamne notre orgueil. Et attendu qu'il ne m'appartient pas d'enseigner ni de corriger, mais plutôt d'être enseignée et dirigée, je prie tous les fidèles enfants de lumière de se mettre comme moi cet exemplaire devant les yeux, afin que nous nous humiliions à son imitation. 218. Il n'aurait, pas été difficile au Seigneur d'exempter sa très-sainte Mère de toutes ses actions d'une humilité si extrême par lesquelles il l'exerçait; il aurait bien pu aussi lui donner quelque marque de distinction parmi les créatures, ordonnant qu'elle (1) Philip., p, 6 et 7. 40 eût été louée et honorée de toutes, avec les démonstrations que le monde fait pratiquer envers ceux qu'il veut honorer et élever, comme Assuérus le st à l'endroit de Mardochée (1). Et si tout cela avait été soumis au jugement des hommes, peut- être eussent-ils ordonné que la femme qui était plus sainte que toutes les hiérarchies célestes, et qui portait dans son sein le Créateur des anges et des cieux eux-mêmes, eût toujours vécu à l'écart, entourée des égards et de l'adoration de toutes les créatures; il leur eût paru indigne qu'elle se fût adonnée à des occupations vulgaires et serviles, qu'elle n'eût pas usé en tout de son empire, et qu'elle n'eût pas reçu toute sorte de vénération et d'autorité. C'est tout ce que la sagesse humaine, si l'on peut l'appeler sagesse, aurait pu faire, parce qu'elle ne pénètre pas plus loin. Mais ces illusions sont étrangères à la véritable science des saints, émanée de la sagesse infinie du Créateur, qui donne le nom et le juste prix aux honneurs, et qui ne renverse point les conditions des créatures. Le Très-Haut aurait ôté beaucoup à sa très-chère Mère, et lui aurait donné fort peu en cette vie s'il l'eût privée et retirée des œuvres d'une très-profonde humilité., et élevée en même temps par les applaudissements et les honneurs extérieurs des hommes; et le monde aurait fait une fort grande perte, s'il n'eût pas eu cette doctrine pour le désabuser, et, cet exemple pour humilier et confondre son orgueil. (1) Esth., VI, 10. 239. Sainte Élisabeth fut fort favorisée du Seigneur dès le jour qu'elle eut le bonheur de l'avoir pour hôte dans le sein de sa Mère, vierge. Par les entretiens familiers de cette divine Reine et par la connaissance qu'elle avait des mystères de l'incarnation, elle croissait en toute sorte de sainteté, comme celle qui la puisait à sa propre source. Elle méritait de voir quelquefois la très-sainte Vierge dans ses extases, élevée de terre, et remplie d'une splendeur si divine et d'une beauté si éblouissante, qu'il ne lui était pas possible de la regarder au visage, et elle n'aurait pas môme pu, soutenir l'éclat de sa présence si la vertu divine ne l'eût fortifiée. Quand elle la pouvait voir à son insu dans ces occasions, comme aussi dans plusieurs autres , elle me prosternait à ses pieds, et elle adorait le Verbe incarné dans le sein virginal de sa très-heureuse Mère, comme dans son temple sacré. Cette sage matrone gaula dans son coeur tous les mystères qu'elle connut par la lumière divine et par la fréquentation qu'elle eut avec notre grande Peine, comme une très- fidèle et très-prudente dépositaire du secret qui lui avait été confié. Que si après la naissance du petit Baptiste, elle s'entretint avec lui et avec Zacharie de quelques mystères, ce ne fut que de ceux qui leur étaient communs, et nous pouvons dire qu'elle fut en toutes choses une fournie forte, sage et sainte. 42 Instruction que la Reine du ciel me donna. 240. Ma fille, les bienfaits du Très-Haut, et la connaissance de ses divins mystères font naître dans les Mmes bien disposées un goût et une estime de l'humilité qui les portent aussi doucement qu'efficacement à se mettre à leur place légitime et naturelle, comme le feu tend a s'élever par sa légèreté, comme la pierre tend à descendre par son propre poids. Voilà ce que fait la véritable lumière : elle procure et donne à la créature la claire connaissance d'elle-même, et elle renvoie les ouvres de la grâce à leur origine, d'où vient tout doit parfait (1). Elle établit ainsi chaque chose dans son centre; et c'est l'ordre parfait qu'indique la droite raison , mais qui trouble et violente pour ainsi dire là vaine présomption des mortels. C'est pourquoi l'orgueil et l'orgueilleux ne sauraient désirer le mépris, ni le supporter avec patience, ni souffrir un supérieur, ni même s'accorder avec des égaux ; ils font tous leurs efforts pour dominer seuls sur tous les autres. Mais c'est au milieu des plus grands bienfaits que le coeur humble s'abaisse davantage; ils ne font que produire en lui , malgré le calme dont il jouit, une sainte et ardente cupidité ales humiliations; il cherche toujours la dernière place, et il est comme à la torture lorsqu'il ne la trouve pas derrière tons les antres, lorsque les 43 occasions de pratiquer l'humilité lui échappent. 241. Vous connaîtrez en moi, ma très-chère fille, la véritable pratique de cette doctrine, puisque parmi tant de bienfaits que je reçus de la droite du Tout-Puissant, il n'y en eut aucun de petit; cependant mon coeur ne s'éleva et ne s'enfla jamais de présomption (1), et il ne sut désirer que les abaissements qui pouvaient me mettre au-dessous de toutes les créatures. Je tiens singulièrement à ce que vous m'imitiez en cela, à ce, que tout votre soin soit d'être la dernière de toutes, d'obéir toujours, d'être soumise à tous, d'être, réputée la plus inutile; enfin vous devez vous estimer moins que la poussière devant le Seigneur et devant les hommes. Vous ne pouvez pas nier que vous n'ayez été plus favorisée que mille générations, et que vous ne soyez celle qui l'a le moins mérité; or comment vous acquitterez-vous de cette grande obligation, si vous ne vous humiliez envers tous et plus que tous les enfants d'Adam, si vous ne concevez une très-haute estime pour l'humilité, et si vous n'aimez tendrement cette vertu? Il est juste que vous obéissiez à vos supérieurs, et c'est ce que vous devez toujours faire. Mais j'exige de vous que vous alliez plus loin, et qu'en tout ce qui ne sera point péché, vous obéissiez ait plus petit comme vous obéiriez au plus grand; et c'est ma volonté que vous soyez fort exacte en cette pratique comme je l'étais (1) Ps. CXXX, 4. 44 242. Vous prendrez seulement garde à exercer cette soumission envers vos inférieurs avec plus de retenue, de peur que, ne connaissant point le désir que vous avez d'obéir, elles ne veuillent que vous le fassiez quelquefois en ce qui n'est pas convenable. Mais vous pouvez acquérir de grands mérites sans qu'elles perdent rien de leur obéissance, en ne leur montrant l'exemple qu'avec ce juste tempérament qui sauvegarde les droits de la supérieure. Si l'on vous fait quelque tort, si l'on vous donne quelque sujet de déplaisir, souffrez-le, acceptez-le (pourvu qu'il vous soit personnel) avec une grande estime, sans ouvrir la bouche pour vous défendre ni pour vous en plaindre; et reprenez les fautes qu'on commettra contre Dieu sans y mêler vos intérêts avec ceux de sa divine Majesté : car vous ne devez jamais croire utile de défendre votre propre cause, et vous devez toujours croire important de défendre l'honneur de Dieu; mais gardez-vous bien de vous laisser aller, soit pour l'un, soit pour l'autre, il la colère on à une agitation désordonnée. Je veux aussi que vous cachiez avec une grande prudence les faveurs du Seigneur, parce que l'on ne doit lits découvrir légèrement le secret du grand Roi (1); d'autant plus que les hommes charnels ne sont ni capables ni dignes des mystères du Saint-Esprit (2). Imitez-moi, suivez-moi en tontes choses, puisque vous souhaitez d'être ma très- chère fille; et sachez qu'en m'obéissant vous la deviendrez, et vous (1) Tob., XII, 7. - (2) I Cor., II, 14. 45 porterez le Tout-Puissant à vous fortifier et à diriger vos pas de manière à vous faire atteindre le but auquel il veut vous conduire. Ne lui résistez pas, mais au contraire soyez prompte à obéir à sa lumière et à sa grâce. Faites en sorte de la faire fructifier (1), d'y correspondre avec fidélité et avec diligence, et de rendre par son secours toutes vos actions parfaites. CHAPITRE XIX. Quelques conférences que la très-sainte Vierge eut dans la maison de sainte Élisaheth avec ses anses, et celles qu'elle y eut avec la même sainte. 243. La plénitude de la sagesse et de la grâce de la très-pure Marie ne lui permettait pas, avec son immense capacité, de laisser aucun moment, aucun lieu, aucune occasion qu'elle ne remplit de la plus grande perfection, opérant en tout temps et en toutes circonstances ce qu'elle exigeait, et ne négligeant jamais, autant que possible, ce que la vertu avait de plus saint et de plus excellent. Et, comme habitante du ciel, elle n'était partout qu'une étrangère sur la terre, comme elle était elle-même le ciel intellectuel le plus glorieux, (1) II Cor., VI, 1. 46 le temple vivant où Dieu faisait sa résidence; elle portait toujours avec elle l'oratoire et le sanctuaire, qu'elle trouvait aussi bien chez sa cousine Élisabeth que dans sa propre maison, sans qu'il y eût aucun lieu, aucun temps, aucun emploi qui l'empêchassent de s'y retirer. Elle était au-dessus de tout cela, et, sans en être embarrassée, elle agissait continuellement à la vue et sous l'impression toute- puissante de l'amour. Cependant notre très-prudente Dame ne laissait pus de converser avec les créatures quand l'occasion s'est présentait, et de donner à toutes choses ce qui lotir était convenable. Et comme ses entretiens les plus fréquents, pendant les trois mois qu'elle fut dans la maison de Zacharie, étaient avec sainte Élisabeth et avec les anges de sa garde, je dirai dans ce chapitre quelque chose des conférences qu'elle ont avec eux, et de ce qui lui arriva avec sa cousine. 244. Notre divine Princesse, se trouvant libre et seule, passait une grande partie de ce temps ravie dans les contemplations et dans les visions divines. Elle avait coutume de s'entretenir, quelquefois pendant, quelquefois après ces visions, avec ses saints anges dos mystères et des trésors sacrés que renfermait son cœur amoureux. Un des premiers jours qu'elle passa dans la maison de Zacharie, elle leur tint ce discours : " Esprits célestes, mes gardes et mes compagnons, ambassadeurs du Très-Haut, acolytes de sa divinité, venez et soulagez mon cœur épris et blessé de son divin amour; affligé de sa propre étroitesse, ce cœur gémit de ne pouvoir satisfaire par des œuvres 47 aux obligations qu'il reconnaît, ne fût-ce que dans la limite de ses désirs. Venez, princes célestes, et louez avec moi le nom admirable du Seigneur; glorifions ensemble la sainteté de ses desseins et de ses oeuvres. Aidez ce pauvre vermisseau à bénir son Créateur, qui a daigné regarder sa petitesse avec miséricorde. Parlons des merveilles de mon Époux; traitons de la beauté de mon Seigneur et de mon très-aimable Fils : permettez à ce cœur de se soulager en exhalant ses profonds soupirs auprès de vous, mes compagnons et mes amis, qui connaissez mon secret et mon trésor, que le Tout-Puissant a déposé dans les étroites parois d'un vase si fragile." Ces secrets divins sont grands, et ces mystères sont admirables : je les contemple enivrée des plus doux sentiments; mais leur suprême hauteur m'anéantit, leur profondeur m'abîme, et la force même de mon amour me consume et change tout mon être. Mon cœur embrasé ne peut jamais être satisfait; il ne saurait jouir d'un entier repos, parce que mes désirs surpassent mes couvres, et que mes obligations sont au-dessus de mes désirs : je me plains de moi-même, parce que je n'effectue point ce que je désire, que je ne désire pas tout ce que je dois, et que je me trouve toujours dans l'impuissance de rendre le juste retour. Sublimes séraphins, écoutez mes amoureuses plaintes; je languis d'amour (1); ouvrez-moi vos coeurs enflammés, où la beauté de mon divin (1) Cant., II, 5. Maître rejaillit, afin que les splendeurs de sa lumière et les traits de ses infinies perfections conservent et entretiennent ma vie, qui se consume de son amour. " 245." Mère de notre Créateur et notre Reine, lui répondirent les saints anges, vous êtes en la véria table possession du Tout-Puissant et du souverain bien; et puisque vous le tenez par un lien si étroit et que vous êtes sa véritable Épouse et sa propre. Mère, jouissez éternellement de cette possession. Vous êtes l'Épouse et la Mère du Dieu d'amour, et, si l'unique principe et la source de la vie se trouve en vous, personne ne vivra de cette vie comme vous, ô Reine et Maîtresse de l'univers ! Mais ne prétendez point trouver le repos dans un amour si ardent, puisque la condition et l'état de voyageuse où vous êtes ne permettent pas que vos affections arrivent maintenant à ce terme, où vous ne pourriez plus acquérir de nouveaux surcroîts de plus grands mérites, et obtenir une plus brillante couronne. Vos obligations surpassent sans comparaison celles de toutes les nations; mais elles doivent croître et se multiplier encore: quelque ardent, quelque expansif que devienne votre amour, il ne pourra jamais embrasser son objet, parce qu'il est éternel, incommensurable, infini en perfections; vous serez toujours heureusement vaincue par sa gloire, puisqu'il ne peut être compris ni aimé autant qu'il le doit être que par lui seul. Vous trouverez en lui, auguste a princesse, de quoi désirer et aimer toujours de plus 49 en plus , et cela convient à sa grandeur et à notre gloire. " 246. Ces entretiens ne faisaient qu'attirer dans le coeur de la très-pure Marie le feu du divin amour, parce qu'en elle devait justement s'accomplir ce commandement du Seigneur, qui ordonnait que le feu de l'holocauste frit continuellement allumé dans son tabernacle et sur ses autels, et que l'ancien prêtre l'alimentât de manière qu'il fût perpétuel (1). La chose fut exécutée en notre grande Dame avec bien plus de perfection, où se trouvaient tout ensemble le tabernacle, l'autel, le souverain et le nouveau prêtre, notre Seigneur Jésus-Christ, qui conservait ce divin brasier et l'augmentait chaque jour, en lui fournissant, comme une nouvelle matière, mille faveurs, mille bienfaits, mille influences de sa divinité; et notre souveraine Maîtresse apportait de son côté ses nouvelles œuvres, dont les nouveaux dons du Seigneur rehaussaient l'incomparable valeur, en augmentant et sa sainteté et sa grâce. Sitôt que cette sublime femme fut entrée dans le monde, l'incendie du divin amour s'alluma sur l'autel de son âme pour ne s'éteindre jamais pendant toute l'éternité de Dieu lui-même. Tant il est vrai que le feu de ce sanctuaire vivant fut et sera perpétuel et sans fin. 247. D'autres fois elle conversait avec les anges dans des moments où. ils lui apparaissaient sous une forme humaine, comme je l'ai dit en divers endroits, (1) Levit., VI, 19. 50 et ses plus fréquents entretiens roulaient sur les mystères du Verbe incarné; elle était si profonde en cela et dans la science des Écritures et des prophètes, qu'elle causait de l'admiration aux esprits angéliques. Parlant avec eux de ces sacrés mystères dans une certaine occasion, elle leur dit : " Mes seigneurs, qui êtes serviteurs et amis du Très-Haut, mon cœur est blessé et pénétré des flèches de douleur, en considérant ce que les saintes Écritures disent de mon très-saint Fils, et ce qu'Isaïe et Jérémie ont écrit des cruels tourments qui l'attendent : Salomon dit qu'on le condamnera à un très-ignominieux genre de mort, et les prophètes parlent toujours de sa a passion, de sa mort et de tout ce qui lui doit arriver en des termes singulièrement énergiques (1). Oh! si c'était la volonté de sa divine Majesté que je vécusse alors pour me livrer à la mort pour l'auteur de ma vie! Que mon esprit s'afflige en réfléchissant sur ces vérités infaillibles, sachant que mon Seigneur ne doit sortir de mon sein que pour souffrir! Oh! qui pourrait le préserver de ses ennemis? Dites-moi, princes célestes, par quelles oeuvres ou par quels moyens pourrai-je obliger le Père éternel de tourner contré moi la rigueur de sa justice, et d'en délivrer l'innocent qui ne peut avoir aucun péché? Je sais bien qu'il ne faut pas moins que les oeuvres d'un Dieu incarné pour satisfaire un Dieu (1) Gen., XXII, 2; Num., XXI, 8; Ps. XXI; Dan., IX, 26; Isa., LIII, 2; Jerem., XI, 18. 51 infini, offensé par les péchés des hommes; mais mon très-saint Fils a plus mérité par la première de ces couvres que le genre humain n'a pu perdre et n'a pu l'offenser par ses ingratitudes. Or, si cela suffit, dites-moi, ne sera-t-il pas possible que je meure pour empêcher sa mort et ses tourments? Je ne crois pas qu'il rejette mes humbles désirs et que mes angoisses lui déplaisent. Mais que dis-je, où est-ce que ma peine et mon affection me transportent? puisque je veux que la volonté divine soit accomplie en tout, et lui être entièrement sou mise. " 248. La très-sainte Vierge tenait ce discours et plusieurs autres semblables avec ses anges, principalement dans le temps de sa grossesse. Et ces divins esprits lui répondaient avec le plus grand respect sur tous les sujets de ses peines; ils la fortifiaient et la consolaient en lui rafraîchissant la mémoire des mystères qu'elle connaissait, et en lui alléguant les raisons et les convenances qu'il y avait, que notre Seigneur Jésus-Christ mourût pour la rédemption du genre humain, pour vaincre le démon et le dépouiller de sa tyrannie, pour la gloire du Père éternel et l'exaltation de son très-saint Fils (1). Les mystères qui se passèrent entre cette grande Reine et ses anges furent si relevés et en si grand nombre, qu'il n'est pas possible qu'une langue humaine les raconte, et Tit., II, 14; Joan., XII, 31; Joan., XIV, 13; Luc., XXIV, 26; Joan., XII, 32. 52 que notre entendement les comprenne en cette vie. Quand nous jouirons du Seigneur, nous verrons en lui ce que nos organes ne peuvent pas atteindre maintenant. Et parle peu que j'en ai dit, notre piété pourra arriver à la considération des autres choses plus grandes. 249. Sainte Élisabeth était aussi fort éclairée et fort versée dans les divines Écritures, et elle le fut beaucoup plus après la visitation; ainsi notre Reine s'entretenait avec elle des mystères divins que la sainte matrone connaissait, et ses connaissances augmentèrent par les enseignements de la très-pure Marie, par l'intercession de laquelle elle reçut de grands bienfaits et des dons singuliers du ciel. Elle se trouvait souvent dans l'admiration de voir et d'ouïr la profonde sagesse de la Mère de Dieu, et la bénissant de nouveau, elle lui disait : " Soyez bénie, ma Maîtresse et Mère de mon Seigneur, entre toutes les femmes (1) et que toutes les nations exaltent et connaissent notre dignité. Vous êtes très-heureuse par le très- riche trésor que vous portez dans votre sein virginal : je vous félicite par avance avec de très-humbles affections de la joie que vous éprouverez quand vous aurez le Soleil de justice entre vos bras, et que vous le nourrirez du propre lait de vos mamelles virginales. Souvenez-vous alors, ma Maîtresse, de votre servante, et offrez-moi à votre très-saint Fils et mon Dieu véritable en la (1) Luc., I, 42. 53 chair humaine, afin qu'il reçoive mon cœur en sacrifice. Oh! qui pourrait mériter de vous servir et de vous assister? Mais si je ne suis pas digne d'obtenir ce bonheur, accordez-moi au moins celui de recevoir mon coeur dans votre sein, puisque ce n'est pas sans sujet que je crains qu'il ne se déchire quand il faudra me séparer de vous. " Sainte Élisabeth exprimait en présence de l'auguste Marie d'autres délicieux sentiments de l'affection la plus tendre; et notre très-prudente Dame la consolait, la ranimait et la vivifiait par ses divines et efficaces réponses. Notre Reine mêlait parmi des actions si excellentes et si sublimes, plusieurs autres actions d'humilité et d'abnégation, servant non-seulement sa cousine Élisabeth, mais même les servantes de sa maison. Elle balayait toujours sa petite chambre, et bien souvent la maison de sa parente; elle lavait la vaisselle avec les servantes, et s'occupait à beaucoup d'autres choses d'une profonde humilité. Qu'on ne soit pas surpris que je particularise des actions si petites et si basses en apparence, car la grandeur de notre Reine les ennoblit et les rehausse pour notre instruction, afin que son exemple dissipe notre orgueil et rabatte notre sotte fierté. Quand sainte Élisabeth apprenait quels humbles offices remplissait la Mère de piété, elle en souffrait et tâchait de l'empêcher; c'est pourquoi dans ces sortes d'occasions, la divine Dame faisait tout son possible pour se dérober aux yeux de sa cousine. 250. O Reine du Ciel et de la terre ! notre refuge 54 et notre avocate, quoique vous soyez la Maîtresse de toute sainteté et de toute perfection, j'ose bien vous demander, ma bonne Mère, dans l'admiration où je suis de votre humilité, comment est-ce que vous pouviez concilier la majesté de votre dignité, qui vous donnait l'empire sur toutes choses, et l'adorable présente du Verbe incarné que vous portiez dans votre sein virginal, avec des occupations si viles, comme de balayer le sol et de faire d'autres choses semblables, puisqu'il nous semble que vous pouviez vous en dispenser, pour la révérence qui était due â votre très-saint Fils, sans que vous eussiez pour cela manqué à votre humble désir? Le mien est, mon auguste Dame, que vous me fassiez la grâce de m'éclaircir cette difficulté. Réponse et instruction de la très-sainte Vierge. 251. Ma fille, pour répondre à votre doute, vous devez savoir (outre ce que vous avez écrit dans le chapitre précédent) qu'en matière de vertu il n'est point d'occupation ou d'acte extérieur, pour humble et vil qu'il soit, qui puisse empêcher, si l'on s'en acquitte comme il faut, de rendre au Créateur de toutes choses l'hommage de son culte, de ses adorations et de ses louanges : car ces vertus ne sont point incompatibles; elles peuvent au contraire se rencontrer toutes dans 56 une même créature, et elles se concilièrent surtout en moi, qui eus, toujours présent le souverain bien, sans que je le perdisse de vue pour quoi que ce fût. Ainsi je l'adorais et je l'honorais dans toutes mes actions, les rapportant toujours à sa plus grande gloire; le Seigneur, qui a fait et ordonné toutes choses, n'en méprise aucune, et les choses les plus. basses ne sauraient non plus ni le rabaisser ni l'offenser. Il n'en est donc point de viles que dédaigne filme qui l'aime véritablement, fût-elle en sa divine présence, parce qu'elles tendent, qu'elles aboutissent toutes à lui comme au principe et à la fin de toutes les créatures. Et, parce que celle qui est terrestre ne peut pas vivre sans ces actions basses et sans plusieurs autres qui sont inséparables de la condition fragile et de la conservation de la nature, il est nécessaire de bien entendre cette doctrine pour les faire avec fruit : car si en accomplissant ces actes, en s'acquittant de ces occupations, on négligeait de les rapporter au Créateur, on ferait souvent de longues haltes dans le chemin du bien et du mérite, on se retarderait dans la pratique des vertus intérieures; et c'est là un défaut aussi funeste que répréhensible, auquel les créatures terrestres attachent trop peu d'importance. 252. C'est d'après cette doctrine que vous devez régler vos actions ordinaires, pour petites qu'elles soient, afin que vous ne perdiez point le temps, qu'on ne peut jamais recouvrer : et soit que vous mangiez, ou que vous travailliez, ou que vous reposiez, soit que vous dormiez, ou que vous veilliez, en quelque temps, 56 en quelque lieu et en quelque occupation que ce soit, adorez, honorez et regardez en tout et partout votre grand et tout-puissant Seigneur (1), qui remplit et conserve toutes choses. Je veux aussi que vous sachiez que ce qui m'excitait le plus à pratiquer tous les actes d'humilité, c'était de considérer que mon très-saint Fils venait tout humble (2) pour enseigner par sa doctrine et par son exemple cette vertu dans le monde, pour bannir la vanité et l'orgueil des hommes, et pour arracher cette mauvaise semence que Lucifer a semée parmi les mortels par le premier péché. Et sa divine Majesté me donna une si haute connaissance de la manière incroyable dont il se complaît dans cette vertu, que j'eusse souffert les plus rudes tourments du monde pour pouvoir faire un seul de ces actes que vous avez racontés, comme de balayer le sol ou de baiser les pieds à un pauvre. Vous ne trouverez point de termes pour exprimer cette affection que j'eus, non plus que pour faire comprendre l'excellence et la noblesse de l'humilité. Vous connaîtrez en Dieu ce que vous ne pouvez rendre par vos faibles paroles. 253. Gravez cette doctrine dans votre coeur, conservez-la comme la règle de votre vie, et en vous exerçant toujours à tout ce que la vanité humaine méprise, faites en sorte de mépriser vous-même cette vanité comme exécrable et odieuse aux yeux du Très-Haut. Que, dans cette humble conduite, vos pensées soient toujours très- nobles, et votre conversation dans le (1) I Cor., X, 31. - (2) Matth., XI, 29. 57 ciel (1), avec les esprits angéliques : conversez habituellement avec eux; ils vous donneront une nouvelle lumière de la Divinité et des mystères de Jésus-Christ mon très-saint Fils. Que vos entretiens avec les créatures soient tels, que vous en sortiez toujours plus fervente, et que vous leur inspiriez l'humilité et l'amour divin. Accoutumez-vous de prendre en vous-même la dernière place parmi toutes les créatures; et quand l'occasion se présentera d'exercer les actes d'humilité, vous serez prompte à les mettre en pratique; et vous serez maîtresse de vos passions, si vous commencez par vous juger vous-même comme la moindre, la plus faible et la plus inutile de toutes. CHAPITRE XX. Quelques bienfaits singuliers de la très-sainte Vierge dans la maison de Zacharie, à l'égard de personnes particulières. 254. C'est une qualité de l'amour assez connue que celle d'être véhément; actif comme le feu, s'il trouve une matière sur laquelle il puisse agir; et ce feu spirirituel a cela de particulier, que s'il n'a pas cette matière, (1) Philip., III, 20. 58 il la cherche. Ce maître ingénieux a enseigné tant d'inventions et tant de nouvelles manières de pratiquer les vertus aux amants de Jésus-Christ, qu'il ne leur laisse point un instant de loisir. Et comme il n'est ni aveugle ni insensé, il connaît fort bien la qualité de son très-noble objet, et il sait craindre uniquement une chose : c'est que tous ne l'aiment pas; aussi tâche-t-il de communiquer cet aimable feu sans recherche personnelle et sans envie. Que si dans le grand amour que tant de saints personnages ont eu pour Dieu, et que nous pouvons appeler faible (pour fervent qu'il ait été) en comparaison de celui de l'auguste Marie, le zèle qu'ils eurent pour le salut des aimes fut si admirable et si puissant, comme nous le pouvons conjecturer par tout ce qu'ils ont fait pour le leur procurer, quel devait être celui qui animait cette grande Reine en faveur du prochain, puisqu'elle était la Mère de l'amour divin (1), et qu'elle portait dans ses entrailles le feu vivant, et véritable qui venait embraser le monde (2)! Les mortels connaîtront dans toute cette divine histoire combien ils sont redevables à cette charitable Dame. Et quoiqu'il me soit impossible de détailler les bienfaits particuliers dont elle combla beaucoup d'âme, je ne laisserai pas de dire dans ce chapitre quelques unes des choses de ce genre qui arrivèrent durant le temps que notre Reine passa dans la maison de sa cousine Élisabeth , pour que ces quelques traits fassent deviner les autres. (1) Eccl., XXIV, 24. - (2) Luc., XII, 49. 59 255. Il y avait dans cette maison une servante d'un très-mauvais naturel , chagrine , colère , toujours prête aux jurements et aux imprécations. Elle fatiguait ses maîtres par son humeur hautaine, et elle était si fort assujettie au démon par tous ces vices et par plusieurs autres désordres, que ce tyran l'entraînait sans peine dans toute sorte de dérèglements funestes. Il y avait environ quatorze ans qu'une bande de démons l'accompagnait sans la quitter un moment, pour s'assurer la proie qu'ils prétendaient faire de son âme. Les ennemis de notre salut ne s'en éloignaient que quand elle était en la présence de la Maîtresse de l'univers; parce que, comme j'ai dit ailleurs, la vertu de notre Reine les tourmentait, surtout depuis qu'elle portait dans son sein virginal le Seigneur tout-puissant et le Dieu des armées (1). Et comme cette servante ne ressentait plus les mauvais effets de cette méchante compagnie lorsque ces cruels persécuteurs de nos âmes étaient forcés de la quitter par la présence de la très-sainte Vierge, qui lui procurait des faveurs toutes nouvelles, elle commença à s'attacher par une vive affection à sa restauratrice. Elle cherchait à l'assister avec un tendre empressement, à lui rendre mille petits services, et à se ménager le plus de temps possible pour se trouver auprès de notre divine Princesse, qu'elle regardait avec respect ; car parmi ses inclinations dépravées, elle en avait une bonne : c'était une certaine (1) Ps. XXIII, 10. 60 compassion naturelle pour les pauvres et pour les personnes humbles, à qui elle souhaitait même de faire du bien. 256. La divine Princesse, pénétrant les inclinations de cette femme, l'état de sa conscience, le péril de son âme, et les mauvais desseins des démons à son égard, tourna les yeux de sa miséricorde, et la regarda avec une affection de mère. Et quoique cette charitable Reine sût que cette obsession des démons était le juste châtiment des péchés de cette femme, elle lit néanmoins des prières pour elle, et lui obtint le pardon, la guérison et le salut. Elle commanda incontinent à ces esprits rebelles, par la puissance qu'elle avait, d'abandonner cette créature et de ne plus la troubler ni la molester. Et comme ils ne pouvaient résister il l'autorité de notre invincible Princesse, ils cédèrent et s'enfuirent pleins de terreur, ignorant la cause du pouvoir de l'auguste Marie ; mais ils conféraient ensemble, partagés entre l'admiration et l'indignation, et ils disaient : Quelle est cette femme qui a sur nous un empire si extraordinaire? D'où lui vient ce pouvoir exorbitant qui lui permet de faire tout ce qu'elle, vent? Les ennemis conçurent à cette occasion une nouvelle rage contre celle qui leur écrasait la tête (1). Mais cette heureuse pécheresse: fut délivrée de leurs mains; et notre aimable Maîtresse l'avertit, la corrigea, lui enseigna le chemin du salut, adoucit son coeur revécue, et changea son mauvais naturel. Et (1) Gen., III, 15. 61 elle persévéra toute sa vie dans cet heureux changement, reconnaissant qu'elle en était redevable aux charitables soins de notre seule Reine, bien qu'elle ne pénétrât point le mystère de sa dignité; ainsi elle fut humble, reconnaissante, et elle finit sa vie saintement. 257. Il y avait près de la maison de Zacharie une autre femme qui n'était pas mieux morigénée que cette servante, et à cause du voisinage, elle avait coutume d'y entrer pour s'entretenir avec les domestiques de sainte Élisabeth. Elle vivait dans le libertinage, sans se soucier de conserver l'honnêteté , et comme elle apprit l'arrivée de notre grande Reine dans cette ville, sa modestie et sa retenue , elle dit par une espèce de légèreté et de curiosité : " Qui est cette étrangère que nous venons de recevoir pour voisine, et dont la sainteté et la vie solitaire font tant de bruit? " Poussée par ce vain et impatient désir de connaître les nouvelles et les nouveautés, qui n'est que trop ordinaire à ces sortes de personnes, elle tâcha de voir notre divine Dame, pour observer sa mise et son air. Cette curiosité était impertinente et oisive dans son but, mais les effets n'en furent point inutiles; car cette femme, ayant satisfait son désir, se trouva si fort touchée de la présence et de la vue de l'auguste Marie, qu'elle fut à l'instant toute changée, et transformée en un être nouveau. Elle n'eut plus les mêmes inclinations, et sans connaître la puissance de l'agent, elle subit son efficace influence; ses yeux versèrent des torrents de larme, et son coeur fut percé d'une intime douleur de ses 61 péchés. Cette heureuse femme, pour n'avoir que regardé avec une attention curieuse la Mère de la pureté virginale, reçut en échange la vertu de chasteté, elle fut délivrée de ses mauvaises habitudes et de ses inclinations sensuelles. Alors elle se retira abîmée dans cette douleur, pour pleurer les désordres de sa vie. Elle sollicita dans la suite le bonheur de voir et d'entretenir la Mère de la grâce ; cette charitable Reine voulut bien l'accueillir, pour l'affermir dans sa conversion, elle qui savait parfaitement ce qui venait d'arriver, et qui portait dans son sein la source même de la grâce, de la sainteté et de la justification, en vertu de laquelle l'avocate des pécheurs opérait. Elle la reçut avec une affection maternelle, elle lui donna de sages avis, et l'instruisit à la pratique de la vertu, de sorte qu'elle la laissa saintement renouvelée, et fortifiée pour persévérer dans le bien. 258. Notre grande Reine fit un très-grand nombre de bonnes oeuvres et de conversions aussi admirables que celles-là , mais toujours en les cachant des ombres du silence et du secret. Elle sanctifia toute la famille de sainte Élisabeth et de Zacharie par sa conversation; elle augmenta la perfection de ceux qui étaient justes, et leur acquit de nouveaux dons et de nouvelles faveurs; elle justifia et éclaira par son intercession ceux qui ne l'étaient pas, et l'amour respectueux que tous avaient pour elle, les lui soumit avec tant de force, que chacun à l'envi s'empressait de lui obéir, et de la reconnaître pour sa Mère, pour son asile et pour sa consolatrice dans toutes ses nécessités. Sa seule vue 63 produisait tous ces effets, qui lui coûtaient fort peu de paroles, bien qu'elle ne refusât jamais celles qui étaient nécessaires dans de telles occasions. Comme elle pénétrait le secret des coeurs et l'état des consciences, elle appliquait à chacun le remède le plus convenable. Le Seigneur lui manifestait quelquefois si ceux qu'elle voyait étaient du nombre des élus ou des réprouvés. Mais cette connaissance produisait dans son coeur des effets admirables d'une très-parfaite vertu; car elle donnait mille bénédictions aux justes et aux prédestinés (ce qu'elle fait encore maintenant du haut du ciel), et le Seigneur la félicitait de la joie qu'elle eu recevait, et de son côté, elle le priait avec des instances incroyables de les conserver dans sa grâce et dans son amitié. Quand elle voyait quelqu'un dans le péché , elle intercédait du plus profond de son coeur pour sa justification, et ordinairement elle l'obtenait ; que s'il était réprouvé., elle pleurait avec beaucoup de douleur, et elle s'inclinait en la présence du Très-Haut pour la perte de cette image et de cet ouvrage de la Divinité, et elle faisait de très-ardentes oraisons, des offrandes particulières et des actes d'une humilité sublime, afin qu'aucun autre ne tombât dans ce malheur déplorable; de sorts que nous pouvons dire qu'elle était une pure flamme de l'amour divin, qui se trouvait clans un mouvement perpétuel, et qui ne cessait jamais d'opérer de grandes choses. 64 Instruction que la très-sainte Vierge me donna. 259. Ma très-chère fille, il y a deux pôles autour desquels doivent se mouvoir toutes vos puissances et toute votre activité; il y a deux points qui doivent constituer toute l'harmonie de votre âme . l'un, c'est de vous tenir vous-même dans l'amitié et dans la grâce du Très-Haut; l'autre, c'est de travailler à y établir les autres : que ce soit donc là le but de toute votre vie et de toutes vos occupations. Je veux que vous n'épargniez, s'il est nécessaire, ni travail ni fatigue pour arriver à de si hautes fins, et que vous suppliiez le Seigneur de vous y faire parvenir, en vous offrant de souffrir jusqu'à la mort, et en souffrant en effet tout ce qui se présentera et tout ce que vous pourrez endurer. Et, quoique pour travailler au bien spirituel des. âmes vous ne deviez pas recourir à des moyens extraordinaires, qui ne conviendraient pas à votre sexe, vous devez pourtant tâcher d'y employer avec prudence toutes les secrètes industries que vous jugerez pouvoir être les plus efficaces. Si vous êtes ma fille et l'épouse de mon très-saint Fils, considérez que les créatures raisonnables sont les richesses de notre maison; qu'il les a rachetées, comme le plus cher héritage, au prix de sa vie, de sa mort et de son propre sang (1), parce qu'il les avait perdues par leur désobéissance, après (1) I Cor., VI, 20 ; I Petr., I, 19. 65 les avoir créées et destinées pour sa possession (1). 260. Or, quand le Seigneur vous adressera quelque âme nécessiteuse dont il vous fera connaître l'état. travaillez avec beaucoup de fidélité à lui procurer le remède; pleurez et priez avec une intime et fervente affection pour obtenir de Dieu qu'il la délivre d'un si grand mal et d'un péril si formidable; tentez toutes les voies divines et humaines, autant que votre condition le pourra permettre, pour apporter le salut et la vie à cette âme qui aura été remise à vos soins. Avec la prudence et la discrétion que je vous ai recommandées, ne vous lassez ni dans les représentations ni dans les prières qui vous paraîtront utiles, et tâchez, sans bruit ni éclat, de la mettre dans le bon chemin. Je veux même, si l'occasion se présente, que vous commandiez aux démons avec un empire absolu, au nom du Tout-Puissant et au mien, de s'éloigner des âmes que vous connaîtrez être sous leur tyrannie : et comme la chose doit se passer en secret, vous pouvez bien l'exécuter sans crainte et avec une pleine liberté. Sachez que le Seigneur vous a mise et qu'il vous mettra dans des occasions où vous pourrez pratiquer ce que je vous dis : gardez-vous bien de l'oublier ou de le négliger, car sa divine Majesté vous oblige, en qualité de sa fille, d'avoir soin du bien et de la maison de votre père; et souvenez-vous que vous ne devez point être en repos que vous ne vous soyez acquittée de cette obligation avec la dernière exactitude. Ne craignez (1) Gen., III, 6. 66 point, ma fille, vous viendrez à bout de tout par la grâce de Celui qui vous fortifie (1); et son pouvoir infini armera votre bras pour de grandes entreprises (2). CHAPITRE XXI. Sainte Élisabeth prie la Reine du ciel de ne point l'abandonner au moment de ses couches. - Elle est avertie de la prochaine naissance de Jean. 261. Il y avait déjà plus de deux mois que la Princesse du ciel était arrivée à la maison de sainte Élisabeth , qui commençait à se disposer à la douleur due le départ et l'absence de la Maîtresse de l'univers lui devaient causer. Elle aurait voulu ne pas perdre la possession d'un pareil bonheur, tout en comprenant qu'on ne le pouvait humainement mériter. L'humble sainte pesait sans cesse dans son coeur ses propres fautes, craignant qu'elles ne déterminassent l'éclipse de cette. belle Lune, c'est-à-dire le départ de Celle qui renfermait le Soleil de justice dans son sein virginal. Elle pleurait bien souvent lorsqu'elle était seule, et elle jetait de profonds soupirs de ce qu'elle ne pouvait (1) Philip., IV, 13. - (2) Prov., XXXI, 17. 67 trouver les moyens d'arrêter ce divin Soleil, qui l'avait éclairée, comme d'un jour nouveau, de la lumière de la grâce. Elle suppliait le Seigneur avec beaucoup de larmes d'inspirer à sa cousine et à sa maîtresse, l'auguste Marie, de ne la laisser pas seule, ou du moins de ne la pas priver sitôt de son aimable compagnie. L'entourant sans cesse du plus grand respect et des soins les plus assidus, elle méditait sur ce qu'elle ferait pour l'obliger à prolonger son séjour. Et il ne faut point s'étonner si cette illustre femme, si pieuse, si sage, si prudente, sollicitait une faveur qu'auraient pu envier les anges eux-mêmes; car, outre cette grande lumière qu'elle avait reçue du Saint-Esprit pour connaître la sainteté et la dignité suprême de la Vierge bière, cette Reine incomparable lui avait ravi le coeur par les charmes de sa divine conversation, et par les effets merveilleux qu'elle lui faisait éprouver par sa présence, de sorte que sainte Élisabeth n'aurait plus pu vivre loin d'elle, après des rapports si intimes et si doux, sans un secours spécial du Ciel. 262. Sainte Élisabeth résolut, pour se consoler dans sa peine, de découvrir ce qui se passait dans son coeur à notre divine Dame, qui n'en ignorait pas le secret; ainsi elle lui dit avec beaucoup de soumission et de respect : " Ma cousine et ma bonne Maîtresse, je n'ai pas osé jusqu'à présent vous déclarer le désir et la peine qui m'occupent et qui m'affligent, par l'appréhension que j'avais de manquer au respect que je vous dois : permettez-moi donc, s'il vous plaît, de chercher quelque soulagement en vous faisant le 68 a récit de mes inquiétudes, puisque je ne vis que dans l'espérance que mes souhaits seront accomplis. Le Seigneur m'a fait dans sa bonté une grâce singulière en vous amenant ici, afin que j'eusse le bonheur, que je ne puis mériter, de converser avec vous, et de connaître les mystères que la divine Providence a renfermés dans votre auguste personne. Je lui rends, malgré mon indignité, d'éternelles actions de grâces, et je ne cesserai jamais de le louer pour une si grande faveur. Vous êtes le temple vivant de la gloire du Très-Haut, l'arche du Testament, qui gardez la manne dont les anges mêmes se nourrissent; vous êtes les tables de la véritable Loi, écrite par l'Être même de Dieu (1). Considérez ma bassesse, et combien sa divine Majesté m'a enrichie dans un instant, en envoyant dans ma maison le trésor des cieux, et celle qu'il a choisie, entre toutes les femmes pour sa propre Mère : je crains avec sujet que, vous ayant déplu et qu'ayant offensé le fruit de votre ventre par mes péchés, vous n'abandonniez cette pauvre servante, et ne la priviez du bien inestimable dont elle jouit maintenant le Seigneur peut, si c'est votre volonté, m'accorder ce bonheur de vous servir toute ma vie, et de ne point me séparer de vous le reste de mes jours : que s'il y avait trop d'inconvénients à ce que je vous suive dans votre maison, il vous serait très-facile de demeurer dans la mienne et d'y appeler votre saint époux Joseph, (1) Dan., III, 53; Hebr., IX, 4; Ps. LXXVII, 55, Exod., XXXI, 18. 69 afin que vous y soyez tous deus comme nos maîtres et nos seigneurs, et que je vous y serve comme votre servante avec la même affection qui cause mon désir. Et, bien que je ne mérite point la grâce que je vous demande, je vous supplie de ne pas rejeter mon humble prière, puisque le Très-Haut a déjà surpassé par ses faveurs et mes mérites et mes souhaits. " 263. La très-sainte Vierge écouta avec de très-douces complaisances la proposition et la supplique de sa cousine Élisabeth, et elle lui répondit : " Très-chère amie de mon âme , le Seigneur agréera vos saints et pieux sentiments, et vos désirs sont agréables à ses yeux. J'en suis touchée jusqu'au fond du coeur; mais nous devons entièrement soumettre nos projets et notre volonté au bon plaisir divin. Et quoique cette obligation soit commune à tous les mortels, vous savez bien, ma chère amie, que je lui suis plus redevable que toutes les créatures ensemble, puisque le pouvoir de son bras m'a élevée de la poussière, et qu'il a regardé ma bassesse avec une bonté infinie (1). Toutes mes paroles et tous mes mouvements doivent être gouvernés par la volonté de mon Seigneur et de mon Fils; en dehors et su delà de ses divines dispositions, je n'ai ni à vouloir ni à ne vouloir pas. Nous présenterons vos désirs à la Majesté souveraine, et ce qu'elle décidera comme lui plaisant davantage, (1) Luc., I, 48 et 51. 70 nous le ferons. Je dois aussi obéir à mon époux Joseph, et je ne puis, ma très-chère cousine, sans son ordre, régler mes occupations, ni choisir soit le lieu de ma résidence, soit ma demeure; il est juste que nous soyons soumises à ceux qui sont nos chefs et nos supérieurs (1). 264. Sainte Élisabeth se rendit aux raisons si efficaces de la Princesse du ciel, et lui dit avec une humble soumission : " Je veux, chère Maîtresse, suivre votre volonté, et j'ai une respectueuse déférence pour tous vos sentiments. Je vous représente seulement de nouveau l'intime amour de mon coeur, que je consacre à votre service. Que si je ne puis obtenir l'accomplissement de mes désirs, et s'ils ne sont pas conformes, en ce que je vous ai proposé, à la volonté divine, au moins je souhaite, ma bonne Reine, si cela est possible, que vous ne me quittiez point avant la naissance de l'enfant que je porte, afin que, comme, il a connu et adoré son Rédempteur dans mon sein, il jouisse dans le vôtre de sa présence et de sa lumière divine, avant que de jouir d'aucune autre chose, et qu'il reçoive votre bénédiction qui accompagnera les premiers pas de sa vie, à la vue de Celui qui les doit tous conduire par les voies de la justice (2); et que vous, qui êtes la Mère de la grâce, le présentiez à son Créateur, et lui obteniez de, sa bonté infinie la persévérance de cette grâce première qu'il reçut par (1) Ephes., V, 22. - (2) Prov., XVI, 9. 71 l'organe de votre très-douce voix, quand j'eus le bonheur de l'ouïr sans l'avoir mérité. Permettez moi donc, mon asile assuré, que je voie mon fils entre vos bras , où le même Dieu qui a créé le ciel et la terre qui subsistent par son commandement (1), doit reposer et prendre ses délices. Que la grandeur de votre pitié maternelle ne se rebute point par mes défauts; ne me refusez point cette consolation, et accordez à mon fils un si grand bonheur; je ne mérite point d'être exaucée, mais c'est comme mère que je sollicite et que je désire si vivement cette faveur. " 265. La très-sainte Vierge ne voulut pas refuser cette dernière demande à sa cousine, elle s'offrit de demander au Seigneur la réalisation de ses vaux, et lui conseilla d'en faire de même pour apprendre sa très-sainte volonté. Après cela, les deux mères des deux plus saints fils qui aient jamais été au monde, se retirèrent dans l'oratoire de la divine Princesse, et s'y étant mises en oraison, elles présentèrent leurs demandes au Très-Haut. Pendant ce temps-là notre auguste Reine fut ravie en extase, où elle connut par une nouvelle lumière, le mystère, la vie et les mérites du précurseur saint Jean, et la mission qu'il devait remplir cri préparant par sa prédication les voies du coeur des hommes (2) à recevoir leur Rédempteur et leur Maître; mais de tous ces grands mystères elle ne (1) Isa., XLII, 5. - (2) Matth., III, 3; Marc., I, 3; Luc., III, 4; Joan., I, 13. 72 découvrit à sainte Élisabeth que ce qu'il était convenable qu'elle sût. Elle connut aussi la grande sainteté de sa cousine, qu'elle mourrait dans peu de temps, et que sa mort arriverait après celle de Zacharie. Notre miséricordieuse Mère présenta sa parente au Seigneur avec le tendre amour qu'elle lui portait; elle le pria de l'assister à sa mort, et elle lui représenta les désirs qu'elle avait qu'elle se trouvât à la naissance de son fils. Pour ce qui est de demeurer dans la maison de Zacharie, la très-prudente Vierge n'en fit aucune demande, parce qu'elle comprit aussitôt par la divine science dont elle était éclairée qu'il n'était ni convenable ni conforme à la volonté du Très-Haut qu'elle demeurât toujours dans la maison de sa cousine, comme celle-ci le souhaitait. 266. Sa divine Majesté lui répondit : " Mon Épouse et ma Colombe, c'est mon bon plaisir que vous assistiez et que vous consoliez de votre présence a ma servante Élisabeth dans ses couches, qui ne sont pas fort éloignées, puisqu'elles arriveront dans huit jours; et après que le, fils qu'elle enfantera aura été circoncis, vous retournerez à votre maison avec votre époux Joseph. Vous me présenterez mon serviteur Jean sitôt qu'il sera né, car il me doit être un sacrifice fort agréable ; persévérez toujours, ma chère , à me demander le salut éternel pour les âmes. " En même temps sainte Élisabeth joignait ses prières à celles de la Reine de l'univers, et suppliait le Seigneur d'ordonner à sa très sainte Mère et Épouse de ne la point abandonner dans ses couches; 72 alors il lui fut révélé qu'elles étaient fort proches, et plusieurs autres particularités qui lui furent d'une grande consolation dans ses peines. 267. La très-pure Marie revint de son extase, et les deux mères ayant achevé leur oraison, conférèrent ensemble sur ce que les couches de sainte Élisabeth commençaient déjà de s'approcher, selon l'avis qu'elles en avaient reçu du Seigneur; dans cet entretien la sainte dit à notre Reine avec cet ardent désir qu'elle avait de son bonheur : " Dites-moi, je vous prie, chère Maitresse, si j'obtiendrai la faveur que je vous ai demandée, de vous avoir près de moi au moment de mes couches, qui sont si proches? " L'auguste Dame lui répondit : " Ma très-chère cousine , le Très-Haut a exaucé, nos demandes, et il a daigné me commander d'accomplir votre souhait et de vous servir dans cette occasion; c'est ce que je ferai avec plaisir, attendant non-seulement que vous accouchiez , mais aussi que votre fils soit circoncis selon la loi, car le tout s'exécutera dans quinze jours. " Cette résolution de la très-sainte Vierge renouvela la joie de sa cousine; Élisabeth, qui, en reconnaissance d'un si grand bienfait, rendit d'humbles actions de grâces au Seigneur et à son auguste Mère. Et après s'être réjouie et consolée de ces bonnes nouvelles et de ces douces promesses, elle songea à se préparer à ses couches, et à se résoudre au départ de notre souveraine Princesse. 74 Instruction que la très-sainte Vierge me donna. 268. Ma fille, lorsque le désir de la créature naît d'une affection pieuse, et qu'il est conduit par une intention droite à de saintes fins, il ne déplait pas au Très-Haut qu'on le lui expose, pourvu que ce soit avec soumission et avec résignation, pour exécuter ce qui lui sera le plus agréable, selon que sa divine providence en voudra disposer. Car lorsque les âmes se mettent en présence du Seigneur avec cette conformité à sa volonté, avec cette indifférence, il les regarde comme un Père plein de tendresse, et il leur accorde toujours ce qui est juste (1), ne leur refusant que ce qui ne l'est pas, ou ce qui n'est point convenable à leur véritable salut. Le désir due ma cousine Élisabeth avait de m'accompagner et de ne s'éloigner point de moi le reste de ses jours, provenait d'un saint zèle, excellent dans ses motifs; mais cela n'était pas convenable, ni conforme à ce que le Très-Haut avait déterminé relativement aux opérations, aux voyages et aux événements auxquels je m'attendais. Et bien qu'il lui refusât cette demande, elle ne déplut pas an Seigneur, puisque sa divine Majesté lui accorda ce qui ne s'opposait point aux décrets de sa sainte volonté et de sa sagesse infinie, et ce qui était. pour son bien et pour celui de son fils. Le Tout-Puissant (1) Ps., XXXIII, 16. 75 les enrichit tous deux, et leur départit de très-grands dons par mon intercession et en considération de l'amour que le fils et la mère me portèrent. C'est toujours un moyen très-efficace auprès de Dieu que de lui demander ce qu'on désire obtenir avec une bonne volonté, par ma médiation et en s'appuyant sur la dévotion que l'on a pour moi. 269. Toutes vos demandes et toutes vos prières, je veux que vous les offriez au nom de mon très-saint Fils et au mien; et soyez sûre, sans jamais craindre le contraire, qu'elles seront exaucées si vous les adressez avec la droite intention de ne chercher que le bon plaisir de Dieu. Regardez-moi avec une tendre affection comme votre Mère et votre asile, consacrez-vous à ma dévotion et à mon amour, et sachez, ma fille, que le désir que j'ai de votre plus grand bien m'oblige de vous enseigner le moyen le plus puissant et lé plus efficace par lequel vous puissiez, avec la science de la grâce divine, obtenir de la main libérale du Seigneur de grands trésors et des faveurs considérables. Prenez garde à ne point vous en rendre indigne et à ne point les retarder par votre lâcheté et par vos méfiances. Si vous voulez que je vous aime comme ma plus chère fille, faites en sorte de m'imiter dans tout ce que j'ai pratiqué et que je vous enseigne; tâchez d'y appliquer toutes vos forces et tous vos soins, et croyez que tout ce que vous ferez pour acquérir le fruit de mes instructions sera très-bien employé. 77 CHAPITRE XXII. La naissance du précurseur de Jésus-Christ, et ce que notre souveraine Maîtresse y fit. 270. L'heure arriva où devait paraître l'étoile avant-courière du Soleil de justice et du jour si désiré de la loi de grâce. Il était déjà temps que le grand prophète du Très-Haut, qui surpassait tous les autres prophètes, vint ait monde pour préparer nos coeurs et nous montrer du doigt l'Agneau (1) qui devait le réparer et le sanctifier. Avant que ce heureux enfant sortit du sein maternel, le Seigneur lui manifesta que l'heure de sa naissance s'approchait, et qu'il allait voir le jour commun et entrer dans la carrière ouverte à tous les mortels. Le saint enfant avait le parfait usage de la raison, il était éclairé de la lumière divine et de la science infuse , que lui avait communiquées la présence du Verbe incarné; à leur clarté il vit et reconnut qu'il venait prendre port sur une terre maudite et toute couverte d'épines dangereuses (2), et mettre les pieds dans un (1) Joan., V, 35; Luc., I, 76 ; VII, 26 ; I, 17; Joan., I, 29. - (2) Gen., III, 17. 77 monde rempli de pièges et parsemé d'écueils, où beaucoup faisaient naufrage et périssaient malheureusement. 271. Le sublime enfant hésitait pour ainsi dire à naître, en suspens entre cette connaissance et l'accomplissement de la loi naturelle et divine. Car d'un côté les causes naturelles avaient épuisé leur action et donné à la formation successive du corps le plus parfait développement, de sorte qu'il était naturellement forcé de naître, et il comprenait, il sentait que le sein maternel allait bientôt le congédier. D'ailleurs l'efficace de la nature était ici secondée par la volonté expresse du Seigneur qui l'appelait à la vie. D'un autre côté, il considérait les périls redoutables de la carrière dans laquelle il devait s'engager, et, partagé entre la crainte et l'obéissance, il semblait tantôt s'arrêter de frayeur, tantôt s'avancer avec zèle. Il eût voulu résister, il eût voulu obéir, et il se disait : " Où vais-je m'exposer au hasard de perdre Dieu ? Comment entrerai-je dans la conversation des mortels, dont tant s'égarent et perdent, avec la raison , le chemin de la vie. Il est vrai que je suis dans les et ténèbres, étant encore dans le sein de ma mère; mais je m'en vais passer dans d'autres bien plus dangereuses. Je me suis trouvé comme emprisonné dès que j'ai reçu la lumière de la raison; mais l'élargissement et la liberté des mortels m'affligent davantage. Allons pourtant dans le monde, puisque vous le voulez, Seigneur : car le mieux est toujours de faire votre volonté. Que si ma vie et mes facultés 78 peuvent, ô puissant Roi, être employées à votre service, cela seul suffit pour me faciliter ma sortie et pour me faire commencer avec joie la course de mes jours. Donnez-moi, Seigneur, votre bénédiction, afin que je passe dans le monde. " 272. Le précurseur de Jésus-Christ mérita par cette demande que sa divine Majesté lui renouvelât dans le moment qu'il naquit, et sa bénédiction et sa grâce. Le saint enfant en sentit l'effet : car, plein de la présence de Dieu , il comprit qu'il était envoyé pour opérer de grandes choses pour son service, et que les grâces nécessaires pour les exécuter lui étaient promises. Avant de raconter le très- heureux accouchement de sainte Élisabeth, et afin d'accorder le temps dans lequel il arriva avec le texte des sacrés évangélistes, je suis bien aise que l'on sache que la grossesse de cette admirable conception dura neuf mois moins neuf jours (1); car eu vertu du miracle qui rendit féconde la mère stérile, le corps qu'elle avait conçu fut perfectionné dans cet espace de temps, et il. se trouva au terme de sa naissance; et quand l'archange Gabriel dit à la sainte Vierge que sa cousine Élisabeth était dans le sixième mois de sa grossesse, il faut entendre qu'il n'était pas encore accompli , parce qu'il y manquait environ huit à neuf jours. J'ai dit aussi dans le chapitre XVI que notre divine Daine partit le quatrième jour après l'incarnation du Verbe pour aller voir sainte Élisabeth ; et c'est parce que la 79 chose n'arriva pas immédiatement après, que saint Luc dit que la très-pure Marie partit en ces jours pour s'en aller promptement dans les montagnes (1); et ils employèrent quatre autres jours dans leur voyage, comme nous l'avons dit au même endroit. 273. On doit aussi remarquer que quand le même évangéliste dit que la très-pure Marie demeura près de trois mois dans la maison d'Élisabeth (2), il ne leur manqua que deux à trois jours pour être accomplis; parce que le texte de l'Évangile a été en tout fort ponctuel. Et selon cette supputation, il faut nécessairement inférer que notre auguste Maîtresse ne se trouva pas seulement à la naissance de saint Jean,. mais aussi à la circoncision, et à la détermination de son nom mystérieux, comme je m'en vais le dire. Car en comptant huit jours après l'incarnation du Verbe, on trouve que notre Dame et saint Joseph arrivèrent à la maison de Zacharie le 2 avril, d'après notre manière de supputer les mois solaires, et ils arrivèrent sur le soir. Ajoutant maintenant trois autres mois moins deux jours, qui commencent à courir du 3 avril, on atteint, comme terme de cette période, le 1er juillet, qui est le huitième jour de la naissance de saint Jean, et celui de la circoncision; et la très- sainte Vierge partit le lendemain matin, pour s'en retourner à Nazareth. Et bien que l'évangéliste saint Luc raconte le retour de notre Reine dans sa maison , avant l'accouchement de sainte Élisabeth (3), il n'eut (1) Luc., I, 39. - (2) Ibid.. 56. - (3) Ibid 56, 57. 80 pas lieu avant, mais après, le texte sacré anticipant le récit du retour de la divine Marie pour achever tout ce qui la regardait, et pour poursuivre ensuite l'histoire de la naissance du précurseur sans interrompre le récit de son discours, et c'est ce qui m'a été déclaré, afin que je l'écrivisse. 274. Or, le moment si désiré de la délivrance s'approchant, sainte Élisabeth sentit que l'enfant se remuait dans son sein comme s'il se fût dressé sur ses pieds, et c'était un effet de la nature et de l'obéissance de l'enfant. Lorsque des premières douleurs peu intenses survinrent à la mère, elle fit avertir sa cousine Marie, sans oser pourtant la prier de se trouver présente à son accouchement ; parce que le grand respect qu'elle avait pour sa dignité et pour l'adorable fruit qu'elle portait, lui fit croire qu'il n'était pas décent de demander cette faveur. Aussi notre auguste Reine n'alla point alors dans l'appartement de sa cousine, mais elle lui envoya les langes qu'elle avait préparés pour emmailloter le très-heureux enfant. Il naquit quelques moments après, et on le vit dans toute la perfection qu'on pouvait désirer, découvrant dans la pureté de son corps celle qui embellissait son âme car sa naissance fut en quelque façon plus pure que celle des autres enfants. On l'emmaillota dans les langes, qui étaient déjà dignes d'une vénération singulière, étant (ouvrage des mains de la très-sainte Vierge. Lorsque tous les arrangements eurent été pris autour de sainte Élisabeth, qui commençait à pouvoir se reposer, alors la très-sainte Vierge sortit 81 de son oratoire par le commandement du Seigneur, et alla voir le fils et la mère, qu'elle félicita de ses heureuses couches. 275. A la prière de sa mère, la Reine du ciel prit dans ses bras le nouveau-né, et le présenta comme une nouvelle oblation au Père éternel. Sa divine Majesté la reçut avec complaisance, comme les prémices des oeuvres du Verbe incarné, et comme l'exécution de ses divins décrets. Le très-heureux enfant, rempli du Saint-Esprit, reconnut sa Reine légitime, il lui fit la révérence, qui ne fut pas seulement intérieure, mais aussi extérieure, par une petite inclination de tète, et il adora derechef le Verbe fait homme dans le sein de sa très-pure Mère, où il le découvrit alors par une lumière très-particulière. Et appréciant aussi le bienfait qu'il avait reçu entre les mortels, il fit des actes sublimes de reconnaissance, d'amour, d'humilité et de vénération à Jésus-Christ et à sa Mère vierge. La très-sainte Dame, en l'offrant au Père éternel, fit pour lui cette prière : " Seigneur d'une majesté suprême, Père saint et puissant, recevez à votre service les prémices de votre très- saint Fils, mon Seigneur. C'est celui qu'il a sanctifié, et racheté du pouvoir et des effets du péché et de vos anciens ennemis. Recevez ce sacrifice du matin , donnez- lui, avec votre sainte bénédiction, votre divin Esprit, afin qu'il soit fidèle dispensateur du ministère auquel vous le destinez pour votre honneur et pour celui de votre Fils unique. " La prière de notre Reine fut en tout efficace, et elle connut que sa 82 divine Majesté enrichissait l'enfant qu'elle avait choisi pour son précurseur, et cet heureux enfant ressentit dans son âme l'effet de tant de faveurs ineffables. 276. Pendant que la Maîtresse de l'univers tint le petit Baptiste entre ses bras, elle demeura secrètement dans une très-douce extase l'espace de quelque peu de temps; et c'est dans cet état qu'elle l'offrit, qu'elle pria pour lui, le tenant appuyé sur son sein, où le Fils unique du Père éternel et le sien devait bientôt reposer. Ce fut un privilège singulièrement étonnant du grand précurseur, qui ne fut accordé à aucun autre saint. Et l'on ne doit pas être surpris que l'ange le proclamât grand en la présence du Seigneur, puisque sa divine Majesté le visita et, le sanctifia avant qu'il naquit, et qu'en naissant il fut mis sur le trône de la grâce (1). Ce saint enfant eut le bonheur de se voir le premier entre les bras qui devaient porter le Dieu fait homme lui-même , et de donner un motif à sa très-douce mère de désirer plus vivement y serrer son propre Fils et Seigneur, ce souvenir redoublant en même temps dans le coeur de notre auguste Dame de saintes affections pour son petit précurseur. Sainte Élisabeth connut ces divins mystères, parce que le Seigneur les lui manifestait, en regardant son fils miraculeux entre les bras de Celle qui lui était beaucoup plus mère qu'elle-même, puisqu'il ne devait à sainte Élisabeth que l'être naturel, et qu'il était redevable à la très-pure Marie de celui d'une grâce si excellente. (1) Luc., I, 15. 83 Toutes ces merveilles faisaient une très-douce harmonie dans le coeur des deux très-heureuses mères, et du petit Baptiste, qui pénétrait aussi des mystères si profonds et si vénérables, qui exprimait la joie de son âme par toute sorte de démonstrations enfantines et par les mouvements de ses faibles membres, et qui se pressait contre notre divine Dame, dont il sollicitait les caresses et témoignait ne point vouloir se séparer. Elle le caressait, mais c'était avec tant de majesté et de retenue, qu'elle ne le baisa jamais, comme une Vierge peut d'ordinaire se le permettre envers des enfants de cet âge; car elle réservait sa très-chaste bouche pour son très-saint Fils. Elle n'arrêta pas même sa vue sur le visage du saint enfant, parce qu'elle ne regarda que la sainteté de son âme, et à peine l'aurait-elle connu par le rapport de ses yeux, si grande était la prudence et la modestie de l'incomparable Reine du ciel. 277. La naissance de Baptiste fut incontinent divulguée, comme dit saint Luc (1); tous les parents et les voisins en vinrent féliciter Zacharie et sainte Élisabeth, parce que c'était une maison riche, noble, estimée de toute la contrée, et qu'ils s'étaient acquis par leur sainteté les cœurs de tous ceux qui les connaissaient. D'ailleurs, comme on les avait vus un si long temps sans héritier par la stérilité de sainte Élisabeth, et qu'elle se trouvait dans un âge fort avancé, l'admiration et la joie que fit éprouver à tout le monde (1) Luc., 1, 58. 84 un fait si inattendu, furent d'autant plus grandes; on comprenait que cet enfant tenait plus du miracle que de la nature. Le saint prêtre Zacharie,toujours muet , ne pouvait exprimer ses sentiments par des paroles; car l'heure n'était pas encore arrivée où sa langue devait être déliée avec tant de mystère. Mais il manifestait la joie intérieure dont il était inondé par d'autres démonstrations, et au fond de son âme il ne cessait d'offrir des cantiques de louanges et d'actions de grâces pour le bienfait inouï qu'il commençait d'expérimenter et de reconnaître après son incrédulité. Je dirai dans le chapitre qui suit comment la parole lui fut rendue. Instruction que la Reine de l'univers me donna. 278. Ma très-chère fille, ne soyez pas surprise que mon serviteur Jean appréhendât si fort d'entrer dans le monde; car les ignorants du siècle ne sauraient l'aimer autant que les sages savent l'avoir en horreur, et craindre ses dangers par la science divine et la lumière céleste qui les éclaire. Celui qui naissait pour être le précurseur de mon très-saint Fils avait l'une et l'autre dans un sublime degré, et connaissant par là le dommage que le monde fait essuyer à l'âme, il était naturel que la crainte suivît cette connaissance. Ainsi cette crainte lui servit pour entrer heureusement 85 dans le monde; car plus on le connaît et on l'abhorre, plus sûrement on traverse ses flots agités et ses abîmes profonds. L'enfant béni commença sa course avec un tel dégoût, une telle aversion, une telle horreur pour tout ce qui est terrestre, qu'il ne donna jamais aucune trêve à cette inimitié. Il ne fit point de paix avec la chair, il ne voulut souffrir aucune de ses trompeuses flatteries, il n'abandonna point ses sens à la vanité, il ne daigna pas même la regarder, et dans cette haine qu'il avait vouée au monde et à toutes ses maximes, il donna sa vie pour la justice (1). Le citoyen de la véritable Jérusalem ne saurait s'accorder ni s'allier avec Babylone, il n'est même pas possible de s'attirer la grâce du Très-Haut, de résider dans cette sainte cité, et de nouer en même temps des rapports avec ses ennemis déclarés (2), parce que personne n'a jamais pu, personne ne peut servir deux maîtres opposés (3), ni faire que la lumière et les ténèbres se trouvent ensemble (4), et que Jésus- Christ soit d'accord avec Bélial. 279. Gardez-vous plus que du feu, ma très-chère, de ceux qui sont possédés des ténèbres et amateurs du monde (5) ; car la sagesse des enfants du siècle est charnelle et diabolique, et leurs voies ténébreuses mènent à la mort. Si, devant conduire quelqu'un à la véritable vie, il vous fallait pour cela sacrifier celle qui vous est naturelle, vous n'en devriez pas moins (1) Marc., VI, 17. - (2) Jacob., IV, 4. - (3) Matth., VI, 24. - (4) II Cor., VI, 14. - (6) Rom., VIII, 7. 86 conserver toujours la paix de votre intérieur. Je vous destine trois lieux, afin que vous y demeuriez et que vous n'en sortiez jamais; et s'il arrive que le Seigneur vous commande de vous occuper des besoins des créatures, je veux que vous le fassiez sang perdra cet asile, comme celui qui, étant dans un château entouré d'ennemis, se trouverait obligé de paraître à la porte pour quelque affaire importante; il négocierait de ce poste ce qui serait. précisément nécessaire avec tant de circonspection, qu'il songerait beaucoup plus au chemin par où il devrait s'en retourner et se mettre à couvert, qu'aux, affaires, du dehors, et sa prudence le mettrait toujours en. garde contre l'imminence du péril. Voilà ce que vous devez faire, vous aussi, si vous voulez vivre en sûreté; car vous, ne doutez pas que vous ne soyez environnée d'ennemis, bien plus cruels et plus venimeux, que les aspics et les basilics. 280. Les lieux de votre demeure doivent être la divinité du Très -Haut, l'humanité de mon très-saint Fils, et le secret de votre intérieur. Vous devez être dans la Divinité comme- la perla dans sa nacre et le poisson dans la mer; pouvant étendre vos affections et vos désirs dans, ses espaces infinis. La très-sainte humanité de mon Fils, sera le mur, qui vous. défendra, et son coeur ouvert, la couche royale où vous reposerez sous l'ombre de sa protection (1). Votre intérieur vous donnera une joie pacifique par le témoignage de la bonne conscience, et si vous la conservez pure, elle (1) Ps., XVI, 8. 87 vous facilitera le doux commerce de votre Époux (1). Afin que la retraite matérielle et corporelle vous aide en tout cela, je veux, et c'est mon bon plaisir, que vous vous la procuriez en restant dans votre tribune ou dans votre chambre, et que vous n'en sortiez que quand la vertu de l'obéissance ou l'exercice de la charité vous y obligera. lin secret que je vous découvre, c'est qu'il y a des démons choisis par Lucifer et spécialement chargés d'attendre les religieux et les religieuses quand ils sortent de leur retraite, et de les attaquer alors par toutes sortes de tentations pour tâcher de les abattre. Ceux-là n'entrent pas facilement dans les chambres, parce qu'il n'y a pas tant d'occasions de parler, de voir, et d'user mal des sens, ce en quoi ils trouvent d'ordinaire leur proie, à laquelle ils s'attachent comme des loups carnassiers. Et c'est pour ce sujet qu'ils sont enragés de voir les religieux dans la retraite et le recueillement, parce qu'ils désespèrent de les vaincre , tant qu'ils ne les surprennent point parmi les dangers de la conversation humaine. 281. En général, il est certain que les démons n'ont aucun pouvoir sur les âmes, lorsqu'elles ne s'assujettissent point à eux par le péché mortel, ou bien qu'elles ne leur donnent point entrée par le péché véniel; car le péché mortel leur donne sur celles qui le commettent comme un droit propre, dont ils usent pour les entraîner à d'autres. Quant au péché (1) II Cor., I, 12. 88 véniel, comme il diminue les forces de l'âme, de même il augmente celles que l'ennemi peut déployer dans la tentation. Autant, en effet, les imperfections atténuent le mérite et retardent les progrès de la vertu sut le chemin de la perfection, autant elles animent l'adversaire. Car quand il s'aperçoit que l'âme tolère sa propre tiédeur ou s'engage légèrement dans le péril par une oisiveté imprudente et par l'oubli du tort qu'elle se fait, alors, semblable à un serpent rusé, il l'épie et la suit pour lui communiquer son mortel venin; il la pousse devant lui comme un jeune oiseau sans expérience, jusqu'à ce qu'elle tombe dans un des piéges nombreux qu'il lui a tendus. 282. Or, considérez, ma fille, avec admiration ce que Nous savez là-dessus par la lumière divine, et pleurez avec une intime douleur la perte de tant d'âmes ensevelies dans ce sommeil dangereux. Elles vivent dans les ténèbres de leurs passions et de leurs inclinations dépravées, sans faire nulle réflexion sur le péril qui les menace, insensibles à leur propre mal, inconsidérées dans les occasions; bien loin de les éviter et de les craindre, elles les cherchent avec tout l'aveuglement de l'ignorance; elles suivent avec une impétuosité furieuse leurs mauvaises inclinations, qui les précipitent dans de faux plaisirs; elles ne mettent un frein ni à leurs passions ni à leurs désirs; et sans prendre garde où elles mettent les pieds, elles s'engagent dans toutes sortes de dangers et de précipices. Les ennemis sont innombrables, leur ruse, diabolique et infatigable, leur vigilance continuelle, 89 leur haine implacable, leur activité incessante ; après tout cela doit-on s'étonner si de semblables extrémités, ou, pour mieux dire, si de tant de dangers divers résultent pour les vivants tant de maux irréparables ; que le nombre des insensés étant infini (1) , celui des réprouvés soit sans nombre, et que le démon s'enorgueillisse de tant de triomphes que les mortels lui ménagent par leur propre et effroyable perte? Dieu vous, préserve, ma fille, d'un si grande malheur! pleurez et lamentez celui de vos frères, et demandez-en le remède avec autant de ferveur qu'il vous sera possible. CHAPITRE XXIII. Les avis que la très-sainte Vierge donne à sainte Élisabeth. - A sa demande on circoncit l'enfant, et on lui donne son nom: - Zacharie prophétise. 283. Le précurseur de Jésus-Christ. étant né, le retour de l'auguste Marie à Nazareth était inévitable; et, bien que sainte Élisabeth fût trop sage et trop prudente pour ne pas se conformer à cet égard à la divine volonté, et ne pas modérer jusqu'à un certain, (1) Eccles., I, 15. 91 point sa douleur par cette soumission, elle souhaitait néanmoins d'adoucir en quelque façon sa solitude par les avis de la Mère de la Sagesse. Elle lui dit dans cette espérance : " Madame et Mère de mon Créateur, je vois bien que vous vous préparez à votre départ, et que par là je serai privée de la consolation de a votre aimable compagnie. Je vous supplie, ma très chère cousine, de me faire la grâce de me laisser à quelques instructions qui puissent me servir en votre absence à diriger toutes mes actions selon le bon plaisir du Très-Haut. Vous portez dans votre sein virginal le Maître qui corrige les sages, et la source de la lumière (1), et vous venez par lui la communiquer à tous : faites part, mon aimable Maîtresse, à votre servante de quelques-uns de ces rayons qui éclatent dans votre très-pur esprit, afin que le mien soit éclairé et conduit par a les droits sentiers de la justice jusqu'à ce que j'aie le bonheur de voir le Dieu des dieux dans Sion (2). " 284. Ce discours de sainte Élisabeth causa en la très-pure Marie de la tendresse et de la compassion, et dans ces sentiments elle répondit à sa cousine en lui donnant des instructions célestes pour se conduire le reste de sa vie, qui devait se terminer dans fort peu de temps; elle l'assura aussi que le Très-Haut prendrait soin du petit Baptiste, et qu'elle-même le recommanderait à sa divine Majesté. Et quoiqu'il ne soit pas possible de raconter tout ce que notre auguste (1) Sap., VII, 15; Eccles., I, 5. - (2) Ps. XXII, 3; LXXXIII, 8. 91 Reine conseilla à sainte Élisabeth dans les très-doux entretiens qu'elle eut avec elle lorsqu'elle en prit congé, je dirai pourtant quelque chose de ce que j'en connais en la manière que je l'ai appris, ou selon que la faiblesse de mes termes me le permettra. Or, la très-pure Marie lui dit : " Ma cousine et ma très chère amie, le Seigneur vous a choisie pour ses oeuvres et pour ses très-hauts mystères, dont il a daigné vous communiquer une si grande lumière, voulant bien aussi que je vous ouvre mon coeur. Je vous y tiens gravée pour vous présenter à sa divine Majesté; je n'oublierai jamais les humbles bontés que vous avez eues pour la plus inutile des créatures, et j'espère que vous en recevrez une grande récompense de mon très- saint Fils, mon Seigneur. 285. " Élevez toujours votre esprit aux choses célestes, et, vous aidant de la lumière de la grâce que vous avez, ne perdez jamais de vue l'Être immuable de Dieu éternel, ni la munificence de sa bonté infinie, qui l'a porté à tirer les hommes du néant pour les élever à sa gloire et les enrichir de ses dons (1). Cette obligation commune à toutes les créatures, la miséricorde du Très-Haut nous l'a rendue beaucoup plus étroite, quand elle nous a poussée dans cette voie lumineuse, afin que nous avancions toujours et que nous allions jusqu'à suppléer par notre reconnaissance à. la noire ingratitude (1) Eccles., XXXII, 17. 92 des mortels, qui les empêche toujours davantage de connaître et de glorifier leur Créateur. Et c'est ce que nous devons faire, en débarrassant notre coeur des engagements du monde, afin qu'il marche en pleine liberté à son heureuse fin. C'est pour cela, ma bonne amie, que je vous recommande beaucoup de le détourner et de l'éloigner de tout ce qui est terrestre, même des choses qui vous appartiennent, afin que, délivrée des empêchements de la terre, vous éleviez votre esprit aux vocations divines, que vous espériez la venue du Seigneur, et que, quand il vous appellera, vous lui répondiez avec joie (1) et sans la violence douloureuse que l'âme ressent lorsqu'il faut qu'elle se sépare du corps, et de tout le reste qu'elle aime à l'excès. Maintenant que c'est le moment de souffrir et d'acquérir la couronne, tâchons de la mériter et de marcher avec diligence, pour arriver à l'union intime de notre véritable et souverain bien. 286. " Soyez fort soigneuse d'obéir à Zacharie, votre mari et votre chef, de l'aimer et de le servir tant qu'il vivra, avec une très-grande soumission. Offrez continuellement votre fils miraculeux à son Créateur; et en lui et pour lui vous le pouvez aimer comme mère, car il sera un grand prophète, il défendra la loi et l'honneur du Très-Haut avec le zèle d'Élie, que sa divine Majesté lui donnera, et il travaillera pour l'exaltation de son saint nom (2). (1) Luc., XII, 36. - (2) Malac., IV, 5; Luc., I, 17. 93 " Mon très-saint Fils, qui l'a choisi pour son précurseur et pour l'ambassadeur de sa venue et de sa doctrine, le protégera comme son favori, le comblera des dons de sa droite, le rendra grand et admirable parmi les nations, et fera éclater sa grandeur et sa sainteté dans le monde (1). 287. Travaillez avec un zèle ardent. à faire craindre, honorer et révérer dans toute votre maison, dans toute votre famille, le saint nom de notre Dieu et Seigneur, du Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob. Ayez un très-grand soin de soulager les pauvres dans leurs nécessités, autant qu'il vous sera possible (2); enrichissez-les des biens temporels que le Très-Haut vous a départis de sa main avec abondance, afin que vous les leur dispensiez avec la même libéralité, car ils leur appartiennent plus qu'à vous (3), puisque nous sommes tous enfants du Père qui est aux cieux, auquel tout ce qui est créé appartient; et il n'est pas juste que le Père étant riche, un enfant veuille avoir et conserver le superflu, pendant que ses frères vivent dans la pauvreté et le dénûment : par cette pratique de la charité vous vous rendrez fort agréable au Dieu immortel des miséricordes. Continuez ce que vous faites, et exécutez ce que vous avez projeté, puisque Zacharie laisse la chose à votre disposition. Avec cette permission vous pouvez être libérale. Vous (1) Jean., I, 7; III, 29; Luc., I, 15; Matth., XI, 9. - (2) Tob., IV, 7 et 8. - (3) II Cor., VIII, 14. 94 confirmerez votre espérance par toutes les épreuves que le Seigneur vous enverra, et dans vos rapports avec les créatures vous serez pleine de bénignité et de mansuétude, humble, pacifique, toujours patiente, bien que plusieurs doivent vous exercer sans cesse et vous fournir comme la matière de votre couronne : cette conduite répandra au fond de votre Aime une sainte allégresse. Bénissez éternellement le Seigneur pour les très-hauts mystères qu'il vous a manifestés, demandez-lui le salut des Aimes avec un amour et un zèle continuel, et priez sa divine Majesté qu'elle me gouverne et me conduise, afin que je dispense dignement le sacrement que sa bonté immense a confié à la plus humble et à la plus pauvre de ses servantes. Envoyez a quérir mon époux, qui me remmènera. Et préparez cependant toutes choses pour la circoncision de votre fils, qui doit être appelé Jean, parce que c'est le nom que le Très-Haut lui a donné, et c'est le décret de sa volonté immuable (1). " 288. Ce discours, accompagné de plusieurs autres paroles de vie éternelle que la très-sainte Vierge dit à sainte Élisabeth, produisit dans son coeur des effets si divins, quelle resta quelques instants muette et subjuguée par la force de l'esprit qui l'enseignait, l'illuminait et ravissait toutes ses pensées et tous ses sentiments sur les hauteurs d'une doctrine si céleste : car le Très-Haut se servait des paroles de sa très-pure (1) Luc., I, 18. 95 Mère, comme d'un instrument animé, pour vivifier et renouveler le cour de sa servante. Et, après qu'elle fut revenue à elle-même et qu'elle eut modéré ses larmes, elle dit à la Vierge sacrée : " Madame et Reine de tout ce qui est créé, la douleur et la cou solution que j'éprouve me réduisent également au silence. Entendez les paroles qui se forment au plus intime de mon cœur, et que je ne saurais en dégager. Mes sentiments vous diront ce que ma langue est impuissante à exprimer. Je m'en rapporte au Tout-Puissant pour le retour qu'exigent toutes vos faveurs : car c'est lui qui récompense de ce qui est donné à des pauvres tels que nous. Je vous de mande seulement que, comme vous êtes en toutes choses ma protectrice et la cause de mon bien, vous m'obteniez la grâce et les forces nécessaires pour pratiquer vos leçons, et pour supporter la privation de votre douce compagnie; car ma douleur est excessive. " 289. Ensuite l'on se disposa pour la circoncision du petit Baptiste, parce que le temps déterminé par la loi s'approchait (1). Beaucoup de parents et amis de cette sainte famille s'assemblèrent donc dans la maison de Zacharie, conformément à l'usage des juifs (surtout parmi les nobles); ils se mirent à conférer sur le nom qu'on donnerait à l'enfant. Car, en règle générale, ils attachaient une grande importance au choix du nom qu'il convenait de donner aux enfants, (1) Luc., 1, 59. 96 et prenaient à cet égard des précautions vraiment minutieuses; et le cas qui se présentait était tout à fait extraordinaire, tant à cause de la qualité de Zacharie et de sainte Élisabeth que parce que chacun admirait la merveille de la grossesse et de l'enfantement d'une mère vieille et stérile : on y pressentait quelque grand mystère. Zacharie était muet, ainsi il fallut que sa femme sainte Élisabeth présidât dans cette assemblée et, outre qu'on avait pour elle un très-grand respect et une estime toute particulière, elle était si renouvelée et si rehaussée en sainteté depuis la visite de la Reine du ciel, sa fréquente conversation et la connaissance de ses mystères, que tous ceux qui la virent s'aperçurent de ce changement : parce qu'on remarquait même jusque sur son visage une espèce de splendeur qui la rendait en même temps et vénérable et admirable; c'était la réverbération des rayons de la sainteté près de laquelle il lui était donné de vivre. 290. La divine Marie se trouva présente à cette assemblée, parce que sainte Élisabeth la pria instamment de s'y rendre, et surmonta toutes ses résistances en se servant d'une espèce de commandement fort respectueux et fort humble. La grande Reine obéit; mais ce fut après avoir obtenu du Très-Haut qu'il ne la ferait point connaître, et qu'il ne manifesterait aucune chose de ses bienfaits cachés par ou elle pût être honorée. Le désir de la très-humble entre les humbles fut accompli. Et comme les gens du monde laissent dans l'humilité ceux qui ne se distinguent pas du commun par un extérieur éclatant, il n'y eut personne 97 qui fit à elle aucune attention particulière,, excepté sainte Élisabeth : elle fut la seule qui la traita avec une vénération intérieure et extérieure, reconnaissant que c'était sous sa direction que se déciderait la grande affaire dont on s'occupait. Il arriva ensuite ce qui est raconté dans l'Évangile de, saint Luc (1); que quelques-uns voulaient nommer l'enfant Zacharie,'du nom de son père. Mais la prudente mère, assistée de la très-sainte Maîtresse, dit: a Mon fils sera, appelé Jean. " Les parents lui répondirent qu'il n'y avait aucun de sa famille qui portât ce nom : en quoi l'on peut remarquer qu'on a toujours fait une grande estime des noms des plus illustres prédécesseurs, afin qu'en les portant on les imitât en quelque chose. Sainte Élisabeth persista à dire que son fils devait être nommé Jean. 291. Quoique Zacharie fût muet, les parente souhaitèrent qu'il leur fit connaître dans cette occasion son sentiment par quelque signe ; et, s'étant fait donner une plume, il écrivit ces mots : Son nom est Jean (2). A l'instant où il les écrivait, la très-pure Marie, usant du pouvoir de Reine que Dieu lui avait donné sur les choses naturelles et créées, commanda à la langue de Zacharie de se délier et de bénir le Seigneur, parce que le moment était venu. A cet ordre divin le saint se trouva libre, et il commença de parler, jetant, comme dit l'Évangile, dans l'admiration et dans la crainte tous ceux qui étaient présents (3). (1) Luc., I, 59, 60, 61. - (2) Ibid., 62, 63. - (3) Ibid., 64, 65. 98 Et quoiqu'il soit vrai que l'archange Gabriel dit à Zacharie, comme on le voit dans le même Évangile, qu'à cause de son incrédulité il demeurerait muet, jusqu'à ce que ce qu'il lui annonçait. fût accompli (1), cela n'est pas néanmoins contraire à ce que je dis ici; car lorsque le Seigneur révèle quelque décret de sa divine volonté, bien qu'il soit efficace et absolu, il ne déclare pourtant pas toujours les moyens par lesquels il le doit exécuter, comme il les prévoit dans sa science infinie : ainsi l'ange déclara à Zacharie qu'il deviendrait muet en punition de son incrédulité; mais il ne lui dit point qu'il serait guéri par, l'intercession de la sainte Vierge, quoique le Seigneur l'eût prévu et déterminé de la sorte. 292. Or, comme la voix de l'auguste Marie servit d'instrument pour sanctifier le petit Baptiste et sa mère Élisabeth, de même son ordre secret et, sa prière furent le puissant ressort qui rendit le mouvement à la langue de Zacharie, lorsque, plein du Saint-Esprit, il s'écria d'une voix prophétique : " Béni soit le Seigneur, le Dieu d'Israël, de ce qu'il est venu visiter et racheter son peuple, " Et qu'il nous a suscité un puissant Sauveur dans la maison de son serviteur David; " Ainsi qu'il l'avait promis par la bouche de ses saints prophètes qui ont vécu dans les siècles passés, " Pour nous délivrer de la puissance de nos ennemis (1) Luc., I, 20. 99 et de la main de tous ceux qui nous haïssent, " Afin d'exercer sa miséricorde envers nos, pères, et de se souvenir de sa sainte alliance : " Selon le serment qu'il avait fait à notre père Abraham de se donner à nous, " Pour que, délivrés de la main de nos ennemis, nous le servions sans crainte, " Marchant devant lui dans la sainteté et dans la justice tous les jours de notre vie. " Et vous, petit enfant, vous serez appelé le prophète du Très-haut, car vous irez devant la face du Seigneur afin de préparer ses voies , " En donnant la connaissance du salut à son peuple, afin qu'il reçoive la rémission de ses péchés; " Par les entrailles de la miséricorde de notre Dieu, qui ont porté le Soleil levant à nous visiter d'en haut, " Pour éclairer ceux qui demeurent dans les ténèbres et dans l'ombre de la mort, et pour conduire nos pas dans le chemin de la paix (1). " 293. Zacharie fit dans ce divin cantique un abrégé des très-hauts mystères de la divinité, de l'humanité et de la rédemption du Christ, dont les anciens prophètes avaient parlé avec plus d'étendue; il renferma en peu de mots plusieurs sublimes et divins,secrets, et il les pénétra par l'abondance de la grâce, qui éclaira son esprit et transporta son âme de ferveur en présence de tous ceux qui assistaient à la circoncision (1) Luc., I, 68-79. 100 de son fils; car tous furent témoins du miracle qui lui fit recouvrer l'usage de la parole et prophétiser en même temps des mystères si divins, qu'il ne m'est pas possible d'en donner toute l'intelligence que le saint prêtre en eut. 294. Il dit : Béni soit le Seigneur, le Dieu d'Israël (1), dans la connaissance qu'il avait que le Très-Haut, pouvant par un seul acte de sa volonté, ou par une seule parole, racheter son peuple et lui donner le salut éternel, ne se servit pourtant pas de sa seule puissance, mais aussi de sa bonté et de sa miséricorde infinie, le Fils du Père éternel descendant pour visiter ce peuple et pour faire l'office de frère en la nature humaine, de maître par sa doctrine et par ses exemples, et de rédempteur par sa vie, par sa passion, et par la mort de la croix. Zacharie connut alors l'union des deux natures en la personne du Verbe, et il vit par une lumière surnaturelle ce grand mystère réalisé dans le sein virginal de la très-pure Marie (2). Il découvrit aussi l'exaltation de l'humanité du Verbe et la gloire du triomphe que Jésus-Christ, Dieu et homme, devait remporter en donnant le salut éternel au genre humain, selon les divines promesses que son père David en avait reçues (3) ; et que ces mêmes promesses avaient été faites au monde par les oracles des prophètes depuis son commencement et le principe de son. existence; car dès la création, dès (1) Luc, I, 68. - (2) Ibid.. 69. - (3) Il Reg., VII, 12; Ps. CXXXI, 11, 70 101 la formation primitive du monde, Dieu fit avancer, pour ainsi dire, la nature et la grâce pour y préparer sa venue, dirigeant toutes ses oeuvres vers cette heureuse fin, à partir de la formation d'Adam. 295. Il comprit comment le Très-Haut voulut que nous obtinssions par ces moyens la grâce et la vie éternelle, que nos ennemis ont perdues par leur orgueil et leur désobéissance obstinée, lorsqu'ils furent précipités dans les profonds abîmes, et que les sièges qui leur étaient destinés s'ils eussent été obéissants, fussent réservés pour ceux qui le seraient parmi les mortels (1). Que dès lors l'ancien serpent tourna contre ceux-ci la haine qu'il avait conçue contre Dieu lui-même (2), dans l'entendement duquel nous étions déjà renfermés et prédestinés à l'être par sa sainte et éternelle volonté; et que nos premiers parents Adam et Ève étant déchus de son amitié et de sa grâce, il leur tendit la main, les mit dans un état d'espérance, et ne les abandonna point comme les anges rebelles (3); mais, pour assurer leurs descendants de la miséricorde dont il voulait user envers eux, il fit entendre les oracles prophétiques et appropria les figures que l'Ancien Testament renferme, et que sa divine Majesté devait confirmer et accomplir dans le Nouveau par la venue du Rédempteur. Et afin que cette espérance reposât sur un fondement inébranlable (4), le Seigneur confirma par le serment (1) Luc., I, 71. - (2) Apoc., III, 17. - (3) Luc., I, 71; Sap, X, 2 - (4) Luc., I, 72. 102 la promesse qu'il fit à Abraham de le constituer le père de son peuple et de la foi (1), pour qu'assurés d'un bienfait si admirable et si inouï , comme l'était celui de nous promettre et de nous donner son propre Fils fait homme, et la liberté des enfants d'adoption (2) en laquelle nous étions régénérés par lui-même, nous servissions sa divine Majesté sans crainte de nos ennemis, qui étaient déjà abattus et vaincus par notre Rédempteur. 296. Et pour nous apprendre comment le Verbe éternel nous a mis à même, par sa venue, de servir le Très-Haut avec liberté (3), il dit aussi que ce fut par la justice et par la sainteté qu'il renouvela le monde, et qu'il fonda sa nouvelle loi de grâce pour tous les jours du siècle présent et' pour tous ceux de chacun des enfants de l'Église, où ils doivent vivre dans la sainteté et dans la justice (4) ; et c'est ainsi que tous vivraient, si tous faisaient les efforts dont ils sont capables. Puis Zacharie discerna en son fils Jean le principe de l'exécution de tant de mystères que la divine lumière lui découvrait; c'est pourquoi, se tournant vers lui, il l'en félicita, et lui prédit sa dignité, sa sainteté et son ministère, disant : Et vous, mon fils, vous serez appelé le prophète du Très-Haut; car vous irez devant la face du Seigneur (qui est sa divinité), préparant ses voies (5) par la lumière que vous donnerez à son peuple sur la venue (1) Gen., XXII, 16 et 18. - (2) Luc., X, 73; Gal., IV, 5. - (3) Luc., I, 74. - (4) Ibid. 75. - (5) Ibid., 76. 103 de son Rédempteur, afin que par votre prédication les Juifs aient connaissance de leur salut éternel (1), qui est notre Seigneur Jésus-Christ, le Messie promis; qu'ils le reçoivent en s'y disposant par le baptême de la pénitence et la rémission des péchés (2), et qu'ils sachent qu'il vient pardonner les leurs et ceux de tout le monde (3); car les entrailles de sa miséricorde l'ont porté à tout cela (4), et c'est par elle, et non par nos mérites, qu'il a daigné nous visiter (5), en descendant du sein de son Père éternel et en naissant parmi nous pour éclairer ceux qui, ignorant la vérité depuis tant de siècles, ont été et sont comme ensevelis dans les ténèbres et dans l'ombre de la mort éternelle, et pour conduire leurs pas et les nôtres dans le chemin de la véritable paix que nous attendons (6). 297. Zacharie connut tous ces mystères par la divine révélation d'une manière plus complète et plus approfondie, et il les comprit clans sa prophétie. Quelques-uns même de ceux qui l'entendirent furent aussi éclairés par les rayons de la lumière du Très-Haut, pour pressentir que le temps du Messie et de l'accomplissement des anciens oracles était déjà venu. Et tout émerveillés à la vite de tant de nouveaux prodiges, ils disaient ; " Quel sera donc cet enfant envers qui la main du Seigneur se montre si puissante et si admirable (7)? " Le petit Baptiste fut circoncis, et on (1) Luc., I, 77. - (2) Marc., I, 4. - (3) Joan., I, 29. - (4) Luc., I, 78. - (5) Tit., III, 5. - (6) Luc., I, 79. - (7) Ibid.. 66. 104 l'appela Jean; son père et sa mère concoururent miraculeusement à son nom : ils se conformèrent à toutes les prescriptions de la loi, et le bruit de toutes ces merveilles se répandit dans les montagnes de Judée (1). 298. Reine et Maîtresse de l'univers , ravie de ces oeuvres merveilleuses que le bras du Tout-Puissant opéra par votre entremise en vos serviteurs Élisabeth, Jean et Zacharie, je considère les différentes conduites que la divine Providence et votre rare discrétion y eurent. Car votre très-douce voix fut l'instrument dont le Saint- Esprit se servit pour sanctifier pleinement, par une opération secrète, le fils et la mère; et pour faire parler et illuminer Zacharie, vous n'employâtes qu'une prière et un commandement intérieur, et toute l'assemblée fut témoin de ce bienfait éclatant, et de la grâce que le Seigneur faisait au saint prêtre. J'ignore la raison de ces prodiges, et je représente mon ignorance à votre bonté maternelle, afin que vous m'enseigniez comme ma Maîtresse. Réponse et instruction que la très-sainte Vierge me donna. 299. Ma fille, c'est pour deux raisons que les divines effets que mon très-saint Fils opéra par mon organe (1) Luc., I, 65. 105 en saint Jean et en sa mère Élisabeth, ne furent pas manifestes comme ceux qu'éprouva Zacharie. L'une est que ma servante Élisabeth s'étant déjà exprimée en termes si clairs lorsqu'elle me glorifia avec le Verbe incarné dans mon sein, il ne fallait pas que ni le mystère ni ma dignité fussent alors découverts avec plus d'éclat, parce que la venue du Messie devait être manifestée par d'autres moyens plus convenables. L'autre raison fut que tous les coeurs n'étaient pas disposés, comme celui d'Élisabeth, à recevoir une semence si précieuse et si nouvelle; ils n'eussent pas même aperçu des mystères si relevés avec la vénération qui leur était due. Il était d'ailleurs plus à propos que le prêtre Zacharie fût, à cause de sa dignité, chargé de manifester ce qu'il était opportun; on devait naturellement recevoir de lui les premières communications de la lumière avec plus de respect qu'on n'eût fait de sainte Élisabeth se trouvant en la présence de son mari; et ce qu'elle dit fut réservé pour être divulgué en son temps. Et quoique les paroles du Seigneur portent avec elles la force et l'efficace nécessaire pour s'insinuer, néanmoins dans cette occasion, l'organe du prêtre était un moyen plus doux et plus convenable, tant pour les ignorants que pour ceux qui étaient peu versés dans les mystères divins. 300. Il fallait aussi honorer et mettre en crédit la dignité du sacerdoce, dont le Très- Haut fait une si grande estime, que, s'il trouve chez ceux qui en sont revêtus les dispositions convenables, il ne manque jamais de les élever et de leur communiquer son 106 esprit, afin que le monde les vénère comme ses élus et ses oints; outre que les merveilles du Seigneur ne courent pas chez eux le même risque d'être compromises, avec quelque éclat qu'elles se produisent au dehors. Que s'ils répondaient à leur dignité, ils agiraient parmi les autres créatures comme des séraphins et apparaîtraient comme des anges. On découvrirait une rayonnante majesté sur leur visage, comme sur celui de Moïse quand il sortit de la présence du Seigneur (1). Au moins ils doivent converser avec les autres hommes d'une telle façon, qu'ils s'attirent leur respect après qu'ils les auront portés à honorer leur Créateur. Je veux , ma chère fille , que vous sachiez que le Très-Haut est maintenant fort indigné contre le monde, parmi tant de péchés qui s'y commettent en particulier, à cause de ceux dont se rendent coupables en cette matière les prêtres aussi bien que les laïques : les prêtres, parce que, oubliant l'éminence de leur dignité, ils l'outragent eux-mêmes en se rendant méprisables par leurs mauvais exemples et leurs scandales, et en négligeant tout à fait leur sanctification ; les laïques, parce que leur conduite est téméraire et irrévérencieuse à l'égard des oints , qui malgré leurs imperfections et leurs habitudes répréhensibles, doivent toujours être honorés et respectés comme tenant sur la terre la place de Jésus-Christ mon très-saint Fils. 301. Je n'agis point à l'égard de Zacharie comme (1) Exod., XXXIV, 29. 107 j'avais fait à l'égard de sainte Élisabeth, à cause de cette vénération qui était due à sa dignité. Car bien que le Très-Haut voulut que je fusse le canal ou l'instrument par lequel leur serait communiqué son divin esprit; néanmoins je montrai dans le salut que je fis à Élisabeth une espèce de supériorité, afin de commander au péché originel que son fils avait ; et dès lors il lui devait être pardonné par le moyen de mes paroles, qui devaient remplir le fils et la mère du Saint-Esprit. Et comme je n'avais point contracté le péché originel, attendu que j'en fus exempte, je pus en cette occasion exercer sur lui un plein empire, en le dominant du haut du triomphe que le Très-Haut, en m'en préservant, m'avait fait remporter sur lui, et non comme une esclave semblable à tous les enfants d'Adam qui ont péché en lui (1). Or, pour délivrer Jean de cette servitude et de ces chaînes du péché, le Seigneur voulut que je commandasse comme celle qui ne lui avait jamais été soumise. Je ne saluai point Zacharie avec ces marques d'autorité, mais je priai pour lui, témoignant à sa personne les égards et la vénération qu'exigeaient sa dignité et ma modestie. Et quoique le commandement que je fis à sa langue de se délier ne fût que mental , je ne l'aurais pas fait à cause du respect que je portais au prêtre, si le Très-Haut ne me l'eût ordonné, en me faisant aussi connaître que l'imperfection et l'infirmité qui le rendaient muet, amoindrissaient ses bonnes dispositions; (1) Gen., III, 5; Rom., V, 12. 108 car un prêtre doit avoir la libre jouissance de toutes ses facultés pour servir et louer le Seigneur. Dans une autre occasion je m'étendrai davantage sur le respect que l'on doit porter aux prêtres; ainsi ce que je viens de vous dire suffit pour répondre à votre doute. 302. L'instruction que je vous donne maintenant est que vous tâchiez d'âtre enseignée dans le chemin de la vertu et de la vie éternelle par toutes les personnes que vous fréquenterez-, soit qu'elles vous soient supérieures, soit qu'elles vous soient inférieures. Et demandant à toutes, avec la prudence qui vous doit toujours accompagner, qu'elles vous redressent et vous conduisent, vous imiterez ce que ma servante Élisabeth fit principalement envers moi, car le Seigneur fait bien souvent consister la bonne direction des âmes en cette humilité, et par elle il les conduit au véritable but, et il leur envoie sa divine lumière; il en sera de même à votre égard si vous agissez avec une discrétion sincère et avec un zèle ardent de la vertu. Tâchez aussi de rejeter bien loin toutes les flatteries des créatures, et de vous éloigner des conversations où vous les pouvez entendre, parce que d'enchantement qu'elles produisent obscurcit la lumière et pervertit le sens de l'intelligence crédule (1). Et le Seigneur est si jaloux des âmes qu'il aime tendrement, qu'à l'instant il se retire si elles reçoivent les louanges humaines et se plaisent à leurs douceurs, (1) Sap., IV, 12. 109 parce qu'elles se rendent indignes de ses faveurs par cette légèreté. Il n'est pas possible qu'une âme jouisse à la fois des adulations du monde et des caresses du Très-Haut, qui sont véritables, saintes, pures, sérieuses, qui humilient, purifient, apaisent et illuminent le coeur, tandis qu'au contraire les caresses et les flatteries des créatures sont vaines, inconstantes, trompeuses, impures et mensongères, comme sortant de la bouche de ceux qui sont accoutumés à mentir, et tout ce qui est mensonge est oeuvre de l'ennemi (1). 303. Votre Époux, ma très-chère fille, ne veut pas que vos oreilles s'appliquent à ouïr des discours faux et terrestres, ni que les flatteries du monde les infectent et les souillent; ainsi je veux que vous les teniez fermées à toutes ces tromperies empoisonnées, par une forte résolution de ne leur donner aucun accès. Que si votre Seigneur et Maître se plait à faire entendre à votre coeur des paroles de vie éternelle, il est juste que pour être prête à ses divins épanchements et attentive à son amour, vous vous rendiez insensible, sourde et muette à tout ce qui est terrestre, et que toutes les douceurs passagères et vaines vous soient un tourment et une mort. Sachez que vous lui avez de très-grandes obligations, et que tout l'enfer ensemble, se prévalant de la facilité de votre naturel, veut le pervertir, afin que vous l'ayez doux envers les créatures, et ingrat envers Dieu. Faites (1) Joan., VIII, 44. 110 tous vos efforts pour résister en la foi de votre divin Maître et de votre Époux bien- aimé (1). 9/30 CHAPITRE XXIV. La très-sainte Vierge prend congé de la famille de Zacharie pour retourner à Nazareth. Instruction que notre auguste Reine me donna. CHAPITRE XXV. La très-pure Marie retourne à Nazareth. Instruction que la Reine du ciel mè donna. CHAPITRE XXVI. Les démons tiennent un conciliabule dans l'enfer contre la très- pure Marie. Instruction que la très-sainte Vierge me donna. CHAPITRE XXVII. Le Seigneur prépare la très-pure Marie pour combattre contre Lucifer, et le dragon commence à la persécuter. Instruction que la Reine de l'univers me donna. CHAPITRE XXVIII. Lucifer et les sept légions continuent à tenter la très-sainte Vierge. - La tête de ce dragon est vaincue et brisée. Instruction que la Maîtresse de l'univers me donna. CHAPITRE XXIV. La très-sainte Vierge prend congé de la famille de Zacharie pour retourner à Nazareth. 304. Saint Joseph ayant été averti par ordre de sainte Élisabeth, partit de Nazareth pour aller prendre l'auguste Marie, son épouse, et la ramener dans sa maison. - Et étant arrivé en celle de Zacharie, où on l'attendait, il y fut accueilli par la pieuse famille avec un respect extraordinaire, car le saint prêtre savait alors que le grand patriarche était le dépositaire des mystères et des trésors du ciel qu'il n'avait pas encore découverts. La très-sainte Vierge le reçut avec les humides démonstrations d'une joie contenue, et, s'agenouillant à ses pieds, elle lui demanda sa bénédiction, selon sa coutume, et le pria de lui pardonner si elle avait manqué de le servir durant les trois mois ou environ qu'elle avait consacrés à sa cousine Élisabeth. Et, quoique en cela notre Reine n'eut commis aucune faute ni imperfection,. mais qu'elle eût au contraire (1) 1 Petr., V, 9. accompli la volonté divine, tout à fait su gré et suivant le bon plaisir du Seigneur lui-même et avec le consentement de son époux, néanmoins elle voulut par cette humble et tendre déférence le dédommager des consolations dont elle l'avait privé par son absence. Le saint lui répondit que sa présence lui faisait oublier toutes les peines que son éloignement lui avait causées. Et après qu'ils eurent pris quelques jours de repos, ils fixèrent celui de leur départ. 306. Ensuite notre Princesse prit congé de Zacharie, qui, déjà éclairé de la lumière du Seigneur, dont il reconnaissait en Marie la Mère Vierge, lui parla avec la plus profonde vénération, comme. au sanctuaire vivant de la divinité et de l'humanité du Verbe éternel. "Illustre Dame, lui dit-il, louez et bénissez éternellement votre Créateur, qui a daigné, par sa miséricorde infinie, vous choisir entre toutes les créatures pour être sa Mère et l'unique dépositaire de ses plus grands biens et de ses plus sublimes mystères : souvenez-vous de votre serviteur, et priez notre Dieu de me retirer de ce lieu d'exil pour me conduire à la tranquille possession du véritable bien que nous espérons; faites que je puisse, par votre intercession, mériter de voir sa divine face, qui est la gloire des saints. Souvenez-vous aussi, Madame, de ma famille, singulièrement de mon fils, et priez le Très-Haut pour votre peuple. " L'auguste Daine se mit à genoux devant le prêtre, et lui demanda avec une profonde humilité sa bénédiction. Zacharie s'excusait de la donner, et suppliait 112 Marie de lui accorder plutôt elle-même la sienne. Mais personne ne pouvait vaincre en humilité celle qui était Maîtresse et Mère de cette vertu aussi bien que de toute la sainteté : ainsi elle obligea le prêtre à la bénir, et il le fit, poussé par l'inspiration divine. Et, se servant des paroles de la sacrée Écriture, il lui dit ; " Que la droite du Tout-Puissant et du véritable Dieu vous assiste toujours et vous garde de tout mal (1); qu'il vous accorde la grâce de sa protection efficace; qui il vous donne en abondance le pain et le vin, la rosée du ciel et la graisse de la terre; que les peuples vous servent et que les tribus vous adorent (2), parce que vous êtes le tabernacle de Dieu (3) : vous serez Maîtresse de vos frères, et les enfants de votre mère se prosterneront en votre présence (4). Celui qui vous exaltera et vous bénira sera exalté et comblé de bénédictions : et celui qui ne vous bénira et ne vous louera pas sera maudit : " Que toutes les nations connaissent en vous le Très- Haut, et que le nom du grand Dieu de Jacob soit glorifié par vous (5). " 307. En reconnaissance . de cette bénédiction prophétique, l'auguste Marie baisa la main de Zacharie, et le pria de lui pardonner les embarras qu'elle pouvait avoir causés dans sa maison. Le saint vieillard fut fort attendri de cet adieu, et des discours de la plus pure et de la plus aimable des créatures : il garda (1) Ps. CXX, 5, 7. - (2) Gen., XXVII, 28, 89. - (3) Eccles., XXIV, 12. - (4) Gen., XXVII, 29. - (5) Judith., XIII, 31. 113 toujours dans son cœur le secret des mystères qui lui avaient été révélés en la présence de la très-sainte Vierge. Une fois seulement, comme il se trouvait au milieu des prêtres, qui se réunissaient ordinairement dans le temple, et qui le félicitaient de la naissance de son fils et du recouvrement de la parole, mû par la force de son esprit et répondant au sujet que l'on traitait, il dit ; " Je crois d'une foi infaillible que le Très Haut nous a visités, nous envoyant au monde le Messie promis qui doit racheter son peuple. " Mais il n'en dit pas davantage sur ce qu'il savait du mystère. Néanmoins le saint prêtre Siméon, qui était présent, ayant ouï ces paroles, fut saisi d'un vif enthousiasme, et s'écria dans ses transports ; " Ne permettez pas , Seigneur d'Israël, que votre serviteur sorte de cette vallée de misères sans voir le Sauveur et le Restaurateur de votre peuple. " C'est à ce voeu qu'il fit plus tard allusion par les paroles qu'il proféra dans le Temple (1), lorsque , comme nous le dirons plus loin, il prit dans ses bras l'Enfant-Dieu quand il y fut présenté. Et dès ce jour-là, le désir ardent qu'il avait de voir le Verbe incarné s'enflamma de plus en plus. 305. Notre Princesse ayant laissé Zacharie baigné de larmes et tout ému de tendresse., alla prendre congé de sa cousine Élisabeth : douée, comme femme, d'un coeur plus sensible, parente, amie ayant joui tant de jours de la douce conversation de la Mère de la grâce, et ayant obtenu par son intercession tant de faveurs (1) Luc., II, 28-33. 114 de la main du Seigneur, elle était sur le point de s'évanouir de douleur, en pensant qu'elle allait être séparée de la causé de tant de biens reçus, privée de sa présence, dépouillée de l'espérance. d'en recevoir beaucoup d'autres. Le cœur de la sainte se brisait au moment de ce dernier adieu de la Maîtresse de l'univers, qu'elle aimait plus que sa propre vie, et elle lui découvrait le fond de son âme beaucoup plus par ses larmes et ses sanglots que par. ses paroles; car elle était incapable de s'exprimer. La sérénissime Reine, toujours maîtresse d'elle-même, inaccessible à tous les mouvements des passions naturelles, s'adressant à sainte Élisabeth, lui dit avec une douce sévérité; " Ma très-chère cousine, ne vous affligez pas si fort de mon départ, puisque la charité du Très-Haut, en laquelle je vous aime véritablement, ne connaît ni séparation ni distance de temps et de lieu. Je vous regarde et je vous aurai présente en sa divine Majesté, et vous me trouverez toujours en elle. Le temps pendant lequel nos corps peuvent être éloignés est fort court (1), puisque si courts sont les jours de la vie humaine; et, en remportant par le secours de la divine grâce la victoire sur nos ennemis, nous nous verrons bientôt, et nous jouirons éternellement l'une de l'autre dans la Jérusalem céleste, où il n'y a ni douleurs, ni larmes, ni séparation (2). En attendant cet heureux temps, ma très-chère, vous trouverez en Dieu toute sorte de (1) Job., XIV, 5. - (2) Apoc., XXI, 4. 115 bien, et vous me trouverez et me verrez en lui; je souhaite qu'il fasse sa demeure dans votre coeur et qu'il vous console." Pour arrêter les pleurs d'Élisabeth, notre très-prudente Reine ne prolongea pas davantage cet entretien, et, se mettant à genoux, elle lui demanda sa bénédiction et pardon des peines qu'elle pouvait lui avoir occasionnées par son séjour. Elle insista jusqu'à ce que sainte Élisabeth eût cédé à ses désirs; celle-ci, à son tour, sollicita la bénédiction de notre divine Dame, qui la lui donna, pour ne point lui refuser cette consolation. 309. Notre auguste, Maîtresse alla voir aussi le petit Baptiste, et, le recevant entre ses bras, elle le couvrit de bénédictions efficaces et mystérieuses. L'enfant miraculeux; par un privilège divin, parla à la Vierge, quoiqu'à voix basse et d'une manière en rapport avec son âge." Vous êtes Mère de Dieu, lui dit-il, et Reine de tout ce qui est créé; vous êtes la dépositaire du trésor inestimable du ciel, l'asile et la protectrice de votre petit serviteur; donnez-moi votre bénédiction, et favorisez- moi toujours de votre intercession et de votre grâce. " Il baisa trois fois la main de notre Reine; il adora dans son sein virginal le Verbe humanisé, lui demanda sa bénédiction et sa grâce, et s'offrit à son service avec une très-profonde vénération. L'Enfant-Dieu regarda favorablement et avec bienveillance son précurseur. La bienheureuse Vierge-Mère voyait et contemplait ce doux spectacle. Elle procédait et agissait en toute chose avec plénitude de science divine, donnant à chacun de ces grands 116 mystères toute la vénération, et toute l'estime, qu'il demandait : car elle avait de très-hautes idées de la sagesse de Dieu et de ses oeuvres (1). 310. Toute la maison de Zacharie resta sanctifiée de la présence de la très-chaste Marie et du Verbe incarné dans son sein, édifiée par son exemple, instruite par ses leçons et ses entretiens, ravie de sa modestie et de l'incomparable douceur de ses manières. Et ayant captivé les coeurs de tous les membres de cette heureuse famille, elle les laissa remplis des dons célestes, qu'elle leur mérita, et obtint de son très-saint Fils. Son saint époux Joseph s'attira toute la vénération de Zacharie, d'Élisabeth et du petit Baptiste, qui connurent sa dignité avant qu'elle fût. révélée à lui-même. Et après que l'heureux patriarche eut pris congé de tous, joyeux d'avoir son trésor (quoiqu'il n'en pénétrât pas entièrement la valeur), il partit. pour Nazareth. Je dirai dans le chapitre suivant ce qui arriva dans le voyage. Mais avant de l'entreprendre, la très-sainte Vierge demanda à genoux la bénédiction à son époux, selon qu'elle avait coutume de faire dans de semblables rencontres, et après qu'elle l'eut reçue ils se mirent en chemin. (1) II Machab., II, 9. 117 Instruction que notre auguste Reine me donna. 311. Mis, fille, l'âme bienheureuse que Dieu choisit pour lui faire part de ses caresses et pour l'élever à une haute perfection doit toujours avoir le coeur pré paré et tranquille (1), pour y laisser opérer sa divine Majesté sans résistance, selon qu'elle juge à propos, et de son côté elle doit concourir avec promptitude à l'exécution de ses desseins. C'est ce que je fis quand le Très-Haut m'ordonna de sortir de ma maison et de m'arracher à mon aimable retraite pour aller rendre visite à ma servante Élisabeth; c'est ce que je fis encore quand il me prescrivit de la quitter. J'exécutai fun et l'autre avec une joyeuse promptitude, et, quoique j'eusse reçu d'Élisabeth et de toute sa famille tous les bienfaits et toutes les marques d'amour et de bienveillance que vous avez appris, néanmoins, au milieu de toutes les obligations que je leur avais, du moment où je connus la volonté du Seigneur, je mis de côté toutes mes affections personnelles, ne donnant , plus à la charité et à la compassion que ce qui était compatible avec l'obéissance empressée que je devais au divin commandement, à toutes mes propres affections, et je n'en témoignai que ce qui pouvait s'accorder avec la charité et avec la compassion. 312. Ma très-chère fille, avec quelle ardeur ne (1) Eccles., II, 20. 118 tâcheriez-vous pas d'acquérir cette véritable et parfaite résignation, si vous en appréciiez entièrement la valeur, si vous saviez combien elle est agréable aux yeux du Seigneur, et utile et profitable à l'âme! Appliquez-vous donc à la pratiquer à mon imitation, ainsi que je vous y pousse et vous y convie si souvent. Ce qui empêche le plus de parvenir à ce degré de perfection, ce sont les inclinations ou les attachements particuliers aux choses de la terre : car ils infectent l'âme d'une indignité qui ne permet pas au Seigneur de la choisir pour ses délices et de lui manifester sa volonté. Et s'il arrive qu'elle la connaisse, l'amour qu'elle porte aux créatures la retient; et, par cette attache, elle n'est pas capable de cette promptitude et de cette joie avec laquelle elle doit obéir au bon plaisir de son Seigneur. Parez à ce danger, ma fille, et ne donnez entrée dans votre coeur à aucune affection particulière : car je souhaite que vous soyez fort parfaite et fort savante en l'art de l'amour divin, et que votre obéissance soit angélique et votre amour séraphique. Je veux que vous soyez telle dans toutes vos actions, puisque mon amour vous y oblige, puisque la science et la lumière que vous recevez vous enseignent à le devenir. 313. Je ne prétends pas vous dire par là d'être insensible, car cela est naturellement impossible à la créature; mais je veux vous engager, quand il vous arrivera quelque chose de fâcheux ou qu'il vous manquera ce qui pourrait vous paraître utile, ou nécessaire, ou désirable, à vous abandonner alors entièrement au 119 Seigneur avec une indifférence joyeuse, et à lui offrir un sacrifice de louange en reconnaissance de ce que sa sainte volonté s'accomplit à votre égard. Et si vous ne considérez que son bon plaisir, convaincue que tout le reste est passager, il vous deviendra facile de vous vaincre promptement vous-même, et vous profiterez de toutes les occasions qui se présenteront de vous humilier sous le pouvoir de la main du Seigneur (1). Je vous recommande aussi de m'imiter dans le respect et dans la vénération dus aux prêtres, et de leur demander toujours la bénédiction avant de leur parler ou de prendre congé d'eux; vous pratiquerez la même chose envers le Très-Haut, avant que de commencer le moindre travail. Présentez-vous toujours avec une humble soumission devant vos supérieurs. Si les femmes qui viennent vous demander conseil sont mariées, avertissez-les d'être obéissantes à leurs maris, dociles; pacifiques dans leurs familles , retirées dans leurs maisons, et soigneuses à s'acquitter de toutes leurs obligations (2). Mais qu'elles prennent garde aussi de trop se plonger dans les affaires, sous prétexte de nécessité, parce qu'elles y doivent beaucoup plus réussir par la bonté et par la libéralité du Très-Haut que par leur trop grande industrie. Les divers événements parmi lesquels je me suis trouvée vous fourniront à cet égard une leçon; un véritable exemple : ma vie entière est un modèle dont les âmes doivent se servir pour arriver à la perfection qu'exigent tous les états; (1) 1 Petr., V, 6. - (2) Tit., II, 5. 120 c'est pourquoi je ne vous donne point d'instruction pour chacun. CHAPITRE XXV. La très-pure Marie retourne à Nazareth. 314. Pour retourner de la ville de Juda à celle de Nazareth, notre grande Reine, ce tabernacle animé da Dieu vivant , traversa en partant les montagnes de Judée; accompagnée de son très-fidèle époux Joseph. Et quoique les évangélistes ne parlent point de la célérité avec laquelle elle exécuta: ce voyage, comme saint Luc l'a fait du premier (1), à cause du mystère particulier que renfermait cette hâte, elle ne laissa pourtant pas que d'effectuer sou retour à Nazareth avec la même diligence, à cause des événements qui l'attendaient dans sa maison. Et nous pouvons dire que tous les voyages de cette divine Dame furent une démonstration mystique de ses progrès spirituels et intérieurs; parce qu'elle était le véritable tabernacle du Seigneur, qui ne s'arrêtait et ne se reposait jamais dans la pérégrination de la vie mortelle (2) ; passant (1) Luc., I, 89. - (2) I Paral., XVII, 5. 121 au contraire chaque jour d'un état fort relevé de sagesse et de grâce à un autre plus sublime, elle avançait toujours, voyageuse toujours sans égale sur ce chemin de la terre promise , et elle portait constamment avec elle le véritable propitiatoire (1), où elle nous procurait continuellement le salut éternel par les accroissements de ses dons et de ses faveurs. 315. Notre grande Reine et saint Joseph firent le trajet en quatre jours, comme lors du voyage que j'ai raconté au chapitre XVI. Quant à la manière de Voyager et aux divins entretiens auxquels ils se livrèrent durant leur route, les choses se passèrent de même; il n'est donc pas nécessaire d'en rapporter ici les détails. Dans les luttes d'humilité qui s'élevaient souvent entre eux, la sainte Vierge l'emportait toujours, excepté dans les cas où son saint époux interposait son autorité; car la plus grande humilité consistait à se soumettre à l'obéissance. Mais comme elle était déjà enceinte de trois mois, elle marchait avec plus de précaution. Ce n'est pas que son fardeau lui parût lourd et gênant; elle éprouvait au contraire , à le porter, un sentiment de bonheur délicieux. Mais l'attentive et, prudente mère prenait un grand soin de son trésor, parce qu'elle le regardait avec les accroissements naturels que le très-saint corps de son Fils recevait chaque jour dans son sein virginal. Nonobstant cette facilité et cette légèreté de sa grossesse, les difficultés du chemin et la (1) Num., VII, 89 123 chaleur la fatiguaient parfois; parce que, pour avoir le moyen de souffrir, elle ne se servait point des privilèges de Reine et de Maîtresse des créatures, et que, loin d'éviter ce qui lui pouvait être pénible, elle donnait lieu aux incommodités et à la lassitude; afin d'être en toutes choses Maîtresse de la perfection et conforme à son très-saint Fils. 316. Comme sa divine grossesse était, en ce qui regarde la nature, si parfaite, et sa constitution à la fois si délicate et si excellente, qu'il n'y eût en sa personne rien de défectueux, son état se trahissait naturellement par des signes extérieurs, et la plus discrète des épouses s'apercevait bien qu'il.serait impossible de les cacher longtemps à son très-chaste et très-fidèle époux. Dans cette pensée, elle se mettait à le regarder avec plus de tendresse et de compassion , à cause des angoisses dont il devait être bientôt assailli , et dont elle aurait souhaité le délivrer, si elle avait su que tel eût été le bon plaisir divin. Mais le Seigneur ne dissipa point ses inquiétudes à cet égard, parce qu'il conduisait la chose par les moyens les plus convenables à sa gloire, et au mérite de saint Joseph et de sa Mère Vierge. Néanmoins notre auguste Dame priait intérieurement la Majesté divine de prévenir le coeur du saint époux par la patience et par la sagesse dont il avait besoin, et de l'assister de sa grâce, afin que dans les circonstances qu'elle prévoyait, il ne fit rien qui ne lui fût agréable; car elle jugeait toujours qu'il éprouverait une profonde douleur en la voyant enceinte. 123 317. La Maîtresse de l'univers fit, en retournant à Nazareth, plusieurs oeuvres admirables, mais toujours à l'ombre et d'une manière secrète. Ils arrivèrent en un lieu assez pou éloigné de Jérusalem, et la même nuit, des gens d'un autre petit village vinrent loger dans la maison où ils étaient; ces gens allaient à la sainte cité, et y menaient une jeune femme malade, pour lui chercher. quelque remède, comme dans une localité plus populeuse et plus importante. Et quoiqu'ils sussent qu'elle était fort malade, ils ignoraient pourtant la nature et la cause de ses douleurs. Cette femme avait été fort vertueuse; mais l'ennemi commun, connaissant son caractère et ses progrès dans la vertu, s'acharna contre elle, comme il fait toujours contre ceux. qui sont amis de Dieu, et il la persécuta si fort qu'il la fit tomber dans quelques péchés, et pour la précipiter d'un abîme dans un autre, il la tenta par de fausses illusions de désespoir et par une douleur excessive de son propre déshonneur; et lui ayant troublé l'esprit; ce dragon trouva le moyen d'entrer dans cette femme affligée et de la posséder avec plusieurs autres démons. J'ai déjà dit dans la première partie que le dragon infernal conçut une grande colère contre toutes les femmes vertueuses, depuis qu'il vit dans le ciel cette femme revêtue du soleil, de laquelle les autres qui la suivent forment la famille, comme on peut l'inférer du chapitre XII° de l'Apocalypse; et par suite de cette haine, il s'enorgueillissait hautement de la possession du corps et de l'âme de cette pauvre femme, et il la traitait en tyran féroce. 124 318. Aussitôt que notre Princesse la vit à l'hôtellerie, elle connut le mal que tous ignoraient, et mue de sa miséricorde maternelle, elle pria son très-saint Fils de lui donner la santé de l'âme et du corps. Et sachant que la volonté divine penchait à la clémence, elle usa de son pouvoir de Reine , pour commander aux démons de sortir à l'instant de cette femme, de la laisser libre, sans la tourmenter jamais plus, et de rentrer dans les profonds abîmes, comme dans leur légitime et propre demeure. Notre grande Reine ne se servit point de paroles pour intimer cet ordre, mais elle le donna mentalement, de manière que les esprits immondes pussent le comprendre; et il fut si efficace et si puissant, qu'aussitôt Lucifer et ses compagnons sortirent de ce corps, et furent précipités dans les ténèbres infernales. L'heureuse femme se trouva délivrée et fort surprise d'un cas si extraordinaire ; mais dans cet étonnement, elle tourna son cœur vers notre très-pure et très-sainte Dame. Elle la regarda avec une vénération et une tendresse singulière, et par cette -vue, elle reçut deux autres bienfaits : l'un, que son âme fut pénétrée d'une intime douleur de ses péchés; l'autre, qu'elle fut affranchie des mauvais effets qu'avaient produits et débarrassée des vestiges qu'avaient laissés dans son corps ces injustes possesseurs, dans le temps qu'elle avait été soumise à leur empire. Elle reconnut que cette divine étrangère qu'elle avait eu le bonheur de rencontrer, avait beaucoup contribué an bienfait qu'elle sentait avoir reçu du Ciel. Elle lui parla, et notre Reine lui répondant au cœur, 125 l'exhorta par de sages avis à la persévérance, et même elle la lui mérita pour l'avenir. Les parents qui l'accompagnaient connurent aussi le miracle, mais ils l'attribuèrent à la promesse qu'ils avait faite de la mener au temple de Jérusalem, et qu'ils allaient accomplir en y portant quelques offrandes. C'est ce qu'ils firent en louant le Seigneur, mais en ignorant l'instrument dont il s'était servi pour un tel bienfait. 319. Grands furent le trouble et la colère dont Lucifer fut saisi en se voyant chassé de cette femme et précipité par le seul commandement de la très-chaste Marie; tout stupéfait, il disait avec une furieuse indignation : " Quelle est cette femmelette qui nous commande et qui nous opprime avec tant de force? Quelle nouveauté est celle-ci, et comment est-ce que mon orgueil la souffre? Il faut que nous prenions tous garde à cela , et que nous travaillions à l'écraser. " Et comme je dois m'étendre davantage sur ce sujet dans le chapitre qui suit, je le quitte maintenant pour revenir à nos divins voyageurs, qui arrivèrent dans une autre hôtellerie dont le maître était d'un très-mauvais naturel et d'une vie fort déréglée. Par une première grime qui devait être le principe du bonheur de cet homme, Dieu voulut qu'il accueillit l'auguste Marie et son époux Joseph avec des sentiments de bienveillance et des marques d'intérêt. Il leur montra plus de courtoisie et leur rendit plus de services qu'il n'avait accoutumé de faire aux autres étrangers. Et afin que la récompense surpassât le bienfait, notre grande Reine, qui connut l'état 126 dépravé de la conscience de son hôte, pria pour lui, et lui laissa le. fruit de cette prière pour le paiement de son bon accueil; de sorte qu'elle lui procura la justification dé son âme, l'amendement de sa vie, et l'augmentation de ses biens. En effet, Dieu fit prospérer son établissement dans la suite, pour les petits services qu'il avait rendus aux saints voyageurs. La Mère de la grâce opéra beaucoup d'autres merveilles dans ce voyage; car il sortait d'elle comme des effluves divins (1), au moyen desquels elle sanctifiait toutes lés âmes. Enfin ils arrivèrent à Nazareth , où la Princesse du ciel nettoya sa maison, assistée de ses saints anges, qui, émulateurs de sou humilité et jaloux de lui témoigner leur zèle et leur vénération, la secondaient toujours et l'aidaient dans les plus basses occupations. Saint Joseph s'occupait à son travail ordinaire pour la. subsistance de notre Reine, et elle ne frustrait point l'espérance de son époux. Elle se ceignait d'une nouvelle force pour les mystères qu'elle attendait; elle portait la main à de grandes choses (2), et dans le secret de son âme elle jouissait de la vue continuelle du trésor renfermé dans son sein, et puisait dans cette vue des faveurs, des délices et des consolations ineffables. Elle acquérait d'incomparables mérites, et se rendait extraordinairement agréable, au Seigneur. (1) Cant., IV, 13. - (2) Prov., XXXI, 11, 17, 19. 127 Instruction que la Reine du ciel mè donna. 320. Ma fille, les âmes fidèles qui connaissent Dieu par la lumière de la foi et qui sont filles de l'Église, ne devraient point faire de différence de temps, ni de lieux, ni d'occupations pour pratiquer cette vertu comme celles qui leur sont infuses avec elle. En effet, Dieu est présent en toutes choses, il remplit toutes choses de son Être infini (1), et. il n'y a point de lieu, il n'y a point d'occasion où la foi ne, se trouve pour l'adorer et le reconnaître en esprit et en vérité (2). Et comme la création par où l'âme reçoit le premier être est suivie de la conservation, comme la vie suppose le jeu continu de la respiration, aussi bien que de la nutrition et de la croissance, jusqu'au complet développement des organes, de même la créature raisonnable, une fois régénérée par la foi et par la grâce, devrait, loin de jamais interrompre l'accroissement de sa vie spirituelle, constamment produire en tout temps et en tout lieu des rouvres de salut par la foi, l'espérance et l'amour. Mais, oublieux et négligents qu'ils sont, les hommes, et surtout les enfants de l'Église, rendent tout à fait stérile cette vie de la foi, car ils la laissent mourir en perdant la charité (3). Voilà ceux qui, suivant l'expression.de David (4), ont reçu en vain une âme nouvelle, (1) Jerem., XXIII, 24. - (2) Joan., IV, 22 et 21. - (3) Jacob., II, 26. - (4) Ps. XXIII, 4. 128 puisqu'ils ne s'en, servent non plus que s'ils ne l'avaient point reçue. 321. Je veux, ma très-chère fille; qu'il n'y ait pas dans votre vie spirituelle plus d'intermittence qu'il n'y en a dans votre vie. naturelle. Vous devez, usant des dons du Très-Haut, agir toujours par la vie de la grâce, dans la prière, dans la charité, dans la louange, dans la foi, dans l'espérance, dans l'adoration du Seigneur, en esprit. et en vérité , sans différence de temps, ni d'occupations, ni de lieux (1); car il est présent en toutes choses, et il veut être aimé et servi de toutes les créatures raisonnables. C'est pourquoi je vous ordonne de prier pour les âmes avec une vive foi et une ferme espérance, quand elles s'adresseront à votés, coupables de cet oubli ou d'autres fautes , et affligées par le démon ; que si le Seigneur ne fait pas toujours avec éclat ce que vous souhaitez et ce qu'elles demandent, il le fera secrètement, et vous acquerrez le mérite de lui avoir plu , en travaillant comme une fille et une épouse fidèle. Et si vous agissez en tout comme il l'exige, je vous assure qu'il vous accordera, dans l'intérêt des âmes, beaucoup de privilèges d'épouse. Considérez ce que je faisais quand je voyais les âmes dans la disgrâce du Seigneur, remarquez le soin et le zèle avec lesquels je travaillais au bien de toutes, et surtout de quelques-unes. Si vous voulez m'imiter et me plaire, quand le Très- Haut vous découvrira l'état de certaines âmes, (1) Joan., IV, 23 129. ou qu'elles-mêmes vous le déclareront, ne manquez pas de travailler et de prier pour elles; reprenez-les avec prudence, humilité et douceur; car le Tout-Puissant ne veut pas que vous fassiez du bruit, ni que votre activité produise au dehors des effets éclatants; il veut qu'ils soient cachés : et en cela il se conforme à votre timidité naturelle et à vos désirs, et en même temps il adopte pour vous le parti le plus sûr. Et quoique vous deviez prier pour toutes les âmes, vous prierez avec plus d'ardeur pour celles auxquelles vous saurez que Dieu veut surtout que vous vous intéressiez. CHAPITRE XXVI. Les démons tiennent un conciliabule dans l'enfer contre la très- pure Marie. 322. J'ai dit au paragraphe 130 du chapitre XIe, qu'au moment où s'opéra le mystère ineffable de l'incarnation, Lucifer et tous les autres esprits rebelles sentirent la vertu du bras du Tout-Puissant, qui les précipita dans le plus profond des abîmes. Ils y furent abattus quelques jours, jusqu'à ce que le même Seigneur, par sa providence admirable, leur permit de 130 se relever de cet abattement dont ils ignoraient la cause. Or, après s'être redressé, le grand dragon s'avança vers le monde , pour reconnaître, en parcourant toute la terre, s'il était survenu quelque chose de nouveau à quoi il pût attribuer le coup imprévu qui l'avait frappé, lui et tous ses ministres. Le superbe prince des ténèbres ne voulut point confier cette recherche à ses seuls compagnons; mais il se mit lui- même en campagne avec eux, et explorant le monde entier avec autant de ruse que de méchanceté, il alla s'enquérant partout , guettant de toutes parts les faits pour tâcher de découvrir ce qu'il brûlait de savoir. Il employa trois mois à cette ardente recherche; au bout de ce temps il dut retourner dans l'enfer, aussi ignorant de la vérité qu'il en était sorti , parce que le moment n'était pas encore venu pour lui de pénétrer des mystères aussi divins, sa malignité étant si ténébreuse, qu'il ne devait pas jouir de leurs effets admirables, ni en glorifier et bénir son Créateur comme nous, qui devions participer aux fruits de la rédemption. 323. L'ennemi de Dieu se trouvait toujours plus confus et tourmenté, sans savoir à quoi attribuer son nouveau malheur : ce qui fut cause qu'il convoqua toutes les troupes infernales, sans excepter aucun démon, pour délibérer sur ce cas. Et ayant pris la première place dans ce conciliabule , il leur tint ce discours : vous savez bien, mes sujets, avec quelle ardeur j'ai travaillé à me venger de Dieu, en faisant tout pour détruire sa puissance, depuis qu'il nous a 131 dépouillés de la nôtre et bannis de notre maison. Et quoique je ne puisse point l'atteindre lui-même, je n'ai point perdu un instant, je n'ai point négligé une occasion pour attaquer les hommes, qu'il aime, et pour les réduire sous mon empire (1); j'ai peuplé par mes forces et par mes soins mon royaume, et j'ai un grand nombre de nations qui me suivent et qui m'obéissent (2); je gagne tous les jours une quantité innombrable d'âmes que j'éloigne de la connaissance de Dieu et de l'obéissance qu'elles lui doivent, afin qu'elles né parviennent point à jouir de ce que nous avons perdu; je prétends au contraire les entraîner dans les supplices éternels que nous endurons, puisqu'elles ont suivi ma doctrine et mes traces, et j'assouvirai sur elles la haine que j'ai conçue contre leur Créateur. Mais tout cela me parait peu de chose, et je suis encore tout étourdi de la nouvelle secousse que nous avons ressentie; car depuis que nous avons été chassés du ciel , il ne nous était rien arrivé de semblable, et jamais nous n'avions été frappés, terrassés d'une manière aussi violente : je reconnais que ce coup a singulièrement ébranlé mes forces comme les vôtres. Un effet aussi insolite, aussi extraordinaire, ne peut s'expliquer que par une cause nouvelle, et le sentiment de notre faiblesse me fait vivement craindre la ruine de notre empire. 324. " Cette affaire demande une nouvelle attention, ma fureur persiste, et l'ardeur de la vengeance (1) Job., XLI, 25. - (2) Luc., IV, 6. 132 me dévore toujours. J'ai quitté l'abîme, j'ai parcouru toute la terre, j'en ai examiné avec un très-grand soin tous les habitants , et je n'ai trouvé aucune chose, notable. J'ai observé et persécuté toutes les femmes vertueuses et parfaites appartenant à la race de l'ennemie implacable que nous avons connue dans le ciel, pour tâcher de la rencontrer parmi elles; mais aucun indice ne me marque qu'elle soit née, car je n'en vois aucune avec les qualités que me parait devoir réunir . la femme appelée. à être la, Mère du Messie. Une fille que je craignais à cause de ses grandes vertus, et que je persécutai dans le Temple, est maintenant mariée ainsi elle ne peut être celle que nous cherchons, car Isaïe a dit qu'elle doit être vierge (1). Néanmoins je la crains et je, la déteste, car étant si vertueuse, il pourrait bien arriver que d'elle naquit la Mère du Messie ou quelque grand prophète; il ne m'a pas été possible de me l'assujettir jusqu'à présent en aucune chose, et, je pénètre moins dans la conduite de sa vie que dans. celle des autres. Elle m'a toujours résisté avec une, fermeté invincible; je la perds facilement de vue, et quand je pense à elle, je ne puis m'en approcher autant que de ses compagnes. Je ne parviens point à discerner si cette difficulté et cet oubli proviennent d'une cause mystérieuse, ou s'ils résultent du mépris même que je fais d'une simple femmelette. Mais j'y prendrai bien garde à l'avenir, car elle nous a commandé en deus occasions récentes où 133 nous n'avons pu résister à son empire, ni à l'énergie souveraine avec laquelle elle nous a privés de la possession que nous avions des personnes dont elle nous a chassés. Cela est digne de toute notre attention, et cette créature mérite mon indignation par cela seul qu'elle a opéré dans ces occasions. C'est pourquoi je jure de la persécuter et de la dompter, et pour cette entreprise je demande le concours de toutes , vos forces, de toute votre malice; car celui qui se signalera dans cette victoire que je me promets de remporter, recevra de ma grande puissance des récompenses considérables. " 325. Toute la populace infernale, après avoir écouté attentivement Lucifer, loua et approuva, ses intentions; elle lui dit de ne pas craindre que cette femme compromît ses succès ou ternit ses triomphes puisque son pouvoir était si grand, qu'il avait assujetti à son empire le monde presque entier (1). Les démons convinrent ensuite des moyens qu'ils prendraient pour persécuter la très-chaste Marie, comme femme distinguée par ses vertus et par une sainteté singulière, et non point comme Mère du Verbe incarné; car, comme je l'ai dit, ils ignoraient alors le mystère caché. Après qu'ils eurent pris cette résolution, notre divine Princesse eut à soutenir un long combat contre Lucifer et ses ministres d'iniquité, afin qu'elle pût écraser d'autant plus souvent la tête à ce dragon infernal (2). Et quoique dans le cours (1) Ephes., II, 2 ; Joan., XIV, 30. - (2) Gen., III, 15. 134 de la vie de cette Vierge puissante, ç'ait été là une grande et mémorable bataille, elle en livra une plus grande encore au prince des ténèbres, lorsqu'elle resta sur la terre après l'ascension de son très-saint Fils. Je parlerai de celle-ci dans la troisième partie de cette divine histoire, à laquelle on me l'a fait rapporter, car elle fut fort mystérieuse, attendu qu'à cette époque Lucifer connaissait la Mère de Dieu; saint jean en a fait mention au XIIe chapitre de l'Apocalypse, comme je le dirai en son lieu. 326. La providence du Très-Haut fut admirable dans la dispensation des mystères incompréhensibles de l'incarnation, et elle l'est maintenant dans le gouvernement de l'Église catholique. Et il est sûr qu'il fallait que cette farté et douce Providence cachât plusieurs choses aux démons qu'il n'était pas à propos qu'ils sussent, tant parce qu'ils sont indignes de connaître les mystères sacrés, que parce que à l'égard de, ces ennemis, la puissance divine doit se manifester avec plus d'éclat que les autres attributs, afin de les accabler de tout son poids. En outre , grâce à leur ignorance des oeuvres que Dieu leur cache, l'économie de l'Église et l'exécution de tons les mystères que Dieu y opère, se déroulent sur un plan plus doux; c'est une barrière contre laquelle viennent se briser tous les efforts du démon furieux, pour les choses que la Majesté divine veut soustraire à ses attaques. Sans doute elle peut et pourrait toujours le dompter et le retenir; mais le Seigneur dispense toutes choses en la manière qui convient le mieux 135 à sa bonté infinie. C'est pour cette raison que le Très-Haut cacha à ces esprits rebelles la dignité de l'auguste Marie, le miracle de sa grossesse , son intégrité virginale avant et après l'enfantement, et en lui donnant un époux , il tenait cela dans un plus grand secret. Ils ne connurent non plus la divinité de notre Seigneur Jésus-Christ avec certitude qu'à l'heure de sa mort; et dès lors ils découvrirent plusieurs mystères de la rédemption sur lesquels ils s'étaient mépris et aveuglés; car, s'ils eussent connu auparavant cet adorable Seigneur, ils eussent plutôt tâché d'empêcher sa mort, comme le dit l'Apôtre (1), qu'excité les Juifs à lui en infliger une aussi cruelle, ainsi que je le rapporterai en son lieu. Ils auraient prétendu détourner la rédemption, et, publier eux-mêmes devant le monde qu'il était le Christ vrai Dieu; et c'est pour cela que quand saint Pierre le reconnut et le confessa pour tel, il lui ordonna à lui et aux autres apôtres, de n'en rien dire à personne (2). Et bien que les démons se doutassent que le Sauveur fût le Messie, et qu'ils l'appelassent même Fils du Très-Haut, il cause des miracles qu'il faisait et de ce qu'il les chassait des corps, comme le raconte saint Luc (3), sa divine Majesté, ne permettait pourtant pas qu'ils dissent, avec une ferme assurance ce qu'ils pensaient; car, en voyant notre Seigneur Jésus Christ pauvre, méprisé et outragé, les doutes qu'ils (1) I Cor., II, 8. - (2) Matth., XVI, 20. - (3) Luc., VIII, 28; IV, 34. 137 avaient se dissipaient aussitôt; c'est qu'aveuglés par leur orgueil démesuré, ils ne purent jamais pénétrer le mystère de l'humilité du Sauveur. 327. Or, comme Lucifer ne connaissait point en la très-pure Marie la dignité de Mère de Dieu lorsqu'il lui prépara la terrible persécution que l'on verra bientôt, il lui en fit depuis subir une beaucoup plus cruelle, sachant qui elle était. Car s'il eût su, dans la circonstance dont je vais parler, que c'était celle qu'il avait vue dans le ciel revêtue du Soleil (1), et celle qui lui devait écraser la tête (2), il eût été pris d'un tel accès de fureur et de rage, qu'il se fût transformé en un feu comparable à celui de la foudre. Que si en la regardant seulement comme une femme sainte et parfaite, les démons conçurent tous contre elle une si grande indignation, il est certain que s'ils eussent connu son excellence, ils eussent, dans la limite de leur pouvoir, bouleversé la nature entière pour mieux la persécuter et même pour l'exterminer~Mais comme le dragon et ses complices ignoraient d'un côté le mystère caché de notre divine Dame, et que d'un autre ils découvraient en elle une vertu si puissante et une sainteté si sublime; dans la confusion où toutes ces choses les mettaient, ils allaient tâtonnant et se perdant en conjectures; ils se demandaient les uns aux autres quelle pouvait être cette femme contre laquelle ils reconnaissaient que tous leurs efforts étaient si impuissants, et si ce n'était point par hasard (1) Apoc., XII, 1 - (2) Gen., III, 15. 137 celle qui devait occuper le rang le plus éminent entre les simples créatures? 325. Certains répondaient qu'il n'était pas possible que cette femme fût la Mère du Messie que les fidèles attendaient, parce que, outre qu'elle était mariée, son mari et elle étaient fort pauvres, fort humbles et fort Feu connus dans le monde; qu'ils ne se distinguaient point par des miracles, et qu'ils ne se faisaient ni estimer ni craindre des hommes. Et comme Lucifer et ses ministres étaient si superbes, ils ne pouvaient se persuader qu'un mépris aussi souverain de soi-même et une humilité aussi rare fussent comparables avec la grandeur et la dignité de Mère de Dieu, et leur chef s'imaginait que le Tout-Puissant, étant q'une nature infiniment supérieure à la sienne, ne choisirait pas une condition qui lui avait tant déplu à !ni même. Enfin il fut trompé par sa présomption mime et par son fol orgueil, c'est-à- dire par les vices les plus propres, par les ténèbres qu'ils répandent, à aveugler l'entendement et à précipiter la volonté. C'est pour cette raison que Salomon dit que leur propre malice les avait aveuglés (1) de telle sorte qu'ils ne comprissent point que le Verbe éternel devait choisir de pareils moyens afin d'abattre la hautaine arrogance du dragon, dont les pensées étaient beaucoup plus éloignées des jugements du Très-Ilaut que le ciel n'est distant de la terre (2); car il croyait que Dieu descendrait sur la terre, pour la combattre, dans (1) Sap., II, 21 - (2) Isa., LV, 9. 138 un grand appareil et une pompe éclatante, humiliant d'une main puissante les superbes, les princes et les monarques, dont le démon avait enflé le coeur, comme on le vit chez tant de rois qui régnèrent avant la venue de notre Seigneur Jésus- Christ, hommes si pleins d'orgueil et de présomption, qu'ils paraissaient avoir perdu le sens commun et la connaissance de leur condition mortelle et de leur origine terrestre. Lucifer mesurait tout cela suivant ses idées, et il lui semblait que Dieu dût agir dans cette vue avec la même fureur et les mêmes procédés avec lesquels l'ennemi attaque les oeuvres du Seigneur. 329. Mais sa divine Majesté, qui est la sagesse infinie, fit tout le contraire de ce que Lucifer croyait car pour le vaincre elle ne vint pas seulement avec sa toute- puissance, mais elle se servit aussi de l'humilité, de la douceur, de l'obéissance et de la pauvreté, qui sont les armes de sa milice, et non pas dit faste et de l'ostentation de la vanité mondaine, qui s'appuie sur les richesses de la terre (1). Elle vint dans l'obscurité et sans aucun éclat sensible; elle choisit une Mère pauvre, et elle vint mépriser tout ce que le monde estime, et enseigner la science de la vie par la doctrine et par l'exemple; de sorte due le démon se trouva trompé et vaincu par les moyens qui l'humiliaient et le tourmentaient le plus. 330. Dans l'ignorance de tons ces mystères, Lucifer employa quelques jours à étudier et à reconnaître (1) II Cor., I, 4. 139 le naturel de l'auguste Marie, son tempérament, ses démarches, ses inclinations, la juste mesure, la tranquillité et l'égalité d'âme qu'elle apportait dans toutes ses actions; car ces choses ne lui étaient point cachées. Et ayant trouvé que tout en elle était si parfait, que, malgré la douceur de son caractère, elle lui présentait comme un mur impénétrable, il consulta de nouveau les démons et leur exposa la difficulté qu'il voyait à pouvoir tenter cette femme, sans dissimuler que l'entreprise était extrêmement ardue. Tous dressèrent leurs batteries, et se préparèrent à l'attaquer de concert par toutes sortes de tentations formidables. Je dirai dans les chapitres suivants comment ils s'y prirent, et j'y raconterai le glorieux triomphe que notre invincible Reine remporta sur tous ces ennemis, et toutes les malices dont ils se servirent contre elle. Instruction que la très-sainte Vierge me donna. 331. Ma fille, je désire que vous preniez bien garde à ne vous laisser pas posséder de l'ignorance et des ténèbres qui aveuglent ordinairement les mortels, en leur faisant oublier leur salut éternel, et en les empêchant de considérer les périls où ils sont exposés parmi les tentations dont les démons les entourent de toutes harts pour les perdre. Les hommes dorment, 140 s'amusent et s'oublient, comme s'ils n'avaient point d'ennemis forts et vigilants à combattre. Cette effroyable négligence tire son origine de deux causes : la première , c'est que les hommes sont tellement livrés aux choses terrestres, animales et sensibles, qu'ils ne savent plus sentir d'autres blessures que celles qui atteignent leurs sens physiques (1), comme s'il n'y avait rien de vulnérable au dedans d'eux- mêmes; la seconde, c'est que les princes des ténèbres sont invisibles et inaccessibles à nos organes; et comme les hommes charnels ne les touchent, ni ne les voient, ni ne les sentent, ils ne songent point à les craindre (2). Et pourtant c'est pour cela même qu'ils devraient se tenir beaucoup plus sur leurs gardes : car les ennemis invisibles sont plus perfides, plus habiles à porter leurs coups à l'improviste, et par conséquent le danger est d'autant plus certain qu'il est moins apparent, et les blessures d'autant plus mortelles, qu'elles sont moins sensibles, moins perceptibles et moins extérieures. 332. Écoutez, ma fille, les vérités les plus importantes pour la vie véritable, pour la vie éternelle. Soyez attentive à rues conseils, recevez mes avis et conformez-vous à mes leçons : car si vous vous laissez aller à la négligence, je ne vous dirai plus rien. Or, considérez ce que vous n'avez pas assez remarqué jusqu'à présent dans le caractère de ces ennemis, et. sachez que parmi les anges comme parmi les hommes, (1) I Cor., II, 14. - (2) Ephes., II, 12. 141 aucune intelligence ni aucune langue ne sauraient exprimer la haine forcenée que Lucifer et ses satellites ont conçue contre les mortels, parce qu'ils sont les images de Dieu lui-même et qu'ils sont capables d'en jouir éternellement. Il n'y a que le Seigneur qui puisse sonder les abîmes d'iniquité et de méchanceté creusés par l'orgueil dans cet être rebelle au saint nom qu'il a refusé d'adorer. Que si de son bras puissant il ne tenait pas ces ennemis terrassés, en un clin d'oeil ils détruiraient le monde, ils mutileraient tous les hommes et déchireraient leurs chairs avec plus de férocité que des lions affamés, des dragons et des bêtes fauves. Mais le benin père des miséricordes arrête et réprime leur fureur, et garde ses pauvres petits enfants dans ses bras, afin qu'ils ne tombent point sous la dent de ces loups infernaux. 333. Considérez donc maintenant, avec toute l'attention qu'il vous sera possible, si l'on .peut concevoir quelque chose d'aussi douloureux, d'aussi lamentable que de voir tant d'hommes plongés dans l'aveuglement et oublieux d'un tel péril, abandonner volontairement l'asile que leur ouvre le Très-Haut, les uns par légèreté, par des motifs frivoles, en vue d'un plaisir qui passe en un moment;. les autres par négligence, d'autres encore à cause de leurs appétits désordonnés, pour se livrer tous entre les mains cruelles de tant d'impies et furieux ennemis, qui se promettent d'exercer leur rage sur leurs victimes, non une heure, un jour, un mois ou un an, mais éternellement, par des tourments qu'on ne saurait ni comprendre ni 142 exprimer. Tremblez, ma fille, et contemplez avec stupéfaction cette horrible, cette effroyable folie des mortels impénitents et des fidèles eux-mêmes, qui, connaissant tout cela par la foi, ont tellement perdu la raison, et se laissent, comme des insensés, au milieu de la lumière que leur fournit la foi catholique et véritable dont ils font profession, aveugler par le démon à tut tel point, qu'ils ne voient ni ne connaissent plus le péril, et qu'ils ne savent point l'éviter. 334. Et afin que vous le craigniez davantage et que vous vous gardiez d'y tomber, vous devez faire réflexion que ce dragon vous épie depuis l'heure que vous fûtes créée et que vous naquites; qu'il rôde nuit et jour autour de vous, sans se reposer jamais, pour saisir l'occasion où vous lui donnerez prise, et qu'il observe vos inclinations naturelles et nième les faveurs que vous avez. reçues du Seigneur pour vous attaquer avec vos propres armes. Il complote votre perte avec les autres démons, et il promet des récompenses à ceux qui y travailleront avec plus d'ardeur; et c'est pour ce sujet qu'ils pèsent vos actions avec une grande exactitude, qu'ils mesurent vos pas, et, que tous s'emploient il vous tendre des pièges dans tout ce que vous entreprenez. Je veux que vous considériez tontes ces vérités en Dieu, oit vous en connaîtrez la portée; mesurez-les ensuite avec les données que vous fournit l'expérience, et vous verrez, en les examinant ainsi, s'il est raisonnable que vous vous endormiez au milieu de tant de dangers. Et quoique cette vigilance soit importante pour tous les vivants, elle vous est plus 143 nécessaire qu'à qui que ce soit, pour des raisons particulières; et, bien que je ne vous les déclare pas toutes maintenant, vous ne devez pas pour cela douter qu'il ne vous convienne d'apporter à tout ce que vous faites l'attention la plus scrupuleuse; il suffit que vous connaissiez votre caractère doux et faible, dont vos ennemis cherchent à se prévaloir contre vous. CHAPITRE XXVII. Le Seigneur prépare la très-pure Marie pour combattre contre Lucifer, et le dragon commence à la persécuter. 335. Le Verbe éternel, qui, ayant pris chair humaine dans le sein de Marie , la reconnaissait déjà pour sa Mère, et pénétrait les desseins de Lucifer, non-seulement par sa sagesse incréée en tant que Dieu, mais encore par sa science créée en tant qu'homme, veillait à la défense de son tabernacle, plus précieux que toutes les autres créatures. Et, pour revêtir notre invincible Dame d'une nouvelle force contre la folle témérité de ce traître dragon et de ses troupes perfides, sa très-sainte humanité se mut et se tint comme sur pied dans le tabernacle virginal, comme qui voudrait s'opposer et accourir au combat, et comme indignée 144 contre les princes des ténèbres. Dans cette posture elle pria le Père éternel, et lui demanda de renouveler ses faveurs et ses grâces envers sa Mère, afin qu'étant fortifiée de nouveau, elle brisât la tête de l'ancien serpent; afin qu'humilié et abattu parme femme, il vit ses projets déjoués et sa puissance affaiblie, de sorte que la Reine du Ciel sortît victorieuse et triomphante de sa lutte contre l'enfer, à la plus grande gloire et louange de Dieu lui-même et de la Mère Vierge. 336. La très-sainte Trinité accorda et décréta tout ce que notre Seigneur Jésus- Christ venait de demander. Et incontinent il le déclara d'une manière ineffable à sa très-pure bière, qui le portait dans son sein. Dans cette vision, une très-abondante plénitude de biens, de grâces et de dons inconcevables lui furent communiqués, et elle y connut par une nouvelle lumière de très-sublimes et très-profonds mystères que je ne puis exprimer. Elle apprit notamment que Lucifer couvait d'orgueilleux desseins coutre la gloire du Seigneur lui-même, et fabriquait de grandes machines de guerre, et que dans sa présomption cet ennemi allait jusqu'à se promettre de dessécher les pures eaux du Jourdain (1). Le Très-Haut lui dit, en lui révélant toutes ces choses ; " Mon Épouse et ma Colombe, l'ardente fureur du dragon infernal a contre mon saint nom et contre ceux qui l'adorent est si insatiable, que, dans l'excès de sa présomptueuse (1) Job., XL, 18. 145 audace il prétend les terrasser tous, sans en excepter aucun, et effacer mon nom de la terre des vivants. Je veux, ma bien-aimée, que vous preniez ma cause en main, et que vous défendiez mon saint honneur en combattant en mon nom contre ce cruel ennemi ; je serai avec vous dans le combat, puisque j'habite votre sein virginal. Et avant que de naître je veux que vous abattiez et confondiez les démons par ma vertu divine : car ils sont persuadés que la rédemption des hommes s'approche, et ils aspirent, avant qu'elle arrive, à les exterminer tous et à séduire les âmes qui sont dans le monde, sans en excepter aucune. Je confie cette victoire à votre fidélité et à votre amour. Vous combattrez en mon nom, et moi en vous contre ce dragon et cet ancien serpent (1). " 337. Cet avis du Seigneur, et la connaissance de mystères si cachés, firent naître de tels sentiments dans le coeur de la divine Mère, que je ne trouve point de termes pour déclarer ce que j'en sais. Notre très-zélée Reine, sachant que c'était la volonté de son très-saint. Fils qu'elle défendît l'honneur du Très-Haut , s'enflamma si fort dans son divin amour, et se revêtit d'une force si invincible, que si chaque démon eût été un enfer tout entier rempli de la fureur et de la malice de tous les autres, ils n'eussent tous été ensemble que de faibles, que d'imperceptibles fourmis, pour s'opposer à la puissance incomparable (1) Apoc., XII, 9. 146 de notre protectrice; elle les eût tous anéantis et vaincus par la moindre de ses vertus et par le zèle de la gloire et de l'honneur du Seigneur. Ce divin Défenseur et Rédempteur des hommes destina ce glorieux triomphe sur l'enfer à sa divine Mère; il voulut que ce fût elle qui réprimât l'arrogance superbe de ses ennemis, si impatients de perdre le monde avant que son salut lui vint; et que tous les mortels se reconnussent obligés, non-seulement à l'amour si inestimable de son très-saint Fils, mais aussi à leur divine Protectrice et Réparatrice, qui, allant au-devant de notre ennemi commun, l'arrêta, le vainquit et l'abattit, pour que le genre humain ne fût plus incapable et comme dans l'impossibilité de recevoir son Rédempteur. 333. O enfants des hommes, d'un coeur tardif et pesant ! Comment n'apprécions- nous pas tant d'admirables bienfaits, Seigneur? Qu'est-ce que l'homme, pour mériter que vous l'estimiez et que vous le favorisiez de la sorte (1) ? Vous engagez votre propre Mère et notre Maîtresse au combat et au travail pour notre défense. Qui a jamais ouï un tel exemple? Qui a pu trouver le secret d'un amour aussi fort et aussi ingénieux? Où est notre jugement? Quelle dureté est la nôtre? Qui a introduit dans nous une si noire ingratitude? Comment les hommes, si éperdument épris de l'honneur, ne rougissent-ils pas de. honte lorsqu'ils se rendent coupables d'une ingratitude aussi indigne, (1) Ps., I, 5. 147 aussi infâme, que d'oublier un pareil bienfait ? Le reconnaître, le paver de leur propre vie, voilà en quoi les mortels enfants d'Adam devraient faire consister la véritable noblesse, le véritable honneur. 339. La très-obéissante Mère s'offrit de combattre contre Lucifer, pour la gloire de son très-saint Fils, de son Dieu et le nôtre. Et, répondant à ce qu'il lui commandait, elle lui dit ; " Mon Seigneur et mon souverain bien, dont la bonté infinie m'a donné l'être, la grâce et la lumière, que je confesse d'avoir reçue, je suis, Seigneur, entièrement à vous, et vous êtes, par cette même bonté, mon Fils; faites de votre servante tout ce qui sera de a votre plus grande gloire et de votre boit plaisir; que si vous êtes, Seigneur, en moi, et moi en vous , qui sera assez puissant pour résister à votre volonté? Je serai l'instrument de votre bras invincible; fortifiez-moi , venez avec moi , et allons combattre contre l'enfer, contre le dragon et contre tous ses alliés. " Pendant que notre divine Reine faisait cette prière, Lucifer sortit de ses conciliabules avec un tel orgueil et une telle haine contre elle, qu'il semblait ne plus faire cas des autres âmes, dont il ne respire que la perte. Ft si nous pouvions nous faire une juste idée de cette fureur infernale, nous concevrions facilement ce que Dieu dit à Job de cet esprit rebelle, qu'il méprisait le fer comme la paille, et l'airain comme un bois pourri (1). Telle était la (1) Job., XLI, 18. 148 colère de ce dragon contre la très-sainte Vierge. Et comparativement elle n'est pas moindre maintenant contre les âmes, si nous y mettons quelque espèce de modification; car si son orgueil fait autant de mépris de la plus sainte et de la plus forte que d'une feuille sèche (1), que fera-t-il des pécheurs qui ne lui résistent non plus que de faibles roseaux ? La foi animée des bonnes oeuvres et l'humilité de coeur nous serviront de doubles armes pour le vaincre glorieusement (2). 342. Lucifer, voulant commencer de donner la bataille, assembla près de lui, avec leurs principaux chefs, les sept légions (3) qu'il destina, lors de sa chute du ciel, à tenter les hommes sur les sept péchés capitaux. Et il recommanda à chacun de ces escadrons d'attaquer vigoureusement notre innocente Princesse et d'employer contre elle leur plus grande adresse. En ce moment l'invincible Reine vaquait à l'oraison, et, le Seigneur le permettant, la première légion s'avança pour la tenter d'orgueil : car c'était le principal ministère de ses ennemis. Pour exciter les passions ou les inclinations naturelles par l'altération des humeurs du corps (c'est leur manière ordinaire de tenter les âmes), ils tâchèrent de s'approcher de notre divine Maîtresse, supposant qu'elle ressemblait aux autres créatures, sujettes, à cause de la faute originelle, aux passions désordonnées; mais ils ne purent l'aborder comme ils auraient voulu, (1) Job., XLI, 20. - (2) Ephes., VI, 16. - (3) Apoc., XII, 3. 149 parce qu'ils étaient repoussés par une force irrésistible et une odeur de sainteté qui les tourmentaient beaucoup plus que le feu qu'ils enduraient. Et bien qu'il en fût ainsi, bien que le seul aspect de la très-humble Marie les pénétrât d'une cuisante douleur, la rage qui les transportait contre elle était si violente, si excessive, qu'ils ne comptaient pour rien ce tourment, et ils s acharnaient à l'envi à s'en approcher davantage, brûlant de la troubler et de l'offenser. 341. Le nombre des démons était considérable, et la très-sainte Vierge n'était qu'une seule et simple femme; mais elle seule leur était aussi formidable et aussi terrible que plusieurs armées rangées en ordre de bataille (1). Ces ennemis l'attaquaient avec autant de violence que de malice (2). Mais notre auguste Princesse, voulant nous enseigner à vaincre, ne se donna point la peine de bouger; elle n'éprouva aucune altération, aucun changement, ni dans ses traits, ni dans son teint. Elle n'en fit non plus de cas que s'ils eussent été de petites fourmis, et elle les méprisa avec un coeur magnanime et invincible : car comme cette guerre se fait avec les vertus, il faut en exclure tout bruit, toute agitation extérieure, tout excès quelconque; il faut n'y apporter que sérénité, calme, paix au dedans, modestie au dehors. Ils ne parvinrent pag non plus à exciter ses passions ou ses appétits, parce que le pouvoir du démon ne s'étendait point jusque-là en notre Reine, qui était entièrement soumise (1) Cant., VI, 3. - (2) Ps. CXVIII, 85. 150 à la raison, et cette même raison à Dieu : le coup fatal du premier péché n'avait point dérangé l'harmonie de ses facultés, ni troublé leur accord , comme dans les autres enfants d'Adam. C'est pour cela que les flèches de ces ennemis étaient, ainsi que dit David , comme les flèches lancées par de petits enfants (1), et que leurs efforts ressemblaient au tir d'armes non chargées : toute leur force tournait contre eux-mêmes, parce qu'elle ne servait qu'à leur faire sentir plus vivement une infériorité qui les tourmentait. Et quoiqu'ils ignorassent l'innocence et la justice originelle de la très-chaste Marie, et due par conséquent ils ne s'aperçussent point qu'elle était inaccessible aux tentations communes, ils ne laissaient pas de conclure du caractère de grandeur et de constance empreint sur sa physionomie , qu'elle les méprisait et qu'ils lui nuisaient fort peu , ou, pour mieux dire, point du tout; car, ainsi que le dit l'évangéliste dans l'Apocalypse, et que je l'ai marqué. dans la première partie, la terre aida la femme revêtue du Soleil, lorsque le dragon lança contre elle les eaux impétueuses des tentations(2), parce que le corps terrestre de notre Dame n'était point vicié en ses facultés ni en ses sensations, comme les autres, qui ont été atteints par le péché. 342. Ces démons prirent des figures corporelles, terribles et épouvantables, et y joignant des hurlements, des cris et des rugissements effroyables, ils (1) Ps. LXIII, 8. - (2) Apoc., XII, 16. 151 faisaient entendre des bruits sinistres et menaçants, ils ébranlaient le sol ou la maison , comme si elle avait dit s'écrouler, et se livraient à d'autres extravagances semblables, pour troubler, épouvanter ou émouvoir la Princesse de l'univers; car ils se seraient crus victorieux s'ils eussent seulement remporté quelqu'un de ces avantages sur elle, ou s'ils l'eussent distraite de l'oraison. Mais aucun trouble, aucune altération, aucun changement ne se ;produisit dans le grand coeur de l'invincible Marie. Il faut remarquer ici que dans ce combat le Seigneur laissa sa très-sainte Mère dans l'état commun de la foi et des vertus qu'elle avait, lui suspendant l'influence des antres faveurs qu'elle recevait continuellement hors de ces occasions. Le Très-Haut le voulut ainsi, afin que le triomphe de sa Mère fût plus glorieux et plus excellent, outre plusieurs antres raisons que Dieu a dans cette manière de conduire les âmes : car dans cette conduite ses jugements sont impénétrables. Notre grande Reine disait quelquefois ; " Qui est semblable au Seigneur notre Dieu, qui habite les lieux les plus élevés, qui regarde les humbles dans le ciel et sur la terre (1)? j, Et par ces paroles elle abattait ces épées tranchantes des deux côtés qui la menaçaient. 343. Ces loups affamés changèrent leur peau' et prirent celle de brebis, laissant les figures épouvantables, et se transformant en anges de lumière tout resplendissants de beauté. Étant en la présence de (1) Rom., XI, 33; Ps. CXII, 5. 152 notre divine Dame, ils lui dirent: "Vous avez vaincu, vous avez vaincu, vous êtes forte, nous venons vous assister et récompenser votre invincible valeur; " et après lui avoir débité ces flatteries trompeuses, ils l'environnèrent et s'offrirent de la servir. Mais la très-prudente Reine recueillit tous ses sens , et s'élevant au-dessus d'elle-même (1), elle adora par le moyen des vertus infuses le Seigneur en esprit et en vérité (2) ; et méprisant les piéges de ces langues iniques et éloquentes en mensonges (3), elle s'adressa en ces termes à son très-saint Fils : " Mon Seigneur, mon Maître , ma force et véritable lumière de la lumière inaccessible , toute ma confiance n'est qu'en votre protection , et qu'en l'exaltation de votre saint Nom. J'anathématise et je déteste tous ceux qui en veulent ternir la gloire. " Ces artisans du mal s'obstinèrent à tenir des discours fabuleux à la Maîtresse de la science, et à élever par leurs fausses louanges au-dessus des étoiles Celle qui s'humiliait au- dessous des plus basses créatures; ils lui dirent qu'ils la voulaient distinguer entre toutes les femmes, et qu'ils prétendaient lui faire une faveur singulière, qui était de la choisir au nom du Seigneur pour Mère du Messie, afin que sa sainteté surpassât celle des patriarches et des prophètes. 344. Lucifer fut auteur d'une entreprise si extravagante, mais sa malice y est découverte, afin que les autres âmes la connaissent. C'était une chose bien (1) Thren., III, 28. - (2) Joan., IV, 23. - (3) Eccles., LI, 3. 153 ridicule que d'offrir à la Reine du ciel un titre qui lui appartenait déjà, et ils furent eux-mêmes trompés et abusés, non-seulement en ce qu'ils offraient ce qu'il leur était impossible de donner, mais en ce qu'ils ignoraient les secrets du grand Roi , renfermés en cette bienheureuse femme qu'ils persécutaient. La méchanceté du dragon fut pourtant fort grande, car il savait qu'il ne pouvait pas effectuer ce qu'il promettait ; mais il voulut voir si dans le cas où notre divine Dame eût été destinée à devenir la mère du Messie, elle montrerait d'une manière quelconque qu'elle le sût. La prudence de la très-sainte Vierge découvrit la fourberie de Lucifer ; et la méprisant , elle se tint dans une réserve sévère, et dans une constance admirable. Tout ce qu'elle fit parmi ces trompeuses flatteries, fut de continuer son oraison, et prosternée en terre d'adorer le Seigneur ; en le glorifiant, elle s'humiliait elle-même, et se croyait la plus méprisable de toutes les créatures, plus vile même que la poussière qu'elle foulait aux pieds. Pendant tout le temps que cette tentation dura, elle abattit l'orgueil de Lucifer par sa prière et par son humilité. Je n'ai pas cru devoir m'étendre davantage sur les autres cruautés et sur les autres mensonges que leur sagacité inspira aux démons dans cette rencontre, parce que ce que j'en ai dit suffit pour notre instruction, outre que l'on ne doit pas exposer toutes choses à l'ignorance ni à la faiblesse des créatures terrestres. 345. Ces ennemis de la première légion ayant été dissipés et vaincus , ceux de la seconde se présentèrent 154 pour tenter d'avarice celle qui était la plus pauvre du monde. Ils lui offrirent de grandes richesses, de l'or, de l'argent et des pierres précieuses. Et afin que leurs promesses ne parussent en l'air, ils lui présentèrent plusieurs trésors, quoiqu'ils ne fussent qu'apparents, dans la pensée que les objets présents et délectables avaient une grande force pour émouvoir la volonté. Ils étayèrent leur imposture de beaucoup de raisonnements perfides, et lui dirent que Dieu lui envoyait tout cela afin qu'elle le distribuât aux pauvres. Et comme elle ne voulait rien recevoir, ils changèrent de tactique, et lui alléguèrent que c'était une chose injuste qu'elle fuît si pauvre, puisqu'elle était si sainte, qu'il était bien plus raisonnable qu'elle fût maîtresse de ces richesses que tant de pécheurs et ennemis de Dieu, et que ce serait une injustice et un désordre de la providence du Seigneur, de tenir les justes dans la pauvreté, et les méchants dans l'abondance de toute sorte de bien. 346. C'est en vain, dit le Sage, qu'on jette le filet devant les yeux de ceux qui ont des ailes (1). Cela était vrai dans toutes les tentations que les démons inventèrent contre notre auguste Princesse; mais en celle de l'avarice, la malice du serpent était beaucoup plus insensée, puisqu'il tendait ses filets en des choses si terrestres et si viles contre celle qui était le phénix de la pauvreté, et qui, si loin de la terre, avait élevé son vol au-dessus des séraphins eux-mêmes. Jamais la (1) Prov., I, 17. 155 très-prudente Dame, quoique remplie d'une sagesse divine, ne se mit à raisonner avec ces ennemis; et c'est ce que personne ne doit faire non plus, puisqu'ils combattent contre la vérité évidente, à laquelle ils ne se rendront pas, bien qu'ils la connaissent. C'est pour cette raison que la sainte Vierge se prévalut de quelques paroles, de l'Ecriture, prononçant avec une humilité sévère celles du psaume CXVII Haereditate acquisivi testimonia tua in aeternum (1) " J'ai acquis, Seigneur, les témoignages de votre loi, pour être éternellement mon héritage. " Elle en joignit d'autres à celles-là, louant et bénissant le Très-Haut avec de vives actions de grâces de ce qu'il l'avait créée et conservée, et de ce qu'il l'assistait malgré son indignité. Et par cette conduite pleine de sagesse, elle vainquit et dissipa la seconde tentation, jetant dans une nouvelle confusion et dans de plus grands tourments tous ces ouvriers d'iniquité. 347. La troisième légion se présenta avec le prince impur qui s'attaque à la faiblesse de la chair; ils redoublèrent ici d'efforts, parce qu'ils y trouvèrent plus d'impossibilité à rien faire de ce qu'ils désiraient. Ainsi, ils y réussirent moins, si toutefois il peut, dans un cas, être question de moins par rapport aux autres. Ils essayèrent de la troubler par des suggestions honteuses et par des images abominables et monstrueuses. Mais tout cela se réduisit. en fumée, parce que la très-pure Vierge, reconnaissant la (1) Ps. CXVIII, 111. 156 nature de cette tentation, se recueillit aussitôt dans son intérieur, et suspendit l'usage de ses sens et toutes leurs opérations; de sorte qu'elle ne put être frappée par aucune de ces images : aucune de leurs espèces n'entra même dans sa pensée, car elle leur avait rendu toutes ses facultés inaccessibles. Elle renouvela plusieurs fois avec une volonté fervente le voeu de chasteté en la présence intérieure du Seigneur; et elle mérita plus dans cette occasion que toutes les vierges qui ont été et qui seront dans le monde. Le Tout-Puissant lui donna en cette matière une vertu telle, que la poudre allumée dans un canon ne pousse pas -la balle placée devant elle avec autant de force et de vitesse, que la très-pure Marie chassait les ennemis quand ils voulaient l'insulter par une tentation de ce genre. 348. La quatrième légion s'employa contre la douceur et la patience, tâchant d'irriter la très-douce colombe. Cette tentation fut plus incommode que les autres, parce que les ennemis bouleversèrent toute la maison. Ils rompirent et brisèrent tout ce qui s'y trouvait dans les circonstances et de la manière qu'ils croyaient les plus propres à fâcher la plus bénigne des créatures; mais les saints anges réparèrent aussitôt tout ce dommage. Les démons vaincus dans cette première attaque, prirent les figures de quelques femmes connues de la sérénissime Princesse, et. ils l'abordèrent ensuite avec, bien plus d'insolence et de fureur qu'elles n'eussent pu le faire elles-mêmes; ils lui dirent des injures atroces, et poussèrent 157 l'impudence jusqu'à la menacer et lui prendre des choses qui lui étaient les plus nécessaires. Mais toutes ces machinations n'étaient que frivoles pour qui en connaissait les auteurs, comme la pacifique Marie; car ils ne firent point un geste, point un acte dont elle ne- pénétrât la malice. Cela ne l'empêchait pas d'en faire entièrement abstraction sans trouble, sans émotion, mais avec une majesté de Reine qui se riait de tous ces efforts. 'Les malins esprits se doutèrent qu'ils étaient reconnus , et par suite ainsi méprisés. Ils .se servirent d'un autre instrument, qui fut une véritable femme d'un naturel propre à leur dessein: Ils l'excitèrent contre la Princesse du ciel avec un artifice diabolique, car un démon prit la forme d'une dé ses amies, et lui dit que Marie, femme de Joseph, l'avait déshonorée en son absence, disant d'elle plusieurs indignités que le même démon inventa. 349. Cette femme trompée, qui se mettait d'ail .leurs fort facilement en colère, alla trouver, remplie de fureur, notre très-douce brebis, la très-pure Marie, et lui dit en face toutes les injures que l'on peut imaginer. Mais notre paisible Reine lui laissant peu à peu épancher toute sa bile, lui parla ensuite avec tant d'humilité et de douceur, qu'elle la changea entièrement et lui attendrit le coeur. Et la voyant dans une assiette plus raisonnable, elle la consola, l'apaisa et l'avertit de se garder du démon; et après lui avoir fait quelque aumône, parce qu'elle était pauvre, elle la congédia en paix, de façon que ce piège se rompit, comme plusieurs autres que l'auteur du mensonge, 158 Lucifer, avait tendus , non-seulement pour irriter la très-douce colombe, mais aussi pour la déshonorer en même temps. Mais le Très-Haut pourvut à la défense de l'honneur de sa très-sainte bière au moyen de sa propre perfection , de son humilité et de sa prudence , en telle sorte que le démon ne parvint jamais à entamer d'aucun côté sa réputation, parce qu'elle agissait envers tous avec tant de sagesse , de douceur et do circonspection , que toutes les machines que le dragon dressait contre elle se détruisaient d'elles-mêmes sans produire aucun effet. La fermeté, la modération et la tranquillité que notre auguste Reine conserva dans ces sortes de tentations, firent l'admiration des anges; les. démons eux-mêmes étaient émerveillés ( quoique d'une manière fort différente ) de voir une créature humaine, et une femme, tenir une pareille conduite, car ils n'en avaient jamais trouvé aucune qui lui fût semblable. 350. La cinquième légion entra avec la tentation de la gourmandise , et bien que l'ancien serpent ne dit point à notre Reine de changer les pierres en pain, comme il le dit depuis à son très-saint Fils (1), parce qu'il ne lui avait pas vu faire d'aussi grands miracles, à cause qu'ils lui avaient été cachés, il la tenta néanmoins de gourmandise comme la première femme (2). Tous les démons de cette légion lui présentèrent les mets les plus délicats, dont le seul aspect aurait pu allécher et exciter son appétit; ils tâchèrent de lui (1) Matth., IV, 3. - (2) Gen., III, 1. 159 altérer les humeurs naturelles, afin qu'elle ressentit une sorte de fausse faim , et ils eurent recours à mille ruses pour l'engager à regarder avec quelque attention ce qu'ils lui offraient. Mais tous leurs soins furent vains et sans aucun effet , parce que le grand coeur de notre divine maîtresse était aussi élevé au-dessus de tous ces objets si matériels et si terrestres, que le ciel l'est au-dessus de la terre; et elle tint ses sens dans une telle retenue, qu'elle ne les aperçut presque point, car ses manières étaient entièrement opposées à celles de notre imprudente mère Eve, qui, sans se méfier du danger, arrêta ses regards sur l'arbre de la science et sur la séduisante beauté de son fruit, puis tendit la main et en mangea, ouvrant ainsi la source de tous nos malheurs (1). C'est ce que la très-prudent. Vierge ne fit point, puisqu'elle interdit tous ses sens dans une occasion où elle ne courait pourtant point lé même péril que la première femme; aussi celle-ci fut-elle vaincue pour notre perte, taudis que notre grande Reine fut victorieuse pour notre salut et notre rédemption. 351. La sixième légion arriva avec les tentations de l'envie, découragée d'avance par la défaite des légions qui l'avaient précédée; car si elles ne connaissaient pas toute la perfection avec laquelle opérait la Mère de la sainteté, elles n'en sentaient pas moins sa force irrésistible, et elles la trouvaient si inébranlable, qu'elles désespéraient de réussir auprès d'elle (1) Gen., III, 6. 160 dans aucun de leurs desseins dépravés. Cependant la haine implacable du dragon ne se rebutait pas plus que son orgueil démesuré ne fléchissait ; au contraire, il ordonna à ses ministres d'iniquité de dresser de nouvelles machines pour pousser celle qui était toute embrasée de charité. envers le Seigneur et envers le prochain, à envier aux autres ce qu'elle-même possédait, ou ce qu'elle rejetait comme inutile et dangereux. Ils lui firent une longue relation de plusieurs perfections naturelles que d'autres personnes avaient, lui disant que Dieu ne lui avait pas départi les mêmes biens, Et comme si les dons surnaturels devaient plus sûrement la piquer d'émulation, ils lui parlèrent de faveurs insignes, que la droite du Tout-Puissant avait faites à d'autres, et non point à elle. Mais comment était-il possible que ces récits menteurs fissent chanceler Celle qui était la Mère de toutes les grâces et de tous les dons du ciel? Car tout ce que les créatures ensemble pouvaient avoir reçu du Seigneur, était fort au-dessous de la dignité de Mère de l'auteur de la grâce, et celle que sa divine Majesté lui avait départie, aussi bien que le feu de la charité qui brûlait continuellement dans son coeur, lui faisaient souhaiter avec des ardeurs incroyables que la droite du Très-Haut les enrichit et les favorisât avec munificence. Or comment l'envie aurait-elle pu trouver sa place là où abondait la charité (1)? Les cruels ennemis ne se désistaient pourtant pas de leur entreprise. Ils (1) I Cor., XIII, 4. 161 représentèrent ensuite à notre divine Reine le bonheur apparent de plusieurs qui s'estimaient fort heureux en cette vie, et qui se distinguaient dans le monde par leurs grandes richesses. Et ils suscitèrent en mime temps diverses personnes qui allèrent voir la pauvre Vierge Marie et lui dépeignirent les jouissances que leur procuraient l'opulence et la fortune : comme si cette félicité trompeuse des mortels n'eût point été condamnée très-souvent dans les divines Écritures (1); et c'était la haute doctrine que la Reine du ciel et son très-saint Fils venaient enseigner, au monde parleurs exemples (2). 352. Notre divine Maîtresse exhortait ces mêmes personnes à user saintement des dons et des richesses temporelles, et à en rendre grâces à Celui qui en était l'auteur, et c'est ce qu'elle-même faisait pour suppléer à l'ingratitude ordinaire des hommes. Et quoique la très-humble Dame se crût indigne du moindre bienfait du Très-Haut, en réalité sa dignité suprême et sa très-haute sainteté protestaient en elle du contraire, puisque c'était eu. son nom que lés sacrées Écritures avaient dit: Les richesses et la gloire sont avec moi, la magnificence et la justice; car les fruits que je porte sont plus estimables que l'or et les pierres précieuses (3). En moi repose toute la grâce de la voie et de la vérité; en moi se trouve toute l'espérance de la vie et de la vertu (4). Par cette excellence et cette supériorité, (1) Ps. XLVIII; Eccles., V, 9; Jerem., XVII, 11 - (2) Matth., XIX, 24; I Tim., VI, 9, et alibi. - (3) Prov., VIII, 18 et 19. - (4) Eccles., XXXIV, 25. 162 elle vainquait les ennemis, les laissant comme étonnés et confus de voir que là où ils déployaient toutes leurs forces et toutes leurs ruses, ils n'aboutissaient qu'à une plus honteuse et plus complète défaite. 353. Ils s'obstinèrent néanmoins dans leurs attaques, puisqu'ils firent avancer la septième légion , celle de la paresse ; ils prétendaient l'introduire en l'auguste Marie en tâchant de lui faire éprouver quelques infirmités corporelles, une certaine lassitude, ou langueur, ou tristesse. C'est là une de leurs ruses les moins connues, par le succès de laquelle le péché de paresse fait de grands ravages en beaucoup d'âmes, et les empêche d'avancer dans la vertu. Ils firent encore d'autres tentatives pour tâcher de lui persuader qu'étant fatiguée, elle pouvait bien différer quelques exercices, jusqu'à ce qu'elle se trouvât mieux disposée; ce qui n'est pas une moindre fourberie que quand ils nous trompent en des choses plus considérables; et nous n'y prenons pas assez garde, car souvent nous ne nous en apercevons même pas. Enfin ils cherchèrent à troubler notre très-sainte Dame dans quelques-uns de ses exercices, par l'entremise de créatures humaines, auxquelles ils suggérèrent la pensée de l'aller voir à contre-temps, afin qu'elles la détournassent de ses saintes occupations, n'y en ayant pas une qui n'eût son heure réglée. Mais la très-prudente et très-diligente Princesse connaissait toutes ces malicieuses inventions, et les détruisait par sa sagesse et par sa ponctualité, sans que l'ennemi. pût jamais 163 empêcher qu'elle n'opérât en tout avec toute la plénitude de la perfection. Ces ennemis restèrent comme désespérés et épuisés , et Lucifer fut saisi d'un accès de rage contre ses satellites et contre lui-même. Mais, puisant bientôt une nouvelle fureur dans leur orgueil, ils résolurent d'attaquer tous ensemble leur adversaire, comme je le dirai dans le chapitre qui suit. Instruction que la Reine de l'univers me donna. 354. Ma fille, quoique vous ayez réduit en abrégé le récit du long combat de mes tentations; je veux que vous tiriez de ce que vous en avez écrit, aussi bien que du reste que vous avez connu en Dieu, les règles et les instructions pour résister à l'enfer et pour en triompher. La meilleure manière de le combattre, c'est de mépriser le démon en le considérant comme ennemi de Dieu, privé de la sainte crainte de ses enfants, sans espérance d'aucun bien, abandonné dans son malheur, obstiné dans sa méchanceté et incapable de s'en repentir. Appuyée sur cette vérité infaillible, vous devez paraître contre lui avec un air de supériorité et avec un coeur magnanime et. inébranlable, le traitant en contempteur de l'honneur et du culte de son Dieu. Et sachant que vous défendez une cause si 164 juste, vous ne devez pas perdre courage (1) au contraire, vous devez lutter sans cesse et opposer à toutes ses entreprises la résistance la plus énergique, comme si vous étiez à côté du même Seigneur pour le nom duquel vous combattez; puisqu'il est sûr que sa divine Majesté assiste ceux qui combattent fidèlement. Vous êtes dans un état d'espérance et prédestinée à la gloire éternelle, si vous travaillez avec persévérance pour votre divin Maître. 355. Or, considérez que les démons abhorrent d'une haine implacable ce que vous aimez et ce que vous désirez, c'est-à-dire l'honneur de Dieu et votre félicité éternelle, et qu'ils veulent vous priver de ce qu'ils ne peuvent recouvrer. Mais Dieu a réprouvé le démon, et il vous offre sa grâce, sa vertu et sa force pour vaincre son ennemi et le vôtre, et pour parvenir à votre heureuse fin du repos éternel, si vous travaillez avec fidélité et si vous observez les commandements du Seigneur. Quoique l'arrogance du dragon soit grande, sa faiblesse est encore plus grande (2) ; ce n'est qu'un misérable atome aux yeux de la puissance divine. Mais comme il surpasse tant les mortels en ruses et en malice (3), il ne faut pas qu'une âme s'amuse à raisonner avec lui, soit qu'il se rende visible, soit qu'il agisse d'une manière invisible; car il sort du sombre fonds de son entendement, comme d'une fournaise allumée , de confuses ténèbres qui obscurcissent le jugement des mortels; et s'ils (1) Eccles., IV, 33. - (2) Isa., XVI, 6. - (3) Job., XLI, 24. 165 l'écoutent, il les remplit de:, faussetés;et de . troubles, afin qu'ils ne connaissent ni la vérité, ni la beauté de la vertu ; ni la perfidie de ses douceurs empoisonnées. Et alors les âmes ne savent distinguer le précieux .d'avec le méprisable (1), la vie de la mort, ni la vérité du mensonge; de sorte qu'elles tombent sous le, pouvoir de cet impie et cruel dragon,. 356. Faites-vous une règle, inviolable,de ne point faire de cas de ce qu'il vous propose dans les tentations, de ne pas l'écouter et de ne point approfondir la chose. Et si vous pouvez vous en débarrasser et vous en éloigner de telle sorte que vous ne l'aperceviez plus, que vous oubliiez sa mauvaise intention, ou que vous ne regardiez plus les tentations que de bien loin, ce vous sera le plus assuré; car le démon prend toujours quelques mesures préparatoires, avant d'envoyer la tentation, surtout à l'égard des âmes dont il prévoit la résistance, s'il ne s'en facilite l'entrée auparavant. Ainsi il a coutume de commencer l'attaque par la tristesse, par l'abattement de coeur ou par quelque mouvement violent, afin de les distraire de la pensée et de l'affection du Seigneur; et ensuite il leur présente le poison dans une coupe d'or, afin qu'il ne leur cause pas tant d'horreur. A l'instant que vous reconnaîtrez en vous quelqu'une de ces marques (puisque vous avez déjà l'expérience, l'obéissance et les instructions nécessaires), Je veux que vous preniez votre essor avec des ailes de colombe, et que vous (1) Jerem., IV, 19. 166 vous éloigniez de l'ennemi jusqu'à ce que vous soyez arrivée dans le refuge du Très-Haut (1), le priant de vous être favorable , et lui offrant les mérites de mon très-saint Fils. Vous devez également recourir à ma Protection, comme à votre Mère et Maîtresse, et à celle des anges qui vous assistent, aussi bien que de tous les autres du Seigneur. En outre, fermez tous vos sens avec beaucoup de diligence; regardez-vous comme morte ou comme une âme de l'autre vie, sur laquelle le pouvoir tyrannique du serpent ne s'étend point. Appliquez-vous alors avec plus de zèle aux exercices des actes des vertus contraires aux vices qu'il vous propose; multipliez surtout les actes de foi, d'espérance et d'amour divin, pour bannir la lâcheté et la crainte par lesquelles la volonté s'affaiblit et mollit dans sa résistance (2). 357. Il faut que vous cherchiez en Dieu seul les raisons pour vaincre Lucifer; et vous ne devez point les communiquer à cet ennemi, de peur qu'il ne vous remplisse de confuses illusions. Regardez comme une chose indigne (outre qu'elle est dangereuse) de vous arrêter avec l'ennemi de Celui que vous aimez aussi bien que le vôtre. 1llontrez-vous magnanime et supérieure à lui; protestez de vouloir toujours pratiquer toutes les vertus. Et, contente de ce trésor, vous devez vous y retirer comme dans un asile assuré; car la plus grande adresse des enfants de Dieu dans ce combat est de fuir bien loin, parce que le démon, rempli (1) Ps. LIV, 6 et 7. - (2) I Joan., IV, 18 167 d'orgueil, se confiant en son audace et en ses ruses, souhaite qu'on l'écoute, et se rebute quand on le méprise. De là vient l'acharnement avec lequel il travaille à se ménager au moins une entrevue quelconque : car le menteur ne peut pas se confier en la force de la vérité, puisqu'il tic la dit jamais; ainsi il compte sur ses importunités, et sur l'art avec lequel il déguise ses tromperies sous les apparences du bien et de la vérité. Et tant que ce ministre d'iniquité tic voit point qu'on le méprise, il ne peut jamais croire qu'on l'ait reconnu; c'est pourquoi il se tourne, comme une mouche importune, du côté qu'il voit le plus proche de la corruption. 358. Vous ne devez pas être moins sur vos gardes quand votre ennemi se servira des autres créatures contre vous; ce qu'il peut faire par deux différentes voies, en les portant soit il un amour désordonné, soit au contraire à une haine excessive. Lorsque vous remarquerez une affection trop vive en ceux qui vous fréquenteront, observez les mêmes maximes qu'en fuyant le démon, avec cette différence que vous détesterez cet esprit de ténèbres, que vous considèrerez les autres créatures comme les ouvrages du Seigneur et que vous ne leur refuserez point ce que vous leur devez eu Dieu et pour Dieu. Mais eu ce qui concernera leur fuite, regardez-les tous comme des ennemis; car pour ce que Dieu demande de vous et dans l'état où vous êtes, celui qui voudra par lui-même ou par autrui vous éloigner du Seigneur et de ce que vous lui devez sera un démon. Que si, par une autre extrémité, on 167 vous haît, on vous persécute, opposez aux mauvais procédés et aux mauvais traitements l'amour et la mansuétude, priant pour ceux qui vous baissent et vous persécutent; et que ce soit avec une affection sincère de votre coeur. Et s'il était nécessaire de calmer quelque personne irritée par des paroles douces ou par quelque éclaircissement en faveur de la vérité, vous ne manquerez pas de le faire; non pas pour vous disculper, mais seulement afin d'apaiser vos frères, pour leur propre bien et pour leur paix intérieure et extérieure : et par cette charitable conduite vous triompherez tout à la fois et de vous-même et de ceux qui vous en veulent. Pour établir tout cela, il faut couper, arracher jusqu'à la dernière racine les péchés capitaux , en mourant à tous lés mouvements, à tous les appétits de la nature, où germent les vices dont le démon se sert pour tenter les âmes; car il les sème tous dans les passions et dans les appétits désordonnés et immortifiés. CHAPITRE XXVIII. Lucifer et les sept légions continuent à tenter la très-sainte Vierge. - La tête de ce dragon est vaincue et brisée. 359. Si le prince des ténèbres était capable de reculer dans sa malice, son orgueil démesuré aurait été 169 rebuté et humilié par les victoires que la Reine du ciel avait remportées. Mais comme il se révolte toujours contre Dieu (1) sans pouvoir assouvir sa malice, quoique vaincu, il ne se rendit pas encore. Ce qui attisait le feu de son inextinguible fureur, c'était de se voir vaincu, et vaincu à ce point par une humble et faible femme, lorsque lui et ses ministres infernaux avaient soumis un si grand nombre d'hommes courageux et de femmes magnanimes. Cet ennemi parvint à connaître, Dieu le permettant ainsi, la grossesse de la très-pure Marie : il sut seulement toutefois qu'elle portait un enfant véritable, la divinité et les autres mystères restant toujours cachés à ses ennemis; de sorte qu'ils se persuadèrent que ce n'était point le Messie promis, puisque c'était un enfant semblable aux autres hommes. Cette méprise les dissuada aussi que la très-sainte Vierge fût cette Mère du Verbe qu'ils craignaient tant, parce que le Fils et la Mère devaient leur écraser la tète. Néanmoins ils conjecturèrent que quelque grand personnage d'une sainteté insigne naîtrait d'une femme qui leur avait fait paraître tant de force, et qui avait remporté sur eux de tels avantages. Et prévoyant cela, le dragon conçut coutre le, fruit de l'auguste Marie cette fureur que dépeint saint Jean dans le chapitre douzième de l'Apocalypse, et dont j'ai fait mention dans la première partie, attendant qu'elle l'eût enfanté pour le dévorer. 360. Lucifer regardant cet enfant renfermé dans (1) Ps. LXXIII, 23. 170 le sein de sa très-sainte Mère, ressentait une force secrète qui l'accablait. Et bien qu'il comprit seulement qu'en sa présence il se trouvait réduit it l'impuissance et comme enchaîné, cela suffisait pour exciter sa fureur et lui inspirer le dessein de travailler par tous les moyens possibles à détruire cet enfant si suspect à ses yeux, et à perdre la mère, qu'il reconnaissait lui être si supérieure dans le combat. Il se fit voir à notre divine Dame sous diverses figures épouvantables, comme sous celle d'un méchant taureau et d'un dragon formidable; il prit encore d'autres formes pour s'approcher d'elle, mais il ne le pouvait pas. Il faisait tous ses efforts pour l'attaquer de près, et il en était empêché sana savoir par qui ni comment. Il se débattait comme une bête féroce qui se trouve enchaînée; et jetait des hurlements si effroyables, que si Dieu ne les eût étouffés, ils auraient. rempli le monde de terreur, et que beaucoup de gens seraient morts de frayeur. Il vomissait du feu mêlé avec une fumée de soufre et de l'écume venimeuse, et la divine Marie voyait et entendait tout cela sans pâtir, sans s'émouvoir plus que si elle n'eût vu qu'un petit moucheron. Il causa d'antres désordres en l'air, sur la terre et dans la maison par des tempêtes et des bouleversements,.sans que notre auguste Reine perdît la tranquillité intérieure ni la sérénité extérieure, car elle fut toujours invincible et victorieuse en tout. 361. Lucifer se voyant vaincu avec tant de confusion, ouvrit sa bouche pleine de mensonges et de blasphèmes, et versa tout ce qui lui restait de méchanceté, 171 proposant et. énonçant, ci, présence de notre divine Princesse, toutes les hérésies infernales qu'il avait forgées avec l'aide de ses ministres d'iniquité. Car après qu'ils furent tous chassés du ciel et qu'ils eurent appris que le Verbe devait prendre chair humaine pour être le chef d'un peuple qti il comblerait de faveurs et enrichirait d'une doctrine céleste, le dragon résolut d'inventer des erreurs, des sectes et des hérésies contre toutes les vérités qu'il découvrirait quant à la connaissance, à l'amour et au culte du Très-Haut. Les démons s'occupèrent à cela pendant tout le temps qui s'écoula jusqu'à la venue de notre Seigneur Jésus-Christ; et Lucifer, l'antique serpent, avait amassé dans son sein tout ce venin qu'il vomit par flots contre la Mère de la vérité et de la pureté; et souhaitant de l'en infecter, il dit tontes les erreurs qu'il avait forgées jusqu'à ce jour contre Dieu et coutre sa vérité. 362. Il n'est pas convenable de les rapporter ici , non plus que les tentations. du chapitre précédent, parce que ces détails seraient dangereux non-seulement pour les faibles, mais pour les plus forts même , qui doivent craindre ce souffle empoisonné de Lucifer, qui jeta tout son venin dans cette occasion. Et je crois certainement, par ce qui m'en a été révélé, qu'il n'y eut aucune erreur, aucune idolâtrie, ni aucune hérésie de celles qui ont été reconnues jusqu'aujourd'hui dans le monde, que ce dragon ne soutint devant l'auguste Marie, afin que la sainte Église pût chanter d'elle avec toute vérité, en la félicitant de ses victoires, 172 qu'elle seule dissipa et étouffa toutes les hérésies de l'univers (1). C'est ce que fit notre Sulamite victorieuse (2), car il n'y avait en elle que des bataillons de vertus, rangés en très-bel ordre pour défaire., confondre et anéantir les troupes infernales. Elle détruisit toutes leurs faussetés en général, aussi bien qu'en particulier, elle les détesta et les anathématisa avec une foi inébranlable et par une très-sublime confession, attestant les vérités contraires et s'en servant pour glorifier le Seigneur, comme vérace, juste et saint, par des cantiques de louanges qui exprimaient toutes les vertus et la doctrine saine, pure, sainte et louable. Elle demanda au Seigneur par une ardente prière d'humilier en cela l'insolence et l'orgueil des démons, d'empêcher qu'ils ne répandissent une doctrine si empoisonnée dans le monde, et de ne pas permettre le triomphe des erreurs qu'ils y avaient semées, et de celles qu'ils tâcheraient d'introduire à l'avenir parmi les hommes. 363. Je compris qu'à cause de cette grande victoire que remporta, et de la prière que fit notre divine Reine, le Très-Haut empêcha par justice le démon de semer dans le monde autant d'ivraie d.'erreurs qu'il souhaitait et que les,péchés des hommes méritaient. Et quoiqu'ils aient donné naissance à tant d'hérésies et de sectes qu'on y a vues jusqu'à ce jour, le nombre en eût néanmoins été bien plus grand, si l'invincible Marie n'eût brisé la tête du dragon par (1) Offic. Eccl. B. Marias. - (2) Cant., VII, 1. 173 tant d'insignes victoires et de ferventes prières. Et ce qui peut diminuer `l'amertume de notre douleur en voyant la sainte Église affligée par tant d'ennemis infidèles, est un grand mystère qui m'a été découvert ici. C'est que dans ce triomphe de l'auguste Marie, et dans un autre qu'elle remporta après l'ascension de son très-saint Fils, et dont je parlerai dans la troisième partie, sa divine Majesté accorda à notre Reine, en récompense de ces combats, d'obtenir par son intercession et par ses vertus la chute et l'extinction des hérésies et des fausses sectes. qui s'élèveraient dans le monde contre la sainte Église. Le temps que Dieu a marqué pour une si grande faveur ne m'a pas été découvert; mais bien que l'exécution de cette promesse du Seigneur soit soumise à quelque condition tacite ou secrète , je suis sûre que si les princes catholiques et leurs sujets servaient convenablement cette grande Reine du ciel et de la terre, s'ils l'invoquaient comme leur unique avocate et protectrice, et s'ils consacraient toute leur puissance, toutes leurs richesses, toutes leurs ressourcés et toute leur autorité à l'exaltation de la foi et à la gloire du nom de Dieu et de la très-pure Marie (ce qui pourrait bien être la condition de la promesse), sa divine Majesté en ferait comme ses instruments pour détruire et abattre les infidèles, et pour bannir les sectes et les erreurs qui causent tant de ravages dans le monde, et il est certain qu'ils remporteraient sur eux de grandes et éclatantes victoires. 364. Avant que notre Rédempteur Jésus-Christ 173 naquit, le démon crut, comme je l'ai insinué dans le chapitre précédent, que sa venue était retardée par les péchés du monde; et pour l'empêcher tout à fait, il résolut de grossir cet obstacle en multipliant de plus en plus les erreurs et les désordres parmi les mortels; mais le Seigneur confondit cette orgueilleuse malice par le ministère de la très-pure Marie, au moyen des insignes triomphes qu'elle remporta. Après qu'il fut né Dieu et homme pour nous, et qu'il fut mort pour nous racheter, ce même dragon prétendit empocher le fruit de son sang et l'effet de notre rédemption , et dans ce but il commença d'inventer et de semer les erreurs qui ont affligé et qui affligent la sainte Église depuis les apôtres. Notre Seigneur Jésus- Christ a remis aussi à sa très-sainte Mère la victoire sur cette méchanceté infernale, parce qu'elle seule a mérité et put mériter cette puissance. C'est par elle que l'idolâtrie a été dissipée à la prédication de l'Évangile, par elle que plusieurs autres sectes anciennes ont été détruites, comme celles d'Arias, de Nestorius, de l'étage et de tant d'autres hérésiarques; c'est encore elle qui a secondé les efforts et les soins des rois, des princes , des pères et des docteurs de la suinte Église. Or comment peut-on douter que si à présent les mêmes princes catholiques, tant ecclésiastiques que séculiers, prenaient avec un zèle ardent les mesures en lotir pouvoir pour concourir pour ainsi dire à l'œuvre de cette divine Dame, elle ne fût toujours prote à les assister et à les rendre très-heureux eu cette vie et en l'autre, enfin qu'elle ne 175 détruisit toutes les hérésies qui infestent le monde C'est pour cette raison que le Seigneur a tant enrichi son Église , les royaumes et les monarchies catholiques, car sans cela il vaudrait mieux qu'ils fussent dans la pauvreté. Il n'était pas aussi convenable que tout se fit par la voie des miracles; il fallait donc les laisser agir par les moyens naturels que leur ménageaient les richesses. Mais ce n'est pas à moi à juger s'ils s acquittent de cette obligation , ou s'ils y manquent. Je dois seulement dire ce que le Seigneur m'a fait connaître, me déclarant que ceux-là sont d'injustes possesseurs des titres honorables et du pouvoir suprême que l'Église leur donne, qui ne l'aident ni lie la défendent, et qui n'emploient pas toutes leurs forces et toutes leurs richesses pour empocher que le fruit du sang de notre Seigneur Jésus- Christ ne se perde, puisque c'est en cela que les princes chrétiens se distinguent des infidèles. 365. Reprenant mon discours, je dis que le Très-Haut connut par sa prescience infinie l'iniquité du dragon infernal, et prévit que s'il pouvait satisfaire sa haine contre l'Église en répandant toutes les erreurs qu'il avait inventées, il troublerait beaucoup de fidèles, et ferait tomber par sa malice les étoiles du ciel militant, qui sont les justes (1); de sorte que la divine justice serait toujours plus provoquée, et le fruit de la rédemption presque empoché. C'est pourquoi le Seigneur résolut, dans sou immense miséricorde, de (1) Apoc., XII, 4. 176 détourner ce fléau qui menaçait le monde. Et pour', disposer toutes choses avec plus d'équité et à la plus grande gloire de son saint nom , il voulut que l'auguste Marie lui fit violence; car elle seule entre toutes les pures créatures était digne des privilèges, des dons et des prérogatives nécessaires pour vaincre l'enfer, cette incomparable Dame étant seule capable d'une entreprise si difficile et de subjuguer le coeur de Dieu lui-même par sa sainteté, sa pureté, ses mérites et ses prières. Rien ne pouvait rehausser davantage l'éclat de la puissance divine, que de montrer pendant toute l'éternité que le Seigneur avait vaincu Lucifer et tous ses ministres par le moyen d'une simple créature et d'une femme, comme il avait lui-même perdu le genre humain par le moyen d'une autre; et aucune ne pouvait mieux remplir ce rôle glorieux que sa propre Mère, à qui il voulait que l'Église et le monde entier dussent faire remonter ce bienfait; c'est pour cette raison et pour plusieurs autres que nous connaîtrons en Dieu que sa divine Majesté confia le glaive de sa puissance à notre victorieuse Reine, afin qu'elle abattit le dragon infernal , avec la certitude que ce pouvoir ne serait jamais révoqué, et qu'elle s'en servirait au contraire, du haut du ciel pour défendre et protéger l'Église militante, selon les travaux et les besoins qui lui surviendraient dans les temps à venir. 366. Or Lucifer, persévérant dans son malheureux . dessein, sous une formevisible, comme je l'ai dit, avec ses légions infernales, la sérénissime Marie ne daigna jamais les regarder, ni en faire le moindre cas , quoi 177 qu'elle les entendit, ainsi qu'il était convenable. Et comme l'on ne peut pas empêcher l'ouïe, ni se boucher les oreilles aussi bien que les yeux, elle faisait eu sorte qu'aucune espèce de ce qu'ils lui disaient n entrât dans son imagination ni dans son intérieur. Elle ne leur adressa parfois la parole que pour leur commander de cesser leurs blasphèmes. Et ce commandement était si efficace, qu'il les forçait de se mettre la bouche contre terre; et pendant qu'ils étaient dans cet abaissement, notre auguste Princesse chantait les louanges et célébrait la gloire du Très-Haut; seulement à l'entendre converser avec la Majesté suprême, et confesser hautement les vérités divines, ils étaient si abattus et si tourmentés , qu'ils se mordaient les uns les autres comme des chiens enragés, ou comme des loups carnassiers; car la moindre action de notre invincible Reine était une flèche enflammée, la moindre de ses paroles, un éclair qui les perçait d'une douleur plus cuisante que le feu même de l'enfer. Ce n'est pas une, exagération, puisque le dragon et ses satellites prétendirent fuir et s'éloigner de la présence de la sainte Vierge, qui les humiliait et les tourmentait; mais.le Seigneur les arrêtait par une force occulte, afin d'augmenter le glorieux triomphe de sa Mère et de son Épouse, et pour confondre d'autant plus et écraser l'orgueil de Lucifer. C'est pour. cela que sa divine Majesté permit et même ordonna que les démons s'humiliassent jusqu'à demander à notre incomparable Dame de les éloigner et de les chasser de sa présence, là où elle voudrait. Alors elle leur enjoignit 178 impérieusement de retourner dans l'enfer, 05 ils demeurèrent quelque espace de temps. Et la grande triomphatrice resta tout absorbée dans les divines louanges et dans les actions de grâces. 367. Lorsque le Seigneur eut permis à Lucifer de se relever, cet ennemi de la paix retourna au combat, usant pour instruments de certains voisins de la maison de saint Joseph; et ayant semé une diabolique zizanie entre eux et leurs femmes sur quelques intéréts temporels, le démon prit la forme d'une commune amie, et leur dit qu'ils n'avaient pas sujet de se tourmenter de la sorte les uns contre les autres, parce que Marie, femme de Joseph , était cause de toute cette dispute. La femme que le démon représentait avait du crédit et de l'autorité, et c'est par là qu'il leur persuada mieux son imposture. Et bien que le Seigneur ne permit pas qu'on attaquât la réputation de sa très-sainte Mère en des choses considérables, néanmoins il consentit à ce que toutes ces personnes trompées exerçassant dans cette occasion sa patience, pour augmenter sa gloire et sa couronne. Elles allèrent de compagnie à la maison de saint Joseph, et ayant appelé la très-innocente Marie, elles lui dirent en présence de son époux des paroles pleines d'aigreur, l'accusant de les inquiéter et de troubler la paix de leurs familles. Ce reproche fut sensible à notre très-sainte Dame, à cause de la peine que saint Joseph en recevait; en outre, il avait déjà remarqué quelque chose de sa grossesse, et elle pénétrait son coeur et ses pensées, qui commençaient à lui donner quelque 179 souci. Elle tâcha néanmoins, dans sa sagesse et sa prudence, de vaincre cette imposture par l'humilité, par la patience et par une foi ferme et inébranlable. Elle ne voulut point se disculper ni faire paraître son innocence; au contraire elle s'humilia, et pria ces voisines abusées de lui pardonner si elle les avait offensées en quelque chose, et de calmer leurs esprits; et par des paroles pleines de raison et de douceur elle les éclaira et les pacifia, en leur montrant qu'elles n'étaient point coupables les unes envers les autres. Satisfaites alors, et édifiées de l'humilité avec laquelle elle leur avait répondu, ces femmes s'en retournèrent en paix à leurs maisons, et le démon prit la fuite, parce qu'il ne put supporter une si haute sainteté ni une sagesse si céleste. 368. Saint Joseph resta un peu triste et pensif, et se laissa aller à de pénibles réflexions, comme je le dirai dans les chapitres qui suivent. Mais le démon, qui ne perd aucune occasion de nuire aux hommes, quoiqu'il ignorât le principal motif de son chagrin, voulut se prévaloir de celle-ci pour l'inquiéter. Or, après s'être demandé s'il fallait attribuer ce trouble à quelque déplaisir que le saint eût reçu de son épouse, ou à la pauvreté dans laquelle il se trouvait, il visa à son but en conséquence de ces deux suppositions, également fausses. Ainsi cet ennemi de la paix suggéra à saint Joseph de sombres pensées pour le dégoûter de sa pauvreté et la lui faire supporter avec impatience et tristesse; et en même. temps il lui représenta que son épouse Marie passait beaucoup de 180 temps dans ses exercices et dans ses oraisons, qu'elle ne travaillait guère, et qu'eu égard à sa condition elle n'était pas assez active ni laborieuse. Mais saint Joseph, déjà élevé à une sublime perfection, avait le coeur trop droit et trop magnanime pour ne point mépriser ces inventions diaboliques et les rejeter bien loin, outre que la peine intérieure que la grossesse de son épouse lui causait, l'occupait si fort, qu'elle seule suffisait pour lui faire oublier toutes les autres. Et le Seigneur, tout en le laissant dans ces premières inquiétudes, le délivra de la tentation du démon par l'intercession de la sainte Vierge, qui était attentive à tout ce qui se passait dans le coeur de son très-fidèle époux, et qui pria son très-saint Fils de vouloir se contenter de la peine que sa grossesse lui donnait, et de le soulager des autres. 369. Le Très-Haut ordonna que la Princesse du ciel soutint un si long combat contre Lucifer, et permit à cet esprit de ténèbres, accompagné de toutes ses légions, d'employer encore tout ce qui lui restait de force et de malice, afin qu'ils fussent en tout et partout humiliés et vaincus, et que notre divine Dame remportât le plus grand triomphe que jamais aucune pure créature ait pu obtenir sur l'enfer. Toutes ces troupes rebelles se présentèrent avec leur chef infernal devant l'auguste Marie, et, pleines d'une fureur indicible, elles lui livrèrent- un nouvel assaut avec toutes les tentations réunies dont elles s'étaient servies auparavant pour des attaques partielles; elles redoublèrent, s'il était possible, leurs efforts; mais 181 je n'entre point dans les détails, car ils se trouvent presque tous dans les deux chapitres précédents. Quant 'à notre incomparable Reine, elle resta aussi ferme et aussi tranquille que l'auraient été les plus hautes hiérarchies des anges, s'ils eussent ouï ces contes de l'ennemi (1). Aucune impression étrangère, aucun nuage ne put troubler la sérénité de ce ciel, c'est-à-dire du coeur de la pure Marie, quoique ces embûches, ces illusions, ces menaces et ces flatteries eussent comme épuisé toute la malice du dragon, qui en ce moment en vomit tous les flots sur cette femme invincible et vraiment forte; la Vierge sans tache (2). 370. Au milieu de ce combat, et lorsque par des actes héroïques elle déployait toutes les vertus contre ses ennemis, elle comprit que le Très-Haut ordonnait et voulait qu'elle humiliât et abattit l'orgueil du dragon en usant du pouvoir de Mère de Dieu et de l'autorité d'une si grande dignité. Et animée d'un ardent courage et d'une valeur invincible, elle se tourna vers les démons, et leur dit : " Qui est semblable à Dieu, a qui habite les lieux les plus élevés (3) ? " Et, répétant ces paroles, elle ajouta : " Prince des ténèbres, auteur du péché et de la mort (4), je te commande au nom du Très-Haut de te taire, et je t'envoie avec tes ministres dans l'abîme des cavernes infernales qui vous sont destinées (5), et d'où vous ne a sortirez point que le Messie promis ne vous ait (1) Ps. CXVIII, 85. - (2) Apoc., XII, 15. - (3) Ps. CXII, 5. - (4) Ephes., VI, 12; I Joan., III, 8; Sap., II, 24. - (5) Jud. Ep., 6. 182 domptés et assujettis, ou qu'il ne vous l'ait permis. " Notre divine Reine était remplie d'une lumière et d'une splendeur céleste. Le dragon orgueilleux essaya de résister un instant à cet empire : il ramassa toutes ses forces; mais cela ne servit qu'à l'humilier davantage, et à lui attirer une aggravation de peine qui s'étendit à tous les démons. Ils furent précipités tous ensemble et renfermés au fond de l'abîme en la manière que j'ai marquée en parlant du mystère de l'Incarnation, et que je dirai dans la suite en rapportant la tentation et la mort de notre Seigneur Jésus-Christ. la lorsque ce dragon livra à la Reine du ciel un autre combat dont je ferai mention dans la troisième partie, elle le vainquit avec tant de gloire, que j'ai su que sous ses coups et sous ceux de son très-saint Fils, Lucifer perdit tout son pouvoir, sa tète fut écrasée (1) et toutes ses forces anéanties, de sorte que si les créatures humaines ne les lui rendent par leur propre malice, elles peuvent très- facilement lui résister et le vaincre avec le secours de la grâce. 371. Alors le Seigneur se manifesta à sa très-sainte Mère, et en récompense de la glorieuse victoire qu'elle venait de remporter, il l'enrichit de nouveaux dons et de faveurs singulières : elle vit sous des formes corporelles les mille anges de sa garde, accompagnés d'une infinité d'autres, qui entonnèrent de nouvelles hymnes de louanges à la gloire du Très-Haut et à la (1) Gen., III, 15. 183 sienne; et, avec une harmonie toute céleste, ils lui chantèrent d'une voix à la fois douce et éclatante ce que l'on dit autrefois à Judith, qui fut une figure de ce triomphe, aussi bien que ces paroles que la sainte Église lui applique ; " Vous êtes toute belle, Marie! il n'est point en vous de souillure du péché; vous êtes la gloire de la Jérusalem céleste; vous êtes la joie d'Israël; vous êtes l'honneur du peuple du Seigneur (1). Vous êtes celle qui glorifie son saint nom; vous êtes l'avocate des pécheurs, et vous les défendez contre leur superbe ennemi. O Marie ! vous êtes pleine de grâce et de toutes les perfections (2). " Notre divine Dame fut remplie de joie et de consolation, louant l'Auteur de tout bien, et lui rapportant tous ceux qu'elle recevait; mais bientôt elle se rappela le chagrin de son époux, comme je le dirai au quatrième livre, dans les chapitres suivants. Instruction que la Maîtresse de l'univers me donna. 372. Ma fille, le soin que l'âme doit avoir de ne pas se mettre à raisonner avec les ennemis invisibles n'empêchent point qu'elle puisse leur commander avec autorité et avec empire au nom du Très-Haut, de se taire, de s'éloigner et de s'enfuir avec confusion. (1) Judith., XV. - (2) Luc., I, 28. 185 C'est ce que je veux que vous fassiez dans toutes les occasions où ils vous persécuteront; car les plus puissantes armes dont la créature humaine peut se servir contre la malice du dragon, consistent à le regarder avec mépris et à le maîtriser avec un air de supériorité, en se fondant sur sa qualité de fille de son véritable Père, qui est aux cieux (1), dont elle reçoit cette vertu et cette assurance contre les ennemis de son salut. Il est constant que Lucifer, depuis qu'il fut chassé du ciel, emploie tous ses soins à détourner les âmes de leur Créateur (2), et à semer la division entre le Père céleste et les enfants adoptifs (3), entre l'épouse et l'Époux,des âmes fidèles. Et quand il voit l'une d'elles unie à son Créateur, puisant dans son chef Jésus-Christ, comme un membre plein de vie, de nouvelles forces et une volonté énergique pour le combattre et le confondre , alors il a recours pour la perdre à toutes les ruses que peut lui inspirer la fureur de la haine la plus acharnée et la plus perfide; mais quand il voit qu'il ne lui est pas possible d'arriver à son but, et que les âmes trouvent dans la protection du Très-Haut un asile sûr et inaccessible (4), il perd courage et se reconnaît vaincu, et en proie à d'inexprimables tourments. Et si l'Épouse bien-aimée sait le repousser avec hauteur et dédain, il n'est point de vermisseau ni de fourmi plus faible que ce superbe géant. (1) Matth., VI, 9. - (2) Apoc., XII, 17. - (3) Matth., XIII, 25. - (4) Ps. XVII, 3. 185 373. Vous devez vous animer et vous affermir par la vérité de cette doctrine, lorsque le Tout-Puissant permettra que, dans les grandes tentations, la tribulation et les douleurs de la mort vous environnent (1), ainsi qu'il m'arriva; car c'est dans ces sortes d'occasions que l'Époux éprouve le mieux la fidélité de la véritable épouse. Et. si elle l'est en effet, elle ne doit pas se contenter des Feules affections, mais il faut qu'elle produise des fruits plus solides; car le seul désir qui ne conte rien à l'âme n'est pas une preuve suffisante de son amour, ni de l'estime qu'elle fait du bien qu'elle loue et qu'elle aime. La force et la constance qu'on montre à souffrir les afflictions avec un coeur généreux et magnanime, voilà les témoignages du vrai amour. Que si vous souhaitez si passionnément d'en donner quelque marque à votre Époux pour vous rendre agréable à ses yeux, la plus grande de toutes sera que, quand vous vous trouverez plus affligée et plus dépourvue de tout secours humain, alors vous vous montriez plus inébranlable que jamais, plus confiante dans le Seigneur votre Dieu, et que vous espériez, s'il le faut, contre toute espérance (2) ; puisque celui qui garde Israël ne dort ni ne sommeille (3), et su moment opportun il commandera aux vents et à la mer de s'apaiser, et il fera renaître le calme désiré (4). 374. Mais prenez garde, ma fille, d'être bien avisée dans les commencements des tentations, où il y a (1) Ps. XVII, 5. - (2) Rom., IV, 18. - (3) Ps. CXX, 4. -(4) Matth., VIII, 26. 186 beaucoup de danger si l'âme commence aussitôt à en être troublée, lâchant les passions de l'appétit concupiscible ou irascible par lesquelles la lumière de la raison est obscurcie. Car si le démon remarque ce trouble , s'il s'aperçoit des nuages qu'il élève et de la tempête qu'il excite dans les puissances, comme sa cruauté est toujours implacable, toujours insatiable, il s'anime d'une plus grande ardeur, il ajoute feu sur feu et redouble sans cesse de fureur, se flattant que l'âme n'a personne qui la défende de ses insultes et qui la délivre de ses mains (1) : et la violence de la tentation devenant plus grande, il y a bien plus de sujet de craindre que celle qui a commencé à faiblir dans son principe ne soit pas en état de lui résister lorsqu'elle sera dans toute sa force. Je vous avertis de tout cela afin que vous redoutiez le danger des premières négligences. N'en ayez aucune dans une affaire si importante; su contraire, à quelque tentation que vous soyez exposée, persévérez dans l'égalité de vos actions; continuez intérieurement les dévots entretiens avec le Seigneur, et conservez dans vos rapports avec le prochain cette douceur, cette charité et cette prudente honnêteté que vous, devez avoir pour lui; vous opposant par la prière et par le calme de vos passions au désordre que l'ennemi veut y introduire. (1) Ps. LXX, 12. 10/30 LIVRE QUATRIÈME. QUI CONTIENT LA PERPLEXITÉ DE SAINT JOSEPH CONNAISSANT LA GROSSESSE DE LA TRÈS-PURE MARIE. - LA NAISSANCE DE NOTRE SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST. - SA CIRCONCISION. - L'ADORATION DES ROIS ET LA PRÉSENTATION DE L'ENFANT JÉSUS AU TEMPLE. - LA FUITE EN ÉGYPTE. - LE MEURTRE DES INNOCENTS ET LE RETOUR A NAZARETH. CHAPITRE I. Saint Joseph découvre la grossesse de son épouse la Vierge Marie, et entre dans de grandes peines, sachant qu'il n'y avait aucune part. Instruction que me donna notre très sainte Reine et Maîtresse. CHAPITRE II. Les soupçons de saint Joseph s'augmentent. - Il se résout à quitter son épouse, et consulte Dieu à cet égard. Instruction que la Reine du ciel me donna. CHAPITRE III. L'ange du Seigneur parle â saint Joseph dans un songe, et lui révèle le mystère de l'Incarnation. - Effets de cette ambassade. Instruction que la très-sainte Vierge me donna. CHAPITRE IV. Saint Joseph demande pardon à la très-pure Marie, son épouse, et notre divine Dame le console avec nue grande prudence. Instruction que la très-sainte Vierge me donna. CHAPITRE V. Saint Joseph prend la résolution de servir en tout la sainte Vierge avec un très-grand respect. - Ce que fit notre auguste Reine, et plusieurs autres détails relatifs à leur manière d'agir entre eux. Instruction de la Reine du ciel. CHAPITRE VI. Quelques entretiens de l'auguste Marie et de saint Joseph sur les choses divines, et quelques autres événements admirables. Instruction que notre divine Maîtresse me donna. CHAPITRE VII. La très-pure Marie prépare les langes de l'enfant-Dieu avec un très-ardent désir de le voir bientôt naître. Instruction que la sainte Vierge me donna. CHAPITRE VIII. On publie l'édit de l'empereur Auguste-César, qui ordonnait le dénombrement de tous les sujets de son empire, et ce que fit saint Joseph quand il en eut connaissance. Instruction que la très-sainte Vierge me donna. CHAPITRE IX. Le voyage que la très-pure Marie fit de Nazareth à Bethleem, en la compagnie de saint Joseph et des anges qui l'assistaient. Instruction que la Reine de l'univers vie donna. LIVRE QUATRIÈME. QUI CONTIENT LA PERPLEXITÉ DE SAINT JOSEPH CONNAISSANT LA GROSSESSE DE LA TRÈS-PURE MARIE. - LA NAISSANCE DE NOTRE SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST. - SA CIRCONCISION. - L'ADORATION DES ROIS ET LA PRÉSENTATION DE L'ENFANT JÉSUS AU TEMPLE. - LA FUITE EN ÉGYPTE. - LE MEURTRE DES INNOCENTS ET LE RETOUR A NAZARETH. CHAPITRE I. Saint Joseph découvre la grossesse de son épouse la Vierge Marie, et entre dans de grandes peines, sachant qu'il n'y avait aucune part. 375. La Princesse du ciel était dans le cinquième mois de sa grossesse, lorsque son très-chaste époux Joseph commença d'en découvrir des marques dans la disposition de sa personne sacrée: car- elle était si bien faite et si bien proportionnée, comme je l'ai déjà dit, qu'il n'était pas possible que l'on n'y aperçût beaucoup plus facilement que chez les autres le moindre changement. L'auguste Marie sortant un jour de son oratoire, saint Joseph la regarda dans le souci où il 188 était, et reconnut la nouveauté avec une plus grande certitude, sans que sa raison prit démentir à ses yeux des signes trop visibles (1). L'homme de bien en eut le coeur pénétré d'une intime douleur, sans pouvoir résister aux pénibles réflexions qui se pressaient en même temps dans son âme. Il pensait d'abord au trèschaste mais très-vif et très-sincère amour qu'il portait à sa très-fidèle épouse, à laquelle il avait dès les premiers jours donné irrévocablement tout son coeur; les manières agréables, la sainteté sans égale de notre grande Dame avaient encore resserré les liens qui attachaient saint Joseph à son service. Et comme dans sa modestie et dans son humble gravité elle était si parfaite et si ravissante, le saint nourrissait, parmi les soins respectueux dont il l'entourait, le désir, qui était comme naturel à son amour, de voir son épouse y correspondre. Le Seigneur 1'ordonnait.de la sorte, afin que le souhait de ce retour, de cette réciprocité inspirât au saint un plus grand soin de servir et de respecter notre divine Maîtresse. . 376. Saint Joseph s'acquittait de cette obligation en très-fidèle époux et comme le gardien du mystère qui lui était encore caché; et autant il était assidu à servir et à honorer son épouse, autant son amour était pur, chaste, saint et juste, autant et plus ardent était le désir qu'il avait qu'elle y répondit; il ne le lui découvrit pourtant jamais, tant à cause du respect auquel l'humble majesté de son épouse l'obligeait, que (1) Matth., I, 18. 189 parce que son dévouement pour elle ne lui avait certes pas été pénible en voyant sa sage conduite, sa douce conversation et sa pureté plus qu'angélique. Mais dans cette occasion embarrassante, où ses yeux étaient témoins d'une nouveauté qu'il rte pouvait mettre en doute, son âme se trouva partagée dans la surprise; et, quoiqu'il fût convaincu de la chose, il ne permit pas à son raisonnement d'aller su delà des apparences (1) : parce que, étant un homme saint et juste, il suspendit, tout en connaissant l'effet, son jugement sur la cause; car s'il eût été persuadé que son épouse était coupable, il serait sans doute mort naturellement de douleur. 377. Il réfléchissait ensuite à la certitude où il . était de n'avoir aucune part en cette grossesse, dont il voyait des marques si évidentes; et il se disait que le déshonneur était par là inévitable quand cela se saurait. Et cette prévision tourmentait d'autant plus saint Joseph, qu'il avait l'âme plus noble et plus élevée, et que sa rare prudence lui faisait mieux apprécier et comme savourer d'avance les amertumes de l'infamie personnelle qu'il était exposé à subir avec son épouse. La troisième chose qui torturait le plus le saint époux, c'était la crainte de trahir son épouse, qui eût été lapidée, aux termes de la loi (2) (qui infligeait ce châtiment aux adultères), dans le cas où elle eût pu être convaincue de ce crime. Toutes ces réflexions, comme autant de pointes de fer aiguës, perçaient le coeur de (1) Matth., I, 19. - (2) Levit., XX, 10; Deut., XXII, 23. 190 saint Joseph d'une douleur ou plutôt de mille douleurs réunies, auxquelles il ne pouvait trouver alors aucun soulagement que dans la conduite irréprochable de Marie. biais comme tous les signes extérieurs attestaient le fait le plus étrange, sans que le saint homme sût comment les expliquer, et sans même qu'il osât communiquer à qui que ce fût le sujet de sa douloureuse anxiété, il se trouvait comme environné des douleurs de la mort (1), et il ressentait par sa propre expérience que la jalousie est dure comme l'enfer (2). 378. II voulait s'entretenir avec lui-même, mais la douleur paralysait toutes ses facultés. Si par la pensée il se mettait à discuter les probabilités fournies par les sens, elles s'évanouissaient toutes comme la glace à l'ardeur du soleil et comme la fumée au souffle du vent, parce qu'il se souvenait de la sainteté éprouvée de sa très-sage et très-prudente épouse : s'il tachait de suspendre les affections de son très-chaste amour, il n'y parvenait pas, parce qu'elle lui paraissait toujours un objet digne d'être aimé, et, quoique la vérité fût cachée, elle avait plus de force pour l'attirer, que la fausse apparence de l'infidélité pour le rebuter. Ce sacré lien ne pouvait pas se rompre, resserré qu'il était par les noeuds solides de la vérité, de la raison et de la justice. Il ne jugeait pas à propos de s'ouvrir à sa divine épouse, et il était d'ailleurs retenu par cette gravité toujours égale et divinement humble qu'il (1) Ps., XVII,5. - (2) Cant., VIII, 6. 191 admirait en elle. Et quoiqu'il vit des marques si évidentes d'une grossesse, il se disait qu'une conduite aussi pure et aussi simple ne pouvait point aboutir à un oubli du devoir semblable à celui qu'on eût pu présumer; parce qu'une faute aussi grande était incompatible avec tant de pureté, d'égalité, de sainteté et de discrétion, et avec toutes les grâces réunies, dont l'augmentation se rendait tous les jours plus sensible en l'auguste Marie. 379. Le saint époux adressa ses peines au tribunal du Seigneur parla voie de l'oraison; et, s'étant mis en sa présence, il lui dit Dieu éternel et mon Seigneur, mes désirs et mes gémissements ne sont ce point cachés à votre divine Majesté(1). Je me trouve a combattu par de violentes agitations qui ont frappé mon coeur par l'organe de ma vue. Ce coeur, je l'ai donné avec sécurité à l'épouse que j'ai reçue de votre main (2). Je me suis lié à sa grande sainteté; mais les signes du changement que je découvre en elle me jettent dans une perplexité affligeante, et me font craindre que mes espérances ne soient frustrées. Il n'est personne qui l'ait connue jusqu'aujourd'hui, qui ait pu douter de sa prudente conduite et de ses excellentes vertus; mais aussi je ne puis pas nier qu'elle ne soit enceinte. Ce serait une témérité de penser qu'elle ait été infidèle et qu'elle vous ait offensé, en voyant en elle une si rare pureté et une sainteté si éminente : il m'est (1) Ps. XXXVII, 9. - (2) Prov., XXXI, 11. 192 pourtant impossible de nier ce que mes yeux m'assurent; mais il ne me le sera pas de mourir par la force de la douleur, s'il ne se trouve ici quelque mystère renfermé que je ne saisis point. La raison N la' disculpe, et les sens la condamnent. Je vois bien qu'elle me cache la cause de sa grossesse: que dois je faire? Nous nous communiquâmes au commencement les voeux de chasteté que nous avions faits pour votre gloire; que s'il était possible qu'elle eût violé votre foi et la mienne, je défendrais votre honneur et renoncerais au mien pour votre amour. Mais comment pourrait-elle conserver en tout le reste tant de pureté et de sainteté, si elle eût commis un crime si énorme? Et comment se fait-il qu'étant si sainte et si prudente, elle veuille me cacher ce secret? Je suspends mon jugement, et je m'arrête dans l'ignorance de la cause de ce,que je vois. Je répands en votre présence mon âme affligée, Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob (1) ! Recevez mes soupirs et mes larmes en sacrifice agréable et si mes péchés ont mérité votre indignation, ayez égard, Seigneur, à votre propre clémence, et ne méprisez point les peines de votre serviteur. Je ne crois pas que Marie vous ait offensé; mais aussi, étant son époux, je ne puis présumer aucun mystère dont je ne saurais être digne. Conduisez mon entendement et mon cœur par votre divine lumière, afin que je connaisse et que j'exécute ce qui sera, plus agréable à votre bon plaisir. " (1) Ps. CXLI, 3. 193 389. Saint Joseph persévéra dans cette oraison, qu'il accompagna de plusieurs autres affections et demandes : car, bien qu'il lui vint parfois 'en pensée qu'il y avait peut-être dans la grossesse de la sainte Vierge quelque mystère qu'il ignorait, il ne pouvait pas s'eh assurer; parce que toutes les raisons qu'il se représentait dans la grande estime qu'il avait de la sainteté de notre divine Dame ne furent capables, au plus, que de le persuader qu'elle n'avait point commis de faute dans sa grossesse : aussi le saint ne crut-il jamais qu'elle pût être la Mère du Messie. Quelquefois il écartait ses soupçons, mais l'évidence du fait les ramenait bientôt en plus grand nombre de sorte qu'il en était terriblement agité; et après avoir été ainsi battu par l'orage de ses pensées, il tombait souvent dans un pénible calme sans pouvoir se déterminer à croire aucune chose qui pût dissiper ses doutes, apaiser son coeur, et lui faire rencontrer cette certitude dont il avait besoin pour régler sa conduite et fixer son esprit. C'est pour cela que la peine de saint Joseph fut si grande, qu'elle put être une preuve éclatante de son incomparable prudence et de sa sainteté, et qu'en la souffrant il mérita que Dieu le rendit capable de la faveur singulière qu'il lui préparait. 381. Tout ce qui se passait dans le coeur de saint Joseph était dévoilé à la Princesse du ciel, qui l'observait à la lumière de la science divine qui l'éclairait. Et quoiqu'elle fût remplie de tendresse et de compassion pour ce que son époux souffrait, elle ne lui parlait point du sujet de ses peines; mais elle se contentait 194 de le servir avec -beaucoup de soumission et d'exactitude. L'homme de Dieu, sans faire semblant de rien, ne cessait de la regarder avec une sollicitude plus grande que jamais homme ait pu avoir : et comme notre illustre Reine le servait à table et s'occupait à d'autres choses domestiques, elle devait nécessairement alors (bien que sa grossesse ne lui fût aucunement pénible) prendre certaines précautions et faire certains mouvements qui trahissaient son état. Saint Joseph, qui était attentif à toutes ces occasions, s'assurait toujours de plus en plus de la vérité avec une plus grande affliction de son âme. Et quoiqu'il fût saint et juste, il se laissait pourtant servir et honorer par la sainte Vierge après qu'il l'eut épousée, conservant eu tout l'autorité de chef, qu'il savait tempérer par une humilité et une prudence rares. Car tant qu'il ignora le mystère de son épouse , il crut devoir toujours agir en maître, néanmoins avec toute la modération convenable, à l'exemple des anciens patriarches, dont il ne devait pas dégénérer, et à qui leurs femmes étaient soumises et obéissantes. Et il eût fait sagement de gouverner ainsi sa maison si notre divine Dame eût été comme les autres femmes. Mais quoiqu'elle fût si supérieure à toutes, il n'y en eut et il n'y en aura jamais aucune aussi obéissante, aussi soumise à son mari que l'auguste Marie le fut au sien. Elle le servait avec un respect et avec une promptitude incomparable; et bien qu'elle connût les soucis et les préoccupations que lui causait sa grossesse, elle ne laissa pas que de vaquer à toutes les 195 occupations qui la regardaient, et elle ne songea ni à dissimuler ni à justifier les opérations qui se passaient dans son sein virginal, parce que les détours, les artifices, la duplicité étaient contraires à la véracité et à la candeur angélique qui la distinguaient,, et antipathiques à la grandeur et à la générosité de son très-noble coeur. 382. La Princesse du ciel aurait bien pu alléguer pour sa justification la vérité de son innocence irréprochable et le témoignage de sa cousine Élisabeth et de Zacharie ; attendu que si saint Joseph l'eût soupçonnée d'une faute, c'était à cette époque qu'il était le plus naturel de la faire remonter ; ainsi la divine Marie eût pu par ce moyen, ou par d'autres semblables, se disculper et tirer saint Joseph de peine, sans découvrir pour cela le mystère. Mais la Maîtresse de la prudence et de l'humilité ne le voulut pas faire, parce que ces vertus étaient incompatibles avec les soins qu'elle eût pris de soutenir ses intérêts, et qu' elle ne devait pas hasarder l'explication d'une vérité si mystérieuse sur son propre témoignage. Elle abandonna le tout avec une grande sagesse. à la Providence divine. Et quoique la compassion et l'amour qu'elle avait pour son, époux, la portassent à le consoler et à le rassurer, elle ne le fit ni en se justifiant ni en cachant sa grossesse; elle se borna à le servir avec des démonstrations plus vives d'affection, tâchant de lui plaire en toutes choses, lui demandant ce qu'il voulait, ce gui il désirait qu'elle fit, et lui prodiguant d'autres marques de soumission et de tendresse. 196 Elle le servait souvent à genoux, et bien que toutes ces prévenances consolassent en quelque façon le sain époux , elles augmentaient néanmoins par un autre endroit ses motifs d'affliction, en lui faisant mieux sentir combien il devait aimer et estimer celle dont il n'était pas sûr d'avoir lieu de se plaindre. Notre charitable Reine faisait des prières continuelles pour lui , afin que le Très- Haut le regardât et le consolât. Et dans son oraison elle s'abandonnait absolument à sa divine volonté. 383. Saint Joseph ne parvenait pas à lui cacher tout à fait son amer chagrin; il était donc bien souvent pensif, triste, inquiet, et cédant à sa secrète douleur, il parlait quelquefois à sa divine épouse avec plus de sévérité qu'auparavant; c'était comme un effet inévitable de la désolation de son coeur, et non point par indignation ni par vengeance, car il ne connut jamais de pareils sentiments, comme on le verra dans la suite. - Mais la très-prudente Dame ne changea rien en ses douces manières, et n'en témoigna aucun ressentiment; au contraire, elle apportait d'autant plus de soin à soulager son époux. Elle le servait à table, lui présentait le siège, lui offrait à manger et lui donnait à boire; et après qu'elle s'était acquittée de tout cela avec une grâce incomparable, saint Joseph , toujours plus convaincu de la certitude de la grossesse, lui ordonnait de s'asseoir. Il est sûr que ces circonstances furent de celles qui exercèrent le plus, non-seulement saint Joseph, mais. Aussi la Princesse du ciel, et qu'elle y fit paraître 197 avec éclat sa très-profonde humilité et sa sublime sagesse. Le Seigneur fit que toutes ses vertus y furent exercées et éprouvées; car non-seulement il ne lui prescrivit pas de Unir caché le mystère de sa grossesse; mais il ne lui découvrit même pas sa divine volonté avec autant de clarté que dans les autres rencontres. Il semblait que Dieu eût remis et confié le tout à la science et aux vertus célestes de son Élue, en la laissant opérer par elles sans la favoriser d'aucune lumière spéciale. l.a divine Providence fournissait à là très-pure Marie et à son très-fidèle époux Joseph l'occasion d'exercer par des actes héroïques, chacun selon sa portée, les vertus et les dons qu'elle leur avait départis; elle se plaisait pour ainsi dire à considérer la foi, l'espérance et l'amour, l'humilité, la patience, la paix et la sérénité de ces coeurs candides su milieu d'une affliction aussi pénible. Le Seigneur (si nous pouvons user ici dut langage ordinaire) faisait le sourd pour sa plus grande gloire, pour donner au monde cet exemple de sainteté et de prudence, et pour ouïr plus longtemps les douces plaintes de la Vierge-Mère et de son très-chaste époux, qui lui étaient très-agréables; il voulait qu'ils les renouvelassent, et différait à leur répondre jusqu'à ce que le moment opportun fût venu. 199 Instruction que me donna notre très sainte Reine et Maîtresse. 384. Ma très-chère fille, les pensées et les fins du Seigneur sont très-relevées, sa providence envers les âmes est forte et douce (1), et il est admirable en la conduite de toutes, surtout en celle de ses amis et de ses élus. Si les hommes parvenaient à comprendre le soin amoureux que ce Père de miséricorde prend de les diriger et de les conduire (2), ils s'occuperaient moins d'eux-mêmes et ne se plongeraient point dans tant de soucis pénibles, inutiles et dangereux, qui les tourmentent sans cesse et leur font rechercher mille appuis auprès des autres créatures (3) ; car alors ils s'abandonneraient avec une entière confiance à sa sagesse et à son amour infini, qui gouverneraient avec une douceur et une suavité paternelles toutes leurs pensées, leurs paroles et leurs actions, et veilleraient à leurs plus chers intérêts (4). Je ne veux pas. que vous ignoriez cette vérité; je veux que vous sachiez bien que de toute éternité le Seigneur a présente dans son entendement divin tous les prédestinés qui doivent vivre en différents temps et âges; et qu'il leur dispose et prépare par la force invincible de sa sagesse et de sa bonté infinie, tous les dons qui leur (1) Sap., VIII, 1. - (2) Ps. LXVII., 36. - (3) Matth., VI, 25. - (4) I Petr., V, 7. 199 conviennent, afin qu'ils arrivent finalement su but due le Très-Haut a marqué. 385. C'est pour cela qu'il importe. tint à la créature raisonnable de se laisser conduire par la main du Seigneur, en se conformant entièrement à ses desseins, parce que les hommes mortels ignorent ses voies et la fin où elles doivent les faire aboutir (1); ils n'en sauraient avec leur ignorance faire eux-mêmes le choix, sans une grande témérité et sans un péril évident de leur perte. Mais s'ils s'abandonnent de tout leur coeur à la providence du Très-Haut, le reconnaissant pour leur Père, et se reconnaissant eux-mêmes pour ses enfants et ses ouvrages, sa divine Majesté se constitue leur protecteur, leur défenseur et leur guide, avec un amour tel. qu'il veut due le ciel et la terre sachent (2) que c'est un soin qui le regarde de gouverner lui- même les siens, et de diriger ceux qui se confient en lui et se livrent entre ses mains. I:t si Dieu était susceptible de quelque peine ou de quelque jalousie, comme les hommes, il en aurait de voir qu'une autre créature voulût partager avec lui le soin des âmes, et qu'elles allassent chercher la moindre des choses dont elles ont besoin en quelque autre que lui, qui veut se charger lui-même de ce qui les concerne (3). Les mortels ne pourront manquer de comprendre cette vérité, s'ils considèrent ce que parmi eux-mêmes un père fait pour ses enfants, un époux pour son épouse, un ami pour (1) Eccles., VII, 1. - (2) Deut., XXXII,1, etc. - (3) Sap., XII, 18. 200 un ami, et un prince pour le favori qu'il aime et qu'il veut honorer. Tout cela n'est rien en comparaison de l'amour que Dieu a pour les siens, et de ce qu'il veut et peut faire pour eux. 386. Mais quoique les hommes croient en général cette vérité, il n'en est aucun qui puisse pénétrer ,quel est l'amour divin et quels sont les effets particuliers dans les âmes qui s'abandonnent avec une entière résignation à la volonté du Seigneur. Ce, que vous en savez, ma fille, vous ne pourriez vous-même et vous ne devez pas non plus l'exprimer, mais tâchez de le considérer sans cesse en Dieu. Sa divine Majesté dit qu'il ne se perdra pas un cheveu, de ses élus (1), parce qu'elle les a tous comptés (2). C'est lui qui conduit leurs pas à la vie et qui les, détourne de la mort (3); il surveille leurs actions, il corrige leurs défauts avec amour (4), prévient leurs désirs (5), va au-devant de leurs besoins et de leurs peines, les protège dans le danger (6), les caresse dans la paix et dans le calme (7), les arme pour le combat, les assiste dans les afflictions, les prémunit contre l'erreur par la sagesse, les sanctifie par sa bonté, et les fortifie par sa puissance (8); l'être infini à qui personne ne peut résister ni s'opposer (9), il exécute ce qu'il peut, et il peut tout ce qu'il vent (10), et il . veut se donner tout entier au juste qui est en sa (1) Luc., XXI, 18. - (2) Luc., XII, 7. - (8) Ps. XXXVI, 23. - (4) Prov., III, 12. - (5) Sap., VI, 14. - (6) Sap., VI, 14. -(7) Cant., VIII, 4. - (8) Ps. XXVI, 3; XC, 15. - (9) Esth., XIII, 9. - (18) Ps. CXIII, 11. 201 grâce et qui se confie en lui seul. Ah ! qui pourra, concevoir le nombre et la grandeur des bienfaits qu'il répand, dans un coeur disposé de la sorte pour les recevoir ? 387. Si vous voulez, mon amie, avoir part à ce bonheur, vous devez faire tous vos efforts pour m'imiter, et travailler dès aujourd'hui à acquérir efficacement une véritable résignation à la Providence divine. Et si elle vous envoie des tribulations, des peines, des travaux, recevez-les, embrassez-les avec égalité d'âme, avec tranquillité d'esprit et avec une patience inébranlable, une foi vive et une ferme espérance en la bonté du Très-Haut, qui vous donnera toujours ce qui sera le plus sûr et le plus convenable pour. votre salut. Gardez-vous bien de faire choix d'aucune chose, car Dieu connaît toutes les voies que vous devez suivre; confiez- vous en votre Père et Époux céleste, qui vous protège avec l'amour le plus fidèle. Soyez attentive à toutes mes oeuvres, puisqu'elles ne vous sont point cachées; et sachez qu'après la douleur que me causa la vue des maux endurés par mon très- saint Fils, la plus grande que j'aie ressentie dans toute ma vie a été celle dont m'accablèrent la tristesse et l'inquiétude de mon époux Joseph, dans la circonstance que vous racontez. 202 CHAPITRE II. Les soupçons de saint Joseph s'augmentent. - Il se résout à quitter son épouse, et consulte Dieu à cet égard. 388. Dans la tourmente des soucis qui agitaient son coeur si droit, saint Joseph tâchait bien souvent de se procurer par sa prudence un. certain calme, pour pouvoir respirer mi peu à l'aise après une trop. cruelle oppression : il réfléchissait donc dans la solitude de son âme et s'efforçait de révoquer en cloute la grossesse de son épouse. biais le changement de plus en plus sensible qui se produisait dans l'état de la sainte Vierge, lui rendait impossible une illusion en dehors de laquelle le glorieux patriarche semblait n'avoir plus d'heureuse chance à espérer, et cette chance loi échappait bien vite, puisqu'il passait du doute auquel il s'attachait à une certitude contraire, de plus en plus forte à mesure que la grossesse se prononçait davantage. Plus notre divine Princesse approchait de son terme, plus elle devenait exempte des infirmités habituelles, plus elle s'embellissait de. grâce, de santé, d'agilité. Nouveaux motifs d'anxiété pour saint Joseph ! et en même temps charmes irrésistibles qui attiraient son très-chaste amour, sans 203 qu'il prit se défendre de1tous ces sentiments qui se disputaient son coeur. Après toutes ces agitations, il finit par se rendre à l'évidence; et quoique son esprit se conformât toujours à la volonté de Dieu , cela n'empêcha pas que la faiblesse de la chair ressentit l'excessive douleur de son âme, qui augmenta à un tel point qu'il ne sut plus où trouver de remède à sa tristesse. Il sentit diminuer ou s'épuiser les forces de son corps, et, bien qu'il ne frit réellement atteint d'aucune maladie déterminée, il s'affaiblit et maigrit beaucoup, et sa physionomie trahissait la sombre et profonde mélancolie qui l'affligeait. Et comme, il la tenait secrète, sans la communiquer à personne et sans chercher au dehors aucun soulagement (comme le font ordinairement les autres hommes), il en résultait que les peines que le saint souffrait étaient naturellement plus grandes et plus incurables. 389. Le coeur de la très-pure Marie n'était pas pénétré d'une moindre douleur; mais quoiqu'elle fût très-grande, sa généreuse magnanimité l'était encore davantage, et par cette vertu, elle ne tenait presque aucun compte de ses peines, mais elle ne s'en préoccupait pas moins de celles de sou époux Joseph, de sorte qu'elle résolut de l'aider en toutes choses plus que jamais et de redoubler les soins qu'elle prenait de sa santé. Et comme notre très-prudente Reine se faisait une loi inviolable d'agir en toutes ses actions avec plénitude de sagesse et de perfection, elle continuait à cacher la vérité du mystère qu'elle n'avait pas ordre de découvrir, et bien que seule elle eût pu, en 203 le lui révélant, tranquilliser saint Joseph , elle s'en abstint, pour respecter et garder, le secret du Roi céleste (1). En ce qui la regardait, elle faisait tout ce quelle pouvait pour le soulager, s'informait souvent de l'état de sa santé, et lui demandait ce qu'il désirait qu'elle fit pour son service et pour la guérison de ce malaise, qui le réduisait à une si grande faiblesse. Elle l'engageait à se reposer, à se rafraîchir, puisqu'il était juste de subvenir aux besoins et de réparer les forces du corps, afin de travailler ensuite pour le Seigneur. Saint Joseph, attentif à tout ce que sa divine épouse faisait, considérant tant de vertu et tant de discrétion, et sentant les saints effets de la conversation et de la présence de Marie, se disait; " Est-il possible qu'une femme aussi vertueuse et en qui la grâce du Seigneur se manifeste avec tant d'éclat, me mette dans une telle perplexité ) Comment concilier cette prudence, cette sainteté avec les signes qui me la font paraître infidèle à Dieu, infidèle à a l'époux qui l'aime si tendrement? Si je veux la renvoyer on m'éloigner, je perds sa désirable compagnie, toute ma consolation , ma maison et mon repos. Quel bien trouverai-je qui lui soit comparable, si je me retire? et quelle consolation si celle-ci me manque? Mais tout cela me touche moins que l'in farcie qui peut résulter d'un cas si malheureux, et que le danger de laisser croire que j'aie été complice de quelque crime. Cacher le fait est impossible ; (1) Tob., XII, 7. 205 car le temps ne le découvrira que trop, quand a bien même je fermerais maintenant mes yeux et ma bouche. Me reconnaître l'auteur de cette grossesse, serait un vil mensonge aussi contraire à ma conscience qu'à ma réputation. Je ne puis, ni m'attribuer la paternité, ni remonter à une cause que j'ignore. Que ferai-je donc dans un tel embarras? Le parti le moins fâcheux, ce sera de m'absenter et de quitter ma maison avant le moment de la délivrance, où je me trouverais plus confus et plus affligé sans savoir quel conseil suivre, quelle détermination prendre, en voyant chez moi un enfant qui ne m'appartiendrait pas " 390. La Princesse du ciel, qui considérait avec une vive douleur la résolution que son époux avait. prise de la quitter et de partir, s'adressa aux saints auges de sa garde, et leur dit : " Esprits bienheureux, ministres du souverain Roi, qui vous a élevés à la félicité dont vous jouissez, et qui par un ordre de son infinie bonté m'accompagnez, comme ses très-fidèles serviteurs et mes gardes très-vigilants, je vous prie, mes bons amis, de représenter à sa divine clémence les afflictions de mon époux Joseph. Suppliez sa Majesté de le consoler et de le regarder véritablement en Dieu et en Père. Et vous qui obéissez avec promptitude à toutes ses paroles, écoutez aussi mes prières; au nom de Celui qui, étant infini, bien voulu s'incarner dans mou sein; je vous demande, je vous supplie et je vous conjure de tirer au plus tôt de l'anxiété dans laquelle il gémit le coeur de 206 mon très-fidèle époux, d'adoucir ses peines et de lui ôter l'envie et la pensée qu'il a de s'absenter. Les anges qu'elle choisit à cet effet obéirent à leur Reine, et envoyèrent secrètement au coeur du patriarche, une foule de saintes inspirations, lui persuadant de nouveau que son épouse Marie était très-sainte et très-parfaite, et qu'on ne pouvait croire d'elle aucune chose indigne de sa vertu; que Dieu était incompréhensible dans ses oeuvres et impénétrable dans ses jugements (1), et qu il était toujours très-fidèle envers ceux (lui se confient en lui (2), quine méprise et n'abandonne personne dans l'affliction (3). 391. Ces pieuses réflexions et d'autres semblables calmaient quelque peu l'esprit agité de saint Joseph, bien qu'il ne sût par quel ordre elles lui étaient inspirées; mais comme l'objet de sa tristesse ne diminuait point, il y retombait incontinent, sans pouvoir s'arrêter, pour se rassurer, à rien de fixe et de certain. C'est pourquoi il reprit le dessein de partir et de quitter son épouse. Notre divine Dame. qui pénétra sa pensée, jugea qu'il était nécessaire de prévenir ce danger, et de prier avec plus d'instance le Seigneur de l'écarter. Elle s'adressa directement à son très-saint Fils, qu'elle portait dans son sein virginal, et lui dit avec une intime affection et une ardente ferveur : " Mon Seigneur et mon souverain Bien, si vous me le permettez, je parlerai en votre divine présence, quoique je ne sois que cendre et que poussière (4), (1) Eccles., XI, 4. - (2) Thren., III, 25. - (3) Ps. XXXIII, 19. - (4) Gen., XVIII, 27. 207 et je vous ferai entendre mes gémissements, qui ne peuvent vous être cachés (1). Il est juste, mon divin Maître, que je ne néglige point le soulagement de l'époux que vous m'avez donné de votre main. Je vois dans quelle affliction il se trouve par une disposition de votre providence; il serait cruel de ma part de le laisser en cet état. Si j'ai trouvé grâce devant vous, Seigneur (2), j'oserai bien vous supplier, par l'amour qui vous a porté à venir dans le sein de votre servante pour le salut des hommes (3), de daigner consoler votre serviteur Joseph et de le préparer à coopérer à l'accomplissement de vos grandes oeuvres. Il ne serait pas séant que votre servante demeurât sans époux, qui la protégé, l'assiste et la mette à couvert de la calomnie. Ne permettez pas, mon Seigneur et mon Dieu, qu'il exécute son des sein et qu'il m'abandonne. " 392. Le Très-Haut répondit en ces termes à la demande de notre Reine, Ma Colombe et ma Bien Aimée, je consolerai bientôt mon serviteur Joseph , et quand je lui aurai déclaré par l'organe de mon ange le mystère qu'il ignore, vous lui en pourrez parler, et lui direz clairement tout ce que j'ai opéré en vous, sans désormais vous renfermer à cet égard dans le silence. Je le remplirai de mon esprit, et le rendrai capable de ce qu'il doit faire dans ces mystères. Il vous y aidera et vous assistera dans tous les événements qui vous arriveront. " L'auguste (1) Ps. XXXVII, 10. - (2) Exod., XXXIV, 9. - (3) I Joan., IV, 9. 208 Marie, toute fortifiée et consolée par cette promesse du Seigneur, lui rendit de très- humbles actions de grâces, de ce qu'il disposait toutes choses avec un ordre admirable, et avec poids et mesure (1); car outre la consolation que cette grande Dame ressentit en se trouvant délivrée d'une peine si sensible, elle comprit combien il était utile pour son. époux Joseph d'avoir passé par cette tribulation, qui avait éprouvé et comme élargi son âme à la mesuré. des grandes choses qui lui devaient être confiées. 393. Cependant saint Joseph continuait à peser ses doutes. Il avait déjà vécu deux mois dans cette grande affliction, lorsque, vaincu par la difficulté, il dit ; " Je ne trouve point de remède plus propre à ma douleur que de m'absenter. J'avoue que mon épouse est très-parfaite, et je ne,vois rien en elle qui n'atteste sa sainteté; mais enfin elle est enceinte , et je ne comprends pas ce mystère. Je ne veux point offenser sa vertu en, la soumettant à l'application de la loi , mais aussi je ne dois pas attendre le moment de la délivrance. Je partirai sans différer, et je m'abandonnerai à la providence du Seigneur, qui prendra soin de moi. " Il résolut donc de partir la huit suivante; et ayant préparé à cet effet un habit et quelques bardes qu'il avait pour changer, il fit du tout un paquet. Il avait reçu un peu d'argent qu'on lui devait de son travail; et avec cette petite provision il se disposa, à partir , vers minuit. Mais tant à (1) Sap., XI, 21 209 cause de l'étrangeté du cas que par une pieuse habitude, il se recueillit pour méditer sur l'importance de son entreprise, et adressant ensuite sa prière au Seigneur, il lui dit; " Grand Dieu de nos pères Abraham , Isaac et Jacob, unique et véritable protecteur des pauvres et des affligés, la douleur dont mon coeur est pénétré n'est point cachée à votre divine clémence. Vous connaissez aussi, Seigneur, quoique d'ailleurs je ne sois pas exempt de péché, mon innocence touchant le sujet de ma peine, comme l'infamie et le danger dont je suis menacé par l'état de mon épouse. Je ne la crois pas adultère, parce, que je reconnais en elle de très-grandes vertus et une perfection éminente, mais je vois avec certitude qu'elle est enceinte. J'en ignore la cause, il est vrai, mais je ne trouve aucun moyen de calmer mon es prit. Je choisis, comme un moindre mal, de m'en aller loin d'elle en un endroit où personne ne me connaisse, et d'achever ma vie dans quelque désert, où je m'abandonnerai à votre providence. Ne me délaissez pas, Seigneur, car je ne désire que de m'employer à votre service, pour votre plus grande gloire. 394. Saint Joseph se prosterna, et fit voeu d'aller offrir au Temple de Jérusalem une partie de la petite somme qu'il avait pour son voyage; et c'était afin que Dieu garantit son épouse des calomnies des hommes, et qu'il la préservât de tout mal : si grande était la droiture de l'homme de Dieu et l'estime qu'il faisait de notre divine Reine ! Après cette prière il prit un peu 210 de repos, pour sortir ensuite vers minuit, à l'insu de son épouse : et il lui arriva en songe ce que je dirai dans le chapitre suivant. La grande Princesse du ciel (comptant sur la promesse divine) observait de son oratoire tout ce que faisait et se proposait saint Joseph , car le Tout-Puissant le lui découvrait. Et, remplie de tendresse et de compassion à la connaissance du voeu qu'il avait fait pour elle, et à la vue du peu de hardes et d'argent qu'il avait préparés, elle fit de nouvelles prières pour lui et rendit des actions de grâces au Seigneur, le glorifiant dans ses oeuvres, et pour la sagesse qu'il y déploie au delà de tout ce que les hommes peuvent imaginer ou espérer. 395. Sa divine Majesté permit que la très-sainte Vierge et son saint époux fussent réduits à cette extrémité de douleur intérieure, afin que, outre les mérites qu'ils amassaient par un si long martyre, le bienfait de la consolation divine fiât en eux et plus admirable et plus singulier. Et quoique notre auguste Princesse, soutenue par la foi, espérât toujours fermement que le Très-Haut remédierait en temps et lieu à toutes leurs peines (ce qui lui, faisait garder le secret du grand Roi (1), qui ne l'avait point chargée de le communiquer), elle ne laissa pas que d'être vivement affligée; de la résolution de saint Joseph : parce qu'elle se représenta les grands inconvénients auxquels elle serait exposée, une fois seule, sans appui et sans compagnie qui l'assistât et qui la consolât, selon l'ordre commun (1) Tob., XII, 7. 211 et naturel; car on ne doit pas toujours chercher les choses par des voies miraculeuses et surnaturelles. Mais ces pensées accablantes ne purent l'empêcher de pratiquer les vertus les plus excellentes, comme celle de la magnanimité, en supportant les afflictions, les soupçons et les résolutions de saint Joseph; celle de la prudence, en considérant que le mystère qu'elle renfermait était grand, et qu'il ne convenait pas qu'elle le découvrit de son propre mouvement; celle du silence, en se rendant maîtresse de sa langue, comme une femme forte qui se distinguait entre toutes les autres, sachant taire ce que tant de raisons humaines l'auraient portée à déclarer; celle de la patience, en souffrant sans se plaindre, et celle de l'humilité, en ne dissipant pas les soupçons de son époux. Elle exerça d'une manière admirable beaucoup d'autres vertus dans cette épreuve, pour nous enseigner à attendre le remède du Très-Haut dans les plus grandes tribulations. Instruction que la Reine du ciel me donna. 396. Ma fille, l'instruction que je vous donne par cette observation du silence dont vous avez parlé, est que vous la preniez pour règle de votre conduite dans les faveurs et dans les mystères du Seigneur, en les gardant dans le plus secret de votre coeur. Et, quoiqu'il 212 vous semble quelquefois à propos de les déclarer pour~la consolation de quelque âme, vous ne devez pas vous y décider de vous-même sans avoir d'abord consulté Dieu, et ensuite celui qui vous dirige, parce que, dans ces matières spirituelles, il faut ne pas agir d'après l'affection humaine, où les passions et les inclinations de la créature ont une si grande part; car il est fort à craindre qu'elles ne fassent prendre pour convenable ce qui est pernicieux, et pour être du service de Dieu ce qui lui déplaît : ce n'est pas par les yeux de la chair et du sang que l'on parvient à discerner entre les mouvements intérieurs ceux qui sont divins et qui naissent de la grâce, d'avec ceux qui sont humains et produits par les affections désordonnées. Sans doute il y a entre ces deux effets et leurs causes une distance énorme; néanmoins, si la créature n'est pas des plus éclairées, et si elle n'est pas entièrement morte à ses passions, elle ne saurait faire ce discernement, ni séparer ce qui est pernicieux de ce qui ne l'est pas (1). Et la difficulté est bien plus grande quand quelque motif temporel et humain s'y trouve ou s'y mêle : parce qu'alors l'amour-propre et naturel s'avise trop souvent de traiter les choses divines et spirituelles, et expose l'âme à tomber à chaque pas dans de très-dangereux précipices. 397. Que cet avis vous serve pour toute votre vie, de ne déclarer jamais aucune chose sans mon ordre, si ce n'est à celui qui vous conduit. Et puisque j'ai (1) I Cor., II, 14; Jerem., IV, 19. 213 bien voulu me constituer votre maîtresse, je ne manquerai pas de vous prescrire et de vous conseiller ce que vous aurez à faire en cela et dans tout le reste, afin que vous ne vous écartiez point de la volonté de mon très-saint Fils. Irais prenez bien garde à faire toujours une grande estime des faveurs et des bienfaits du Très-Haut (1). Regardez-les avec vénération, et préférez le cas que vous en devez faire et la reconnaissance que vous en devez avoir à toutes les choses inférieures, surtout à celles qui sont conformes à votre inclination. La crainte respectueuse que j'eus me fit garder un silence très-exact, persuadée, comme je devais l'être, que le trésor qui m'avait été confié était d'un prix inestimable. Et je m'imposai cette discrétion, ce silence, nonobstant mon état de dépendance naturelle et l'amour que je portais à saint Joseph, mon époux et mon maître, et malgré la douleur et la compassion que je ressentais de ses afflictions, dont j'eusse tant voulu le délivrer, parce que je préférais à tout le bon plaisir dit Seigneur, et que je lui remettais une cause qu'il s'était réservée à lui seul. Apprenez aussi par là à ne vous jamais disculper, pour innocente que vous soyez sur, ce qu'on vous impute. Rendez-vous agréable au Seigneur en vous confiant entièrement à son amour; abandonnez-lui votre. réputation , et cependant vainquez par la patience, par l'humilité, par les bienfaits et par les paroles douces et obligeantes, ceux qui vous offensent. (1) Eccles., XXXIX, 19 et 20. 214 Je vous recommande particulièrement de ne jamais juger mal de personne, quand même les indices les plus clairs viendraient frapper vos yeux; car la parfaite charité vous apprendra à donner à toutes choses une interprétation prudente et à excuser les fautes d'autrui. C'est pour cela que Dieu a mis pour modèle mon époux saint Joseph ; car jamais personne n'eut à la fois de plus justes motifs de suspicion et plus de discrétion à suspendre son jugement, parce que, suivant les règles d'une. charité circonspecte et généreuse, on fait acte de sage réserve et non point de témérité, quand on s'en rapporte, pour l'appréciation d'un fait dont la culpabilité n'est pas évidente, à des causes supérieures qu'on ne pénètre pas, plutôt que de juger et que de condamner le prochain. Je ne vous donne pas ici des instructions particulières pour ceux qui sont dans l'état du mariage, parce qu'elles ressortent assez de toute l'histoire de ma vie, et ils en peuvent tous faire leur profit, quoique je vous les donne maintenant pour votre avancement particulier, que je désire avec un amour de mère. Écoutez-moi, ma très-chère fille, et mettez en pratique mes conseils et mes paroles de vie. CHAPITRE III. L'ange du Seigneur parle â saint Joseph dans un songe, et lui révèle le mystère de l'Incarnation. - Effets de cette ambassade. 398. Les pointes de la jalousie entretiennent dans l'Aine de celui qui en est atteint une douleur si vive, que maintes fois, non-seulement elle trouble son sommeil, mais elle l'éloigne de ses yeux et lui ôte entièrement le repos. Personne n'en ressentit si sensiblement les effets que saint Joseph , quoique dans la réalité personne n'en eût moins de sujet, s'il l'eût alors connue. Il était doué d'une science et d'une lumière singulière pour pénétrer la sainteté et les belles qualités de sa divine épouse, qui étaient inestimables. Mais cette science et cette lumière fournissaient les raisons qui l'obligeaient à renoncer à la possession d'un si grand bien; et par conséquent, plus elles lui faisaient connaître ce qu'il allait perdre, plus elles augmentaient les douloureux regrets que lui inspirait son départ (1). C'est pour cela que les peines de saint Joseph surpassèrent tout ce que les hommes ont souffert d'analogue : car aucun n'eut une plus (1) Eccles., I, 18. 217 haute idée de l'objet qu'il perdait, aucun ne put le connaître et l'apprécier comme le saint patriarche. Mais il faut que nous mettions une grande différence entre la jalousie et les soupçons de ce fidèle serviteur, et ceux des autres hommes condamnés à la même épreuve. En effet, la jalousie ajoute à un amour violent le vif désir de ne pas perdre, mais de conserver ce que l'on aime; et par une conséquence naturelle, cette affection est suivie de la douleur que cause la crainte de le perdre et de voir quelqu'un nous l'ôter; c'est cette douleur ou cette inquiétude que l'on appelle communément jalousie, laquelle produit en ceux qui ont les passions désordonnées, faute de prudence et des vertus nécessaires, divers sentiments de colère, de fureur et d'envie contre la personne aimée elle-même ou contre le rival , qui empêche le retour de l'amour, qu'il soit bien ou mal ordonné. Alors arrivent comme la tempête les conjectures hasardées , les soupçons téméraires que font naître les mêmes passions. Bientôt mille velléités contraires agitent, l'âme : on veut, on se repent, on aime, on abhorre, et les appétits concupiscible et irascible sont continuellement aux prises, sans qu'il y ait ni raison ni prudence pour les maîtriser, parce qu'un mal de ce genre obscurcit l'entendement, pervertit le sens moral et bannit la prudence. 399. Saint Joseph ne fut point sujet à ces désordres vicieux; il ne pouvait même pas l'être, non-seulement à cause de sa sainteté insigne, mais aussi à cause de celle de son épouse, car il ne connaissait en 217 elle aucune faute qui pût le porter à la moindre indignation, et il ne lui vint pas à l'esprit qu'elle eût mis son amour en aucun autre qu'il dût voir avec envie ou repousser avec colère. La jalousie du saint ne consista qu'en la grandeur de son amour et en une espèce de doute ou de soupçon portant sur le retour qu'il avait obtenu de sa très-chaste épouse, parce qu'il ne trouvait pas le moyen de vaincre ce doute par une raison décisive, comme l'étaient les apparences qui le causaient. Il ne lui fallut point de plus grande certitude pour rendre sa douleur si véhémente; car en un gage aussi cher que l'amour d'une épouse, on ne doit souffrir aucune société, et afin que ces apparences produisissent une telle jalousie, il suffisait que, taudis que l'amour le plus pur et le plus ardent remplissait tout le coeur de saint Joseph, il dût voir la moindre marque d'infidélité et éprouver là crainte de perdre le plus parfait, le plus beau, le plus agréable objet dont s'occupassent son entendement et sa volonté. Car quand l'amour a des motifs si justes, les liens qui retiennent le coeur comme un captif enchaîné, sont d'autant plus forts, d'autant plus indissolubles, surtout quand il n'y a point dans l'objet aimé des imperfections capables de les faire rompre par un violent effort. Noire divine Reine n'en avait aucune, il ne te trouvait rien en elle qui pût diminuer l'amour de son saint époux; au contraire, tout ce qu'elle avait reçu de la grâce et de la nature lui fournissent tous les jours de nouveaux sujets de l'augmenter. 418 400. Après que le saint eut fait sa prière, il s'endormit dans cette douleur, qui alla jusqu'à la tristesse, assuré qu'il s'éveillerait à temps pour sortir de sa,maison à minuit, sans être aperçu, espérait-il, de son épousé. Notre divine Dame attendait le remède et le demandait incessamment par ses humbles prières, parce qu'elle savait que, les peines de son époux étant arrivées à leur plus haut degré, le moment de la miséricorde était proche, où la consolation descendrait dans ce coeur désolé. Le Très-Haut envoya le saint archange Gabriel, le chargeant de découvrir par une révélation divine, à saint Joseph endormi, le mystère de la grossesse de son épouse Marie. Et l'archange s'acquittant de cette mission, apparut su saint dans un songe, comme le marque saint Matthieu, et lui déclara dans les termes que cet évangile rapporte (1), tout le mystère de l'incarnation et de la rédemption. On sera peut-être un peu surpris, aussi bien que moi, de ce que l'archange ait parlé à saint Joseph dans un songe, et non point lorsqu'il veillait, puisque le mystère était si relevé et si difficile à concevoir, surtout dans le trouble extrême où se trouvait le patriarche, tandis que le même mystère fut révélé à d'autres , non durant leur sommeil, mais en pleine veille. 401. Dans ces dispositions du Seigneur, la raison suprême n'est autre que sa divine volonté, toujours juste, sainte et parfaite. Je tâcherai pourtant de dire, (1) Matth., I, 20 et 21. 219 pour notre instruction , quelques-unes des choses que j'ai apprises à cet égard. La première est, nue saint Joseph était si prudent, éclairé d'une si céleste lumière , et pénétré d'une si haute estime pour la très-sainte Vierge, qu'il ne fut pas nécessaire de recourir à des moyens plus forts pour le convaincre de sa dignité et des mystères de l'incarnation , car les inspirations divines s'insinuent aisément dans les coeurs bien disposés. La seconde est, que son trouble ayant commencé par les sens, à la vue de la grossesse de son épouse, il était juste qu'ils fussent comme mortifiés et. privés de la vision angélique, et que la vérité ne fût point introduite dans l'âme par leur organe, puisqu'ils avaient donné l'entrée à la tromperie ou su soupçon. Une troisième raison qui a beaucoup de rapport à celle-là, est parce que saint Joseph, bien qu'il ne commit aucun péché, souffrit un trouble tel, que ses sens contractèrent une espèce de souillure (lui les rendit indignes de la vue et de la communication du saint ange; il fallait par conséquent que l'ambassadeur céleste lui parait dans an moment où les sens scandalisés auparavant, fussent interdits par la suspension de leurs opérations; dans la suite, le saint homme étant revenu à soi, se purifia et se disposa par plusieurs actes, comme je le dirai, à recevoir les influences du Saint-Esprit, car son trouble les eût écartées. 402. On comprendra par là pourquoi Dieu parlait aux anciens pères dans des songes, plus souvent qu'il ne fait maintenant aux fidèles enfants de la loi 220 évangélique, sous le règne de laquelle ces sortes de révélations sont moins fréquentes que celles par lesquelles les anges se manifestent davantage. La raison en est que, dans l'économie divine, les plus grands obstacles qui empêchent que les âmes n'aient des rapports vraiment familiers avec Dieu et avec ses anges, sont les péchés, même légers, et voire les simples imperfections. Mais depuis que le Verbe s'est incarné et qu'il a conversé avec les hommes, les sens se sont purifiés et nos puissances se purifient tous les jours, étant sanctifiées par le bon usage des sacrements sensibles, de sorte qu'elles se dégourdissent, se spiritualisent, s'élèvent et s'habilitent dans leurs opérations à participer aux influences divines. Et ce privilège sur les anciens, nous le devons au précieux sang de notre Seigneur Jésus- Christ, en vertu duquel nous sommes sanctifiés par les sacrements, en y recevant les effets divins de grâces spéciales, et en quelques-uns le caractère spirituel qui nous distingue et nous dispose à de plus hautes fins. Mais quand le Seigneur parlait autrefois, ou qu'il parle maintenant dans des songes, il exclut les opérations des sens comme incapables ou indignes d'assister aux noces spirituelles de sa communication intime et de jouir de ses épanchements célestes. 403. On doit aussi inférer de cette doctrine, que pour recevoir les faveurs secrètes du Seigneur, il faut non-seulement que les âmes soient exemptes de péché, enrichies de grâce et de mérites, mais encore qu'elles aient le calme et la tranquillité de la paix, parce que 221 si cette république des puissances est agitée comme elle l'était en saint Joseph, elle n'est pas disposée à recevoir des effets aussi divins et aussi spirituels que ceux que produisent dans l'âme la visite et les caresses du Seigneur. Et il n'arrive que trop souvent que ces troubles intérieurs les empêchent, lors même que la créature gagne les plus grands mérites, comme le faisait l'époux de notre Reine, par les peines et les tribulations qu'elle supporte: c'est que la souffrance suppose toujours un travail, une espèce. de lutte contre les ténèbres, tandis que la jouissance consiste. à se reposer en paix dans la possession de la lumière; or, la lumière n'est pas compatible avec la présence des ténèbres, dit-elle parvenir à les chasser. Ainsi, dans le plus fort du combat des tentations, que l'on peut comparer avec le sommeil ou avec la nuit, l'on entend ordinairement la voix du Seigneur par le moyen des anges, comme il arriva à notre saint, qui entendit et comprit tout ce que disait saint Gabriel , savoir : qu'il ne craignit point de demeurer avec son épouse Marie, parce que sa grossesse était l'ouvrage du Saint-Esprit (1); qu'elle enfanterait un Fils qu'il nommerait Jésus, et qui serait le Sauveur de son peuple (2), et que dans tout ce mystère serait accomplie la prophétie d'Isaïe qui dit : " Qu'une vierge concevrait et mettrait au monde un fils qui serait appelé Emmanuel, c'est-à-dire Dieu avec nous (3). " Saint Joseph ne vit point l'ange sous une forme sensible, (1) Matth., I, 20. - (2) Ibid., 21. - (3) Isa., VII, 14. 222 il en unit seulement la voix au fond de son dîne, et connut le mystère. Des termes dont l'ambassadeur céleste se servit, on doit conclure que le saint avait déjà, par la pensée, quitté la très-pure Marie, puisqu'il lui ordonna de la recevoir sans crainte. 404. Saint Joseph s'éveilla convaincu du mystère qui lui avait été révélé, et que son épouse était véritablement Mère de Dieu. Partagé entre la joie de son bonheur et de son sort inespéré, et de nouveaux regrets de sa conduite, il se prosterna à terre, et, troublé cette fois par une humble crainte et une joie ineffable, il fit des actes héroïques d'humilité et de reconnaissance. Il rendit des actions de grâces à Dieu pour le mystère qu'il lui avait découvert, et l'avoir fait époux de Celle qu'il avait choisie pour Mère, lui, qui ne méritait pas d'être son esclave. Par cette révélation et ces actes de vertu, l'esprit du saint recouvra sa sérénité et se trouva disposé à recevoir de nouveaux effets du Saint-Esprit. Les doutes et les troubles par lesquels il avait passé servirent à jeter en lui les fondements d'une plus profonde humilité, nécessaire à celui à qui l'on confiait la dispensation des plus hauts conseils du Seigneur; et le souvenir de cet événement fut une leçon qu'il médita durant toute sa vie. Ayant rendu ses actions de grâces à la divine Majesté, le saint homme commença à se faire à lui-même des reproches dans sa solitude, et s'écria : " O ma divine épouse et très-douce colombe, choisie a du Très-Haut pour sa demeure et pour sa propre Mère, comment cet indigne esclave a-t-il eu la 223 hardiesse de mettre en doute votre fidélité ? Comment celui qui n'est que cendre et que poussière a-t-il pu se laisser servir par Celle qui est Reine du ciel et de la terre, et Maîtresse de toutes les créatures? Comment n'ai-je point baisé la terre qu'ont touchée vos pieds sacrés? Comment n'ai-je pas songé uniquement à vous servir à genoux? " Comment oserai-je lever les yeux en votre présente, demeurer en votre compagnie, et ouvrir la bouche pour vous parler? Seigneur, faites-moi la grâce de me donner assez de force pour la prier de me pardonner, inspirez-lui d'user de miséricorde envers moi et de ne point rejeter, suivant ses mérites, ce serviteur qui reconnaît sa faute. " Hélas ! avec combien de clarté ne devait-elle pas pénétrer toutes mes pensées, étant remplie de lumière et de grâce, et renfermant dans son sein le Soleil de justice ! Après avoir été sérieusement décidé à la quitter, ne serai- je donc pas téméraire quand je paraîtrai devant elle ? Je connais mon a procédé. grossier et ma lourde méprise, puisqu'à la vue d'une si grande sainteté j'ai accueilli d'indignes pensées et des doutes sur la fidélité d'un retour que je ne méritais pas. Et si votre justice, Seigneur, eût permis pour me châtier que j'eusse exécuté ma résolution imprudente, quel serait maintenant mon malheur? Je vous remercierai éternellement, mon Dieu, d'un bienfait si incomparable. Donnez-moi, Roi tout- puissant, de quoi vous payer largement la dette de la reconnaissance. Je me présenterai 224 à ma Princesse, mon épouse, me confiant en la douceur de sa clémence, et, prosterné à ses pieds, je lui demanderai pardon, afin qu'à cause d'elle, Seigneur, vous me traitiez avec une indulgence paternelle et me pardonniez mon erreur. " 405. Saint Joseph, s'étant éveillé, sortit de son pauvre appartement aussi différent de ce qu'il était avant son sommeil, qu'il se trouvait heureux après son réveil. Et comme la Reine du ciel se tenait toujours dans la retraite, il n'osa point l'interrompre dans sa douce contemplation avant qu'elle en sortit d'elle-même (1). En attendant, l'homme de Dieu délia le petit paquet qu'il avait préparé, fondant en larmes, et animé de sentiments bien contraires à ceux qui le dominaient naguère. Et, vouant dès lors toute sa vénération à sa divine épouse, le saint se mit, tout en pleurant, à arranger la maison, à nettoyer le sol qu'elle devait toucher de ses pieds sacrés, et à s'occuper d'une foule de petites choses dont il avait accoutumé de remettre le soin à la sainte Vierge, lorsqu'il ne connaissait point sa dignité; et il résolut de changer de façons et de conduite envers elle, en s'appropriant l'office de serviteur pour lui réserver celui de maîtresse. Dès ce jour-là ils eurent à ce propos d'admirables disputes, pour savoir lequel des deux devait servir et se montrer plus humble. Là Princesse de l'univers découvrait toutes les pensées et tons les mouvements de son époux. Et quand l'heure fut arrivée, (1) Cant., II, 7. 225 il se présenta à la chambre de notre divine Dame, qui l'attendait avec la douceur et la complaisance que je dirai dans le chapitre qui suit. Instruction que la très-sainte Vierge me donna. 406. Ma fille, vous avez dans et avec toutes les choses qui vous ont été enseignées au présent chapitre, un doux motif de louer le Seigneur, en connaissant l'ordre admirable avec lequel, toujours aussi sage que miséricordieux, il ménage à ses serviteurs et à ses élus tour à tour les afflictions et les consolations (1), pour les attirer tous à lui avec une plus grande augmentation de mérite et de gloire. Outre cet avis, je veux que vous en receviez un autre fort important pour votre conduite et pour l'étroit commerce auquel le Très-Haut vous appelle. C'est que vous fassiez tous vos efforts pour vous conserver toujours dans la tranquillité et dans la paix intérieure, sans permettre à aucun événement de la vie mortelle de vous les ôter ont de les altérer par le plus léger trouble, profitant, compte d'un exemple et d'une leçon, de ce qui arriva à mon époux Joseph dans la circonstance que vous venez de raconter. Le Très-Haut ne veut point que la créature se trouble par la (1) 1 Reg., II, 6. 226 tribulation, mais qu'elle mérite; il ne veut point qu'elle s'abatte, mais qu'elle fasse l'expérience de ce qu'elle peut avec sa grâce. Et, bien que les vents impétueux des tentations jettent d'ordinaire dans le port d'une plus grande paix et d'une plus haute connaissance de Dieu, bien qu'on puisse tirer de ce trouble la connaissance de soi- même et le sujet de son humiliation , il n'en est pas moins vrai que si l'on ne rentre dans le calme et dans le repos intérieur, on n'est pas disposé à recevoir les visites, les inspirations et les caresses du Seigneur, parce que sa divine Majesté ne vient point dans des tourbillons (1), et qu'on ne saurait apercevoir les rayons de ce suprême Soleil de justice dans un air peu serein. 407. Si le défaut de cette tranquillité suffit pour empêcher à. ce point les intimes communications dit Très-Haut, il est certain que les péchés sont encore de plus grands obstacles pour arriver à une si haute faveur. Je veux, ma fille, que vous soyez fort attentive à cet enseignement, et que vous ne supposiez pas avoir le droit de le soumettre au contrôle de vos facultés. Et, puisque vous avez si souvent offensé le Seigneur, ayez recours à sa miséricorde, pleurez et purifiez-vous entièrement, et sachez que vous êtes obligée, sous peine d'être condamnée comme infidèle, de veiller sur votre âme et de la conserver toujours pure, chaste et tranquille, comme destinée à servir éternellement de demeure au Tout-Puissant (2), afin (1) III Reg., XIX, 11 et 12. - (2) I Cor., III, 16. 227 que son Maître la possède et y trouve une habitation digne de lui. Il doit régner entre vos puissances et vos sens un ordre tel, qu'il en résulte, comme de plusieurs instruments de musique, une très-douce et très-agréable harmonie; et plus cet accord est parfait, plus il est ü craindre qu'il ne soit troublé par quelques dissonances : c'est pourquoi il faut garder d'autant plus soigneusement ses sens, pour les préserver du contact des choses de la terre: car il suffit malheureusement que l'âme respire l'air infect qui sort des objets mondains, pour que leur contagion atteigne et frappe les puissances, même le plus étroitement unies à Dieu. Travaillez donc à vous observer, à vous surveiller vous- même, pour conserver un empire absolu sur vos puissances et sur leurs opérations. Et si vous vous apercevez que cet ordre et cette harmonie sont quelquefois troublés, tâchez d'être attentive à la divine lumière, pour la recevoir sans altération et sans crainte, et pour agir avec son secours de la manière la plus pure et la plus parfaite. Je vous donne pour exemple à ce sujet mon époux saint Joseph, qui crut sans hésitation et sans défiance ce que l'ange lui dit, exécutant aussitôt avec une prompte obéissance ce qui lui fut ordonné, par où il mérita d'être élevé à de hautes récompenses et à une éminente dignité. Et si, n'ayant commis aucun péché en ce qu'il fit, il s'abaissa avec tant d'humilité, seulement pour s'être troublé dans une occasion où il avait, du moins en apparence, tant dé motifs d'inquiétude, considérez combien vous devez reconnaître votre néant et vous confondre avec 228 la poussière, vous qui n'êtes qu'un pauvre vermisseau, en pleurant vos négligences et vos péchés, jusqu'à ce que le Très-Haut vous regarde avec les dispositions d'un père et d'un époux. CHAPITRE IV. Saint Joseph demande pardon à la très-pure Marie, son épouse, et notre divine Dame le console avec nue grande prudence. 408. Saint Joseph, qui avait reconnu soit erreur, attendait que la sainte Vierge son épouse sortit de son recueillement; et, lorsqu'il crut que l'heure était venue, il ouvrit la porte de la petite chambre qu'occupait la Mère du Roi céleste; et aussitôt il se jeta à ses pieds et lui dit avec une humilité et une vénération profonde : " Puissante Mère véritable du Verbe éternel, voici votre serviteur prosterné aux pieds de votre clémence. Au nom de Seigneur votre Dieu lui-même, que vous portez dans votre sein virginal, je vous supplie de me pardonner ma témérité. Je suis certain, Madame, qu'aucune de mes pensées ne peut être cachée à votre sagesse et à la lumière divine que vous avez reçue. Je fus bien hardi, lorsque j'osai former le projet de vous quitter, et 229 je ne fus pas moins grossier, lorsque je vous traitai jusqu'à présent comme mon inférieure, au lieu de vous servir comme la Mère de mon Seigneur et de mon Dieu. Mais aussi vous savez que j'ai fait tout cela par ignorance, parce que le secret du grand Roi ne m'avait pas été découvert, ni la grandeur de votre dignité, quoique je révérasse en vous d'autres dons du Très-Haut. Oubliez, Madame, les ignorances d'une vile créature, qui les ayant reconnues, offre son coeur et sa vie à votre service. Je ne me lèverai point de vos pieds sans savoir que je suis dans vos bonnes grâces, que vous m'avez pardonné mon désordre et accordé votre bienveillance et votre bénédiction. " 409. En entendant les humbles paroles de son époux Joseph, l'auguste Marie ressentit des impressions diverses; car, si d'un côté elle se réjouissait vivement dans le Seigneur, de voir qu'il était informé des mystères de l'incarnation, et qu'il les confessait et les révérait avec une si haute foi et avec une,humilité si profonde, de l'autre, elle fut un peu affligée de la résolution qu'il avait prise de la traiter à l'avenir avec le respect et la soumission qu'il lui offrait; parce que la très-humble Dame craignit de perdre par ce changement les occasions d'obéir et de s'abaisser comme servante de son époux. Et comme quelqu'un qui se trouverait tout à coup dépossédé d'un bijou ou d'un trésor auquel il attachait un grand prix; ainsi la très- sainte Vierge fut attristée par l'appréhension qu'elle eut que saint Joseph l'ayant reconnue pour Mère du 230 Seigneur, ne cessât de la traiter en toutes choses comme inférieure. Elle fit lever son époux, et se prosterna elle-même à ses pieds. Il tâcha de l'en empêcher, mais inutilement, car elle était invincible en humilité, et dans cette humble posture, elle dit au saint : " C'est a moi, mon maître et mon époux, qui dois vous demander pardon des peines et des amertumes que je vous ai causées; je vous supplie donc, prosternée à vos pieds, d'oublier vos soucis et la tristesse a qu'ils vous ont donnée, puisque le Très-Haut a exaucé vos désirs. " 410. Notre divine Dame crut devoir consoler son époux, et cent plutôt pour cela que pour se disculper, qu'elle lui dit en continuant son discours: " Je ne pouvais, malgré mon désir à cet égard, vous a rien confier du mystère caché que le Très- Haut renfermé en moi, parce que je devais, petite esclave de sa Majesté souveraine, attendre les ordres de sa volonté toujours sainte, juste et parfaite. Si j'ai gardé le silence, ce n'est pas que je cessasse de vous considérer comme mon maure et mon époux. Je suis et serai toujours votre fidèle servante, et je répondrai dans toutes les occasions à vos justes souhaits et à vos saintes affections. Mais ce que je vous demande du plus intime de mon coeur, au nom du Seigneur que j'ai dans mon sein , c'est que dans vos rapports et dans vos manières, vous conserviez le même genre qu'auparavant. Le Seigneur ne m'a pas élevée à la maternité divine pour être servie ni pour commander pendant cette vie, mais pour être 231 la servante de tous, et particulièrement la vôtre ; c'est pourquoi je vous dois obéir en tout. Voilà, mon seigneur, mon rôle; et si vous m'en privez, vous me priverez en même temps de ma consolation. Il est juste que vous me le laissiez, puisque le Très-Haut l'a ordonné de la sorte, en m'assurant vos soins et votre protection, afin que je vive tranquille à l'ombre de votre nom, et qu'avec votre aide je puisse nourrir le fruit que je porte, mon Dieu et mon Seigneur. " Par ces paroles et par plusieurs autres pleines de la plus douce éloquence, l'auguste Marie consola et rassura son saint époux; ensuite elle se releva pour lui apprendre tout ce qu'il devait savoir. Et comme notre divine Dame n'était pas seulement remplie du Saint-Esprit, main qu'elle avait encore dans son sein comme mère, le Verbe divin, dont il procède aussi bien que du hère, elle éclaira d'une manière merveilleuse l'intelligence de saint Joseph , qui reçut en ce moment une abondante effusion des grâces divines. Et l'esprit tout renouvelé et animé d'une nouvelle ferveur, il lui dit : 411. " Vous êtes bénie, ma chère Dame, entre a Mates les femmes, heureuse et bienheureuse entre tontes les nations et tolites les générations. Que le Créateur du ciel et de la terre soit glorifié par des louanges éternelles, de ce qu'il vous a regardée du plus haut de son trône royal et choisie pour sa demeure; il a accompli en vous seule les promesses qu'il a faites à nos pères et aux prophètes. Que toutes les générations lé bénissent de ce qu'en aucune 232 autre créature il ne s'est autant exalté qu'en votre humilité, et de ce qu'étant le plus vil des a hommes, il m'a choisi par sa divine bonté pour votre serviteur. " Ces bénédictions et ce langage furent inspirés à saint Joseph par l'Esprit divin, comme la réponse que fit sainte Élisabeth à la salutation de notre grande Reine; seulement la lumière et la science que le saint reçut, furent en quelque façon plus admirables, comme étant en rapport avec sa dignité et avec son ministère: L'auguste Marie, entendant les paroles de son bienheureux époux, lui répondit par le cantique du Magnificat, qu'elle répéta dans les mêmes termes qu'à sainte Élisabeth (1), en y ajoutant plusieurs nouveaux versets; et pendant qu'elle les disait, elle fut tout enflammée d'un feu divin, ravie en une très-sublime extase, et élevée de terre dans un globe d'une brillante lumière qui l'environnait; et elle y fut toute transformée, comme si elle avait déjà participé aux dons de la gloire. 412. Saint Joseph fut rempli d'admiration et d'une joie inexprimable à la vue d'un objet si divin; car il n'avait pas encore vu sa très-sainte épouse élevée a. un si haut degré de gloire et d'excellence. C'est alors qu'il comprit clairement, entièrement sa grandeur, parce qu'il découvrit en même temps l'intégrité et la pureté virginale de la Princesse du ciel, et le mystère de sa dignité; il vit et reconnut dans son très- chaste sein l'humanité sacrée de l'Enfant-Dieu, et l'union des (1) Luc., 1, 45. 233 deux natures en la personne du Verbe; il l'adora avec une profonde humilité, le reconnut pour son véritable Rédempteur, et se consacra à son service en multipliant les actes de l'amour le plus généreux. Le Seigneur le regarda avec une grande complaisance, et le distingua entre toutes les autres créatures; car il l'accepta pour son père putatif, et lui en donna le titre; et pour qu'il pût porter dignement un nom si extraordinaire, il lui départit toute la plénitude de la science et des dons célestes que la piété chrétienne peut et doit présumer. Je ne m'arrête point à raconter ce qui m'a été déclaré des excellences de saint Joseph, parce qu'il faudrait m'étendre au delà des bornes que m'assigne le plan de cette histoire. 413. Mais si ce fut une preuve de la magnanimité du glorieux saint Joseph , et une marque très-évidente de sa sainteté éminente, de ne pas mourir par suite de la jalousie qu'il eut de sa très-chère épouse, c'est encore un sujet plus digne d'admiration, de ne le voir pas suffoquer de la joie inespérée dont son âme fut inondée au moment où toutes ses craintes furent dissipées Dans le premier fait on découvrit sa sainteté, mais dans le second il reçut un, tel surcroît de grâces et de dons du Seigneur, que si sa divine Majesté ne lui eût dilaté le coeur, il eût été incapable de les recevoir et de résister à l'enivrement des consolations spirituelles. Tout son être fut renouvelé et éclairé, pour devenir digne de converser avec celle qui était Mère de Dieu aussi bien que son épouse, et pour dispenser de concert avec elle les choses qui regardaient l'incarnation 234 et l'entretenement du Verbe humanisé, comme je le dirai dans la suite. Et afin qu'il fdt plus apte à sa mission, et qu'il comprit mieux les obligations qu'il avait de servir sa divine épouse, il lui fut manifesté que tousses dons et bienfaits qu'il avait reçus de la main du Très-Haut, lui avaient été départis par elle et pour elle : ceux qui lui furent faits avant que d'être son époux, parce que le Seigneur l'avait choisi pour cette dignité; et ceux qu'il recevait alors, parce qu'elle les lui avait obtenus et mérités. Il connut aussi l'incomparable prudence qui avait réglé ses rapports avec lui, non-seulement quand elle l'avait servi avec une obéissance si inviolable et avec une humilité si profonde, mais quand elle l'avait consolé dans son affliction, en lui procurant la grâce et le secours du Saint-Esprit, et qu'elle avait dissimulé avec une très-grande discrétion tout ce qui se passait dans son âme; enfin, quand ensuite elle l'avait calmé, pacifié et animé des dispositions nécessaires pour bien recevoir les influences de l'Esprit divin. Et comme notre grande Reine avait été l'instrument dont Dieu s'était servi pour sanctifier le petit Baptiste et sa mère sainte Élisabeth, de même,elle fut l'organe par lequel saint Joseph reçut la plénitude de grâce avec une bien plus grande abondance. Le très-heureux époux comprit tout cela, et il y répondit comme un très-fidèle et très-reconnaissant serviteur. 414. Les saints évangélistes n'ont fait aucune mention de ces grands mystères ni de beaucoup d'antres qui arrimèrent à notre Reine et il son saint époux 235 Joseph, non-seulement parée que ces deux incomparables modèles d'humilité les conservèrent toujours dans leurs coeurs sans les communiquer à personne, mais aussi parce qu'il n'était pas nécessaire d'insérer ces merveilles dans la vie de notre Seigneur Jésus-Christ qu'ils ont écrite, afin que par sa foi la nouvelle Eglise et la loi de grâce s'étendissent; outre que la connaissance aurait pu n'en être pas utile à la gentilité au commencement de sa conversion. La Providence, toujours admirable dans ses secrets et impénétrables jugements, se réserva de tirer de ses trésors ces choses qui sont à la fois nouvelles et anciennes (1), au moment marqué comme le plus propre par sa divine sagesse, lorsque l'Église avant déjà été fondée et la foi catholique établie, les fidèles auraient besoin de l'appui et de l'intercession de leur puissante Reine et Protectrice, afin qu'après avoir appris par une nouvelle lumière quelle mère tendre, quelle avocate zélée ils ont en elle dans le ciel auprès de son très-saint Fils, à qui le Père a donné la puissance de juger (2), ils eussent recours à elle dans leurs nécessités comme à l'unique et sûr refuge des pécheurs. Pour savoir si l'Église est arrivée à cette triste époque, il ne faut qu'observer ses larmes et ses tribulations, puisqu'elles n'ont jamais été plus grandes qu'à présent, où ses propres enfants nourris clans son sein sont ceux qui l'affligent, la déchirent et dissipent les trésors du sang de son Époux (3), avec plus (1) Matth, XIII, 52. - (2) Joan., V, 27. - (3) Hebr., X, 29. 236 de cruauté que ses ennemis les plus acharnés. Or à quoi songent les plus fidèles, les plus catholiques et les plus constants enfants dè cette Mère désolée, quand tant de misères se font sentir, quand le sang répandit de leurs frères, et surtout le sang de notre souverain Pontife Jésus-Christ (1), profané sous divers prétextes de justice, crie vengeance jusqu'au ciel? Pourquoi gardent-ils ce silence? Comment n'invoquent-ils pas, n'appellent-ils pas à haute voix l'auguste Marie? Comment, dans leur détresse, ne font-ils pas violence à son coeur par leurs prières? On ne doit pas être surpris si le remède tarde, puisque nous négligeons de le chercher et de reconnaître cette divine Dame pour véritablement Mère de Dieu lui-même. J'avoue que cette Cité mystique renferme de magnifiques mystères (2), et que nous ne pouvons les annoncer que par une foi vive et constante. Ils sont tels, que la connaissance complète n'en sera accordée qu'après la résurrection générale, époque où les saints les connaîtront en Dieu. Mais en attendant, les âmes pieuses et fidèles doivent admirer la bonté de cette très-aimable et très-amoureuse Reine, qui a bien voulu se servir d'un aussi vil instrument que moi pour leur en révéler quelques- uns; et mes faiblesses et oies lâchetés sont si grandes, qu'il n'y a que le commandement maintes fois réitéré de la Mère de la charité qui puisse encourager mes efforts. (1) Hebr., XII, 24. - (2) Ps., LXXXVI, 2. 237 Instruction que la très-sainte Vierge me donna. 415. Ma fille, c'est dans le désir que je vous 'exprime de vous voir orner votre vie sur le miroir de la mienne, et régler fidèlement toute votre conduite sur mes actions, que je vous découvre dans cette histoire non-seulement les mystères que vous rapportez , mais tant d'autres que vous ne pouvez faire connaître parce qu'ils doivent tous demeurer gravés dans le plus intime de votre coeur. Ainsi, pour m'acquitter de l'office de maîtresse; je vous renouvelle le souvenir de la leçon qui vous doit apprendre la science de la vie éternelle. Soyez prompte à exécuter ce qui vous est ordonné, comme une obéissante et diligente disciple. Que l'humble empressement de mon époux Joseph, sa docilité et l'estime qu'il fit de la lumière et de la doctrine divine, vous servent maintenant d'exemple. Considérez que le Très- Haut voulant trouver son coeur préparé et bien disposé à accomplir avec zèle sa très-sainte volonté, le changea et le réforma entièrement par cette plénitude de grâce dont il avait besoin pour le ministère auquel sa divine Majesté le destinait. Or faites en sorte que la connaissance de vos péchés serve à vous humilier avec soumission, et non pas à empêcher le Seigneur, sous prétexte de votre peu de mérite, de se servir de vous en ce qu'il voudra. 416. Je veux à cette occasion vous manifester les 238 justes plaintes et le courroux du Très-Haut contre les mortels, afin que par la divine lumière vous en compreniez mieux la raison à la vue de l'humilité et de la douceur que j'eus envers mon époux Joseph. Ces plaintes du Seigneur, que j'exprime aussi de mon côté, sont fondées sur la monstrueuse perversité qui porte les hommes à se traiter sans charité et sans humilité; et eu cela concourent trois péchés qui détournent beaucoup le Très-Haut et moi d'user de miséricorde envers eux. Le premier est, que les hommes, sachant qu'ils sont tous enfants d'un Père qui est aux cieux (1), ouvrage de ses mains, formés d'une même nature, entretenus par ses largesses, vivifiés par sa providence (2), et nourris à une même table de ses divins mystères et de ses augustes sacrements, et spécialement du propre corps et du sang précieux de Jésus-Christ, ne laissent pas d'oublier et de ravaler toutes ces choses à la vue du moindre intérêt temporel : comme si cela suffisait pour leur faire perdre la raison, ils se troublent, s'échauffent, se livrent à la discorde, à la rancune, aux trahisons et aux murmures, et parfois i1 des vengeances inhumaines et à de mortelles inimitiés les uns contre les autres. Le second est, que si, surpris par la fragilité d'une nature immortifiée et par la tentation du démon, ils tombent dans quelqu'une de ces fautes, ils ne tâchent pas aussitôt de rien relever et de se réconcilier entre eux, comme des frères qui vivent (1) Act., XVII, 26. - (2) Matth., VI, 45, etc.; Ps. CXXVII, 3. 239 sous les yeux. du juste Juge; su lieu d'avoir en Dieu un Père plein de clémence, ils ne demandent qu'un juge sévère et rigoureux de leurs péchés (1), puisque la haine et la vengeance sont ce qui irrite le plus sa justice. Le troisième qui excite toute son indignation e•t , que parfois quand quelqu'un veut se réconcilier avec son frère , celui qui se croit offensé le rejette et exige une satisfaction plus ample que celle qu'il sait être capable de satisfaire le Seigneur, et même que celle dont il veut lui- même se servir pour apaiser sa divine Majesté (2); car tous veulent que, contrits et humiliés, ce Dieu qu'ils ont bien plus grièvement offensé les reçoive dans ses bras et leur pardonne; et cependant eux qui ne sont que cendre et poussière prétendent se venger de leur frère, et ne se' donnent point pour satisfaits de ce dont le souverain Maître se contente pour leur pardonner. 117. De tous les péchés que les enfants de l'Église commettent, il n'en est point de plus abominables que ceux-là aux yeux du Très-Haut; c'est ce que lui-même vous a fait connaître par la force qu'il a donnée aux prescriptions de sa divine loi, en ordonnant à l'homme de pardonner à son frère, quand même il pêcherait contre lui soixante-dix fois sept fois (3), et les offenses dussent-elles se renouveler chaque jour, il suffit, dit le Seigneur, que le coupable exprime son repentir pour que le frère offensé lui pardonne autant de fois, sans en limiter le nombre (4) ; et il réserve un (1) Matth., XVIII, 35. - (2) Ibid., 32 et 33. - (3) Ibid., 22. - (4) Luc., XVII, 4. 240 châtiment effroyable à celui qui, manquera à cette obligation, parce qu'il scandalise les autres, comme on le peut inférer de la menace faite par le Seigneur lui-même. " Malheur, dit-il, à celui par qui le scandale arrive (1) ! il vaudrait mieux pour lui qu'on lui attachât une meule de moulin au cou, et qu'on le jetât au fond de la mer (2), " n signifiant par là combien la réparation de ces péchés est difficile, puisque celui qui ils aurait commis serait en un aussi grand danger que ce malheureux qui tomberait dans la mer avec une si lourde masse attachée au cou. Il marqué aussi la punition que le scandaleux subira dans l'abîme des peines éternelles; et c'est pour cela que les fidèles suivront un salutaire conseil, s'ils aiment mieux s'arracher les yeux, et se couper les mains (3), puisque mon très saint Fils a parlé en ces termes, plutôt que de scandaliser les petits par ces péchés ; 418. O ma très-chère fille! avec combien de larmes de sang devez-vous pleurer la laideur et les dommages de ce péché ! C'est- lui qui attriste le Saint-esprit (4), qui donne de superbes triomphes au démon, qui change les,créatures raisonnables en monstres, et qui efface en elles l'image de leur Père céleste. Quoi de plus étrange, de plus vilain et de plus horrible que de voir un homme de terre, destiné à la corruption et aux vers, s'élever contre un de ses semblables avec tant de furie et d'orgueil (5) ? (1) Matth., XVIII, 7. - (2) Luc., XVII, 2. - (3) Matth., XVIII, 8 et 9 - (4) Ephes., IV, 80. - (5) Matth., V. 241 Vous ne trouverez point d'expressions assez fortes pour inspirer aux mortels toute l'horreur que mérite une pareille méchanceté, et pour leur persuader de se garder de la colère du Seigneur (1). Quant à vous, ma fille, préservez votre coeur de ce malheur déplorable, et gravez-y profondément les leçons si salutaires que je vous recommande de suivre. Et n'allez pas croire qu'il puisse n'y avoir qu'une faute légère à offenser et à scandaliser son prochain, car tous ces péchés sont grands en la présence de Dieu. Mettez une forte garde à votre bouche, à toutes vos puissances et à tous vos sens (2), pour observer exactement la charité envers les ouvrages du Très-Haut. Donnez cette satisfaction à celle qui veut que vous acquériez dans une vertu si excellente la haute perfection dont je vous fais à vous une obligation rigoureuse, de ne penser, de ne dire et de ne faire jamais rien qui puisse offenser votre prochain, ni de permettre, pour quelque raison que ce soit, que vos inférieures, ni même aucune autre personne, si cela peut dépendre de vous, le fassent en votre présence. Faites de sérieuses réflexions, ma très-chère fille, sur ce que je vous demande, parce que vous y trouverez la science la plus divine et la moins connue des mortels. Que mon humilité et ma douceur servent de remède à vos passions et d'exemple qui vous anime; regardez-les comme un effet de l'amour sincère que je portais, non-seulement à mon époux, mais à tous (1) Matth., III, 7. - (2) Ps. CXL, 3 et 4. 242 les enfants de mon Seigneur et de mon Père céleste, parce que je savais à quel haut prix ils ont été achetés et rachetés (1). Apprenez à vos religieuses avec vérité, fidélité et charité, que, bien que tous ceux qui n'accomplissent pas ce commandement que mon Fils appela sien et nouveau, offensent grièvement sa divine Majesté, son indignation est sans comparaison plus grande contre les religieux qui le transgressent. Tandis qu'ils sont plus strictement obligés de se montrer les enfants parfaits du l'ère (2) qui leur a enseigné cette vertu, il s'en trouve beaucoup qui la détruisent, comme les mondains, mais en se rendant bien plus odieux aux yeux du Seigneur. CHAPITRE V. Saint Joseph prend la résolution de servir en tout la sainte Vierge avec un très-grand respect. - Ce que fit notre auguste Reine, et plusieurs autres détails relatifs à leur manière d'agir entre eux. 419. Le très-fidèle époux Joseph ayant appris la dignité de son épouse, l'auguste Marie, et le mystère de l'incarnation , conçut une si haute estime pour (1) 1 Petr., I, 18; I Cor., VI, 20. - (2) Joan., IV, 12, 13, 34; Matth., V, 48. 243 elle, qu'il en devint un nouvel homme, quoiqu'il eût toujours été très-saint et très- parfait : de sorte qu'il résolut de changer de. manières et de redoubler sa vénération envers notre divine Dame, comme je le dirai dans la suite. Cela était conforme à la sagesse du saint et dû à l'excellence de son épouse, puisqu'il était serviteur, et elle Maîtresse de l'univers, ainsi que la divine lumière le montra à saint Joseph. Or, pour satisfaire le désir qu'il avait d'honorer Celle qu'il reconnaissait pour Mère de Dieu, quand se trouvant seul avec elle il lui parlait, ou passait devant elle, il pliait le genou, et il ne voulait pas souffrir qu'elle le servit, ni qu'elle se mêlât du ménage, ni qu'elle s'occupât à d'autres humbles offices, comme à balayer la maison, à laver la vaisselle, et à d'autres choses semblables, parce que le bienheureux époux les voulait toutes faire lui-même, pour ne pas déroger à la dignité de notre Reine. 420. Mais la divine Dame, qui était la plus humble d'entre les humbles, et qui ne pouvait être surpassée en humilité, disposa les choses de façon à toujours remporter la palme de toutes les vertus. Elle pria saint Joseph de ne lui point rendre cet honneur, que de plier le genou en sa présence, lui alléguant que, bien que cette vénération fût due au Seigneur qu'elle portait dans sou sein, néanmoins, pendant qu il y restait et qu'il ne se manifestait point, on ne pouvait distinguer dans cette action la personne de Jésus-Christ de la sienne. C'est pourquoi le saint s'accommoda aux désirs de la Reine du ciel, ne rendant ce 244 culte au Seigneur, qu'elle avait dans son sein virginal, et à elle comme à sa Mère, et toujours dans une juste proportion, que lorsqu'elle ne s'en apercevait pas. Ils eurent d'humbles disputes touchant plusieurs autres actions et sur la pratique des oeuvres serviles. Car saint Joseph ne savait pas se résoudre à consentir que notre aimable Maîtresse les fit; et c'est pour cela qu'il tâchait de la prévenir. Elle en agissait de même de son côté, faisant tout son possible pour le devancer. Mais comme le saint avait le temps de vaquer à une foule de petits soins pendant qu'elle était retirée dans son oratoire, il frustrait les désirs continuels qu'elle avait de travailler comme la servante chargée de s'acquitter de toute la besogne de sa maison. Notre divine Dame, trompée dans ses calculs, adressa ses humbles plaintes au Seigneur, et le pria d'obliger effectivement son époux à ne point l'empêcher d'exercer l'humilité autant qu'elle le désirait. Et, comme cette vertu est si puissante au tribunal divin, où elle a toujours ses entrées libres, il n'est point de prières inefficaces quand elle les accompagne, parce qu'elle suit pour les élever, et pour incliner l'être immuable de Dieu à la clémence (1). Le Seigneur exauça cette demande, et ordonna que l'ange gardien du bienheureux époux lui parlât intérieurement et lui dit ce qui suit : " Ne frustrez point les humbles désirs de Celle qui est au-dessus de toutes les créatures du ciel et de la terre. En ce qui regarde les choses extérieures, (1) Eccles., XXXV, 21. 245 permettez qu'elle vous serve,, et conservez toujours dans votre intérieur un souverain respect pour elle; et rendez en tout temps et en tout lieu le culte que vous devez au Verbe humanisé, qui a voulu, comme sa divine Mère, venir pour servir, et non pour être servi (1), afin d'enseigner au monde la science de la vie et l'excellence de l'humilité (2). Vous pouvez pourtant l'aider dans quelques détails, honorant toujours en elle le Maître de l'univers. " 421. Par cette instruction et ce commandement du Très-Haut, saint Joseph permit les humbles exercices de notre divine Princesse; et ils eurent ainsi tous deux occasion d'offrir à Dieu un sacrifice agréable de leur volonté, la très-pure Marie en pratiquant toujours la plus profonde humilité et l'obéissance la plus fidèle envers son époux dans tous les actes de vertu, qu'elle exerçait avec une perfection sublime, sans en omettre aucun qui fût en son pouvoir, et saint Joseph en se soumettant à l'ordre du Très-Haut avec une juste et sainte confusion qu'il avait de se voir soigner et servir par Celle qu'il reconnaissait pour Maîtresse de l'univers et Mère du Créateur. Le prudent saint se dédommageait ainsi de ne pouvoir exercer l'humilité dans les autres actes qu'il cédait à son épouse : en effet, cela l'humiliait davantage, l'obligeait de s'abîmer dans le mépris de lui-même, et augmentait la crainte révérentielle avec laquelle il regardait l'auguste Marie, et (1) Matth., XX, 28. - (2) Matth., XI, 29. en elle le Seigneur qu'elle portait dans son très-chaste sein, où il l'adorait et lui rendait honneur et gloire. Quelquefois l'Enfant-Dieu humanisé se manifestait à lui d'une manière admirable, en récompense de sa sainteté et de sa crainte respectueuse, ou pour lui eu donner un plus grand motif; il le voyait dans le sein de sa très-pure Mère comme à travers un cristal lumineux. Notre incomparable Reine s'entretenait plus familièrement avec son bienheureux époux des mystères de l'incarnation, parce qu'elle ne mettait plus la même réserve dans ses discours, depuis que le saint avait été informé des secrets divins de l'union hypostatique des deux natures divine et humaine dans le sein virginal de son épouse. 422. Il n'est aucune langue humaine qui puisse exprimer les entretiens célestes que la sainte Vierge et son bienheureux époux avaient ensemble. J'en dirai pourtant quelque chose, comme je saurai , dans les chapitres suivants. Mais qui pourra raconter les effets que causait dans le très-doux et très-dévot coeur de ce saint, non-seulement de se voir l'époux de Celle qui était la véritable Mère de son Créateur, mais aussi de recevoir ses services comme si elle eut é!é une simple servante, tandis qu'il la considérait élevée en sainteté et en dignité au-dessus de tous les séraphins; et inférieure à Dieu seul? Et si la droite du Tout-Puissant enrichit de tant de bénédictions la maison et la personne d'Obédédom pour avoir gardé quelques mois sous sa tente l'arche figurative de l'ancien 247 Testament (1), de quelles bénédictions ne devait-elle pas combler saint Joseph, à qui sa divine Majesté avait confié l'Arche véritable et le Législateur même qui y était renfermé! Le bonheur et la fidélité de ce saint furent incomparables, non- seulement parce qu'il avait dans sa maison l'Arche vivante. et véritable du nouveau Testament, l'autel, le sacrifice et le temple, car tout cela lui fut confié, mais parce qu'il le garda dignement, comme un serviteur prudent et fidèle (2). Aussi le même Seigneur le constitua-t-il sur sa famille, afin qu'il en eût sain pendant le temps convenable, comme un très-fidèle dispensateur. Que toutes les nations le reconnaissent, le hérissent et publient ses louanges (3), puisque le Très-Haut n'a tait à l'endroit d'aucune ce qu'il fît envers ce glorieux saint. Pour moi, qui ne suis qu'un petit vermisseau, à la vue de mystères si augustes, j'exalte de toutes mes forces le Seigneur non Dieu, et, malgré mon indignité, je confesse et proclame qu'il est saint, juste, miséricordieux, sage et admirable dans la disposition de toutes ses grandes oeuvres. 423. La pauvre mais heureuse maison de Joseph ne consistait guère qu'en trois chambres, où les deux saints époux faisaient leur plus ordinaire demeure, car ils n'eurent ni serviteur ni servante. Saint Joseph dormait dans l'une; il travaillait dans l'autre, et y tenait les outils de son métier de charpentier : et la troisième était habituellement occupée par la Reine (1) I Paral., XIII, 14. - (2) Matth., XXIV, 45. - (3) Ps. CXLVII, 20. 248 du ciel, qui y couchait dans un petit lit que le saint avait fait : ils prirent ces arrangements dès le commencement de leur mariage et de leur installation dans la maison. Le saint époux allait rarement voir son auguste épouse et maîtresse avant qu'il eût appris sa dignité, parce qu'il vaquait à son travail pendant qu'elle demeurait dans sa retraite, à moins que quelque ;affaire, pressante ne l'obligeât de la consulter. Mais après qu'il eut découvert la cause de son bonheur, le saint,homme se montrait,beaucoup plus assidu ; et, pour renouveler sa consolation, il allait très-souvent visiter notre auguste Princesse dans sa petite chambre, ,et lui faire offre de ses services. Il ne l'abordait pourtant, jamais qu'avec une extrême humilité et une crainte respectueuse, et avant de lui adresser la parole il observait en silence à quoi elle s'occupait; maintes fois il la voyait ravie en extase, élevée de terre et entourée d'une lumière éblouissante : d'autres fois il la trouvait en compagnie de ses anges, avec lesquels elle avait de divins entretiens, et souvent prosternée les bras en croix et conversant avec le Seigneur. Le très-heureux époux eut part à toutes ces faveurs. Mais, quand notre divine Dame était dans cet état où dans ces occupations, il n'osait que la regarder avec un très-profond respect : et il méritait d'ouïr quelquefois la très-douce harmonie du concert céleste que les Anges donnaient à leur Reine, et de respirer une odeur de parfums exquis qui le fortifiait et le remplissait entièrement de joie et de consolation spirituelle. 249 424. Les deux saints époux vivaient seuls dans leur maison, n'y ayant, comme je l'ai dit, aucun serviteur, non-seulement à cause de leur profonde humilité, mais aussi parce qu'il était convenable qu'il n'y eût point de témoins de tant de merveilles sensibles qui se passaient entre eux, et dont ceux du dehors ne devaient avoir aucune connaissance. La Princesse du ciel ne sortait pas non plus de sa maison, si ce n'est qu'elle y fût obligée par quelque occasion pressante qui regardait le service de Dieu et le bien du prochain ; car, s'ils avaient besoin de quelque chose du dehors , cette heureuse femme qui servit saint Joseph, ai-je déjà dit, pendant que la sainte Vierge séjourna chez Zacharie, prenait le soin de le leur porter. Et elle reçut une si bonne récompense de ses services, que non-seulement elle fut sainte et parfaite, mais que toute sa famille ressentit les favorables effets de la protection de la Reine de l'univers, qui veilla sur elle d'une manière spéciale, et s'empressa même, comme voisine, de soigner cette femme dans plusieurs maladies, et la combla enfin, elle et tous ceux de sa maison, des bénédictions du ciel. 425. Saint Joseph ne vit jamais dormir sa très-sainte épouse, il ne sut pas même par expérience si elle dormait, quoiqu'il la priât souvent de prendre quelque repos, surtout au temps de sa divine grossesse. Le lieu où elle le prenait était le petit lit que j'ai dit avoir été fait des mains de saint Joseph lui-même; il était couvert de deux couvertures entre lesquelles 250 elle se mettait pour se livrer quelques instants à un saint sommeil. Son vêtement de dessous était une tunique ou chemise de toile semblable au coton, d'un tissu plus doux que les simples étoffes ordinaires. Elle ne quitta jamais cette tunique après qu'elle fut sortie du Temple. Elle la conserva toujours sans qu'elle s'usât ni se salit, et sans qu'aucune personne la vit. Saint Joseph lui-même ne sut point si elle la portait, parce qu'il ne vit que l'habillement extérieur que tout le monde pouvait voir. Cet habillement était de couleur de cendre, comme je l'ai dit; et la grande Reine du ciel ne changeait quelquefois que celui-là, et les voiles dont elle se servait pour se couvrir la tète; ce n'était pas qu'ils fussent salis, mais c'était pour empêcher qu'on ne s'aperçût, comme ils étaient visibles à tous, qu'elle les conservait toujours dans le même état. Car elle ne salit jamais rien de ce qu'elle portait sur son corps si pur et si virginal, parce qu'elle ne suait point, et qu'elle n'était pas sujette aux incommodités que souffrent les autres enfants d'Adam dans leurs corps souillés par le péché. Il semblait que son extrême pureté contribuât à donner à ses ouvrages manuels quelque chose de plus propre et de plus achevé. Elle s'occupait avec le même soin des habits et clos autres effets nécessaires à son époux. Elle s'astreignait dans ses repas à une petite ration qu'elle prenait tous les jours avec saint Joseph; mais elle ne mangea jamais de viande, quoique le saint en mangeât , et qu'elle- même la lui apprêtât Elle se nourrissait de fruit, de poisson, de 251 pain ordinaire et de quelques herbes cuites; mais c'était avec poids et mesure , n'en prenant que ce qu'il fallait absolument pour soutenir la nature et pour entretenir la chaleur vitale, sans s'accorder jamais un superflu qui aurait pu l'exposer au danger de l'intempérance ; elle observait la même sobriété dans son boire, quoique ses actes de ferveur lui causassent une certaine chaleur plus que naturelle. Elle suivit toujours la même règle dans ees repas quant à la quantité, bien qu'elle les modifiât quant à la qualité, selon les diverses circonstances où elle se trouva dans le cours de sa très-sainte vie, comme je le dirai plus loin. 426. La très-pure Marie fut en toutes choses d'une perfection consommée, sans qu'il lui manquât aucune grâce, et cette perfection qu'elle possédait dans toute la plénitude possible, caractérisait toutes ses actions tant naturelles que surnaturelles. La grâce ne manque qu'à mes paroles pour expliquer ces merveilles, car je n'en saurais jamais être satisfaite, voyant combien elles sont au-dessous de ce que je connais, et beaucoup plus par conséquent au-dessous de ce qu'un objet si sublime renferme en lui-même. Mon insuffisance me jette dans des appréhensions continuelles, et je me plains toujours de la faiblesse de mes termes. Je crains d'être plus hardie que je ne dois en poursuivant ce qui est si au-dessus de mes forces; mais celles de l'obéissance m'emportent avec je ne sais quelle douce violence qui anime ma timidité, excite mon peu de courage, et me fait regarder avec quelque 252 consolation la grandeur de l'ouvrage ét la bassesse de mon langage. J'agis par obéissance, et c'est dans cette voie que tant de biens me viennent à la rencontre. Ceci me servira d'excuse. Instruction de la Reine du ciel. Ma fille, je veux que vous soyez fort exacte ee fort diligente en l'école de l'humilité, comme vous l'enseigneront tous les événements qui se sont passés dans ma vie; vous en devez faire le premier et le dernier de vos soins, si vous voulez vous préparer aux caresses du Seigneur, vous assurer ses faveurs et jouir des trésors de la lumière cachée aux superbes (1); parce qu'aucune créature ne saurait recevoir de si grandes richesses, si elle ne peut présenter l'humilité comme un fidèle garant. Je veux que tous vos efforts ne tendent qu'à vous humilier toujours de plus en plus dans votre propre estime , comme dans celle des autres et dans les actions extérieures, prenant bien garde à ce que vous faites, pour n'agir que suivant l'opinion que vous devez concevoir de vous-même. Ce vous doit être une instruction et un sujet de confusion, aussi bien qu'à toutes les âmes qui ont le Seigneur pour Père et pour Époux , de voir que la présomption et (1) Matth., XI, 25. 263 l'orgueil ont plus de pouvoir sur les enfants de la sagesse humaine que l'humilité et la véritable science n'en ont sur les enfants de lumière. Considérez les empressements, le zèle, l'activité infatigables des hommes ambitieux et superbes. Observez leurs démarches pour parvenir dans le monde, leurs prétentions insatiables quoique vaines, comme ils agissent selon ce qu'ils présument faussement d'eux-mêmes, comme ils s'estiment ce qu'ils ne sont pas, et tout en n'étant pas ce qu'ils se flattent d'être, ils n'en travaillent pas moins à acquérir les biens qu'ils ne méritent pas, quoiqu'ils ne soient que terrestres et périssables. Or ce sera une très-grande honte et un très-sensible affront pour les élus, de voir que le, mensonge a plus de pouvoir sur les enfants de perdition que la vérité n'en a sur eux (1), et que le nombre de gens su mondé qui veulent, au service du Dieu leur Créateur, rivaliser avec ceux qui servent la vanité, soit si restreint, qu'encore que tous soient appelés, il n'y a que peu d'élus (2). 428. Tàchez donc, ma fille, d'acquérir cette science, et d'y gagner la palme sur les enfants de ténèbres; et pour vous opposer à leur orgueil, remarquez ce que j'ai fait pour le vaincre dans le monde par l'industrie de l'humilité. Le Seigneur veut, et moi aussi, que vous en appreniez tous les secrets et toute la sagesse. Ne perdez jamais l'occasion de pratiquer les choses humbles, ne permettez pas non plus que personne (1) Luc., XVI, 8. - (2) Matth., XX, 16. 254 vous les enlève, et si les occasions de vous humilier vous manquent ou se présentent trop rarement, cherchez-les, et demandez à Dieu qu'il vous les donne; car sa divine Majesté se plait à voir cette sollicitude et cette ardeur pour ce qui lui est si agréable. Quand ce ne serait que pour cette seule complaisance, volts devriez, en qualité de fille de sa maison et d'épouse, montrer le plus vif empressement à répondre à ses désirs ; et afin que vous appreniez encore de l'ambition humaine à ne pas être ici négligente, remarquez les Fatigues qu'une femme économe s'impose pour accroître les biens et arrondir la fortune de sa famille; elle ne laisse aucune occasion de bénéfice ; rien ne lui colite, et si elle perd la moindre bagatelle, on croirait quelle va défaillir de douleur. Voilà ce qu'enseigne la cupidité mondaine, et il n'est pas juste que la sagesse du ciel soit plus stérile à cause de la négligence de ceux qui la possèdent. Ainsi je veux que l'on ne trouve en vous ni paresse, ni lenteur, ni oubli, en une affaire qui vous importe si grandement; je veux que vous ne perdiez aucune occasion de vous humilier, et de travailler à la gloire du Seigneur; il faut au contraire que vous les recherchiez toutes, et que vous vous en prévaliez comme une fille et une épouse très-fidèle, afin que, suivant votre désir, vous trouviez grâce devant le Seigneur et devant moi. (1) Luc., IV, 8. CHAPITRE VI. Quelques entretiens de l'auguste Marie et de saint Joseph sur les choses divines, et quelques autres événements admirables. 429. Avant que saint Joseph frit informé du mystère de l'incarnation, la Princesse du ciel avait coutume de lui faire, aux moments les plus convenables, la lecture des saintes Écritures, surtout des psaumes de David et des autres prophéties; elle les lui expliquait comme une très-sage maîtresse, et le saint époux, qui était aussi capable de cette sagesse, lui adressait une foule de questions; et les divines ré. panses que son épouse lui faisait le pénétraient à la fois d'admiration et de consolation; de sorte que torts deux louaient et bénissaient tour à tour le Seigneur. Mais après que l'ineffable secret eut été révélé au bienheureux époux, notre pleine lui parlait comme à celui qui était choisi pour être le coadjuteur des rouvres et des mystères admirables de notre rédemption; ainsi ils scrutaient et commentaient plus clairement dans leurs entretiens tontes les prophéties et les oracles divins qui concernaient la conception du Verbe par une mère vierge, sa naissance, son éducation et sa très-sainte vie. Notre auguste Maîtresse expliquait 266 tout, et ils discouraient sur ce qu'ils devraient faire quand arriverait le jour si désiré auquel l'enfant naîtrait, qu'elle l'aurait entre ses bras, qu'elle le nourrirait de son lait virginal, et qu'entre tous les mortels le saint époux participerait à ce bonheur souverain. C'était sur la mort et sur la passion, et sur ce qu'Isaïe et Jérémie en ont écrit (1), qu'elle s'étendait le moins, 'parce que la très-prudente Reine ne voulait point affliger son époux, qui était d'un naturel fort sensible, en lui en donnant une plus grande connaissance que celle qu'il pouvait avoir puisée dans les conférences auxquelles se livraient les anciens sur la venue du Messie et sur ce qui lui devait arriver. La très-prudente Vierge voulait aussi attendre que le Seigneur parlât à son serviteur, ou qu'il lui déclarât à elle-même sa sainte volonté. 430. Le très-fidèle et très-heureux époux s'enflammait d'amour au milieu de ces doux entretiens, et, versant des larmes de joie, il disait à sa divine épouse : " Est-il bien possible, illustre Dame, que je voie mon Dieu et mon Rédempteur entre vos très-chastes bras? Que je l'y adore? Que j'entende sa douce voix? Que je le touche? Que mes yeux voient sa divine face? Que je puisse consacrer la sueur de mon front à son service et à son entretien? Qu'il demeure avec nous? Que nous mangions à sa table? Que nous parlions et conversions avec lui? D'où me viendra ce bonheur, que personne n'a jamais pu mériter? 257 Oh ! combien je regrette d'être si pauvre ! Que n'ai-je de riches palais pour le recevoir, et beaucoup de trésors à fui offrir ! " Alors notre auguste Reine lui répondait : " Mon époux et mon maître , il est juste que votre tendre sollicitude embrasse autant que possible tout ce qui peut regarder le service de votre Créateur; mais ce grand Dieu notre Seigneur ne veut point venir au monde par la voie des richesses, d'une pompe et d'une majesté temporelles : car il n'a besoin d'aucune de ces choses-là (1), et ce n'est pas pour elles qu'il descendra du ciel sur la terre. Il ne vient que pour remédier aux désordres du monde, et acheminer les hommes dans les droits sentiers de la vie éternelle (2); et cela se doit faire par le moyen de l'humilité et de la pauvreté; il y veut naître, vivre et mourir pour bannir de leur coeur cet orgueil , ces convoitises grossières qui s'opposent à leur félicité. C'est pourquoi il a choisi notre humble et pauvre maison, et ne veut pas que nous soyons riches des biens apparents; trompeurs et passagers, qui ne sont que vanité et affliction d'esprit (3), qui appesantissent et obscurcissent l'entendement, et l'empêchent de connaître et de pénétrer la véritable lumière. " 431. Le saint priait souvent la sainte Vierge de lui enseigner la nature et l'essence des vertus, surtout de l'amour de Dieu, pour savoir comment i1 devait se comporter envers le Très-Haut humanisé, et pour (1) Ps. XV, 2. - (2) Joan., X, 10. - (3) Eccles., I, 14. 258 n'être point rejeté comme serviteur inutile et incapable de le servir. La Reine et la maîtresse des vertus condescendait à ces demandes, et détaillait à son époux leurs propriétés et la manière de les pratiquer dans toute la plénitude de la perfection. Néanmoins elle se comportait dans ses instructions avec une discrétion si rare et une humilité si profonde, qu'elle ne paraissait point maîtresse de son époux, quoiqu'elle le fût de toutes les créatures : au contraire, elle les donnait en forme d'entretiens, ou en parlant avec le Seigneur, et quelquefois eu interrogeant elle- même le saint et en l'éclairant par ses questions. Ainsi elle mettait toujours à l'abri son incomparable humilité, sans qu'on eût pu trouver en notre très-prudente Dame la moindre apparence qui lui fût contraire. Quand le saint était forcé de se livrer au travail corporel, ils l'accompagnaient soit de ces entretiens, soit de la lecture des livres sacrés. Et, quoique la compassion que notre très aimable Dame lui témoignait, avec une réservé admirable de le voir se fatiguer au travail, eût pu le soulager, elle ajoutait à ce soulagement la doctrine céleste, que l'heureux époux écoutait avec une attention telle, qu'il travaillait plus avec les vertus qu'avec les mains. Ainsi la très-douce colombe le soutenait par cette divine nourriture, avec la prudence de la vierge la plus sage, lui montrant les fruits salutaires qu'on peut tirer des occupations matérielles. Et comme elle se croyait indigne d'être entretenue par le labeur de son époux, elle ne cessait de s'humilier en considérant ce dont elle était redevable 259 aux sueurs de saint Joseph, et qu'elle recevait comme une grande aumône et une pure faveur. - Elle s'en croyait autant obligée que si elle eût été la plus inutile de toutes les créatures. Et, bien qu'elle ne pût pas aider le saint dans les ouvrages de son métier, parce qu'il ne s'accordait point avec la faiblesse de son sexe, et beaucoup moins avec la modestie et la dignité de notre divine Reine, néanmoins elle le servait comme une simple servante en tout ce qui n'était point incompatible avec cette modestie; et il est certain que son très-humble et très-noble coeur n'aurait pu s'empêcher de témoigner en cela la reconnaissance qu'elle croyait devoir à saint Joseph. 432. Entre plusieurs choses sensibles et miraculeuses que saint Joseph vit dans le temps qu'il demeura avec l'auguste Marie, il arriva un jour, pendant sa grossesse, qui un grand nombre d'oiseaux de différentes espèces vinrent récréer la Reine et Maîtresse des créatures, et, voltigeant autour d'elle comme pour lui faire un choeur de musique, ils se mirent à chanter avec une admirable mélodie, comme ils avaient fait, autrefois; et leurs chants étaient toujours miraculeux, aussi bien que leurs visites à notre divine Dame. Saint Joseph n'avait pas encore vu cette merveille; et, en étant ravi d'admiration de joie, il dit à sa très-sainte épouse : " Est-i1 possible, illustre Dame, que les créatures irraisonnables s'acquittent mieux de leurs obligations que moi ? Il est juste que si elles vous a reconnaissent , vous servent et vous honorent en ce qu'elles peuvent, vous me permettiez de m'acquitter 260 ce que je vous dois en justice. " Mais la très-prudente Vierge lui répondit : " Mon époux et mon maître, le Créateur de l'univers nous donne en ce que ces petits oiseaux font un motif efficace pour que nous, qui le connaissons, fassions tous nos efforts pour employer dignement toutes nos forces et toutes nos puissances à sa louange, comme eux, qui viennent le reconnaître dans mon sein : pour moi, je ne suis qu'une simple créature; l'honneur ne m'est point dû, ainsi il n'est pas juste que je le reçoive ; mais je dois tâcher de porter toutes les créatures à louer le Très-Haut de ce qu'il a regardé sa servante, et qu'il m'a enrichie par les trésors de sa divinité (1). 633. II arrivait aussi souvent que notre divine Dame et son saint époux se trouvassent dépourvus du nécessaire, parce qu'ils étaient très-libéraux envers les pauvres, et qu'ils ne partageaient point les soucis des enfants de ce siècle, pour s'occuper d'avance de leurs besoins avec les précautions et les inquiétudes d'une convoitise méfiante (2). Le Seigneur ne voulait point que la foi et la patience de sa très-sainte Mère et de saint Joseph fussent oisives. L'auguste Marie trouvait d'ailleurs dans ce dénuement une consolation ineffable, non-seulement à cause de la pauvreté, mais aussi à cause de sa prodigieuse humilité, qui la portait à se croire indigne des aliments nécessaires à la vie; il lui semblait qu'il était très-juste qu'elle seule (1) Luc, 1, 48. - (5) Matth., VI, 25. 261 en fût privée comme celle qui ne les méritait pas : et en faisant cette confession elle bénissait le Seigneur dans sa pauvreté, et se bornait à demander au Très-Haut de pourvoir aux besoins de sou époux , qu'elle estimait seul digne de cette grâce, comme saint et juste, et de lui donner le secours qu'il attendait de sa main libérale. Le Tout-Puissant n'oubliait pas ses pauvres dans leur détresse (1) : car en leur ménageant l'occasion d'augmenter leur mérite et d'exercer les vertus, il leur accordait aussi leur nourriture dans le temps le, plus propre (2). C'est et que sa divine Providence disposait par des voies différentes. Quelquefois elle inspirait à leurs voisins et à ceux qui les connaissaient, de les secourir de quelque honnête présent. Le plus souvent sainte Élisabeth leur envoyait des provisions de sa maison; car après le séjour qu'y fit la Reine du ciel, la très-dévote cousine ne négligea jamais de les assister de temps en temps de quelques-uns de ses bienfaits, auxquels l'humble Princesse répondait toujours en lui offrant des ouvrages de ses mains. Notre aimable Maîtresse usait aussi en certaines circonstances qu'elle jugeait convenable, à la plus grande gloire du Très-Haut, du pouvoir qu'elle avait sur toutes les créatures; ainsi elle commandait aux oiseaux de lui apporter des poissons ou des fruits, et ils lui obéissaient sur-le-champ : quelquefois même ils lui apportaient dans leur bec du pain qu'ils avaient pris à l'endroit désigné par le Seigneur. Et le bienheureux époux était maintes fois témoin de tout cela. (1) Ps. LXXIII, 22 - (2) CXLIV, 16. 262 434. En d'autres circonstances, ils étaient aussi secourus d'une manière admirable par le ministère des saints anges; et avant que de raconter un des nombreux miracles qui arrivèrent par leur moyen à l'auguste Marie et à son époux, il faut admettre que la noblesse de cœur, la foi et la libéralité du saint étaient si grandes, que son âme ne put jamais être atteinte de la moindre apparence d'avarice ni de souci de l'avenir. Et, bien qu'ils s'appliquassent tous deux au travail, ils ne demandaient jamais et ne voulaient même pas fixer le prix de leurs ouvrages; car les faisant non par intérêt, mais par obéissance, et pour exercer la charité envers ceux qui en avaient besoin, ils s'en rapportaient à eux pour la rémunération; et ce qu'ils en recevaient, ils l'acceptaient comme une aumône gratuite plutôt due comme le paiement d'un salaire. Telle était la sainteté et telle la perfection que saint Joseph apprenait à récole du ciel, qu'il avait dans sa maison. Et comme avec un pareil système, il arrivait qu'on ne récompensait pas leur travail, ils se trouvaient bien souvent dans une si grande nécessité, qu'ils n'avaient rien à manger à l'heure du repas, jusqu'à ce que Dieu y pourvût. Il arriva donc un jour que l'heure ordinaire étant passée, ils se trouvèrent sans aucune nourriture; et pendant qu'ils prolongeaient très-tard leur oraison pour remercier le Seigneur de cette affliction, en attendant qu'il ouvrit sa main toute-puissante (1), les saints anges leur préparèrent 263 à manger, leur couvrirent la table, et ils y mirent quelques fruits, du pain très- délicat et des poissons, et surtout une espèce de conserve d'un goût exquis et d'une vertu admirable. Bientôt ces esprits bienheureux appelèrent, les uns leur Reine, et les autres saint Joseph, qui, étant sortis de leur retraite, reconnurent le bienfait qu'ils recevaient du ciel, et en rendirent, avec des larmes de joie et de ferveur, des actions de grâces au Très-Haut; puis ils mangèrent, et après le repas ils lui adressèrent de sublimes cantiques de louanges. 435. L'auguste Marie et son époux étaient fort accoutumés à beaucoup d'autres merveilles de cette nature; car comme ils étaient seuls, sans qu'il y eût dans leur maison des témoins à qui il fallût les cacher, le Seigneur eu était très-libéral envers eux, qu'il avait établis les dispensateurs du plus grand prodige que son puissant bras eût jamais opéré. Il faut ici remarquer que, quand je dis que notre divine Dame entonnait des cantiques de louanges, ou seule, ou avec saint Joseph, ou avec les anges, on doit toujours entendre qu'ils étaient nouveaux, comme ceux que firent Anne, mère de Samuel, Moïse, Ézéchias et plusieurs autres prophètes (1), après avoir reçu quelque grand bienfait de la main du Seigneur. Et si l'on eût écrit ceux que la Reine du ciel composa, on en aurait pu faire un gros volume que le monde admirerait d'une manière inexprimable. (1) I Reg., II, 1; Deut., XXXII, 1; Exod., XV, 2; Isa., XII, XXXVIII, 10. 265 Instruction que notre divine Maîtresse me donna. 436. Ma très-aimée fille, je veux que. la science du Seigneur se renouvelle sans cesse en vous et qu'elle devienne éloquente dans votre bouche, afin que vous connaissiez et que vous fassiez. connaître aux mortels les dangereuses illusions où les plonge l'amour du mensonge, et les jugements erronés qu'il leur fait porter sur les choses temporelles et sensibles (1). Qui est-ce parmi les hommes qui n'échappe à l'universelle fascination d'une cupidité sans bornes (2)? Ils placent communément leur confiance en l'or et en leurs biens temporels (3), et ils consacrent à les accroître tous les. efforts dont sont capables les forces humaines, de sorte qu'ils usent dans un vain labeur la vie et le temps qui leur ont été donnés pour mériter la félicité et le repos éternel. Et ils s'enfoncent dans le labyrinthe de cette activité inquiète, comme s'ils ne connaissaient point Dieu ni sa divine Providence; parce qu'ils oublient de lui demander ce qu'ils désirent, et même ils ne le souhaitent pas d'une manière qui les porte à le lui demander, et à l'attendre de sa main libérale. Ainsi ils perdent tout, parce qu'ils cherchent tout avec une fausse prévoyance dans le mensonge et dans les illusions où ils se flattent de trouver la réalisation (1) Ps., IV, 3. - (2) Sap., IV, 12. - (3) Baruch., III, 17, 18. 265 de leurs désirs terrestres (1). Cette cupidité aveugle est la racine de tous les maux (2); car pour punir; le Seigneur, indigné d'une telle perversité, permet que les mortels s'abandonnent à la servitude honteuse de l'avarice, et que leur entendement s'y obscurcisse (3), que leur volonté s'y endurcisse de plus en plus. Et bientôt, pour aggraver le châtiment, le Très-Haut en détourne ses regards comme d'objets odieux, et leur refuse sa protection paternelle: dernier malheur qui puisse arriver dans la vie humaine! 437. Il est vrai que personne ne peut se dérober à la vue du Seigneur (4), mais quand les transgresseurs et les ennemis de sa loi provoquent sa colère, il en éloigne de telle sorte ses regards. favorables et les attentions de sa providence, qu'il les laisse tomber sous la tyrannie de leurs propres désirs (5). Dès lors ils n'éprouvent plus les effets de la sollicitude paternelle avec laquelle le Seigneur s'occupe de ceux qui mettent toute leur confiance en lui. Ceux qui la mettent en leur propre habileté et dans les trésors qu'ils palpent et qu'ils comptent, recueillent le fruit de ce qu'ils espéraient (6). Mais autant l'Être divin et son pouvoir infini sont distants de la bassesse et de l'impuissance des mortels, autant les effets de la cupidité humaine sont éloignés de ceux de la providence du Très-Haut, qui se constitue l'appui et le protecteur des humbles qui se confient en lui; car sa divine Majesté les (1) Ps. XLVIII, 7. - (2) I Tim., VI, 10. - (3) Ps. XLVIII, 13. - (4) Ps. CXXXVIII, 6, etc. - (5) Ps. LXXX, 11. - (6) Ps. XLVIII, 6. 266 regarde avec amour et les caresse, elle se plait avec eux, elle les porte dans son sein, elle est attentive à tous leurs désirs et à toutes leurs peines (1). Nous étions, mon saint époux Joseph et moi, fort pauvres, et nous nous trouvions souvent dans des nécessités pressantes; aucune néanmoins ne put introduire dans nos coeurs le poison de l'avarice et de la cupidité. Nous ne cherchions que la gloire du Très-Haut, nous abandonnant pour le reste aux soins de son très-fidèle amour. Et il se complut singulièrement, dans cet abandon, comme vous venez de l'apprendre et de l'écrire, puisqu'il secourait notre pauvreté de tant de diverses manières, jusqu'à commander aux esprits angéliques qui forment sa cour, de nous pourvoir et. de bous préparer à manger. 438. Je ne veux pas dire par là que les hommes doivent se laisser aller à l'oisiveté et à la négligence; au contraire il est juste qu'ils travaillent tous, et l'inaction est aussi un vice fort blâmable. Mais il faut éviter l'excès dans le repos comme dans les affaires; la créature ne doit pas mettre sa confiance en sa propre industrie (2), il ne faut pas que celle-ci étouffe ni empêche l'amour divin (3); on doit se contenter du nécessaire (4), et être persuadé que la providence du Créateur ne manquera pas d'y pourvoir : que s'il tarde quelquefois d'envoyer son secours, on ne doit ni s'affliger ni se décourager (5). Celui qui est dans l'abondance (1) Ps. XVII, 21; XXXII, 18; XC, 15. - (2) Ps. XLVIII, 7. - (3) Luc., VIII, 14. - (4) Prov., XXX, 8. - (5) Eccles., II, 11. 267 ne doit pas non plus compter sur elle (1), et se livrer à l'oisiveté, oubliant qu'il est homme sujet à la peine du travail (2). Ainsi il faut attribuer à Dieu l'abondance aussi bien que la pauvreté (3), pour en user saintement et à la gloire du Créateur et Conservateur de l'univers. Si les hommes se conduisaient par cette science, l'assistance du Seigneur, qui est le Père véritable, ne manquerait à aucun, et la nécessité ne serait pas au pauvre ni la prospérité au riche une pierre d'achoppement et de scandale. Pour vous, ma fille, je veux que vous mettiez cette doctrine en pratique; et, bien qu'en vous l'enseignant je l'enseigne à tous , vous devez particulièrement l'inculquer à vos inférieures, afin qu'elles ne se troublent ni ne se découragent dans les nécessités qu'elles endureront, et qu'elles ne prennent des soucis désordonnés touchant leur nourriture et leur vêtement (4), mais au contraire qu'elles se confient dans le Très-Haut et s'abandonnent à sa providence; car si elles répondent à son amour, je les assure que ce dont elles auront besoin ne leur manquera jamais. Avertissez-les aussi de s'entretenir toujours de choses saintes et divines (5), qui soient à la louange et à la gloire du Seigneur, selon la doctrine de ses docteurs, de ses Écritures et des saints livres, afin que leur conversation soit dans le ciel (6) avec le Tout-Puissant, avec moi, qui suis leur Mère et leur Supérieure, et avec les esprits angéliques, qui elles doivent imiter en l'amour. (1) Eccles., XXXI, 8. - (2) Job., V, 7. - (3) Eccles., XI, 14. - (4) Matth., VI, 25. - (5) I Petr., I, 15. - (6) Philip., III, 20. 268 CHAPITRE VII. La très-pure Marie prépare les langes de l'enfant-Dieu avec un très-ardent désir de le voir bientôt naître. 439. La divine grossesse de la Mère du Verbe éternel la très-pure Marie était déjà fort avancée, et pour agir en tout avec la plénitude de la prudence céleste, quoiqu'elle sût qu'il fallait indispensablement préparer les langes, et les autres choses nécessaires pour l'enfantement si désiré, elle ne voulut rien entreprendre sans la volonté et sans l'ordre du Seigneur, et de son saint époux, afin de remplir en tout les devoirs d'une très obéissante et très-fidèle servante. Elle eût pu se déterminer d'elle-même en ce qui regardait uniquement l'office de mère, et de mère seule de, son très-saint fils, à la formation duquel aucune autre créature n'avait pris part; elle ne le fit pourtant pas, mais elle consulta son saint époux Joseph, et lui dit : "Cher Seigneur, il est temps de disposer les choses nécessaires pour la naissance de mon très-saint Fils. Et quoique sa divine Majesté veuille être traitée comme les enfants des hommes, en s'abaissant à souffrir les peines qu'ils ont méritées, il n'en est pas moins juste que nous témoignions, en le servant et en 269 entourant son enfance de tous les soins possibles, que nous le reconnaissons pour notre Dieu, notre Roi et notre Seigneur véritable. Si vous le permettez, je commencerai à préparer les langes pour le recevoir. J'ai une toile de lin filée de ma main, qui servira pour les premiers; vous, digne époux, ayez soin, je vous prie, de chercher pour les autres une étoffe de laine bien souple, bien douce et d'une couleur foncée; car dans la suite je lui ferai une tunique sans couture , mais tissue, qui lui conviendra. Et afin que nous réussissions en tout, faisons une prière particulière, et demandons à sa divine Majesté de nous gouverner, de nous conduire et de nous manifester sa très-sainte volonté, de manière que nous agissions selon ce qui lui sera le plus agréable. " 440. " Épouse vénérée, répondit saint Joseph, s'il m'était possible de donner le plus pur sang de mon coeur pour témoigner mon zèle à mon Seigneur et à mon Dieu, et pour faire ce que vous commandez, je m'estimerais fort heureux de le verger au milieu des tourments les plus atroces; à défaut de quoi je voudrais avoir de grandes richesses et des brocards à vous offrir dans cette cira constance. Décidez ce qui sera convenable, car je veux vous obéir en tout comme votre serviteur. " Ils se mirent en oraison, et le Très-Haut leur répondit à chacun en particulier par une même voix, en renouvelant la science et les instructions que notre auguste Princesse avait déjà reçues plusieurs fois, car sa divine Majesté répéta à la très-pure Marie 210 et à son saint époux Joseph : " Je suis descendu du ciel sur la terre pour élever l'humilité et abaisser l'orgueil, pour honorer la pauvreté et mépriser les richesses, pour détruire la vanité , établir la vérité, et faire comprendre la valeur des peines de la vie. C'est pourquoi je veux qu'à l'extérieur vous me traitiez en l'humanité dont je me suis revêtu, comme si j'étais votre commun enfant; et intérieurement vous me reconnaîtrez pour Fils de mon Père éternel et Dieu véritable, avec la vénération et l'amour qui me sont dus comme Homme Dieu. " 441. L'auguste Marie et Joseph ayant été confirmés par cette voix divine en la sagesse avec laquelle ils devaient agir dans les soins qu'ils prendraient de l'Enfant- Dieu , résolurent de l'honorer, comme le véritable Être infini, du culte le plus élevé et le plue parfait que l'on ait jamais vu entre les liures créatures, et de le traiter en même temps aux yeux du monde connue s'il était leur commun enfant, puisque les hommes le regarderaient comme tel, et dise telle était la volonté dit Seigneur lui- même. Ils exécutèrent celte résolution et ce commandement d'une manière si accomplie, que le ciel en fut dans l'admiration. Je m'étendrai davantage sur ce sujet dans la suite. ils convinrent aussi que dans leur humble sphère et leur pauvre condition, il fallait qu'ils rendissent tous leurs services à l'Enfant-Dieu, sans faire autant que possible ni trop ni peu, afin que le secret du grand Roi fût caché sous le voile de l'humble 271 pauvreté (1), et que l'ardent amour qu'ils lui portaient ne fût point frustré des témoignages qu'ils pourraient lui donner. Ensuite saint Joseph ayant reçu le paiement de quelques-uns de ses ouvrages, alla acheter deux pièces de laine, comme sa divine épouse lui avait dit, l'une blanche et l'autre qui s'approchait plus du violet que du gris: et ce fut la meilleure étoffe qu'il pût trouver. Notre divine Reine en coupa des langes pour son très-saint Fils, et de la toile qu'elle avait filée et tissue elle fit les petites chemises et les bandes du maillot propres à l'envelopper. Cette toile était fort fine, digne des mains qui l'avaient fabriquée; elle la commença dès le jour qu'elle entra dans sa maison avec saint Joseph, se proposant d'aller l'offrir an Temple. Et quoique ce bon désir n'eût fait place qu'à un meilleur, elle porta néanmoins au saint Temple de Jérusalem l'offrande de ce qui en resta après qu'elle eut achevé les petites hardes de l'Enfant-Dieu. La sainte Vierge les fit, les cousit , les arrangea toutes de ses propres mains, se tenant toujours à genoux , et avec des larmes d'une dévotion sans égale. Saint Joseph prépara toutes les fleurs et herbes aromatiques qu'il put trouver, et d'autres ingrédients; dont la différente Mère fit une eau de senteur plus exquise que les parfums angéliques. Et après en avoir arrosé les langes consacrés à l'Hostie (2) et su sacrifice qu'elle attendait, elle les plia et les mit soigneusement dans un coffre , dans lequel (1) Tob., XII, 7. - (2) Ephes., V, 2. 272 elle les emporta plus tard à Bethléem, comme je le dirai en son lieu. 442. On ne doit pas considérer toutes ces oeuvres de la Princesse du ciel à travers la lettre morte de mon récit; on ne doit pas les peser ainsi dépouillées de leur mérite, mais richement parées de leur beauté spirituelle , et remplies au delà de toute mesure de la plus haute perfection que, l'entendement humain puisse concevoir ; car, Mère de la sagesse, Mère et Reine de toutes les vertus, elle traitait avec magnificece tous les ouvrages de la sagesse divine (1). Elle offrait, le sacrifice de la nouvelle dédicace (2) et du Temple du Dieu vivant en la très-sainte humanité de. son Fils, qui devait bientôt naître. Elle connaissait, mieux que tout le reste des créatures la hauteur incompréhensible du mystère de l'incarnation et,de la venue de Dieu sur la terre; et elle redisait plusieurs fois,, non par incrédulité, mais par admiration, avec un ardent amour et une profonde vénération, ce que Salomon disait en bâtissant le Temple : " Quoi, sera-t-il possible que Dieu habite avec les hommes sur la terre? Si tout le ciel et les cieux des cieux ne sont pas assez spacieux pour le recevoir, combien moins le sera cette habitation de l'humanité qui a été construite dans mon sein (3) ! " Mais si ce Temple, qui n'était que le trône où Dieu s'asseyait pour y entendre les prières qu'on lui adressait, fut bâti et dédié avec tant d'éclat et une telle profusion d'or, (1) Ps. XCV, 6. - (2) II Machab., II, 9 . - (3) II Paral., VI, 18. 273 d'argent, de trésors et de sacrifices (1), que ne devait pas faire la Mère du véritable Salomon dans la construction et la dédicace du Temple vivant où habitait corporellement, dans toute la plénitude de son essence, le Dieu éternel et infini (2) ! Tout ce que figuraient ces sacrifices et ces trésors innombrables prodigués dans le Temple matériel, (auguste Marie l'accomplit, non en entassant l'or, l'argent et les étoffes précieuses (car alors Dieu ne demandait plus ces offrandes), mais en multipliant les actes des vertus les plus héroïques, et en accumulant les richesses de la grâce et des dons du Très-Haut, dont la possession lui inspirait mille hymnes de louange. Elle offrait des holocaustes qu'elle tirait de son coeur tout embrasé du divin amour; elle prenait des Écritures saintes les hymnes, les psaumes et les cantiques, qu'elle appliquait à ce mystère, en y ajoutant plusieurs autres. Elle réalisait véritablement, quoique d'une manière mystique, les figures anciennes, par l'exercice des vertus, et par tous ses actes intérieurs et extérieurs. Elle appelait et conviait toutes les créatures à louer Dieu, à rendre honneur et gloire à leur Créateur, à attendre Celui qui les devait sanctifier par sa venue. Et saint Joseph, le plus fortuné des époux, l'imitait en plusieurs de ces oeuvres. 443. Aucune langue, aucune intelligence humaine ou créée ne saurait exprimer les sublimes mérites que la Princesse du ciel acquérait par ces actes et ces exercices, (1) III Reg., VI, VII et VIII. - (2) Colos., II, 9. 274 ni la grande complaisance que le Seigneur y prenait. Si le moindre degré de grâce qu'une créature, telle qti elle soit, reçoit par un acte de vertu qu'elle exerce, vaut plus que tout l'univers, qui pourra estimer la valeur de la grâce que recevait Celle qui ne surpassa pas seulement les anciens sacrifices , les offrandes , les holocaustes et tous les mérites des hommes, mais nième ceux des plus hauts séraphins, auxquels elle était si supérieure? Les affections amoureuses que notre divine Dame formait dans l'attente de son Fils et de son Dieu, quelle aspirait à recevoir entre ses bras, à nourrir de sou propre lait, à entretenir, à soigner, à servir, et qu'elle adorait fait homme de sa propre chair et de sou sang, étaient si ardentes, qu'elle se serait consumée dans ce très-doux embrasement d'amour si elle n'eût pas été fortifiée par un secours miraculeux. Et elle aurait perdu plusieurs fois la vie, si son très-saint Fils ne la lui eût conservée; car elle le regardait d'ordinaire dans son sein virginal, et par la lumière divine elle voyait son humanité unie à la divinité, tous les actes intérieurs de son âme très-sainte, son adorable corps, les prières qu'il faisait pour elle, pour saint Joseph, pour tout le genre humain, et particulièrement pour les prédestinés. Elle connaissait tous ces mystères et beaucoup d'autres; et, renfermant dans son sein le feu brûlant qui éclaire sans consumer (1), elle s'enflammait de plus en plus du désir de l'imiter et de le louer. (1) Exod., III, 2. 275 444. Abîmée dans cet incendie du divin amour, elle disait quelquefois à son très- saint Fils : " Mon doux bien-aimé, Créateur de l'univers, quand est-ce que mes yeux jouiront de la lumière de votre divine face? Quand mes bras consacrés deviendront-ils l'autel de l'hostie que votre Père éternel attend? Quand baiserai je, comme votre servante, la terre qu'auront foulée vos pieds sacrés? Quand obtiendrai-je comme Mère le baiser que mon âme désire, afin de participer par votre divin souffle à votre propre esprit (1)? Lumière inaccessible que vous êtes, Dieu véritable de Dieu véritable, lumière de la lumière (2), quand vous manifesterez-vous aux mortels, après tant de siècles qui vous ont cachée à notre vue (3)? Quand est-ce que les enfants d'Adam, esclaves par leurs péchés, connaîtront leur Rédempteur, verront leur salut, et trouveront parmi eux leur Naître, leur frère et leur père véritable (4)? O lumière et vertu de mon âme! mon bien-aimé pour qui je vis en mourant! Enfant de mes entrailles, comment fera-t- elle l'office de Mère, celle qui ne sait pas faire celui de servante et qui n'en mérite pas le titre? Comment vous pourrai-je traiter dignement, moi qui ne suis qu'un pauvre ver de terre? Comment vous servirai-je, vous qui êtes la sainteté même et la bonté infinie, moi qui ne suis que cendre et poussière? Comment oserai-je parler (1) Cant., I, 1, etc. - (2) Joan., I, 9. - (3) Baruch., III, 38. - (4) I Tim., III, 16; Isa., LII, 10; XXX, 20. 276 en votre présence, et paraître devant votre divine Majesté? Maître de tout ce que je suis, qui m'avez choisie, malgré ma petitesse, parmi les autres filles d'Adam, gouvernez mes actions, dirigez mes désirs et enflammez mes affections, afin que je fasse en tout ce qui vous sera le plus agréable. Que ferai-je, mon souverain bien, si vous sortez de mon sein pour souffrir des affronts et mourir pour le genre humain, si je ne meurs avec vous et si je ne vous accompagne au sacrifice, vous qui êtes mon être et ma vie? Faites, Seigneur, que ma vie empêche la cause qui doit vous ravir la vôtre, puisqu'elles sont si étroitement unies. Il n'est pas nécessaire que vous mouriez pour racheter le monde et des milliers de monde : laissez-moi donc mourir pour vous et endurer vos ignominies, et contentez-vous de sanctifier le monde et de dissiper les ténèbres des mortels par votre amour et par votre lumière. Et s'il n'est pas possible de révoquer le décret du Père éternel, afin que la rédemption soit abondante (1) et que votre extrême charité soit satisfaite (2), agréez mes affections, et faites que j'aie part à tous les travaux de votre vie, puisque vous êtes et mon Fils et mon Seigneur. " 445. La variété de ces affections et de plusieurs autres actes intérieurs rendait la Reine du ciel très-agréable et très-belle aux yeux du Prince des éternités (3), qui reposait dans son sein virginal. Et elle les (1) Ps. CXXIX, 7. - (2) Ephes., II, 4. - (9) Esther., II, 9. 277 subordonnait toutes aux actions de cette très-sainte humanité déifiée; car la digne Mère ne cessait de les observer pour les imiter. Il arrivait souvent que l'Enfant-Dieu se mettait à genoux dans ce sanctuaire pour prier le Père: quelquefois il y étendait les bras comme voulant s'essayer à la croix. De là (comme il le fait maintenant du suprême trône du ciel) il regardait et connaissait par la science de son âme très- sainte tout ce qu'il connaît à cette heure, sans que pût lui être cachée aucune créature présente, passée, ni future, avec toutes ses pensées et tous ses mouvements; et il veillait sur toutes en qualité de Maître et de Rédempteur. Et comme sa divine Mère découvrait tous ces mystères, et que pour répondre à cette science elle était remplie de grâce et de dons célestes, elle agissait toujours avec une si haute plénitude de sainteté et de perfection, que l'éloquence humaine n'a point de paroles pour l'expliquer. Mais si notre jugement n'est perverti, et si notre coeur n'est devenu aussi dur et insensible qu'un rocher, il est impossible qu'à la vue et, pour ainsi dire, su contact de tant de choses qui ne sont pas moins salutaires qu'admirables, notre âme ne soit pénétrée d'une douleur amoureuse et d'une humble reconnaissance. 278 Instruction que la sainte Vierge me donna. 446. Je veux, ma fille, vous convaincre dans ce chapitre de la décence avec laquelle on doit traiter toutes les choses consacrées au culte divin, et blâmer en même temps l'irrévérence par laquelle les ministres du Seigneur eux-mêmes l'offensent dans leur insouciance à cet égard. Qu'ils se gardent bien de mépriser ou d'oublier la colère du Très-Haut, qu'ils s'attirent par la grossière incivilité et par la lourde ingratitude avec lesquelles ils traitent les ornements et les choses sacrées, qu'ils manient d'ordinaire sans la moindre attention et sans le moindre respect. L'indignation de sa divine Majesté est beaucoup plus grande contre ceux qui reçoivent les fruits et les gages de son très-précieux sang, et les prodiguent pour de basses vanités ou pour des choses profanes et plus repréhensibles encore. Ils recherchent pour leurs délices et leurs commodités ce qui est le plus précieux et le plus estimable, et réservent tout ce qu'il y a de plus grossier et de plus vil pour le culte et l'honneur du Seigneur. Je veux que vous sachiez que quand cela arrive, surtout à l'endroit des linges qui touchent le corps et le sang de mon très-saint Fils, tels que les corporaux et les purificatoires, les anges, qui assistent au très-éminent et très-redoutable sacrifice de la Messe, détournent, comme saisis de confusion, leur vue de ces sortes de ministres, et s'étonnent de ce que le Tout-Puissant 279 les souffre et dissimule si longtemps leur témérité et leur manque de respect. Sans doute tous les prêtres ne commettent pas cette faute, mais il y en a pourtant beaucoup, et il s'en trouve à peine quelques-uns qui se distinguent par leur zèle en ce qui concerne le culte divin, et qui traitent extérieurement les choses sacrées avec la due révérence; encore en est-il parmi ceux-ci qui n'agissent pas avec une intention droite et pour s'acquitter de leur devoir, mais par vanité et pour d'autres fins humaines : de sorte que ceux qui adorent purement et avec un coeur sincère le Créateur en esprit et en vérité (1) sont fort rares. 447. Considérez, ma très-chère fille, ce que nous pouvons sentir, nous qui sommes en la présence de l'Être incompréhensible du Très-Haut, et qui savons que sa bonté immense a créé les hommes, afin qu'ils l'adorassent et lui rendissent un juste culte, et que c'est pour cela qu'il leur a laissé cette loi, fondée sur la nature même, et qu'il leur a livré gratuitement tout le reste des créatures (2). Cependant nous voyons avec quelle ingratitude ils répondent aux largesses de leur Créateur, puisqu'ils lui disputent les mêmes choses qu'ils reçoivent de sa main libérale; et s'ils en destinent quelques-unes à son honneur et à son service, ce ne sont que les plus viles et les plus méprisables (3), réservant pour leurs vanités les plus précieuses et les plus recherchées. On ne fait pas réflexion (1) Joan., IV, 24. - (2) Eccles., XVII, 3, 4, 7 et 8. - (3) Malach., I, 8. 280 sur ce péché, qui n'est pas assez connu; ainsi je veux que non-seulement vous le pleuriez avec une vive douleur, mais que vous le répariez autant qu'il vous sera possible, pendant que vous serez supérieure. Donnez toujours le meilleur au Seigneur, et recommandez à vos religieuses de s'occuper avec simplicité et dévotion de l'arrangement et de la propreté des ornements sacrés, et d'en faire non- seulement pour leur couvent, mais encore pour les églises pauvres qui peuvent en manquer. Qu'elles soient bien sûres que le Seigneur leur tiendra compte du zèle pieux qu'elles montreront pour le culte divin, qu'il remédiera à leur pauvreté, et qu'il subviendra comme un père aux besoins du monastère, qui ne s'appauvrira jamais par là. C'est l'office le plus propre et le plus légitime des épouses de Jésus- Christ, et elles devraient y employer le temps qui leur reste, après avoir assisté au choeur et satisfait aux autres obligations de l'obéissance. Si toutes les religieuses se portaient avec ardeur à ces occupations si honnêtes, si louables et si agréables à Dieu, il ne leur manquerait jamais rien, et elles formeraient sur la terre un état angélique et céleste. Et parce qu'elles refusent de s'appliquer à ce service du Seigneur, il en est beaucoup qui, privées de l'appui de sa main, se laissent aller à des légèretés et des distractions si dangereuses, qu'étant abominables à mes yeux, je ne veux pas que vous les écriviez ni même que vous y pensiez, si ce n'est pour les pleurer du plus profond de votre coeur, et pour demander à Dieu la cessation de péchés qui l'offensent 281 et qui l'irritent plus qu'on ne saurait se l'imaginer. 448. Mais parce que pour des raisons particulières ma volonté penche à regarder avec amour les religieuses de votre monastère, je veux que vous les engagiez et les excitiez en mon nom et de ma part, avec une douce violence, à vivre toujours retirées et mortes au monde par un oubli constant de tout ce qui s'y trouve; à n'avoir de commerce que dans le ciel et avec les choses divines (1), et à conserver à tout prix la paix et la charité inaltérables que vous leur recommandez si souvent. Et si, m'obéissant sur ce point, elles tâchent de se maintenir en mes bonnes grâces, je leur promets, avec ma protection continuelle, mon intercession efficace auprès de mon très-saint Fils, et je me constitue leur Mère et leur Bienfaitrice, comme je suis la vôtre. A cet effet vous leur inspirerez toujours pour moi la dévotion spéciale et , l'amour qui doivent animer leur coeur; car si de leur côté elles sont fidèles, elles obtiendront tout ce que vous souhaitez, outre les autres faveurs que je leur ferai. Et afin qu'elles se portent avec un joyeux empressement aux choses du culte divin, et qu'elles se chargent volontiers de tout ce qui le regarde, rappelez-leur ce que je faisais pour le service de mon très-saint Fils et du Temple. Je veux que vous sachiez que les anges admiraient le zèle, la vigilante attention et la propreté avec laquelle je m'occupais de toutes les (1) Philip., III, 20. 282 choses qui devaient servir à mon Fils et Seigneur. C'est dans cette sollicitude aussi tendre que respectueuse que je préparais tout ce qui était nécessaire pour son entretien, sans qu'il me manquât jamais rien (comme certaines personnes le pensent) pour le couvrir et pour le soigner : toute la suite de cette histoire vous montrera qu'à cet égard la moindre négligence, la moindre inadvertance étaient incompatibles avec ma prudence et avec mon amour. CHAPITRE VIII. On publie l'édit de l'empereur Auguste-César, qui ordonnait le dénombrement de tous les sujets de son empire, et ce que fit saint Joseph quand il en eut connaissance. 449. Il était déterminé par la volonté immuable du Très-Haut que le Fils unique du Père naquit en la ville de Bethléem, et en vertu de ce divin décret, les anciens prophètes l'annoncèrent longtemps avant qu'il arrivât (1), parce que la détermination de la volonté absolue du Seigneur est toujours infaillible, et que le ciel et la terre passeront avant qu'elle cesse de (1) Mich., V, 2; Jerem., XXX, 9; Ezech., XXXIV, 22. 283 s'accomplir (1), puisque personne ne lui peut résister (2). Le Seigneur prépara l'exécution de ce décret immuable au moyen d'un édit que l'empereur Auguste- César fit publier dans l'empire, et par lequel (comme le raconte saint Luc) il ordonnait le dénombrement des habitants de toute la terre (3). Cet empire s'étendait alors sur la plus grande partie du monde connu des Romains; et c'est pourquoi ils s'appelaient les maîtres de l'univers, ne faisant pas grand cas du reste. Ce dénombrement consistait à faire déclarer sujets de l'empereur tous ceux qui s'y trouvaient, et à lui payer en même temps un certain tribut, comme au maître naturel en ce qui regarde les choses temporelles; et pour faire cette reconnaissance , chacun allait se faire inscrire sur le registre commun de sa propre ville (4). Cet édit arriva à Nazareth et à la connaissance de saint Joseph : il retourna chez lui tout affligé (car il était dehors lorsqu'il en ouit parler) et il raconta à sa divine épouse cette nouveauté. Mais la très-prudente Vierge lui répondit : " Il ne faut pas, cher époux, que l'édit de l'empereur do la terre vous mette dans cette peine, puisque c'est le Maître et le Roi du ciel et de l'univers qui règle tous les événements de notre vie; sa providence nous assistera et nous guidera dans toute sorte d'occasions. Abandonnons-nous avec confiance à sa conduite, nos espérances ne seront point trompées (5). " (1) Matth., XXIV, 88. - (2) Esth., XIII, 9. - (3) Luc., II, 1. - (4) Ibid. 8. - (5) Eccles., II. 284 450. La sainte Vierge était versée dans tous les mystères de son très-saint Fils, elle savait de quelle manière les prophéties s'accompliraient, et que le Fils unique du Père et le sien devait naître à Bethléem, comme pauvre et étranger. Mais elle n'en déclara rien à saint Joseph, parce que sans un ordre du Seigneur elle ne voulait pas découvrir son secret. Tout ce qu'il ne lui était pas commandé de dire, elle le taisait avec une discrétion admirable, nonobstant son désir de consoler son très-fidèle époux Joseph , s'abandonnant sans réserve à la divine conduite, et ne voulant point être prudente à ses propres yeux, contrairement su conseil du Sage (1). Ensuite ils conférèrent sur ce qu'ils devaient faire, parce que la grossesse de notre divine Dame étant fort avancée, le moment de sa délivrance approchait, sur quoi saint Joseph lui dit : " Reine du ciel et de la terre, il me semble que je ne saurais me dispenser, supposé que le Très Haut ne vous ait pas ordonné quelque autre chose, d'aller exécuter cet édit de l'empereur. Et quoiqu'il suffise d'y aller seul, la prescription ne regardant que les chefs de famille, je n'oserais pas vous quitter ni m'éloigner de votre service; je ne saurais d'ailleurs vivre sans votre présence : si je vous laisse je n'aurai pas un moment de repos, et mon coeur sera dans de continuelles alarmes. Je vois que vos divines couches sont fort proches, et que je hasarderais trop de vous engager à venir (1) Prov., III, 7. 285 avec moi en notre ville de Bethléem, où nous devons accomplir les ordres de l'empereur; ainsi je crains, tant pour cette raison qu'à cause de ma grande pauvreté, de vous mettre dans un danger si évident. Si vos couches arrivaient dans le voyage sans que j'eusse le moyen de subvenir à vos besoins, ce serait pour moi un sujet d'une affliction mortelle. Ces pensées me désolent : je vous supplie, illustre Dame, de les exposer su Très-Haut, et de le prier d'ouïr mes désirs, qui consistent à ne point me séparer de votre compagnie. " 451. La très-humble épouse obéit à ce que saint Joseph ordonnait; et, quoiqu'elle n'ignorât pas la volonté divine, elle voulut pourtant profiter de cette occasion pour témoigner son obéissance et sa soumission. Elle présenta su Seigneur la volonté et les désirs de son très-fidèle époux; et sa divine Majesté lui répondit : " Ma Bien- Aimée et ma Colombe, obéissez à mon serviteur Joseph en ce qu'il vous a proposé et qu'il désire. Accompagnez-le dans le voyage : je serai avec vous; je vous assisterai et vous protègerai avec un paternel amour dans les fatigues et dans les tribulations que vous endurerez pour moi; et, quelque grandes qu'elles doivent être, la puissance de mon bras vous en fera sortir glorieusement. Vos pas seront beaux et agréables à mes yeux (1) : ne craignez pas, ma Bien-Aimée, et marchez, car telle est ma volonté. " Ensuite le Seigneur (4) Cant., VII, 1. 286 fit, en présence de la divine Mère, un nouveau commandement aux anges de sa garde de la servir dans ce voyage avec un soin particulier, selon les solennels et mystérieux événements qui l'attendaient. Outre les mille anges qui la gardaient ordinairement, le Seigneur ordonna à neuf mille autres d'assister leur Reine; de sorte que tous les dix mille ensemble furent chargés de l'accompagner dès le jour qu'elle se mettrait en chemin. Ils obéirent tous, comme de très-fidèles ministres du Seigneur, et ils la servirent comme je le dirai dans la suite. Notre grande Reine fut renouvelée et élevée par une lumière divine à la connaissance de nouveaux mystères, touchant les maux qu'elle endurerait après la naissance de l'Enfant-Dieu par la persécution d'Hérode (1) et plusieurs autres tribulations qui arriveraient. Prête à tout, elle tint son coeur invincible dans la paix du Seigneur, et lui rendit mille actions de grâces pour tout ce qu'il opérait et disposait en elle (2). 452. La Princesse du ciel fit part de cette réponse à saint Joseph, et lui déclara que c'était la volonté du Très-Haut qu'elle lui obéit et l'accompagnât dans son voyage de Bethléem. Le saint époux en fut rempli d'une nouvelle joie; et, pour reconnaître cette grande faveur que la main libérale du Seigneur lui faisait, il lui en témoigna son humble gratitude. Et s'adressant ensuite à sa divine épouse, il lui dit : " Chère Dame, a qui êtes la cause de ma joie et de ma félicité, je ne (1) Matth., II, 16. - (2) Ps., 2. 287 m'afflige plus, dans ce voyage, qu'à la pensée des peines que vous y souffrirez, n'ayant pas assez de ressources pour vous en délivrer ni pour vous mener avec la commodité que je souhaiterais. Mais nous trouverons des amis et des parents à Bethléem; j'espère qui ils nous recevront avec charité, et que vous pourrez vous reposer chez eux de la fatigue de la route, s'il plaît au Très-Haut, comme votre serviteur le désire. " Il est vrai que l'affection du saint époux lui inspirait ces suppositions; mais il ignorait alors ce que le Seigneur avait décidé; et parce qu'il fut trompé dans soit attente, il en conçut ensuite une douleur d'autant plus amère, comme on le verra en son lieu. La très-pure Marie ne déclara pas à Joseph ce qui elle prévoyait en Dieu touchant le mystère de soit divin accouchement, quoiqu'elle sût que la chose ne se passerait point comme il se le promettait; elle lui dit, au contraire, pour l'encourager : " Mon époux et mon maître, je suis bien heureuse de voyager en votre compagnie ; nous marcherons comme les pauvres gens, au nom du Très-Haut, car sa divine Majesté ne méprise point cette même pauvreté quelle vient chercher avec tant d'amour. Et, assurés de sa protection dans nos nécessités et dans nos embarras, mettons en elle notre confiance (1). Il n'est p 11/30 CHAPITRE X. Notre Seigneur Jésus-Christ naît de la Vierge Marie en Bethléem de Judée. Instruction que je reçus de la sacrée Vierge. CHAPITRE XI. Comme les saints anges annoncèrent en divers endroits la naissance de notre Sauveur, et comme les pasteurs vinrent l'adorer. Instruction que je reçus de la Reine du ciel. CHAPITRE III. Ce qui fut caché au démon du mystère de la naissance du Verbe incarné, et plusieurs autres choses jusqu'à la circoncision. Instruction que la Maîtresse de l'univers me dona. CHAPITRE XIII. L'auguste Marie connut que c'était la volonté du Seigneur que son très-saint Fils fût circoncis. - Elle en parle à saint Joseph. - Le nom sacré de Jésus vient du ciel. Instruction que l'auguste Marie me donna. CHAPITRE XIV. L'Enfant-Dieu est circoncis et appelé Jésus. Instruction que je refus de mon auguste Maîtresse. CHAPITRE XV. La très-pure Marie demeure dans la grotte de la nativité avec l'Enfant-Dieu jusqu'à la venue des mages. Instruction que la très-sainte Vierge me donna. CHAPITRE XVI. Les trois rois mages viennent de l'Orient et adorent le Verbe incarné à Bethléem. Instruction que je reçus de la Reine du ciel. CHAPITRE X. Notre Seigneur Jésus-Christ naît de la Vierge Marie en Bethléem de Judée. 469. Le palais que le souverain Roi des rois et le Seigneur des seigneurs avait préparé dans le monde pour loger son Fils éternel incarné pour les hommes, était la pauvre et humble cabane ou grotte dans laquelle la très-pure Marie et Joseph se retirèrent après avoir été rebutés de ces mêmes hommes, sans en pouvoir obtenir le moindre témoignage de compassion naturelle, comme il a été dit au chapitre précédent 307 Ce lieu était si misérable, que; la ville de Bethléem se trouvant si remplie d'étrangers qu'il n'y avait pas assez d'hôtelleries pour les recevoir tous, il n'y eut pourtant personne qui daignât s'en emparer parce qu'en effet il ne pouvait convenir et appartenir qu'aux maîtres de l'humilité et de la pauvreté, notre Seigneur Jésus- Christ et sa très-sainte Mère. Et c'est pourquoi la sagesse du Père éternel le leur réserva, le consacrant, avec les ornements de la solitude et de la pauvreté, comme le premier temple de la Lumière et la première maison du véritable Soleil de justice (1), qui devait naître pour ceux qui ont le coeur droit, de Marie, resplendissante aurore au milieu des ténèbres de la nuit (2), symbole de celles du péché, qui couvraient tout le monde. 470. L'auguste Marie et Joseph entrèrent dans cet asile qui leur avait été préparé, et, à la lumière que répandaient les dix mille anges qui les accompagnaient, ils purent facilement reconnaître avec une grande consolation et des larmes de joie qu'il était pauvre et solitaire comme ils le souhaitaient. Aussitôt les deux saints voyageurs se mirent à genoux, louèrent le Seigneur et lui rendirent des actions de grâces pour ce bienfait, n'ignorant pas qu'il leur avait été destiné par les secrets jugements de la sagesse éternelle. Notre diviné Princesse fut celle qui pénétra le plus ce grand mystère, parce qu'en sanctifiant cette petite grotte par sa sacrée présence, elle sentit une plénitude de joie (1) Malach., IV, 2. - (2) Ps., CXI, 4. 308 intérieure qui éleva et vivifia tout son être. Elle pria le Seigneur de récompenser avec libéralité tous les habitants de la ville, qui lui avaient procuré, en lui refusant l'hospitalité, un si grand bonheur que celui qu'elle attendait dans cette pauvre cabane. Elle était pratiquée dans un rocher brut et naturel, où l'art n'avait ménagé aucune commodité, de sorte que les hommes ne la jugèrent propre qu'à y loger le bétail mais le Père éternel l'avait choisie pour servir d'abri et de demeure à son propre Fils. 471. Les esprits angéliques, milice céleste qui gardait sa Reine, se rangèrent en ordre, comme pour monter une garde d'honneur dans ce palais royal. Et, sous cette forme corporelle et humaine qu'ils avaient prise, ils se manifestaient aussi à saint Joseph; car il était convenable qu'il jouit dans cette occasion de cette faveur, tant pour diminuer sa peine, en voyant ce pauvre réduit si bien orné et embelli par les richesses du ciel, que pour soulager et animer son coeur, et l'élever à la hauteur des événements que le Seigneur préparait cette nuit dans un lieu si méprisé. La grande Reine du ciel, qui était informée du mystère qui devait y être célébré, se résolut à nettoyer elle-même cette grotte qui devait bientôt servir de trône royal et de propitiatoire sacré, afin de ne pas perdre le mérite de cet exercice d'humilité, et de rendre à son Fils unique un culte de respect : c'était tout ce qu'elle pouvait faire en cette circonstance pour l'ornement de son temple. 472. Le saint époux Joseph, attentif à la majesté 309 de sa divine épouse, qu'elle-même oubliait pour ainsi dire en vue de l'humilité, la supplia de ne le pas priver de cet emploi , qui maintenant lui revenait; et la prévenant, il commença à balayer et nettoyer tous les endroits de la grotte, sans qu'il pût néanmoins empêcher notre humble Dame de le seconder. A leur tour les saints anges , témoins pour ainsi dire confus dans leur forme humaine et visible, de cette pieuse lutte de l'humilité de leur Reine, se hâtèrent avec une sainte émulation d'aider à la besogne, ou, pour mieux dire, ils nettoyèrent en très-peu de temps cette grotte, la mirent dans un état de propreté décente, et la rendirent toute parfumée. Saint Joseph alluma du feu avec les petits instruments dont il s'était muni à cet effet, Et comme le froid était grand, ils s'en approchèrent pour recevoir quelque soulagement; ensuite ils entamèrent pour souper les frugales provisions qu'ils avaient, et ce fut avec une joie inexprimable , quoique la Reine de l'univers se trouvât à cette heure si proche de ses divines couches, tellement absorbée dans le mystère, qu'elle n'aurait rien. mangé, si ce n'eût été pour obéir à son époux. 473. Après avoir mangé, ils rendirent grâces au Seigneur selon leur coutume. Ils employèrent quelques instants à cette prière et à s'entretenir des mystères du Verbe incarné; mais bientôt la très-prudente Vierge reconnut que ses très-heureuses couches étaient fort proches. Elle engagea son époux Joseph à prendre quelque repos, parce que 14 nuit était déjà 310 bien avancée. L'homme de Dieu obéit à son épouse, et la supplia d'en faire autant; et pour lui en donner le moyen, il ajusta et garnit avec les hardes qu'ils portaient une crèche assez large, pratiquée dans l'aire de la grotte pour servir aux animaux qui s'y réfugiaient. Et, laissant l'auguste Marie s'installer dans ce petit lit, il se retira dans un recoin de l'entrée, où il se mit en oraison. Il y fut aussitôt visité de l'Esprit divin, et il sentit une force aussi douce qu'extraordinaire qui le ravit en une extase où lui fut montré tout ce qui arriva cette nuit dans la grotte fortunée; car il demeura dans ce ravissement sans avoir aucun usage de ses sens, jusqu'à ce que sa divine épouse l'appela. Et le mystérieux sommeil envoyé à saint Joseph fut bien plus sublime et plus heureux que celui d'Adam dans le paradis (1). 474. La Reine des créatures étant dans la crèche, fut au même moment excitée par une forte vocation du Très-Haut et par une douce et efficace transformation, qui la transporta au-dessus de tout ce qui est créé, et elle ressentit de nouveaux effets du pouvoir divin; car cette extase fut une des plus rares et des plus admirables de sa très-sainte vie. Bientôt elle s'éleva plus haut encore pour arriver à la claire vision de la Divinité par de nouvelles lumières et par des propriétés spéciales que le Seigneur lui accorda, dans le genre de celles que j'ai fait connaître en d'autres rencontres. Par ces dispositions le voile lui (1) Gen., II, 21. 311 fut ôté, et elle vit Dieu intuitivement, avec tant de gloire et de plénitude de science, que ni les hommes ni même les anges ne sauraient ni l'exprimer ni le comprendre. La connaissance des mystères de la divinité et de la très-sainte humanité de son Fils qu'elle avait reçue dans les autres visions, lui fut renouvelée, et elle découvrit d'autres secrets renfermés dans le sein de Dieu (1), cette source inépuisable. Je n'ai pas de termes assez forts pour rendre ce que j'en ai appris par la divine lumière, car la grandeur et l'abondance de la matière ne fait qu'affaiblir et amoindrir mes paroles. 475. Le Très-Haut annonça à sa Mère vierge qu'il était temps qu'il sortit de son sein virginal pour venir au monde, et en quelle manière la chose devait s'accomplir. La très-prudente Dame connut dans cette vision les sublimes raisons et les très-hautes fins qui déterminaient des couvres si admirables et des mystères si profonds, tant du côté du Seigneur qu'en ce qui regardait les créatures, pour qui directement le tout était ordonné. Elle se prosterna devant le trône de la Divinité, et lui rendant honneur, gloire, louanges et actions de grâces, en son nom et en celui de toutes les créatures qui devaient reconnaître une miséricorde si ineffable et une telle preuve de l'amour infini du Seigneur, elle lui demanda une nouvelle lumière et une grâce spéciale pour opérer dignement en tout ce qui concernait le service du Verbe incarné, (1) Eccles., XI, 4. 312 qu'elle devait bientôt recevoir entre ses bras et nourrir de son lait virginal. La divine Mère fit cette demande avec une très-profonde humilité, parce qu'elle comprenait la sublimité d'un ministère aussi nouveau que l'était celui d'allaiter et de traiter comme mère un Dieu fait homme, et parce qu'elle se jugeait indigne d'un tel office, dont les plus hauts séraphins n'étaient pas capables de s'acquitter. La Mère de la Sagesse (1) considérait et pesait toutes ces choses avec prudence et avec humilité. Et c'est parce qu'elle s'abaissa jusqu'à la poussière, parce qu'elle s'anéantit en la présence du Très-Haut (2) , que sa divine Majesté l'éleva, lui donna de nouveau le titre de sa propre Mère, et lui commanda d'exercer cet office et ce ministère comme Mère légitime et véritable, en le traitant comme Fils du Père éternel, mais en même temps comme fils de ses entrailles. Tout cela pouvait bien être confié à une telle Mère (3), et dans cette qualité je renferme tout ce que je ne puis expliquer par mes paroles. 476. La très-pure Marie jouit plus d'une heure de cette vision béatifique, dont il plut à Dieu de la gratifier immédiatement avant sa divine délivrance. Et au moment où elle en sortait et reprenait ses sens, elle reconnut et vit que le corps de l'Enfant-Dieu se remuait dans son sein virginal, se dégageant et prenant pour ainsi dire congé de ce lieu naturel où il avait demeuré neuf mois, et qu'il se préparait à sortir (1) Eccles., XXIV, 24. - (2) Luc, I, 48. - (3) Prov., XXXI, 11. 313 de ce sacré tabernacle. Ce mouvement de l'enfant, non-seulement ne causa point de douleur à la Vierge-Mère, comme il arrive aux autres filles d'Adam et d'Ève lorsqu'elles enfantent (1); mais au contraire, il la renouvela toute dans les transports d'une joie ineffable, de sorte que son âme et son très-chaste corps éprouvèrent des effets si divins et si sublimes, qu'ils surpassent tout ce que l'entendement créé peut concevoir. Son corps, resplendissant d'une beauté céleste, se spiritualisa au point qu'elle ne paraissait plus une créature humaine et terrestre. Son visage jetait des rayons de lumière comme un soleil brillant de tout son éclat. Une majesté admirable était répandue sur toute sa physionomie, et son coeur était enflammé d'un fervent amour de Dieu. Elle se tenait à genoux dans la crèche, les yeux élevés au ciel, les mains jointes contre la poitrine, l'esprit perdu dans la divinité qui la transformait. C'est dans cet état, en sortant de ce divin ravissement, que notre très-auguste Princesse donna au monde le Fils unique du Père et le sien (2), notre Sauveur, Jésus, Dieu et homme véritable, à l'heure de minuit, un jour de dimanche, et en l'année de la création du monde que l'Église romaine enseigne être cinq mille cent quatre-vingt-dix neuf , et il m'a été déclaré que cette supputation est certaine et exacte. 477. Tous les fidèles présupposent plusieurs autres circonstances miraculeuses de ce divin accouchement; (1) Gen., III, 16. - (2) Luc., II, 7. 314 toutefois, comme elles n'eurent point d'autres témoins que la Reine du ciel elle- même et ses courtisans, on ne peut pas les savoir toutes en détail, excepté celles que le Seigneur a manifestées de diverses manières à sa sainte Église en général ou en particulier à quelques âmes. Et comme il y a, je crois, des opinions contraires sur ce sujet, qui est très-relevé et de tout point vénérable, ayant déclaré à mes supérieurs qui me conduisent ce que j'ai été chargée d'écrire sur ces mystères, ils m'ordonnèrent de les approfondir de nouveau à la divine lumière, et de demander à la Princesse du ciel, ma Mère et ma Maîtresse, et aux saints anges qui m'assistent et résolvent les difficultés que je rencontre, quelques particularités dont l'indication était nécessaire pour compléter le récit des couches sacrées de Marie, Mère de Jésus notre Rédempteur. Et ayant obéi à cet ordre, je reçus les mêmes communications, et il me fut déclaré que la chose arriva comme il suit. 478. A peine la Mère toujours vierge fut-elle sortie de la vision béatifique dont je viens de parler, que le Soleil de justice, le Fils du Père éternel et le sien, naquit d'elle, radieux de beauté et de pureté, la laissant dans son intégrité virginale toujours plus consacrée et plus divinisée, car il ne fit que passer sans aucune altération matérielle à travers les parois du tabernacle immaculé, comme les rayons du soleil qui pénètrent une glace de cristal sans l'ébrécher, et la rendent plus belle et plus éclatante. Et avant que d'expliquer la manière miraculeuse avec laquelle cela 315 eut lieu, je dis que l'Enfant-Dieu naquit sans cette membrane appelée secondine, qui embarrasse les autres enfants à leur naissance et les enveloppe dans le sein de leur mère. Je ne m'arrête point à expliquer comment a pu se répandre l'erreur de l'opinion contraire. Il suffit de savoir et de présupposer qu'en la génération du Verbe humanisé et en sa naissance, le puissant bras du Très-Haut prit et choisit de la nature tout ce qui appartenait à la réalité et à la substance de la génération humaine, afin qu'on pût véritablement dire que le Verbe fait homme a été réellement conçu et engendré de la substance, et est né vrai fils de sa mère toujours vierge. Quant aux autres conditions, qui sont simplement accidentelles et non point essentielles à la génération et à la naissance, on doit en écarter de notre Seigneur Jésus-Christ et de sa très-sainte Mère non-seulement celles qui proviennent du péché originel ou actuel, ou qui s'y rattachent; mais encore beaucoup d'autres qui ne dérogent point à la substance de la génération ou de la naissance, et qui renferment dans les termes de la nature soit quelque chose d'impur, soit quelque chose de superflu, qui n'était pas nécessaire pour qu'on pût appeler la Reine du ciel, Mère véritable, et notre Seigneur Jésus-Christ son propre Fils, et qu'on pût dire qu'il est né d'elle. En effet, ces suites du péché ou ces opérations de la nature, n'étaient essentielles ni à la réalité de l'incarnation humaine de l'Enfant-Dieu, ni à son office de Rédempteur et de Maître, et tout ce que n exigeait pas l'accomplissement 316 de ces trois fins, et dont d'ailleurs l'exemption devait contribuer à la plus grande excellence de Jésus-Christ et de sa très-pure Mère, il ne faut l'admettre ni pour l'un ni pour l'autre. Quant aux miracles qui furent nécessaires pour cela, il n'y a pas lieu de les marchander, ni avec l'auteur de la nature et de la grâce, ni avec celle qui fut sa digne Mère, prévenue, ornée et toujours comblée de ses faveurs, car la. droite du Tout-Puissant n'a cessé de l'enrichir en tout temps de grâces et de dons, et a mis en elle tout ce qu'une simple créature était capable de recevoir. 479. En conséquence, il ne dérogeait point à la qualité de mère véritable, que Marie demeurant toujours vierge, fût vierge en concevant et en enfantant par l'opération du Saint-Esprit. Sans doute la nature eût pu perdre ce privilège sans lui faire commettre aucun péché; mais en ce cas la divine Mère eût été privée d'une si rare et si particulière excellence : et pour qu'il n'en fût point ainsi, pour que rien ne lui manquât, le pouvoir de son très-saint Fils lui accorda encore cette grâce exceptionnelle. L'Enfant-Dieu eût pu naître aussi avec cette tunique ou membrane qui enveloppe les autres enfants; mais cela n'était point nécessaire pour qu'il naquît comme fils de sa mère légitime; et c'est pour cette raison qu'il ne l'emporta point en sortant du sein virginal et maternel; cet enfantement ne paya pas non plus à la nature les autres tributs humiliants auxquels est assujetti celui de toutes les mères dans l'ordre coin'mun de la naissance. Il n'était pas juste que le Verbe 319 humanisé passât par les lois communes des enfants d'Adam: au contraire, il devait comme résulter du mode miraculeux de sa naissance, qu'il fût privilégié et exempt de tout ce qui eût pu être matière de corruption ou d'une moindre pureté; ainsi il ne fallait point que cette membrane ou secondine qui avait si intimement adhéré à son très-saint corps, et qui était une partie du sang et de la substance de sa mère, pût se corrompre hors du sein virginal; il n'était point non plus convenable de la garder, ni qu'elle fût douée des qualités et des priviléges que cet adorable corps reçut, pour sortir de celui de sa très-pure Mère, en traversant son très chaste sein, comme je le dirai bientôt. Car le miracle dont aurait dû être l'objet cette membrane sacrée, si elle fût sortie de ce tabernacle vivant, pouvait bien mieux y être opéré en y restant, sans en sortir. 480. L'Enfant-Dieu naquit donc de la très-pure , Marie exempt. de tous ces tributs. Il en sortit glorieux et transfiguré, car la Sagesse infinie disposa et ordonna que la gloire de l'âme très-sainte rejaillit sur le corps du divin Enfant au moment de sa naissance, et qu'il participât des dons de gloire comme il arriva depuis sur le Thabor, en présence des trois apôtres (1). Ce prodige ne fut pourtant pas nécessaire pour traverser le très-chaste sein de la Mère, tout en le laissant intact dans son intégrité virginale; car Dieu eût pu, sans ces dons, faire d'autres miracles, par les (1) Matth., XVII, 2. 318 quels l'enfant serait né laissant sa mère toujours vierge, comme le disent les saints docteurs, qui ne, connurent point d'autre mystère dans cette nativité. biais la volonté divine ordonna que la bienheureuse Mère vit la première fois son Fils, Homme-Dieu, glorieux en son corps; et cela pour deux fins. L'une, pour qu'à la vue de cet objet divin, la très-prudente Vierge comprit avec quel profond respect elle devait traiter son Fils, Dieu et homme véritable. Et quoiqu'elle en eût déjà été instruite, le Seigneur disposa néanmoins que par ce moyen, comme expérimental, elle reçût une nouvelle infusion de grâces, proportionnée à la connaissance qu'elle acquérait par ses propres yeux de l'excellence divine de son très-doux Fils, de sa majesté et de ses grandeurs. L'autre fin de ce prodige fut de récompenser la fidélité et la sainteté de la divine Mère, de sorte que ces yeux très-purs et très-chastes, qui s'étaient fermés à tout ce ;qui était terrestre pour l'amour de son très-saint Fils; le vissent à l'instant même de sa naissance avec une si grande gloire , et reçussent cette joie et ce prix de leur inviolable pureté. 481. L'évangéliste saint Luc dit (1) que la Mère Vierge ayant enfanté son Fils premier-né, l'enveloppa de langes et le coucha dans, une crèche. Et il ne déclare point qui le lui mit entre les mains, récemment sorti de son sein virginal, parce que cela n'entrait point dans le plan de son récit. Mais les deux princes (1) Luc., II, 7. saint Michel et saint Gabriel furent chargés de cette mission; car comme ils assistaient au mystère sous une forme humaine et corporelle, à l'instant où le Verbe incarné, traversant par sa propre vertu le très-chaste sein de Marie, vint au monde, ils le reçurent entre leurs mains, à une distance convenable, et avec une vénération sans égale; et en la manière que le prêtre expose la sacrée hostie aux adorations du peuple, ainsi ces deux ministres célestes présentèrent aux yeux de la divine Mère son Fils glorieux et resplendissant. Tout cela se passa en fort peu de temps. Et su moment où les saints anges présentèrent l'Enfant-Dieu à sa Mère, le Fils et la Mère se regardèrent réciproquement, et dans ce regard elle blessa le coeur du très-doux Enfant, et fut en même temps ravie et transformée en lui (1). Et se trouvant entre les mains des deux princes célestes, le Roi de l'univers dit à sa bienheureuse Mère : "Ma Mère, devenez semblable à a moi; car je veux, en échange de l'être humain que vous m'avez donné, vous en donner dès aujourd'hui, par des grâces plus sublimes, un autre tout nouveau, qui fasse, par une parfaite imitation, ressembler une simple créature à moi qui suis Dieu et homme. " La très-prudente Mère répondit: Trahe me: post te curremus in odorem unguentorum tuorum (2): " Attirez-moi, Seigneur, et nous courrons après vous à l'odeur de vos parfums. " Ici furent accomplis plusieurs mystères des Cantiques; et l'Enfant-Dieu et sa Mère Vierge se (1) Cant., VII, 10; IV, 9. - (2) Cant., I, 3. 320 livrèrent aux autres divins colloques qui y sont rapportés, tels que ceux-ci : Mon bien-aimé est tout à moi, et je suis toute à lui, et ses regards se tournent vers moi. Vous êtes belle, ma bien-aimée, vos yeux sont des yeux de colombe; mon bien- aimé, c'est vous qui êtes beau (1) ! Et tant d'autres, que, pour les citer, il faudrait étendre ce chapitre au delà des justes bornes. 482. En même temps que l'auguste Marie entendait les paroles de la bouche de son bien-aimé Fils, les actes intérieurs de son âme très-sainte unie à la Divinité lui furent découverts, afin qu'elle devint semblable à lui en les imitant. Et ce fut le plus grand bienfait que la très-fidèle et très-heureuse Mère reçût de son Fils homme et Dieu véritable; non-seulement parce qu'il le lui continua dès ce jour-là pendant toute sa vie, mais parce qu'il lui servit d'un exemplaire vivant sur lequel elle modela la sienne avec toute la ressemblance qui était possible entre une pure créature et le Verbe incarné. Aussitôt notre divine Mère reconnut et sentit la présence de la très-sainte Trinité, et elle ouït la voix du l'ère éternel , qui disait Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui je me plais uniquement (2). Et la très- prudente Mère toute divinisée parmi des mystères si relevés, répondit : " Père éternel, Dieu infini, Seigneur et Créateur de l'univers, donnez-moi de nouveau votre bénédiction, afin qu'avec elle je reçoive entre mes bras le Désiré de toutes les nations (3); et apprenez à la fidèle esclave (1) Cant., 16 ; VII, 10 ; I, 14 et 15 . - (2) Matth., XVII, 5. - (3) Agge., II, 8. 321 de votre divine volonté à s'acquitter malgré son in dignité de l'office de mère. " Incontinent elle entendit une voix qui lui disait : " Recevez votre Fils unique, imitez-le et allaitez-le; et sachez que vous devrez me le sacrifier quand je vous le demanderai. Nourrissez-le comme mère, et honorez-le comme votre Dieu véritable. " La divine Mère répondit : " Voici l'ouvrage de vos divines mains, ornez-moi de votre grâce, afin que votre Fils et mon Dieu m'agrée pour sa servante; que fortifiée par votre grand Pouvoir, j'aie le bonheur de lui rendre mon service agréable, et que je ne commette point une témérité si humble créature je porte cuire mes mains, et je nourris de mon propre lait mon Seigneur et mon Créateur. " 483. Ces entretiens si remplis de mystères divins étant achevés, l'Enfant-Dieu suspendit le miracle, ou plutôt, continua de nouveau celui qui ôtait à son très-saint corps les dons de gloire, en les arrêtant dans son âme de sorte qu'il se montra tout à coup en son être naturel et passible. Sa très-pure Mère le vit dans cet état, et l'adorant en l'humble posture où elle était avec une très-profonde révérence, elle le reçut des mains des saints anges. Et quand elle l'eut entre les siennes, elle lui dit : " Mon très-doux amour, lumière de mes yeux, être de mon âme; venez à la bonne heure an monde, Soleil de justice (1)! Pour bannir les ténèbres du péché et de la mort (2). Dieu véritable (1) Malach., IV, 2. - (2) Isa., IX, 2. 322 de Dieu véritable, rachetez vos serviteurs (1), et faites que toute chair voie Celui qui lui apporte le salut (2). Recevez votre servante à votre service, et suppléez à mon insuffisance. Rendez-moi, mon très-cher Fils, telle que vous voulez que je sois envers vous. " Ensuite la très-prudente Mère offrit son Fils unique au Père éternel, et lui dit: " Suprême Créateur de l'univers, voici l'autel et voici le sacrifice agréable à vos yeux (3). Regardez maintenant le a genre humain avec miséricorde; et quoique nous méritions votre indignation, il est temps de l'apaiser en vue de votre Fils et du mien. Que désormais la justice se repose, et que votre miséricorde se magnifie; puisque c'est pour cela que le Verbe divin s'est revêtu de la ressemblance de la chair du péché (4), et qu'il est devenu frère des mortels et des pécheurs (5). A ce titre je les reconnais pour mes enfants (6), et je prie pour eux du plus profond de mon coeur. Vous m'avez faite, Seigneur Tout-Puissant, Mère de votre Fils unique, sans l'a voir mérité, car cette dignité est au-dessus de tous les mérites des créatures; mais je dois en partie aux hommes l'occasion qu'ils ont donnée à raton bonheur incomparable, puisque c'est pour eux que je suis Mère du Verbe fait homme passible, et Rédempteur de tous. Je ne leur refuserai ni mon amour, ni mes soins pour leur procurer le remède. Agréez, Dieu (1) Ps. XXXIII, 22. - (2) Isa., XL, 5 ; LII, 10. - (3) Malach., III, 4. - (4) Rom., VIII, 3. - (5) Phil., II, 7. - (6) Cant., VIII, 1. 323 éternel, mes désirs et mes prières pour tout ce qui regarde votre bon plaisir et votre sainte volonté. " 484. La Mère. de miséricorde s'adressa aussi à tous les mortels, et leur dit : " Que les affligés se consolent, que ceux qui sont tombés se relèvent, que les craintifs se rassurent, que les morts ressua citent, que les justes et les saints se réjouissent, que les esprits célestes reçoivent nue nouvelle joie, que les prophètes et les patriarches des limbes se raniment, et que toutes les générations louent et glorifient le Seigneur qui a renouvelé ses merveilles. Venez, venez, pauvres; approchez-vous, petits, sans crainte, car j'ai dans mes bras Celui qui s'appelle Lion changé en un doux Agneau; le puissant devenu faible, et l'invincible vaincu. Venez à la a vie, cherchez le salut, approchez-vous du repos a éternel, car je le tiens pour tous; il se donnera gratuitement à vous , et je le communiquerai sans envie. O enfants des hommes, hâtez-vous, n'ayez point le coeur appesanti ! Et vous, le doux bien de mon âme, permettez que je reçoive de vous ce baiser désiré de toutes les créatures (1). " A l'instant la très-heureuse Mère appliqua sa divine et très- chaste bouche à faire de tendres et amoureuses caresses à l'Enfant-Dieu, qui les attendait comme son fils véritable. Et le gardant dans ses bras, elle servit d'autel et de sanctuaire où les dix mille (1) Isa., LXI, 1-3, IX, 2 ; XXI, 8 ; XVI, 1 ; LV, 1 ; Matth., XI, 5 ; Ps., XCV, 11 ; LXXI, 17 ; IV, 3 ; Eccles., XXXVI, 6 ; Luc., IV, 18 ; Sap., VII, 13 ; Cant., I, 1. 324 anges adorèrent sous la forme humaine leur Créateur fait homme. Et comme la très-sainte Trinité assistait d'une manière spéciale à la naissance du Verbe incarné, le ciel se trouva comme privé de ses habitants, parce que tous les citoyens de cette cité invisible se rendirent en l'heureuse grotte de Bethléem, pour y adorer leur Créateur sous son costume étranger et nouveau (1). Etles saints anges entonnèrent à sa louange ce cantique jusqu'alors inouï : Gloria in excelsis Deo, et in terra pax hominibus bonae voluntatis (2) ; et ils le redirent avec une très douce et très- agréable harmonie,, ravis des nouvelles merveilles qu'ils voyaient se réaliser, et de la prudence, de la grâce, de l'humilité et de la beauté extraordinaire d'une jeune fille de quinze ans, digne dépositaire et dispensatrice de tant de sublimes mystères. 485. Il était temps que la très-prudente Dame appelât son très-fidèle époux Joseph, qui était, comme j'ai dit, plongé dans une extase divine où lui furent révélés tous les mystères de l'enfantement sacré qui furent célébrés en cette nuit. En effet, il était convenable qu'il vit et touchât par les sens corporels le Verbe humanisé, qu'il lui offrit son culte et ses adorations plus tôt qu'aucun autre des mortels, puisqu'il était le seul choisi entre tous pour être le dispensateur fidèle d'un mystère si sublime. Il sortit de cette extase par le moyen de la volonté de sa divine épouse; et, revenu à lui-même, le premier objet qu'il aperçut, ce (1) Philip., II, 7. - (2) Luc., II, 14. 325 fut l'Enfant-Dieu entre les bras de sa Mère Vierge, appuyé sur son sein et sur son visage sacrés. C'est là qu'il l'adora avec la plus profonde humilité, ému jusqu'aux larmes. Il lui baisa les pieds avec une nouvelle joie et avec une admiration telle, qu'elle lui eût arraché la vie si une vertu divine ne la lui eût conservée; il eût au moins perdu l'usage de ses sens, si Dieu n'eût voulu qu'il pût s'en servir dans cette occasion. Après que saint Joseph eut adoré l'Enfant, la tris-prudente Mère demanda à son Fils la permission de s'asseoir (car elle était restée jusqu'alors à genoux) ; et le saint lui donnant les langes qu'ils avaient apportés, elle l'en enveloppa (1) avec une révérence, une dévotion et un soin incomparables. Lorsqu'il fut ainsi emmailloté, la très-sainte Mère, avec une sagesse divine, le coucha dans la crèche, comme le dit l'évangéliste saint Luc, en mettant quelque peu de paille et de foin sur une pierre, pour placer plus commodément le Verbe incarné dans le premier lit qu'il eut star la terre hors des bras de sa Mère. Bientôt un boeuf accourut (par la volonté divine) eu toute halte des champs voisins; il entra clans la grotte et se joignit au petit âne qui avait porté notre auguste Reine. Et elle leur commanda d'adorer et de reconnaître leur Créateur avec le respect (lue pouvaient témoigner des êtres irraisonnables. Les humides animaux obéirent au commandement (le leur Maîtresse; ils se prosternèrent devant l'Enfant; ils le réchauffèrent de leur haleine, et lui (1) Luc., II, 7. 326 rendirent le service que les hommes lui avaient refusé. Ainsi Dieu fait homme fut enveloppé de langes et couché dans la crèche entre deux animaux : et c'est alors que. fut accomplie miraculeusement la prophétie conçue en ces termes : Le boeuf connut celui à qui il appartenait, et l'âne la crèche de son Maître; mais Israël ne le connut point, et son peuple était sans entendement (1). Instruction que je reçus de la sacrée Vierge. 486. Ma fille, si les mortels avaient le coeur débarrassé et le jugement sain pour considérer dignement ce grand mystère de piété giie le Très-Haut a opéré pour eux, le souvenir qu'ils en auraient suffirait pour les faire entrer dans le chemin de la vie et les porter à l'amour de leur Créateur et de leur Rédempteur. Car les hommes étant capables de raison, s'ils en. usaient avec la dignité et la liberté qu'ils doivent, qui d'entre eux serait si insensible et si endurci que de ne pas s'attendrir à la vite de son Dieu humanisé et humilié au point de naître pauvre, méprisé, inconnu, dans une crèche, entre des bêtes brutes, sans autre secours humain que celui d'une Mère pauvre et rebuté par la folie et l'arrogance du monde? Avec la (1) Isa., I, 3 327 connaissance d'une si haute sagesse et d'un mystère si sublime, qui pousserait la témérité jusqu'à aimer la vanité et jusqu'à se livrer à l'orgueil, que le Créateur du ciel et de la terre abhorre et condamne par son exemple? On ne pourrait non plus avoir horreur de l'humilité, de la pauvreté, du dénuement, que le Seigneur lui- même a aimés et choisis pour, lui enseigner le véritable moyen d'acquérir la vie éternelle. Il y en a fort peu qui s'arrêtent à considérer cette vérité et cet exemple; et par une si noire ingratitude, il y en a également peu qui obtiennent le fruit de mystères si augustes. 487. Mais si mon très-saint Fils s'est montré si bon et si libéral envers vous en vous éclairant de la connaissance de tant de faveurs admirables qu'il a faites au genre humain, vous devez, ma très-chère fille, bien considérer vos obligations, et peser comment et combien vous devez agir par la lumière que vous recevez. Et, pour vous faire correspondre à ce devoir, je vous exhorte de nouveau d'oublier tout ce qui est terrestre, de le perdre de vue, de ne désirer et de n'accepter du monde autre chose que ce qui peut vous en éloigner et vous cacher à ses habitants; afin qu'ayant le coeur libre et dépouillé de toutes les affections terrestres, voué volis disposiez, à y célébrer les mystères de la pauvreté, de l'humilité et de l'amour de votre Dieu humanisé. Apprenez avec quel honneur, quelle crainte et quel respect vous le devez traiter, par l'exemple que je vous ai donné quand je le tenais entre mes bras : vous pratiquerez ces leçons quand 328 vous le recevrez dans votre sein par la participation au vénérable sacrement de l'Eucharistie, où réside le même Dieu et homme véritable qui naquit de mes entrailles. Dans cet auguste sacrement, vous le, recevez et vous le possédez véritablement d'une manière si intime, qu'il se trouve en vous avec la même réalité que je l'avais et que je le portais, quoique sous une forme différente. 488. Je veux que vous excelliez en cette humble révérence et en cette sainte crainte, et que vous sachiez que quand Dieu entre dans votre bouche sous les espèces sacramentelles, il vous dit aussi ce qu'il me disait : Devenez semblable à moi, comme vous l'avez entendu et écrit. Sa descente du ciel pour naître sur la terre dans la pauvreté et dans l'humilité, pour y vivre et mourir en donnant de si rares exemples et en enseignant le mépris du monde et de ses fausses promesses et l'intelligence des oeuvres du Seigneur, à laquelle il vous a élevée en vous favorisant de si hautes lumières, tout cela doit être pour vous mue voix vivante que vous écoutiez avec une profonde attention de votre lune, et dont vous graviez les leçons dans votre coeur, afin de vous approprier avec mi pieux discernement les bienfaits communs, et de vous convaincre que mon très-saint Fils et mon Seigneur veut que vous les receviez avec la même reconnaissance que si pour vous seule il fût descendu du ciel pour vous racheter (1) et pour opérer uniquement en votre (1) Gal., II, 20. 320 faveur toutes les merveilles et enseigner la doctrine qu'il a laissées dans sa sainte Église. CHAPITRE XI. Comme les saints anges annoncèrent en divers endroits la naissance de notre Sauveur, et comme les pasteurs vinrent l'adorer. 489. Les courtisans du ciel ayant célébré dans la grotte de Bethléem la naissance de leur Dieu humanisé et de notre Rédempteur, il y en eut quelques-uns qui furent envoyés par le même Seigneur en divers endroits pour annoncer les heureuses nouvelles à ceux qui étaient, selon la volonté divine, disposés à les ouïr. Le prince saint Michel fut envoyé aux Pères des limbes, et il leur apprit comme le Fils unique du Père éternel, qui s'était fait homme, venait de naître et se trouvait dans une crèche entre des animaux , humble et doux, tel qu'ils l'avaient prophétisé (1). Il parla particulièrement à saint Joachim et à sainte Anne de la part de la bienheureuse Mère (car elle le lui avait ordonné), et il les félicita de ce qu'elle tenait enfin dans ses bras le désiré des nations (2), Celui que (1) Isa., VII, 14; I, 3, IX, 7; Mich., V, 2 ; Jerem., XXIII, 6 : Ezech., XXXIV, 10 et 13 ; dan., IX, 24. - (2) Agge., II, 8. 330 tous les prophètes, patriarches, avaient prédit (1). Ce fut pour cette nombreuse assemblée des justes le jour de la plus grande consolation qu'elle eût encore reçue durant son long exil. Et, reconnaissant tous le nouvel Homme-Dieu pour auteur du salut éternel, ils eurent de nouveaux cantiques en sa louange; ils l'adorèrent, ils lui rendirent le culte qui lui était dû. Saint Joachim et sainte Anne prièrent l'ambassadeur céleste, saint Michel, de recommander à leur très-sainte fille de révérer en leur nom l'Enfant-Dieu, le fruit béni de son très-chaste sein (2); et c'est ce que la grande Reine de l'univers fit incontinent, écoutant avec une joie extrême tout ce que le saint prince lui raconta des Pères des limbes. 490. Un autre ange de ceux qui gardaient et assistaient la divine Mère, fut envoyé à sainte Élisabeth et à son fils Jean. Et, lorsqu'il leur eut annoncé la naissance dit Rédempteur, la prudente sainte et son fils, tout enfant qu'il était, se prosternèrent à terre, et adorèrent leur Dieu humanisé en esprit et en vérité (3). Et l'enfant qui était consacré pour être son précurseur fut intérieurement renouvelé par un esprit bien plus enflammé que celui d'Elie, taudis que ces mystères causaient aux anges eux-mêmes une singulière admiration et leur fournissaient de nouveaux sujets de louanges. Le petit Baptiste et sa mère supplièrent aussi notre auguste Reine, par l'entremise de cet ange, de vouloir adorer son très-saint Fils en (1) Act., X, 43; Joan., V, 39. - (1) Luc., I, 42. - (3) Joan., IV, 23 331 leur nom, et de les offrir derechef à son service : ce qu'elle s'empressa de faire avec ponctualité. 491. Sainte Élisabeth, ayant appris cette heureuse nouvelle, dépêcha aussitôt à Bethléem un exprès, qu'elle chargea de porter à la Mère de l'Enfant-Dieu un présent qui consistait en quelque peu d'argent, de linge et d'autres petites choses nécessaires au nouveau-né et à sa pauvre Mère, aussi bien qui au saint époux. Mais l'exprès n'avait ordre que de visiter sa cousine et Joseph de sa part, de leur laisser le présent, de s'informer de leurs besoins, et de lui rapporter des nouvelles certaines de leur santé. Ainsi cet homme ne connut du mystère que ce qui lui en parut à l'extérieur : mais, frappé d'admiration à cette vue et cédant à une force divine, il retourna renouvelé intérieurement, et raconta avec une joie inexprimable à sainte Élisabeth la pauvreté et la complaisance de sa parente, de l'enfant et de Joseph, et les effets qu'il avait ressentis en son âme de les avoir seulement vus; ceux qu'une si naïve relation produisit dans le coeur bien disposé de la pieuse Élisabeth furent beaucoup plus admirables. Et si la volonté divine ne se fût prononcée pour assurer le secret d'un si liant mystère, elle n'aurait pu s'empêcher d'accourir elle-même auprès de la Mère Vierge et de l'Enfant-Dieu nouveau-né. Notre divine Reine prit une partie de ce que sa cousine lui envoya pour suppléer à sa pauvreté, et distribua le reste aux pauvres; car elle ne voulut pas être privée de leur compagnie pendant le temps qu'elle demeura dans la grotte de la Nativité. 332 492. D'autres anges allèrent aussi annoncer les mêmes nouvelles à Zacharie, à Siméon, à Anne la prophétesse et à quelques autres justes et saints à qui le nouveau mystère de notre rédemption pouvait être confié : car le Seigneur les trouvant dignement préparés pour le recevoir avec actions de grâces et avec fruit, il semblait que ce fût une chose comme due à leur vertu de ne leur point cacher le bienfait qui était accordé au genre humain. Et quoique tous les justes de la terre ne connussent pas alors ce mystère, tous néanmoins éprouvèrent quelques effets divins à l'heure où naquit le Sauveur du monde; tous ceux qui étaient en état de grâce sentirent une joie intérieure extraordinaire et surnaturelle dont ils ignoraient la cause particulière. Et il n'y eut pas seulement du changement dans les anges et dans les justes, mais il y en out aussi en d'autres créatures insensibles, puisque les influences des planètes devinrent plus actives et plus bénignes : le soleil lutta sa course, les étoiles brillèrent d'un plus grand éclat, et celle qui dirigea miraculeusement les rois mages vers Bethléem (1) fut formée cette nuit-là; plusieurs arbres portèrent des fleurs et d'autres des fruits; quelques temples d'idoles s'écroulèrent; en d'autres, les idoles furent abattues et les démons chassés. Et les hommes, ne soupçonnant pas la véritable cause de tous ces miracles et de beaucoup d'autres qui éclatèrent ce jour-là dans le monde, cherchaient il les expliquer de diverses manières. (1) Matth., II, 2. 333 Il y en eut seulement parmi les justes plusieurs qui, par une inspiration divine, supposèrent ou crurent que Dieu était venu au monde, quoique personne ne le sût avec certitude, excepté ceux à qui lui-même le révéla. De ce nombre étaient les mages, auxquels furent envoyés d'autres anges de la garde de notre Reine qui, les allant trouver chacun en particulier dans les endroits de l'Orient où ils étaient, leur révélèrent intellectuellement, par des paroles intérieures, que lp Rédempteur du genre humain était lié dans la pauvreté et dans l'abjection. Cette révélation leur inspira de nouveaux désirs de le chercher et de l'adorer; et bientôt ils virent l'étoile miraculeuse qui les conduisit à Bethléem, comme je le dirai plus loin. 493. Mille fois heureux entre tous furent les pasteurs de cette contrée qui veillaient, gardant leurs troupeaux, à l'heure même de la nativité (1) : heureux , non-seulement parce que, avec une vigilance louable, ils employaient la nuit à une occupation dont ils supportaient les fatigues pour Dieu, mais heureux surtout parce qu'ils étaient pauvres, humbles, méprisés du monde, justes et simples de coeur; parce qu'ils étaient de ceux qui, dans le peuple d'Israël, attendaient et désiraient ardemment la venue du Messie, dont ils parlaient et s'entretenaient souvent. Ils avaient d'autant plus de ressemblance avec l'auteur de la vie, qu'ils étaient plus éloignés du faste, de la vanité, de (1) Luc., II, 8. 334 l'ostentation du monde et de ses ruses diaboliques. Ils représentaient par ces nobles qualités l'office que le bon Pasteur venait exercer, en connaissant ses brebis et en en étant lui -même connu (1). Et comme ils étaient dans des dispositions si convenables, ils méritèrent d'être appelés et conviés, comme les prémices des saints, par le Seigneur lui-même, afin qu'ils fussent les premiers d'entre les mortels à qui le Verbe incarné se manifestât et se communiquât, et dont il reçût les louanges, les services et les adorations. C'est pour cela que l'archange saint Gabriel leur fut envoyé : et, les surprenant dans leur veille, il leur apparut en forme humaine, tout resplendissant d'une éclatante lumière (2). 494. Les pasteurs se trouvèrent tout à coup comme inondés des flots de cette lumière céleste, et, comme ils n'étaient point accoutumés à de pareilles révélations, ils furent saisis d'une grande peur à la vue de l'ange (3). Mais le saint prince les rassura en leur disant : " Hommes sincères, ne craignez point, car je vous annonce une nouvelle qui vous remplira de joie : c'est qu'aujourd'hui, dans la ville de David, a il vous est né un Sauveur, qui est le Christ notre Seigneur. Et voici le signe auquel vous le reconnaîtrez : vous trouverez un enfant enveloppé de langes et couché dans une crèche (4). " A ces dernières paroles du saint archange survinrent subitement en (1) Jean., X, 14. - (2) Luc., II, 9. - (3) Ibid. - (4) Ibid., 10, 11 et 12. 335 grand nombre les hérauts de la milice du ciel, qui, unissant leurs voix harmonieuses, célébrèrent le Très-Haut et chantèrent : Gloire soit à Dieu au plut haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté (1). Puis les saints anges disparurent en répétant ce cantique si divin et si nouveau dans le monde. Tout cela arriva dans la quatrième veille de la nuit. Cette vision remplit les humbles et fortunés pasteurs d'une lumière divine, et les laissa également enflammés et animés du désir de jouir de leur félicité, et d'aller reconnaître par leurs propres yeux le sublime mystère que venaient de leur transmettre leurs oreilles. 495. Le signe que l'ange leur avait donné ne semblait pas très-propre à convaincre les yeux de la chair de la grandeur du nouveau-né : car à se trouver dans une crèche, emmailloté de quelques pauvres langes, il n'y avait point d'indice suffisant pour révéler la majesté du Roi, sils ne l'avaient découverte à l'aide de la lumière divine dont ils furent éclairés : mais c'est parce qu'ils étaient humbles et vides de la sagesse mondaine qu'ils furent bientôt remplis de la sagesse divine. Et, s'étant mutuellement communiqué ce que chacun pensait de cette étonnante ambassade, ils résolurent d'aller bien vite à Bethléem pour y voir la merveille qu'ils venaient d'ouïr de la part du Seigneur (2). Ils partirent aussitôt, et, entrant dans la grotte, ils trouvèrent, comme le dit l'évangéliste saint (1) Luc., II, 13 et 14. - (2) Ibid., 15. 336 Luc, Marie et Joseph, et l'Enfant couché dans la crèche (1). Et, voyant tout cela, ils connurent la vérité de ce qu'ils en avaient ouï (2). Cette expérience et cette visite furent suivies d'une illustration intérieure qu'ils reçurent à la vue du verbe humanisé; car ail moment oh les pasteurs jetèrent lés yeux sur lui, le divin Enfant les regarda aussi, le visage brillant d'une grande splendeur, dont les rayons et l'éclat blessèrent le cœur innocent de ces pauvres et bienheureux . hommes; et par l'efficace divine il les changea et leur donna un nouvel être de grâce et de sainteté, les laissant élevés aux hauteurs et enrichis des trésors d'une science toute céleste sur les ineffables mystères de l'incarnation et de la rédemption du genre humain. 496. Ils se prosternèrent tous ensemble et adorèrent le Verbe incarné : ils le louèrent, le glorifièrent et le reconnurent pour Dieu et homme véritable, pour le Restaurateur et Rédempteur du genre humain, non comme des hommes grossiers et ignorants qu'ils étaient auparavant, mais comme des hommes sages et prudents. La divine Dame et Mère de l'Enfant-Dieu était attentive à tout ce que les pasteurs disaient et faisaient extérieurement et intérieurement; car elle pénétrait jusqu'au fond de leurs cœurs; et, avec une prudence égale à sa sagesse, elle gardait en elle- même et méditait toutes ces choses (3), les confrontant avec les mystères qu'elle connaissait , avec les saintes Écritures et avec les prophéties. Et comme elle servait (1) Luc., II, 16. - (2) Ibid., 17. - (3) Ibid., 19. 437 alors d'organe au Saint-Esprit et de langue à l'Enfant, elle parla aux pasteurs, les instruisit et les exhorta de persévérer dans l'amour et dans le service de Dieu. Ils l'interrogèrent aussi à leur façon, et donnèrent beaucoup de détails sur les mystérieuses communications qui leur avaient été faites. Ils restèrent dans la grotte depuis le point du jour jusqu'à midi; et, après que notre auguste Reine leur eut donné à manger, elle les congédia, comblés de grâces et de consolations célestes. 497. Les saints pasteurs firent encore quelques visites à la très-pure Marie, à l'Enfant et à Joseph pendant le temps qu'ils demeurèrent dans la grotte; ils leur portèrent aussi quelques présents proportionnés à leur pauvreté. L'évangéliste saint Luc dit que tous ceux qui les entendirent parler de ce qu'ils avaient vu admiraient ce qu'ils leur en disaient (1) : mais cela n'arriva qu'après que la Reine, l'Enfant et Joseph furent partis de Bethléem; la divine Sagesse le disposant de la sorte, et ne permettant pas que les pasteurs le publiassent avant leur départ. Tous n'ajoutèrent pourtant pas foi à leurs paroles; car il y en eut qui ne les regardèrent que comme des campagnards ignorants : quant à eux , toujours pleins d'une science divine, ils vécurent dans la sainteté jusqu'à leur mort. Hérode fut du nombre de ceux qui leur ajoutèrent créance, quoique ce ne fiât point par une foi sainte ni par une piété religieuse, mais par une crainte (1) Luc., II, 18. 338 mondaine et damnable de perdre le royaume. Et parmi les enfants qu'il fit mourir, il y en eut quelques-uns de ces saints hommes qui méritèrent aussi cette grande faveur; et leurs pères les offrirent avec joie au martyre, qu'ils désiraient pour eux- mêmes, heureux de les voir souffrir pour le Seigneur, qu'ils connaissaient. Instruction que je reçus de la Reine du ciel. 498. Ma fille, l'insouciant oubli des oeuvres de leur Rédempteur est aussi blâmable qu'il est ordinaire et commun parmi les mortels, étant certain que toutes ces oeuvres furent mystérieuses, pleines d'amour, de miséricorde et d'enseignements pour eux. Vous avez été appelée et choisie afin que, par la science et là lumière que vous recevez, vous ne tombiez point dans cette dangereuse et grossière stupidité : je veux donc que vous pénétriez et pesiez, dans les mystères que vous venez de décrire, le très-ardent amour que mon très-saint Fils a fait paraître en se communiquant aux hommes à l'instant même de sa naissance, afin qu'ils participassent aussitôt su fruit et à la joie de sa venue au monde. Les hommes ne comprennent point cette obligation, parce qu'il y en a peu qui pénètrent celles que leur imposent des bienfaits si particuliers, comme il y en eut peu également qui virent le Verbe humanisé dans son premier berceau et qui le remercièrent 339 de sa venue. Mais ils ignorent la cause de leur malheur et de leur aveuglement, qui ne fut et n'est point du côté du Seigneur ni de son amour, mais de leurs péchés et de leur mauvaise disposition : car si par leur mauvais état ils n'eussent mis obstacle aux desseins. de sa miséricorde, ou ne s'en fussent rendus indignes, il aurait donné à tous ou à un très-grand nombre la même lumière qu'il donna aux justes, aux pasteurs et aux mages. Ce petit nombre vous fera connaître à quel malheureux état était réduit le monde lorsque le Verbe incarné naquit; et combien déplorable est maintenant celui des mortels, qui, jouissant d'une plus grande lumière, songent cependant si peu à payer le Seigneur d'un juste retour. 499. Considérez donc le peu de disposition des mortels dans le siècle présent, où les vérités de l'Évangile étant si connues et si bien établies par les oeuvres et par les merveilles que Dieu a opérées dans son Église, le nombre des parfaits et de ceux qui veulent se disposer à participer le plus largement possible aux effets et au fruit de la rédemption, est néanmoins si petit. On croit que parmi tant d'insensés (1), et malgré le débordement de tous les vices, le nombre des personnes parfaites est considérable, parce qu'on en voit beaucoup qui ne sont pas aussi rebelles à Dieu : il y en a moins pourtant qu'on ne le croit, et les parfaits le sont beaucoup moins où ils ne devraient l'être, à une époque où Dieu est si offensé des infidèles, et si (1) Eccles., I, 15. 340 désireux de communiquer les trésors de sa grâce à la sainte Église par les mérites de son Fils unique fait homme. Or, réfléchissez bien, ma très-chère fille, aux obligations que vous impose la connaissance si claire que vous recevez de ces vérités. Soyez attentive, soigneuse et diligente à correspondre à Celui qui vous comble de tant de faveurs, sans perdre ni temps, ni lieu, ni occasion de faire ce que vous saurez être le plus saint et le plus parfait, puisque, en dépit de vos efforts, vous resterez toujours au-dessous de vos obligations. Songez que je vous avertis, que je vous exhorte et que je vous commande de ne point recevoir en vain un bienfait si particulier (1); de ne pas tenir la grâce et la lumière dans l'inaction, mais d'agir avec une plénitude de perfection et de reconnaissance. CHAPITRE III. Ce qui fut caché au démon du mystère de la naissance du Verbe incarné, et plusieurs autres choses jusqu'à la circoncision. 600. En tant que cela tenait su Seigneur lui-même, la venue du Verbe incarné sur la terre fut l'événement (1) II Cor., VI, 1. 341 le plus heureux pour tous les hommes, car il vint pour donner la vie et la lumière à tous ceux qui étaient dans les ténèbres et dans l'ombre de la mort (1). Et si les réprouvés et les incrédules ont heurté et heurtent contre cette pierre angulaire, cherchant leur ruine là où ils pouvaient et devaient trouver la résurrection à la vie éternelle, ce n'a pas été la faute de la pierre, mais celle de ceux qui en ont fait une pierre de scandale en y heurtant (2). La nativité de l'Enfant-Dieu ne fut terrible que pour l'enfer, car il était le fort et l'invincible (3) qui venait dépouiller de son pouvoir tyrannique ce fort armé du mensonge, qui gardait depuis longtemps son château avec une paisible mais injuste possession (4). Pour abattre ce prince du monde et des ténèbres, il fallut avec justice lui cacher le mystère de cette venue du Verbe; non-seulement parce qu'il était indigne par sa malice. de connaître les secrets de la sagesse infinie, mais aussi parce qu'il était convenable que la divine Providence donnât lieu à la propre malice de cet ennemi de l'aveugler (5), attendu qu'il en avait usé pour introduire dans le monde l'erreur et l'aveuglement du péché (6), en entraînant toute la postérité d'Adam dans sa chute (7). 501. Par cette disposition divine plusieurs choses furent cachées à Lucifer et à ses ministres, qu'ils (1) Luc., I, 79. - (2) Rom., IX , 33 ; Matth., XXI, 44; I Petr., II, 8. - (3) Ps. XXIII, 8. (4) Joan., XII, 31; Luc., XI, 21. - (5) Sap., II, 21. - (6) Ibid.. 24. - (7) Rom., V, 12. 342 eussent pu naturellement connaître en la nativité du Verbe et dans le cours de sa très-sainte vie, comme je serai quelquefois obligée de le répéter dans la suite de cette histoire. Car s'il eût su d'une manière certaine que Jésus-Christ était vrai Dieu, il est constant qu'il né lui aurait point procuré la mort; au contraire, il l'aurait empêchée, ainsi que je le dirai plus loin. Dans le mystère de la nativité, il vit seulement que la très-pure Marie avait enfanté un fils dans la pauvreté et dans une grotte abandonnée, et qu'elle ne trouva ni hôtellerie ni asile dans la ville; ensuite il connut la circoncision de l'enfant, et d'autres choses qui pouvaient (supposé son orgueil) plutôt lui couvrir la vérité que la lui montrer. Mais il ne sut point de quelle manière cette naissance eut lieu, ni que l'heureuse Mère demeurât vierge, ni qu'elle le fût avant que d'enfanter; il n'eut aucune connaissance des messages que firent les anges auprès des justes et des pasteurs, ni des conférences qu'ils eurent sur ce sujet, ni de l'adoration qu'ils rendirent à l'Enfant-Dieu. Il n'aperçut point non plus l'étoile, et ne devina point la cause de l'arrivée des mages; les démons leur virent entreprendre un voyage, mais ils crurent que c'était pour d'autres fins temporelles. Ils ne pénétrèrent pas davantage la cause du changement qu'il y eut dans les éléments, dans les astres et dans les planètes; quoiqu'ils vissent le phénomène et ses effets, ils n'en purent pas découvrir la fin; de même (1) I Cor., II, 8. 343 les entretiens que les mages eurent avec Hérode, leur entrée dans la grotte, l'adoration et les présents qu'ils y offrirent, tout cela leur fut caché. Ils connurent la fureur d'Hérode contre les enfants, et y contribuèrent; mais ils ne découvrirent point alors le but de ses mauvais desseins, et c'est pourquoi ils fomentèrent sa cruauté. Et quoique Lucifer lui supposât l'intention de poursuivre le Messie, elle lui parut une folie, et il se moquait d'Hérode, parce que, selon son superbe jugement, il était absurde de croire que le Verbe vînt établir son empire dans le monde, sous d'humbles dehors et d'une manière cachée, sans faire éclater un pouvoir et une majesté dont était si loin l'Enfant-Dieu, naissant d'une mère pauvre et méprisée des hommes. 502. Lucifer ayant remarqué, dans l'erreur on il était, quelques-unes des particularités qui arrivèrent en la nativité, assembla dans l'enfer ses ministres et leur dit : a Je ne trouve aucun sujet de crainte en ce que nous avons découvert dans le monde, car bien que la femme que nous avons persécutée avec tant d'acharnement ait enfanté un fils, ce fils est né dans une telle pauvreté, dans une telle obscurité, que sa mère n'a môme pas pu trouver asile dans une hôtellerie; et nous n'ignorons pas combien tout cela se concilie peu avec le pouvoir et la majesté de Dieu. Et si cet enfant doit venir se mesurer avec nous, il n'est pas assez fort tel qu'il nous apparaît, et d'après ce que nous avons appris, pour résister à notre puissance. Il n'y a donc pas lieu de craindre que ce soit là le 343 Messie, d'autant plus qu'on parle déjà de le circoncire comme les autres hommes; s'il a besoin du re-mède du péché, cela ne s'accorde certes pas avec la qualité de sauveur du monde. Toutes ces marques sont contraires à l'éclat qui doit accompagner la venue de Dieu sur la terre; c'est pourquoi il me semble que nous pouvons, quant à présent, être assurés qu'il n'y est pas venu. " Les ministres d'iniquité partagèrent l'opinion de leur chef maudit, et restèrent convaincus que le Messie n'était point encore arrivé, parce qu'ils étaient tous complices en la malice qui les aveuglait et causait leur erreur (1). Lucifer ne pouvait pas s'imaginer, dans son orgueil opiniâtre, que la divine Majesté s'abaissât; et comme il désirait les applaudissements, le faste, l'honneur, l'ostentation, et que, s'il avait pu obtenir les adorations de toutes les créatures, il n'aurait pas manqué, lui, de les exiger, il lui était impossible de comprendre que Dieu, assez puissant pour se les faire rendre, permit le contraire, et s'assujettit à l'humilité que ce serpent orgueilleux avait tant en horreur. 503. O enfants de la vanité, quels exemples sont ceux-là pour nous détromper! L'humilité de notre Seigneur Jésus-Christ, notre Maître, doit singulièrement nous attirer et animer; mais si elle ne nous meut point, il faut au moins que l'orgueil de Lucifer nous retienne et nous effraie. O vice formidable au delà de tout ce que les termes humains peuvent exprimer, (1) sap., II, 21. puisque tu as aveuglé de telle sorte: un ange rempli de science , qu'il n'a su former un antre jugement de la bonté infinie de Dieu, que celui qu'il portait sur lui-même et sur sa propre malice ! Or quelle pénétration aura l'homme, par lui-même ignorant, s'il joint à cette ignorance l'orgueil et le péché ? O malheureux et stupide Lucifer! Comment t'es-tu trompé en une chose si pleine de raison et de beauté? Quoi de plus aimable que l'humilité et la douceur unies à la majesté et au pouvoir? Ignores-tu, abjecte créature, que de ne savoir pas s'humilier, t'est une faiblesse d'esprit et la marque d'un coeur sans courage? Celui qui est véritablement grand et magnanime ne se paie point de vanité; il ne doit point désirer ce qui est si vil, et des apparences trompeuses ne suffisent point pour le satisfaire. Il est certain que tu n'es pas assez clairvoyant pour découvrir la vérité, et que tu es un aveugle et un guide d'aveugles (1), puisque tu n'es pas parvenu à comprendre que la grandeur et la bonté de l'amour divin se manifestaient (2) et se glorifiaient par l'humiliation et par l'obéissance jusqu'à la mort de la croix (3). 504. La Mère de la Sagesse pénétrait toutes les erreurs de Lucifer et de ses ministres, et faisant une digne estime de mystères si relevés, elle bénissait et glorifiait le Seigneur de ce qu'il les cachait aux superbes et aux présomptueux, et qu'il les découvrait (1) Matth., XV, 44. - (2) Rom., V, 8. - (3) Philip., II, 8. 346 aux humbles et aux pauvres (1), en commençant de vaincre la tyrannie du démon. La miséricordieuse Mère faisait de ferventes prières pour tous les mortels qui étaient indignes par leurs propres péchés de connaître la lumière qui venait de naître pour leur remède (2), et les présentait toutes à son très-doux Fils avec un incomparable amour et une tendre compassion pour les pécheurs. C'est ainsi qu'elle employa la plus grande partie du temps qu'elle habita la grotte de la nativité. Ces exercices ne l'empêchaient point d'apporter tous ses soins à mettre son doux enfantelet à l'abri des injures du temps, auxquelles était si exposée une retraite si incommode: La prudence de notre auguste Dame lui avait fait prendre un petit manteau, outre les langes ordinaires, pour mieux le garantir du froid; et l'en ayant couvert, elle le tenait continuellement dans le sacré tabernacle de ses bras , excepté lorsqu elle le remettait à son saint époux Joseph; car elle voulut, pour augmenter ses consolations, qu'il l'aidât aussi en cela, et qu'il remplit l'office de père auprès du Dieu incarné. 505. La première fois que le saint reçut l'EnfantDieu dans ses bras, la sainte Vierge lui dit : " Prenez, mon époux et mon protecteur, prenez le Créateur du ciel et de la terre, jouissez de son aimable compagnie et de sa douceur ineffable, afin que mon Seigneur et mon Dieu trouve ses délices en votre (1) Matth., XI, 25. - (2) Joan., I, 9 et 10. 347 service (1). Recevez le trésor du Père éternel, et participez au bienfait du genre humain (2). " Et parlant intérieurement à l'Enfant-Dieu; elle lui dit : " Très-doux amour de mon âme, lumière de mes yeux, reposez entre les bras de votre serviteur et ami Joseph , mon époux; prenez avec lui vos plaisirs, et qu'ils vous fassent oublier mes manières grossières. Il m'est fort sensible de rester sans vous un seul instant; mais je veux faire part sans envie du bien que je reçois véritablement, à celui qui en est digne (3). " Le très-fidèle époux, reconnaissant son nouveau bonheur, s'humilia profondément, et répondit : " Reine et Maîtresse de l'uni vers et mon épouse, comment oserai-je, moi qui suis indigne, tenir entre mes mains le même Dieu en la présence duquel les colonnes du ciel tremblent (4)? Comment ce vermisseau aura-t-il la hardiesse de profiter d'une faveur si extraordinaire? Je ne suis que poudre et que cendre (5) : suppléez, illustre Dame, à ma bassesse, et priez sa divine Majesté de me regarder avec clémence et avec sa grâce. " 506. Le saint époux, balancé entre le désir de recevoir l'Enfant-Dieu et la crainte respectueuse qui le retenait, fit des actes sublimes d'amour, de foi, d'humilité et de révérence profonde; et s'étant mis à genoux, tremblant d'une respectueuse émotion, il le (1) Prov., VIII, 31.. - (2) Coloss., II, 8. - (3) Sap., VIII, 13. - (1) Job., XXVI, 11. - (2) Gen., XVIII, 27. 348 prit Avec précaution des mains de sa très-sainteMêre, et témoigna par,des larmes douces et abondantes la joie et l'allégresse tolite nouvelle dont le pénétrait une faveur tout aussi nouvelle. L'Enfant-Dieu le regarda d'un air caressant, et en même temps il renouvela entièrement son âme avec des effets si divins; qu'il n'est pas possible de les raconter. Le saint époux se trouvant enrichi de tant de magnifiques bienfaits, fit de nouveaux cantiques de louange. Et après que. son esprit eut joui quelque temps des très-doux effets qu'il ressentit pour tenir en ses mains le même Seigneur qui renferme dans la sienne les cieux et la terre (1), il le remit à sa bienheureuse Mère, étant tous deux à genoux pour le donner et pour le recevoir. La très-prudente Dame le prenait ou le remettait toujours avec cette vénération, et son époux en faisait de même quand son heureux tour arrivait. Et avant de s'approcher de la divine Majesté, ils faisaient trois génuflexions, baisant la terre avec des sentiments héroïques d'humilité et d'adoration, lorsqu'ils se le donnaient et qu'ils le recevaient mutuellement. 507. Quand la divine Mère crut qu'il était temps de donner la mamelle à son très- saint Fils, elle lui en demanda la permission avec beaucoup de respect; car, bien quelle dût le nourrir comme le fils de ses entrailles et comme homme véritable, elle le regardait aussi comme vrai Dieu, et connaissait la distance (1) Isa., XL, 12 ; XlVIII, 13. 349 infinie qui sépare l'Être divin de: la simple créature telle qu'elle était cette science étant en la très-prudente Vierge infaillible, complète, perpétuelle, non susceptible de la moindre inadvertance , lui faisait prévoir, toutes choses, comprendre et réaliser toujours ce qu'il y avait de plus sublime dans toute la plénitude de la perfection ; ainsi elle s'occupait de nourrir, de servir et d'élever, son divin Enfant, non avec des soins inquiets, mais avec une attention, une vénération et une vigilance incessantes, ajoutant chaque jour à l'admiration des anges dont la science ne parvenait point à embrasser les oeuvres héroïques d'une si jeune fille. Et comme ils l'assistaient toujours corporellement , dès qu'elle fut dans la grotte de la nativité, ils l'aidaient en toutes les choses qui étaient nécessaires au service de l'Enfant-Dieu et au sien. Il est constant que tous ces mystères réunis sont si doux, si admirables et si dignes de nos réflexions et de notre souvenir, que nous ne saurions nier que nous ne; nous rendions coupables d'une faute grossière en les oubliant, et que nous ne soyons bien ennemis de nous-mêmes en nous privant des divins, effets que la mémoire seule en fait éprouver aux enfants fidèles et reconnaissants. 508. La connaissance que j'ai reçue de la vénération avec laquelle la sainte Vierge, saint Joseph et les esprits angéliques traitaient l'Enfant-Dieu, me permettrait d'allonger beaucoup ce discours. Sans le faire, je veux néanmoins confesser que je me trouve au milieu de cette lumière toute troublée, toute 350 confuse, à la pensée da peu de respect avec lequel j'ai osé traiter avec Dieu jusqu'à présent, et à la vue du grand nombre de péchés qu' il m'a été montré que j'ai commis sur ce point. Tous les anges qui accompagnaient notre auguste Reine restaient visibles sous des formes humaines pour l'aider dans sa besogne, dès la nativité jusqu'au moment où elle se rendit en Égypte avec l'Enfant, comme je le dirai dans la suite. Le soin que l'humble et amoureuse Mère prenait de son adorable Fils était si continuel, qu'il fallait qu'elle eût besoin de prendre quelque nourriture pour qu'elle le remît soit entre les bras de saint Joseph, soit entre ceux des princes saint Michel et saint Gabriel; car ces deux archanges la prièrent de le leur confier pendant qu'ils mangeraient ou que le saint travaillerait. Alors donc ils le laissaient entre les mains des anges, pour que s'accomplit d'une manière admirable ce que dit David : Ils vous porteront dans leurs manies (1), etc. Pour garder son très-saint Fils, la très-diligente Mère ne dormait point avant que sa divine Majesté lui dit de dormir et de reposer. A cet effet, le Seigneur lui donna en récompense de ses soins une espèce de sommeil plus nouveau et plus miraculeux que celui qu'elle avait eu jusqu'alors, quand elle dormait et qu'en même temps son coeur veillait (2), de sorte qu'elle n'interrompait point les intelligences et les contemplations divines. Mais dès ce jour-la le Seigneur lui en donna un autre (1) Ps., XC, 12. - (2) Cant., V, 2. 351 plus merveilleux; car notre grande Dame dormait autant qu'il lui était nécessaire, et en dormant elle avait assez de force pour soutenir l'Enfant comme si elle eût veillé; elle le regardait avec l'entendement comme si elle l'eût vu avec les yeux du corps, connaissant intellectuellement tout ce qu'elle et l'Enfant faisaient extérieurement. Ce prodige réalisait ce qui est dit dans les Cantiques, au nom de la Vierge-Mère : Je dors, et mon coeur veille (1). 509. Il ne m'est pas possible d'exprimer par mes faibles paroles les hymnes de louange et de gloire que la Reine du ciel adressait à l'Enfant, accompagnée des anges et de son époux Joseph. On pourrait faire plusieurs chapitres sur ce seul article; mais la connaissance en est réservée comme un sujet particulier de joie aux élus, le très-fidèle époux fut en cela singulièrement heureux et privilégié parmi les mortels, car bien souvent il les entendait. Outre cette faveur, il en recevait une autre de la plus grande consolation et du plus grand prix pour son âme, que sa très- prudente épouse lui faisait : en parlant avec lui de l'Enfant, elle l'appelait maintes fois notre Fils (2), non qu'il fût fils naturel de Joseph, lui qui n'était Fils que du Père éternel et de sa seule Mère Vierge, mais parce qu'il était réputé tel dans la créance des hommes. Cette faveur causait au saint une joie inexprimable, et c'est pour cela que notre divine Dame son épouse la lui renouvelait souvent. (1) Cant., V, 2. - (2) Luc., II, 48. 552 Instruction que la Maîtresse de l'univers me dona. 510. Ma fille, je vous vois dans une sainte jalousie du bonheur que j'avais ainsi, que mon époux , d'agir constamment en la compagnie de mon-très-saint Fils, parce que nous l'avions sous les yeux comme vous désireriez l'avoir si la chose était possible. Je veux vous consoler et diriger votre affection en ce que vous devez et pouvez opérer selon votre état, polir obtenir dans une certaine mesure la félicité que vous considérez en nous avec admiration et ravissement. Or, faites réflexion, ma très-chère fille; sur ce que vous avez pu suffisamment connaître des différentes voies dont Dieu se sert pour conduire dans son Église les âmes qu'il aime et qu'il cherche avec une affection paternelle. Vous avez pu acquérir cette science par l'expérience de tant de vocations et de lumières particulières que vous avez reçues, trouvant toujours le Seigneur aux portes de votre tueur (1), qui vous appelait et attendait depuis si longtemps, en vous attirant à lui par des faveurs réitérées et par les plus sublimes leçons, afin de vous enseigner et de vous assurer qui sa bonté vous a disposée et choisie pour l'étroit lieu de son amour et de ses communications (2), et afin que vous fassiez tous vos efforts pour arriver à la grande pureté que cette vocation demande. (1) Sap., VI, 15 ; Apoc., III, 20. - (2) Coloss., III, 14. 353 511. Vous n'ignorez pas non plus, puisque la foi vous l'enseigne, que Dieu ne soit en tout lieu, par présence, par essence et par puissance (1), et que toutes vos pensées, tous vos désirs et tous vos gémissements ne lui soient découverts, sana qu'il y en ait aucun qui lui puisse être caché (2). Et si, convaincue de cette vérité, vous travaillez comme une fidèle servante à conserver la grâce que vous recevez par le moyen des sacrements et par d'autres canaux que la divine Providence a établis, le Seigneur sera avec vous d'une autre manière par une assistance spéciale; et ainsi il vous aimera et caressera comme son épouse bien-aimée (3). Or, sachant et comprenant tout cela, dites-moi maintenant ce qu'il vous reste à envier, à souhaiter, puisque vous atteignez, vous possédez l'objet de vos plus ardents désirs? Ce qu'il vous reste et ce que je demande de vous, c'est que vous tâchiez, avec une sainte émulation, d'imiter la conversation et de reproduire les qualités des anges et la pureté de mon époux, enfin de modeler, autant que possible, votre vie sur la mienne, afin que vous deveniez la digue demeure du Très-Haut (4). Vous devez faire tous vos efforts pour vous conformer à ces instructions et y apporter cette même vivacité de désirs avec laquelle vous auriez voulu vous trouver à même de voir et d'adorer mon très-saint Fils lors de sa naissance : car si vous m'imitez, vous pouvez être certaine (1) Act., XVII, 27 ; Ps. CXXXVIII, 7; Jerem., XXIII , 24. - (2) Ps. XXXVII, 10. - (3) Joan., XIV, 28. - (4) 1 Cor., III, 17. 354 que je serai votre maîtresse et votre protectrice, et que vous aurez le Seigneur en votre âme par une possession assurée. Dans cette certitude vous, lui pouvez parler, prendre vos délices avec lui et l'embrasser comme s'il était près de vous, puisqu'il a revêtu la chair humaine et s'est fait enfant pour communiquer ces délices aux âmes pures et saintes. 'Toutefois, vous devez toujours dans l'enfant considérer le parfait Homme-Dieu, afin que vos caresses soient accompagnées d'un profond respect et votre amour d'une sainte crainte ; car, quoiqu'il daigne recevoir l'amour par sa bonté infinie et par sa grande miséricorde, le respect ne lui en est pas moins dû. 512. Vous devez persévérer dans ce commerce du Seigneur sans aucun intervalle de tiédeur qui puisse le dégoûter, parce que votre occupation légitime et continuelle doit consister en l'amour et eu la louange de son Être infini. Je veux due vous ne preniez tout le reste qu'en passant, de sorte que les choses visibles et terrestres puissent à peine vous toucher et vous arrêter un instant. C'est à cette hauteur que vous devez élever votre vol, n'aspirant réellement à aucune chose créée en dehors du souverain et véritable bien que vous cherchez. Vous n'avez qu'à m'imiter, qu'à vivre pour Dieu, tout le reste ne doit vous rien être, pas plus que vous pour tout le reste. Quant aux dons et aux biens que vous recevez, je veux que vous les dispensiez et communiquiez à votre prochain avec l'ordre de la charité parfaite que le détachement 355 augmente de plus en plus, loin de la diminuer (1). En cela pourtant il y a lieu de garder une juste mesure, suivant votre condition et votre état, comme je vous l'ai enseigné et expliqué en d'autres rencontres. CHAPITRE XIII. L'auguste Marie connut que c'était la volonté du Seigneur que son très-saint Fils fût circoncis. - Elle en parle à saint Joseph. - Le nom sacré de Jésus vient du ciel. 513. Aussitôt que la très-prudente Vierge fut devenue mère par l'incarnation du Verbe dans son sein , elle commença à considérer les souffrances que son très-doux Fils venait endurer. Et comme la connaissance qu'elle avait des Écritures était si profonde , elle pénétrait tous les mystères qu'elles renfermaient; et par cette science' elle prévoyait et pesait avec une compatissante indicible ce qu'il devait souffrir pour la rédemption du genre humain. Ces peines. qu'elle repassait dans son âme d'une vue si claire, furent un long martyre pour la très-douce Mère de l'Agneau qui devait être sacrifié (2). Mais pour ce qui regarde (1) I Cor., XIII, 8. - (4) Jerem., XI, 19. 356 le mystère de la circoncision qui se devait faire peu de temps après la naissance, notre divine Dame n'avait reçu aucun ordre exprès et ne connaissait point la volonté du Père éternel. Par cette incertitude le Seigneur excitait la compassion, les affections, et la douce voix de la tendre et amoureuse Mère. Elle considérait dans sa sagacité que son très-saint Fils venait honorer et confirmer sa loi en l'exécutant et en l'accomplissant lui-même (1); qu'il venait en outre souffrir pour les hommes (2); que son très-ardent amour ne refuserait point la douleur de la circoncision, et que pour d'autres motifs encore, il pourrait être convenable qu'il la subît. 514. D'autre part, l'amour maternel et la compassion la portaient à souhaiter que son très-doux Fils fût affranchi de cette peine s'il était possible, d'autant plus que la circoncision était un sacrement destiné pour ôter la souillure du péché originel , dont l'Enfant-Dieu était si exempt, ne l'ayant point contracté en Adam. Saintement indifférente dans cet amour pour son très-saint Fils, et cette soumission aux ordres,du Père éternel, la très-prudente Dame fit plusieurs actes héroïques de vertus, qui furent extrêmement agréables à sa divine Majesté. Et quoiqu'elle eût pu sortir de ce doute en demandant tout de suite au Seigneur. ce qu'elle devait faire, elle s'en abstenait néanmoins, parce qu'elle était aussi humble que prudente. Elle ne le demanda pas non plus à ses anges, (1) Matth., V, 17. - (2) Matth., XX, 28. 357 parce qu'elle attendait en toutes choses avec due sur gesse admirable le moment opportun fixé par la divine Providence, et qu'elle ne témoignait jamais d'empressement ni de curiosité pour connaître l'avenir par des voies extraordinaires et surnaturelles, surtout quand il paraissait devoir la soulager de quelque peine. Lorsqu'il se présentait une affaire importante et épineuse, en laquelle le Seigneur pouvait être offensé, ou une occasion pressante pour le bien des créatures, en laquelle il fallait consulter la volonté de Dieu; elle demandait auparavant la permission de le supplier de vouloir lui déclarer son bon plaisir. 515. Cela n'est pas contraire à ce que j'ai écrit en la première partie, liv. II, chap. X, savoir que la très-pure Marie ne faisait rien sans en avoir demandé la permission su Seigneur et sans consulter le Très-Haut; en effet, elle ne recherchait point cette connaissance du bon plaisir divin avec le désir de la recevoir par une révélation extraordinaire; car, comme je l'ai dit, elle était à cet égard très-discrète et très- prudente, ne sollicitant une révélation qu'en des cas fort rares; mais elle consultait, en dehors de ces communications spéciales, la lumière habituelle et surnaturelle du Saint-Esprit, qui la gouvernait et conduisait dans toutes ses actions, et en y élevant la vue intérieure, elle y découvrait la plus grande perfection et la plus hante sainteté qu'on puisse apporter dans la manière de faire les choses et dans les actions communes. Et quoiqu'il soit vrai que la Reine du ciel eût diverses raisons, et comme un droit particulier de demander 358 au Seigneur par un moyen quelconque la connaissance de sa volonté; néanmoins, comme cette grande Dame était un exemplaire et une règle de sainteté et de discrétion, elle ne s'en prévalait point, excepté dans les occasions convenables; et dans tout le reste, elle accomplissait à la lettre ce que dit David : Comme les yeux de la servante sont attentifs sur les 'mains de sa maîtresse, de même mes yeux sont fixés sur le Seigneur, en attendant que sa miséricorde soit avec nous (1). Mais cette lumière ordinaire était plus grande en la Reine de l'univers qu'en tous les mortels ensemble; et elle lui suffisait pour demander le Fiat de la volonté divine qu'elle connaissait. 516. Le mystère de la circoncision était particulier, unique; c'est pourquoi il exigeait une illumination spéciale du Seigneur que la prudente Mère attendait fort à propos, et dans cette attente, s'adressant à la loi qui l'ordonnait, elle disait en elle- même : " Oh! loi commune, tu es juste et sainte; mais tu ne laisseras pas d'être bien dure à mon coeur, si tu dois le blesser en Celui qui en est la vie et l'unique Maître! Que tu sois rigoureuse pour laver du péché celui qui en est souillé, cela est juste; mais que tu pèses de toute ta force sur l'innocent en qui l'on ne peut trouver aucune faute, il me semble que c'est un excès de rigueur que son amour seul peut autoriser (2). Oh! si mon bien-aimé voulait bien éviter cette peine! Mais comment la refusera-t-il, lui qui (1) Ps., CXXII, 3. - (2) Hebr., VII, 26 et 27. 359 ne vient que pour souffrir, pour embrasser la croix, pour accomplir et perfectionner la loi (1). Oh ! cruel instrument, si tu exécutais le coup sur ma propre vie, plutôt que sur le Maître qui me l'a don née ! Oh ! mon très-cher Fils ! mon doux amour, lumière de mon âme, est-il possible que vous versiez sitôt un sang qui vaut plus que le ciel et la terre? Mon amoureuse peine me porte à empêcher la vôtre, et à vous exempter de la loi commune, qui ne vous regarde pas, puisque vous en êtes l'auteur. Mais le désir que j'ai de l'accomplir m'oblige de vous livrer à sa rigueur, si vous, ma douce vie, ne commuez pas la peine en me la faisant endurer. C'est moi, Seigneur, qui vous ai donné l'être humain, que vous avez d'Adam; mais vous l'avez reçu sans aucune tache de péché, et c'est pour cela que votre toute puissance m'a dispensée de la loi commune de le contracter. En tant que Fils du Père éternel, et image de sa substance parla génération éternelle, vous êtes infiniment éloigné du péché (2). Or comment, mon divin Seigneur, voulez-vous vous assujettir à la loi de son remède? Mais je vois bien, mon très-cher Fils, que vous êtes le Maître et le Rédempteur des hommes, que vous devez confirmer la doctrine par votre exemple, et que vous n'en omettrez pas un seul point (3). O Père éternel, faites, s'il est possible, que le couteau perde dans cette occasion sa rigueur, et la chair sa sensibilité, que la (1) Matth., XX, 28 ; V, 17. - (2) Hebr., I, 3. - (3) Matth., V, 18. 360 douleur échoie à cet abject vermisseau, que votre Fils unique accomplisse la loi, et que j'en ressente moi seule la peine douloureuse. O cruel péché, que tu es prompt à communiquer ton aigreur à Celui qui n'a pu te commettre! O enfants d'Adam, haïssez et craignez le péché, qui a besoin pour son remède de l'effusion du sang et des souffrances du Seigneur Dieu lui-même. " 517. Cette tristesse de la pitoyable Mère était mélangée de la joie qu'elle avait de voir le Fils unique du Père né et entre ses bras; elle passa ainsi les jours qui s'écoulèrent jusqu'à la circoncision, son très-chaste époux Joseph partageant tous ses sentiments car elle ne parla qu'à lui seul du mystère, et ce fut avec fort peu de paroles, à cause de leur compassion et de leurs larmes. Avant que les huit jours de la naissance fussent accomplis, la très-discrète Reine s'adressant, dans le doute où elle était, à sa divine Majesté, lui dit: " Suprême Roi de l'univers, Père de mon Seigneur, voici votre servante avec le sacrifice et l'hostie véritable dans ses mains (1). Mes gémissements et le sujet qui les cause ne sont point cachés à votre sagesse (2). Découvrez-moi, Seigneur, votre divine volonté quant à ce que je dois a faire avec votre Fils et le mien pour me conformer a à la loi. Et si j'en puis exempter mon très-doux enfant et mon Dieu en souffrant moi-même les don leurs de sa rigueur et beaucoup plus encore, mon (1) Ephes., V, 2. - (2) Ps. XXXVII, 10. 361 coeur y est tout disposé (1); mais si c'est, Seigneur, votre bon plaisir qu'il soit circoncis, j'y suis aussi disposée. " 515. " Le Très-Haut lui répondit en ces termes Ma Fille et ma Colombe, ne vous affligez pas de livrer votre Fils au couteau et à la circoncision, car je l'ai envoyé au monde pour y montrer l'exemple et pour mettre fin à la loi de Moïse en l'accomplissant entièrement (2). Si ce vêtement de l'humanité que vous lui avez donné comme mère naturelle doit être déchiré par la blessure de sa chair et de votre âme en même temps, il souffrira aussi en son honneur, étant mon Fils naturel par la génération éternelle (3), l'image de ma substance (4), égal à moi en nature, en majesté et en gloire (5), puisque je le livre à la loi et au sacrement qui ôte le péché sans manifester aux hommes qu'il ne saurait l'avoir. Vous savez bien, ma fille, que vous me devez offrir votre Fils et le mien pour cette peine, et pour d'autres plus grandes. Laissez-lui donc verser son sang, et me donner les prémices du salut éternel des hommes. " 519. Notre divine Dame, comme coopératrice de notre remède, se conforma à cette détermination du Père éternel avec une telle plénitude de sainteté, qu'il n'est pas possible à l'intelligence humaine de la mesurer. Elle lui offrit aussitôt son Fils unique avec une (1) Ps. CVI, 8. - (2) Matth., V, 17. - (3) Ps. II, 7. - (4) Hebr., I, 8. -- (5) Joan., X, 30. 362 très-soumise obéissance et un très-ardent amour, et lui dit : " Seigneur Dieu tout- puissant, je vous offre de tout mon coeur la victime et l'hostie de votre sacrifice agréable (1), quoique je sois pénétrée de compassion et de douleur en voyant que les hommes ont offensé de telle sorte votre bonté immense, qu'une juste satisfaction ne peut vous être donnée que par un être qui soit Dieu. Je vous loue éternellement de ce que vous regardez la créature avec un amour infini, n'épargnant pas votre propre Fils pour son remède (2). Pour moi, que vous avez daigné choisir pour sa Mère, je dois être soumise à votre bon plaisir plus que tous les mortels et que toutes les autres créatures : ainsi je vous offre le très-doux Agneau qui doit effacer les péchés du monde par son innocence (3). Mais s'il est possible d'adoucir pour mon Fils bien-aimé la rigueur de ce couteau en le tournant contre mon sein, votre bras est puissant pour faire cet échange. " 520. L'auguste Marie sortit de cette oraison, et, sans révéler à saint Joseph ce qu'elle y avait appris, elle lui proposa avec une rare prudence et les raisons les plus persuasives de se préparer à la circoncision de l'Enfant-Dieu. Elle lui dit, comme en le consultant, que le temps fixé par la loi pour la circoncision du divin Enfant s'approchant déjà (4), il semblait nécessaire de l'accomplir, puisqu'ils n'avaient point d'ordre (1) Ephes., V, 2. - (2) Rom., VIII, 32. - (3) Joan., I, 29. - (4) Luc., II, 21; Gen., XVII, 12. 363 contraire; et qu'étant tous deux plus redevables au Très-Haut que toutes les créatures ensemble, ils devaient aussi, en retour de tant de bienfaits incomparables, être plus ponctuels à se conformer à ses préceptes, et plus prompts à souffrir pour son amour dans le ministère qu'ils remplissaient auprès de son très-saint Fils, devant dépendre de sa divine volonté en toutes choses. Le très-saint époux lui répondit avec beaucoup de respect et de sagesse qu'il se conformait en tout au bon plaisir divin manifesté par la loi commune, puisque le Seigneur ne lui avait appris rien d'autre à cet égard; et que le Verbe humanisé, quoiqu'il ne fuit point soumis à la loi en tant que Dieu; étant néanmoins revêtu de l'humanité, et en tout un Maître et Rédempteur très-parfait, voudrait se conformer aux autres hommes en ce qui regardait son accomplissement. Ensuite il demanda à sa divine épouse comment il faudrait procéder à la circoncision. 521. La très-sainte Vierge lui répondit que, tout en accomplissant la loi en sa substance, il lui semblait, quant au mode, qu'il fallait faire comme aux autres enfants que l'on circoncisait; mais qu'elle ne devait point l'abandonner ni le remettre à aucune autre personne; qu'elle même le porterait et le tiendrait entre ses bras; et que, comme par suite de sa complexion délicate l'Enfant éprouverait une plus grande douleur que les autres circoncis, il fallait qu'ils tinssent tout prêt le remède dont on se servait ordinairement pour guérir la blessure. Outre cela elle pria saint Joseph de chercher avec diligence une petite fiole de cristal ou 364 de verre pour y mettre les sacrées reliques de la circoncision de l'Enfant-Dieu, qu'elle voulait porter sur elle. Cependant la prévoyante Mère prépara des linges pour recevoir le sang qu'on allait commencer à verser pour le prix de notre rachat, afin qu'il n'en tombât pas alors une seule goutte à terre. Après ces préparatifs, notre divine Dame chargea saint Joseph d'avertir le prêtre et de le prier de venir. dans la grotte, afin que l'Enfant n'en sortit point et qu'il fit lui-même la circoncision, comme ministre le plus légitime et le plus digne d'un si grand et si profond mystère. 522. Ensuite l'auguste Marie et saint Joseph délibérèrent sur le nom qu'ils devaient donner à l'Enfant-Dieu dans la circoncision; sur quoi le saint époux dit : " Chère Dame, quand l'ange du Très-Haut me révéla le grand mystère de l'incarnation, il m'ordonna en même temps d'appeler votre sacré Fils Jésus. " La Vierge Mère répondit : " Il me désigna le même nom lorsque le Verbe prit chair dans mon sein; or, sachant le nom que le Très-Haut veut lui donner par la bouche des anges ses ministres, il est juste que nous révérions avec un humble respect les jugements impénétrables de sa sagesse infinie en ce saint nom, et que mon Fils et mou Seigneur soit appelé Jésus : c'est ce que nous déclarerons au prêtre pour qu'il écrive ce divin nom sur le registre des autres enfants circoncis. " 523. Pendant que la grande peine du ciel et saint Joseph s'entretenaient sur ce sujet, des troupes innombrables d'anges descendirent de l'empyrée en 365 forme humaine, avec des vêtements d'une blancheur éclatante, rehaussés par des ornements incarnats d'une richesse admirable. Ils portaient des palmes en leurs mains et des couronnes si brillantes sur leurs tètes, que- chacune envoyait plus de lumière que plusieurs soleils ensemble; et, en comparaison de la beauté de ces saints princes, tout ce qu'il y a de visible et de beau dans la nature ne parait que laideur. Mais ce qui frappait davantage dans leur aspect, c'était une devise, comme gravée sous un cristal sur leur poitrine, où le très-doux nom de Jésus était marqué. Et la. splendeur qui en rejaillissait surpassait celle de tous les anges ensemble, de sorte que la variété qui se découvrait, dans une telle multitude était si rare et si agréable, qu'il n'est possible ni de l'exprimer par des paroles ni de la concevoir par l'imagination. Ces saints anges, étant entrés dans la grotte, se partagèrent en deux chœurs, regardant tous avec admiration leur Roi et leur Seigneur entre les chastes bras de la bienheureuse Mère. Les deux grands princes saint Michel et saint Gabriel étaient comme les chefs de cette milice céleste; ils avaient aussi un plus grand éclat que les autres anges : et outre cet avantage ils portaient en leurs mains le très- saint nom de Jésus, écrit en plus gros caractères sur des espèces de médaillons d'une beauté et d'une richesse extraordinaires. 524. Les deux princes célestes se présentèrent à part à leur peine et lui dirent : " Illustre Dame, voici le nom de votre Fils, qui est écrit de toute éternité dans l'entendement de Dieu : la très-sainte Trinité 365 l'a donné à votre Fils unique, notre Seigneur, avec puissance de sauver le genre humain (1); elle l'assied sur le trône de David; il y règnera (2), il châtiera ses ennemis, il en triomphera (3) et les humiliera jusqu'à s'en servir de marchepied (4) ; et, jugeant avec équité, il élèvera ses amis et les placera dans la gloire de sa droite (5). Mais tout cela doit a arriver au prix de ses peines et de son sang, qu'il a doit maintenant verser en prenant ce nom, parce a que c'est un nom de Sauveur et de Rédempteur; et ce seront les prémices de ce qu'il doit souffrir pour obéir au Père éternel. Nous tous, ministres et esprits a du Très-Haut, qui nous présentons ici, avons été envoyés par la très-sainte Trinité pour servir le Fils unique du Père et le vôtre, assister à tous les mystères et sacrements de la loi de grâce, et l'accompagner comme serviteurs jusqu'à ce qu'il monte triomphant it la Jérusalem céleste et qu'il en ait ou vert les Portes an genre humain; après quoi nous en jouirons avec nue gloire accidentelle qui nous sera particulière, et au-dessus des autres bienheureux qui n'auront pas reçu cette mission privilégiée. " Le bienheureux époux saint Joseph vit et entendit tout cela avec la Reine du ciel, mais l'intelligence n'en fut pas égale; car la Mère de la Sagesse y pénétra de très-hauts mystères de la rédemption. Et quoique saint Joseph en découvrit plusieurs de son côté, ce fut (1) Matth., I, 21. - (2) Isa., IX, 7. - (3) Coloss., II, 15 ; Ps., LIV, 19 . - (4) Ps. CIX, 9. - (5) Matth., XXV, 33. 367 d'une manière inférieure ï celle de sa divine épouse; ils furent néanmoins tous deux remplis de joie et d'admiration, glorifiant le Seigneur par de nouveaux cantiques. Et il se passa entre eux tant de choses admirables, qu'il n'est pas possible de trouver des termes assez expressifs pour les raconter. Instruction que l'auguste Marie me donna. 525. Ma fille, je veux renouveler en vous la doctrine et la lumière que vous avez reçues, pour traiter vôtre Seigneur et votre Époux avec une extrême révérence; car l'humilité et la crainte respectueuse doivent croître dans les âmes à mesure quelles reçoivent des faveurs plus particulières et plus extraordinaires. C'est manque de cette science que beaucoup d'âmes ou se rendent indignes ou incapables des grands bienfaits, ou, out en les recevant, se laissent aller à une familiarité aussi grossière que dangereuse, par laquelle elles offensent beaucoup le Seigneur; car il arrive bien souvent que, beaucoup la douceur amoureuse avec laquelle plusieurs fois sa divine bonté les caresse, elles prennent une certaine hardiesse ou légèreté présomptueuse qui les fait traiter sa Majesté infinie sans le respect qui lui est dû, et rechercher avec une vaine curiosité, par des voies surnaturelles, ce qui est su- dessus de leur entendement et qu'il ne leur est pas convenable de 368 savoir. Cette témérité vient de ce qu'elles comparent, par une ignorance terrestre le commerce familier avec le Très-Haut à celui qu'une créature humaine a coutume d'avoir avec une autre qui lui est égale, croyant que la chose doive se passer sans aucune différence. 526. Mais on se trompe fort dans ce jugement, par lequel on mesure le respect que l'on doit à la Majesté infinie avec les rapports de familiarité et d'égalité que l'amour humain établit entre les mortels. Chez les créatures raisonnables la nature est égalé, malgré la diversité des conditions et des accidents; les sentiments d'une affection intime peuvent faire oublier la. différence qui les rend inégales, et régler par les mouvements humains ces relations d'amitié. Mais l'amour divin ne doit jamais oublier l'excellence inestimable de l'objet infini; or, comme il s'adresse à la bonté immense, et que par cet endroit il n'a point de limites, de même le respect s'adresse à la majesté de l'Être divin : et parce que la bonté et la majesté sont inné parables en Dieu, le respect ne doit pas être non plus séparé de l'amour en la créature; la lumière de la foi divine, qui découvre à l'amant l'essence de l'objet qu'il aime, doit toujours le guider; elle doit exciter et entretenir une crainte révérentielle, et régler les affections désordonnées auxquelles se livre ordinairement un amour aveugle et inconsidéré, quand il agit sans se rappeler l'excellence et la supériorité infinie de Celui qu'il aime. 527. Quand la créature a le coeur noble et qu'elle est accoutumée 'à la sainte et respectueuse crainte, elle 369 n'est point en danger d'oublier, dans les plus fréquentes et les plus grandes faveurs, la révérence qui est due au Très-Haut; parce qu'elle ne s'abandonne point sans réflexion aux douceurs spirituelles, et qu'elle n'y perd pas la prudente attention qu'on doit toujours porter à sa suprême Majesté ; au contraire, plus elle l'aime et la connaît, plus elle l'honore et la révère. C'est avec ces âmes que le Seigneur traite d'une manière familière et comme un ami avec un autre (1). Que ce soit donc pour vous, ma fille, une règne inviolable, que quand vous jouirez des plus tendres caresses, des plus étroits embrassements du Très-Haut, vous soyez d'autant plus soigneuse de révérer la grandeur de son être infini et immuable, de le glorifier autant que vous l'aimerez. Par cette science vous apprécierez beaucoup mieux le bienfait que vous recevez, et vous ne tomberez point dans la hardiesse dangereuse des gens légers qui veulent à tout propos, dans les petites comme dans les grandes choses, rechercher et interroger le secret du Seigneur, et qui demandent que sa très-prudente Providence condescende et se prête à leur vaine curiosité, poussés qu'ils sont par quelque passion désordonnée que font naître des affections humaines et répréhensibles, et non le zèle du saint amour. 528. Considérez à cet égard la discrétion avec laquelle j'agissais et je m'arrêtais dans mes doutes, quoique jamais aucune pure créature n'ait pu être à (1) Exod., XXXIII, 11. 370 beaucoup près aussi agréable que moi aux yeux du Seigneur. Cela, étant, et lorsque j'avais dans mes bras Dieu lui-même, en qualité de sa véritable Mère, je n'osai néanmoins jamais le prier de me faire connaître quoi que ce fût par des voies extraordinaires, soit pour le savoir, soit pour me soulager de quelque peine, soit pour quelque autre motif humain; car tout cela aurait marqué une faiblesse naturelle ou une vaine curiosité, ou un défaut blâmable, et c'est ce qu'on ne saurait trouver en moi. Mais quand la nécessité m'y obligeait pour la gloire du Seigneur, ou que le sujet était indispensable , alors je demandais la permission à sa divine Majesté de lui exposer mon désir. Et bien qu'elle me fut toujours très-favorable et qu'elle me demandât avec une bonté merveilleuse ce que je souhaitais de sa miséricorde, je m'anéantissais néanmoins toujours en sa présence, et la priais seulement de m'enseigner ce qui lui serait le plus agréable. 529. Gravez, ma fille, cette instruction dans votre coeur, et gardez-vous bien de chercher jamais avec un désir désordonné et curieux à savoir ou à pénétrer la moindre chose qui soit au-dessus de la raison humaine. Car, outre que le Seigneur ne répond point à ces prétentions insensées, tant elles lui déplaisent, le démon est fort attentif à ce vice, surtout quand il se trouve dans les personnes qui veulent mener une vie spirituelle : et comme il est d'ordinaire l'auteur de ces sentiments de curiosité vicieuse, et qu'il les développe par ses rusa, il arrive souvent qu'elles lui 371 servent encore à les entretenir, en se transformant en ange de lumière (1), de sorte qu'il trompe les imparfaits et les imprudents. Et quand même ces recherches ne viendraient que d'une inclination naturelle, on ne doit pas non plus l'écouter ni la suivre, parce qu'il ne faut pas dans une affaire si haute qu'est le commerce avec le Seigneur, se laisser aller aux impressions ni aux appétits d'une raison passionnée; car la nature, dépravée, infectée par le péché, est tellement désordonnée, qu'elle n'imprime que des mouvements irréguliers auxquels on ne doit pas obéir, et d'après lesquels on ne doit pas se diriger. Il ne faut pas non plus qu'une créature implore des révélations divines pour être soulagée de ses peines et de ses afflictions; car l'épouse de Jésus-Christ et son fidèle serviteur ne doivent pas user de, ses faveurs pour fuir la croix, mais pour la chercher et la porter avec le Seigneur (2), et pour l'attacher à celle que sa divine Providence leur donnera. Je veux que vous pratiquiez tout cela avec urie retenue craintive, tendant vers cette extrémité pour vous éloigner du contraire. Je veux que vous perfectionniez dès aujourd'hui les motifs de votre conduite, et que vous agissiez en toutes choses par amour, c'est-à- dire pour les fins les plus parfaites (3). L'amour n'a ni bornes ni mesure : ainsi je veux que vous aimiez avec excès et que vous craigniez avec modération, et autant qu'il sera nécessaire pour ne pas transgresser la loi du (1) II Cor., XI, 14. - (2) Matth., XVI, 24. - (3) Philip., I, 9. 372 Très-Haut et pour régler toutes vos opérations intérieures et vos actions extérieures avec droiture. Soyez soigneuse et ponctuelle en cela, quelques difficultés et quelques peines que vous rencontriez : n'ai je pas souffert aussi en me décidant à faire circoncire mon très-saint Fils (1). Je le fis, parce que la volonté du Seigneur, à qui nous devons en tout et partout obéir, nous était déclarée dans les saintes lois. CHAPITRE XIV. L'Enfant-Dieu est circoncis et appelé Jésus. 530. Il y avait à Bethléem, comme dans plusieurs autres villes d'Israël, une synagogue particulière où le peuple s'assemblait pour prier (2), c'est pourquoi on l'appelait aussi maison d'Oraison, et pour ouïr faire la lecture de la loi de Moïse, qu'un prêtre lisait et expliquait en chaire d'une voix intelligible, afin que le peuple en comprit les préceptes. Mais on, n'offrait point de sacrifices dans cette synagogue, car cela était réservé pour le temple de Jérusalem, si le Seigneur n'en disposait autrement, parce qu'il n'avait (1) Gen., XVII, 12. - (2) Judit., VI, 21 ; Act., XIII, 11. 373 pas laissé le choix du lieu à la liberté du peuple,. comme on le voit dans le Deuteronome (1), pour éloigner le péril de l'idolâtrie. Mais le prêtre, qui était le maître ou le ministre de la loi, l'était aussi de la circoncision, non par un précepte qui obligeât, car chacun pouvait circoncire même sans être prêtre, mais par une dévotion spéciale des mères, qui laissait croire à la plupart' que les enfants ne courraient pas tant de danger s'ils étaient circoncis par la main du prêtre. Notre auguste Reine voulut, non. par cette crainte, mais à cause de la dignité de l'Enfant, que le ministre de sa circoncision fût le prêtre qui se trouvait en Bethléem, et c'est pour cela que son bienheureux époux Joseph l'appela. 531. Le prêtre vint dans la grotte de la nativité, où le Verbe incarné et sa Mère Vierge, qui le tenait entre ses bras, l'attendaient : il était accompagné de deux autres ministres, qui l'aidaient ordinairement dans le ministère de la circoncision. L'horreur de l'humble réduit surprit et contraria un peu le prêtre. Mais notre très- prudente Reine le reçut et lui parla avec tant de modestie et de grâce, qu'elle sut bientôt changer cette impression fâcheuse en dévotion et en admiration des manières si honnêtes, si modestes et si dignes de la Mère; de sorte qu'il se sentit porté, sans en connaître la cause, à respecter et à vénérer, une si rare créature. Et quand il eut jeté les yeux sur la Mère et sur l'Enfant qu'elle avait entre ses bras, (1) Deut., XII, 5 et 6. 374 il éprouva dans son coeur quelque chose d'extraordinaire qui lui inspira une très- grande dévotion et une tendresse singulière, étonné de ce qu'il voyait dans une telle pauvreté et dans un lieu si misérable. Et au moment oh il toucha la chair déifiée de l'Enfant-Dieu, il fut aussitôt entièrement renouvelé par une vertu secrète qui le purifia et le perfectionna; et lui donnant une nouvelle grâce, elle le rendit saint et fort agréable au souverain Seigneur de l'univers. 532. Pour faire la circoncision avec toute la révérence extérieure qui était possible dans un tel lieu, saint Joseph alluma deux cierges; et le prêtre dit à la Vierge Mère de se retirer un peu, et de remettre l'Enfant aux ministres, afin d'éviter la douleur que la vue du sacrifice lui causerait. Cet ordre mit notre grande Dame dans l'irrésolution, car son humilité la portait à obéir au prêtre, et d'un autre côté l'amour et la révérence qu'elle avait pour son Fils unique la retenaient. Et pour ne point manquer à ces deux vertus, elle pria le prêtre avec beaucoup de soumission de vouloir lui permettre, s'il était possible, d'assister au sacrement de la circoncision, pour la grande estime qu'elle en faisait, disant qu'elle aurait assez de courage et de force pour tenir son très-saint Fils, qu'elle ne saurait se résoudre à quitter, et qu'elle le suppliait seulement de procéder à la circoncision avec toute la douceur possible; à cause de la complexion délicate de l'Enfant. Le prêtre promit de le faire, et permit à la Mère de tenir l'Enfant entre ses bras pendant la cérémonie. De sorte qu'elle fut l'autel sacré 375 sur lequel les réalités que les anciens sacrifices représentaient, commencèrent d'être accomplies, offrant elle-même de ses mains ce sacrifice nouveau et du matin, afin qu'il fût dans tous ses détails agréable au Père éternel (1). 533. La divine Mère démaillota son très-saint Fils , et tira de son sein un linge qu'elle y échauffait par la chaleur naturelle, à cause du froid rigoureux qu'il faisait alors; elle prit avec ce linge l'Enfant entre ses mains, de manière à y recevoir les reliques et le sang de la circoncision. Le prêtre fit son office, et circoncit l'Enfant- Dieu et homme véritable, qui offrit en même temps avec une charité immense au Père éternel trois choses d'un si grand prix, que chacune suffisait pour la rédemption de mille mondes. La première fut la forme du pécheur qu'il avait prise, étant innocent et Fils du Dieu vivant (2), car il recevait le sacrement qui était administré pour ôter la souillure du péché originel, et s'assujettissait à la loi à laquelle il n'était point obligé. La seconde fut la douleur qu'il ressentit comme homme véritable et parfait. La troisième fut le très-ardent amour avec lequel il commençait à verser son sang pour le prix de la rédemption des hommes; et il rendit des actions de grâces au Père pour lui avoir donné un corps, afin de pouvoir souffrir pour son honneur et pour sa gloire. 534. Le Père reçut avec complaisance cette prière et ce sacrifice de notre Seigneur Jésus-Christ, et commença, (1) Hebr., IX, 6, etc. - (2) Philip., II, 7; Il Cor., V, 21. 376 pourrait-on dire, à considérer le genre humain comme libéré de sa dette. Le Verbe incarné offrit ces prémices de son sang pour gage de ce qu'il le donnerait jusqu'à la dernière goutte, pour consommer la-rédemption, et acquitter l'obligation qui grevait les enfants d'Adam (1). La très-sainte Mère observait toutes les actions et les opérations intérieures de son Fils unique, elle pénétrait avec une profonde sagesse le mystère de ce sacrement, et s'associait de son côté, dans les limites de son rôle, à son Fils et à son Seigneur en ce qu'elle faisait. L'Enfant-Dieu pleura comme homme véritable. Et bien que la douleur de la plaie fût excessive, tant à raison de la délicatesse de sa complexion qu'à cause de la rudesse du couteau, fait d'une pierre à feu, ce ne fut pas tant 1a douleur naturelle qui lui arracha des larmes, que la science surnaturelle avec laquelle il prévoyait la dureté des mortels, plus invincible et plus forte que celle de cette pierre, pour résister à son très-doux amour et à la flamme qu'il venait allumer dans le monde et dans les coeurs des fidèles (2). La tendre et amoureuse Mère pleura aussi comme une simple brebis qui mêle son bêlement à celui de son innocent agneau. Dans leur mutuel amour et leur mutuelle compassion, il se rejeta sur sa Mère, et elle le pressa doucement et avec tendresse contre son sein virginal; elle prit ensuite-les sacrées reliques et le sang versé sur le linge, et remit le tout à saint Joseph, pour (1) Coloss., II, 14. - (2) Luc., XII, 49. 377 prendre soin de l'Enfant-Dieu et l'envelopper de ses langes. Le prêtre fut en quelque façon surpris des larmes de la Mère, et quoiqu'il en ignorât le mystère, il lui parut que la beauté de l'Enfant pouvait bien exciter en celle qui l'avait mis au monde une sollicitude aussi tendre et une aussi vive douleur. 535. La Reine du ciel montra tant de prudence et de magnanimité dans toutes ces oeuvres, qu'elle provoqua l'admiration des choeurs des anges, et mérita toutes les complaisances du Créateur. La divine Sagesse qui la conduisait éclatait en toutes ses actions, donnant à chacune d'elles une perfection consommée, comme si elle n'eût été occupée qu'à une seule. On la vit pleine d'un courage invincible pour tenir l'Enfant pendant la circoncision, soigneuse pour ramasser les précieuses reliques, compatissante pour le plaindre et pour pleurer avec lui en souffrant de sa douleur, amoureuse pour le caresser, diligente pour l'envelopper, fervente pour l'imiter en ses oeuvres, et toujours pieuse pour le traiter avec un souverain respect, sans qu'elle laissât aucune interruption entre ces actes, et sans que le soin et la perfection de l'un nuisissent à l'attention que réclamaient les autres. Admirable spectacle en une jeune fille de quinze ans, et fécond en enseignements pour les anges de plus en plus ravis! Cependant le prêtre demanda aux saints époux quel nom ils souhaitaient donner à l'Enfant circoncis, et notre grande Dame, toujours attentive au respect qu'elle portait à saint Joseph, lui dit de le déclarer. Le saint, se tournant vers elle avec une digne 378 vénération , lui fit connaître qu'un si doux nom devait sortir de sa bouche. Et par une divine disposition, Marie et Joseph dirent en même temps : " Jésus est son nom (1). " Le prêtre répondit : " Les parents sont bien d'accord, et grand est le nom qu'ils donnent à l'Enfant; " puis il l'inscrivit sur le registre commun. En inscrivant ce sacré nom, il fut touché d'une grande tendresse intérieure qui lui fit verser beaucoup de larmes; et étonné de ce qu'il sentait et ignorait, il dit : " Je suis sûr que cet Enfant sera un grand prophète du Seigneur. Ayez un soin particulier de son éducation, et dites-moi en quoi je puis vous être utile. " L'auguste Marie et son bienheureux époux répondirent au prêtre par un humble remerciement, et lui donnèrent eux-mêmes en offrande les cierges et quelques autres petites choses, après quoi, il prit congé d'eux. 536. La sainte Vierge et Joseph demeurèrent seuls avec l'Enfant, ils célébrèrent de nouveau le mystère de la circoncision, en faisant le sujet de leur entretien avec de douces larmes et des cantiques sublimes, qu'ils composèrent en l'honneur du très- doux nom de Jésus, et dont la connaissance (comme je l'ai dit des autres merveilles) est réservée pour la gloire accidentelle des saints. La très-prudente Mère pansa la plaie de l'Enfant-Dieu avec les remèdes ordinaires, et le tint jour et nuit entre ses bras pendant tout le temps que sa douleur et sa plaie durèrent, sans le quitter un (1) Luc., II, 21. 379 seul moment. On ne saurait comprendre ni exprimer par des paroles humaines les soins amoureux de la divine Mère, car son affection naturelle surpassa celle de toutes les autres mères, et son amour surnaturel fut au-dessus de celui de tous les saints et de tous les anges ensemble. On ne saurait non plus faire connaître par aucun exemple le culte respectueux qu'elle lui rendait. C'étaient bien là les délices que le Verbe incarné désirait et qu'il prenait avec les enfants des hommes (1). Parmi les douleurs qu'il ressentait par les choses que je viens de raconter, son coeur amoureux jouissait de l'éminente sainteté de sa Mère vierge. Et quoiqu'il se complût en elle plus qu'en tous les mortels, et qu'il se reposât en son amour, néanmoins notre très-humble Reine trichait d'adoucir les peines qu'il recevait d'ailleurs par tous les moyens qui lui étaient possibles. C'est pour ce sujet qu'elle convia les saints anges qui se trouvaient présents de chanter une musique à leur Dieu humanisé, enfant et souffrant. Les ministres du Très-Haut obéirent à leur Reine, et chantèrent avec des voix intelligibles et avec une mélodie céleste les mêmes cantiques qu'elle et son époux avaient composés à la louange du nouveau et très-doux nom de Jésus. 537. Par cette musique si harmonieuse, en comparaison de laquelle le plus beau concert des hommes ne serait qu'un bruit propre à écorcher les oreilles, la divine Dame récréait son très-aimable Fils; et (1) Prov., VIII, 31. 380 beaucoup plus encore par celle qu'elle-même lui donnait par l'harmonie de ses héroïques vertus, qui faisaient dans son âme très-sainte comme autant de chœurs et d'escadrons bien rangés, ainsi que le Seigneur lui-même et son époux le lui dit, dans les Cantiques (1). Le coeur humain est dur et plus que pesant pour pénétrer et reconnaître des mystères si vénérables, que l'amour immense de son Créateur et Rédempteur a destinés pour son salut éternel. O mon Dieu et la vie de mon Ame ! comme nous vous payons mal de retour pour les tendresses de votre amour infini ! O charité sans borne et sans mesure ! puisque sous ne pouvez pas être éteinte par l'abondance des eaux de nos infidélités et de nos ingratitudes (2). La bonté et la sainteté par essence ne sauraient descendre plus bas, ni nous obliger davantage, que de prendre la forme de pécheur et de recevoir, étant l'innocence même, le remède du péché, qui ne pouvait point l'atteindre (3). Si les hommes méprisent cet exemple, s'ils oublient ce bienfait, comment oseront-ils dire qu'ils ont du jugement et de la raison? Comment seront-ils assez présomptueux pour se glorifier de leur, sagesse et de leur intelligence? Qu'il serait prudent, ô homme ingrat ! si de pareilles oeuvres de Dieu ne te touchent point, de t'affliger de ton insensibilité et de pleurer une si lamentable folie et une dureté si effroyable, que tous les feux de (1) Cant., VII, 1. - (2) Cant , VIII, 7. - (3) Philip., 7 ; II Cor., V, 21. l'amour divin ne suffisent point pour fondre la glace de ton coeur ! Instruction que je refus de mon auguste Maîtresse. 538. Ma fille, je veux que vous considériez attentivement la faveur que vous recevez lorsque je vous fais connaître avec combien de soin , de sollicitude et de tendre dévotion je servais mon très-saint et très-doux Fils dans les mystères que vous avez décrits. Le Très-Haut ne vous éclaire pas d'une lumière si particulière, pour que vous vous arrêtiez seulement à la consolation qu'elle vous procure par les sentiments dont elle vous pénètre ; mais afin que vous m'imitiez en tout comme une fidèle servante, et qu'étant privilégiée comme vous l'êtes en l'intelligence des mystères de mon Fils, vous vous distinguiez aussi dans la reconnaissance de ses bienfaits. Or, considérez, ma très-chère fille, combien son divin amour est mal payé des mortels, et combien même il est méconnu et oublié des justes. Chargez- vous personnellement de réparer ce tort dans la petite mesure de vos forces, en l'aimant, le remerciant et le servant pour vous et pour tous les autres qui ne le font pas. A cet effet, vous devez être active et prompte comme un ange, fervente dans la dévotion, ponctuelle 382 dans les occasions, et entièrement morte à tout ce qui est terrestre, rompre les chaînes des inclinations humaines pour élever votre vol où le Seigneur vous appelle. 539. Vous n'ignorez pas, ma fille, la douce efficace qu'a le vif souvenir des oeuvres que mon très-saint Fils a faites pour les hommes; et quoique cette lumière vous soit d'un puissant secours pour vous exciter à la reconnaissance, je vous avertis pourtant (afin que vous ne tombiez pas dans ce dangereux oubli) que les bienheureux dans le ciel, connaissant en Dieu ces mystères, s'étonnent d'eux- mêmes pour le peu d'attention et de réflexion qu'ils y ont fait pendant qu'ils étaient voyageurs. Car sils pouvaient être capables d'y souffrir quelque peine, ils regretteraient amèrement la froideur avec laquelle ils ont apprécié les oeuvres de la rédemption et la nonchalance avec laquelle ils ont travaillé à imiter le, Christ. Il est certain que la cruauté que montre le coeur de l'homme, tant contre lui-même que contre son Créateur et Sauveur, jette tous les anges et les saints dans une stupéfaction indicible; et, en effet, les mortels n'ont aucune compassion ni des peines que le Seigneur a souffertes pour eux, ni davantage de celles qu'ils doivent souffrir eux-mêmes. Et quand les réprouvés, dans une consternation sans remède, s'apercevront de leur effroyable oubli et du peu d'attention qu'ils ont donné aux oeuvres que Jésus-Christ a opérées pour leur salut, la confusion et le dépit leur causeront une peine insupportable, qui à elle seule 383 sera un châtiment incompréhensible (1), en leur rappelant le mépris qu'ils ont fait de leur surabondante rédemption (2). Écoutez bien, ma fille, prêtez l'oreille à mes conseils et à la doctrine de la vie éternelle (3). Éloignez de vos puissances toute sorte d'image et d'affection humaine; attachez tout votre coeur et tout votre entendement aux mystères et au: bienfaits de la rédemption (4). Appliquez-vous-y entièrement; méditez-les, pesez-les, et rendez-en des actions de grâces comme s'ils n'eussent été que pour vous et pour chaque homme en particulier, ou qu'il n'y eût que vous pour les reconnaître. Vous trouverez en eux la vie, la vérité et le chemin de l'éternité (5); et si vous le suivez, vous ne marcherez point dans les ténèbres, au contraire vous y rencontrerez la lumière et la paix (6). (1) Sap., V, 4, etc. - (2) Ps. CXXIX, 7. - (3) Ps. XLIV, 11. - (4) Galat., II, 20. - (5) Joan., XIV, 6. - (6) Baruch., III, 14. 384 CHAPITRE XV. La très-pure Marie demeure dans la grotte de la nativité avec l'Enfant-Dieu jusqu'à la venue des mages. 540. Notre grande Reine savait par la science infuse qu'elle avait des saintes Écritures et par tant de sublimes révélations, que les mages viendraient de l'Orient pour reconnaître et adorer son très-saint Fils pour le véritable Dieu (1). Elle avait été particulièrement informée de ce prochain mystère par l'ange qui fut envoyé à ces rois pour leur annoncer la naissance du Verbe incarné, comme je l'ai dit ait chapitre XIe de ce livre, paragraphe 492 ; car la Mère Vierge eut connaissance de tout cela. Saint Joseph n'avait aucune notion de ce mystère, car il ne lui avait pas été révélé, et sa très-prudente épouse ne lui découvrait pas son secret, elle qui, sage et circonspecte en toutes choses, attendait que la volonté divine opérât en ces mystères, au montent opportun, par sa cloute disposition (2). C'est pourquoi, la circoncision étant célébrée, le saint époux proposa à la Reine du ciel de quitter un lieu si pauvre quo l'était (1) Ps. LXXI, 10 ; Isa., LX, 6. - (2) Sap., VIII, 1. 385 la grotte, à cause des incommodités que l'Enfant-Dieu et elle y souffraient, lui persuadant qu'ils trouveraient dés lors à Bethléem un logement inoccupé, où ils pourraient se retirer jusqu'à ce que fût arrivé le temps d'aller présenter l'Enfant dans le temple de Jérusalem : ce que le très-fidèle et très-soigneux époux proposa à la sainte Vierge, parce qu'il craignait toujours de ne pas pouvoir dans sa pauvreté , procurer au Fils et à la Mère toutes les commodités dont ils pouvaient avoir besoin, remettant pourtant le tout à la volonté de sa divine épouse. 541. La très-humble Reine lui répondit, sans néanmoins lui découvrir le mystère: " Mon époux et mon maître, je suis prête à faire tout ce que vous m'ordonnerez, et à vous suivre partout où vous voudrez aller; faites ce que vous jugerez le plus à propos. " La divine Reine avait déjà voué un certain attachement à la grotte à cause de la bassesse et de la pauvreté du lieu, et parce que le Verbe incarné l'avait consacrée par les mystères de sa naissance et de sa circoncision, et par celui qu'elle attendait des rois mages, quoiqu'elle ignorât le temps de leur arrivée. Cet attachement était pieux, plein de dévotion et de vénération; mais il ne l'empêchait pas de préférer l'obéissance à ses goûts particuliers, et de s'y soumettre pour servir en toutes choses d'exemplaire et de règle de la perfection la plus sublime. Cette vertueuse indifférence mit saint Joseph dans un plus grand embarras, parce qu'il désirait que son épouse décidât ce qu'ils devaient faire. Et pendant qu'ils en 385 conféraient ensemble, le Seigneur répondit par l'organe des princes saint Michel et saint Gabriel, qui s'occupaient visiblement du service de leur divin Seigneur et de leur grande Reine, et qui dirent: " La volonté divine a ordonné que les trois rois qui viennent des régions de l'Orient pour chercher le Roi du ciel, adorent ici même le Verbe fait homme. Il y a dix jours qu'ils sont en marche, car ils ont été aussitôt avertis de la sacrée naissance, et ils se sont mis incontinent en chemin; ils arriveront dans très-peu de temps; ainsi seront accomplies les prédictions des prophètes qui les ont vus et annoncés de fort loin (1) ". 542. Par ce nouvel avis, saint Joseph fut consolé et informé de la volonté du Très- Haut; et son épouse la sainte Vierge lui dit : " Mon seigneur, quoique ce lieu que le Tout-Puissant a choisi pour de si magnifiques mystères, soit pauvre et incommode aux yeux du monde, il est pourtant riche, précieux, le meilleur et le plus estimable de la terre aux yeux de sa sagesse, puisque le Souverain des cieux s'en est contenté en le consacrant par sa divine présence. Sa puissance est assez grande pour nous faire jouir de sa vue dans cet endroit, qui est une véritable terre promise. Et s'il le trouve à propos, il nous adoucira les rigueurs de la saison pendant le peu de temps que nous y demeurerons. " Le discours de notre très- prudente Reine causa une sensible joie à (1) Ps. LXXI, 10 ; Isa., LX, 6. 387 saint Joseph, qui lui répondit que, puisque l'EnfantDieu se conformerait aux prescriptions de la loi pour la présentation au Temple, comme il s'y était conformé pour la circoncision, ils pouvaient demeurer dans ce sacré lieu jusqu'à ce que le jour arrivât, sans retourner auparavant, dans la mauvaise saison, à Nazareth, qui était trop éloigné. Que si par hasard la rigueur du froid les forçait à le quitter et à se retirer dans Jérusalem, ils le pouvaient aisément faire, puisqu'elle n'était distante de Bethléem que de deux lieues. 543. L'auguste Marie se plia entièrement à la volonté de son vigilant époux, tout en conservant toujours une secrète inclination pour ce sacré sanctuaire, beaucoup plus saint et plus vénérable que celui du temple ; et en attendant qu'il fuit temps d'y aller présenter son Fils, elle fit tout son possible pour le garantir de l'injure du temps. Elle nettoya de nouveau la grotte et fit pour l'arrivée des rois tous les préparatifs que comportait la pauvreté du lieu. Mais la plus grande précaution qu'elle prit pour l'Enfant-Dieu fut de le tenir toujours entre ses bras, quand elle n'était pas absolument obligée de s'en séparer. Elle usa surtout de la puissance souveraine qu'elle avait sur toutes les créatures quand l'hiver déployait sa fureur; car elle commandait au froid, aux vents, à la neige et aux frimas de ne point nuire à leur Créateur, mais d'exercer sur elle seule leur inclémence et les âpres influences des éléments. La divine Reine leur disait : " Détournez vos rigueurs de votre Créateur et Conservateur, qui vous a donné l'être, la vertu et la faculté 388 d'opérer. Considérez, ô créatures de mon bien-aimé, que vous n'en avez été armées qu'à cause du péché (1), et que pour châtier la désobéissance du premier Adam et sa postérité ! Mais envers le second, qui vient réparer cette chute, et qui n'a pas pu y être entraîné, vous devez être bénignes et respectueuses, lui rendant, loin de lui nuire, de justes hommages et services. C'est ce que je vous commande en son nom, vous défendant de le gêner et de le faire souffrir. " 544. La prompte obéissance que les créatures irraisonnables rendaient à la volonté divine qui leur était intimée par la Mère de Dieu lui-même, est digne de notre admiration et de notre imitation; car il arrivait, quand elle l'ordonnait, que la neige, les vents et la pluie n'osaient s'en approcher, et s'arrêtaient à une distance de plus de cinq toises, et que l'air ambiant se tempérait et se changeait en une agréable chaleur. Cette merveille était accompagnée d'une autre: c'est qu'en même temps que l'Enfant-Dieu recevait cet adoucissement, la Mère Vierge qui le portait dans ses bras, ressentait la rigueur du froid et souffrait les intempéries de la saison avec toute l'intensité que pouvaient leur donner les forces de la nature. Cela arrivait parce que tout lui était soumis, et qu'elle ne voulait point s'exempter elle-même de la peine, dont Mère amoureuse et maîtresse des créatures dociles, elle préservait son tendre Fils et son adorable Seigneur. Saint (1) Sap., V, 18, etc. 389 Joseph jouissait aussi bien que l'Enfant-Dieu des doux effets de ce privilège, et s'apercevait du favorable changement de la température; mais il ne savait pas que tout cela se produisit par le commandement de sa divine épouse, et par l'action de son pouvoir, attendu quelle ne lui faisait pas connaître ce privilège, qu'elle n'avait pas reçu ordre du Très-Haut de lui révéler. 545. La conduite et la règle que la grande Reine du ciel observait en nourrissant son petit Enfant Jésus; était de l'allaiter trois fois par jour, ce qu'elle faisait avec tant de respect, qu'elle lui en demandait très-humblement la permission; le suppliant de lui pardonner son indignité, et se reconnaissant en tolutes choses sa sujette. Maintes fois lorsqu'elle l'avait entre ses bras , elle se mettait à genoux pour l'adorer; et si elle avait besoin de s'asseoir, elle le priait de vouloir bien le lui permettre. C'est avec le même respect que, comme je l'ai dit ailleurs, elle le remettait à saint Joseph, et le reprenait de ses mains. Souvent elle lui baisait les pieds, et quand elle souhaitait de le baiser au visage, elle sollicitait intérieurement sa bienveillance et son agrément. Le très-doux Enfant répondait à ses caresses maternelles, non-seulement en les recevant avec un air aimable, que relevait toujours une certaine majesté, mais encore par d'autres actions qu'il faisait de la même manière que les autres enfants,quoique avec plus de sérénité et de retenue. Le plus ordinairement il se penchait avec amour sur le chaste sein de sa très-pure Mère, ou sur son épaule, en entourant son cou de ses petits bras divins. Et la 390 très-sainte Vierge était si sérieuse et si circonspecte au milieu de toutes ces caresses, qu'elle ne se les attirait pas par des puérilités, et qu'elle ne les repoussait pas non plus par des semblants de menaces, comme font les autres mères. Elle était en tout très-prudente et très-parfaite, sans défaut ni excès : de sorte que le plus grand amour de son très-saint Fils et les sensibles marques qu'il lui en prodiguait lui servaient à s'humilier davantage, et lui inspiraient une profonde vénération qui réglait ses affections et leur donnait un plus vif éclat de sainteté et de perfection. 546. Il y avait entre l'Enfant-Dieu et la Mère Vierge d'autres sortes de caresses mystiques : car, outre qu'elle connaissait toujours par la divine lumière les actes intérieurs de l'âme très-sainte de son Fils unique, comme je l'ai dit, il arrivait souvent que, l'ayant entre ses bras, l'humanité lui apparaissait comme un cristal transparent, et alors la sainte Vierge y voyait l'union hypostatique, l'âme du divin Enfant, et toutes les opérations auxquelles il se livrait en priant le Père éternel pour le genre humain. Alors la divine Dame l'imitait en ses oeuvres et en ses prières, et se trouvait toute abîmée et transformée en son propre Fils. Dans cet état le Seigneur la regardait avec une joie accidentelle et en faisait toutes ses délices, comme se récréant en la pureté d'une telle créature et se réjouissant de l'avoir créée, et de ce que la Divinité s'était incarnée pour reproduire une si vive image de cette même Divinité, aussi bien que l'humanité qu'elle avait prise de sa substance virginale. A propos 391 de ce mystère, il me fut rappelé ce que dirent à Holopherne ses capitaines, quand ils virent la belle Judith dans les champs de Béthulie : " Qui méprisera le peuple hébreu, et qui condamnera la guerre que nous lui faisons, puisqu'il a des femmes d'une si rare beauté (1)? " Ce discours parait mystérieux et véritable en ce qui regarde le Verbe incarné, qui a pu dire la même chose avec beaucoup plus de raison au l'ère éternel et à toutes les créatures. Qui niera que je n'aie eu un juste sujet de descendre du ciel sur la terre pour y prendre chair humaine et pour y détruire le diable, le monde et la chair, en les vainquant et en les anéantissant, puisque parmi les enfants d'Adam il se trouve une femme telle que ma Mère? O mon doux amour! vertu de ma vertu, vie de mon âme, aimable et amoureux Jésus! Ah ! vous le voyez, dans toute la nature humaine, il n'y a que la seule Marie gui ait une telle beauté! Elle est l'unique, l'élue (2), et si parfaite à vos yeux, mon divin Maître et Seigneur, que non-seulement elle égale tout le reste de votre peuple, mais qu'elle le surpasse à un degré incommensurablc; elle seule supplée à la laideur de toute la postérité d'Adam. 547. La très-douce Mère ressentait de si sublimes effets parmi ces délices de son Enfant-Dieu, qu'elle en était toute spiritualisée et déifiée de nouveau. lit, dans les élans qui transportaient son âme très-pure, elle eût rompu cent fois les attaches du corps terrestre (1) Judith., X, 18. - (2) Cant., VI, 8. 392 pour l'abandonner; cent fois sa vie se fût consumée dans l'incendie de son amour, si elle n'eût été miraculeusement fortifiée et soutenue. Elle s'adressait mentalement et oralement à son très saint Fils en des termes si relevés et si mesurés, qu'on ne saurait les traduire dans notre grossier langage. Tout ce que je pourrai dire sera toujours fort au-dessous de-ce divin entretien, selon ce qui m'a été manifesté. Elle lui disait : " O mon amour! douce vie de mon âme, qui êtes-vous, et qui suis-je? Que voulez-vous faire de moi en abaissant vos grandeurs et vos magnificences jusqu'à favoriser une poussière inutile? Que pourra a faire votre servante pour votre amour, et pour vous témoigner sa reconnaissance? Que vous rendrai-je pour tant de bien que vous m'avez fait (1)? Mon être, ma vie, mes puissances, mes sens, mes désirs et mes soupirs, tout cela vous appartient. Consolez votre servante et votre mère, afin que, dans l'ambition qu'elle a de vous servir, elle ne se décourage pas à la vue de son insuffisance, puisqu'elle ne peut pas mourir de votre amour. Oh ! que la capacité des hommes est bornée, que leur pouvoir est petit, que leurs affections sont faibles, puisqu'ils ne peuvent parvenir à payer votre amour d'un juste retour! Vous vaincrez toujours en magnificence et en miséricorde vos créatures; vous chanterez des victoires et des triomphes d'amour, et nous, qui nous reconnaîtrons vaincus à la vue de nos impuissances, 393 nous nous soumettrons à votre pouvoir. Nous nous enfoncerons humblement dans notre a poussière, et votre nom sera glorifié et exalté dans les siècles des siècles. " Notre divine Dame connaissait quelquefois, par la science de son très-saint Fils, les âmes qui se distingueraient dans la loi de grâce en l'amour divin; elle discernait les oeuvres qu'elles feraient, les martyres qu'elles souffriraient pour imiter le même Seigneur : et par cette intuition elle était enflammée dans son émulation d'un amour si ardent, que le martyre de désir de notre auguste Reine surpassait tous ceux qu'on a effectivement soufferts. Alors elle expérimentait ce que l'i1poux dit dans les Cantiques, que l'émulation de l'amour était forte comme la mort et dure comme l'enfer (1). Comme l'amoureuse Mère ne mourait pas, malgré tout le désir qu'elle avait de mourir, son très-saint Fils lui répondait ces paroles, qui y sont rapportées : Mettez-moi comme un cachet sur votre coeur et sur votre bras (2), lui en donnant en même temps et l'effet et l'intelligence. Par ce divin martyre, la sainte Vierge fat la première de tous les martyrs. Le très-doux Agneau Jésus paissait au milieu de ces lis, pendant que le jour de la grâce s'approchait et que les ombres de l'ancienne loi commençaient à me dissiper (3). 548. L'Enfant-Dieu ne mangea aucune chose tant qu'il fut à la mamelle virginale de sa très-sainte Mère, et il ne se nourrit que de son seul lait, qui était aussi (1) Cant., VIII, 6. - (2) Ibid. - (8) Cant., II, 16 et 17. 394 doux et aussi substantiel que le corps de cette auguste Dame, où il se formait, était pur, parfait et réglé en toutes ses humeurs et ses qualités; il surpassa, après celui de notre Seigneur Jésus-Christ, tous les autres corps en santé et en toute autre sorte de perfection ce sacré lait se serait conservé par ses propres qualités un très- longtemps sans se corrompre, et, par un privilège singulier, il ne se serait jamais altéré; étant certain que celui des autres femmes s'aigrit et se corrompt bientôt, comme l'expérience nous l'apprend. 549. Le bienheureux époux Joseph ne jouissait pas seulement des faveurs et des caresses de l'Enfant-Dieu, comme témoin oculaire de celles qui se passaient entre le Fils et la Mère : mais il fut aussi trouvé digne d'en recevoir immédiatement de Jésus lui -même, parce que très-souvent sa divine épouse le lui remettait entre les bras, lorsqu'il fallait qu'elle s'occupât à quelque chose dont l'exécution l'empêchait de le garder avec elle, comme à préparer le repas, à ajuster la layette, à balayer la maison. Alors saint Joseph le tenait, et son âme en ressentait toujours des effets divins. L'Enfant Jésus lui montrait extérieurement un visage agréable, il s'appuyait sur son sein, et, tout en conservant une dignité, une retenue vraiment royales, il lui témoignait son affection par diverses caresses, comme les autres enfants ont accoutumé de faire à l'égard de leurs pères. Toutefois ces faveurs n'étaient pas accordées au saint aussi fréquemment ni aussi tendrement qu'à la véritable Mère et Vierge. Et quand elle laissait l'Enfant, elle prenait eu échange les reliques 395 de la circoncision, que son glorieux époux portait ordinairement sur lui pour sa consolation. Ainsi ils étaient toujours enrichis l'un et l'autre, Marie par son très- saint Fils, et Joseph par le précieux sang qu'il venait de verser et par sa chair déifiée. Ils conservaient ces très-saintes reliques dans une petite fiole de cristal que le saint chercha, comme je l'ai dit, et qu'il acheta de Forgent que sainte Élisabeth leur avait envoyé; notre grande Dame y mit la chair (lui fut coupée et le sang qui fut versé en la circoncision, en coupant du linge qui avait servi à ce ministère les endroits où il avait coulé. Et, afin que le tout y fût dans une plus grande sûreté, notre puissante Reine ferma par son seul commandement la petite fiole dont l'ouverture était garnie d'argent, et à sa voix cette garniture recouvrit et embrassa l'orifice de la fiole bien mieux que n'aurait pu faire l'artisan qui l'avait fabriquée. De sorte que la très-prudente Mère y garda ce sacré trésor pendant toute sa vie; elle remit ensuite ce précieux dépôt aux apôtres; et le leur laissa comme appartenant à la sainte Église. Je me trouve si abîmée dans la mer immense de ces mystères et dans une si grande impuissance de les expliquer à cause de l'ignorance de mon sexe et de la faiblesse de mes termes, (lue je m'en rapporte pour un grand nombre à la foi et à la piété chrétienne. 398 Instruction que la très-sainte Vierge me donna. 550. Ma fille, vous avez été avertie dans un des chapitres précédents de ne rien demander au Seigneur par des moyens extraordinaires, ni pour diminuer vos peines, ni par une inclination naturelle, et moins encore par une vaine curiosité. Je vous recommande maintenant de ne point suivre non plus vos sentiments pour désirer ou exécuter la moindre chose extérieure par aucun de ces motifs, attendu que vous devez, modérer et réfréner vos inclinations en toutes les opérations de vos puissances et applications de vos sens, sans leur donner ce qu'ils exigent, fût-ce sous quelque prétexte apparent de vertu ou de piété. Je ne devais pas craindre de dépasser les bornes dans mes affections, à cause de mon innocence irréprochable; le désir que j'avais de demeurer dans la grotte où mon très-saint Fils était né et où il avait reçu la circoncision, ne manquait pas non plus d'une piété sincère; mais malgré tout cela et malgré. les questions de mon époux , je ne voulus pas manifester ce désir, parce que je préférai l'obéissance à cette dévotion, sachant que c'était la voie la plus sûre pour les âmes et la plus agréable à Dieu, que de chercher, sa sainte volonté par le conseil et l'opinion d'autrui, plutôt que dans ses propres inclinations. Ce fut en moi un plus grand mérite et une plus grande perfection; mais pour vous et pour toutes les autres âmes, 397 qui courez risque d'errer en suivant votre propre sentiment, ce doit être une loi plus rigoureuse qui vous fasse prévoir ce danger, pour vous en éloigner avec précaution et diligence; car la créature ignorante et au coeur si étroit, s'attache facilement à des bagatelles par une inclination et une affection puériles ; et parfois elle s'occupe tout entière d'un mince détail comme d'une grosse affaire : ce qui n'est rien en soi lui parait quelque chose. Et tout cela la rend incapable, et la prive en même temps des grands biens spirituels, de la grâce, de la lumière et du mérite. 551. Vous graverez cette instruction et toutes celles que je dois vous donner dans votre coeur, et vous tacherez d'y faire un recueil de tout ce que je faisais, afin que, pénétrée de l'intelligence que vous en aurez, vous le mettiez en pratique. Considérez la révérence, l'amour, le soin que j'avais pour mon très-saint fils, la réserve et la sainte circonspection avec laquelle je le traitais. Et quoique j'eusse toujours vécu dans cette crainte vigilante, néanmoins, après l'avoir conçu dans mon sein, je ne le perdis plus un instant de vue, et rien ne put ralentir l'amour qu'il me communiqua alors. Mon coeur ne trouvait aucun apaisement dans l'ardeur où j'étais de lui être plus agréable, jusqu'à ce que, unie et abîmée dans la participation de ce souverain bien, de cette dernière fin de toutes choses, je pusse quelquefois m'y reposer comme dans mon centre. Mais bientôt je retombais dans mon inquiétude ordinaire, comme celui qui 398 poursuit son chemin sans s'arrêter à ce qui ne le peut avancer et qui retarde son désir. Mon coeur était si éloigné de s'attacher à aucune des choses de la terre et de suivre l'inclination sensible, qu'à cet égard je vivais comme si je n'eusse pas été de la commune humaine nature. Et si les autres créatures ne sont pas libres des passions, ou si elles ne les vainquent point autant qu'il leur serait possible, qu'elles se plaignent de leur propre volonté, et non point de la nature c'est celle-ci qui, dans sa faiblesse, aurait au contraire le droit de se plaindre; car elles pourraient, avec l'empire de la raison , la régler et la diriger, et c'est pourtant ce qu'elles ne font pas; au contraire, elles lui laissent suivre des voies mauvaises, et l'y poussent même par les incitations du libre arbitre, en même temps qu'elles se servent de l'entendement pour la mener à la recherche des objets les plus dangereux et des occasions où elle doit trouver sa perte. Au milieu de Lotis ces précipices qui bordent la vie humaine, je vous recommande, nia très-chère fille, de ne convoiter et de ne poursuivre atteinte chose visible, quelque nécessaire et quelque légitime qu'elle vous paraisse. Faites eu sorte de n'user que par obéissance et avec l'agrément de vos supérieurs, des choses indispensables, telles que votre cellule, vos vêtements, votre nourriture et le reste, parce que le Seigneur le veut, et je vous le déclare, afin que vous et usiez pour le service du Tout-Puissant. N'oubliez pas que tout ce que vous ferez doit passer par la règle de toutes les instructions que je vous ai données. CHAPITRE XVI. Les trois rois mages viennent de l'Orient et adorent le Verbe incarné à Bethléem. 552. Les trois rois mages qui vinrent chercher l'Enfant-Dieu nouvellement né, étaient originaires de la Perse, de l'Arabie et de Saha, régions à l'est de la Palestine. David prophétisa particulièrement leur venue (1), et avant lui, Balaam , quand il bénit par la volonté divine le peuple d'Israël, quoique Balac, roi des Moabites, l'eût appelé pour le maudire (2). Balaam dit, en le bénissant, qu'il verrait le Roi-Christ, mais non pas alors; qu'il le considèrerait, mais non pas de près (3), parce qu'il ne le vit point par lui-même, mais par les mages ses descendants : et ce ne fut pas incontinent, mais plusieurs siècles après. Il dit aussi qu'une étoile sortirait de Jacob (4), parce qu'elle serait destinée à désigner Celui qui naissait pour régner éternellement en la maison de Jacob (5). 553. Ces trois rois étaient fort versés dans les sciences naturelles, aussi bien que dans les Écritures (1) Ps. LXXI, 10. - (2) Num., XXIII, 24. - (3) Num., XXIV, 17. - (4) Ibid. - (5) Luc., I, 32. 400 du peuple de Dieu , et c'est pour cela qu'ils furent appelés mages. Par les notions qu'ils puisèrent dans les saintes Écritures et dans leurs entretiens avec plusieurs Hébreux, ils arrivèrent à une espèce de créance de la venue du Messie que ce peuple attendait. C'étaient en outre des hommes droits, amis de la vérité, fort observateurs de la justice dans le gouvernement de leurs États : car ils n'étaient pas aussi étendus que le sont les royaumes de notre temps, ils les gouvernaient facilement par eux-mêmes, et y rendaient la justice comme des princes, sages et vertueux , ce qui est l'office légitime d'un roi. Et c'est pourquoi le Saint-Esprit dit que Dieu tient son coeur dans ses mains pour le conduire comme une eau courante selon sa sainte volonté (1). Ils avaient 1'àme noble, grande et généreuse, incapable de cette avarice et de cette cupidité qui rapetissent, dégradent et tyrannisent tellement les coeurs de certains princes. Et comme leurs États étaient voisins, ils se fréquentaient et se communiquaient les vertus morales qu'ils pratiquaient et les sciences qu'ils professaient, se faisant toujours part des choses importantes qu'ils venaient à apprendre ou à connaître. En un mot, c'étaient des amis intimes, très- fidèles dans leurs relations. 554. J'ai déjà dit au chapitre XIe, paragraphe 492, comment dans la même nuit que naquit le Verbe incarné, ils furent informés de sa naissance temporelle (1) Prov., XXI, 1. 401 par le ministère des anges: Ce qui arriva en cette manière : un des gardiens de notre Reine, supérieur à ceux que ces trois rois avaient, fut envoyé de la grotte, et comme supérieur il illumina les anges des trois mages, leur déclarant la volonté du Seigneur, qui leur ordonnait de découvrir, chacun à celui qu'il avait sous sa garde , le mystère de l'incarnation et de la naissance de notre Rédempteur Jésus-Christ. Aussitôt les trois anges, parlèrent dans un songe, à la même heure, chacun d'eux, au mage qu'il accompagnait. C'est l'ordre commun des révélations angéliques de se transmettre du Seigneur aux âmes en suivant la hiérarchie des anges eux-mêmes. Cette illumination des rois touchant les mystères de l'incarnation fut très- abondante et très-claire, car ils y apprirent que le Roi des Juifs, vrai Dieu et vrai homme, était né; que c'était le Messie et le Rédempteur qu'ils attendaient, celui que les Écritures et les prophéties promettaient; que l'étoile que Balaam avait annoncée leur serait donnée pour guide, et qu'elle les conduirait où il se trouvait (1). Chaque roi apprit aussi que cet avis était donné aux deux autres; qu'une si grande et si merveilleuse faveur ne devait pas être négligée, mais qu'ils devaient coopérer à la divine lumière et faire tout ce qu'elle leur enseignait. Ils furent illustrés par cette lumière, embrasés d'amour et enflammés d'un désir véhément de (1) Gen., XXVIII,14; II Reg., VII, 13; Isa., IX, 6 ; Jerem., XXIII, 5; Ezech., XXXIV, 23 et saepe alibi; Num., XXIV, 17. 402 connaître Dieu fait homme, de l'adorer pour leur Créateur et Rédempteur, et de le servir avec une plus grande perfection; les excellentes vertus morales qu'ils avaient acquises leur servant à tout cela,. parce qu'elles les avaient bien disposés à recevoir la lumière divine. 555. Les rois mages s'éveillèrent après avoir reçu cette révélation du ciel; ils se prosternèrent aussitôt et adorèrent en esprit l'être immuable de Dieu. Ils glorifièrent sa miséricorde et sa bonté infinie, de ce que le Verbe avait pris chair humaine d'une vierge pour racheter le monde et donner le salut éternel aux hommes. Étant tous trois particulièrement animés et dirigés par le même esprit, ils résolurent de. partir sans délai pour la Judée, et de chercher l'Enfant-Dieu pour l'adorer; ils préparèrent les présents d'or, d'encens et de myrrhe qu'ils devaient lui porter dans une égale quantité, parce qu'ils étaient en tout conduits avec. mystère, de sorte que sans qu'ils se fussent rien communiqué, les dispositions et les mesures qu'ils, prirent pour leur voyage furent absolument conformes; et pour hâter leur prompt départ, ils préparèrent le môme jour les chameaux, les provisions et les domestiques qui leur étaient précisément nécessaires. Et sans s'arrêter à l'effet étrange que produirait aux yeux du peuple, de les voir se rendre dans un royaume étranger avec si peu de faste et de suite, sans avoir même une connaissance certaine du lieu, (1) Isa., VII, 14. - (2) Isa., XXXV, 4. 403 ni aucun signe assuré pour reconnaître l'Enfant, ils se décidèrent , dans la ferveur de leur zèle et dans l'ardeur de leur amour, à aller aussitôt le chercher. 556. En ce même moment, le saint ange qui avait été envoyé de Bethléem aux rois, forma de la matière de l'air une très-brillante étoile, quoiqu'elle ne fait pas aussi grande que celles du firmament, car elle ne monta pas plus haut que la fin de sa formation ne l'exigeait; elle resta dans la région aérienne pour conduire les rois jusqu'à la grotte où était l'Enfant-Dieu. Elle avait une clarté propre qui était différente de celle du soleil et des autres étoiles, et par sa très-belle et très-agréable lumière elle éclairait de nuit comme un flambeau radieux, et se distinguait pendant le jour, malgré la splendeur du soleil, par un éclat extraordinaire. Ces rois ne furent pas plutôt sortis de chez eux, qu'ils virent la nouvelle étoile, unique dans son espèce, parce qu'elle fut placée à une telle distance et hauteur, qu'elle parut à tous trois au môme instant, quoiqu'ils se trouvassent en des endroits différents. Et comme ils prirent tous trois la routé que l'étoile miraculeuse leur marquait, ils ne tardèrent pas de se joindre; et alors elle s'en approcha beaucoup plus; s'abaissant de plusieurs degrés dans la région de l'air, de sorte qu'ils jouissaient de plus près de sa douce lumière. Ensuite ils se communiquèrent leurs révélations aussi bien que (1) Matth., II, 2. 404 leurs desseins, qui se trouvèrent être tout à fait les mêmes. Dans cette conférence, ils redoublèrent la dévotion et le désir qu'ils avaient d'aller adorer l'Enfaut-Dieu nouveau-né; et, remplis d'admiration et de ferveur, ils glorifièrent le Tout-Puissant en ses couvres et en ses sublimes mystères. 557. Les mages, guidés par l'étoile, poursuivirent leur chemin sans la perdre de vue, jusqu'à ce qu'ils fussent arrivés à Jérusalem. Et comme alors elle disparut, et que cette grande ville était la capitale de la Judée, ils furent portés à croire que c'était le lieu où son légitime et véritable Roi était né. Ils entrèrent dans la ville (1), et demandèrent hautement de ses nouvelles, disant : " Où est le Roi des Juifs qui vient de naître? Nous avons vu en Orient l'étoile qui annonce sa naissance; c'est pourquoi nous sommes venus pour le voir et pour l'adorer (2). " Hérode , qui à cette époque régnait en Judée, quoique sans aucun droit, et qui résidait à Jérusalem, fut averti de l'événement. Et cet inique prince, alarmé d'entendre parler de la naissance d'un autre roi plus légitime que lui, entra dans de très-grandes inquiétudes (3), et tous les habitants de-la ville en furent troublés avec lui, les uns pour le flatter, et les autres par la crainte d'une révolution. Aussitôt, comme le raconte saint Matthieu, Hérode fit assembler les princes des prêtres et les scribes, pour savoir d'eux en quel lieu devait naître le Christ, qu'ils attendaient suivant les Écritures (4). (1) Matth., II, 1. - (2) Ibid., 2. - (3) Ibid., 3. - (4) Ibid., 4. 405 Ils lui répondirent que, selon la prédiction d'un prophète (c'est Michée), il devait naître à Bethléem, parce qu'il avilit écrit que le chef qui conduirait le peuple d'Israël, en sortirait (1). 558. Hérode, informé du lieu de la naissance du nouveau Roi d'Israël, et se promettant dès lors de recourir à la ruse pour le perdre, congédia les prêtres et appela secrètement les mages, pour leur demander quand ils avaient vu paraître l'étoile qui annonçait sa naissance (2). Et après qu'ils le lui eurent appris avec sincérité, il les envoya à Bethléem , leur disant avec une malice hypocrite : " Allez, informez-vous exactement de l'Enfant, et lorsque vous l'aurez trouvé, faites-le- moi savoir, afin que j'aille aussi le reconnaître et l'adorer (3). " Les mages partirent, laissant ce roi perfide tout inquiet et tourmenté des signes si infaillibles qui marquaient l'avènement du Maître légitime des Juifs. Il eut pu se rassurer sur la possession de sa grandeur, en considérant qu'un Enfant qui ne faisait que de naître ne pouvait pas sitôt régner; mais la fortune humaine est si faible et si trompeuse, qu'un enfant seul, ou la moindre menace d'un objet, même éloigné, suffit pour l'abattre, et de simples soupçons empoisonnent toutes les douceurs et toutes les jouissances qu'elle semble offrir à ses favoris. 559. En sortant de Jérusalem, les mages virent de nouveau l'étoile, qui avait disparu à leurs yeux lorsqu'ils (1) Matth., II, 5; Mich., V, 7. - (2) Matth., II, 7. - (3) Ibid., 8. 406 qu'ils y étaient entrés guidés par sa lumière. Ils arrivèrent à Bethléem, et à la grotte de la nativité, sur laquelle l'étoile s'arrêta (1); s'abaissant ensuite insensiblement et diminuant sou volume matériel, elle pénétra par la porte et se plaça sur la tète de l'enfant Jésus, qu'elle couvrit de ses rayons; après quoi elle s'éclipsa pour se dissoudre dans les éléments dont elle avait été formée. Le Seigneur avait déjà fait savoir l'arrivée des rois à notre grande Reine : et quand elle apprit qu'ils étaient proche de la grotte, elle en prévint sort saint époux Joseph, non afin qu'il s'écartât, mais afin qu'il se tînt à son côté, comme il fit. Et quoique le texte sacré de l'Écriture ne le porte pas, parce que c'était inutile pour l'exposition du mystère, comme il ne porte pas non plus beaucoup d'autres choses que les évangélistes ont passées sous silence, il est pourtant certain que saint Joseph se trouva présent quand les rois adorèrent l' Enfant Jésus. Il n'était pas nécessaire de prendre des précautions à cet égard, car les mages étaient déjà informés que la mère du nouveau-né était vierge, que son très-saint fils était Dieu (2), et que saint Joseph n'était point son véritable père. Il est constant aussi que Dieu n'aurait pas appelé les rois pour l'adorer sans les avoir auparavant instruits d'une chose si essentielle, et prémunis contre l'erreur qui leur aurait fait croire qu'il était fils de Joseph, et d'une mère qui n'eùt pas été vierge. Ils venaient bien instruits de tout, et avec (1) Matth., II, 9. - (2) Isa., VII, 14 ; IX, 6. 407 des sentiments proportionnés à des mystères si sublimes. 560. La divine Mère attendait les dévots et pieux rois avec l'Enfant-Dieu, qu'elle tenait dans ses bras elle apparaissait ornée d'une modestie et d'une beauté incomparables; et, à travers son humble pauvreté, on découvrait en elle des marques d'une majesté plus qu'humaine, dont le rayonnement perçait sur son visage. La splendeur de l'Enfant était beaucoup plus grande, et il rejaillissait de son adorable personne une si douce et si agréable lumière, que la grotte en devint un paradis. Les trois rois de l'Orient y entrèrent (1), et au premier aspect du Fils et de la Mère ils furent assez longtemps subjugués par l'admiration. Ensuite ils se prosternèrent, et dans cette posture ils adorèrent l'Enfant, le reconnaissant pour Dieu et homme véritable, et pour le Restaurateur du genre humain. Ils furent de nouveau éclairés intérieurement par la grâce divine et par la présence du très-doux Jésus; et alors ils virent la multitude des esprits angéliques qui, en qualité de serviteurs et de ministres du grand Roi des rois et du Seigneur des seigneurs (2), assistaient avec une sainte crainte et avec un très-profond respect. Après avoir rendu ce culte, ils se relevèrent et félicitèrent aussitôt leur Reine et la nôtre du bonheur qu'elle avait d'être Mère du Fils du Père éternel ; ils lui témoignèrent leur vénération en fléchissant le genou devant (1) Matth., II, 9. - (2) Hebr., I, 14; Apoc., XIX, 16. 408 elle et ils demandèrent à lui baiser la main, comme on le pratiquait dans leurs royaumes envers les reines. La très-prudente Dame retira la sienne, et leur présenta celle du Rédempteur du inonde, en leur disant : " Mon âme glorifie le Seigneur, et mon esprit se réjouit en lui de ce qu'il vous a choisis et appelés d'entre toutes les nations pour voir et pour connaître le Verbe incarné; c'est un bonheur que plusieurs rois et prophètes ont souhaité sans l'obtenir (1). Glorifions et louons son saint nom pour les sublimes mystères, et les grandes miséricordes dont il use envers son peuple ; baisons la terre qu'il sanctifie par sa présence réelle. " 561. Après le discours de l'auguste Marie, les trois rois se prosternèrent et adorèrent de nouveau l'Enfant-Jésus; ils reconnurent le grand bienfait qu'ils recevaient du Ciel, qui leur. faisait naître si heureusement le Soleil de justice pour dissiper leurs ténèbres (2). Ensuite ils s'adressèrent à saint Joseph, et le félicitèrent du bonheur qu'il avait d'être l'époux de la Mère de Dieu, admirant avec une sorte de compassion que les plus grands mystères du ciel et de la terre fussent cachés en une si extrême pauvreté. Et après avoir passé ainsi trois heures, ils demandèrent la permission à la sainte Vierge d'aller à la ville pour y chercher un logement, la grotte étant trop petite pour pouvoir y demeurer. Ils étaient accompagnés de plusieurs personnes, mais il n'y eut que les seuls (1) Luc., X, 24. - (2) Malach., IV, 2 ; Luc., II, 78. 409 mages qui participassent aux effets de la lumière et de la grâce. Les autres, qui ne s'attachaient qu'à l'extérieur et qu'à l'état pauvre et méprisable de la mère et de son époux, ne connurent point le mystère; ils furent seulement surpris de l'étrangeté du spectacle. Enfin les rois prirent congé, et la très-pure Marie et Joseph restèrent seuls avec l'Enfant, glorifiant par de nouveaux cantiques de louange la divine Majesté; de ce que son saint nom commençait à être eonnn et adoré des nations (1). Je raconterai dans le chapitre suivant les autres choses que les mages firent. Instruction que je reçus de la Reine du ciel. 562. Ma fille, il y a dans les choses que ce chapitre contient, de grandes instructions pour les rois et pour les princes, de m¢me que pour les autres enfants de la sainte. Église, s'ils veulent faire réflexion sur la prompte dévotion et la profonde humilité des mages, pour les imiter, et sur l'inique dureté d'Hérode, pour la craindre et l'éviter, car chacun d'eux ne fit que cueillir le fruit de ses oeuvres : les rois, celui des vertus et de la justice qu'ils exerçaient, et Hérode, celui de son aveugle ambition, de l'orgueil avec lequel il régnait injustement, et de plusieurs autres (1) Ps. LXXXV, 9. 410 péchés dans lesquels le précipitèrent des passions effrénées et insatiables. Cela, joint aux autres avis salutaires que distribue la sainte Église, peut suffire à ceux qui vivent dans le monde. Mais pour vous, ma fille, vous devez vous pénétrer de tout ce que vous avez écrit, et vous approprier les leçons qui en ressortent, considérant que toute la perfection de la vie chrétienne doit être établie sur les fondements des vérités catholiques, et sur une ferme et constante adhésion à ces vérités, comme la sainte foi de l'Église l'enseigne. Et afin de mieux les graver dans votre coeur, vous devez profiter de tout ce que vous lirez et entendrez des divines Écritures, et des autres livres dévots qui contiennent la doctrine des vertus. Il faut que cette foi soit suivie de la pratique de ces mêmes vertus, par l'abondance de toutes les bonnes couvres, dans la perpétuelle attente de la visite et de la venue du Très-Haut (1). 563. Par cette disposition votre volonté sera prompte comme je veux qu'elle le soit, afin que celle du Tout-Puissant trouve en vous la souplesse et la soumission nécessaire, pour vous empêcher de résister à ce qu'il vous manifestera, et pour vous faire agir sans aucun respect humain, aussitôt qu'il vous aura parlé. Si vous êtes docile à cet avis comme vous devez l'être, je vous promets d'être votre étoile et de vous conduire par les voies du Seigneur, où vous marcherez avec célérité (2), jusqu'à ce que vous parveniez à (1) Tit., II, 13 . - (2) Prov., IV, 11 ; Ps., LXXXIII, 7. jouir de la face de vôtre Dieu, et de votre souverain bien dans Sion. Il se trouve une vérité très-essentielle pour le salut des rimes en cette doctrine, et en ce qui arriva aux dévots rois de l'Orient, mais elle est connue de très-peu de personnes, et il y en a encore moins qui y fassent réflexion. C'est que les inspirations que Dieu envoie aux créatures ont régulièrement cet ordre: que les premières excitent à pratiquer quelques vertus; et si l'âme répond à celles-là, le très-Haut lui en envoie d'autres plus vives, afin qu'elle opère avec plus d'excellence : de sorte que, profitant des unes, elle se dispose aux autres, et se ménage de nouveaux et de plus grands secours. Ainsi les faveurs du Seigneur augmentent à proportion que la créature y correspond. fous découvrirez deux choses en cette vérité : la première, combien il est préjudiciable aux hommes de négliger les actes de quelque vertu que ce soit, et de ne pas les pratiquer selon les mouvements des divines inspirations. La seconde, que bien souvent Dieu départirait de très-grandes grâces aux âmes , si elles commençaient par correspondre aux plus petites; car il est prêt, et il attend pour ainsi dire qu'on lui permette d'opérer selon l'équité de ses jugements et de sa justice (1). Et parce qu'elles méprisent cet ordre et ce procédé des évolutions de leur vocation, il suspend les effusions de sa Divinité, et ne distribue point les grâces qu'il souhaiterait de communiquer, et que ces mêmes âmes (1) Apoc., VI, 10. 412 recevraient si elles; n'y mettaient aucun obstacle; et n'est pour cela qu'elles tombent d'abîme en abîme (1). 564. Les mages et Hérode tinrent des chemins bien opposés; car ceux-là correspondirent par des bonnes oeuvres aux premières grâces; ainsi ils se disposèrent par la pratique de toute sorte de vertus à être appelés et amenés par la révélation divine à la connaissance des mystères de l'incarnation, de la naissance du Verbe et de la rédemption du genre humain; et avec ce bonheur ils obtinrent celui d'être saints et parfaits dans le chemin du ciel. Mais il advint tout le contraire à Hérode, car sa dureté et le mépris qu'il fit d'opérer le bien par le secours du Seigneur, le portèrent à un foi orgueil et à une ambition démesurée. Et ces vices 1'entrainèrent jusque dans le dernier précipice de la cruauté, puisqu'il fut le premier de tous les hommes qui forma le dessein de faire mourir le Rédempteur du monde, se couvrant à cet effet du masque d'une fausse piété et,d'une dévotion hypocrite. De sorte que donnant un libre cours à sa fureur, il, fit périr tous les innocents enfants, pour l'envelopper dans le massacre général et assurer le succès de ses desseins pervers. (1) Ps. XLI, 8. 12/30 CHAPITRE XVII. Les mages viennent voir et adorer une seconde fois l'Enfant Jésus. - Ils lui offrent leurs présents, et après avoir pris congé ils retournent en leur pays par un autre chemin. Instruction que me donna l'auguste Reine du ciel. CHAPITRE XVIII. L'auguste Marie et Joseph distribuent les dons des, mages, et demeurent en Bethléem jusqu'à la présentation de l'Enfant Jésus dans le Temple. Instruction de la Reine du ciel Marie, notre sainte Maîtresse. CHAPITRE XIX. L'auguste Marie et Joseph partent de Bethléem avec l'Enfant Jésus, et vont à Jérusalem pour l'offrir dans le Temple et pour accomplir la loi. Instruction que la Reine du ciel me donna. CHAPITRE XX. La présentation de l'Enfant Jésus dans le Temple, et ce qui s'y passa. Instruction que la très-sainte Vierge me donna. CHAPITRE XXI. Le Seigneur avertit l'auguste Marie de fuir en Égypte. L'Ange parle à, saint Joseph,. - Plusieurs autres choses relatives au voyage. Instruction que la reine du ciel me donna. CHAPITRE XXII. Jésus, Marie et Joseph entreprennent le voyage d'Égypte, accompagnés des esprits angéliques. - Ils arrivent à la ville de Gaza. Instruction que notre divine Maîtresse me donna. CHAPITRE XXIII. Jésus, Marie et Joseph poursuivent leur voyage, et vont de Gaza à Héliopolis, ville d'Égypte. Instruction que je reçus de la très-sainte Vierge. CHAPITRE XXIV. Les voyageurs Jésus, Marie et Joseph, après quelques détours dans le désert, arrivent à la ville d'Héliopolis. - Grandes merveilles qui y furent opérées. Instruction que je reçus de l'auguste Reine du ciel. 413 CHAPITRE XVII. Les mages viennent voir et adorer une seconde fois l'Enfant Jésus. - Ils lui offrent leurs présents, et après avoir pris congé ils retournent en leur pays par un autre chemin. 565. Les trois rois sortirent de la grotte où ils étaient entrés par le chemin le plus direct, pour aller reposer dans une des hôtelleries de la ville de Bethléem ; et s'étant retirés tout seuls dans un appartement, ils passèrent la plus grande partie de cette nuit à s'entretenir avec une abondance de soupirs et de larmes, de ce qu'ils avaient vu, des effets qu'ils avaient ressentis, et de ce qu'ils avaient remarqué en l'Enfant- Dieu et en sa très-sainte Mère. Dans ce dévot entretien ils s'enflammèrent davantage du divin amour, et ne cessaient d'admirer la majesté et la splendeur de l'Enfant, Jésus , la prudence, la gravité et la modestie incomparables de la divine Mère, la sainteté du bienheureux époux Joseph, leur extrême pauvreté, et la bassesse du lieu où le Seigneur du ciel et de la terre avait voulu naître. Ces rois sentaient une divine flamme qui embrasait leurs coeurs, et ne pouvant contenir leurs délicieux transports, ils exhalaient ensemble les doux sentiments de vénération et d'amour 415 dont les pénétrait ce mystère; ils disaient: " Quel est le feu qui nous anime? Quelle efficace est celle de ce grand Roi, qui excite en nous de tels désirs et de telles affections? Que ferons-nous pour vivre a encore au milieu des hommes? Comment pourrons-nous retenir nos larmes et nos soupirs? Coma ment devront se comporter ceux qui ont connu un a mystère si nouveau et si sublime? O grandeur du Tout-Puissant cachée aux hommes (1), et renfermée dans nue si grande pauvreté ! O humilité qui n'aurait jamais pu être imaginée des mortels! Qui pourrait vous attirer tous dans ce saint lieu, afin que personne ne fût privé de ce bonheur ! " 566. Dans cette divine conférence les mages se souvinrent des grands besoins de Jésus, Marie et Joseph dans la grotte, et ils voulurent aussitôt leur envoyer quelque présent pour leur témoigner leur tendre affection, et satisfaire jusqu'à un certain point le désir qu'ils avaient de leur être utile, tant qu'ils ne pourraient pas faire davantage. Ils leur firent donc remettre par leurs serviteurs plusieurs de leurs provisions, qu'ils joignirent à d'autres qu'ils se procurèrent. L'auguste Marie et Joseph les reçurent avec une humble reconnaissance, mais leurs remerciements ne consistèrent pas, suivant l'usage ordinaire , en des actions de grâces stériles, mais en beaucoup de bénédictions efficaces qui remplirent les trois rois de joie spirituelle. Grâce à ce secours, notre grande Reine (1) Isa., XLV, 15. 415 eut de quoi régaler les pauvres ses conviés habituels, qui, étant accoutumés à ses aumônes, et encore plus attirés parle charme de ses paroles, la visitaient souvent. Les mages, pénétrés d'une consolation divine, prirent leur repos; et l'ange les avertit dans un songe de la route qu'ils devaient prendre. 567. Le jour suivant, ils retournèrent dès l'aube à la grotte de la nativité pour offrir su Roi céleste les dons qu'ils avaient apportés. A peine arrivés, ils se prosternèrent devant lui et l'adorèrent avec une très-profonde humilité; puis ouvrant leurs trésors, comme dit l'Évangile, ils lui présentèrent de l'or, de l'encens et de la myrrhe (1). Ils s'adressèrent à la divine Mère, et la consultèrent sur plusieurs choses qui regardaient les mystères de la foi, leur conscience et le gouvernement de leurs États: car ils souhaitaient de s'informer de tout avant que de partir, pour régler leur conduite sur la plus grande perfection. L'auguste Princesse les écouta avec beaucoup de complaisance, et, lorsqu'ils lui proposaient quelque doute, elle demandait intérieurement à son adorable Fils ce qu'elle devait répondre et enseigner à ces nouveaux enfants de sa sainte loi. Et elle résolut, comme Maîtresse et comme organe de la Sagesse divine, toutes leurs difficultés d'une manière si sublime, elle les instruisit et les sanctifia avec tant d'efficace, que, ravis et charmés de la science et de la douceur de notre aimable Reine, ils ne pouvaient s'en éloigner; de sorte qu'il (1) Matth., II, 11. 416 fallut qu'un ange leur dit que c'était la volonté du Seigneur qu'ils retournassent en leur pays. On ne doit pas être surpris de cela, car ils furent, par les paroles de la sainte Vierge, éclairés du Saint-Esprit et remplis d'une science infuse en tout ce qu'ils lui proposèrent et en plusieurs autres matières. 568. La divine Mère reçut les dons des rois, et les présenta à l'Enfant Jésus en leur nom. Et sa Majesté témoigna par un sourire qu'elle les acceptait avec complaisance; elle leur donna sa bénédiction d'une certaine manière, dont les rois purent s'apercevoir, comprenant qu'elle la leur accordait pour les présents qu'ils venaient de lui offrir, avec une abondance dé faveurs célestes à plus du centuple (1). Ils présentèrent à la divine Princesse plusieurs joyaux d'un prix fort considérable et qui étaient d'usage dans leur pays; mais, comme ces objets n'avaient point trait au mystère, elle les rendit aux Rois, et ne voulut conserver que les trois dons symboliques de l'or, de l'encens et de la myrrhe. Et, afin qu'ils s'en retournassent avec plus de consolation, elle leur donna quelques-uns des langes qui avaient servi à l'Enfant-Dieu, n'ayant point d'autre gage sensible dont elle les prit enrichir avant leur départ. Les trois rois reçurent ces reliques avec tant d'estime et de vénération, qu'ils les tirent garnir d'or et de pierres précieuses, et les conservèrent avec une très-grande dévotion. Il en sortait, en témoignage de leur excellence, une odeur si (1) Matth., XIX, 29. 417 agréable et si pénétrante, qu'on la sentait presque à une lieue de distance : avec cette particularité pourtant qu'elle ne se communiquait qu'à ceux qui avaient foi en la venue de Dieu sur la terre; car les autres qui n'y croyaient pas n'avaient aucune part à cette odeur céleste des précieuses reliques, par le moyen, desquelles les mages firent de grands miracles en leur pays. 569. Ils offrirent aussi à la Mère du très-doux Jésus leurs services, leurs revenus et tout ce qu'ils possédaient; lui disant que si elle préférait demeurer en ce lieu de la naissance de son très-saint Fils, ils lui feraient bâtir une maison oit elle. trouverait plus de commodités. La très-prudente Mère les remercia de tontes ces offres, sans qu'elle en voulût accepter aucune. Ensuite les rois la supplièrent instamment de bien vouloir ne pas les oublier; et c'est ce qu'elle leur promit et exécuta avec beaucoup de charité; ils demandèrent la même chose à saint Joseph. Et après avoir reçu la bénédiction de Jésus, de Marie et de Joseph, ils leur firent des adieux Si affectueux et si tendres, qu'il semblait que leurs coeurs dussent entièrement se fondre en soupirs et en larmes dans ce saint lien. Ils résolurent enfin de partir et de prendre un autre chemin que celui de Jérusalem pour éviter la rencontre d'Hérode, comme l'Ange les en avait avertis cette même nuit pendant leur sommeil (1); et, au moment où ils sortirent de Bethléem, la même étoile ou (1) Matth., II, 12. 418 peut-être une autre leur apparut, et les conduisit par une route différente jusqu'à l'endroit où ils s'étaient rejoints; et là ils se séparèrent pour retourner chacun dans ses États. 570. Tout le reste de la vie de ces fortunés rois répondit à leur divine vocation : car ils agirent comme disciples de la Maîtresse de sainteté, gouvernant selon sa doctrine et leurs Mmes et leurs sujets. Ils convertirent un grand nombre de personnes à la connaissance de Dieu et au chemin du salut par leurs bons exemples et par les preuves qu'ils leur donnèrent de l'avènement du Sauveur du monde. De sorte qu'ils achevèrent leur course en toute sainteté et justice, remplis de jours et de mérites , et favorisés pendant leur vie et en leur mort de la Mère de la miséricorde. Après que les rois furent partis, notre-divine Dame et son saint époux Joseph,se mirent à chanter de nouvelles hymnes de louange pour remercier le Très- Haut des merveilles qu'il venait d'opérer. lis les confrontaient avec les saintes Écritures et avec les prophéties des patriarches, et ils voyaient avec une joie inexprimable que leurs prédictions commençaient à s'accomplir en l'Enfant Jésus (1). Mais la très-prudente Mère, qui pénétrait profondément ces sublimes mystères, les conservait dans son coeur et les repassait souvent dans son esprit (2). Les anges, qui assistèrent à toutes ces merveilles, félicitèrent leur Reine de ce que sou (1) Ps. LXXI, 10; Isa., LX, 6; Num., XXIV, 17; Tob., XIII, 14. - (2) LUC., II, 19. 419 très-saint Fils était connu et adoré des hommes (1) , et chantèrent de nouveaux cantiques à sa divine Majesté incarnée pour la glorifier des miséricordes quelle opérait en faveur des hommes. Instruction que me donna l'auguste Reine du ciel. 571. Ma fille, les dons que les mages offrirent à mon très-saint Fils étaient grands, mais l'affection avec laquelle ils les faisaient et le mystère qu'ils annonçaient étaient encore plus grands. C'est pourquoi ils furent très-agréables à sa divine Majesté. Pour vous, ma bien-aimée, je veux que vous lui offriez d'amoureuses actions de grâces de ce qu'il vous a faite pauvre par votre état : car je vous assure que le don que le Très-Haut estime le plus est la pauvreté volontaire, puisqu'on en trouve très-peu aujourd'hui dans le monde qui fassent un bon usage des richesses temporelles, et qui les consacrent à leur Dieu avec la même générosité et la même affection que ces saints rois. Les pauvres du Seigneur, dont le monde est plein, expérimentent et attestent combien la nature humaine est devenue avare et cruelle, puisqu'au milieu de tant de nécessiteux, il y en a si peu que les riches soulagent dans leur misère. Cette dureté odieuse (1) Ps. LXXXV, 9. 420 des hommes blesse les anges et contriste le Saint-Esprit, en prouvant que les âmes sont tellement dégradées, avilies, dégénérées, qu'elles ne rougissent pas d'user toutes leurs forces et toutes leurs facultés à la honteuse poursuite des biens périssables (1). Et ces gens là s'approprient les richesses comme si elles n'étaient que pour eux; ils en refusent la moindre part aux pauvres, leurs frères par la communauté d'origine et de nature; et les disputent de même au. Dieu qui les a créées, qui les conserve et qui peut les donner et les ôter selon sa volonté(2). Et ce qui est le plus déplorable, c'est que lorsque les riches peuvent acheter la vie éternelle par les biens passagers (3), ils s'en servent comme des insensés, pour se procurer leur propre perte par le mauvais usage qu'ils font des largesses du Seigneur. 572. Cette stupidité désastreuse est générale parmi les enfants d'Adam , et c'est pour cela que la pauvreté volontaire est si excellente et si assurée; mais quand dans cette pauvreté on partage avec joie le peu que l'on a avec le pauvre, alors on fait un grand présent au Seigneur de l'univers. Vous pouvez le lui faire, ma fille, en donnant à l'indigent une partie de ce que vous avez pour votre entretien; et en souhaitant de soulager tous les pauvres au prix de vos travaux et de vos sueurs, si la chose était possible. Mais votre offrande continuelle doit être l'or des oeuvres de l'amour, l'encens d'une fervente prière, la myrrhe d'une (1) Eccles., X , 19. - (2) I Reg., II, 7. - (3) Luc., XVI, 9. 421 patience inaltérable ,et d'une véritable mortification en. toutes choses. Et vous offrirez avec une ardents et prompte affection, sans tiédeur ni crainte, tout ce que vous ferez pour le Seigneur; car les oeuvres lâches on mortes ne sauraient être un sacrifice agréable aux yeux de sa Majesté. Pour offrir sans cesse ces dons de vos propres actions, il faut que la foi et la lumière divine brillent toujours dans votre coeur, pour vous montrer l'objet que vous.devez louer et glorifier; il faut aussi obéir constamment à cet aiguillon de l'amour dont vous presse sans relâche la droite du Tout-Puissant, afin que vous n'interrompiez jamais ce doux exercice , si propre aux épouses dé sa divine Majesté, puisque le titre d'épouse renferme l'obligation d'un amour et d'une affection continuelle. CHAPITRE XVIII. L'auguste Marie et Joseph distribuent les dons des, mages, et demeurent en Bethléem jusqu'à la présentation de l'Enfant Jésus dans le Temple. 573. - Les mages étant partis après avoir célébré dans la grotte le grand mystère de l'adoration de l'Enfant Jésus il ne restait plus à nos saints qu'à la quitter, puisqu ils n'avaient plus rien à attendre dans ce 422 pauvre sanctuaire. La très-prudente Mère dit à saint Joseph : " Mon seigneur et mon époux, ces présents que les rois ont laissés à notre Dieu et à notre Enfant ne doivent pas être inutiles; il faut qu'ils servent à sa Majesté et qu'ils soient bientôt employés selon son bon plaisir. Je ne mérite rien, et je ne dois pas me mêler des choses temporelles; ainsi disposez de tout cela comme d'une chose qui vous appartient, à mon Fils et à vous. " Le très-fidèle époux répondit avec son humilité et sa douceur ordinaires, s'en remettant à notre divine Dame du soin de la distribution. Mais l'auguste Reine insista en disant : " Si c'est par humilité, mon seigneur, que vous écartez ma demande, ayez-y égard par charité pour les pauvres, qui réclament la part qui leur revient, puisqu ils ont droit aux choses que leur Père céleste a créées pour leur entretien. " Là-dessus, l'auguste Marie et Joseph convinrent d'en faire trois parts: une à porter au temple de Jérusalem; ce fut l'encens, la myrrhe et une partie de l'or; une autre à offrir au prêtre qui avait circoncis l'Enfant, afin qu'il l'employât à son service et à celui de la synagogue ou maison de prière qui se trouvait à Bethléem; et la troisième pour les pauvres. Et c'est ce qu'ils exécutèrent avec beaucoup de libéralité et de ferveur. 574. Pour leur donner occasion de sortir de cette sainte grotte, le Tout-Puissant inspira à une pauvre, honnête et charitable femme, d'y aller quelquefois visiter notre Reine, parce que la maison où elle demeurait 423 était située près des murs de la ville et assez proche de ce sacré lieu. Cette dévote femme ayant ouï parler de l'arrivée des rois, et ignorant ce qu'ils étaient venus faire, alla le lendemain de leur départ trouver la très-sainte Vierge, et lui demanda si elle savait que certains mages qu'on disait être rois, fussent venus.de loin pour chercher le Messie. Notre divine Princesse, qui connaissait son bon naturel, profita de la circonstance pour l'instruire de la foi en général, sans lui déclarer en particulier le mystère qui était renfermé en elle et en son très-saint Fils, qu'elle avait entre ses chastes bras (1). Elle lui donna aussi une partie de l'or destiné aux pauvres, afin qu'elle s'en servit dans ses besoins. De sorte que cette heureuse femme se trouva favorisée en toutes les manières, et de plus en plus affectionnée à sa maîtresse et bienfaitrice. Elle lui offrit sa maison, et comme elle était pauvre, elle fut aussi très-propre pour loger les fondateurs de la sainte pauvreté. Elle la pressé fort de l'accepter, voyant combien mal à l'aise étaient dans la grotte l'auguste Marie, le bienheureux époux et le divin Enfant. Notre Reine ne rejeta point les propositions de sa voisine, mais elle lui répondit, avec beaucoup de témoignages de reconnaissance, qu'elle l'avertirait de' sa résolution. Elle les communiqua bientôt à saint Joseph, et après en avoir conféré ils déterminèrent d'aller demeurer dans cette maison jusqu'à ce que le temps de la purification et de la présentation au Temple fût arrivé. (1) Tob., XII, 7. 424 Ce qui les engagea le plus de: prendre ce parti, ce fut la proximité du lieu; ce fut aussi l'affluence du peuple qui commençait à accourir, à cause du bruit que faisait la nouvelle de la visite des rois. 575. La très-pure Marie, saint.Joseph et l'Enfant quittèrent enfin la sainte grotte, puisqu'il fallait s'y résoudre; mais ce ne fut pas sans émotion et sans de vifs regrets Ils se rendirent à la maison de cette heureuse femme, qui les reçut avec une grande charité, et leur céda les meilleurs appartements de son habitation. Tous les anges les accompagnèrent en la même forme humaine sous laquelle ils les assistaient toujours. Cela arrivait aussi toutes les fois que la divine Mère et son époux allaient visiter ce saint lieu, durant le séjour qu'ils firent dans cette fortunée maison. Et ils ne furent pas plutôt sortis de la grotte, que Dieu y mit un ange avec une épée flamboyante à la porte pour la garder, comme il avait fait au paradis terrestre (1). Et cet ange l'a gardée et la garde encore aujourd'hui; de sorte qu'aucun animal n'y est entré depuis ce temps-là. Et s'il n'en empêche point l'entrée aux ennemis de la.foi, qui ont sous leur pouvoir ce sanctuaire et les autres lieux saints, c'est à cause des secrets jugements du Très-Haut, qui laisse agir lés hommes pour les fins que sa sagesse et sa justice ordonnent; outre que les princes chrétiens pourraient suppléer à ce miracle, s'ils étaient véritablement zélés pour l'honneur et la gloire de Jésus- Christ, et s'ils (1) Gen. III, 24. 425 s'employaient avec ardeur au recouvrement des lieux saints, consacrés parle sang et parles traces du même Seigneur, ainsi que par celles de sa très-sainte Mère, et par les oeuvres de notre rédemption. Et quand il ne leur serait pas possible de les recouvrer, ils seraient toujours inexcusables de ne pas veiller, avec toute la sollicitude de la foi, à la décence du culte dans ces lieux pleins de mystères vénérables. Celui qui a la foi transporte les plus.grandes montagnes (1) ; car tout est possible à celui qui croit (2) ; et il m'a été révélé que la dévotion et la vénération de la Terre-Sainte, est un moyen des plus puissants et des plus efficaces pour établir et affermir les monarchies catholiques. Un prince vraiment chrétien ne saurait nier que s'il employait ses fonds à une si pieuse entreprise, il n'évitât par là même d'autres dépenses excessives et superflues, et qu'il ne fût également agréable à Dieu et aux hommes; car pour justifier celles qu'il ferait pour la Terre-Sainte, il ne serait pas nécessaire de chercher bien loin des raisons. 576. L'auguste Marie s'étant retirée dans la maison qu'elle trouva proche de la grotte, y resta jusqu'au moment où, d'après la loi, elle devait se présenter purifiée au Temple avec son très-saint Fils. Et, pour l'accomplissement de ce mystère, la plus sainte des créatures prit intérieurement la résolution de s'y disposer le mieux possible par de fervents désirs d'aller offrir dans le Temple son adorable Enfant au Père (1) Matth., XVII, 19. - (2) Marc., IX, 22. 426 éternel, de s'offrir elle-même avec lui, de l'imiter en toutes choses, et d'orner tellement son âme du mérite d'oeuvres sublimes, quelle pût devenir une hostie digne d'être offerte su Très-Haut. Dans cette préparation, qui dura tout le temps qui s'écoula jusqu'à la Purification, notre divine Dame fit des actes si héroïques d'amour et de toutes les vertus, que ni les hommes ni les anges ne sauraient l'exprimer. Cela étant, qu'en pourra dire une pauvre et inutile fille pleine d'ignorance comme je suis? Les âmes chrétiennes obtiendront l'intelligence de ces mystères par la piété et la dévotion, et pourront s'y initier aussi par une respectueuse contemplation. Et si l'on veut commencer par considérer les faveurs les plus compréhensibles que reçut la Vierge-Mère, on parviendra à connaître et à deviner les autres, qui dépassent la portée de l'humain langage. 577. L'Enfant Jésus parla à sa très-douce Mère d'une voix intelligible aussitôt qu'il fut né, quand il lui dit : Devenez semblable h moi, mon Épouse, en m'imitant, comme je l'ai marqué au chapitre X. Et, bien qu'il lui parlât toujours d'une manière très-distincte, c'était seulement à elle seule; car le saint époux Joseph ne lui entendit jamais prononcer un mot, jusqu'à ce que l'Enfant croissant s'adressa directement à lui, un an après sa naissance. Notre divine Dame ne découvrit point non plus cette faveur au saint, parce qu'elle savait qu'elle lui. était personnelle. Les paroles de l'Enfant-Dieu étaient accompagnées d'une majesté digne de sa grandeur et d'une (427) efficace qui marquait son pouvoir infini, comme étant destinées à la plus sainte, à la plus sage, à la plus prudente de toutes les simples créatures, et à Celle qui était sa propre Mère. Quelquefois il lui disait : Ma Colombe, ma Bien-Aimée, ma très- chère Mère (1). Le Fils et la aère passaient les jours et les nuits dans ces entretiens délicieux que les Cantiques renferment, et en plusieurs autres beaucoup plus tendres; de sorte que notre divine Princesse reçut tant de faveurs et de caresses, et ouït des paroles si douces, qu'elles ont surpassé tout ce qui se trouve dans les mêmes Cantiques, et tout ce que les âmes justes et saintes ont jamais dit ou pourront dire jusqu'à la fin du monde. Parmi ces aimables mystères, le très doux Enfant répétait souvent ces paroles : Ma Mère et ma Colombe, devenez semblable à moi. Et comme c'étaient des paroles de vie et d'une vertu infinie, comprises par l'auguste Marie au moyen de la science divine qu'elle avait de toutes les opérations intérieures de l'âme de son très-saint Fils, il n'est pas possible de décrire ni même de concevoir les effets qu'elles produisaient dans le plus intime du très-chaste et très-ardent coeur de la Mère d'un Fils qui était homme et Dieu. 578. Entre les privilèges les plus excellents et les bienfaits les plus rares que reçut l'auguste Marie, le premier et le fondement de tous les autres, ce fut d'être la Mère de Dieu. Le second, d'avoir été conçue sans péché. Le troisième, de jouir maintes fois, dans (1) Cant., II, 10. 428 le cours de sa vie, de la vision béatifique. Au quatrième rang vient la faveur permanente qui lui permettait de discerner nettement l'intérieur de l'âme très- sainte de son Fils et toutes ses opérations, afin de les imiter. Il était devant elle comme un très-pur et très- brillant miroir dans lequel elle ne cessait de se regarder, pour s'orner des précieux joyaux de cette âme très-sainte en les reproduisant en elle-même. Elle la voyait unie au Verbe divin, et reconnaissant avec une profonde humilité son humaine infériorité. Elle percevait fort distinctement les actions de grâces et les louanges que cette même âme rendait à Dieu de l'avoir créée et tirée du néant, comme toutes les autres âmes, de lui avoir fait des dons au-dessus de toutes en tant que créature, et surtout d'avoir élevé sa nature humaine jusqu'à l'union inséparable avec la Divinité. Elle observait les prières et les suppliques continuelles que cette âme bienheureuse adressait au Père éternel pour les hommes, et comment en toutes les autres choses elle commençait à travailler à leur rédemption et à leur enseignement, comme l'unique Réparateur et le seul Maître de la vie éternelle. 579. La très-pure Mère se mettait à imiter toutes ces œuvres de l'humanité sacrée de notre Seigneur Jésus-Christ. Nous avons beaucoup de choses à dire sur ce grand mystère dans la suite (le celte histoire; car dès l'incarnation et dès la naissance de sort Fils, elle eut toujours ce modèle présent et s'en servit pour régler toutes ses actions; de sorte qu'elle formait, comme une diligente abeille, le très-doux rayon de 429 miel des délices du Verbe incarné. Ce même Seigneur, qui vint du ciel pour être notre Rédempteur et notre Maître, voulut que sa très-sainte Mère, dont il reçut le corps humain, participât d'une manière très-relevée et très-particulière aux fruits de la rédemption générale, et qu'elle fût l'unique et insigne disciple en laquelle sa doctrine d'ut être gravée tellement au vif, qu'elle la rendit en tout aussi semblable à lui qu'une pure créature le pouvait devenir. On doit mesurer sur toutes ces faveurs et sur ces fins admirables du Verbe incarné la grandeur des oeuvres de sa très- sainte Mère, aussi bien que les délices qu'elle prenait avec lui lorsqu'elle l'avait entre ses bras et qu'elle l'appuyait sur son très chaste sein, qui était la couche fleurie de ce véritable Époux de nos âmes (1). 580. Pendant les jours que notre auguste Reine passa à Bethléem jusqu'à la Purification, elle fut visitée de quelques personnes qui étaient presque toutes des plus pauvres. Les unes allaient chez elle pour les aumônes qu'elles en recevaient, les autres. pour avoir appris l'arrivée des mages et leur entrée dans la grotte. Mais toutes s'y entretenaient de cette nouveauté et de la venue du Messie, parce qu'on disait alors publiquement parmi les Juifs (ce qui n'était point sans une disposition particulière de la divine Providence) que le temps de sa naissance s'approchait, et c'était le sujet le plus ordinaire de leur entretien. De sorte que la très-prudente Mère eut dans ces rencontres diverses (1) Cant., I, 16. 430 occasions de pratiquer de grandes choses, non-seulement parce qu'elle y gardait son secret et qu'elle y repassait dans son esprit, avec une sagesse admirable, tout ce qu'elle entendait et voyait (1), mais aussi parce. qu'elle s'y occupait à conduire les âmes à la connaissance de Dieu, i1 les confirmer en la foi, à les former à la pratique des vertus, à les éclairer sur les mystères du Messie, qu'elles attendaient, et à les tirer des grandes ignorances où elles étaient, comme personnes du vulgaire très-peu versées dans les choses divines. Ces bonnes gens tenaient quelquefois des propos si fabuleux et si puérils sur ces matières de religion, que le saint et naïf époux en souriait, et admirait en même temps les réponses remplies d'efficace de notre grande Dame, et la sagesse divine avec laquelle elle les instruisait; il était charmé de voir avec quelle patience elle les supportait, et avec combien d'humilité, de majesté et de douceur elle les amenait à la vérité et à la connaissance de la lumière, les laissant toutes satisfaites, consolées, et au courant de ce qu'il leur convenait de savoir, parce qu'elle avait des paroles de vie éternelle (2) qui pénétraient le plus intime de leur coeur, et qui les animaient d'une vive ferveur. (1) Luc., II, 19. - (2) Joan., VI, 69. 431 Instruction de la Reine du ciel Marie, notre sainte Maîtresse. 581. Ma fille., à 1a vue claire de la lumière divine, je connus mieux que toutes les créatures ensemble le bas prix qu'ont aux yeux du Très-Haut les dons et les richesses de la terre. C'est pour cela qu'il me fut pénible et gênant, dans ma sainte liberté, de me trouver chargée des trésors offerts par les rois à mon très-saint Fils. Mais comme l'humilité et l'obéissance devaient paraître dans toutes mes actions, je ne voulus ni me les approprier ni les distribuer que par la volonté de mon époux Joseph. Dans cette résignation, je me regardai comme sa servante, et comme n'ayant aucune prétention sur ces biens temporels; car c'est une chose très- blâmable et très-dangereuse pour vous autres, faibles créatures, de vous approprier quoi que ce soit des biens terrestres, soit richesse, soit honneur, puisque cela ne peut provenir que d'une cupidité sordide, d'une ambition déréglée et d'une vaine ostentation. 582. J'ai voulu, ma très-chère fille, vous dire tout cela, afin que vous soyez informée de toutes choses, et que vous ne receviez ni les dons ni les honneurs humains comme s'ils vous appartenaient, et encore moins lorsque ce sont des personnes distinguées par leur pouvoir et par leur qualité qui vous les font. Conservez votre liberté intérieure, et gardez-vous de 432 faire parade de ce qui ne vaut rien, et qui ne peut vous justifier devant Dieu. Si l'on vous donne quelque chose, ne dites jamais : On m'a donné, ou je viens de recevoir tel présent; mais dites que le- Seigneur l'a envoyé pour la communauté , et faites quelle prie sa Majesté pour celui qui a servi d'instrument à sa miséricorde. Vous le pouvez même nommer, afin qu'on le prie en particulier, et qu'on ne frustre point la personne qui fait l'aumône, de son intention. Vous ne devez pas non plus la recevoir par vous-même, car cela trahirait une espèce de cupidité, mais par celles qui sont destinées à cet office. Et si vous êtes obligée, à cause de la charge de supérieure que vous exercez, de remettre l'aumône (après l'avoir reçue dans le monastère) à la religieuse qui doit en faire profiter la communauté, que ce soit avec des marques d'indifférence et des réflexions qui prouvent que vous n'y êtes pas attachée. Cela ne vous dispensera point, bien entendu, de témoigner votre gratitude au Très-Haut et à l'auteur du bienfait, tout en vous en reconnaissant indigne. Il faut,aussi que vous fassiez les remerciements convenables, en qualité, de supérieure, quand on apportera quelque chose aux autres religieuses, en veillant avec, soin à ce qu'aussitôt tous les membres de la communauté y aient part, sans jamais rien retenir pour vous. Ne regardez point avec curiosité ce qui arrive au monastère, afin que les sens n'y prennent aucune vaine satisfaction, et ne soient point portés à souhaiter de tels présents, car la nature, fragile et remplie de passions, tombe à chaque, pas en 433 une foule de fautes auxquelles on fait fort peu d'attention. Il ne faut pas se fier à cette nature corrompue, parce qu'elle veut toujours plus qu'elle n'a, sans dire jamais c'est assez, et que plus elle reçoit plus elle convoite. 583. Mais ce en quoi je vous recommande d'être le plus vigilante, c'est dans le commerce intime et fréquent que vous devez avoir avec le Seigneur, par un amour, une louange et un respect continuels. C'est ici, ma fille, que je veux que vous travailliez de toutes vos forces, et que vous appliquiez sans relâche vos puissances et vos sens avec une attention incessante; sans cela, il s'ensuivra nécessairement que la partie inférieure qui appesantit l'âme, l'abattra, l'éloignera du bon chemin, et la précipitera en lai faisant perdre de vue le souverain Bien (1). Ce commerce amoureux du Seigneur est si délicat, qu'il suffit pour le perdre de prêter un seul instant l'oreille aux contes de l'ennemi (2); aussi fait-il tous ses efforts pour s'attirer l'attention des mortels, sachant très-bien que l'âme qui l'écoute sera punie par l'absence de l'objet de son amour (3). Celle qui a ignoré la beauté de cet objet par sa négligence, suit les traces de ses lâchetés, privée qu'elle est des délices divines. Et lorsqu'elle expérimente malgré elle la douleur et l'amertume qui résultent de cette perte, elle veut chercher et recouvrer ses premières délices, mais elle ne les trouve que rarement (4). De sorte que le démon, qui l'a trompée, (1) Sap., IX, 15. - (2) Cant., V, 6. - (3) Cant., I, 7; v, 7. - (4) Cant., III, 1 et 2. 434 lui offre d'autres plaisirs très-vils et fort au-dessous de ceux qu'elle avait accoutumé de goûter intérieurement; et c'est ce qui la jette dans la tristesse, dans le trouble, dans l'abattement, dans la tiédeur, dans le dégoût, et qui la remplit de confusion et l'environne de funestes dangers. 584. Vous avez, ma très-chère fille, quelque expérience de cette vérité, par la négligence que vous avez apportée à reconnaître les bienfaits du Seigneur. Il est temps que vous soyez prudente dans votre simplicité , et constante à conserver le feu du sanctuaire (1), sans perdre jamais de vue le même objet auquel j'ai été toujours attentive avec une continuelle application de toutes les forces et de toutes les puissances de mon âme. Et quoiqu'il y ait une grande distance de vous, qui êtes un chétif vermisseau, à ce que je vous propose d'imiter en moi, et que vous ne puissiez pas jouir du véritable bien aussi immédiatement que j'en jouissais, ni opérer avec une perfection semblable à la mienne; néanmoins, puisque je vous enseigne et que je vous découvre ce que je faisais pour imiter mon très-saint Fils, vous pouvez, selon vos forces, m'imiter, moi, en pensant que vous le regardez comme dans un miroir réflecteur. Car je le regardais par celui de sa très-sainte humanité, et vous le regardez par celui de mon âme et de ma personne. Que si le Tout-Puissant appelle toutes les âmes à cette haute perfection, si elles veulent s'y élever (2), (1) Levit., VI, 12 . - Math., XI, 28. 435 considérez ce que vous devez faire pour l'acquérir, puisque la droite du Très-Haut se montre si libérale et si puissante à votre égard pour vous attirer après lui (1). CHAPITRE XIX. L'auguste Marie et Joseph partent de Bethléem avec l'Enfant Jésus, et vont à Jérusalem pour l'offrir dans le Temple et pour accomplir la loi. 585. La quarantaine allait expirer pendant laquelle la femme qui avait enfanté un fils était, selon la loi, réputée impure (2), et demeurait dans la purification de l'enfantement jusqu'à ce qu'elle se fût présentée au Temple. La Mère de la pureté même, voulant accomplir cette loi, et satisfaire en même temps à celle de l'Exode (3), par laquelle Dieu commandait qu'on lui consacrât tous les premiers-nés, résolut de se rendre à Jérusalem, où elle devait se présenter dans le Temple avec le Fils unique du Père éternel et le sien, et se purifier comme les autres mères. Dans l'accomplissement de ces deux lois, elle n'hésita point à se soumettre, comme les autres (1) Cant., I, 3. - (2) Levit., XII, 4. - (3) Exod., XIII, 12. 436 femmes, aux prescriptions qui la concernaient. Ce n'était pas qu'elle ignorât son innocence ni sa pureté, car elle savait dès l'incarnation du Verbe qu'elle n'avait point contracté le péché originel. Elle n'ignorait pas non plus qu'elle eût conçu par l'opération du Saint-Esprit (1) et enfanté sans douleur, restant toujours vierge et plus pure que le soleil. Mais pour se soumettre à la loi commune, loin d'être arrêtée par sa prudence, elle était pressée par l'ardent désir de s'humilier jusqu'à la poussière, qui vivait toujours au fond de son coeur. 586. Elle pouvait avoir quelque doute touchant la présentation de son très-saint Fils, comme il arriva pour la circoncision, parce qu'elle le connaissait pour véritable Dieu et au-dessus des lois qu'il avait lui-même établies. Mais elle fut informée en cette circonstance de la volonté du Seigneur par la lumière divine, et par les actes mêmes de l'âme très-sainte du Verbe incarné; car elle y découvrit les désirs qu'il avait de se sacrifier, en se consacrant comme une hostie vivante au Père éternel, en reconnaissance de ce qu'il eût formé son corps et créé son âme, pour lui être un sacrifice agréable en faveur du genre humain et pour le salut des mortels (2). Et quoique la très-sainte humanité du Verbe produisît toujours ces actes, en se conformant à la volonté divine, non seulement comme compréhenseur, mais aussi comme voyageur et rédempteur, il n'en voulut pas moins (1) Luc., I, 15. - (2) Ephes., V, 2. 437 faire, selon la loi, cette offrande à son Père dans son Temple sacré, où tous l'adoraient et le glorifiaient, comme dans une maison de prière, d'expiation et de sacrifices (1). 587. Notre grande Dame s'entretint du voyage avec son époux. Après qu'ils l'eurent conclu, et préparé ce qui était nécessaire, ils prirent congé de la dévote femme qui les avait logés. Et l'ayant laissée remplie de bénédictions célestes, dont elle recueillit abondamment les fruits, quoiqu'elle ignorât le mystère de ses divins hôtes, ils allèrent visiter la grotte de la nativité, pour ne commencer leur chemin qu'après avoir rendu une dernière fois le culte de leur vénération à ce pauvre sanctuaire, pourtant si riche d'un bonheur qu'on ne connaissait pas encore. La divine Mère remit l'Enfant Jésus à saint Joseph, pour se prosterner à terre et adorer ce lieu sacré, témoin de tant de mystères vénérables. Et après qu'elle l'eut fait avec une vive émotion et avec une piété incomparable , elle dit à son époux : " Mon seigneur, donnez moi votre bénédiction, comme vous me la donnez toutes les fois que je sors de votre maison, afin qu'elle m'accompagne dans ce voyage. Je vous supplie aussi de me permettre de le faire nu-pieds, puisque je dois porter dans mes bras l'hostie qui doit être offerte au Père éternel. Cette action est mystérieuse, c'est pourquoi je souhaite de la faire, autant qu'il me sera possible, avec toutes les (1) Deut., XII, 5. 438 conditions et tout le respect qu'elle réclame. " Notre auguste Reine usait par décence d'une chaussure qui lui couvrait les pieds et lui tenait lieu de bas. Elle était faite d'une certaine plante dont les pauvres se servaient, comme du chanvre ou de la mauve, et quoiqu'elle fût tissue d'une manière grossière et capable de résister à la fatigue, elle était pourtant fort propre et fort honnête. 588. Saint Joseph lui ayant dit de se lever (car elle était encore à genoux), lui tint ce discours: " Le Fils du Père éternel que j'ai entre mes bras, vous donne sa bénédiction. Je suis bien aise que vous alliez à pied en le portant, mais non pas sans chaussure, parce que le temps ne le permet pas; contentez-vous de votre saint désir, qui sera a agréable au Seigneur, qui vous l'a inspiré. Saint Joseph usait quelquefois de son autorité à l'égard de l'auguste Marie, quoique toujours avec beaucoup de respect, pour ne pas la priver de la joie qu'elle trouvait à pratiquer l'humilité et l'obéissance. Et comme le saint ne lui commandait ainsi que pour lui obéir, par mortification et par humilité, il arrivait que tous deux étaient également humbles et obéissants. Il lui refusa d'aller déchaussée à Jérusalem, parce qu'il appréhendait que le froid n'altérât sa santé. Et cette crainte venait de ce qu'il ne connaissait pas l'admirable structure, ni la parfaite complexion de son corps virginal, ni plusieurs autres privilèges dont l'avait douée la main du Seigneur. Notre grande Reine ne répliqua plus à son époux, et se soumit à 439 l'ordre qu'il lui donnait de ne point marcher pieds nus. Elle se mit à genoux pour recevoir l'Enfant Jésus de ses mains, l'adora, et lui rendit des actions de grâces pour les biens qu'elle et tout le genre humain en avait reçus dans cette sacrée grotte. Elle pria sa Majesté de faire respecter ce sanctuaire, et d'en assurer la possession.aux catholiques, de sorte qu'ils ne cessassent jamais de l'estimer et de le vénérer. Puis elle le recommanda de nouveau au saint Ange que Dieu avait commis à sa garde. Enfin elle se couvrit du voile qu'elle portait quand elle était en voyage, et ayant pris dans ses bras le trésor du ciel, elle l'appuya sur son très-chaste sein, et l'enveloppa avec les plus grandes précautions pour le défendre des rigueurs de l'hiver. 589. Ils partirent de la grotte, après avoir tous deux demandé la bénédiction à l'Enfant-Dieu, qui la leur donna ostensiblement. Saint Joseph accommoda sur l'âne la layette contenant les langes du divin Enfant, et la part des présents des mages qu'ils avaient réservée pour offrir au Temple. Ensuite se déroula de Bethléem à Jérusalem la procession la plus solennelle qui eiit jamais eu lieu dans le Temple, car les dix mille anges qui avaient assisté à ces mystères, et les autres qui étaient descendus du ciel avec le très-saint et très doux nom-de Jésus, partirent de la sacrée grotte- en compagnie du Prince des éternités Jésus, de la Reine, sa Mère, et de saint Joseph, son époux. Tous ces courtisans du ciel allaient sous une forme humaine et visible; ils étaient si beaux et si resplendissants, 440 qu'en comparaison de leurs charmes divins, tout ce qu'il y a de plus précieux et de plus délectable dans le monde aurait paru moins que de la boue et des scories comparées avec l'or le plus fin; ils obscurcissaient lç soleil dans son plus grand éclat, et éclairaient du jour le plus brillant les nuits les plus sombres. Notre divine Reine et son époux Joseph jouissaient de leur vue. Tous ces esprits bienheureux célébraient le mystère par de nouveaux et d'admirables cantiques, qu'ils faisaient à la louange de l'Enfant-Dieu qui allait se présenter au Temple. Et c'est ainsi qu'ils firent les deux lieues qu'il y a de Bethléem à Jérusalem. 590. Le temps était très-rude, ce qui ne fut point sans une disposition particulière de Dieu ; on ne voyait que frimas et que glaces, qui, n'épargnant pas leur propre Créateur humanisé dans la faiblesse de l'enfance, le faisaient beaucoup souffrir; de sorte que, tremblant de froid comme homme véritable, il pleurait entre les bras de sa tendre Mère, dont l'âme était plus pénétrée de compassion et d'amour que son corps ne l'était des plus vives rigueurs de la saison. Notre puissante Reine s'adressa aux vents et aux éléments; et, comme Maîtresse de l'univers, elle les reprit avec une sainte indignation de ce qu'ils s'attaquaient à Celui qui les avait créés, et leur commanda avec empire de modérer leur rigueur, non envers elle, mais envers l'Enfant-Dieu. Ils obéirent à l'ordre de leur légitime Maîtresse, et l'air glacial se changea en un très-doux et très-agréable zéphyr pour l'Enfant, sans pourtant 441 s'adoucir pour la Mère; ainsi elle ressentait les incommodités de la saison sans que son très-saint Fils y fût exposé, comme je l'ai dit ailleurs et comme je le dirai dans la suite. Elle s'anima aussi contre le péché, dont elle avait été préservée, et lui dit : " O cruelle source de toute sorte de désordres ! tu es en tout inhumain, puisqu'il faut que, pour ton remède, le Créateur de l'univers soit maltraité des créatures qui en ont reçu l'être, qu'il leur conserve par sa puissance et par sa bonté infinie! Tu es un horrible monstre, toujours rebelle à Dieu; tu es le destructeur des créatures; tu les rends abominables et les prives de l'amitié de Dieu, qui est la plus grande des félicités. O enfants des hommes! jusqu'à quand aurez-vous le coeur appesanti et aimerez-vous la vanité et le mensonge? Cessez d'être si ingrats envers le Très-Haut et si cruels envers vous-mêmes. Ouvrez les yeux et regardez le danger qui vous menace. Ne méprisez point les menaces de votre Père céleste, et n'oubliez pas les instructions de votre Mère (2), qui vous a conçus par la charité; car le Fils unique du Père éternel, en prenant chair humaine dans mon sein, m'a faite Mère de toute la nature, et en cette qualité je vous aime ; et si le Seigneur permettait que je pusse souffrir toutes les peines qui ont été endurées depuis Adam jusqu'à présent, je les accepterais et les subirais avec complaisance pour votre salut. " (1) Ps. IV, 3. - (2) Prov., I, 8. 442 591. Pendant que notre divine Dame continuait sa route avec l'Enfant-Dieu, le souverain prêtre Siméon, qui se trouvait à Jérusalem, apprit dans une révélation que le Verbe incarné y venait, porté dans les bras de sa Mère, pour se présenter su Temple. La sainte veuve Anne eut la même révélation, et sut comme le pontife que Joseph accompagnait sa très-pure épouse; et qu'ils étaient réduits à une extrême pauvreté. Et s'étant communiqué ce qu'ils venaient d'apprendre, ils convinrent d'appeler l'économe du Temple, qui prenait soin du temporel; et, après lui avoir donné les indications nécessaires pour reconnaître les saints voyageurs, ils lui ordonnèrent de sortir par la porte du chemin qui va à Bethléem, d'aller à leur rencontre et de les accueillir dans sa maison avec toute la bienveillance et la charité possibles. L'économe exécuta ponctuellement les ordres qu'il avait reçus; ce qui procura une grande consolation à notre auguste Reine et à son saint époux, parce qu'ils étaient en peine de trouver une hôtellerie décente pour le divin Enfant. Cet hôte fortuné les laissa dans sa maison et s'empressa d'aller rendre compte de sa commission su grand prêtre. 592. La sainte Vierge et Joseph arrêtèrent le même soir ce qu'ils avaient à faire. Et la très-prudente Dame l'avertit d'aller porter incontinent les dons des Rois su Temple afin de les offrir sans bruit, ainsi que les aumônes et les offrandes doivent être faites : elle le pria d'acheter en retournant les tourterelles qu'ils devaient offrir publiquement le lendemain avec l'Enfant 443 Jésus (1). Tout cela fut exécuté par saint Joseph selon les souhaits de notre Princesse. De sorte qu'é tranger et peu connu, il put donner la myrrhe, l'encens et l'or à celui qui recevait les dons dans le Temple, sans qu'on songeât à remarquer quel était celui qui avait déposé une si grande aumône. Il eût pu s'en servir pour acheter l'agneau que les plus riches présentaient avec les premiers-nés (2); mais il ne le fit pas parce que, s'ils eussent publiquement offert les mêmes dons que les riches, cela ne se serait point accordé avec l'extrême simplicité de leur mise. Il n'était pas non plus convenable qu'ils s'écartassent en rien de la pauvreté et de l'humilité, eût-ce été avec une tin pieuse et honnête, parce que la Mère de la Sagesse nous a enseigné en toutes choses la perfection (3) aussi bien que son très- saint Fils, qui voulut naître, vivre et mourir pauvre (4). 593. Siméon était; comme dit saint Luc (5), juste et craignant Dieu; il attendait la consolation d'Israël; et le Saint-Esprit, qui était en lui, lui avait révélé qu'il verrait le Christ du Seigneur avant que de mourir (6). Il vint donc au Temple par l'inspiration da même Saint-Esprit; car, outre ce qu'il avait connu, il fut cette nuit- là illustré de nouveau par la divine lumière; et elle lui fit découvrir avec. une plus grande clarté tous les mystères de l'incarnation et de la rédemption du genre humain, et qu'en la très-pure (1) Luc., II, 24. - (2) Levit., XII, 6. - (3) Eccles., XXIV, 24. - (4) Matth., VIII, 20. - (5) Luc., II, 25 et 16. - (6) Ibid.. 27. 444 Marie s'étaient accomplies les prophéties où Isaïe avait annoncé qu'une vierge concevrait, qu'elle enfanterait un fils; que de la tige de Jessé naîtrait une fleur, et que cette fleur serait le Christ (1); il pénétra aussi toutes les autres prophéties. Il eut une très-claire lumière de l'union des deux natures en la personne du Verbe, et des mystères de la passion et de la mort du Rédempteur. Par la connaissance de choses si sublimes, il fut élevé au-dessus de lui-même et tout enflammé de désira de voir le Rédempteur du monde, Et comme il savait qu'il venait se présenter au Père éternel, il fut, par la force de cette divine lumière, conduit le lendemain au Temple (2), ou il arriva ce que je. dirai dans le chapitre qui suit. La même nuit, la sainte veuve Anne eut aussi, de son côté, révélation de la plupart de ces mystères; elle en conçut une très-grande consolation, parce qu'elle avait été, comme je l'ai dit dans la première partie de cette histoire, la Maîtresse de notre auguste Reine lorsqu'elle demeurait dans le Temple. L'évangéliste dit (3) qu'elle n'en sortait point, servant Dieu jour et nuit, jeûnant et priant; qu'elle était prophétesse, fille de Phanuel, de la tribu d'Aser; et, qu'ayant vécu sept ans en mariage, elle en avait alors quatre-vingt-quatre. Elle parla prophétiquement de l'Enfant-Dieu , comme l'on verra. (1) Isa., VII, 14 ; XI, 1. - (2) Luc., II, 27. - (3) Ibid., 87. 445 Instruction que la Reine du ciel me donna. 594. Ma fille, une des misères qui causent le malheur ou diminuent le bonheur des âmes, c'est de se contenter de faire les oeuvres de vertu avec négligence et tiédeur, comme au hasard, ou comme quelque chose de peu important. C'est par suite de cette inadvertance et de cette lâcheté que très-peu de personnes jouissent du commerce et gagnent l'amitié intime du Seigneur, qu'on ne peut acquérir que par un fervent amour. Et si on l'appelle fervent, c'est parce que, comme l'eau bout par le moyen du feu, de même cet amour élève l'âme au-dessus d'elle-même, au-dessus de tout ce qui est créé et au-dessus de ses propres couvres par la douce violence des divines flammes du Saint-Esprit. Car plus elle aime, plus elle s'enflamme, et cet amour produit en elle des sentiments insatiables qui lui font non-seulement mépriser et oublier les choses terrestres, mais trouver insuffisant et insipide tout le bien qu'elle peut faire. Et comme le coeur humain, lorsqu'il n'obtient pas ce qu'il aime avec ardeur, brûle, si c'est possible, d'un plus vif désir de l'acquérir par de nouveaux moyens; de même, quand l'âme est animée d'une fervente charité, elle s'évertue à désirer et à pratiquer toujours de nouvelles choses pour plaire à son bien-aimé; et tout ce qu'elle fait lui paraît insignifiant : de sorte qu'elle cherche à passer de la bonne à la parfaite volonté, et de celle-ci à l'acquiescement 446 au bon plaisir du Seigneur, jusqu'à ce qu'elle parvienne à l'union la plus intime et la plus complète, et jusqu'à la transformation en Dieu. 595. Cela vous fera comprendre, ma très-chère fille, la raison pour laquelle je désirais d'aller pieds nus au Temple, en portant mon très-saint Fils pour l'y présenter, et pour accomplir en même temps la loi de la purification; car je donnais à mes oeuvres toute la plénitude de perfection possible par la force de (amour, qui me demandait toujours ce qui était le plus parfait et le plus agréable au Seigneur, m'aiguillonnait sans cesse, et m'excitait à m'élever dans la pratique de toutes les vertus au plus haut degré de perfection. Tâchez de m'imiter avec tout le zèle que vous voyez en moi; car je voua avertis, ma fille, que c'est ce genre d'amour, que c'est ce mode d'agir que lé Très-Haut sollicite, en l'attendant comme caché derrière les treillis dont parle l'épouse (1), et à travers lesquels il regarde comment elle fait toutes ses oeuvres; et cela de si près, qu'il n'y a qu'un treillis qui l'empêche de jouir de sa vue. Parce qu'il suit pas à pas les âmes qui l'aiment et le servent de la sorte, comme en étant vaincu et épris; mais aussi il s'éloigne de celles qui sont tièdes, ou il ne les surveille plus que par une providence commune et générale. Aspirez toujours à ce qui est le plus parfait et le plus pur des vertus, approfondissez-les et cherchez-y continuellement de nouveaux moyens et de nouveaux secrets d'accroître (1) Cant., II, 9. 447 votre amour; et faites que toutes vos forces et toutes vos puissances intérieures et extérieures soient incessamment occupées à ce qui est le plus relevé, le plus excellent et le plus agréable au Seigneur. Subordonnez toutefois tous ces sentiments à l'obéissance, communiquez-les à votre Père spirituel, et dirigez-vous d'après son conseil; car c'est là le plus important et le plus sûr. CHAPITRE XX. La présentation de l'Enfant Jésus dans le Temple, et ce qui s'y passa. 596. Le Père éternel n'avait pas seulement droit sur la très-sainte humanité de Jésus-Christ en vertu de la création, comme sur toutes les autres créatures, mais elle lui appartenait aussi d'une manière spéciale en vertu de l'union hypostatique avec la personne du Verbe, qui était engendrée de sa propre substance, comme Fils unique et véritable Dieu de Dieu véritable. Néanmoins le Père détermina que son Fils lui serait présenté dans le Temple, tant à cause du mystère que cette cérémonie renfermait, que pour l'accomplissement de sa. sainte loi, dont notre Seigneur Jésus- Christ 448 était la fin (1). C'est pourquoi il fut prescrit aux Juifs de consacrer tous leurs premiers-nés (2), dans la perpétuelle attente de Celui qui le devait être du Père éternel (3) et de sa très-sainte Mère. Et cri cela, sa divine Majesté se comporta, pour ainsi dire, comme les hommes, qui sont bien aises qu'on les entretienne souvent de ce qu'ils aiment, et qu'on leur redise plusieurs fois ce qui leur agrée; le Père connaissait tout, savait tout par son infinie sagesse, et néanmoins il se plaisait en l'offrande du Verbe incarné, qui lui appartenait par tant de titres. 597. La Mère de la vie connaissait cette volonté du Père éternel, qui était celle de son très-saint Fils en tant que Dieu, et animait également l'humanité du même Seigneur, dont elle voyait que l'âme et les opérations étaient en tout conformes à la volonté du Père. Notre grande Princesse, ainsi éclairée, passa en' des entretiens tout divins la nuit qui suivit son arrivée à Jérusalem, et précéda la présentation. S'adressant au Père éternel, elle lui disait : " Seigneur Dieu Tout Puissant, Père de mon Seigneur, le jour s'approche auquel je dois vous offrir dans votre Temple l'hostie vivante, qui est le trésor de votre Divinité; cet heureux jour sera solennel pour le ciel et pour la terre. Cette offrande est très-riche, Seigneur, et elle suffit pour vous faire dispenser largement vos miséricordes au genre humain, pardonner aux pécheurs, consoler les affligés, secourir les nécessiteux, (1) Rom., X, 4. - (2) Exod., XIII, 2. - (3) Hebr., I, 6. 449 enrichir les pauvres, protéger les misérables, éclairer les aveugles et ramener ceux qui se sont écartés du bon chemin. C'est ce que je vous demande, Seigneur, en vous offrant votre Fils unique, qui est aussi le mien par un effet de votre bonté infinie. Et si vous me l'avez donné Dieu, je vous le présente Dieu et homme tout ensemble; son prix est infini et au-dessus de ce que je demande. Je retourne riche à votre Temple, d'où je suis sortie pauvre; et mon âme vous glorifiera éternellement de ce que votre divine main s'est montrée si libérale et si puissante à mon égard. " 598. Le jour étant arrivé auquel le Soleil de justice devait paraître au monde entre les bras de la très-pure aurore, la divine Dame prépara les tourterelles et deux cierges, et accommoda l'Enfant Jésus dans ses langes, puis sortit avec son saint époux Joseph de la maison, on ils avaient été reçus pour se rendre au Temple. La procession commença, et les anges qui étaient venus de Bethléem s'y trouvèrent en forme humaine, et tout resplendissants de lumière, comme je l'ai dit. Mais cette fois, ils ajoutèrent plusieurs beaux cantiques, qu'ils chantaient avec une ineffable harmonie à la louange de l'Enfant-Dieu; il n'y eut que l'auguste Marie qui les entendit. Et outre les dix mille anges qui allaient sous cette forme., il descendit du ciel un très-grand nombre d'autres purs esprits qui, se joignant à ceux qui portaient la devise du saint nom de Jésus, accompagnèrent le Verbe incarné à cette présentation. Ceux-ci n'avaient aucune forme 450 corporelle, ils allaient comme ils sont, et notre seule Princesse pouvait les voir. La bienheureuse Mère ressentit en arrivant à la porte du Temple de nouveaux et sublimes effets intérieurs d'une dévotion très-sensible; et continuant de s'avancer jusqu'au lieu où les autres femmes s'arrêtaient, elle se mit à genoux et adora lé Seigneur en esprit et en vérité (1) dans son saint Temple, après quoi elle s'offrit à la Majesté suprême , avec son Fils dans ses bras. Aussitôt la très-sainte Trinité se manifesta à elle par une vision intellectuelle, et il en sortit une voix du Père qui disait: Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je me plais uniquement (2); cette voix ne fut entendue que de la sainte Vierge. Le plus fortuné des hommes, saint Joseph, sentit en même temps une nouvelle et douce impulsion du Saint-Esprit, qui le remplit de joie et de lumière divine. 599. Le souverain prêtre Siméon, mù aussi du Saint-Esprit, comme il a été dit au chapitre précédent, entra dans le Temple (3); et, s'approchant du lieu où se trouvait notre Reine avec son Enfant Jésus entre les bras, il les vit tout rayonnants de gloire; mais cette splendeur ne lui parut pas égale, car l'éclat du Fils se distinguait de celui de la Mère. Ce prêtre était rempli d'années et vénérable sous tous les rapports. La prophétesse Anne l'était aussi; elle vint dans ce saint lien à la même heure, comme le raconte l'Évangile (4), et vit l'Enfant et la Mère dans un éclat (1) Joan., IV, 23. - (2) Matth., XVII, 5. - (3) Luc., II, 27. - (4) Ibid., 38. 451 merveilleux. Ils abordèrent la Reine du ciel pénétrés d'une consolation divine, et le prêtre reçut de ses mains l'Enfant Jésus. Et, levant les yeux au ciel, il l'offrit au Père éternel en disant ce cantique plein de mystères : Maintenant, Seigneur, vous permettrez à votre serviteur de mourir en paix, selon votre parole, puisque j'ai vu de mes yeux le Sauveur que vous nous donnez, et que vous avez destiné pour être découvert à toutes les nations et pour être la lumière qui doit éclairer les Gentils, et la gloire de votre peuple d'Israël (1). Et ce fut comme s'il eùt dit : Maintenant, Seigneur, vous me laisserez m'en aller libre et en paix, délivré des chaînes de ce corps mortel, où les espérances de votre promesse et le désir de voir votre Fils unique fait homme me retenaient. Je jouirai à présent d'une paix assurée et véritable, puisque j'ai vu mon Sauveur, votre Fils unique incarné, uni à notre nature pour lui donner le salut éternel, décrété avant tous les siècles dans le secret de votre divine sagesse et de votre miséricorde infinie. Vous l'avez, Seigneur, mis à la vue de tous les mortels en le faisant venir au monde, afin que tous, s'ils le veulent, puissent en jouir et en recevoir le salut et la lumière qui éclaire tout homme venant dans ce monde (2) : car il est le Soleil qui doit éclairer les Gentils et la gloire de votre peuple d'Israël (3). 600. L'auguste Marie et Joseph ouïrent ce cantique de Siméon, et ils admirèrent la sublimité de l'esprit (1) Luc., II, 29, etc. - (2) Joan., I, 9. - (3) Luc., II, 32. 452 qui le faisait parler. L'évangéliste les appelle parents de l'Enfant-Dieu, selon l'opinion du peuple (1), parce que la chose se passa eu public. Siméon continua son discours, et, s'adressant avec attention à la trèssainte Mère, il lui dit : Sachez, ô femme, que cet Enfant est établi pour la ruine et pour le salut de plusieurs en Israël; il sera un signe de contradiction ; votre âme, qui lui appartient, sera transpercée d'un glaive de douleur, afin que les pensées du coeur de plusieurs soient découvertes (2). Ainsi termina Siméon, et comme prêtre il bénit les heureux parents de l'Enfant. Ensuite la prophétesse Anne reconnut le Verbe incarné (3), et, illuminée de l'Esprit divin, elle dit plusieurs choses de ses mystères à ceux qui attendaient la rédemption d'Israël. De sorte que la venue du Messie, qui devait racheter son peuple; fut publiquement attestée par les deux saints vieillards. 601. Au moment où le prêtre Siméon prononçait les paroles prophétiques de la passion et de la mort du Seigneur, marquées par ces termes de glaive et de signe de contradiction; l'Enfant Jésus baissa lui-même la tête. Par cette action et par plusieurs actes d'obéissance intérieure, il accepta la prophétie du prêtre comme une sentence du Père éternel déclarée par son ministre. L'amoureuse Mère y connut tout cela; et, par l'intelligence de mystères si douloureux , elle commença d'éprouver la vérité de la prophétie de Siméon, ayant dès lors le coeur percé du (1) Luc., II, 33. - (2) Ibid., 34 et 35. - (3) Ibid., 38. 453 glaive qui la menaçait pour le temps à venir. Car tous les mystères que la prophétie enfermait lui furent intérieurement découverts et montrés comme dans un très- clair miroir. Elle vit que son très-saint Fils serait une pierre de scandale et un sujet de ruine pour les incrédules, et qu'il serait la vie pour les fidèles (1) : elle connut-la chute de la Synagogue et l'établissement de l'Église dans la gentilité; le triomphe que son adorable Fils remporterait sur les démons et sur la mort, mais qui lui conterait bien cher, puisqu'il ne le remporterait que par la mort ignominieuse et douloureuse de la croix (2); les contradictions que l'Enfant Jésus essuierait en lui- même et en son Église de la part de l'innombrable multitude des réprouvés (3), et enfin l'excellence des prédestinés. Cette auguste Reine comprit toutes ces choses; et, élevée entre la joie et la douleur de son âme aux actes.les plus parfaits par la compréhension de ces inénarrables. mystères et par la prophétie de Siméon, elle se livra à l'exercice des vertus les plus éminentes, et grava dans son coeur tout ce qu'elle apprit et tout ce qu'elle vit par la lumière divine et par les paroles prophétiques de Siméon, sans en perdre jamais le souvenir. Elle regardait son très- saint Fils avec une si vive douleur qui renouvelait continuellement es amertumes de bon âme, qu'elle seule comme, Mère, et Mère d'un Fils Dieu et homme, ressentit dignement ce qui ne nous (1) Isa., VIII, 14 ; I Petr., II, 8; Matth., XXI, 43 . - (2) Coloss., II, 15. - (3) Joan., XV, 20. 454 touche point à cause de la dureté et de l'ingratitude de nos coeurs. Le saint époux Joseph pénétra aussi plusieurs choses des mystères de la rédemption et des peines du très-doux Jésus lorsqu'il entendit ces prophéties. Mais la connaissance que le Seigneur lui en donna ne fut pas aussi étendue ni aussi générale que celle de sa divine épouse; et cela pour diverses rai sons, et parce que le saint n'en devait pas voir l'entière réalisation pendant sa vie. 602. La cérémonie achevée, notre grande Dame baisa la main au prêtre et lui demanda sa bénédiction. Elle en fît de même à l'égard de son ancienne maîtresse Anne; car, quoiqu'elle filet Mère de Dieu et que sa dignité surpassât toutes celles qui aient jamais pu avoir les femmes, les anges et les hommes, elle ne laissait pas de pratiquer les actes d'une profonde humilité. Elle retourna ensuite chez son hôte, et elle marchait avec l'Enfant-Dieu et son.époux, accompagnée des quatorze mille anges qui l'assistaient. Elle resta quelques jours à Jérusalem par dévotion, comme je le dirai, et durant son séjour elle eut divers entretiens avec le prêtre touchant les mystères de la rédemption et les prophéties qu'il lui avait annoncées. Et, quoiqu'elle employât très-peu de paroles dans ces conférences, elles étaient si éloquentes et si remplies de sagesse, que le prêtre en fut ravi d'admiration, et en ressentit de nouvelles consolations et de très-doux et très sublimes effets en son âme. Il en arriva de même à la sainte prophétesse Anne. Et ils moururent tous deux dans le Seigneur fort peu de temps après. 455 Le prêtre prit soin de leur faire fournir à ses dépens tout le nécessaire. Pendant le temps que notre Reine passa en cette maison elle allait souvent au Temple, où elle reçut de nouvelles faveurs qui adoucirent quelque peu la douleur que les prophéties du prêtre lui avaient causée. Et, afin de mieux la consoler, son très-saint Fils lui dit dans cette occasion : " Ma très chère Mère et ma Colombe, essuyez vos larmes et n dilatez votre coeur; puisque c'est la volonté de mon a Père que je subisse la mort de la croix. Il veut que vous partagiez mes peines et mes souffrances, et a moi je veux les endurer pour les âmes, qui sont les ouvrages de mes mains et faites à mon image et à ma ressemblance, afin de les conduire dans mon royaume et de les faire vivre éternellement avec moi après avoir triomphé de mes ennemis (1). C'est ce que vous souhaitez aussi. " La divine Mère répondit: " O mon très-doux amour et Fils de mes entrailles, si je pouvais partager votre sort autrement qu'en vous assistant de ma présence et de ma compassion, et en subissant la mort avec vous, je serais bien plus consolée, car ma plus grande douleur sera de vivre lorsque je vous verrai mourir. " Notre Princesse passa quelques jours dans ces saints exercices et dans ces amoureux et tendres épanchements, jusqu'à ce que saint Joseph fut inspiré de fuir en Égypte, comme je le dirai dans le chapitre suivant. (1) Ephes., II, 10; Gen., I, 27; Rom., VI, 8; Coloss., II, 15. 456 Instruction que la très-sainte Vierge me donna. 603. Ma fille, vous trouvez dans ce que vous avez écrit la leçon et l'exemple de la constance et de la générosité que vous devez tâcher d'avoir, toujours disposée à accepter avec égalité d'âme la prospérité et l'adversité, la douceur et l'amertume. O ma très-chère fille, que le coeur humain est faible et lâche pour supporter ce qui est pénible et contraire à ses inclinations terrestres ! Comme il regimbe contre les afflictions ! Avec quelle impatience il les reçoit ! Combien lui parait intolérable tout ce qui s'oppose à ses goûts! Et comme il oublie que son Maître et son Seigneur a été le premier à souffrir, et qu'il a honoré et sanctifié en lui-même la souffrance (1) ! Qu'il est honteux et en même temps qu'il est téméraire pour les fidèles de l'abhorrer ainsi, après ce que mon très-saint Fils a enduré pour eux, puisqu'il y a en plusieurs saints qui ont embrassé la croix avant qu'il y mourût , dans la seule vue de ce que le Christ y devait souffrir, quoiqu'ils ne le vissent pas encore. Et si ce peu de conformité qu'on a avec mon adorable Fils est si blâmable en tous, considérez, ma bien-aimée , combien il le serait davantage en vous, qui témoignez tant d'ardeur pour acquérir l'amitié et la grâce du Très-Haut, pour mériter le (1) I Petr., II, 21. 457 titre de son épouse et de sa favorite, et pour être toute: à lui comme lui tout à vous, et qui désirez aussi très-vivement d'être ma disciple, de m'avoir pour votre maîtresse; de me suivre et de m'imiter comme une fille fidèle. vous ne devez pas faire consister tout cela en de simples affections, ni répéter sana cesse Seigneur, Seigneur (1), et vous désoler et vous plaindre, lorsqu'il faudra goûter le calice, porter la croix et poser par les afflictions où est éprouvée la sincérité d'un coeur épris d'amour. 604. Ce serait désavouer par les oeuvres ce que vous protestez de faire par vos promesses, et sortir du chemin de la vie éternelle; car vous ne pouvez pas suivre Jésus-Christ que vous n'embrassiez la croix (2), et que vous ne vous plaisiez en elle: vous ne me trouverez pas non plus par une autre voie. Si les créatures vous abandonnent, si la tentation vous menace, si la tribulation vous afflige et si les douleurs de la mort vous environnent (3), il n'y a pas là de quoi vous troubler ni vous abattre , et vous nous offenseriez grièvement, mon très-saint Fils et moi, si vous ne. vous serviez point de sa puissante grâce pour vous défendre, et si vous la déshonoriez et la receviez en vain (4). En outre, vous donneriez lieu au démon de remporter. sur vous un grand triomphe, car il se glorifierait beaucoup d'avoir troublé ou abattu celle qu'il regarde comme la disciple de mon Seigneur (1) Matth., VII, 21. - (2) Marc., VIII, 34. - (3) Ps. XVII, 5. - (4) II Cor., VI, 1. 458 Jésus-Christ et la mienne: et si vous commenciez à défaillir dans les petites occasions, il vous perdrait dans les grandes. Confiez-vous donc, ma fille, en la protection du Très-Haut, et dans le soin que je prends de tout ce qui vous concerne. Et, pleine de cette foi, quand las tribulation vous visitera, répondez avec courage : " Le Seigneur est ma lumière et mon salut, qui est ce que je craindrai? Il est mon défenseur, a comment serai-je ébranlée (1)? J'ai une Mère, une Maîtresse et une Reine qui me protégera et veillera sur moi dans mon affliction. " 605. Tâchez par cette assurance de conserver la paix intérieure, et de ne me perdre, point de vue, afin que vous imitiez mes oeuvres et que vous suiviez mes traces. Pensez à la douleur,dont les prophéties de Siméon me percèrent le coeur; et voyez quel, calme je sus garder dans cette peine, sans me laisser ai agiter ni ébranler, quoique môn âme fût déchirée par le glaive. Tout ne me portait qu'à glorifier et qu'à révérer la sagesse admirable du Très-Haut. Si elle recevait les peines passagères avec un coeur joyeux et tranquille, la créature serait spiritualisée et élevée à une science divine, de sorte quelle ferait la plus grande estime des souffrances, et que bientôt elle trouverait la consolation et recueillerait le fruit du désenchantement et de la mortification des passions. Cette science s'apprend ù l'école du Rédempteur, qui est cachée aux habitants de Babylone et aux partisans (1) Ps., XXVI, 1. 459 de la vanité (1). Je veux aussi que vous m'imitiez en la vénération que j'avais pour les prêtres et les ministres du Seigneur, car leur excellence et leur dignité sont bien plus grandes maintenant que le Verbe s'est uni à la nature humaine, et s'est fait Prêtre éternel selon l'ordre de Melchisédech (2). Écoutez leur doctrine et leurs instructions, comme émanant de sa divine Majesté, dont ils tiennent la place. Considérez quel pouvoir et quelle autorité elle leur donne dans l'Évangile en disant : Celui qui vous écoute, m'écoute; et celui qui vous méprise, me méprise (3). Pratiquez ce qui est le plus saint, comme ils vous l'enseigneront; occupez-vous continuellement à méditer ce que mon très-saint Fils a souffert, et faites-le de telle sorte que vous preniez part à ses douleurs, que vous ayez de l'aversion et du dégoût pour les consolations terrestres, et que vous oubliiez tout ce qui est visible pour suivre l'auteur de la vie éternelle (4). (1) Matth., XI, 25. - (2) Ps. CIX, 4. - (3) Luc., X, 16. - (4) Matth., XIX, 27. 460 CHAPITRE XXI. Le Seigneur avertit l'auguste Marie de fuir en Égypte. L'Ange parle à, saint Joseph,. - Plusieurs autres choses relatives au voyage. 606. Après que la sainte vierge et son époux Joseph furent de retour du Temple, où ils avaient présenté l'Enfant Jésus, ils déterminèrent de demeurer encore neuf jours à Jérusalem, et d'y visiter autant de fois le Temple, en y renouvelant chaque jour l'offrande de la très-sainte Hostie, dont ils étaient les dépositaires, en actions de grâces du bienfait qu'ils avaient reçu entre toutes les créatures. Notre divine Dame révérait avec une dévotion singulière le nombre de neuf, en reconnaissance des neuf jours pendant lesquels elle avait été préparée pour l'incarnation du verbe, comme je l'ai dit dans les dix premiers chapitres de cette seconde partie, et en mémoire des neuf mois qu'elle l'avait porté dans son sein virginal. C'est pourquoi elle souhaitait de faire cette neuvaine avec son Enfant-Dieu, et de le présenter autant de fois au Père éternel, comme une offrande agréable pour de très-hautes fins qu'elle avait. Ils commencèrent la neuvaine en allant chaque jour au Temple avant l'heure de tierce, et ils y restaient en prières 461 jusqu'au soir, choisissant avec l'Enfant Jésus le lieu le plus bas; de sorte qu'ils se montrèrent dignes d'ouïr ces honorables paroles, que le maître du festin adressa à l'humble convié dans l'Évangile, quand il lui dit mon ami, montez plus haut (1). C'est ce que mérita notre très-humble Reine, et ce que pratiqua à son endroit le Père éternel, en la présence duquel elle répandait son âme (2). Et étant en prière dans un de ces neuf jours, elle lui dit : 607. " Suprême Roi, Seigneur et Créateur de tout ce qui a l'être, voici la cendre et la vile poussière que votre seule bonté ineffable a élevée à la grâce, qu'elle ne savait ni ne pouvait mériter. Je me sens, Seigneur, irrésistiblement poussée à la reconnaissance par le torrent impétueux de vos bienfaits. Mais quel digne retour pourra vous rendre celle qui, n'étant qu'un pur néant, a reçu de votre très-libérale bonté l'être et la vie, et de plus, tant de favorables effets de votre miséricorde? Que peut faire pour le service de votre Divinité infinie, celle qui est une créature faible et bornée? J'ai reçu, et je reçois de votre main, mon âme, mou être et mes puissances; et maintes fois je vous les ai offerts, je les ai consacrés à votre gloire. Je me reconnais votre débitrice, non-seulement à raison de ce que vous m'avez donné, mais surtout à raison de l'amour avec lequel vous me l'avez donné, et parce que votre pouvoir infini m'a préservée entre toutes les (1) Luc., XIV, 10. - (2) Ps. CXLI, 2. 462 créatures de la souillure du péché, et m'a choisie, moi fille d'Adam, et vil composé de matière ter rentre; pour revêtir de la forme humaine votre Fils unique, pour le porter dans mon sein et le nourrir a de mon lait. Je proclame, Seigneur, cette ineffable bonté, et dans ma reconnaissance, mon coeur et ma vie s'épuisent en affections de votre divin amour ; car je n'ai rien à vous donner pour tout ce que votre bras tout-puissant a fait en faveur de votre servante. Mais que dis-je? Une pensée me ranime, et mon coeur se réjouit de ce qu'il a de quoi vous offrir, et que le don qu'il peut vous faire est en substance avec vous une même chose (1) ; égal en la majesté, dans les perfections et dans les attributs; la génération de votre entendement; l'image de votre être (2), la plénitude de vos coma plaisantes, votre Fils unique et bien-aimé (3). C'est, Père éternel, le présent que je vous offre, l'hostie que je vous apporte, sûre que vous l'agréerez. Comme vous me l'avez donné Dieu, je vous le rends Dieu et homme. Je n'ai, Seigneur, et les créatures n'auront jamais rien d'autre à vous donner, et même votre Majesté ne saurait leur demander un don plus a précieux. Et il est si grand, qu'il suffit pour le retour de ce que j'ai reçu. Je l'offre en son nom et au mien à votre suprême grandeur. Et puisqu'étant Mère de votre Fils unique, lui ayant donne la chair humaine, je l'ai fait frère des mortels, et qu'il a (1) Joan., I, 1. - (2) Coloss., I, XV. - (3) Matth., XVIII, 5. 463 bien voulu venir pour être leur Rédempteur et leur Maître, je dois intercéder pour eux, défendre leur cause et solliciter leur remède. Or donc, Père de mon très-saint Fils, Dieu de miséricorde, je vous a l'offre de tout mon coeur, et je vous prie avec lui et a par lui de pardonner aux pécheurs, de répandre sur le genre humain vos anciennes miséricordes, et de faire éclater vos merveilles d'une manière toute nouvelle (1). C'est le lion de Juda qui est devenu agneau (2), pour ôter les péchés du monde. C'est le trésor de votre Divinité. " 608. La Mère de miséricorde fit ces prières, et plusieurs autres semblables, dans les premiers jours de la neuvaine qu'elle commença dans le Temple. Le Père éternel répondit à toutes , les recevant avec l'offrande de son Fils unique comme un sacrifice agréable ; il s'éprit de nouveau de la pureté de sa Fille, de son unique et élue, et regarda sa sainteté avec complaisance. Et pour exaucer ses prières, le Roi des rois lui accorda de nouveaux privilèges, et lui promit qu'elle obtiendrait tout ce qu'elle demanderait pour ses dévots, tant que le monde durerait; que si même les grands pécheurs se prévalaient de son intercession, ils trouveraient leur salut, et qu'elle serait la coopératrice de son très-saint Fils et Maîtresse dans la loi évangélique, surtout après son ascension, temps auquel notre Reine deviendrait la protectrice de la nouvelle Église, et l'instrument dont la puissance divine (1) Eccles., XXXVI, 6. - (2) Apoc., V, 5 ; Joan., I, 29. 464 se servirait pour y exécuter ses desseins, comme je le dirai dans la troisième partie de cette histoire. Lorsque la divine Mère s'adonnait à cette sublime oraison , le Très-Haut lui départit plusieurs autres bienfaits, et lui communiqua de si grands mystères, que je ne saurais trouver des termes pour les exprimer. 609. Elle atteignit en y persévérant le cinquième jour, qui suivit la présentation et la purification, et comme l'auguste Dame était dans le Temple avec son Enfant- Dieu entre les bras, la Divinité lui fut manifestée; et quoique ce ne fût point intuitivement, elle ne laissa pas d'être toute ravie et remplie du Saint-Esprit. Il est vrai qu'elle l'était déjà, mais comme Dieu est infini en son pouvoir et en ses trésors, il ne donne jamais tant qu'il ne lui reste de quoi donner davantage aux simples créatures. Dans cette vision abstractive, le Très-Haut voulut préparer de nouveau son incomparable Épouse aux afflictions et aux peines qui l'attendaient. Et pour l'animer et la fortifier, il lui dit : " Mon Épouse et ma Colombe, vos intentions et vos désirs sont agréables à mes yeux , et je les accueille toujours avec complaisance. Mais vous ne pouvez pas achever la pieuse neuvaine que vous avez commencée ; parce que je veux que vous vous livriez à un autre exercice , où vous trouverez de quoi souffrir pour mon amour; je veux que pour élever votre Enfant et lui sauver la vie , vous sortiez de votre maison et de votre patrie, et que vous vous retiriez avec lui et Joseph votre époux en Égypte, jusqu'à ce que j'en ordonne autrement ; car Hérode 465 cherchera à faire mourir l'Enfant. Le voyage est long et pénible; vous y essuierez de grandes incommodités, endurez-les pour moi, qui suis et serai toujours avec vous. " 610. Toute autre sainteté et toute autre foi que celles de Marie auraient pu ressentir quelque trouble , comme les incrédules ont été fortement scandalisés en voyant un Dieu puissant fuir devant un misérable mortel pour sauver sa vie humaine, s'éloigner et s'absenter comme s'il eût été capable de crainte, ou qu'il n'eût point été homme et Dieu tout ensemble. Mais la très-prudente et très-obéissante Mère ne répliqua pas un seul mot; elle n'eut aucun doute, et ne se troubla nullement de l'étrangeté du fait. Et dans cette tranquillité, elle répondit : " Mon Seigneur et mon Maître, voici votre servante avec un coeur disposé à mourir pour votre amour, s'il est nécessaire. Faites de moi tout ce qu'il vous plaira. Je demande seulement que votre bonté immense, sans égard à mon peu de mérite ni à mes ingratitudes, ne permette point que mon Fils et mon Seigneur soit affligé, et que les peines me soient réservées, à moi qui dois les souffrir avec justice. " Le Seigneur la renvoya à saint Joseph , à qui il lui dit de se rapporter pour toutes choses dans le voyage. Ensuite elle sortit de la vision qu'elle avait eue, sans perdre l'usage des sens extérieurs ; car elle tenait l'Enfant Jésus entre les bras, l'extase n'ayant élevé que la partie supérieure de son âme; il en rejaillit pourtant sur les sens des dons particuliers, qui les spiritualisèrent et 466 les rendirent comme témoins de ce que l'âme était plus où elle aimait que là où elle animait. 611. Mais l'amour incomparable que notre grande Reine portait à son très-saint Fils, attendrit en quelque sorte son coeur maternel et compatissant, par la pensée des peines que l'Enfant-Dieu souffrirait, selon qu'il lui avait été révélé dans la vision. Et ce fut en versant des larmes abondantes qu'elle sortit du Temple pour retourner à la maison où elle logeait, sans découvrir à son époux la cause de sa douleur; et le saint l'attribuait uniquement à la prophétie qu'ils avaient entendue de la bouche de Siméon. Mais comme le très-fidèle Joseph l'aimait si tendrement, et qu'il était d'ailleurs naturellement officieux et délicat, il se troubla un peu, voyant son épouse si affligée, sans qu'elle lui fit connaître le sujet de ses nouvelles larmes. Ce trouble fut une des raisons pour lesquelles l'ange lui parla dans un songe, comme il avait fait à l'occasion de la grossesse de notre Reine, ainsi que nous l'avons rapporté. Car cette même nuit, saint Joseph étant endormi, le même ange lui apparut et lui dit ce que raconte saint Matthieu (1) : " Levez-vous, prenez. l'Enfant et la Mère, fuyez en Égypte, et n'en partez que lorsque je vous le dirai, parce que Hérode doit chercher l'Enfant pour le faire mourir. " A l'instant saint Joseph se leva rempli de sollicitude et de peine, prévoyant combien souffrirait sa bien-aimée épouse. Et allant (1) Matth., II, 13. 467 la trouver dans sa retraite, il lui dit : " Chère Dame, c'est la volonté du Très-Haut que nous soyons affligés, car son saint ange m'a déclaré que sa Majesté ordonne que nous fuyions avec l'Enfant en Égypte, parce que Hérode projette de lui ôter la vie. Préparez-vous, digne amie, aux fatigues de ce voyage, et dites-moi ce que je puis faire pour votre soulagement, puisque je n'ai l'être et la vie que pour les employer au service de notre très-doux Enfant et au vôtre. 612. " Mon époux et mon seigneur, répondit notre Reine, si nous recevons de la main libérale du Très-Haut tant de biens de grâce, il est juste que nous en acceptions avec joie les peines et les afflictions temporelles (1). Nous porterons avec nous le Créateur du ciel et de la terre; et s'il nous a mis si près de lui, quelle main sera assez puissante pour nous blesser (2), fût-ce celle du roi Hérode ? Emportant où nous allons toutes nos richesses, le souverain Bien, le trésor du ciel, notre Maître, notre guide et notre véritable lumière, nous n'y saurions être exilés; car il est notre repos, notre héritage et notre patrie. Nous avons toutes choses l'ayant avec nous allons accomplir sa sainte volonté. " La très-pure Marie et Joseph s'approchèrent du berceau où l'Enfant Jésus était endormi, et ce sommeil n'arriva point sans quelque mystère. La divine Mère le découvrit sans qu'il s'éveillât, parce (1) Job., II, 10. - (2) Ps., XVII, 3. 468 qu'il attendit ces tendres et douloureuses paroles de l'amante : Fuyez, mon bien- aimé, comme un faon de biche sur les montagnes des parfums (1). Venez, mon bien-aimé, allons aux champs, et, demeurons dans les villages (2). " Mon unique amour, ajouta la tendre Mère, très-doux Agneau, votre pouvoir ne saurait être limité par celui des rois de la terre; mais vous voulez le cacher par une très-haute sagesse pour l'amour que vous portez aux hommes. Qui d'entre les mortels peut se promettre, mon bien-aimé, de vous ôter la vie, puisque votre pouvoir anéantit le leur ? Si c'est vous qui la donnez à tous (3), comment vous l'ôtera-t-on ? Et si c'est vous qui les cherchez pour leur donner celle qui est éternelle, comment veulent-ils vous donner la mort ? Mais qui comprendra les secrets impénétrables de votre providence (4)? Or donc, mon Seigneur et lumière de mon âme, permettez-moi de vous éveiller; car, quoique vous dormiez, votre coeur veille (5). " 613. Saint Joseph dit quelque chose de semblable. Après quoi la divine Mère se mit à genoux, éveilla le très-doux Enfant, et le prit entre ses bras. Notre aimable Sauveur, voulant donner des marques qu'il était homme véritable, et attendrir davantage son amoureuse Mère, pleura quelque peu. O merveilles du Très-Haut en des choses qui paraissent si petites (1) Cant., VIII, 14. - (2) Cant., VII, 11. - (3) Joan., X, 10. - (4) Rom., XI, 34. - (5) Cant., V, 2. 469 à notre faible jugement! Mais il se tut incontinent. La sacrée Vierge et saint Joseph lui ayant demandé sa bénédiction, il la leur donna d'une manière sensible. Et après qu'ils eurent ramassé ses pauvres langes dans la layette dans laquelle ils les avaient apportés, ils partirent sans aucun délai, un peu après minuit, se servant de la monture sur laquelle notre Reine était venue de Nazareth, et ils se dirigèrent du côté de l'Égypte avec toute la diligence possible, comme je le dirai dans le chapitre suivant. 614. Et pour achever celui-ci, j'ai reçu l'explication de la concordance qu'il y a entre les deux évangélistes saint Matthieu et saint Luc sur ce mystère; car comme ils écrivirent tous avec l'assistance et sous l'inspiration du Saint-Esprit, chacun d'eux connaissait par la môme inspiration ce que les trois autres écrivaient et ce qu'ilq omettaient. De là vient que par la divine volonté ils écrivirent tous quatre parfois les mêmes choses de la vie de notre Seigneur Jésus-Christ et de l'histoire évangélique, et- que dans d'autres endroits les uns ont raconté ce que les autres avaient omis, comme on le voit dans l'Évangile de saint Jean et des autres aussi. Saint Matthieu décrivit l'adoration des rois et la fuite en Égypte (1), que saint Luc ne décrivit pas. Et celui-ci décrivit la circoncision, la présentation et la purification (2), que saint Matthieu avait omises. Ainsi, de ce que saisit Matthieu, ayant raconté le départ des rois mages de (1) Matth., II, 1, etc. - (1) Luc., II, 21, etc. 470 Bethléem, dit incontinent que l'Ange ordonna à saint Joseph de fuir en Égypte (1), sans parler de la présentation, il ne s'ensuit pas que l'Enfant-Dieu n'ait été présenté auparavant, car il est certain que cette présentation eut lieu après le départ des mages et avant la fuite en Égypte, comme le raconte saint Luc (2). De même, quoique saint Luc écrive immédiatement après la présentation et la purification, qu'ils se rendirent à Nazareth (3), on ne doit pas inférer de là qu'ils ne soient allés auparavant en Égypte; car il est hors de doute qu'ils y allèrent, comme le rapporte saint Matthieu (4), quoique saint Luc se taise sur ce point; et il n'a point parlé de cette fuite, ni avant, ni après, parce qu'elle était déjà racontée par saint Matthieu. De sorte qu'elle arriva incontinent après la présentation, et avant le retour de la sainte Vierge et de Joseph à Nazareth. Et comme saint Luc ne devait pas écrire ce voyage, il fallait bien, pour suivre le fil de son histoire, qu'il racontât leur retour à Nazareth immédiatement. après la présentation. Que s'il dit qu'après avoir accompli les prescriptions de la loi, ils retournèrent en Galilée (5), il ne nie pas pour cela le voyage qu'ils firent en Égypte; mais il continue le récit, en omettant la fuite qu'ils furent obligés de faire pour éviter la persécution d'Hérode. Et l'on infère même du texte de saint Luc que leur retour à Nazareth eut (1) Matth., II, 13. - (2) Luc., II, 22, etc. - (3) Ibid., 39. - (4) Matth., II, 24. - (5) Luc., II, 39. 471 lieu après leur voyage d'Égypte, puisqu'il dit (1) que l'Enfant croissait et se fortifiait ; étant rempli de sagesse, et que la grâce se montrait en lui : ce qui ne pouvait pas être avant qu'il eût achevé les années de l'enfance, par conséquent avant le retour d'Égypte, époque à laquelle il était dans un âge où l'on aperçoit ordinairement dans les enfants le principe de l'usage de la raison. 615. Il m'a aussi été découvert combien a été insensé le scandale des infidèles, ou celui des incrédules qui ont commencé à heurter contre cette pierre angulaire (2), notre Seigneur Jésus-Christ, dès son enfance, en le voyant fuir en Égypte pour éviter la persécution d'Hérode; comme si c'eût été un manque de pouvoir et non point un mystère qui tendait à d'autres fins plus hautes que celle de mettre sa vie à couvert de la cruauté d'un homme pécheur. Ce que dit l'évangéliste (3) devait suffire pour satisfaire un coeur bien disposé : à savoir, qu'il fallait que fût accomplie la prophétie d'Osée, disant au nom du Père éternel : J'ai fait revenir mon fils d'Égypte (4). Il est sûr que les fins qu'il eut en l'envoyant dans ce pays et en le rappelant sont très-mystérieuses; j'en dirai quelque chose dans la suite. Mais, quand même toutes les oeuvres du Verbe incarné n'auraient pas été si admirables et si pleines de mystère, il n'est personne d'un jugement sain qui puisse reprendre ou ignorer la douce providence (1) Luc., II, 40. - (2) I Petr., II, 8. - (3) Matth., II, 15. - (4) Os., XI, 1. 472 avec laquelle Dieu conduit les causes secondes, en laissant agir la volonté humaine selon sa liberté (1), C'est pour ce sujet, et non par manque de pouvoir, qu'il permet dans le monde tant d'injustices, d'idolâtries, d'hérésies et tant d'autres péchés qui ne sont pas moindres que celui d'Hérode, et qu'il permit celui de Judas et de ceux qui effectivement maltraitèrent et crucifièrent sa divine Majesté. Il est constant que le Seigneur pouvait empêcher tout cela, et qu'il ne le fit point, non-seulement pour opérer la rédemption, mais pour nous procurer ce bienfait de la liberté, laissant agir les hommes à leur gré, selon leur volonté, et leur donnant la grâce et les secours que sa divine Providence juge convenables, afin que par eux ils pussent opérer le bien, s'ils voulaient user de leur liberté pour ce même bien comme ils le font pour le mal. 616. C'est avec cette même douceur de sa Providence qu'il donne aux pécheurs le temps de se convertir, et qu'il attend leur conversion comme il attendit celle d' Hérode. S'il usait de son pouvoir absolu et qu'il fit de grands miracles pour arrêter les effets des causes secondes, l'ordre de la nature serait.confondu, et en tant qu'auteur de la grâce, il serait en quelque sorte contraire à lui même comme auteur de la nature. C'est pour ce sujet que les miracles ne doivent éclater que rarement et que pour des fins singulières, car Dieu les a réservés pour des moments opportuns auxquels il (1) Eccles., XV, 14, etc. 473 veut manifester sa puissance et se faire connaître auteur de l'univers, et indépendant des mêmes choses qu'il a créées et qu'il conserve. On ne doit pas non plus être surpris de ce qu'il permit la mort des innocents qu'Hérode fit égorger (1). S'il ne jugea pas convenable de l'empêcher par un miracle, c'est que, cette mort leur acquit la vie éternelle et une abondante récompense; cette vie valant sans comparaison plus que la temporelle, que l'on doit sacrifier et perdre pour celle-là; et si tous ces enfants eussent vécu et fussent morts d'une mort naturelle, peut-être tons n'auraient-ils pas été sauvés. Les oeuvres du Seigneur. sont justes et saintes en toutes choses, quoique nous ne pénétrions pas maintenant les raisons de leur équité; mais nous les connaîtrons en lui quand; nous le verrons face à face. Instruction que la reine du ciel me donna. 617. Ma fille, entre les choses que vous devez tirer de ce chapitre pour votre instruction, que la première soit l'humble reconnaissance des bienfaits que vous recevez, puisque vous êtes, entre plusieurs nations, si distinguée et si enrichie par les faveurs que mon (1) Matth., II, 16. 474 Fils et moi vous faisons sans que vous les ayez méritées. Je redisais souvent ce verset de David : Que rendrai-je au Seigneur pour tous les biens qu'il m'a faits (1)? Et, dans cette affection reconnaissante, je m'humiliais profondément, me regardant comme la plus inutile de toutes les créatures. Or, par la connaissance de ce que. je faisais étant véritable Mère de Dieu, vous devez considérer quelle est votre obligation, et avouer que vous êtes véritablement indigne de ce que vous recevez, et tout à fait incapable de le reconnaître. Il faut, ma fille, que vous suppléiez à cette impuissance de votre misère en offrant au Père éternel l'hostie vivante de son Fils humanisé, surtout quand vous le recevez sous les espèces sacramentelles et que vous l'avez dans votre poitrine : car en cela vous imiterez aussi David, qui, après s'être interrogé sur ce qu'il rendrait su Seigneur pour les faveurs dont il était comblé, répondait : Je prendrai le calice du salut, et j'invoquerai le nom du Très- Haut (2). Vous devez recevoir le salut et travailler à celui de votre âme (3), en suivant les voies. qui y conduisent, et en payant les divins bienfaits de retour par la pratique de la perfection; vous devez aussi invoquer le nom du Seigneur et lui offrir son Fils unique, qui est celui qui a opéré la vertu et le salut, qui l'a mérité, et qui peut seul dignement récompenser ce que le genre humain a reçu de la main du Tout-Puissant et ce que vous avez reçu en. particulier. Je l'ai revêtu de la forme (1) Ps., CXV, 12. - (2) Ps., Ibid., 13. - (3) Philipp., II 12. 475 humaine, afin qu'il conversât avec les hommes (1) et qu'il fût à tous comme une chose propre. Et sa Majesté s'est renfermée sous les espèces du pain et du vin (2) pour se rendre plus propre à chacun en particulier, et afin que chacun en jouit et l'offrit au Père éternel comme une chose qui lui appartint; les âmes suppléant par cette offrande à l'insuffisance de ce qu'elles pourraient lui rendre sans elle, et le Très-Haut se trouvant comme satisfait par elle, puisqu'il ne saurait demander à ses créatures quelque autre chose qui lui fût plus agréable. 618. Après cette offrande, celle que les âmes font en acceptant et en supportant avec égalité et patience les peines et les adversités de la vie mortelle, lui est fort agréable. Mon très-saint Fils et moi avons été les Maîtres excellents de cette doctrine: sa divine Majesté se mit à l'enseigner dès le moment que je l'eus conçue dans mon sein, parce que incontinent nous commençâmes à fatiguer et à souffrir (3); sitôt qu'il fut né, nous endurâmes la persécution d'Hérode, et nous fûmes obligés de nous réfugier dans un pays étranger; ses souffrances durèrent jusqu'à la mort de la croix. Et moi aussi, je souffris de mon côté jusqu'à la fin de ma vie, comme vous l'apprendrez par tout ce que vous en écrirez. Or, puisque nous avons tant souffert pour les hommes et pour leur remède, je veux qu'en cela vous nous imitiez comme son épouse et comme ma fille, et que vous vous habituiez à souffrir (1) Baruch., III, 38. - (2) Joan., VI, 57. - (3) Ps. LXXXII, 16. 476 avec un coeur joyeux et tranquille, tâchant d'augmenter les richesses de votre Seigneur et Maître par la conquête des âmes qu'il a achetées au prix de sa vie et de son sang, et qui lui sont si chères (1). N'épargnez jamais ni peines ni travaux, acceptez toute sorte d'amertumes et de douleurs, si par leur moyen vous pouvez gagner quelques âmes à Dieu ou les aider à sortir du péché, à améliorer leur vie. Prenez garde que la vue de votre pauvreté et du peu de fruit que vous tirerez de vos désirs et de vos soins ne vous fasse perdre courage; car vous ne devez pas douter qu'ils ne soient agréables au Très-Haut, et vous ne savez pas jusqu'à quel point il peut lui plaire de les faire servir. Dans tous les cas, vous n'avez qu'à travailler avec activité, et à ne point manger paresseusement le pain dans sa maison (2). CHAPITRE XXII. Jésus, Marie et Joseph entreprennent le voyage d'Égypte, accompagnés des esprits angéliques. - Ils arrivent à la ville de Gaza. 619. Nos divins voyageurs sortirent de Jérusalem pour se rendre au lieu d'exil, cachés sous le silence (1) I Cor., VI, 20 .- (2) Prov., XXXI, 27. 477 et l'obscurité de la nuit, mais pleins de la sollicitude que leur imposait la garde du gage du Ciel, qu'ils emmenaient dans un pays étranger où ils ne connaissaient personne. Et quoique la foi et l'espérance les soutinssent (car chez notre Reine et chez son très-fidèle époux, ces vertus étaient portées au plus haut degré possible), néanmoins le Seigneur leur laissa sentir cette peine, parce qu'elle était naturellement inséparable de l'amour qu'ils avaient pour l'Enfant Jésus, et qu'ils ne savaient point en particulier tout ce qui pouvait leur arriver dans un si long voyage, ni quand il finirait, ni comment ils seraient reçus en Égypte étant étrangers,, ni les commodités qu'ils auraient pour élever l'Enfant, et d'abord pour lui adoucir la fatigue du chemin. La précipitation du départ leur causa de très-grands embarras et de très-grands soucis, mais leur douleur fut beaucoup diminuée par l'assistance des courtisans du ciel, car les dix mille anges dont j'ai fait mention se manifestèrent aussitôt en forme humaine et avec leur beauté et splendeur ordinaire , de sorte qu'ils leur changèrent cette nuit en un jour très-agréable. Et ils ne furent pas plutôt sortis de la ville, qu'ils s'humilièrent devant le Verbe incarné, et l'adorèrent entre les bras de sa Mère Vierge; ils la consolèrent en lui offrant de nouveau leurs services et leur obéissance, et en lui promettant de l'accompagner et de la conduire partout où le Seigneur l'ordonnerait. 620. Le moindre soulagement parait considérable à un coeur affligé; et comme celui-ci était grand, il 478 fortifia beaucoup notre Reine et son époux Joseph; de sorte qu'étant sortis de Jérusalem par la porte du côté de Nazareth, ils commencèrent leur voyage avec beaucoup d'ardeur. La divine Mère eut quelque désir d'aller au lieu de la nativité, pour vénérer cette sacrée grotte, qui avait servi de premier asile à son très-saint Fils. Mais les saints anges répondant à sa pensée avant qu'elle l'eût exprimée, lui dirent : " Reine et Maîtresse de l'univers, Mère de notre Créateur, il faut que nous hâtions le voyage et que nous poursuivions notre route sans nous arrêter; car le peuple s'est ému à cause du détour que les mages ont pris pour ne pas retourner à Jérusalem, et à cause des paroles du prêtre Siméon et d'Anne; plusieurs ont déjà dit que vous étiez la Mère du Messie; d'autres, que vous saviez où il était; et d'autres encore ont avancé que votre Fils était un prophète. On a porté divers jugements sur la visite a que les rois vous ont faite en Bethléem; Hérode est informé de tout, il a ordonné qu'on vous cherche avec une grande activité, et vous ne devez pas douter qu'on n'y emploie toutes les diligences possibles. C'est pourquoi le Très-Haut vous a commandé de partir de nuit, et avec tant l'empressement. " 621. La Reine du ciel obéit à la volonté du Tout-Puissant, qui lui était déclarée par les anges ses ministres; de sorte que, sans quitter le chemin, elle se contenta de saluer le sacré lieu de la naissance de son Fils y se rafraîchissant la mémoire des mystères 479 qui y avaient été opérés, et des faveurs qu'elle y avait reçues. Le saint ange qui gardait ce sanctuaire vint à leur rencontre sous une forme visible, et adora le Verbe incarné entre les bras de sa divine Mère, et ce qui lui causa une nouvelle consolation et une joie singulière, c'est qu'elle le vit et lui parla. Notre miséricordieuse Dame eut aussi envie de passer par Hébron, parce qu'elle se serait écartée fort peu de sa route, et que sa cousine et bonne amie Élisabeth s'y trouvait avec son fils Baptiste. Mais le soigneux saint Joseph, qui était plus craintif, empêcha ce détour, et dit à sa divine Épouse : " Chère Dame, je crois qu'il nous importe beaucoup de ne pas retarder le voyage d'un moment, mais de l'avancer autant qu'il nous sera possible , afin de nous éloigner au plus tôt du danger. C'est pourquoi il n'est pas convenable que nous allions à Hébron, où l'on nous cherchera plus facilement qu'ailleurs. -Votre volonté soit faite, répondit la très-humble Reine; mais je prierai, s'il vous plait, un de ces esprits célestes d'aller informer ma cousine Élisabeth du sujet de notre voyage, afin qu'elle mette son fils à l'abri de la persécution d'Hérode, qui s'étendra sans doute jusqu'à eux. 622. La Reine du ciel pénétrait l'intention qu'Hérode avait de faire égorger les enfants, quoiqu'il ne l'eût pas encore annoncée. Mais ce qui excite ici mon admiration, c'est l'humilité et l'obéissance de la très-sainte Vierge, qui étaient en tout si rares et toujours accompagnées d'une si grande prudence; car elle 480 n'obéit pas seulement à saint Joseph en ce qu'il lui ordonnait; mais elle ne voulut pas même envoyer l'ange à sainte Élisabeth sans son agrément, quoique la chose ne dépendit que d'elle, et qu'elle la pût exécuter mentalement par, elle-même. J'avoue ma confusion et ma paresse, puisque je n'étanche point ma soif à la très-pure source des eaux qui m'est ouverte, et que je ne profite pas de la lumière qui jaillit de pareils exemples, quelque doux, quelque puissants qu'ils soient pour nous engager et nous obliger tous à renoncer à notre propre et pernicieuse volonté. Or, notre auguste Princesse, après avoir consulté celle de son époux, chargea un des principaux anges qui l'assistaient d'annoncer à sainte Élisabeth ce qui se passait; et, comme supérieure aux mêmes anges, elle informa dans cette occasion mentalement son ambassadeur de ce qu'il avait à dire à sa cousine et au petit Baptiste. 623. Le saint ange se rendit auprès de l'heureuse Élisabeth , et selon l'ordre qu'il en avait reçu de sa Reine, il lui apprit tout ce qu'il était convenable qu'elle sût. Il lui dit que la Mère de Dieu allait avec lui en Égypte afin de se soustraire à la fureur d'Hérode, et de ne pas tomber entre les mains de ceux qui le cherchaient pour le faire mourir, et qu'il fallait qu'elle cachât le petit Baptiste pour mettre sa vie en sûreté ; il lui révéla aussi d'autres mystères du Verbe incarné, ainsi que la divine Mère le lui avait ordonné. Sainte. Élisabeth, remplie d'admiration et de joie par cette ambassade, dit à l'ange qu'elle souhaitait d'aller 481 adorer l'Enfant Jésus et voir sa très-sainte Mère, et s'informa de lui si elle pourrait les joindre. Le saint ange lui répondit que son Roi humanisé et la très-pure Mère étaient loin d'Hébron, et qu'il n'était pas convenable de les retarder, de sorte que la sainte fut obligée de se contenter de son désir. Et ayant donné à l'ange de douces recommandations pour le Fils et pour la Mère , elle resta tout attendrie, et l'ambassadeur céleste alla rendre réponse à notre auguste Reine. Sainte Élisabeth leur dépêcha aussitôt une personne en toute diligence, et leur fit parvenir par cette même voie une provision de vivres , de l'argent et de quoi faire des langes à l'Enfant, prévoyant le besoin qu'ils en pourraient avoir dans un pays étranger. Ce messager les trouva dans la ville de Gaza, distante de Jérusalem d'environ vingt heures de chemin , située sur le bord de la rivière de Besor, assez près de la Méditerranée, et sur la route qui conduit de la Palestine en Égypte. 624. Ils se reposèrent deux jours dans cette ville, parce que saint Joseph se sentit assez fatigué, aussi bien que la petite monture qui portait notre grande Reine. Ils congédièrent de là le domestique de sainte Élisabeth , après que saint Joseph lui eut recommandé de ne découvrir à personne l'endroit où il les avait trouvés. Mais le Seigneur prit un plus grand soin de prévenir cet inconvénient ; car il ôta à cet homme le souvenir de ce que saint Joseph lui avait recommandé de taire, de sorte qu'il ne se souvint que de la réponse qui il devait rapporter à sa maîtresse Élisabeth. La charitable 482 Marie partagea avec les pauvres les présents qu'elle en avait reçus, car celle qui en était la Mère ne les pouvait pas oublier; et de l'étoffe que sa cousine lui envoya elle fit un voile pour couvrir l'Enfant-Dieu, et un manteau pour saint Joseph propre à la fatigue du chemin et à l'injure du temps. Elle prépara aussi quelques-unes des choses qu'ils pouvaient emporter avec leur pauvre bagage; parce que, quand notre très-prudente Dame pouvait subvenir par ses soins aux nécessités de son Fils et de saint Joseph, elle ne voulait point avoir recours aux miracles; et en cela elle se conduisait selon l'ordre naturel et commun, autant que ses forces le lui permettaient. Elle lit quelques couvres merveilleuses pendant les deux jours qu'ils demeurèrent à Gaza, pour n'en pas partir sans y avoir communiqué de grands biens. Elle rendit la santé à deux malades qui étaient en danger de mort, et guérit entièrement une autre femme paralytique. Elle opéra des effets divins, touchant la connaissance de Dieu et le changement de vie, dans les Mmes de plusieurs qui la virent et lui parlèrent; et tous ressentaient de grands motifs de louer le Créateur. Ils ne découvrirent pourtant à personne leur pays, ni le dessein qu'ils avaient de passer en Égypte,. parce que cette indication jointe au bruit que ces oeuvres admirables causaient, aurait permis facilement aux émissaires d'Hérode de découvrir le chemin qu'ils tenaient, et de les atteindre. 625. Je ne trouve point de termes assez expressifs pour déclarer ce qui m'a été manifesté des oeuvres que 483 l'Enfant Jésus et sa Mère-Vierge faisaient le, long de la route; je n'ai pas non plus cette dévotion ni cette énergie que des mystères si admirables demandent. Les bras de la très-pure Marie servaient toujours de lit au nouveau et véritable roi Salomon (1). Quand elle sondait les secrets de cette humanité et de cette âme très-sainte, il arrivait quelquefois que le Fils et la Ilère entraient dans de doux entretiens, que le divin Enfant commençait, et qu'ils formaient des cantiques de louange, par lesquels ils glorifiaient tout d'abord l'ètre infini de Dieu, tous ses attributs et toutes ses perfections. A cet effet, sa divine Majesté communiquait à notre auguste Reine une nouvelle lumière, et des visions intellectuelles, dans lesquelles elle connaissait le très- haut mystère de l'unité de l'essence en la trinité des personnes, les opérations au dedans de la génération du Verbe et de la procession du Saint-Esprit; comment le Verbe est toujours engendré par l'opération de l'entendement, et le Saint-Esprit inspiré par celle de la volonté; non qu'il y ait aucune succession de priorité et postériorité (car tout est actuel en l'éternité), mais parce que nous percevons le mystère d'après les données de la durée successive du temps. Notre grande Princesse pénétrait aussi comment les trois personnes se comprennent mutuellement par un même acte d'entendement, et. comment elles connaissent celle du Verbe unie à l'humanité, ainsi que les effets qui résultent en elle de son union avec la Divinité. (1) Cant., III, 7. 484 626. Par cette si haute science elle descendait de la Divinité à l'humanité, et composait de nouveaux cantiques de louange et de reconnaissance, bénissant le Seigneur d'avoir créé cette humanité très-sainte et très-parfaite ; tant pour l'âme que pour le corps : l'âme remplie de sagesse, de grâce et des dons du Saint Esprit avec toute la plénitude possible; le corps trèspur et très-accompli au degré le plus éminent. Ensuite elle observait tous les actes si héroïques et,si excellents de ses puissances; et après les avoir tous imités avec la proportion possible, elle bénissait et remerciait le Très-Haut par mille actions de grâces de l'avoir choisie entre toutes pour être sa Mère; et pour être conçue sans péché, et élevée à une gloire enrichie de toutes les faveurs de sa puissante droite, dont une simple créature pût être capable. Pour exalter et glorifier ces mystères, et tant d'autres qui s'y trouvaient renfermés, l'Enfant disait, et la Mère répondait ce que les hommes ni même les anges ne sauraient exprimer. Notre divine Dame, au milieu de ces saints exercices, ne manquait pas de prendre le plus grand soin de son adorable Fils, de l'allaiter trois fois par jour, et de le caresser avec plus d'amour, d'attention et de tendresse, que toutes les autres mères ensemble n'ont jamais caressé les leurs. 627. Elle lui disait quelquefois: " Mon Fils, mon très-doux amour, permettez-moi de vous interroger et. de vous découvrir mon désir, quoiqu'il ne vous soit pas inconnu, mais pour avoir la consolation de vos aimables réponses. Dites-moi, chère 485 vie de mon âme, lumière de mes yeux, si le chemin vous fatigue, si les injures du temps vous incommodent, et ce que je puis faire pour votre service et pour adoucir vos peines? " A quoi l'Enfant-Dieu répondait : " Ma Mère, toutes les fatigues que j'en dure pour l'amour de mon Père éternel et pour celui des hommes que je viens enseigner et racheter, me paraissent très-légères et très-douces, surtout en votre compagnie. " L'Enfant pleurait en certaines occasions avec une sereine gravité, comme l'homme d'un âge mûr; et l'amoureuse Mère en étant affligée tâchait d'en pénétrer la cause, la cherchant dans son intérieur, qu'elle connaissait. Et là elle découvrait que c'étaient des larmes d'amour et de compassion pour le salut des hommes, et à cause de leurs ingratitudes. Alors elle gémissait avec lui comme Une plaintive tourterelle; elle le caressait et le baisait avec: un respect incomparable comme une mère attendrie. L'heureux Joseph était souvent témoin de mystères si divins, et il en recevait quelque lumière qui lui adoucissait les peines du voyage. De temps en temps il demandait à son épouse comment elle se trouvait, et ai elle avait besoin de quelque chose -pour elle ou pour l'Enfant; et il s'en approchait et l'adorait, lui baisant les pieds et lui demandant sa bénédiction; et quelquefois il le prenait entre ses bras. De sorte que par ces consolations notre grand patriarche supportait aisément toutes les fatigues de la route; et sa divine épouse l'animait, prévoyant toutes choses avec un coeur magnanime, sans que son recueillement intérieur 686 l'empêchât de veiller aux besoins extérieurs, et sans que ceux-ci pussent la faire descendre de la hauteur de ses sublimes pensées, et de ses fréquentes oraisons jaculatoires; car elle conservait toujours et partout la même perfection. Instruction que notre divine Maîtresse me donna. 628. Ma très-chère fille, pour arriver à comprendre et à imiter comme je le demande de vous ce que vous venez d'écrire, il faut que vous preniez pour modèle l'admiration et les affections que faisait naître en mon âme la lumière divine, au moyen de laquelle je savais que mon très-saint Fils s'assujettissait volontairement à la fureur barbare des hommes les plus méchants, comme il le fit à l'égard d'Hérode dans cette occasion, où nous Mmes obligés de fuir sa colère, et comme il le fit dans la suite à l'égard des mauvais ministres, des pontifes et des magistrats. Le Très- Haut fait éclater sa grandeur, sa bonté et sa sagesse infinie dans toutes ses oeuvres. Mais ce qui excitait le plus mon admiration, c'était lorsque je voyais par une très- sublime lumière que l'Ètre de Dieu se trouvait en la personne du Verbe unie à l'humanité; que mon très-saint Fils était lui-même le Dieu éternel, puissant, infini, créateur et conservateur de toutes choses, et que la vie et litre de cet 487 inique roi dépendaient de ses bienfaits; de voir en même temps que l'Humanité très-sainte priait encore le Père, éternel de lui donner de bonnes pensées, de lui accorder son secours et de nouvelles faveurs; et que, bien qu'il lui fût si facile de le punir, il s'en abstint, et tout au contraire obtint par ses prières qu'il ne frit point puni effectivement autant que sa malice le méritait. Et quoique, par son impénitence, il ait fini par se perdre et se damner, il n'en est pas moins vrai que son châtiment n'est pas aussi rigoureux que si mon très-saint Fils n'est pas prié pour lui. Je tâchai d'imiter cette conduite et tout ce qu'elle renferme de sa miséricorde et de sa mansuétude incomparable; car, en agissant de la sorte, mon divin Fils et mon Maître me montrait déjà ce qu'il devait enseigner dans la suite par ses exemples, par ses paroles, et par une pratique plus éclatante de l'amour des ennemis (1). Et lorsque je savais si bien qu'il cachait son pouvoir infini, et qu'étant un Lion invincible (2), il s'abandonnait comme le plus doux des agneaux à la fureur des loups ravissants (3), mon coeur se brisait et les forces me manquaient (4), tant je désirais de l'aimer et de l'imiter en son amour, en sa charité, en sa patience et en sa douceur. 629. Je vous propose cet exemplaire, afin que vous l'ayez toujours présent et que vous sachiez comment et jusques où vous devez souffrir, pardonner et aimer (1) Matth., V, 44; Luc., XXIII, 34. - (2) Isa., V, 29. - (8) Jerem., XI, 19. - (4) Ps. LXXII, 26. 488 ceux qui vous offensent, puisque ni vous ni les autres créatures n'êtes innocentes, ni exemptes de péché, et qu'il yen a tant au contraire qui méritent par leurs crimes réitérés les injures qu'on leur fait. Or, si les persécutions vous peuvent procurer le grand bien de cette imitation, quel sujet aurez-vous de ne les pas estimer et recevoir comme un très-grand bonheur; de ne pas aimer ceux qui vous donnent les moyens de pratiquer ce qui est le plus sublime de la perfection, et de ne point reconnaître ce bienfait en ne regardant pas comme ennemi, mais comme bienfaiteur, Celui qui vous met dans l'occasion d'acquérir une chose qui vous est si avantageuse? Après l'objet ,qui vous a été proposé, vous n'aurez aucune excuse si vous manquez en cela; car la lumière divine et ce que vous en savez vous le rendent comme présent. CHAPITRE XXIII. Jésus, Marie et Joseph poursuivent leur voyage, et vont de Gaza à Héliopolis, ville d'Égypte. 630. Nos saints voyageurs, trois jours après leur arrivée à Gaza, en partirent pour l'Égypte. Et quittant bientôt les lieux habités de la Palestine, ils 489 entrèrent dans les déserts sablonneux qu'on appelle de Bersabée, et traversèrent plus de soixante lieues de pays inhabités avant que d'arriver à la ville d'Héliopolis, qui est maintenant appelée le Caire d'Égypte. Ils marchèrent longtemps dans cette solitude, parce que leurs journées étaient fort petites, tant à cause. de la grande quantité de sable qu'ils trouvaient, que par le défaut de retraite et de vivres. Et comme ils eurent beaucoup d'aventures dans ce pénible voyage, j'en dirai quelques- unes dont on infèrera les autres, parce qu'il n'est pas nécessaire de les raconter toutes. Or, afin qu'on comprenne combien l'Enfant Jésus, la sainte Vierge et Joseph y souffrirent, on doit présupposer que le Très-Haut permit que son Fils unique humanisé., son auguste Mère et saint Joseph ressentissent les incommodités de ce désert. Et quoique notre divine Dame les endurât avec une grande tranquillité, elle en fut néanmoins très-affligée, ainsi que son très-fidèle époux de son côté; car ils souffrirent tous deux de très-grandes peines en leurs personnes; mais le coeur de la Mère en fut beaucoup plus pénétré, à cause de celles de son Fils et de Joseph , quoique celui du saint le frit aussi à la vue des incommodités que l'Enfant et la Mère essuyaient, et de l'impuissance où il était de les en préserver par ses soins. 631. Il fallait nécessairement qu'ils passassent les nuits eu plein air et sans abri, en traversant ce désert, et cela en hiver, puisqu'ils commencèrent leur voyage au mois de février, six jours après la purification, 490 comme on le peut conclure de ce que j'ai dit au chapitre XXI de ce livre. La première nuit qui les surprit dans cette solitude les obligea de s'arrêter su pied d'une colline, qui fut le seul asile qu'ils trouvèrent. La Reine du ciel s'assit à terre avec son Fils entre les bras, et après qu'ils s'y furent un peu délassés ils soupèrent de ce qu'ils. avaient porté de Gaza. La sainte Vierge donna de son lait à l'Enfant Jésus, et sa Majesté consola cette Mère affligée et son époux par des manières agréables et caressantes. Le saint dressa une petite tente avec son manteau et quelques bâtons, afin que le Verbe incarné et sa très-sainte Mère fussent moins exposés à l'air de la nuit, sous cet humble et étroit pavillon. Dans cette circonstance les dix mille anges qui assistaient avec admiration nos saints voyageurs, firent un corps de garde à leur Roi et à leur Reine, en les environnant sous des formes humaines. Notre grande Dame vit que son très-saint Fils offrait au Père éternel cette affliction, ses peines, celles de sa Mère et de saint Joseph. Elle s'associa pendant la plus grande partie de la nuit à ses prières et aux autres actes que faisait cette âme déifiée. Puis, l'Enfant- Dieu dormit un peu dans ses bras; mais elle veilla toujours, se livrant. à de divins entretiens avec le Très-Haut et avec les anges. Saint Joseph se coucha par terre, appuyant sa tête sur le petit coffre qui renfermait les langes et leurs autres pauvres hardes. 632. Le jour suivant ils continuèrent leur route, et dès lors la provision de pain et de fruits qu'ils 491 avaient prise étant épuisée, la Maîtresse de l'univers et son saint époux se trouvèrent dans une extrême nécessité et ressentirent la faim. Et quoique celle du saint fût plus grande, ils en souffrirent néanmoins tous deux beaucoup. Il arriva, un des premiers jours de leur voyage, qu'ils restèrent jusqu'à neuf heures du soir sans prendre aucune nourriture; et comme il était impossible de remédier à cette nécessité par aucun soin humain, notre divine Dame, s'adressant au Très-Haut, lui dit : " Dieu éternel et tout-puissant, je vous rends grâces et vous bénis pour les oeuvres magnifiques de votre bon plaisir, et de ce que vous m'avez donné l'être et la vie sans que je l'eusse mérité, et aussi de ce que par votre seule bonté vous m'avez conservée et élevée, n'étant qu'une poussière et qu'une créature inutile. Je ne vous ai pas payé, Seigneur, du retour que je vous devais pour tous ces bienfaits; et comment oserai-je maintenant vous demander pour moi ce que je ne saurais reconnaître? Mais regardez, mon divin Père, votre Fils unique (1), et accordez-moi les moyens de lui entretenir la vie naturelle et de conserver celle de mon époux, afin qu'il l'emploie au service de votre Majesté, et que je serve votre Verbe incarné pour le salut des hommes. " 633. Le Très- Haut permit que l'inclémence des éléments s'unit à la faim, à la lassitude et à cette espèce d'abandonnement, afin que ces clameurs de la (1) Jean., I, 14. 492 très-douce Mère vinssent d'une plus grande tribulation : car il s'éleva une furieuse tempête où ils étaient battus et aveuglés par le vent et la pluie Ce mauvais temps affligea beaucoup la pitoyable et amoureuse Mère, à.cause de la grande délicatesse de l'Enfant-Dieu, qui n'avait pas encore cinquante jours. Et, quoiqu'elle le garantît de son mieux, cela n'empêcha pas qu'il en ressentit la rigueur; ce qu'il fit connaître par ses larmes et par ses tremblements, comme l'auraient fait d'autres enfants dans une semblable occasion. La soigneuse Mère, usant alors de son pouvoir de Reine des créatures, commanda avec empire aux éléments de ne point offenser leur Créateur, mais d'user envers lui de leur douceur., et de ne garder que pour elle ce qu'ils avaient de plus rude. Il arriva dans cette rencontre la même chose que j'ai dite aux chapitres précédents, en parlant de la naissance et du voyage de Bethléem à Jérusalem; car aussitôt les venta s'apaisèrent et la tempête cessa. Et l'Enfant Jésus, voulant récompenser ce soin amoureux, ordonna à ses anges d'assister sa Mère bien-aimée et de la mettre à l'abri. Ils obéirent à l'instant, et, formant un globe lumineux et impénétrable aux injures du temps, ils y enfermèrent leur Dieu. humanisé, l'auguste Vierge et son époux; de sorte qu'ils y furent plus richement et plus commodément logés qu'ils ne l'eussent été dans les plus superbes palais des puissants de la terre. Ils reçurent le même secours dans quelques autres occasions en traversant ce déserta. 634. Mais les vivres leur manquaient, et ils étaient 493 réduits à une disette contre laquelle ne pouvait rien l'industrie humaine. Et, après que le Seigneur les eût laissés arriver à cette extrémité, il exauça les justes demandes de son Épouse, et les secourut par le mininistère des anges, qui leur offrirent incontinent du pain et des fruits délicieux, et leur apportèrent en outre une liqueur d'un goût exquis. Et, lorsqu'ils les eurent servis, ils récitèrent tous ensemble des cantiques de louanges au Seigneur, qui donne la nourriture à toute chair au moment convenable (1), afin que ceux qui espèrent en sa divine Providence et en ses magnifiques largesses soient rassasiés (2). Ce fut là le régal que le Seigneur fit à ses trois voyageurs exilés dans le désert de Bersabée, qui est l'endroit où Élie, fuyant Jézabel, fut fortifié par le pain cuit sous la cendre, que l'ange du Seigneur lui donna, afin qu'il pût aller jusqu'à la montagne Horeb (3). Mais ni ce pain ni celui que les corbeaux lui avaient apporté auparavant, ni la chair qu'il en reçut miraculeusement, afin qu'il en mangeât, le matin et le soir sur le bord du torrent de Carith (4); ni la manne que le ciel envoya aux Israélites, quoiqu'elle fût appelée le pain des anges, le pain venu du ciel; ni les cailles que le vent du midi poussa à leur portée (5); ni la nuée qui les mettait à couvert des ardeurs du soleil (6), rien de tout cela ne peut être comparé avec ce que le Seigneur (1) Ps. CXXXV, 25; Ps. CXLIV, 15. - (2) Ps. XXI, 27. - (3) III Reg., XIX, 3, 6 et 8. - (4) III Reg., XVII, 6. - (5) Exod., XVI, 13, etc. - (6) Ps. LXXVII, 14,15 et 26; Num., X, 34. 494 fit dans ce voyage en faveur de son Fils humanisé, de l'auguste Marie et de saint Joseph. Ces nouveaux prodiges ne se faisaient point pour nourrir un prophète et un peuple ingrat, mais pour entretenir un Dieu fait homme et sa véritable Mère, et pour conserver une vie naturelle de laquelle dépendait la vie éternelle de tout le genre humain. Et si cette divine nourriture répondait à l'excellence des conviés, la reconnaissance était aussi tout à fait en rapport avec la grandeur d'un tel bienfait. Et, afin que le tout vint dans le temps le plus convenable, le Seigneur permettait toujours que la nécessité fût extrême, et que cette extrémité même exigeât le secours du Ciel. 635. Que les pauvres se réjouissent par cet exemple; que les affamés ne se désolent plus dans leur détresse; que ceux qui souffrent persécution espèrent le secours, et que personne ne se plaigne de la divine Providence, en quelque affliction et en quelque nécessité qu'il se trouve. Quand est-ce que le Seigneur a manqué à ceux qui ont mis leur confiance en lui? Quand est-ce qu'il en a détourné ses regards paternels (1)? Nous sommes frères de son Fils humanisé, héritiers de ses biens, ses enfants (2) et les enfants de sa très-miséricordieuse Mère. Or, enfants de Dieu et de l'auguste Marie, comment vous méfiez-vous d'un tel Père et d'une telle Mère dans vos besoins? Pourquoi leur refusez-vous cette gloire? Comment renoncez-vous au droit que (1) Ps. XVII, 21, etc. - (2) Rom., VIII, 17, 29. 495 vous avez de leur demander du secours? Venez, venez avec humilité et confiance, les yeux de vos parents sont attentifs à vous regarder (1), leurs oreilles écoutent les gémissements que vous poussez dans vos nécessités, et les mains de cette Reine sont ouvertes pour soulager le pauvre (2). Et vous, riches de ce monde, pourquoi mettez-vous votre espérance dans vos seules et incertaines richesses, au risque de perdre la foi, et vous engageant par là dans beaucoup d'afflictions, comme l'Apôtre vous le prédit (3)? Aveuglés par la cupidité, vous ne faites pas profession d'être les enfants de Dieu et de sa Mère; au contraire, vous renoncez à cette qualité par vos oeuvres, et vous vous déclarez étrangers : car le fils légitime sait seul s'abandonner aux soins et à l'amour de son véritable père et de sa véritable mère, qui se plaindraient avec raison s'il mettait sou espérance en d'autres qui ne leur seraient pas seulement indifférents, mais qui seraient même leurs propres ennemis. La divine lumière m'enseigne cette vérité, et la.charité m'oblige de l'écrire. 636. Le Très-Haut ne prenait pas seulement soin de nourrir nos pèlerins, mais il les récréait aussi d'une manière sensible pour les distraire de la fatigue du chemin et de l'ennui de cette vaste solitude. Il arrivait quelquefois que la divine Mère s'arrêtant avec son Enfant-Dieu pour prendre un peu de relâche, des multitudes d'oiseaux accouraient des montagnes, (1) Ps. X, 5. - (2) Prov., XXXI, 20. - (3) I Tim., VI, 17, 9 et 10. 496 comme je l'ai raconté ailleurs, et ils la réjouissaient par la douceur de leur chant et par la variété de leur plumage, se mettant sur ses épaules et sur ses mains, et s'ébattant autour d'elle. La très prudente Reine les recevait, et, leur ordonnait de louer leur Créateur en reconnaissance de ce qu'il les avait créés si beaux et si bien ornés de plumes pour jouir de l'air et de la terre; qui leur fournissait chaque jour la nourriture nécessaire. Les oiseaux obéissaient à leur Maîtresse mais l'amoureuse. Mère récréait l'Enfant Jésus par d'autres cantiques plus doux, le bénissant et le reconnaissant pour son Dieu, pour son Fils et pour l'auteur de toutes ces merveilles. Les saints anges s'unissaient tour à tour à notre grande Reine. et aux petits oiseaux, faisant tous ensemble un choeur d'une harmonie plus spirituelle que sensible et d'une douceur admirable. 637. Quelquefois l'auguste Princesse disait à l'Enfant : " Mon amour, lumière de :mon âme, comment vous soulagerai-je de vos peines? Comment empêcherai-je que vous ne soyez fatigué? Que pourrai-je faire pour vous adoucir un chemin si rude? Oh ! si je pouvais vous porter dans mon coeur, et vous y faire une couche où vous fussiez à l'abri ! " A quoi le très-doux Jésus répondait : " Ma chère Mère, je suis fort à mon aise entre vos bras, reposant sur votre sein; je trouve mes délices en vos soigneuses affections et en vos douces paroles " D'autres fois le Fils et la Mère s'entretenaient intérieurement et ces entretiens étaient si sublimes et si divins, qu'il n'est pas, possible de les traduire. Le saint époux 497 Joseph participait à plusieurs de ces mystères et à ces consolations , qui lui faisaient oublier la fatigue de la route et ressentir le fruit d'une si douce compagnie, quoiqu'il ne s'aperçût point que l'Enfant parlât à la Mère d'une manière sensible, car cette faveur lui était alors réservée, comme je l'ai déjà dit. Nos saints persécutés poursuivirent ainsi leur voyage d'Égypte. Instruction que je reçus de la très-sainte Vierge. 638. Ma fille, comme ceux qui connaissent le Seigneur mettent leur confiance en lui (1), de même ceux qui n'espèrent pas en sa bonté et en son amour immense, n'ont point une parfaite connaissance de sa . divine Majesté. Et si l'on manque de foi et d'espérance, on manque aussi d'amour, parce que le coeur s'attache à l'objet dans lequel il, a placé sa confiance et qu'il estime le plus (2). Tout le mal des mortels vient de cette erreur, parce qu'ils ont un si bas sentiment de la bonté infinie de Dieu, qui leur a donné l'être et qui le leur conserve, qu'ils n'oseraient établir toute leur confiance en lui; manquant à cette même confiance, ils manquent à l'amour qu'ils lui doivent, et le prostituent aux créatures; ils se confient en elles (1) Ps. IX, 10. - (2) Matth., VI, 21. 498 et estiment ce qu'ils souhaitent, c'est-à-dire le pouvoir, les richesses et la vanité (1). Et quoique les fidèles puissent détourner ce mal par la foi et par l'espérance infuse, ils ne profitent point de leurs ressources et condamnent trop souvent ces vertus à l'inaction, et c'est pour cela qu'ils se ravalent jusqu'aux choses basses. Ceux qui possèdent les richesses espèrent en elles, et ceux qui ne les ont pas les souhaitent (2). Les uns tâchent de les acquérir par les moyens les plus injustes; les autres se confient en la puissance des grands, ils les flattent et es applaudissent (3) : de sorte que le Seigneur en trouve très-peu qui méritent les favorables effets de sa providence, qui espèrent en elle, et qui le reconnaissent pour le bon Père, qui prend soin de ses enfants, qui les nourrit, et les conserve sans en laisser aucun dans la nécessité. 639. C'est cet aveuglement qui donne au monde un si grand nombre de partisans, qui l'à infecté d'avarice et de concupiscence, contrairement à la volonté du Créateur, et qui a trompé les hommes sur cela même qu'ils désiraient ou qu'ils devaient désirer; car tous avouent communément qu'ils ne désirent les richesses et les biens temporels que pour satisfaire à leurs besoins; et ils ne le disent que parce qu'ils ne devraient pas demander autre chose. Mais en fait, la plupart mentent, car ils souhaitent le superflu, et non point le nécessaire, afin de le faire servir aux pompes (1) Ps., LI, 7 ; Eccl., V, 9. - (2) Prov., XXVIII, 8. - (3) Ps., CXLV, 3. 499 du monde plutôt qu'aux besoins de la nature. Que si les hommes ne désiraient que ce qui leur est véritablement nécessaire, il y aurait folie de leur part à mettre leur confiance en de faibles créatures, et non pas en Dieu, qui étend son ineffable providence jusque surles petits des corbeaux (1), comme si leurs croassements étaient autant de voix qui invoquassent le secours de leur Créateur. Avec cette conviction, je ne pouvais rien craindre dans mon long pèlerinage. Et comme je n'espérais que dans le Seigneur, sa divine providence venait au secours de ma détresse. Pour vous, ma fille, qui connaissez cette grande providence, ne vous affligez point avec excès dans vos nécessités; employez seulement, sans manquer à vos obligations, les moyens, possibles pour y remédier, et ne comptez ni sur les industries humaines ni sur les créatures; et après que vous aurez fait ce qui dépend de vous, croyez que le seul moyen efficace est d'attendre avec patience et sans trouble le secours du Seigneur, car quoiqu'il vous le retarde quelquefois, il vous l'enverra toujours au moment le plus propice (2), et de façon à manifester davantage son amour paternel, comme il nous arriva dans nos extrêmes besoins. 640. Ceux qui ne souffrent pas avec patience, et qui ne veulent point endurer la nécessité; ceux qui vont à des citernes entr'ouvertes (3) , se confiant dans le mensonge et en la puissance des grands; ceux qui ne se contentent pas du nécessaire, et qui souhaitent (1) Ps. CXLVI, 9. - (2) Ps. CXLIV, 16. - (3) Jerem., II, 13. 500 ardemment ce dont ils n'ont pas besoin pour l'entretien de la vie; ceux qui gardent avec un attachement sordide ce qu'ils ont, et qui, dans la prévision d'une nécessité future, refusent aux pauvres l'aumône qui leur est due; tous ceux-là, dis-je, ont sujet de craindre qu'il ne leur manque ce qu'ils ne devraient point attendre de la Providence divine, si elle était aussi avare à donner, qu'ils le sont à espérer et à secourir les nécessiteux pour son amour. Mais le Père suprême qui est aux cieux fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et envoie la pluie aux justes et aux injustes (1), les assistant tous en leur donnant la vie et la nourriture. Et comme les bienfaits du Seigneur sont communs aux bons et aux méchants, et qu'ils donnent aux uns de très-grands biens qu'il refuse aux autres,, on ne doit pas juger par là de son amour; car il veut le plus souvent que les prédestinés soient pauvres (2), afin qu'ils augmentent leurs mérites et leurs récompenses, ou afin qu'ils ne se laissent pas séduire par l'amour des biens temporels. Et en effet, il y a fort peu de gens qui en sachent faire un bon usage et les posséder sans une cupidité désordonnée. Et quoique nous ne fussions point, mon très-saint Fils et moi, exposés à ce danger, sa Majesté néanmoins voulut par cet exemple enseigner aux hommes cette divine science, par laquelle ils peuvent acquérir la vie éternelle. (1) Matth., V, 45. - (3) Jacob., II, 5. 501 CHAPITRE XXIV. Les voyageurs Jésus, Marie et Joseph, après quelques détours dans le désert, arrivent à la ville d'Héliopolis. - Grandes merveilles qui y furent opérées. 641. J'ai dit dans un des chapitres précédents que la fuite du Verbe incarné eut d'autres mystères et d'autres fins plus relevées que de s'éloigner d'Hérode pour éviter les effets de sa colère; car ce fut plutôt un moyen que le Seigneur prit pour s'en aller en Égypte, et y op¢rer les merveilles qu'il y fit, et dont les anciens prophètes avaient parlé (1), notamment Isaïe, lorsqu'il dit (2) : que le Seigneur monterait sur un nuage léger, qu'il entrerait dans l'Égypte, que les idoles d'Égypte seraient ébranlées devant sa face, et que le coeur des Égyptiens se troublerait au milieu d'elles; et plusieurs autres choses que cette prophétie renferme, et qui arrivèrent au temps de la naissance de notre Seigneur Jésus-Christ. Mais laissant ce qui n'entre pas dans mon dessein, je dis que Jésus, Marie et Joseph, poursuivant leur voyage en la manière que j'ai racontée , parvinrent après plusieurs (1) Ezech., XXX, 13 ; Os., XI, 1. - (2) Isa., XIX, 1. 502 journées de marche aux endroits habités de l'Égypte. Et pour se rendre à Héliopolis , où ils devaient demeurer, les anges les conduisirent, le Seigneur l'ordonnant de la sorte, par quelques détours, afin qu'ils passassent auparavant dans plusieurs autres lieux où sa Majesté voulait opérer des merveilles et des bienfaits, dont il devait enrichir l'Égypte. C'est ainsi qu'ils employèrent plus de cinquante jours dans leur voyage , et qu'ils firent, depuis leur départ de Jérusalem, plus de deux cents lieues, quoiqu'ils eussent pu arriver en moins de temps à Héliopolis , s'ils eussent suivi la route la plus directe. 642. Les Égyptiens étaient fort enclins à l'idolâtrie et aux superstitions qui l'accompagnent ordinairement; de sorte que les plus petits endroits de cette province étaient remplis d'idoles. Il y en avait beaucoup qui avaient leurs temples, dans lesquels plusieurs démons se trouvaient, et les malheureux habitants y allaient pour les adorer par des sacrifices, et des cérémonies prescrites par les mêmes démons, qui répondaient à leurs demandes par des oracles auxquels ce peuple stupide et superstitieux se soumettait aveuglément. Il était si adonné à l'adoration du démon et si aveuglé par toutes ses tromperies , qu'il ne fallait pas moins que le puissant bras du Seigneur (1) (qui est le Verbe incarné) pour le ramener de son égarement et le retirer de l'oppression dans laquelle Lucifer (1) Luc., I, 51 ; Isa., LI, 9. 503 le tenait, oppression beaucoup plus cruelle que celle que les Égyptiens eux-mêmes avaient fait peser sur le peuple de Dieu (1). Pour remporter cette victoire sur le démon, et illuminer ceux qui demeuraient dans la région et dans l'ombre de la mort (2), et afin que ce peuple vit cette grande lumière dont Ysaïe fait mention (3), le Très-Haut détermina que le Soleil de justice (4), Jésus-Christ, paraîtrait peu de temps après sa naissance en Égypte entre les bras de sa bienheureuse Mère, et qu'il parcourrait ce pays pour l'éclairer des rayons de sa divine lumière. 643. Or l'Enfant Jésus arriva avec sa Mère et saint Joseph aux endroits habités de l'Égypte. Et lorsque le divin Enfant, porté sur les bras de l'auguste Marie, entrait dans une bourgade, il levait les yeux au ciel, et, les mains jointes, priait le Père éternel, et lui demandait le salut de ses habitants esclaves du démon. Et usant aussitôt de sa puissance divine sur ces malins esprits qui animaient les idoles, il les précipitait dans les ténébreux abîmes; de sorte qu'ils tombaient avec la rapidité de la foudre dans les dernières profondeurs des cavernes infernales. Au même instant, les idoles, les temples, les autels de l'idolâtrie s'écroulaient avec fracas. La cause de ces prodigieux effets était connue à notre divine Dame, qui accompagnait par ses prières celles de son très-saint Fils, comme coopératrice universelle du salut du genre humain. Saint Joseph (1) Exod., I, 11, etc. - (2) Luc., I, 79. - (3) Isa., IX, 2. - (4) Malach., IV, 2. 504 couvrait aussi que toutes ces merveilles venaient du Verbe incarné, et rempli d'une sainte admiration, il l'en louait et l'en bénissait. Mais quoique les démons sentissent la force du pouvoir de Dieu, ils ne savaient pourtant pas d'où sortait une telle vertu. 644. Les Égyptiens s'étonnaient d'une nouveauté si surprenante, quoiqu'il circulât parmi les plus savant d'entre eux une tradition, transmise par les anciens depuis l'époque où Jérémie avait été en Égypte, et portant qu'un roi des Juifs viendrait dans le pays, et que les temples des idoles égyptiennes, seraient détruits (1). Mais et le peuple et les savants ignoraient comment la chose devait arriver; ainsi la crainte leur fut commune; car ils se troublèrent tons, selon la prophétie d'Isaïe (2). Dans ce trouble ils s'interrogeaient les uns les autres, et il y en eut qui, poussés par un certain esprit de curiosité de voir des étrangers, allèrent trouver notre grande Reine et saint Joseph, et s'entretinrent avec eux de la ruine de leurs temples, et de la chute des dieux qu'ils adoraient. La Mers de la Sagesse, prenant de là occasion de les instruire, commença à les détromper en leur faisant connaître, le véritable Dieu, et en leur faisant voir qu'il était le seul Créateur du ciel et de la terre (3), et que lui seul devait être adoré et reconnu pour Dieu (4) ; que les autres étaient faux, qu'ils ne se (1) Refert sanctus Dorotheus, in Vit. Prophetarum, in Jerem. - (2) Isa. IX, 1. - (3) Eccles., I, 8 . - (4) Isa., XXXVII, 16 ; Deut., VI, 13 505 distinguaient point du bois, de la terre, ou des métaux dont ils étaient formés; qu'ils n'avaient ni yeux, ni oreilles, ni aucun pouvoir; que les mêmes artisans qui les avaient faits, ou tout autre homme que ce fût, pouvaient les détruire (1), parce qu'ils étaient eux-mêmes et plus nobles et plus puissants que ces ouvrages de leurs mains ; que les réponses qu'ils en obtenaient venaient des démons, qui habitaient dans, ces idoles pour les tromper, et que toutes ces fausses divinités ne sauraient avoir une vertu véritable, parce que Dieu seul était vérité. 645. Les paroles de notre divine Dame étaient si douces, si éloquentes et si efficaces, ses manières si aimables, et les effets de ses entretiens si salutaires, que le bruit de l'arrivée de nos saints voyageurs se répandait, et faisait qu'on s'empressait de les venir voir. Et comme la prière du Verbe incarné opérait en faveur des Égyptiens, et qu'elle leur obtenait de très-grandes grâces, cela joint à la ruine des idoles, leur causait une émotion incroyable, et changeait les coeurs, au. point qu'on voyait beaucoup de gens se convertir à la connaissance du vrai Dieu , et faire pénitence de leurs péchés , sans savoir d'où leur venait un changement si avantageux. Jésus et Marie passèrent par plusieurs bourgs de l'Égypte, et ils faisaient partout des merveilles, chassant les démons, non-seulement des idoles, mais aussi de plusieurs corps, guérissant un grand nombre de malades, éclairant les coeurs de diverses (1) Baruch., VI, 47, etc.; Ps. CXIII, 4. 506 personnes, et notre auguste Princesse et saint Joseph enseignaient le chemin de la vérité et de la vie éternelle. Par ces bienfaits temporels, qui touchent ordinairement le peuple ignorant et grossier, plusieurs étaient attirés à aller ouïr les instructions de salut. 646. Ils arrivèrent à la ville d'Hermopolis, située vers la Thébaïde, et appelée par plusieurs ville de Mercure. On y adorait beaucoup d'idoles, où se trouvaient des démons fort puissants, et en particulier un qui résidait dans un arbre à l'entrée de la ville : car les habitants l'ayant révéré à cause de sa grandeur et de sa beauté, le démon prit de là occasion de s'approprier ce culte et d'y établir son siège. Et lorsque le Verbe humanisé y parut, non-seulement le démon l'abandonna et fut précipité au fond de l'abîme, mais l'arbre se baissa jusqu'à terre, comme pour reconnaître le bonheur de son sort les créatures insensibles nous apprenant combien l'empire de cet ennemi est tyrannique. Ce miraculeux respect des arbres se manifesta diverses fois sur les chemins par où leur Créateur passait; et quoiqu'on n'ait pas fait mention de tous ces prodiges, on a pourtant conservé longtemps la mémoire de celui-ci, parce qu'à la suite de ce miracle les feuilles et les fruits de ce même arbre guérissaient plusieurs maladies. Quelques auteurs ont fait mention de cette merveille (1), comme aussi de plusieurs autres dont (1) Nicephor., lib. X, c. 31; Sozomen. lib., V, c. 90; Brocard., in Descrip. Terrae Sanctae. part. II, c. 4. 507 furent témoins les villes par où le Verbe incarné et sa très-sainte Majesté passaient pour se rendre au lieu de leur séjour : comme d'une fontaine; qui est proche du Caire, où notre grande Reine alla puiser de l'eau, qu'elle et le divin Enfant burent et dont elle se servit pour laver ses langes; car tout cela est réellement arrivé, la tradition et la vénération de ces merveilles ayant duré jusqu'à présent, non - seulement parmi les fidèles qui visitent les saints lieux, mais même parmi les infidèles, qui reçoivent quelquefois en y allant des faveurs temporelles de la main du Sauveur, soit pour mieux justifier sa cause envers eux, soit afin qu'on en conserve la mémoire. On sait qu'il y a encore d'autres endroits où les divins voyageurs se sont arrêtés et où ils ont opéré de grands miracles; mais il n'est pas nécessaire de les raconter ici, parce que le séjour le plus long qu'ils firent en Égypte fut à Héliopolis, qui n'a pas été appelée ville du Soleil sana mystère, et qu'on nomme aujourd'hui le grand Caire. 647. En écrivant ces merveilles, je demandai avec admiration à notre auguste Princesse comment elle avait pu passer avec l'Enfant-Dieu par tant d'endroits inconnus, parce qu'il me semblait que tous ces détours avaient dû augmenter ses peines et ses fatigues. Sur quoi elle me répondit : " Vous ne devez pas être surprise de ce que mon très-saint Fils et moi traversâmes tant de pays étrangers pour gagner un si grand nombre d'âmes, puisque pour une seule nous eussions parcouru toute la terre s'il n'y eût 508 pas eu d'autre remède. " Mais si ce que ces saints voyageurs ont fait pour le salut du genre humain nous paraît beaucoup, c'est parce que nous ignorons la force de l'amour immense qu'ils nous ont porté, et que nous ne savons pas non plus assez aimer pour reconnaître un tel bienfait. 648. Lucifer fut fort troublé, devoir précipiter tant de démons dans l'enfer par une nouvelle vertu à leur égard; et, enflammé de fureur, il vint sur la terre pour y découvrir la cause de cette nouveauté. Il passa par tous les endroits, de l'Égypte ou les temples, les autels et les idoles avaient été renversés; et étant arrivé à Héliopolis, qui, était une plus grande ville, et où par: conséquent la ruine de son empire avait été plus notable, il tâcha d'examiner avec beaucoup d'attention toutes les personnes qui l'habitaient. Et il n'y remarqua rien dont il pût se préoccuper, sinon que la très-pure Marie y était arrivée : car il ne fit aucun cas de l'Enfant Jésus , le regardant comme les autres enfants sans nulle. différence, parce qu'il ne le connaissait point. Mais comme il avait été si souvent vaincu par les vertus et par la sainteté de la prudente Mère et Vierge, il conçut de nouvelles craintes ; quoiqu'il ne la crût . pas assez puissante pour lui avoir causé un si grand dommage, il résolut cependant de la persécuter de nouveau; et de se servir pour ce dessein de ses ministres d'iniquité. 649. Il retourna aussitôt dans l'enfer, et y ayant convoqué un conciliabule de princes des ténèbres, il leur apprit la ruine des idoles et des temples d'Égypte ; 509 car quand les démons en sortirent, ils furent précipités par le pouvoir divin d'une manière si subite, si ignominieuse et si pénible, qu'ils ne s'aperçurent pas de ce qui arrivait aux idoles et aux autres lieux qu'ils abandonnaient. Mais Lucifer les ayant informés de tout ce qui se passait, et que son empire allait être détruit dans toute l'Égypte, il leur dit qu'il ne comprenait point la causé de sa ruine, parce qu'il n'avait trouvé dans tout ce pays que la femme son ennemie (c'est ainsi que le dragon appelait l'auguste Marie), et qu'il ne croyait point que sa vertu, quoiqu'il la connût extraordinaire fût assez forte pour produire des effets tels qu'ils venaient d'éprouver dans cette occasion; qu'il déterminait néanmoins de lui faire une nouvelle guerre, et qu'ils devaient tous s'y préparer. Les ministres de Lucifer répondirent qu'ils étaient prêts à lui obéir; et voulant le consoler dans son furieux désespoir, ils lui promirent la victoire, comme si leurs forces eussent pu s'égaler à leur présomption (1). 650. Plusieurs légions sortirent ensemble de l'enfer, et allèrent en Égypte, où la Reine du ciel se trouvait, se persuadant que s'ils la vainquaient ils répareraient leurs pertes par ce seul triomphe, et recouvreraient tout ce que le pouvoir de Dieu leur avait ôté dans ce misérable royaume, parce qu'ils soupçonnaient qu'elle était l'instrument dont Dieu se servait pour opérer ces merveilles. Or, comme ils voulurent (I) Isa., XVI, 6. 510 s'en approcher pour la tenter selon leurs intentions diaboliques, ils furent bien surpris de se voir dans l'impossibilité de le faire, et forcés de s'arrêter à une distance de plus de deus mille pas, parce qu'une vertu divine les empêchait secrètement de s'avancer, et leur faisait en même temps sentir qu'elle venait de l'endroit où notre auguste Princesse se trouvait. Et quoique Lucifer et les autres ennemis s'obstinassent à poursuivre leur dessein, ils étaient toujours plus affaiblis et comme arrêtés par de très-fortes chaînes, dans lesquelles ils se démenaient sans pouvoir aller où était cette invincible Dame, 'qui voyait tout cela par la puissance du même Dieu qu'elle portait dans ses bras. Mais Lucifer, s'obstinant dans cette lutte inégale, fut soudainement précipité cette fois encore, avec tous ses ministres d'iniquité, dans les profondeurs de l'abîme. Cette nouvelle défaite, si humiliante, tourmenta et inquiéta vivement le dragon. Et comme cela lui était arrivé plusieurs fois depuis l'incarnation, ainsi que nous l'avons dit, il se demanda si le Messie n'était pas venu au monde. Mais comme le mystère lui était caché, et qu'il supposait que le Messie apparaîtrait avec éclat, il restait dans sa perplexité; et cette incertitude le remplissait de fureur: de sorte que plus il s'acharnait à découvrir la cause de sa douleur, plus elle lui échappait, et moins il la trouvait. Instruction que je reçus de l'auguste Reine du ciel. 651. Ma fille, les âmes fidèles et amies de mon très-saint Fils reçoivent une grande consolation et un bien au-dessus de tout autre bien, lorsqu'elles considèrent avec une vive foi qu'elles servent un Seigneur qui est le Dieu des dieux et le. Seigneur des seigneurs, Celui qui règne seul avec un empire absolu sur tout ce qui est créé, et qui triomphe de ses ennemis (1). L'entendement se plait en cette vérité, la mémoire s'y récrée, la volonté y puise mille délices, et toutes les facultés de l'âme dévote s'abandonnent sans crainte à la douceur qu'elles ressentent dans de si nobles opérations, et ne cessent de contempler cet objet de bonté, de sainteté et d'un pouvoir infini, qui n'a besoin de personne (2), et de la volonté duquel, tout l'univers dépend (3). Oh ! de combien de trésors se privent les créatures lorsque, oubliant leur propre félicité, elles emploient tout le temps de la vie et toutes leurs puissances à rechercher les choses visibles, passagères, apparentes et trompeuses! Je voudrais, ma fille, que vous vous retirassiez de ce danger par le secours de la lumière que vous avez, et que votre entendement et votre mémoire fussent toujours occupés de la vérité de l'Être de Dieu. Abîmez-vous dans cette mer immense, en redisant sans cesse ; (1) I Tim., VI, 15 et 16. - (2) Mach., XIV, 35. - (2) Apoc., IV, 11. 512 Qui est semblable au Seigneur notre Dieu, qui habile les lieux les plus élevés, et qui regarde les humbles dans le ciel et sur la terre (1)? Qui est semblable à Celui qui est tout puissant et qui ne dépend de personne, qui humilie les superbes, et qui abat ceux que le monde aveugle appelle puissants (1); qui triomphe du démon, et qui le précipite jusque dans le plus profond des enfers? 652. Et afin que vous puissiez mieux faire entrer ces vérités dans votre coeur, et vous assurer par leur moyen un plus grand avantage sur les ennemis du Très-Haut, qui sont aussi les vôtres, je veux que vous m'imitiez, autant qu'il vous sera possible, en vous glorifiant dans les victoires de son puissant bras, et en tâchant de prendre quelque part à celles qu'il veut toujours remporter sur ce cruel dragon. Les hommes ni même les anges ne sauraient exprimer ce *que mon âme ressentait lorsque je voyais que mon très-saint Fils opérait entre mes bras tant de merveilles contre ses ennemis et en faveur de ces âmes aveuglées et tyrannisées par leurs erreurs, et que le nom du Très-Haut était ainsi publié et de plus en plus exalté par son Verbe fait' chair. Dans cette joie mon âme magnifiait le Seigneur, et je faisais avec mon adorable Fils de nouveaux cantiques de louange, en tant que sa Mère et en tant qu'Épouse du Saint-Esprit. Vous êtes fille de la sainte Église, épouse de mon très-béni Fils, et enrichie de sa grâce; il est juste que vous (1) Ps. CXII, 5. 513 travailliez avec ardeur, avec zèle, à lui procurer cette gloire en combattant vaillamment contre ses ennemis, afin que votre Époux obtienne de nouveaux triomphes. 13/30 CHAPITRE XXV. Jésus, Marie et Joseph établissent leur demeure, suivant la volonté divine, dans la ville d'Héliopolis. - Ils règlent leur manière de vivre pour tout le temps de leur séjour. Instruction que la Reine du ciel me donna. CHAPITRE XXVI. Où sont racontées les merveilles que l'Enfant Jésus, sa très- sainte Mère et saint Joseph firent à Héliopolis en Égypte. CHAPITRE XXVII. Hérode ordonne de faire mourir les Innocents. - L'auguste Marie en a connaissance, et le petit Baptiste est mis à couvert de sa fureur. Instruction que je reçus de la très-sainte Vierge. CHAPITRE XXVIII. L'Enfant Jésus parle à saint Joseph un an après sa naissance. - Sa très-sainte Mère se dispose à le chausser et à le faire marcher. - Elle commence à célébrer les anniversaires de l'incarnation et de la Nativité. Instruction que notre auguste Maîtresse me donna. CHAPITRE XXIX. La très-sainte Mère met la tunique sans couture de l'Enfant Jésus, et elle le chausse; et ce que cet adorable Seigneur faisait. Instruction que la très-sainte Vierge me donna. CHAPITRE XXX. Jésus, Marie et Joseph retournent d'Égypte à Nazareth par la volonté du Très-Haut. Instruction que la Reine du ciel me donna. CHAPITRE XXV. Jésus, Marie et Joseph établissent leur demeure, suivant la volonté divine, dans la ville d'Héliopolis. - Ils règlent leur manière de vivre pour tout le temps de leur séjour. 653. Le souvenir qui se perpétua en plusieurs endroits de l'Égypte, des merveilles que le Verbe incarné y fit, peut avoir donné lieu à divers auteurs d'écrire, les uns, que nos saints voyageurs séjournèrent dans telle ville, les autres, dans telle autre. Mais tous leurs témoignages peuvent être considérés comme exacts et se concilier si on les rapporte à des époques différentes, auxquelles la sainte famille demeura à Hermopolis, à Memphis on Babylone d'Égypte, et à Matarieh , puisqu'elle s'arreta non-seulement dans ces villes, mais aussi dans plusieurs autres. Ce qui m'a été révélé, c'est qu'après y avoir passé, elle arriva à Héliopolis et qu'elle y fixa son séjour, parce que les saints anges qui les conduisaient dirent à 514 notre divine Reine et à saint Joseph qu'ils devaient s'arrêter en cette ville, où le Seigneur voulait, outre la ruine des idoles et de leurs temples, que leur présence y causa comme dans les autres endroits, opérer d'autres merveilles pour sa gloire et pour le salut de plusieurs âmes, afin que les habitants de cette ville (qui était appelée, selon l'heureux pronostic de son nom , ville du Soleil ) , vissent le Soleil de justice et de la grâce (1) , et qu'ils en fussent beaucoup mieux éclairés qu'ils ne l'étaient du soleil matériel. Ayant donc reçu cet avis, ils s'y arrêtèrent, et aussitôt qu'ils y furent arrivés, saint Joseph alla chercher un logement, offrant d'en payer le juste prix; et le Seigneur lui fit trouver une maison pauvre, mais suffisante pour leur habitation, et un peu éloignée de la ville, comme la Reine du ciel le souhaitait. 654. Après donc qu'ils eurent loué cette maison dans Héliopolis, ils s'y installèrent. Et notre divine Dame s'y étant renfermée. avec son très-saint Fils et son époux Joseph, se prosterna et baisa la terre avec une. profonde humilité et avec une tendre reconnaissance, rendant des actions de grâces au Très-Haut de ce qu'elle avait trouvé ce lieu de repos après un si long et si pénible voyage. Elle remercia aussi cette même terre et les éléments de leurs bienfaits; car dans son humilité incomparable elle se croyait toujours indigne de tout ce qu'elle recevait. Elle adora au même endroit l'Être immuable de Dieu, (1) Malach., IV, 2. 515 lui consacrant tout ce qu'elle y devait faire. Elle lui fit intérieurement le sacrifice de ses puissances et de ses sens, et s'offrit d'endurer avec empressement et avec joie toutes les afflictions que sa Majesté voudrait lui envoyer dans cet exil; car sa prudence les prévoyait, et son affection les embrassait. Elle les appréciait d'après la science divine, parce que cette même science lui avait montré comment elles sont accueillies au tribunal divin, et qu'elle savait que son très-saint Fils allait les regarder comme son héritage et comme un riche trésor. Après ce sublime exercice, elle s'humilia à nettoyer et à arranger la pauvre demeure, avec l'aide des saints anges, ayant emprunté jusqu'au balai dont elle se servait. Quoique nos divins étrangers se crussent assez bien logés entre les tristes murailles de cette maison, il leur manquait pourtant et la nourriture et les meubles nécessaires pour l'usage de tous les jours. Et comme ils étaient alors dans un endroit habité, le secours miraculeux qu'ils recevaient par-le ministère des anges dans le désert, leur manqua également, de sorte que le Seigneur les remit à la table ordinaire des plus pauvres, c'est-à-dire qu'il les réduisit à mendier. Lorsque dans leur dénuement ils commencèrent à souffrir de la faim, saint Joseph alla demander l'aumône pour l'amour de Dieu , apprenant par cet exemple aux pauvres à ne point se plaindre dans leurs besoins, et à ne pas avoir honte d'y remédier par ce moyen, quand ils n'en trouveront point d'autre légitime, puisqu'il fallut mendier de si bonne heure pour entretenir la vie du Seigneur de tout ce 516 qui est créé, qui voulait avoir occasion par là de payer ses bienfaiteurs au centuple (1). 655. Les trois premiers jours de leur arrivée à Héliopolis, la Reine du ciel n'y eut point d'autres aliments pour elle et pour son adorable Fils, comme dans divers autres endroits de l'Égypte, que ceux que saint Joseph reçut par aumône, jusqu'à ce qu'il commençât à gagner quelque chose par son travail. Lorsqu'il eut pu réaliser quelque bénéfice, il fit une, couchette dont les planches formaient toute la garniture et un berceau pour l'Enfant; quant su saint, il n'avait point d'autre lit que la terre, ni d'autres meubles que ceux-là dans la maison, jusqu'à ce qu'il eut acquis par sa sueur le moyen d'acheter ceux dont ils ne pouvaient se passer. Je ne dois pas cacher ce qui m'a été découvert ici, c'est que dans une si extrême pauvreté, Marie et Joseph ne songèrent aucunement à leur maison de Nazareth, ni à leurs parents, ni à leurs amis, ni aux présents des mages qu'ils avaient distribués, et qu'ils auraient pu garder. Ils ne regrettèrent aucune de ces choses, et se trouvèrent dans une si grande nécessité sans former la moindre plainte, sans se souvenir du passé, et sans craindre l'avenir. Au contraire, ils conservèrent toujours une égalité et une joie incomparable, s'abandonnant à la Providence divine dans leurs plus pressants besoins. O bassesse de nos coeurs infidèles, de combien de troubles, de soucis et de peines ne sont-ils pas remplis au moindre (1) Matth., XIX, 29. 517 embarras qui nous survient ! Nous nous plaignons,incontinent d'avoir perdu une occasion, de n avoir pas profité d'une autre; nous nous reprochons avec impatience que si nous eussions tenu une autre conduite, nos affaires iraient mieux. Toutes ces peines sont inutiles et insensées, parce qu'elles ne,servent de rien Sans doute il eût été bon de ne pas donner lieu à nos afflictions par nos péchés, qui nous les attirent bien souvent; mais d'ordinaire nous ressentons le dommage temporel, et non point le péché qui nous l'a mérité. Nous sommes trop attachés à la terre pour découvrir les choses spirituelles, qui peuvent causer notre justification et les accroissements de la grâce, et assez matériels et téméraires pour nous livrer aux choses sensibles et à leurs soins superflus, qui contribuent à notre perte (1). L'exemple de nos saints étrangers doit nous servir d'une sévère leçon, et confondre notre lâcheté. 656. Notre très-prudente Dame et son époux, dépourvus de toutes les choses temporelles, se contentèrent pleinement de cette pauvre petite maison solitaire. Et des trois chambres qu'il y avait, l'une fut consacrée en un sanctuaire destiné à l'Enfant Jésus et à sa très-pure Mère; on y mit le berceau et le petit lit tout nu jusqu'à ce qu'ils eurent, quelques jours après, de quoi: se pouvoir tous couvrir, parle travail du saint et par la charité de plusieurs femmes dévotes qui s'affectionnèrent à notre Reine. L'autre chambre fut (1) I Cor., II, 14. 518 pour saint Joseph, où il se retirait pour prier et pour reposer. Et la troisième lui servait de boutique pour travailler de son métier. Notre auguste Princesse, voyant leur extrême pauvreté, et qu'il fallait que son époux augmentât son travail ordinaire pour pouvoir subsister dans un pays étranger, se résolut à travailler aussi pour le soulager autant qu'il lui serait possible. Et c'est ce qu'elle exécuta incontinent, cherchant des ouvrages par l'intermédiaire de ces charitables femmes, qui commencèrent à la fréquenter, attirées par sa modestie et par sa douceur. Et, comme il ne sortait rien de ses mains qui né fût de la dernière perfection, le bruit de son habileté et de la délicatesse de ses ouvrages se répandit bientôt; de sorte qu'il ne lui manqua jamais de quoi, travailler pour nourrir son Fils homme et Dieu véritable. , 657. Notre grande Reine crut qu'il fallait employer tout le jour au travail, sauf à passer la nuit dans ses exercices spirituels, pour gagner tout ce qui était nécessaire à leur nourriture, pour vêtir saint Joseph, meubler leur maison, quoique très- simplement, et en payer le loyer. Ce n'est pas qu'elle eût aucune attache aux biens de la terre en. se déterminant à cela, ni quelle négligeât la contemplation en aucun moment de la journée; car elle y vaquait toujours, et se tenait continuellement en la présence de l'Enfant-Dieu, comme je l'ai dit si souvent et comme je le dirai dans la suite. Mais elle voulut différer jusqu'à la nuit quelques dévotions particulières qu'elle pratiquait pendant le jour, pour pouvoir travailler davantage, 519 et pour ne pas demander ni attendre que Dieu lui accordât d'une manière miraculeuse ce qu'elle pouvait se. procurer par ses soins en redoublant son travail : car, en semblables cas, nous désirerions le miracle plutôt pour la commodité que pour la nécessité. La très-prudente Reine priait le Père éternel de la pourvoir par sa miséricorde du nécessaire, afin de nourrir son Fils unique, mais en même temps elle travaillait. Et, comme ne se fiant pas à elle-même ni à sa propre industrie, elle demandait en travaillant ce que le Seigneur. accorde aux autres créatures par ce moyen. 658. L'Enfant-Dieu agréa beaucoup cette prudence de sa Mère, aussi bien que la conformité qu'elle avait avec son étroite pauvreté : et, pour répondre à cette fidélité toute maternelle, il voulut lui adoucir en quelque façon le travail qu'elle avait commencé. C'est pour ce sujet qu'il lui dit un jour du berceau où il était : " Ma Mère, je veux régler l'ordre de votre vie et de vos occupations manuelles. " La divine Mère se mit aussitôt à genoux, et lui répondit : " Mon très-doux amour et Seigneur de mon être, je vous loue et vous glorifie de ce que vous avez accepté le désir que j'avais que votre divine volonté dirigeât mes pas (1), conduisit mes oeuvres, et fixât selon votre bon plaisir ce dont je dois m'occuper à chaque heure du jour. Et puisque votre suprême Majesté a eu la bonté d'exaucer mes souhaits, parlez, (1) Ps., CXVIII, 133. 520 lumière de mes yeux, parce que votre servante vous écoute (1). " Le Seigneur lui dit : " Ma très-chère Mère, dès l'entrée de la nuit (c'est-à-dire, selon notre manière de compter, vers neuf heures du soir), vous dormirez et reposerez quelque peu. De minuit jusqu'au point du jour, vous vous livrerez avec moi aux exercices de la contemplation, et nous louerons ensemble mon Père éternel. Ensuite vous préparerez ce qui sera nécessaire pour votre nourriture et pour celle de Joseph. Quand cela sera fait, vous me donnerez la mienne, et me tiendrez . entre vos bras jusqu'à l'heure de tierce, que vous me remettrez entre ceux de votre époux pour le soulagement de son travail; ensuite vous vous retirerez dans votre appartement jusqu à ce qu'il soit temps de lui servir à manger, après quoi vous reprendrez votre travail. Et parce que vous n'avez pas ici les Écritures saintes, dont la lecture vous était d'une consolation singulière, vous lirez en ma science la doctrine de la vie éternelle, afin que vous me suiviez en toutes choses avec une parfaite imitation. Et vous prierez toujours mon Père éternel a pour les pécheurs. " 659. L'auguste Marie suivit cet ordre tout le temps qu'elle demeura en Égypte. Elle allaitait l'Enfant-Dieu trois fois chaque jour : parce que, quand il lui marqua la première fois qu'elle lui devait donner la mamelle, il ne lui défendit pas de la lui donner aussi (1) I Reg., III, 10. 521 souvent qu'elle le fit, dès la naissance. Lorsque la divine Mère faisait quelque ouvrage, elle se tenait toujours 'à genoux en la présence de l'Enfant Jésus, qui était dans son berceau; et aux entretiens qu'ils avaient alors ils mêlaient d'ordinaire de mystérieux cantiques de louange. Et, s'ils étaient écrits, ils surpasseraient tous les psaumes, toutes les hymnes que l'Église chante et tous les livres qu'elle possède : car on ne doit pas douter que Dieu n'ait parlé d'une manière plus sublime et plus admirable par l'organe de son humanité et de sa très-sainte Mère, que par David, Moïse, Marie, Anne et tous les autres prophètes. La divine Mère était toujours renouvelée dans ces cantiques, et animée de nouvelles affections pour la Divinité et de désirs efficaces de s'unir à son Être immuable; car elle était le phénix qui renaissait dans cet heureux embrasement, et l'aigle qui pouvait regarder fixement le Soleil de la lumière ineffable; et de si près, que jamais aucune créature n'a pu élever aussi haut son vol. Elle tendait à la fin pour laquelle le Verbe divin avait pris chair dans son sein virginal, et qui était de conduire les créatures raisonnables à son Père éternel. Comme elle était la seule entre toutes qui n'était point empêchée par l'obstacle du péché, ni par ses effets, ni par les passions, ni par les appétits, mais qui était au contraire libre de toutes les choses terrestres et de tous les empêchements de la nature, elle volait après son bien-aimé et s'élevait à une haute demeure, sans s'arrêter qu'elle n'eût atteint son centre, qui était la Divinité. Et comme elle avait toujours 522 sous les yeux le Verbe incarné, qui est la voie et la lumière (1), et qu'elle dirigeait tous ses désirs, toutes ses affections vers l'Être immuable du Très-Haut, ils l'entraînaient sans cesse vers lui, et elle arrivait à son but plutôt qu'elle ne courait dans la voie, elle disparaissait d'elle-même pour se perdre dans l'objet de son amour. 660. L'Enfant-Dieu dormait quelquefois en présence de son heureuse bière, afin de réaliser ce qu'il avait dit: Je dors, et mon cour veille (2). Et comme le très-saint corps de son Fils était à son égard un très-pur cristal à travers lequel elle pénétrait le secret de son âme déifiée et ses opérations (3), elle se regardait souvent dans ce miroir sans tache; et c'était une consolation singulière à notre divine Dame de voir la partie supérieure de l'âme très-sainte de son Fils si assidue aux actes les plus héroïques, tout à la fois comme voyageur et comme compréhenseur, tandis qu'en même temps il dormait plongé dans une si grande quiétude et brillant d'une beauté si rare; parce que tout ce qui était humain en cet adorable Seigneur était uni hypostatiquement à la Divinité. Nous ne saurions perler des douces et ardentes affections que la Reine du ciel éprouvait, ni des actes sublimes qu'elle faisait dans ces occasions, sans en ternir en quelque sorte le lustre de notre bouche : ainsi il faut que la foi et le coeur suppléent aux paroles. (1) Joan., XIV, 6, etc. ; VIII, 12. - (1) Cant., V, 2. - (3) Sap., VII, 26. 523 661. Quand la divine Mère voyait qu'il était temps de soulager saint Joseph en lui remettant l'Enfant Jésus, elle lui disait : " Mon Fils et mon Seigneur, regardez votre fidèle serviteur avec un amour de Fils et de Père, et prenez vos délices en la pureté de son âme si candide et si agréable à vos yeux. " Et s'adressant su saint, elle lui disait : " Mon époux, prenez dans vos bras le Seigneur, qui renferme dans sa main les cieux et la terre (1), auxquels il a donné l'être par sa seule bonté infinie, et adoucissez les fatigues de votre travail par Celui qui est la gloire de tout ce qui est créé. " Le saint recevait cette faveur avec beaucoup d'humilité et de reconnaissance, non sans demander à sa divine épouse s'il pourrait se permettre de faire quelques caresses à l'Enfant. Et, rassuré par la prudente Dame, il en faisait; et la consolation que lui procurait cet adorable Seigneur était si grande, qu'il oubliait ses peines, et elles lui paraissaient toutes très-légères et même douces. Chaque fois que nos deux saints époux prenaient leur repas, l'auguste Marie tenait l'Enfant; elle le reprenait des mains de saint Joseph après avoir servi la table, et elle mangeait avec une très-grande propreté; mais la nourriture que son âme très-sainte recevait était bien plus douce et plus abondante que celle de son corps: car, dans le temps qu'elle avait son Fils bien-aimé entre ses bras comme enfant, et qu'elle le caressait avec la tendresse d'une Mère amoureuse, elle le respectait, (1) Isa., XL, 12. 524 l'adorait et l'aimait comme son Dieu éternel. Il n'est pas possible d'exprimer les soins qu'elle prenait de s'acquitter envers son Créateur de cette double obligation de créature et de Mère-, d'un côté , elle le reconnaissait pour le fils du Père éternel, pour le Roi des rois, pour le Seigneur des seigneurs, et pour le Créateur et le Conservateur de tout l'univers (1); et par un autre endroit elle le considérait comme homme véritable encore dans son enfance, et qu'elle devait servir et nourrir. Par ces deux différents motifs d'amour, elle se sentait tout embrasée, et ne cessait d'admirer, de louer et d'aimer celui qui en était le principe. Quant à toutes les autres choses que nos divins époux faisaient, je puis seulement dire qu'ils excitaient l'admiration des anges, et que par la plénitude de leur sainteté ils comblaient le bon plaisir du Seigneur. Instruction que la Reine du ciel me donna. 662. Ma fille, si l'on considère qu'étant en Égypte avec mon très-saint Fils et mon époux, nous étions dans un pays d'une religion étrangère, où nous n'avions ni amis ni parents, et oit je me trouvais dépourvue de tout secours humain pour nourrir un Fils (1) Apoc., XIX, 16. 525 que j'aimais si tendrement, on pourra se faire une idée des peines, des tribulations et des incommodités que nous y essuyâmes, car le Seigneur permettait que nous en fussions affligés. Mais on ne saurait concevoir la patience avec laquelle nous les supportâmes; les anges mêmes ne sont pas capables d'apprécier à sa valeur la récompense que j'obtins du Très-Haut pour l'amour et la résignation avec laquelle je les souffris, y conservant plus de calme que si j'eusse été au sein de la prospérité. Il est vrai que j'étais désolée de voir mon époux dans une si grande nécessité; mais je bénissais le Seigneur de cette désolation même, parce que je m'y soumettais avec joie. Je veux, ma fille, que vous m'imitiez en cette généreuse patience et en cette paisible sérénité, dans toutes les circonstances où vous placera le Seigneur, et que vous y sachiez partager avec prudente ce qui regarde l'intérieur et l'extérieur, donnant à l'un et à l'autre ce qu'il est juste que vous donniez dans l'action et dans la contemplation, sans que la première empêche la seconde, et réciproquement. 663. Quand le nécessaire manquera à vos inférieures, tâchez de le leur procurer par les moyens convenables; et si vous renoncez à votre propre repos pour vous acquitter de cette obligation, vous n'en perdrez pas la paix, surtout si vous suivez l'avis que je vous ai. donné plusieurs fois, c'est-à-dire si vous faites en sorte de ne perdre jamais le Seigneur de vue, quelque occupation que vous ayez. Avec le secours de sa lumière et de sa grâce vous viendrez, 526 sans vous troubler, à bout de tout si vous êtes vigilante. Car lorsqu'on peut légitimement subvenir, aux nécessités par' des, moyens humains, on ne doit pas attendre de miracles ni rester les bras croisés dans. l'espérance que Dieu pourvoira à tout par des voies surnaturelles, attendu que sa Majesté ne concourt qu'aux moyens doux, communs et convenables; et le travail corporel en est un où le corps sert avec l'âme le Seigneur, ogre son sacrifice, et acquiert son mérite en la manière qui lui est possible. De sorte que 1a créature raisonnable peut, en vaquant au travail, louer et adorer Dieu en esprit et en vérité (1). Et, pour le faire, subordonnez toutes vos actions à son bon plaisir, proposez-les à sa Majesté, et pesez-les au poids du sanctuaire en donnant toute votre attention à la divine lumière que le Tout- Puissant vous communique. (1) Joan., IV, 23. 527 CHAPITRE XXVI. Où sont racontées les merveilles que l'Enfant Jésus, sa très- sainte Mère et saint Joseph firent à Héliopolis en Égypte. 664. Lorsque Isaïe dit (1) que le Seigneur entrerait dans l'Égypte sur un nuage léger pour y faire éclater les merveilles qu'il y voulait opérer, il est constant, soit que l'on entende sa très-sainte Mère, soit qu'avec d'autres interprètes l'on entende l'humanité qu'il en avait prise, il est constant, dis-je, qu'il a voulu signifier par cette métaphore qu'il fertiliserait cette terre stérile, c'est-à-dire les coeurs des habitants de ce royaume, par le moyen de ce divin nuage, afin qu'elle produisît à l'avenir de nouveaux fruits de sainteté par la connaissance de Dieu, comme il arriva après que ce nuage céleste y fut entré. Car aussitôt la foi du véritable Dieu se propagea dans l'Égypte, l'idolâtrie y fut détruite, et le chemin de la vie éternelle, que le démon avait tenu fermé jusqu'alors, fut ouvert; et cet ennemi de nos limes l'avait tenu si bien fermé, qu'on eût trouvé à peine dans le pays une personne qui connu la véritable Divinité lorsque le Verbe (1) Isa., XIX, 1. 528 incarné y entra. Et, quoique quelques Égyptiens eussent puisé cette connaissance dans leurs rapports avec les Hébreux, qui l'habitaient, ils y mêlaient néanmoins beaucoup d'erreurs et de superstitions, et plusieurs pratiques qui se rattachaient au culte du démon, comme avaient fait autrefois les Babyloniens qui étaient venus demeurer à Samarie (1). Mais après que le Soleil de justice eût éclairé l'Égypte, et que la nue exempte de toute sorte de souillure, l'auguste Marie, l'eût fertilisée (2), elle fut si remplie de sainteté et de grâce, qu'elle en donna abondamment des fruits durant plusieurs siècles, comme on a vu dans le grand nombre de saints et d'anachorètes qu'elle a produits ensuite, et qui ont distillé dans ses montagnes le miel délicieux de la sainteté et de la perfection chrétienne (3). 665. Le Seigneur, voulant distribuer ces faveurs qu'il destinait aux Égyptiens, s'arrêta dans la ville d'Héliopolis, ainsi que nous l'avons dit. Et comme elle était fort peuplée et remplie d'idoles, de temples et d'autels consacrés su démon, et que tous écroulèrent avec un bruit épouvantable lorsque l'Enfant Jésus y entra, on ne saurait exprimer la crainte, l'émotion et le trouble dans lesquels ce prodige inouï jeta tous les habitants (4). Ils erraient dans les rues comme éperdus d'épouvante, et la curiosité devoir les étrangers nouvellement arrivés se joignant à cet effroi général, il y eut un grand nombre d'hommes et de (1) IV Reg., XVII, 24. - (2) Isa., XIX, 1. - (3) Joel., III, 18. - (4) Isa., XIX, 1, etc. 529 femmes qui allèrent parler à notre grande Reine et au glorieux saint Joseph. La divine Mère, qui savait, le mystère et la volonté du Très-Haut, répondit à tous avec beaucoup de prudence, de sagesse et de douceur, par des paroles qui touchaient profondément les coeurs. Ils admiraient sa grâce incomparable et la sublimité de la doctrine qu'elle leur enseignait : et comme tout-en les retirant de leurs erreurs elle guérissait en même temps plusieurs des malades qui se trouvaient parmi ceux qui la visitaient, ils étaient consolés en toutes les manières. Le bruit de ces miracles se répandit de telle sorte, que la prudente et divine étrangère se vit en peu de temps aborder de tant de personnes, qu'elle fut obligée de prier son très-saint Fils de lui indiquer ce qu'il voulait qu'elle fit dans. cette rencontre. L'Enfant-Dieu lui répondit de leur apprendre la vérité et la connaissance de la Divinité; de leur enseigner son culte, et les moyens dont elles devaient se servir pour sortir du péché. 666. Notre princesse exerça cet office de prédicateur et de docteur des Égyptiens comme organe de son très-saint Fils, qui donnait cette admirable vertu à ses paroles. Et le fruit que ces âmes en tirèrent fut si grand, qu'il faudrait faire plusieurs livres s'il fallait raconter les merveilles qui arrivèrent, et les conversions à la vérité qui eurent lieu pendant les sept années qu'ils demeurèrent dans ce pays; car il fut tout sanctifié et rempli de douces bénédictions (1). (1) Ps. XX, 4. 530 Toutes les fois que notre divine Dame écoutait ou instruisait ceux qui la venaient voir, elle prenait l'Enfant Jésus entre ses bras, comme celui qui était l'auteur de cette grâce et de toutes celles que les pécheurs obtiennent. Elle parlait à chacun selon la portée de son esprit, et se servait des moyens les plus convenables pour que tous reçussent et pénétrassent la doctrine de la vie éternelle. Elle leur fit connaître la Divinité et leur apprit qu'il n'y avait qu'un Dieu, et qu'il était impossible qu'il y en eût plusieurs. Elle leur enseigna aussi toutes les choses et toutes les vérités relatives à la Divinité et à la création du monde. Ensuite elle leur déclara que Dieu même le devait racheter et réparer : et elle leur expliqua tous les commandements que contient le Décalogue, et qui sont fondés sur la loi de nature elle-même, leur enseignant de quelle manière ils devaient servir et adorer Dieu, et comment ils devaient attendre la rédemption du genre humain. 667. Elle leur fit comprendre aussi qu'il y avait des démons ennemis du véritable Dieu et des hommes; elle les désabusa des erreurs dans lesquelles les entretenaient leurs idoles avec les faux oracles qu'elles rendaient, et que ces mêmes démons les portaient à consulter, en contribuant secrètement au désordre de leurs passions, pour les plonger ensuite dans des péchés énormes. Et, quoique notre auguste Reine fût si pure et si éloignée de toute sorte d'imperfection, elle ne laissa pas néanmoins, regardant en cela et la gloire de Dieu et le salut des âmes de leur inspirer 531 une juste horreur des crimes abominables dont toute l'Égypte était souillée. Elle leur déclara aussi que le Restaurateur de toutes choses, qui devait vaincre le démon, selon les prédictions des Écritures, était déjà venu, sans leur dire pourtant que ce fût celui qu'elle tenait entre les bras. Et, afin qu'on reçût plus facilement toute cette doctrine et qu'on embrassât avec plus d'affection la vérité, elle la confirmait par de grands miracles, guérissant toutes sortes de maladies, et délivrant les énergumènes qui venaient de divers endroits. Elle se rendait quelquefois dans les hôpitaux, où elle opérait des merveilles en faveur des malades. De sorte que partout elle consolait les affligés, soulageait les misérables et secourait les pauvres; elle instruisait tout le monde avec un amour maternel, reprenait chacun avec une sévérité mêlée de douceur, et gagnait tous les coeurs par ses bienfaits. 668. En ce qui concerne les malades qui avaient des plaies, notre divine Dame se trouva balancée entre la charité, qui l'obligeait à les leur panser de ses propres mains, et un sentiment de retenue qui la portait à ne toucher personne. Et afin de la tirer de cette peine, son très-saint Fils lui dit de guérir les hommes par ses seules paroles et en les instruisant; mais qu'elle pouvait toucher les femmes et panser elle- même leurs plaies. Et c'est ce qu'elle fit dés lors; exerçant tour à tour les offices de mère et d'infirmière à tous, jusqu'à ce que saint Joseph commença de guérir aussi les malades; ce qui arriva deux années après, comme je le dirai. Notre auguste Princesse s'attachait 532 surtout à guérir les femmes, st cela avec une si grande charité, que, malgré son extrême pudeur et sa délicatesse, elle pansait elle-même leurs plaies, quelque ulcérées qu'elles fussent, et y appliquait les linges et les bandages nécessaires; et elle montrait à toutes ces malades une compassion aussi vive que si elle avait senti leurs maux. Il arrivait parfois que, pour exercer cette charité, elle demandait à son très-saint Fils la permission de l'ôter de ses bras; et alors elle le mettait dans son berceau et s'employait à soulager les pauvres, parmi lesquels le même Seigneur des pauvres revoyait sous une autre forme l'humble et charitable Dame (1). Mais chose admirable! jamais, au milieu de ces oeuvres et de ces soins, elle ne regardait qui que ce fût au visage. Et lors même que la plaie s'y trouvait, notre très-modeste Reine la pansait avec une telle retenue, qu'après coup elle n'eût pu reconnaître aucun malade à ses traits, si d'ailleurs elle ne les eût connus tous par la lumière intérieure. 669. Les chaleurs excessives de l'Égypte et les grands désordres de ce misérable peuple, amenaient ordinairement des maladies très-dangereuses dans le pays. La peste ravagea Héliopolis, et plusieurs autres endroits pendant le temps que l'Enfant Jésus et sa très-sainte Mère y demeurèrent. Ces calamités et le bruit des merveilles qu'ils opéraient, leur attiraient un grand nombre de malades, qui s'en retournaient avec la santé du corps et de l'âme. Mais le Seigneur (1) Matth., XXV, 40. 533 voulant étendre davantage sa grâce, et que la très-compatissante Mère fût soulagée dans les oeuvres de miséricorde, qu'elle faisait comme instrument vivant de son adorable Fils, détermina, à la prière de notre divine Dame, que saint Joseph instruirait et guérirait aussi les malades; et elle lui obtint une nouvelle lumière intérieure, et une grâce spéciale de sainteté pour exercer ce ministère. De sorte que dans la troisième année depuis leur arrivée, saint Joseph se mit à appliquer ces dons du ciel. Il enseignait et guérissait ordinairement les hommes, et notre grande Reine les femmes. On ne saurait concevoir quels fruits ils produisaient, tant, par les faveurs continuelles que ce peuple en recevait que par l'efficace des paroles de notre auguste Princesse, et par l'affection que tous lui portaient, charmés dé sa modestie et attirés par la vertu de sa sainteté (1). On lui offrait de riches présents, afin qu'elle s'en servît; mais elle n'en accepta jamais aucun pour elle-même, car les saints époux se nourrirent toujours de leur travail. Et lorsqu'elle se croyait obligée de recevoir quelque cadeau par honnêteté, elle le distribuait incontinent aux pauvres. Et ce n'était que pour' cela qu'elle se prêtait à la piété, et en même temps à la consolation de quelques dévots, à qui elle donnait même bien souvent quelques- uns de ses ouvrages en témoignage de sa reconnaissance. On pourra deviner par ces merveilles combien ils en auront fait dans le cours des (1) Matth., XXV, 40. 534 sept années qu'ils demeurèrent à Héliopolis; car il serait impossible de les raconter en détail. Instruction que l'auguste Marie, Reine du ciel me donna. 670. Ma fille, vous avez été frappée d'admiration à la. vue des oeuvres de miséricorde que j'exerçais en Égypte, soulageant les pauvres et guérissant les malades de tant de sortes de maladies., pour leur procurer à la fois la santé du corps et de l'âme. Mais vous concevrez combien cela s'accordait avec ma retenue, et avec le goût que j'avais pour la retraite, si vous faites réflexion sur l'amour immense qui porta mon très saint Fils aussitôt qu'il fut né, à aller porter le salut dans ce royaume, en donnant à ses habitants les prémices du feu de la charité, dont son coeur était enflammé pour le salut de tous les mortels. Il me communiqua cette charité et me choisit pour être l'instrument de la sienne, aussi bien que de son pouvoir, sans quoi je n'aurais pas osé entreprendre une telle mission de mon propre mouvement, parce que mon inclination me faisait toujours pencher à la retraite et au silence; mais la volonté de mon Fils et mon Seigneur me conduisait en tout. Je veux, ma bien-aimée, qu'à mon imitation vous travailliez au bien et 535 au salut de votre prochain, et que vous tâchiez de me suivre dans cette voie avec la perfection et d'après les règles que je gardais. Vous ne devez pas chercher les occasions , mais attendre que le Seigneur vous les fournisse, à moins qu'une circonstance extraordinaire ne vous force de prendre les devants. Mais en toute rencontre tachez d'instruire et d'éclairer ceux que vous pourrez par la lumière que. vous avez reçue, non point comme exerçant l'office de maîtresse, mais avec des marques qui fassent connaître que vous ne voulez que consoler vos frères, que compatir à leurs peines, et que leur apprendre à souffrir avec patience dans leurs propres afflictions, unissant à cet effet à la pratique de la charité beaucoup d'humilité et de prudence. 671. Exhortez et corrigez vos inférieures, et amenez-les à ce qui sera le plus parfait et le plus agréable au Seigneur; car après que vous aurez vous-même pratiqué cette perfection, le plus grand service que vous pourrez rendre à sa Majesté sera d'encourager et d'instruire les autres, selon vos forces et selon la grâce que vous en avez reçue. Mais pour ce qui regarde ceux. à qui vous ne pouvez parler, priez continuellement pour leur salut, et ainsi vous étendrez votre charité sur tous. Et puisque vous ne pouvez pas vous occuper des malades qui sont hors du monastère, redoublez vos soins envers celles qui s'y trouvent, vous employant à leur service, et contribuant vous-même à tout ce qui pourra les soulager et les consoler. Mais en cela vous ne devez pas vous considérer comme 536 leur supérieure à cause de la charge dont vous êtes revêtue; car elle vous constitue leur mère, et c'est ce que vous leur montrerez par une égale sollicitude, par une égale affection pour toutes. Quant à tout le reste, Nous vous estimerez toujours pour la dernière de la maison. Et comme le monde occupe ordinairement les plus pauvres et les plus méprisables au service des malades, parce que, dans son ignorance, il n'apprécie pas la sublimité de cet emploi, à cause de cela même je vous donne, moi, comme à la plus pauvre et à la moindre de toutes, l'office d'infirmière , afin que vous m'imitiez en le remplissant. CHAPITRE XXVII. Hérode ordonne de faire mourir les Innocents. - L'auguste Marie en a connaissance, et le petit Baptiste est mis à couvert de sa fureur. 672. Laissons maintenant l'Enfant Jésus, sa très-pure Mère et saint Joseph en Égypte; sanctifiant ce royaume par leur présence et par leurs bienfaits, que la Judée ne méritait pas; et voyons où aboutirent l'astuce et l'hypocrisie diaboliques d'Hérode. Cet inique roi attendait le retour des mages, et le récit qu'ils lui feraient d'avoir trouvé et adoré le nouveau 537 roi des Juifs qui venait de naître, pour le faire ensuite mourir d'une manière inhumaine. Mais il fut bien trompé quand il apprit que les mages avaient été à Bethléem , s'étaient entretenus avec l'auguste Marie et son saint époux Joseph , et qu'ayant pris un autre chemin , ils étaient déjà hors de la Palestine; car il fut informé de tout cela aussi bien que d'une partie de ce qui s'était passé dans le Temple; et, s'aveuglant lui-même par sa propre politique, il attendit quelques jours, jusqu'à ce que le retard des rois lui parût suspect, et alors-le souci que son ambition lui causait l'obligea à demander de leurs nouvelles. Il consulta de nouveau quelques docteurs de la loi ; et comme ils s'accordaient en ce qu'ils disaient de Bethléem, d'après. les Écritures et d'après ce qui y était arrivé, il commanda de chercher avec beaucoup de diligence notre Reine, son très-doux Enfant et saint Joseph. Mais le Seigneur, qui leur avait ordonné de sortir de nuit de Jérusalem , cacha par conséquent leur voyage, afin que personne ne le sût, ni pût remarquer la moindre trace de leur fuite. Ainsi les ministres d'Hérode et les autres, n'ayant pu les découvrir, lui dirent que ni cet homme, ni cette femme, ni l'enfant, ne paraissaient dans tout le pays. 673. Cette réponse augmenta la fureur d'Hérode, sans qu'il pût prendre un moment de repos , ni trouver aucun moyen de prévenir le dommage qu'il craignait de la venue du nouveau roi (1). Mais le démon, (1) Matth., II, 16. 538 qui le vit disposé à commettre tous les attentats, lui inspira un expédient funeste pour le consoler, en lui proposant d'user de son pouvoir absolu, et de faire égorger tous les enfants de cette contrée âgés de moins de. deux ans, et en lui faisant entendre qu'il ne serait pas possible que le roi des Juifs nouvellement né ne se rencontrât parmi eux. Le tyran se 'réjouit d'avoir trouvé cet expédient, qui n'entra jamais dans l'esprit d'aucun autre barbare; de sorte qu'il l'embrassa sans éprouver ni la crainte ni l'horreur. qu'une mesure si cruelle eût pu causer en quelque homme raisonnable que ce fût. Et voulant exécuter ce méchant dessein pour satisfaire. sa rage, il fit assembler quelques troupes de milice sous la conduite des ministres qui avaient le plus de part à sa confiance, et il leur commanda, sous peine d'encourir sa disgrâce, d'égorger tous les enfants qui seraient au-dessous de deux ans, dans Bethléem et dans tous les alentours. Ses ordres furent ponctuellement suivis, de sorte que tout le pays fut rempli de confusion, de cris et de larmes des pères, des mères et des parents des innocents condamnés à la mort, sans que personne pût les y soustraire. 674. Hérode donna cet ordre impie six mois après la naissance de notre Rédempteur. Au moment ou ses satellites commencèrent à l'exécuter, notre grande Reine tenait son très-saint Fils entre les bras, et regardant son âme et ses opérations, elle y vit tout ce qui se passait à Bethléem , comme dans un très-clair miroir, et plus distinctement que si elle eût entendu 539 les cris des enfants et de leurs parents. Cette divine Danse vit aussi que son adorable Fils invoquait le Père éternel pour les pères et les mères des Innocents, qu'il lui offrait les petits martyrs comme les prémices de sa mort (1), et qu'il le priait de leur donner l'usage de la raison, comme étant sacrifiés pour la cause du même Rédempteur lui-même, afin qu'ils offrissent volontairement leur vie, et reçussent la mort pour la gloire de ce même Seigneur, qui leur réservait les couronnes du martyre en récompense de ce qu'ils souffraient. Le Père éternel accorda cette demande, et notre auguste Reine connut le tout en son très-saint Fils, et l'imita dans l'offrande et dans les prières qu'il faisait. Elle se joignit aussi aux pères et aux mères des petits martyrs dans la douleur et la compassion qu'ils avaient, et dans les larmes qu'ils versaient pour la mort de leurs enfants. De sorte qu'elle fut la véritable et la première Rachel, qui pleura les enfants de Bethléem (2), qu'elle regardait comme siens; et il n'y eut aucune autre mère qui pût les pleurer autant qu'elle, parce qu'elle les surpassait toutes en tendresse. 675. La sainte Vierge ne savait pas alors ce que sainte Élisabeth avait fait pour sauver son fils Baptiste, selon l'avis qu'elle lui avait donné par l'ange quand ils sortirent de Jérusalem pour aller en Égypte, comme je l'ai dit au chapitre XXII, paragr. 623. Et quoiqu'elle ne doutât point que tous les mystères. (1) Apoc., XIV, 4. - (2) Jerem., XXXI, 15. 540 qu'elle avait appris par la lumière divine être rattachés à l'office du précurseur, ne fussent accomplis en ce bienheureux enfant, néanmoins elle ignorait les peines dans lesquelles la cruauté d'Hérode avait mis sa cousine Élisabeth et le petit Baptiste, aussi bien que les moyens qu'ils avaient pris pour l'éviter. La douce Mère n'osa pas prier son très-saint Fils de lui en donner la connaissance, à cause du respect qu'elle lui portait,et de la prudence qu'elle observait dans ces révélations, de sorte qu'elle se renfermait dans une humilité et dans,. une patience admirable. Mais sa Majesté répondit à son tendre désir, en lui déclarant que Zacharie, père de saint Jean, était mort quatre mois après la naissance de Jésus-Christ, et environ trois mois après qu'ils furent sortis de Jérusalem; que sainte Élisabeth, qui était alors veuve, n'avait point d'autre compagnie. que celle de son fils, qu'elle passait sa solitude et son affliction retirée avec lui dans un lieu écarté parce que, sur l'avis qu'elle avait reçu de l'ange, et à la vue ensuite de la cruauté qu'Hérode commençait à exercer, elle s'était résolue à fuir dans le désert avec le petit précurseur, et à habiter parmi les bêtes fauves, pour éviter la persécution d'Hérode; que la sainte veuve avait pris cette résolution par l'impulsion, et le bon plaisir du Très-Haut, et qu'elle était cachée au fond d'une grotte, où elle vivait avec son fils dans les peines, dans les afflictions et dans les incommodités. 676. Notre, divine Dame connut aussi que sainte Élisabeth mourrait dans le Seigneur trois ans après 641 cette vie solitaire, que le petit Baptiste demeurerait dans ce désert, où il mènerait une vie angélique, et qu'il rien sortirait point, jusqu'à ce que le Très-Haut lui ordonnât d'aller prêcher la pénitence, comme son précurseur. L'Enfant Jésus découvrit à sa très-sainte Mère tous ces mystères, et d'autres secrètes et sublimes faveurs que sainte. Élisabeth et son fils reçurent dans cette solitude. Elle connut tout cela de la même manière qu'elle avait appris la mort des Innocents. Notre auguste Princesse fut remplie de joie et de compassion par cette connaissance : de joie, parce que saint Jean et sa mère étaient en lieu de sûreté, et de compassion, à cause des peines qu'ils souffraient dans ce désert. Ensuite elle demanda la permission à son très-saint Fils de prendre soin de sa cousine et de son enfant. Et dès lors, avec l'agrément du même Seigneur, elle les faisait souvent visiter par les anges qui la servaient; et par leur ministère elle leur envoyait quelque nourriture; qui fut le plus grand régal qu'ils eurent dans leur solitude. De sorte que sans sortir de l'Égypte, notre grande Dame eut par l'intermédiaire des anges une continuelle et secrète correspondance avec l'enfant et la mère. Lorsque sainte Élisabeth fut proche de l'heure de sa mort, elle lui envoya un grand nombre de ses anges, afin qu'ils l'assistassent conjointement avec le petit Baptiste, qui avait alors quatre ans; et quand sa mère fut morte, à l'aide de ces mêmes anges, il l'enterra dans ce désert. Et depuis ce temps-là, notre charitable Reine procura le nécessaire à saint Jean, jusqu'à ce qu'il 542 fût en âge de chercher lui-même les herbes, les racines et le miel sauvage, dont il se nourrit ensuite avec une abstinence admirable (1) , comme je le marquerai en son lieu. 677. On ne saurait concevoir les mérites ni les accroissements de sainteté et de grâce que la très-pure Marie acquérait parmi toutes ces oeuvres si merveilleuses, parce qu'elle profitait de tout avec une prudence plus qu'angélique. Et ce qui lui causa beaucoup d'admiration et de tendresse, et lui donna en même temps un nouveau sujet de louer le Tout-Puissant, lorsque son très-saint Fils et elle invoquèrent le Père éternel pour les Innocents, ce fut de voir combien sa divine Providence usa de libéralité à leur égard; car elle connut comme si elle eût été présente le grand nombre des enfants qui furent égorgés; elle sut que les plus âgés ne passaient pas deux ans, que les uns n'avaient que huit jours, d'autres deux, mois, et les autres six; et qu'ils reçurent tous plus ou moins l'usage de la raison, et une connaissance très-sublime de l'être de Dieu, qui leur accorda aussi une charité, une foi et une espérance parfaites ; de sorte qu'ils exercèrent des actes héroïques de foi, d'adoration, de respect, d'amour de Dieu et de compassion pour leurs parents. Ils prièrent pour eux, et demandèrent au Seigneur de leur donner en récompense de leur affliction la lumière et la grâce, afin qu'ils acquissent par leur moyen les biens éternels. Ils subissaient (1) Marc., I, 6. 543 volontairement le martyre, et comme ils étaient dans un âge si tendre, la douleur leur était plus sensible, et par conséquent leur mérite plus grand. Ils étaient assistés par une multitude d'anges, qui les portaient dans les Limbes ou au sein d'Abraham. Et ils réjouirent les saints patriarches par leur présence; parce qu'ils les confirmèrent dans l'espérance qu ils avaient de recouvrer bientôt leur liberté. Tout cela fut un effet des demandes de l'Enfant-Dieu, et des prières de sa très sainte Mère. Par la connaissance de ces merveilles, notre auguste Princesse s'enflammait d'amour, et elle dit dans ses transports: Laudate, pueri, Dominum (1); et accompagnant par ses louanges celles de ces bienheureux enfants, elle loua l'auteur de toutes ces oeuvres si magnifiques, si dignes de sa bonté et de sa toute-puissance. Elle seule les appréciait, et les traitait avec la sagesse et avec l'estime qu'elles réclamaient Mais elle était aussi la seule qui , étant par exception si proche de Dieu, connu le prix de l'humilité, et qui la pratiquât dans toute sa perfection; car étant la Mère de la pureté, de l'innocence et de la sainteté, elle s'humilia plus que toutes les créatures abîmées dans le néant de leurs propres péchés. La seule Marie entre toutes les créatures arriva à ce degré d'humilité, quoiqu'elle se vit enrichie de plus de faveurs et de dons plus sublimes que toutes ensemble aient jamais reçus; parce qu'elle seule comprit suffisamment que la créature ne saurait rendre un retour qui soit (1) Ps. CXII, 1. 544 proportionné aux, bienfaits qu'elle reçoit, et encore moins à l'amour infini d'où ils naissent en Dieu (1). Et notre divine Dame, s'humiliant par cette science, mesurait par elle son amour, sa reconnaissance et son humilité, et donnait la plénitude à toutes choses, autant qu'une simple créature était capable de donner le digne retour, par la seule connaissance qu'elle avait, qu'aucune d'entre elles pût se rendre digne de ces bienfaits par un autre moyen que l'humilité. 678. Je veux avertir à la fin de ce chapitre que je remarque en plusieurs choses que j'écris qu'il y a une grande diversité d'opinions entre les saints Pères et plusieurs auteurs : par exemple, quant à l'époque à laquelle ils disent qu'Hérode exerça sa fureur sur les Innocents, et si ce fut sur les enfants qui ne faisaient que de naître, ou sur ceux qui avaient quelques jours et qui ne passaient pas deux ans, et par rapport à d'autres points douteux, dont je ne dois pas donner ici l'éclaircissement, parce que cela n'est pas nécessaire à mon dessein, et que je n'écris que ce qui m'est enseigné et dicté, ou ce que l'on m'ordonne quelquefois par obéissance de demander, pour donner plus de liaison à cette divine histoire. Il ne fallait pas d'ailleurs que j'introduisisse aucune dispute dans les choses que j'écris; parce que dès le commencement, comme je l'ai marqué, le Seigneur me déclara qu'il voulait que j'écrivisse tout cet ouvrage, non avec des opinions préconçues, mais avec la vérité que la divine 545 lumière m'enseignerait. Que s'il y a lieu d'examiner si ce que j'écris est conforme au récit de l'Ecriture; et si les choses ont un rapport convenable entre elles, je remets tout cela au jugement de mes supérieurs, et des personnes sages et pieuses. Cette diversité d'opinions est presque inévitable entre ceux qui écrivent, les uns s'attachant à un auteur, les autres à un autre, et chacun suivant son inclination; ainsi la plupart des écrits, excepté les histoires canoniques; sont fondés sur des conjectures, ou sur des auteurs douteux, et je ne pouvais pas suivre cet ordre dans cet ouvrage, parce que je sais une femme ignorante. Instruction que je reçus de la très-sainte Vierge. 679. Ma fille, je veux que la douleur avec laquelle vous avez écrit ce chapitre, et le funeste exemple que vous y avez découvert, vous servent d'instruction. La douleur vous montrera qu'une créature noble, et créée par la main du Seigneur à son image et à sa ressemblance, avec des qualités si excellentes et si divines, que de pouvoir connaître Dieu, l'aimer, le voir et en jouir éternellement (1), oublie si fort sa dignité, et se laisse avilir et vaincre d'une manière si brutale et si horrible par la violence de ses appétits, que de (1) Sap., II, 23. 546 verser le sang innocent de ceux qui ne pouvaient faire tort à personne. Cette compassion doit vous exciter à pleurer la perte de tant d'âmes, et surtout dans le siècle où vous êtes, quand cette même ambition qui aveuglait Hérode a allumé des inimitiés si cruelles entre les enfants dé l'Église, qu'elle est cause du malheur éternel d'un nombre presque infini d'âmes, pet que le sang do mon très-saint Fils, qui a été versé pour leur rédemption, se perd (1). Pleurez amèrement ce malheur et cette perte. 680. Mais profitez du malheur des autres, et considérez quels ravages peut faire une passion aveugle, qui s'insinue dans l'appétit concupiscible; car si elle se rend maîtresse du cœur de l'homme, elle l'enflamme ou du feu de la convoitise s'il réalise son désir, ou de celui de la colère s'il y trouve quelque résistance. Craignez, ma fille, ce danger, non-seulement à la vue de ce que l'ambition suggéra à Hérode, mais aussi su souvenir de ce que vous remarquez ou apprenez tous les jours dans l'histoire d'autres personnes. Prenez bien garde d'attacher votre affection à aucune chose, pour petite qu'elle vous paraisse; car il ne faut qu'une étincelle pour allumer quelquefois un grand incendie. Je vous redis souvent les mêmes choses touchant cette mortification de vos inclinations, et je ne cesserai de vous les répéter; parce que la plus grande difficulté qu'on rencontre en la pratiqué de la vertu, c'est de mourir entièrement à tout ce qui est (1) Ephes., I, 7. 547 délectable et sensible, et parce que vous ne pouvez pas devenir un instrument au gré du Seigneur, si vous n'effacez de vos puissances jusqu'aux espèces ou images de toutes les créatures, afin qu'elles ne trouvent aucune entrée dans votre volonté. Que ce soit pour vous une loi inviolable de regarder tout ce qui est, comme n'étant pas, excepté Dieu, ses anges et ses saints; tendez constamment à cette abstraction: c'est pour cela que le Seigneur vous découvre ses secrets: C'est à cela qu'il vous oblige par ses communications intimes, et moi par les miennes, afin que vous soyez toujours avec sa divine Majesté, et que vous ne désiriez autre chose que lui. CHAPITRE XXVIII. L'Enfant Jésus parle à saint Joseph un an après sa naissance. - Sa très-sainte Mère se dispose à le chausser et à le faire marcher. - Elle commence à célébrer les anniversaires de l'incarnation et de la Nativité. 681. Un jour que l'auguste Marie et son époux Joseph s'entretenaient des mystères du Seigneur, l'Enfant Jésus, après avoir achevé sa première année, voulut rompre le silence, et parler d'une voix distincte au très-fidèle Joseph, qui faisait l'office de père 548 soigneux, comme il avait parlé à sa divine Mère des le commencement; ainsi que je l'ai marqué au chap. X de ce livre. Les deux saints époux parlaient donc et méditaient de l'être infini de Dieu, et de la bonté qui l'avait porté à un amour si excessif, que d'envoyer da ciel son Fils unique pour être le Maître et le Rédempteur des hommes, et de lui donner la forme humaine, afin qu'il conversât avec eux, et souffrît les peines que la nature dépravée avait méritées (1), et dans ce pieux exercice, saint Joseph admirait les oeuvres du Seigneur, et redoublait les désirs qu'il avait .de reconnaître et de louer son amour, lorsque tout à coup l'Enfant Dieu qui était alors entre les bras de sa mère, s'en servant comme de sa première chaire de docteur, s'adressa à son père putatif d'une voix intelligible et lui dit: "Mon père, je suis venu du ciel pour être la lumière du monde, pour le retirer des ténèbres du péché, pour chercher et connaître mes brebis comme un bon pasteur, pour leur donner a la nourriture de la vie éternelle, pour leur enseigner le chemin qu'elles doivent suivre, et pour a leur en ouvrir les portes; que leurs péchés tenaient a fermées (2); je veux que vous soyez tous deux enfants de la lumière, puisque vous en êtes si proche. " 652. Ces paroles de l'Enfant Jésus, comme pleines de vie et d'efficace, versèrent dans le coeur du saint patriarche nu nouvel amour, un respect et une joie (1) Joan., III, 16; Isa , LV, 4 ; Philip., II, 7; Baruch., III, 38. - (2) Joan., XVIII, 37; VIII, 12 ; X, 14 ; VI, 69 ; X, 4 ; XII, 36 ; Isa., X, 2 ; Ps. XXIII, 7. 549 indicibles. Il se mit avec une très-grande humilité à genoux aux pieds de l'Enfant- Dieu, et lui rendit des actions de grâces de ce que la première parole qu'il lui eût fait entendre, était le nom de père. Il pria avec beaucoup de larmes sa Majesté de l'éclairer par sa divine lumière, et de le porter à accomplir ce qui lui serait le plus agréable, et à reconnaître tant de bienfaits incomparables qu'il avait reçus de sa main libérale. Les parents, qui aiment naturellement leurs enfants, éprouvent une grande consolation et se font un titre de gloire de découvrir en eux quelque présage qui annonce qu'ils seront sages, ou remarquables par leurs vertus ; et quoiqu'ils ne le soient pas encore cet amour naturel engage ordinairement les père et mère à louer avec beaucoup d'exagération les puérilités que leurs enfants font ou disent; car la tendre affection qu'ils ont pour eux explique tout cela. Or, bien que saint Joseph ne fût pas .père naturel de l'Enfant-Dieu, mais père putatif, l'amour qu'il lui portait surpassait néanmoins sans comparaison celui que les pères naturels ont jamais eu pour leurs enfants; parce que la grâce, et même la nature furent plus puissantes en lui que dans les autres et qu'en tous les pères ensemble; et c'est par cet amour et par l'estime qu'il faisait d'être père putatif de l'Enfant Jésus que l'on doit mesurer la joie dont son âme très-pure fut comblée lorsqu'il entendit que le Fils du Père éternel l'appelait père, lorsqu'il le vit entre les bras de sa mère, si beau, si rempli de grâce, et commençant à lui parler avec tant de sagesse. 550 683. L'amoureuse Mère avait tenu l'Enfant-Dieu dans le maillot pendant toute cette première année, comme il arrive aux autres enfants; parce que cet adorable Seigneur ne voulut point se distinguer à cet égard, en témoignage de sa réelle humanité, aussi bien que de l'amour qu'il portait aux mortels, pour qui il souffrait cette incommodité, dont il eût pu se délivrer. La très-prudente Mère, jugeant que le moment était venu de le débarrasser de ses langes, de l'habiller et de lui apprendre à marcher (c'est ainsi que nous parlons), s'agenouilla devant le divin Enfant, alors couché dans son berceau , et lui dit; " Mon Fils, très doux amour de mon âme, mon Seigneur! je désire, en qualité de votre servante, de vous plaire en toutes choses. Vous êtes resté assez longtemps, lumière de mes yeux, lié et enveloppé dans vos langes; et par là vous avez découvert le grand amour que vous avez pour les hommes; il faut enfin que vous en sortiez. Dites-moi, mon divin Maître, comment vous voulez que je me comporte dans cette occasion ? " 684. " Ma Mère, répondit l'Enfant Jésus, les liens de mon enfance ne m'ont point paru incommodes, à cause de l'amour que je porte aux âmes que j'ai créées, et que je viens racheter, puisque dans mon âge mûr, je dois être pris, attaché et livré à mes ennemis, et même à la mort pour eux (1). Et ce souvenir m'étant doux en vue du bon plaisir de mon (1) Matth., XX, 18. 551 Père éternel (1), tout le reste me sera facile. Je ne dois avoir qu'un vêtement en ce monde, parce que je ne veux user que de celui qui sera nécessaire pour me couvrir, quoique tout ce qui est créé soit à moi (2), mais je l'ai remis aux hommes, afin qu'ils a me dussent davantage, et pour leur enseigner a comment, à mon exemple et pour mon amour, ils a doivent renoncer à tout ce qui est superflu à la vie a naturelle.. Vous m'habillerez, ma Mère, d'une tunique longue, et vous la choisirez d'une couleur commune. Je ne porterai que celle-là, et elle croîtra avec moi. Et ce sera cette tunique qu'on tirera au sort à l'heure de ma mort (3) ; car elle ne doit pas même être à ma disposition, mais à celle des autres, afin que les hommes sachent que je suis né, et que je veux vivre pauvre et dépouillé des choses visibles, qui étant terrestres, appesantissent le coeur de l'homme. Dès l'instant que je fus conçu dans votre sein virginal, je fis cette renonciation à tout ce que le monde renferme; quoique tout m'appartienne pur l'union de ma nature humaine à la personne divine (4); et je ne voulus avoir d'autre droit sur les choses visibles que celui de les offrir toutes à mon Père éternel, y renonçant pour son amour, et n'en acceptant que ce que la vie naturelle exige, pour la consacrer ensuite aux hommes (5). Je veux par cet exemple corriger le monde, et lui (1) Hebr., X, 7. - (2) Ps. XXIII, 1. - (3) Ps. XXI, 19. - (4) Joan., III, 35. - (5) Joan., X, 15. 552 apprendre à aimer la pauvreté loin de la mépriser car il sera honteux pour ceux qui me connaîtront par la foi de convoiter les choses dont j'ai enseigné le mépris, lorsque moi, qui suis le Seigneur de tout, j'ai tout dédaigné et tout abandonné. " 685. Ces paroles de l'Enfant-Dieu produisirent des effets divers et également ineffables en la divine Mère; parce que la perspective des liens et de la mort de son adorable Fils transperça son coeur si sensible et si compatissant, et que l'exemple d'une pauvreté si extrême et d'un si austère dénuement, lui inspira une nouvelle admiration et de nouvelles résolutions de l'imiter. L'amour immense que ce divin, Seigneur portait aux mortels redoubla les désirs qu'elle avait de lui en témoigner sa reconnaissance pour tous, et elle fit à cette occasion des actes héroïques de toute sorte de vertus. Mais sachant que l'Enfant Jésus ne voulait pour vêtement que cette tunique, et qu'il ne voulait pas être chaussé, elle lui dit: "Mon Fils et mon Seigneur, votre Mère n'aura ni le coeur ni le courage de vous laisser aller nu-pieds dans un âge si tendre; permettez, mon amour, que je vous mette quelque chaussure. Je prévois aussi que le vêtement gros lier que vous me demandez, sans vouloir user de linge en dessous, incommodera beaucoup votre chair délicate, surtout à votre âge. " L'Enfant Jésus lui répondit : " Ma Mère, je consens que vous me mettiez quelque pauvre chaussure, jusqu'à ce que le temps de ma prédication arrive, car je la dois faire nu-pieds. Mais je ne veux point porter de 553 linge; parce que le linge provoque les hommes à commettre beaucoup de péchés, et parce que je veux donner l'exemple à une foule de mes serviteurs, qui y renonceront à mon imitation et pour mon amour. " 686. La Reine du ciel employa incontinent tous ses soins pour accomplir la volonté de son très-saint Fils. Et ayant trouvé de la laine qu'on n'avait ni préparée ni teinte, elle-même la fila fort délicatement; et en fit une petite tunique tout d'une pièce, sans couture, et à peu près comme les bas que l'on fabrique au métier; elle n'était pas lisse comme le drap ordinaire, mais un peu velue et cordonnée. Elle la confectionna sur un petit métier qui avait quelque rapport avec ceux des dentellières; et ce n'est pas sans mystère que cette tunique fut faite tout d'une pièce et sans couture. Il y arriva deux choses miraculeuses: l'une, qu'elle sortit du métier absolument égale et sans aucun pli; l'autre, qu'elle perdit sa couleur naturelle à la prière de notre divine Dame et selon sa volonté, pour prendre une autre couleur qui tirait sur le violet et l'argentine, mais avec une nuance toute particulière et mixte qu'on n'aurait su déterminer; car elle ne paraissait proprement ni violette, ni argentine, ni grise, et cependant elle rappelait ces trois couleurs. Notre auguste Princesse fit aussi des sandales d'un fil assez fort, qu'elle mit aux pieds de l'Enfant- Dieu. En outre elle fit une demi-tunique de toile (1) Joan., XIX, 23. 554 qui devait lui servir de caleçon. Je dirai au chapitre suivant ce qui arriva lorsqu'on habilla l'Enfant Jésus. 687. Alors survinrent les anniversaires de l'Incarnation et de la Nativité du Verbe, chacun 'à sa date, depuis l'arrivée de la sainte famille en Égypte. Et la Reine du ciel, voulant célébrer ces jours si solennels, commença à les fêter dès la première année, et conserva cette sainte coutume pendant toute sa vie, comme on le verra dans la troisième partie, où je raconterai les mystères qui se succédèrent plus tard. Elle célébrait celui de l'incarnation en s'y préparant neuf jours auparavant par de très-saints exercices en mémoire de la neuvaine dans laquelle le Seigneur la disposa à cet adorable mystère par des faveurs admirables et très-sublimes, comme je l'ai dit au commencement de cette seconde partie. Le jour qui répondait à celui de l'incarnation et de l'annonciation étant arrivé, elle conviait les anges qui étaient dans le ciel à s'unir avec ceux de sa garde, pour l'aider à célébrer ces magnifiques mystères, et à rendre de dignes actions de grâces au Très-Haut. Et prosternée les bras en croix, elle priait l'Enfant Jésus de louer le Père éternel pour elle , et de le remercier des faveurs qu'elle avait reçues de sa divine droite, et de ce qu'il avait fait pour le genre humain en lui donnant son Fils unique (1). Elle faisait la même chose lorsque venait l'anniversaire de ses couches. Dans ces jours-là, notre divine Dame était comblée des faveurs du Très-Haut, (1) Joan., III, 16, 555 à cause qu'elle y renouvelait la mémoire et la reconnaissance continuelle de si hauts mystères. Et comme elle savait ce qui plaisait su Père éternel, et que le sacrifice de douleur qu'elle offrait en reproduisant dans ses membres la forme de la croix, lui était agréable en souvenir de ce que le divin Agneau y devait être cloué, elle répétait cet exercice dans toutes les fêtes qu'elle célébrait, priant le Seigneur d'apaiser sa justice, et de couvrir les pécheurs de sa miséricorde. De sorte qu'enflammée du feu de la charité, elle terminait ces solennités par des cantiques admirables, qu'elle disait avec les anges, qui formaient un choeur d'une musique céleste (1) ; mais notre auguste Reine leur répondait avec plus de douceur, et d'une manière plus agréable pour Dieu que tous les chœurs des séraphins et des bienheureux ensemble n'auraient su faire ; parce que les échos de ses excellentes vertus résonnaient jusque dans le consistoire de la très-sainte Trinité, et jusqu'au tribunal de l'être éternel de Dieu. Instruction que notre auguste Maîtresse me donna. 688. Ma fille, ni vous ni toutes les créatures ensemble, ne sauriez comprendre parfaitement quel fut (1) Cant., II, 24. 556 l'esprit de pauvreté de mon très-saint Fils, ni celui qu'il m'enseigna. Mais vous pouvez, par les choses que je vous ai découvertes, vous faire une idée assez juste de l'excellence de cette vertu, qui fut tant aimée de Celui qui en était l'auteur et le Maître, et en même temps de l'horreur qu'il eut pour le vice de la cupidité. Le Créateur ne pouvait pas haïr les choses auxquelles il avait donné l'être (1), mais il vit par sa sagesse infinie le grand dommage que causerait aux mortels l'affection désordonnée qu'ils portent aux choses visibles, et que cet amour insensé pervertirait la plus grande partie du genre humain. Ainsi l'aversion qui il eut pour les biens de la terre naquit de la connaissance qu'il avait du nombre des pécheurs et des réprouvés que ce vice perdrait. 689. Mon très-saint Fils choisit la pauvreté, et l'enseigna par ses paroles et par l'exemple d'un dénuement si admirable, pour empêcher ce dommage et pour y apporter quelque remède, et afin de justifier sa cause, si les mortels n'en profitaient pas, puisque, en médecin charitable, il leur a préparé le remède qui devait leur procurer la santé. J'ai enseigné et pratiqué cette doctrine pendant toute ma vie ; c'est par elle que les apôtres ont établi l'Église; les patriarches et les saints qui l'ont réformée et qui la soutiennent ont fait la même chose, parce qu'ils ont tous aimé la pauvreté, comme le moyeu le plus efficace d'acquérir la sainteté, et ils ont eu de l'horreur 556 pour les richesses, comme principe de tous les maux et racine de tous les vices (1). Je veux que vous chérissiez et que vous recherchiez cette pauvreté avec beaucoup de soin, parce qu'elle est l'ornement des épouses de mon très-saint Fils, à défaut duquel je vous assure, ma fille, qu'il les répudie comme lui étant horriblement dissemblables ; car l'épouse qui est riche et dans l'abondance de choses superflues ne saurait convenir à l'Époux, qui est très-pauvre et dénué de tout; un amour réciproque ne comporte point une si grande inégalité. 690. Et si, en fille légitime, vous voulez parfaitement m'imiter, ainsi que vous le devez faire, autant plue vos forces vous le permettront, vous devez comprendre que moi, qui ai été si pauvre, je ne vous reconnaîtrai pas pour ma fille, si vous n'êtes pauvre aussi, et que je n'aimerai pas en vous ce que j'ai rejeté avec tant de mépris. Je vous recommande encore de ne point oublier les bienfaits que vous recevez de la main libérale du Très-Haut; car si vous ne veillez très-attentivement à ce culte de la reconnaissance, vous tomberez facilement dans le plus grossier oubli, entraînée par le poids de la propre nature. Renouvelez plusieurs fois chaque jour le souvenir de ces bienfaits, et ne cessez jamais de rendre au Seigneur d'humbles et amoureuses actions de grâces. Et sachez que ceux que vous devez vous remémorer le plus souvent, c'est de vous avoir appelée (1) I Tim., VI, 19. 557 et attendue, d'avoir dissimulé vos fautes avec tant de bonté, et surtout de vous avoir fait tant de faveurs extraordinaires. Ce souvenir produira dans votre coeur de doux effets d'amour et de fortes impulsions, qui vous porteront à travailler avec diligence : de sorte que par ce moyen vous vous rendrez agréable au Seigneur, et vous acquerrez une nouvelle récompense, parce qu'il se complaît singulièrement en la fidélité et en la reconnaissance de l'âme, et au contraire il est fort offensé quand ses bienfaits ne sont ni estimés ni reconnus; car, comme il les accorde avec plénitude d'amour, il veut qu'on y corresponde avec un prompt et amoureux retour. CHAPITRE XXIX. La très-sainte Mère met la tunique sans couture de l'Enfant Jésus, et elle le chausse; et ce que cet adorable Seigneur faisait. 691. La très-prudente Mère voulant mettre à son très-doux Fils la tunique tissue, les caleçons et les sandales qu'elle avait préparés, s'agenouilla devant sa Majesté, et lui parla en ces termes : " Suprême Seigneur, Créateur du ciel et de la terre, j'aurais souhaité de vous habiller, s'il eût été possible, 559 selon la dignité de votre divine personne; j'aurais également voulu que les vêtements que je vous apporte eussent pu être faits des fibres de mon coeur; mais je crois qu'ils seront de votre goût, parce qu'ils sont pauvres. Pardonnez, Seigneur, les fautes que je puis avoir commises en m'occupant de ces ouvrages; agréez l'affection d'une créature aussi inutile que la cendre et la poussière, et donnez-moi la permission de vous habiller. " L'Enfant Jésus accepta les offres et les hommages de sa très-pure Mère, et aussitôt elle l'habilla, le chaussa, et le mit sur ses pieds. La tunique se trouva juste à sa mesure, assez longue pour lui couvrir les pieds, sans traîner pourtant; et les manches lui arrivaient jusqu'à la moitié de la main, quoiqu'on ne lui eût pris aucune mesure auparavant. Le col de la tunique était rond, fermé par, devant, un peu haut, et presque juste à la gorge; et c'est pourquoi la divine Mère commença à la mettre par la tête de l'Enfant, sans l'ouvrir; parce que ce vêtement se prêtait à toutes les formes avec une merveilleuse souplesse, suivant la volonté de notre auguste Reine. Il ne le quitta jamais, jusqu'au moment où les bourreaux le dépouillèrent pour le fouetter et ensuite pour le crucifier, parce qu'il s'agrandissait toujours, autant qu'il était nécessaire, selon la croissance de son corps sacré. Il en arriva de même aux sandales et aux caleçons que la soigneuse Mère lui mit. De sorte que rien ne s'usa et ne vieillit pendant trente-deux ans, et la tunique ne perdit ni la couleur ni le lustre 560 qu'elle avait quand elle sortit des mains de notre grande Dame. A plus forte raison peut-on dire qu'elle ne fut jamais ni souillée ni tachée : elle resta jusqu'à la fin absolument dans le même état. Le vêtement que le Rédempteur du monde quitta pour laver les pieds à ses apôtres, (1) consistait en une espèce de manteau qu'il portait sur les épaules, et que la sainte Vierge fit aussi elle-même, après leur retour à Nazareth; il s'agrandit successivement, comme la tunique, et il était tissu de la même manière et de la même couleur, quoiqu'un peu plus foncée. 692. L'Enfant, Prince des siècles éternels, qui avait été depuis sa naissance enveloppé dans les langes et ordinairement entra les bras de sa très-sainte Mère, se tint donc debout. Il brillait d'une beauté ravissante, qui surpassait celle de tous les enfants des hommes. Et les anges admiraient comment Celui, qui revêt les cieux de leur éclat et les champs de leur parure, avait choisi un costume aussi pauvre (2). Il marcha aussitôt en la présence de ses parents, sans être soutenu; mais cette merveille fut quelque temps cachée à ceux du dehors, parce que notre Reine, le prenait dans ses bras quand elle recevait quelque visite. La divine Dame et son saint époux Joseph éprouvèrent une joie inexprimable lorsqu'ils virent ainsi marcher leur enfant, et lorsqu'ils remarquèrent sa rare beauté. La très-pure Mère l'allaita jusqu'à ce qu'il eût accompli un an et demi, après quoi elle le (1) Joan., XIII, 4. - (2) Ps. XLIV, 3. 561 sevra. Et dans la suite il mangea, mais toujours peu de chose, pour la quantité comme pour la qualité. Il se nourrissait au commencement de potages à l'huile et de fruits, ou de poisson. Et, tant que dura sa croissance, la Vierge-Mère lui donnait trois fois à manger par jour, comme auparavant elle lui donnait la mamelle, le matin, un peu après midi, et quand arrivait la nuit. L'Enfant-Dieu ne demanda jamais sa nourriture; mais la tendre Mère avait le plus grand soin de la lui donner à temps, jusqu'à ce qu'étant déjà grand, il mangeait à la même heure que les divins époux, et pas plus souvent. C'est ce qu'il continua jusqu'à ce qu'il fut arrivé à l'âge parfait, comme je le dirai dans la suite. Et lorsqu'il mangeait avec ses parents, ils attendaient toujours qu'il donnât la bénédiction au commencement, et qu'il rendit grâces à la fin du repas. 693. Du moment où l'Enfant Jésus se mit à marcher, il commença à se retirer et à rester quelque temps seul dans l'oratoire de sa Mère. Et comme notre prudente Dame souhaitait de savoir si son très-saint Fils voudrait être seul ou avec elle, cet adorable Seigneur, répondant à son désir, lui dit : " Ma Mère, entrez et soyez toujours avec moi, afin que vous m'imitiez autant qu'il vous sera possible, parce que je veux que la haute perfection que je désirais pour les âmes soit réalisée et imprimée en vous. Car si elles n'eussent point résisté à ma première a volonté, qui était portée à les remplir de sainteté et de dons, elles les auraient reçus avec 662 abondance (1); mais le genre humain ayant empêché cette effusion de mes grâces, je veux que mon bon plaisir soit entièrement accompli en vous seule, et que les trésors de ma droite, que les autres créatures ont perdus, soient mis en dépôt en votre âme. Soyez donc attentive à mes oeuvres, afin de m'imiter en elles. " 694. Notre auguste Princesse fut par là établie de nouveau la disciple de son très- saint Fils. Et dès lors il se passa de si profonds. mystères entre eux deux, qu'il n'est pas possible de les raconter, et on ne les connaîtra qu'au jour de l'éternité. L'Enfant-Dieu se prosternait souvent par terre; quelquefois il s'élevait en l'air, les bras étendus, pour figurer la croix, et il ne cessait de prier le Père éternel pour le salut des mortels. La très-amoureuse Mère le suivait et l'imitait en toutes choses, parce que les opérations intérieures de l'âme de son très-doux Fils lui étaient manifestées aussi visiblement que les actes extérieurs du corps. J'ai parlé en divers endroits de cette histoire de la connaissance que la très-pure Marie en eut, et il faudra bien que j'y revienne souvent, puisque ce fut de cette lumière et de cet exemplaire qu'elle tira sa sainteté; et ce lui fut une faveur si particulière, que toutes les créatures ensemble ne la sauraient expliquer , ni même comprendre. Notre grande Dame ne jouissait pas toujours des visions de la Divinité; mais elle eut toujours celle de l'humanité (1) I Tim., II, 4. 563 et de l'âme très-sainte de son Fils, aussi bien que de toutes ses œuvres; et elle percevait d'une manière spéciale les effets qui résultaient en cette sainte humanité des unions hypostatique et béatifique, quoiqu'elle ne vit pas toujours en substance la gloire ni l'union; mais elle connaissait les actes intérieurs par lesquels l'humanité honorait, glorifiait et aimait la divinité à laquelle elle était unie, et cette faveur ne fut accordée qu'à la Mère Vierge. 695. Dans ces exercices, il arrivait souvent que l'Enfant Jésus pleurait et suait du sang en la présence de sa très-sainte Mère, car cela eut lieu maintes fois avant l'agonie du Jardin, et alors notre divine Dame lui essuyait le visage, et, pénétrant son intérieur, elle y discernait la cause de cette tristesse, qui était toujours la perte des réprouvés et des ingrats aux bienfaits de leur Créateur et Rédempteur, et l'inutilité pour eux des oeuvres de la puissance et de la bonté infinie du Seigneur. Quelquefois sa bienheureuse Mère le trouvait tout resplendissant et entouré d'anges qui lui adressaient de doux cantiques de louange; elle savait aussi que le Père éternel prenait ses délices avec son Fils unique et bien-aimé (1). Toutes ces merveilles commencèrent dès que l'Enfant-Dieu fut en état de marcher, après avoir achevé sa première année. Et elles ne furent découvertes qu'à sa seule Mère, dont le coeur en devait être le dépositaire (2), comme étant elle seule l'Unique et (1) Matth., XVII, 5. - (2) Luc., II, 19. 564 l'Élue (1) pour son Fils et son Créateur. Les actes d'amour, de louange, de respect et de reconnaissance par lesquels elle se joignait à l'Enfant Jésus, et les prières quelle faisait pour le genre humain, tout cela surpasse ma portée, et je suis incapable de dire ce que j'en conçois. Ainsi je m'en remets à la foi et à la piété des chrétiens. 696. L'Enfant Jésus croissait à l'admiration et à la satisfaction de tous ceux qui le connaissaient. Et ayant atteint sa sixième année, il commença à sortir quelquefois de la maison pour aller dans les hôpitaux y visiter les malades et les nécessiteux, qu'il consolait et qu'il fortifiait dans leurs afflictions d'une manière toute mystérieuse. Il était connu de beaucoup de monde dans Héliopolis, et il s'attirait tous les coeurs par l'influence de sa divinité et par sa sainteté; plusieurs personnes lui portaient des présents, et selon les raisons et les motifs que lui révélait sa science, il les recevait ou il les refusait, et dans le premier cas il les distribuait aux pauvres. Mais ses paroles pleines de sagesse et ses manières si modestes et si majestueuses causaient tant d'admiration, qu'on venait de toutes parts féliciter et bénir ses parents de ce qu'ils avaient un tel Fils. Et quoique le monde ignorât en tout cela les mystères et la dignité du Fils et de la Mère, néanmoins le Seigneur de l'univers, voulant honorer sa très- sainte Mère , faisait qu'on la révérait en lui et pour lui autant qu'il était (1) Cant., VI, 8. 565 alors possible, sans qu'on connût la raison particulière qu'on avait de lui rendre à lui-même le plus grand honneur. 697. Beaucoup d'enfants d'Héliopolis s'associaient avec notre aimable Enfant Jésus, comme il est ordinaire à ceux du même âge et de la même mise. Et comme ils n'avaient pas assez de discernement pour juger s'il était plus qu'homme, ni assez de malice pour empêcher la lumière, le Maître de la vérité l'accordait et la distribuait à tous ceux qu'il était convenable. Il les instruisait à la connaissance de la Divinité et des vertus, et leur apprenait le chemin de la vie éternelle, plias fréquemment qu'à ceux qui étaient dans un âge plus avancé. Et comme ses paroles étaient vivantes et efficaces (1), il les attirait, les mouvait et les leur imprimait dans le coeur d'une telle sorte , que tous ceux qui eurent ce bonheur devinrent dans la suite de grands saints, parce qu'ils donnèrent avec le temps le fruit de cette semence céleste, répandue de si bonne heure dans leurs âmes (2). 698. La divine More avait connaissance de toutes ces oeuvres admirables. Et lorsque son très-saint Fils venait de faire la volonté de son Père éternel, en s'occupant des brebis qu'il lui avait recommandées (3), cette auguste Reine des anges, se trouvant seule avec lui, se prosternait pour lui rendre des actions de grâces du bien qu'il faisait à ces petits innocents, (1) Hebr., IV, 12. - (2) Luc., VIII, 8. - (3) Joan., VI, 38 et 89. 566 qui ne le connaissaient pas pour leur Dieu véritable; et elle lui baisait les pieds comme au souverain Pontife du ciel et de la terre (1). Elle faisait la même chose quand l'Enfant sortait de la maison, et alors sa Majesté la relevait de cette humble posture avec un empressement tout filial. L'amoureuse Mère lui demandait aussi sa bénédiction pour toutes les oeuvres qu'elle faisait, et jamais elle ne perdait l'occasion de pratiquer tous les actes de vertu avec toute la ferveur, et la force de la grâce. Loin de la laisser oisive, elle agit toujours avec toute la plénitude possible et avec un accroissement continu de nouvelles grâces. Cette grande Dame ne faisait que chercher les moyens de s'humilier, adorant le Verbe incarné par de très- profondes génuflexions, par des prosternations expressives, et par d'autres cérémonies dignes de sa sainteté et de sa sagesse. Et en tout ceci, sa conduite était si admirable, qui elle ravissait les anges qui l'assistaient; de sorte qu'en chantant alternativement les divines louanges, ils se disaient; " Quelle est cette pure créature si agréable à notre Créateur et son Fils (2) ? Quelle est celle qui se montre si ingénieuse et si sage dans le culte d'honneur et de respect qu'elle rend au Très- Haut, qu'elle nous surpasse tous par son zèle incomparable, par ses soins et par sa diligence ? " 699. Le plus beau, le plus ravissant des enfants prenait un air plus sérieux à l'égard de ses parents (1) Hebr., IV, 14. - (2) Cant., VIII, 5. 567 à mesure qu'il avançait en âge. De sorte que quelque temps après qu'il fut sorti du maillot, les caresses plus tendres auxquelles il ne s'était jamais livré qu'avec la retenue que j'ai fait remarquer, cessèrent. Et la réserve que ses parents avaient sur ce point venait de ce que sa divinité, quoique cachée, laissait percer sur sa physionomie une majesté telle, que s'il ne l'eût tempérée par une grande expression de douceur, elle leur aurait souvent inspiré une crainte si respectueuse, qu'ils n'auraient point osé lui parler. Mais l'amoureuse Mère et saint Joseph ressentaient de sa présence des effets efficaces et divins, par lesquels ils découvraient en lui à la fois la force et la puissance d'un Dieu, et la bénignité, l'extrême bonté d'un père. Dans cette majestueuse grandeur, il se montrait Fils de la divine Mère, et il traitait saint Joseph comme celui qui avait le nom et l'office de père; ainsi il leur obéissait comme obéit à ses parents le fils le plus soumis (1). Le Verbe incarné conciliait avec une sagesse infinie tous ces témoignages de dignité, d'obéissance, d'humilité, de majesté divine et d'affabilité humaine, donnant à chaque chose ce qu'elle demandait, sans que la grandeur du Dieu et la petitesse de l'enfant se gênassent ou se nuisissent. Notre auguste Dame était très-attentive à tous ces mystères, et elle seule pénétrait dignement (autant qu'il était possible à une simple créature) les oeuvres de son très-saint Fils, aussi bien que l'ordre que sa (1) Luc., II, 54. 568 sagesse infinie y gardait. Ce serait entreprendre l'impossible que de vouloir raconter les effets que toutes ces choses causaient dans son très-pur et très-prudent esprit, et ,montrer comment. elle imitait son adorable Fils, gravant en elle-même la vive image de sa sainteté ineffable. On ne saurait non plus dire le nombre des âmes qui se convertirent et se sauvèrent dans Héliopolis et dans toute l'Égypte, des malades qu'ils y guérirent et des merveilles qu'ils y firent pendant les sept ans,qu'ils y demeurèrent, tant la cruauté d'Hérode fut avantageuse à l'Égypte ! La forcé de la bonté jet de la sagesse infinie de Dieu est telle, qu'elle tire de grands biens, même du mal et du péché. Et si on le rejette en un endroit, et qu'on ferme les portes à ses miséricordes, il frappe à plusieurs autres, jusqu'à ce qu'on les lui ouvre et qu'on lui donne l'entrée (1), parce que toutes les eaux de nos iniquités et de nos ingratitudes ne sauraient ni détourner le désir qu'il a de favoriser le genre humain, ni éteindre son ardente charité (2). Instruction que la très-sainte Vierge me donna. 700. Ma fille, vous avez appris, dès le premier ordre que vous avez reçu d'écrire cette histoire de ma (1) Job., XXXIV, 24. - (2) cant., VIII, 7. 569 vie, qu'en vous le donnant le Seigneur a voulu, entre autres fins, faire connaître aux hommes ce qu'ils doivent à son divin amour et su mien, tandis qu'ils vivent à cet égard dans une telle insensibilité et dans un tel oubli. Il est vrai que tout est compris et exprimé en deux mots, lorsqu'on dit qu'il les a aimés jusqu'à mourir sur la croix pour eux (1); car ce fut là le dernier terme où les effets de son immense charité purent arriver. Mais à beaucoup d'ingrats le souvenir de ce bienfait ne fait que causer une sorte de dégoût. Pour ceux-là comme pour tous les autres ce sera un nouvel aiguillon que de connaître quelque chose de ce que sa Majesté a fait pour eux pendant les trente-trois ans de sa vie mortelle, puisque la moindre de ses couvres est d'un prix infini et mérite une reconnaissance éternelle. La puissance divine m'a rendue témoin de tout, et je vous assure, ma très-chère fille, que, dès le premier instant qu'il fut conçu dans mon sein, il n'a cessé de prier le Père éternel pour le salut des hommes (2). Il commença dès lors à embrasser la croix, non- seulement par une simple affection, mais aussi d'une manière réelle, autant que possible, se mettant durant son enfance bien souvent en la posture de crucifié : et il continua ces exercices pendant toute sa vie. Je l'imitai en cela, et je l'accompagnai dans les oeuvres et dans les prières qu'il faisait pour les hommes, à partir du premier acte de reconnaissance qu'il fit pour les bienfaits que son humanité très-sainte avait reçus. (1) Joan., III, 16. - (2) Hebr., X, 5. 570 701. Que les mortels considèrent maintenant si, ayant été moi-même témoin et coopératrice de leur salut, je ne viendrai pas aussi au jour du jugement attester combien la cause de Dieu est justifiée à leur égard, et si je ne refuserai pas avec beaucoup de justice mon intercession à ceux qui ont méprisé et oublié follement tant de grâces plus que suffisantes, et tant d'effets du divin amour de mon très- saint Fils aussi bien que du mien. Quelle réponse feront-ils, quelle excuse allégueront-ils, après avoir été si informés, si instruits et si éclairés de la vérité? Comment pourront-ils compter, les ingrats et les obstinés, sur la miséricorde d'un Dieu très-juste et très-équitable qui leur a donné un temps précis et convenable, pendant lequel il les a excités, appelés, attendus et favorisés de bienfaits immenses qu'ils ont dissipés et perdus pour suivre la vanité? Craignez, ma fille, le plus grand des périls et des aveuglements; repassez souvent dans votre esprit les couvres de mon très-saint Fils et les miennes, et imitez-les avec toute la ferveur possible. Continuez les exercices de la croix selon l'ordre de vos supérieurs; afin que vous y trouviez ce que vous devez imiter et reconnaître. Mais sachez que mon Fils et mon Seigneur pouvait racheter le genre humain sans souffrir tant de peines, et qu'il a voulu cependant les augmenter par l'amour immense qu'il a pour les âmes. La correspondance qu'exige une pareille bonté ne consiste pas à se contenter de peu, comme les hommes le font ordinairement par une ignorance fatale. Ajoutez, ma fille, une vertu et un travail à plusieurs 571 autres, afin de vous acquitter de vos obligations, et partagez avec mon Seigneur et moi ce que nous avons souffert dans le monde. Unissez tout ce que vous ferez à ses mérites, et offrez-le au Père éternel pour les âmes. CHAPITRE XXX. Jésus, Marie et Joseph retournent d'Égypte à Nazareth par la volonté du Très-Haut. 702. L'Enfant Jésus atteignit sa septième année pendant qu'il était en Égypte; c'était le temps de ce mystérieux exil que la Sagesse éternelle avait déterminé : et il fallait qu'il retournât à Nazareth pour accomplir les prophéties. Ainsi le Père éternel déclara un jour sa volonté à l'humanité de son très-saint Fils en présence de sa divine Mère, dans un moment où ils vaquaient ensemble à leurs exercices : mais elle la connut dans le très-pur miroir de cette âme déifiée, et elle vit comme elle l'acceptait pour l'exécuter. Notre grande Dame l'accepta à son tour, quoiqu'elle eût déjà plus de relations et plus de personnes dévouées en Égypte qu'à Nazareth. Le Fils ni la Mère ne découvrirent point à saint Joseph le nouvel ordre du Ciel; 572 mais l'ange du Seigneur lui apparut cette même nuit dans un songe, ainsi que le raconte saint Matthieu, et lui dit de prendre l'enfant et la Mère et de retourner au pays d'Israël (1), parce que Hérode et ceux qui avaient avec lui cherché à faire périr l'Enfant étaient morts. Le Très-Haut aime tellement l'ordre et la régularité dans toutes les choses créées, que l'Enfant Jésus étant Dieu véritable, et sa Mère si supérieure en sainteté à saint Joseph , il ne voulut pas néanmoins qt e la décision du retour en Galilée vînt du Fils ni de la bière, mais il en remit la conduite au saint époux Joseph , qui faisait l'office de chef dans cette divine famille : pour apprendre par cet exemple à tous les mortels combien il lui est agréable que toutes choses soient gouvernées suivant l'ordre naturel établi par sa providence; et que, dans la vie spirituelle, les inférieurs doivent (quand même ils l'emporteraient par d'autres qualités et vertus) obéir et se soumettre à ceux qui leur sont supérieurs à raison de leurs fonctions extérieures. 703. Saint Joseph alla incontinent communiquer l'ordre du Seigneur à l'Enfant Jésus et à sa très-pure Mère, qui lui répondirent que la volonté du Père céleste fût exécutée. Après quoi ils se disposèrent à partir avec toute la diligence possible, et distribuèrent aux pauvres le peu de meubles qu'ils avaient dans leur maison. Et cela se fit par l'entremise de l'Enfant-Dieu : car la divine Mère lui remettait souvent les (1) Matth., II, 19 573 aumônes qu'elle destinait aux nécessiteux, sachant que l'Enfant, comme Dieu de miséricorde, aimait à les distribuer de ses propres mains. Et lorsqu'elle lui donnait ces aumônes, elle s'agenouillait et lui disait : " Prenez, mon Fils et mon Seigneur, ce que vous souhaitez de départir à nos amis et à vos frères les a pauvres (1). " Quelques-unes des personnes les plus pieuses qu'il laissaient à Héliopolis vinrent habiter cette maison, sanctifiée par le séjour que nos saints voyageurs y avaient fait pendant sept ans, et consacrée en un temple par le souverain Prêtre Jésus-Christ : et ce fut la sainteté de ces personnes qui leur attira le bonheur qu'elles ne connaissaient pas; quoique le souvenir de tout ce qu'elles avaient vu et expérimenté les portât à se féliciter vivement de pouvoir vivre là où leurs saints étrangers avaient demeuré si longtemps. Elles furent récompensées de cette piété et de ces dévots sentiments par une abondante lumière et par plusieurs secours pour arriver à la félicité éternelle. 704. Ils partirent d'Héliopolis pour la Palestine, suivis des mêmes anges qui les avaient accompagnés lors du premier voyage. Notre grande Reine allait sur un petit âne avec l'Enfant-Dieu sur ses genoux, et saint Joseph cheminait à pied, fort proche du Fils et de la bière. Leur départ fut fort sensible à toutes les personnes qui les connaissaient , par la perte qu'elles faisaient de si grands bienfaiteurs; et elles n'en prirent (1) Matth., XXV, 40. 576 congé qu'avec beaucoup de larmes, sentant et avouant qu'elles perdaient toute leur consolation, leurs secours et le remède à tous leurs maux. L'affection que les Égyptiens leur portaient était telle, qu'il leur eût été très-difficile de sortir d'Héliopolis si le pouvoir divin ne leur en eût ménagé les moyens : les pauvres gens redoutaient secrètement dans leur coeur la nuit de leurs misères par l'absence du Soleil qui les éclairait (1) et qui les consolait dans ces mêmes misères. Nos saints voyageurs passèrent par quelques lieux habités de l'Égypte avant que d'arriver au désert, et ils laissèrent partout des marques de leurs charités, parce que les merveilles qu'ils avaient opérées jusqu'alors n'étaient pas si cachées qu'elles ne fussent déjà connues dans tout ce pays. De sorte que, par suite du bruit qui s'en était répandu, les infirmes, les affligés et les pauvres allaient au-devant de leur remède, et tous le recevaient en leurs âmes aussi bien qu'en leurs corps. Ils guérirent beaucoup de malades et chassèrent un grand nombre de démons, sans qu'ils sussent eux-mêmes qui les précipitait dans l'abîme, quoiqu'ils sentissent la vertu divine qui les chassait et qui comblait les hommes de bienfaits. 705. Je ne m'arrête pas à raconter les choses particulières qui survinrent à l'Enfant Jésus et à sa bienheureuse Mère dans le cours de ce voyage, à leur sortie de l'Égypte, parce que cela n'est pas nécessaire et ne serait pas possible sans allonger trop cette histoire. (1) Joan., I, 9. 575 Ainsi il suffira de dire que tous ceux qui les abordèrent avec des sentiments plus ou moins pieux furent éclairés de la vérité, secourus de la grâce et pénétrés du divin amour : et ils cédaient à une force secrète qui les mouvait à suivre le bien, à quitter le chemin de la mort et à chercher celui de la vie éternelle. Ils allaient trouver le Fils attirés par le Père, et ils retournaient au Père guidés par la divine lumière que le Fils répandait dans leur entendement pour connaître la divinité du Père (1). S'il la, cachait en lui-même, parce que le temps n'était pas venu de la manifester, il ne laissait pas néanmoins de faire éprouver à chaque instant les divins effets de ce feu qu'il venait allumer et propager sur la terre (2). 706. Après que les mystères que la divine volonté avait déterminés furent accomplis dans l'Égypte, et que ce royaume eut été rempli de merveilles et de miracles, nos divins voyageurs sortirent des endroits habités et entrèrent dans le désert par où ils étaient venus. Ils y souffrirent d'autres nouvelles incommodités semblables à celles qu'ils avaient essuyées lors de leur départ de la Palestine, parce que le Seigneur les exposait toujours à la nécessité et à la tribulation, afin de les secourir dans le temps convenable (3). Dans ces extrémités, le Seigneur leur envoyait quelquefois lui-même le nécessaire par le ministère des anges, comme dans le premier voyage; quelquefois l'Enfant Jésus leur commandait d'apporter à manger à sa très (1) Joan., VI, 44; XIV, 6 ; I, 9. - (2) Luc., XII, 49. -(3) Ps. CXLIV, 15. 576 sainte Mère et à son époux, qui, pour jouir davantage de cette faveur, entendait l'ordre que notre adorable Sauveur donnait à ses ministres spirituels, et voyait qu'ils obéissaient avec beaucoup de complaisance et de promptitude : de sorte que le saint patriarche se consolait dans la peine qu'il avait de ne pouvoir procurer au Roi et à la Reine du ciel la nourriture dont ils avaient besoin. Dans d'autres occasions l'Enfant-Dieu, usant de la puissance divine, multipliait un morceau de pain autant qu'il le fallait. Le reste de ce qui arriva dans ce voyage ressemble à ce que j'ai rapporté du premier au chapitre XXII de ce livré; et c'est pourquoi il m'a paru inutile de le répéter. Mais, quand ils approchèrent de la Palestine, le soigneux époux apprit qu'Archélaüs régnait en Judée au lieu d'Hérode son père (1). Et, craignant qu'il n'eût hérité de sa cruauté contre l'Enfant Jésus aussi bien que du royaume, il prit un autre chemin, et, sans passer à Jérusalem ni même entrer dans la Judée, il traversa le territoire de la tribu de Dan et de celle d'Issachar jusqu'à la Galilée inférieure, en longeant les côtes de la mer Méditerranée, et en laissant Jérusalem à main droite. 707. Ils se rendirent à Nazareth, leur patrie, parce que l'Enfant devait être appelé Nazaréen (2). Ils y trouvèrent leur ancienne et pauvre maison sous la garde de cette sainte femme, parente de, saint Joseph au troisième degré, qui, comme je l'ai dit au troisième (1) Matth., II, 22. - (2) Ibid. 23. 577 livre, chapitre XVIIe, s'empressa de venir le servir lorsque notre Reine était chez sainte Élisabeth. Et quand ils partirent de Judée pour aller en Égypte, le saint époux lui écrivit de prendre soin de la maison et de ce qu'ils y laissaient. Ils trouvèrent tout en fort bon état, et cette femme les reçut avec beaucoup de joie et de consolation, à cause de l'amour qu'elle portait à notre auguste Princesse, quoiqu'elle ignorât alors sa dignité. La divine Dame y entra avec son très-saint Fils et son époux Joseph; et incontinent elle se prosterna pour adorer le Seigneur et pour lui rendre des actions de grâces de ce qu'il les avait conduits dans le lieu de leur repos, et délivrés de la cruauté d'Hérode et des périls d'un si long voyage, et surtout de ce qu'elle venait dans sa maison avec son très-saint Fils, déjà si grand, si plein de grâce et de vertu (1). 708. La très-heureuse Mère régla ensuite ses exercices par la disposition de l'Enfant-Dieu. Ce n'est pas qu'elle se fût relâchée en la moindre chose dans le voyage, car elle n'avait pas cessé de rendre ses actions aussi parfaites que possible, à l'imitation de son très-saint Fils; mais, une fois tranquille dans sa maison, elle avait le moyen de faire plusieurs choses dont elle avait dû se dispenser ailleurs, quoique partout le plus grand soin qu'elle eût fût de coopérer avec son adorable Fils au salut des âmes, qui était la grande affaire que le Père éternel avait recommandée. C'est pour cette très-haute fin que notre Reine disposa ses (1) Luc., II, 40. 578 exercices avec le Rédempteur, et ils s'y livraient, comme nous le verrons dans la suite de cette seconde partie. Le saint époux Joseph régla aussi ce qui concernait son office et ses occupations de manière à gagner par son travail la nourriture de l'Enfant-Dieu, de la Mère et la sienne. Aussi le bonheur de ce saint patriarche fut-il si grand, que si c'est un châtiment et une peine pour les autres enfants d'Adam d'être condamnés à gagner leur subsistance par le travail de leurs mains et à la sueur de leur visage (1), c'était néanmoins pour Joseph une bénédiction, une faveur et une consolation incomparable d'être choisi pour gagner par son travail de quoi nourrir l'Enfant-Dieu et sa bière, à qui le ciel, la terre et tout ce qu'ils renferment appartenaient (2). 709. La Reine des anges voulut se charger de récompenser l'active sollicitude de son époux. Et pour lui marquer sa reconnaissance elle le servait, et préparait son frugal repas avec les soins les plus empressés et les plus délicats, et avec une complaisance sans égale. Elle lui obéissait en tout, et se regardait, non point comme son épouse, et, ce qui plus est, comme Mère du Créateur et du Maître de l'univers, mais comme son humble servante. Elle se réputait indigne de tout ce qui avait l'être, et même de la terre qui la soutenait, parce qu'elle se persuadait qu'en bonne justice tout lui devait manquer. Et sachant qu'elle avait été tirée du néant sans avoir pu mériter ce (1) Gen., III, 19. - (2) Esth., XIII, 10 et 11. 579 bienfait de Dieu, ni ensuite (suivant son opinion) aucun autre, elle établit si solidement sa rare humilité, qu'elle était toujours abîmée dans ce même néant, et encore plus bas dans sa propre estime. Pour chaque bienfait, quelque petit qu'il pût être, elle rendait avec une sagesse admirable mille actions de grâces au Seigneur, comme au premier auteur de tout bien, et elle en remerciait les créatures, comme étant les instruments de son pouvoir et de sa bonté les unes parce qu'elles lui prêtaient leur concours, les autres parce qu'elles le lui refusaient, ou de ce qu'elles la souffraient. De sorte que, se croyant redevable et inférieure à toutes, elle les comblait de bénédictions, et cherchait par toute sorte de moyens et d'industries à ne laisser jamais échapper aucune occasion de pratiquer en toutes choses ce qu'il y a de plus saint, de plus parfait et de plus sublime dans les vertus; et c'était avec tant de ferveur, qu'elle faisait l'admiration des anges, et se rendait très-agréable au Seigneur. Instruction que la Reine du ciel me donna. 710. Ma fille, jamais je ne me troublai, jamais je ne m'affligeai des dispositions que le Très-Haut a prises à mon égard, en me faisant voyager de pays eu pays, de royaume en royaume, car j'étais toujours 580 prête à accomplir en toute chose sa sainte volonté. Et quoique sa divine Majesté me fit contraire les trés-bautes fins de ces dispositions, elle ne le fit pourtant pas toujours dans les commencements, afin que je souffrisse davantage , et pour montrer que la créature ne doit pas chercher d'autre motif à sa soumission, sinon que c'est le Créateur qui ordonne tout et qui dispose de tout. Les âmes qui n'ont point d'autre intention que de plaire au Seigneur se soumettent ï< ses ordres par cette seule réflexion , sans faire aucune distinction entre les événements favorables et les événements fâcheux, et sans écouter ce que peuvent leur suggérer leurs propres inclinations. Je veux, ma fille, que vous vous avanciez dans cette science, et que vous receviez les prospérités et les adversités de la vie mortelle avec un même visage et avec tranquillité d'esprit, à mon imitation , et en vue des grandes obligations que vous avez à mon très, saint Fils, sans que les unes vous remplissent d'une vaine joie, ni que les autres vous attristent, persuadée que le Très-Haut règle tout pour son bon plaisir. 711. La vie humaine n'est qu'un tissu de ces divers événements, les uns qui plaisent aux mortels) les autres qui les affligent; les uns que l'on craint, les autres que l'on désire. Et comme le coeur de la créature est toujours faible et borné, il arrive qu'elle ne garde point un juste milieu entre ces extrémités, car elle accueille avec un enthousiasme excessif ce qu'elle aime, ce qu'elle désire; et tout au contraire elle se 581 décourage et se désole lorsqu'il lui survient quelque chose qu'elle abhorre et qu'elle voudrait pouvoir repousser. Ces changements et ces agitations mettent toutes les vertus dans le plus grand péril, parce que l'amour désordonné que l'on a pour une chose quelconque qu'on ne peut acquérir, fait qu'on en souhaite aussitôt une autre, cherchant dans de nouveaux désirs le soulagement de la peine que cause la privation de ceux dont on a été frustré : et si on l'obtient, on se laisse enivrer de la vaine satisfaction qu'on a de posséder ce que l'on souhaitait, de sorte que cette multitude de désirs jette la créature dans un désordre toujours plus grand de mouvements confus et de passions différentes. Or évitez, ma très-chère fille, ce danger, et coupez le mal dans sa racine, en conservant votre coeur dans une complète indépendance, uniquement attentif aux desseins de la divine Providence, sans le laisser pencher vers les objets qui l'attirent, sans le laisser se détourner de ceux qui lui inspirent de la répugnance. Réjouissez-vous seulement en la volonté de votre Seigneur; ne vous laissez ni emporter par vos désirs, ni abattre par vos craintes, quoi qu'il vous arrive; et faites en sorte que ni les occupations extérieures ni le respect humain n'empêchent et ne dérangent vos saints exercices. Observez en toute chose ce que je faisais, et suivez mes traces avec une diligente ferveur. 582 14/30 LIVRE CINQUIÈME. OU L'ON DÉPEINT LA PERFECTION AVEC LAQUELLE LA TRÈS-PURE MARIE IMITAIT LES OPÉRATIONS DE L'ÂME DE SON TRÈS-AIMABLE FILS, ET COMMENT CE DIVIN LÉGISLATEUR LUI EXPLIQUAIT LA LOI DE GRÂCE, LES VÉRITÉS DE LA FOI, LES SACREMENTS ET LE DÉCALOGUE. - ON Y VOIT AUSSI AVEC QUEL ZÈLE ET AVEC QUELLE FIDÉLITÉ ELLE OBSERVAIT CETTE LOI. - LA MORT DE SAINT JOSEPH. - LA PRÉDICATION DE SAINT JEAN-BAPTISTE. - LE JEUNE ET LE BAPTÊME DE NOTRE RÉDEMPTEUR. - LA VOCATION DES PREMIERS DISCIPLES, ET LE BAPTÊME DE NOTRE DAME LA VIERGE MARIE. CHAPITRE I. Après le retour à Nazareth, le Seigneur éprouve la très-pure Marie par une certaine sévérité et par une espèce d'absence. - But de cette épreuve. Instruction que j'ai reçue de la Reine du ciel. CHAPITRE II. La très-pure Marie découvre de nouveau les opérations de l'âme de son Fils, notre Rédempteur, aussi bien que tout ce qui lui avait été caché; et cet adorable Seigneur commence à lui expliquer la loi de grâce. Instruction que la Reine des anges me donna. CHAPITRE III. L'auguste Marie et son saint époux Joseph allaient tous les ans à Jérusalem, selon la loi, et y menaient avec eux l'Enfant Jésus. Instruction que l'auguste Reine Marie me donna. CHAPITRE IV. L'Enfant Jésus étant dans sa douzième année, va avec ses parents à Jérusalem, et il reste dans le Temple sans qu ils s'en aperçoivent (1). Instruction que la Reine des anges me donna. LIVRE CINQUIÈME. OU L'ON DÉPEINT LA PERFECTION AVEC LAQUELLE LA TRÈS-PURE MARIE IMITAIT LES OPÉRATIONS DE L'ÂME DE SON TRÈS-AIMABLE FILS, ET COMMENT CE DIVIN LÉGISLATEUR LUI EXPLIQUAIT LA LOI DE GRÂCE, LES VÉRITÉS DE LA FOI, LES SACREMENTS ET LE DÉCALOGUE. - ON Y VOIT AUSSI AVEC QUEL ZÈLE ET AVEC QUELLE FIDÉLITÉ ELLE OBSERVAIT CETTE LOI. - LA MORT DE SAINT JOSEPH. - LA PRÉDICATION DE SAINT JEAN-BAPTISTE. - LE JEUNE ET LE BAPTÊME DE NOTRE RÉDEMPTEUR. - LA VOCATION DES PREMIERS DISCIPLES, ET LE BAPTÊME DE NOTRE DAME LA VIERGE MARIE. CHAPITRE I. Après le retour à Nazareth, le Seigneur éprouve la très-pure Marie par une certaine sévérité et par une espèce d'absence. - But de cette épreuve. 712. Jésus, Marie et Joseph arrivèrent enfin à Nazareth, où leur pauvre maison fut changée en un nouveau ciel. Et si j'étais obligée de raconter les mystères qui se passèrent entre l'Enfant-Dieu et la très pure Mère, jusqu'à ce qu'il eut achevé la douzième année de son âge et commencé à prêcher au 583 peuple, il me faudrait faire plusieurs livres, et encore cela ne me permettrait-il de dire que fort peu de chose, à cause de la grandeur ineffable de l'objet et de la bassesse d'une femme ignorante telle que je suis. J'entrerai néanmoins dans quelques détails, selon la lumière que j'ai reçue de cette grande Dame, passant toujours sous silence les choses les plus sublimes, parce qu'il n'est ni possible ni convenable de traiter toutes les vérités en ce monde, la connaissance en étant réservée pour Celui que nous attendons. 713. Quelques jours après leur retour à Nazareth, le Seigneur détermina d'exercer sa très-sainte Mère eu la manière dont il l'avait exercée lorsqu'elle était dans son enfance (comme je l'ai marqué au second livre de la première partie, chap. XXVII°), quoiqu'elle fût dans cette présente occasion plus forte dans la pratique de l'amour et dans la plénitude de la sagesse. Mais comme le pouvoir de Dieu est infini, et le cercle de son divin amour immense, et que la capacité de notre Reine surpassait celle de tontes les créatures, ce mime Seigneur résolut de l'élever à un plus haut état de sainteté et de mérite. Et il voulut par là, comme un véritable Maître spirituel, former une disciple si sage et si excellente, qu'elle fût ensuite une Maîtresse consommée et un exemplaire vivant de la doctrine de son Maître, comme elle le fut après l'ascension de son Fils, notre Seigneur, ainsi que je le dirai dans la troisième partie. Il était aussi convenable et même nécessaire pour l'honneur de notre 584 Rédempteur Jésus-Christ, que sa doctrine évangélique, par laquelle et en laquelle il devait fonder cette nouvelle loi de grâce, si sainte, qu'on n'y peut trouver ni tache ni ride (1), prouvât aussitôt son efficace et sa vertu par la formation d'une simple créature en qui elle produisit ses effets dans une plénitude vraiment adéquate, et que toute la perfection possible fût donnée à cette créature, afin que ses semblables d'un rang inférieur pussent se modeler sur elle. Et il était raisonnable que cette créature fût la très-pure Marie, comme étant la Mère et la plus proche du Maître de la sainteté. 714. Le Très-Haut détermina que notre divine Dame fût la première disciple de son école et l'aînée de la nouvelle loi de grâce, la parfaite image de son idée, et la matière choisie sur laquelle le sceau de sa doctrine et de sa sainteté serait imprimé comme. sur une cire molle, afin que le Fils et la Mère fussent les deuz tables véritables de la nouvelle loi (2) qu'il venait enseigner au monde. Et afin d'atteindre cette très-sublime fin que la sagesse divine s'était proposée, le Seigneur découvrit à l'auguste Marie tous les mystères de la loi évangélique et de sa doctrine, et s'en entretint avec elle à leur retour d'Égypte , jusqu'à ce qu'il commençât à prêcher, comme nous le verrons plus loin. Le Verbe incarné et sa très-sainte Mère s'occupèrent en ces profonds mystères l'espace de vingt-trois ans qu'ils demeurèrent à Nazareth, avant que (1) Ephes., V, 27. - (2) Exod., XXXI, 18. 585 le temps de la prédication de notre adorable Sauveur fût arrivé. Et c'est parce que tout cela regardait la divine Mère (dont les évangélistes n'ont point écrit la vie) qu'ils n'en ont fait aucune mention, excepté de ce qui arriva lors de la douzième année de l'Enfant Jésus, quand à Jérusalem il s'écarta de ses parents, comme le raconte saint Luc (1) , et ainsi que je le dirai en son lieu. Pendant ce temps-là l'auguste Marie fut la seule disciple de son adorable Fils. Et outre les dons ineffables de sainteté et de grâce qu'il lui avait communiqués jusqu'alors, il lui donna une nouvelle lumière, et la fit participante de sa science divine, déposant en elle et gravant dans son coeur toute la loi de grâce, et la doctrine qu'il devait enseigner dans son Église évangélique, jusqu'à la fin du monde. Et cela se fit d'une manière si relevée, qu'il n'est pas possible de l'exprimer par des termes humains ; mais notre grande Dame en devint si savante, qu'elle aurait pu éclairer par son enseignement plusieurs mondes, s'ils eussent été créés. 715. Or le Seigneur voulant élever au-dessus de tout ce qui n'était pas Dieu cet édifice dans le coeur de sa très-sainte Mère, en jeta les fondements en éprouvant la force de son amour et de ses autres vertus. C'est pourquoi il lui fit ressentir intérieurement ses absences, en la privant de sa vue habituelle, qui la remplissait d'une joie inaltérable et d'une consolation céleste qui répondait à ce bienfait. Je ne (1) Luc., II, 48, etc. 586 veux pas dire par là que le Seigneur l'abandonnât; mais qu'étant avec elle et en elle d'une manière mystérieuse et par une grâce ineffable, il lui cacha sa présence et lui suspendit les très-doux effets qui en découlaient ; notre auguste Princesse ignorait la cause aussi bien que le mode de ce changement, parce que sa Majesté ne lui découvrit point ses desseins. En outre, l'Enfant-Dieu, sans lui rien faire connaître, se montra plus sérieux qu'à l'ordinaire, et se trouvait corporellement moins souvent avec elle, car il se retirait à chaque instant, et ne lui adressait plus que quelques paroles, et encore était-ce avec un air imposant et d'un ton impérieux. Mais une chose plus affligeante pour elle, ce fut l'éclipse de ce soleil qui se répétait auparavant dans sa très-sainte humanité, comme dans un miroir de cristal, où elle voyait ordinairement les opérations de son âme très-pure; de sorte qu'elle ne les pouvait plus considérer pour tâcher de copier cette image vivante, comme elle l'avait fait jusque-là. 716. Cette épreuve inattendue fut le creuset où l'or très-pur du saint autour de notre grande Reine reçut un nouveau Juste et un nouveau prix. Car d'abord, surprise de ce qui lui était arrivé, elle eut aussitôt recours à l'humble estime quelle avait d'elle-même, et se croyant indigne de la vue du Seigneur qui venait de lui cacher sa présence, elle attribua le tout à sou ingratitude, et à ce qu'elle n'avait pas donné au Père des miséricordes le retour qu'elle lui devait pour les bienfaits qu'elle avait reçus de sa main 587 très-libérale. Notre très-prudente Reine ne s'affligeait point de ce que les douces consolations et les caresses ordinaires du Seigneur lui manquassent; mais la crainte quelle avait de lui avoir déplu, ou d'avoir négligé son service et méconnu en quelque chose son bon plaisir, lui perçait l'âme de douleur. Un amour aussi véritable et aussi noble que le sien ne pouvait avoir d'autres sentiments; car il ne s'emploie qu'à plaire à l'objet qu'il aime, et il ne sait goûter aucun repos, lorsqu'il ne le croit pas satisfait, parce qu'il ne trouve de consolation que dans le contentement de sou bien-aimé. Ces amoureuses angoisses de la divine Mère étaient fort agréables à son très-saint Fils, parce qu'elles renouvelaient son amour, et les tendres affections de son Unique et de son Élue lui pénétraient le coeur (1). Mais quand sa très-douce Mère le cherchait (2) et voulait lui parler, il feignait par une amoureuse adresse de paraître toujours sérieux et réservé; et par cette rigueur mystérieuse, le feu du très-chaste coeur de la Mère élevait ses flammes comme la fournaise dans laquelle on jette quelques gouttes d'eau. 717. L'innocente colombe faisait des actes héroïques de toutes les vertus; elle s'humiliait jusqu'à l'anéantissement, elle honorait son très-saint Fils par de profondes adorations, elle bénissait le Père éternel, et lui rendait des actions de grâces pour ses ouvres et pour ses bienfaits, admirables; se conformant (1) Cant., IV, 9. - (2) Cant., III, 1. 588 à son bon plaisir divin, elle cherchait sa volonté sainte et parfaite pour l'accomplir en tout; elle s'enflammait d'amour, de foi, d'espérance : de sorte que de toutes ses couvres s'exhalaient des parfums (1) dont respirait la délicieuse odeur le Roi des rois, qui reposait dans le coeur de cette très-sainte Vierge, comme dans sa couche fleurie et odoriférante (2). Elle persévérait dans une oraison continuelle avec des larmes, des gémissements et des soupirs redoublés, qui partaient du plus intime de son coeur; elle répandait sa prière en la présence du Seigneur (3), exposait son affliction à sa divine clémence, et ne cessait de lui adresser des plaintes remplies d'une incomparable douceur et d'une douleur amoureuse. 718. " Créateur de l'univers, disait-elle, Dieu éternel et puissant, infini en sagesse et en bonté, incompréhensible en votre être et en vos perfections, je sais, mon souverain bien, que mes gémissements ne sont point cachés à votre sagesse (4), et que vous connaissez la blessure de mon coeur. Si j'ai manqué, comme une servante inutile, à votre service et à votre bon plaisir, pourquoi, vie de mon âme, ne me châtiez-vous pas par toutes les peines de la vie mortelle en laquelle je me trouve, plutôt que de me condamner à voir la sévérité de votre face, que mérite celui qui vous a offensé? Toutes les douleurs me seraient indifférentes, mais (1) Cant., I, 11. - (2) Ibid., 16. - (3) Ps. CXLI, 3. - (4) Ps. XXXVII, 10. 589 je ne saurais me résigner à l'idée de vous voir irrité ; parce que vous seul, Seigneur, êtes ma vie, mon bien , ma gloire et mon trésor. Rien de tout ce que vous avez créé ne touche mon coeur, et les images sensibles ne sont entrées dans mon âme que pour me faire glorifier votre grandeur, et vous reconnaître comme le maître et le Créateur de toutes choses. Or que ferai-je, mon unique bien, si je suis privée de la lumière de mes yeux (1), de la fin de mes désirs, du guide de mon pèlerinage, de la vie qui me donne l'être, et de tout l'être qui me pour rit et me donne la vie? Qui donnera une source de larmes à mes yeux (2), afin que je pleure de n'avoir pas profité de tant de biens que j'ai reçus, et d'a voir été si ingrate dans le retour que je devais? O a ma divine lumière, ma voie, mon guide et mon Maître, qui par la perfection et l'excellence suréminente de vos couvres, souteniez ma faiblesse et excitiez ma lâcheté; si vous me cachez cet exemplaire , comment conformerai-je ma vie à votre bon plaisir? Qui m'éclairera dans la nuit de ce bannissement? Que ferai-je? à qui aurai-je recours, si vous m'éloignez de votre protection? " 719. Notre auguste Reine ne se trouvait pourtant pas soulagée par toutes ces tendres affections; mais soupirant, comme un cerf blessé (3), après les très-pures fontaines de la grâce, elle s'adressait aussi à ses saints anges, et dans les longs entretiens qu'elle avait (1) Ps. XXXVII, 11. - (2) Jerem., IX, 1. - (3) Ps. XLI, 2. 590 avec eux, elle leur disait : " Princes célestes, favoris et amis intimes du souverain Roi, et mes gardes fidèles, au nom de la félicité inamissible que vous avez de voir toujours sa divine face dans la lumière inaccessible (1) , je vous prie de me dire, en cas qu'il soit irrité, le sujet de sa colère. Intercédez aussi pour moi en son adorable présence, afin qu'il me pardonne, si par malheur je l'ai offensé. Représentez-lui, mes amis, que je ne suis que poussière, quoique formée de ses mains et marquée de son image (2); qu'il n'oublie pas pour toujours cette N pauvre affligée (3), qui le glorifie et le loue avec humilité. Priez-le de calmer ma crainte, et d'animer la vie que je n'ai que pour l'aimer. Dites-moi par quels moyens je pourrai lui plaire, et mériter la joie de sa divine face? - Notre Reine et Mat tresse, lui répondirent les auges, votre coeur est assez fort pour ne point se laisser vaincre à la tribulation , et vous savez mieux que nous combien le Seigneur est proche de celui qui est affligé et qui l'appelle dans ses besoins (4). Il est sans doute attentif à vos souhaits, et ne méprise point vos plaintes amoureuses. Vous ne trouverez jamais en lui que le meilleur des Pères, et votre enfant unique se montrera toujours le plus tendre des fils à la vite de vos larmes. - Serait-ce nue témérité, répliquait la plus aimante des mères, de me présenter devant (1) Matth., XVIII, 10; I Tim., VI, 16. - (2) Job., X, 9. - (3) Ps. LXXIII, 19. - (4) Ps. IV, 2 ; XC, 15; XXXVII, 10. 591 lui? Commettrais-je un excès d'audace en me prosternant pour lui demander pardon, si j'ai été assez malheureuse que de lui déplaire? Que ferai-je? Quel remède trouverai-je dans mes peines? - Notre Roi, lui répondaient les princes célestes, ne rebute point un coeur humilié; il le regarde avec complaisance, et il ne rejette jamais les soupirs de celui qui aime, ni les oeuvres qu'il fait avec amour (1). " 720. Les saints anges consolaient quelque peu leur Reine par ces réponses , dans lesquelles ils lui déclaraient en termes généraux l'amour du Tout-Puissant et la complaisance singulière avec laquelle il écoutait ses douces plaintes. Ils ne s'expliquaient pas davantage, parce que ce même Seigneur y voulait prendre ses délices (2). Et quoique son très-saint Fils, par l'amour naturel qu'il portait à une telle Mère comme homme véritable, s'attendrit plusieurs fois de la voir si affligée , il cachait néanmoins cette compassion sous un sérieux apparent. Il arrivait parfois que quand la très-amoureuse Mère l'appelait à table, il ne bougeait pas, ou bien il y allait sans la regarder et sans lui dire un seul mot. Alors notre grande peine versait beaucoup de larmes et représentait à son aimable Fils les amoureuses peines de son coeur, et elle s'exprimait, elle se comportait dans des cas pareils avec tant de modération, de prudence et de sagesse, que si par impossible Dieu était susceptible d'un sentiment d'admiration, il l'aurait éprouvé en (1) Ps. L.,19; C, 18. - (2) Prov., VIII, 17. 592 voyant chez une simple créature une si grande plénitude de sainteté et de perfection. Mais l'Enfant Jésus, en tant qu'homme, ressentait une joie particulière à la vue des effets merveilleux que l'amour divin et la grâce produisaient en sa Mère Vierge. Et les saints anges lui donnaient une nouvelle gloire et lui offraient des cantiques de louanges pour ce prodige inouï de vertu. 721. La tendre et prévoyante Mère avait préparé pour, l'Enfant Jésus une estrade que le patriarche saint Joseph avait faite, et elle n'y mit qu'une simple couverture : car depuis que cet adorable Enfant fut sorti du berceau, lorsqu'ils étaient en Égypte ; il ne voulut point avoir de couche ni d'autres literies. Et encore ne s'y étendait-il pas et ne s'en servait-il pas toujours; assez souvent il s'asseyait sur le bois nu, ne faisant que s'appuyer sur un pauvre coussin de laine, qu'avait arrangé notre Dame elle-même. Et quand elle voulut lui proposer de prendre un lit plus commode, le saint Enfant lui répondit qu'il ne devait se coucher et s'étendre que sur le lit de la croix, pour enseigner au monde par son exemple qu'on ne doit pas passer au repos éternel par celui que les habitants de Babylone aiment, et que pendant la vie mortelle la souffrance est un délice (1). Dès lors notre divine Dame prit un soin tout particulier de l'imiter en cette manière de reposer. Quand le moment de se retirer était venu, la Maîtresse céleste de l'humilité (1) I Petr., II, 21. 593 avait coutume de se prosterner devant son très-saint Fils, qui se tenait sur son estrade, et de lui demander chaque soir pardon de ne l'avoir pas mieux servi dans le cours de la journée, et de n'avoir pas répondu à ses bienfaits par assez de reconnaissance. Elle lui rendait de nouvelles actions de grâces pour toutes ses faveurs, et confessait , en versant des larmes abondantes, qu'il était véritablement le Dieu rédempteur du monde; et elle ne se relevait point que son Fils ne le lui eût commandé et donné en même temps sa bénédiction. Elle pratiquait la même chose tous les matins, afin que le divin Maître lui ordonnât. ce qu'elle devait faire pour son service pendant tout le jour; et le divin Maître se prêtait aux désirs de sa Mère avec la plus tendre complaisance. 722. Mais à l'époque de cette épreuve il tint une tout autre conduite. Lorsque sa très-innocente Mère l'abordait pour l'adorer, selon sa coutume, redoublant ses larmes et ses soupirs, il ne lui répondait pas un seul mot, il ne l'écoutait que d'un air sévère, et lui commandait ensuite de se retirer. On ne saurait dire quelles impressions causait dans le très-candide coeur de l'amoureuse Mère de voir son Fils Dieu et homme si changé en ses manières, si grave, si taciturne, et si différent dans tout son extérieur de ce qu'il était autrefois à son égard. Notre divine Dame examinait son intérieur, observait l'ordre de ses actions, pesait leurs qualités, leurs circonstances, et appliquait toute son attention et toute sa mémoire à cette revue de son âme et de ses puissances : et 594 quoiqu'elle n'y pût remarquer la moindre obscurité, parce que tout y était lumière, sainteté, pureté et grâce, néanmoins, comme elle savait que ni les cieux ni les étoiles ne sont purs aux yeux de Dieu, suivant l'expression de Job (1), et qu'il trouve de quoi reprendre dans les esprits les plus angéliques, notre grande Reine craignait que le Seigneur ne découvrît en elle quelque défaut qu'elle n'apercevait point. Et de cette crainte elle tombait dans des défaillances d'amour, d'un amour fort comme la mort (2), qui, quoique inspiré par la plus haute sagesse, fait souffrir à l'âme, dans ces accès de sainte jalousie, des tourments indicibles. Notre auguste Princesse passa plusieurs jours dans ce rude exercice, où son très-saint Fils l'éprouva avec une satisfaction ineffable, et l'éleva à un état qui la rendit Maîtresse universelle des créatures, pour la récompenser de la fidélité et de la tendresse de son amour par un surcroît de grâces plus abondantes que celles dont elle était déjà comblée. Il arriva ensuite ce que je dirai dans le chapitre suivant. (1) Job., IV, 15; XXV, 5; IV, 18. - (1) Cant., VIII, 6. 595 Instruction que j'ai reçue de la Reine du ciel. 723. Ma fille, je vois que vous désirez d'être la disciple de mon très-saint Fils, surtout depuis que vous avez su et écrit comment je la fus. Je veux que vous appreniez, pour votre consolation, que l'adorable Sauveur n'a pas exercé une seule fois l'office de maître, et seulement dans le temps où, sous la forme humaine, il a enseigné sa doctrine telle qu'elle se trouve dans les Évangiles et dans son Église; mais qu'il continue à remplir toujours le même office envers les âmes, et qu'il le remplira jusqu'à la fin. du monde (1), en les corrigeant, les instruisant et leur inspirant ce:qui est le meilleur et le plus parfait, afin qu'elles le mettent en pratique. C'est ce qu'il fait absolument envers toutes, quoiqu'elles reçoivent plus ou moins de lumières, selon sa divine volonté, et selon les dispositions plus ou moins bonnes dans lesquelles elles se trouvent. Si vous avez toujours profité de cette vérité, vous saurez par une longue expérience que le Seigneur ne dédaigne point d'être le maître du pauvre (2), ni d'enseigner le misérable et le pécheur, s'ils veulent être attentifs à ses leçons intérieures. Et puisque vous souhaitez maintenant de connaître la disposition que sa Majesté demande pour exercer à votre égard l'office de maître au (1) Matth., XXVIII, 20. - (2) Matth., XI, 5. 596 degré que votre coeur désire, je veux vous l'indiquer de la part du même Seigneur, et vous assurer que s'il vous trouve bien disposée, il répandra dans votre âme, comme un véritable et sage maître, sa sagesse, sa lumière et sa doctrine avec une grande plénitude. 724. Vous devez avoir en premier lieu la conscience pure et tranquille, et un soin continuel de ne tomber dans aucun péché, ni dans la moindre imperfection, en quelque circonstance que vous soyez placée. Vous devez aussi abandonner tout ce qui est terrestre, et faire tous vos efforts pour bannir de votre mémoire les images des choses visibles, afin de garder votre coeur dans la simplicité, dans la sérénité et dans le calme. Et quand vous aurez l'intérieur débarrassé, et libre des ténèbres et des idées grossières qui les causent, alors vous écouterez le Seigneur, vous prêterez l'oreille à sa voix, comme une fille bien-aimée qui oublie son peuple de cette Babylone remplie de vanité, la maison de son père Adam et toutes les mauvaises habitudes de sa vie passée; et si vous êtes ainsi disposée, je vous assure qu'il vous fera entendre les paroles de la vie éternelle (1). Il faut donc que vous l'écoutiez avec beaucoup de respect et avec une humble reconnaissance (2), que vous fassiez une très-grande estime 3e sa doctrine, et que vous la pratiquiez avec une extrême ponctualité; parce que rien ne saurait échapper à ce souverain Seigneur et Maître des âmes (3), et qu'il se retire avec dégoût, lorsque la créature (1) Joan., VI, 69. - (2) Ps. XLIV, 11. - (3) Hebr., IV, 13. 597 ingrate néglige de lui obéir, et de reconnaître un si grand bienfait. Les âmes ne doivent pas croire que ces éloignements du Très-Haut leur arrivent toujours comme celui par lequel il in éprouvait ; car chez moi, loin qu'il y eût faute, il n'y avait qu'un amour excessif; mais à l'égard des autres créatures, en qui se trouvent tant de péchés, de négligences et de grossières ingratitudes, cette absence est ordinairement une peine et un châtiment qu'elles ont mérité. 725. Or, faites maintenant réflexion, ma fille, sur les manquements que vous pouvez avoir commis en ne faisant pas toute l'estime que vous deviez de la doctrine et de la lumière que vous avez reçues du divin Maître par un enseignement tout particulier aussi bien que par mes conseils et par mes avis. Commencez à modérer vos craintes désordonnées, et ne doutez plus que ce ne soit le Seigneur qui vous parle et qui vous enseigne, puisque la doctrine elle-même rend témoignage de sa vérité et vous assure que c'est lui qui en est l'auteur; car elle est sainte, pure, parfaite et sans tache. Elle apprend ce qui est le meilleur et vous corrige du moindre défaut; et en outre elle a l'approbation de vos supérieurs et de vos pères spirituels. Je veux aussi que, m'imitant en ce que vous avez écrit, vous ne vous dispensiez jamais de venir à moi tous les soirs et tous les matins, puisque je suis votre Maîtresse, et que vous me disiez vos fautes avec humilité et avec une parfaite contrition, afin que j'intercède pour vous et que, comme mère, j'en obtienne du Seigneur le pardon. Si vous commettez quelque 598 faute ou quelque imperfection, reconnaissez-la aussitôt avec douleur, et priez le Seigneur, avec un ferme désir de vous en corriger, qu'il vous la pardonne. Et si vous êtes fidèle à exécuter mes ordres, vous serez la disciple du Très-Haut et la mienne, comme vous le souhaitez, parce que la pureté de l'âme et la grâce sont la plus éminente et la plus juste disposition pour recevoir les influences de la lumière divine et la science infuse, que le Rédempteur du monde communique à ceux qui sont ses véritables disciples. CHAPITRE II. La très-pure Marie découvre de nouveau les opérations de l'âme de son Fils, notre Rédempteur, aussi bien que tout ce qui lui avait été caché; et cet adorable Seigneur commence à lui expliquer la loi de grâce. 726. L'esprit humain a longtemps disserté sur la nature, les propriétés, les causes et les effets de l'amour. Et si je voulais dépeindre l'amour saint et divin de notre Dame l'auguste Marie, il faudrait que j'ajoutasse beaucoup de choses à tout ce qui â été dit et écrit sur cette matière; car après celui que l'âme de notre Seigneur Jésus- Christ a eu, on ne saurait trouver en toutes les créatures humaines et angéliques un amour qui approche de la noblesse et de l'excellence 599 de celui dont la Reine du ciel a été partagée, puisqu'elle a mérité d'être appelée la Mère de la belle dilection (1). L'objet, la matière du saint amour est toujours et partout unique: c'est Dieu pour lui-même, et toutes les choses créées pour Dieu. Mais le sujet qui éprouve cet amour, les causes qui l'engendrent et les effets qu'il produit sont fort différents : et tout cela atteignit chez notre grande Princesse le suprême degré auquel puisse arriver la simple créature. La pureté de cœur, la foi, l'espérance, la crainte sainte et filiale, la science et la sagesse furent en elle sans limites, de même que les bienfaits, le souvenir qu'elle en conserva, l'estime qu'elle en fit, et toutes les autres causes que l'amour saint et divin peut avoir. Cette flamme céleste n'est point produite ni allumée comme l'amour profane et aveugle, qui entre par les sens dépravés, et qui bientôt fait perdre la raison aux malheureux qu'il égare, car l'amour saint et pur pénètre par la très-noble intelligence, et par la force de sa bonté infinie et de sa douceur ineffable, parce que Dieu, qui est la sagesse et la bouté même, veut être aimé non-seulement avec douceur, mais aussi avec sagesse et avec connaissance de ce que l'on aime. 727. Ces amours ont plus de ressemblances dans les effets que dans les causes. Car s'ils ont une fois soumis le coeur et qu'ils y aient établi leur empire, ils n'en sortent qu'avec difficulté. Et de là naît la douleur que le coeur humain ressent quand il rencontre chez (1) Eccles., XXIV, 24. 600 l'objet qu'il aime du dédain, de la froideur ou une moindre correspondance, parce que c'est ce qui l'oblige à renoncer à l'amour; et comme d'un autre côté l'amour s'est tellement emparé du coeur, qu'il saurait difficilement en être banni, même avec le secours de la raison, cette cruelle tyrannie fait souffrir à ses esclaves les douleurs de la mort. Tout cela n'est que folie dans l'amour aveugle. et mondain. Mais c'est une très-haute sagesse dans l'amour divin, parce que, où l'on ne peut trouver aucune raison pour s'empêcher d'aimer, la grande prudence est de chercher constamment de nouveaux motifs pour aimer avec plus d'ardeur et pour plaire à l'objet que l'on aime. Et comme la volonté emploie toute sa liberté dans cette entreprise; plus elle aime librement le souverain Bien, moins elle se sent libre pour ne le pas aimer de sorte que la volonté étant la maîtresse et la reine de l'âme dans ce glorieux débat, la rend heureusement esclave de son amour même, et fait qu'elle ne veut et ne peut, pour ainsi dire, refuser cette libre servitude. Et si elle essuie quelque rebut de la part du souverain Bien qu'elle aime, elle souffre, par cette libre violence, les douleurs de la mort, comme étant privée de l'objet de la vie : parce qu'elle ne vit qu'à cause qu'elle aime et qu'elle sait être aimée. 728. On peut comprendre par là jusqu'à un certain point ce que le coeur très-ardent et très-pur, de notre Reine souffrit par l'absence de l'objet de son amour. qui la laissa si longtemps dans les craintes qu'elle avait de lui avoir déplu. Car cette auguste Dame étant un 601 abrégé quasi immense d'humilité et d'amour divin, et ne sachant pas la cause de cette sévérité apparente de son bien-aimé, endura le martyre le plus doux et le plus rigoureux à la fois que les hommes ou les anges puissent imaginer. La seule Marie, qui fut la Mère du saint Amour (1), et qui l'eut dans le suprême degré possible en une simple créature, elle seule, dis-je, fut capable de souffrir ce supplice, qui surpassa toutes les peines des martyrs et toutes les pénitences des confesseurs. De sorte qu'en elle, fut accompli ce que dit l'Époux dans les Cantiques : Quand même un homme donnerait tout ce qu'il possède pour l'amour, il croirait n'avoir rien donné (2). En effet, elle oublia tout ce qui est visible et créé aussi bien que sa propre vie dans cette occasion, et n'en fit aucun cas, ne cherchant que les moyens de regagner les bonnes grâces et l'amour de son très-saint Fils et son Dieu, qu'elle craignait d'avoir perdus, quoiqu'elle en jouît toujours. Il n'est pas possible d'exprimer les peines et les soins qu'elle prit pour plaire à son aimable Fils et au Père éternel. 729. Elle passa dans ce pénible état trente jours, qui lui parurent durer des siècles; car elle ne pouvait vivre un seul moment sans la satisfaction de son amour et de son bien-aimé. Et il nous semble que le coeur de notre doua Enfant Jésus ne pouvait pas non plus résister davantage à la force de l'amour qu'il portait à sa très- pure Mère, parce que ce tendre Sauveur souffrait aussi une surprenante et douce violence en (1) Eccles., XXIV, 24. - (2) Cant, VIII, 7. 602 la tenant si longtemps dans l'affliction et dans la crainte. Il arriva que cette humble et auguste Reine se présenta un jour devant l'Enfant-Dieu, et, se prosternant à ses pieds avec beaucoup de larmes et des soupirs, elle lui dit : " Mon très-doux amour et unique bien de mon âme, qu'est-ce que cette vile poussière comparée avec votre pouvoir immense? Que peut toute la misère de la créature auprès de votre bonté infinie? Vous êtes en tout au-dessus de notre bassesse, et nos imperfections aussi bien que nos défauts font un heureux naufrage dans l'océan immense de votre miséricorde. Si je n'ai pas apporté à votre service tout le zèle que je confesse que je vous dois, châtiez mes négligences et pardonnez-les-moi ; mais faites, mon Fils et mon Seigneur, que je voie la joie de votre face, qui est mon salut, et cette lumière désirée qui me donnait la vie et l'être. Regardez cette pauvre créature prosternée dans la poussière à vos pieds : je ne m'en relèverai point que je n'aie vu clairement le miroir dans lequel mon âme s'examinait. " 730. Notre grande Reine, humiliée devant son très-saint Fils, lui dit ces paroles et lui exposa quelques autres raisons remplies de sagesse et de l'amour le plus ardent. Et comme cet adorable Seigneur désirait de la remettre dans ses délices plus encore qu'elle ne désirait d'y rentrer, il lui répondit avec beaucoup de complaisance : Ma Mère, levez-vous. Et ces mots, prononcés par Celui qui était la Parole du Père éternel, eurent tant d'efficace, qu'ils transformèrent instantanément 603 la divine Mère et l'élevèrent à une très-sublime extase, dans laquelle elle vit abstractivement la Divinité; et elle y fut reçue du Seigneur avec de très-doux embrassements et avec des paroles de père et d'époux : de sorte qu'elle passa de la tristesse à la joie, de la peine à la jubilation, et de l'amertume aux plus suaves délices. Sa Majesté lui découvrit de profonds mystères qui regardaient la nouvelle loi évangélique. Et la très-sainte Trinité, voulant la graver tout entière dans son coeur très-candide, la destina pour être l'ainée et la première disciple du Verbe incarné, afin de former en elle comme l'exemplaire qui devait servir de règle aux apôtres, aux martyrs, aux docteurs, aux confesseurs, aux vierges et à tous les autres justes de la nouvelle Église et de la loi de grâce que le Verbe devait fonder pour la rédemption des hommes. 731. C'est à ce mystère que répond tout ce que notre auguste Princesse dit d'elle- même, et que la sainte Église lui applique au chapitre vingt-quatrième de l'Ecclésiastique, sous le symbole de la Sagesse divine. Je ne m'arrête point à expliquer ce chapitre, parce que, sachant le mystère que j'écris maintenant, on peut facilement conjecturer que tout ce que le Saint-Esprit y dit se rapporte à notre grande Dame. Il suffit de citer quelques passages du texte pour que tous pénètrent une partie d'un mystère si admirable. Je suis sortie, dit cette incomparable Reine, de la bouche du Trés-Haut, je suis née avant toutes les créatures. c'est moi qui ai fait naître dans le ciel une lumière qui ne s'éteindra jamais, et qui ai couvert la terre 604 comme un nuage; j'ai habité dans les lieux très-hauts, et mon trône est dans une colonne de nuée. Seule j'ai parcouru le cercle des cieux, j'ai pénétré la profondeur des abîmes, j'ai marché sur les flots de la mer, et je me suis assise dans tous les lieux de la terre : j'ai eu l'empire sur tous les peuples et sur toutes les nations; j'ai foulé aux pieds par ma puissance les coeurs de tous les grands et de tous les petits; et parmi toutes ces choses j'ai cherché un lieu de repos, et je demeurerai dans l'héritage du Seigneur. Alors le Créateur de l'univers m'a donné ses ordres et m'a parlé; Celui qui m'a créée a reposé dans mon tabernacle, et il m'a dit : habitez dans Jacob, qu'Israël soit votre héritage, et étendez vos racines dans mes élus. J'ai été créée dès le commencement et avant les siècles; je ne cesserai point d'être dans la suite de tous les âges, et j'ai exercé en sa présence mon ministère dans la maison sainte. J'ai été ainsi affermie dans Sion, j'ai trouvé mon repos dans la Cité sanctifiée, et ma puissance s'est établie dans Jérusalem. J'ai pris racine dans le peuple que le Seigneur a honoré, le peuple dont l'héritage est la part de mon Dieu, et ma demeure se trouve dans l'assemblée des saints (1). 732. L'Ecclésiastique, continuant à décrire les autres excellences de l'auguste Marie, dit aussi : J'ai étendu mes branches comme le térébinthe, et mes branches sont des branches d'honneur et de grâce. J'ai poussé des feurs d'une agréable odeur comme la vigne, et mes fleurs deviendront des fruits de gloire et d'abondance. Je suis la (1) Eccles., XXIV, 5, etc. 605 Mère du pur amour, de la crainte, de la science et de l'espérance sainte. En moi est toute la grâce de la voie et de la vérité, en moi est toute l'espérance de la vie et de la vertu. Venez à moi, vous tous qui me désirez avec ardeur, et vous serez remplis des fruits que je porte: car mon esprit est plus doux que le miel, et mon héritage l'emporte sur le miel le plus excellent : la mémoire de mon nom passera dans la suite de tous les siècles. Ceux qui me mangent auront encore faim, et ceux qui me boivent auront encore soif. Celui qui m'écoute ne sera point confondu; et ceux qui agissent en moi ne pêcheront point. Et ceux qui me trouvent auront la vie éternelle (1). Ce que je viens de copier littéralement du chapitre de l'Ecclésiatique est plus que suffisant pour découvrir les excellences de la très-pure Marie; les âmes pieuses y apprendront tant de mystères qui la concernent, que leur force secrète les attirera à cette Mère de la grâce, et leur donnera quelque connaissance de la grandeur incompréhensible à laquelle l'enseignement de son adorable Fils l'a élevée par un décret de la bienheureuse Trinité. Cette auguste Princesse fut l'Arche véritable du nouveau Testament (2); et la surabondance de la sagesse et de la grâce dont elle est enrichie rejaillit et rejaillira sur les autres saints jusqu'à la fin du monde. 733. La divine Mère revint de son extase; elle adora de nouveau son très-saint Fils, et le pria de lui pardonner si elle avait commis quelque négligence à (1) Eccles., XXIV, 22, etc. - (3) Apoc., XI, 19. 606 son service. Sa Majesté lui dit en la relevant de terre : " Ma Mère, je suis fort satisfait de votre zèle, et je veux que vous vous prépariez de nouveau à recevoir les témoignages de ma loi. J'accomplirai la volonté de mon Père, et je graverai dans votre coeur la doctrine évangélique que je viens enseigner au monde. Et vous la mettrez, ma Mère, en pratique selon mes désirs et mes intentions (1). " La très- pure Reine lui répondit : " Faites, mon Fils et mon Seigneur, que je trouve grâce devant vos yeux (2), et conduisez mes puissances par les droites voies de votre bon plaisir. Parlez, mon divin Maître, parce que votre servante vous écoute (3), et elle vous servira jusqu'à la mort. " Dans ce doux entretien, notre grande Reine découvrit tout l'intérieur et toutes les opérations de l'âme très-sainte de Jésus- Christ; et dès lors cette faveur augmenta tant du côté du sujet, qui était la divine disciple, que du côté de l'objet, parce qu'elle reçut une lumière plus claire et plus sublime; de sorte qu'elle vit en son adorable Fils toute la nouvelle loi évangélique, tous ses mystères, tous ses sacrements et toute sa doctrine, telle que le Maître céleste l'avait conçue dans son entendement et déterminé dans sa volonté comme Rédempteur et Maître des hommes. A cette connaissance, qui fut réservée pour la seule Marie, le Seigneur en ajouta une autre; car il l'instruisait verbalement et lui dévoilait le plus caché de sa sagesse (4), et ce que tous les hommes et (1) Ps. CXVIII, 2. - (2) Esth., VII, 3. - (3) I Reg., III, 10. - (4) Ps. L, 8. 607 tous les anges ensemble n'ont jamais découvert. Et comme elle apprit cette sagesse sans déguisement, elle en communiqua aussi sans envie toute la lumière (1), qu'elle répandit avant et surtout après l'Ascension de notre Seigneur Jésus-Christ. 734. Je vois bien qu'il faudrait parler ici des très-profonds mystères qui se passèrent entre notre Seigneur Jésus-Christ et sa Mère jusqu'à ce qu'il commençât à prêcher, parce que toutes ces merveilles arrivèrent à la divine Mère dans le temps de l'enfance de cet adorable Seigneur; mais j'avoue de nouveau ce duc j'ai dit de mon incapacité et de celle de toutes les créatures pour un sujet si relevé. Il faudrait d'ailleurs, pour le traiter, écrire tous les mystères de l'Écriture sainte, toutes les vertus chrétiennes, toute la doctrine et toutes les traditions de la sainte Église; la réfutation des hérésies, les décisions de tous les sacrés conciles, tout ce qui soutient l'Église, et. tout ce qui la conservera jusqu'à la fin du monde, et plusieurs autres grands mystères de la vie et de la gloire des saints, parce que tout cela fut gravé dans le coeur très-pur de notre grande dame; aussi bien que tout ce que dit notre Rédempteur et Maître afin que la rédemption des hommes et la doctrine de son Eglise fussent abondantes; ce qu'écrivirent les évangélistes, les apôtres, les prophètes et les anciens pères; ce que firent ensuite tous les saints, les lumières que les docteurs reçurent; ce que souffrirent les martyrs et les (1) Sap., VII, 13. - (2) Ps. CXXIX, 7. 608 vierges, la grâce qu'ils obtinrent pour supporter leurs peines avec patience. Notre auguste Princesse connut distinctement et avec une grande pénétration toutes ces choses, et beaucoup d'autres qu'on ne saurait expliquer; et, elle en témoigna au Père éternel comme auteur de tout, et à son Fils unique comme chef de l'Église, toute la reconnaissance possible à une simple créature. J'essaierai, malgré mon insuffisance, d'en parler plus tard. 735. Quoiqu'elle fût occupée à de telles merveilles avec toute la plénitude qui elfes demandaient, étant fort attentive à son fils et à son Maître , elle ne négligeait jamais ce qui regardait son service corporel, et veillait soigneusement à ses besoins et à ceux de saint Joseph; lorsqu'elle avait préparé leur repas, elle servait toujours son très-saint fils à genoux et avec un respect incomparable. Elle faisait aussi que l'Enfant Jésus consolât de sa présence son fière putatif autant que s'il eût été son père naturel. Et l'Enfant-Dieu obéissait à sa Mère, et se trouvait souvent près de saint Joseph pendant le travail, auquel il ne cessait de se livrer pour entretenir à la soeur de son front le fils du fière éternel, aussi bien que sa Mère. Et à mesure que l'Enfant croissait, il aidait le saint patriarche suivant les forces de son âge ; et quelquefois il faisait des miracles, s'employant à des choses qui surpassaient les forces naturelles, afin de soulager davantage le saint époux dans son travail; mais ces merveilles ne se passaient qu'entre eux trois. 609 Instruction que la Reine des anges me donna. 736. Ma fille, je vous convie de nouveau à être dés à présent ma disciple et ma compagne en la pratique de la doctrine céleste, que mon très-saint Fils a enseignée à son Église par le moyen des Évangiles et des Écritures saintes. Je veux que vous prépariez votre coeur avec un nouveau zèle, afin que vous receviez comme une terre choisie la semence vive et sacrée de la parole du Seigneur, et que son fruit soit au centuple (1). Soyez attentive à mes paroles, faites que votre plus fréquente lecture soit celle des Évangiles, et méditez dans le plus secret de votre âme sur la doctrine et sur les mystères que vous y découvrirez. Écoutez la voix de votre Époux et de votre Maître, Il engage tous les hommes à recueillir de sa bouche les paroles de la vie éternelle (2). Mais la vie mortelle présente tant de dangers et tant de séductions, qu'il y a fort peu d'âmes qui veuillent les écouter et prendre le chemin de la lumière (3). La plupart s'adonnent aux plaisirs que leur offre le prince des ténèbres; et celui qui marche dans les ténèbres ne sait où il va (4). Le Très-Haut vous appelle dans les voies de la véritable lumière; marchez-y à ma suite, et vous obtiendrez l'accomplissement de vos désirs. Renoncez à tout ce qui est terrestre et visible; détournez-en votre vue (1) Luc., VIII, 8. - (2) Joan., VI, 69. - (3) Matth., VII, 14 . - (4) Joan., XII, 35. 610 et votre attention; méprisez toutes les fausses apparences; évitez les occasions d'être connue; faites en sorte que les créatures n'aient aucune place dans votre coeur; gardez votre secret, et mettez votre trésor à couvert des tromperies humaines et diaboliques (1). Vous viendrez à bout de tout, si, comme disciple de mon très-saint Fils et la mienne, vous vous conformez avec la perfection convenable à la doctrine de l'Évangile que nous vous enseignons. Or, pour que cette doctrine vous mène à une fin si sublime, vous devez vous souvenir toujours du bienfait dont vous a prévenue la bonté divine en vous appelant à être, autant que votre faiblesse vous le permettra, la novice et la professe de l'imitation de ma vie, de ma doctrine et de mes vertus, en suivant en toutes choses mes traces, afin que vous passiez de cet état au noviciat le plus élevé et à la profession la plus parfaite de la religion catholique, en vous modelant par la pratique de la doctrine évangélique sur le Rédempteur du monde, qui vous attirera par l'odeur de ses parfums dans les voies droites de sa vérité. La première condition pour être ma disciple, c'est d'être disposée à devenir celle de mon très-saint Fils; et l'un et l'autre vous doivent faire arriver au but final, qui consiste dans l'union de l'âme à l'être immuable de Dieu. Ces trois états sont des bienfaits d'un prix incomparable, qui vous mettent dans l'obligation d'être plus parfaite que les plus hauts séraphins. La droite du Tout-Puissant (1) Isa., XXIV, 16 ; Matth., XIII, 44. 611 vous les a accordés, pour vous rendre capable de recevoir l'enseignement et vous élever à l'intelligence de ma vie, de mes couvres, de mes vertus et de mes mystères, afin que vous les écriviez. Et le souverain Seigneur a bien voulu vous favoriser, par mon intercession et par mes prières, de cette grande miséricorde, sans que vous l'ayez méritée. Et j'ai rendu ces prières efficaces, en récompense de ce que vous avez soumis votre esprit craintif et lâche à la volonté du Très-Haut, et à l'autorité de vos supérieurs qui vous out ordonné plusieurs fois d'écrire mon histoire. Le prix le plus avantageux et le plus utile à votre lime est celui que vous avez reçu dans ces trois états, ou chemins mystiques, très-relevés, très-mystérieux, très-cachés à la prudence de la chair (1), et très-agréables aux yeux de la Divinité. Ils renferment une science et des instructions très-abondantes pour arriver à leur fin, comme vous l'avez appris et expérimenté. Faites-en un traité à part, car c'est la volonté de mon très-saint Fils. Vous lui donnerez pour titre celui que vous avez annoncé dans l'introduction de cette Histoire, c'est-à-dire celui-ci: Les Lois de l'épouse, les hautes Perfections de son chaste amour, et le Fruit tiré de l'arbre de la vie que cet ouvrage contient. (1) Matth., XI, 25. 614 CHAPITRE III. L'auguste Marie et son saint époux Joseph allaient tous les ans à Jérusalem, selon la loi, et y menaient avec eux l'Enfant Jésus. 737. Quelques jours après le retour de nos saints voyageurs à Nazareth, le temps arriva où le précepte de la loi de Moise obligeait les Israélites de se présenter à Jérusalem devant le Seigneur. Ce commandement obligeait trois fois l'année, comme cela résulte de l'Exode et du Deutéronome (1). Mais il n'obligeait que les hommes, et par conséquent les femmes pouvaient y aller par dévotion ou s'en dispenser, car la visite du Temple ne leur était ni commandée ni défendue. La divine Dame et son époux conférèrent ensemble sur ce qu'ils devaient faire dans ces occasions. Le saint souhaitait d'y mener la Reine du ciel et le très-saint Enfant, pour l'offrir de nouveau au Père éternel, comme il le faisait toutes les fois qu'il allait dans le Temple. La très-pure Mère y était aussi portée par sa dévotion et par le culte du Seigneur; mais comme en cas semblable elle n'entreprenait rien sans le conseil de son Maître, le Verbe incarné, (1) Exod., XXIII, 14 et 17 ; Deut., XVI, 1 etc. 613 elle le consulta, sur je parti qu'il y avait à prendre. Après quoi il fut décidé que saint Joseph irait seul deux fois l'année à Jérusalem, et que la troisième ils iraient tous trois ensemble. Ces fêtes solennelles, lors desquelles les Israélites se rendaient su Temple, étaient celle des Tabernacles, celle des Semaines, qui correspondait à la Pentecôte, et celle des pains sans levain, qui était la préparation de la Pâque (1). Et c'est à celle-ci que le très-doux Jésus, la très-pure Marie et saint Joseph montaient ensemble à Jérusalem. Elle durait sept jours, et il y -arriva ce que je dirai dans le chapitre suivant. Mais le saint patriarche assistait seul aux deux autres fêtes sans y mener l'Enfant ni la Mère. 738. Les deux fois par an que lé saint époux Joseph allaita Jérusalem , il faisait ce voyage pour lui-même, pour sa divine épouse et au nom du Verbe incarné, dont les lumières et les faveurs le remplissaient de grâce, de dévotion et de dons célestes, et lui permettaient ainsi de faire au Père éternel l'offrande de l'hostie que sa Majesté lui laissait comme en dépôt jusqu'au temps qu'elle avait déterminé. Et en attendant, le saint, comme député du Fils et de la aère (qui priaient pour lui à Nazareth), faisait des prières mystérieuses dans le temple de Jérusalem, et offrait le sacrifice de ses lèvres. Et comme il y offrait Jésus et Marie , cette offrande était plus agréable au Père éternel que toutes celles que le reste da peuple d'Israël (1) Deut., XVI, 13, 9, 8. 614 lui pouvait offrir. Mais quand le Verbe incarné et la Vierge Mère se rendaient en la ville sainte pour la fête de Pâque, avec saint Joseph, ce voyage était beaucoup plus merveilleux pour lui et pour les courtisans du ciel, parce que les dix mille anges qui accompagnaient sous une forme humaine les trois voyageurs Jésus, Marie et Joseph, formaient toujours le long de la route cette très-solennelle procession dont j'ai déjà parlé; de sorte qu'ils s'y trouvaient tous avec la beauté éclatante et avec le profond respect qui leur étaient ordinaires, servant leur Créateur et leur Reine, comme je l'ai marqué en racontant leurs autres voyages. Celui-ci était presque de trente lieues, distance de Nazareth à Jérusalem. Et soit qu'ils y allassent, soit qu'ils s'en retournassent, l'ordre de cette procession et du service des saints anges était observé suivant les besoins et suivant la volonté du Verbe incarné. 739. Ils faisaient moins de chemin par jour dans ces voyages que dans les autres, parce qu'après leur retour d'Égypte , l'Enfant Jésus voulut les faire à pied; de sorte qu'ils marchaient ainsi tous les trois. Il était par conséquent nécessaire d'aller plus lentement, car l'adorable Sauveur voulut dès lors se soumettre à la fatigue pour le service du Père éternel et pour notre salut; et loin d'user de sa puissance infinie pour éviter la peine de la marche, il cheminait comme un homme passible, permettant aux causes naturelles de produire leurs effets propres, ce qui avait lieu quand il de rendait sujet à la lassitude. 615 Et quoique la première année en laquelle ils firent ce voyage , la divine Mère et son époux prissent soin de soulager l'Enfant-Dieu en le portant quelquefois entre leurs bras , ce n'était que pendant un moment, et dans la suite il alla toujours à pied. La très-douce Mère ne s'y opposait point , parce qu'elle savait que c'était sa volonté d'endurer cette fatigue; mais elle le, menait d'ordinaire par la main, ou parfois le saint patriarche Joseph. Mais quand cet adorable Enfant se lassait et s'échauffait, la très-prudente et très-amoureuse Mère se laissait attendrir d'une compassion naturelle, et souvent se mettait à pleurer. Elle lui demandait alors comment il se trouvait du chemin, et lui essuyait la sueur de son divin visage plus beau que les cieux et que leurs astres. Notre auguste Reine lui rendait ce service à genoux et avec un respect incomparable. Et le très-saint Enfant lui répondait d'une manière, agréable, et lui exprimait la complaisance avec laquelle il supportait ces peines pour la gloire de son l'ère éternel et pour le bien des hommes. Ils passaient la plus grande partie du temps dans ces entretiens et en des louanges divines, comme ils faisaient dans les autres voyages que j'ai racontés. 740. Quelquefois notre grande Reine regardait les opérations intérieures de son très-saint Fils, et elle considérait en même temps la perfection de l'humanité divinisée, sa beauté et ses actions, dans lesquelles se révélait déjà sa divine grâce; elle voyait aussi comme il croissait en l'être et en la manière d'opérer 616 comme homme véritable; la très-prudente Dame repassait toutes ces choses dans son esprit (1), faisait des actes héroïques de toutes les vertus , et s'enflammait du divin amour. Elle regardait aussi dans l'Enfant le Fils du Père éternel et le Dieu véritable; et tout en conservant la tendresse naturelle d'une mère véritable, elle lui rendait, l'honneur et le respect qu'elle lui devait comme à son Dieu et à son Créateur; et tout cela se conciliait admirablement dans sou coeur candide et très- pur. Il arrivait parfois que lorsque le divin Enfant marchait, le vent lui faisait flotter les cheveux (disons en passant qu'ils ne devinrent jamais trop longs, et qu'il n'en perdit point un seul jusqu'à ce que les bourreaux les lui arrachèrent), et à cette vue la très-douce Mère éprouvait de nouvelles impressions et es sentiments pleins de douceur et de sagesse. Mais quoi qu'elle fit, soit intérieurement, soit extérieurement, elle ne cessait de ravir les: anges et de complaire souverainement à son très-saint Fils et Créateur. 741. Toutes les fois que le Fils et la Mère faisaient ce voyage, ils opéraient des choses admirables pour le bien. des âmes, car ils en convertissaient plusieurs à la connaissance du Seigneur, et les retiraient du péché eu les mettant dans le chemin de la vie éternelle. Ils le faisaient néanmoins d'une manière secrète, parce qu'il n'était pas encore temps que le Maître de la vérité se manifestât. Mais comme la divine Mère savait (1) Luc., II, 19. 617 que c'était ce que le Père éternel avait recommandé à son très-saint Fils (1), et que ses oeuvres devaient alors se produire sana éclat, elle y concourait comme un instrument caché de la volonté du Restaurateur du monde. Et notre très-prudente Maîtresse voulant se conduire en tout avec une plénitude de sagesse, consultait toujours l'Enfant-Dieu sur tout ce qu'ils devaient faire dans ces voyages, et lui demandaient par quels lieux et par quelles maisons ils devaient passer, et cela parue quelle savait que son adorable Fils disposait dans ces circonstances les moyens convenables pour opérer les merveilles que sa sagesse avait prévues et déterminées. 742. Quand ils s'arrêtaient pour passer la nuit soit dans une hôtellerie, soit à la campagne, où ils reposèrent plus d'une fois, l'Enfant-Dieu et sa très-pure Mère ne se séparaient jamais. Notre grande Dame se trouvait toujours avec son Fils et son Maître, et elle était fort attentive à toutes ses actions pour les imiter. Il en était de meure dans le Temple, où elle suivait les prières que le Verbe incarné adressait à son Père éternel, et voyait comme il s'humiliait dans son humaine infériorité, et reconnaissait avec un profond respect les dons qu'il recevait de la Divinité. La bienheureuse Mère entendait quelquefois la voix du Père qui disait : Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui je me plais uniquement (2). Elle découvrait aussi quelquefois que son très-saint Fils priait le (1) Joan., XII, 49. - (2) Matth., XVII, 5. 618 Père éternel pour elle, et qu'il la lui présentait comme sa véritable Mère, et cette connaissance lui causait une joie indicible. Elle le voyait souvent prier pour le genre humain, et offrir ses oeuvres et ses peines pour tant de hautes fins. Et tontes ses prières, elle les répétait en s'y associant pleinement. 743. Il arrivait aussi que les saints anges chantaient avec une harmonie céleste des hymnes au Verbe incarné, soit lorsqu'il cheminait, soit lorsqu'il entrait dans le Temple; et l'heureuse Mère les entendait et pénétrait tous ces mystères , qui la remplissaient d'une nouvelle lumière et d'une sagesse sublime, et enflammaient son coeur de l'amour divin; et le Très-Haut lui communiquait tant de nouvelles faveurs , qu'il ne m'est pas possible de les rapporter. Mais il la préparait par toutes ces grâces aux peines et aux afflictions qu'elle était destinée à souffrir; car souvent, après tant de bienfaits admirables, il lui représentait, comme s'il avait déroulé un plan sous ses yeux, tous les affronts , toutes les ignominies et toutes les douleurs que son très-saint Fils souffrirait dans la ville de Jérusalem. Et afin que ce spectacle lui fût plus sensible, cet adorable Seigneur avait accoutumé en ces moments-là de se mettre eu prière en présence de sa très-douce Mère; et comme elle le regardait par la lumière de la divine sagesse, et qu'elle l'aimait comme son Dieu et comme son Fils véritable, elle était transpercée du glaive de douleur que Siméon lui avait prédit (1), et versait beaucoup (2) Luc., II, 35. de larmes, prévoyant les injures, les peines et la mort ignominieuse que son très- doux Fils subirait, et considérant que cette beauté qui surpassait celle de tous les enfants des hommes, serait si fort défigurée , qu'il paraîtrait plus difforme qu'un lépreux (1) , et que ses yeux seraient témoins de toutes ces horreurs. Mais l'Enfant- Dieu, voulant adoucir sa douleur, lui disait quelquefois d'y disposer son coeur par la charité qu'elle avait pour le genre humain, et d'offrir ces peines, qui les attendaient tous deux, au Père éternel pour le salut des hommes. Le Fils et la Mère faisaient conjointement cette offrande, que la très. sainte Trinité recevait avec complaisance, et l'appliquaient spécialement aux fidèles, et surtout aux prédestinés, qui devaient profiter des mérites et de la rédemption du Verbe incarné. C'est à ces exercices que Jésus et Marie consacraient principalement le temps qu'ils mettaient pour aller visiter le Temple de Jérusalem. Instruction que l'auguste Reine Marie me donna. 744. Ma fille, si vous considérez avec une profonde attention l'étendue de vos obligations, la peine que je vous ai dit si souvent de prendre pour accomplir (1) Isa., LIII, 3 et 4 ; Sap., II, 20, Ps. XLIV, 3. 620 les commandements et la loi du Seigneur, vous paraîtra très-légère et très-douce (1). Ce doit être le premier pas de votre pèlerinage, comme le principe et le fondement de toute la perfection chrétienne. Je vous ai enseigné plusieurs fois que les préceptes dû Seigneur ne doivent pas être accomplis avec tiédeur et lâcheté, mais avec une dévotion fervente qui vous portera à ne pas vous contenter simplement d'une vertu commune, mais à voies adonner à la pratique de beaucoup d'oeuvres surérogatoires, en ajoutant par amour ce que Dieu ne vous impose point par obligation; car c'est une invention de sa sagesse pour rendre ses fidèles serviteurs et ses véritables amis plus agréables à sa Majesté, comme il veut que vous le soyez. Rappelez-vous, ma très-chère fille, que le chemin de la vie mortelle à la vie éternelle est long, pénible et dangereux; long par la distance (2), pénible par les obstacles, dangereux par la fragilité humaine et par la ruse des ennemis (3). En outre le temps est court (4), la fin incertaine, et cette même fin est ou très- heureuse ou très-malheureuse, et rune et l'autre sont irrévocables. Depuis le péché d'Adam, la vie animale et terrestre tyrannise ceux qui la suivent; les chaînes des passions sont fortes, et la guerre est continuelle; le plaisir par sa présence flatte les sens et les trompe aisément; les choses qui conduisent à la vertu sont plus cachées en leurs effets et plus difficiles (1) Matth., XI, 30. - (2) III Reg., XIX, 7. - (3) Matth., VII, 14. - (4) I Cor., VII, 29. 621 à connaître; et tout cela joint ensemble rend le pèlerinage douteux quant à son issue, et sème la route de dangers et d'embûches (1). 745. Entre tous les périls , celui de la chair n'est pas le moindre, à cause de la faiblesse humaine; c'est là un ennemi domestique toujours actif, qui fait déchoir beaucoup d'âmes de la grâce (2). Le moyen, le plus court et le plus sûr de le vaincre, pour vous comme pour tout le monde, doit être de passer votre vie dans les amertumes, dans les afflictions et ans les peines, sans y jouir d'un moment de repos ni d'aucune satisfaction des sens, et de faire avec eux un pacte inviolable (3) , en vertu duquel vous ne leur accordiez que ce que la nécessité exige ou ce que la raison permet. Outre cette précaution, vous devez aspirer toujours à ce qui sera le plus agréable au Seigneur, et à la dernière fin que. vous souhaitez d'atteindre. C'est pourquoi il faut due vous vous efforciez de m'imiter toujours, et si je vous recommande cette imitation, c'est par le désir que j'ai de vous voir arriver à la plénitude de la vertu et de la sainteté. Considérez la ferveur et la ponctualité avec lesquelles je faisais tant de choses, sans que le Seigneur me les eût commandées, mais parce que je savais qu'elles étaient de son bon plaisir. Redoublez avec ardeur les actes de vertu, les dévotions, les exercices spirituels; Mites en tout temps des prières (1) Eccles., IX, 2; II, 8; Matth., XXV, 31, etc., ; Job., VII, 20, 1. - (2) Sap., IV, 12. - (3) Job., XXXI, 1. 622 au Père éternel pour. le salut des hommes, et aidez-les par votre exemple et par d'utiles avis autant que vous le pourrez. Consolez les affligés, encouragez les faibles, tendez la main à ceux qui sont tombés, et offrez, s'il est nécessaire, votre sang et votre propre vie pour tous. Remerciez singulièrement mon très-saint Fils, de ce qu'il souffre avec tant de mansuétude la noire ingratitude des hommes, sans cesser de les conserver et de les combler de bienfaits. Réfléchissez à l'amour invincible qu'il leur a porté et qu'il leur porte, et à la manière dont je partageais et je partage encore maintenant cette charité. Enfin je veux que vous suiviez votre divin Époux en une vertu si excellente, et moi aussi, puisque je suis votre Maîtresse. CHAPITRE IV. L'Enfant Jésus étant dans sa douzième année, va avec ses parents à Jérusalem, et il reste dans le Temple sans qu ils s'en aperçoivent (1). 746. Jésus, Marie et Joseph continuaient, comme je l'ai dit, de se rendre tous les ans au Temple pour y célébrer la poque des pains sans levain; et, par suite de cette habitude, ils allèrent à Jérusalem au moment (1) Luc., II. 623 où l'Enfant-Dieu atteignait sa douzième année, quand déjà il convenait qu'il commençât à faire paraître les splendeurs de son inaccessible lumière. Cette fête des pains sans levain durait sept jours, selon les prescriptions de la loi (1); mais le premier et le dernier jour étaient les plus solennels. C'est pour cela que nos très- saints pèlerins passaient à Jérusalem toute cette semaine, solennisant la fête par le culte qu'ils rendaient au Seigneur, et par les prières que les autres Israélites avaient coutume de faire, quoiqu'ils fussent si distingués et si différents de tous les autres par le mystère qui cachait leur excellence. La bienheureuse Mère et son saint époux recevaient pendant ces jours, chacun de leur côté, de si grandes faveurs de la main libérale du Seigneur, qu'il n'est pas possible à l'entendement humain de les concevoir. 747. Le septième jour de la solennité étant passé, ils prirent le chemin de Nazareth. Et comme ils sortaient de la ville de Jérusalem, l'Enfant-Dieu quitta ses parents sans qu'ils s'en pussent apercevoir (2), et il demeura caché pendant qu'ils poursuivaient leur voyage, ne sachant pas ce qui leur arrivait. Dans cette circonstance, le Seigneur profita de la coutume et du grand concours des pèlerins; car ils étaient si nombreux dans ces fêtes, qu'ordinairement ils se partageaient par troupes, et que les hommes se séparaient des femmes pour garder la bienséance convenable. Les enfants qu'on y menait allaient indifféremment avec (1) Deut, XVI, 8. - (2) Luc., II, 43. 624 leurs pères ou avec leurs mères, parce qu'il n'y avait en cela aucun danger d'indécence : de sorte que dans cette occasion saint Joseph avait sujet de croire que l'Enfant Jésus accompagnait sa très-sainte Mère, dont il ne s'éloignait jamais (1); et il ne pouvait pas supposer qu'elle fût partie sans lui, parce que cette divine Reine l'aimait et le connaissait bien mieux que toutes les créatures angéliques et humaines. Notre grande Dame n'avait pas des raisons aussi fortes pour se persuader que notre adorable Sauveur était avec le patriarche saint Joseph; mais le Seigneur lui-même la divertit par d'autres pensées divines et saintes, afin qu'elle n'y prit pas garde dès le commencement, et qu'ensuite, lorsqu'elle remarquerait l'absence de son bien-aimé, elle crût que le glorieux saint Joseph le menait avec lui, et que ce souverain Maître avait voulu lui ménager cette consolation. 748. Marie et Joseph marchèrent dans cette pensée pendant tout un jour, comme dit saint Luc (2). Et, comme on sortait de la ville par des endroits différents, les étrangers rejoignaient ensuite chacun sa femme ou sa famille. La très-pure Marie et son époux se réunirent au lieu où ils devaient passer la première nuit après leur départ de Jérusalem. Alors cette grande Dame s'aperçut que l'Enfant-Dieu n'était point avec saint Joseph, comme elle le croyait, et que le patriarche ne le trouvait pas non plus avec sa Mère : cela les mit tous deux dans un tel étonnement, qu'ils en (1) Luc., II, 44. - (2) Ibid. 625 perdirent presque la parole; de sorte qu'ils restèrent un assez long temps sans se pouvoir parler. Et chacun se conduisant, de son côté, par sa très-profonde humilité, s'accusait soi-même d'avoir par sa négligence perdu de vue le très-saint Enfant, parce qu'ils ignoraient l'un et l'autre le mystère et les voies que sa Majesté avait prises pour l'exécuter. Les divins époux revinrent quelque peu de leur étonnement, et ils délibérèrent ensemble avec une extrême douleur sur ce qu'ils devaient faire. Et l'amoureuse Mère dit à saint Joseph : " Mon époux et mon Seigneur, je ne saurais avoir le coeur en repos si nous n'allons au plus tôt chercher mon très-saint Fils. " Ils le firent de la sorte, en commençant par en demander des nouvelles parmi leurs parents et ceux de leur connaissance; mais personne ne put leur en donner aucune ni adoucir leur douleur : au contraire, ils la leur augmentèrent en leur répondant qu'ils ne l'avaient pas vu depuis qu'ils étaient sortis de Jérusalem. 749. La Mère, affligée, s'adressa à ses saints anges. Et ceux qui portaient cette admirable devise du très-saint nom de Jésus (dont j'ai fait mention en parlant de la Circoncision) se trouvaient avec le même Seigneur; les autres accompagnaient sa très-pure Mère, et cela arrivait toutes les fois qu'ils se séparaient: La Reine du ciel interrogea ceux-ci, qui étaient au nombre de dix mille, et leur dit : " Mes amis et mes compas gnons fidèles, vous pénétrez assez la juste cause de ma douleur; je vous prie de me consoler dans une 626 affliction si amère en me donnant quelque nouvelle de mon bien-aimé, afin que je le cherche et que je le trouve (1). Donnez, esprits célestes, quelque espoir à mon coeur désolé, qui, privé de son bien et de sa vie, semble me quitter pour l'aller chercher." Les saints anges, qui savaient que c'était la volonté du Seigneur d'exercer dans cette occasion sa très-sainte Mère pour augmenter ses mérites, et qu'il n'était pas encore temps de lui découvrir le mystère, tâchèrent, sans perdre de vue leur Créateur et notre Rédempteur, de la consoler par d'autres considérations; mais ils ne lui dirent pas alors où son très-saint Fils était, ni de quelles choses il s'occupait. Cette réponse des anges et les nouveaux doutes qu'ils causèrent à notre très-prudente Dame redoublaient ses inquiétudes, ses larmes, ses soupirs et l'impatience qu'elle avait de chercher non la drachme perdue, comme cette femme de l'Évangile (2); mais tout le trésor du ciel et de la terre. 750. La Mère de la Sagesse formait dans son coeur diverses pensées. Elle se demanda d'abord si Archélaüs, ayant eu quelque connaissance de l'Enfant Jésus, et imitant la cruauté de son père Hérode, ne l'aurait point fait prendre. Et, quoiqu'elle sût par les divines Écritures et par les révélations et l'enseignement de son très- saint Fils que le temps de la mort de son Rédempteur et du nôtre n'était pas encore arrivé, néanmoins elle craignait qu'on ne l'eût mis en prison et (1) Cant., III, 2 et 3. - (2) Luc., XV, 8. 627 qu'on ne le maltraitât (1). Sa très-profonde humilité la faisait aussi douter si par malheur son service ne lui aurait point été désagréable, et s'il ne se serait point retiré dans le désert avec son futur précurseur saint Jean. Puis, s'adressant quelquefois à son bien-aimé absent, elle lui disait : " Mon doux amour, la gloire de mon âme, le désir qui vous presse de souffrir pour les hommes et votre immense charité feront que vous n'éviterez aucune peine (2); au contraire, je crains, mon adorable Seigneur, que vous n'alliez au-devant de toutes les souffrances. Où irai-je? Où est-ce que je pourrai vous rencontrer, lumière de mes yeux? Voulez-vous que le glaive de douleur qui m'a séparée de votre présence m'arrache la vie (3)? Mais je ne dois pas m'étonner, mon divin Maître, que vous châtiiez par votre absence celle qui n'a pas su profiter du bonheur de votre compagnie. Pourquoi, Seigneur, m'avez- vous fait goûter les douces caresses de votre enfance, si je dois être privée sitôt de votre aimable présence et de votre doctrine céleste? Mais, hélas! je ne puis pas mériter de vous avoir pour Fils et de vivre auprès de vous ici-bas; ainsi j'avoue que je dois vous remercier d'avoir daigné m'accepter quelque temps comme esclave (4). Que si étant, malgré mon indignité, votre Mère, je puis me prévaloir de ce titre pour vous chercher (1) Sap., II, 13, etc.; Isa., Luc, 2; Jerem., XI, 18, etc.; Dan., IX, 26; Joan, VII, 30. - (2) Hebr., X, 3, etc.; Isa., Luc, 7. - (3) Tob., X, 4. - (4) Luc., I, 48. 627 comme mon (Dieu et mon souverain bien, permettez moi, Seigneur, de le faire, et accordez-moi ce qui me manque pour mériter de vous trouver; car je vivrai avec vous au désert, dans les peines, dans les afflictions, et en quelque endroit du monde que vous soyez, Seigneur, mon âme désire devenir, au prix de toutes les douleurs et de tous les tourments, jusqu'à un certain point digne soit de mourir, si je ne vous trouve pas, soit de vivre en votre service et en votre compagnie. Quand votre être divin se dé roba à mon amour, il me resta la présence de votre aimable humanité; et quoiqu'elle me montrât un air sérieux et sévère, et moins de marques de sa bienveillance qu'à l'ordinaire, j'avais la consolation de pouvoir me prosterner à vos pieds. Mais je suis maintenant privée de ce bonheur; le Soleil qui m'éclairait s'est entièrement caché, et il ne me reste que les craintes et les gémissements. Ah ! vie de mon âme, que de profonds soupirs n'ai-je pas sujet de vous adresser ! mais ils ne sont pas dignes de votre grande clémence , puisque je ne sais où il sera donné à mes yeux de vous trouver. " 571. La très-innocente colombe passa les trois jours pendant lesquels elle chercha le Sauveur du,monde dans les larmes, dans les gémissements, sans reposer, sans dormir ni manger. Et, quoique les dix mille anges qui l'accompagnaient sous une forme humaine la vissent si affligée et si triste, ils ne lui dirent pas où elle trouverait le divin Enfant. Le troisième jour elle résolut 629 de l'aller chercher au désert, où se tenait saint Jean : car, n'apprenant rien qui lui fit présumer qu'Archélaüs eût fait prendre son très-saint Fils, elle penchait à croire qu'il était près de son précurseur. Mais, quand elle voulut exécuter son dessein, les saints anges l'en dissuadèrent en lui disant que le Verbe incarné n'était point au désert. Elle se proposa aussi (le se rendre à Bethléem, pour voir si par bonheur elle ne le trouverait point dans la grotte de la nativité les anges la détournèrent encore de ce voyage, en lui déclarant que le Seigneur n'était pas si loin. Et quoique la bienheureuse Mère inférât de ces réponses que les esprits célestes n'ignoraient point où était l'Enfant Jésus, elle fut si retenue et si humble, qu'elle ne leur demanda plus où elle le pourrait trouver, parce qu'elle crut que le Seigneur voulait qu'ils le lui cachassent. On voit par là avec combien de magnificence et de respect cette auguste Reine traitait les secrets du Très-Haut et ses ministres (1) : car ce fut une des rencontres où elle put déployée toute la grandeur royale de son coeur magnanime. 752. La douleur que la très-pure Marie eut dans cette occasion surpassa celle que tous les martyrs ensemble ont pu souffrir; et elle y exerça aussi une patience et une résignation sans égale, parce que la perte de son très-saint Fils, la connaissance qu'elle en avait, l'amour qu'elle lui portait et l'estime qu'elle en faisait étaient au- dessus de tout ce qu'on saurait (1) II Mach., II, 9. 630 concevoir. Sa perplexité était excessive, sans que, comme je l'ai dit, elle en connût la cause. En outre, le Seigneur la laissa pendant ces trois jours dans cet état commun, où elle avait accoutumé de se trouver quand, privée de ses faveurs singulières, elle était, pour ainsi dire, réduite à l'état de grâce ordinaire : car, excepté la présence sensible des anges et les entretiens qu'elle avait avec eux, il lui suspendit les autres bienfaits qu'il communiquait souvent à son âme très sainte. Par tout ce que je viens de dire, on comprendra un peu quelle devait être la douleur de la divine et amoureuse Mère. Mais, ô prodige de sainteté, de prudence, de force et de perfection ! dans une affliction si inouïe et dans une peine si extrême, elle ne se troubla point; elle ne perdit ni la paix intérieure ni la paix extérieure; elle n'eut aucune pensée de colère, ni aucun mouvement d'impatience, ni la moindre tristesse désordonnée, comme il arrive d'ordinaire dans les grandes afflictions aux autres enfants d'Adam, dont toutes les passions et les puissances se soulèvent même pour une petite contrariété. Mais la Maîtresse des vertus gouvernait et maintenait toujours les siennes dans un accord admirable. Et quoique la douleur dont son cœur était pénétré fût sans mesure, elle n'en resta pas moins mesurée dans toutes ses actions , ne cessant jamais de louer le Seigneur, de le prier pour le genre humain, et de lui demander la consolation de retrouver son très-saint Fils. 753. Elle le chercha avec cette sagesse divine et avec une extrême diligence pendant trois jours, interrogeant 631 et questionnant diverses personnes, signalant l'extérieur de son bien-aimé aux filles de Jérusalem, et allant par les rues et par les places de la ville; de sorte que ce que Salomon dit de cette grande Dame dans les Cantiques fut accompli en cette occasion (1). Quelques femmes lui demandaient à quelles marques on pourrait reconnaître l'Enfant qu'elle avait perdu; et elle leur répondait en indiquant celles que l'Épouse avait données en son noce : Mon bien-aimé est blanc et vermeil, choisi entre mille (2). Il y en eut une entre autres qui, l'ayant entendue, lui dit; " Un enfant qui a les mêmes marques que vous dites s'est présenté hier à ma porte pour demander l'aumône, et je la lui ai donnée; mais au manières agréables et son extrême beauté m'eut ravi le coeur; et, en lui faisant la charité, je sentis en mon âme une forte et douce impression, et une tendre compassion de voir un si bel enfant dans la pauvreté et sans asile. " Ce furent les premières nouvelles que le Mère affligée reçut de son Fils à Jérusalem. Et, respirant quelque peu dans sa douleur, elle continua de s'en informer, et quelques autres personnes lui dirent presque la même chose. Après qu'elle eut reçu ces nouvelles, elle alla à l'hôpital de la ville, croyant qu'elle y trouverait l'Époux et le Maître de la pauvreté parmi les pauvres comme parmi ses frères et ses amis légitimes (3). Et, lorsqu'elle leur en demanda des nouvelles, (1) Cant., V, 10 et 11 ; III, 2. - (2) Cant., V, 9 et 10. - (3) Matth., XXV, 40. 632 ils lui dirent que l'Enfant qui avait toutes les marques qu'elle, disait les avait visités pendant trois jours, leur portant quelques aumônes et les laissant fort consolés dans leurs afflictions. 754. Toutes ces nouvelles excitaient en notre divine Dame de très-doux sentiments, qu'elle offrait du plus intime de son coeur à l'Enfant adorable qu'elle cherchait. Et ne l'ayant pas trouvé au milieu des pauvres, elle crut qu'il serait sans doute au Temple, comme en la maison de Dieu , en la maison de prière. Les saints anges, répondant à cette pensée, lui dirent : " Reine et Maîtresse de l'univers, votre consolation est proche, vous verrez bientôt la lumière de vos yeux; hâtez-vous d'aller au Temple. " Le glorieux patriarche saint Joseph rencontra en ce moment son épouse, car pour multiplier les chances de retrouver l'Enfant-Dieu, il avait dirigé ses recherches vers d'autres endroits. Il fut aussi averti par un autre ange de se rendre au Temple. Pendant ces trois jours, il avait couru dans tous les sens, tantôt avec sa divine épouse, tantôt seul, avec des fatigues excessives et une douleur inexprimable; de sorte que sa vie aurait été dans un danger manifeste, si la main du Seigneur ne l'eût fortifié, et si noire très-prudente Dame n'eut eu soin de le consoler dans son extrême affliction, et de lui faire prendre un peu de nourriture et de repos; car le tendre et sincère amour qu'il portait à l'Enfant-Dieu lui inspirait un si vif désir de le retrouver, qu'il oubliait tout le reste. Or, par cet avis des Princes célestes, la très-pure Marie et saint Joseph 633 allèrent au Temple, où il arriva ce que je dirai dans le chapitre suivant. Instruction que la Reine des anges me donna. 755. Ma fille, les mortels savent par une fort longue expérience qu'on ne perd point sans douleur ce que l'on aime et que l'on possède avec plaisir. Cette vérité, si connue par l'épreuve qu'on en fait, devrait instruire les mondains et les faire rougir du peu d'amour qu'ils portent à leur Dieu et Créateur; puisque d'un si grand nombre qui le perdent, il en est si peu qui s'affligent de l'avoir perdu, parce qu'us n'ont jamais mérité de l'aimer, ni de le posséder en vertu de la grâce. Et comme la perte d'un bien qu'ils n'aiment point et qu'ils n'ont point possédé, rie les afflige pas, il en résulte que l'ayant perdu, ils ne se mettent pas fort en peine de le chercher. Mais il y a une grande différence entre la perte et l'absence du véritable bien; en effet, ce n'est pas une même chose que Dieu se cache d'une âme pour éprouver' son amour, et lui donner occasion d'avancer dans la vertu, ou qu'il s'en éloigne, en punition de ses péchés; car le premier est nue industrie de l'amour divin, et un moyen pour se communiquer davantage à la créature qui le désire et qui le mérite. Le second est un juste châtiment de la colère divine. Dans la première absente 634 du Seigneur filme saintement inquiète s'humilie par un filial amour, qui lui fait craindre d'y avoir donné quelque sujet. Et quand même sa conscience ne lui reprocherait rien, le juste, dans ce cas, pénétré d'un sincère amour, apprécie mieux les conséquences de la perte dont il se voit menacé; heureux de ce bonheur dont parle le Sage (1), il ne cesse de trembler de frayeur à la pensée d'une telle perte; car l'homme ne sait jamais s'il est digne de l'amour ou de la haine de Dieu (2); et cette connaissance est réservée pour l'avenir. En attendant, les mêmes choses arrivent en général su juste et su pécheur, dans le cours de leur vie mortelle. 756. Le Sage dit que ce danger est le plus grand et le plus funeste, parmi tous les maux qu'il y a sous le soleil (3), parce que les impies et les réprouvés se remplissent de malice et s'endurcissent le coeur par une fausse et dangereuse sécurité, en voyant que les choses se passent de même pour eux et pour les autres, et qu'on ne peut distinguer avec certitude l'élu du réprouvé, l'ami de l'ennemi, le juste du pécheur, celui qui mérite la haine, de celui qui est digne d'amour (4). Mais si les hommes écoutaient leur conscience sans passion, sans illusion , elle apprendrait à chacun la vérité, qu'il lui importe de savoir; car lorsqu'elle reproche les péchés commis, c'est une insigne folie de ne point s'attribuer à soi-même les maux que (1) Prov., XXVIII, 11. - (2) Eccles., IX, 1 et 2. - (3) Ibid., 3. - (4) Ibid., 12. 635 l'on souffre, et de ne pas reconnaître sa misère, après avoir perdu la grâce et avec elle le souverain bien (1). Et si leur raison était libre, ils avoueraient que la plus grande preuve de leur malheur serait de ne point ressentir avec une extrême affliction la perte ou la privation de la joie spirituelle, et des effets de la grâce; car si une âme créée et destinée pour la félicité éternelle n'éprouve point ce regret, elle témoigne assez qu'elle ne la désire et qu'elle ne l'aime pas; puisqu'elle ne la cherche point avec empressement (2), jusqu'à ce qu'elle parvienne à espérer qu'elle n'a point perdu le souverain bien par sa faute, du moins avec cette prudente certitude que comporte la vie mortelle. 757. Je perdis mon très-saint Fils quant à la présence corporelle; et quoique je conservasse l'espoir de le retrouver, l'amour que je lui portais, et le doute où j'étais de la cause de son absence, ne me laissèrent prendre aucun repos que je ne l'eusse rencontré. Je veux, ma très-chère fille, que vous en fassiez de même quand vous le perdrez, soit par votre faute, soit par son amoureuse industrie. Et afin que cela n'arrive point en punition de votre négligence, vous devez vivre avec tant de ferveur, que ni l'affliction , ni les angoisses, ni la faim, ni les périls, ni la persécution, ni l'épée, ni la hauteur, ni la profondeur ne puissent jamais vous séparer de votre bien (3) ; puisque si vous lui êtes fidèle comme vous le devez être, et que vous (1) Luc., XII, 58. - (2) Luc., XV, 8. - (3) Rom., VIII, 35. 636 ne veuilliez point le perdre, ni les anges, ni les principautés, ni les vertus, ni aucune autre créature ne sauraient vous en priver (1). Les draines de son amour sont si fortes, que rien ne les peut rompre, si ce n'est la propre volonté de la créature. (1) Rom., VIII, 38. Fin DU TOME III. 15/30 DEUXIÈME PARTIE. - LIVRE CINQUIÈME CHAPITRE V. Trois jours après, la très-pure Marie et Joseph trouvèrent l'Enfant Jésus dans le Temple proposant des questions aux docteurs. Instruction que la Reine du ciel nie donna. CHAPITRE VI. Dans la douzième année de l'Enfant Jésus, l'auguste Marie eut une vision pour continuer en elle l'image et la doctrine de la loi évangélique. Instruction que notre auguste Maîtresse me donna. CHAPITRE VII. Où sont indiquées plus expressément les fins du Seigneur en la doctrine qu'il enseigna à la très-pure Marie, et les manières avec lesquelles elle l'exécutait. Instruction que la divine Mère me donna. CHAPITRE VIII. Où il est déclaré comment notre grande Reine pratiquait la doctrine de l'Évangile, que son très-saint Fils lui enseignait. Instruction que j'ai reçue de la Reine du ciel. CHAPITRE IX. Où il est déclaré comment la très-pure Marie connut les articles de foi que la sainte Église devait croire, et ce que cette auguste Dame fit à la suite de cette faveur. Instruction que la très-sainte Vierge me donna. CHAPITRE X. La très-pure Marie eut une nouvelle lumière des dix commandements. - Comment elle profita de ce bienfait. Instruction que la Reine du ciel m'a donnée. CHAPITRE XI. La très-pure Marie eut l'intelligence des sept sacrements que notre Seigneur Jésus-Christ devait instituer, et des cinq commandements de l'Église. Instruction que j'ai reçue de la Reine du ciel. CHAPITRE XII. Notre Rédempteur Jésus-Christ continue ses prières pour nous. - Sa très-sainte Mère prie aussi avec lui, et reçoit de nouvelles lumières. Instruction que la très-sainte Vierge m'a donnée. CHAPITRE XIII. L'auguste Marie achève la trente-troisième année de son âge. - Son corps virginal se conserve dans sa même disposition. Elle prend la résolution d'entretenir son adorable Fils et saint Joseph par son travail. Instruction de la Reine du ciel CHAPITRE XIV. Des maux et des infirmités que saint Joseph souffrit dans les dernières années de sa vie, et des soins que lui donnait la Reine du ciel son épouse. Instruction que l'auguste Reine du ciel m'a donnée. CHAPITRE XV. De la bienheureuse mort de saint Joseph, et de ce qui y airiva; et comment notre Seigneur Jésus-Christ et sa très-sainte Mère y assistèrent. Instruction de notre auguste Princesse. Ici commence le tome IV de l'édition de Paris 1857 (Poussièlgue-Rusand) DEUXIÈME PARTIE. - LIVRE CINQUIÈME CHAPITRE V. Trois jours après, la très-pure Marie et Joseph trouvèrent l'Enfant Jésus dans le Temple proposant des questions aux docteurs. 758. Dans le chapitre précédent, j'ai répondu en partie au doute qu'on pouvait avoir sur ce que, notre divine Reine accompagnant et servant son très-saint Fils avec une vigilance si attentive, elle le perdit néanmoins de vue, et le laissa s'écarter dans Jérusalem. Et quoiqu'il suffise de dire que le Seigneur lui-même en voulut disposer de la sorte, j'ajouterai pourtant ici quelque chose de plus, pour expliquer comment cette séparation se fit, sans qu'il y eût aucune négligence volontaire de la part de l'amoureuse Mère. Il est certain qu'outre que l'Enfant-Dieu profita, pour disparaître, de la multitude du peuple qui assistait à la fête, il se servit aussi d'un autre moyen surnaturel, qui était presque nécessaire pour divertir l'attention de sa prudente Mère et fidèle compagne, 2 sans cela elle aurait infailliblement remarqué que le Soleil qui la conduisait dans toutes ses voies s'en éloignait. Or il arriva que, pendant que les hommes se séparaient des femmes, comme je l'ai dit, le puissant Seigneur répandit en sa très- pure Mère une vision intellectuelle de la Divinité, de sorte qu'il lui ravit toutes les puissances intérieures par la force de ce sublime objet, et l'éleva si fort au-dessus de ses sens, qu'elle n'en put user que pour poursuivre un assez long temps son chemin, et pour ce qui regarde le reste, elle se trouva par la vue du Seigneur tout abîmée dans la douceur de la divine consolation (1). Saint Joseph eut pour se tranquilliser les raisons que j'ai dites; et d'ailleurs, il fat aussi élevé à une haute contemplation qui lui rendit la pensée, et plus facile et plus mystérieuse, que l'Enfant allait avec sa Mère. Ce fut par ce moyen que cet adorable Enfant s'écarta de ses parents, et demeura à Jérusalem. Et lorsque notre Reine, ayant déjà beaucoup avancé son chemin, se trouva seule et sans son très-saint Fils, elle crut qu'il était avec son père putatif (2). 759. Cette séparation eut lieu fort près des portes de la ville, d'où l'Enfant-Dieu s'en retourna à travers les rues; et considérant alors par sa science divine tout ce qui lui devait arriver dans cette même ville, il l'offrit à son Père éternel pour le salut des âmes. Il demanda l'aumône pendant ces trois jours, pour anoblir dès lors l'humble mendicité, cette fille aînée de (1) cant., V, 1. - (2) Luc., II, 44. 3 la sainte pauvreté. Il visita les hôpitaux, il y consola tous les pauvres, et partagea avec eux les aumônes qu'il avait reçues; il rendit secrètement la santé du corps à plusieurs malades, et ü beaucoup de personnes celle de lame, les éclairant intérieurement, et les mettant dans le chemin de la vie éternelle. biais il opéra ces merveilles avec une plus grande abondance de grâce et de lumière en faveur de quelques-uns de ceux qui lui firent la charité, voulant accomplir par avance la promesse qu'il devait faire ensuite à son Église, l'assurant que celui qui reçoit un juste et un prophète en qualité de prophète, recevra la récompense due au juste (1). 760. Après qu'il se fut occupé d ces oeuvres, et à plusieurs autres selon la volonté du Père éternel, il alla au Temple. Et an jour que l'évangéliste saint Luc indique (2), les rabbins, qui étaient les docteurs de la loi, s'assemblèrent en un lieu où ils discutaient quelques doutes et quelques passages des Écritures. Dans cette occasion on y disputait sur la venue du Messie ; car les nouveautés et les merveilles qui avaient suivi la naissance de saint Jean et la venue des rois mages, avaient beaucoup accrédité parmi les Juifs l'opinion que les temps étaient accomplis, et que, bien qu'il fût inconnu, le Messie devait déjà être au monde. ils étaient tous assis en leurs places, avec cette autorité qui distingue d'ordinaire ceux qui passent pour savants. L'Enfant Jésus s'approcha de l'assemblée de (1) Matth., X, 41 - (2) Luc., II, 46. 4 ces docteurs; et Celui qui était le Roi des rois, le Seigneur des seigneurs (1), la Sagesse infinie; Celui qui redresse les sages (2), se présenta devant les savants du monde comme un humble disciple (3), faisant connaître qu'il ne venait que pour ouïr la dispute, et s'informer du. sujet qu'on y proposait. Il s'agissait de savoir si le Messie promis était venu, ou si le temps de son avènement au monde était arrivé. 761. Les opinions des docteurs étaient fort opposées sur cet article; les uns assuraient la chose, et les autres la niaient. Et ceux qui tenaient la négative alléguaient quelques témoignages des fritures, et des prophéties entendues avec la grossièreté que l'Apôtre remarque (4); car la lettre tue, si elle est prise sans l'esprit. Or ces sages à leurs propres yeux avançaient que le Messie devait venir avec une majesté et une grandeur de roi, pour donner la liberté à son peuple par la grandeur de sa puissance, et le délivrer temporellement de la servitude des gentils ; et l'on ne voyait alors aucune apparence de cette puissance et de cette liberté, dans l'impossibilité où les Hébreux étaient de secouer le joug des Romains. Ce sentiment eut beaucoup de vogue parmi ce peuple grossier et aveugle; parce qu'il reprenait que pour lui seul la Majesté et la grandeur du Messie promis, aussi bien que la rédemption qu'il venait par son pouvoir divin accorder à son peuple, s'imaginant qu'elle devait être (1) Apoc., XIX, 16. - (2) I Cor., I, 24. - (3) Sap., VII, 15. - (4) II Cor., III, 6. temporelle et terrestre,, comme l'attendent toujours les Juifs aveuglés par les ténèbres qui remplissent leurs coeurs (1). Aujourd'hui même ils ne parviennent pas à comprendre que la gloire, la majesté et la puissance de notre Rédempteur, aussi bien que la liberté qu'il est venu donner au monde, ne sont point des choses terrestres , temporelles et périssables, mais célestes, spirituelles et éternelles, et qu'elles ne sont ; pas seulement pour les Juifs, quoiqu'ils en aient eu les prémices, mais pour tout le genre humain sans aucune exception. 762. Le Maître de la vérité , Jésus, reconnut quels dispute se terminait à cette erreur; car quoiqu'il y en eût quelques-uns qui soutinssent l'opinion contraire, le nombre en était fort petit; et ceux-là se trouvaient accablés par l'autorité et par les raisons des autres. Et comme cet adorable Seigneur était venu au monde pour rendre témoignage à la vérité, qui était lui-même (2), il ne voulut pas permettre dans cette occasion, en laquelle il importait extrêmement de la découvrir, que l'erreur contraire prévalût par l'autorité des docteurs. Sa charité immense ne put point supporter cette ignorance de ses oeuvres, et de ses fins très-sublimes chez les interprètes de la loi, qui devaient être des ministres versés dans la véritable doctrine, pour enseigner au peuple le chemin de la vie, et lui en faire connaître l'auteur aussi bien que notre Rédempteur. L'Enfant-Dieu s'approcha (1) Isa., VI, 10 ; II Cor., III, 15. - (2) Joan., XVIII, 37. 6 davantage de l'assemblée, pour manifester la grâce qui était répandue sur ses lèvres (1). Il s'avança au milieu des interlocuteurs avec une rare majesté et avec une beauté admirable , exprimant le désir de proposer quelque doute. Et par ses manières nobles et agréables il inspira à ces docteurs l'envie de l'écouter avec attention. 763. Il prit la parole en ces termes : " J'ai entendu toute la discussion qui a eu lieu sur la venue du Messie, et les conclusions qui en ont été tirées. Avant de proposer mes objections contre cette solution, j'établis que les prophètes disent qu'il viendra avec une grande puissance et une grande majesté, a comme on vient de le prouver par les témoignages qu'on a allégués. En effet, Isaïe dit qu'il sera notre Législateur, notre Roi, et Celui qui sauvera son peuple (2); et dans un autre endroit il assure qu'il accourra de loin avec une grande fureur (3), ce que David confirme en disant qu'il consumera tous ses ennemis (4). Daniel déclare que toutes les tribus et tous les peuples le serviront (5). L'Ecclésiastique dit qu'une grande multitude de saints viendra avec lui (6). Les Écritures sont remplies de semblables promesses, pour faire reconnaître son avènement à des signes assez clairs, assez évidents, si on les considère avec attention. Mais le doute est fondé sur la comparaison de ces passages avec d'autres (1) Ps. XLIV, 3. - (2) Isa., XXXIII, 22. - (3) Isa., XXX, 27. - (4) Ps. XCVI, 3. - (5) Dan., VII, 14. - (6) Eccles., XXIV. 3, etc. 7 passages des prophètes qui doivent être tous également vrais, bien qu'à la lettre ils paraissent contradictoires. Ainsi il faut nécessairement qu'ils accordent, et donner à chacun de ces passages un sens par lequel il puisse et doive se concilier avec les autres. Or comment entendrons-nous maintenant ce que dit le même Isaïe, qu'il viendra de la terre des vivants, et qui est-ce qui racontera sa génération ? qu'il sera rassasié d'opprobres, qu'il sera mené à la mort comme une brebis qu'on va égorger, et qu'il n'ouvrira point la bouche (1) ? Jérémie assure que les ennemis du Messie se réuniront pour le persécuter, pour mettre du poison dans son pain, et pour effacer son nom de la terre, quoiqu'ils ne doivent point réussir dans leur dessein (2). David a dit qu'il serait le rebut du peuple et l'opprobre des hommes, et qu'il serait foulé aux pieds et méprisé comme un ver de terre (3). Zacharie, qu'il viendrait doux et humble, et monté sur un vil animal (4). Tous les prophètes tiennent le même langage en parlant des marques que le Messie promis doit avoir. " 764. " Comment sera-t-il donc possible, ajouta l'Enfant-Dieu, d'accorder ces prophéties, si nous supposons que le Messie doive venir avec de puissantes armées et avec majesté, pour vaincre les rois et les monarques par la force et par l'effusion du (1) Isa., LIII, 8, 11, 7. - (2) Jerem., XI, 19. - (3) Ps. XXI, 7 et 8. - (4) Zach., IX, 9. 8 sang des étrangers? Nous ne pouvons pas nier que, devant venir deux fois, la première pour racheter le monde, et l'autre pour le juger, les prophéties ne doivent être appliquées à ces deux avènements, en attribuant à chacun ce qui lui appartient. Et comme les fins de ces mêmes avènements doivent être différentes, leurs circonstances le seront aussi, puisqu'il ne doit pas remplir le même office dans les deux cas , mais qu'au contraire les choses y seront fort opposées. Dans le premier il doit vaincre le démon et lui arracher l'empire qu'il a acquis sur les âmes par le premier péché. Et pour cela il doit d'abord satisfaire à Dieu pour tout le genre humain, et ensuite enseigner aux hommes par ses paroles et par ses exemples le chemin de la vie éternelle, les moyens de vaincre les ennemis de leur salut, comment ils doivent servir et adorer leur Créateur et Rédempteur, et de quelle manière ils sont obligés de répondre aux bienfaits qu'ils reçoivent de sa main libérale, et d'en faire un bon usage. Sa vie et sa doctrine doivent concourir à toutes ces fins dans le premier avènement. Le second aura lieu pour faire rendre compte à tous les hommes dans le jugement universel , et pour donner à chacun le prix dû à ses œuvres bonnes ou mauvaises; et alors il punira ses ennemis avec fureur et indignation; c'est ce que les prophètes disent de second avènement. " 765. " D'après toutes ces observations, si nous voulons supposer que le Messie paraîtra pour la 9 première fois avec puissance et majesté, et que, comme le dit David (1), il règnera de la mer jusqu'à la mer, et que son règne sera glorieux , comme le disent d'autres prophètes (2) , tout cela ne peut être entendu matériellement d'un règne temporel ni d'un appareil de majesté sensible et extérieur, mais d'un nouveau règne spirituel qu'il établira dans une nouvelle Église qui s'étendra par tout l'univers avec majesté, avec puissance et avec des richesses immenses de grâce et de vertu contre le démon. Et avec cette juste interprétation, toutes les Écritures , qu'on ne saurait concilier dans un autre sens, se trouvent uniformes. Que si le peuple de Dieu est soumis à l'empire des Romains, sans pouvoir recouvrer son indépendance, ce n'est pas une marque que le Messie ne soit pas encore venu ; au contraire , c'est un témoignage infaillible qu'il est déjà au Inonde. Car notre patriarche Jacob a laissé cette marque afin que ses descendants le connussent, voyant la tribu de Juda sans le sceptre et sans le gouvernement d'Israël (3). Or vous avouez maintenant que ni cette tribu ni les autres ne l'ont et n'espèrent même de le recouvrer. Les semaines de Daniel (4), qui doivent être nécessairement accomplies, prouvent la même chose. Et ceux qui ont de la mémoire se souviendront de ce que j'ai (1) Ps. LXXI, 8. - (2) Isa., LII, 6, etc.; Jerem., XXX, 9; Ezech., XXXVII, 22, etc.; Zach., IX, 10. - (3) Gen., XLIX, 10. - (4) Dan., IX, 25. 10 entendu dire , savoir, qu'une grande splendeur a paru il y a quelques années dans Bethléem à minuit, et qu'il fut dit à de pauvres pasteurs que le Rédempteur était né (1); et qu'ensuite certains rois guidés par une étoile vinrent de l'Orient, cherchant le Roi des Juifs pour l'adorer (2). Et le tout était ainsi prophétisé (3). De sorte que le roi Hérode, père d'Archélaüs, frappé de ces signes infaillibles, fit mourir un très- grand nombre d'enfants, seulement dans l'espoir d'atteindre le Roi qui venait de naître, et qu'il voulait empêcher de pouvoir succéder au royaume d'Israël (4). " 766. L'Enfant Jésus joignit d'autres raisons à celles-là, et ce fut avec l'efficace de Celui qui, en proposant des doutes, enseignait avec un pouvoir divin. De sorte que les scribes et les docteurs qui l'entendirent restèrent dans le silence (5); et, convaincus par ses raisons, ils se regardaient les uns les autres, et se disaient avec une grande admiration : Quelle merveille est, celle-ci? Quel Enfant si prodigieux! D'où est-il sorti ? A qui appartient-il? Mais demeurant dans cet étonnement, ils ne découvrirent point quel était Celui qui les instruisait avec tant de lumière d'une vérité si importante. L'auguste Marie et son très-chaste époux saint Joseph arrivèrent à temps pour ouïr la fin de son discours. Et après qu'il l'eut achevé, tous les docteurs de la loi se levèrent (1) Luc., II, 9, etc. - (2) Matth., II, 1, etc. - (3) Mich., V, 2 ; Ps. LXXI, 10; Isa., LX, 6. - (4) Matth., II, 16. - (5) Luc., IV, 32. 11 avec une surprise extrême. Alors notre divine Dame, ravie de joie d'avoir retrouvé son trésor, s'approcha de son bien-aimé Fils, et en présence de toute l'assemblée lui dit ce que rapporte saint Luc (1) : Mon Fils, comment en avez-vous usé ainsi avec nous? Voici que nous vous cherchions, votre père et moi, fort affligés. La divine Mère lui fit cette amoureuse plainte avec autant de respect que d'affection, l'adorant comme son Dieu, et lui représentant sa douleur comme à son Fils. Sa Majesté lui répondit : Pourquoi me cherchiez-vous? ne saviez-vous pas qu'il fallait que je m'occupasse des choses qui regardent le service de mon Père (2)? 767. L'évangéliste dit (3) que la très-pure Marie et saint Joseph n'entendirent point le mystère de ces paroles, parce qu'il leur fut alors caché. Et cela provint de deux causes : d'une part, moissonnant dans la joie après avoir semé dans les larmes, ils furent tout absorbés par le bonheur de revoir leur riche trésor qu'ils avaient retrouvé. D'autre part ils n'arrivèrent pas assez tôt pour se mettre au courant de la matière qu'on avait traitée dans cette conférence. Outre ces raisons, il y en eut une autre pour notre très-prudente Reine: c'est, que le voile qui lui cachait l'intérieur de son très-saint Fils, où elle eût pu connaître tout ce qui s'était passé , ne fut écarté de ses yeux que quelque temps après qu'elle l'eut retrouvé. Les docteurs se retirèrent, repassant en leur esprit les merveilles qu'ils venaient d'ouïr de la Sagesse éternelle, (1) Luc., II, 47. - (2) Ibid., 49. - (3) Ibid., 50. 12 quoiqu'ils ne la connussent pas. De sorte que la bienheureuse Mère se trouvant presque seule avec son très-saint Fils, lui dit avec une tendresse maternelle : " Permettez, mon Fils, à mon coeur défaillant (et ce disant elle l'embrassa) de vous découvrir sa peine, afin qu'elle ne m'ôte pas la vie si elle est de quelque utilité à votre service. Ne m'éloignez point de votre présence, acceptez-moi pour votre servante, et si je vous ai perdu par ma faute, je vous en demande pardon, et je vous prie de me rendre digne de vous, et de ne me point châtier par votre absence. " L'Enfant-Dieu la reçut avec complaisance, et lui promit d'être son maître et son compagnon tout le temps qu'il serait convenable. Ces douces paroles calmèrent le coeur innocent et enflammé d'amour de notre grande Reine, et ils prirent le chemin de Nazareth. 768. Mais lorsqu'ils se furent un peu éloignés de Jérusalem , et qu'ils se trouvèrent seuls sur la route, la très-prudente Daine se prosterna , adora son très-saint Fils, et lui demanda sa bénédiction, parce qu'elle ne l'avait pas fait extérieurement au moment où elle le trouva dans le Temple au milieu de la foule : tant elle était attentive à ne perdre aucune occasion d'agir avec la plénitude de sa sainteté. L'Enfant Jésus la releva de terre et lui parla avec un air fort agréable et avec la plus grande douceur. Ensuite il écarta le voile mystérieux et lui découvrit de nouveau son âme très-sainte et ses opérations avec plus de clarté qu'auparavant. De sorte que la divine Mère apprit dans cette contemplation de l'intérieur de l'Enfant-Dieu 13 toutes les oeuvres sublimes qu'il avait faites pendant les trois jours de son absence. Elle y vit également tout ce qui s'était passé dans la conférence des docteurs, ce que l'Enfant Jésus leur dit, et les raisons qu'il eut pour ne pas se manifester avec plus d'éclat comme le véritable Messie ; et cet adorable Enfant révéla à sa Mère Vierge plusieurs autres mystères, comme à celle en qui tous les trésors du Verbe incarné devaient être mis en dépôt, afin qu'elle rendit pour tous et en tous le retour de gloire et de louanges qui étaient ducs à l'auteur de tant (le merveilles. Et cette très-sainte Dame s'en acquitta selon le bon plaisir du Seigneur. Après quoi elle pria sa Majesté de reposer un peu dans la campagne, et de prendre quelque nourriture. Et le divin Enfant en accepta des mains de notre auguste Reine, qui prenait soin de tout comme Mère de la Sagesse (1). 769. La divine luire s'entretenait chemin faisant, avec son très-doux Fils, des mystères qu'il lui avait découverts dans son intérieur touchant la conférence des docteurs. Et le Maître céleste l'informa de nouveau verbalement de ce qu'il avait appris par révélation; et lui déclara notamment que ces docteurs et ces scribes n'avaient point reconnu en lui le Messie, à cause de la présomption et de la vanité qu'ils tiraient de leur science, parce que leur entendement était obscurci par les ténèbres de l'orgueil, qui les avaient empêchés de recevoir la divine lumière que (1) Eccles., XXIV, 24. 14 l'Enfant-Dieu avait si bien fait briller à leurs yeux; car ses raisons auraient suffi pour les convaincre s'ils eussent eu leur volonté disposée par l'humilité et par le désir de la vérité. C'est à cause des obstacles qu'ils lui opposèrent qu'ils ne la reconnurent pas, malgré son évidence. Notre Rédempteur convertit un grand nombre d'aines dans ce voyage. Et comme sa très-sainte Mère était présente, il l'employait pour instrument de ces merveilles; ainsi il éclairait les coeurs de tous ceux à qui elle parlait, au moyen des sages avis et des saintes instructions de notre auguste Princesse. Ils rendirent la santé à plusieurs malades, ils consolèrent les affligés, et ils ne perdirent aucune occasion convenable de répandre partout où ils allaient la grâce et les miséricordes. Et comme j'ai décrit, dans les autres voyages que j'ai racontés, des merveilles semblables à celles-ci, je ne m'y arrête pas plus longtemps , car le récit en exigerait plusieurs chapitres, et je suis forcée de passer à d'autres points de cette histoire qui sont plus importants. 770. Ils arrivèrent à Nazareth , où ils s'occupèrent comme je le dirai dans la suite. L'évangéliste saint Luc (1) renferme dus peu de paroles les mystères de leur vie, lorsqu'il dit que l'Enfant Jésus était soumis à ses parents (c'est-à-dire à sa très- sainte Mère et à son époux Joseph), et que sa divine Mère repassait et conservait toutes ces choses dans son coeur, et que Jésus croissait en sagesse (2), en age et en grave devant (1) Luc., II, 51. - (2) Ibid., 52. 15 Dieu et devant les hommes, ce dont je parlerai plus tard , selon les lumières qui me seront données. Je dis seulement ici que l'humilité et l'obéissance de notre Seigneur Jésus- Christ envers ses parents furent pour les anges un nouveau sujet d'admiration, aussi bien que la dignité et l'excellence de sa très-pure Mère, qui mérita que Dieu humanisé lui fût confié et assujetti, afin qu'elle en prit soin avec l'aide de saint Joseph, et qu'elle en disposât comme d'une chose qui lui appartenait. Et quoique cette soumission et cette obéissance fussent comme une conséquence de la maternité naturelle; néanmoins, pour user envers son Fils de ses droits et de son autorité de Mère, comme supérieure en cette qualité , il lui fallut une grâce différente de celle qu'elle reçut pour le concevoir et pour l'enfanter. De sorte que l'auguste Marie eut avec plénitude les grâces convenables et proportionnées pour tous ces ministères et offices : plénitude tellement surabondante qu'elle débordait sur l'aime du bienheureux époux saint Joseph, afin qu'il fût aussi le digue père putatif de Jésus-Christ et chef de cette très-sainte famille. 771. Notre illustre Princesse répondait de son côté par des oeuvres sublimes à l'obéissance et à la soumission que son bien-aimé Fils lui témoignait. Entre anti-es dons excellents elle eut alors une humilité quasi incompréhensible, et une ardente reconnaissance de ce que sa Majesté eût daigné retourner avec elle et demeurer en sa compagnie. Cette faveur, que notre divine Reine estimait des plus grandes et dont elle se 16 croyait même indigne, accrut dans son très-fidèle coeur son amour et son zèle à servir son adorable Fils. Et elle lui en témoignait sa gratitude avec tant de ferveur, elle ne cessait de le servir avec tant d'attention, de ponctualité et d'empressement, et cela toujours à genoux , qu'elle excitait l'admiration des plus hauts séraphins. En outre , elle était très-soigneuse à l'imiter dans toutes ses actions , telles qu'elle les connaissait, et elle s'appliquait de toutes ses forces d'abord à étudier, puis à reproduire ses exemples. Elle blessait par cette plénitude de sainteté le coeur de notre Seigneur Jésus-Christ (1), et elle le tenait, pourrions-nous dire, captif dans les chaînes d'un amour invincible (2). Et cet adorable Seigneur étant ainsi attiré, comme Dieu et comme Fils véritable, par les doux charmes de l'incomparable Princesse, il se trouvait entre le Fils et la Mère une correspondance mutuelle et un divin cercle d'amour et d'oeuvres qui surpassaient tout ce que l'entendement créé peut concevoir. Car tous les fleuves des grâces et des faveurs du Verbe incarné entraient dans l'auguste Marie, comme dans l'océan des perfections, et cette mer ne regorgeait point, parce qu'elle était assez vaste pour les recevoir; mais ces fleuves retournaient à leur source (3), où l'heureuse Mère de la Sagesse lus renvoyait, afin qu'ils coulassent encore, comme si ces flux et ces reflux de la Divinité n'eussent été établis qu'entre l'Enfant-Dieu et sa Mère. C'est ici le mystère de ces (1) Cant., II, 9. - (2) Os., XI, 4. - (3) Eccles., 1, 7 17 humbles reconnaissances de l'Épouse, si souvent mentionnées dans les Cantiques : Mon bien-aimé est tout à moi, et je suis toute à lui ; il se plaît infiniment parmi les lis, jusqu'à ce que le jour commence à paraître et que les ombres soient dissipées. Je suis à mon bien-aimé, et mon bien-aimé est à moi; je suis à mon bien-aimé, et ses regards sont vers moi (1). 772. Il était comme inévitable que le feu de l'amour divin dont brûlait le coeur de notre Rédempteur, qui est venu l'allumer sur la terre (2), trouvant à sa portée une matière disposée comme l'était le coeur très-pur de sa Mère, causât par son activité extraordinaire des effets si sublimes, que le même Seigneur qui les avait opérés fût le seul qui pût aussi les connaître. On doit remarquer ici une chose qui m'a été révélée : c'est que le Verbe incarné ne mesurait point les témoignages extérieurs de l'amour qu'il portait à sa très-sainte Mère sur son inclination naturelle de fils, mais sur la capacité de mérites que présentait notre auguste Reine comme voyageuse , parce que cet adorable Seigneur savait que s'il l'eût favorisée dans ces démonstrations autant qu'il aurait été naturellement porté à le faire par affection filiale envers une telle Mère, elle eût été en quelque sorte empêchée, par la jouissance continuelle des délices qu'elle eût goûtées dans le commerce de son bien-aimé, de gagner tous les mérites qui lui étaient destinés. C'est pourquoi il réprima jusqu'à un certain point ce penchant naturel (1) Cant. II, 16 et 17; VI, 2; VII, 10. - (2) Luc., XII, 49. 18 de son humanité, et voulut que sa divine Mère, quoiqu'elle fût parvenue à une sainteté si éminente, continuât à agir, à souffrir, à mériter, en étant quelquefois privée de la douce récompense qu'elle aurait pu recevoir par les faveurs sensibles de son très-saint Fils. C'est pourquoi encore l'Enfant-Dieu montrait plus de réserve et de sévérité, même dans la conversation ordinaire. Et quoique notre diligente Darne le servit toujours avec un souverain respect, et lui fournit toujours avec le plus vif empressement tout ce dont il pouvait avoir besoin, notre aimable Sauveur ne manifestait pas toute la satisfaction que lui inspirait la sollicitude de sa Mère. Instruction que la Reine du ciel nie donna. 773. Ma fille, toutes les rouvres de mon très-saint Fils et les miennes sont pleines d'une mystérieuse doctrine et de salutaires leçons pour les mortels, s'ils les considèrent avec une attention respectueuse. Sa Majesté s'absenta de moi afin que, la cherchant avec douleur et avec larmes, je la retrouvasse avec beaucoup de joie (1) et de profit pour mon âme. Je veux que, m'imitant en ce mystère, vous cherchiez le Seigneur (1) Ps. CXXV, 5. 19 avec une angoisse telle, qu'elle vous maintienne dans une vigilance continuelle et ne vous laisse vous reposer nulle part pendant toute votre vie, jusqu'à ce que vous l'ayez trouvé et que vous ne puissiez plus le perdre (1). Or, afin que vous pénétriez mieux le secret du Seigneur, il faut que vous remarquiez que sa sagesse infinie conduit de telle sorte les créatures capables de sa félicité éternelle, qu'elle les met dans le chemin de cette mémé félicité, mais à une grande distance et avec l'incertitude d'y jamais arriver, afin que, tant qu'elles n'y parviennent pas, elles ne,cessent de vivre dans l'inquiétude et dans une sainte tristesse, afin que cette inquiétude fasse naître en elles une crainte et une horreur continuelles da péché, qui est la seule chose qui puisse la leur faire perdre (2); et que, dans le tumulte de la conversation humaine, elles ne se laissent point entraîner ni enlacer par les choses visibles et terrestres. Le Créateur seconde leurs précautions en soutenant la raison naturelle par les vertus de foi et d'espérance, qui servent d'aiguillon à l'amour, par lequel les créatures cherchent et atteignent leur dernière fin. Et, indépendamment du secours de ces vertus et des autres dont il dépose le germe dates le baptême, il envoie à l'âme des inspirations qui l'excitent, dans l'absence du même Seigneur, à ne point l'oublier en s'oubliant elle-même pendant qu'elle est privée de son aimable présence, mais, au contraire, à poursuivre sa course jusqu'à ce qu'elle (1) Cant., III, 4. - (2) Eccles., IX, 2. 20 parvienne au but désiré, où elle verra tous ses goûts satisfaits et tous ses voeux accomplis (1). 774. Vous comprendrez par là la crasse ignorance des mortels, dont si peu s'arrêtent à considérer l'ordre mystérieux de leur création et de leur justification, et les oeuvres du Très-Haut tendant à une fin si sublime. Les plus grands maux que les créatures souffrent proviennent de cet oubli, qui leur fait prendre possession des biens terrestres et des plaisirs trompeurs comme s'ils devaient être leur félicité et leur dernière fin. C'est le plus grand désordre où ils puissent tomber contre l'ordre du Créateur, parce que les hommes veillent, durant leur vie si courte et si fugitive, jouir des choses visibles comme si elles étaient leur dernière fin, tandis qu'ils ne devraient user des créatures que pour acquérir le souverain bien, et non point pour le perdre. Or, pesez, ma très-chère fille, ce danger de la folie humaine, et regardez comme un écueil funeste tout ce que le monde offre d'agréable et de séduisant ; dites aux joies des sens qu'elles ne font que les tromper (2), engendrer la folie, enivrer le coeur, empêcher et détruire toute véritable sagesse. Soyez toujours dans une sainte crainte de perdre la vie éternelle, et, jusqu'à ce que vous l'ayez acquise, ne' vous réjouissez que dans le Seigneur. Fuyez la conversation des mortels, redoutez ses dangers; et si Dieu vous met par le moyen de l'obéissance dans quelque péril pour sa gloire, tout en comptant sur sa protection, ayez (1) Ps., XVI, 17. - (2) Eccles., II, . 21 soin de ne pas vous négliger et de vous tenir sur vos gardes. Ne livrez pas votre naturel confiant à l'amitié ni au commerce des créatures : c'est là que pour vous se trouve le plus grand danger; car le Seigneur vous a donné une humeur douce et reconnaissante, afin qu'il vous soit plus facile de ne point résister à ses opérations, et que vous employiez à son amour, le bienfait que vous en avez reçu. Mais si, vous donnez l'entrée à l'amour des créatures, elles vous entraîneront sans doute et vous éloigneront du souverain Bien, de sorte que vous renverserez l'ordre et les oeuvres de sa sagesse infinie; car c'est une chose indigne de consacrer le plus riche don de la nature à un objet qui n'en soit pas le plus noble et le plus excellent. Élevez-vous au-dessus de tout ce qui est créé et au-dessus de vous-même (1). Rehaussez les opérations de vos puissances, et montrez-leur comme le plus sublime de tous les objets l'être de Dieu, celui de mon Fils bien-aimé et votre, Époux, qui surpasse en beauté tous les enfants des hommes (2); aimez-le de tout votre coeur, de toute votre aime et de tout votre entendement. (1) Thren., III, 28. - (2) Ps. XLIV, 2. 22 CHAPITRE VI. Dans la douzième année de l'Enfant Jésus, l'auguste Marie eut une vision pour continuer en elle l'image et la doctrine de la loi évangélique. 775. J'ai commencé à raconter dans les chapitres premier et second de ce livre ce que je dois continuer dans celui-ci et dans les autres qui suivent, mais non sans une juste crainte de l'obscurité et de la faiblesse de mes termes, et surtout de la tiédeur de mon coeur pour traiter des profonds mystères qui se passèrent entre le Verbe incarné et sa bienheureuse Mère pendant les dix-huit années qu'ils demeurèrent à Nazareth, et qui s'écoulèrent depuis leur retour de Jérusalem, après la conférence des docteurs, jusqu à l'époque où notre Seigneur, âgé de trente ans, se mit à prêcher. Troublée et effrayée au bord de cette mer immense de mystères, je supplie du fond de l'âme le souverain Maître de charger un ange de prendre la plume, afin qu'un sujet si sublime ne soit point avili ; à moins qu'il ne veuille, dans sa puissance et dans sa sagesse, parler lui-même par mon organe, éclairer et diriger mes facultés, afin qu'étant guidées par sa divine lumière elles servent seulement d'instrument à sa volonté et à sa vérité, sans se ressentir te la fragilité 23 humaine inhérente à la condition d'une femme ignorante. 776. J'ai dit dans les chapitres que je viens de citer que notre grande Dame fut la première disciple de son très-saint Fils, l'unique et l'élue entre toutes les créatures pour être l'image choisie en qui la nouvelle loi de l'Évangile et de son auteur devait être imprimée, afin qu'elle servît dans sa nouvelle Église comme de seul modèle que tous les autres saints devraient reproduire, et qui renfermerait tous les effets de la rédemption humaine. Le Verbe incarné agit dans cette occasion comme un excellent peintre qui possède les secrets de son art dans toutes ses parties, et qui tâche, entre plusieurs de ses ouvrages, d'en achever un avec tant de perfection et de délicatesse, qu'il établisse sa réputation, qu'il atteste son rare talent, et qu'il reste comme le type de ses autres tableaux. Il est certain que toute la sainteté et la gloire des saints fut l'oeuvre de l'amour de Jésus-Christ et de ses mérites (1); car ils furent tous les très-parfaits ouvrages de ses mains mais, comparés avec la grandeur de l'auguste Marie, ils ne semblent que des ébauches, parce que tous les saints eurent quelques défauts qu'il fallut corriger (2). Il n'y eut que cette seule image vivante de son adorable Fils qui en fut exempte;, et le premier coup de pinceau qu'il donna en la formant fut plus excellent et plus délicat que les retouches qu'exigèrent les plus sublimes esprits et les plus grands saints. Elle est le (1) Ephes., I, 8; Joan., I, 16. - (2) I Joan., I, 8. 24 modèle de toute la sainteté et de toutes les vertus des autres; le dernier terme que pût atteindre l'amour de Jésus Cherchez une simple créature, car aucune créature ne reçut en grâce ou en gloire ce qui ne put être donné à l'incomparable Marie, et elle reçut tout ce qui put être donné aux autres; de sorte que son très-béni Fils lui donna tout ce qu'elle put recevoir et qu'il put lui communiquer. 777. La variété des saints, aussi bien que leurs différents degrés, exaltent dans le silence l'ouvrier de tant de sainteté (1); les petits augmentent la grandeur des grands, et ils honorent tous ensemble la très-pure Marie, qui les surpasse glorieusement par son incomparable sainteté, et au bonheur de laquelle ils participent sous le rapport sous lequel ils l'ont imitée ; pour concourir à cet ordre, dont la perfection rejaillit sur tous. Et si l'auguste Marie est le couronnement qui a relevé tout l'ordre des justes, par là même elle a été l'instrument ou le motif de la gloire que tous les saints ont à un certain degré. Il suffit de considérer le temps que notre Seigneur Jésus-Christ mit à travailler en elle, et celui qu'il employa en tout le reste de l'Église, pour découvrir, quoique de loin, son excellence dans le mode qu'il suivit pour former cette image de sa sainteté. Car pour fonder l'Église et l'enrichir, pour appeler les apôtres, pour enseigner le peuple et pour établir la nouvelle loi de l'Évangile, il ne fallut que trois ans de prédication, pendant lesquels il accomplit (1) Ps., XVIII, 2. 25 surabondamment cette pauvre que son Père éternel lui avait recommandée (1), et il justifia et sanctifia tons les fidèles : mais pour imprimer en sa bienheureuse mère l'image de sa sainteté, il n'employa pas seulement trois ans, mais trente ans, pendant lesquels il opéra continuellement en elle par la force de son amour et de sa puissance divine, sans aucun intervalle où il ait cessé d'ajouter grâces sur grâces, dons sur dons, bienfaits sur bienfaits, sainteté sur sainteté. Et en outre il se réserva de la retoucher de nouveau, et ce fut parles faveurs qu'elle reçut après que Jésus- Christ son très-saint Fils fut monté à son Père, comme je le dirai dans la troisième partie. La raison se trouble, les paroles manquent à la vue de cette grande Dame, parce qu'elle fut élue comme le soleil (1), et que les yeux de l'homme n'en sauraient supporter la splendeur, non plus que ceux de toute autre créature. 778. Notre Rédempteur Jésus-Christ commença à découvrir ce dessein envers sa Mère dès leur retour d'Égypte à Nazareth, comme nous l'avons dit, et il continua toujours à son égard l'office de maître en l'enseignant, et l'exercice de son pouvoir divin en l'éclairant par de nouvelles notions sur les mystères de l'incarnation et de la rédemption. Après qu'ils furent revenus de Jérusalem , dans la douzième année de l'Enfant-Dieu, notre grande Reine eut une vision de la Divinité qui ne fut point intuitive, mais imaginative; elle fut pourtant fort relevée, et remplie de (1) Joan., VI, 38. - (2) Cant., VI, 9. 26 nouvelles influences de cette même Divinité et de sublimes communications des secrets du Très-Haut. Elle connut spécialement les décrets de l'entendement et de la volonté du Seigneur concernant la loi de grâce, que le Verbe incarné devait établir, et le pouvoir que le consistoire de la très-sainte Trinité lui donnait à cet effet (1). Elle vit aussi que le Père éternel remettait pour cette fin à son Fils fait homme ce livre scellé de sept sceaux dont saint Jean fait mention dans le chapitre V de l'Apocalypse, et que personne ne pouvait ouvrir ni dans le ciel ni sur la terre, jusqu'à ce que l'Agneau l'ouvrît par sa passion, par sa mort, par sa doctrine et par ses mérites; de sorte qu'il déclara en même temps aux hommes le secret de ce livre, qui était tonte la nouvelle loi de l'Évangile, et l'Église qui devait être fondée par le même Évangile dans le monde. 779. Ensuite notre auguste Princesse comprit que la très-sainte Trinité décrétait qu'elle serait dans tout le genre humain la première qui lirait et qui entendrait ce livre; que son Fils le lui ouvrirait et expliquerait entièrement, et qu'elle exécuterait tout ce qu'il contenait; qu'elle serait aussi la première qui, fidèle compagne du Verbe à qui elle avait donné la chair, le suivrait et aurait sa légitime place immédiatement. après lui dans les voies qu'il devait, en descendant du ciel, tracer dans ce livre, afin que les mortels y montent, et que ce Testament fût mis en dépôt en (1) Ephes., II, 14 et 15; Matth., IV, 17; Matth., XXVIII, 18. 27 celle qui était sa véritable Mère. Elle vit que le Fils du Père éternel et le sien acceptait ce décret avec beaucoup de complaisance, et que sa très-sainte humanité s'y soumettait avec une joie indicible par rapport à elle : et le Père éternel, s'adressant à cette très-pure Dame, lui disait : 780. " mon Épouse et ma Colombe, préparez votre coeur, afin que, selon notre bon plaisir, nous vous fassions participante de la plénitude de notre science, et que le nouveau Testament et la loi sainte de mon Fils soient gravés dans votre âme. Redoublez l'ardeur de vos désirs, et appliquez-vous entièrement à l'étude et à l'exécution de notre doctrine et de nos préceptes. Recevez les dons de notre pouvoir libéral et de l'amour que nous vous portons. Et, afin que vous nous rendiez un retour convenable, sachez que nous déterminons, par une disposition de notre sagesse infinie, que mon Fils, quant à l'humanité qu'il a prise de vous, trouve en une si simple créature son image et sa ressemblance autant que cette ressemblance est possible, comme l'effet et le digne fruit de ses mérites, et que, dans la préoccupation de cet effet et de ce fruit, son saint nom soit glorifié et exalté par votre parfaite correspondance. Or, considérez, ma Fille et mon Élue, que ces des seins exigent de votre part de grandes dispositions. Préparez-vous donc pour les couvres et le mystère de notre puissante droite. " 781." Seigneur éternel, et Dieu immense, répondit la très-humble Dame, me voici prosternée 28 en votre divine présence, découvrant à la vue de votre être infini la petitesse du mien, qui n'est a qu'un pur néant. Je reconnais, Seigneur, votre a grandeur et ma bassesse. Je suis indigne du nom de votre servante; je vous offre le fruit de mes entrailles et votre Fils, pour la bonté avec laquelle vous, avez daigné me regarder, et je supplie sa Majesté de répondre pour sa servante inutile. Non a coeur est préparé (1), et en reconnaissance de vos miséricordes il se change en affections , parce qu'il ne peut point réaliser ses plus ardents désirs (2). Mais si j'ai trouvé grâce devant vos yeux (3), je parlerai, Seigneur, où votre présence, pour vous supplier seulement de faire en votre servante tout a ce que vous lui demandez et ordonnez, puisqu'il n'y a que vous, mon divin Maître, qui puissiez l'opérer. Et si vous me demandez un coeur disposé et soumis, je vous l'offre pour souffrir et obéir à votre volonté, fallût-il mourir. " Alors notre auguste Princesse fut remplie de nouvelles effusions de la Divinité; elle fut illuminée, purifiée, spiritualisée, enrichie des dons du Saint-Esprit avec une plus grande abondance que dans le passé , car le bienfait que la Reine du ciel reçut en ce jour fut tout spécial. Sans doute tous ceux dont elle était l'objet étaient extraordinaires, exceptionnels, au-dessus de tous ceux que pussent recevoir les autres créatures et par conséquent chacun de ces bienfaits semblait être le (1) Ps. LVI, 1. - (2) Ps. LXXII, 16. - (3) Esth., VII, 3. 29 suprême, et marquer le non plus ultra; néanmoins il n'y a en la participation des perfections divines aucune borne de leur côté, et c'est la capacité de la créature qui manque. Et comme celle de notre auguste Princesse était grande, et qu'elle croissait en elle dans la proportion même des faveurs, elle ne faisait, en recevant de grandes grâces, que se disposer à en recevoir d'autres plus grandes. De sorte que le pouvoir divin ne trouvant en elle aucun obstacle qui l'empêchât, versait. tous ses trésors pour les confier à la très-fidèle Marie, comme su plus sûr réservoir. 782. Elle sortit toute renouvelée de cette vision extatique, et s'alla prosterner devant son très-saint Fils, en lui disant: " Mon Seigneur, ma lumière et mon Maître, voici votre indigne Mère, toute prêle à accomplir votre sainte volonté. Acceptez-moi de nouveau pour disciple et pour servante, servez-vous de l'instrument de votre sagesse, et exécutez en moi le bon plaisir du Père éternel et le vôtre. " Le très-saint Enfant reçut sa Mère avec la majesté et l'autorité d'un maître, et il lui tint un discours très-sublime. Il lui fit connaître par de puissantes raisons les trésors inestimables qui étaient renfermés dans les rouvres mystérieuses que le Père éternel lui avait recommandées touchant l'affaire de la rédemption des hommes, et l'établissement de la nouvelle Église et de la loi évangélique, qui avaient été décrétés dans l'entendement divin. Il lui déclara de nouveau comment, recevant les prémices de la grâce, elle devait être sa coadjutrice dans des mystères si profonds, et que 30 pour ce sujet elle le devait accompagner dans ses travaux, et même jusqu'à la mort de la croix, et le suivre avec un ferme courage et avec un coeur magnanime, constant et invincible. Il lui communiqua une doctrine céleste, afin qu'elle se préparât par ce secours à recevoir toute la loi évangélique, à l'entendre, à la pénétrer, et à exécuter tous ses préceptes et tous ses conseils avec une très-haute perfection. L'Enfant Jésus révéla dans cette occasion d'autres sublimes mystères à la bienheureuse Mère relativement aux oeuvres qu'il ferait dans le monde. Et cette divine Dame s'offrit à tout avec beaucoup d'humilité, de soumission, de respect, de reconnaissance, et avec l'amour le plus ardent. Instruction que notre auguste Maîtresse me donna. 783. Ma fille, je vous ai appelée plusieurs fois pendant le cours de votre vie, et surtout depuis que vous écrivez la mienne, à me suivre en m'imitant le mieux qu'il vous sera possible avec le secours de la divine grâce. Je vous rappelle maintenant de nouveau cette obligation et cette vocation , depuis que la bonté du Très-Haut vous a donné des notions si claires et si lumineuses sur le mystère que son puissant bras a opéré dans mon coeur, en y écrivant toute la loi de grâce et toute la doctrine de son Évangile, et depuis 31 qu'elle vous a révélé en même temps l'effet qu'une si grande faveur produisit en moi, et la manière avec laquelle je la reconnus et y correspondis par une très- parfaite imitation de mon très-saint Fils et mon Maître. Vous devez regarder la connaissance que vous avez de tout cela comme une des grâces les plus insignes, que sa divine Majesté vous ait faites; puisque vous y trouverez la somme et l'épilogue de la plus haute sainteté et de la plus sublime perfection, comme dans un brillant miroir; et que par son moyen vous découvrirez les voies de la divine lumière, par où vous marcherez avec sûreté, et hors des ténèbres de l'ignorance qui environnent les mortels (1). 784. Suivez-moi donc, ma fille, venez après moi. Et afin que vous m'imitiez comme je le veux, et que vous soyez éclairée en votre entendement, que vous ayez l'esprit élevé, le coeur dispos et la volonté généreuse, établissez-vous dans une sainte liberté, qui vous sépare de toutes les choses passagères, comme votre époux vous l'ordonne; éloignez-vous de tout ce qui est terrestre et visible, quittez toutes les créatures, renoncez à vous-même (2), fermez vos sens aux tromperies du monde et du démon (3). Et je vous avertis de ne pas beaucoup vous troubler ni affliger de ses tentations , parce que, s'il peut vous causer le moindre retardement dans le chemin de la vertu , il aura par là remporté sur vous une grande victoire, et vous ne (1) Prov., IV, 18; Joan., XII, 35. - (2) Matth., XVI, 24. - (3) Ps. XXXIX, 5. 32 vous fortifierez point dans la perfection. Donnez donc toutes vos attentions au Seigneur, qui désire de voir la beauté de votre âme (1), qui est libéral pour vous l'accorder, puissant pour vous enrichir des trésors de sa sagesse, et industrieux pour vous disposer à les recevoir. Laissez-lui graver dans votre coeur sa divine loi évangélique; travaillez à en faire votre étude continuelle, votre méditation durant le jour et la nuit (2), tout le sujet de votre souvenir, votre nourriture, la vie de votre âme, et le nectar de votre goût spirituel; car ainsi vous accomplirez ce que le Très-Haut demande de vous, ce que je souhaite et ce que vous désirez. CHAPITRE VII. Où sont indiquées plus expressément les fins du Seigneur en la doctrine qu'il enseigna à la très-pure Marie, et les manières avec lesquelles elle l'exécutait. 785. Il faut qu'une cause, quelle qu'elle soit, qui opère avec liberté et connaissance de ses actions, ait en elles quelque fin et quelques motifs par la considération desquels elle se détermine et se meuve à les (1) Ps. XLIV, 11. - (2) Ps. I, 2. 33 faire, et de la connaissance des fins s'ensuit le choix, ou l'élection des moyens pour y arriver. Cette règle est plus sûre dans les couvres de Dieu, qui est la suprême et la première cause, douée d'une sagesse infinie, par laquelle il dispose, exécute toutes choses (1), et atteint depuis une extrémité jusqu'à l'autre avec force et avec douceur, comme dit le Sage (2) , ne voulant jamais ni la destruction ni la mort, et faisant tout au contraire pour conserver aux créatures l'être et la vie. Plus les couvres du Très-Haut sont admirables, plus particulières et plus élevées sont les fins auxquelles il les fait servir. Et quoique la dernière fin de toutes soit sa propre gloire (3) et sa manifestation, il n'y a pas moins entre elles une coordination fixée par sa science infinie, comme une chaîne à plusieurs anneaux , qui, étant attachés de rang les uns aux autres, arrivent de la plus basse créature jusqu'à la plus haute et la plus immédiate, à Dieu, qui est l'auteur et la fin universelle de toute chose (4). 786. Toute l'excellence de la sainteté de notre grande Dame est comprise en ce que Dieu l'a faite une image vivante de son propre Fils, et si semblable à lui en la grâce et en ses opérations, qu'elle paraissait un autre Christ par communication et par privilège. Ce fut entre le Fils et la Mère un divin et ineffable commerce; car elle lui donna la forme et l'être de la nature humaine (5), et cet adorable Seigneur donna à sa très-pure Mère un autre âtre spirituel et de grâce, (1) Ps. CIII, 24; Sap., VIII, 1. - (2) Sap., I, 13 et 14. - (3) Prov., XVI, 4. - (4) Apoc., XXII, 13. - (3) Galat., IV, 4. 34 afin qu'ils se ressemblassent mutuellement sous ce rapport comme sous celui de leur humanité. Les fins qu'eut le Très-Haut furent dignes d'une si rare merveille, qui était la plus grande de ses oeuvres en une pure créature. Dans les chapitres précédents, savoir, le premier, le second et le sixième, j'ai dit quelque chose de ce qu'exigeaient à cet égard l'honneur de notre Rédempteur, et l'efficace de sa doctrine et de ses mérites; en effet il était comme nécessaire, pour mieux assurer l'un et attester l'autre, que l'on vît éclater en cette divine Mère la sainteté et la pureté de la doctrine de notre Seigneur Jésus-Christ, qui en était l'auteur et le Maître, et en même temps l'efficace de la loi évangélique et de l'œuvre de la rédemption, et que le tout tournât à la suprême gloire que la rédemption devait faire rejaillir sur notre aimable Sauveur. Aussi sa divine Mère en recueillit-elle. plus abondamment les fruits les plus exquis , à elle seule, que tous les autres enfants de la sainte Église et que tous les prédestinés. 787. La seconde fin qu'eut le Seigneur en cette oeuvre concerne également le ministère de Rédempteur; car les conditions de. notre rédemption devaient répondre à celles de la création du monde, et le remède du péché à son introduction : ainsi il convenait que, comme le premier Adam eut notre mère Ève pour compagne dans le péché; comme elle l'aida et le poussa à le commettre, et que le genre humain se perdit en lui comme en son chef (1), de même il arrivât (1) I Cor., XV, 47. 35 que, lors de la réparation d'une si grande perte, le second et le céleste Adam eût sa très pure Mère pour coadjutrice en la rédemption, et qu'elle concourut et coopérât au remède, quoique la vertu et la cause essentielle de la rédemption universelle fussent seulement en Jésus-Christ, qui est notre chef (1). Et, afin que ce mystère fut réalisé avec la dignité et la plénitude convenables, il fallut que s'accomplit entre notre Seigneur Jésus-Christ et la sainte Vierge ce que le Très-Haut dit lors de la formation de nos premiers parents : Il n'est pas bon que l'homme soit seul; faisons- lui un aide semblable à lui (2). Et c'est ce que le Seigneur fit, comme il le put; de sorte que, parlant dans cette occasion an nom du second Adam Jésus-Christ, il eut sujet de dire : Voici l'os de mes os, et la chair de ma chair; elle s'appellera d'un nom. qui marque l'homme, parce qu'elle a été prise de l'homme (3). Je ne m'arrête pas à faire un plus long exposé de ce mystère, puisqu'il se découvre de lui-même aux yeux de la raison , éclairée par la foi, et par la lumière divine, qui tonnait la ressemblance de Jésus-Christ et de sa très-sainte Mère. 788. Il y eut encore un autre motif qui concourut à ce mystère; et, quoique je le mette ici le troisième dans l'exécution, il fut pourtant le premier dans l'intention, parce qu'il regarde la prédestination éternelle de notre Seigneur Jésus-Christ, conformément à ce que j'ai dit dans la première partie. Car le motif de (1) Coloss., I, 18; I Tim., II, 6. -(2) Gen., II,18. - (3) Ibid., 93. 36 l'incarnation du Verbe et de sa venue au monde pour y être l'exemplaire et le Maître des créatures, et réaliser ainsi son premier objet, devait répondre à la grandeur d'une telle oeuvre, qui était la plus grande de toutes, et la fin immédiate à laquelle toutes devaient se rapporter. Or, afin que la divine Sagesse gardât cet ordre et cette proportion, il était convenable que parmi les simples créatures il y en eût une qui remplit les conditions posées par la volonté du Seigneur, en sa détermination de venir être notre Maître et nous élever à la dignité d'enfants adoptifs par sa doctrine et par sa grâce (1). Et si Dieu n'eût pas fait la très-pure Marie en la prédestinant entre les créatures par un degré de sainteté en rapport avec l'humanité de son très-saint Fils, le monde ne lui aurait pas offert ce motif par lequel (pourrions-nous dire dans notre grossier langage) il colorait et justifiait son dessein de s'humaniser, suivant l'ordre et le mode que nous a manifestés sa toute- puissance., Je fais réflexion ici sur ce qui arriva à Moïse portant les tables de la loi, écrites du doigt de Dieu (2) : quand il eut vu due le peuple adorait le veau d'or, il les brisa, regardant ces infidèles comme indignes d'un tel bienfait (3). Mais la loi fut écrite depuis sur d'autres tables faites parla main des hommes (4), et celles-ci furent conservées dans le monde. Les premières tables, formées par la main du Seigneur, où sa loi fut écrite, furent brisées par le premier (1) Galat., IV, 5. - (2) Exod., XXXI, 18. - (3) Exod., XXXII, 19. - (4) Exod., XXXIV, 4. 37 péché; et nous aurions été privés de la loi évangélique, si nous n'avions eu en Jésus-Christ et en Marie d'autres tables faites d'une autre manière : Marie, de la manière commune et ordinaire, et Jésus-Christ par le concours de la volonté et de la substance de cette auguste Dame (1). De sorte que si elle ne se fût point montrée digne de concourir et de coopérer à la détermination de cette loi, nous ne l'aurions point reçue. 759. La volonté de notre Seigneur Jésus-Christ embrassait toutes ces fins si relevées avec la plénitude de sa science et de sa grâce divine, enseignant les mystères de la loi évangélique à sa bienheureuse Mère. Et, afin qu'elle fût non- seulement instruite de tous, mais aussi des différentes manières d'entendre cette même loi, et qu'elle devint une si savante disciple qu'elle pût elle-même être ensuite une maîtresse consommée et la Mère de la Sagesse (2), le Seigneur se servait de divers moyens pour l'éclairer. Quelquefois c'était par cette vision abstractive de la Divinité, qui lui fut dès lors plus fréquente; et quand elle ne l'avait point, il lui restait comme une vision intellectuelle, plus habituelle et moins claire que l'autre. Et dans l'une et l'autre elle connaissait distinctement toute l'Église militante, suivant l'ordre des événements successifs qu'elle avait traversés depuis le commencement du monde jusqu'à l'incarnation, et suivant le développement qu'elle devait avoir jusqu'à la fin du monde, et ensuite dans la félicité éternelle. Cette connaissance (1) Luc., I, 88. - (2) Eccles., XXIV, 24. 38 était si claire et si distincte, quelle s'étendait sur tous les saints et les justes et sur tous ceux qui se distingueraient dans l'Église, comme les apôtres, les martyrs, les patriarches des religions, les docteurs, les confesseurs et les vierges. Notre Reine les connaissait tous individuellement aussi bien que leurs couvres, leurs mérites, la grâce qu'ils auraient, et la récompense qui devait y correspondre. 790. Elle connut aussi les sacrements que son très-saint Fils voulait instituer en sa sainte Église, l'efficace qu'ils auraient, les effets qu'ils produiraient en ceux qui les recevraient, selon leurs différentes dispositions; et comme le tout dépendait de la sainteté et des mérites de sou adorable Fils et notre Restaurateur (1), elle eut de même une connaissance claire de toute la doctrine qu'il devait prêcher et enseigner; des Écritures anciennes et de celles qui étaient à venir; de tous les mystères qu'elles renferment dans les quatre sens, savoir, le littéral, le moral, l'allégorique et l'anagogique, et de tout ce que les interprètes en devaient écrire. En outre, cette divine disciple pénétrait beaucoup d'autres choses; et elle comprit que cette science lui était communiquée afin qu'elle fût la Maîtresse de la sainte Église, comme elle la fut effectivement en l'absence de son très-saint Fils après sa glorieuse Ascension, et afin que les nouveaux fidèles réengendrés en la grâce eussent en cette auguste Dame une Mère amoureuse qui prit soin de les nourrir (1) Joan., I, 16. 39 au sein de sa doctrine comme avec un lait très-doux, aliment propre des enfants (1). De sorte que, pendant ces dix-huit ans qu'elle demeura avec son Fils, elle reçut et digéra, pour ainsi dire, la substance évangélique, qui est la doctrine de notre Sauveur Jésus-Christ, qu'elle recevait de ce mime Seigneur. Et, après l'avoir goûtée (2) et en avoir apprécié la force, elle en tira le doux aliment nécessaire pour nourrir la primitive Église, dont les jeunes enfants n'étaient pas encore assez forts pour prendre la nourriture solide de la doctrine, des Écritures et de l'imitation parfaite de leur Maître et Rédempteur. Et comme je dois traiter de cette matière dans la troisième partie, où elle trouvera sa place, je ne m'y étends pas ici davantage. 791. Indépendamment de ces visions et de ces illuminations, notre grande Reine recevait l'enseignement de son très-saint Fils en deux manières, dont j'ai déjà fait mention : d'abord, par la contemplation du miroir de son âme très-sainte et de ses opérations intérieures, et en quelque façon de la science même qu'il avait de toutes les causes; et c'était là un nouveau moyen par lequel elle apprenait les desseins du Rédempteur et Auteur de la sainteté, et les décrets relatifs à ce qu'il devait opérer par lui-même et par ses ministres dans l'Église. Ensuite par l'instruction extérieure et de vive voix : car le Seigneur conférait avec sa diane Mère de toutes les choses qu'il lui avait (1) I Petr., II,2. - (2) Prov., XXXI, 18. 40 manifestées en son humanité et en la Divinité. Il lui communiquait tout ce qui regardait l'Église jusque dans les moindres détails, et même les choses qui devaient correspondre aux temps et aux événements de la loi évangélique, du paganisme et des fausses sectes. Il informa de tout sa divine Disciple et notre auguste Maîtresse. De sorte qu'avant que le Seigneur eût commencé à prêcher, la sainte Vierge était versée en sa doctrine et l'avait déjà pratiquée avec une très-haute perfection; car la plénitude des oeuvres de cette grande Reine répondait à celle de sa sagesse et de sa science; et celle-ci fut si profonde, si pénétrante, si infaillible, que, comme elle n'ignorait rien, elle ne se trompa jamais ni dans ses idées ni dans ses paroles; n'omettant rien de nécessaire, n'ajoutant rien de superflu, elle ne prit jamais un ternie pour un autre, et n'avait pas besoin de réfléchir pour parler et pour expliquer les plus profonds mystères des Écritures, lorsqu'elle fut obligée de le faire dans la primitive Église. Instruction que la divine Mère me donna. 792. Ma fille, le Très-Haut, qui par lui-même a donné l'être et le donne à toutes les créatures, ne refusant à aucune sa grande providence, est, par un effet de sa bonté et de sa clémence, très-fidèle à répandre 41 sa lumière sur toutes les âmes, afin qu'elles puissent entrer dans le chemin de sa connaissance, et par là même dans celui de la vie éternelle (1), si elles n'y mettent aucun obstacle et n'obscurcissent cette même lumière par leurs péchés, qui leur font abandonner la conquête du royaume des cieux. Mais il se montre plus libéral envers ces âmes qu'il appelle par ses secrets jugements dans son Église (2); car il leur communique dans le baptême, avec la grâce de ce sacrement, des vertus qu'on appelle essentiellement infuses et, qu'elles ne sauraient acquérir par elles-mêmes; et d'autres qui sont accidentellement infuses et qu'elles pourraient acquérir par leurs oeuvres en coopérant à la grâce; mais le Seigneur les leur donne par anticipation , afin qu'elles soient plus promptes et plus ferventes à observer la sainte loi. Outre cette lumière commune de la foi, il ajoute à d'autres âmes, par sa clémence, d'autres dons particuliers et surnaturels d'une plus grande connaissance et d'une vertu plus relevée, pour les avancer en la pratique des bonnes œuvres et leur faire connaître les mystères de la loi évangélique. Et en ce bienfait il s'est montré plus libéral envers vous qu'envers une foule de générations : de sorte qu'il vous a obligée par là de vous distinguer en l'amour et en la correspondance que vous lui devez, et d'être toujours humiliée et abîmée dans votre propre néant. 793. Et, afin que vous soyez avertie de tout, je (1) Joan., I, 9. - (2) Matth., XI, 12. 42 veux, par un soin et par un amour maternel, vous découvrir, comme Maîtresse, la ruse avec laquelle l'ennemi tâche de renverser les oeuvres du Seigneur car aussitôt que la créature est arrivée à l'usage de la raison, elle est suivie par plusieurs démons vigilants et obstinés. Ainsi, au moment même où les âmes devraient élever leur entendement à la connaissance de Dieu et entreprendre les oeuvres des vertus infuses dans le baptême, ces ennemis de leur salut font avec une fureur et une adresse incroyables leurs efforts pour leur arracher cette divine semence; et, s'ils n'en peuvent venir à bout, ils tâchent ait moins d'en empêcher le fruit en portant les hommes à des actions vicieuses, inutiles et puériles. Par cette méchanceté ils les détournent d'user de la foi, de l'espérance et des autres vertus; de faire réflexion qu'ils sont chrétiens, et de s'attacher à la connaissance de leur Dieu et des mystères de la rédemption et de la vie éternelle. En outre, ils inspirent aux parents une nonchalance criminelle et un amour aveugle pour leurs enfants, et suggèrent aux précepteurs d'autres négligences, afin que les uns et les autres ne prennent point garde aux défauts qu'ils devraient corrigée, et qu'ils laissent ces pauvres enfants contracter plusieurs mauvaises habitudes et perdre les vertus et leurs bonnes inclinations, de sorte qu'ils prennent le chemin de la damnation. 794. Mais le miséricordieux Seigneur ne manque pas de parer à ce danger en redoublant la lumière intérieure par de nouveau secours et par de saintes inspirations : 43 par la doctrine de la sainte Église, par ses prédicateurs et par ses ministres; par l'usage et par le remède efficace des sacrements, et par d'autres moyens qu'il applique pour les remettre dans le chemin de la vie. Et si avec tant de, remèdes il y a si peu d'hommes qui recouvrent la santé spirituelle, la cause la plus puissante qui les en prive se trouve dans l'empire fatal des vices et des passions désordonnées auxquels ils se sont livrés dès leur jeune âge. Car cette sentence du Deutéronome est véritable: La vieillesse sera comme les jours de la jeunesse. C'est ainsi que les démons s'enhardissent et prennent un empire plus tyrannique sur les âmes, convaincus due, comme ils se les sont assujetties lorsqu'elles avaient de moindres péchés, ils se les assujettiront plus facilement encore quand elles en commettront sans crainte beaucoup de plus énormes. De sorte qu'ils ne cessent de les y pousser et de leur inspirer une nouvelle témérité, parce que la créature diminue ses forces spirituelles à mesure qu'elle augmente le nombre de ses péchés, et elle se soumet de plus en plus au démon, c'est-à-dire à un ennemi acharné qui acquiert sur elle un pouvoir absolu, et l'enchaîne si cruellement à sa corruption et à sa misère, qu'elle succombe sous le poids de son iniquité et se laisse entraîner au gré de son vainqueur de précipice en précipice, d'abîme en abîme : juste châtiment infligé à celle qui s'y est assujettie par le premier péché(1). C'est par ces moyens que Lucifer a jeté (1) Ps. XLI, 7. 44 un si grand nombre d'âmes dans les enfers, et qu'il y en précipite chaque jour, s'élevant en son orgueil contre Dieu (1). Il a introduit par là dans le monde sa tyrannie et l'oubli des quatre fins de l'homme, la mort, le jugement, l'enfer, le paradis : et il a 'roulé tant de nations d'abîme en abîme, jusqu'à les faire tomber dans des erreurs aussi brutales que le sont toutes les hérésies et toutes les fausses sectes des infidèles. Prenez donc bien garde, ma fille, à ce danger formidable, et faites en sorte de ne perdre jamais le souvenir de la loi de Dieu, de ses commandements (2), des vérités catholiques et de la doctrine évangélique. Ne laissez passer aucun jour sans en employer une bonne partie à les méditer; conseillez à vos religieuses d'en faire de même, aussi bien qu'à tous ceux à qui vous parlerez; car le démon, leur ennemi, travaille sans relâche à obscurcir leur entendement (3) et à lui faire oublier la loi divine, afin qu'il ne conduise point la volonté, qui est une puissance aveugle, aux actes propres à assurer la justification que l'on acquiert par une foi vive, par une ferme espérance, par un amour fervent et par un coeur contrit et humilié (4). (1) Ps. LXXIII, 23. - (2) Ps. CXVIII, 92. - (3) I Petr., V, 8. - (4) Ps. I, 19. 45 CHAPITRE VIII. Où il est déclaré comment notre grande Reine pratiquait la doctrine de l'Évangile, que son très-saint Fils lui enseignait. 735. Notre adorable Sauveur, commençant à sortir de l'enfance, croissait en âge et en oeuvres, accomplissant en toutes et en chacune ce que le Père éternel lui avait recommandé pour le salut des hommes. Il ne parlait point en public, et il ne faisait pas non plus alors en Galilée des miracles aussi éclatants que ceux qu'il avait faits auparavant en Égypte, ou que ceux qu'il fit dans la suite. Mais il opérait toujours secrètement de grands effets dans les âmes et clans les corps de beaucoup de personnes. Il visitait les pauvres et les malades; il consolait les affligés, et il conduisait ceux-là aussi bien que plusieurs autres au salut éternel, les éclairant par des conseils particuliers, et les excitant par des inspirations et des faveurs intérieures à se convertir à leur Créateur, et à s'éloigner du démon et de la mort. Ses bienfaits étaient continuels, et c'est pour les répandre qu'il sortait souvent de la maison de sa bienheureuse Mère. Et, quoique les hommes remarquassent qu'ils étaient émus et renouvelés par sa présence et par ses paroles, néanmoins, comme ils 46 ignoraient le mystère, ils en étaient fort surpris, ne sachant à qui en attribuer la cause, sinon à Dieu même. L'auguste Maîtresse de l'univers connaissait, dans le miroir de l'âme très-sainte de son Fils et par d'autres voies, toutes les merveilles qu'il faisait; et, se trouvant seule avec lui, elle l'adorait toujours prosternée , et lui eu rendait ales actions. de grâces. 796. Le très-doux Jésus passait le reste du temps avec sa Mère, l'employant à faire oraison, à l'enseigner et à lui communiquer les soins qu'il prenait ale son cher troupeau (1), les mérites qu'il voulait multiplier pour son remède, et les moyens qu'il avait résolu d'appliquer à son salut. La très-prudente Mère était attentive à tout, et y coopérait par sa haute sagesse et par son amour divin, en prenant sa part dans les offices de père, de frète, d'ami, de mitre, d'avocat, de protecteur et de restaurateur, qu'il commençait à remplir en faveur du genre humain. Ces communications avaient lieu ou par paroles ou par les opérations intérieures, par le moyen (lesquelles le Fils et la Mère se parlaient et s'entendaient aussi. Le divin Enfant lui disait : Ma Mère, le résultat de mes oeuvres, sur lequel je veux établir l'Église, doit être une doctrine et une science dont l'adoption et la mise en pratique procureront la vie et le salut (les hommes; une loi sainte, efficace et puissante pour enlever le mortel venin que Lucifer a jeté dans leur coeur avec le premier péché. Je veux qu'ils se spiritualisent (1) Joan., X, 14. au moyen de mes préceptes et de mes conseils; qu'ils s'élèvent à nia participation et à ma ressemblance; qu'ils soient les dépositaires de mes trésors dans l'état de leur mortalité, et qu'ils arrivent ensuite à la participation de ma gloire éternelle. Je veux renouveler dans le monde la loi que j'ai donnée à Moïse, et lui communiquer une plus grande perfection, une nouvelle lumière et une efficace spéciale, afin qu'elle renferme des préceptes et des conseils. " 797. La divine Mère connaissait avec une très-profonde science tous ces projets du Maître de la vie, les recevait, les honorait, et en témoignait sa reconnaissance avec un très-grand autour au nom de tout le genre humain. Et comme le Seigneur lui découvrait tous ces grands mystères en général, et chacun en particulier, elle connaissait en mégie temps l'efficace qu'il donnerait à tous aussi bien qu'à la loi de l'Évangile; et, pénétrant les effets que cette même loi produirait dans les âmes si elles l'observaient, et la récompense qu'elles acquerraient, elle lit dès lors toutes ses actions comme si elle les eût faites pour chacun des hommes. Elle connut distinctement les quatre Évangiles, avec leur texte spécial et les mystères que chacun des évangélistes écrirait. Elle comprit toute leur doctrine : car sa science surpassait celle des évangélistes mêmes et des autres écrivains sacrés; de sorte qu'elle eût pu être leur maîtresse, et leur exposer la première toutes ces choses sans avoir besoin de leurs récits. Elle sut aussi que cette science (48) était comme tirée de celle de Jésus-Christ, et que par elle les Évangiles qu'on allait écrire étaient comme copiés en son âme et s'y trouvaient en dépôt, comme les tables de la loi dans l'Arche du Testament (1), afin qu'ils tinssent lieu de légitimes et véritables originaux à tous les saints et à tous les justes de la loi de grâce : parce qu'ils devaient tous imiter la sainteté et les vertus de l'auguste Marie, qui se trouvait dans les trésors de la grâce. 798. Son divin Maître lui fit aussi comprendre l'obligation qu'il lui imposait d'opérer et d'exécuter toute cette doctrine avec une sublime perfection pour les très-hautes fins qu'il avait dans ce rare bienfait. Et s'il fallait raconter ici avec combien d'excellence et d'exactitude notre grande Reine l'accomplit, il faudrait renfermer dans ce chapitre toute sa vie, puisqu'elle fut un sommaire de l'Évangile tiré de son Maître, son propre Fils. Qu'on tâche de voir ce que cette doctrine a opéré dans les apôtres, dans les martyrs, dans les confesseurs, dans les vierges et dans les autres saints qui ont para, et ce qu'elle doit opérer dans tous ceux qui paraîtront jusqu'à la tin du monde; personne ne saurait le déclarer ni comprendre, excepté le Seigneur même. Or considérons que tous les saints et tous les justes ont été conçus dans le péché; que tous ont mis quelque obstacle à la grâce; que nonobstant cela ils out pu croître en vertus, en sainteté et en perfection. Mais ils offraient toujours des vides (1) Hebr., IX, 1. 49 où cette grâce ne se trouvait point, tandis que notre auguste Princesse n'eut aucun de ces défauts en la sainteté (1); elle seule fut une matière parfaitement disposée, sans aucune forme qui contrariât l'action du puissant bras du Seigneur et qui s'opposât à ses dons elle reçut sans embarras et sans résistance le torrent impétueux de la Divinité (2), qui lui était communiqué par son propre Fils, Dieu véritable. C'est assez dire que nous ne parviendrons que dans la claire vision du Seigneur, et dans cette félicité. éternelle, à connaître d'une manière satisfaisante la sainteté et l'excellence de cette merveille de son pouvoir infini. 799. Or, j'ai beau vouloir déclarer maintenant quelque chose de ce qui m'en a été manifesté, mime en m'en tenant à des généralités, je ne trouve point de termes pour m'exprimer; car notre grande Reine gardait les préceptes et les conseils de l'Évangile selon la profonde intelligence qu'elle en avait reçue, et il n'est aucune créature qui puisse connaître la sublimité de la science de cette Mère de la sagesse eu la doctrine de Jésus-Christ : le peu que nous en concevons surpasse tout ce que nous en pouvons dire. Mais mettons ici pour exemple la doctrine de ce premier sermon que, comme le rapporte saint Matthieu (3) au chapitre cinquième, le Maître de la vie fit à ses disciples sur la montagne, en y comprenant l'abrégé de la perfection évangélique, sur laquelle il (1) Rom., V, 12; I Joan., I, 8. - (2) Ps. XLV, 5. - (3) Matth., V, 2. 50 établissait son Église, et en déclarant bienheureux tous ceux qui suivraient cette doctrine. 800 Bienheureux, dit notre divin Maître, sont les pauvres d'esprit, car le royaume du ciel est à eux (1). Ce fut le premier et le solide fondement de toute la vie évangélique. Et bien que les apôtres, et après eux notre père saint François, en aient fait une très-haute estime, l'auguste Marie néanmoins est la seule qui ait pénétré ce que la pauvreté d'esprit a de plus sublime, et qui l'ait observée avec toute la perfection possible, égalant cette pratique à l'idée qu'elle en avait. Les images des richesses temporelles n'entrèrent point dans son coeur, elle en ignora les désirs; mais, aimant les choses comme ouvrages du Seigneur, elle abhorrait les richesses en ce quelles étaient un achoppement et un embarras qui détournait l'amour divin; aussi n'en usa-t-elle qu'avec beaucoup de réserve, et qu'autant qu'elles la portaient ou l'aidaient à glorifier le Créateur. De sorte que la prérogative de Reine du ciel et la possession de toutes les créatures étaient comme dues à cette très-parfaite et admirable pauvreté. Tout cela est véritable; mais tout cela est peu de chose, si nous considérons avec quelle. sage vigilance et avec quelle estime celte grande Dame garda le trésor de la pauvreté d'esprit, qui est la première béatitude. 801. La seconde était celle-ci : Bienheureux sont ceux qui ont l'esprit doux, car ils auront la terre pour héritage (2). En cette doctrine et en sa pratique la (1) Matth., V, 3. - (2) Ibid., 4. 51 très-pure Marie surpassa par son incomparable douceur, non-seulement tous les mortels, comme Moïse tous ses contemporains (1), mais les anges et les séraphins eux-mêmes, parce que cette candide colombe fut en chair mortelle plus exempte de trouble et de colère en son intérieur et en ses puissances que les esprits qui ne sont point doués de notre sensibilité. Elle fut à ce degré inexplicable maîtresse de ses puissances et des opérations de son corps terrestre aussi bien que des coeurs de tous ceux qui l'abordaient, et elle possédait la terre en toutes les manières, l'assujettissant à sa douce et paisible obéissance. La troisième : Bienheureux sont ceux qui pleurent, car ils seront consolés (2). L'auguste Marie connut l'excellence des larmes et leur valeur aussi bien que la folie et le danger de la vaine joie du monde (3) au-dessus de tout ce qu'on peut dire : en effet, tandis que tous les enfants d'Adam, conçus dans la faute originelle et ensuite souillés par les péchés actuels, s'abandonnent à la joie et au plaisir, cette divine Mère, exempte qu'elle était de tout péché, comprit que la vie mortelle était pour pleurer l'absence du souverain Bien et les péchés qui ont été et qui sont commis contre lui : elle les pleura amèrement pour tous, et ses très-innocentes larmes méritèrent les consolations et les faveurs qu'elle reçut du Seigneur. Son coeur très-pur fut toujours en proie à la douleur à la vue des offenses (1) Num., XII, 8. - (2) Matth., V, 8. - (8) Ps. CXXV, 8; Prov., XIV, 13. 52 qu'on faisait à son bien-aimé et son Dieu éternel; de sorte que ses yeux en donnaient des marques continuelles (1), et son pain ordinaire (2) était de pleurer jour et nuit les ingratitudes que les pécheurs commettaient contre leur Créateur et leur Rédempteur. La cause des gémissements et des larmes se trouve, à cause du péché, dans les créatures, et celle de la joie et de la consolation, en Marie par la grâce , et cependant toutes les créatures ensemble n'ont plus pleuré que la Reine des anges. 802. En la quatrième béatitude, qui rend bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice (3), nôtre divine Dame pénétra le mystère de cette faim et de cette soif, qui furent plus grandes en elle que le dégoût qu'en ont eu et qu'en auront tous les ennemis de Dieu. Car, parvenue au faite de la justice et dé la sainteté, elle aspira toujours à s'élever davantage; elle était toujours altérée de mérites, et à cette soif répondait la plénitude de grâce dont le Seigneur la rassasiait en lui versant le torrent de ses trésors et la douceur de la Divinité. En la cinquième béatitude, des miséricordieux, parce qu'ils obtiendront miséricorde (4) de Dieu, elle eut un degré si excellent et si noble, qu'il n'a pu se trouver qu'en elle ; c'est pourquoi on l'appelle la Mère de la miséricorde, comme Dieu est appelé le Père des miséricordes (5). De sorte qu'étant très-innocente et sans aucun péché pour lequel elle (1) Jerem., IX, 1. - (2) Ps. XLI, 4. - (3) Matth., V, 6. - (4) Ibid., V, 7. - (5) II Cor., I, 3. 53 eût besoin de solliciter la miséricorde du Seigneur, elle eut pitié de tout le genre humain à un point incompréhensible, et par cette pitié elle le secourut. Et comme elle connut par la plus haute science toute l'excellence de cette vertu, elle n'a refusé et ne refusera jamais de l'exercer envers ceux qui l'imploreront (1), imitant très-parfaitement Dieu en cela, comme aussi dans le zèle avec lequel elle allait au- devant de leurs nécessités pour leur offrir le remède. 803. La sixième béatitude, qui regarde ceux qui ont le coeur pur, pour voir Dieu (2), fut réalisée en la sainte Vierge d'une manière incomparable; car elle était élue comme le soleil (3), imitant à la fois le véritable Soleil de justice et l'astre matériel qui nous éclaire, et qui ne se souille point par les immondices de notre globe; ni le coeur, ni les puissances de notre pudique Princesse ne reçurent jamais la moindre image des choses impures : ces sortes d'impressions étaient comme impossibles cri elle, à cause de la sainteté de ses très-chastes pensées; c'est cet état qui détermina, dès le premier instant, cette vision de la Divinité dont jouit son coeur, ainsi que les autres faveurs dont il est fait mention dans cette histoire, quoiqu'elles ne pussent être que passagères et intermittentes à cause de sa qualité de voyageuse. La septième béatitude, celle des pacifiques, qui seront appelés les enfants de Dieu (4) , fut accordée à notre Reine (1) Isa., XXX, 18 ; Ps., LVIII, 18. - (2) Matth., V, 8. - (3) Cant., VI, 9. - (4) Matth., V, 9. 54 avec une sagesse admirable, car elle en avait besoin pour conserver la paix de son coeur et dé ses puissances dans les alarmes et les tribulations de la vie, de la passion et de la mort de son très-saint Fils. Dans toutes ces occasions aussi bien que dans les autres elle montra, comme un portrait vivant, le calme de ce pacifique Seigneur. Jamais elle ne se troubla d'une manière désordonnée, et, restant toujours la Fille parfaite du Père céleste, elle sut supporter les plus grandes peines avec une paix inaltérable. C'est surtout par l'excellence de ce don qu'elle mérita le titre de Fille du Père éternel. La huitième béatitude, qui s'applique à ceux qui soufrent persécution pour la justice (1), se trouva en notre très-sainte Dame dans le plus haut degré possible car lorsque les hommes ôtèrent l'honneur et la vie à son adorable Fils et Seigneur de l'univers pour leur avoir prêché et enseigné la justice, et cela dans les circonstances qui accompagnèrent cet attentat, il n'y eut que Dieu et la seule Marie qui le souffrirent avec quelque égalité, puisqu'elle était la véritable Mère de son très-cher Fils, comme le Seigneur en était le Père. Cette grande Dame fut la seule qui imita sa Majesté dans la souffrance de cette persécution, persuadée qu'elle devait pratiquer jusque-là la doctrine que son divin Maître enseignerait dans l'Évangile. 804. Voilà comment je puis faire comprendre jusqu'à un certain point ce que j'ai appris de la science (1) Matth., V, 10. 55 que notre grande Dame apportait dans la méditation et dans la pratique de la doctrine de l'Évangile. Et ce que je viens de dire des béatitudes pourrait aussi être appliqué aux préceptes, aux conseils, et aux paraboles de l'Évangile, tels que les préceptes d'aimer nos ennemis, de pardonner les injures, de faire les bonnes oeuvres sans ostentation , de fuir l'hypocrisie (1), tous les conseils qui tendent à la perfection ; les paraboles du trésor, de la perle, des vierges, du semeur, des talents (2), et tous les mystères que les quatre Évangiles renferment. Car elle en pénétra toute la doctrine, aussi bien que les très-hautes fins auxquelles notre divin Maître rapportait ces choses; elle sut aussi tout ce qui était le plus saint et le plus conforme à sa divine volonté,-et comment on le devait pratiquer; et elle agit en conséquence sans en omettre un seul point (3). De sorte que nous pouvons appliquer à cette auguste Dame ce que notre Seigneur Jésus-Christ a dit de lui- même, savoir qu'il n'était pas venu détruire la loi, mais l'accomplir (4). (1) Matth., V, 44 ; VI, 3, 15 ; Luc., XVII, 4. - (2) Matth., XIII, 44 et 45; XXV, 1, 15; Luc., XIX, 13. - (3) Matth., V, 17, etc. - (4) Ibid., 17. 56 Instruction que j'ai reçue de la Reine du ciel. 805. Ma fille, il faut que le véritable maître de la vertu enseigne ce qu'il exerce, et qu'il exerce lui-même ce qu'il enseigne aux autres; car l'instruction et l'action sont les deux parties de ses fonctions. Si les paroles enseignent l'auditeur, l'exemple l'excite et le convainc en même temps de l'objet de la leçon qu'il apprend à mettre en pratiqué. C'est ce que fit mon très-saint Fils, et ce que je fis aussi à son imitation. Mais comme sa divine Majesté ni moi non plus ne devions pas toujours demeurer au monde, elle voulut laisser les saints Évangiles comme une copie de sa vie et de la mienne aussi, afin que les enfants de la lumière, croyant en cette même lumière et la suivant (1), conformassent leur vie à celle de leur Maître par l'observance de la doctrine évangélique qu'il leur laissait; en effet, le Seigneur a reproduit dans sa propre vie toutes les leçons qu'il m'a enseignées et qu'il m'a ordonné de pratiquer à son imitation. Voilà l'importance des sacrés Évangiles, pour lesquels vous devez avoir une très-grande estime et une très-haute vénération. Car je veux que vous sachiez que pour mon très-saint Fils et pour moi, il est également doux et glorieux de voir ses divines paroles, et celles qui renferment l'histoire de sa vie, dignement estimées et (1) Joan., XII, 36. 57 révérées des hommes; et qu'au contraire le Seigneur regarde comme une grande injure que les enfants de l'Église méprisent les Évangiles et sa doctrine, comme le font tant de chrétiens qui ne comprennent, ne considèrent et ne reconnaissent point ce bienfait, et qui n'en font non plus de cas que s'ils étaient païens, ou s'ils n'avaient point la lumière de la foi. 806. Vos obligations sont grandes à cet égard, parce que je vous si avertie de l'estime que je faisais de la doctrine évangélique, et des soins que je prenais de la mettre en pratique, et si en cela vous n'avez pas pu connaître tout ce que j'opérais et pénétrais, car votre capacité ne saurait aller jusque-là, du moins je vous ai témoigné par mes communications plus de bonté qu'à aucune nation. Travaillez donc avec le plus grand zèle à y correspondre, et à ne point perdre l'amour que vous avez conçu par l'étude des sacrées Écritures, et surtout par celle des Évangiles, et de la très-haute doctrine qu'ils contiennent. Elle doit être, cette doctrine, la lampe allumée dans votre coeur (1), et ma vie vous doit servir d'exemplaire, sur lequel vous règlerez la vôtre. Considérez combien il vous importe de le faire avec toute la diligence possible, et que si vous le faites, mon très-saint Fils en recevra une grande satisfaction, et je m'engagerai de nouveau à exercer envers vous l'office de mère et de maîtresse. Craignez le danger auquel s'exposent ceux qui ne sont point attentifs aux inspirations divines, car une (1) Ps. CXVIII, 105. 58 infinité d'âmes se perdent par cette inattention. Et les appels que vous fait la miséricorde libérale du Tout-Puissant sont si fréquents et si admirables, que si vous n'y répondiez pas, votre grossière et coupable indifférence serait horrible aux yeux du Seigneur, aux miens et à ceux de ses saints. CHAPITRE IX. Où il est déclaré comment la très-pure Marie connut les articles de foi que la sainte Église devait croire, et ce que cette auguste Dame fit à la suite de cette faveur. 807. Le fonderaient immuable de notre justification , et le principe de toute sainteté, c'est la foi aux vérités que Dieu a révélées à sa sainte Église; c'est sur cette base solide qu'il les a établies, comme un très-prudent architecte qui bâtit sa maison sur la pierre ferme, afin qu'en cas d'inondation, les torrents les plus impétueux ne puissent point l'ébranler (1). Tel est le secret de la stabilité (2) de cette invincible Église évangélique, catholique et romaine, qui est une : une, en l'unité de la foi, de l'espérance (1) Luc., VI, 48. - (2) I Tim., III, 15. 59 et de la charité qui y règnent (1); une, sans ces divisions et ces contradictions que l'on découvre dans toutes les synagogues de Satan (2), c'est-à-dire dans toutes les fausses sectes et dans toutes les hérésies, qui sont si pleines de ténèbres et d'obscurités, que non-seulement elles se combattent les unes les autres et choquent toutes la raison, mais encore, que chacune se combat elle-même par ses propres erreurs, en affirmant et croyant des choses si opposées, que les unes détruisent les autres. Notre sainte foi ne cesse de triompher de toutes ces fausses sectes, sans que les portes de renier prévalent un instant contre elle (8), quelques efforts que le démon ait faits et puisse faire pour l'attaquer, et pour en cribler les fidèles comme on crible le froment, ainsi que Maître de la vie le dit à son vicaire saint Pierre (4), et en lui à tous ses successeurs. 808. Afin que notre Reine et Maîtresse reçût une parfaite connaissance de toute la doctrine évangélique et de la loi de,grâce, il fallait faire entrer dans l'océan de ces merveilles et de ces grâces la connaissance de toutes les vérités catholiques qui devaient être crues des fidèles au temps de la prédication de l'Évangile, et notamment celle des articles auxquels ces mêmes vérités sont réduites comme à leurs principes. Car tout cela trouvait place dans la capacité de cette auguste Dame; tout pouvait être confié à son incomparable (1) Ephes., IV, 5 ; I Cor., I, 18. - (2) Apoc., II, 9. - (3) Matth., XVI, 18. - (4) Luc., XXII, 31. 60 sagesse, jusqu'aux articles et ana vérités catholiques qui la regardaient, et que l'on devait croire dans l'Église; aussi connut-elle. toutes, ces choses, comme je le dirai plus tard, avec les circonstances des temps, des lieux, des moyens et des manières, au milieu desquelles elles se succéderaient dans les siècles futurs, au moment opportun où la manifestation en serait nécessaire. Or, pour en informer cette bienheureuse Mère, et particulièrement de cet articles, le Seigneur lui donna une vision de la Divinité sous cette forme abstractive dont j'ai parlé en d'autres endroits, et elle y découvrit les profonds mystères que cachent les jugements impénétrables du Très-Haut et de sa providence; elle y sut aussi avec combien de douceur dans son infinie bonté avait dispensé le bienfait de la sainte foi infuse, afin que les hommes, privés de la vue de la Divinité, pussent tous indistinctement la connaître sans peine et en peu de tempe, sans attendre ni chercher cette connaissance parla science naturelle, d'ailleurs si bornée, que fort peu de personnes acquièrent. Mais notre foi catholique, dès le premier usage de la raison, nous élève à la connaissance, non-seulement de la Divinité en trois personnes, mais de l'humanité de notre Seigneur Jésus-Christ, et des moyens qu'il a établis pour nous faire arriver à la vie éternelle: connaissance que ne sauraient acquérir les sciences humaines , toujours stériles et impuissantes, si elles ne sont fécondées et vivifiées par la vertu de la foi divine. 809. Dans cette vision nôtre grande Reine approfondit 61 tous ces mystères et tout ce qu'ils contiennent; elle apprit encore que la sainte Église recevrait dès sa naissance les quatorze articles de la foi catholique, et qu'elle définirait ensuite à divers époques plusieurs vérités, qui étaient renfermées dans ces mêmes articles et dans les saintes Écritures, comme en leurs racines, qui étant cultivées produisent leurs fruits. Après avoir connu tout cela dans le Seigneur, elle le vit en sortant de l'extase dont je viens de parler, par une autre. vision ordinaire que j'ai aussi mentionnée; savoir en l'âme, très-sainte de Jésus-Christ; et elle découvrit que toutes les parties de ce plan divin étaient tracées d'avance dans l'entendement du souverain Architecte. Puis elle en conféra avec sa Majesté, elle sut comment elles seraient exécutées, et quelle serait la première à les adopter par une croyance expresse et parfaite, et à l'instant elle fit une profession spéciale de chacun des articles de foi. Dans le premier des sept concernent la Divinité, elle comprit par la foi que le véritable Dieu était unique, indépendant, nécessaire, infini, immense en ses attributs et en ses perfections, immuable et éternel ; et combien il était juste et nécessaire que les hommes crussent et confessassent cette vérité. Elle rendit des actions de grâces pour la révélation de cet article, et pria son très-saint Fils de continuer : cette faveur envers le genre humain, et de donner des grâces Aux hommes, afin qu'ils la reçussent et qu'ils connussent la véritable Divinité. Par cette lumière infaillible (quoique obscure) elle apprécia le péché de l'idolâtrie, 63 qui ignore cette vérité , et elle le pleura avec une amertume et une douleur inexprimables; et voulant le réparer, elle fit avec ardeur des actes de foi et de vénération qu'elle adressa au seul et véritable Dieu; elle en fit aussi plusieurs autres de toutes les vertus qu'exigeait cette connaissance. 810. Le second article, qui est de croire qu'il est Père , elle le crut de même , et elle comprit qu'il était donné afin que les mortels passassent de la connaissance de la Divinité à celle de la Trinité des personnes divines, ainsi que des autres articles qui l'expliquent et la supposent, et que par là ils parvinssent à connaître parfaitement leur dernière fin, comment ils en doivent jouir, et les moyens d'y arriver. Elle découvrit que la personne du Père ne pouvait point procéder d'une autre, qu'elle était comme l'origine de tout, et que pour ce sujet on lui attribue la création du ciel et de la terre, aussi bien que de toutes les autres créatures, comme à Celui qui, sans principe lui-même, est le principe de tout ce qui a l'être. Notre divine Dame rendit pour cet article des actions de grâces su nom de tout le genre humain, et fit tout ce que cette vérité demandait. Le troisième article, qui nous oblige de croire que le même Dieu est Fils, cette Mère de la grâce le crut avec une lumière et une connaissance très-particulière des processions au dedans; dont la première dans l'ordre d'origine est la génération éternelle du Fils, qui est engendré par l'acte de l'entendement, et qui fa été de toute éternité du seul Père, auquel il est non point inférieur, 63 mais égal en la divinité, en l'éternité, en l'infinité et tous les attributs. Le quatrième article, qui est de croire qu'il est Esprit-Saint, elle le crut et le pénétra en sachant que la troisième personne du Saint-Esprit procède du Père et du Fils comme d'un principe par l'acte de la volonté, étant égal aux deux personnes, sans qu'il y ait entre les trois aucune autre différence que la distinction personnelle, qui résulte des émanations et des processions infinies de l'entendement et de la volonté. Et quoique la très-pure Marie eût déjà puisé des notions spéciales sur ce mystère dans les visions dont j'ai parlé ailleurs, elles lui furent renouvelées cette fois avec l'indication des détails et des circonstances qui en devaient faire des articles de foi en la nouvelle Église; et avec l'intelligence des hérésies que Lucifer dresserait contre ces articles, telles qu'il les avait forgées dès qu'il fut tombé du ciel, et qu'il eut appris que le Verbe allait s'incarner. Notre auguste Princesse offrit des actes sublimes contre toutes ces erreurs, en la manière que j'ai marquée plus haut (n° 123). 811. Le cinquième article, qui dit que le Seigneur est Créateur, la très-pure Marie le crut, en concevant qu'encore que la création de toutes les choses soit attribuée au Père, elle est pourtant commune à toutes les trois personnes, en ce qu'elles sont un seul Dieu infini et tout-puissant; que les créatures dépendent de lui seul en leur être et en leur conservation, et qu'aucune, fût-ce un ange, n'a le pouvoir d'en créer une autre, fût-ce un vermisseau, en la tirant 64 du néant (c'est là proprement la création), parce que celui-là seul qui est indépendant en son être peut opérer sans aucune dépendance d'une autre cause quelconque. Elle prévit le besoin que l'Église aurait de cet article contre les tromperies de Lucifer, afin que Dieu fût honoré et reconnu pour l'auteur de toutes choses. Le sixième article le déclare Sauveur; elle le pénétra de nouveau. avec tous les mystères de la prédestination, de la vocation et de la justification finale qu'il renferme, et qui regardent aussi les réprouvés, qui, pour n'avoir pas profité des moyens salutaires que la miséricorde divine leur avait donnés et leur donnerait, perdraient la félicité éternelle. Cette très-fidèle Dame comprit aussi que le titre de Sauveur appartenait sua trois personnes divines , mais surtout, à celle du Verbe -en tant qu'homme, parce qu'il devait se livrer pour le prix de la rédemption; et que Dieu accepterait son sacrifice comme une satisfaction suffisante pour les péchés originel et actuels. Cette grande Reine méditait tous les sacrements et tous les mystères que la sainte Église devait recevoir et croire : et dans la connaissance qu'elle en avait, elle faisait des actes très-relevés de plusieurs vertus. Dans le septième article, qui le proclame glorificateur, elle pénétra ce qu'il promettait aux mortels relativement à la félicité qui leur était préparée dans la jouissance et dans la vision béatifique et combien il leur importe de croire cette vérité; pour se disposer à acquérir cette gloire, et de ne point se regarder comme habitants de la terre, mais comme 65 pèlerins et citoyens du ciel (1), afin de se consoler par cette foi et par cette espérance au milieu des tristesses de leur exil. 812. Notre grande Reine eut une égale connaissance des sept articles qui regardent l'humanité ; mais ce fut avec de nouveaux effets en son très-candide et très- humble coeur. Car à propos du premier, qui dit que son très-saint Fils fut conçu en tant qu'homme par l'opération du Saint-Esprit ; comme ce mystère s'était opéré dans son sein virginal, la très-prudente Dame éprouva, en sachant que ce serait un article de foi en la sainte Église militante aussi bien que les autres points qui suivent, des sentiments inexplicables. Elle s'humilia au-dessous de toutes les créatures et jusqu'au centre de la terre, elle descendit par la méditation dans le néant d'où elle avait été tirée, elle creusa de nouveaux fondements d'humilité pour le haut édifice que la droite du Tout-Puissant bâtissait dans sa très-sainte Mère, je veux dire pour la plénitude de science infuse et de perfection excellente dont il la comblait. Elle loua le Très-Haut et lui rendit des actions de grâces pour elle-même et pour tout le genre humain, de ce qu'il avait choisi un moyen si admirable et si efficace, de s'attirer tous les coeurs, en obligeant les hommes, après avoir opéré ce bienfait, à l'avoir présent parla foi chrétienne. Elle en fit de même pour le second article, qui déclare que notre Seigneur Jésus-Christ est né de Marie. (1) Ephes., II, 19. 66 vierge avant, pendant et après l'enfantement. Elle considéra ce mystère de son inviolable virginité dont elle faisait une si grande estime, et du choix que le Seigneur avait fait d'elle pour sa Mère, dans ces conditions et entre toutes les créatures; la dignité et la convenance de ce privilège, tant pour la gloire du Seigneur que pour son propre honneur, enfin la certitude de foi catholique avec laquelle la sainte Église enseignerait et professerait tous ces points; mais on ne saurait élever le langage à la sublimité des actes et des oeuvres qu'elle fit clans la créance et l'intelligence de toutes ces vérités et des autres, car elle traita chacun de ces mystères avec la plénitude de magnificence, de culte, de foi, de louange et de gratitude qu'il demandait, s'humiliant et s'abîmant toujours plus dans le néant à mesure qu'elle était plus glorifiée. 813. Le troisième article porte que notre Seigneur Jésus-Christ a souffert la mort et la passion. Le quatrième, qu'il est descendu aux enfers, et qu'il délivra les dores des saints Pères qui étaient dans les limbes en attendant sa venue. Le cinquième, qu'il est ressuscité des morts. Le sixième, qu'il est monté aux cieux et qu'il est assis à la droite du Père éternel. Le septième, qu'il viendra de là juger les vivants et les morts au jugement universel, pour donner à chacun ce qu'il aura mérité par ses ouvres. L'auguste Marie crut et connut ces articles comme tous les autres; elle en pénétra la substance , l'ordre, les convenances, et découvrit le besoin que les hommes avaient de cette foi. 67 Elle seule en a rempli le vide et a suppléé aux manquements de tous ceux qui n'ont point cru et qui ne croiront point, aussi bien qu'à notre tiédeur à croire les divines vérités , en leur donnant l'estime, la vénération et les effets de reconnaissance qu'elles exigent. L'Église appelle cette grande Reine bienheureuse, non-seulement parce qu'elle crut l'ambassadeur du ciel (1), mais aussi parce qu'elle crut ensuite les articles qui se formulèrent et se réalisèrent dans son sein virginal, et elle les crut pour elle-même et pour tous les enfants d'Adam. Elle fut la Maîtresse de la foi, et celle qui, à la vue des courtisans célestes, arbora l'étendard des fidèles dans le monde. Elle fut la première reine catholique de l'univers, et celle qui n'aura point de semblable. Mais les véritables catholiques trouveront en elle une Mère assurée, puisqu'ils sont par ce titre spécial ses enfants; et ils en seront convaincus s'ils l'invoquent clans leurs besoins, car il est constant que cette miséricordieuse Mère, cette généralissime de la foi catholique, regarde avec un amour singulier ceux qui l'imitent en cette grande vertu , en sa propagation et en sa défense. 814. Ce discours serait fort long si je devais raconter tout cc qui m'a été déclaré de la foi de notre grande Dame, de ses caractères et de la science consommée avec laquelle elle pénétrait en général et en particulier les quatorze articles et les vérités catholiques qui s'y trouvent renfermées. Les entretiens (1) Luc., I, 45. 68 qu'elle avait sur ces articles avec son divin maître Jésus, les humbles et discrètes questions qu'elle lui adressait sur le même sujet, les réponses qu'elle recevait de cet adorable Seigneur, les profonds secrets qu'il lui révélait avec la plus tendre complaisance, et tant d'autres communications ineffables et mystérieuses; qui ne se passaient qu'entre le Fils et la Mère, sont autant de choses divines que je ne saurais exprimer. Il m'a été déclaré d'ailleurs qu'il n'est pas convenable de les découvrir toutes pendant cette vie mortelle. Mais tout ce nouveau et divin Testament fut mis en dépôt en la très-pure Marie, et elle seule garda très- fidèlement ce trésor, pour le dispenser à propos selon les nécessités de la sainte Église (1). Heureuse et fortunée Mère ! si le fils qui est sage est la joie de son père (2), qui pourra dire celle que vous fit éprouver la gloire que procurait au Père éternel son Fils unique, de qui vous étiez Mère par les mystères de ses oeuvres, que vous connûtes dans les vérités de la sainte foi de l'Église? Instruction que la très-sainte Vierge me donna. 815. Ma fille, on ne saurait connaître dans l'état de la vie mortelle ce que je sentis par la foi et par la (1) Matth., XIII, 52. - (2) Prov, I, 1. 69 connaissance infuse du Symbole que mon adorable Fils destinait à la sainte Église , ni ce que mes facultés opérèrent en cette créance. Il est inévitable que les termes vous manquent pour exposer ce que vous en avez appris, parce que tous ceux qui tombent sous le sens sont trop faibles pour donner une juste idée de ce mystère. Mais ce que je vous ordonne est ce que vous pouvez faire avec le secours divin, et c'est de garder avec la plus respectueuse sollicitude le trésor que vous avez trouvé en la doctrine et en la science de mystères si augustes (1). Car comme Mère, je vous avertis des ruses homicides dont vos ennemis se servent pour tilcher de vous l'enlever. Faites donc en sorte qu'ils vous trouvent revêtue de force (2), et que vos domestiques, qui sont vos sens et vos puissances, aient un double vêtement : savoir, une bonne garde intérieure et extérieure, qui résiste aux attaques des tentations (3). Les armes offensives avec lesquelles vous pourrez vaincre ceux qui vous font la guerre, doivent être les articles de la foi catholique. En effet, le continuel exercice que l'on en fait, la ferme créance, la méditation et l'attention que l'on y donne, éclairent les esprits, bannissent les erreurs, découvrent les embûches de Satan, et les détruisent comme les rayons du soleil dissipent les plus légères vapeurs; et en outre l'âme y puise un aliment solide et une nourriture spirituelle qui l'anime et la tortille pour les combats du Seigneur (4). (1) Matth., XIII, 44. - (2) Prov., XXXI, 17; ibid., 21. - (3) I Petr., V, 9. - (4) Rom., I, 17. 70 816. Que si les fidèles ne ressentent point ces effets de la foi, et même plusieurs autres qui seraient et plus grands et plus admirables, il ne faut pas l'attribuer à son défaut d'efficace; cela vient uniquement de ce que des fidèles eux-mêmes, les uns se laissent aller à une telle insouciance, et les autres se livrent si aveuglément à une vie toute charnelle et animale (1), qu'ils ne profitent point du don le plus précieux, et ne songent guère à en user plus que s'ils ne (avaient pas reçu. De sorte qu'ils perdent peu à peu la foi, en vivant comme les infidèles, dont ils déplorent avec raison le malheur et l'ignorance, tandis qu'ils deviennent eux-mêmes beaucoup plus méchants par cette horrible ingratitude, et par le mépris qu'ils font d'un bienfait si grand et si inestimable. Pour vous, ma très-chère fille, je veux que vous le reconnaissiez avec une profonde humilité et avec une ardente affection, que vous en usiez continuellement par des actes héroïques, et que vous méditiez sans cesse les mystères que la foi vous enseigne, afin que vous jouissiez sans aucun empêchement terrestre des très-doux et divins effets qu'elle produit. Vous les éprouverez ces effets, d'autant plus efficaces et plus puissants, que la connaissance que la foi vous donnera sera plus vive et plus pénétrante. Et en apportant de votre côté ce zèle et cette docilité qui vous regardent, vous aurez une plus grande lumière des profonds et admirables mystères de l'être de Dieu (1) I Cor., II, 14. 71 trin et un; de l'union hypostatique des deus natures divine et humaine, de la vie, de la mort et de la résurrection de mon très-saint Fils; aussi bien que de tous les autres mystères qu'il a opérés. Et par là vous goûterez leur douceur, et vous cueillerez une abondance de fruits, qui seront dignes du repos et de la félicité éternels (1). CHAPITRE X. La très-pure Marie eut une nouvelle lumière des dix commandements. - Comment elle profita de ce bienfait. 817. Comme les articles de la foi catholique appartiennent aux actes de l'entendement dont ils sont l'objet, de même les commandements regardent les actes de la volonté. Et quoique tous les actes libres dépendent de la volonté dans toutes les vertus infuses et acquises, ils n'en sortent néanmoins pas de la même manière; car les actes de la foi libre naissent immédiatement de l'entendement qui les produit, et ne relèvent de la volonté qu'en ce qu'elle les ordonne par une affection pure, sainte, pieuse et respectueuse (1) Ps. XXXIII, 9. 72 car les objets et les vérités obscurs n'entraînent point l'adhésion de l'entendement au point de les lui faire croire sans la participation de la volonté; c'est pourquoi il attend sa décision. Mais dans les autres vertus la volonté agit par elle-même, et n'exige autre chose de l'entendement, si ce n'est qu'il lui montre ce qu'elle doit faire, comme un guide précède avec son flambeau. Après quoi elle reste maîtresse, si absolue et si libre, que l'entendement ne saurait lui faire la. loi , et, due personne ne saurait la violenter. Le Très-Haut l'a disposé de la sorte, afin qu'aucun homme ne le servit avec tristesse, ou par nécessité et par force, mais que tous le servissent librement, sans contrainte et avec joie, comme dit l'apôtre (1). 818. L'auguste Marie ayant été si divinement éclairée sur les articles et les vérités de la foi catholique, afin qu'elle fût aussi renouvelée en la science des dix commandements, elle eut une autre vision de la Divinité en la manière que j'ai marquée au chapitré précédent. Elle y découvrit avec une plus grande plénitude et avec plus de clarté tous les mystères des préceptes du Décalogue, comment ils étaient décrétés dans l'entendement divin, pour conduire les hommes à la vie éternelle, comment Moïse les avait reçus sur les deux tables (2) : savoir, sur la première les trois commandements qui concernent le culte dû à Dieu lui-même, et sur la seconde les sept commandements qui regardent le prochain. Elle vit ensuite que son (1) I Cor., IX, 7. - (2) Exod., XXXI, 18; Deut.. V, 22 73 très-saint Fils, le Rédempteur du monde, les devait imprimer de nouveau dans les coeurs des hommes, en commençant à les faire observer dans toute leur étendue par cette grande Dame, qui connut aussi leur rang et leurs rapports, et la nécessité où sont les fidèles de se conformer à l'ordre qu'ils ont entre eux, pour arriver à la participation de la Divinité (1), Elle eut une merveilleuse intelligence de l'équité, de le sagesse et de la justice avec lesquelles les commandements étaient établis par la volonté divine (2), et comprit mieux que jamais que c'était une loi sainte, sans tache, douce, facile, pure, véritable et accommodée pour les créatures (3); parce qu'elle était si juste et si conforme à la nature capable de raison, qu'on la pouvait et devait embrasser avec estime et avec joie, et enfin que l'auteur de cette même loi avait destiné la grâce pour aider les hommes à l'observer (4). Cette incomparable Reine connut dans cette vision plusieurs autres mystères très-relevés qui regardaient l'état de la sainte Église, et ceux qui y observeraient les divins commandements, aussi bien que ceux qui les transgresseraient, qui les mépriseraient et qui chercheraient des prétextes pour ne pas les garder. 819. La très-innocente colombe sortit de cette vision enflammée du zèle, et transformée par l'amour de la loi divine. Elle alla trouver aussitôt son très (1) II Petr., I, 4. - (2) Rom., VII, 12. - (3) Ps. XVIII, 8; Matth., XI, 80. - (4) Ps. CXVIII, 142; Ps. XVIII, 9; Jerem., XXXI, 33; Rom., VII, 22. 74 saint Fils, dans l'intérieur duquel elle la connut de nouveau, et vit comment il l'avait disposée dans les décrets de sa sagesse et de sa volonté, pour la renouveler en la loi de grâce (1). Elle discerna en outre par une vive illumination le bon plaisir du Seigneur, et le désir qu'il avait qu'elle fût l'image de tous les préceptes que cette même loi contenait. Il est vrai que notre grande Reine avait, comme je l'ai dit plusieurs fois, une science habituelle de tous ces mystères, afin qu'elle en usât continuellement; mais c'était la un fonds quelle voyait se renouveler, s'agrandir et s'enrichir de jour en jour. Car comme l'extension et la profondeur des objets étaient presque immenses, il restait toujours comme un champ infini, où elle pouvait étendre la vue de son intérieur et découvrir de nouveaux secrets. Notre divin Maître lui en révéla plusieurs dans cette occasion , en lui exposant ça sainte loi, ses préceptes et le parfait enchaînement que l'Église militante donnerait à ses mystères. Il l'éclairait sur chacun par une fouie de détails particuliers, et par une effusion de nouvelles lumières. Et quoique les bornes de notre capacité ne nous permettent pas d'embrasser des mystères si vastes et si relevés, il n'y en eut pourtant aucun qui ait échappé à notre auguste Princesse, aussi ne devons-nous pas mesurer sa très-profonde science à l'étroitesse de notre entendement. 820. Elle se présenta avec beaucoup d'humilité (1) Matth., V, 17. 75 devant son très-saint Fils, et, d'un coeur prêt à lui obéir dans l'observation de ses commandements, elle le pria. de l'enseigner et de la favoriser de son divin secours pour exécuter tout ce qu'il y ordonnait. Sa Majesté lui répondit : " Ma Mère, mon élue et ma prédestinée par ma volonté et par ma sagesse éternelle pour être le sujet des plus grandes complaisances de mon Père, à qui je suis égal quant à ma divinité; notre amour éternel, qui nous a porté à communiquer notre divinité aux créatures en les élevant à la participation de notre gloire et de notre félicité, a établi cette loi sainte et pure comme la voie par où les hommes pourront parvenir à la fin pour laquelle les a créés notre clémence (1) ; et ce désir que nous avons, ma bien-aimée, reposera en vous et se réalisera pleinement dans votre coeur, où notre divine loi sera gravée avec tant de force et de netteté, qu'elle ne pourra jamais être obscurcie ni effacée, et que son efficace ne sera en rien ni empêchée ni affaiblie, comme chez les autres enfants d'Adam. Sachez, ma chère Sulamite, que cette loi est toute pure et sans tache (2), et que nous la voulons déposer en un sujet très-pur en qui nos pensées et nos œuvres seront glorifiées. " 821. Ces paroles, qui curent en la divine Mère l'efficace de ce qu'elles renfermaient, la renouvelèrent et la déifièrent par la connaissance et par la pratique des dix commandements, et en particulier de leurs (1) Ezech., XX, 11. - (2) Ps. XVIII, 8. 76 mystères. De sorte que, donnant son attention. à la lumière céleste et soumettant sa volonté à son divin Maître, elle approfondit le premier et le plus grand de tous les commandements : Vous aimerez le Seigneur votre Dieu de tout votre coeur, de toute votre âme et de toutes vos forces, comme ensuite l'écrivirent les évangélistes (1), et comme auparavant Moïse l'avait écrit dans le Deutéronome (2) avec lés conditions dont le Seigneur l'accompagna; car il ordonna aux Hébreux d'en conserver les termes dans leur coeur, et aux pères de les enseigner à leurs enfants; de les méditer assis dans la maison et marchant dans le chemin, en dormant et en veillant, et de les avoir toujours présentes devant les yeux intérieurs de l'âme. Notre Reine, dis-je, connut ce commandement de l'amour de Dieu, et l'accomplit avec les conditions et avec l'efficace que sa Majesté attendait d'elle. Et si aucun des enfants des hommes n'est parvenu en cette vie à l'accomplir dans toute sa perfection, la très-pure Marie au moins, dans sa chair mortelle, a atteint ni! degré plus élevé que les plus hauts et les plus embrasés séraphins, et que tous les bienheureux qui sont dans le ciel. Je ne m'étends pas ici davantage sur cette matière, parce que j'ai déjà dit quelque chose de la charité de cette grande Dame dans la première partie, en parlant de ses vertus. Mais ce fut particulièrement dans cette occasion qu'elle pleura avec une extrême (1) Matth., XXII, 37; Marc., XII, 29; Luc., X, 27. - (2) Deut., VI, 5, 6, 7 et 8. 77 douleur les péchés que l'on commettrait dans le monde contre ce grand commandement, et qu'elle se chargea de réparer par son amour toutes les fautes par lesquelles les hommes l'enfreindraient. 822. Après ce premier commandement viennent les deux autres, qui sont, le second, de ne point déshonorer le Seigneur en jurant son saint nom en vain, et le troisième, de l'honorer en gardant et sanctifiant ses fêtes. La Mère de la Sagesse pénétra et comprit ces commandements, les grava avec beaucoup d'humilité et de piété dans son coeur, et leur donna le suprême degré de vénération et de culte de la Divinité. Elle pesa dignement l'injure que la créature faisait à l'être immuable de Dieu et à sa bonté infinie en jurant par elle en vain ou à faux, ou en le blasphémant en lui-même et en ses saints contre l'honneur qui est dû à sa divine Majesté. Et, dans la douleur qu'elle ressentit à la vue de la témérité avec laquelle les hommes violaient et violeraient ce précepte, elle pria les saints anges qui l'assistaient de recommander de sa part à tous les autres gardiens des enfants de la sainte Église de préserver les personnes que chacun d'eux gardait de commettre cette offense contre Dieu, et de leur donner des inspirations et des lumières pour les empêcher de tomber dans ce malheur; ou de se servir d'autres moyens, comme de les intimider par la crainte du Seigneur (1), afin qu'ils ne blasphémassent point son saint nom. Elle leur recommanda en (1) Ps. CXVIII, 120. 78 outre de prier le Très-Haut de combler de ses plus douces et de ses plus abondantes bénédictions ceux qui s'abstiennent de jurer en vain et qui honorent son Étre immuable. Et cette très-miséricordieuse Dame faisait alors la même prière avec beaucoup de ferveur. 823. A l'égard de la sanctification des fêtes, qui est le troisième commandement, la Reine des anges eut connaissance dans ces visions de toutes celles qu'on devait célébrer dans la sainte Église, et des cérémonies particulières par lesquelles on les solenniserait. Et quoiqu'elle eût commencé dès qu'elle fut arrivée en Égypte à célébrer celles qui regardaient les mystères précédents (comme je l'ai dit en son lieu), elle en célébra pourtant d'autres par suite de cette connaissance, comme celle de la très-sainte Trinité, celles qui étaient également dédiées à son Fils et celles des auges; alors elle les conviait à solenniser avec elle ces fêtes aussi bien que les autres que la sainte Église établirait, et pour chacune elle offrait au Seigneur des hymnes de louange et de reconnaissance. Ces jours qui étaient spécialement destinés pour le culte divin, elle les employait tout entiers eu ce même culte. Ce n'est pas que ses actions corporelles empêchassent jamais les opérations et les attentions admirables de sou esprit, mais elle s'appliquait à pratiquer ce qu'elle comprenait qu'on devait faire pour sanctifier les fêtes du Seigneur, et se plaçait d'avance au point de vue de la loi de grâce, car elle voulut avec une sainte émulation et une prompte obéissance se conformer par 79 anticipation à tout ce qu'elle contiendrait, comme la première disciple du Rédempteur du monde. 824. L'auguste Marie eut la même intelligence des sept commandements qui regardent notre prochain. Elle connut dans le quatrième, qui nous oblige d'honorer nos parents, tout ce qu'il renfermait sous le nom de parents, et elle considéra qu'après l'honneur dû à Dieu vient immédiatement celui que les enfants leur doivent; et qu'il leur est ordonné de les respecter et de les secourir, comme, les pères et mères sont obligés de soigner leurs enfants. Dans le cinquième commandement, qui défend le meurtre, cette Mère compatissante apprécia de même combien ce précepte était juste, parce que le Seigneur est auteur de la vie et de l'être de l'homme, et qu'il n'a entendu donner à personne aucun pouvoir sur sa propre vie et encore moins sur celle de son prochain, qu'on n'a nullement le droit ni de tuer ni même de blesser. Et, comme la vie est le premier bien de la nature et le fondement de la grâce, elle loua le Seigneur d'avoir promulgué ce commandement en faveur des mortels. la voyant en eux les ouvrages de Dieu (1), des créatures capables de sa grâce et de sa gloire, et rachetées au prix du sang que sou Fils verserait et offrirait pour elles (2), elle fit de ferventes prières pour obtenir l'observation de ce précepte dans l'Église. Notre très-pure Dame saisit tous les caractères du sixième commandement, comme les bienheureux qui ne trouvent (1) Sap., II, 23; Eccles., XV, 14 , etc. - (2) I Petr., I, 19. 80 plus en eux-mêmes le danger de la faiblesse humaine, mais qui le remarquent chez les mortels, et qui le prévoient sans qu'il les touche. C'est des plus sublimes hauteurs de la grâce que cette très-sainte Vierge le regardait et le connaissait à l'abri de cette concupiscence rebelle qu'elle ne put contracter, parce qu'elle en fut miraculeusement préservée. Les sentiments de pur amour que conçut cette grande partisane de la chasteté, en pleurant les péchés des hommes contre cette vertu, furent tels, qu'elle blessa de nouveau le coeur du Seigneur (1), et qu'elle consola, pour ainsi dire, son très saint fils des offenses que les mortels lui feraient par la violation de ce précepte. Mais, sachant que son observation s'étendrait en la loi de l'Évangile jusqu'à établir des communautés de vierges et de religieux qui promettraient de garder cette vertu de chasteté, elle pria le Très-Haut de les enrichir du trésor de ses bénédictions. Et c'est ce que sa divine Majesté a fait par l'intercession de cette très-pure Darne, en leur réservant la récompense particulière qui revient à la virginité, parce qu'ils ont suivi celle qui a été Vierge et Mère de l'Agneau (2). Et comme elle prévoyait que sous la loi évangélique elle aurait dans le culte de cette vertu une foule d'imitateurs, elle en rendit avec une joie singulière de très-grandes actions de grâces au Seigneur. Je ne m'arrête pas davantage à rapporter combien elle estimait cette vertu , parce que j'en ai dit quelque chose en la première partie et ailleurs. (1) Cant., IV, 9. - (2) Ps. XLIV, 15. 81 825. Pour ce qui est des autres. commandements, qui sont, le septième, de ne point dérober; le huitième, de ne dira aucun faux témoignage; le neuvième, de ne point désirer la femme de son prochain; le dixième, de ne point désirer ses biens ni aucune chose qui lui appartienne; l'auguste Marie en eut une intelligence aussi merveilleuse que des précédents. Elle faisait pour chacun des actes généreux de ce qu'en demandait l'accomplissement, louant et remerciant le Seigneur, au nom de tous les hommes, de ce qu'il les conduisait avec tant de sagesse et d'efficace à sa félicité éternelle par une loi si conforme à leurs besoins et si bienfaisante, qu'en l'observant ils ne s'assuraient pas seulement la récompense qui leur était promise pour toujours dans la gloire, mais qu'ils pouvaient aussi jouir pendant cette vie d'un calme et d'une tranquillité qui les rendraient en quelque façon bienheureux. En effet, si toutes les créatures raisonnables se conformaient à l'équité de la loi divine et se résolvaient à la garder, elles goûteraient ici-bas un bonheur et des délices ineffables dans le témoignage de la bonne conscience (1), car toutes les jouissances humaines ne sauraient être comparées à la consolation qu'éprouvent ceux qui sont fidèles à observer les petites et les grandes choses de la loi (2). Nous sommes redevables à notre Rédempteur Jésus-Christ de ce bienfait, puisqu'il nous a mérité la grâce de faire le bien, la satisfaction intérieure, la paix, la consolation (1) II Cor., I, 12. - (2) Matth., XIV, 21. 82 et plusieurs autres bonheurs dont nous pouvons jouir même dès cette vie. Et si tous ne les reçoivent pas, cela vient de ce qu'on ne garde pas ses commandements. Car toutes les disgrâces et toutes les calamités des hommes sont comme autant d'effets inséparables de leurs désordres; et, pendant que chacun y contribue de son côté, nous sommes tellement aveugles, que si quelque affliction nous arrive, nous en cherchons ailleurs la cause, qui se trouve pourtant en nous-mêmes. 826. Serait-il possible de raconter les dommages que causent dans cette vie le larcin et la transgression du commandement qui le défend, et qui nous oblige en même temps de nous contenter tous de. notre sort et d'y espérer le secours du Seigneur, qui n'abandonne pas les oiseaux (1) ni les plus misérables vermisseaux? Combien de misères et d'afflictions ne souffrent pas les peuples chrétiens par l'ambition des princes, qui ne se contentent pas des royaumes que le souverain Roi de l'univers leur a donnés ! Mais ils prétendent encore étendre leur puissance et leurs couronnes au delà; ils bannissent dit monde la paix et la tranquillité, appauvrissent les familles, dépeuplent les provinces et fout périr une infinité d'âmes. Les faux témoignages et les mensonges, qui offensent la suprême vérité et enveniment les relations humaines, produisent tout autant de maux et de discordes qui troublent et ravagent les cours des mortels. Et tout (1) Matth., VI, 26. 83 cela les rend incapables de préparer à leur Créateur la demeure qu'il voudrait y établir comme dans son temple (1). La convoitise de la femme d'autrui, l'odieux adultère, la violation de la sainte loi du mariage, confirmée et sanctifiée par notre Seigneur Jésus-Christ dans le sacrement (2), n'ont-ils pas causé et ne causent-ils pas encore tous les jours de très-grands malheurs secrets et publics parmi les catholiques? Et sans doute beaucoup de ces péchés sont cachés aux yeux du monde; mais quand ils le seraient même davantage, ils ne le seront jamais aux yeux de Dieu, qui, étant un juge très-équitable, ne laissera pas passer ces péchés sans les châtier en cette vie; et s'il ne les châtie pas maintenant autant qu'ils le méritent, pour ne pas détruire la république chrétienne, il est certain que plus sa Majesté les aura dissimulés eu ce monde, plus ses jugements seront rigoureux en l'autre (3). 827. Notre grande Reine voyait toutes ces vérités, les regardant dans le Seigneur. Et quoiqu'elle connût la lâcheté des hommes, qui manquent si imprudemment et pour des choses si viles à l'honneur et au respect qu'ils doivent à Dieu, et qu'elle considérât d'ailleurs que sa Majesté a pourvu avec tant de bonté à leurs besoins en leur imposant des lois si saintes et si importantes, cette très-prudente Dame ne se scandalisa pourtant pas de la fragilité humaine; elle n'était (1) I Cor., III, 17. - (2) Matth., XIX, 4, etc. - (2) Ps. VII, 12; Rom., II, 5. 84 même pas surprise de nos ingratitudes; toujours Mère tendre, elle portait au contraire compassion à tous les mortels et les aimait avec la plus ardente affection; elle reconnaissait pour eux les oeuvres du Très-Haut, réparait par avance les transgressions qu'ils commettraient contre la loi évangélique, intercédait en leur faveur, et demandait su Seigneur que cette même loi fût parfaitement observée de tous. Elle comprit admirablement que tout le Décalogue se résumait en ces deux commandements, savoir, d'aimer Dieu de tout son coeur et le prochain comme soi- même (1), et qu'étant bien entendus et bien pratiqués, on y trouve la véritable sagesse, puisque celui qui les accomplit n'est pas loin du royaume de Dieu, comme l'a dit le Seigneur dans l'Évangile (2). Elle connut aussi que l'observation de ces deux préceptes doit être préférée à tous les holocaustes et à tous les sacrifices. Et elle proportionna à cette science qu'elle eut la pratique de cette sainte loi, telle que la contiennent les Évangiles, sans en omettre ni les commandements, ni les conseils; ni la plus petite chose. De sorte que cette divine Princesse accomplit à elle seule la doctrine du Rédempteur du monde son très-saint Fils avec plus de perfection que tout le reste des saints et des fidèles de la sainte Église. (1) Matth., XXII, 40 ; Rom., XIII, 10. - (1) Marc., XII, 34, 33. 85 Instruction que la Reine du ciel m'a donnée. 828. Ma fille, puisque le Verbe du Père éternel était descendu de son sein pour prendre dans le mien cette chair humaine par laquelle il allait racheter l'humanité, il fallait, pour. éclairer ceux qui demeuraient dans les ténèbres et dans l'ombre de la mort (1), et pour les conduire à la félicité qu'ils avaient perdue, que sa Majesté fût leur lumière, leur voie, leur vérité et leur vie (2), et qu'elle leur donnât une loi si sainte, qu'elle les justifiât; si claire, qu'elle les illuminât; si assurée, quelle les fortifiât; si puissante, qu'elle les excitât; si efficace, qu'elle les aidât; et si véritable, qu'elle communiquât à tous ceux qui la gardent une joie et une sagesse solide. La très-pure loi de l'Évangile a en ses préceptes et en ses conseils une vertu singulière pour produire tous ces effets et plusieurs autres admirables; et elle dirige de telle sorte les créatures raisonnables, que tout leur bonheur spirituel et corporel, temporel et éternel ne consiste qu'à la garder (3). Vous découvrirez par là cette ignorance aveugle des mortels dont leurs ennemis irréconciliables se servent pour les tromper (4) : puisque les hommes aspirant avec tant d'ardeur à leur propre félicité, il en est cependant si peu qui l'acquièrent; parce qu'ils ne la cherchent pas dans la loi divine, où seulement ils peuvent la trouver. (1) Luc., I, 79. - (2) Joan., XIV, 6. - (3) Prov., XXIX, 18. - (4) Galat., III, 1. 86 829. Préparez votre coeur par cette science, afin que le Seigneur y grave sa sainte loi (1), comme il l'a gravée dans le mien, et qu'il vous éloigne de telle sorte de tout ce qui est visible et terrestre, que toutes vos puissances se trouvent débarrassées d'images étrangères, et ne soient occupées que de celles que le doigt du Seigneur y aura imprimées, pour vous marquer sa doctrine et son bon plaisir, que les vérités de l'Évangile renferment. Priez continuellement le Seigneur de vous rendre digne de cette faveur et de la promesse de mon très-saint Fils, afin que vos désirs ne soient point stériles. Mais faites aussi réflexion que si vous manquiez à vous y disposer, cet oubli serait en vous beaucoup plus blâmable qu'en tous les autres vivants; puisque aucun n'a été attiré à son divin amour par d'aussi douces violences et par d'aussi. grands bienfaits que vous. Aux jours d'abondance comme dans la nuit de la tentation et de la tribulation , songez à la dette que vous avez contractée, songez à la jalousie du Seigneur, afin que vous ne soyez point enflée par les faveurs ni abattue par les peines et par les afflictions; et vous jouirez de cette bienheureuse égalité, si dans ces deux états vous vous appliquez à la méditation de la divine loi écrite dans votre coeur, pour la garder inviolablement, et avec toute la perfection qu'il vous sera possible. En ce qui concerne l'amour du prochain, servez-vous toujours de cette première règle avec laquelle on le doit mesurer quand (1) Jerem., XXXI, 33. 87 on le veut mettre en pratique; c'est de vouloir qu'il lui soit fait ce que vous voudriez qu'on vous fit (1). Si vous souhaitez vivement qu'on pense ou qu'on dise du bien de vous et qu'on vous en fasse, pratiquez la même chose envers les autres. Si vous n'êtes pas bien aise qu'on vous offense en la moindre chose, évitez de donner ce déplaisir à qui que ce soit. Et si vous n'approuvez pas qu'une personne en fâche une autre, ne tombez pas vous-même dans ce désordre; puisque vous savez que l'on transgresse ainsi la règle et le commandement que le Très-Haut a établi. En outre, pleurez vos péchés et ceux de votre prochain, parce qu'ils sont contre Dieu et contre sa sainte loi; car c'est là une bonne charité à l'égard de Dieu et des hommes. Ressentez les afflictions d'autrui comme les vôtres propres, m'imitant dans le fraternel amour. CHAPITRE XI. La très-pure Marie eut l'intelligence des sept sacrements que notre Seigneur Jésus-Christ devait instituer, et des cinq commandements de l'Église. 830. Pour achever la beauté et mettre le comble aux richesses de la sainte Église, il fallut que son (1) Matth., XXII, 39. 88 auteur Jésus-Christ établit dans son sein les sept sacrements comme un dépôt commun où seraient versés les trésors infinis de ses mérites, et où l'auteur même de toutes ces merveilles se trouverait sous les voiles eucharistiques, par un mystérieux mais réel et véritable mode d'assistance, afin que les fidèles se nourrissent de ses biens, et se consolassent par sa présence, qui leur est un gage de la vision dont ils espèrent jouir éternellement face à face. Il fallait aussi, pour la plénitude de la science et de la grâce que l'auguste Marie devait recevoir, que tous ces mystères et tous ces trésors fussent comme enregistrés dans son coeur magnanime, afin qu'autant qu'il se pourrait, toute la loi de grâce y fait mise en dépôt et imprimée, comme elle l'était en son très-saint Fils; car c'est elle qui, en son absence, devait être la Maîtresse de l'Église, et enseigner à ses premiers enfants les dispositions scrupuleuses avec lesquelles on devait vénérer et recevoir tous ces sacrements. 831. Notre grande Dame découvrit tout cela par une nouvelle lumière dans l'intérieur de son très-saint Fils, y pénétrant chaque mystère en particulier. En premier lieu, elle connut que la dure loi de la circoncision serait ensevelie avec honneur, et que le très-doux et admirable sacrement du baptême prendrait sa place. Il lui fut manifesté que l'unique matière de ce sacrement serait l'eau élémentaire, et que sa forme consisterait dans les paroles par lesquelles il a été déterminé, avec la spécification des trois personnes divines sous les noms de Père, de Fils, et de Saint- Esprit, 89 afin que les fidèles professassent la foi explicite de la très-sainte Trinité. Elle connut la vertu que notre Seigneur Jésus-Christ communiquerait au baptême, elle sut qu'il aurait une efficace singulière pour purifier entièrement les hommes de tous leurs péchés, et les délivrer des peines qu'ils auraient méritées en les commettant. Elle vit les effets admirables qu'il produirait en tous ceux qui le recevraient, en les régénérant, en les faisant renaître comme enfants adoptifs et héritiers du royaume du Père céleste, en leur donnant par infusion les vertus de foi, d'espérance, de charité et plusieurs autres; en imprimant par sa vertu dans leurs âmes un caractère surnaturel et spirituel, qui servirait comme d'un sceau royal pour marquer les enfants de la sainte Église; en un mot, la bienheureuse Marie connut tout ce qui regarde ce sacrement et ses effets. Et aussitôt elle le demanda à son très-saint Fils, avec un très-ardent désir de le recevoir au moment convenable: sa Majesté le lui promit, et le lui donna plus tard, comme je le dirai en son lieu. 832. L'auguste Princesse eut la même connaissance du sacrement de confirmation, qui est le second : elle sut qu'on le donnerait dans la sainte Église après le baptême; parce que celui-ci engendre premièrement les enfants de la grâce, et celui-là leur donne le courage et la force de confesser la sainte foi qu'ils ont reçue dans le baptême , leur augmente la première grâce, et leur en ajoute une particulière pour sa propre fin. Elle connut la matière, la forme, les ministres, 90 les effets spirituels de ce sacrement, et le caractère qu'il imprime dans l'âme; elle comprit que le chrême composé d'huile et de baume qui en fait la matière, représente la lumière des bonnes couvres, et la bonne odeur de Jésus-Christ (1), que les fidèles répandent par ces mêmes couvres en le confessant; et que c'est aussi ce que signifient les paroles qui en constituent la forme, chaque chose en sa manière. Dans la perception de toutes ces notions, notre grande Reine faisait des actes sublimes de louange et de gratitude, qu'elle accompagnait de ferventes prières qui partaient du fond de son coeur, afin que tous les hommes vinssent puiser de l'eau de ces fontaines du Sauveur (2), et jouissent de tant de trésors incomparables, en le connaissant et le confessant pour leur Dieu véritable et pour leur Rédempteur. Elle pleurait amèrement la perte lamentable de tant de personnes qui, à la vue de l'Évangile, seraient privées par leurs péchés de tant de remèdes efficaces. 833. Quant su troisième sacrement, qui est la pénitence, notre divine Dame apprécia la convenance et la nécessité de ce moyen pour rétablir les âmes en la grâce et en l'amitié de Dieu, attendu la fragilité humaine, par laquelle on perd si souvent ce trésor inestimable. Elle connut les parties et,les ministres que ce sacrement aurait, la facilité avec laquelle les enfants de l'Église pourraient en user, et les effets admirables qu'il produirait. Et pour témoigner (1) II Cor., II, 15. - (2) Isa., XII, 3. 91 sa reconnaissance de ce qui lui avait été découvert de ce bienfait, elle rendit, comme Mère de miséricorde et des fidèles ses enfants, de singulières actions de grâces au Seigneur, avec une joie incroyable de voir un remède si facile pour des maladies aussi fréquentes que les péchés ordinaire des hommes. Elle se prosterna, et su nom de l'Église elle reconnut et honora le saint tribunal de la confession, où le Seigneur avait résolu et ordonné dans sa clémence ineffable, que l'on terminerait une cause aussi importante pour les dînes, que le sont la justification et la vie, ou la condamnation et la mort éternelle, et laisse en conséquence aux prêtres le pouvoir d'accorder ou de refuser l'absolution des péchés (1). 834. Notre très-prudente Reine fut ensuite inities à une connaissance toute particulière du sublime mystère et auguste. sacrement de l'Eucharistie; et dans cette merveille, elle pénétra profondément plus de secrets que les plus hauts séraphins, car elle y sut la manière surnaturelle en laquelle l'humanité et la divinité de son très saint Fils seraient sous les espèces du pain et du vin; la vertu des paroles, pour consacrer son corps et son sang par le changement d'une substance en une autre; le maintien des accidents en l'absence du sujet; la simultanéité de la présence de son adorable Fils en tant d'endroits différents ; l'institution de l'auguste mystère de la messe pour le (1) Matth., XVIII, 18. 92 consacrer et l'offrir en sacrifice au Père éternel jusqu'à la fin des siècles; le culte d'adoration et les hommages que la sainte Église catholique lui rendait dans un très-grand nombre de temples par tout le monde; les favorables effets que cet adorable sacrement produirait en ceux qui, quoique plus ou moins bien disposés, le recevraient dignement, et combien ces effets seraient formidables pour ceux qui l'auraient reçu indignement. Elle connut aussi la foi avec laquelle les catholiques accueilleraient cet incomparable bienfait, et les erreurs que les hérétiques y opposeraient, et surtout l'amour immense avec lequel son très-saint Fils avait résolu de se donner en aliment de vie éternelle à chacun des mortels. 835. Toutes ces révélations et plusieurs autres fort relevées que la Reine du ciel eut sur le plus auguste des sacrements, allumèrent dans son chaste cœur de nouveaux brasiers d'amour dont l'ardeur dépasse l'intelligence humaine, et quoiqu'elle fit de nouveaux. cantiques pour chacun des articles de foi et des autres sacrements qui lui avaient été manifestés, elle épancha encore plus largement son cœur sur ce grand mystère de l'Eucharistie; de sorte que, se prosternant, elle redoubla ses effusions d'amour, ses hymnes de louange, ses témoignages d'humble vénération pour mieux reconnaître un si haut bienfait, et en même temps ses gémissements et les marques de sa douleur, à cause de ceux qui n'en profiteraient pas et qui s'en serviraient pour leur propre damnation. Elle eut des désirs si véhéments de voir 93 l'institution de cet adorable sacrement, que si la force du Très-Haut ne l'eût soutenue, l'ardeur de ses sentiments aurait consumé sa vie naturelle, quoique la présence de son très-saint Fils la prolongeât et l'entretint jusqu'au temps marqué, en étanchant quelque peu sa soif brûlante. Mais dès lors elle commença à s'y préparer, et demanda d'avance à sa Majesté la communion de son corps eucharistique pour le moment où en aurait lieu la consécration; et dans cette occasion elle lui dit : " Mon souverain Seigneur et vie véritable de mon âme, pourrai-je mériter de vous recevoir dans mon sein, moi qui ne suis qu'un petit vermisseau et que l'opprobre des hommes? Serai-je assez heureuse que de vous recevoir de noua veau dans mon corps et dans mon âme? Est-il possible que mon cœur vous serve encore de demeure et de tabernacle, où vous reposerez, et où nous jouirons, monde vos doux embrassements , et vous, mon bien-aimé, de ceux de votre servante? " 836. Notre divin Maître lui répondit : " Ma Mère et ma Colombe, vous me recevrez plusieurs fois sous les espèces sacramentelles, et vous goûterez cette consolation après ma mort et mon ascension, a car je ferai mon habitation continuelle dans l'asile de votre très-chaste et très-amoureux coeur, que j'ai choisi pour ma demeure privilégiée et pour la a lieu de mes complaisances. " A cette promesse du Seigneur, la grande Reine s'humilia de nouveau, et, baisant la poussière, elle en rendit des actions de grâces si ferventes, qu'elle causa de l'admiration à 94 toute la cour céleste. Dès lors elle résolut de diriger toutes ses affections et toutes ses œuvres à cette fin de se préparer et de se disposer à recevoir à l'époque fixée la sainte communion de son Fils sous la forme sacramentelle; de sorte qu'à partir de ce moment elle n'oublia ni n'interrompit jamais cette application des actes de sa volonté. Sa mémoire était (ainsi que je l'ai dit ailleurs) sûre et constante, comme aux esprits angéliques, et sa science était beaucoup plus sublime que la leur, et comme elle se souvenait toujours de ce mystère aussi bien que des autres, elle ne cessait d'agir d'après les pensées qui lui étaient toujours présentes. Elle supplia en outre instamment le Seigneur de donner la lumière aux mortels pour connaître et révérer cet auguste sacrement, et pour le recevoir dignement. Si nous parvenons quelquefois à le recevoir avec les dispositions convenables (veuille le Seigneur que ce soit toujours!), après l'obligation que nous en avons aux mérites de notre Rédempteur Jésus-Christ, qui est la source de toutes les grâces que nous recevons, nous devons cette faveur aux larmes et aux prières de sa très-sainte Mère, qui nous l'ont procurée. Et si quelqu'un pousse la témérité et l'audace jusqu'à oser le recevoir en mauvais état, il doit savoir qu'outre l'injure sacrilège dont il se rend coupable contre son Dieu et son Sauveur, il offense aussi sa très-pure Mère, parce qu'il méprise et qu'il perd en même temps les fruits de son amour, de ses désirs charitables, de ses prières, de ses larmes et de ses soupirs. Tâchons donc d'éviter un crime si horrible. 95 837. Dans le cinquième sacrement de l'extrême-onction, notre incomparable Reine eut connaissance de la fin merveilleuse pour laquelle le Seigneur l'instituait, de sa matière, de sa forme et de son ministre. Elle apprit que la matière serait l'huile d'olive bénite, comme étant le symbole de la miséricorde; la forme, une prière accompagnant l'onction des sens par lesquels nous avons péché, et que le ministre serait le seul prêtre, à l'exclusion de tous autres. Elle connut les fins et les effets de ce sacrement, destiné à secourir les fidèles dangereusement malades et aux approches de la mort, contre les embûches et les tentations du démon, qui sont terribles et multipliées dans ces derniers moments; aussi l'extrême-onction communique-t-elle à celui qui la reçoit dignement la grâce pour recouvrer les forces spirituelles, affaiblies par les péchés qu'il a commis, et contribue-t-elle même à soulager ou à guérir les maux de son corps si la santé lui est avantageuse. Ce sacrement porte encore intérieurement le malade à une nouvelle dévotion et à des désirs ardents de voir Dieu, lui ménage le pardon des péchés véniels et de certaine restes et effets des péchés mortels, et enfin marque son corps, non point d'un caractère ineffaçable, mais d'un signe apparent et comme d'un sceau, afin que le démon craigne de s'en approcher comme d'un tabernacle où le Seigneur a résidé par la grâce sacramentelle. Tel est le privilège en vertu duquel Lucifer est privé dans ce sacrement du pouvoir et du droit qu'il avait acquis sur nous par les péchés originel, et actuels; afin que le 96 corps du juste, marqué et embaumé par ce même sacrement, soit réuni un jour à son âme, ressuscite et jouisse de Dieu en cette même âme. Notre très-charitable Mère et Maîtresse connut tout cela, et en rendit des actions de grâces au nom des fidèles. 838. Touchant le sacrement de l'ordre, qui est le sixième, elle vit comment la providence de son très-saint Fils, l'habile Architecte de la grâce et de l'Église, établissait en cette même Église des ministres assez enrichis par les sacrements qu'il instituait, pour pouvoir sanctifier le corps mystique des fidèles et consacrer le corps et le sang de cet adorable Seigneur, et comment, afin de les élever à cette dignité, qui les mettrait au-dessus de tous les autres hommes et des anges mêmes, il établissait un autre nouveau sacrement de l'ordre et de consécration. Cette vue lui inspira un si grand respect pour les prêtres à cause de leur dignité, qu'elle commença dès lors à les honorer avec une profonde humilité, et à prier le Très- Haut de tes rendre de dignes ministres et très-capables de leur office, et de porter les autres fidèles à les révérer. Elle pleura les offenses que les uns et les autres commettraient contre Dieu; mais comme j'ai parlé, ailleurs de la grande vénération que notre auguste Reine avait pour les prêtres, et que j'en dois dire encore davantage dans la suite de cette histoire, je ne m'y arrêté pas maintenant. La sainte Vierge eut une connaissance distincte de toutes les autres choses qui regardent ce sacrement, comme de ses effets et des ministres qu'il aurait. (97) 839. A propos du sacrement de mariage, le septième et dernier, notre illustre Dame fut aussi informée des hautes fins que le Rédempteur du monde eut en instituant un sacrement par lequel serait bénie et sanctifiée, dans la loi évangélique, la propagation des fidèles, et serait symbolisé avec plus d'efficace qu'auparavant le mystère du mariage spirituel de ce même Seigneur avec la sainte Église (1). Elle apprit comment ce sacrement devait être perpétué, sa forme , sa matière, et les grands biens qui en reviendraient aux enfants de l'Église; aussi bien que tout le reste qui regarde ses effets, le besoin qu'on en avait, et la vertu qu'il renferme; elle fit en conséquence des cantiques de louange et des actes de reconnaissance au nom des catholiques qui recevraient ce bienfait. Ensuite elle connut les saintes cérémonies dont l'église se servirait dans les temps à venir pour le culte divin et pour l'ordre des bonnes moeurs. Elle connut aussi toutes les lois qu'elle établirait dans ce but, entre autres les cinq commandements : savoir, d'ouïr la messe les jours de fête, de confesser ses péchés au temps prescrit, de recevoir le très-saint corps de Jésus-Christ dans l'eucharistie, de jeûner les jours qui sont marqués, de payer les dîmes et les prémices des fruits que le Seigneur fait croître sur la terre. 840. L'auguste Marie découvrit les hautes et mystérieuses raisons qui justifiaient ces préceptes ecclésiastiques, (1) Ephes., V, 32. 98 les effets qu'ils produiraient dans les fidèles, et le besoin que la nouvelle Église en aurait, afin que ses enfants observant le premier de tous ces commandements, eussent des jours destinés pour s'occuper de Dieu, et assister au très-saint sacrifice de la messe, qui serait offert pour les vivants et pour les morts; qu'ils renouvelassent en cet auguste mystère la profession de leur foi et la mémoire de la passion et de la mort de Jésus-Christ, par lesquelles nous avons été rachetés; qu'ils coopérassent en la manière possible à la grandeur et à l'offrande de ce souverain sacrifice; et qu'ils y participassent à tous les fruits que la sainte Église en reçoit. Elle comprit aussi combien il nous importait de ne pas négliger de recouvrer la grâce et l'amitié de Dieu par le moyen de la confession sacramentale, et de nous confirmer dans cette amitié par la très-sainte communion : car outre le danger où l'on s'expose, et le dommage que l'on souffre en retardant l'usage de ces deux sacrements, on fait une autre injure à leur auteur, parce qu'on résiste à ses désirs et à l'amour avec lequel il les a institués pour notre salut; et comme cette négligence suppose nécessairement un grand mépris tacite ou manifeste, les personnes qui y tombent offensent grièvement le Seigneur. 841. Elle eut une égale connaissance des deux derniers préceptes, qui ordonnent de jeûner et de payer les dîmes, sachant combien il était important que les enfants de la sainte Église travaillassent à vaincre les ennemis qui peuvent les empêcher de faire leur salut, 99 comme il arrive à tant d'infortunés, à tant d'imprudents, parce qu'ils ne mortifient et ne domptent pas leurs passions, qui sont d'ordinaire excitées par le vice de la chair; et celui-ci est mortifié par le jeûne, dont le Maître de la vie nous a donné particulièrement l'exemple, quoiqu'il n'eût pas à vaincre comme nous la concupiscence rebelle. Pour ce qui regarde les dîmes, elle découvrit que c'était un. ordre spécial du Seigneur, que les enfants de l'Église lui payassent ce tribut des biens de la terre, qu'ils le reconnussent pour le suprême Seigneur et créateur de l'univers, et le remerciassent des fruits que sa providence leur donnait pour la. conservation de leur vie; enfin que ces dîmes ayant été offertes à sa divine Majesté, servissent à la subsistance et au profit des prêtres et des ministres de l'Église, afin qu'ils fussent plus reconnaissants su Seigneur, à la table duquel ils reçoivent une si abondante nourriture, et qu'ils connussent par là l'obligation qu'ils ont de s'occuper continuellement du salut et des besoins spirituels des fidèles, puisqu'ils ne tirent leur entretien de la sueur du peuple que pour consacrer toute leur vie au culte divin et à l'utilité de la sainte Église. 842. J'ai du beaucoup me restreindre dans cette succincte exposition des profonds et sublimes mystères qui furent opérés dans le coeur magnanime de notre grande Reine, par la connaissance que le Très-Haut lui donna de la nouvelle loi et de l'Église évangélique. C'est la crainte qui m'a empêchée de m'étendre davantage, et surtout celle que j'avais de ne pas bien 100 exprimer ce qui m'en a été manifesté ; les lumières de la sainte croyance que nous professons, accompagnées de la prudence et de la piété chrétienne, dirigeront les âmes catholiques qui s'appliqueront attentivement à la respectueuse méditation de sacrements si augustes, et qui sauront considérer avec une vive foi l'accord merveilleux des lois, des sacrements, de la doctrine et de tant de mystères que l'Église catholique renferme, dont elle s'est servie admirablement pour sa conduite dès son origine, et dont elle se servira jusqu'à la fin du monde sans que rien puisse l'ébranler. Tout cela se trouva uni d'une manière ineffable dans l'intérieur de notre Princesse, et ce fut là que le Rédempteur du monde s'essaya pour ainsi dire à établir la sainte Église, en en modelant par avance toutes les parties en sa très-pure Mère, afin qu'elle fut la première à jouir de ses trésors avec surabondance, et que dans cette jouissance elle opérât, aimât, crût, espérât et rendit des actions de grâces au nom de tous les autres mortels, et qu'elle pleurât en même temps leurs péchés, pour que le genre humain ne fût point privé du torrent de tant de miséricordes. Ainsi cette incomparable Dame devait être comme le registre public où tout; ce que Dieu opèrerait pour la rédemption des hommes serait écrit, et lui-même allait se trouver comme obligé de l'accomplir, en la prenant pour coadjutrice, et en gravant dans son coeur le mémorial des merveilles qu'il voulait opérer. 101 Instruction que j'ai reçue de la Reine du ciel. 842. Ma fille, je vous ai représenté plusieurs fois combien est injurieux au Très- Haut, et funeste à tous les mortels, le mépris qu'ils font des oeuvres mystérieuses et admirables que sa divine clémence a disposées pour leur salut. Mon amour maternel me porte à vous rappeler eu quelques mots ce souvenir, et la douleur d'un oubli si déplorable. Où est le jugement des hommes qui méprisent si imprudemment leur salut éternel et la gloire de leur Créateur et Rédempteur? Les portes de la grâce et de la gloire sont ouvertes; et non-seulement ils ne veulent point y entrer, mais la vie et la lumière sortant pour les prévenir, ils ferment les leurs, afin qu'elles n'entrent point dans leurs coeurs remplis des ténèbres de la mort. O pécheur, que ta cruauté envers toi-même est barbare, puisque ta maladie étant mortelle et la plus dangereuse de toutes, tu ne veux pas recevoir le remède que l'on t'offre si généreusement! Quel serait le mort qui ne se crût pas fort obligé à celui qui lui aurait rendu la vie? Où est le malade qui ne remerciât le médecin qui l'aurait tiré d'une grave maladie? Or si les enfants des hommes sentent cela, et savent témoigner leur reconnaissance à un mortel qui leur rend une santé et une vie qu'ils doivent bientôt perdre, et qui ne servent qu'à les remettre dans de nouveaux dangers et dans de nouvelles afflictions, comment sont-ils si 102 insensés et si endurcis, que de ne montrer que de l'ingratitude à Dieu, qui leur donne le salut et la vie du repos éternel, et qui veut les délivrer des peines qui ne finiront jamais, et qu'on ne saurait dépeindre? 844. O ma très-chère fille, comment puis-je reconnaître pour enfants ceux qui méprisent de la sorte mon bien-aimé Fils et Seigneur, et qui font si peu de cas de sa bonté libérale? Les anges et les saints la proclament dans le ciel, et sont surpris de la noire ingratitude et de l'effroyable témérité des vivants; de sorte que l'équité de la divine justice se justifie en la présence de ces esprits bienheureux. Je vous si découvert beaucoup de ces secrets dans cette histoire, et je vous en dis plus maintenant, afin que vous m'imitiez dans les larmes si amères que j'ai versées sur ce terrible malheur, par lequel Dieu a été et est encore grièvement offensé, et qu'en pleurant les injures qu'on lui fait, vous tâchiez autant qu'il vous sera possible de les empêcher et de les éviter. Je veux que vous ne laissiez passer aucun jour sans rendre d'humbles actions de grâces à sa divine Majesté de ce qu'elle i institué les sacrements, et de ce qu'elle souffre le mauvais usage que les méchants en font. Recevez-les avec un profond respect, et avec une foi et une espérance ferme; et comme vous sentez un attrait particulier pour le sacrement de la pénitence, faites en sorte de vous en approcher avec les dispositions que la sainte Église et ses docteurs recommandent pour le recevoir avec fruit. Fréquentez-le tous les jours avec un coeur humble et reconnaissant, et toutes les fois 102 que vous aurez quelque faute à vous reprocher, ne différez pas le remède de ce sacrement. Lavez et purifiez votre âme, car ce serait une négligence horrible de la voir souillée da péché, et de la laisser longtemps ou même un seul instant dans cette difformité. 815. Je veux surtout que vous sachiez l'indignation du Dieu tout-puissant (quoique vous ne puissiez pas vous en faire une juste idée) contre ceux qui dans leur folle témérité ont l'imprudence de recevoir indignement ces sacrements, et même le très-auguste sacrement de l'autel. O âme! combien est affreux ce péché devant Dieu et devant les saints! Et ce ne sont pas seulement les communions indignes, mais encore les irrévérences que l'on commet dans les églises et en sa divine présence. Comment certains enfants de l'Église peuvent-ils dire qu'ils croient cette vérité et qu'à la révèrent, si, Jésus-Christ se trouvant dans le saint sacrement en tant d'endroits, non-seulement ils ne se mettent pas en peine de l'aller visiter et honorer; mais qu'ils commettent en sa présence des sacrilèges tels que les païens ne les oseraient pas commettre dans les temples de leurs idoles? C'est ici un sujet sur lequel il faudrait donner plusieurs avis et écrire plusieurs livres; je vous avertis, ma tille, que les hommes irritent beaucoup la justice du Seigneur dans le siècle présent, et qu'ils empêchent par là que je ne leur apprenne ce que ma pitié souhaiterait leur apprendre pour leur remède. Mais ce qu'ils doivent savoir maintenant, c'est que son jugement,sera formidable et sans miséricorde, comme envers des serviteurs méchants 105 et infidèles condamnés par leur propre bouche (1). C'est ce que vous pourrez dire à tous ceux qui voudront vous entendre, en leur conseillant d'aller au moins chaque jour dans une église pour y adorer Dieu dans le saint Sacrement, et d'assister autant que possible à la messe avec beaucoup de respect, car les hommes ne savent pas ce qu'ils perdent par leur négligence. CHAPITRE XII. Notre Rédempteur Jésus-Christ continue ses prières pour nous. - Sa très-sainte Mère prie aussi avec lui, et reçoit de nouvelles lumières. 846. Nous avons beau chercher à développer nos discours pour manifester et glorifier les oeuvres mystérieuses de notre Rédempteur Jésus-Christ et de sa très- sainte Mère, nous ne parviendrons jamais à les embrasser, ni à atteindre, même de loin, la grandeur de ces mystères, parce qu'ils sont, comme dit l'Ecclésiastique, au- dessus de toutes nos louanges (2); jamais nous ne les saisirons ni ne les comprendrons, et il nous échappera toujours des merveilles plus (1) Luc., XIX, 22. - (2) Eccles., LXIII, 33. 105 grandes que celles que nous aurons voulu raconter, car nous n'en découvrirons que fort peu , et celles-ci, même, nous ne méritons pas de les pénétrer ni de savoir exprimer ce que nous en concevons. Les plus hauts séraphins avec toute leur intelligence, ne sont pas capables de sonder et d'approfondir les secrets qui se passèrent entre Jésus et Marie pendant les années qu'ils demeurèrent ensemble, principalement en celles dont je parle, lorsque le Maître de la lumière informait sa très-sainte Mère de tout ce qu'il ferait en la loi de grâce, et de tous les événements qui s'accompliraient dans ce sixième âge du monde, et lui apprenait en même temps que la loi de l'Évangile durerait jusqu à la fin, ce qui est arrivé dans l'espace de plus de mille six cent et cinquante-sept ans, et le reste que nous ignorons, et qui doit arriver jusqu'au jour du jugement. Cette grande Dame apprit tout cela à l'école de son très-saint Fils, car sa Majesté lui déclara toutes choses , en lui marquant les temps, les lieux, les royaumes, les provinces et tout ce qui s'y passerait tant que l'Église durerait; et ce fut avec une si grande clarté, que si elle vivait encore sur la terre, elle connaîtrait tous ceux qui composent l'Eglise, individuellement et par leurs noms, comme on le vit avant sa mort, car quand quelqu'un l'abordait, elle ne faisait que le reconnaître par les sens et par une impression qui répondait à l'image inférieure du même objet. 847. Quand la très-pure Mère de la Sagesse connaissait ces mystères dans l'intérieur de son très-saint 106 Fils et dans les actes de ses puissances, elle ne parvenait point à les pénétrer comme l'âme de cet adorable Seigneur, unie à la Divinité par l'union hypostatique et béatifique, parce que cette auguste Dame était une simple créature, non bienheureuse par une vision continuelle; elle ne percevait d'ailleurs les notions et la lumière béatifique de cette âme très-heureuse que lorsqu'elle jouissait de la claire vision de la Divinité. Mais dans les autres visions où elle connaissait les mystères de l'Église militante, elle apercevait les espèces imaginaires des puissances intérieures de notre Seigneur Jésus-Christ; elle comprenait encore que leur manifestation dépendait de sa très-sainte volonté, et qu'il décrétait et disposait toutes ces oeuvres pour de tels temps, de tels lieux et de telles occasions, et découvrait par un autre endroit que la volonté humaine du Sauveur se conformait à la volonté divine, et qu'elle en était gouvernée en toutes ses déterminations et en toutes ses mesurés. Alors une harmonie divine s'établissait et allait jusqu'à mouvoir la volonté et les puissances de cette incomparable princesse, afin qu'elle agit et coopérât avec la propre volonté de son très-saint Fils, et immédiatement avec la volonté divine. Il y avait ainsi une ressemblance ineffable entre notre Seigneur Jésus-Christ et sa bienheureuse Mère, et elle concourait, comme coadjutrice, à l'édification de la loi évangélique et de la sainte Église. 848. Toutes ces merveilles étaient opérées d'ordinaire dans l'humble oratoire de la Reine céleste, où 107 le plus grand des mystères fut lors de l'incarnation du Verbe, célébré dans son sein virginal; car quoiqu'il fût si pauvre et si petit, qu'il ne consistait qu'en une étroite enceinte de murs tout nus, il n'en a pas moins contenu la grandeur infinie de Celui qui est immense; et il en est sorti tout ce qui a donné et qui donne la majesté divine qu'ont aujourd'hui tous les temples magnifiques de l'univers et leurs sanctuaires innombrables. C'est dans ce saint des saints (1) que le souverain Prêtre de la nouvelle loi, notre Seigneur Jésus-Christ, priait ordinairement; et sa perpétuelle oraison se terminait par de ferventes prières pour les hommes, adressées au Père éternel, et par des entretiens avec sa très-pure Mère sur toutes les oeuvres de la Rédemption, et sur les riches trésors de grâces qu'il voulait laisser dans le Nouveau Testament et dans la sainte Église pour les enfants de la lumière et de cette même Église. Il ne cessait de demander au l'ère éternel que les péchés des hommes et leur très-dure ingratitude ne fussent point un obstacle à leur rédemption; et comme les crimes du genre humain et la damnation de tant d'âmes insensibles à ce bienfait, furent toujours également présents à la pensée de cet adorable Sauveur, à cause de sa prescience, la perspective de la mort qu'il allait subir pour eux, le tint dans une longue et douloureuse agonie, et le baigna maintes fois d'une sueur de sang. Et quoique les évangélistes ne fassent mention que de celle qui (1) Levit., XVI, 12. 108 eut lieu avant la passion (1), parce qu'ils n'ont pas écrit tous les événements de sa très-sainte vie, il est néanmoins certain que cette sueur lui survint fort souvent, et que sa divine Mère put sen apercevoir. C'est ce qui m'a été déclaré en plusieurs rencontres. 849. Quant à la posture dans laquelle notre aimable Maître priait, il était quelquefois à genoux, d'autres fois prosterné en forme de croix, et quelquefois en l'air, et en cette même forme de croix qu'il aimait singulièrement. Même lorsqu'il priait en présence de sa Mère, il avait coutume de dire: " Oh! bienheureuse croix, quand est-ce que je me trouverai entre vos bras et que vous porterez les miens, afin que, cloués à votre bois, ils restent ouverts pour recevoir tous les pécheurs! Puisque je suis descendu du ciel pour les appeler à mon imitation et à ma participation (2), comment ne serais-je pas toujours prêt à les embrasser et à les enrichir? Venez donc à la lumière, vous tous qui êtes aveugles. Pauvres, venez puiser aux trésors de ma grâce. Venez, petits, venez recevoir les caresses de votre véritable Père. Venez à moi, vous tous qui travaillez et qui êtes affligés, et je vous soulagerai (3). Venez, justes, venez à moi, car vous êtes ma possession et mon héritage. Venez , enfants d'Adam, je vous appelle tous (4). Je suis la voie, la vérité et la (1) Luc., XXI, 44. - (2) Matth., IX, 13. - (3) Matth., XI, 28. - (4) I Tim., II, 4. 109 vie (1), je ne la refuserai à personne si on veut la recevoir. Père éternel, ils sont les ouvrages de vos mains, ne les méprisez pas (2), car je m'offre pour eux à la mort de la croix, afin de les rendre justes et innocents (s'ils ne repoussent point mes faveurs), et afin de les remettre au nombre de vos élus et dans le royaume céleste , où votre saint nom soit glorifié. " 850. La compatissante Mère de trouvait présente à tout cela, et la lumière de son adorable Fils rejaillissait en la pureté de son âme comme en un cristal sans tache; et parce qu'elle était comme l'écho de ses voix intérieures et extérieures, elle les répétait, imitant en tout notre aimable Sauveur, se joignant à ses prières, et prenant la posture dans laquelle il les faisait. La première fois que cette grande Dame le vit suer du sang, elle en eut comme nuls amoureuse mère le coeur percé de douleur, et admirant l'effet que produisait en ce divin Seigneur la prévision des péchés et des ingratitudes des hommes (car cette très-sainte Mère pénétrait toutes ses pensées), elle s'adressait aux mortels, et disait d'une voix gémissante : " 0 enfants des hommes, que vous comprenez peu combien le Créateur estime en vous son image et sa ressemblance , puisqu'il offre son propre sang pour le prix de votre rachat, et qu'il aime mieux le verser que de vous perdre! Oh! si je pouvais enchaîner votre volonté à la mienne, pour vous (1) Joan., XIV, 6. -(2) Ps., CXXXVII, 8. 110 forcer à l'aimer et à lui obéir 1 Dénis soient de sa divine main les justes et les reconnaissants qui seront les fidèles enfants de leur Père céleste. Que ceux qui répondront aux désirs ardents que mon Fils a de leur donner le salut éternel, soient remplis de sa lumière et des trésors de sa grâce. Ah! si je pouvais devenir l'humble servante des enfants d'Adam, pour les obliger par mes services à mettre fin à leurs péchés et à leur propre perte ! Mon divin Seigneur, vie et lumière de mon âme, qui peut être assez endurci de coeur et assez ennemi de lui-même pour ne pas se reconnaître vaincu par vos bienfaits? Qui peut être assez insensible, assez ingrat pour oublier votre très-ardent amour? Comment pour rai-je souffrir sans mourir, que les hommes, si favorisée de votre main libérale, vous soient si odieuse ment rebelles? O enfants d'Adam, tournez contre a moi votre cruelle impiété. Affligez- moi et méprisez moi tant que vous voudrez , pourvu que vous rendiez ô mon aimable Maître l'amour et le respect que vous lui devez pour tant de faveurs que vous en recevez. Mon très-saint Fils et mon Seigneur, vous êtes la lumière de la lumière, le Fils du Père éternel, l'image de sa substance (1), éternel et infini comme lui, égal en l'essence et dans les attributs, en ce que vous êtes avec lui un seul Dieu et une même majesté souveraine (2). Vous êtes choisi entre mille (3), vous surpassez en beauté les enfants (1) Hebr., I, 3. - (2) Joan., X, 30 . - (3) Cant., V, 10. 111 des hommes, vous êtes saint, innocent et sans aucun défaut (1) ! Comment donc, ô Bien suprême, les mortels ignorent-ils le plus noble objet de leur amour? Comment méconnaissent-ils le principe qui leur a donné l'être, et la fin en laquelle consiste leur véritable et éternelle félicité? Oh! si je pouvais au prix de ma propre vie les tirer tous de leur aveuglement ! " 851. Notre auguste Princesse ajoutait à ce que je viens de dire beaucoup d'autres choses que j'ai entendues; mais le coeur et la parole me manquent également pour exprimer les affections si ardentes qui embrasaient cette chaste colombe; et c'est avec cet amour incomparable et avec un souverain respect qu'elle essuyait le sang que son très-doux Fils suait. D'autres fois elle le trouvait dans un état bien différent, revêtu de gloire et de splendeur, transfiguré comme il le fut depuis sur le Thabor (2), et accompagné d'une grande multitude d'anges en forme humaine, qui l'adoraient et lui chantaient dans un concert harmonieux de nouveaux cantiques de louange. Notre Dame écoutait cette musique céleste, elle en jouissait aussi en d'autres circonstances, où notre Seigneur Jésus-Christ n'était point transfiguré; car la volonté divine ordonnait quelquefois que la partie sensitive de l'humanité du Verbe reçoit ce soulagement, comme elle le recevait lorsque cet adorable Seigneur était transfiguré par l'écoulement de (1) Hebr., VII, 26. - (2) Matth., XVII, 2. 112 la gloire de l'âme qui se communiquait au coups, quoique cela arrivât rarement. Mais quand la divine Mère le voyait en cette forme glorieuse, ou qu'elle entendait la musique des anges, elle participait si largement aux transports de cette allégresse céleste, que si elle n'avait point eu l'âme aussi forte, et si le Seigneur son Fils ne l'avait assistée, elle aurait perdu toutes ses forces naturelles; les saints anges la soutenaient aussi dans les défaillances du corps qu'elle ressentait ordinairement en ces sortes de rencontres. 352. Il arrivait souvent que son très-saint Fils se trouvant en ces dispositions de tristesse ou de joie dans lesquelles il priait le Père éternel, et semblait s'entretenir avec lui des très-hauts mystères de la rédemption, la même personne du Père lui répandait et accordait ce que le Fils demandait pour le salut des hommes, ou représentait à la très-sainte humanité les décrets cachés de la prédestination ou de la réprobation de quelques-uns. Notre grande Reine entendait tout cela avec une humilité très-profonde. Elle adorait avec une crainte respectueuse le Tout-Puissant , et se joignait à son adorable fils dans ses prières et dans les actions de grâces qu'il rendait au Père pour ses grandes œuvres et pour la clémence qu'il exerçait envers les hommes; elle louait aussi ses jugements impénétrables. Cette très-prudente Vierge repassait et gardait tous ces mystères dans le plus intime de sou coeur, et s'eu servait comme d'une nouvelle matière pour augmenter et entretenir le feu du sanctuaire qui brûlait dans son âme ; car elle ne recevait 113 aucune de ces faveurs secrètes qu'elle n'en tirât quelque fruit. Elle correspondait à toutes selon le bon plaisir du Seigneur, avec la plénitude de sentiments et le retour convenables, pour que les fins du TrèsHaut eussent leur accomplissement, et que toutes ses oeuvres fussent connues et célébrées par de dignes actions de grâces, autant qu'il était en une simple créature: Instruction que la très-sainte Vierge m'a donnée. 853. Ma fille une des raisons pour lesquelles les hommes doivent m'appeler Mère de miséricorde, c'est la tendre compassion qui me fait désirer si vivement que tous viennent se désaltérer au torrent de la grâce, et que tous goûtent la douceur du Seigneur (1), comme je le fis. Je les appelle et les convie tous à venir avec moi étancher leur soif aux eaux de la Divinité. Que les plus pauvres et les plus affligés s'approchent, car s'ils me répondent et me suivent, je leur promets ma puissante protection auprès de mon Fils, et je leur procurerai la manne cachée qui leur donnera la nourriture et la vie. Venez, ma bien-aimée, venez, approchez-vous, ma très-chère, afin que vous me suiviez et receviez le nom nouveau, (1) Ps. XXXIII, 9. 114 qui n'est, connu que de celui qui le reçoit (1). ]Levezvous de la poussière, secouez et rejetez tout ce qui est terrestre et passager, et approchez-vous des choses célestes. Renoncez à vous-même et à toutes les oeuvres de la fragilité humaine, marchant à l'éclatante lu-. mière dont vous éclairent celles de mon très-saint, Fils, et, à son exemple, mes propres actions; étudiez, ce modèle et regardez-vous dans ce miroir, pour, vous orner de la beauté que le souverain Roi désire trouver en vous (2). 854. Or, comme ce moyen est le plus puissant pour arriver à la perfection et à la plénitude de vos oeuvres que vous souhaitez, je veux que, pour régler toutes vos actions, vous graviez cet avis dans votre coeur : que quand l'occasion se présentera de faire quelque couvre intérieure ou extérieure, vous vous demandiez à vous- même, avant d'agir, si mois très-saint Fils et moi eussions fait ce que vous allez dire ou faire, et avec quelle droiture d'intention nous l'eussions rapporté à la gloire du Très-Haut et au bien de notre prochain. Et si vous reconnaissez que nous l'eussions fait avec cette fin, exécutez-le pour suivre, notre exemple; mais si vous découvrez le contraire, abstenez-vous: c'est la conduite que j'observai à l'égard de mon divin Maître, quoique je n'eusse point la répugnance que vous avez pour le bien, mais qu'au contraire je désirasse par inclination de l'imiter parfaitement; et c'est en cette imitation que, consiste la (1) Apoc., II, 17. - (2) Ps. XLIV, 11. 115 participation fructueuse de sa sainteté; car cet adorable Seigneur enseigne aux créatures, et les oblige à pratiquer en toutes choses ce qui est le plus parfait et le plus agréable à Dieu. En outre, je vous avertis que vous devez commencer dès à présent à ne rien faire, ni dire, ni penser sans m'en avoir demandé la permission avant que de vous déterminer, me consultant en tout comme votre Mère et votre Maîtresse. Et si je vous réponds, vous en rendrez des actions de grâces au Seigneur; et si je ne le fais pas et que vous restiez fidèle à cette salutaire habitude, je vous assure et vous promets de la part, du Seigneur qu'il vous donnera lui-même la lumière pour vous résoudre. à ce qui sera le plus conforme à sa très-sainte volonté. Nais prenez garde à ne rien exécuter sans l'ordre de votre Père spirituel, et n'oubliez jamais. cette pratique. CHAPITRE XIII. L'auguste Marie achève la trente-troisième année de son âge. - Son corps virginal se conserve dans sa même disposition. Elle prend la résolution d'entretenir son adorable Fils et saint Joseph par son travail. 855. Notre grande Reine s'occupait aux exercices et dans les mystères divins.que j'ai jusqu'à présent 116 indiqués plutôt qu'exposés, surtout après que son très-saint Fils eut passé sa douzième année. Le temps s'écoula; de sorte que cet aimable Sauveur ayant accompli la dix-huitième année de son adolescence, selon la supputation de son incarnation et de sa naissance, que nous avons faite ailleurs, sa bienheureuse Mère acheva la trente-troisième année de son âge parfait; et c'est ainsi que je l'appelle, parce que, selon les parties qui divisent communément la vie des hommes (soit six, soit sept), l'âge de trente-trois ans est celui de son plein développement et de sa perfection naturelle; il marque la fin de la jeunesse, comme quelques-uns le. tiennent, ou le commencement de la maturité, selon l'opinion des autres; mais, quelque division des âges que l'on adopte, la trente-troisième année est généralement le terme de la perfection naturelle, et l'homme ne s'y maintient guère, car bientôt la nature corruptible, qui ne demeure jamais en un même état (1), commence à décliner, comme la lune quand elle est arrivée au période de sa plénitude. A ce déclin du milieu de la vie, non-seulement le corps ne croît et ne grandit plus, mais s'il grossit et augmente de volume, loin qu'il y ait là un accroissement de perfection, il y a souvent un défaut de la nature. C'est pour cette raison que notre Seigneur Jésus-Christ mourut à l'âge de trente-trois ans; parce que son très-ardent amour voulut attendre que son corps sacré fût parvenu au terme de sa perfection naturelle (1) Job., XIV, 2. 117 pour offrir pour nous sa très-sainte humanité avec tous les dons de la nature et de la grâce; ce n'est pas que celle-ci eût aucun accroissement en lui, mais c'était afin que la nature y correspondit, et qu'il ne pût avoir rien de plus à sacrifier pour le genre humain. C'est pour cette raison que l'on dit que le Très-Haut créa nos. premiers parents Adam et Ève en la perfection qu'ils auraient eue à l'âge de trente- trois ans. Il rien est pas moins vrai pourtant que dans les premier et second âges du monde, où la vie était plus longue et où l'on divisait l'existence humaine en six ou sept parties, plus ou moins, chacune de ces parties devait être composée de beaucoup plus d'années que dans ces derniers siècles, puisque David fait appartenir la soixante-dixième année à la vieillesse (1). 856. La Reine du ciel entra dans sa trente-troisième année, et lorsqu'elle fut révolue, son corps virginal se trouva dans sa perfection physique, si.. beau et si bien proportionné, qu'il faisait l'admiration non-seulement de la nature humaine, mais encore des esprits angéliques. Ce corps sacré avait atteint sa juste grandeur, et présentait dans tous ses membres le plus harmonieux développement, de sorte qu'il réalisait l'idéal de la perfection dont est susceptible une créature humaine. C'est pourquoi l'auguste Marie ressembla dés lors merveilleusement à la très-sainte humanité de son Fils tel qu'il apparut au même âge : car ils avaient les mêmes traits et le même teint, (1) Ps. LXXXIX, 10. 118 quoique subsistât toujours cette différence que Jésus-Christ était le plus parfait des hommes, et que sa Mère, malgré son infériorité, était la plus parfaite des femmes. Il faut remarquer ensuite que chez les autres mortels la perfection naturelle commence ordinairement à déchoir dès cet âge, parce que l'humide radical et la chaleur intérieure diminuent insensiblement : les humeurs perdent leur équilibre, et l'élément terrestre tend à prédominer; peu à peu les cheveux blanchissent, les rides se forment, le sang se refroidit, les forces s'épuisent, et toutes les parties de l'humain assemblage commencent, sans qu'aucune industrie puisse les retenir, à se désorganiser, pour passer de la vieillesse à la corruption. Mais la très-pure Marie fut exempte de tout cela, car elle conserva cette vigueur et cette admirable complexion qu'elle avait dans sa trente-troisième année, sans le moindre affaiblissement et sans la moindre altération; et quand elle atteignit sa soixante-dixième année, qui fut la dernière de sa vie (comme je le dirai en son lieu), la constitution de son corps virginal présentait la même intégrité et lui laissait les mêmes forces qu'à l'âge de trente-trois ans. 857. Notre grande Dame connut ce privilège que le Très-Haut lui accordait, et lui en rendit des actions de grâces. Elle sut aussi qu'elle en jouissait afin que la ressemblance de l'humanité de son très-saint Fils se conservât toujours en elle- même sous le rapport de cette perfection physique, malgré la différence de leurs vies. En effet le Seigneur devait sacrifier sa vie 119 à cet âge, et la divine Reine devait prolonger la sienne; mais toujours avec cette ressemblance. Saint Joseph n'était pas fort vieux lorsque cette divine Reine eut atteint sa trente-troisième année, mais ses forces ne laissaient pas d'être fort abattues, parce que les soucis, les voyages et les peines, continuelles qu'il avait prises pour entretenir son épouse et le Seigneur de l'univers l'avaient affaibli bien plus que son âge. Et comme ce même Seigneur voulait l'avancer dans l'exercice de la patience et des autres vertus, il permit qu'il eût quelques maladies (comme je le dirai dans le chapitre suivant) qui l'empêchaient beaucoup de s'appliquer au travail corporel. Sa très-prudente épouse (qui l'avait toujours estimé, aimé et servi au delà de tout ce que les autres femmes ont jamais su faire à l'égard de leurs maris), connaissant ses indispositions, lui dit : " Mon époux et mon seigneur, je me sens extrêmement obligée de votre fidélité, de vos soins et des fatigues que vous vous êtes toujours imposées, puisque vous avez entretenu jusqu'à présent votre servante et mon adorable Fils à la sueur de votre visage, et que dans ces travaux vous avez usé vos forces, votre santé et votre vie pour pourvoir à mes besoins; vous recevrez de la main libérale du Très-Haut la récompense de vos peines et les douces bénédictions que vous méritez (1). Je vous prie, cher maître, de vous reposer maintenant et de cesser votre travail; puisque vos (1) Ps. XX, 3. 120 infirmités ne vous permettent plus de vous y livrer. Je veux à présent travailler pour vous et vous témoigner ma reconnaissance tant que le Seigneur nous laissera la vie. " 858. Le saint écouta les raisons de sa très-douce épouse en versant d'abondantes larmes d'humble gratitude et de consolation; et, tout en lui exprimant le désir de travailler toujours, il se rendit aux prières de la Reine de l'univers et se crut obligé de lui obéir. Dès lors il cessa le travail manuel, dont le produit servait à l'entretien de la sainte famille, et pour qu'il n'y eût rien d'inutile ni de superflu dans sa demeure, tous les outils propres au métier de charpentier furent donnés par aumône. Saint Joseph, se voyant ainsi débarrassé de ses occupations, s'appliqua tout entier à la contemplation des mystères qu'il conservait dans son coeur et aux exercices des vertus. Et comme dans cette vie spirituelle il fut si heureux que de jouir de la présence et de la conversation de la Sagesse incarnée et de celle qui en était la Mère, il arriva à un si haut degré de sainteté qu'après sa divine Épouse, qui fut toujours l'unique entre les simples créatures, il surpassa tous les hommes, ou il ne sera jamais surpassé d'aucun. Cette auguste Reine et son très-saint Fils l'assistaient, le servaient, le consolaient et le soulageaient dans ses maladies avec la plus grande sollicitude; aussi n'est-il pas possible de décrire les effets d'humilité, de respect et d'amour que leurs charitables soins produisaient dans le coeur candide et reconnaissant de l'homme de Dieu. Ce fut sans doute un sujet d'admiration 121 et de joie pour les esprits angéliques, et d'une haute satisfaction pour le Très-Haut. 859. Dès lors l'illustre Princesse se chargea d'entretenir son très-saint Fils et son époux par son travail, la Sagesse éternelle mettant ce couronnement à toutes ses vertus et à tous ses mérites pour l'exemple et la confusion des enfants d'Adam. Le Seigneur nous a proposé pour modèle cette femme forte, revêtue de beauté et de force (1); il l'avait ceinte à cet effet de beaucoup de vigueur dans cet âge, affermissant ses bras afin qu'elle les étendit vers les pauvres; qu'elle achetât le champ, et qu'elle plantât la vigne du fruit de ses mains. Le coeur de son mari mit sa confiance en elle, et non-seulement celui de son époux Joseph, mais aussi celui de son Fils, Dieu et homme véritable, maître de la pauvreté et le pauvre des pauvres; et ils ne furent point trompés dans leur attente. Notre grande Reine commença à travailler plus que jamais, filant du lin et de la laine, et pratiquant mystérieusement tout ce que Salomon en a dit dans le chapitre trente et unième des Proverbes : et comme j'ai expliqué ce chapitre à la fin de la première partie, je ne crois pas qu'il soit nécessaire d'y revenir maintenant, quoiqu'il y ait plusieurs détails qui s'appliquent à la circonstance dont je parle, et dans laquelle notre incomparable Reine les accomplit d'une manière spéciale dans ses occupations extérieures et matérielles. 860. Il n'aurait pas manqué de moyens au Seigneur (1) Prov., XXXI, 10. etc. 122 pour entretenir la vie temporelle de sa très sainte Mère et de saint Joseph, puisque' l'homme ne vit pas seulement de pain, et que ce divin Seigneur pouvait les soutenir par sa parole, comme il le dit lui-même (1). Il pouvait aussi leur fournir miraculeusement chaque jour le nécessaire; mais s'il eût usé de sa puissance souveraine dans cette rencontre, le monde aurait été privé de cet exemplaire de voir travailler sa très-sainte Mère, Reine de l'univers, pour gagner sa nourriture; et si la plus généreuse des Vierges n'eût pas acquis ces mérites, elle aurait elle-même été privée d'une récompensé considérable. Le Maître de notre salut disposa tout cela avec une merveilleuse providence pour la gloire de sa Mère et pour notre instruction. On ne saurait exprimer la diligence avec laquelle cette prudente Princesse pourvoyait à tout. Elle travaillait beaucoup; et comme elle gardait toujours la solitude, cette heureuse femme sa voisine, dont nous avons parlé ailleurs, prenait soin de débiter ses ouvrages et de lui porter le nécessaire. Quand l'auguste Marie lui donnait quelque commission, ce n'était jamais en lui commandant; elle ne faisait que la prier avec une profonde humilité, après avoir sondé ses dispositions; et, afin de les découvrir, elle la prévenait et lui demandait si elle jugeait à propos de faire telle ou telle chose. Notre adorable sauveur et sa divine Mère ne mangeaient point de viande; leur nourriture ne consistait qu'en des poissons, des fruits (1) Matth., IV, 4. 123 et des herbes, et c'était encore avec une sobriété admirable. Elle préparait néanmoins de la viande pour saint Joseph; et quoique la pauvreté éclatât eu tout, notre auguste Reine y suppléait par les soins qu'elle mettait à apprêter le mets le plus frugal, par son empressement et par les manières agréables avec lesquelles elle le lui présentait. Elle dormait fort peu, et passait quelquefois la plus grande partie de la nuit au travail ; et le Seigneur le permettait plus souvent que lorsqu'ils étaient en Égypte, comme je l'ai raconté. Il arrivait aussi de temps en temps que son travail ne suffisait pas pour lui fournir tout ce qui leur était nécessaire, parce que saint Joseph avait besoin de nourritures plus varus et de plus de vêtements que par le passé. Alors notre Seigneur Jésus-Christ usait de a pouvoir et multipliait les choses qui étaient dans la maison, où il commandait aux anges de les apporter; mafia les merveilles qu'il opérait le plus souvent en faveur de sa très-sainte Mère consistaient à faire qu'elle travaillât beaucoup en peu de temps, et que ses ouvrages se multipliassent entre ses mains. Instruction de la Reine du ciel 881. Ma fille, vous avez découvert en ce qui est écrit de mon travail une très- sublime doctrine dont 129 vous pouvez vous servir pour votre conduite; et, afin ,que vous n'en oubliiez rien, je vais vous la résumer dans ces leçons. Je veux que vous m'imitiez en trois vertus que ce que vous venez d'écrire vous a fait reconnaître en moi : ce sont la prudence, la charité et la justice, vertus sur lesquelles les mortels ne réfléchissent guère. Par la prudence, vous devez prévoir les nécessités de votre prochain et la manière d'y subvenir, autant que votre état vous le permettra. Par la charité, vous vous devez porter avec diligence et amour à lui rendre vos bons offices. La justice vous enseigne que c'est une obligation d'agir comme vous pourriez désirer qu'on agit à votre égard, et comme le nécessiteux le demande. Vous devez être l'oeil de l'aveugle (1), la préceptrice du sourd, et le manchot doit pouvoir se servir de vos mains pour travailler. Et quoique dans votre état vous ayez toujours à pratiquer cette doctrine dans un sens spirituel, je veux pourtant que vous l'étendiez aussi sur ce qui concerne le temporel, et que vous soyez très-fidèle à m'imiter en, tout, puisque je prévins les besoins de mon époux, et que je résolus de le servir et de le nourrir, le reste de ses jours, dans la pensée que je le devais; et c'est ce que je fis avec une ardente charité; au moyen de mon travail. Sans doute le Seigneur me l'avait donné pour qu'il pourvût à mon entretien, comme il le fit avec une grande ponctuait tout le temps que ses forces le lui permirent : mais quand il les eut perdues, (1) Job., XXIX, 15. 125 cette obligation m'incombait, puisque le même Seigneur me conservait les miennes : et c'eût été une grande faute de ne lui pas rendre le retour avec une généreuse fidélité. 862. Les enfants de l'Église ne considèrent pas cet exemple, et c'est pourquoi il s'est introduit parmi eux un impie dérèglement qui porte le Juge suprême à les châtier avec sévérité; puisque tous les hommes étant destinés au travail (1) non-seulement depuis le péché , qui le leur a mérité comme une juste peiné, mais même depuis la création du premier homme (2), le travail n'est pas également réparti entre tous; car les plus puissants, les plus opulents et ceux que le monde appelle seigneurs et nobles tâchent de s'exempter de cette loi commune, et en font retomber toutes les charges sur les humbles et sur les pauvres, qui entretiennent par leurs propres sueurs le luxe et l'orgueil des riches : de sorte que l'on peut dire que le faible sert le fort et le puissant. Ce dérèglement prend un tel empire sur certains superbes, qu'ils s'imaginent que tout leur est dû, et dans cette pensée ils foulent, abattent et méprisent les pauvres (3); ils se lattent qu'ils ne doivent vivre que pour eux-mêmes et pour jouir du repos, des plaisirs et des richesses du monde; et, ce qui est étrange, ils ne paient pas même le mince salaire de leur labeur. A propos de cette négligence à satisfaire les pauvres, les serviteurs et les artisans, et de tout ce que vous avez appris sur (1) Job., V, 7. - (2) Gen., II, 15. - (3) Jacob., II, 4. 126 cette matière, vous pourriez attaquer les injustices énormes que l'on commet contre l'ordre et contre la volonté du Très-Haut : mais il suffit de faire savoir aux coupables que, comme ils pervertissent la justice et la raison, et ne veulent point participer au travail des hommes, de même l'ordre de la miséricorde sera changé à leur égard (1); car elle sera accordée aux petits et aux misérables (2), et ceux que l'orgueil a retenus dans une heureuse oisiveté seront punis avec les démons qu'ils ont imités. 863. Vous devez, ma très-chère fille, prendre garde à ces illusions; et, pour les éviter, il faut que vous soyez toujours occupée à votre travail, selon l'exemple que je vous ai donné, et que vous vous éloigniez des enfants de Bélial (3), qui cherchent dans leur damnable oisiveté les applaudissements de la vanité, pour travailler en vain (4). Ne vous regardez point comme supérieure, mais comme la servante de vos inférieures, et surtout des plus faibles et des plus humbles, et servez-les toutes avec beaucoup de diligence, sans aucune distinction. Vous devez pourvoir à leurs besoins, même par votre propre travail, si c'est nécessaire, croyant que cette obligation vous incombe non-seulement en qualité de supérieure, mais encore parce que les religieuses sont vos soeurs, les filles de votre Père céleste et les ouvrages du Seigneur, qui est votre époux. Car, comme vous avez (1) Ps. VII, 12. - (2) Sap., VI, 7. - (3) II Paral., XIII, 7. - (4) Ps. IV, 3. 127 plus reçu de sa main libérale qu'elles toutes ensemble, vous êtes aussi tenue à travailler plus qu'aucune autre, puisque vous méritiez le moins ses faveurs. Exemptez les faibles et les malades du travail corporel, et prenez-le vous-même pour elles. Je ne veux pas que vous chargiez les autres des peines que vous pouvez prendre et qui vous regardent; au contraire, vous devez vous charger de tout leur travail autant qu'il vous sera possible, comme leur servante et la moindre du couvent, car je veux que vous n'ayez qu'une pareille opinion de vous-même. Et comme vous ne pourrez pas vous employer à tout et que voua serez obligée de répartir les divers travaux corporels entre vos inférieures, il faut bien veiller à mettre dans votre conduite beaucoup d'ordre et d'impartialité, afin dé ne pas surcharger celles qui résistent moins par humilité ou qui sont plus faibles: su contraire, jq veux que vous cherchiez à humilier les plus hautaines et celles qui s'appliquent à leur besogne avec plus de répugnance, sans pourtant les irriter par une trop grande rigueur, mais en les amenant sous le joug, de la sainte obéissance. avec une humble fermeté et avec une douce sévérité. Vous leur rendrez ainsi le meilleur office possible, et vous satisferez en même temps à vos obligations et à. votre conscience; c'est ce que vous leur devez faire entendre. Vous viendrez à bout, de tout si vous. ne faites, aucune acception de personne, si, en donnant à chaque religieuse une tache en rapport avec ses forces, vous lui fournissez toutes les choses nécessaires ; si vous observez constamment 128 les règles d'une stricte équité, et si par votre exemple vous leur inspirez de l'horreur pour l'oisiveté et pour la paresse, en vous appliquant la première à tout ce qui sera le plus difficile. Vous acquerrez par là une humble liberté de commander à vos sueurs : mais souvenez-vous de ne vous décharger sur aucune de ce que vota pouvez faire, si vous voulez jouir à mon imitation du fruit et de la récompense de votre travail, suivre mes avis et obéir à mes ordres. CHAPITRE XIV. Des maux et des infirmités que saint Joseph souffrit dans les dernières années de sa vie, et des soins que lui donnait la Reine du ciel son épouse. 864. C'est,un défaut commun à presque tous ceux qui ont été appelés à la lumière et à la profession de la sainte foi, et aux disciples qui devraient suivre Jésus-Christ, de chercher en lui le Rédempteur qui nous délivre de nos péchés plutôt que le Maître qui nous enseigne par son exemple à souffrir les afflictions. Nous voulons tous jouir du fruit de la rédemption; nous demandons tous que le Réparateur nous ouvre les portes de la grâce et du ciel, mais nous ne nous soucions pas autant de le suivre dans le chemin 129 de la croix, par lequel il est entré dans sa gloire, et dans lequel il nous invite à marcher pour arriver à la nôtre (1). Sans doute les catholiques ne tombent pas à cet égard dans les erreurs grossières des hérétiques, car tous avouent que sans les bonnes oeuvres et sans les afflictions il n'y a ni récompense ni couronne (2), et que c'est un véritable blasphème et un sacrilège horrible de se prévaloir des mérites de notre Seigneur Jésus-Christ pour pécher sans retenue et sans crainte; néanmoins, en la pratique des oeuvres qui supposent la foi, certains catholiques enfants de la sainte Église ne cherchent guère à se distinguer de ceux qui sont dans les ténèbres, puisqu'ils évitent les oeuvres pénibles et méritoires, comme s'ils croyaient pouvoir, en dehors d'elles, suivre leur adorable Maître et arriver à la participation de sa gloire. 865. Sortons de cette erreur manifeste, et soyons bien persuadés que la souffrance a été dévolue non-seulement à notre Seigneur Jésus-Christ, mais à nous aussi; et que s'il a enduré tant de peines et subi la mort comme Rédempteur du monde, il nous a en même temps enseigné et engagés comme Maître à porter sa croix. C'est à ses amis qu'il l'a communiquée, de sorte que ses plus grands favoris en ont reçu une plus grande part et ont pu la porter plus souvent personne n'est entré dans le ciel (étant en état de pouvoir le mériter pendant sa vie) qu'il ne l'ait mérité par ses œuvres. La Mère de Dieu, les apôtres, les (1) Matth., XVI, 24; Luc., XXIV, 26. - (1) II Tim., II, 5. 130 martyrs, les confesseurs, les vierges, tous ont marché par les voies des afflictions, et ceux qui les ont embrassées avec plus de générosité reçoivent une plus grande récompense et une plus riche couronne. Que si cet adorable Seigneur est le plus vif et le plus admirable exemplaire de la souffrance, on ne doit pas pousser la témérité jusqu'à dire que s'il a souffert comme homme, il était à la fois Dieu tout-puissant, et que par conséquent il a offert à la faiblesse humaine plutôt un sujet d'admiration que d'imitation tir le Sauveur de nos âmes renverse cette excuse par l'exemple de sa très-chaste Mère et de saint Joseph, et par celui de tant d'hommes et de femmes aussi faibles et moins coupables que nous, qui l'ont imité et suivi par le chemin de la croix : en effet, le Seigneur n'a pas souffert seulement pour exciter notre admiration, mais pour nous proposer un exemple admirable et imitable en même temps : sa divinité ne l'a pas empêché de ressentir les peines; au contraire, plus il était innocent, plus il était sensible à la douleur. 866. Il conduisit par ce chemin royal l'époux de sa très-pure Mère, saint Joseph, que sa Majesté aimait sur tous les enfants des hommes; et, afin d'accroître du mérites et d'embellir sa couronne pendant le temps qui lui était accordé pour s'en rendre digne, ce divin Seigneur lui envoya dans les dernières années de sa vie diverses maladies, des fièvres, de violentes migraines, des rhumatismes aigus par tout le corps, qui le tourmentèrent et qui l'affaiblirent extrêmement; outre ces infirmités, il passa par une autre souffrance, 131 plus douce et à la fois plus vive, qui résultait de la force de l'amour dont il était embrasé : car cet amour était si ardent, et il jetait maintes fois le saint patriarche dans des transports si véhéments, si irrésistibles, que son très-pur esprit aurait rompu les chaînes du corps sans le secours spécial que le même Seigneur, qui les lui causait, se plaisait à lui ménager pour qu'il ne succombât point à cette douleur. Mais sa Majesté lui laissait souffrir cette douce violence jusqu'au temps qu'elle avait déterminé; et, dans l'état d'excessive faiblesse auquel le saint était réduit par l'épuisement de la nature, cet héroïque exercice lui procurait d'inestimables mérites, non-seulement eu raison du supplice qu'il endurait, mais aussi à cause de l'amour qui le lui faisait endurer. 867. Notre grande Reine, son épouse, était témoin de tous ces mystères, et pénétrait, comme je l'ai dit ailleurs, l'intérieur du saint, afin qu'elle ne fût pas privée de la joie d'avoir un époux si saint et si aimé du Seigneur. Elle ne se lassait point de considérer la candeur et la pureté de cette âme, ses ardentes affections, ses hautes et divines pensées, sa patience et son inaltérable sérénité dans les maladies; elle mesurait et pesait toutes les douleurs qu'elles apportaient au grand patriarche sans qu'on l'entendit jamais se plaindre, soupirer ni demander aucun soulagement soit dans ses souffrances, soit dans sa faiblesse, soit dans ses divers besoins : car il supportait tout avec une résignation et une magnanimité incomparables. Et comme sa très-prudente épouse découvrait tout 132 cela aussi bien que la valeur et le mérite de tant de vertus que le saint pratiquait , elle conçut une si grande vénération pour lui, qu'il n'est pas possible de l'exprimer. Elle travaillait avec une joie incroyable, afin de mieux le nourrir et de mieux le soulager, quoique pour lui le plus grand régal consistât en ce qu'elle-même lui apprêtait et lui servait à manger de ses mains virginales. Mais, de son côté, tout ce. qu'elle faisait elle l'estimait fort peu, eu égard aux besoins de son époux, et surtout au grand amour qu'elle lui portait. C'est pourquoi elle usait assez convent du pouvoir de Reine et Maîtresse de toutes les créatures; et elle commandait quelquefois aux aliments qu'elle apprêtait pour son saint malade de lui donner des forces et de lui rendre l'appétit, puisque c'était pour conserver la vie du saint, du juste et de l'élu du Très-Haut. 868. Cela arrivait comme notre illustre Dame l'ordonnait, parce que toutes les créatures lui obéissaient; et quand saint Joseph mangeait et ressentait les douces bénédictions et les merveilleux effets de ces aliments, il disait à la Reine du ciel: " Noble épouse, quels aliments de vie sont ceux-ci, qui me vivifient avec tant d'efficace, me réveillent l'appétit, rétablissent mes forces et me remplissent d'une nouvelle consolation? " La Reine du ciel le servait à genoux; lorsque ses douleurs augmentaient, elle le déchaussait en la même posture, et dans ses langueurs elle le soutenait et l'aidait avec une tendresse admirable. Et quoique l'humble saint fit tous ses efforts 133 pour empêcher son épouse de prendre cette peine, c'était toujours en vain; car la divine infirmière, connaissant toutes les infirmités de son malade et les moments où il fallait l'assister, accourait aussitôt près de lui et le soignait dans tous ses besoins. Elle lui disait souvent, comme Maîtresse de la sagesse et des vertus, des choses qui le consolaient extrêmement. Dans les trois dernières années de la vie du saint, qui furent la période de ses plus grandes douleurs, elle ne le quitta ni le jour ni la nuit.; et si quelquefois elle s'en écartait, ce n'était que pour servir son très- saint Fils, qui se joignait à sa Mère pour assister le saint patriarche, excepté lorsqu'il était nécessaire qu'il s'employât à d'autres oeuvres. De sorte que nous pouvons dire qu'il n'y a eu et qu'il n'y aura jamais de malade aussi bien servi, soigné et soulagé. Et par là l'on peut voir combien le bonheur et les mérites de saint Joseph furent grands; car lui seul a mérité d'avoir pour épouse celle qui a été l'Épouse du Saint-Esprit. 869. Notre divine Dame ne satisfaisait point son affection pour saint Joseph par tous ces services dont nous venons de parler; elle tâchait encore de le soulager et de le consoler par d'autres moyens. Quelquefois elle priait le Seigneur, avec la plus ardente charité, de délivrer son époux de ses douleurs et les lui envoyer à elle même. Dans cette demande elle se croyait digne de toutes les peines des créatures, dont elle se regardait comme la dernière, et c'est ce qu'elle alléguait en la présence du Très-Haut : elle lui représentait 134 que sa dette était plus grande que celle de tous les vivants ensemble, et qu'elle ne lui rendait pas le retour qu'elle lui devait; en expiation, elle lui offrait un coeur préparé à toutes sortes d'afflictions et de douleurs. Elle alléguait aussi la sainteté, la pureté et la candeur de saint Joseph, et les délices que le Seigneur prenait dans ce coeur si conforme à celui de sa Majesté. Elle le priait de le combler de ses bénédictions, et lui rendait des actions de grâces d'avoir créé un homme,si digne de ses faveurs et si rempli de sainteté et de droiture. Elle recommandait aux anges de l'en louer et glorifier, et, considérant la gloire et 1a sagesse du Très-Haut en ses oeuvres, elle le bénissait par de nouveaux cantiques : car d'un côté elle regardait les peines de son époux bien-aimé, et cette vue excitait sa compassion; et d'un autre côté, connaissant ses mérites et les complaisances que son adorable Fils y mettait, elle se réjouissait de la patience du saint et en exaltait le Seigneur; de sorte que notre auguste Reine pratiquait dans toutes ses oeuvres, et dans l'intelligence qu'elle en avait, divers actes de vertus qui répondaient à chacune de ces mêmes oeuvres; mais ces actes étaient tous si sublimes et si éminents, que les esprits angéliques se pâmaient d'admiration. Avec leur ignorance, les mortels pourraient être plus ravis encore de voir qu'une créature humaine donnât la plénitude à tant de choses différentes, et que les soins de Marthe n'empêchassent point la contemplation de Marie (1), (1) Luc., X, 41, 42 ; Matt., XVIII, 10. 135 étant en cela semblable aux anges qui nous assistent et nous gardent sans perdre de vue le Très-Haut : mais la très-pure Épouse les surpassait en cette attention, car elle travaillait en même temps par les organes corporels, dont eux sont privés; fille terrestre d'Adam et esprit céleste, elle se trouvait par la partie supérieure de l'âme élevée aux choses les plus divines et à l'extase du saint amour, tandis que par la partie inférieure de l'âme elle restait à exercer la charité envers son vénérable époux. 870. En d'autres occasions la pitoyable Reine savait combien les douleurs que souffrait saint Joseph étaient cuisantes, et, touchée d'une tendre compassion, elle commandait, après en avoir obtenu la permission de son adorable Fils, aux accidents douloureux et à leurs causes naturelles de suspendre leur activité, et de ne point tant affliger le juste et le bien-aimé du Seigneur. A ce commandement efficace (car toutes les créatures obéissaient à leur grande Maîtresse), le saint se trouvait délivré de ses maux, quelquefois pour un jour, d'autres fois pour un temps plus long, selon qu'il plaisait au Très-Haut. Elle priait aussi en d'autres rencontres les saints anges de consoler son époux et de le fortifier dans ses souffrances, comme la condition fragile de la chair le demandait. Et lorsqu'elle leur avait ainsi exprimé son désir, les esprits bienheureux se montraient au saint malade sous une forme humaine, tous resplendissants de beauté, et l'entretenaient de la Divinité et de ses perfections infinies. Quelquefois ils lui faisaient entendre 136 les accords harmonieux d'une musique céleste, et lui chantaient en choeur des hymnes et des cantiques divins, par lesquels ils charmaient les douleurs de son corps et enflammaient de plus en plus son âme très-pure du saint amour. En outre, l'homme de Dieu avait pour sa plus. grande consolation une connaissance particulière, non-seulement de toutes ces faveurs, mais aussi de la sainteté de sa très-chaste Épouse, de l'amour qu'elle lui portait, de la charité intérieure avec laquelle elle le servait, et des autres excellences et prérogatives de cette puissante Reine de l'univers. Toutes ces choses réunies produisaient de tels effets en saint Joseph, et le comblaient de tant de mérites, que dans cette vie mortelle aucune langue humaine ne saurait les décrire , aucune intelligence humaine ne saurait même seulement les concevoir. Instruction que l'auguste Reine du ciel m'a donnée. 871. Ma fille, l'exercice de la charité envers les malades est une des oeuvres vertueuses qui sont le plus agréables à Dieu, et le plus utiles aux âmes; parce qu'on y accomplit une grande partie de la loi naturelle, qui ordonne à chacun de faire à l'égard de sou prochain ce qu'il souhaiterait pour lui-même (1). On (1) Matth., XXV, 34, etc. 137 trouve dans l'Évangile que c'est une des causes que le Seigneur, allèguera pour décerner la récompense éternelle aux justes, et que l'inobservation de cette loi sera une des causes de la damnation des réprouvés. Et le même Évangile en donne la raison que voici: tous les hommes étant enfants d'un seul Père céleste, sa divine Majesté regarde le bien ou le mal, que l'on fait à ses enfants, qui la représentent, comme fait à elle-même, ainsi qu'il arrive entre les mortels. Indépendamment de la charité fraternelle, vous êtes encore unie par d'autres liens aux religieuses; car vous êtes leur mère, et elles sont aussi bien que vous les épouses de Jésus-Christ mon très-saint Fils et mon Seigneur, de qui elles. ont reçu beaucoup moins de faveurs que vous. Ces titres vous obligent plus étroitement à les servir et à les soigner dans leurs maladies; c'est pour cela que je vous si prescrit dans une autre occasion de vous considérer comme leur infirmière, comme la moindre de toutes, et comme la plus strictement tenue à ce rôle; je veux même que vous me soyez fort reconnaissante de ce commandement, parce que je vous donne par son moyen un office qui est très-estimable et très-grand dans la maison du Seigneur. Pour vous acquitter dûment de cet emploi, vous ne devez pas charger les autres de ce que vous pouvez faire par vous-même auprès des malades, et ce que vous ne pourrez pas faire à cause des autres occupations de votre office de supérieure, vous le devez recommander avec instance à celles que vous chargerez en vertu de l'obéissance d'en prendre soin. Et 138 quoique l'on accomplisse en tout cela le devoir de la charité commune, il y a pourtant une autre raison pour laquelle on doit secourir les religieuses dans leurs maladies avec toute la sollicitude possible, c'est afin qu'elles ne regrettent pas d'avoir quitté le monde, et ne se souviennent point avec tristesse de la maison de leurs parents, en se voyant privées des choses nécessaires. Croyez que de grandes misères surviennent dans les maisons monastiques par suite de la négligence des infirmières; car la nature humaine est si impatiente, que si dans la souffrance elle n'a point ce quelle réclame, elle se jette dans les plus grands précipices. 872. La charité que j'ai témoignée envers mon époux Joseph dans ses maladies vous servira de règle en cette matière, et vous excitera à pratiquer cette doctrine. La charité et même l'honnêteté sont lien languissantes, lorsqu'elles attendent que celui qui est dans le besoin demande ce qui lui manque. Certes, je n'attendais pas cela, moi, car j'assistais mon époux avant qu'il me demandât le nécessaire, mon affection et ma prévoyance prévenaient ses désirs; ainsi je le consolais, non- seulement par mon secours, mais par ma tendresse et par mes ingénieux empressements. Je ressentais ses douleurs et ses peines avec une compassion intime, mais en même temps je louais le Très-Haut et lui rendais des actions de grâces pour la faveur qu'il faisait à son serviteur. Si quelquefois je tâchais de le soulager, ce n'était pas pour lui ôter l'occasion de souffrir, mais afin qu'il s'animât par ce soulagement 139 à endurer davantage, et qu'il eût un nouveau sujet de glorifier l'auteur de tout ce qui est bon et saint; c'est à quoi je l'exhortais. On doit exercer cette noble vertu de charité avec une semblable perfection , en prévenant autant qu'il sera possible le besoin du malade et du nécessiteux en les encourageant par des paroles édifiantes, en les consolant par des marques d'intérêt, en leur souhaitant quelque adoucissement à leurs maux comme un bien, sans prétendre qu'ils perdent le bien plus grand qui se trouve dans les souffrances. Prenez garde que l'amour-propre et sensible ne vous trouble lorsque vos soeurs tombent malades, quand même ce seraient celles qui vous sont les plus utiles ou les plus chères; car dans le monde et en religion, plusieurs personnes perdent par là le mérite des afflictions; sous prétexte de compassion, la douleur qu'elles ont de voir leurs amis nu leurs parents malades, les déconcerte et les met dans l'impatience on dirait qu'elles ont à blâmer les couvres du Seigneur, puisqu'elles ne se conforment point à sa sainte volonté. En toutes choses je leur ai donné l'exemple, et j'exige de vous que vous le suiviez parfaitement, en vous attachant à mes pas. 140 CHAPITRE XV. De la bienheureuse mort de saint Joseph, et de ce qui y airiva; et comment notre Seigneur Jésus-Christ et sa très-sainte Mère y assistèrent. 873. Il y avait déjà huit ans que les maladies et les douleurs exerçaient saint Joseph, et. purifiaient de plus en plus sou âme généreuse dans le creuset de la patience et de l'amour divin; les accidents pénibles croissaient aussi avec les années; ses forces diminuaient; le terme inévitable de la vie s'approchait, auquel on paie le commun tribut de la mort, que doivent tous les enfants d'Adam (1) ; de son côté, sa divine épouse redoublait de soins et de sollicitude, et ne se lassait point de l'assister, de le servir avec une ponctualité scrupuleuse ; et cette très-amoureuse Reine, sachant par sa rare sagesse que la dernière heure en laquelle son très-chaste époux devait sortir de ce cruel bannissement était fort proche, alla trouver son adorable Fils, et lui parla en ces termes : " Mon Seigneur et mon Dieu, Fils du Père éternel, Sauveur du monde, le temps de la mort de votre 141 serviteur Joseph, que vous avez déterminé par votre volonté éternelle, s'approche, ainsi que je le prévois par votre divine lumière. Je vous supplie, Seigneur, par vos anciennes miséricordes et par votre bonté infinie, de l'assister en cette heure, afin que sa mort soit aussi précieuse à vos yeux (1) que la droiture de sa vie vous a été agréable, et qu'il sorte de cette vie en paix, et avec des espérances certaines. de recevoir les récompenses éternelles, que vous distribuerez le jour où vous ouvrirez par votre clémence les portes du ciel à tous les fidèles. Souvenez-vous, mon Fils, de l'amour et de l'humilité de votre serviteur; de la plénitude de ses mérites et de ses vertus, de la fidélité et de la sollicitude qu'il m'a montrée; souvenez-vous enfin qu'il a nourri votre suprême Majesté et votre très humble servante à la sueur de son visage. " 874. Notre Sauveur lui répondit: " Ma Mère, vos demandes me sont fort agréables, et les mérites de Joseph me sont présents. Je l'assisterai maintenant, et lui assignerai au moment venu une place si éminente entre les princes de mon peuple (2), que ce sera un sujet d'admiration pour les anges, et pour eux comme pour les hommes un motif d'éternelle louange; je ne ferai en faveur d'aucune nation ce que je prétends faire à l'égard de votre époux. " Notre auguste Dame rendit des actions de grâces à son très-doux Fils pour cette promesse; et durant les (1) Ps. CIV, 5. - (2) Ps. CXII, 7. 142 neuf jours qui précédèrent la mort de saint Joseph, le Fils et la Ibère l'assistèrent jour et nuit, s'entendant pour qu'il ne fût jamais privé des soins de l'un des deux. Pendant le même laps de temps, les anges chantaient par l'ordre du Seigneur trois fois par jour une musique céleste au saint malade: elle était composée de cantiques de louange au Très-Haut, et de bénédictions pour le saint lui-même. En outre , il se répandit dans toute cette pauvre mais inestimable maison, une douce et forte odeur de parfums si merveilleux, qu'elle fortifiait non-seulement l'homme de Dieu, mais encore tous ceux qui furent à même de la sentir du dehors, où beaucoup de personnes expérimentèrent ses effets. 875. Un jour avant sa mort, étant tout enflammé du divin amour pour tant de bienfaits, il fut ravi en une très-sublime extase, qui lui dura vingt-quatre heures, le Seigneur lui conservant les forces et la vie par un concours miraculeux ; et en ce haut ravissement il vit clairement l'essence divine, et découvrit en elle sans voile ce qu'il avait cru par la foi, tant de la Divinité incompréhensible que des mystères de l'incarnation et de la rédemption, de l'Église militante et des sacrements dont elle est enrichie. La très-sainte Trinité le choisit pour être le précurseur de notre Sauveur Jésus-Christ auprès des saints pères et des prophètes qui étaient dans les limbes, et le chargea de leur annoncer de nouveau leur rédemption, et de les préparer à la visite que le même Seigneur leur ferait pour les tirer de ce sein d'Abraham et les introduire 143 au lieu du repos et du bonheur éternels. L'auguste Marie observa toutes ces merveilles en filme de son très-saint Fils comme les autres mystères; elle sut comment elles avaient été manifestées à son époux bien-aimé, et en rendit de dignes actions de grâces à cet adorable Seigneur. 876. Saint Joseph revint de cette extase revêtu de splendeur et de beauté, et l'âme toute divinisée de la vue de l'être de Dieu; et s'adressant à son épouse, il lui demanda sa bénédiction : mais elle pria son très-saint Fils de lui donner la sienne, ce que sa divine Majesté fit avec beaucoup de complaisance. Alors notre grande Reine et Maîtresse de l'humilité s'étant mise à genoux, pria aussi saint Joseph de la bénir comme son époux et comme son chef ; et ce ne fut pas sans une impulsion divine que l'homme de Dieu, pour consoler sa très-prudente épouse, lui donna sa bénédiction avant que de s'en séparer, elle lui baisa ensuite la main dont il l'avait bénie; et lui recommanda de saluer de sa part les saints patriarches des limbes; mais le très-humble Joseph voulant fermer le testament de sa vie par le sceau de la vertu d'humilité, demanda pardon à sa divine épouse des fautes qu'il pouvait avoir commises à son service, comme homme faible et terrestre, et la supplia de l'assister en cette dernière heure, et de lui accorder l'intercession de ses prières. Il témoigna surtout sa reconnaissance à notre adorable Sauveur des bienfaits qu'il avait reçus de sa main très-libérale pendant toute sa vie, et particulièrement en cette maladie; puis, faisant un dernier adieu à sa 142 neuf jours qui précédèrent la mort de saint Joseph, le Fils et la Mère l'assistèrent jour et nuit, s'entendant pour qu'il ne fût jamais privé des soins de l'un des deux. Pendant le même laps de temps, les anges chantaient par l'ordre du Seigneur trois fois par jour une musique céleste au saint malade: elle était composée de cantiques de louange au Très-Haut, et de bénédictions pour le saint lui-même. En outre , il se répandit dans toute cette pauvre mais inestimable maison, une douce et forte odeur de parfums si merveilleux, qu'elle fortifiait non-seulement l'homme de Dieu, mais encore tous ceux qui furent à même de la sentir du dehors, où beaucoup de personnes expérimentèrent ses effets. 875. Un jour avant sa mort, étant tout enflammé du divin amour pour tant de bienfaits, il fut ravi en une très-sublime extase, qui lui dura vingt-quatre heures, le Seigneur lui conservant les forces et la vie par un concours miraculeux ; et en ce haut ravissement il vit clairement l'essence divine., et découvrit en elle sans voile ce qu'il avait cru par la foi, tant de la Divinité incompréhensible que des mystères de l'incarnation et de la rédemption, de l'Église militante et des sacrements dont elle est enrichie. La très-sainte Trinité le choisit pour être le précurseur de notre Sauveur Jésus-Christ auprès des saints pères et des prophètes qui étaient dans les limbes, et le chargea de leur annoncer de nouveau leur rédemption , et de les préparer à la visite que le même Seigneur leur ferait pour les tirer de ce sein d'Abraham et les 143 introduire bu lieu du repos et du bonheur éternels. L'auguste Marie observa toutes ces merveilles en l'âme de son très-saint Fils comme les autres mystères; elle sut comment elles avaient été manifestées à son époux bien-aimé, et en rendit de dignes actions de grâces à cet adorable Seigneur. 876. Saint Joseph revint de cette extase revêtu de splendeur et de beauté, et l'âme toute divinisée de la vue de l'être de Dieu; et s'adressant à son épouse, il lui demanda sa bénédiction : mais elle pria son très-saint fils de lui donner la sienne, ce que sa divine Majesté fit avec beaucoup de complaisance. Alors notre grande Reine et Maîtresse de l'humilité s'étant mise à genoux, pria aussi saint Joseph de la bénir comme son époux et comme son chef;, et ce ne fut pas sans une impulsion divine que l'homme de Dieu, pour consoler sa très-prudente épouse, lui donna sa bénédiction avant que de s'en séparer, elle lui baisa ensuite la main dont il l'avait bénie; et lui recommanda de saluer de sa part les saints patriarches des limbes; mais le très-humble Joseph voulant fermer le testament de sa vie par-le sceau de la vertu d'humilité, demanda pardon à sa divine épouse des fautes qu'il pouvait avoir commises à son service, comme homme faible et terrestre, et la supplia de l'assister en cette dernière heure, et de lui accorder l'intercession de ses prières. Il témoigna surtout sa reconnaissance à notre adorable Sauveur des bienfaits qu'il avait reçus de sa main très-libérale pendant toute sa vie, et particulièrement en cette maladie; puis, faisant un dernier adieu à sa 144 très-sainte épouse, il lui dit: " Vous êtes bénie entre toutes les femmes , et choisie entre toutes les créatures. Que les anges et les hommes vous louent, que toutes les nations connaissent , célèbrent et exaltent votre dignité; que le nom du Très- Haut soit par vous connu, adoré et glorifié dans tous les siècles futurs, qu'il soit éternellement loué de tous les esprits bienheureux de vous avoir créée si agréable à ses yeux. J'espère jouir de votre vue dans la patrie céleste. " 877. Après cela l'homme de Dieu se tourna vers notre Seigneur Jésus Christ, et voulant à cette heure solennelle parler à sa Majesté avec un profond respect, il fit tous ses efforts pour se mettre à genoux sur terre; mais le très-doux Jésus s'approcha de lui et le reçut dans ses bras : alors le saint y appuya la tête et lui dit : " Mon Seigneur et mon Dieu, Fils du Père éternel , créateur et rédempteur du monde, donnez votre bénédiction éternelle à votre serviteur, qui est l'ouvrage de vos mains; pardonnez, Roi très clément, les fautes que j'ai commises étant à votre service et en votre compagnie Je vous confesse, je vous glorifie , et je vous rends avec un coeur contrit et humilié des actions de grâces éternelles d'avoir daigné, par votre bonté ineffable, me choisir entre les hommes pour être l'époux de votre véritable Mère; faites , Seigneur , que votre propre gloire soit ma reconnaissance durant toute l'éternité. " Le Rédempteur du monde lui donna sa bénédiction, et lui dit : " Mon père, reposez en paix, en la grâce de 145 mon Père céleste et en la mienne; donnez de bonnes nouvelles à mes prophètes et à mes saints, qui vous attendent dans les limbes; dites-leur que leur rédemption est fort proche. " Au moment où notre aimable Sauveur disait ces paroles, le bienheureux Joseph expira entre ses bras, et sa divine Majesté lui ferma les yeux. Incontinent les anges, qui étaient avec leur Roi et leur Reine, entonnèrent de doux cantiques de louanges. Ensuite ils conduisirent par ordre du souverain Roi, cette âme très-sainte dans les limbes des saints patriarches, qui tous, aux splendeurs de grâce incomparable dont elle brillait, reconnurent le père putatif du Rédempteur du monde, et en lui son grand favori digne d'une grande vénération; et remplissant la mission qu'il avait reçue du Seigneur, il causa une nouvelle joie à l'innombrable assemblée des justes, par l'annonce de leur prochaine délivrance. 878. Il ne faut pas omettre que, quoique la précieuse mort de saint Joseph fût précédée d'une si longue maladie et de tant de douleurs, elles n'en furent pourtant pas la cause principale, car il aurait pu naturellement vivre plus longtemps malgré toutes ses infirmités, si elles n'avaient été aggravées par les effets et les accidents que produisait en lui le très-ardent amour dont brûlait son très-chaste coeur; et afin que cette bienheureuse mort fût plutôt un triomphe de l'amour qu'une peine des péchés, le Seigneur suspendit le concours miraculeux par lequel il conservait les forces physiques de son serviteur, et 146 empêchait que le divin incendie ne les consumât; de sorte que ce concours manquant, la nature succomba, et les liens qui retenaient cette âme très-sainte dans la prison du corps mortel, furent rompus; or, c'est en cette séparation que consiste notre mort. Ainsi l'amour fut la dernière des maladies de Joseph que j'ai décrites : ce fut aussi la plus grande, puisqu'elle amène le sommeil du corps, et la, plus glorieuse, puisqu'elle contient le principe d'une vie assurée. 879. La grande Reine du ciel, voyant son époux mort, s'occupa des préparatifs de la sépulture, et ensevelit son corps selon- la coutume, sans que d'autres mains que les siennes le touchassent, et celles des anges, qui l'assistèrent en forme humaine; et pour satisfaire la modestie incomparable de la Mère Vierge, le Seigneur revêtit les membres de saint Joseph d'une splendeur céleste, qui l'enveloppait de façon qu'on n'en pouvait découvrir que le visage; ainsi la très-pure Épouse ne vit point le reste du corps, quoiqu'elle l'ensevelit pour l'enterrement. Il y eut quelques personnes qui vinrent dans la maison, attirées par la douce odeur que ce saint corps exhalait, et le trouvant aussi beau et aussi flexible que s'il eût été encore vivant, elles en eurent une grande admiration. Il fut porté à la sépulture commune, accompagné des parents, des amis et d'une foule nombreuse à la tête de laquelle marchaient le Rédempteur du monde, sa très-sainte Mère, et une grande multitude d'anges. Mais en ces circonstances, notre très-prudente Reine conserva dans toute sa conduite une dignité et une 147 sérénité inaltérables; sa physionomie ne trahit en rien la faiblesse de son sexe, et sa douleur ne l'empêcha point de prévoir toutes les choses nécessaires aux obsèques de son époux, et au service de son très. saint Fils. De sorte qu'elle s'employait à tout avec une magnanimité royale. Bientôt elle rendit des actions de grâces à son adorable Fils des faveurs qu'il avait faites à saint Joseph; et redoublant les démonstrations de son humilité, elle se prosterna devant sa Majesté, et lui dit : " Mon Fils et Seigneur de tout mon êtres la sainteté de mon époux Joseph a pu vous arrêter jusqu'à présent et nous procurer l'honneur de votre douce compagnie; mais par la mort de votre bien-aimé serviteur, j'ai sujet d'appréhender la perte du bien que je ne mérite pas; faites, Seigneur, que votre. propre bonté vous sollicite de ne point m'abandonner, de me recevoir de nouveau pour votre servante, et d'agréer les humbles désirs d'un coeur qui vous aime. " Notre aimable Sauveur accueillit avec complaisance cette nouvelle offre de sa très-pure Mère, et lui réitéra la promesse de ne point la laisser seule avant que fût arrivé le moment marqué par le Père éternel, où il devrait la quitter pour commencer sa prédication. 148 Instruction de notre auguste Princesse. 880. Ma très-chère fille, il n'est pas fort extraordinaire que votre coeur ait été ému de compassion à l'égard de ceux qui sont à l'article de la mort, et animé d'un désir particulier de les assister en cette dernière heure; car il. est vrai, comme vous l'avez compris, que les âmes souffrent alors des peinés incroyables et courent les plus graves dangers, tant à cause des embûches du démon, qu'à cause des impressions des objets visibles et des sentiments de la nature elle-même. C'est en ce moment que le procès de la vie est vidé, et que la dernière sentence de mort ou de vie éternelle, de peine ou de gloire, est prononcée; et comme le Très-Haut se plaît à seconder ce désir charitable qu'il vous a donné, je veux, pour vous aider à le réaliser, l'augmenter en vous, et je vous recommande de concourir de toutes vos forces à la grâce, et de faire tous vos efforts pour nous obéir. Sachez donc, ma fille, que lorsque Lucifer et ses ministres de ténèbres reconnaissent par les accidents et par les causes naturelles que les hommes sont atteints d'une maladie mortelle, ils s'arment aussitôt de toutes leurs ruses pour attaquer le pauvre malade rempli d'ignorance, et pour tâcher de l'abattre par diverses tentations; et comme ces ennemis voient qu'il ne leur reste plus guère de temps pour persécuter son âme, ils y veulent suppléer en redoublant leurs efforts, leur rage et leur malice. 149 881. Ils s'unissent tous à cet effet comme des loups carnassiers, et cherchent à reconnaître de nouveau l'état du malade, par ses qualités naturelles et acquises; ils étudient ses inclinations et ses habitudes, et par quel endroit ils le trouveront plus faible, afin de l'assaillir par là avec plus de- violence. Ils persuadent à ceux qui ont un amour déréglé pour la vie, que le péril n'est pas si grand; ils empêchent qu'on ne les détrompe, ils inspirent de nouvelles tiédeurs à ceux qui ont été négligents à fréquenter les sacrements, et leur suggèrent de plus grandes difficultés, afin qu'ils meurent sans les recevoir, ou qu'ils, les reçoivent sans fruit et avec de mauvaises dispositions. Ils jettent les uns dans une honte funeste pour qu'ils ne découvrent point leurs péchés. Ils troublent et embarrassent les autres pour qu'ils ne satisfassent point à leurs obligations, et qu'ils ne se mettent pas eu peine de décharger leur conscience. Ils excitent les orgueilleux à ordonner à leurs héritiers, même en cette dernière heure, de faire après leur mort une foule de choses remplies de vanité et d'ostentation. Ils portent les avares et les sensuels à se rappeler les objets de leurs passions aveugles. Enfin, ces cruels ennemis se servent de toutes les mauvaises habitudes des malades pour les attirer dans le précipice et pour leur rendre le retour difficile ou impossible. De sorte que tous les actes qu'on a commis pendant la vie et par lesquels on a contracté des habitudes vicieuses., sont comme les trophées et les armes offensives dont l'ennemi commun se sert pour combattre les hommes 150 en cette heure formidable de la mort; car tous les appétits désordonnés qu'on a satisfaits, sont alors comme autant de brèches par où il entre dans le château de l'âme, pour y répandre son mortel venin, et y amener des ténèbres épaisses, effet naturel de sa présence, afin qu'elle rejette les inspirations divines, quelle n'ait aucune véritable douleur de ses péchés, et qu'elle finisse une vie mauvaise dans l'impénitence. 882. Ces ennemis causent généralement de grands dommages en cette heure, par l'espérance trompeuse qu'ils donnent aux malades d'une plus longue vie, et en leur faisant accroire qu'ils pourront exécuter plus tard ce que Dieu leur inspiré alors par l'organe de ses anges : fatale illusion qui trop souvent les perd. Le danger de ceux qui ont négligé pendant leur vie le remède des sacrements, est aussi formidable à l'heure suprême, car la justice divine punit ordinairement ce mépris, qui est horrible au Seigneur et aux saints, en abandonnant ces &mes imprudentes entre les mains de leur mauvais conseil: En effet, puisque, loin de vouloir profiter du remède efficace au temps propice, elles n'ont fait que le dédaigner, elles méritent par un juste jugement d'être dédaignées à leur tour en cette dernière heure, jusqu'à laquelle elles ont différé par une folle assurance de s'occuper de leur salut éternel. Il y a fort peu de justes que l'antique serpent n'attaque avec une fureur incroyable quand ils sont dangereusement malades. Et s'il prétend alors vaincre les plus grands sainte, que doivent 151 espérer les négligents et les vicieux, qui ont employé toute leur vie à démériter la grâce et les faveurs divines, se trouvant dépourvus de bonnes oeuvres dont ils pourraient se prévaloir contre leur ennemi? Mon sains; époux Joseph fut un de ceux qui jouirent du privilège de ne voir point le démon dans cette extrémité: car ces esprits de ténèbres, voulant s'en approcher, sentirent une puissante force qui les arrêta, et les anges les précipitèrent ensuite dans les abîmes infernaux, où ils éprouvèrent un accablement si affreux (selon, votre manière de concevoir ces choses-là) qu'ils en furent tout troublés et tout stupéfaits. Ce prodige donna lieu à Lucifer de convoquer une assemblée on un conciliabule pour en découvrir la cause, et pour ordonner à ses ministres de parcourir le monde et de rechercher si par hasard le Messie y était venu; et il arriva dans cette rencontre ce que vous écrirez plus loin. 883. Vous comprendrez par là le danger imminent où l'on se trouve à l'heure de la mort, et combien d'âmes périssent en ce moment auquel les mérites et les péchés des hommes commencent à produire leur fruit. Je ne vous. déclare point le grand nombre de ceux qui se perdent, parce que, le connaissant et ayant un véritable amour pour le Seigneur, vous en mourriez de douleur; mais vous devez savoir qu'en règle générale une bonne mort suit une bonne vie, et que dans les autres cas elle est fort incertaine, fort rare et fort chanceuse. Le plus au moyen d'arriver au but, c'est de se mettre tôt à courir; ainsi je vous 152 avertis de regarder désormais chaque jour de votre vie comme s'il en devait être le dernier, puisque vous ne savez pas si vous arriverez au lendemain, et de préparer votre âme de façon que vous puissiez recevoir la mort avec joie si elle se présentait. Ne différez donc pas un instant de vous repentir de vos péchés, et de prendre le parti de vous en confesser aussitôt que vous vous en apercevrez; corrigez en vous jusqu'à la moindre imperfection, et faites en sorte de ne laisser subsister dans votre conscience aucune tâche qui puisse la souiller sans la laver de vos larme, sans vous en purifier par le sang de Jésus-Christ mon très-saint Fils, et sans vous mettre en état de pouvoir paraître devant le juste Juge qui doit vous examiner, et juger jusqu'à la plus petite de vos pensées et au moindre mouvement de vos puissances. 884. Si vous voulez aider, comme vous le souhaitez, ceux qui sont en cette dangereuse extrémité, commencez par conseiller à tous ceux que vous pourrez ce que je viens de vous dire, et par leur faire entendre que pour obtenir une bonne mort ils doivent vivre soucieux de leurs âmes. En outre, vous prierez tous les jours à cette intention sans l'oublier jamais, et vous supplierez le Tout-Puissant de détruire les embûches et les batteries que les démons dressent contre les agonisants, et de les confondre tous par sa divine droite. Je faisais cette même prière pour les mortels, comme vous le savez, c'est pourquoi je veux que vous la fassiez aussi à mon imitation. Et, afin que vous leur donniez un plus grand secours, je vous enjoins de 153 commander aux démons de s'en éloigner et de ne point les inquiéter; et vous pouvez user de ce pouvoir sans aucune difficulté, quoique vous ne soyez pas auprès des malades, puisque le Seigneur s'y trouve, lui, au nom duquel vous les devez chasser pour sa plus grande gloire. 885. Instruisez vos religieuses dans ces occasions, mais sans les troubler. Ayez un grand soin de leur faire recevoir incontinent les sacrements et de les porter à les fréquenter toujours. Tâchez de les encourager et de les consoler en les entretenant des choses de Dieu, de ses mystères et de ses Écritures, pour enflammer dé plus en plus leurs bons désirs et leurs saintes affections, et pour les disposer à recevoir les lumières et les influences célestes. Confirmez-les dans l'espérance; fortifiez-les contre les tentations, et enseignez-leur comment elles y doivent résister et les moyens de les vaincre, cherchant à les deviner avant qu'elles vous les confient; et si vos conjectures sont insuffisantes, le Très-Haut vous les découvrira et volis éclairera, afin que vous appliquiez à chacune le remède qui lui sera convenable, car les maladies spirituelles sont difficiles à connaître et à guérir. Vous devez profiter, comme une fille bien-aimée, de tous les avis que je vous donne pour le service du Seigneur. Je vous obtiendrai de sa divine Majesté quelques privilèges pour vous et pour ceux que vous désirerez assister en cette heure formidable. Ne soyez pas avare dans cette charitable distribution, car en cela vous ne devez pas agir par ce que vous êtes, mais par 154 ce que le Très-Haut veut opérer en vous par lui-même. 16/30 CHAPITRE XVI. L'âge que la Reine du ciel avait lorsque saint Joseph mourut, et quelques privilèges du saint époux. Instruction que j'ai reçue de la Reine du ciel. CHAPITRE XVII. Des occupations de la très-pure Marie après la mort de saint Joseph, et de quelques-unes,des choses qui se passèrent alors entre elle et ses anges. Instruction que la Reine du ciel m'a donnée. CHAPITRE XVIII. On y raconte de nouveaux mystères, et les différentes occupations de notre grande Reine et de son très-saint Fils, pendant le temps qu'ils vécurent seuls, avant qu'il commençât à prêcher. Instruction que la Reine du ciel m'a donnée. CHAPITRE XIX. Notre seigneur Jésus-Christ dispose les esprits à sa prédication, et donne quelque connaissance de la venue du Messie. - Sa très-sainte mère contribue à cette préparation, et l'enfer commence à se troubler. Instruction que j'ai reçue de notre auguste Maîtresse. CHAPITRE XX. Lucifer assemble un conciliabule dans l'enfer pour y proposer de traverser les oeuvres de notre Rédempteur Jésus-Christ et de sa très-sainte Mère. Instruction que notre auguste Maîtresse m'a donnée. CHAPITRE XXI. Saint Jean reçoit de grandes faveurs de la très-pure Marie. - Le Saint-Esprit lui ordonne d'aller prêcher. - Il envoie une croix qu'il avait à la divine Reine, avant que d'exécuter cet ordre. Réponse et instruction que j'ai reçues de la Reine du ciel. CHAPITRE XXII. La très-pure Marie offre son Fils au Père éternel pour la rédemption du genre humain. - Sa Majesté la favorise d'une claire ,vision de la Divinité, en récompense de ce sacrifice, et elle se sépare du Sauveur, qui s'en va au désert. Instruction que notre auguste Maîtresse m'a donnée. CHAPITRE XVI. L'âge que la Reine du ciel avait lorsque saint Joseph mourut, et quelques privilèges du saint époux. 886. Tout le temps de la vie du plus heureux des hommes, saint Joseph, fut de soixante années et quelques jours. En effet, il épousa la très-pure Marie à trente- trois ans, et il en vécut un peu plus de vingt-sept en sa compagnie; et quand le saint époux mourut, notre auguste Reine avait quarante-un ans six mois environ, puisque (comme je l'ai dit en la première partie, liv. Il, chap. XXII) elle fut mariée à saint Joseph à l'âge de quatorze ans, lesquels, joints aux vingt-sept qu'ils vécurent ensemble, font quarante-un ans, plus le temps qui s'écoula depuis le 8 septembre jusqu'à l'heureuse mort du très-saint époux. La Reine du ciel se trouva à cet figé avec la même constitution et perfection naturelle qu'elle avait en sa trente- troisième année; car elle ne baissa, ni ne vieillit, ni ne déchut jamais de cet état très-parfait, somme je l'ai marqué au chapitre XIII de ce livre. 155 Elle ressentit une douleur naturelle de la mort de saint Joseph, parce qu'elle l'aimait comme son époux, comme un homme d'une sainteté éminente, comme son protecteur et son bienfaiteur. Et, quoique cette douleur fût en notre très-prudente Dame fort bien réglée, elle n'en était pas pour cela moindre; attendu que mieux elle connaissait le degré de sainteté que son époux avait entre les plus grands saints qui sont écrits dans le livre de vie et dans l'entendement du Très-Haut, plus son amour était grand. Et si l'on ne saurait perdre sans douleur ce que l'on aime avec tendresse, les regrets de Marie auraient-ils pu ne pas être proportionnés à la vivacité de son amour? 887. Il n'entre pas dans le sujet de cette histoire de décrire expressément les excellences de la sainteté de saint Joseph; aussi je n'ai reçu ordre de m'y arrêter qu'autant que certaines généralités peuvent servir à manifester davantage la dignité de son épouse, aux mérites de laquelle (après ceux de son très-saint Fils) on doit attribuer les dons et les grâces dont le TrèsHaut favorisa le glorieux patriarche. Et quand même notre divine Dame n'aurait pas été la cause méritoire ou l'instrument de la sainteté de son époux, su moins elle était la fin immédiate à laquelle cette sainteté se rapportait : car toute la plénitude de vertus et de grâce que le Seigneur communiqua à son serviteur Joseph lui fut accordée afin de le rendre le digne époux de celle qu'il choisissait pour être sa Mère. C'est sur cette règle, et sur l'amour et l'estime que cet adorable Seigneur avait pour sa très-pure Mère, 156 que l'on doit mesurer la sainteté de saint Joseph; et je crois que s'il se fût trouvé au monde un autre homme plus parfait et plus excellent que lui, sa Majesté l'aurait donné pour époux à sa propre Mère; et que puisqu'elle lui a donné saint Joseph, il devait être sans contredit le plus grand saint que Dieu eût sur la terre. Et, l'ayant créé et prédestiné pour de si hautes fins, il est certain qu'il a voulu employer sa main puissante à le rendre capable de répondre à ces mêmes fins et proportionner l'instrument à l'oeuvre : or, cette espèce de rapport et de proportion, la lumière divine ne pouvait la trouver que dans la sainteté, dans les vertus, dans les dons, dans les grâces, dans les bonnes inclinations naturelles et infuses dont Joseph offrait l'assemblage. 888. Je remarque une différence entre ce grand patriarche et les autres saints quant aux dons de grâce qu'ils reçurent; car beaucoup de saints ont obtenu d'autres faveurs et privilèges qui ne regardaient pas tous leur propre sainteté, mais d'autres fins du service du Très-Haut en d'autres hommes; ainsi c'étaient comme des dons gratuits ou indépendants de la sainteté; mais en ce qui concerne notre saint patriarche, tous les dons qu'il reçut augmentaient en lui les vertus et la sainteté, parce que le ministère auquel ils se rapportaient était un effet de sa sainteté et de ses bonnes oeuvres; et plus il était saint, plus il se trouvait digne d'être l'époux de l'auguste Marie et le dépositaire da trésor et du mystère du ciel; de sorte qu'il devait être un prodige de sainteté, comme il le fut 157 véritablement. Cette merveille commença dès la formation de son corps dans le sein de sa mère, car le Seigneur y présida par une providence spéciale, sous l'influence de laquelle il fut composé des quatre humeurs mélangées dans une juste proportion et un admirable tempérament, avec une complexion et des qualités excellentes, afin qu'il fût aussitôt une terre bénie, et reçût en partage une bonne âme et la droiture des inclinations (1). Il fut sanctifié dans le sein de sa mère au septième mois de sa conception, et dès ce moment la concupiscence rebelle resta en lui comme enchaînée pour toute sa vie, de sorte qu'il n'éprouva jamais un seul mouvement impur ni désordonné; et quoiqu'il ne reçût point l'usage de la raison en cette première sanctification, en laquelle il fut seulement justifié du péché originel, néanmoins sa mère ressentit alors une nouvelle joie du Saint-Esprit, et, sans en pénétrer entièrement le mystère, elle fit de grands actes de vertu, et crut que l'enfant qu'elle portait serait considérable devant Dieu et devant les hommes. 889. Saint Joseph naquit très-beau et très-parfait selon la nature, et causa à ses parents une joie extraordinaire, semblable à celle qu'excita la naissance du petit Baptiste, quoique la raison n'en fût pas manifeste. Le Seigneur lui avança l'usage de l'intelligence eu le lui donnant dans toute sa perfection en la troisième année de son âge; il lui communiqua aussi une science infuse et une nouvelle augmentation de grâce (1) Sap., VIII, 19. 158 et de vertus. Le saint enfant commença dès lors à connaître Dieu par la foi; il le connut aussi par le raisonnement naturel comme première cause et auteur de toutes les créatures; et il concevait d'une manière très-sublime tout ce que l'on disait de Dieu et de ses oeuvres. Il fut élevé dès la même époque à un haut degré d'oraison et de contemplation, et rendu admirablement apte aux vertus dont son jeune âge lui permettait l'exercice; de sorte que saint Joseph était déjà alors un homme d'un jugement et d'une sainteté rares, tandis que la raison n'apparaît chez les autres enfants qu'à l'âge de sept ans ou même plus tard. Il était d'un naturel fort doux, charitable, honnête, sincère, et annonçait en tout des inclinations non- seulement vertueuses, mais angéliques, et, croissant en sainteté et en perfection, il arriva par une vie irrépréhensible à l'âge auquel il épousa la très-pure Marie. 890. Pour lui augmenter alors les dons de la grâce et le confirmer en ces mêmes dons, les prières de notre divine Dame eurent une efficace particulière; car elle supplia instamment le Très-Haut, dans le cas où il lui plairait de la soumettre au joug du mariage, de sanctifier son époux Joseph, afin qu'il se conformât à ses très- chastes désirs. Cette auguste Princesse comprit que Dieu exauçait sa demande, et qu'il opérait par la force de son puissant bras, en l'âme du saint patriarche, des effets si nombreux et si divins, qu'il n'est pas possible de les exprimer : car il le combla par infusion des dons les plus riches, et l'empreignit des habitudes parfaites de toutes les vertus. Si divine 159 Majesté redressa de nouveau ses puissances, le remplit de grâce, et le confirma en cette même grâce d'une manière admirable. Quant à la vertu et aux prérogatives de la chasteté, le saint époux surpassa les plus hauts séraphins, car vivant en un corps terrestre et mortel, il fut doué de la pureté qu'ils ont étant affranchis de la matière, et jamais image ou impression impure de la nature animale et sensible n'entra dans ses puissances. C'est par cette supériorité sur les choses charnelles, par cette simplicité de colombe et par cette candeur d'ange qu'il fut préparé à devenir l'époux de la plus pure des créatures et à demeurer en sa compagnie : car sans ce privilège il n'aurait pas été capable de porter une si sublime et si excellente dignité. 891. Il fut aussi admirable dans les autres vertus, et surtout en la charité, placé qu'il était à la source mime de cette eau vive qui rejaillit jusqu'à la vie éternelle (1), et où il, pouvait puiser sans cesse, ou, si l'on veut, près de ce foyer ardent dont les flammes devaient l'embraser, comme une matière disposée sans aucune résistance. Du reste, en parlant des ardeurs du divin amour dans le saint époux, on ne saurait enchérir sur ce que j'ai dit au chapitre précédent, puisque cet amour de Dieu fut la cause de sa maladie et comme l'instrument de sa mort, qui par là même fut si privilégiée. Car les douces angoisses de l'amour surpassèrent celles de la nature, et celles-ci produisirent un effet moins décisif que les premières : et (1) Josn., IV, 14. 160 comme l'objet de l'amour, notre Seigneur Jésus-Christ avec sa Mère, était présent, et que le saint les possédait tous deux plus pleinement qu'aucun des mortels n'a pu et ne peut en jouir, il était presque inévitable que ce coeur si pur et si fidèle ne s'exhalât en des affections, ne se fondît au feu d'une si prodigieuse charité. Béni soit l'auteur de si grandes merveilles, gt béni soit le plus heureux des hommes, Joseph, en qui elles furent toutes dignement opérées : il mérite que toutes les nations le connaissent et le bénissent, puisque le Seigneur n'a traité de la sorte aucun autre des vivants, et qu'à aucun il n'a manifesté le même amour qu'à lui, 892. J'ai dit dans tout le cours de cette histoire quelque chose des visions et des révélations dont notre saint fut favorisé , et elles furent trop nombreuses pour qu'on pût les raconter; mais on en concevra la plus haute idée, si l'on considère qu'il a connu les mystères de notre Seigneur Jésus-Christ et de sa très-sainte Mère, qu'il a demeuré an si long temps en leur compagnie, et qu'il a été regardé comme le. père de ce divin Seigneur, et le véritable époux de notre auguste Reine. En outre, j'ai découvert que le Très-Haut lui a accordé, à cause de sa grande sainteté, divers privilèges en faveur de ceux qui le prendraient pour leur intercesseur et qui l'invoqueraient avec dévotion. Le premier est pour obtenir la vertu de chasteté, vaincre les tentations,de la chair et des sens. Le second pour recevoir de puissants secours afin de sortir du péché et de recouvrer 161 la grâce de Dieu. Le troisième pour acquérir par son moyen la dévotion à la très- pure Marie et se disposer à recevoir ses faveurs. Le quatrième pour obtenir une bonne mort et une assistance particulière contre le démon en cette dernière heure. Le cinquième pour intimider les ennemis de notre salut par la prononciation du nom de saint Joseph. Le sixième pour obtenir la santé du corps et le soulagement dans les afflictions. Enfin le septième privilège est pour procurer des héritiers aux familles chrétiennes. - Dieu accorde toutes ces faveurs et beaucoup d'autres à ceux qui les lui demandent comme il faut, au nom de saint Joseph époux de la Reine du ciel; et je prie tous les fidèles enfants de la sainte Église de lui être bien dévots, et d'être persuadés qu'ils ressentiront les favorables effets de sa protection, s'ils se disposent dignement à les mériter et à les recevoir. Instruction que j'ai reçue de la Reine du ciel. 893. Ma fille, quoique vous ayez écrit que mon époux Joseph est un des plus grands saints et des plus nobles princes de la Jérusalem céleste, vous ne sauriez pourtant exprimer maintenant son éminente sainteté, et les mortels ne sauraient la connaître avant que de jouir de la vue de la Divinité, en laquelle ils découvriront avec admiration ce mystère pour en 162 louer le Seigneur; et au dernier jour, quand tous les hommes seront jugés, les damnés pleureront amèrement le malheur de n'avoir pas connu, à cause de leurs péchés, ce moyen de salut si puissant et si efficace , et de ne s'en être pas servis, comme ils le pouvaient, pour recouvrer la grâce du juste Juge. Le monde a trop ignoré la grandeur des prérogatives que le souverain loi a accordées à mon saint époux, et la puissance de son intercession auprès de sa divine Majesté et de moi; car je vous assure, ma très-chère fille, que c'est un des premiers favoris de Dieu, et un des plus capables de détourner des pécheurs les coups de sa justice. 894. Je veux que vous soyez fort reconnaissante de la bonté que le Seigneur vous a montrée, et de la faveur que je vous ai faite par la communication des lumières que vous avez reçues touchant ce mystère; tâchez aussi de redoubler à l'avenir de dévotion envers mon saint époux, et de bénir le Seigneur tant de ce qu'il l'a favorisé avec tant de libéralité, que de ce qu'il m'a procuré le bonheur de le connaître de si près. Vous devez vous prévaloir de son intercession dans toutes vos nécessités, et faire en sorte d'accroître le nombre de ses dévots, et de recommander à vos religieuses de se distinguer en cette dévotion, puisque le Très-Haut accorde sur la terre ce que rotin époux demande dans le ciel, et joint à ses demandes des faveurs extraordinaires pour les hommes, pourvu qu'ils ne se rendent pas indignes de les recevoir. Tous ces privilèges répondent à la perfection, à l'innocence 163 et aux éminentes vertus de cet admirable saint; camelles ont attiré les complaisances du Seigneur, qui veut déployer à son égard toute sa munificence, en comblant de ses miséricordes ceux qui auront recours à son intercession. CHAPITRE XVII. Des occupations de la très-pure Marie après la mort de saint Joseph, et de quelques-unes,des choses qui se passèrent alors entre elle et ses anges. 895. Toute la perfection de la vie chrétienne rentre dans l'une des deux vies que l'Église connaît, c'est-à-dire l'active et la contemplative. La première comprend les oeuvres corporelles ou sensibles que l'on exerce envers le prochain dans les choses humaines, qui sont si nombreuses et si variées. Elles ressortissent des vertus morales, dont toutes les actions de la vie active reçoivent leur perfection propre. La seconde embrasse les opérations intérieures de l'entendement et de la volonté, dont l'objet spirituel est le plus noble et le plus digne de la créature intelligente et raisonnable; c'est pourquoi cette vie contemplative est plus excellente que l'active et en elle-même plus aimable, comme plus tranquille, plus 164 agréable, plus belle et plus proche de la dernière fin, qui est Dieu, en la connaissance et en l'amour duquel elle consiste, et par là elle participe davantage de la vie de l'éternité, qui est toute contemplative. Elles sont bien figurées par les deux sueurs Marthe et Marie (1), l'une dans le repos et les caresses, l'autre dans les soins et les agitations; et aussi par les deux autres sueurs Lia et Rachel (2), l'une féconde, mais laide et chassieuse; l'autre belle et charmante, mais stérile au commencement. En effet, la vie active est plus fructueuse, quoique coupée par une foule d'occupations diverses au milieu desquelles elle se trouble, et elle n'a pas les yeux assez clairvoyants pour les élever aux choses célestes et pénétrer les mystères divins. D'un autre côté, la vie contemplative est très-belle , quoiqu'elle ne soit pas si féconde au commencement, parce qu'elle donne son fruit plus tard par le moyen de l'oraison et des mérites, qui présupposent une grande perfection, et un commerce avec Dieu assez étroit pour l'obliger d'étendre sa libéralité sur les autres âmes ; mais ces fruits sont ordinairement abondants en bénédictions, et toujours dignes d'une très-grande estime. 896. L'accord de ces deux vies est le comble de la perfection chrétienne; mais cet heureux assemblage est aussi difficile que nous l'avons remarqué dans l'histoire de Marthe et de Marie, de Lia et de Rachel, qui ne furent pas une seule personne, mais deux (1) Luc., X, 41 et 44. - (2) Gen., XXIX, 17. 165 personnes différentes, pour représenter chacune la vie qu'elle signifiait , parce qu'aucune des deux n'a pu les figurer à la fois, à cause de la difficulté qu'il y a pour un sujet de les réunir et de les réaliser simultanément avec une égale perfection. Et malgré tous les efforts que les saints ont faits pour surmonter cette difficulté, quoique la doctrine des maîtres spirituels aille au même but, malgré toutes les instructions des hommes apostoliques et des docteurs; enfin, malgré les exemples des apôtres et des fondateurs des ordres religieux, qui ont tous tâché d'unir la contemplation à l'action autant qu'il leur était possible avec la grâce, ils ont toujours de reconnaître que la vie active, pur la multitude de ses applications aux objets inférieurs, partage et trouble le cœur, comme l'a dit à Marthe le Sauveur de nos âmes; de sorte que , quelque effort que l'on fasse pour rentrer dans le recueillement et le calme afin de s'élever aux objets très-sublimes de la contemplation, on n'y saurait parvenir qu'à grand peine pendant cette vie, et encore seulement par courts intervalles, à moins d'un privilège tout spécial du Tout- Puissant. C'est pour cette raison que les saints qui se sont adonnés à la contemplation ont choisi les déserts et les solitudes propres à ce saint exercice, et que les autres qui se vouaient en même temps à la vie active et au salut des âmes par leurs prédications, se réservaient. certains jours pour se retirer des occupations extérieures, et dans les autres ils partageaient les heures, destinant celles-ci à la contemplation, celles-là aux œuvres du dehors; 166 et faisant ainsi toutes choses dans la perfection requise, ils ont acquis le mérite et la récompense de ces deux vies, lesquels ne résultent que de l'amour et de la grâce comme principale cause. 897. L'auguste Marie fut la seule qui concilia ces deux vies au suprême degré de perfection, sans que sa très-haute et très-ardente contemplation fut empêchée par les oeuvres extérieures de la vie active. Empressée comme Marthe quoique sans aucun trouble, elle fut calme et sereine comme Marie , sans se livrer à un mol repos; elle eut la beauté de Rachel, et, la fécondité de Lia; elle seule accomplit dans la réalité ce que ces différentes soeurs représentèrent dans la figure. Cette très- prudente Reine servait son époux malade et le nourrissait par son travail, aussi bien que son très-saint Fils, 'comme je l'ai marqué; mais sa sublime contemplation n'en était ni interrompue ni embarrassée; car notre grande Dame n'avait pas besoin de chercher la solitude pour rasséréner son cour pacifique, et s'élever librement au- dessus des plus. hauts séraphins. Néanmoins, quand elle se vit privée de la compagnie de son époux , elle régla ses exercices de manière à ne s'occuper plus qu'au mystère de l'amour intérieur. Elle lut alors dans l'âme de son très-saint Fils que c'était sa volonté qu'elle modérât le travail corporel auquel elle avait consacré les jours et les nuits pour assister son saint malade, et qu'au lieu de s'y livrer comme par le passé, elle se joignit aux prières et aux oeuvres ineffables de l'adorable Sauveur. 898. Notre divin Seigneur lui découvrit aussi 167 qu'il suffisait qu'elle travaillât seulement quelques heures de la journée pour se procurer le peu de nourriture qui leur était nécessaire; parce qu'ils ne mangeraient plus à l'avenir qu'une seule fois par jour, et cela vers le soir; car s'ils avaient gardé jusqu'alors un autre régime, ce n'était qu'à cause de l'amour qu'ils portaient à saint Joseph, et pour ne le point priver de la consolation de leur compagnie pendant les Heures de ses repas. De sorte qu'à partir de cette époque, l'Homme-Dieu et sa très- sainte Mère ne mangèrent qu'une seule fois, vers six heures du soir; et bien souvent leur nourriture ne consistait qu'eu du pain sec; d'autres fois notre divine Dame y ajoutait des fruits, des herbes ou du poison; et c'était là le plus grand rénal du Roi et de la Reine de l'univers. Et quoique leur tempérance fût toujours extrême, et leur abstinence admirable, depuis qu'ils se trouvèrent. seuls ils les poussèrent encore plus loin , et ne s'accordèrent que le choix de leurs simples aliments et la régularité de l'heure à laquelle ils les prenaient. Quand ils étaient conviés à un festin, ils mangeaient un peu de tout ce qui leur était présenté, sans vouloir s'en excuser, commençant dès lors à pratiquer le conseil que le Seigneur lui-même devait donner ensuite à ses disciples pour le temps de leur prédication (1). Notre auguste Princesse servait à genoux cette pauvre nourriture à son très- saint Fils, après lui avoir demandé la permission de la lui présenter; quelquefois elle la (1) Luc., X, 8. 168 lui demandait aussi avec le même respect avant de l'apprêter, parce qu'elle était destinée à son Fils, qui était Dieu véritable. 899. La présence de saint Joseph n'avait pas empêché la très-prudente Mère de traiter son adorable Fils avec toute la révérence possible, sans omettre aucune des démonstrations extérieures qui convenaient alors; mais après la mort du saint elle rendit ses génuflexions ordinaires plus fréquentes, parce qu'elle avait à cet égard une plus grande liberté en la présence des anges seuls qu'en celle de son époux, qui était homme. Souvent elle restait prosternée jusqu'à ce que le Seigneur lui ordonnât de se relever; elle lui baisait les pieds ou la main , et presque toujours avec les larmes de la plus profonde humilité et de la plus fervente dévotion. Elle ne se trouvait jamais près de sa divine Majesté sans lui donner des marques d'un très- ardent amour et d'une religieuse adoration, n'aspirant qu'à connaître son bon plaisir et attentive à observer ses opérations intérieures pour les imiter. Et quoiqu'elle ne fût pas capable de commettre la moindre imperfection au service et en l'amour de son très-saint Fils, elle avait néanmoins, bien mieux que le prophète ne le dit (1), les jeux toujours attachés comme ceux du serviteur et de la servante fidèle sur les mains de son adorable Maître, pour en recevoir la grâce qu'elle désirait. On ne saurait concevoir la science divine dont fut douée cette (1) Ps. CXXII, 2. 169 auguste Dame pour pratiquer avec la plus sublime intelligence toutes les choses qu'elle fit eu la compagnie du Verbe incarné pendant le temps qu'ils demeurèrent ensemble, sans autres témoins que les anges qui les servaient. Eux seuls assistèrent à cet admirable spectacle, et bénissaient Dieu en se reconnaissant de beaucoup inférieurs en sagesse et en pureté à une simple créature, qui mérita d'être élevée à une si haute sainteté, parce que seule elle accomplit les oeuvres de la grâce avec une perfection absolue. 900. La Reine du ciel eut en ce temps-là de très-doux débats avec les saints anges touchant les humbles et vulgaires offices qu'exigeaient le service du Verbe incarné, et le bon ordre de sa pauvre maison; car il ne s'y trouvait personne qui pût les remplir au lieu de notre divine Dame, si ce n'est ces très-nobles et trèsfidèles ministres qui l'assistaient sous une forme humaine, toujours prêts à s'employer à tout. L'illustre Vierge voulait faire elle-même les choses les plus viles, comme balayer, ranger le peu de meubles qu'elle avait, laver la vaisselle et préparer tout ce qui pouvait être nécessaire; mais les courtisans du Très-Haut, comme véritablement courtois et plus prompts dans les opérations, quoiqu'ils ne fussent pas plus humbles, avaient accoutumé de prévenir leur Reine en tous ces emplois, et quelquefois, souvent même, elle les trouvait occupés à ce qu'elle désirait faire, parce qu'ils l'avaient devancée; mais aussitôt qu'elle leur manifestait ses intentions, ils lui obéissaient et lui laissaient satisfaire son humilité et son amour. Et afin qu'ils ne s'y opposassent 170 pas, elle leur disait : " Ministres du Très-Haut, qui êtes des esprits très-purs, en lui rejaillissent les lumières par lesquelles sa Divinité m'éclaire, ces basses occupations ne sont pas convenables à votre état et à votre nature, mais à la mienne; car outre que je sors de la poussière, je suis aussi la moindre de tous les mortels et la plus obligée servante de mon Seigneur et mon Fils; laissez-moi, mes amis, exercer les offices qui me sont propres, puisqu'en m'en acquittant au service du Très-Haut, je puis me procurer des mérites que vous ne sauriez acquérir à cause de votre dignité et de votre condition. Je connais le prix des oeuvres serviles que le monde méprise, et notre souverain Seigneur m'a donné cette connaissance, non pour que je m'en décharge sur d'autres, mais afin que je les pratique moi-même. " 901. " Reine et Maîtresse de l'univers, répondaient les anges, il est vrai qu'à vos yeux et~dans l'estime du Très-Haut, ces oeuvres ont la valeur que vous leur attribuez; mais si elles vous font recueillir le précieux fruit de votre humilité incomparable, remarquez, s'il vous plait, que nous manquerons à l'obéissance que nous devons au Seigneur, si nous ne vous servons comme sa divine Majesté nous l'a ordonné; et étant comme vous êtes notre légitime Maîtresse, nous manquerions à la justice si nous négligions quoi que ce soit au service que, eu égard à cette qualité, le Seigneur nous permettra de vous rendre; vous suppléerez 171 facilement, ô notre Reine , au mérite que vous ne gagnerez point en vous abstenant de ces œuvres serviles, par la mortification que vous aurez de ne les point accomplir, et par le très-ardent désir a avec lequel vous les recherchez. " La très-prudente Mère répliquait à ces raisons en leur disant : " Non, non, esprits célestes, cela ne doit pas être ainsi; car si vous vous regardez comme grandement obligés à me servir en qualité de Mère de voire souverain Seigneur, de qui vous êtes les ouvrages, rappelez-vous qu'il m'a tirée de la poussière pour m'élever à cette dignité, et que, par suite d'un tel bienfait, ma dette est bien plus grande que la vôtre; de sorte que mon obligation étant si au-dessus de la vôtre, il faut aussi que mon retour y soit proportionné; que si vous voulez servir mon Fils comme ses créatures, je le dois servir au même titre, et de plus j'ai l'honneur d'être sa Mère pour le servir comme mon Fils; ainsi vous trouverez toujours que j'ai plus de droit que vous à ne jamais renoncer à la pratique de l'humilité, pour mieux témoigner ma reconnaissance. " 902. Telles étaient à peu prés les douces et admirables contestations qui se passaient entre la très-pure Marie et ses anges, et dans lesquelles la palme de l'humilité restait toujours entre les mains de celle qui en était la Reine et la Maîtresse. Que le monde ignore avec justice des mystères si cachés, dont la vanité et l'orgueil le rendent indigne; que dans sa stupide arrogance il dénigre et méprise ces humbles offices, 172 ces occupations serviles, soit; mais les courtisans célestes qui en ont connu la valeur, les estiment, et la Reine de l'univers, qui a su leur donner le juste prix, les recherche. Laissons donc maintenant le monde dans son ignorance ou dans ses excuses frivoles; car l'humilité n'est pas pour les personnes superbes; les basses fonctions et les vils emplois qu'elle préfère, comme de balai er et de laver la vaisselle, ne comportent guère l'usage de la pourpre et de la toile (le Hollande, du brocard et des pierreries; aussi les perles inestimables de certaines vertus ne sont pas indifféremment destinées à tous. Mais si la contagion de l'orgueil mondain se répandait jusque dans les écoles de l'humilité et de l'abnégation, c'est-à-dire dans les maisons religieuses, et qu'on vînt à y regarder avec dédain et comme un déshonneur ces exercices humiliants, on ne saurait désavouer qu'en pareil lieu l'orgueil ne fût quelque chose de honteux ou d'odieux. En effet, si ceux qui ont embrassé l'état religieux méprisent ces occupations serviles, et rougissent, à l'exemple du monde, de s'y livrer, de quel front oseront-ils se présenter aux anges et à leur Reine, qui a réputé comme fort honorables les couvres qu'ils croient basses et dignes de mépris? 903. O mes soeurs , filles de cette grande Reine, c'est à vous que je m'adresse, à vous qui êtes appelées à suivre ses traces, et à entrer dans le palais du Roi avec une véritable joie et allégresse (1); prenez (1) Ps. XLIV, 16. 173 garde de déchoir du titre glorieux de filles d'une telle Mère ! Que si elle, qui était la Reine des anges et des hommes, s'abaissait aux couvres les plus serviles, si elle balayait et se complaisait dans les emplois les plus humiliants, comment une esclave osera-t-elle, pleine de fierté, de hauteur et de vanité, paraître devant ses yeux et devant ceux de la divine Majesté, avec son dédain pour ces sortes d'occupations? Bannissons ce désordre de notre communauté, laissons-le aux habitants de la Babylone, faisons-nous un honneur des choses pour lesquelles notre auguste Princesse a eu une si grande, estime; rougissons de n'avoir pas les saintes contestations qu'elle eut avec les anges touchant la pratique de l'humilité. Avançons-nous à l'envi dans cette vertu, et causons à nos saints anges et fidèles compagnons cette émulation si agréable à notre grande Reine, et à son très-saint Fils notre Époux. 904. Pour nous convaincre que sans une humilité solide c'est une témérité de se complaire, sans s'éprouver, aux consolations et aux douceurs spirituelles ou sensibles, et qu'il y aurait folle présomption ù les désirer, nous n'avons qu'à considérer notre divine Maîtresse, qui est l'exemplaire consommé de la vie sainte et parfaite. Toutes les oeuvres serviles que cette auguste princesse faisait, étaient accompagnées de faveurs et de délices célestes; car il arrivait souvent que lorsqu'elle était en oraison avec son très-saint fils, les anges leur chantaient avec une ravissante harmonie les hymnes et les cantiques que la très- 174 pure Mère avait elle-même composés à la louange de l'être infini de Dieu, et du mystère de l'union hypostatique de la nature humaine en la personne divine du Verbe. Afin de leur faire répéter ces cantiques à l'honneur de leur Créateur, elle les engageait à chanter alternativement les versets et à composer de nouveaux hymnes avec elle; et ces bienheureux esprits lui obéissaient, en admirant la profonde sagesse qui éclatait dans les nouvelles strophes qu'ajoutait leur grande Reine. Et lorsque son très-saint Fils se retirait pour prendre son repos ou aux heures de son repas, elle leur prescrivait, comme Mère de leur Créateur, de lui donner eu son nom un concert (car dans sa tendresse elle se plaisait à le récréer), et le Seigneur l'acceptait quand la très-prudente Mère l'ordonnait, pour seconder l'ardente charité et la vénération avec lesquelles elle le servait dans ces dernières années. Il faudrait beaucoup étendre ce discours, et avoir plus de capacité que je n'en ai pour rapporter ce que j'ai appris à cet égard. On pourra se faire uni idée de ces mystères sublimes par ce quo je viens d'en dire, et y trouver un motif suffisant pour glorifier et bénir cette grande Dame, que toutes les nations doivent connaître, et pour proclamer qu'elle est bénie entre toutes les créatures (1), et quelle est la très-digne Mère du Créateur et ]Rédempteur du monde. (1) Luc., I, 48. Instruction que la Reine du ciel m'a donnée. 905. Ma fille, avant que de déclarer d'autres mystères, je veux que vous compreniez bien celui qui était renfermé dans toutes les choses que le Très-Haut ordonna envers moi par rapport à mon saint époux Joseph. Quand je l'eus épousé, sa divine Majesté me prescrivit de changer l'ordre de mes repas et de mes autres actions extérieures pour me conformer à son genre de vie, parce qu'il était chef, et qu'en ce qui regarde la loi commune, je lui étais inférieure. Mon très-saint Fils en fit de même, quoiqu'il fût Dieu véritable , pour s'assujettir selon l'extérieur à celui que le monde croyait être son Père (lorsque nous demeurâmes seuls après la mort de mon époux, et que nous n'eûmes plus sujet de suivre cette règle de conduite, nous en adoptâmes une autre pour nos repas et nos occupations); car cet adorable Seigneur voulut , non point que saint Joseph s'accommodât à nous, mais que nous nous accommodassions à lui, comme l'ordre commun de mon état le demandait; et il ne fit non plus aucun miracle pour le délivrer de la nécessité de travailler et de manger pour vivre, parce qu'il agissait en tout comme Maître des vertus, pour enseigner à tous ce qui était le plus parfait, aux pères et aux enfants, aux supérieurs et aux inférieurs. Aux pères comment ils doivent aimer leurs enfants, les aider, les entretenir, les instruire, 176 les corriger, et les conduire au salut sans aucune négligence. Aux enfants comment ils doivent, de leur côté, aimer, estimer et honorer leurs parents, comme les auteurs immédiats de leur vie et de leur être; leur obéir avec promptitude, de sorte que les uns et les autres observent la loi naturelle et la loi divine qui leur dictent ces obligations réciproques, dont la violation constitue un horrible désordre. Les supérieurs doivent aimer et gouverner leurs inférieurs comme leurs enfants; et ceux-ci leur doivent obéir sans résistance, bien qu'ils fussent d'une plus haute naissance et qu'ils eussent de plus grandes qualités que leurs supérieurs, parce que le supérieur est toujours plus grand sous le rapport de la dignité par laquelle il représente Dieu; mais la véritable charité doit rendre tous les hommes un (1). 906. Et afin que vous acquériez cette grande vertu, je veux que vous vous accommodiez à vos soeurs et à vos inférieures sans affectation, sans imperfection dans les manières, et que vous les traitiez toujours avec la sincérité et la simplicité de la colombe; priez quand elles prient, mangez et travaillez quand elles le font, et prenez part à leurs récréations, puisque la plus haute perfection des religieux et des religieuses est de suivre en tontes choses la vie commune; et si vous la suivez, vous serez gouvernée par le Saint-Esprit, qui dirige les communautés bien réglées. Tout en restant fidèle à ces principes, vous pouvez faire (1) Joan., XVII, 21. 177 des progrès dans l'abstinence en mangeant moins que les autres, quoiqu'on vous présente autant qu'à elles, et cela d'une manière secrète, sans vous singulariser, en vous privant, pour l'amour de votre Époux et le mien, de ce que vous préférez. Ne manquez jamais aux exercices de communauté, si vous n'en êtes empêchée par quelque maladie grave, ou si vous n'êtes employée ailleurs par l'ordre de vos supérieurs; assistez-y avec une révérence particulière, avec une sainte crainte, avec beaucoup d'attention et de dévotion; car vous y serez plusieurs fois visitée du Seigneur. 907. Je veux aussi que vous remarquiez dans ce chapitre les précautions minutieuses que vous devez prendre pour cacher les bonnes oeuvres que vous pourrez faire en secret à mon exemple; car bien que je pusse les faire toutes en la présence de mon saint époux Joseph, sans inconvénient ni danger, je leur donnais néanmoins ce degré de perfection et de prudence qui les rend plus louables. Mais il ne faut pas que vous preniez ce soin à l'égard des actions communes et des, choses obligatoires par lesquelles vous devez donner bon exemple, sans en cacher la lumière; car on pourrait, en y manquant, mériter de justes reproches et ne faire que scandaliser. En ce qui concerne les autres bonnes oeuvres que l'on peut pratiquer en secret et dérober à la vue des créatures, on ne les doit pas légèrement exposer au danger de la publicité et de l'ostentation. Ainsi vous pourrez vous prosterner souvent dans votre solitude à mon imitation ; 178 vous humilier et adorer la suprême Majesté du Très-Haut, afin que le corps mortel, qui appesantit lame (1), soit offert comme un sacrifice agréable pour expier les rébellions dont il s'est rendu coupable contre la raison et la justice, afin qu'il n'y ait rien en vous qui ne soit consacré au service de votre Créateur et divin Époux, et que ce même corps répare en quelque sorte par là les grandes pertes qu'ira fait subir à l'âme, n la privant de tant de biens par ses passions et par ses défauts terrestres. 908. Tâchez dans ce dessein de dompter ce rebelle , et faites en sorte que les avantages qu'on lui procure ne servent qu'à mieux le tenir sous l'empire de l'Aine, sans satisfaire ses penchants et ses convoitises. Travaillez à le réduire en servitude et à le faire mourir à tout ce qui flatte les sens, jusqu'à ce quo les choses nécessaires à la vie lui soient plutôt une peine salutaire qu'un dangereux plaisir. Et quoique je vous aie parlé ailleurs du prix de la mortification et des humiliations, vous serez maintenant mieux persuadée par mon exemple de l'estime que vous devez faire du moindre acte d'humilité et de renoncement. Je vous ordonne ici de n'en dédaigner atteint comme insignifiant, et de regarder le moindre comme un trésor inappréciable que vous devez acquérir. Il faut que vous en fassiez l'objet de vos plus ardents désirs, vous employant avec zèle à balayer, à laver la vaisselle, à faire les choses les plus basses dit monastère et à servir (1) Sap., IX, 15, 179 les malades, comme je vous l'ai prescrit en d'autres occasions. Vous me prendrez pour modèle en toutes ces actions, afin que mon exemple vous anime à pratiquer gaiement l'humilité, et vous cause de la honte si vous y manquez. Car si cette vertu fondamentale m'a été si nécessaire pour me faire trouver grâce devant le Seigneur (quoique je ne l'eusse jamais offensé), et s'il a fallu que je m'humiliasse afin que sa divine droite m'élevât, combien plus de raison n'avez-vous pas de vous abîmer dans votre propre néant, vous qui avez été conçue dans le péché (1), et qui l'avez si souvent offensé? Humiliez-vous jusqu'au centre de la terre, et reconnaissez que vous avez mal employé l'être que le Très-Haut vous a donné; de sorte que l'être même que vous en avez reçu vous doit servir à vous humilier davantage si vous voulez trouver le trésor de la grâce. (1) Sap., IX, 15. 180 CHAPITRE XVIII. On y raconte de nouveaux mystères, et les différentes occupations de notre grande Reine et de son très-saint Fils, pendant le temps qu'ils vécurent seuls, avant qu'il commençât à prêcher. 909. La plupart des mystères qui se passèrent entre Jésus et Marie sont réservés pour être aux bienheureux dans le ciel le sujet d'une joie accidentelle, comme je l'ai marqué ailleurs. Les plus ineffables s'accomplirent dans le cours des quatre années qu'ils demeurèrent seuls dans leur maison après l'heureuse mort de saint Joseph, jusqu'à ce que cet adorable Seigneur commençât à prêcher. Il est impossible qu'aucune créature mortelle puisse dignement pénétrer des secrets si profonds; dès lors combien moins me sera-t-il possible, avec mon ignorance., de rapporter ce que j'en ai appris? On en découvrira la cause par ce que je dirai. L'âme de notre Seigneur Jésus-Christ était un miroir très-clair et sans tache, où sa très-sainte Mère (ainsi qu'on l'a vu plus haut) regardait et connaissait tous les mystères que ce divin Seigneur préparait, comme chef et fondateur de la sainte Église, Rédempteur de tout le genre humain, maître du salut éternel, et comme Ange du grand conseil, exécutant 181 le dessein que la très-sainte Trinité avait conçu et décrété de toute éternité dans son sacré consistoire. 910. Notre divin Sauveur consacra toute sa vie à l'agencement de cette grande oeuvre que son Père éternel lui avait recommandé d'accomplir avec la suprême perfection qu'il pouvait lui donner comme homme et Dieu tout ensemble; et à mesure que cet adorable Seigneur s'approchait du terme et de la dispensation d'un si haut mystère, la force de sa sagesse et l'efficace de son pouvoir augmentaient aussi et rehaussaient tous ses actes. Le coeur de notre auguste Reine était le témoin et le dépositaire très-fidèle de toutes ces merveilles, et elle coopérait en tout avec son très-saint Fils, comme sa coadjutrice, dans les œuvres de la rédemption du genre humain. Cela étant, il est sûr que pour connaître entièrement la sagesse avec laquelle cette divine Mère agissait en la dispensation des mystères de cette même rédemption, il faudrait aussi pénétrer ce que renfermaient la science de notre Sauveur Jésus-Christ, les couvres de son amour, et la prudence avec laquelle il disposait les moyens convenables aux fins très-sublimes qu'il s'était proposées. Ainsi, dans le peu que je dirai des oeuvres de l'incomparable Marie, je présupposerai toujours celles de son très-saint Fils, auxquelles elle coopérait en l'imitant comme son exemplaire. 911. Le Sauveur du monde était alors dans sa vingt-sixième année; et comme sa très-sainte humanité tendait à atteindre par son développement naturel le 182 terme de la perfection, ce divin Seigneur gardait une admirable correspondance en la manifestation de ses œuvres chaque jour plus grandes, comme plus proches de notre rédemption. L'évangéliste saint Luc a renfermé tout ce mystère en ce peu de paroles, par les quelles il a terminé son chapitre second (1): Jésus croissait en sagesse, en âge et en grâce devant Dieu et devant les hommes. La bienheureuse Mère connaissait ces progrès de son adorable Fils, y participait et y coopérait, sans que rien lui ait été caché de ce que pouvait lui communiquer, à elle simple créature, le Seigneur Dieu et homme. Dans la pénétration de ces divins et mystérieux secrets, notre grande Dame comprit, ces années-là, comment son Fils, du trône de sa sagesse, étendait non-seulement la vue de sa Divinité incréée, mais aussi celle de son âme très-sainte sur tous les mortels à qui devait s'appliquer la rédemption; du moins d'une manière suffisante; comment il considérait en lui- même le prix de la rédemption et la valeur infinie que le Père éternel donnerait aux mérites du Rédempteur, descendu du ciel pour fermer aux hommes les portes de l'enfer et les conduire à la vie éternelle, en souffrant les douleurs de la passion et de la mort la plus cruelle; comment enfin il prévoyait que ceux mêmes. qui naîtraient après qu'il aurait été attaché à la croix pour leur salut feraient encore tous leurs efforts, dans leur stupide endurcissement, pour agrandir les portes de la mort : pauvres aveugles qui (1) Luc., II, 52. 183 ignorent combien sont horribles et épouvantables les tourments de l'enfer. 912. Ces réflexions et ces prévisions plongèrent l'humanité de notre Seigneur Jésus-Christ dans une telle désolation, dans de telles angoisses, qu'elle en sua du sang (comme ce lui était arrivé en d'autres occasions); mais, au milieu de ces peines intérieures, l'adorable Sauveur continuait toujours les prières qu'il faisait pour tous ceux qui devaient être rachetés, et, afin de témoigner son obéissance au Père éternel, il soupirait avec un très-ardent amour après le moment où il pourrait s'offrir comme une victime agréable pour la rédemption des hommes, sachant que si tous n'allaient pas profiter de l'efficace de ses mérites et de son sang, du moins la justice divine serait satisfaite, l'offense à la Divinité réparée, et l'équité de cette même justice manifestée au temps dé la punition , qui était destinée de toute éternité pour les incrédules et pour les ingrats. Notre auguste Princesse, pénétrant tous ces mystères, s'associait à son très-saint Fils par les peines qu'elle ressentait et par les réflexions qu'elle faisait dans sa rare sagesse; et elle éprouvait en outre une tendre compassion comme mère, en voyant le fruit de son sein virginal en proie à une si cruelle affliction. Le coeur percé d'une douleur indicible, cette très-douce colombe versa maintes fois des larmes de sang, lorsqu'une sueur de sang ruisselait sur les membres du Sauveur : car il n'y eut que son adorable Fils et elle qui pussent dignement estimer toutes ces choses et les peser au poids du sanctuaire, 183 mettant dans l'un des bassins la valeur de la mort d'un Dieu crucifié pour fermer les portes de l'enfer, et dans l'autre la dureté et l'aveuglement des mortels, qui s'obstinent à se précipiter dans les abîmes de la mort éternelle. 913. Ces angoisses de la très-amoureuse Mère allaient jusqu'à la faire tomber dans des défaillances presque mortelles, et elles l'eussent été sans doute si la vertu divine ne l'eût fortifiée pour lui conserver la vie. Notre aimable Sauveur, voulant récompenser l'extrême fidélité de son amour et sa compassion, ordonnait aux saints anges de la consoler et de la soutenir lorsqu'elle se trouvait en cet état; ou bien de lui chanter une musique, céleste, composée de cantiques de louange qu'elle-même avait faits à la gloire de la divinité et de l'humanité de cet adorable Seigneur. Quelquefois il la soutenait lui-même entre ses bras, et lui faisait alors connaître de nouveau que cette funeste loi du péché et dé ses effets ne s'étendait pas sur elle. D'autres fois, pendant qu'elle était ainsi appuyée, les mêmes anges, dans un saint transport, la charmaient par un doux concert, et elle était ravie en de divines extases dans lesquelles elle recevait de grandes et nouvelles influences de la Divinité; c'était alors que l'élue, l'unique et la parfaite se trouvait appuyée sur la main gauche de l'humanité (1), pendant qu'elle était caressée et embrassée parla droite de la Divinité (2) : c'était alors que son très-amoureux (1) Cant., II, 6. - (2) Ibid., 7 185 Fils et divin Époux conjurait les filles de Jérusalem, et leur ordonnait en même temps de ne point éveiller sa bien-aimée (1) jusqu'à ce qu'elle s'éveillât d'elle-même de ce sommeil qui la guérissait des maux de l'amour; c'était aussi alors que les esprits célestes la contemplaient avec admiration s'élevant au-dessus de tous, appuyée sur son bien-aimé Fils; et, la voyant à sa droite (2) ornée de tant de diverses perfections, ils la bénissaient et l'exaltaient entre toutes les créatures. 914. Notre grande Reine apprenait en d'autres occasions des secrets très-profonds sur la prédestination des élus par les mérites de la rédemption; comme ils étaient écrits dans le souvenir éternel de son très-saint Fils; la manière dont sa divine Majesté leur appliquait ses mérites et priait pour eux, afin que le prix dé leur rachat fût efficace, et comment l'amour et la grâce, dont les réprouvés se rendaient indignes, se tournaient vers les prédestinés selon leur disposition. Elle discernait comment, parmi eux le Seigneur appliquait sa sagesse et ses soins à ceux qu'il devait appeler à l'apostolat et à le suivre, et comment il les enrôlait en son entendement et en sa science impénétrable sous l'étendard de la croix, afin qu'ils le portassent ensuite par le monde; car, ainsi qu'un bon général combiné et prévoit toutes choses dans son esprit avant que d'entreprendre une conquête ou de livrer une bataille décisive, distribue les emplois et assigne les postes, d'après un plan bien conçu, aux (1) Cant., VIII, 4. - (2) Ps., XLIV, 10 186 plus vaillants soldats et aux plus habiles officiers de son armée, employant chacun selon ses qualités; de même notre Rédempteur Jésus-Christ, voulant commencer la conquête du monde et dépouiller le démon de sa possession tyrannique, rangeait d'avance, des hauteurs de la personne du Verbe, la nouvelle milice qu'il allait lever, et distribuait dans sa pensée les emplois, les grades et les postes qu'il destinait à ses braves capitaines; de sorte que tous les préparatifs de cette guerre étaient déterminés en sa sagesse et en sa volonté suivant le plan qu'il devait exécuter. 915. La très-prudente Mère découvrait tout cela, et elle reçut par infusion la connaissance d'un grand nombre de prédestinés, spécialement des apôtres, des disciples, et de la plupart de ceux qui furent appelés en la primitive Église, et ensuite dans le cours de son développement. Quand elle vit les apôtres et les autres fidèles, elle les connaissait déjà avant que de les avoir fréquentés, par les notions surnaturelles qu'elle avait puisées en Dieu; et comme notre divin Maître avait prié pour eux et demandé leur vocation avant de les appeler, notre auguste Princesse fit aussi les mêmes prières dans ce but. De sorte que cette Mère dé la grâce contribua en sa manière à tous les secours et à toutes les faveurs que les apôtres obtinrent avant que d'ouïr et de connaître leur Maître, pour se trouver ensuite disposés à recevoir la vocation qu'il en devait faire à l'apostolat. Et comme alors le temps de la prédication de cet adorable Sauveur s'approchait, il priait pour eux avec plus d'instance, et leur envoya 187 de plus grandes et plus fortes inspirations. Les prières de notre divine Dame furent aussi alors et plus ferventes et plus efficaces, et quand plus tard les disciples et les autres fidèles venaient en sa présence, et se mettaient à suivre son Fils, elle lui disait: " Voici, mon Fils et mon Seigneur, le fruit de vos ardentes prières et de votre sainte volonté. " Et elle faisait des cantiques de louange et de reconnaissance, parce qu'elle voyait le désir du Seigneur accompli, et que ceux que sa divine Majesté avait choisis et tirée du monde (1), venaient se rendre dans son école. 916. L'auguste Reine restait souvent absorbée dans la respectueuse considération de ces merveilles, qu'elle admirait avec des actions de grâces et avec Une joie inexprimables, faisant dans son âme des actes sublimes d'amour, et adorant les profonds jugements du Très-Haut; tout embrasée de ce feu qui sortait de la Divinité pour se répandre sur la terre et enflammer le monde, elle disait parfois au fond de son coeur très-ardent; et parfois à haute et intelligible voix: " O amour infini ! O volonté d'une bonté ineffable et immense ! Comment est-ce que les mortels ne vous connaissent point ? Comment peuvent-ils vous mépriser et vous oublier? Pourquoi vos bienfaits doivent-ils être si mal payés? O afflictions ! ô soupirs ! ô gémissements ! peines, désirs, prières de mon bien-aimé, plus précieux que les perles, que l'or et que tous les trésors du monde! Qui sera si (1) Joan., XV, 19. 188 ingrat et si malheureux que de vouloir vous mépriser? O enfants d'Adam! que ne puis-je mourir plusieurs fois pour chacun de vous, pour vous tirer de votre ignorance, pour amollir votre dureté, et pour empêcher votre perte! " Après des affections et des prières si ardentes, l'heureuse Mère s'entretenait de tous ces mystères avec son Fils, qui la consolait en lui renouvelant le souvenir de l'estime qu'elle s'était acquise devant le Très-Haut, de la grâce et de la gloire des prédestinés, et de leurs grands mérites en comparaison de l'ingratitude et de la dureté des réprouvés. Il lui représentait surtout l'amour qu'elle-même savait que sa Majesté et la très-sainte Trinité lui portaient, et la satisfaction que donnaient aux personnes divines sa correspondance et sa pureté immaculée. 917. Quelquefois ce même Seigneur la prévenait de ce qu'elle devrait faire lorsqu'il commencerait à prêcher, comment elle devrait coopérer avec sa Majesté, et l'aider en toutes les oeuvres et au gouvernement de la nouvelle Église, et comment elle devrait supporter les fautes des apôtres, le renoncement de saint Pierre, l'incrédulité de saint Thomas, la trahison de Judas, et plusieurs autres choses qu'elle prévoyait. Dès lors notre charitable Dame résolut de faire tous ses efforts pour ramener ce traître disciple, et c'est ce qu'elle exécuta comme je le dirai en son lieu. Le principe de la perdition de Judas vint d'avoir méprisé les faveurs de la Mère de la grâce, et d'avoir conçu une certaine indévotion à son égard. Cette auguste 189 Princesse fut instruite de tous ces mystères par son très-saint Fils. Et il renferma en elle tant de grandeur, de sagesse et de science divine, qu'il n'est pas possible d'en apprécier les richesses ; car cette science ne pouvait être surpassée que par celle du Seigneur lui-même, et elle surpassait tous les séraphins et tous les chérubins. Mais si notre Sauveur et sa très-pure Mère employèrent tous ces dons de science et de grâce en faveur des mortels; si un seul soupir de notre Seigneur Jésus-Christ était d'un prix inestimable pour toutes les créatures, et si les soupirs de sa digne Mère, sans être d'une aussi grande valeur, Farce qu'ils étaient d'une simple créature et d'une moindre excellence, valaient néanmoins en l'acceptation du Seigneur plus que tout ce que pourrait offrir le reste de la nature créée, quel retourne devons- nous pas à tant de bienfaits! Maintenant qu'on y ajoute et qu'on récapitule tout ce que le Fils et la Mère ont encore fait pour nous, non-seulement la mort de notre aimable Sauveur sur une croix après tant de tourments inouïs, mais ses prières, ses larmes et ses sueurs de sang si fréquentes, et en même temps la coopération constante et universelle de la Mère de miséricorde, la coadjutrice en tout cela, et en tant d'autres choses que nous ignorons, et toujours pour notre bien. O ingratitude des hommes! O dureté de coeurs de chair, plus impénétrable que celle du diamant! Avons-nous perdu le sens? Avons-nous perdu la raison? D'où vient que notre nature infectée du péché se laisse attendrir par les objets sensibles, et estime ce qui la précipite 190 dans la mort éternelle, et qu'elle oublie l'incomparable faveur de la rédemption, insensible à la passion du Seigneur, qui lui offre par elle la vie et le pos, dont la durée doit être éternelle. Instruction que la Reine du ciel m'a donnée. 918. Ma fille, il est sûr que, quand vous et tous les hommes ensemble vous emprunteriez le langage des anges, vous ne sauriez rapporter les bienfaits dont m'a comblée la droite du Très-Haut pendant les dernières années que mon très-saint Fils demeura avec moi. Ces œuvres du Seigneur ont une espèce d'incompréhensibilité qui les rend ineffables pour vous et pour tous les mortels; mais je veux qu'à cause de la connaissance particulière que vous avez reçue de mystères si profonds, vous exaltiez et bénissiez le Tout-Puissant potir ce qu'il a fait à mon égard, et de ce qu'il m'a ainsi tirée de la poussière pour m'élever à une si haute dignité et à des prérogatives si sublimes. Et quoique votre amour envers mon Fils et mon Seigneur doive être libre, comme celui d'une fille très-fidèle et d'une épouse très-amoureuse, et non point d'une esclave mercenaire et contrainte (1), je veux néanmoins, pour animer votre faiblesse et votre espérance, (1) I Petr.. II, 3. 191 que vous vous souveniez de la suavité de l'amour divin, et combien le Seigneur est doux pour ceux qui le craignent avec une affection filiale. Ah ! ma très-chère fille, que de délices, que de faveurs découleraient sur les hommes de sa main libérale, s'ils ne contrariaient par leurs péchés l'inclination de son infinie bonté! Dans votre manière de vous représenter les choses, vous devez le regarder comme violenté et affligé par la ,résistance que les mortels opposent à ce désir si extraordinairement impérieux; et ils poussent l'ingratitude si loin, que non- seulement ils s'accoutument à se rendre indignes de goûter la douceur du Seigneur, mais ils ne veulent pas même croire que d'autres reçoivent les faveurs qu'il voudrait communiquer à tous. 919. Faites aussi en sorte d'être bien reconnaissante des travaux continuels que mon très-saint Fils s'est imposés pour les hommes, et de la part que j'ai prise à ses souffrances. Les catholiques pensent assez souvent à sa passion et à sa mort, parce que la sainte Église ne cesse de les leur rappeler, quoiqu'il y en ait fort peu qui songent à en témoigner leur reconnaissance; mais il y en a encore moins qui considèrent les autres choses que mon Fils et moi avons faites, et que sa divine Majesté n'a pas perdu un seul moment où elle n'ait employé sa grâce et ses dons en faveur des hommes, qu'elle voulait racheter de la damnation éternelle et rendre participants de sa gloire. Ces ouvres de mon Seigneur et Dieu incarné déposeront de l'ingratitude et de la dureté des fidèles, surtout au 192 jour du jugement. Si, étant éclairée comme cous l'0tes de cette lumière du Très- Haut et de mes instructions, vous manquez à la reconnaissance, votre confusion sera d'autant plus grande que votre faute aura été plus lourde. Vous avez à correspondre non-seulement à tant de bienfaits généraux, mais aussi aux particuliers que vous découvrez chaque jour. Tubez dès maintenant d'éviter ce danger de l'ingratitude; correspondez aux grâces, comme ma fille et là disciple de mon école, et ne différez pas un instant à pratiquer le bien, et ce qui sera le plus parfait, s'il est en votre pouvoir de le faire. Profitez de la lumière intérieure, et prenez en tout les avis de vos supérieurs et des ministres du Seigneur, et soyez assurée que si vous usez des faveurs du Très-Haut, sa divine Majesté vous en accordera d'autres plus grandes, et vous comblera de ses richesses et de ses trésors. CHAPITRE XIX. Notre seigneur Jésus-Christ dispose les esprits à sa prédication, et donne quelque connaissance de la venue du Messie. - Sa très-sainte mère contribue à cette préparation, et l'enfer commence à se troubler. 920. Le feu de la divine charité, qui brûlait dans le coeur de Jésus-Christ, était comme enfermé et contraint 193 avec une espèce de violence jusqu'au temps marqué et opportun où il devait éclater en rompant le vase sacré de sa très-sainte humanité, on en ouvrant ce même coeur parle moyen de la prédication et des miracles dont les hommes devaient être les témoins. Et comme on ne saurait cacher le feu dans son sein, comme dit Salomon (1), sans voir ses vêtements se consumer; de même notre Sauveur découvrit toujours plus ou moins celui qu'il avait, dans son cœur, parce qu'il s'en échappait certaines étincelles qui brillèrent dans toutes les oeuvres qu'il fit dès l'instant de son incarnation : mais il était toujours comme couvert et comprimé en comparaison de l'incendie qu'il devait allumer, et des flammes immenses qu'il cachait. Cet adorable Seigneur était déjà arrivé à la parfaite adolescence, et, se trouvant dans sa vingt-septième année, il semble, selon notre manière de concevoir, qu'il ne pouvait plus tant résister à l'impétuosité de son amour, et au désir qu'il avait d'obéir promptement à son Père éternel et de sanctifier les hommes. Il fatiguait beaucoup, il priait, il jeûnait, il se montrait plus souvent en public, et conversait davantage avec tes mortels; il passait beaucoup de nuits entières en oraison dans les montagnes, et quelquefois il restait deux ou trois jours hors de sa maison sans rentrer auprès de sa très-sainte Mère. 921. Notre très-prudente Dame, qui s'apercevait, aux fréquentes sorties que faisait son très-saint Fils, (1) Prov., VI, 27. 194 que le moment de ses peines et de ses travaux approchait, avait l'âme transpercée d'un glaive de douleur à la pensée des souffrances que sa pieuse affection prévoyait; et dans cet état elle était toute pénétrée des divines flammes et embrasée de tendresse et d'amour pour son bien-aimé. Durant ces absences, les courtisans du ciel l'assistaient sous une forme visible, et, leur exprimant les afflictions de son coeur, elle les priait d'aller trouver son Fils, et de lui rapporter ensuite des nouvelles de ses occupations. Les saints anges obéissaient à leur Reine, et elle profitait souvent des détails qu'ils lui donnaient pour imiter notre Rédempteur en ses prières et en ses exercices, sans pourtant sortir de sa retraite. Quand ce divin Seigneur retournait, elle le recevait à genoux , l'adorait et lui rendait des actions de grâces pour les faveurs qu'il avait faites aux pécheurs. Elle le servait et l'entourait des soins les plus délicats, comme une amoureuse mère, et lui préparait un frugal repas, dont la très-sainte humanité avait besoin à cause de sa réalité et de sa passibilité, car il lui arrivait quelquefois de passer deux ou trois jours sans manger ni dormir. La bienheureuse Mère connaissait alors les peines et les fatigues de notre Sauveur par les voies que j'ai indiquées ailleurs, et l'adorable Seigneur lui en faisait aussi le récit et l'entretenait des choses qu'il ménageait, et des grâces secrètes qu'il avait communiquées à plusieurs âmes en les éclairant des lumières particulières sur la divinité et sur la rédemption des hommes. 922. Étant instruite de la sorte, elle dit à son très 195 saint Fils: " Mon Seigneur, souverain bien des âmes, lumière de mes yeux, je vois que le très- ardent amour que vous avez pour les hommes ne vous permet point de cesser un seul moment de travailler à leur salut éternel; c'est l'occupation propre de votre charité, c'est l'oeuvre que votre Père éternel vous a recommandée. Il faut que vos paroles et vos actions, qui sont d'un prix inestimable, attirent les coeurs d'une foule de personnes; mais, ô mon très doux amour, je voudrais bien que tous les mortels suivissent vos attraits et répondissent à vos charitables soins. Voici, Seigneur, votre servante toute prête à s'employer à ce qui vous sera le plus agréable, et à donner sa vie, s'il est nécessaire, afin que les désirs de votre coeur embrasé d'amour soient accomplis en tous les hommes, et que tout serve à les faire entrer en votre grâce et en votre amitié. " La Mère de miséricorde fit cette ogre à son très-saint Fils, mue par la force de son ardente charité, qui la portait à procurer et à désirer le fruit des oeuvres et de la doctrine de notre Rédempteur et véritable Maître; et comme cette très-sage Dame en faisait une juste appréciation et en connaissait la valeur, elle aurait voulu que toutes les haies en eussent fait leur profit, en y correspondant avec la reconnaissance qu'elles méritaient. Elle aspirait, par cette charité ineffable, à aider le Seigneur, ou, pour mieux dire,. les hommes qui devaient ouïr ses divines paroles et être témoins de ses œuvres, afin, qu'ils répondissent à ce bienfait, et qu'ils ne perdissent point l'occasion d'user de ce divin 196 remède. Elle aspirait aussi à rendre de dignes actions de grâces au Seigneur (comme elle le faisait effectivement) pour les oeuvres merveilleuses qu'il opérait en faveur des âmes, afin que toutes ses grâces fussent reconnues, tant celles qui étaient efficaces que celles qui ne l'étaient pas par la faute des hommes. Notre auguste Peine acquit par là des mérites ineffables; car elle eut une espèce de participation très-sublime en toutes les oeuvrés de notre Seigneur Jésus Christ, non-seulement du côté de la cause par laquelle elle y concourait, c'est-à-dire par la coopération de sa charité, mais aussi du côté des effets, attendu que cette grande Dame opérait avec chacune des âmes, comme si elle-même avait en quelque sorte reçu le bienfait qui lui était accordé. Je m'étendrai davantage sur cette matière dans la troisième partie. 923. Le Sauveur répondant à l'offre de son amoureuse Mère , lui dit : " Ma Mère, le temps s'approche auquel il faut, selon la volonté de mon père éternel, que je commence à disposer quelques coeurs afin qu'ils reçoivent la lumière de ma doctrine, et qu'ils sachent que le temps déterminé et propice pour le salut du genre humain est arrivé. Je veux qu'à mon exemple vous contribuiez à cette oeuvre. Priez on Père d'éclairer et d'exciter les coeurs des mortels par sa divine lumière, afin qu'ils reçoivent avec une intention droite la connaissance que je leur donnerai maintenant de la venue de leur Rédempteur et de leur Maître. " Par cet avertissement de notre Seigneur Jésus-Christ, sa bienheureuse 197 Mère se prépara à le suivre dans ses voyages comme elle le souhaitait. Et dès ce jour-là elle l'accompagna presque toutes les fois qu'il sortait de Nazareth. 924. Le Seigneur s'appliqua plus fréquemment à cette mission trois ans avant de commencer à prêcher, et avant de recevoir et d'établir le baptisme, et accompagne de notre grande Reine, il parcourut à différentes reprises les villages circonvoisins de Nazareth et les terres de la tribu de Nephthali, comme l'a prédit Isaïe (1), et divers autres endroits. Il se mit dès lors à annoncer aux hommes la venue du Messie, les assurant qu'il était déjà an monde et qu'il se trouvait dans le royaume d'Israël. Il communiquait cette nouvelle lumière aux mortels sans leur découvrir qu'il fût Celui qu'on attendait; car le premier témoignage qui le déclara Fils du Père éternel fût celui que le même l'ère donna en public, quand il dit sur le Jourdain : Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je me plais uniquement (2). Mais cet adorable Sauveur, sans révéler expressément sa dignité, commenta à en parler en général, comme racontant une chose qu'il savait de science certaine; et saris faire de miracles publics ni d'autres démonstrations éclatantes, il accompagnait cet enseignement et ces témoignages de secrètes inspirations et de secours intérieurs, qu'il répandait dans les coeurs de ceux avec qui il conversait; c'est ainsi qu'il les préparait par cette foi commune à la recevoir après en particulier avec plus de facilité. (1) Isa., IX, 1. - (2) Matth., III, 17. 198 925. Il s'insinuait près des hommes qu'il connaissait par sa divine sagesse être disposés à recevoir la semence de la vérité. Il représentait aux plus ignorants les signes de la venue du Messie, que tous avaient pu observer dans l'arrivée des rois mages, dans la mort des innocents (1), et en d'autres faits semblables. Il alléguait aux plus savants les témoignages des prophéties qui étaient déjà accomplies, en leur déclarant cette vérité comme leur unique Maître; de sorte qu'il prouvait par toutes ces choses que le Messie était en Israël, et leur découvrait en même temps le royaume de Dieu et le chemin pour y arriver Et comme on remarquait en sa divine personne une beauté, une grâce, une mansuétude sans égales, et dans ses paroles une douceur admirable, une secrète vertu et une merveilleuse efficace, comme d'ailleurs une mystérieuse influence fortifiait ces impressions, les résultats que produisait cet enseignement étaient vraiment prodigieux; car beaucoup d'âmes sortaient du péché, d'antres amendaient leur conduite, et toutes en grand nombre étaient initiées aux plus hauts mystères, et apprenaient notamment que le Messie qu'on attendait était déjà parmi les israélites. 926. Notre divin Maître ajoutait plusieurs autres oeuvres d'une grande miséricorde à celles dont nous venons de parler, car il consolait les affligés , soulageait les misérables, visitait les malades, animait les (1) Matth., II, 1, 16. 199 lâches, donnait des conseils salutaires aux ignorants assistait ceux qui étaient à l'agonie; il rendait secrètement la santé du corps à plusieurs, remédiait à de grandes nécessités, et conduisait tous ceux avec qui il conversait par les voies de la vie et de la paix véritable. Tous ceux qui l'abordaient ou l'écoutaient avec une pieuse intention et sans préjugés, étaient remplis de lumière et de dons de la puissante droite de sa divinité; et il n'est. pas possible de raconter les couvres admirables qu'il fit pendant ces trois années qui précédèrent son baptême et à sa prédication publique ; il faisait toutes ces oeuvres d'une manière très-secrète, de sorte que, sans découvrir qu'il fût l'auteur du salut, il le communiquait à un très-grand nombre d'âmes. L'auguste Vierge était présente à presque toutes ces merveilles, comme, témoin et coadjutrice très-fidèle du Maître de la vie; et comme tout lui était découvert, elle coopérait à tout et en rendait de justes actions de grâces au nom de ces mêmes personnes favorisées de la divine miséricorde. Elle adressait des cantiques de louange au Tout-Puissant, elle priait pour les âmes, comme en connaissant l'intérieur et les besoins, et par. ses prières elle leur procurait une foule de bienfaits. Elle-même en exhortait aussi plusieurs, elle les conseillait, les attirait à la doctrine de son Fils et leur annonçait la venue du Messie; toutefois elle instruisait plus souvent les femmes que les hommes, exerçant à leur égard les mêmes rouvres de miséricorde que son très-saint Fils pratiquait envers ces derniers. 200 927. Peu de gens, dans ces dernières années, accompagnaient le Sauveur et sa très- sainte Mère, parce qu'il n'était pas encore temps de les appeler à sa suite, et de leur exposer sa doctrine ;ainsi le Seigneur les laissait en leurs maisons, instruits et perfectionnés par sa divine lumière. Mais les saints anges formaient leur cortége ordinaire, et les servaient comme de très-fidèles sujets et des ministres très- diligents ; et quoique. Jésus et Marie rentrassent souvent dans leur humble demeure durant ces excursions, néanmoins les jours qu'ils sortaient de Nazareth, ils avaient un plus grand besoin du ministère des courtisans du ciel, car ils passaient plus d'une nuit en plein air, aux champs, dans une oraison continuelle , et alors les anges leur servaient comme d'abri pour les garantir jusqu'à un certain point des inclémences de la saison, et quelquefois ils leur apportaient leur frugale nourriture, quelquefois encore le même Seigneur et sa très-sainte Mère la demandaient par aumône, et ils ne l'acceptaient qu'en nature, sans vouloir recevoir de l'argent ni aucun autre présent. Quand ils se séparaient pour quelque peu de temps, ce qui arrivait lorsque le Seigneur allait visiter les hôpitaux, et que la sainte Vierge se rendait auprès de femmes malades, alors elle était toujours accompagnée d'un très- grand nombre d'anges en forme visible, et par leur intermédiaire elle faisait diverses oeuvres de charité , et était informée de celles que son très-saint Fils faisait de son côté Je ne m'arrête pas à particulariser ici les merveilles qu'ils opéraient, 201 ni les peines et les incommodités qu'ils souffrirent dans les chemins, dans les hôtelleries et dans mille circonstances où l'ennemi commun déployait tous ses efforts pour empocher leurs bonnes couvres; il suffit de savoir que le Maître de la vie et sa très-sainte ibère étaient pauvres et pèlerins, et qu'ils choisirent le chemin des souffrances, sans en refuser aucune, pour notre salut. 928. Notre divin Maître communiquait en la manière secrète que j'ai dite cette connaissance de sa venue au monde à toutes sortes de personnes, et c'est ce que sa très-sainte Mère faisait aussi de son côté; mais les pauvres furent les privilégiés dans la dispensation de ce bienfait. (1) , parce qu'ils sont d'ordinaire mieux disposés, comme ayant moins de péchés, et par conséquent de plus grandes lumières, et cela parce que leur âme est débarrassée des soucis et des troubles qui empêchent de recevoir ces mêmes lumières et de profiter de la doctrine évangélique. Ils sont aussi plus humbles, plus dociles et plus enclins aux actions vertueuses ; et comme notre Seigneur Jésus-Christ n'usait point publiquement de son autorité de Maître pendant ces trois années, et qu'il n'enseignait pas alors sa doctrine en manifestant sa puissance et en la confirmant par des miracles, i1 se communiquait davantage aux humbles et aux pauvres, qui se rendent plus facilement à la vérité. Néanmoins l'ancien serpent observait avec une attention inquiète (1) Luc., VII, 22. 202 la plupart des oeuvres de Jésus et de Marie, car elles ne lui furent pas toutes cachées, quoiqu'il ne découvrit point le pouvoir en vertu duquel ils les faisaient. Il reconnut que par leurs exhortations beaucoup de pécheurs embrassaient la pénitence, amendaient leur vie et secouaient son joug tyrannique, que d'autres faisaient de rapides progrès dans la vertu, et ainsi cet ennemi commun remarquait un grand changement en tous ceux qui écoutaient le Maître de la vie. 929. Ce qui le troubla davantage fut ce qui arrivait à plusieurs personnes qu'il tâchait d'abattre à l'heure de la mort sans pouvoir en venir à bout; car comme ce cruel et rusé dragon attaque les âmes en cette dernière heure avec un redoublement de rage, il arrivait souvent que s'il avait abordé le malade, et qu'ensuite notre Seigneur Jésus-Christ ou sa très-sainte Mère entrassent dans sa chambre, il se sentait précipité avec tous ses ministres, par une force irrésistible, au fond des abîmes éternels; que si Jésus et Marie étaient entrés auparavant dans l'appartement du malade, alors les démons ne pouvaient s'en approcher, et n'avaient sur lui aucune prise. Et comme cet ennemi de nos âmes subissait la vertu divine et en ignorait la cause, il entra dans une très-violente fureur et résolut de se venger de cette défaite. Je dirai au prochain chapitre ce qui s'ensuivit. 203 Instruction que j'ai reçue de notre auguste Maîtresse. 930. Ma fille, je vois que la connaissance que je vous donne des oeuvres mystérieuses de mon très-saint Fils et des miennes, vous fait vous étonner de ce qu'étant si propres à toucher les coeurs des mortels, il y en ait beaucoup qui sont restées cachées jusqu'à présent. Au lieu d'être surprise de ce que les hommes ignorent de ces mystères, vous devez plutôt l'être de ce qu'ayant connu tant de choses de la vie et des oeuvres du Sauveur, ils s'en souviennent si peu et les méprisent avec tant d'ingratitude. S'ils n'étaient point si endurcis, s'ils considéraient avec attention et avec goût les vérités divines, ils trouveraient de puissants motifs de reconnaissance en ce qu'ils ont appris de la vie de mon Fils et de la mienne. On pourrait convertir des mondes entiers par les articles de la foi catholique et par tant de vérités divines que la sainte Église leur enseigne, puisque les hommes savent, grâce à cet enseignement, que le Fils unique du Père éternel a pris la nature de l'esclave en se revêtant d'une chair mortelle (1), pour les racheter par la mort de la croix, et qu'il leur a acquis la vie éternelle en sacrifiant sa vie temporelle, pour les retirer de la mort de l'enfer. Si les hommes faisaient de sérieuses réflexions sur ce bienfait, sils n'étaient pas si ingrats (1) Philip., II, 7. 204 envers leur Dieu , leur Rédempteur, et si cruels envers eux-mêmes, personne ne perdrait l'occasion de faire son salut, et ne s'exposerait sui supplices éternels. Soyez donc surprise, après cela, ma très-chère fille, de la dureté des hommes, et pleurez la perte lamentable de tant d'insensés et de tant d'ingrats, qui ne se souviennent ni de bien, ni de ce qu'ils lui doivent, ni de leurs propres intérêts. 931. Je vous al dit en d'autres endroits que le nombre de ces malheureux réprouvés est si grand , et le nombre de ceux qui, se sauvent si petit, qu'il n'est pas convenable de le spécifier davantage; car si vous approfondissiez ce terrible secret, étant, connue vous l'étés, véritable fille de l'Église et épouse fidèle. de Jésus-Christ, mon Fils et mon Seigneur, cous en mourriez de douleur. Ce que vous pontez savoir, est que cette perte de tant d'âmes, les maux que souffre le peuple chrétien de la part des gouverne monts, et les autres choses qui l'affligent, tant les chefs que les membres de ce corps mystique, qui comprend les ecclésiastiques et les séculiers, tout cela vient de ce que l'on oublie et méprise la vie de Jésus-Christ et les oeuvres de la rédemption du genre humain. Si les uns et les autres prenaient à cet égard quelques moyen pour réveiller leur souvenir et leur gratitude, et qu'ils agissent comme des enfants fidèles et reconnaissants à leur Créateur et Rédempteur, et à moi qui suis leur avocate, ils apaiseraient l'indignation du juste Juge, ils trouveraient quelque remède à ces grands fléaux qui pèsent sur les catholiques, et 205 ils adouciraient le courroux du Père éternel , qui défend avec justice l'honneur de son Fils, et qui punit plus rigoureusement les serviteurs qui , sachant la volonté de leur Seigneur, ne l'accomplissent pas. 932. Les fidèles aggravent fort clans la sainte Église le crime que les Juifs incrédules ont commis en faisant mourir leur Dieu et leur Maître. Assurément il fut énorme, et il devait leur attirer le châtiment auquel ils ont été condamnés; mais les catholiques ne remarquent pas que leurs péchés sont accompagnés de circonstances particulières qui les rendent plus odieux que les attentats dont se sont rendus coupables les Juifs. En effet, leur ignorance, quoique criminelle, leur dérobait en définitive la vérité, et c'est alors que le Seigneur les abandonna et les livra à la puissance des ténèbres (1) , à laquelle les Juifs étaient assujettis à cause de leurs infidélités. Les catholiques n'ont point aujourd'hui cette ignorance: au contraire ils se trouvent au milieu de la lumière, par laquelle ils connaissent et pénètrent les mystères divins de l'incarnation et de la rédemption; la sainte Église est fondée, répandue, illuminée par les merveilles du Seigneur, par les saints, par les Écritures; elle connaît et confesse les vérités que les Juifs incrédules n'ont pas aperçues. Nonobstant cette plénitude de faveurs, de science et de lumière, beaucoup d'enfants de l'Église vivent comme des infidèles, ou compte s'ils n'avaient point sous les yeux tant de motifs capables (1) Luc., XXII, 53. 206 de les émouvoir et de les pousser au bien, et tant de châtiments propres à les intimider et à les détourner du mal. Comment donc dans ces conditions, les catholiques peuvent-ils s'imaginer qu'il y ait eu d'autres péchés plus grands que les leurs? Comment ne craignent-ils point que leur punition ne soit plus terrible? O ma fille ! faites-y de sérieuses réflexions, soyez dans une sainte crainte, humiliez- vous profondément, et reconnaissez-vous pour la plus petite des créatures devant le Très-Haut. Considérez les couvres de votre Rédempteur et de votre Maître. Appliquez-les à votre justification avec douleur et pénitence de vos péchés. Imitez- moi et suivez mes- traces, comme vous les connaissez en la divine lumière. Je veux que vous travailliez non-seulement pour vous, mais aussi pour vos frères, et ce doit être en priant et en souffrant pour eux, en instruisant avec charité ceux que vous pourrez instruire, et en suppléant par cette même charité à l'impossibilité où vous pourrez être de rendre ce bon office à votre prochain. Tâchez de témoigner plus d'ardeur à procurer le bien de ceux qui vous auront offensée , supportez leurs défauts avec douceur, humiliez-vous au-dessous, de toutes les créatures, prenez un grand soin d'assister comme il vous a été ordonné ceux qui ont besoin de secours à l'heure de la mort, et faites-le avec une charité fervente et avec une ferme confiance. 207 CHAPITRE XX. Lucifer assemble un conciliabule dans l'enfer pour y proposer de traverser les oeuvres de notre Rédempteur Jésus-Christ et de sa très-sainte Mère. 933. L'empire tyrannique de Lucifer n'était pas si paisible dans le monde après l'incarnation du Verbe, qu'il l'avait été dans les siècles précédents ; car dès lors que le Fils du Père éternel fut descendu du ciel, et eut pris chair humaine dans le sein virginal de la très-pure Marie, ce fort armé (1) sentit tout à coup l'action nouvelle, inconnue, énergique, d'une puissance supérieure qui le dominait et le terrassait, comme on l'a vu plus haut, il éprouva depuis la même chose lorsque l'Enfant Jésus et sa Mère entrèrent dans l'Égypte, comme je l'ai aussi marqué; et cette même vertu divine vainquit ce dragon dans plusieurs autres occasions par l'organe de notre grande Reine. Le souvenir de ces événements accrut l'étrange impression qu'il ressentit à la vue des couvres que notre Sauveur commença à opérer, et que nous avons racontées dans le chapitre précédent, et tout cela joint ensemble inspira (1) Luc., XI, 21. 208 des frayeurs extraordinaires à cet ancien serpent, et lui fit soupçonner la présence dans le monde d'une nouvelle et redoutable puissance. Mais comme ce mystère de la rédemption du genre humain lut était si caché, il se démenait dans sa fureur et dans ses doutes, sans pouvoir découvrir la vérité, quoique depuis sa chute du ciel, il n'eût cessé de chercher dans des alarmes continuelles, à connaître quand et comment le Verbe éternel descendrait pour prendre chair humaine; car c'était ce que l'orgueil du rebelle craignait le plus. Et ce fut cette inquiétude qui le força à convoquer toutes les assemblées que j'ai indiquées dans cette histoire, et que j'indiquerai dans la suite. 934. Or, cet ennemi se trouvant rempli de confusion pour ce nui arrivait et à lui et à ses ministres par Jésus et Marie, se mit à se demander par quelle vertu ils le repoussaient, lorsqu'il tâchait de séduire les malades et les agonisants, et à réfléchir aussi sur les autres choses qui arrivaient par le secours de la Reine du ciel; et comme il ne parvenait point à eu découvrir le secret, il résolut de conseiller ses principaux ministres des ténèbres qui, étaient les plus consommés en ruse et en malice. Il poussa un hurlement horrible dans l'enfer, tel que les démons emploient pour se faire entendre entre eux, et par ce cri il les convoqua tous, comme lui étant subordonnés; et quand ils furent tous assemblés, il leur dit : " Mes ministres et mes compagnons, qui avez toujours suivi ma juste rébellion, vous savez que dans le premier état où le Créateur de toutes choses nous avait placés, 209 nous le reconnûmes pour la cause universelle de tout notre être, et que, comme tel, nous l'honorâmes; mais lorsqu'il nous ordonna, au préjudice de notre beauté et de notre grandeur, qui a un si grand rapport, avec sa Divinité, d'adorer et de servir la personne du Verbe en la nature humaine qu'il voulait prendre, nous résistâmes à sa volonté; car quoique j'avouasse que je lui devais cet honneur comme Dieu, comme homme, d'une nature vile et si inférieure à la mienne, je ne pus souffrir de lui être soumis, et je me plaignis de voir que le Très-Haut ne fit pas pour mol ce qu'il déterminait de faire pour cet homme. Il ne nous commanda pas seulement de l'adorer, mais il nous ordonna aussi de reconnaître pour notre supérieure une femme qui devait être une simple créature terrestre, et qu'il devait choisir pour être sa mère. Je ressentis ces injures aussi bien que vous; nous nous y opposâmes et résolûmes de résister à cet ordre, et c'est pour cela que nous fûmes punis par le malheureux état où nous nous trouvons, et par les peines que nous souffrons. Quoique nous connaissions ces vérités, et que nous les confessions ici avec terreur entre nous (1), il ne faut pas pourtant le faire devant les hommes; et c'est ce que je vous prescris, afin qu'ils ne puissent pas connaître notre ignorance , non plus que notre faiblesse. 935. " Mais si cet Homme-Dieu qu'on attend, et sa mère doivent causer notre ruine, il est certain que (1) Jacob., II, 19. 210 leur venue au monde sera notre plus cruel tourment et le sujet de notre plus grande rage; c'est pour cela que je dois faire tous mes efforts pour l'empêcher et pour les détruire, quand même il me faudrait bouleverser tout l'univers. Vous savez combien jusqu'à présent j'ai été invincible, puisqu'une si grande partie du monde est soumise à mon empire et à ma volonté, et trompée par mes ruses. Je vous ai pourtant vus depuis quelques années repoussés et domptés en plusieurs occasions; je vois que vos forces s'amoindrissent, et moi-même je subis l'influence d'une puissance supérieure, qui m'intimide et en quelque sorte m'enchaîne. J'ai parcouru plus d'une fois avec vous tous les recoins de la terre, pour tâcher d'y découvrir le fait nouveau auquel on pourrait attribuer cet affaiblissement et cette oppression que nous sentons. Je ne crois pas que ce Messie promis au peuple choisi de Dieu ait paru, car non-seulement nous ne le trouvons en aucun endroit du monde, mais aucun indice certain ne semble annoncer sa venue; nous ne voyons nulle part ce bruit, cet éclat, cette pompe , qui marquerait sa présence parmi les hommes. Néanmoins je crains que le temps de sa descente du ciel n'approche; ainsi il faut que nous déployions toute notre activité et toute notre fureur pour le détruire et pour perdre la femme qu'il choisira pour être sa mère. Si quelqu'un de vous se distingue par son zèle, je lui témoignerai une plus grande reconnaissance. Je trouve jusqu'à présent des péchés, et les effets de ces mêmes péchés, en tous les hommes; je ne découvre en aucun la majesté et la 211 grandeur dont se revêtira le Verbe incarné quand il se manifestera à eux, et qu'il les obligera tous à D'adorer et à lui offrir des sacrifices. Ce sera là la marque infaillible de son avènement au monde; et le caractère distinctif de sa personne auquel nous pourrons le reconnaître , ce sera d'être exempt du péché et des effets que produit le péché chez les enfants d'Adam. 936. " C'est pour ces raisons, poursuivit Lucifer, que ma confusion est plus grande. : car si le Verbe éternel n'est pas descendu sur la terre, je ne puis découvrir la cause des choses insolites que nous sentons, ni deviner de qui cette force qui nous abat peut sortir. Qui nous a chassés de toute l'Égypte? Qui a renversé les temples et ruiné les idoles de ce pays, dont tous les habitants nous adoraient? Qui nous traverse maintenant dans le pays de Galilée et dans les lieux circonvoisins, et nous empêche d'aborder une foule de gens à l'heure de leur mort pour les pervertir? Qui tire du péché tant d'hommes qui sortent de notre juridiction, et fait que d'autres améliorent leur vie et se plaisent à s'entretenir du royaume de Dieu? Si le mal continue, nous sommes menacés d'une grande perte, et de nouveaux tourments peuvent résulter pour nous de cette cause que nous ne parvenons pas à connaître. Il faut donc y remédier, et chercher encore s'il se trouve dans le mondé quelque grand prophète ou saint qui commence à nous persécuter; pour moi, je n'en ai découvert aucun à qui je puisse attribuer une si grande vertu ni tant de pouvoir. C'est seulement contre cette femme, notre ennemie, que j'ai une haine 212 mortelle, surtout depuis que nous l'avons persécutée dans le Temple, et ensuite depuis qu'elle est partie de sa maison de Nazareth : car nous avons été toujours vaincus et renversés par la vertu qui l'environne; elle nous a résisté par cette même vertu avec une force invincible, et a toujours triomphé de notre malice; je n'ai jamais pu sonder son intérieur ni la toucher en sa personne. Cette femme a un fils; elle assista avec lui à la mort de son père, et il nous fut à tous impossible d'approcher de l'endroit où ils se trouvaient. Ce sont des gens pauvres et méprisés; c'est une femmelette tout à fait vulgaire et qui mène une vie cachée; je crois pourtant que le fils et la mère sont justes, car j'ai toujours tâché de les incliner aux vices qui sont communs aux hommes, et il ne m'a jamais été possible d'exciter en eux le moindre des désordres et des mouvements vicieux qui sont si ordinaires et si naturels en tous les autres. Je vois que le Dieu tout-puissant me cache l'état de ces deux âmes; et puisqu'il m'empêche de découvrir si elles sont justes ou pécheresses, il y a là sans doute quelque mystère caché contre nous; et quoique l'état de quelques autres âmes nous ait aussi été caché en d'autres occasions, il fa été rarement, et moins que dans le cas actuel. Que si cet homme n'est pas le Messie promis, du moins le Fils et la Mère seront justes, et par conséquent nos ennemis; et il n'en faut pas, davantage pour que nous les persécutions, et que nous travaillions à les abattre et à découvrir qui ils sont. Suivez-moi tous dans cette entreprise avec une grande 213 confiance, car je serai le premier à les attaquer. 937. Lucifer acheva par cette exhortation son long discours, dans lequel il proposa aux démons plusieurs autres raisons et plusieurs desseins remplis de méchanceté qu'il n'est pas nécessaire de raconter ici, puisque je dois traiter encore de ces secrets dans la suite de cette histoire, pour mieux faire connaître les ruses de ces esprits rebelles. Ce prince des ténèbres sortit incontinent de l'enfer, suivi de légions innombrables de démons qui, se répandant par tout le monde, le parcoururent plusieurs fois pour observer, avec toute la finesse de leur malice, les justes qui y vivaient, tentant ceux qu'ils purent découvrir, et les provoquant, aussi bien que plusieurs autres personnes, à des iniquités conçues par ces méchants ennemis; mais la sagesse de notre Seigneur Jésus-Christ cacha à l'orgueil de Lucifer et de ses compagnons sa personne et celle de sa très-sainte Mère durant plusieurs jours; de sorte qu'il ne permit point qu'ils les vissent et les connussent jusqu'à ce que sa Majesté se rendit au désert, où il allait consentir à être tenté après y avoir gardé un fort long jeûne; et alors Lucifer le tenta, comme je le dirai en son lieu. 938. Quand ce conciliabule fut assemblé dans l'enfer, notre divin Maître Jésus- Christ, à qui rien n'était caché, fit une prière particulière au Père éternel contre la malice du Dragon, et dans cette circonstance, entre plusieurs autres prières, il dit : " Dieu éternel, mon Père, je vous adore et j'exalte votre être infini et immuable; je vous confesse pour l'immense et 214 souverain bien; je m'offre à votre volonté en sacrifice pour vaincre les forces infernales, et pour renverser les desseins pervers que ces esprits rebelles forment contre mes créatures; je combattrai pour elles contre mea ennemis et les leurs; je leur laisserai, par les oeuvres que je ferai et par les victoires que je remporterai sur le Dragon, des armes pour le vaincre, et je leur apprendrai par mon exemple comment elles doivent lutter contre lui, et par là j'affaiblirai sa malice et le rendrai moins capable de blesser ceux qui me serviront avec sincérité. Défendez les âmes, ô mon Père, des tromperies et de la cruauté de l'ancien serpent et de ses sectateurs, et accordez aux justes, par mon intercession et par ma mort, la puissante vertu de votre droite, afin qui ils triomphent de tous les dangers et de toutes les tentations. " Notre grande Reine eut en même temps connaissance de la méchanceté et des conseils de Lucifer, car elle vit en son très-saint Fils tout ce qui se passait, aussi bien que la prière qu'il faisait; et, s'unissant à lui comme coadjutrice de ses triomphes, elle fit la même prière au Père éternel. Le Très-Haut l'exauça, et dans cette occasion Jésus et Marie ,obtinrent de grands secours et de magnifiques promesses pour ceux qui combattraient contre le démon en invoquant les noms de Jésus et de Marie; de sorte que ceux qui les prononceront avec respect et avec foi terrasseront les ennemis infernaux et les chasseront bien loin par le mérite des prières que notre Sauveur Jésus-Christ et sa très-sainte Mère firent, et par celui 215 des victoires qu'ils remportèrent. Après la protection qu'ils nous ont offerte et qu'ils nous donnent contre ce superbe géant; après ce remède et tant d'autres dont ce divin Seigneur a enrichi. sa sainte Église, nous ne saurions trouver aucune excuse si nous ne combattons courageusement pour vaincre le démon, comme l'ennemi de Dieu et le nôtre, profitant, autant qu'il nous sera possible, de l'exemple de notre Sauveur pour remporter cette victoire. Instruction que notre auguste Maîtresse m'a donnée. 939. Ma fille, pleurez amèrement, et ayez une douleur continuelle de voir la dureté, l'obstination et l'aveuglement des mortels, qui ne veulent pas apprécier la protection amoureuse qu'ils trouvent en mon très-doux Fils et en moi dans toutes leurs nécessités. Cet aimable Seigneur n'a épargné aucun soin ni perdu aucune occasion pour leur acquérir des trésors inestimables. Il a déposé pour eux dans son Église le prix infini de ses mérites et le fruit essentiel de ses douleurs et de sa mort; il leur a laissé des gages assurés de son amour et de sa gloire; il leur a donné des moyens très-faciles et très-efficaces pour jouir et profiter de tous ces biens, et les appliquer à leur salut éternel. Il leur offre en outre sa protection. et la mienne; il les aime comme ses enfants, les caresse 216 comme ses favoris, les appelle par de douces inspirations, les excite par des bienfaits et par des richesses solides. Père plein d'indulgence, il les attend; bon pasteur, il les cherche; ami puissant, il les assiste; rémunérateur généreux, il les comble de dons infinis; Roi des rois, il les gouverne. Et quoique la foi leur découvre toutes ces faveurs et mille autres, que l'Église leur en rafraîchisse le souvenir, et qu'ils les aient devant les yeux, ils ne laissent pourtant pas de les oublier et de les mépriser. Ils aiment les ténèbres comme des aveugles qu'ils sont, et se livrent à la rage de leurs ennemis jurés, dont vous connaissez les excès. Ils prêtent l'oreille aux flatteries empoisonnées de ces esprits malins, cèdent à leurs conseils pervers, ajoutent foi à leurs tromperies et se prêtent stupidement à la haine implacable avec laquelle le cruel dragon ne cesse de travailler à leur mort éternelle, parce qu'ils sont les ouvrages du Très-Haut, qui l'a vaincu et terrassé. 940. Considérez avec attention, ma très-chère fille, cette lamentable erreur des enfants des hommes, et débarrassez vos puissances, afin que vous pénétriez la différence qu'il y a entre Jésus-Christ et Bélial. Car la distance de l'un à l'autre est infiniment plus grande que celle du ciel à la terre. Jésus-Christ est la véritable lumière, le chemin assuré et la vie éternelle (1); il aime constamment ceux qui le suivent, il leur promet la jouissance de sa vue et de sa compagnie; et en cette jouissance le repos éternel, que l'oeil n'a point (1) Joan., XIV, 6. 217 vu, que l'oreille n'a point ouï et que les hommes n'ont point conçu (1). Lucifer n'est que ténèbres, qu'erreur, tromperie, malheur et mort; il abhorre ses sectateurs, il entraîne de toutes ses forces à tout ce qui est mal, et finira par les faire tomber dans les feux éternels et condamner à des supplices effroyables. Les mortels peuvent-ils maintenant dire qu'ils ignorent ces vérités dans la sainte Église, qui les leur enseigne et représente tous les jours? Et s'ils les croient et les confessent, où est leur jugement? Qui les en a privés? Qui leur a fait perdre le souvenir de l'amour qu'ils ont pour tout ce qui les regarde? Qui les rend si cruels à eux-mêmes? O folie des enfants d'Adam, qu'on ne saurait jamais assez approfondir ni assez déplorer! Est-il possible qu'ils emploient toute leur vie à s'embarrasser dans leurs propres passions et à suivre la vanité, pour se jeter dans des flammes inextinguibles, courir à leur perte et se livrer à une mort éternelle, comme si tout cela n'était que bagatelle, et que mon très-saint Fils ne fût pas venu du ciel pour mourir sur une croix et pour leur mériter la délivrance de tant de maux! Qu'ils considèrent le prix de leur rédemption, et ils sauront quelle estime ils doivent faire de ce qui a tant coûté à Dieu, à celui qui le connaît sans exagération. 941. Le péché des idolâtres et des païens n'est pas aussi grand en cette funeste erreur, et le Très-Haut est moins irrité contre eux que contre les enfants de (1) Isa., LXIV, 4. 218 l'Église, qui ont connu la lumière de cette vérité : et s'ils en sont si peu pénétrés dans le siècle présent, il faut qu'ils sachent que c'est par leur propre faute, et pour avoir donné un si facile accès à leur infatigable ennemi Lucifer, qui déploie plus de malice dans les efforts qu'il fait pour obscurcir en eux cette lumière que dans toutes ses autres attaques, et qui ne cesse d'exciter les hommes à rompre tout frein, afin qu'après avoir perdu le souvenir de leur dernière fin et des peines éternelles dont ils sont menacés, ils s'abandonnent comme les brutes aux plaisirs sensibles, qu'ils s'oublient eux-mêmes, qu'ils usent leur vie à la poursuite des biens apparents, et qu'ils descendent en un moment dans l'enfer, comme dit Job (1), et comme il arrive effectivement à une infinité d'insensés qui rejettent et abhorrent ces vérités. Pour vous, ma fille, suivez ma doctrine; ne vous laissez point aller à ces illusions pernicieuses et à cet oubli commun des gens du siècle. Faites souvent retentir à vos oreilles ces tristes plaintes des damnés, qui commenceront dès la fin de leur vie, c'est-à-dire dès leur entrée dans la mort éternelle: O insensés que nous étions, la vie des, justes nous paraissait une folie! Et cependant les voilà élevés au rang des enfants de Dieu, et leur partage est avec les saints! Nous nous sommes donc égarés de la voie de la vérité et de la justice. Le soleil ne s'est point levé pour nous. Nous nous sommes lassés dans la voie de l'iniquité et de la perdition; (1) Job., XXI, 13. 219 nous avons marché dans des chemins après, et nous avons ignoré par notre faute la voie du Seigneur. De quoi nous a servi notre orgueil? Qu'avons-nous tiré de la vaine ostentation des richesses? Toutes ces choses sont passées pour nous comme l'ombre. Ob! si nous ne fussions jamais nés (1)! Voilà, ma fille, ce que vous devez craindre et repasser souvent dans votre esprit, en considérant, avant que vous alliez sans espérance d'aucun retour, comme dit Job (2), en cette terre ténébreuse des cavernes éternelles, le mal que vous devez fuir et le bien que vous devez pratiquer. Appliquez-vous à vous-même dans l'état de voyageuse, et par amour, ce que les damnés disent par désespoir et à force de tourments CHAPITRE XXI. Saint Jean reçoit de grandes faveurs de la très-pure Marie. - Le Saint-Esprit lui ordonne d'aller prêcher. - Il envoie une croix qu'il avait à la divine Reine, avant que d'exécuter cet ordre. 962. J'ai raconté dans cette seconde partie quelques-unes des faveurs que l'auguste Marie fit à sa cousine sainte Élisabeth, et à saint Jean, étant en (1) Liv. de la Sagesse. V, 4, etc. - (2) Job., X, 21. 320 Égypte à l'époque où Hérode résolut de faire mourir les Innocents; j'ai dit aussi que ce précurseur de Jésus-Christ demeura dans le désert après la mort de sa mère, sans le quitter jusqu'au temps déterminé par la divine sagesse, menant une vie plus angélique qu'humaine, et ressemblant plus à un séraphin qu'à un homme terrestre. Sa conversation était avec les anges et avec le Seigneur de l'univers; et dans ce saint commerce, qui occupait tousses moments, loin d'être jamais oisif, il continuait incessamment l'exercice du divin amour et des vertus sublimes qu'il avait commencé dans le sein de sa mère, sans que la grâce fût en lui oisive un seul instant, et sans qu'il négligent de donner à ses œuvres cette plénitude de perfection qu'il put leur communiquer par le secours de cette même grâce. Il ne fut non plus jamais distrait par les sens , qu'il avait détournés des objets terrestres, et qui sont ordinairement les fenêtres par où la mort, déguisée sous les images de la beauté trompeuse des créatures, entre dans l'âme. Et comme ce saint précurseur fut si heureux que d'être prévenu de la divine lumière avant que de jouir de celle du soleil matériel, il renonça par le secours de la première à tout ce que la seconde lui présentait; de sorte que sa vue intérieure resta immobilement fixée sur le plus noble objet, sur l'être de Dieu et ses perfections infinies. 943. Les faveurs que saint Jean obtint de la divine droite dans sa solitude sont au- dessus de tout ce que l'entendement humain peut concevoir; et nous ne 221 connaîtrons sa grande sainteté et ses très-excellents mérites que lorsque nous jouirons clairement de la vue du Seigneur, et que nous verrons la récompense qu'il en a reçue. Et comme il n'est pas du sujet de cette histoire de m'étendre sur ce que j'ai connu de ces mystères, et que les saints docteurs ont fait mention dans leurs écrits des hautes prérogatives du divin précurseur, je ne dirai ici que ce qui regardera directement notre auguste Maîtresse, de qui notre saint solitaire reçut les bienfaits les plus considérables. Ce n'en fut pas un petit que de lui envoyer sa nourriture par le ministère des anges , comme je l'ai dit ailleurs, jusqu'à ce qu'il eût atteint sa septième année. Dès cet âge jusqu'à celui de neuf ans, elle ne lui envoya que du pain, et à cette dernière époque ce bienfait de notre divine Dame cessa, parce qu'elle sut que, conformément aux désirs du saint lui-même, la volonté du Seigneur était qu'il vécût de racines, de sauterelles et de miel sauvage (1). Telle fut la nourriture du Précurseur jusqu'à ce qu'il commençât à prêcher; mais quoique l'auguste Vierge ne lui fournit plus de provisions, elle n'en continua pas moins à lui envoyer ses anges pour le visiter de sa part, pour le consoler, et pour lui donner connaissance soit. de ses occupations, soit des merveilles que le Verbe incarné opérait. Toutefois, il ne recevait jamais qu'une visite semblable par semaine. 944. Entre plusieurs autres fins que cette grande (1) Matth., III, 4. 222 faveur pouvait avoir, elle fut nécessaire à saint Jean pour qu'il pût supporter la solitude. Ce n'est pas que l'horreur du désert et l'austérité de sa vie lui inspirassent du dégoût, car son admirable sainteté et la grâce qu'il avait, suffisaient pour les lui rendre fort agréables; mais il était convenable qu'il jouit de cette faveur, afin que le très-ardent amour qu'il portait à notre Seigneur Jésus-Christ et à sa très-sainte Mère ne lui fit pas trouver tant d'amertume dans la privation de leur conversation et de leur présence, après lesquelles il soupirait à cause de sa sainteté et à cause de sa reconnaissance. Il est certain que cette privation lui eût été plus rude que de souffrir les inclémences du temps, les jeûnes, les pénitences et toutes les horreurs du désert , si notre auguste Princesse et sa très-amoureuse tante ne la lui eût adoucie par les fréquentes visites des anges qu'elle lui envoyait afin qu'ils lui donnassent des nouvelles de son bien-aimé. Notre saint solitaire leur en demandait souvent du Fils et de la Mère avec les amoureux empressements de l'épouse (1). Il leur adressait des affections et des soupirs qui partaient d'un coeur blessé de leur amour et de leur absence, et priait la Reine du ciel par l'organe de ses ambassadeurs d'adorer le Sauveur en son nom , et de le supplier de lui envoyer sa bénédiction. Cependant il l'adorait lui-même en esprit et en vérité dans le désert où il était. Il faisait aussi la même prière aux anges qui le visitaient (1) Cant., I, 6. 223 et aux autres qui l'assistaient. C'est au milieu de ces occupations habituelles que le grand Précurseur entra dans sa trentième année, le pouvoir divin le préparant au ministère pour lequel il l'avait choisi. 945. Le temps que la Sagesse éternelle avait déterminé arriva auquel la voix du Verbe incarné, qui était Jean, se devait faire entendre dans le désert, comme dit Isaïe (1), et selon que les évangélistes le racontent (2). La quinzième année du règne de Tibère César, Anne et Caïphe étant pontifes, le Seigneur mit sa parole dans la bouche de Jean, fils de Zacharie, dans le désert. Et il alla sur les bords du Jourdain, prêchant le baptême de pénitence nécessaire à la rémission des péchés, afin de préparer les coeurs à recevoir le Messie promis et attendu depuis tant de siècles, et afin de le montrer du doigt pour que tous pussent le reconnaître. Saint Jean entendit cette parole et ce commandement du Seigneur en une extase dans laquelle il fut éclairé par une influence spéciale du pouvoir divin, et prévenu avec abondance par le Saint-Esprit de nouveaux dons de lumière, de grâce et de science. Il connut dans ce ravissement, avec une plus grande plénitude de sagesse, les mystères de la rédemption, et il eut une vision abstractive de la Divinité; mais cette vision fut si admirable, qu'elle le transforma en un nouvel être de sainteté et de grâce. Le Seigneur lui ordonna dans cette même (1) Isa., XL, 3. - (2) Matth., III, 3; Luc., III,1, etc. 224 vision de sortir du désert pour préparer les hommes par sa prédication à celle du Verbe; incarné, d'exercer l'office de précurseur, et de s'employer à tout ce qui regardait son accomplissement, car il fut instruit de tout et reçut une très- abondante grâce pour tout. 946. Le nouveau prédicateur, sortit du désert ayant un habit de peau de chameau et une ceinture de cuir sur les reins, sans aucune chaussure. Il avait le visage exténué, un air majestueux, une modestie admirable, une humble gravité, un courage invincible, un coeur enflammé de charité pour Dieu et pour les hommes. Ses paroles étaient vives, sévères et ardentes comme des étincelles d'un foudre parti du puissant bras de Dieu et de son être immuable et divin; il était doux aux humbles, terrible aux superbes, admirable aux anges et aux hommes, formidable aux pécheurs, horrible aux démons, et si éminent eu son ministère, qu'il était comme l'organe du Verbe incarné, et tel qu'il fallait à ce peuple hébreu, endurci, ingrat et obstiné, gouverné par des magistrats idolâtres et conduit par des prêtres avares et orgueilleux , sans lumière, sans prophètes, sans piété, sans crainte de Dieu, après tant de châtiments et de calamités que ses péchés lui avaient attirés, pour lui ouvrir les yeux et le coeur dans ce misérable état, afin qu'il reconnût et reçût son Rédempteur et son Maître. 947. Le saint anachorète Jean avait depuis plusieurs années une grande croix, qu'il avait placée su chevet de son pauvre lit; il s'en servait dans divers 225 exercices de pénitence, et s'y étendait ordinairement pour prier dans la position d'un homme crucifié. Il ne voulut point laisser ce trésor dans le désert, et avant de le quitter il l'envoya à la Reine du ciel par les mêmes anges qui le visitaient de sa part; et il les pria de lui dire que cette croix avait été la plus douce et la plus agréable compagne qu'il eût eue dans sa longue solitude, et qu'il la lui offrait comme un riche présent, à cause de ce qui y devait être opéré; que c'était là le motif pour lequel elle avait été fabriquée; et que les mêmes anges lui avaient dit aussi que son très saint Fils et le Sauveur du monde priait souvent sur une croix semblable, qu'il gardait à cet effet dans son oratoire. Les anges avaient été les artisans de celle de saint Jean; ils la formèrent à sa demande d'un arbre de ce désert, car le saint n'avait point les forces qu'exigeait un pareil ouvrage, non plus que les outils, dont les anges n'avaient pas besoin à cause du pouvoir qu'ils ont sur les choses corporelles. Les princes célestes apportèrent ce présent à leur Reine, et elle le reçut avec une douleur très-douce et une douceur très-amère , qu'elle ressentait dans le plus profond de sou très-chaste coeur, repassant en son esprit les: mystères qui devaient être opérés en si peu de temps sur ce bois impitoyable; et lui adressant quelques paroles remplies de tendresse, elle le mit dans le lieu qui lui servait d'oratoire, où elle le garda tonte sa vie avec l'autre croix du Sauveur; et dans la suite la très-prudente Dame laissa ces précieux gages avec d'autres reliques aux apôtres comme un héritage 296 inestimable ; et ils les portèrent en diverses, provinces, où ils prêchèrent l'Évangile. 948. J'eus un doute sur cet événement mystérieux, et je l'exposai à la Mère de la Sagesse, en lui disant : " Reine du ciel, très-sainte entre les saints, et choisie entre toutes les créatures pour être la Mère de Dieu, j'ai une difficulté, femme ignorante et grossière que je suis, à propos de ce que je viens d'écrire; et si vous me le permettez; je vous la proposerai, mon auguste Princesse, qui êtes la Maîtresse de la Sagesse, et qui avez bien voulu par votre bonté exercer cet office envers moi, en dissipant mes ténèbres, et en m'enseignant la doctrine de la vie éternelle et du salut. Mon doute vient de ce que j'ai appris, que non-seulement saint Jean, mais vous-même aussi aviez la croix en vénération, avant que votre très-saint Fils y mourût; et cependant j'ai toujours cru qu'elle servait de potence pour punir les malfaiteurs, jusqu'à ce que notre rédemption eût été opérée sur le sacré bois, et que pour ce sujet elle était regardée comme ignominieuse et digne de mépris; et d'ailleurs la sainte Église nous enseigne que la croix doit toute sa gloire à la mort que notre Seigneur Jésus-Christ y a soufferte, et au mystère de la rédemption du genre humain qu'il y a opéré. " 227 Réponse et instruction que j'ai reçues de la Reine du ciel. 949. Ma fille, je répondrai avec plaisir à votre doute. Il est vrai que la croix était, comme vous dites, ignominieuse (1) avant que mon Fils et mon Seigneur l'eût honorée et sanctifiée par sa passion et par sa mort, et c'est pour cela qu'on lui doit maintenant l'adoration que la sainte Église lui rend ; et si quelque personne, ignorant les mystères et les raisons que eus aussi bien que saint Jean, eût prétendu adorer la croix avant la rédemption dit genre humain, elle serait tombée dans l'erreur, et aurait commis une idolâtrie, parce qu'elle aurait adoré ce qu'elle savait n'être pas digne d'une véritable adoration. Mais nous eûmes, nous, différentes raisons : l'une , c'est que nous envisagions avec une certitude infaillible ce que notre Rédempteur devait opérer sur la croix ; l'autre, c'est qu'avant d'achever ce grand oeuvre de la rédemption, il avait commencé sanctifier ce sacré signe par son attachement, lorsqu'il y priait et s'y offrait volontairement à la mort; car le Père éternel avait accepté les oeuvres et la mort future; de mon très-saint Fils par un décret et une approbation immuable; et il est certain que la moindre action, le moindre contact du Verbe incarné étaient d'un prix (1) Deut., XXI, 23. 228 infini; or, c'est par ce contact qu'il sanctifia ce sacré bois, et qu'il le rendit diane d'honneur; ainsi, quand je le révérais aussi bien que saint Jean , c'était en vue de ce mystère et de cette vérité, de sorte que nous n'adorions pas la croix pour elle-même ni dans le bois qui en faisait la matière, attendu qu'on ne lui devait point l'adoration de latrie, jusqu'à ce que la rédemption y eût été accomplie, mais nous considérions et Honorions la représentation formelle de ce que le Verbe incarné y devait faire; c'est lui qui était le terme où aboutissait le culte que nous rendions à la croix, et c'est aussi ce qui arrive maintenant pour le culte que lui rend la sainte Église. 950. Vous avez maintenant à considérer d'après cette vérité votre obligation et celle des mortels touchant le respect et l'estime que vous devez avoir pour la sainte croix; car si avant que mon très-saint Fils y fût mort, je l'imitai aussi bien que son précurseur, tant en l'amour et en la vénération que noua avions pour elle, que dans les mortifications que nous pratiquions sur ce sacré signe, que ne doivent pas faire les fidèles enfants de l'Eglise , après y avoir vu par les yeux de la foi leur Créateur et Rédempteur crucifié, et contemplé si souvent des yeux du corps son image sanglante? Je veux donc., ma fille, que vous embrassiez la croix avec une estime incomparable, que vous vous l'appliquiez comme un gage très- précieux de votre époux , et que vous persévériez dans les exercices que vous avez appris à y faire en l'étudiant, sans jamais les discontinuer de votre propre mouvement, si 229 l'ordre de vos supérieurs ne vous appelle ailleurs. Quand vous vous mettrez à des couvres si saintes, que ce soit toujours avec le plus profond respect, et avec une tendre considération de la mort et passion de votre Seigneur et de votre bien-aimé. Tâchez d'introduire cette louable coutume parmi vos religieuses, et de les exciter à y persévérer; car on n'en saurait trouver aucune qui soit plus propre aux épouses de Jésus-Christ, et si elles s'en acquittent avec la dévotion requise, elle lui sera très- agréable. Je veux aussi qu'à l'exemple de Baptiste vous prépariez votre coeur pour ce que le saint Esprit voudra opérer en vous pour sa gloire et pour le bien de votre prochain, que vous aimiez la solitude, et retiriez vos puissances du tumulte des créatures autant qu'il dépendra de vous, et que quand le Seigneur vous obligera de communiquer avec elles, vous travailliez toujours à votre propre avancement, et à l'édification des personnes que vous fréquenterez; de sorte que le zèle et l'esprit qui animent votre coeur éclatent dans toutes vos conversations. Faites que les vertus éminentes que vous avez connues vous servent d'exemple; puisez-y comme dans celles que vous découvrirez en d'autres saints, ainsi qu'une diligente abeille butine sur les fleurs, le miel délicieux de la sainteté et de la pureté que mon très-Fils exige de vous. Gardez la différence qu'il y a entre l'abeille et l'araignée; car l'une change sa nourriture en doux rayons utiles aux vivants et aux morts; et l'autre change sa propre substance en un mortel poison. Tirez tout le profit qu'il vous sera possible 230 avec le secours de la grâce, des fleurs et des vertus des saints, qui parfument le jardin de la sainte Église; faites que ce progrès serve à l'utilité des vivants et des morts, et fuyez le péché, qui, comme le poison, est nuisible à tous. CHAPITRE XXII. La très-pure Marie offre son Fils au Père éternel pour la rédemption du genre humain. - Sa Majesté la favorise d'une claire ,vision de la Divinité, en récompense de ce sacrifice, et elle se sépare du Sauveur, qui s'en va au désert. 951. L'amour que notre grande Reine portait à son très-saint Fils était la règle sur laquelle on pouvait mesurer plusieurs autres affections et opérations de cette divine Mère, aussi bien que les émotions et les impressions de joie et de tristesse qu'elle ,ressentait selon les circonstances qui, se présentaient. Mais notre entendement ne découvre aucune règle pour mesurer cet immense autour, et les anges mêmes n'en sauraient trouver une autre que celle que leur fait connaître la claire vision de l'Etre divin, et tout ce que nous pouvons en dire par nos circonlocutions, nos images et nos amplifications, ne signifie rien pour exprimer les ardeurs de ce divin foyer d'amour; 231 car l'auguste Marie aimait l'adorable Sauveur comme le Fils du Père éternel, égal à lui en l'être de Dieu. en ses perfections infinies et en ses attributs. Elle l'aimait comme son propre Fils, qui n'appartenait qu'à elle seule en l'être humain, formé de son propre sang. Elle l'aimait parce qu'il était en cet être humain le Saint des saints (1), et la cause méritoire de toute sainteté. Il surpassait en beauté les enfants des hommes (2). Il était le Fils le plus obéissant (3), et celui qui était le plus étroitement à sa Mère, qui l'honorait avec le plus de gloire, et qui était son plus grand bienfaiteur; puisque étant son Fils, il l'éleva entre les créatures à la suprême dignité, et l'avantagea entre toutes et au-dessus de toutes par les trésors de la Divinité, par l'empire qu'il lui donna sur tout ce qui est créé, pair les faveurs, les bienfaits et les grâces qui ne pouvaient être dignement accordées à aucune autre. 952. Ces motifs d'amour étaient en dépôt et comme renfermés dans la sagesse de notre auguste Reine, aussi bien que plusieurs autres raisons qui ne pouvaient être pénétrées que par sa très-haute science. Il ne se trouvait aucun obstacle dans son coeur; car il était très-candide et très-pur; elle n'était point ingrate; car elle avait une très-profonde humilité, et qu'elle répondait à tout avec une fidélité admirable; elle n'avait aucune tiédeur; car elle était fort ardente à opérer avec la grâce toute l'efficacité de cette même (1) Dan., IX, 24. - (2) Ps. XLIV, 3. - (3) Luc., II, 51. 232 grâce ; elle n'était point négligente, mais très-prompte et très-soigneuse; elle n'était point sujette au défaut de méritoire; car elle conservait un continuel souvenir des bienfaits, des raisons et des lois de l'amour. Elle' se trouvait en la sphère du feu sacré , en la présence du divin objet, en l'école du véritable Dieu d'amour, en la compagnie de son très-saint Fils, à la vue des oeuvres et des opérations du vivant exemplaire qu'elle imitait; cette très-fidèle amante avait tout ce qu'il fallait pour arriver au terme de l'amour, qui est d'aimer sans borne et sans mesure. Or cette très belle lune étant dans sa plénitude, regardant attentivement le Soleil de justice durant presque trente années, s'étant élevée comme une divine aurore, au plus haut degré de la lumière, et aux plus amoureuses ardeurs du jour resplendissant de la grâce, dégagée de toutes les choses terrestres, et transformée en son fils bien-aimé, qui partageait ses transports et lui prodiguait ses caresses réciproques, était ainsi parvenue au point culminant, où l'attendait la plus solennelle épreuve, et à une certaine heure elle entendit une voix du Père éternel qui l'appelait , comme il avait, pour la figurer, appelé le patriarche Abraham (1), afin qu'elle lui offrit en sacrifice le dépositaire de son amour et de ses espérances, son bien-aimé Isaac, notre adorable Sauveur. 953. La très-prudente Mère voyait que le temps s'écoutait que son très-doux Fils était déjà entré dans (1) Gen., XXII, 1. 233 sa trentième année, et qu'ainsi le terme auquel il devait payer la dette des hommes approchait rapidement; toutefois, si fortement en possession du bien qui la rendait la plus heureuse des créatures, elle n'en envisageait encore que de loin la privation inaccoutumée. Mais l'heure arrivait, et un jour qu'elle était ravie dans une sublime extase, elle sentit qu'elle était appelée et transportée devant le trône de la très- sainte Trinité, duquel sortit une voix qui lui disait avec une admirable force : Marie, vas Fille, non Épouse, offrez-moi votre Fils en sacrifice. Par la force de cette voix la volonté du Très-Haut se manifesta , et la bienheureuse Mère y lut le décret de la rédemption du genre humain par le mayen de la passion et de 1a mort de son adorable Fils, et elle en découvrit dès lors tous les avant-coureurs qui devaient commencer par la prédication de ce divin Seigneur. Au moment où cette connaissance se renouvelait en la très-amoureuse Mère, elle éprouva en son âme divers effets de soumission, d'humilité, de charité envers Dieu et envers les hommes, de compassion, de tendresse et d'une douleur naturelle de ce que son très-saint Fils devait souffrir. 954. Mais répondant au Très-Haut sans trouble et avec un coeur magnanime, elle lui dit : " Roi éternel, Dieu Tout-Puissant, dont la sagesse et la bénignité sont infinies, tout ce qui a l'être l'a reçu et le tient a de votre libérale miséricorde et de votre grandeur a immense; vous êtes le Maître et le Souverain indépendant de toutes choses. Comment donc m'ordonnnez-vous, 234 à moi qui ne suis qu'un vil vermisseau de terre, de sacrifier et de livrer à votre disposition divine le Fils que j'ai reçu de votre bonté ineffable? Il est à vous, Père éternel; puisque vous l'avez engendré dans votre éternité avant l'étoile du jour (1) , et que vous l'engendrez toujours et l'engendrerez éternellement (2). Si je l'ai revêtu de la forme de serviteur (3) dans mon sein, de mon propre sang, si je l'ai nourri de mon lait, et si j'en ai pris soin comme mère, cette très-sainte humanité n'en est pas moins toute à vous, et je le suis aussi, puisque j'ai reçu de vous tout ce que je suis, et tout ce que j'ai pu lui donner. Qu'ai-je dope ü vous offrir qui ne soit plus à vous qu'à moi? J'avoue, mon adorable Seigneur, que vous enrichissez vos créatures de vos trésors infinis avec tant de magnificence et de générosité, que vous leur demandez comme une offrande volontaire, même votre Fils unique, qui est engendré de votre substance, et la lumière de votre propre Divinité, afin de vous forcer vous-même d'avance à l'accepter. Tous les biens me sont venus avec lui, et j'ai reçu de ses mains des richesses innombrables (4). Il est la vertu de ma vertu , la vie de mon âme, l'âme de ma vie par laquelle il m'entretient, et la joie par laquelle je vis; ce serait une douce offrande si je ne le remettais qu'à vous seul, qui en connaissez le prix; (1) Ps., CIX, 4. - (2) Ps., II, 7. - (3) Philip., II, 7. - (4) Sap., VII, 11. 235 mais il s'agit de le livrer à votre justice, pour qu'elle s'exécute par les mains de ses cruels ennemis aux dépens de sa vie, qui est de toutes les choses créées la plus estimable (1) ! La tendresse maternelle me fait trouver, Seigneur, l'offrande que vous me demandez fort grande; toutefois, que votre volonté se tasse, et non pas la mienne. Que le genre humain soit mis en liberté; que votre justice se satisfasse; que votre amour infini se manifeste, et que votre saint nom soit connu et glorifié de toutes les créatures. Je livre mon bien-aimé Isaac, afin qu'il soit effectivement sacrifié; j'offre le fils de mes entrailles, afin qu'il paie, selon le décret immuable de votre volonté, la dette contractée, non par lui, mais parles enfants d'Adam, et afin que tout ce que vos prophètes ont écrit et annoncé par votre inspiration, soit accompli en lui. " 935. Ce sacrifice de la très-pure Marie fut pour le Père éternel, par les circonstances où il eut lieu, le plus grand et le plus agréable de tons ceux que l'on avait faits depuis le commencement du monde et, que l'on fera jusqu'à la fin, excepté celui que fit son Fils notre Sauveur, et auquel celui de la divine Mère fut semblable en la manière possible. Et si l'on montre ce que la charité a de plus sublime, lorsqu'on donne sa vie polir ceux que l'on aime (1), il est sûr que l'auguste Marie passa cette borne de l'amour envers les hommes, attendu qu'elle aimait beaucoup plus la vie (1) Joan., XV, 13. 236 de son très-saint Fils que la sienne propre, et que cet amour n'avait point de mesure, car elle aurait donné une infinité de vies, si elle les eût eues, pour conserver celle de son Fils. Nous n'avons point d'autre règle pour mesurer l'amour de cette charitable Dame envers les hommes que celle du Père éternel; et comme notre Seigneur Jésus-Christ disait à Nicodème que Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique (1), afin que tous ceux qui croiraient en lui ne périssent point; ainsi fit, semble-t-il, en sa manière et réciproquement notre Mère de miséricorde; et, dans une certaine proportion relative, nous lui devons notre rachat, puisqu'elle nous a tant aimés qu'elle a donné son Fils pour notre remède; car, si elle ne l'eût pas donné quand le Père éternel le lui demanda dans cette occasion, la rédemption du genre humain n'aurait pu être opérée par ce décret, dont l'exécution était subordonnée au consentement de la Mère uni à la volonté du Père éternel. Ce sont là les obligations que les enfants d'Adam ont à l'auguste Marie. 956. La très-sainte Trinité ayant reçu l'offrande de la Reine du ciel, il était convenable qu'elle la récompensât à l'instant même par quelque faveur qui la fortifiât en sa peine, qui la disposât pour celle, qu'elle attendait, et qui lui fit connaître avec une plus grande clarté la volonté du Père et les raisons de ce qu'il lui avait commandé. Notre divine Princesse, fut donc dans cette même extase élevée à un plus haut (1) Joan., III, 16. 237 état, puis préparée, par les illuminations et les dispositions que j'ai décrites ailleurs, à la manifestation de la Divinité dans une vision intuitive, où, à la lumière pure et éclatante de l'être de Dieu lui-même, elle connut de nouveau l'inclination que le souverain Bien avait de communiquer ses trésors infinis aux créatures raisonnables par le moyen de la rédemption que le Verbe incarné opérerait; elle y eut aussi connaissance de la gloire qui résulterait de cette merveille pour le nom du Très- Haut parmi ces mêmes créatures. Dans cette nouvelle science qu'elle eut des mystères cachés, la divine Mère offrit encore au Père le sacrifice de son Fils avec un redoublement de joie; et alors le pouvoir infini du Seigneur la fortifia par ce véritable pain de vie et d'intelligence, afin qu'elle se joignit avec un courage invincible au Verbe incarné dans les oeuvres de la rédemption, et qu'elle fût coadjutrice et coopératrice en cette même rédemption en la manière réglée par la sagesse infinie; et c'est ce que fit notre grande Reine, comme on le verra en tout ce que je dirai dans la suite. 957. La sainte Vierge sortit de ce ravissement. Je ne m'arrête point à en rapporter les détails, parce qu'ils seraient semblables à ceux que j'ai fait connaître à propos des autres visions intuitives; mais, par la force et les effets divins qu'elle ressentit en celle-ci, elle fut assez préparée pour se séparer de son très-saint Fils, qui résolut aussitôt d'aller recevoir le baptême et accomplir son jeûne dans le désert. Sa Majesté l'appela et lui dit, en lui parlant comme le Fils le plus 238 tendre, et avec les témoignages de la plus douce compassion : " Ma Mère, cet être d'homme véritable que j'ai, je ne l'ai reçu que de votre substance, de laquelle j'ai pris la forme de serviteur dans votre sein virginal (1); ensuite vous m'avez nourri de votre lait et entretenu par votre travail; c'est pour cela que je me reconnais plus étroitement votre Fils que jamais enfant ne l'a été et ne le sera de sa Mère. Permettez-moi d'aller accomplir la volonté de pion Père éternel. Il est déjà temps que je me prive de vos caresses et de votre douce compagnie, et que j'entreprenne l'oeuvre de la rédemption du genre humain. Les années du repos sont passées, et l'heure s'approche à laquelle je dois commencer à souffrir pour le rachat de mes frères les enfants d'Adam. Mais je veux que vous m'assistiez en cette oeuvre que mon Père m'a recommandée, que vous y soyez ma compagne et ma coadjutrice, et que vous ayez part à ma passion et à ma croix; et, quoi qu'il faille que je vous laisse maintenant seule, soyez sûre que ma bénédiction restera éternellement sur vous, et autour de vous ma vigilante, amoureuse et puissante protection: Je retournerai a plus tard afin que vous m'accompagniez et assistiez en mes peines, puisque je les dois souffrir en la forme humaine que vous m'avez donnée. " 958. Le Seigneur embrassa sa très-douce Mère après avoir achevé ce discours, et alors tous deux (1) Philip., II, 7. versèrent des larmes abondantes, sans perdre cette majesté et cette sérénité admirables qu'ils avaient comme maîtres en la science des souffrances. Notre auguste Princesse se mit à genoux, et dit à son très-saint Fils, avec la plus vive douleur et avec le respect le plus profond : " Mon Seigneur et mon Dieu éternel, vous êtes mon véritable Fils, et vous n'ignorez pas que toute la tendresse et que toutes les forces que vous m'avez données vous sont consacrées; votre sagesse divine pénètre le fond de mon âme ; ainsi vous savez que j'estimerais fort peu ma vie s'il fallait la sacrifier pour conserver, la vôtre, et que je mourrais mille fois pour cela si ma mort était convenable; mais il faut que la volonté du Père et la vôtre soient accomplies; c'est pourquoi je sacrifie la mienne : recevez-là, mon Fils et Seigneur de tout mon être, comme une offrande agréable, et ne me laissez point sans votre divine protection. Ce me serait un bien plus grand tourment de vous voir souffrir sans que je participasse à vos travaux et à votre passion. Faites, mon Fils, due je mérite cette faveur, que je vous demande comme véritable Mère, en récompense de la forme humaine que je vous ai donnée, et en laquelle vous allez souffrir. " La très-amoureuse Mère le pria aussi d'emporter quelques provisions de leur maison, ou de permettre qu'elle lui en envoyât où il serait. Mais le Sauveur ne prit rien alors, faisant connaître à sa Mère les raisons qu'il avait de refuser ses offres. Ils allèrent ensemble jusqu'à la porta de leur pauvre maison, où notre grande Reine, se mettant 240 une seconde fois à genoux, lui demanda sa bénédiction et lui baisa les pieds; et, après que notre divin Maître la lui eut donnée, il s'achemina vers le Jourdain, allant comme un bon pasteur chercher la brebis égarée, pour la rapporter sur ses épaules (1) dans les sentiers de la vie éternelle, dont elle s'est écartée en errant au hasard (2). 959. Lorsque notre Rédempteur alla trouver saint Jean pour en être baptisé (3), il était entré dans sa trentième année; car il se rendit directement sur les bords du Jourdain, où son précurseur baptisait, et il en reçut le baptême treize jours après avoir accompli sa vingt-neuvième armée, le mime jour que l'Église le célèbre. Je ne saurais dignement exprimer la douleur que la très-pure Marie ressentit au moment de cette séparation, non plus que la compassion du Sauveur toutes nos expressions sont trop faibles pour faire comprendre ce qui se passa alors dans le coeur du Fils et de la blèse. Comme cette séparation devait être une de leurs plus pénibles afflictions, il ne fut pas convenable de modérer les effets de leur amour naturel et réciproque. Ainsi le Très-Haut permit qu'ils éprouvassent tout ce qui était possible et compatible avec leur souveraine, sainteté, et cela avec la proportion que l'on doit toujours présupposer entre Jésus-Christ et sa très-sainte Mère, qui est une simple créature. Cette douleur ne fut point adoucie par la diligence avec laquelle notre divin Maître marchait, pressé qu'il (1) Luc., XV, 6. - (2) Ps. CXVIII, 176. - (3) Matt., III, 13. 241 était, par la forte impulsion de son immense charité, d'aller travailler et notre salut; elle ne fut point non plus modérée chez la plus tendre des mères par la connaissance qu'elle avait de cette charité : car tout cela n'était qu'une plus grande certitude des tourments qui l'attendaient, et augmentait sans cesse la douleur que la seule pensée en faisait naître. O mon très-doux amour ! comment nos coeurs sont-ils si endurcis et si ingrats qu'ils n'aillent point à votre rencontre? Comment les hommes, qui vous sont inutiles, ne vous arrêtent-ils point par le peu de reconnaissance qu'ils témoignent pour vos bienfaits? O bien éternel ! O ma vie ! vous seriez sans nous aussi heureux qu'avec nous aussi infini en perfections, en sainteté et en gloire; nous ne pouvons rien ajoute à la gloire que vous avez en vous-même, indépendamment des créatures! Pourquoi donc, mon divin amour, les cherchez-vous avec tant de sollicitude? Pourquoi prenez-vous donc tant de peine pour travailler au bien d'autrui? C'est sans doute que votre bonté incompréhensible vous le fait réputer comme, propre, pendant que nous le considérons comme une chose qui vous est indifférente et qui ne nous regarde point nous-mêmes ! 243 Instruction que notre auguste Maîtresse m'a donnée. 960. Je veux, ma fille, que vous considériez plus fortement les mystères que vous venez d'écrire, et que vous en conceviez une plus haute idée pour le bien de votre âme, et afin que voué m'imitiez en quelques-unes de mu actions. Remarquez donc qu'en la vision de la Divinité, que j'eus au moment lue vous avez indiqué, je connus dans le Seigneur le cas qu'il faisait dés souffrances et de la mort de mon Fils, et de tous ceux qui devaient le suivre dans le chemin de la croix. Dans cette connaissance, je ne l'offris, pas seulement volontiers pour le livrer à la passion et à la mort, mais je suppliai le Très-haut de me faire la grâce de pouvoir m'associer à toutes ses peines et participer à toutes les amertumes de sa passion ; et le Père éternel me l'accorda. Ensuite je priai mon adorable Fils de me priver dès lors de ses caresses intérieures, afin de commencer à le suivre dans ses afflictions; et lui-même m'inspira dette demande parce qu'il le voulait ainsi, et la charité me pressa de la lui faire. La passion que j'avais de souffrir, et l'amour que sa Majesté, comme Fils et comme Dieu, avait pour moi, me faisaient souhaiter les afflictions et les peines; et ce divin Seigneur moles accorda, parce qu'il m'aimait tendrement, car il afflige ceux qu'il aime (1); c'est pourquoi, étant sa Mère, il voulut me faire cette (1) Prov., III, 12. grande faveur de nie rendre semblable à lui en ce qu'il estimait le plus en la vie humaine. Or cette volonté du Très-Haut s'accomplit en moi; mes désirs furent exaucés, je fus privée des consolations que je recevais ordinairement; dira lors mon très-saint Fils ne me traita plus avec autant d'affection extérieure, et ce fut une des raisons pour lesquelles il ne m'appela pas du nom de mère, mais de celui de femme, aux noces de Cana, au pied de la croix (1) et, en d'autres circonstances auxquelles, il m'exerça par cette sévérité, en me refusant les paroles qui pouvaient marquer quelque tendresse; et, bien loin qu'il y eût ,en ce procédé la moindre rigueur, c'était le plus grand témoignage de son amour, puisqu'il me rendait semblable à lui eu me,faisant part des peines qu'il choisissait pour lui-même comme le plus riche héritage. 961. Vous comprendrez par là l'ignorance des mortels, et combien dans leur aveuglement ils s'écartent. de la bonne toute; car ils travaillent généralement et même presque tous pour ne point travailler, ils souffrent pour ne point souffrir; et se détournent avec horreur du chemin royal et sûr de la croix et de la mortification. Livrés à leurs illusions funestes, non-seulement ils abhorrent la ressemblance de leur exemplaire Jésus Christ et la mienne, et se privent de celte même ressemblance, qui est le véritable et souverain bien de la vie humaine; mais ils se mettent en outre dans l'impossibilité de recevoir leur remède, (1) Jean., II, 4; XIX, 26 . 244 puisqu'ils sont tous malades, affligés d'une foule de fautes auxquelles il n'y a point d'autre remède que la souffrance. On commet les péchés avec une honteuse satisfaction; par contre, l'on s'en purge par une salutaire douleur, et c'est dans la tribulation que le juste Juge les pardonne. Par les afflictions on parvient à réprimer, à dompter la concupiscence rebelle; on amortit les élans désordonnés de la nature; on règle les appétits concupiscible et irascible; on abat l'orgueil et la présomption; on assujettit la chair; on perd le goût de ce que les choses sensibles et terrestres ont de mauvais; on détrompe le jugement, on redresse la volonté; toutes les puissances de l'homme se rangent à leur devoir ; les passions cessent leurs soubresauts et modèrent leurs mouvements; enfin et surtout l'amour divin est sollicité d'avoir compassion de celui qui est affligé et qui endure les souffrances avec patience, ou qui les cherche avec le désir d'imiter mon très-saint Fils. C'est là où tout le bonheur de l'homme se trouve renfermé; ainsi ceux qui fuient cette vérité sont insensés aussi bien que ceux qui ignorent cette science. 962. Tâchez donc, ma très-chère fille, de vous y avancer; soyez diligente à aller à la rencontre des souffrances, et résolvez-vous à ne recevoir jamais aucune consolation humaine. Et, afin que vous évitiez le danger caché dans les consolations spirituelles, je vous avertis que le démon y tend aussi aux âmes pieuses un piège que vous ne devez pas ignorer : car, comme la contemplation des grandeurs du Seigneur 245 est si douce et que ses caresses sont si attrayantes, les puissances de l'âme et quelquefois la partie sensitive y trouvent tant de jouissances, que certaines personnes s'y attachent au point de devenir presque incapables des autres occupations nécessaires à la vie humaine, quand même elles seraient imposées par la charité et par les lois du commerce raisonnable avec les créatures; et, lorsqu'il faut qu'elles s'y appliquent, elles se désolent à l'excès et tombent dans le trouble, dans l'impatience et dans la tristesse; elles perdent la paix et la joie intérieure; elles sont intraitables et rudes envers les autres, sans humilité et sans charité. Et, lorsqu'elles sentent leur propre inquiétude et leur malaise moral, elles en attribuent incontinent la cause aux occupations extérieures, dans lesquelles le Seigneur les a mises par l'obéissance et par la charité, et ne veulent ni avouer ni reconnaître que cette cause se trouve dans leur immortification, dans leur défaut de soumission aux ordres de Dieu, dans leur trop vif attachement à leur propre satisfaction. Le démon leur cache ce piége sous le prétexte qu'elles prennent du bon désir du calme, du recueillement, et de s'entretenir avec le Seigneur dans l'a solitude; parce qu'il leur semble qu'il n'y a rien à craindre en cela , que tout y est bon et saint, et que le mal vient de ce qu'on les empêche de faire les choses comme elles le souhaitent. 963. Vous êtes tombée quelquefois dans cette faute, et je veux que dès maintenant vous y preniez garde, puisque toutes choses ont leur temps, somme dit 17/30 CHAPITRE XXIII. Des occupations de la Mère Vierge pendant l'absence de son très-saint Fils, et de ses entretiens avec ses saints anges. Instruction que j'ai reçue de la Reine du ciel. CHAPITRE XXIV. Notre Sauveur Jésus-Christ arrive au bord du Jourdain, où saint Jean le baptise et le prie de le baptiser lui-même. Instruction que la Reine du ciel m'a donnée. CHAPITRE XXV. Notre Rédempteur, après avoir été baptisé, s'en va au désert, où il s'exerce à de grandes victoires et à toutes sortes de vertus contre les vices. - Sa très-sainte Mère en a connaissance et l'imite parfaitement en tout. Instruction que j'ai reçue de notre Dame la Reine du ciel. CHAPITRE XXVI. Notre Sauveur Jésus-Christ, à la fin de son jeûne, permet à Lucifer de le tenter. - Sa Majesté sort victorieuse de la tentation. - Sa très-sainte Mère est informée de tout ce qui se passe. Doute que j'exposai à la Reine du ciel. Réponse et instruction de notre auguste Maîtresse. CHAPITRE XXVII. Notre Rédempteur Jésus-Christ sort du désert, s'en retourne auprès de saint Jean, et s'occupe dans la Judée à disposer le peuple jusqu'à la vocation des premiers disciples. - L'auguste Marie connaissait et imitait les oeuvres de son très-saint Fils. Instruction que la Reine du ciel m'a donnée. CHAPITRE XXVIII. Note Rédempteur Jésus-Christ commence à appeler et à recevoir ses disciples en présence de son précurseur. - Il se met à prêcher publiquement. - Le Très-Haut ordonne à l'auguste Marie de suivre son très-saint Fils. Instruction que j'ai reçue de la très-sainte Vierge. CHAPITRE XXIX. Notre Sauveur Jésus-Christ retourne à Nazareth avec les cinq premiers disciples, et baptise sa très-sainte Mère. - Ce qui arriva dans cette circonstance. Instruction que la Reine du ciel m'a donnée. 246 Salomon (1), et qu'il y a un temps de jouir des embrassements et un temps de s'en priver; car c'est une ignorance des imparfaits et de ceux qui commencent à pratiquer la vertu, que,de vouloir déterminer le temps de l'entretien intime avec le Seigneur, et de trop ressentir la privation des divines caresses. Je ne prétends pas par là que vous cherchiez volontairement les distractions et les occupations, ni que vous vous y plaisiez, car ce serait une chose dangereuse; mais je veux que vous obéissiez avec tranquillité à vos supérieurs quand ils vous les ordonneront, et que vous laissiez le Seigneur dans votre douce retraite, pour le trouver dans le travail utile et dans les bons offices que vous rendrez à votre prochain : c'est ce que vous devez préférer à votre solitude et aux consolations secrètes que vous y recevez; et je ne veux pas que vous y soyez trop attachée pour ces seules consolations, afin que, dans les soins convenables auxquels vous obligent vos fonctions de supérieure, vous puissiez croire, espérer et aimer avec fidélité et, avec perfection. Par ce moyen vous trouverez le Seigneur en tout temps, en tout lieu et en quelque occupation que ce soit, comme vous l'avez déjà expérimenté; car vous ne devez jamais vous imaginer par une ignorance puérile d'être hors de sa douce présence, et de ne le pouvoir trouver ni jouir des charmes de sa conversation hors de votre retraite, parce que tout est plein do sa gloire sans qu'elle laisse aucun vide (2) : c'est en lui (1) Eccles., III, 5. - (2) Eccles., XLII, 16. 247 que vous vivez, que vous vous mouvez et que vous avez l'être (1); et lorsque sa Majesté ne vous imposera point ces occupations, vous pourrez jouir des charmes de la solitude après laquelle vous soupirez. 964. Vous connaîtrez mieux toutes ces choses par la générosité de l'amour que je demande de vous, afin que vous suiviez l'exemple de mon très-saint Fils et le mien, puisque par cet amour vous devez vous plaire tantôt aux choses de son enfance, tantôt à travailler au salut éternel des hommes à son imitation; quelquefois à l'accompagner en la retraite de sa solitude, d'autres fois à vous transfigurer avec lui en une nouvelle créature, d'autres fois encore à embrasser la croix des tribulations et à suivre ses traces, et la doctrine qu'il a enseignée sur cette croix comme divin Maître en un mot, je veux que vous sachiez que j'eus la plus sublime intention de l'imiter toujours en toutes ses oeuvres, et que je renfermai dans cette intention la plus grande perfection et la plus haute sainteté; et je veux que vous m'imitiez en cela autant que vos forces, assistées de la grâce, vous le permettront. Si vous voulez en venir à bout, vous devez premièrement mourir à tous les effets de votre, filiation d'Adam, sans vous réserver un seul je veux ou je ne veux pas, j'accepte ou je rejette pour ce sujet ou pour cette raison; car vous, ignorez ce gui vous convient, et votre Seigneur et, votre époux, qui lé sait et qui vous aime plus que vous ne vous aimez vous-même, veut prendre soin de ce (1) Act., XVII, 28. 248 qui vous regardé si vous vous abandonnez entièrement à sa volonté; et je ne vous donne que la permission de l'aimer et de vouloir l'imiter dans les souffrances, parce qu'en tout le reste vous courez risque de vous éloigner de son bon plaisir et du mien; et vous tomberez dans ce malheur en suivant votre volonté, vos inclinations et vos appétits. Sacrifiez-les tous; élevez-vous au-dessus de vous-même; tâchez d'arriver à la haute demeure de votre divin Maître; soyez attentive à la lumière de ses inspirations et à la vérité de ses paroles de vie éternelle (1) : et afin d'y arriver, prenez votre croix (2), suivez ses traces, courez après l'odeur de ses parfums (3) , ne cessez point vos empressements jusqu'à ce que vous l'ayez rencontré, et quand vous l'aurez trouvé, gardez-vous bien de le laisser s'éloigner (4). CHAPITRE XXIII. Des occupations de la Mère Vierge pendant l'absence de son très-saint Fils, et de ses entretiens avec ses saints anges. 965. Le Rédempteur du monde s'étant éloigné de la présence corporelle de sa très- amoureuse Mère, les (1) Joan., vi, 69. - (1) Matth., XVI, 24. - (3) Cant., I. 3. - (4) Cant , III, 4. 249 yeux de cette auguste Dame restèrent comme éclipsé, par l'absence du Soleil de justice, qui les éclairait et les récréait; mais la vue intérieure de son âme très-sainte ne perdit pas un seul degré de la divine lumière, qui la pénétrait tout entière et l'élevait au-dessus du plus sublime amour des plus enflammés séraphins. Et comme le principal emploi de ses puissances, en l'absente de l'humanité très-sainte, devait être le seul objet incomparable de la Divinité, elle régla toutes ses occupations de telle sorte, qu'elle pût, dans sa retraite et hors du commerce des créatures, s'appliquer entièrement à la contemplation, aux louanges du Seigneur et à la prière, afin que la doctrine et la semence de la parole que le Maître de la vie devait jeter dans les coeurs des hommes ne se perdissent point par leur dureté et leur ingratitude, mais qu'elles produisissent le fruit abondant de la vie éternelle et le salut de leurs âmes. Et, par la connaissance qu'elle avait des intentions du Verbe incarné, elle s'abstint de parler alors à aucune créature humaine, pour l'imiter dans les austérités qu'il devait pratiquer dans le désert, comme je le dirai ailleurs; car elle fut en tout une image vivante de ses oeuvres aussi bien en son absence qu'en sa présence. 966. La divine Reine s'attacha à ces exercices, dans sa solitude, durant tout le temps que son très-saint fils passa hors de la maison. Ses prières étaient si ferventes, qu'elle versait des larmes de sang pour les péchés des hommes. Elle se prosternait plus de deux cents fois chaque jour; elle aima toute sa vie cet exercice, 250 et le renouvela très-souvent, comme un témoignage de son humilité, de sa charité et de son culte, dont je ferai plusieurs fois mention dans la suite de cette histoire. Elle coopérait ainsi, avec son très-saint Fils notre libérateur, à l'œuvre de la rédemption, tout absent qu'il était; et les prières de cette très-pieuse Mère furent si puissantes et si efficaces auprès du Père éternel, que ce fut à cause de ses mérites et de sa présence sur la. terre que le Seigneur oublia, pour. ainsi dire, les péchés de tous les mortels, qui étaient alors indignes de la. prédication et de la doctrine de son adorable Fils; car ce fut la très-pure Marie qui écarta cet obstacle à force de ferventes supplications et de charité. Elle fut la médiatrice qui nous procura et mérita le bonheur d'être enseignés de notre Sauveur et divin Maître, et de recevoir la loi de l'Évangile de sa bouche sacrée. 967. Quand notre grande Reine était descendue de ce degré suréminent de contemplation et de ces sublimes hauteurs de la prière, elle s'entretenait avec ses saints anges, à qui le Sauveur avait enjoint de nouveau de prendre une forme corporelle pour l'assister, servir son tabernacle, et garder la sainte Cité de sa demeure tant qu'il en serait éloigné. Ces très-diligents ministres du Seigneur obéissaient en fout, et servaient leur Reine avec un respect admirable. Mais comme rameur est essentiellement actif, et souffre avec impatience l'absence et la privation de l'objet qui l'attire, son plus grand soulagement est de parier de sa douleur et de ses justes causes; de renouveler le souvenir 261 du bien-aimé, et de s'entretenir souvent de ses qualités et de ses excellences; car par ses entretiens.il charme ses peines, il trompe ou divertit sa douleur, en substituant à la .vue de l'original les images chéries qu'il a laissées dans l'âme. C'est ce qui. arrivait à la très-amoureuse Mère du véritable et souverain.Bien; car, pendant que ses puissances étaient, heureusement abîmées dans l'océan immense de la Divinité, elle ne sentait point l'absence corporelle de son Fils; mais quand elle reprenait l'usage de ses sens, accoutumés à jouir de la présence d'un objet si aimable dont ils se trouvaient privés, alors elle sentait la force impatiente de l'amour le plus intime, le plus sincère et le plus chaste qu'on puisse imaginer : et il est certain qu'elle n'aurait pu vivre dans une si grande douleur sans un secours divin. 968. Pour donner quelque adoucissement à la douleur naturelle de son coeur, elle s'adressait aux saints anges et leur disait : " Ministres diligents du Très Haut, ouvrage des mains de mon bien-aimé, mes amis et mes compagnons, donnez-moi des nouvelles de mon très-cher Fils et mon divin Maître ; dites-moi où il se trouve, et dites-lui aussi que je meurs par l'absence de ma propre vie. O mon doux bien ! O amour de mon âme ! où est votre beauté, qui surpasse celle de tous les enfants des hommes (1)? Où pourrez-vous appuyer la tête? Où est-ce que votre très- délicate et très-sainte humanité se reposera (1) Ps. XLIV, 3. 252 de ses fatigues? Qui vous servira maintenant, lumière de mes yeux? Et comment pourront-ils, ces yeux, arrêter leurs larmes en l'absence du Soleil qui les éclairait? Où pourrez-vous, mon adorable Fils, trouver quelque repos? Et cette pauvre brebis solitaire, où pourra-t-elle trouver le sien? Quel port trouvera cette petite nacelle, battue dans la solitude par les vagues de l'amour? Où trouverai je quelque tranquillité? O le bien-aimé de mes désirs, il n'est pas possible d'oublier votre aimable présence ! comment donc le sera-t-il de vivre dans .ce souvenir sans en jouir? Que ferai-je? Qui me consolera et me fera compagnie dans mon amère solitude? Mais que cherché-je, et que puis-je trouver parmi les créatures, si vous me manquez, a vous qui êtes mon tout et le seul objet de mon a amour? Esprits célestes, dites- moi, que fait mon Seigneur et mon bien-aimé ? Informez-moi de ses occupations extérieures, et ne me cachez rien de ce que vous découvrirez de ses opérations intérieures a dans le miroir de son auguste face et de son être divin. Apprenez-moi toutes ses voies, afin que je les suive. " 969. Les saints anges obéirent à leur Reine, et la consolèrent dans ses amoureuses plaintes, en s'entretenant avec elle du Très-Haut, et en lui disant de grandes louanges de l'humanité sainte de son Fils et de ses perfections. Ensuite ils l'informaient de toutes ses occupations et des lieux où il était; et cela se faisait en illuminant son entendement en la manière 253 qu'un ange supérieur illumine celui qui lui est inférieur : car elle gardait cet ordre spirituel, quand elle conférait intérieurement avec ces esprits bienheureux, sans se servir des organes corporels. Ils lui apprenaient encore en la mime manière quand le Verbe incarné priait retiré du commerce des hommes, quand il les instruisait, quand il visitait les pauvres et les hôpitaux, et plusieurs autres de ses actions qu'elle imitait autant qu'il lui était possible; de sorte qu'elle faisait de magnifiques et excellentes oeuvres, comme je le dirai dans la suite; et par là elle adoucissait en quelque façon sa douleur. 970. Elle envoyait aussi quelquefois les mêmes anges vers son très-doux Fils, afin qu'ils le visitassent de sa part; et alors elle les chargeait, avec la plus sage discrétion, de lui dire des choses que lui inspiraient son respect et son amour; dans ces occasions, elle leur remettait d'ordinaire un morceau d'étoffe ou de linge qu'elle-même avait travaillé, afin qu'ils en essuyassent le visage sacré du Sauveur quand ils le verraient dans l'oraison fatigué et baigné d'une sueur de sang : car la divine Mère savait qu'il éprouverait' ces angoisses de l'agonie, et de plus en plus à mesure qu'il s'appliquerait davantage aux oeuvres de la rédemption. Les saints anges obéissaient en cela à leur. Reine avec une respectueuse crainte, parce qu'ils comprenaient que le Seigneur lui-même voulait qu'ils le fissent pour satisfaire les désirs amoureux de sa très sainte Mère. D'autres fois elle savait, par les avis que les mêmes anges lui donnaient, ou par une révélation 254 particulière du Seigneur, que sa Majesté priait dans les montagnes' pour les hommes; et cette très-miséricordieuse Dame, sans sortit de sa maison, l'imitait en tout, et faisait les mêmes prières en la même posture que notre adorable Sauveur. En certains cas, elle lui envoyait aussi quelque nourriture parle ministère des anges, et c'était lorsqu'elle savait qu'il n'y avait personne qui en donnerait au Maître de la nature. Toutefois cela arriva fort rarement, parce que le Seigneur n'avait pas voulu permettre, comme je l'ai marqué dans le chapitre précédent, que sa très-sainte Mère le fit toujours, comme elle le souhaitait; et elle s'en abstint pendant les quarante jours qu'il jeûna, parce que telle était la volonté de ce divin Seigneur. 971. Parfois notre grande Dame s'occupait à faire des cantiques de louange au Très- Haut, et elle les faisait étant seule en oraison , ou en la compagnie des saints anges, avec lesquels elle les chantait alternativement. Tous ces cantiques étaient aussi sublimes par le styla que profond par le sens. Parfois encore elle s'employait à soulager le prochain dans ses nécessités, à l'exemple de son Fils. Elle visitait les malades, consolait les affligés, instruisait les ignorants, et elle les perfectionnait tous et leur procurait une abondance de grâces et de biens célestes. Pendant le temps du jeûne du Seigneur, elle demeura toute seule dans sa maison sans fréquenter personne, comme je le dirai dans la suite. Dans cette solitude les extases lui furent plus fréquentes, et elle y reçut de la Divinité 255 des dons et des faveurs incomparables; car la main du Seigneur traçait en elle, comme sur une toile bien préparée, les dessins et les traits. les plus admirables de ses infinies perfections. Elle se servait de tous ces dons pour travailler avec un nouveau zèle au salut des mortels, et elle les appliquait à une imitation plus parfaite de son très-saint Fils, avec intention de l'aider, comme sa coadjutrice dans les oeuvres de la rédemption. Et quoique ces bienfaits et ces entretiens intimes du Seigneur fussent toujours accompagnés d'une nouvelle joie et d'une, grande consolation du Saint-Esprit, elle souffrait néanmoins en la partie sensitive, ainsi qu'elle l'avait désiré et demandé pour imiter notre Seigneur Jésus-Christ, comme je l'ai marqué ailleurs. Chez elle, ce désir de partager ses souffrances, était insatiable, et elle ne cessait de demander avec un très-ardent amour au Père éternel de souffrir, renouvelant le sacrifice si agréable de la vie de son Fils et de la sienne, qu'elle avait déjà offert par la volonté du même Seigneur; car ce désir était aussi continuel qu'insatiable, elle en était jour et nuit consumée, et elle souffrait surtout de ne point pou voir souffrir davantage pour son bien-aimé.. Instruction que j'ai reçue de la Reine du ciel. 972. Ma très-chère fille, la sagesse de la chair a rendu les hommes ignorants, insensée et ennemis de 256 Dieu (1), parce qu'elle est diabolique, trompeuse, terrestre et rebelle à la loi divine; et plus les enfants d'Adam s'efforcent d'atteindre les mauvaises fins de leurs passions charnelles et animales, et cherchent les moyens d'y parvenir, plus ils ignorent les choses divines , qui sont les voies par lesquelles ils doivent arriver à leur véritable et dernière fin. Cette ignorance et cette prudence de la chair sont surtout déplorables et odieuses aux yeux du Seigneur chez les enfants de l'Eglise. A quel titre les enfants de ce siècle prétendent-ils s'appeler enfants de Dieu , frères de Jésus-Christ et héritiers de ses biens? Le fils adoptif doit être autant qu'il est possible semblable au fils naturel. Un frère n'est ni d'une race ni d'une condition autres que son autre frère. Un enfant ne s'appelle point héritier, si, au lieu de recueillir la masse des biens de son père, il n'a touché qu'une mince portion de l'héritage. Or comment seront héritiers avec Jésus-Christ ceux qui n'aiment, qui ne désirent et qui ne cherchent que les biens terrestres, et y mettent toutes leurs complaisances? Comment seront-ils ses frères, ceux qui dégénèrent si fort de ses qualités, de sa doctrine et de sa sainte loi? Comment lui seront-ils semblables , ceux qui si souvent effacent son image, et laissent empreindre leur âme de celle de la bête infernale (2)? 973. Vous connaissez, ma fille, ces vérités en la divine lumière, aussi bien que les peines que j'ai (1) Rom., VIII, 7. - (2) Apoc., XVI, 2. 257 prises pour me rendre semblable à l'image du Très-Haut, qui est mon Fils et mon Seigneur. Ne vous imaginez pas que je vous aie donné en vain cette si haute connaissance de mes oeuvres; car mon intention est que vous graviez ces leçons dans votre coeur, que vous les ayez toujours devant vos yeux, et que vous en profitiez pour régler votre vie et vos actions tout le temps qu'il vous reste à passer sur la terre, et qui ne peut pas ~être fort long. Ne vous embarrassez point avec les créatures, et ne vous laissez point retarder par leurs piéges pour marcher à ma suite; évitez-les, méprisez-les, abandonnez-les, du moment où elles vous deviennent un obstacle. Si vous voulez faire des progrès à mon école, il faut que vous soyez pauvre, humble, méprisée et soumise, et que vous conserviez dans tous les événements un visage gai , un coeur joyeux. Ne vous arrêtez point aux applaudissements et aux affections de qui que ce soit, et prenez garde de vous laisser entraîner par les inclinations humaines; car le Seigneur ne veut point que vous vous laissiez absorber par des attentions si inutiles , par des occupations si basses et si incompatibles avec l'état auquel il vous appelle. Faites humblement réflexion sur les témoignages d'amour que vous en avez reçus, et considérez que pour vous enrichir il a tiré de ses trésors les dons les plus magnifiques. Lucifer et ses ministres n'ignorent point ces faveurs, c'est pourquoi ils déploient contre vous toute leur colère et toutes leurs ruses. Il n'est point de baliste qu'ils ne doivent Faire jouer pour démolir les murs de la place ; 258 mais ils dirigeront surtout leurs attaques contre votre intérieur, c'est là qu'ils pointeront leurs principales batteries. Tenez-vous sur vos gardes et veillez; fermez les portes de vos sens, consignez votre volonté, et ne permettez pas qu'elle sorte à la rencontre d'aucune chose humaine pour bonne et honnête qu'elle vous paraisse ; car la moindre brèche que vous laisserez pratiquer à l'amour que Dieu exige de vous, suffira pour faire entrer vos ennemis. Tout le royaume de Dieu est au dedans de vous (1); c'est là que vous trouverez le bien que vous désirez. N'oubliez point le bienfait de mes instructions, et conservez-les dans votre coeur; sachez que le danger et le dommage dont je cherche à vous éloigner sont très-considérables, et que de suivre mon exemple, de participer à ma ressemblance, c'est le plus grand bonheur auquel vous puissiez aspirer, et soyez persuadée que je suis portée par toute ma tendresse à vous l'accorder, si vous vous y disposez par de hautes pensées et par des paroles saintes, qui vous élèvent à l'état auquel le Tout-Puissant et moi vous destinons. (1) Luc., XVII, 21. CHAPITRE XXIV. Notre Sauveur Jésus-Christ arrive au bord du Jourdain, où saint Jean le baptise et le prie de le baptiser lui-même. 974. Après que notre Rédempteur eut laissé sa très-amoureuse Mère à Nazareth, sans aucune créature humaine 'pour compagnie, mais occupée dans sa pauvre demeure aux exercices de son ardente charité dont j'ai parlé ci-dessus, il continua son chemin vers le Jourdain, où son précurseur prêchait et baptisait (1) près de Béthanie, bourg situé de l'autre côté du fleuve, et autrement nommé Bethabara. Dès les premiers pas qui il fit hors de sa maison, notre adorable Seigneur éleva les yeux su Père éternel, et lui offrit de nouveau avec la plus ardente charité tout ce qu'il allait opérer pour les hommes, les fatigues, les douleurs, la passion et la mort de la croix , qu'il voulait souffrir pour eux, obéissant à la volonté éternelle du même Père, à qui il offrit aussi la douleur naturelle qu'il éprouvait d'avoir quitté sa Mère, et de s'être privé de sa douce compagnie, dont il avait joui l'espace de vingt- neuf ans. Le, Seigneur de l'univers (1) Matth., III, 1, etc. 260 marchait tout seul, sans ostentation, sans cortège, sans éclat; le souverain Roi des rois, le Seigneur des seigneurs (1) s'avançait inconnu et méconnu de ses propres sujets, qui pourtant dépendaient si étroitement de lui, qu'ils ne tenaient et ne conservaient l'être que par sa seule volonté (2). Son royal équipage consistait en une extrême pauvreté, en un dénuement absolu. 975. Comme les écrivains sacrés ont passé sous silence ces oeuvres du Sauveur, et leurs circonstances si dignes de notre attention, quoiqu'elles aient été effectivement accomplies; comme, en outre, nous sommes accoutumés par un grossier oubli à ne pas le remercier même de celles dont les Évangiles contiennent le récit, il arrive que nous ne réfléchissons pas à l'immensité des bienfaits que nous avons reçus, ni à cet amour infini qui nous a enrichis avec tant de munificence, et qui a bien voulu nous attirer à lui par tant de liens d'une charité toute gratuite (3). O amour éternel du Fils unique du Père! O mon souverain bien et vie de mon ilote! Combien peu votre excessive charité est reconnue! Pourquoi, mon doux amour, tant de tendresses, tarit de soins et tarit de peines, pour ceux dont non-seulement vous n'avez pas besoin , mais qui tic répondront pas même à vos faveurs, et ne s'en soucieront non plus que si c'était une chimère? O coeur humain ! plus insensible et plus féroce que celui d'un tigre ou d'un lion! Qui t'endurcit de la sorte? Qui te retient? Qui t'opprime et (1) Apoc., XIX, 16. - (2) Apoc., IV, 11. - (3) Os., XI, 4. 261 qui t'appesantit au point de t'empêcher de te diriger vers un tel bienfaiteur dans les voies de la reconnaissance? O hommes, d'où vient un pareil ensorcellement? Quel objet vous fascine d'une manière si étrange? Dans quelle léthargie mortelle vous êtes tombés! Qui a effacé de votre souvenir des vérités si infaillibles et des bienfaits si mémorables, et en même temps les conditions de votre propre et véritable félicité? Si nous sommes de chair et naturellement si sensibles, qui nous a rendus plus insensibles et plus durs que les rochers? Comment ne nous réveillons-nous pas de notre assoupissement au bruit éclatant des bienfaits de notre rédemption? Des os desséchés s'animent et se meuvent à la voix d'un prophète (1), et nous résistons aux paroles et aux oeuvres de Celui qui donne à tout la vie et l'être. Voilà de quoi est capable l'amour terrestre, et ce que notre funeste oubli peut produire. 976. Recueillez donc maintenant, à mon divin Maître et lumière de mou âme ! ce vil vermisseau, qui se traînant par terre va à la rencontre des soins amoureux que vous prenez pour le chercher. Ce sont ces soins qui me donnent l'assurance certaine de trouver en vous la vérité, la voie, la perfection et la vie éternelle. Je n'ai rien à vous offrir, mon bien-aimé, pour ce que je vous dois, si ce n'est votre bonté et votre, amour, et l'être que j'en ai reçu. Rien au-dessous de vous ne saurait payer les choses infinies que vous avez (1) Ezech., XXVII, 10. 262 faites pour moi. Je vais au-devant de votre adorable grandeur, toute brûlante de la soif de votre charité; ne veuillez point, Seigneur, détourner l'œil de votre divine clémence de cette pauvre créature, que vous cherchez avec des empressements si amoureux. Vie de mon âme, âme de ma vie ! puisque je n'ai pas été assez heureuse pour mériter de jouir de votre vue corporelle dans le siècle fortuné qui vous a vu naître, je suis du moins fille de votre sainte Église, membre de ce corps mystique et de cette sainte assemblée des fidèles. Je vis dans une vie dangereuse, dans une chair fragile, dans un temps. triste et calamiteux; mais je crie et je soupire du plus profond de mon coeur pour avoir part à vos mérites infinis; et vous m'exaucerez, Seigneur, parce que la foi m'enseigne la destination de ces mérites, que l'espérance me les assure, et que la charité me donne le droit d'y prétendre. Regardez donc votre pauvre servante, rendez-la reconnaissante de tant de bienfaits, humble de coeur, constante en votre saint amour, et toute souple entre les mains de votre bon plaisir. 977. Notre Sauveur poursuivit son chemin vers le Jourdain, répandant en divers endroits ses anciennes miséricordes et des bienfaits admirables soit en faveur des corps, soit en faveur des âmes d'une foule de personnes qui avaient besoin de son secours; ce fut pourtant toujours d'une manière secrète, car il ne donna aucun témoignage public de son pouvoir divin et de ses grandes excellences jusqu'au temps qu'il fut baptisé. Avant que d'arriver près de son saint précurseur, 263 il lui communiqua une nouvelle lumière et une joie extraordinaire qui élevèrent et changèrent son esprit et le saint, émerveillé en remarquant ces nouveaux effets en lui-même, s'écria : " Quel mystère est celui ci? Quel favorable présage de mon bonheur? Car, depuis qu'étant dans le sein de ma mère je reconnus la présence de mon Seigneur, je n'ai pas ressenti des effets semblables à ceux que j'éprouve maintenant. Le Sauveur du monde viendrait-il par bonheur ici, ou serait-il proche de moi? " Après cette illustration spéciale, le saint précurseur eut une vision intellectuelle, où il connut avec une plus grande clarté le mystère de l'union hypostatique en la personne du Verbe, et plusieurs autres mystères de la rédemption du genre humain. Et ce fut à cause de cette nouvelle lumière qu'il rendit les témoignages que raconte l'évangéliste saint Jean, pendant que notre Seigneur Jésus-Christ était au désert, et après qu'il en fut sorti pour retourner au Jourdain; l'un, quand il fut interrogé par les Juifs, et l'autre quand il dit : Ecce Agnus Dei, etc. (1), comme je le dirai dans la suite. Quoique Jean-Baptiste eût auparavant appris de grands mystères, lorsque le Seigneur lui ordonna d'aller prêcher et baptiser, ils lui furent néanmoins annoncés de nouveau et découverts avec une plus grande clarté dans cette vision; et alors il sut que le Sauveur du monde venait recevoir le baptême. (1) Joan., I, 36. 264 978. Sa Majesté se joignit donc à la foule, et pria saint Jean de le baptiser avec les autres; mais le Précurseur le reconnut, et, se prosternant à ses pieds, il lui dit pour s'en dispenser : C'est vous, Seigneur, qui me devez baptiser, et vous venez me demander le baptême? comme le raconte l'évangéliste saint Matthieu (1). Le Sauveur lui répondit : Laissez-moi faire pour cette heure ce que je souhaite; car nous devons accomplir ainsi toute justice (2). Par cette espèce de refus que le saint opposa au baptême de notre Seigneur Jésus-Christ, et par la demande qu'il lui adressa lui-même, il fit entendre qu'il le reconnaissait pour le véritable Messie. Et ceci n'est point contradictoire avec ce que l'évangéliste saint Jean nous rapporte que le saint Précurseur dit aux Juifs : Pour moi, je ne le connaissais point; mais Celui qui m'a envoyé baptiser dans Peau m'a dit : Celui sur qui vous terrez l'Esprit descendre et se reposer, c'est celui-là qui baptise dans le Saint-Esprit : Je l'ai vu, et j'ai rendu le témoignage qu'il est le Fils de Dieu (3). La raison que j'allègue pour prouver qu'il n'y a point de contradiction entre ce passage de saint Jean et ce que dit saint Matthieu, est que le témoignage du ciel et la voix du Père, qui se firent entendre sur notre Seigneur Jésus-Christ près du Jourdain, coïncidèrent avec le moment où saint Jean-Baptiste eut la vision et l'illumination dont je viens de parler, et jusque-là il n'avait pas encore vu Jésus-Christ de ses yeux corporels. Il put donc déclarer (1) Matth., III, 14. - (2) Ibid., 15. - (3) Joan., I, 33 et 34. 265 qu'il ne l'avait pas connu comme il le connut alors; mais il le vit non-seulement des yeux du corps, mais aussi et su même moment par la lumière de la révélation : c'est pour cela qu'il se prosterna à ses pieds et qu'il lui demanda le baptême. 979. Aussitôt que saint Jean eut achevé de baptiser notre Seigneur Jésus-Christ, le ciel s'ouvrit, le Saint-Esprit descendit sur sa tète sous la forme visible d'une colombe, et l'on entendit la voix du Père qui dit Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je me plais uniquement (1). Plusieurs de ceux qui se trouvaient présents, et qui ne s'étaient pas rendus indignes d'une faveur si admirable, entendirent cette voix du ciel, et virent aussi le Saint-Esprit en la forme sous laquelle il se reposa sur le Sauveur. Ce témoignage fut le plus grand qui se pût donner de la divinité de notre Rédempteur, tant du côté du Père, qui l'avouait pour Fils, que de celui du Saint- Esprit, qui en fournissait la preuve, puisque tout cela manifestait que Jésus-Christ était Dieu véritable, égal à son Père éternel quant à la substance et quant à ses perfections infinies. Le Père voulut être le premier à attester du ciel la divinité de Jésus-Christ, afin d'autoriser par cette attestation toutes celles que l'on en devait donner ensuite dans le monde. Ces paroles du Père renfermaient encore un mystère : c'était une manière de dégager, pour ainsi dire, l'honneur de son Fils, et de récompenser l'acte d'humilité qu'il pratiquait en se (1) Matth., III, 17. 266 soumettant au baptême, qui servait de remède aux péchés, dont le Verbe incarné était exempt, puisqu'il était impeccable (1). 980. Notre Seigneur Jésus-Christ offrit avec soumission au Père cet acte d'humilité qu'il faisait en paraissant sous la forme de pécheur et en recevant le baptême avec ceux qui l'étaient, pour se reconnaître, par cette obéissance, inférieur quant à la nature humaine, qui lui était commune avec tous les enfants d'Adam, et pour instituer par là le sacrement du baptême, qui devait laver les péchés du monde par la vertu de ses mérites; et ce divin, Seigneur, s'humiliant le premier jusqu'à recevoir le baptême des péchés, demanda au Père éternel, et en obtint en même temps un pardon général pour tous ceux qui le recevraient, afin qu'ils sortissent de l'empire du démon et du mal, et fussent régénérés en l'être nouveau, spirituel et surnaturel des enfants adoptifs du Très-Haut et des frères du même Rédempteur (2). Et comme les péchés des hommes, tant les passés que les actuels et les futurs que le Père éternel avait présents en la prescience de sa sagesse, auraient empêché ce remède si doux et si facile, notre Seigneur Jésus-Christ le mérita par justice, afin que l'équité du Père pût l'accepter, l'approuver et s'en déclarer satisfaite; il savait pourtant combien de mortels, dans les siècles présents et futurs, ne profiteraient pas du baptême, et combien d'autres ne le recevraient point. Notre Seigneur (1) Hebr., VII, 26. - (2) I Petr., I, 23. 267 Jésus-Christ ôta tous ces obstacles et suppléa au peu de mérite des hommes par ses propres mérites, et en s'humiliant jusqu'à paraître sous la ressemblante de pécheur (1) et à recevoir le baptême, tout innocent qu'il était. Tous ces mystères sont renfermés dans la réponse qu'il fit à son saint précurseur : Laissez-moi faire pour cette heure, car nous devons accomplir ainsi toute justice (2). La voix du Père et la personne du Saint-Esprit descendirent (3) pour accréditer le Verbe incarné, récompenser son humilité, et approuver le baptême et les effets qu'il devait opérer; cet adorable Sauveur fut ainsi reconnu et proclamé comme véritable Fils de Dieu, en même temps qu'était révélée l'existence des trois personnes divines, au nom desquelles on devait donner le baptême. 981. Le grand Baptiste fut celui qui pénétra le plus ces merveilles et leurs effets, et qui en eut la meilleure part; car non-seulement il baptisa son Rédempteur et son Maître, vit le Saint-Esprit et le globe lumineux qui descendirent du ciel sur le Seigneur; découvrit . la multitude innombrable d'anges qui assistaient au baptême, entendit la voix du Père et connut d'autres mystères en la vision que j'ai décrite; mais il fut en outre baptisé par le Rédempteur lui-même. Et quoique l'Évangile dise seulement qu'il a demandé le baptême (4), il ne nie pourtant pas qu'il l'ait reçu, parce (1) Rom., VIII, 3. - (2) Matth., III, 15. - (3) Ibid., 16 et 17. - (4) Ibid., 14. 268 que sans doute notre Seigneur Jésus-Christ, après avoir été baptisé, aura donné à son précurseur le baptême, que celui-ci lui demandait, et que sa divine Majesté institua dès lors, quoique la promulgation et l'application générale de cette loi n'aient eu lieu que plus tard, quand le Sauveur, après sa résurrection, prescrivit aux apôtres de conférer ce sacrement (1). Et, comme je le dirai plus loin, le Seigneur baptisa aussi sa très-sainte Mère avant cette promulgation, en laquelle il détermina la forme du baptême, qu'il avait ordonné. Voilà ce qui m'a été déclaré. J'ai également appris que saint Jean fut le premier né du baptême de notre Seigneur Jésus-Christ et de la nouvelle Église qu'il établissait à l'ombre de ce grand sacrement, et que ce saint précurseur reçut ainsi le caractère de chrétien et une grande plénitude de grâces, quoique, ayant été justifié par le Rédempteur avant de naître, comme je l'ai marqué ailleurs, il n'eût pas besoin d'être purgé du péché originel. Et on ne doit pas conclure que le Seigneur lui ait refusé le baptême des paroles qu'il lui répondit : Laissez-moi faire pour cette heure, car nous devons accomplir toute justice; cela veut seulement dire qu'il le lui différa jusqu'à ce qu'il est été lui-même baptisé le premier, et qu'il eût accompli la justice cil la manière que j'ai expliquée; après quoi sa divine Majesté le baptisa, lui donna sa bénédiction et se retira dans le désert. 982. Revenons maintenant à mon sujet et aux (1) Matth., XXVIII, 19. 269 oeuvres de notre grande Reine. Aussitôt que son très-saint Fils fut baptisé, quoiqu'elle connût par la lumière divine les actions de sa Majesté, les saints anges qui assistaient cet adorable Seigneur ne laissèrent pas de l'informer de tout ce qui s'était passé au Jourdain; et ces anges furent de ceux qui portaient, comme je l'ai dit dans la première partie, les devises de la passion du Sauveur. La très-prudente Mère, voulant témoigner sa reconnaissance pour tous les mystères qui se trouvaient renfermés dans le baptême, qu'il avait reçu et ordonné, et pour le témoignage rendu à sa divinité, fit de nouveaux cantiques de louange au Très-Haut et au Verbe incarné, et elle imita notre divin Maître en tons ses actes d'humilité et en toutes ses prières. Elle intercéda avec une très-ardente charité pour les hommes, afin qu'ils profitassent du baptême, et que ce sacrement s'étendit par tout le monde. Après avoir fait ces prières et ces cantiques, elle convia les courtisans célestes à exalter avec elle son très-saint Fils, pour s'être humilié jusqu'à recevoir le baptême. Instruction que la Reine du ciel m'a donnée. 983. Ma fille, par les différentes lumières que je vous ai communiquées des rouvres que mon très saint fils a faites pour les hommes, aussi bien que de l'estime 270 et de la reconnaissance que j'en si témoignées, vous comprendrez combien ce fidèle retour auquel je vous exhorte est agréable au Très-Haut, et vous découvrirez les grands biens qu'une semblable correspondance renferme. Vous êtes, dans la maison du Seigneur, une pauvre pécheresse, une petite créature inconsistante comme la poussière; mais je veux néanmoins que vous vous chargiez dé rendre de continuelles actions de grâces au Verbe incarné pour l'amour qu'il a porté aux enfants d'Adam; pour a loi sainte, pure, efficace et parfaite qu'il leur a donnée pour leur remède, et spécialement pour l'institution du saint baptême, par l'efficace duquel ils sont délivrés de la tyrannie du démon et régénérés en enfants du Seigneur lui-même (1) par la grâce, qui les justifie et les aide à éviter le péché. Cette obligation est commune à tous, mais, comme les hommes semblent presque l'oublier, je vous la rappelle afin que vous tachiez, à mon imitation, d'être reconnaissante pour tous, comme si vous étiez la seule redevable, puisque vous l'êtes du moins pour d'autres faveurs singulières que vous avez reçues du Seigneur; car il vous a distinguée par ses libéralités au milieu de nombreuses générations : vous étiez présente à sa mémoire lors de l'établissement de sa loi évangélique et des sacrements, et l'objet de son amour quand il vous a appelée et choisie pour être fille de son Église, et pour vous y nourrir du fruit de son précieux sang. (1) Joan., III, 5. 271 984. Que si l'auteur de la grâce, mon très-saint Fils, pour fonder, comme un habile architecte, sa nouvelle Église et établir le sacrement du baptême comme la première base de cet édifice, s'humilia, pria et accomplit toute justice en reconnaissant l'infériorité de son humanité très-sainte; si, étant Dieu par la divinité, il ne dédaigna point de s'abaisser en tant qu'homme jusqu'au néant, dont son âme très-pure fut créée et l'être humain fut formé, combien ne devez-vous pas vous humilier, vous qui avez commis des péchés, et qui êtes plus méprisable que la poussière et que la cendre ! Avouez que de justice vous ne méritez que le châtiment, que le rebut et l'aversion de toutes les créatures, et qu'aucun des hommes qui ont offensé leur Créateur et leur Rédempteur ne peut dire avec vérité qu'on lui fait tort, quand même il souffrirait successivement toutes les peines et toutes les afflictions possibles. depuis le commencement jusqu'à la fin du monde; et puisque tous ont péché en Adam (1), avec quelle humilité ne doivent-ils pas souffrir, lorsque la main du Seigneur les touche par quelque tribulation (2) ! Et si vous enduriez toutes les peines des mortels avec une humble résignation; et qu'en outre vous exécutassiez parfaitement tout ce que je vous enseigne et vous ordonne, vous devriez toujours vous regarder comme une servante inutile (3). Or, combien vous faut-il vous humilier de tout votre coeur lorsque vous manquez à accomplir (1) I Cor., XV, 22. - (2) Job., XIX, 21. - (3) Luc., XVII, 10. 272 votre devoir, et que vous vous voyez si éloignée de rendre ce retour ! Que si je veux que vous le rendiez et pour vous et pour les autres, considérez bien votre obligation, et préparez votre coeur en vous humiliant jusqu'au néant, sans aucune résistance et sans même être satisfaite, jusqu'à ce que le Très-Haut vous reçoive pour sa fille et vous déclare pour telle en sa divine présence, et en sa jouissance éternelle dans la céleste et triomphante Jérusalem. CHAPITRE XXV. Notre Rédempteur, après avoir été baptisé, s'en va au désert, où il s'exerce à de grandes victoires et à toutes sortes de vertus contre les vices. - Sa très-sainte Mère en a connaissance et l'imite parfaitement en tout. 985. Par le témoignage que la vérité souveraine rendit près du Jourdain à la divinité de notre Sauveur Jésus-Christ, sa personne et la doctrine qu'il devait prêcher furent en une si haute réputation, qu'il pouvait dès lors commencer à l'enseigner et à se faire connaître par elle, par ses miracles, par ses oeuvres et par la sainteté de sa vie, qui devaient confirmer cette même doctrine, afin que tous reconnussent en lui le Fils naturel du Père éternel, le Messie Israël 273 et le Sauveur du monde. Néanmoins le divin Maître de la sainteté ne voulut point commencer à prêcher ni se manifester comme notre Restaurateur qu'il n'eût auparavant triomphé de nos ennemis, le monde, le diable et la chair, afin de triompher ensuite de leurs continuelles séductions, de nous donner par les oeuvres de ses héroïques vertus les premières leçons de la vie chrétienne et spirituelle, et de nous enseigner à combattre et à vaincre au moyen de ses victoires. En effet, c'est lui qui le premier a terrassé ces ennemis communs, et a tellement affaibli leurs forces que notre fragilité n'a point à les craindre, à moins que nous rte trous livrions nous-mêmes entre leurs mains, et que nous ne leur rendions volontairement leur puissance. Et quoique sa Majesté fût, comme Dieu, infiniment supérieure au démon, et qu'exempte, comme l'homme, de tout défaut et de tout péché (1), elle possédât une suprême sainteté et un pouvoir absolu sur toutes les créatures, elle voulut pourtant, comme homme saint et juste, vaincre les vices et celui qui en était l'auteur, en offrant son humanité très-sainte au combat de la tentation, et en dissimulant dans la lutte la supériorité qu'elle avait sur les ennemis invisibles. 986. C'est par la retraite que notre Seigneur Jésus-Christ vainquit et nous apprit à vaincre; car bien que le monde laisse ordinairement ceux dont il n'a pas besoin pour ses fins terrestres, et qu'il ne coure pas après ceux qui ne le cherchent point, néanmoins ceux (1) I Petr., II, 22. 274 qui le méprisent véritablement doivent en détourner leurs affections, et témoigner leur mépris par leurs oeuvres en s'en éloignant autant qu'il leur sera possible. Sa Majesté vainquit aussi la chair, et nous enseigna à la vaincre par la pénitence d'un si long jeûne, par lequel elle affligea son corps très-innocent, quoiqu'elle n'eût point de répugnance pour le bien, ni de passions qui la portassent au mal. Elle vainquit aussi le démon par la doctrine et par la vérité, comme je le dirai dans la suite, parce que toutes les tentations de ce père du mensonge se présentent d'ordinaire déguisées et revêtues de charmes trompeurs. Que si notre Rédempteur ne voulut point prêcher ni se faire connaître au monde avant que d'avoir remporté ces victoires, ce fut pour nous prémunir contre le danger auquel nous exposons notre fragilité lorsque nous recevons les honneurs du monde, fût-ce pour des faveurs que nous avons reçues du ciel, sans être morts à nos passions et sans avoir vaincu nos ennemis communs; car si les applaudissements des hommes nous trouvent immortifiés, ardents et avec des ennemis domestiques au dedans de nous- mêmes, les dons du Seigneur ne seront pas en une grande sûreté, puisque ce vent de la vaine gloire du monde renverse quelquefois les plus hautes colonnes. Ce qui nous importe le plus, c'est de savoir que nous portons le trésor de nos âmes dans des vases fragiles (1), et que, quand Dieu voudra glorifier la vertu de son nom en (1) II Cor., IV, 7. 275 notre faiblesse, il saura bien trouver le moyen de l'affermir et de faire éclater ses oeuvres. Pour nous, nous n'avons qu'à nous tenir sur nos gardes et à prendre de prudentes précautions. 987. Notre divin Sauveur étant parti du Jourdain après avoir pris congé de son saint Précurseur, poursuivit son chemin sans se reposer jusqu'à ce qu'il frit arrivé au désert. Il n'était assisté et accompagné que des anges, qui le servaient comme leur roi et l'honoraient par des cantiques de louange, pour les oeuvres qu'il faisait en faveur, de la nature humaine. Il arriva enfin au lieu qu'il avait volontairement choisi (1), et qui était situé entre quelques rochers arides où se trouvait une grotte fort retirée, en laquelle il s'arrêta, la destinant pour sa demeure pendant tout le temps de son saint jeûne. Il se prosterna le visage contre terre avec une très- profonde humilité, et c'était ce que sa Majesté et sa bienheureuse Mère faisaient toujours avant de commencer leurs prières. Il glorifia le Père éternel et lui rendit des actions de grâces pour les oeuvres de sa divine droite, et de ce qu'il avait daigné lui ménager, suivant son bon plaisir, dans cette solitude, un endroit si propre à sa retraite; il remercia aussi en quelque sorte le désert même, par l'acceptation qu'il en fit, de ce qu'il l'avait accueilli pour le cacher aux yeux du monde tout le temps qu'il serait convenable. Sa Majesté continua son oraison les bras étendus en croix, (1) Matth., IV, 1. 276 et ce fut la plus ordinaire occupation qu'elle eut dans le désert; elle sollicitait du Père éternel le salut du genre humain, et en priant ainsi, elle suait parfois du sang, pour la raison que je dirai lorsque je parlerai de la prière du jardin. 988. Plusieurs bêtes sauvages qui étaient dans ce désert vinrent, par un instinct admirable, reconnaître leur Créateur, qui sortait quelquefois de sa grotte, et elles le lui témoignèrent par certains cris qu'elles jetaient et certains mouvements qu'elles faisaient autour de son adorable personne; mais les oiseaux s'acquittèrent de ce devoir d'une manière plus particulière , car il en vint une grande multitude auprès du Seigneur, et ils le fêtaient à leur façon, faisant éclater leur joie par divers chants harmonieux, et exprimant leur reconnaissance de la faveur qu'il leur accordait en demeurant au milieu d'eux dans ces lieux arides , qu'il sanctifierait par sa divine présence. Le Seigneur commença son jeûne, et ne prit aucune nourriture pendant les quarante jours qu'il dura; il l'offrit au l'ère éternel en réparation des désordres que les hommes commettraient par leur gourmandise, qui est un vice très-bas, et qui ne laisse pourtant pas d'être commun et même hautement honoré dans le monde; et comme notre Seigneur Jésus-Christ vainquit ce vice, il vainquit aussi tous les autres et répara les injures que le suprême Législateur et Juge souverain des hommes en recevait. Les lumières qui m'ont été communiquées m'apprennent que notre Sauveur voulant faire l'office de Prédicateur, de Maître, de 277 Médiateur et de Rédempteur des hommes auprès du Père éternel, vainquit auparavant tous leurs vices et répara leurs péchés par la pratique des vertus si contraires au monde; et quoique ce fût l'occupation ordinaire de toute sa très-sainte vie, et l'exercice continuel de son ardente charité, néanmoins il appliqua spécialement à cette fin les oeuvres d'un prix infini qu'il ferait durant son jeûne dans le désert. 989. Comme un tendre Père dont les nombreux enfants ont tous commis de grands crimes, par lesquels ils méritent des punitions rigoureuses, offre tous les biens qu'il peut avoir afin de satisfaire pour eux, e t de les soustraire au châtiment qu'ils devaient subir; de même notre amoureux père et charitable frère Jésus-Christ pavait nos dettes, acquittait nos obligations, et plus spécialement il offrit pour notre orgueil sa très-profonde humilité, pour notre avarice sa pauvreté volontaire et le dénuement de tout ce qui lui appartenait, pour nos plaisirs criminels sa pénitente et ses austérités , pour nos colères et nos vengeances sa mansuétude et sa charité envers ses ennemis, pour notre paresse et notre lâcheté son active sollicitude, enfin pour nos faussetés et notre envie il offrit son admirable candeur, sa sincérité, sa véracité, la douceur de son amour et de sa conversation. C'est ainsi qu'il apaisait le juste Juge et sollicitait la grâce d'enfants que leur désobéissance avait exclus de la famille; et non-seulement il obtint leur pardon , mais il leur mérita de nouvelles faveurs, des dons et des secours extraordinaires, afin qu'ils pussent 278 se rendre dignes de jouir éternellement de la vue de son Père et de la sienne, en la participation et en l'héritage de sa gloire. Et quoiqu'il eût pu obtenir tout cela par la moindre de ses actions , il ne se contenta point de ce que nous eussions fait, mais au contraire son surabondant amour nous prodigua ses bienfaits à un point tel, que si nous n'y répondions pas, notre ingratitude et notre dureté seraient sans excuse. 990. Pour donner connaissance de tout ce que le Sauveur opérait à l'égard de sa bienheureuse Mère, il faudrait avoir la divine lumière et les révélations continuelles qu'elle avait; mais elle y ajoutait dans sa tendre sollicitude les fréquents messages qu'elle chargeait les saints anges de porter à son très-saint Fils. Ce même Seigneur le disposait de la sorte, afin que lui et sa Mère connussent réciproquement et d'une manière sensible, par l'intermédiaire de ces fidèles ambassadeurs, les sentiments qu'ils formaient dans leur coeur, car ces esprits célestes les rapportaient à Marie avec les mêmes paroles qui sortaient de la bouche de Jésus pour elle, et à Jésus avec celles qui sortaient de la bouche de Marie pour lui, quoique le Fils et la Mère eussent déjà pénétré leurs sentiments mutuels par une autre voie. Aussitôt que notre grande Dame sut que le Rédempteur du mondé avait pris le chemin du désert, et qu'elle eut été informée de ses intentions, elle ferma les portes de sa maison, de sorte que personne ne put s'apercevoir qu'elle s y trouvât, et tel fut le secret de cette retraite, que ses voisins crurent qu'elle s'était absentée comme son 279 très-saint Fils. Elle s'enferma dans son oratoire, où elle demeura quarante jours et quarante nuits sans en sortir et sans prendre aucune nourriture, voulant imiter ce qu'elle savait que son adorable Fils faisait; ainsi ils gardèrent tous deux la même rigueur de jeûne. Elle l'imita aussi en ses autres exercices, en ses prosternations, en ses prières, en ses génuflexions sans en omettre aucune, et ce qui est plus remarquable, c'est qu'elle pratiquait tout cela au même moment que le Seigneur, car pour être libre elle renonça à toutes-les occupations extérieures; et indépendamment des avis que les anges lui donnaient, elle savait ce que faisait son très-saint Fils, comme je l'ai marqué ailleurs, au moyen du privilège qui lui permettait de découvrir toutes les opérations de son âme; elle jouissait de ce privilège tant en son absence qu'en sa présence, et dans le premier cas elle connaissait par une vision intellectuelle ou par la révélation des anges les actions corporelles dont elle était témoin oculaire quand ils étaient réunis. 991. Pendant tout le temps qu'il passa dans le désert, notre Sauveur faisait par jour trois cents génuflexions et prosternations, et sa très-sainte Mère en faisait autant dans son oratoire, et elle employait ordinairement le temps qui lui restait à faire des cantiques avec les anges, comme je l'ai dit dans le chapitre précédent. Dans cette constante imitation de Jésus-Christ notre Seigneur, la divine Reine coopéra à toutes ses prières, à toutes ses impétrations; elle remporta les mêmes victoires sur tous les vices, et les 280 répara de son côté par la pratique et les fruits des vertus les plus héroïques; de sorte que si Jésus-Christ comme Rédempteur nous mérita tant de biens, et paya nos dettes avec une condignité si absolue, la très-pure Marie, comme sa coadjutrice et notre Mère, employa sa miséricordieuse intercession auprès de cet adorable Seigneur , et fut notre médiatrice autant qu'une simple créature pouvait l'être. Instruction que j'ai reçue de notre Dame la Reine du ciel. 992. Ma fille, les oeuvres pénibles du corps sont si propres et si conformes à la nature des mortels, que l'ignorance de cette vérité et de cette dette, l'oubli et le mépris de l'obligation qu'ils ont d'embrasser la croix , causent la perte d'un grand nombre d'à mes et en mettent beaucoup d'autres dans le même danger. La première raison pour laquelle les hommes doivent affliger et mortifier leur chair, c'est qu'ils tint été conçus dans le péché (1), et que par le péché toute la nature humaine a été corrompue; ses passions se sont révoltées contre la raison, elles ont été portées au mal et sont devenues hostiles à l'esprit, et quand on leur laisse suivre ce funeste penchant, elles entraînent (1) Ps. L, 6; Rom., VII, 13. 281 l'âme d'un vice dans un autre, et bientôt la précipitent dans un abîme de malheurs. Mais du moment où l'on dompte ce monstre, c'est-à-dire le péché, où on lui met le frein de la mortification et de la souffrance, il perd ses forces; la raison et la lumière de la vérité conservent leur empire. La seconde raison, c'est que parmi les mortels il n'y en a pas un seul qui n'ait offensé Dieu; que la peine doit indispensablement suivre le péché en cette vie ou en l'autre, et que l'âme et le corps ayant péché ensemble, doivent, suivant toutes les règles de la justice, être châtiés tous les deux; ainsi la douleur intérieure ne suffit pas, si par délicatesse on exempte le corps de la peine qui lui est due. En outre la dette des coupables est si énorme, la satisfaction qu'ils peuvent offrir est si bornée et si faible, sans qu'ils sachent jamais d'une manière certaine si elle est agréée par le souverain Juge, eussent-ils consacré leur vie entière à rendre cette satisfaction de plus en plus ample, qu'il y a bien lieu de travailler a l'augmenter jusqu'au dernier soupir. 993. Le Seigneur est si libéral et si clément envers les hommes, que s'ils veulent satisfaire pour leurs péchés par la pénitence, au moins le plus qu'ils peuvent, non- seulement sa divine Majesté se déclare satisfaite des offenses qu'elle en a reçues , mais elle a bien voulu encore s'obliger par sa parole à leur accorder de nouvelles grâces et des récompenses éternelles. Toutefois cette bonté ne dispense pas les serviteurs fidèles et prudents qui aiment véritablement leur Seigneur, de tâcher d'y ajouter d'autres oeuvres volontaires; car le 282 débiteur qui ne projette que de payer ses dettes et de ne faire que ce qu'il doit, ne s'en trouvera pas moins pauvre et dénué de ressources, si après qu'il s'est libéré il ne lui reste rien. Or que doivent attendre ceux qui ne paient ni ne songent à payer leurs dettes? La troisième raison, qui doit le plus obliger les âmes, c'est l'exemple que leur a laissé le divin Naître; puisque cet adorable Seigneur et moi, tout exempts que nous étions du péché et des passions, nous nous sommes néanmoins sacrifiés au travail, sans cesser un seul instant de notre vie d'affliger et de mortifier notre chair; car il fallait que le Seigneur lui-même entrât par cette voie dans la gloire de son corps et de son nom (1), et que je le suivisse en tout. Or, si nous avons agi de la sorte, parce qu'il était convenable que nous le fissions, quel sujet ont les hommes de chercher une autre voie, de mener une vie douce, agréable, molle et voluptueuse, et de fuir avec horreur les peines, les affronts, les ignominies, les jeûnes et les mortifications? Croient-ils que les souffrances ne soient que pour Jésus-Christ mon très-saint Fils et pour moi, et que les coupables, les débiteurs et ceux qui méritent les peines doivent demeurer sans rien faire, se livrer aux honteux désordres de la chair, et consacrer à la poursuite des plaisirs et au commerce du démon qui les procure, les facultés qu'ils out reçues pour les employer au service de Jésus-Christ mon Seigneur et pour suivre son exemple? Cette absurdité si commune (1) Luc., XXIV, 25. 283 parmi les enfants d'Adam provoque au plus haut point la colère du juste Juge. 994. Il est constant, ma fille, que les peines et les afflictions de mon très-saint Fils ont suppléé à l'insuffisance des mérites des hommes, et afin que je coopérasse avec lui, simple créature que j'étais, mais tenant la place de toutes les autres, il ordonna que je m'associasse par une imitation parfaite à ses peines et à ses exercices. Ce ne fut pas néanmoins pour exempter les hommes de la pénitence, mais plutôt pour les animer à l'embrasser, puisque, s'il n'eût cherché qu'à satisfaire pour eux, il n'était pas nécessaire qu'il souffrit tout ce qu'il a souffert. Il voulut aussi, dans son amour à la fois paternel et fraternel, communiquer le prix de ses mérites aux oeuvres et aux pénitences de ceux qui le suivraient; car toutes les actions des mortels ne peuvent avoir une certaine valeur aux yeux de Dieu que par leur participation, leur assimilation à celles que mon très-saint Fils a faites. Et si cela est vrai pour les oeuvres entièrement vertueuses et parfaites, que sera-ce de celles que pratiquent d'ordinaire les enfants d'Adam, et qui, quoique servant de matière aux différentes vertus, sont si défectueuses, puisque les âmes les plus justes et les plus avancées dans la spiritualité trouvent elles-mêmes beaucoup de choses à corriger en leurs oeuvres? Jésus-Christ mon Seigneur a par les siennes suppléé à tous ces manquements et rempli tous ces vides, afin de rendre celles des hommes acceptables au Père éternel; mais ceux qui, loin de faire quelques oeuvres, restent les bras 284 croisés dans une lâche oisiveté, ne sauraient s'appliquer celles de leur Rédempteur; puisqu'il ne trouve rien à suppléer ni à perfectionner en eux, mais mille choses à condamner. Je ne vous dis rien maintenant, ma fille, de l'erreur détestable de quelques fidèles qui ont introduit la vanité et (ostentation jusque dans les pratiques de pénitence, de sorte qu'ils méritent un plus grand châtiment par leur pénitence même que par leurs autres péchés, puisqu'ils joignent des fins terrestres, vaines et imparfaites aux oeuvres pénibles, oubliant les fins surnaturelles, qui sont celles qui donnent le mérite à la pénitence et la vie de la grâce à l'âme. Je vous parlerai de cela dans une autre occasion s'il est nécessaire; en attendant songez à déplorer cet aveuglement, et préparez-vous à travailler et à souffrir; car quand il vous faudrait endurer toutes les souffrances des apôtres, des martyrs et des confesseurs, vous ne devriez pas hésiter. Apprenez par cette instruction à châtier toujours votre corps, et à croire que vous n'aurez jamais assez fait, et qu'il vous restera toujours quelque chose à payer, d'autant plus que la vie est si courte et que vous êtes naturellement si insolvable. CHAPITRE XXVI. Notre Sauveur Jésus-Christ, à la fin de son jeûne, permet à Lucifer de le tenter. - Sa Majesté sort victorieuse de la tentation. - Sa très-sainte Mère est informée de tout ce qui se passe. 995. J'ai dit su chapitre vingtième de ce livre que Lucifer sortit des antres infernaux pour chercher notre divin Maître avec intention de le tenter, et que sa Majesté se déroba à ses regards jusqu'à ce qu'elle fût arrivée au désert, où, après un jeûne de près de quarante jours, elle permit au tentateur de s'en approcher, comme le rapporte l'Évangile (1). 1J entra dans le désert, et, ayant trouvé tout seul celui qu'il cherchait, il se félicita vivement de ne point voir à ses cotés sa très-sainte Mère, que ce prince des ténèbres et ses ministres appelaient leur ennemie, à cause des victoires quelle remportait sur eux; et comme ils n'avaient point encore lutté contre notre Sauveur, ils présumaient, dans leur orgueil, qu'en l'absence de la Mère ils triompheraient infailliblement du Fils. Toutefois, ayant observé de près leur adversaire, ils se sentirent tous saisis d'une grande crainte : non qu'ils (1) Matth., IV, 2. 286 le reconnussent pour Dieu véritable; l'aspect de sa bassesse suffisait pour détourner tous leurs soupçons à cet égard, et, s'ils avaient essayé leurs forces coutre notre divine Dame, ils ne s'étaient point encore mesurés avec lui; mais ils remarquèrent chez le Sauveur une si grande sérénité, un air si majestueux, des oeuvres si parfaites et si sublimes, qu'ils en prirent l'épouvanté : car ses actions et ses qualités n'avaient rien de commun avec celles des autres hommes, qu'ils tentaient et vainquaient sans peine. Lucifer s'entretenant sur ce sujet avec ses ministres, leur dit : " Quel homme est-ce que celui qui se montre si supérieur aux vices que nous faisons prévaloir chez les autres? S'il a un si grand mépris pour le monde, et s'il mortifie et dompte son corps avec tant de rigueur, comment pourrons-nous le tenter? Ou comment en serons-nous victorieux, s'il nous a ôté les armes avec lesquelles nous faisons la, guerre aux hommes? Je doute fort du succès de ce combat. " On peut voir par là combien la mortification de la chair et le mépris des choses terrestres sont importants, puisqu'ils causent de la terreur à tout l'enfer; et il est certain que les ennemis du genre humain rabattraient singulièrement de leur orgueil s'ils ne trouvaient les hommes soumis à l'empire tyrannique de leurs passions, lorsqu'ils s'en approchent pour les tenter. 996. Notre Sauveur Jésus-Christ laissa Lucifer dans l'erreur qui le lui faisait considérer comme un simple homme, quoique fort juste et fort saint, afin qu'il redoublât ses efforts et sa rage dans le combat, comme 287 quand il se sent quelques avantages sur ceux qu'il veut tenter. Le Dragon s'étant armé de toute sa présomption et ayant ramassé toutes ses forces, le désert vit commencer ce grand combat, si rude et si acharné, qu'on n'en a vu et qu'on n'en verra jamais un semblable dans le monde entre les hommes et les démons; car Lucifer et ses satellites, excités par leur propre fureur, épuisèrent toutes leurs ruses et déployèrent toute leur puissance contre la vertu supérieure qu'ils reconnaissaient en notre Seigneur Jésus-Christ, quoique sa Majesté suprême modérât ses actions avec une sagesse et avec une bonté incomparables, et cachât suivant une juste mesure la cause première de son pouvoir infini, n'empruntant qu'à sa sainteté en tant qu'homme les forces nécessaires pour remporter la victoire sur ses ennemis. Il s'avança en cette qualité au combat, et fit d'abord une prière au Père éternel en la partie supérieure de l'esprit, où ne porte point la vue des démons, s'adressant en ces termes à sa Majesté : " Mon Père, Dieu éternel, je vais combattre contre mon ennemi pour détruire ses forces et pour abattre son orgueil, qu'il élève contre vous et contre les âmes qui me sont si chères : je veux, pour votre gloire et pour leur propre bien, souffrir la témérité de Lucifer et lui briser la tête, afin que, quand les mortels en seront tentés, ils le trouvent vaincu d'avance, s'ils ne se livrent volontairement à lui. Je vous supplie, mon Père, de vous souvenir de mon combat et de ma victoire, quand les hommes seront attaqués par l'ennemi commun, et de les 288 secourir dans leur faiblesse, afin qu'ils obtiennent à leur tour le triomphe que je leur procure par le mien; qu'ils s'animent par mon exemple, et qu'ils apprennent la manière de résister à leurs ennemis et de les vaincre. " 997. Les saints anges assistaient à ce combat, témoins rendus invisibles à Lucifer par la volonté divine, pour que leur présence ne lui fit point soupçonner le pouvoir divin de notre Seigneur Jésus-Christ; et ils offraient tous ensemble des hymnes de gloire et de louange au Père et au Saint-Esprit, qui se complaisaient aux oeuvres admirables du Verbe incarné; et l'auguste Marie, dans son oratoire, contemplait aussi ce spectacle, comme je le dirai bientôt. La tentation commença le trente- cinquième jour du jeûne et de la solitude de notre Sauveur, et dura jusqu'à ce que les quarante jours que l'Évangile marque fussent accomplis. Lucifer se présenta sous une forme humaine ; comme si Jésus-Christ ne l'eût ni vu ni connu auparavant; et pour réussir en son dessein, il se transforma 'et prit les dehors resplendissants d'un ange de lumière, et, ne doutant pas que le Seigneur n'eût faim après un si long jeûne, il lui dit en le regardant : Si vous êtes le Fils de Dieu, ordonnez que ces pierres se changent en pain (1). Il supposa la qualité de Fils de Dieu, parce que la crainte qu'il pût l'être était ce qui causait son plus grand souci, et qu'il cherchait des indices propres à le lui faire reconnaître. Mais le Sauveur (1) Matth., IV, 3. 289 du monde ne lui répondit que par ces mots : L'homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu (1). Le Sauveur prit cette réponse du chapitre huitième du Deutéronome (2). Mais le démon n'en pénétra pas le sens; car cet esprit des ténèbres entendit que Dieu pouvait fans aucun aliment corporel entretenir la vie de l'homme. Cela était vrai, et les paroles de notre divin Maître avaient bien cette signification : toutefois elles renfermaient encore un autre sens plus relevé, et elles voulaient dire : Cet homme avec qui tu parles vit en la parole de Dieu; qui est le Verbe divin, auquel il est uni hypostatiquement; et quoique ce fût précisément ce que le démon désirait savoir, il ne mérita pas de le comprendre, parée qu'il avait d'avance refusé d'adorer le Dieu-Homme. 998. Lucifer fut confondu par la force de cette réponse et par, la vertu secrète qu'elle renfermait; mais-il ne voulut point témoigner de faiblesse ni quitter le combat. Et le Seigneur permit qu'il le continuât et qu'il le transportât lui-même à Jérusalem, et qu'il le mit sur le. pinacle du Temple, d'où l'on découvrait un grand nombre de personnes sans que cet adorable Seigneur fût aperçu d'aucune. Le démon chercha à flatter son imagination de la pensée que si on le voyait tomber de si haut sans recevoir aucun mal, on l'acclamerait comme un grand, prodigieux et saint personnage, et, recourant aussi à l'Écriture, il lui (1) Matth., IV, 4. -(2) Deut., VIII, 3. 290 dit : Si vous êtes le Fils de Dieu, jetez-vous en bas; car il est écrit que Dieu a commandé à ses anges de prendre soin de vous, et qu'ils vous porteront dans leurs mains, de peur que vous ne heurtiez le pied contre quelque pierre (1). Les esprits célestes escortaient leur Roi, et s'étonnaient de la permission qu'il donnait à Lucifer de le porter corporellement pour le seul profit qui en devait résulter aux hommes. Le prince des ténèbres fut suivi en cette occasion d'une multitude innombrable de démons; car ce jour-là ils sortirent presque tous de l'enfer pour assister à cette entreprise. L'Auteur de la sagesse répondit: Il est écrit aussi : Vous ne tenterez point le Seigneur votre Dieu (2). Notre aimable Rédempteur prononça ces paroles avec une douceur incomparable, avec la plus profonde humilité, et en même temps avec une noble fermeté et une majesté si accablante pour l'indomptable orgueil de Lucifer, que cet esprit rebelle fut tout troublé de ce calme inaltérable, et y trouva le motif de nouveaux tourments. 999. Il essaya d'un autre artifice pour attaquer le Seigneur de l'univers, et ne désespéra point d'exciter son ambition en lui promettant une partie de son domaine; à cet effet il le transporta sur une haute montagne, d'où l'on découvrait une immense étendue de pays, et il lui dit avec autant de témérité que de perfidie: Je vous donnerai tout ce que vous voyez, si vous (1) Matth., IV, 5 ; Ps., XCVI, 11. - (2) Matth., IV, 7 ; Deut., VI, 16. 291 vous prosternez devant moi pour m'adorer (1) Excessive arrogance, odieuse hypocrisie d'un stupide menteur ! qui lui faisaient promettre ce qu'il n'avait point, ce qu'il ne pouvait point donner, puisque les cieux, la terre, les royaumes et les trésors, tout appartient au Seigneur, qui distribue et ôte les empires et les richesses à qui il lui plait, et selon qu'il le juge convenable. Lucifer n'a jamais pu offrir aucun bien qui lui appartint, même parmi les biens terrestres, et c'est pour cela que toutes ses promesses sont fausses. Le souverain Roi répondit d'un ton impérieux à celle qu'il venait de lui faire : Retire-toi, Satan; car il est écrit : Vous adorerez le Seigneur votre Dieu, et vous ne servirez que lui seul (2). Par ces paroles, Retire-toi, Satan, que Jésus-Christ proféra, il ôta au démon la permission qu'il lui avait donnée de le tenter, et, se servant de son irrésistible empire, il le précipita avec tous ses ministres d'iniquité au fond des gouffres infernaux, où ils demeurèrent comme enchaînés l'espace de trois jours sans pouvoir remuer. Et quand il leur fut permis de se relever, ils se sentirent tellement affaiblis, tellement brisés, qu'ils commencèrent à soupçonner que celui qui les avait terrassés et vaincus était peut- être le Verbe incarné. Ils continuèrent ù être ballottés par des doutes contraires, sans parvenir h discerner la vérité, jusqu'à la mort du Sauveur. Mais Lucifer, désespéré de la mauvaise issue de son entreprise, se consumait de sa propre fureur. . (1) Matth., IV, 9. - (9) Ibid., 10; Deut., VI, 13. 292 1000. Notre divin vainqueur Jésus-Christ loua et glorifia le Père éternel de la victoire qu'il lui avait donnée sur l'ennemi commun du genre humain; et il fut replacé dans le désert par une grande multitude d'esprits célestes, qui célébraient son triomphe par de doux cantiques. Ils le portaient alors dans leurs mains, quoiqu'il n'en eût pas besoin, pouvant user de sa propre vertu; mais ce service des saints anges lui était dû, comme en réparation de la téméraire audace que Lucifer avait eue de transporter sur le pinacle du Temple et sur la montagne cette très- sainte humanité, en laquelle la Divinité se trouvait substantiellement. On n'aurait jamais pu croire que notre Seigneur Jésus-Christ eût donné une telle permission su démon, si l'Évangile ne l'eût dit. Mais que faut-il admirer le plus, ou de ce qu'il ait permis à Lucifer, qui ne le connaissait point, de le porter en ces divers endroits, ou de ce qu'il se soit laissé vendre par Judas, et laissé recevoir dans l'adorable sacrement de l'Eucharistie par ce disciple infidèle et par tant de pécheurs qui, le connaissant pour leur Dieu, le reçoivent si indignement? Assurément, l'un et l'autre doivent nous surprendre, d'autant plus qu'il le permet encore pour notre bien et pour nous attirer à lui par la bénignité et la patience de son amour. O mon divin Maître, que vous êtes doux, clément et miséricordieux envers les âmes (1) ! Votre amour vous a fait descendre du ciel sur la terre pour elles; vous avez souffert et avez (1) Joël., II, 13. 293 donné votre vie pour leur salut. Vous les attendez et les supportez avec miséricorde; vous les appelez, voua les cherchez, vous les accueillez, vous entrez dans leur sein avec une bonté ineffable; vous êtes tout à elles, et vous voulez qu'elles soient entièrement à vous. Ce qui me brise le coeur, c'est que, nous attirant par tant de liens amoureux, nous vous fuyions, c'est que nous répondions par des ingratitudes à de si grandes tendresses. O amour immense de mon doux Seigneur, que vous êtes méconnu et mal payé de retour! Donnez, Seigneur, des larmes à mes yeux pour pleurer un malheur si lamentable, et faites que tous les justes de la terre le pleurent avec moi. Notre aimable Sauveur ayant été remis dans le désert, l'Évangile dit que les anges le servaient (1). En effet, à la fin de ces tentations et de son jeûne, ils lui présentèrent à manger un aliment céleste qu'il prit; et, par cette divine nourriture, 'son corps sacré recouvra de nouvelles forces naturelles; et non- seulement les saints anges l'assistèrent et le félicitèrent de ses victoires, mais les oiseaux de ce désert vinrent aussi récréer leur Créateur incarné par la grâce de leur chant et de leur vol, et les bêtes sauvages, perdant toute leur férocité, s'empressèrent à leur tour de venir reconnaître leur Seigneur. 1001. Revenons à Nazareth, où la Reine des anges considérait de son oratoire les combats de son très-saint Fils, qu'elle voyait par la lumière divine, comme (1) Matth., IV, 11. 294 je l'ai expliqué; elle ne cessait d'ailleurs de recevoir les messages des anges de sa garde, qui allaient de sa part visiter le Sauveur du monde. La divine Dame fit les mêmes prières que son Fils au moment où la tentation commença, et elle combattit avec lui contre le Dragon, quoique d'une manière invisible et seulement en esprit; de sorte qu'elle vainquit Lucifer et ses ministres sans sortir de sa retraite, coopérant en notre faveur à toutes les actions de notre Seigneur Jésus-Christ. Quand elle sut que le démon transportait le Seigneur d'un lieu à un autre, elle pleura amèrement de ce que le Roi des rois et le Seigneur des seigneurs fût réduit par la malice du péché à lui laisser prendre une pareille liberté; et à chaque victoire que le Sauveur remportait sur le démon , elle offrit à lit Divinité et à la très-sainte humanité de nouveaux cantiques de louange que les anges répétaient pour exalter le Seigneur. Ce fut encore par l'entremise des ambassadeurs célestes qu'elle le félicita de ses triomphes et des bienfaits qui en résulteraient pour tout le genre humain, et que, de son côté, le Seigneur la consola et la félicita de ce qu'elle avait fait contre Lucifer en se conformant et en s'associant aux actes de sa divine Majesté. 1002. Compagne fidèle des peines et du jeûne, il était juste que notre auguste Princesse participât aux consolations; c'est pour cela que son très-amoureux Fils chargea les anges de lui porter et de lui servir des mêmes mets qu'ils lui avaient offerts. Et, chose merveilleuse! cette grande multitude d'oiseaux qui entouraient 295 le Seigneur suivit à tire-d'aile tes anges à Nazareth, quoique d'un vol moins rapide; elle entra dans la maison de la puissante Reine du ciel et de la terre, et, pendant qu'elle prenait la nourriture que son très-saint Fils lui avait envoyée par les anges, tous ces oiseaux se présentèrent à elle et la réjouirent par les mêmes ramages qu'ils avaient fait entendre en la présence du Sauveur. Elle mangea de cet aliment céleste, d'autant plus salutaire qu'il venait bénit des mains de Jésus-Christ, et elle se sentit à l'instant toute réconfortée et remise des effets d'un jeûne si long et si rigoureux. Elle rendit des actions de grâces au Tout-Puissant avec la plus profonde humilité; et les actes héroïques des vertus qu'elle pratiqua pendant le jeûne et les combats de Jésus-Christ furent si sublimes et si nombreux, qu'il n'est pas possible de les raconter ni même de les concevoir : nous les connaîtrons en Dieu quand nous le verrons, et alors nous lui rendrons honneur et gloire pour tant de grâces ineffables qu'il a daigné faire à tout le genre humain. Doute que j'exposai à la Reine du ciel. 1003. Reine et Maîtresse de l'univers, votre bonté incomparable m'enhardit à vous exposer, comme à la Mère de la Sagesse, un doute qui me vient à propos de ce que vous m'avez découvert en ce chapitre et en quelques autres, sur la qualité de cette nourriture 296 céleste que les saints anges offrirent à notre Sauveur dans le désert; je m'imagine que celle-ci n'était pas différente des autres, qu'ils servirent à sa Majesté et à vous en certaines occasions où, par une disposition spéciale du même Seigneur, vous manquiez de l'aliment commun des mortels, comme je l'ai rapporté, selon les lumières dont vous m'avez éclairée. J'ai appelé ce manger un aliment céleste, parce que je n'ai pas trouvé d'autres termes pour m'expliquer, et je ne sais s'ils sont propres , car j'ignore d'où venait cette nourriture et quelle en était la qualité; je ne crois pas d'ailleurs qu'il y en ait dans le ciel pour nourrir les corps, puisqu'ils n'auront besoin d'aucun aliment terrestre pour y vivre. Et quoique les organes physiques des bienheureux aient quelque objet délectable et sensible, et que le goût participe à cette satisfaction comme les autres sens, je suppose que cela doit se faire, non par le moyen d'aucune nourriture, mais par un certain rejaillissement de la gloire de l'âme, à laquelle le corps et les sens participeront d'une manière admirable , chacun selon ses fonctions et ses aptitudes naturelles, sans cette imperfection et sans cette sensibilité obtuse, qui dans la vie mortelle paralysent les organes, gênent leurs opérations et altèrent les impressions des objets. Pauvre ignorante que je suis, je désire viveement que votre bonté maternelle m'éclaircisse là-dessus. Réponse et instruction de notre auguste Maîtresse. 1004. Ma fille, votre doute est fondé, parce qu'il est certain que, comme vous l'avez déclaré, il n'y a aucun aliment matériel dans le ciel; mais cela n'empêche pas que la nourriture que les anges présentèrent à mon très-saint Fils et à moi dans la circonstance que vous avez indiquée, soit appelée fort à propos un aliment céleste, et je vous ai inspiré ce terme pour que vous l'employassiez, parce que la vertu de cet aliment venait du ciel et non point de la terre, où tout est grossier, matériel et fort inefficace. Et afin que vous en connaissiez la nature, et la manière dont la divine Providence le forme, vous devez savoir que quand le Très-Haut daignait dans sa bonté nous nourrir lui-même, et suppléer aux autres aliments ordinaires par celui qu'il nous envoyait miraculeusement par les saints anges, il se servait de quelque chose de matériel, et le plus souvent d'eau , à cause de la clarté et de la simplicité de cet élément, car pour ces sortes de miracles le Seigneur ne se sert point d'ingrédients. multiples. D'autres fois il nous envoyait du pain et quelques fruits; mais il donnait, par sa puissance divine, à la moindre de ces choses, une vertu toute particulière et une faveur si délicieuse , qu'elle surpassait infiniment tout ce que la terre offre de plus exquis et de plus délicat; on n'y saurait même rien trouver qui ne fût insipide en comparaison de cette 298 nourriture céleste; les exemples suivants vous en donneront une plus juste idée. Le premier c'est le pain cuit sous la cendre que le Seigneur procura à Élie, et qui avait une telle vertu, qu'il lui donna des forces pour marcher jusqu à la montagne d'Oreb (1). Le second c'est la manne, qui s'appelle le pain des anges (2), parce qu'ils la préparaient en coagulant la vapeur de la terre, et ainsi condensée, puis séparée en forme de grains, ils la répandaient sur le sol; elle avait différentes saveurs, ainsi que l'Écriture le rapporte, et en outre des qualités merveilleuses pour nourrir et fortifier le corps (3). Le troisième exemple c'est le miracle que fit aux noces de Cana mon très-saint Fils, changeant l'eau en vin, et donnant à ce vin un goût si excellent et si relevé, que tous ceux qui en burent le remarquèrent avec admiration (4). 1005. C'est ainsi que la puissance divine donnait une vertu et une saveur surnaturelles à l'eau, ou bien la changeait en une autre liqueur très-douce et trèsdélicate; elle communiquait la même vertu au pain et au fruit, et semblait jusqu'à un certain point les spiritualiser; cet aliment céleste nourrissait le corps, satisfaisait le sens, et réparait les force.% d'une manière admirable, de sorte que la faiblesse humaine sen trouvait toute fortifiée, toute allégée, et savait se porter aux rouvres pénibles avec une nouvelle promptitude, sans aucun dégoût ni aucune pesanteur (1) III Reg., XIX, 6. - (2) Ps. LXXVII, 29. - (3) Exod., XVI, 14 ; Num., XI, 7 ; Sap., XVI, 20 et 21. - (4) Joan., II, 10. 299 physique. Telles étaient les qualités que réunissait la nourriture que les anges nous servirent à mon très-saint Fils et à moi après notre long et pénible jeûne; aussi bien que celle que nous reçùmes en d'autres occasions avec mon époux Joseph (car il participait à cette faveur), et le Très-Haut a exercé la même libéralité envers plusieurs de ses amis et serviteurs; mais moins fréquemment et avec moins de circonstances miraculeuses qu'envers nous. Voilà, ma fille, la réponse à votre doute. Soyez maintenant attentive à l'instruction qui ressort de ce chapitre. 1006. Afin que vous pénétriez mieux ce que vous y avez écrit, je veux que vous considériez les trois motifs qu'a eus mon très-saint Fils, entre plusieurs autres, pour combattre contre Lucifer et ses ministres infernaux, car cette connaissance vous donnera une plus grande lumière et augmentera vos forces pour leur résister. Or le premier motif fut de détruire le péché et l'ivraie qu'en faisant tomber Adam, cet ennemi sema en la nature humaine par les sept péchés capitaux, l'orgueil, l'avarice, la luxure et les autres, qui sont les sept têtes de ce dragon. Et comme Lucifer destina à chacun de ces péchés un démon qui fût comme le chef de ses compagnons d'iniquité dans la guerre qu'ils feraient aux hommes, avec des armes propres à leur légion, qui les leur distribuât, qui en réglât l'emploi au moment de la tentation, et qui fit mettre par ces ennemis, dans les combats qu'ils livreraient aux mortels, cet ordre confus que vous avez signalé dans la première partie de cette histoire 300 divine; ainsi mon très-saint Fils combattit contre tous ces princes des ténèbres , les vainquit et brisa toutes leurs forces par le pouvoir de ses vertus. L'Évangile ne fait mention que de trois tentations, parce quelles furent les plus manifestes ; mais les combats et les victoires de mon adorable Fils s'étendirent plus loin. Car il vainquit tous ces démons aussi bien que tous les péchés dont ils étaient les chefs : l'orgueil par son humilité, la colère par sa douceur, l'avarice par le mépris des richesses, et de même tous les autres. Ces esprits rebelles se sentirent surtout abattus et découragés, lorsque au pied de la croix ils reconnurent avec certitude que Celui qui les avait -vaincus était le Verbe incarné. Dès lors ils appréhendèrent beaucoup (comme vous le direz dans la suite) d'attaquer les hommes, qui pourraient assurément remporter de grands avantages sur les ennemis de leur salut, s'ils profitaient des victoires de mon très-saint Fils. 1007. Le second motif de son combat fut d'obéir au Père éternel, qui lui ordonna non-seulement de mourir pour les hommes et de les racheter par sa passion et par sa mort, mais aussi de soutenir cette lutte contre les démons, et de les vaincre par la force spirituelle de ses vertus incomparables. Le troisième, qui est comme une conséquence des deux autres, fut de donner aux hommes l'exemple, et de leur enseigner le secret de triompher de leurs ennemis, afin qu'aucun mortel ne soit surpris d'en être tenté et persécuté, et que tous aient cette consolation dans leurs tentations, de voir que leur Rédempteur les a 301 essuyées le premier (1). Sans doute, les siennes furent sous certains rapports différentes, mais au fond elles furent les mêmes, et avec plus de violence et de malice du côté de Satan. Jésus-Christ, mon Seigneur, permit que Lucifer et ses partisans déployassent toute leur fureur et toutes leurs forces contre sa Majesté, . afin de les abattre par sa divine puissance et de les rendre plus faibles quand ils attaqueraient les hommes, et que ces mêmes hommes les vainquissent avec plus de facilité s'ils profitaient du bienfait de leur Rédempteur. 1008. Tous les mortels ont besoin de ces leçons s'ils veulent vaincre le démon; mais vous, ma fille, vous en avez plus besoin qu'une foule de générations entières, parce que ce dragon est fort irrité contre vous, et que vous êtes naturellement incapable de lui résister si vous ne vous prévalez de mes instructions et de l'exemple de mon très-saint Fils. Il faut avant tout vaincre le monde et la chair, celle-ci en la mortifiant avec une prudente rigueur, celui-là en le fuyant et en vous retirant dans le secret de votre intérieur; vous surmonterez ces deux ennemis si vous ne sortez point de cette sage retraite, si vous ne négligez point les faveurs et les lumières que vous y recevez, et, si vous n'aimez aucune chose visible qu'autant que la charité bien ordonnée vous le permettra. Je vous en renouvelle le souvenir et le commandement que je vous ai fait plusieurs fois, car le (1) Hebr., IV, 15. 302 Seigneur vous a donné un naturel qui ne se contente pas d'aimer médiocrement; et nous voulons que cette faculté d'aimer soit toute consacrée à notre amour, et afin de n'y trouver aucun obstacle, vous devez ne pas consentir au moindre mouvement de vos appétits, ni permettre à vos sens le moindre exercice, si ce n'est pour la gloire du Très-Haut et pour faire ou souffrir quelque chose en vue de son amour et du bien de votre prochain. Si vous m'obéissez en tout, je veillerai à ce que vous soyez fortifiée comme une citadelle, afin que vous combattiez généreusement pour le Seigneur (1) contre ce cruel dragon; et vous serez environnée de mille boucliers (2), à l'abri desquels vous pourrez repousser et poursuivre votre adversaire. Mais vous vous souviendrez de vous prévaloir toujours contre lui des paroles sacrées et de l'Écriture sainte, sans vous amuser à de longs raisonnements avec un ennemi si rusé, car de faibles créatures ne doivent point entamer de conférences ni entrer en pourparlers avec leur mortel ennemi, avec le maître des mensonges, puisque mon très-saint Fils, qui avait une puissance et une sagesse infinies, ne l'a pas fait, afin que les âmes apprissent par son exemple à user de circonspection vis-à-vis du démon. Armez-vous d'une foi vive, d'une ferme espérance, d'une charité ardente accompagnée d'une profonde humilité; ce sont ces vertus-là qui renversent le dragon ; loin d'oser leur tenir tête, il prend devant elles la fuite, (1) I Reg., XXIV, 28. - (1) Cant., IV, 4 parce qu'elles valent de puissantes armées pour abattre sa superbe arrogance. CHAPITRE XXVII. Notre Rédempteur Jésus-Christ sort du désert, s'en retourne auprès de saint Jean, et s'occupe dans la Judée à disposer le peuple jusqu'à la vocation des premiers disciples. - L'auguste Marie connaissait et imitait les oeuvres de son très-saint Fils. 1009. Notre Sauveur Jésus-Christ ayant atteint les fins sublimes et mystérieuses de son jeûne et de sa solitude dans le désert par les victoires qu'il remporta sur le démon et sur tous les vices, résolut d'en sortir pour continuer les oeuvres de la rédemption des hommes que son Père éternel lui avait recommandées. Mais avant d'exécuter son dessein, il se prosterna et glorifia son Père , lui rendant des actions de grâces pour tout ce qu'il avait opéré par l'humanité sainte pour la gloire de la Divinité et pour le bien du genre humain. Il fit ensuite une très-fervente prière pour ceux qui à son imitation se retireraient, soit pour toute leur vie, soit pour quelque temps, dans des lieux solitaires, pour suivre ses traces et s'appliquer à la contemplation et aux saints exercices loin du monde et de ses embarras. Le Très- 304 Haut lui promit de les favoriser, de leur dire au coeur des paroles de vie éternelle (1), et de les prévenir de grâces singulières et de douces bénédictions (2), s'ils se disposaient de leur côté à les recevoir et à y correspondre. Après cela, il demanda comme homme véritable, au Père éternel, la permission de sortir du désert, et assisté de saints anges il en sortit. 1010. Notre divin Maître prit le chemin du Jourdain, où son grand précurseur continuait de baptiser et de prêcher, afin qu'en le voyant le saint rendit un nouveau témoignage de sa divinité et de son ministère de Rédempteur. Le Seigneur eut aussi égard à l'affection du fils d'Élisabeth, qui souhaitait de jouir encore de sa présence et de ses entretiens. Car du moment où le saint précurseur avait vu pour la première fois le Sauveur, lors de son baptême, son coeur était resté tout enflammé et subjugué par cette secrète et divine force qui attirait toute chose au Christ; seulement elle excitait un plus vif amour dans les cours qui se trouvaient mieux disposés, comme l'était celui de saint Jean. Le Sauveur arriva en présence de Baptiste (ce fut la seconde fois qu'ils se virent), et à l'instant où le Seigneur sen approchait, les premières paroles que prononça le précurseur furent celles que rapporte l'évangéliste : Ecce Agnus Dei, ecce qui tollit peccata mundi : Voilà l'Agneau de Dieu, voilà celui qui ôte les péchés du monde (3). (1) Os., II, 14. - (2) Ps., XX, 6. - (3) Joan., I, 39. 305 Saint Jean rendit ce témoignage en montrant notre Seigneur Jésus-Christ, et s'adressant aux personnes qui étaient près de lui pour recevoir le baptême et pour ouïr sa prédication, il ajouta : C'est celui dont j'ai dit : Il vient un homme après moi qui a été élevé au-dessus de moi, parce qu'il était avant moi, et je ne le connaissais point; mais c'est afin qu'il fut connu que je suis venu baptiser dans l'eau (1). 1011. Le saint Précurseur dit ces paroles, parce qu'avant que notre Seigneur Jésus- Christ vint à lui pour recevoir le baptême il ne l'avait pas vu, et il n'avait pas encore eu non plus la révélation de son arrivée, telle qu'il l'eut alors, comme je l'ai marqué au chap. XXIVe de ce livre. Ensuite le saint ajouta qu'il avait vu le saint Esprit descendre sur le Sauveur pendant qu'il le baptisait (2), et qu'il avait rendu témoigna;e à la vérité en disant que le Christ était le Fils de Dieu. Car pendant que le Seigneur se trouvait au désert, les Juifs envoyèrent de Jérusalem quelques lévites au saint Précurseur, comme le raconte saint Jean (3), pour savoir de lui qui il était, et le reste, que cet évangéliste rapporte. Alors Baptiste répondit qu'il baptisait dans l'eau, trais qu'il y en avait au milieu d'eux un qu'ils ne connaissaient point (en effet, le Seigneur s'était mêlé à la foule sur les bords du Jourdain); que celui-là venait après lui, et qu'il n'était pas digne de délier les courroies de sa chaussure. De sorte que quand notre Sauveur sortant du désert alla (1) Joan., I, 30. - (2) Ibid.. 32. -- (3) Ibid., 19, etc. 306 voir une seconde fois son Précurseur, le saint l'appela Agneau de Dieu , et rendit le même témoignage qu'il avait rendu aux.pharisiens peu de temps auparavant; il dit en outre qu'il avait vu le Saint-Esprit sur sa tète, comme il lui avait été révélé qu'il le verrait. Saint Matthieu et saint Luc ajoutent (1) qu'on entendit la voix du Père, quoique saint Jean ne mentionne que l'apparition du Saint-.Esprit sous la forme d'une colombe; parce que le Précurseur n'en déclara pas davantage aux Juifs. 1012. Du fond de sa retraite, la Reine du ciel connut la fidélité qu'eut le Précurseur de confesser qu'il n'était point le Christ, et d'attester la divinité du Sauveur lui- même, par les témoignages que j'ai rapportés; et en reconnaissance elle pria le Seigneur de récompenser son très-fidèle serviteur. C'est ce que le Tout-Puissant fit avec munificence; car il l'éleva au-dessus de tous ceux qui sont nés de la femme; et comme Baptiste ne voulut point accepter le titre de Messie qu'on lui offrait, le Seigneur résolut de lui décerner l'honneur qu'il pouvait, sans âtre le Messie, recevoir entre les hommes. Dans cette entrevue de notre Rédempteur Jésus-Christ avec saint Jean, le glorieux Précurseur fut rempli de nouveaux dons du Saint- Esprit. Quelques-unes des personnes présentes qui lui avaient entendu dire : Ecce Agnus Dei, frappées de ses discours, lui demandèrent quel était celui dont il parlait. Alors le Sauveur, laissant Baptiste (1) Matth., III, 17 ; Luc., III, 22. 307 instruire, comme je l'ai dit, les auditeurs de la vérité, quitta ce lieu pour prendre le chemin de Jérusalem, après n'avoir passé que fort peu de temps avec son Précurseur. Il ne se rendit pourtant pas directement à la sainte cité; car il employa plusieurs jours à visiter auparavant divers villages, où il enseignait les hommes d'une manière secrète, les avertissait que le Messie était au monde, les faisait entrer par sa doctrine dans le chemin de la vie éternelle, et en envoyait la plupart recevoir le baptême de saint Jean, afin qu'ils se préparassent par la pénitence à profiter de la rédemption. 1013. Les évangélistes ne disent point où demeura notre Sauveur dans cette conjoncture, ni quelles oeuvres il fit, ni le temps qu'il y 'employa. Mais il m'a été déclaré que sa Majesté resta près de dix mois en Judée, sans retourner à Nazareth pour voir sa très-sainte Mère, et sans entrer en Galilée, jusqu'à ce qu'allant trouver son Précurseur dans une autre occasion, le même saint dit une seconde fois : Ecce Agnus Dei (1); et alors saint André et les premiers disciples ayant ouï dire ces paroles à Baptiste, suivirent le Seigneur, qui appela ensuite saint Philippe, comme le raconte l'évangéliste saint Jean (2). Le Sauveur employa ces dix mois à instruire les âmes et à les préparer par ses grâces, par sa doctrine et par des bienfaits admirables, afin qu'elles sortissent de ce mortel aveuglement dans, lequel elles étaient, et qu'ensuite lorsqu'il (1) Joan., I, 36. - (2) Ibid., 43. 308 commencerait à prêcher et à faire des miracles publics, elles fussent plus promptes à embrasser la foi au Rédempteur et à le suivre; comme il arriva à plusieurs de ceux qu'il avait instruits. Il est vrai qu'il ne s'entretint point pendant ce temps avec les pharisiens et les docteurs de la loi; parce qu'ils n'étaient pas fort disposés à croire que le Messie frit venu, eux qui ne voulurent pas même admettre cette vérité lorsqu'elle fut confirmée par la prédication, les miracles et les témoignages si éclatants de notre Seigneur Jésus-Christ (1). Mais cet adorable Sauveur parla pendant ces dix mois aux humbles et aux pauvres (2) , qui méritèrent ainsi d'être les premiers à recevoir les lumières de sa doctrine, et il fit en leur faveur d'insignes miséricordes dans le royaume de Judée, non-seulement par ses instructions particulières et ses grâces secrètes, mais aussi par quelques miracles cachés; de sorte qu'on le regardait déjà comme un grand prophète et un saint personnage. Par ce premier enseignement, il porta une foule de personnes à sortir du péché, et à chercher le royaume de Dieu qui commençait à s'approcher, et qui allait se manifester par la prédication évangélique et par la rédemption que le Seigneur voulait bientôt opérer dans le monde. 1014. Notre grande Reine était toujours à Nazareth, où elle connaissait toutes les oeuvres de son très-saint Fils, tant par la lumière divine, comme je (1) Matth., XI, 5. - (2) Luc., IV, 18 309 l'ai expliqué, que par les détails que lui donnaient les mille anges qui l'assistaient toujours sous une forme visible en l'absence du Rédempteur. Et pour l'imiter en tout avec la plénitude possible, elle sortit de sa retraite en même temps que cet adorable Seigneur quitta le désert, et comme sa divine Majesté, quoiqu'elle ne pût point augmenter sa charité, la témoigna néanmoins avec une plus vive ferveur après avoir vaincu le démon par le jeûne et par la pratique de toutes les vertus, de même l'auguste Vierge, enrichie des grâces nouvelles qu'elle avait acquises, et animée d'un zèle plus ardent que jamais, sortit pour imiter les oeuvres de son très- saint Fils en faveur des mortels, et pour recommencer son office de Précurseur. Notre céleste Maîtresse sortit de sa maison de Nazareth, et parcourut les villages circonvoisins, accompagnée de ses anges, et par la plénitude de sa sagesse et sa puissance de Reine de l'univers, elle y lit de grandes merveilles, nais toujours d'une manière secrète, imitant la conduite du Verbe incarné dans la Judée. Elle annonça la venue du Messie sans découvrir qui il était, et montra à beaucoup de personnes le chemin de la vie; elle les retirait du péché, elle chassait les démons, elle dissipait les ténèbres de l'erreur et de l'ignorance, et préparait les esprits à recevoir la rédemption et à croire en Celai qui en était l'auteur. Outre ces bienfaits qu'elle répandait sur les âmes, elle accordait souvent des grâces temporelles, guérissant les malades, consolant les affligés, visitant les pauvres. Et quoiqu'elle pratiquât plus fréquemment ces oeuvres 310 envers les femmes, elle en fit aussi plusieurs en faveur des hommes, qui. participaient surtout à ces secours et au bonheur d'être visités par la Reine des anges et de toutes les créatures, lorsqu'ils étaient pauvres et méprisés. 1015. Notre auguste Princesse continua ces charitables visites tout le temps que son très-saint Fils employa en Judée pour instruire le peuple, et elle l'imita constamment en toutes ses oeuvres, jusqu'à aller à pied comme sa divine Majesté; et si elle retournait quelquefois à Nazareth , elle reprenait bientôt ses pérégrinations. Pendant ces dix mois elle mangea fort peu, parce qu'elle se trouva si fortifiée par cet aliment céleste que son adorable Fils lui envoya du désert, comme je l'ai dit au chapitre précédent, qu'elle eut assez de forces non-seulement pour faire tous ses voyages à pied , mais encore pour pouvoir se passer bien souvent de la nourriture commune. La bienheureuse Dame eut aussi connaissance de ce que faisait saint Jean, qui prêchait et baptisait sur le bord du Jourdain, comme on l'a vu plus haut. Elle lui envoya en diverses occasions plusieurs de ses anges, pour le consoler et le récompenser en quelque sorte de la fidélité qu'il montrait à son Dieu. Au milieu de ces occupations, cette tendre Mère éprouvait de pénibles langueurs, que lui causait l'amour saint et naturel qu'elle portait à son très-saint Fils; elle ne cessait de l'appeler par ses soupirs et ses gémissements, et ils pénétraient d'une amoureuse compassion le cœur du divin Maître. Toutefois, avant qu'il retournât à 311 Nazareth pour lui procurer la consolation de sa présence, et qu'il commençât à opérer des merveilles et à prêcher en public, il arriva ce que je dirai dans le chapitre qui suit. Instruction que la Reine du ciel m'a donnée. 1016. Ma fille, je réduis pour vous la doctrine de ce chapitre à deux avis fort importants. Le premier, c'est que vous aimiez la solitude, et trichiez de la garder avec un soin particulier, afin que vous obteniez les bénédictions que mon très-saint Fils a méritées, et les promesses qu'il a faites à ceux qui l'imiteraient en ce point. Tâchez d'être toujours seule quand, par l'obéissance, vous ne serez pas obligée de converser avec les créatures; et si vous quittez alors votre retraite, portez-la avec vous dans le secret de votre cœur, de sorte que vos sens extérieurs et l'usage que vous en ferez ne soient pas capables de vous en priver. Vous ne devez faire que passer à travers les occupations sensibles, pour vous réfugier aussitôt et vous retrancher dans l'ermitage de votre intérieur; et, afin que vous y restiez seule, ne donnez aucune entrée aux images des créatures, qui bien souvent attachent plus fortement que les réalités mêmes, ou du moins embarrassent toujours le coeur et lui ôtent sa liberté. Ce serait une chose indigne que vous arrêtassiez le 312 vôtre au moindre objet passager; mon très-saint fils veut que vous le lui donniez tout entier, et c'est ce que j'exige aussi. Le second avis , c'est que vous ayez une grande estime de votre âme, pour la conserver en toute pureté. Et, quoique ce soit ma volonté que vous travailliez au salut de tous vos frères, je veux surtout que vous imitiez mon adorable Fils et votre Maîtresse en ce que nous avons fait en faveur des plus pauvres et des plus méprisés du monde. Ces petites gens demandent bien souvent le pain du conseil et de la doctrine, et elles ne trouvent personne qui le leur distribue (1), comme aux puissants et aux riches du monde, qui sont entourés de nombreux conseillers. Beaucoup de ces pauvres et de ces infortunés viennent à vous : accueillez-les avec la compassion qu'ils vous inspirent; prodiguez-leur les, consolations et les marques d'une tendre affection, afin qu'ils reçoivent avec leur sincérité naturelle la lumière et le conseil, sauf à agir différemment avec les autres, qui passent pour plus capables. Cherchez à gagner ces âmes qui, au milieu des misères temporelles, sont si précieuses devant Dieu; et, afin que celles-ci aussi bien que les autres ne perdent point le fruit de la rédemption, je veux que vous travailliez sans cesse à leur salut, fallût-il, pour y réussir, sacrifier votre propre vie. (1) Thren., IV, 4. CHAPITRE XXVIII. Note Rédempteur Jésus-Christ commence à appeler et à recevoir ses disciples en présence de son précurseur. - Il se met à prêcher publiquement. - Le Très-Haut ordonne à l'auguste Marie de suivre son très-saint Fils. 1017. Notre Sauveur ayant employé les dix mois qui suivirent son jeûne à visiter les villages de la Judée, opérant comme à l'ombre de grandes merveilles, résolut de se manifester au monde; non qu'il se frit auparavant caché pour parler de la vérité qu'il enseignait, mais parce qu'il ne s'était point encore annoncé comme le Messie et le Maître de la vie, et que le moment de se faire connaître approchait, selon qu'il avait été déterminé par la sagesse infinie. C'est pour cela que le divin Messie retourna vers son précurseur, afin que, par le témoignage qu'il lui appartenait, à raison de son office, de donner à la face du monde, la lumière commençât de luire dans les ténèbres (1). Le saint fut informé par une révélation divine de la venue du Sauveur, et que le temps était arrivé où il se ferait connaître pour le Rédempteur du monde et le véritable Fils du Père éternel. Déjà (1) Joan., I, 5. 314 prévenu par cette révélation, il vit le Sauveur qui venait vers lui, et soudain il s'écria, transporté d'une joie ineffable en présence de ses disciples : Ecce Agnus Dei (1) : Voilà l'Agneau de Dieu, le voilà. Ce témoignage rappelait et supposait non- seulement celui qu'il avait rendu autrefois à Jésus-Christ par les mêmes paroles, mais aussi la doctrine qu'il avait plus particulièrement enseignée à ses disciples les plus assidus, et ce fut comme s'il leur eût dit : Voilà l'Agneau de Dieu, dont je vous ai parlé, qui est venu pour racheter le monde et ouvrir le chemin du ciel. Ce fut la dernière fois que Baptiste vit notre Sauveur selon les voies naturelles, car il jouit encore de sa vue et de sa présence par un autre moyen à l'heure de sa mort, comme je le dirai en son lieu. 1018. Deux des premiers disciples qui se trouvaient avec saint Jean ouïrent ce qu'il venait de dire, et, touchés de son témoignage et de la grâce qu'ils reçurent intérieurement de notre Seigneur Jésus-Christ, ils le suivirent: et lui, se retournant amoureusement vers eux, leur, demanda ce qu'ils cherchaient (2). Et ils lui répondirent qu'ils souhaitaient savoir où il logeait; alors il leur permit de le suivre, et ils restèrent avec lui ce jour-là, comme le raconte l'évangéliste saint Jean (3), qui dit que l'un des deux disciples était saint André, frère de saint Pierre, sans indiquer le nom de l'autre. Mais, selon ce que j'ai appris, c'était l'évangéliste lui-même, qui ne voulut (1) Joan., I, 29 et 36 . - (2) Ibid., 38 . - (3) Ibid., 39. 315 point se désigner à cause de sa grande modestie. Ainsi ils furent, lui et saint André, les prémices de l'apostolat en cette première vocation : car les premiers ils suivirent le Sauveur, sur le seul témoignage extérieur de Baptiste, dont ils étaient disciples, sans aucune autre vocation sensible du Seigneur lui-même. Aussitôt saint André chercha son frère Simon, et lui dit comment il avait trouvé le Messie, qui s'appelait Christ (1), et il le mena à Jésus, qui, l'ayant considéré, lui dit : Vous êtes Simon, fils de Jona ; vous serez appelé Céphas, ce qui signifie Pierre. Tout cela eut lieu dans les confins de la Judée, et le Seigneur résolut d'entrer le jour suivant en Galilée; et ayant rencontré Philippe, il lui dit de le suivre. Ensuite Philippe appela Nathanaël, et lui raconta ce qui lui était arrivé, et comme ils avaient trouvé le Messie, qui était Jésus de Nazareth, et il le mena vers lui. Après les entretiens qui se passèrent avec Nathanaël, et que saint Jean rapporte à la fin du chapitre premier de son Évangile, ce digne Israélite eut la cinquième place, parmi les disciples de notre Seigneur Jésus-Christ. 1019. Notre Sauveur, accompagné de ces cinq disciples, qui étaient les premiers fondements de la nouvelle Église, entra dans la province de Galilée, prêchant et baptisant publiquement. Telle fut la première vocation de ces apôtres, qui ne se trouvèrent pas plutôt avec leur véritable Maître, qu'ils furent (1) Joan., I, 41, 316 éclairés d'une nouvelle lumière et enflammés d'un nouveau feu de l'amour divin, cet aimable Seigneur les ayant prévenus de ses plus douces bénédictions (1). Il n'est pas possible d'exprimer combien coûtèrent à notre divin Maître la vocation et l'éducation de ces premiers disciples, aussi bien que des autres sur lesquels il voulait fonder son Église. Il les chercha avec un zèle et une sollicitude extraordinaires, les encouragea par de puissants, fréquents et efficaces appels de sa grâce, éclaira leur intelligence des plus hautes lumières, et enrichit leur coeur des dons les plus précieux, les reçut avec une bonté admirable, les nourrit du très-doux lait de sa doctrine, les supporta avec une patience invincible, et les caressa comme le père lé plus tendre caresse de tout petits enfants bien-aimés. Nous sommes naturellement si lourds et si grossiers quand il s'agit de nous élever aux matières sublimes, spirituelles et délicates de la vie intérieure, dans lesquelles ils devaient être non-seulement des disciples parfaits, mais aussi des maîtres consommés du monde et de l'Église ! Quelle tâche n'était-ce pas que de les former et de les faire passer de leur condition terrestre à l'état céleste et divin auquel le Seigneur les appelait par sa doctrine et par son exemple! Sa Majesté a donné par sa conduite à leur égard une grande leçon de patience, de douceur et de charité aux prélats, aux princes et aux supérieurs, en leur montrant comment ils doivent gouverner (1) Ps. XX, 3. 317 les personnes qui leur sont soumises. L'assurance qu'elle nous a laissée, à nous autres pécheurs, de sa clémence paternelle, n'a pas été moindre; car si elle l'a porté à souffrir les défauts, les manquements, les inclinations et les passions naturelles des apôtres et des disciples, cette clémence ne s'est point épuisée en eux: au contraire, elle n'a répandu sur eux ses trésors avec une abondance si merveilleuse, que pour nous empêcher de perdre courage parmi les misères et les imperfections innombrables auxquelles nous expose sur la terre la fragilité de la nature. 1020. la Reine du ciel avait connaissance par les voies dont j'ai parlé ailleurs de toutes les merveilles que notre Sauveur opérait en la vocation des apôtres et des disciples et en sa prédication. Elle en rendait des actions de grâces au Père éternel au nom des premiers disciples; elle les reconnaissait et les adoptait intérieurement pour ses enfants spirituels, comme ils l'étaient- de notre Seigneur Jésus-Christ; et elle les offrait à sa divine Majesté avec de nouveaux cantiques de louange et avec une joie indicible. A l'occasion de la vocation des premiers disciples, elle eut une vision particulière en laquelle le TrèsHlaut lui manifesta derechef ce que sa sainte et éternelle volonté avait déterminé touchant l'économie de la rédemption des hommes et la manière dont elle devait commencer à s'accomplir par la prédication de son très-saint Fils; et là-dessus le Seigneur lui dit : " Ma Fille, ma Colombe, mon Élue entre mille, il faut que vous vous 318 associiez à mon Fils unique et au vôtre dans les peines qu'il doit souffrir en l'oeuvre de la rédemption du genre humain. Le temps de son épreuve approche, et voici venir le moment ou, apaisé par son sacrifice, j'ouvrirai les trésors de ma sagesse et de ma bonté pour enrichir les hommes. Je veux, par l'entremise de leur Restaurateur, les tirer de la servitude du péché et du démon, et combler de mes grâces et, de mes dons les coeurs de tous les mortels qui se disposeront à reconnaître mon Fils incarné, et à le suivre comme leur chef, et leur guide dans les voies que je leur ai tracées pour les faire par venir au bonheur éternel. Je veux enrichir les pauvres, abaisser les superbes, élever les humbles et éclairer ceux qui sont plongés dans les ténèbres de la mort (1). Je veux exalter mes amis et mes élus, et faire éclater la gloire de mon saint nom. Je veux ; ma chère Colombe, qu'en cet accomplissement de ma volonté éternelle, vous coopériez avec thon Fils bien-aimé, et que vous le suiviez et l'imitiez, car je serai avec vous en tout ce que vous ferez. 1021." Suprême Roi de l'univers (répondit la très pure Marie), de qui toutes les créatures reçoivent l'être et la conservation, quoique je ne sois que cendre et que poussière, je parlerai, si votre bonté me le permet, en votre divine présence (2). Agréez donc, ô Dieu éternel , le coeur de votre servante; elle vous l'offre tout prêt à exécuter ce qui sera de (1) Isa., IX, 2. - (2) Gen., XVIII, 27. 319 votre bon plaisir. Agréez, Seigneur, le sacrifice et l'holocauste que je vous fais , non-seulement du bout des lèvres, mais du plus intime de mon âme pour obéir à l'ordre de votre sagesse éternelle que vous intimez à votre servante. Me voici prosternée aux pieds de votre Majesté souveraine: que vôtre volonté s'accomplisse pleinement en moi. Mais s'il était possible, ô puissance infinie, que je mourusse avec votre Fils et le mien, ou que je souffrisse pour l'empêcher de mourir, ce serait le comble de tous mes désirs et la plénitude de ma joie; le glaive de votre justice devrait faire en moi la blessure, puisque j'ai été plus voisine du péché. Cet adorable Sauveur est impeccable par nature et par les dons de sa divinité. Je sais , ô très- juste Roi qu'ayant été offensé par le péché de l'homme:, votre équité exige que la satisfaction vous soit offerte par a une personne égale à votre Majesté. Toutes les simples créatures sont infiniment éloignées de cette dignité; mais, aussi il est vrai que la moindre des oeuvres de votre Fils incarné est plus que suif saute pour la rédemption du monde, et combien ce charitable Seigneur n'en a-t-il pas faites pour les hommes ! Si donc il est possible que je meure pour conserver sa vie , qui est d'un prix inestimable, j'y suis toute disposée. Et si votre décret est immuable, permettez au moins, s'il vous plan, Père souverain de toutes les créatures, que je vous sacrifie ma vie avec la sienne. Je me soumettrai en cela à tout ce que vous voudrez, comme je me 320 soumets à l'ordre que vous me donnez de suivre votre Fils et le mien dans ses afflictions et dans ses peines. Soutenez-moi de votre main puissante , afin que je réussisse à l'imiter, et à me conformer comme je le souhaite à votre bon plaisir. " 1022. Mes paroles ne sauraient exprimer davantage ce qui m'a été découvert des actes héroïques et admirables de notre grande Reine, quand elle reçut ce commandement du Très-Haut, ni mieux dépeindre l'ardeur incompréhensible avec laquelle elle désirait souffrir pour empocher la passion et la mort de son adorable Fils, ou mourir avec lui. Que si les vifs sentiments d'un saint amour, même lorsqu'il aspire à des choses impossibles, touchent tellement Dieu, qu'il s'en contente, qu'il s'y complait, pourvu qu'ils partent d'un coeur sincère et droit, et qu'il les récompense comme s'ils avaient abouti à des oeuvres, qui pourra pénétrer ce que mérita la Mère de la grâce et de la belle dilection par l'amour avec lequel elle fit ce sacrifice de sa vie? Les hommes ni les Anges ne sauraient comprendre un si haut mystère d'amour ; car les souffrances et la mort lui auraient été fort douces, et elle ressentit une douleur beaucoup plus grande de ne point mourir avec son Fils que de vivre en le voyant souffrir et mourir. Du reste j'aurai lieu d'en parler plus longuement. On peut découvrir par cette vérité la ressemblance qu'a la gloire de la très-pure Marie avec celle de Jésus-Christ, et celle que la grâce et la sainteté de cette noble Dame eurent avec leur exemplaire, puisque la 321 gloire, la grâce, la sainteté répondirent à cet amour, qui s'éleva au plus haut degré qu'on puisse imaginer en une simple créature. Notre auguste Reine sortit dans ces dispositions de la vision que je viens de rapporter; et le Très-Haut ordonna de nouveau aux Anges qui l'assistaient, de l'accompagner et de la servir en tout ce qu'elle devait faire; ils obéirent comme de très-fidèles ministres du Seigneur; et ils l'assistaient d'ordinaire sous une forme visible, l'accompagnant et la servant partout. Instruction que j'ai reçue de la très-sainte Vierge. 1023. Ma fille, toutes les oeuvres de mon très-saint Fils manifestent l'amour de Dieu pour les créatures, et prouvent combien il est différent de celui qu'elles ont entre elles; car comme elles sont si faibles et si intéressées, elles ne se décident ordinairement à aimer qu'excitées par l'espoir de quelque bien qu'elles supposent en ce qu'elles aiment; ainsi l'amour d'une créature naît du bien qu'elle trouve en l'objet qu'elle se propose d'aimer. Mais l'amour divin a son principe en lui-même, et il est assez puissant pour faire ce qu'il veut; c'est pourquoi il ne recherche point la créature parce qu'il la croit digne; au contraire, il l'aime pour la rendre digne en l'aimant. Il n'est donc point d'âme qui doive se méfier de la bonté de Dieu. 322 Toutefois la certitude de cette vérité ne doit pas non plus inspirer une confiance vaine et téméraire, et faire espérer à l'homme que l'amour divin opèrera en lui les eflets de la grâce , dont il se rend indigne : car le TrèsHaut observe en cet amour et en ses dons un ordre d'équité très-mystérieux : il aime toutes les créatures, et il veut que toutes soient sauvées (1); néanmoins en la distribution de ses dons et des effets de son amour, qu'il ne refuse à personne, il y a un certain poids du sanctuaire, avec lequel ils sont partagés. Et comme les mortels ne peuvent point pénétrer ce secret, ils doivent tâcher de ne pas perdre la première grâce et de répondre à leur première vocation; parce qu'ils ne savent pas si l'ingratitude qu'ils commettent en y manquant ne les privera point de la seconde; tout ce qu'ils peuvent savoir, c'est qu'elle ne leur sera point refusée s'ils ne s'en rendent pas indignes. Ces effets de l'amour divin commencent dans les âmes par une illustration intérieure, afin qu'à la faveur de cette lumière les hommes soient avertis et convaincus de leurs péchés, de leur mauvais état et du péril de la mort éternelle auquel ils s'exposent. Mais leur orgueil les rend si stupides et si pesants, que beaucoup ferment les yeux à la lumière (2) ; d'autres sont si languissants, qu'ils ne se meuvent qu'avec peine, et ne se résolvent jamais à répondre à leurs obligations, et c'est pour cela qu'ils ne profitent point de la première efficace de l'amour de Dieu, et qu'ils se mettent dans (1) I Tim., II, 4. - (2) Ps., IV, 3. 323 l'impossibilité d'en recevoir d'autres effets. Et comme ils ne peuvent ni éviter le mal ni faire le bien (1), ni même le connaître sans le secours de la grâce, il arrive qu'ils se précipitent d'un abîme dans plusieurs autres (2); parce que ne profitant point de la grâce qu'ils rejettent, et se rendant indignes de nouveaux secours, ils tombent inévitablement, par une pente de plus en plus rapide, dans les péchés les plus abominables. 1024. Soyez donc attentive, ma très-chère fille, aux lumières que l'amour du souverain Seigneur a produites en votre âme, puisque quand vous n'auriez reçu que celle qui vous découvre les mystères de ma vie, vous vous trouveriez dans de si grandes obligations, que si vous ne les remplissiez pas, vous seriez devant Dieu et devant moi, devant les anges et devant les hommes, plus répréhensible qu'aucun autre de vos semblables. Que la conduite des premiers disciples de mon très-saint Fils, et la promptitude avec laquelle ils l'ont suivi et imité vous servent d'exemple. Car si la Majesté suprême leur a fait une grâce très-particulière en les supportant et en se chargeant elle-même de leur éducation , ils y ont répondu de leur côté, et ont mis en pratique la doctrine de leur Maître ; et quoiqu'ils fussent naturellement fragiles, ils ne se mettaient point dans l'impossibilité de recevoir d'autres plus grands bienfaits de la divine droite, et ils étendaient leurs désirs au delà de leurs forces. (1) Joan., XV, 5. - (2) Ps. XLI, 8. 324 Pourquoi vous ai-je révélé aujourd'hui quelque chose de mes rouvres, sinon pour que vous m'imitiez dans ces élans, dans ces épanchements d'un amour aussi sincère qu'ingénieux, et dans ces désirs que j'eus de mourir pour mon très- saint Fils et avec lui, s'il m'eût été permis? Préparez votre coeur à se pénétrer de ce que dans la suite je vous apprendrai de la mort 'de l'adorable Rédempteur, et de l'histoire du reste de ma vie; par là vous pratiquerez ce qui sera le plus parfait et le plus saint. Je veux aussi, ma fille, vous communiquer un sujet de plainte que j'ai contre les mortels, et qui s'applique presque à tous, comme je vous l'ai témoigné ailleurs: c'est touchant le peu de soin qu'ils prennent de savoir ce que mon Fils et moi avons fait pour eux. On les voit se consoler en y croyant à peine (1), et les ingrats ne considèrent point le bien que leur procure chacune de nos rouvres, ni le retour qu'elles méritent. Ne me donnez point ce déplaisir, puisque je vous rends capable et vous fais part de tant d'augustes mystères, dans lesquels vous trouverez la lumière, la doctrine et la pratique de la perfection la plus sublime. Élevez-vous au-dessus de vous-même, soyez diligente à faire le bien, afin que vous receviez une augmentation de grâce, et qu'en y coopérant, vous amassiez chaque jour de nouveaux mérites et vous vous assuriez les récompenses éternelles. (1) Thren., III, 18. 325 CHAPITRE XXIX. Notre Sauveur Jésus-Christ retourne à Nazareth avec les cinq premiers disciples, et baptise sa très-sainte Mère. - Ce qui arriva dans cette circonstance. 1025. L'édifice mystique de l'Église militante, qui élève son faite jusqu'aux hauteurs les plus cachées de la Divinité elle-même, est fondé tout entier sur le roc inébranlable de la sainte foi catholique, base sur laquelle notre Rédempteur, comme un habile architecte, a voulu le construire. Mais il fallait d'abord bien asseoir et affermir les premières pierres fondamentales de l'édifice, c'est-à-dire les premiers disciples appelés par le Sauveur. C'est pourquoi il commença dès lors à les initier aux vérités et aux mystères qui regardaient sa divinité et son humanité. Et comme il se faisait connaître pour le véritable Messie et le Rédempteur du monde, descendu du sein du Père éternel afin de sauver les hommes en se revêtant de leur chair, il était en quelque façon nécessaire et convenable qu'il leur expliquât le mode de son incarnation dans le sein virginal de sa très-sainte Mère; il fallait aussi qu'ils la connussent et l'honorassent pour véritable mère et vierge. Il leur découvrit donc ce divin mystère avec 326 les autres qui concernaient l'anion hypostatique et la rédemption du genre humain : doctrine céleste et vivifiante, dont furent nourris ces nouveaux et premiers enfants du Sauveur. Elle leur fit comprendre les hautes excellences de notre grande Reine, quoiqu'ils ne l'eussent point encore vue, et leur apprit qu'elle était vierge avant, pendant et après l'enfantement. Notre Seigneur Jésus-Christ se plut d'ailleurs à leur inspirer un très-profond respect et un amour filial pour elle, de sorte qu'ils désiraient voir et connaître le plus tôt possible une créature si divine. Le Seigneur leur donnait ces idées et ces sentiments afin de satisfaire le grand zèle qu'il avait pour l'honneur (le sa Mère, et parce qu'il importait aux disciples eux- mêmes de s'en former la plus haute opinion , et de concevoir pour elle une pieuse vénération. Et quoiqu'ils fussent tous éclairés de ces divines lumières, saint Jean se signala pourtant le plus en cet amour respectueux; car à mesure due le divin Maître parlait de la dignité et de l'excellence de sa très-pure Mère, le saint redoublait l'estime qu'il avait pour sa sainteté, comme étant destiné et préparé à obtenir de plus rares privilèges au service de sa Reine, ainsi que son Évangile le prouve, et que je le dirai clans la suite. 1026. Les cinq premiers disciples prièrent le Seigneur de leur donner la consolation de voir sa Mère et de lui témoigner leurs respects; et, voulant satisfaire leurs désirs, il se dirigea vers Nazareth, après qu'il fut entré en Galilée, sans néanmoins discontinuer 327 de prêcher publiquement, en s'annonçant alors comme le Maître de la vérité et de la vie éternelle. Beaucoup de personnes se mirent à l'écouter et à l'accompagner, attirées par la force de sa doctrine, par la lumière et par la grâce qu'il répandait dans les coeurs dociles, quoiqu'il n'appelât personne à sa suite dans cette occasion, en sus des cinq disciples qu'il menait avec lui. Et c'est une chose digne de remarque que ceux-ci, ayant une si grande dévotion pour notre auguste Reine, et une connaissance si claire de la dignité qu'elle avait entre les créatures, cachèrent tous néanmoins les sentiments qui les animaient : et afin qu'ils ne publiassent point ce qu'ils en savaient, la Sagesse divine les rendit comme muets sur cette matière, et leur fit, pour ainsi parler, perdre le souvenir des sublimes mystères qui la regardaient; parce qu'il n'était pas convenable que ces vérités de la foi fussent vulgarisées dans le commencement de la prédication de Jésus-Christ. Le Soleil de justice ne faisait alors que de naître dans les aimes, et il fallait qu'il répandit ses lumières sur toutes les nations (1); et bien que la Lune mystique, sa très-sainte Mère, fût déjà dans la plénitude de tonte sainteté, il convenait qu'elle restât cachée, pour luire dans la nuit qu'amènerait sur l'Église l'absence de ce divin Soleil quand il monterait à son Père. Et c'est ce qui arriva; car notre grande Dame resplendit alors, comme je le dirai dans la troisième partie : jusque-là sa sainteté et sou (1) Malach., IV, 2. 327 excellence ne furent manifestées qu'aux apôtres, afin qu'ils la reconnussent et la consultassent comme la digne Mère du Rédempteur du monde et la Maîtresse de toutes les vertus. 1027. Notre Sauveur poursuivit son chemin vers Nazareth, instruisant ses nouveaux enfants et premiers disciples, non- seulement en ce qui regardait les mystères de la foi, mais en toutes les vertus, qu'il leur enseignait par sa doctrine et par son exemple, comme il continua pendant tout le temps de sa prédication évangélique. Dans ce dessein, il visitait les pauvres, consolait les affligés dans les hôpitaux et dans les prisons, et pratiquait envers tous des oeuvres admirables de miséricorde pour le corps et pour l'âme; sans pourtant se déclarer pour auteur d'aucun miracle jusqu'aux noces de Cana (comme je le dirai au chapitre suivant). Dans le même temps que le Seigneur faisait ce voyage, sa très-sainte Mère se préparait à le recevoir avec les disciples qu'il menait avec lui, car elle fut informée de tout; ainsi elle disposa le logement pour tous, arrangea sa pauvre maison, et se pourvut des vivres nécessaires, toujours également soigneuse, active et prévoyante. 1028. Le Sauveur du monde arriva à sa maison, où la bienheureuse Mère l'attendait à la porte, et, an moment où sa Majesté y entrait, elle se prosterna, l'adora et lui baisa les pieds et ensuite les mains, en lui demandant sa bénédiction. Puis elle glorifia dans les termes les plus sublimes la très-sainte Trinité et l'Humanité sainte, et cela en présence des nouveaux 329 disciples. Ce ne fut point sans un très-grand mystère, à la hauteur duquel s'éleva la prudence de notre auguste Reine : car, outre qu'elle rendait il son très-saint Fils le culte et l'adoration qui lui étaient dus comme Dieu et homme tout ensemble, elle lui rendait aussi le retour des magnifiques louanges qu'il lui avait données devant ses apôtres ou disciples. Et comme cet adorable Seigneur leur avait, le long de la route, parlé de la dignité de sa Mère et du respect avec lequel ils la devaient traiter, de même cette sage et fidèle Mère voulut, en présence de son Fils, enseigner à ses disciples la vénération qu'ils devaient avoir pour leur divin Maître, qui était aussi leur Dieu et leur Rédempteur. Et c'est ce qu'elle fit; car les marques de sa très- profonde humilité, et le culte avec lequel elle reçut Jésus-Christ comme Sauveur, causèrent aux disciples une nouvelle admiration, une plus grande dévotion et une crainte respectueuse pour leur adorable Maître. De sorte qu'elle leur servit dans la suite de modèle de religion; commençant même dès lors à être leur Maîtresse et leur Mère spirituelle en la matière la plus importante, puisqu'elle leur enseignait comment ils devaient se comporter dans le commerce familier avec leur Dieu et leur Rédempteur. Cet exemple redoubla la dévotion des nouveaux disciples envers leur Reine, et se mettant à genoux devant elle ils la prièrent de vouloir bien les recevoir pour ses enfants et pour ses serviteurs. Mais saint Jean fut le premier qui fit cette consécration, de sorte qu'il commença à se distinguer entre tous les apôtres est la 330 dévotion de la très-pure Marie, et cette auguste Princesse le traita avec une charité particulière; parce qu'il était doux et humble, et surtout à cause du don de virginité qu'il avait en un degré éminent. 1029. Notre grande Dame, toujours prévoyante en toutes choses, logea tous ses saints hôtes, et leur servit à manger avec un soin maternel, et avec une modestie et une majesté vraiment royales; car sa sagesse incomparable savait tout concilier avec une perfection que les anges eux-mêmes ne se lassaient point d'admirer. Elle servait son très-saint Fils à genoux, et en s'acquittant de ce pieux office elle témoignait encore sa vénération par des considérations sublimes qu'elle adressait aux apôtres, sur les grandes excellences de leur Maître et Rédempteur, pour les instruire en la doctrine véritablement chrétienne. Cette même nuit, après que les nouveaux hôtes se furent retirés dans leur appartement, le Sauveur se rendit, selon sa coutume, à l'oratoire de sa très-pùre blère. Aussitôt la très-humble entre les humbles se prosterna à ses pieds, comme elle l'avait fait auparavant en pareil cas, et quoiqu'elle n'eût jamais commis aucune faute dont elle dût s'accuser, elle pria sa Majesté de lui pardonner celles qu'elle croyait lui être échappées à son service, et le peu de retour dont elle avait payé ses bienfaits immenses; car dans sa profonde humilité, elle s'imaginait que tout ce qu'elle faisait était très-peu de chose, et fort au-dessous de ce quelle devait à son amour infini, et aux dons qu'elle en avait reçus, et c'est pourquoi elle se regardait comme une créature 331 aussi inutile que la poussière. Le Seigneur la releva, et lui dit des paroles de vie éternelle , mais avec beaucoup de majesté; parce qu'alors il la traitait avec un plus grand sérieux, pour donner lieu aux souffrances, ainsi que je l'ai fait remarquer quand il la quitta pour aller recevoir le baptême et se retirer dans le désert. 1030. Elle pria aussi son très-saint Fils de lui donner le sacrement du baptème, qu'il avait institué, et qu'il lui avait déjà promis, comme je l'ai dit plus haut. Pour le célébrer avec la solennité digne d'un tel Fils et d'une telle Mère, une multitude innombrable d'anges descendirent du ciel par la volonté divine sous une forme visible. Et en leur présentce Jésus-Christ baptisa sa très-pure Mère. Alors on entendit une voix du Père éternel qui dit : " Voici ma Fille bien-aimée, en qui je trouve mes complaisances. Le Verbe incarné ajouta : Voici ma Mère, que je me suis choisie, et que j'aime tendrement; elle m'accompagnera en toutes mes oeuvres. Une autre voix , celle du Saint-Esprit, dit : Voici mon Épouse et mon Élue entre mille. Marie ressentit en même temps des effets si divins, et son âme reçut tant de faveurs et tant de lumières, qu'il n'est pas possible de l'exprimer; car elle fut plus élevée en la grâce, la beauté de son âme très-sainte eut un nouvel éclat, toutes ses excellences furent rehaussées, et le divin caractère dont ce sacrement marque les enfants de Jésus-Christ en son Eglise, brilla en elle de toute sa céleste splendeur. Indépendamment des autres avantages que le sacrement communique par lui- même et quelle recueillit, 332 à l'exception de la rémission du péché quelle ne contracta jamais, elle mérita de très-hauts degrés de grâce, par l'humilité avec laquelle elle reçut le sacrement qui fut établi pour la purification des âmes; de sorte qu'il lui arriva à peu près, relativement au mérite, ce que j'ai dit ailleurs de son très-saint Fils, quoiqu'elle ait seule reçu l'augmentation de grâce, dont Jésus-Christ n'était point susceptible. Elle fit ensuite un cantique de louanges avec les saints anges pour le baptême qu'elle avait reçu, et, prosternée devant son adorable Fils, elle lui en rendit de très- humbles actions de grâces. Instruction que la Reine du ciel m'a donnée. 1031. Ma fille, je vois la sainte jalousie et l'émulation que vous inspire l'inestimable bonheur des disciples de mon très-saint Fils, et particulièrement de saint Jean mon serviteur et mon favori. Il est sûr que je l'aimai d'une manière spéciale, parce qu'il était pur, candide et simple comme une colombe; c'est aussi pour cela et pour l'amour filial qu'il me portait, qu'il était fort agréable aux yeux du Seigneur. Je veux que cet exemple vous anime à faire ce que je désire que vous fassiez pour le mène Seigneur et pour moi. Vous savez, ma fille, que je suis une Mère indulgente, et que j'adopte avec une tendresse mater 333 tous ceux qui souhaitent avec ferveur devenir mes enfants et les serviteurs de mon Seigneur; je les recevrai toujours à bras ouverts, et je serai leur avocate et plaiderai leur cause avec toute la chaleur de la charité, que sa divine Majesté m'a communiquée. Vous, qui êtes la plus inutile, la plus pauvre et la plus faible des créatures, vous me fournirez un motif plus grand de manifester davantage ma munificence et mon affection ; c'est pourquoi je vous appelle et vous convie à être ma fille chérie, et je veux que vous vous distinguiez dans la sainte Église par votre dévotion envers moi. 1032. Vous aurez ce bonheur, je vous le promets à une condition que j'exige de vous, c'est que si vous êtes véritablement animée d'une sainte émulation à la pensée de l'amour que j'eus pour mon fils Jean, et du retour qu'il m'en donna, vous l'imitiez avec toute la perfection possible; voilà ce que vous devez me promettre à votre tour, en accomplissant sans faute ce que je vous ordonne. Je veux donc que vous travailliez jusqu'à ce que vous ayez anéanti en vous l'amour-propre, et tous les effets du premier péché, aussi bien que les inclinations terrestres qu'engendre la concupiscence, et que vous ayez recouvré cette simplicité de la colombe, qui exclut toute sorte de malice et de duplicité. Vous devez être un ange en toutes vos opérations, puisque la bonté du Très-Haut a été si libérale à votre égard, qu'elle vous a communiqué dés lumières plus propres à la condition d'un esprit angélique qu'à celle d'une créature humaine C'est 334 moi qui vous procure ces grandes faveurs, ainsi il est juste que vos oeuvres répondent à vos Connaissances, et que vous preniez un soin continuel de me plaire et de me servir, étant toujours attentive à mes conseils, et ne me perdant jamais de vue, pour savoir ce que je vous ordonne, et pour l'exécuter aussitôt. Par ce moyen vous deviendrez véritablement ma très-chère fille, et je serai votre protectrice et votre plus tendre Mère. 18/30 LIVRE SIXIÈME. OU L'ON VOIT CE QUI SE PASSA AUX NOCES DE CANA EN GALILÉE. -COMMENT LA TRÈS-PURE MARIE ACCOMPAGNA LE RÉDEMPTEUR DU MONDE PRÊCHANT SON ÉVANGILE. - L'HUMILITÉ QUE CETTE AUGUSTE REINE TÉMOIGNAIT DANS LES MIBACLES QU'OPÉRAIT SON TRÈS-SAINT FILS. - LA TRANSFIGURATION DE CET ADORABLE SEIGNEUR. - SON ENTRÉE DANS JÉRUSALEM. - SA PASSION ET SA MORT. - LA VICTOIRE QU'IL REMPORTA EN LA CROIX SUR LUCIFER ET SUR SES MINISTRES. - SA GLORIEUSE RÉSURRECTION ET SON ADMIRABLE. ASCENSION. CHAPITRE I. Notre Sauveur Jésus-Christ commence à se faire connaître par le premier miracle qu'il fit aux noces de Cana à la prière de sa très-sainte Mère. Instruction que me donna la puissante Reine du ciel. CHAPITRE II. La très-pure Marie accompagne notre Sauveur dans ses prédications. - Elle y déploie un grand zèle et s'occupe avec un soin particulier des femmes qui suivent le seigneur. - Elle agit en tout avec une sublime perfection. Instruction que j'ai reçue de l'auguste Marie, Reine du ciel. CHAPITRE III. De l'humilité de la très-pure Marie dans les miracles que notre Sauveur Jésus-Christ faisait; et de celle qu'elle enseigna aux apôtres à pratiquer dans ceux qu'ils devaient opérer par la vertu divine, et de plusieurs autres choses remarquables. Instruction que la Reine du ciel m'a donnée. CHAPITRE IV. Lucifer se trouble des miracles, de notre Seigneur Jésus-Christ, de ses ouvres, et de celles de saint Jean-Baptiste. - Hérode fait mettre le Précurseur en prison. Il lui fait trancher la tête. -Particularités qui accompagnent la mort du saint. Instruction que notre auguste Maîtresse m'a donnée. CHAPITRE V. Les faveurs que les apôtres reçurent de notre Rédempteur Jésus- Christ, à cause de la dévotion qu'ils avaient à sa très-sainte Mère. - Judas se perdit pour ne l'avoir pas eue. Instruction que la Reine du ciel m'a donnée. CHAPITRE VI. Notre Seigneur Jésus-Christ se transfigure sur le Thabor devant sa très-sainte Mère. - Il se dirige avec elle de la Galilée vers Jérusalem, pour se rapprocher du lieu de la passion. - Ce qui arriva à Béthanie lorsque la Madeleine répandit des parfums sur le Sauveur. Instruction que notre auguste Maîtresse m'a donnée. CHAPITRE VII. Du mystère caché qui précéda le triomphe de Jésus-Christ dans Jérusalem. - De l'entrée qu'il y fit, et comment il y fut reçu des habitants. Instruction que j'ai reçue de notre grande Reine. LIVRE SIXIÈME. OU L'ON VOIT CE QUI SE PASSA AUX NOCES DE CANA EN GALILÉE. -COMMENT LA TRÈS-PURE MARIE ACCOMPAGNA LE RÉDEMPTEUR DU MONDE PRÊCHANT SON ÉVANGILE. - L'HUMILITÉ QUE CETTE AUGUSTE REINE TÉMOIGNAIT DANS LES MIBACLES QU'OPÉRAIT SON TRÈS-SAINT FILS. - LA TRANSFIGURATION DE CET ADORABLE SEIGNEUR. - SON ENTRÉE DANS JÉRUSALEM. - SA PASSION ET SA MORT. - LA VICTOIRE QU'IL REMPORTA EN LA CROIX SUR LUCIFER ET SUR SES MINISTRES. - SA GLORIEUSE RÉSURRECTION ET SON ADMIRABLE. ASCENSION. CHAPITRE I. Notre Sauveur Jésus-Christ commence à se faire connaître par le premier miracle qu'il fit aux noces de Cana à la prière de sa très-sainte Mère. 1033. L'évangéliste saint Jean, qui raconte à la fin du chapitre premier la vocation de Nathanaël (ce fut le cinquième disciple de Jésus-Christ), commence le second chapitre de l'histoire évangélique en ces termes : Le troisième jour ou célébrait des noces à Cana en Galilée, et la Mère de Jésus y était. Jésus fut 336 aussi invité à ces noces avec ses disciples (1). D'où l'on peut inférer que cette grande Dame était à Cana avant que son très-saint Fils fût invité aux noces qu'on y faisait. Pour concilier ceci avec ce que j'ai dit dans le chapitre précédent, et pour savoir quel jour fut celui-ci, je fis par ordre de mes supérieurs quelques questions, auxquelles il me fut répondu que, nonobstant les différentes opinion a des interprètes, l'histoire de notre Reine s'accorde avec celle de l'Évangile, et que la chose arriva en cette manière : Notre Seigneur Jésus-Christ, entré en Galilée avec ses cinq apôtres ou disciples, alla droit à Nazareth , prêchant et instruisant le peuple. Mais il fit le voyage en plusieurs jours, sinon en une semaine, au moins en plus de trois jours. Étant arrivé à Nazareth, il baptisa sa bienheureuse Mère, comme je l'ai rapporté; ensuite il alla prêcher accompagné de ses disciples dans quelques villages voisins. Sur ces entrefaites, notre auguste Princesse se rendit à Cana, comme conviée aux noces dont l'évangéliste fait mention, car ceux qui les faisaient étaient ses parents au, quatrième degré du côté de sainte Anne. De sorte, que cette grande Dame se trouvant à Cana, les nouveaux mariés apprirent la venue du Sauveur du monde, et qu'il commençait à avoir des disciples; et par le conseil de sa très-sainte Mère et l'inspiration du Seigneur lui-même, qui disposait secrètement les choses pour ses hautes fins, il fut invité aux noces avec ses disciples. (1) Joan., II 337 1034. Ce troisième jour, auquel l'évangéliste dit que ces noces eurent lieu, fut le troisième de la semaine des Hébreux; et quoiqu'il ne s'exprime pas clairement, il ne dit pas que ce fut le troisième jour après la vocation des disciples ou après l'entrée du Seigneur en Galilée s'il l'eût entendu de la sorte, il l'aurait dit. Mais il était naturellement impossible que ces noces arrivassent le troisième jour après la vocation des disciples ou après qu'ils furent entrés avec leur divin Maître dans la Galilée, car Cana est situé aux frontières de là tribu de Zabulon, du côté de la Phénicie, au nord par rapport à la Judée, dans la partie où se trouvait la tribu d'Aser, et ce pays est assez éloigné des confins de la Judée et de la Galilée, par où le Sauveur du genre humain entra. Que si les noces eussent été célébrées le troisième jour, il n'aurait eu que deux journées pour aller de la Judée à Cana, et cependant il en faut trois; en outre, le Seigneur devait se trouver dans les environs de Cana avant qu'on pût l'inviter, et tout cela demandait plus de temps. D'ailleurs, il fallait passer par Nazareth pour se rendre de la Judée à Cana en Galilée, car Cana est plus éloigné vers la mer Méditerranée et proche de la tribu d'Aser, comme je viens de le dire; et il est sûr que le Sauveur du monde avait dessein de visiter auparavant sa très-sainte Mère, qui, n'ignorant pas sa venue, l'attendait dans sa maison sans en sortir, parce qu'elle savait qu'il devait bientôt y arriver. Que si l'Évangéliste n'a pas fait mention de cette venue ni du baptême da la sainte Vierge, on ne doit 338 pas en conclure que cela ne soit arrivé; mais c'est parce que lui et les autres évangélistes n'ont rapporté que ce qui regardait leur sujet. C'est aussi pour cette raison que le même saint Jean déclare qu'on a passé sous silence plusieurs miracles que notre divin Maître a opérés (1), parce qu'il n'était pas nécessaire de les écrire tous. Ces explications font comprendre l'Évangile, en même temps que l'Évangile confirme cette histoire par le texte que j'ai cité. 1035. La Reine de l'univers étant à Cana, son très-saint Fils fut invité aux noces avec les disciples qu'il avait, et sa divine bonté, qui disposait toutes choses, accepta l'invitation. Il se rendit donc aussitôt chez ses parents pour sanctifier et autoriser le mariage, et pour commencer à confirmer sa doctrine parle miracle qu'il y fit et dont il se déclara l'auteur; car, voulant se faire reconnaître pour Maître, qui avait déjà des disciples, il fallait qu'il les confirmât dans leur vocation, et qu'il autorisât sa doctrine afin qu'ils la reçussent. C'est pour cette raison que sa divine Majesté ayant fait secrètement d'autres merveilles, ne sen déclara pas l'auteur en public comme dans cette rencontre , et c'est pour cela aussi que l'Évangéliste dit que Jésus fit à Cana en Galilée le premier de ses miracles (2). Ce même Seigneur dit aussi pour ce sujet à sa très-sainte Mère, que son heure n'était pas encore venue (3). Cette merveille arriva le même jour que fut accomplie l'aimée qui suivit le baptême (1) Joan., XX, 30. - (2) Joan., II, 11 . - (3) Ibid.. 4. 339 de notre Sauveur Jésus-Christ; et ce jour correspondait à celui de l'adoration des rois, comme le tient la sainte Église romaine, qui célèbre ces trois mystères en un même jour, qui est le 6 janvier. Notre Seigneur Jésus-Christ avait alors trente ans révolus, et avait passé de sa trente-unième année les treize jours qui se comptent depuis sa très-sainte Nativité jusqu'à l'Épiphanie. 1036. Le Maître de la vie entra dans la maison où l'on célébrait les noces, et saluant ceux qui y étaient réunis, leur dit : " La paix et la lumière du Seigneur soient avec vous, " comme véritablement elles y étaient, puisque sa divine Majesté s'y trouvait. Il fit ensuite une exhortation de vie éternelle au nouveau marié, lui enseignant ce qu'il devait faire dans son état pour se sanctifier. La Reine du ciel exerça le même acte de charité envers la nouvelle épouse, qu'elle instruisit de ses obligations par de très-doux et efficaces avis. De sorte qu'ils vécurent tous deux avec beaucoup de sainteté dans l'état qu'ils avaient heureusement embrassé en présence du Roi et de la Reine de l'univers. Je ne dois point m'arrêter à prouver que ce nouveau marié n'était pas saint Jean l'évangéliste. Il suffit qu'on sache qu'il suivait déjà le Sauveur au nombre de ses disciples, comme je l'ai dit au chapitre précédent. Car dans cette circonstance le Seigneur ne prétendit point dissoudre le mariage, il vint à Cana pour l'autoriser et pour en faire un sacrement; ainsi on ne doit pas croire qu'il eût voulu le rompre aussitôt; d'ailleurs l'évangéliste n'eut 340 jamais intention de se marier. Mais bien loin de dissoudre cette union,. notre Sauveur ayant instruit les nouveaux mariés, pria instamment le Père éternel de bénir d'une manière spéciale, sous la loi de grâce, la propagation de la race humaine, de donner dès lors au mariage la vertu de sanctifier ceux qui le recevraient dans la sainte Église, et de l'élever au rang de ses sacrements. 1037. La bienheureuse Vierge connaissait les desseins et la prière de son très-saint Fils, et elle s'y associait par le même concours qu'elle donnait aux autres oeuvres qu'il opérait en faveur du genre humain; et comme elle se chargeait du retour que les hommes ne rendaient point pour ces bienfaits, elle fit un cantique de louanges au Seigneur, assistée des saints anges qu'elle avait invités à lui témoigner cette reconnaissance avec elle. Toutefois cet exercice fut secret et découvert seulement de notre Sauveur, qui prenait ses complaisances dans les oeuvres de sa très-pure Mère, comme elle prenait les siennes dans celles de son adorable Fils. Au surplus, ils conversaient avec ceux qui se trouvaient aux noces; mais c'était avec une sagesse admirable et avec des paroles dignes de telles personnes, qui ne parlaient que pour éclairer les coeurs de tous ceux qui les entouraient. La très-prudente Dame parlait fort peu, et ce n'était que lorsqu'on l'interrogeait, ou quand elle y était obligée par honnêteté; car elle appliquait toute son attention aux discours et aux actions du Seigneur, pour les conserver et les repasser dans son très-chaste 341 coeur. De sorte que les actions, les paroles et toutes les manières de cette grande Reine furent pendant toute sa vie un rare exemple de prudence et de modestie, non-seulement pour les religieuses, mais aussi pour les femmes du siècle, surtout dans cette circonstance. Si elles se le représentaient lorsqu'elles se trouvent en de semblables rencontres, elles apprendraient à. se taire, à régler leur intérieur et leur extérieur, et à éviter toute sorte de légèreté et de dissolution, car plus le péril est grand, plus la circonspection est nécessaire; et il. est sûr que le silence, la retenue et la pudeur sont toujours les plus beaux et les plus riches ornements des femmes ; ce sont les seules qui ferment la porte à une foule de vices, et qui forment le couronnement des vertus de la femme chaste et honnête. 1038. Étant à table, le Seigneur et sa très-sainte Mère mangèrent de ce qu'on y servit, mais avec une très-grande sobriété , que ne remarquèrent pourtant point les convives. Et quoiqu'ils n'usassent point de tant de mets lorsqu'ils étaient seuls, ainsi que je l'ai marqué, les Maîtres de la perfection, qui ne voulaient point condamner la vie commune des hommes, mais la perfectionner par leurs exemples, s'accommodaient à tous avec modération et sans aucune singularité extérieure, en tout ce qui n'était point incompatible avec la perfection. Et ce que le Seigneur avait pratiqué dans sa conduite, il l'enseigna par sa doctrine à ses apôtres et à ses disciples, leur ordonnant de manger, quand ils iraient prêcher, de ce qu'on leur 342 présenterait (1), et de ne point se rendre singuliers comme imparfaits et peu savants dans le chemin de la vertu, attendu que ceux qui sont véritablement pauvres et humbles ne doivent point choisir leur nourriture. Or, le vin étant venu à manquer au repas par une disposition de la Providence, pour donner occasion au miracle que le Sauveur y fit ; la charitable Reine lui dit: Seigneur, ils n'ont point de vin. Sa Majesté lui répondit : Femme, qu'y a-t-il de commun entre vous et moi? Mon heure n'est pas encore venue (2). Cette réponse de 'Jésus-Christ ne fut pas une réprimande, mais un mystère, car la très-prudente Mère ne demanda pas fortuitement le miracle, puisqu'elle savait par la lumière d'en haut qu'il était temps que la puissance divine de son très-saint Fils se manifestât; elle ne pouvait pas l'ignorer, car elle avait une connaissance claire des oeuvres de la rédemption, de l'ordre que notre Sauveur y devait garder, des moments et des circonstances où il les devait faire. Il faut aussi remarquer que le Verbe divin prononça ces paroles, non d'un ton de reproche, mais avec beaucoup de calme, de douceur et de dignité. Que s'il n'appela point la sainte vierge mère, mais femme, c'est parce que depuis quelque temps il ne la traitait plus avec la même tendresse extérieure, comme' je l'ai dit ailleurs (n° 960). 1039. Le but mystérieux de la réponse de notre Seigneur Jésus-Christ fut de confirmer les disciples (1) Luc., X, 8. - (2) Joan., II, 3 et 4. 343 en la foi à sa divinité, et de commencer à la manifester à tous en se montrant Dieu véritable et indépendant de sa Mère quant à l'être divin et à la puissance de faire des miracles. C'est pour cette raison que, ne l'appelant point mère, il lui dit : Femme, qu'y a-t-il ici de commun entre vous et moi? Ce fut comme s'il lui eût dit : Je n'ai pas reçu de vous le pouvoir de faire des miracles, bien que vous m'ayez donné la nature humaine en laquelle je dois les opérer; car il ne dépend que de ma divinité de les faire, et comme Dieu mon heure n'est pas encore venue. Il fit aussi connaître par cette réponse que la détermination de toutes ses merveilles n'appartenait point à sa sainte Mère, et dépendait uniquement de la volonté de Dieu, bien que pourtant elle fût trop prudente pour en demander la réalisation en temps inopportun. Enfin, le Seigneur voulut faire comprendre qu'il y avait en lui une autre volonté que la volonté humaine, et que celle-là était divine, supérieure à celle de sa Mère, qu'elle ne lui était point subordonnée, mais que la volonté de cette même Mère dépendait de celle qu'il avait comme Dieu. Pour l'éclaircissement de cette vérité, notre adorable Sauveur répandit en même temps dans l'intérieur de ses disciples une nouvelle lumière, par laquelle ils connurent l'union hypostatique en sa personne des deux natures qu'il avait reçues, la nature humaine, de sa Mère, et la nature divine, de son Père, par la génération éternelle. 1040. Notre auguste Princesse pénétra tout ce mystère, et dit avec une douce dignité aux serviteurs : 344 Faites ce que mon Fils vous dira (1). En ces paroles (outre la connaissance de la volonté de Jésus-Christ, qu'elles supposent chez la très-prudente mère), elle s'exprima comme Maîtresse de tout le genre humain, enseignant aux mortels que pour remédier à toutes leurs nécessités, à toutes leurs misères, il est à la fois nécessaire et suffisant qu'ils fassent de leur côté tout ce que le Seigneur commande, et ce que prescrivent ceux qui tiennent sa place. Une telle doctrine ne pouvait sortir que de la bouche d'une pareille Mère et avocate, qui, désireuse de notre bien et connaissant la cause qui empêche la puissance divine de faire beaucoup de grandes merveilles, voulut nous proposer et nous enseigner le remède propre à nous guérir de tous nos maux , en nous disposant à l'accomplissement de la volonté du Très-Haut,, d'où dépend tout notre bonheur. Le Rédempteur du monde ordonna à ceux qui servaient à table de remplir d'eau les urnes (2) en usage chez les Hébreux en de semblables occasions. Et, après qu'ils les eurent toutes remplies, le même Seigneur leur dit de puiser de ce qui était dedans et d'en porter à l'intendant (3), qui occupait la place la plus honorable, et qui était un des prêtres de la loi. Et lorsque l'intendant eut goûté de ce vin miraculeux, il ne put s'empêcher d'appeler l'époux et de lui témoigner son étonnement. " Il n'y a point d'homme, lui dit-il, qui ne serve d'abord aux conviés le meilleur vin qu'il ait, et le moindre agrès qu'on a beaucoup (1) Joan., II, 5. - (2) Ibid., 7. - (8) Ibid., 8. 345 bu; mais au contraire, vous avez gardé votre meilleur vin pour la fin du repas (1): 1041. Quand l'intendant goûta le vin, il ne savait point le miracle, parce qu'il était au plus haut de la table, et notre divin Maître Jésus-Christ occupait les dernières places avec sa très-sainte Mère et les disciples, enseignant par son exemple ce qu'il devait enseigner après par sa doctrine, savoir, de choisir la dernière place quand on serait invité à quelque festin (2). Bientôt la merveille que notre Sauveur avait faite de changer l'eau en vin fut publiée; sa gloire se répandit, et ses disciples crurent en lui , comme dit l'évangéliste (3), parce qu'ils. furent confirmés davantage en la foi. Parmi les témoins du prodige, il y en eut encore beaucoup d'autres qui crurent qu'il était le véritable Messie, et qui le suivirent jusqu'à la ville de Capharnaüm, où l'évangéliste rapporte qu'il se rendit avec sa Mère et ses disciples en quittent Cana (4); ce fut là, dit saint Matthieu, qu'il commença à prêcher et à se faire connaître pour le Maitré des hommes. En disant que le Seigneur a manifesté sa gloire par ce miracle, saint Jean, loin de nier qu'il en eût fait auparavant d'autres d'une manière secrète, le suppose au contraire, et fait entendre que Jésus-Christ en cette circonstance manifesta sa gloire, qu'il n'avait point encore fait éclater par d'autres prodiges, parce qu'il ne voulut pas en être reconnu comme l'auteur avant (1) Joan., II, 10. - (2) Luc., XIV, 8 et 10. - (3) Joan., II, 11. - (4) Matth., IV, 18. 346 le moment opportun, déterminé par la sagesse divine. Il est certain qu'il en opéra un grand nombre d'admirables en Égypte, tels que la chute des temples et des idoles, dont j'ai fait mention ailleurs. L'auguste Vierge, su milieu de toutes ces merveilles, pratiquait, pour louer le Très-Haut, des actes de vertu sublime, et lui rendait des actions de grâces de ce que la gloire de son saint nom se répandait. Elle se préoccupait des besoins des nouveaux fidèles, et s'employait au service de son très-saint Fils, prévoyant toutes choses avec une sagesse incomparable et une vigilante charité. C'est cette charité qui excitait la ferveur avec laquelle elle priait le Père éternel de disposer les hommes à recevoir les paroles et la lumière du Verbe incarné, et de dissiper les ténèbres de leur ignorance. Instruction que me donna la puissante Reine du ciel. 1042. Ma fille, les enfants de l'Église ne sauraient se disculper du peu de soin que la plupart prennent de publier la gloire de Dieu, et de faire connaître son saint nom à toutes les nations. Cette négligence est plus criminelle depuis que le Verbe s'est incarné dans mon sein, et depuis qu'il a instruit et racheté le monde précisément dans ce but. C'est aussi dans ce but qu'il a établi la sainte Église et qu'il fa enrichie de trésors spirituels, de ministres et d'autres biens temporels. 347 Or, tout cela ne doit pas seulement servir à conserver cette même Église et les enfants qu'elle a, mais encore à l'agrandir, à gagner d'autres nouveaux enfants à la régénération de la foi catholique. Tous sont appelés à concourir à ce grand oeuvre, afin que le fruit de la mort de leur Restaurateur s'étende de plus en plus. Les nais peuvent le faire par des prières et par de fervents désirs de propager la gloire du saint nom de Dieu; les autres par des aumônes; ceux-ci par les diligences de leur zèle et leurs exhortations; ceux-là par leur travail et leurs peines. Mais si les pauvres et les ignorants ne laissent pas que d'être coupables de cette négligence, les riches et les puissants sont bien plus répréhensibles, surtout les ministres et les prélats de l'Église, que cette obligation regarde de plus près, et dont un si grand nombre, sans songer au compte terrible qu'ils auront à rendre, changent en une vaine gloire personnelle la gloire qui revient à Jésus-Christ. Ils emploient le patrimoine du sang du Rédempteur en des choses qui sont indignes d'être nommées; ils répondront de la perte d'une infinité d'âmes qu'ils pourraient, au prix de quelques efforts, faire entrer dans la sainte Église; ou du moins ils auraient, eux, le mérite d'avoir accompli leur devoir, et le Seigneur la gloire de posséder dans son Église des ministres fidèles. Le même compte sera exigé des princes et des puissants du monde, qui ont reçu de la main libérale de Dieu les honneurs et les biens temporels pour les employer à la gloire de sa divine Majesté, et cependant ne pensent à rien moins qu'à cette obligation. 348 1043. Je veux que vous déploriez tous ces malheurs, que vous travailliez autant qu'il vous sera possible à propager la connaissance et la gloire du Très-Haut parmi toutes les nations, et que des pierres vous le priez de susciter des enfants d'Abraham (1); car rien n'est au-dessus de sa puissance. Et afin que les Amen se soumettent au joug léger de l'Évangile (2), prier-le aussi d'envoyer à son Église des ministres capables; car la moisson est grande, elle est abondante, et il y a, peu d'ouvriers fidèles et zélés pour la récolter (3). Que la sollicitude et l'affection maternelles avec lesquelles je travaillais avec mon Fils et mon Seigneur pour lui gagner les âmes et les maintenir dans sa doctrine, vous servent de modèle. Entretenez toujours au fond de votre coeur le feu de cette ardente charité. Je veux aussi que le silence et la modestie que, comme vous l'avez vu, je gardai aux noces, soient pour vous et pour vos religieuses une règle inviolable qui vous apprenne à mesurer vos actions et vos paroles, et à conserver partout une grande retenue, surtout quand vous, vous trouverez en présence des hommes; car ces vertus sont les ornements qui embellissent les épouses de Jésus-Christ et qui les lui rendent agréables. (1) )Matth., III, s. - (2) Matth., XI, 30. - (3) Luc., X, 2. 349 CHAPITRE II. La très-pure Marie accompagne notre Sauveur dans ses prédications. - Elle y déploie un grand zèle et s'occupe avec un soin particulier des femmes qui suivent le seigneur. - Elle agit en tout avec une sublime perfection. 1044. Je ne m'écarterais pas du sujet de cette histoire, si j'entreprenais d'y rapporter les miracles et les actions héroïques de notre Rédempteur Jésus-Christ, attendu que sa très-sainte Mère a concouru et participé à presque tout ce qu'il a fait. Mais je ne puis assumer une tache si ardue, si au-dessus des forces et de la capacité humaines : car l'évangéliste saint Jean, après avoir écrit un si grand nombre de merveilles de son divin Maître; dit à la fin de son Évangile (1) que Jésus en a opéré tant d'autres, que si elles étaient rapportées en détail, le monde ne pourrait pas obtenir les livres où elles seraient écrites. Ce qui a paru si impossible à l'évangéliste, comment une fille ignorante et plus inutile que la poussière oserait-elle le tenter? Les quatre évangélistes ont écrit même au delà de ce qui était convenable, nécessaire (1) Joan., XXI, 25. 350 et suffisant pour établir et conserver l'Église : ainsi il serait superflu de le redire dans cette histoire. Toutefois, pour en enchaîner les différentes parties, et pour ne point passer sous silence tant d'oeuvres admirables de notre grande Reine que les évangélistes n'ont pas racontées, il faudra bien en toucher quelques-unes; car je sens qu'il me sera à la fois bien doux et bien utile pour mon avancement d'en fixer le souvenir par écrit. Quant au reste de ce qu'ils n'ont pas marqué dans leurs évangiles, et que je n'ai pas ordre de rapporter, ce sont des choses réservées pour le. séjour de la gloire, où les bienheureux les connaîtront en Dieu avec une joie singulière, et où ils loueront éternellement le Seigneur pour de si hautes merveilles. 1045. Notre Rédempteur Jésus-Christ étant parti de Cana de Galilée, prit le chemin de Capharnaüm, ville près de la mer de Tibériade assez grande et assez peuplée, où il demeura peu de jours, comme le dit l'évangéliste saint Jean (1); parce que, la Pâque étant proche, il résolut d'aller à Jérusalem pour y célébrer cette fête, le quatorzième jour de la lune de mars. Sa très-sainte Mère, ayant quitté sa maison de Nazareth, le suivit dès lors partout où il allait prêcher, ci même jusqu'à la croix; excepté en certaines occasions dans lesquelles elle s'en séparait, comme quand le Seigneur se rendit sur le mont Thabor (2), ou allait opérer des conversions particulières, telles que celle de la Samaritaine, ou bien quand notre (1) Joan., II, 12. - (2) Matth., XVII, 1. 351 divine Dame elle-même s'arrêtait pour achever d'instruire quelques personnes. Mais elle ne tardait pas à rejoindre son Fils et son Maître, et elle suivit le Soleil de justice jusqu au couchant de sa mort. La Reine du ciel faisait tous ces voyages à pied, à l'exemple de son très-saint Fils. Que si cet adorable Seigneur lui-même succombait parfois à la lassitude, comme l'Évangile le marque (1), que n'aura point du souffrir sa très-pure Mère ! Combien de fatigues n'aura-t-elle pas endurées dans tant de courses faites à travers tous les temps ! La Mère de miséricorde traitait son corps délicat avec tant de rigueur, les peines auxquelles en pareils cas seulement elle se soumit pour nous furent si grandes, que tous les mortels ensemble ne pourront jamais satisfaire pour cette obligation. Le Seigneur permettait quelquefois qu'elle ressentit des douleurs, des brisements tels, qu'il était nécessaire qu'elle fût soutenue par les secours miraculeux qu'il lui accordait : tantôt il lui ordonnait de se reposer quelques jours dans une localité; tantôt il lui rendait le corps si léger, qu'elle pouvait se mouvoir,sans peine comme avec des ailes. 1046. Toute la loi évangélique était écrite dans le coeur de notre incomparable Maîtresse, comme je l'ai marqué en son lieu; néanmoins elle ne laissait pas d'être aussi assidue aux prédications de son très-saint Fils que si elle eût été une nouvelle disciple : et 'à cet effet elle avait prié ses saints anges de l'assister d'une (1) Joan., IV, 6. 352 manière spéciale et même de l'avertir s'il était besoin, afin qu'elle n'en manquât jamais aucune, lorsqu'elle ne se trouverait pas trop éloignée du divin Maître. Quand il prêchait où enseignait, 'elle l'écoutait toujours i1 genoux, et seule lui offrait le hommages et le culte dus à sa personne et à sa doctrine, du moins autant qu'elle le pouvait. Et comme elle connaissait toujours, (ainsi que je l'ai dit en d'autres endroits) les opérations de l'âme très-sainte de son Fils, découvrant qu'au même moment où il prêchait il priait intérieurement le Père éternel de disposer les coeurs à recevoir la. semence de se sainte doctrine, afin qu'elle y produisit des fruits de vie éternelle, la très-miséricordieuse Mère faisait la même prière pour les auditeurs de notre divin Maître, et appelait sur eux les mêmes bénédictions avec une très-ardente charité que trahissaient ses larmes. Elle leur enseignait en nième temps l'estime qu'ils devaient faire des paroles du Sauveur du monde par le respect religieux et l'attention profonde avec lesquels ils la voyaient les recueillir. Elle pénétra aussi l'intérieur de tous ceux qui assistaient aux prédications de son adorable Fils, c'est-à-dire l'état de grâce ou de péché; de voies ou de vertus dans lequel ils se trouvaient. Et la diversité de ces objets, naturellement cachés à l'entendement humain, produisait en la divine Mère des effets différents et admirables, tous caractérisés. par une sublime charité et par d'autres vertus; car elle s'enflammait du zèle de l'honneur du Seigneur, et. du désir ardent qu'elle avait que les fines ne perdissent point le fruit 353 de leur rédemption; et le péril qu'elles couraient lorsqu'elles vivaient dans le péché l'excitait à demander leur remède avec une ferveur incomparable. Elle sentait une intime et amère douleur de ce que Dieu ne fût point connu, adoré et servi de toutes ses créatures, et cette douleur égalait la connaissance qu'elle avait des raisons qui la portaient à en gémir, et qu'elle pénétrait au delà de tout ce que les hommes peuvent concevoir. Et lorsque les âmes repoussaient la grâce et les inspirations divines, elle en était si profondément désolée, quelle en versait quelquefois des larmes de sang. De sorte que nous pouvons dire que ce que cette grande Reine souffrit dans ces occasions surpassa infiniment les peines de tous les martyrs ensemble. 1047. Elle montrait unie discrétion et une sagesse extraordinaires dans ses rapports avec les disciples qui suivaient le Sauveur, et que sa Majesté recevait pour ce ministère, témoignant un respect et des égards particuliers ù ceux qui étaient destinés à l'apostolat; mais elle les soignait tous comme une mère, elle pourvoyait à tout comme une puissante lierne, et leur fournissait en cette double qualité la nourriture et les autres choses nécessaires. Quand elle ne pouvait pas se les procurer par les voies ordinaires, elle priait les antes de les leur porter, aussi bien qu'à quelques femmes qui s'étaient mises sous sa conduite. Mais elle ne leur donnait connaissance de ces merveilles qu'autant qui il leur en fallait donner pour les confirmer en la piété et en la foi du Seigneur. Elle prit des peines 353 inconcevables pour leur avancement spirituel, non-seulement par les prières continuelles et ferventes qu'elle faisait pour eux, mais aussi par son exemple, par ses conseils et par ses instructions, de sorte qu'elle leur tenait lieu en toutes manières de maîtresse très-prudente et de mère très-charitable. Quand les apôtres et les disciples se trouvaient dans quelque doute, car ils en eurent plusieurs au commencement, ou lorsqu'ils sentaient quelque tentation, ils recouraient incontinent h notre grande Dame pour être éclaircis et aidée par cette lumière, par cette charité incomparables qui éclataient en elle; et ils étaient pleinement consolés par la douceur de ses paroles. Elle les instruisait par sa sagesse, les assouplissait par son humilité, et leur inspirait une grande retenue par sa modestie : de sorte qu'ils trouvèrent tous les biens imaginables dans ce divin laboratoire du Saint-Esprit. Elle rendait à Dieu des actions de grâces pour toutes les faveurs qu'ils recevaient, pour la vocation des disciples, pour la conversion des âmes, pour la persévérance des justes, pour tous les actes du vertu qui étaient pratiqués : la connaissance qu'elle en avait la remplissait d'une joie singulière, et la portait à faire de nouveaux cantiques de louange au Seigneur. 1048. il y avait aussi plusieurs femmes qui suivaient notre Rédempteur Jésus- Christ depuis la Galilée et le commencement de ses. prédications, comme le marquent les évangélistes, Saint Matthieu, saint Marc et saint Luc disent (1) que quelques-unes qu'il avait (1) ) Matth., XXVII, 55; Marc, XV, 40 ; Luc., VIII, 2. délivrées des démons et guéries des maladies dont elles étaient affligées, l'accompagnaient et le servaient; car le Maître de la vie n'a exclu aucun sexe de sa suite, de son imitation et de sa doctrine; c'est pourquoi plusieurs femmes le suivirent et l'assistèrent de leurs biens dés qu'il se mit à prêcher. Sa divine sagesse le disposait de la sorte, entre autres fins pour qu'elles accompagnassent sa très- sainte Mère pour une plus grande, bienséance. Notre auguste Reine prenait un soin particulier de ces saintes femmes; elle les réunissait, les instruisait et les menait aux sermons de son très-saint Fils. Et, quoiqu'elle fût si savante en la doctrine de l'Evangile pour leur enseigner le chemin de la vie éternelle, elle cachait pourtant toujours en partie ses trésors de science, et se prévalait de ce qu'on avait ouï dire à son adorable Fils; c'était le texte sur lequel elle établissait les exhortations qu'elle adressait à ces femmes et à plusieurs autres qui l'allaient trouver en divers endroits, avant ou après avoir entendu le Sauveur du monde. Quant à celles qui ne le suivaient pas, la divine liure les laissait initiées, autant qu'il était nécessaire, aux mystères de la foi. Elle amena un très-grand nombre de femmes à la connaissance de Jésus-Christ, et leur ouvrit le chemin du salut éternel et de la perfection évangélique; que si les évangélistes n'en ont fait mention, se bornant à dire que quelques femmes suivaient le Sauveur, ç'a été parce qu'il n'était. pas de leur sujet d'écrire ces particularités. Notre puissante Dame fit des choses admirables parmi ces femmes; elle ne les formait pas 356 seulement à la foi et aux vertus par ses discours, mais elle leur enseignait encore par son exemple à les pratiquer et à exercer les oeuvrés de charité, visitant elle- même les malades, les pauvres et les affligés; pansant de ses propres mains leurs plaies, les consolant dans leurs afflictions et les assistant dans leurs nécessités. Au reste, s'il fallait rapporter toutes ses couvres en ces circonstances, le récit en exigerait une partie notable de cette histoire. 1049. Les miracles éclatants et innombrables que la Reine du ciel opéra dans le temps que notre Seigneur Jésus-Christ prêchait ne sont pas écrits non plus dans l'histoire de l'Évangile ni dans les autres histoires ecclésiastiques, qui n'ont mentionné que ceux que fit le Seigneur lui-même, et cela autant qu'il était convenable à la foi de l'Église; car il était nécessaire qu'elle fût établie et confirmée en cette même foi avant que de manifester les grandeurs particulières de l'auguste Vierge Mère. Il est certain, selon ce qui m'a été découvert, que non-seulement elle opéra beaucoup de conversions miraculeuses, mais encore qu'elle ressuscita des morts, donna la vue ù des aveugles et guérit plusieurs personnes de leurs maladies. Cela convenait pour plusieurs raisons : premièrement, parce qu'elle était comme coadjutrice de la plus grande ouvre due le Verbe du l'ère éternel vint exécuter dans le monde en y prenant chair humaine, c'est-à-dire de la prédication de son Évangile et de la rédemption des hommes; le même Père éternel ouvrit dans ce dessein les trésors de sa 357 toute-puissance et de sa bonté infinie, qu'il manifestait par le Verbe incarné et par sa digne Mère; en second lieu, parce qu'il était de la gloire de l'un et de l'autre que la Mère tilt semblable au Fils, et qu'elle arrivât. au plus haut degré de toutes lés grâces et de tous. les mérites qui répondaient à sa dignité et à la récompense qu'elle en devait recevoir, afin qu'elle accréditât par ces merveilles et son très-saint Fils et la doctrine qu'il enseignait, et que par ce moyen elle l'assistât dans son miniature avec plus d'efficace et d'excellence. Si ces miracles de la très-pure Marie ont été cachés, ç'a été par une disposition spéciale du Seigneur lui-même et à la demande de la Mère de la prudence. Ainsi elle les enveloppait sagement des ombres du mystère, afin que toute la gloire en revint au Rédempteur, au nom et en la vertu duquel elle les opérait. Elle gardait aussi la même conduite lorsqu'elle instruisait les âmes, car elle ne parlait point en public ni dans les lieux destinés à ceux qui étaient chargés de in prédication comme ministres de la divine parole, sachant très-bien que telle n'était point la mission des femmes (1); mais elle remplissait la sienne dans des conférences et des conversations particulières, avec une sagesse., une discrétion et une efficace toutes célestes. En se bornant à ce rôle et à force de prières, elle fit de plus grandes conversions que tous les prédicateurs du monde n'en ont fait. 1050. On comprendra mieux cela si l'on considère (1) I Cor., XIV, 34. 358 qu'outre la vertu divine qui animait ses paroles, elle connaissait le naturel, les qualités, les inclinations, les habitudes de toutes sortes de personnes, les moments, les dispositions et les occasions les plus propres pour les ramener au chemin de la lumière; et elle joignait à cela ses prières, la douceur et la force de ses prudentes paroles. Usant de tous ses dons sous les inspirations de l'ardente charité avec laquelle elle dés:rait faire entrer toutes les âmes dans le chemin du salut et les porter à Dieu, il fallait bien que les couvres qu'elle faisait par de tels moyens fussent admirables et qu'elle affranchit du péché, qu'elle éclairât et qu'elle poussât au bien une infinité d'âmes; car elle ne demandait rien su Seigneur qui ne lui fût accordé; elle donnait à toutes ses couvres la plénitude de la sainteté qui leur était applicable; et, regardant l'oeuvre de la rédemption comme la principale de celles du Seigneur, il est sûr qu'elle y coopéra au delà de ce que l'on peut concevoir en cette vie mortelle. Cette incomparable Dame s'employait à toutes ces choses avec une rare mansuétude, comme une très-innocente colombe, et avec une patience extrême, supportant les imperfections et la grossièreté des nouveaux fidèles, et les éclairant dans leur ignorance; car un très-grand nombre de personnes l'allaient consulter après avoir embrassé la foi du Rédempteur. Elle conservait toujours cette majesté de Reine de l'univers; mais elle était avec cela si douce et si humble, qu'elle seule a pu, à l'imitation du Seigneur lui-même, unir ces perfections su suprême degré. Le Fils et la Mère 359 traitaient avec tant de bienveillance et de charité toutes sortes de personnes, qu'il n'en est aucune qui ait pu s'excuser de n'avoir pas profité de leurs instructions. Ils conversaient et mangeaient avec les disciples et avec les femmes qui les suivaient, mais avec une retenue et une sobriété remarquables; le Sauveur agit ainsi pour faire voir à tous qu'il était véritablement homme et fils naturel de la très-pure Marie; et ce fut pour ce sujet que sa divine Majesté daigna assister à divers autres festins, comme le racontent les saints évangélistes (1). Instruction que j'ai reçue de l'auguste Marie, Reine du ciel. 1051. Ma fille, il est constant que les peines que j'ai prises en accompagnant mon très-saint Fils jusqu'à la croix ont été plus grandes que les mortels ne sauraient se l'imaginer; et je ne travaillai pas moins après sa mort, comme vous le comprendrez quand vous écrirez la troisième partie de cette histoire. J'éprouvais pourtant une joie incomparable au milieu des fatigues et des soins que je prenais de voir que le Verbe incarné avançait le grand ouvrage du salut des hommes, et allait ouvrir le livre des, (1) Matth , IX, 10 ; Joan., XII, 2; Luc., V, 29 ; VII, 36. 360 mystères cachés de sa divinité et de son humanité très-sainte, scellé de sept sceaux (1); et les hommes ne m'ont pas moins d'obligation de ce que je me réjouissais de leur bien que de la sollicitude avec laquelle je le leur procurais, puisque cette joie et cette sollicitude naissaient d'un même amour. Je veux que vous m'imitiez en cela, comme je vous l'ai dit très. souvent. Et, quoique vous n'entendiez point là voix et la doctrine de mon très-saint Fils par le sens extérieur, vous pouvez néanmoins m'imiter en la vénération avec laquelle je l'écoutais, puisque c'est lui même qui vous parle au coeur et qui vous enseigne la même vérité; ainsi je vous ordonne, quand vous reconnaîtrez cette lumière et cette voix de votre époux et de votre pasteur, de vous jeter à genoux pour lui donner toutes vos attentions avec tout le respect possible, de l'adorer avec de très-humbles actions de grâces, et de graver ses paroles dans votre coeur. Que si vous vous trouvez en quelque endroit publie où vous ne puissiez pratiquer cette humilité extérieure, vous vous contenterez d'en faire des actes intérieurs; mais ne manquez pas de lui obéir en tout avec autant de ponctualité que si vous assistiez réellement à sa prédication car, de même que vous n'auriez pas pu vous estimer heureuse d'occuper alors une place parmi ses auditeurs si vous aviez négligé de mettre en pratique sa doctrine, ainsi vous pouvez l'être maintenant, si vous exécutez ce qu'il vous inspire, quoique vous (1) Apoc., VI, 8. 361 n'entendiez pas sa voix par l'organe corporel. Votre obligation est grande, ma fille, parce que les miséricordes du Très-Haut et mes bontés sont grandes à votre égard. Ne laissez donc point s'appesantir votre coeur, et ne tombez point dans la pauvreté au milieu de tant de richesses de la divine lumière. 1052. Vous devez écouter avec respect non-seulement la voix intérieure du Seigneur, mais aussi ses ministres, ses prêtres et ses prédicateurs, dont les voix sont les échos de celle du Très-Haut, et les canaux par où se répand la saine doctrine de vie, qui sort de la source éternelle de la vérité divine. C'est en eux que Dieu parle et qu'il fait retentir la voix de sa divine loi; écoutez-les avec tant de respect, que vous ne trouviez jamais rien à blâmer dans leurs discours. Pour vous, tous doivent être savants et éloquents, et vous devez en chacun d'eux ouïr mon Fils et mon Seigneur Jésus-Christ. En vous comportant de la sorte, vous éviterez de tomber dans la folle présomption des gens du monde, qui, pleins d'une vanité répréhensible et d'un orgueil odieux aux yeux de Dieu, méprisent ses ministres et ses prédicateurs, parce qu'ils ne leur parlent pas selon leur goût dépravé. Et comme ils ne cherchent point la vérité divine, ils ne s'attachent qu'aux termes et au style, comme si la parole de Dieu n'était point d'elle même pure et efficace (1), et qu'elle eût besoin d'ornements pour se rendre accessible à l'infirme intelligence de (1) Hebr., IV, 12. 362 ses auditeurs. Souvenez-vous de cet avis salutaire, faites-en un cas particulier, et soyez attentive à tous ceux que je vous donnerai dans cette histoire; car je veux, comme Maîtresse, vous informer des choses petites aussi bien que des grandes; et il est toujours important d'agir en tout avec perfection. Je vous avertis aussi d'être égale envers tous ceux qui vous parleront, soit qu'ils soient pauvres, soit qu'ils soient riches sans avoir aucune partialité pour personne; car c'est là une autre faute qui est commune entre les enfants d'Adam, et que mon très-saint Fils et moi avons condamnée en nous montrant également affables à tous, et particulièrement à l'égard de ceux qui étaient les plus pauvres, les plus affligés et les plus méprisés. La sagesse humaine regarde l'extérieur des personnes, et non pas les âmes ni les vertus (1); mais la prudence du ciel considère en tous l'image de Dieu. Vous ne devez pas non plus vous troubler si l'on découvre en vous quelques infirmités naturelles, qui sont des peines du premier péché, comme les maladies, la lassitude, la faim et les autres incommodités. On cache bien souvent ces choses-là par hypocrisie nu par orgueil; mais les amis de Dieu ne doivent craindre que le péché, souhaitant plutôt de mourir que de le commettre; tous les autres défauts ne souillent point la conscience, il n'est donc pas nécessaire de les dissimuler. (1) Jacob., II, 2. 363 CHAPITRE III. De l'humilité de la très-pure Marie dans les miracles que notre Sauveur Jésus-Christ faisait; et de celle qu'elle enseigna aux apôtres à pratiquer dans ceux qu'ils devaient opérer par la vertu divine, et de plusieurs autres choses remarquables. 1053. La principale matière de toute l'histoire de la sainte Vierge est (si l'on y fait quelque réflexion) une démonstration très-claire de l'humilité de cette grande Reine et Maîtresse des humbles; cette vertu est si ineffable en elle, qu'on ne saurait dignement la louer ni en exprimer toute la perfection, parce que ni les hommes ni les anses n'en ont jamais pu bien sonder l'impénétrable profondeur. Mais comme le sucre entre dans toutes les confections et dans toutes les potions salutaires, pour les assaisonner à point et leur communiquer m. douceur, quoiqu'elles soient fort différentes, de mime l'humilité entre dans toutes les vertus et dans toutes les actions de la très-pure Marie, et les accommode au goût da Très-Haut et à celui des hommes; de sorte que sa divine Majesté l'a regardée et choisie à cause de son humilité, et c'est par elle que toutes les nations l'appellent bienheureuse (1). (1) Luc., I, 48. 363 Dans tout le cours de sa vie, la très-prudente Dame ne laissa passer aucun moment ni aucune occasion sans pratiquer les vertus qu'elle pouvait; mais le plus merveilleux, c'est qu'elle n'en pratiquait aucune sans le concours de sa rare humilité. Cette vertu l'éleva au-dessus de tout ce qui n'était pas Dieu; et, comme elle vainquit toutes les créatures, en humilité, elle vainquit aussi par elle, pour ainsi dire, Dieu lui-même, en trouvant tellement grâce à ses yeux, qu'elle ne lui demanda aucune faveur pour elle ni pour les autres, qu'elle ne l'obtint. La victoire que cette très-humble Reine remporta par son humilité fut générale, car elle vainquit dans sa maison (comme je l'ai raconté dans la première partie) sa mère sainte Anne et ses domestiques, afin qu'on lui laissât remplir les plus bas offices : dans le Temple, elle vainquit toutes ses compagnes; dans le mariage, saint Joseph; dans les occupations les plus viles, les anges; dans les louanges, les apôtres et les évangélistes, afin qu'ils ne publiassent pas celles qu'elle méritait; elle vainquit le père et le Saint-Esprit, afin qu'ils ne tissent point éclater les grâces qu'elle en avait reçues; et son très-saint Fils aussi, afin qu'il agit à son égard d'une manière qui ne donnât aucun motif aux hommes de la louer pour les miracles qu'il faisait et pour la doctrine qu'il enseignait. 1054. Cette sorte d'humilité si généreuse, dont je traite maintenant, fut le partage exclusif de la plus humble entre les humbles; car les autres enfants d'Adam et même les anges n y sauraient arriver, à 365 raison de l'état des personnes, quand même pour d'autres causes nous ne serions pas aussi loin de cette vertu que nous le sommes. Nous découvrirons cette vérité, si nous considérons que les autres mortels ont été, par la morsure de l'ancien serpent, si profondément infectés du venin de l'orgueil, que, pour l'éliminer, la Sagesse divine a ordonné que l'effet même du péché servirait de remède; car à la vue de tant de fautes personnelles Auxquelles chacun de nous se laisse aller, comment ne reconnaîtrions-nous pas notre bassesse, que nous n'avons pas connue au moment où nous avons reçu l'être? Il est évident que, quoique nous ayons une âme spirituelle, elle n'occupe que le dernier degré en cet ordre des cures spirituels, Dieu ayant le plus haut, et la nature angélique se trouvant au milieu; pour ce qui regarde le corps, nous n'avons pas seulement été tirés de l'élément le plus vil, qui est la terre, mais de ce qu'elle a de plus abject, qui est la boue (1). Dieu ne fit point tout cela par hasard, mais' il l'a fait avec une grande sagesse, afin que la houe prit sa place, qu'elle se crût digne du lieu le plus bas, et qu'elle y demeurât toujours, se vit-elle ornée et enrichie de plusieurs grâces, parce qu'elles se trouvent dans un rase fragile (2). Nous avons tous perdu le jugement; nous nous sommes écartés de cette vérité et de cette humilité si propre à l'être de l'homme, et, pour nous y remettre par un autre sujet d'humilité, il faut que la concupiscence rebelle, les passions (1) Gen., II, 7. - (2) II Cor., IV, 7. 366 que le péché produit en nous et le dérèglement de nos actions nous fassent expérimenter que nous sommes vils et méprisables. Et, bien que nous en ayons une expérience continuelle, elle ne suffit pas pour nous ouvrir les yeux et nous faire avouer que c'est une chose intolérable et inique de souhaiter les honneurs et les applaudissements des hommes, n'étant, comme nous sommes, que cendre et que poussière, et même indignes par nos péchés d'un être si bas et si terrestre. 1055. La seule Marie, sans avoir été atteinte du péché d'Adam ni de ses effets déplorables, pratiqua l'humilité dans sa plus hante perfection: et la simple connaissance de l'être de la créature lui suffit pour qu'elle s'humiliât plus que tous les enfants d'Adam, qui, outre la connaissance qu'ils ont de leur être terrestre , connaissent leurs propres péchés. Si d'autres ont été humbles, ils ont été auparavant humiliés, et se sont trouvés, par cette humiliation, comme forcés d'entrer dans l'humilité, et de dire avec David: Avant que j'eusse été humilié, j'ai péché (1). Et dans un autre verset : Il est bon, Seigneur, que vous m'ayez humilié; afin que. j'apprenne vos ordonnances pleines de justice (2). Mais la Mère de l'humilité n'entra point dans cette vertu par l'humiliation; elle fut humble avant que d'être humiliée, et elle ne fut jamais humiliée par le péché ni par les passions, mais toujours humble d'une manière généreuse. Que si les anges ne (1) Ps. CXVIII, 67. - (2) Ibid., 71. 367 doivent point être confondus avec les hommes, parce qu'ils sont d'une nature supérieure et qu'ils n'ont ni passions ni péchés, il n'en a pas été moins impossible à ces esprits célestes de parvenir à l'humilité de la très-pure Marie, quoiqu'ils se soient humiliés devant leur Créateur en se reconnaissant les ouvrages de ses mains. Mais ce que l'auguste Vierge eut de l'être terrestre et humain lui servit précisément à surpasser les mêmes anges en cette vertu, car leur être spirituel ne pouvait pas les porter à s'humilier autant que cette auguste Dame. On peut ajouter à cela la dignité de Mère de Dieu et de Reine de l'univers, puisque aucun des anges n'a pu s'attribuer une excellence qui ait élevé la vertu de l'humilité autant que cette dignité l'élevait en notre incomparable Maîtresse. 1056. L'excellence de cette vertu fut chez elle exceptionnelle et unique, puisque, étant Mère de Dieu et Reine de tout ce qui est créé, n'ignorant pas cette vérité ni les grâces qu'elle avait reçues pour être digne de cette maternité, ni les merveilles qu'elle opérait par leur moyen, et sachant que le Seigneur mettait entre ses mains et à sa disposition tous les trésors du ciel, elle n'éleva néanmoins jamais son coeur au-dessus du rang infime qu'elle avait choisi entre toutes les créatures; elle n'en voulut point sortir, elle Mère du Seigneur ! elle si innocente et si puissante ! elle si favorisée de sa divine Majesté ! elle qui aurait pu se prévaloir des prodiges qu'elle opérait comme de ceux de son très-saint Fils ! O rare humilité! O fidélité inconnue des mortels ! O sagesse, qui surpasse 368 celle des anges mêmes! Quel est celui qui, étant connu de tous pour le plus grand, se méconnaît lui seul et se regarde comme le plus petit? Quel est celui qui a su se cacher à lui-même ce que tous publient sur son compte? Quel est celui qui s'est cru digne de mépris, étant pour tous un sujet d'admiration? Quel est celui enfin qui, étant dans le plus haut degré d'honneur, a toujours regardé les abaissements avec complaisance, et qui, pouvant avec justice occuper le lieu le plus honorable, a choisi le plus bas (1), et cela non par nécessité ni avec tristesse et impatience, mais spontanément et avec une joie sincère? O enfants d'Adam, combien sommes-nous ignorants en cette science divine ! Comme il est nécessaire que le Seigneur nous cache bien souvent nos propres avantages, ou les balance par quelque contre-poids, par un lest qui nous empêche d'aller en dérive avec tous ses bienfaits, et de former secrètement le dessein de lui ravir la gloire qui lui est due comme à l'auteur de toute chose ! Comprenons donc combien notre humilité est peu solide, si tant est que nous ayons parfois cette vertu, puisque le Seigneur a besoin, pour ainsi dire, quand il veut nous favoriser de quelques-uns de ses dons, de prendre tant de précautions, à cause de la faiblesse de notre humilité, et parce que nous n'en recevons presque jamais aucun sans le rogner nous-mêmes par nos ingratitudes, ou du moins par quelque vaine complaisance. (1) Luc., XIV, 6. 369 1057. Les anges étaient ravis de l'humilité que la sainte Vierge pratiquait dans les miracles de notre Seigneur Jésus-Christ, parce qu'ils n'étaient pas accoutumés de voir chez les enfants d'Adam, ni même chez eux , cette manière de s'humilier parmi tant d'excellences et tant de merveilles. Ces esprits célestes admiraient moins les miracles du Sauveur (parce qu'ils y avaient déjà découvert sa toute-puissance) que la fidélité incomparable avec laquelle l'auguste Marie rapportait toutes ces choses à la gloire de Dieu; et elle se croyait si indigne, qu'elle regardait comme une faveur singulière que son très-saint Fils ne cessât point de les faire tandis qu'elle se trouvait au monde. Elle pratiquait cette sorte d'humilité sans prendre garde qu'elle était celle qui portait actuellement par ses prières le Sauveur à opérer presque toutes ses merveilles; outre que si les hommes n'eussent point eu, comme je l'ai dit ailleurs, cette grande Reine pour médiatrice auprès de Jésus-Christ, l'univers aurait été privé de la doctrine évangélique, et n'aurait pas mérité de la recevoir. 1058. Les miracles et les oeuvres de notre Seigneur Jésus-Christ étaient si surprenants, si inouïs, qu'il n'était pas possible qu'il n'en rejaillit une grande gloire sur sa très-pure Mère; en effet, non-seulement elle était connue des, disciples et des apôtres, mais les nouveaux fidèles allaient presque tous vers elle pour la consulter, la reconnaissaient pour Mère du véritable Messie, et la félicitaient des prodiges que sou très-saint Fils faisait. Tout cela servait de nouvelle 370 épreuve à son humilité, car elle s'abîmait dans le néant, et se méprisait elle-même au delà de toutes nos imaginations. Elle ne laissait pourtant pas s'abattre son coeur dans ce mépris d'elle-même; elle y témoignait toute la reconnaissance possible, parce que, dans le temps qu'elle s'humiliait pour toutes les merveilles de Jésus- Christ, elle rendait pour chacune des actions de grâces au Père éternel, et suppléait ainsi à l'ingratitude des mortels. Par le commerce secret que son rime virginale entretenait avec celle du Sauveur, elle l'engageait à détourner la gloire que les auditeurs de sa divine parole lui attribuaient à elle, comme il arriva en quelques occasions que l'on remarque dans les Évangiles. L'une quand il chassa du corps d'un homme un démon qui était muet; et comme les Juifs attribuaient ce miracle à Béelzébub, prince des démons, le Seigneur suscita cette femme fidèle qui, élevant la voix , lui dit : Bienheureux est le rentre qui vous a porté, et bienheureuses sont les mamelles qui vous ont allaité (1). La très-humble et très-prudente Mère, entendant ces paroles, pria intérieurement notre Rédempteur d'empêcher que cette louange ne s'applique à elle; et il exauça sa prière, mais en enchérissant sur tous les éloges en des termes encore mystérieux. Car le Seigneur dit, pour répondre à cette femme : Plutôt bienheureux sont ceux qui écoulent la parole de Dieu et qui la gardent (2). Par cette réponse il détourna l'honneur qu'on donnait à l'auguste Marie (1) Luc., XI, 27. - (2) Ibid., 28. 371 en qualité de Mère, et le lui décerna lui-même en qualité de sainte, tout en enseignant à ceux qui l'écoutaient l'essentiel de la vertu commune à tous, en laquelle sa Mère se distinguait d'une manière si admirable, quoiqu'ils ne comprissent pas alors son langage. 1059. L'autre occasion nous est signalée par saint Luc, lorsqu'il raconte que l'on dit à notre Sauveur, occupé à prêcher, que sa mère et ses frères désiraient le voir, sans pouvoir l'aborder à cause de la multitude des gens qui l'environnaient. Et la très- prudente Vierge, craignant de recevoir quelques louanges de ceux qui la connaissaient pour Mère du Sauveur; pria cet adorable Seigneur de ne point le permettre, comme il le fit en répondant : Ce sont ceux qui écoutent la parole de Dieu, et qui l'accomplissent, qui sont ma mère et mes frères (1). Dans cette réponse, le Seigneur n'avait pas intention d'exclure sa Mère de l'honneur qu'elle méritait par sa sainteté : au contraire, il entendait la distinguer plus que personne. Mais il s'exprima de façon à ce qu'elle ne fût point louée de ceux qui se trouvaient présents à sa prédication, et que par là même fût satisfait le désir qu'elle avait quelle Seigneur seul fût connu et loué pour ses oeuvres. On doit remarquer ici que je rapporte ces deux cas comme différents, parce que j'ai appris qu'ils n'arrivèrent pas en un même lieu ni en une même circonstance, ainsi qu'on le peut voir par ce que saint (1) Luc., VIII, 21. 372 Luc en dit dans les chapitres huitième et onzième. Et, comme saint Matthieu rapporte au chapitre douzième (1) le même miracle de la guérison du possédé muet, et qu'il ajoute aussitôt que l'on avertit le Seigneur que sa mère et ses frères étaient dehors qui le demandaient, et les autres détails qui suivent, quelques interprètes sacrés en ont conclu que tout ce qui précède était arrivé dans une seule et même occasion. Mais lorsque, par ordre de mes supérieurs, je demandai de nouvelles explications, il me fut déclaré que les deux faits rapportés par saint Luc ne sont point identiques et arrivèrent en deux circonstances différentes; c'est, du reste, ce que l'on peut inférer du surplus que contiennent les deux chapitres du même évangéliste avant les paroles que j'ai citées ; car après le miracle dont fut l'objet celui qui était possédé du démon, saint Luc fait mention de cette femme qui dit Beatus venter, etc. Et il raconte l'autre fait au chapitre huitième, après que le Seigneur eut prêché la parabole du semeur, et il est certain que l'un et l'autre eurent lieu immédiatement à la suite de ce qui précède dans son récit. 1060. Pour mieux comprendre que les évangélistes ne. se contredisent point, et la raison pour laquelle notre grande Reine alla chercher son très-saint Fils dans les occasions qu'ils indiquent, il faut savoir que la divine Mère se rendait ordinairement aux endroits où prêchait notre Sauveur et Maître (1) Matth., XII, 45et 46. 373 Jésus-Christ pour deux fins : l'une, pour entendre sa doctrine céleste, comme je l'ai dit ailleurs; l'autre, parce qu'elle voulait lui demander diverses faveurs pour son prochain, comme la conversion de quelques âmes, la guérison des malades, quelques secours pour les nécessiteux : car cette très-miséricordieuse Dame se chargeait de veiller et de pourvoir à ces choses-là, ainsi qu'elle le prouva aux noces de Cana. Elle allait pour ces fins, et pour plusieurs autres également saintes et charitables, chercher le Sauveur, soit quand les saints anges l'avertissaient, soit lorsqu'elle y était portée par la lumière intérieure; ce fut la raison pour laquelle elle l'alla trouver dans les occasions que les évangélistes marquent. Et comme cela arriva non pas une seule, mais maintes fois, et que le nombre des personnes qui assistaient à la prédication du Sauveur était considérable, on eut soin, dans les deux occasions dont les évangélistes font mention et en bien d'autres qu'ils n'ont pas signalées, de l'avertir que sa mère et ses frères le demandaient, et alors il répondit ce que disent saint Matthieu et saint Luc. On ne doit pas être surpris que le Seigneur ait répété les mêmes choses en des lieux différents, comme cette sentence : Quiconque s'élève sera abaissé, et quiconque s'abaisse sera élevé; qu'il dit une fois dans la parabole du publicain et du pharisien, et une autre fois dans celle de ceux qui sont invités à des noces, ainsi que le racontent saint Luc (1) aux chapitres quatorzième et (1) Luc., XIV, 11; XVIII, 14. 374 dix-huitième, et saint Matthieu dans une autre circonstance (1). 1061. L'auguste Marie ne se. contenta. pas seulement. d'être humble, mais elle voulut aussi enseigner la vertu de l'humilité aux apôtres et. aux disciples, parce qu'il fallait qu'ils y fussent établis pour les dons qu'ils devaient recevoir, et pour les merveilles qu'ils devaient opérer par ces mêmes dons, non-seulement plus tard, lorsque l'Église serait fondée, mais aussi dès ce temps-là auquel ils allaient commencer à prêcher. Les saints évangélistes disent (2) que notre divin Maître envoya premièrement les apôtres, et ensuite les soixante-douze disciples, et qu'il leur donna le pouvoir de guérir les maladies et de chasser les démons. La grande Maîtresse des humbles leur apprit, par son exemple et par ses paroles de vie, comment ils devaient se comporter en opérant ces merveilles. De sorte qu'ils puisèrent dans ses instructions, et obtinrent par ses prières un nouvel esprit d'humilité profonde et de très-haute sagesse pour reconnaître plus clairement qu'ils faisaient ces miracles par la vertu du Seigneur, et qu'ils devaient rapporter toute la gloire de ces oeuvres à son seul pouvoir et â sa seule bonté, rien étant eux-mêmes que les simples instruments : et comme on n'attribue point le mérite d'une belle peinture au pinceau, ni celui de la victoire à l'épée, mais uniquement au peintre et au capitaine ou au soldat qui s'en servent, de même ils (1) Matth., XXIII, 12. - (2) Marc., III, 14, Luc., IX, 2; X, 2, etc. 375 devaient rapporter à leur adorable Maître tout l'honneur et toute. la gloire des merveilles qu'ils feraient, puisqu'il est le principe de toutes sortes de biens. Il faut remarquer qu'on ne trouve point dans les Évangiles que le Seigneur ait donné aux apôtres aucune instruction sur l'humilité; avant qu'ils allassent prêcher, parce que notre Maîtresse le fit. Néanmoins, quand les disciples revinrent Avec joie, disant au divin Sauveur qu'ils avaient en son nom assujetti les démons (1), alors il leur rappela qu'il leur avait donné ce pouvoir, et qu'ils ne devaient point se réjouir de ces merveilles, mais de ce que leurs noms étaient écrits dans le ciel. (2). On peut voir par là combien notre humilité est faible, puisque les disciples du Seigneur eux- mêmes ont eu besoin de tant d'avis et de tant de préservatifs pour la conserver. 1062. Cette science de l'humilité, que notre Seigneur Jésus-Christ. et sa très-sainte Mère enseignèrent aux apôtres, fut surtout importante pour fonder ensuite l'Église, à raison même des merveilles qu'Us opérèrent par la vertu de leur Maître, en confirmation de la foi et de la prédication de l'Évangile; car les païens, accoutumés à attribuer aveuglément la divinité à tout ce qui leur paraissait grand et nouveau, voulurent, à la vue des miracles que les apôtres faisaient, les adorer et les reconnaître pour des dieux, comme il arriva en Lycaonie à saint Paul et à saint Barnabé, qui, pour avoir guéri un paralytique, étaient (1) Luc., X, 17. - (2) Ibid., 20. 376 appelés, saint Paul Mercure, et saint Barnabé Jupiter (1). Et depuis, dans l'île de Malte, parce que saint Paul ne mourut point de la morsure d'une vipère (comme tous ceux qui en étaient mordus), ils dirènt que c'était un Dieu. La très-pure Marie prévoyait tous ces mystères et toutes ces raisons par la plénitude de sa science; et, comme coadjutrice de son très-saint Fils, elle coopérait au grand oeuvre de sa majesté et à la fondation de la loi de grâce. Pendant le temps que le Sauveur prêcha, c'est-à-dire dans les trois dernières années de sa vie, il se rendit trois fois à Jérusalem pour y célébrer la Pâque, et sa bienheureuse Mère l'accompagna toujours et se trouva présente quand il chassa la première fois du Temple avec un fouet ceux qui vendaient des boeufs, des brebis et des colombes dans cette maison de Dieu (2). Elle suivit notre Sauveur dans toutes ces occasions; et, lorsqu'il s'offrait au Père éternel en passant par les lieux où il devait souffrir, elle se joignait à lui par les sentiments d'un séraphique amour et par des actes de vertu divine, sans négliger aucun de ceux qui pouvaient la concerner, et en donnant à tous la plénitude de la perfection qui leur était propre. Elle exerçait d'une manière spéciale la très-ardente charité quelle avait reçu de l'être de Dieu; car, demeurant en Dieu et Dieu en elle (3), il est sûr que la charité qui enflammait le coeur de cette auguste Dame était celle de Dieu (1) Act., XIV, 9, etc.; XXVIII, 6. - (2) Jean., II,15. - (3) I Joan., IV, 16. 377 même, et elle l'employait à solliciter, avec toute la ferveur dont elle était capable, le bien de son prochain. Instruction que la Reine du ciel m'a donnée. 1063. Ma fille, l'ancien serpent a usé de toute sa malice et de toutes ses ruses pour extirper du coeur humain la science de l'humilité, que la bonté du Créateur y a semée comme une semence sainte, et en sa place cet ennemi y a répandu la mortelle ivraie de l'orgueil (1). Or, si l'âme veut arracher ce mauvais grain et recouvrer le trésor de l'humilité qu'elle a perdu, il faut qu'elle veuille être humiliée par les autres créatures, et qu'elle demande au Seigneur avec un coeur sincère cette vertu et les moyens de l'acquérir. Ceux. qui s'appliquent à ,cette science et qui acquièrent une parfaite humilité sont fort rares; car cela demande une entière victoire sur soi-même, à laquelle très-peu de personnes arrivent, même parmi celles qui font profession de vertu, parce que ce virus de l'orgueil a si fort pénétré les puissances humaines, qu'il s'insinue dans presque toutes leurs opérations; de sorte qu'on trouverait à peine une seule action humaine exempte d'une dose de vanité, comme la (1) Matth., XIII, 25. 378 rose vient avec les épines et le grain avec la paille. C'est pour cela que le Très-Haut fait une si grande estime de ceux qui sont véritablement humbles et qui triomphent entièrement de l'orgueil; qu'il les élève; qu'il les place entre les princes de son peuple (1); qu'il les caresse comme ses enfants, et qu'il les affranchit jusqu'à un certain point de la juridiction des démons c'est aussi pour cette même raison que ces ennemis ne les attaquent qu'avec difficulté, parce qu'ils craignent les humbles, et que les victoires que ceux-ci remportent sur eux les tourmentent beaucoup plus que les peines qu'ils souffrent dans l'enfer. 1064. Je souhaite, ma très-chère fille, que vous possédiez avec plénitude le trésor inestimable de cette vertu, et que vous abandonniez entièrement au Très-Haut votre coeur docile et soumis, afin qu'il y imprime sans aucune résistance, 'comme sur une cire molle, l'image de mes humbles actions. Vous découvrirez en ce que je vous ai manifesté des secrets si cachés de ce mystère, combien est grande l'obligation que vous avez de correspondre à ma volonté, et de ne laisser passer aucune circonstance en laquelle vous puissiez vous humilier et vous avancer en cette vertu sans en profiter, comme vous savez que je l'ai fait, quoique je fusse Mère de Dieu, et absolument pleine de pureté et de grâce; car plus je recevais de faveurs plus je m'humiliais, parce que je croyais qu'elles surpassaient toujours plus mes mérites et qu'elles m'imposaient de (1) Ps., CXII, 8. 379 nouvelles obligations. Tous les autres enfants d'Adam sont conçus dans le péché (1), et il ne s'en trouve aucun qui ne pèche par lui-même. Que si personne ne peut nier cette vérité, quelle raison pourra-t-on avoir de ne pas s'humilier devant Dieu et devant les hommes? Ce n'est pas une grande humilité, pour des gens qui ont péché, que de s'abaisser au-dessous de la poussière, puisqu'ils reçoivent toujours plus d'honneur qu'ils ne méritent dans leurs propres abaissements. Celui qui est véritablement humble doit choisir une place qui soit au-dessous de celle qui lui est due. Si toutes les créatures le méprisent et l'insultent, s'il se croit digue de l'enfer, tout cela est plutôt justice qu'humilité, car c'est ce qu'il mérite. Mais une profonde humilité va jusqu'à désirer une plus grande humiliation que celle qui est due en justice à celui qui est humble. Ainsi il est certain qu'aucun des mortels ne saurait arriver à cette sorte d'humilité que j'eus, comme vous l'avez entendu et écrit; mais le Très-Haut est satisfait lorsque l'on s'humilie en ce que l'on peut et en ce que l'on doit avec justice. 1065. Que les pécheurs superbes considèrent maintenant leur difformité; qu'ils sachent qu'ils deviennent des monstres de l'enfer en imitant Lucifer dans son orgueil. Ce vice le trouva avec une grande beauté et avec des dons singuliers de la grâce aussi bien que de la nature; et quoiqu'il ait abusé des biens qu'il (1) Ps. L, 7. 380 avait reçus, il les possédait réellement et pouvait. eu disposer comme de choses propres; mais l'homme, qui n'est que boue , qui a en outre péché, qui s'est souillé par mille abominations, n'est plus qu'un monstre s'il cherche à s'enfler, à se bouffer, et en cette présomption il est pire qu'un démon, parée qu'il n'a pas une nature aussi noble qu'avait Lucifer; il n'en a ni les charmes ni la beauté. Cet ennemi et ses ministres se moquent des hommes qui s'enorgueillissent dans des conditions si basses, parce qu'ils apprécient leur folle et méprisable vanité: Prenez donc bien garde, ma fille, à ces écueils, humiliez-vous plus bas que la terre, sans vous montrer plus sensible qu'elle quand le. Seigneur vous humiliera, ou par lui- même ou par les créatures. Il ne faut pas seulement que vous pensiez que personne vous offense; et si vous avez de l'aversion pour tout ce qui est fictif et mensonger, sachez que rien, ne l'est autant que de souhaiter les applaudissements et les honneurs. Vous ne devez pas non plus attribuer aux créatures ce que Dieu fait pour vous humilier et pour retirer aussi les autres de leur orgueil par des tribulations, car ce serait se plaindre des instruments dont il se sert; et c'est une conduite de la divine miséricorde d'affliger les hommes par des châtiments pour les amener à l'humiliation. Tel est le secret des fléaux dont sa divine Majesté frappe aujourd'hui divers royaumes sans que les peuples veuillent y réfléchir. Humiliez-vous devant le Seigneur pour vous et pour tous vos frères, afin d'apaiser sa colère, comme si vous étiez 381 la seule coupable et incertaine de l'avoir satisfait; car en cette vie personne ne peut savoir s'il s'est acquitté de ce devoir. Tâchez donc de l'apaiser comme si vous seule l'eussiez offensé; témoignez-lui vos reconnaissances des faveurs que vous en avez reçues et de celles que vous en recevrez, comme si vous en étiez la plus indigne et en même temps la plus chargée d'obligations. Humiliez-vous plus que personne dans cette considération, et travaillez continuellement à satisfaire en partie la divine miséricorde, qui a été si libérale envers vous. CHAPITRE IV. Lucifer se trouble des miracles, de notre Seigneur Jésus-Christ, de ses ouvres, et de celles de saint Jean-Baptiste. - Hérode fait mettre le Précurseur en prison. Il lui fait trancher la tête. -Particularités qui accompagnent la mort du saint. 1066. Le Rédempteur du monde, continuant toujours à instruire le peuple et à faire des miracles, sortit de Jérusalem pour aller en Judée, où il demeura quelque temps, baptisant, comme ledit saint Jean dans son Évangile, su chapitre troisième, en ajoutant au quatrième qu'il baptisait par la main de ses 382 disciples (1). En ce même temps le Précurseur baptisait aussi à Ennon, sur les bords du Jourdain, près de la ville de Salim. Son baptême n'était pas néanmoins, le même que celui de Jésus-Christ, parce que le saint Précurseur ne baptisait que du baptême d'eau et de celui de pénitence; mais notre Sauveur donnait son propre baptême, qui opérait la justification et le pardon efficace des péchés qu'opère aujourd'hui le même baptême, en infusant dans les âmes la grâce et les vertus. Outre cette efficace secrète et les effets de ce sacrement, le Seigneur y ajoutait l'efficace de ses paroles et de sa doctrine, et la grandeur,de ses miracles, qui confirmaient son baptême. C'est pour cela que sa Majesté faisait plus de disciples que Jean, s'accomplissant alors ce que le saint lui-même avait annoncé, qu'il fallait qu'il se rapetissât et que le Seigneur grandit. L'auguste Marie était ordinairement témoin du baptême qu'administrait Jésus-Christ; elle pénétrait les divins effets que produisait dans les âmes cette nouvelle régénération, et elle en témoignait sa reconnaissance à Celui qui en était l'auteur par des cantiques de louange et par de grands actes de vertu, comme si elle-même eût reçu toutes les faveurs que les hommes obtenaient par le moyen de ce sacrement; dé sorte que dans toutes ces merveilles elle acquérait de nouveaux et incomparables mérites. 1067. Quand Dieu eut permis, selon ses adorables dispositions, à Lucifer et à ses ministres de se relever (1) Joan., III, 22, IV, 3. 383 de l'abattement dans lequel ils étaient tombés à la suite de la victoire que notre Rédempteur Jésus-Christ avait remportée sur eux dans le désert, ce Dragon revint pour épier les couvres de l'humanité très-sainte, et la divine Providence permit que cet ennemi, à qui le principal mystère était toujours caché, remarquât une, partie de ce qu'il devait savoir pour être entièrement confondu dans sa propre malice. Il reconnut le grand fruit de la doctrine, des miracles et du baptême de Jésus-Christ, et que par ce moyen une infinité dames sortiraient de sa juridiction et du péché, et réformeraient leur vie. Il reconnut aussi en sa manière la même chose de la doctrine et du baptême de saint Jean, quoiqu'il ignorât toujours la différence secrète qui se trouvait entre ces divers maîtres et leurs baptêmes; mais il prévit la perte de son empire si les nouveaux prédicateurs, notre Seigneur Jésus-Christ et saint Jean, continuaient leurs couvres. Cette ruine imminente jeta Lucifer dans une extrême confusion; car il s'avouait trop faible pour résister à la puissance du ciel, qu'il rencontrait dans ces hommes nouveaux et dans leur doctrine. Ainsi troublé par la crainte, en dépit de tout son orgueil, il rassembla un nouveau conciliabule auquel les autres princes des ténèbres assistèrent, et leur dit : " Nous avons découvert ces dernières années de grands changements dans le monde; chaque jour ils augmentent, et par là même mes craintes redoublent dans le doute où je suis si le Verbe divin y est venu, comme il l'a promis; et, bien que j'aie parcouru toute la terre, je ne 384 suis point parvenu à m'assurer du fait. Mais ces deux hommes étranges, qui prêchent et qui m'enlèvent chaque jour un si grand nombre d'âmes, me sont fort suspects et me mettent dans des embarras incroyables; il en est un que je n'ai jamais pu vaincre dans le désert, et l'autre nous y a si complètement vaincus et tellement affaiblis, que nous avons presque perdu courage; si ces hommes continuent comme ils ont commencé, tous nos triomphes passés tourneront à notre propre confusion. Ils ne peuvent pas être tous deux Messies; et je ne sais pas si l'un d'eux le serait; mais la conversion des âmes est une entreprise très-difficile, et je n'ai trouvé personne jusqu'à présent qui en ait tant converti; cela suppose une vertu nouvelle dont il nous importe beaucoup de rechercher et de reconnaître le principe, car il faut que nous en finissions avec ces deux hommes. Suivez-moi donc à l'instant, et employez avec moi toutes vos forces, tout votre pouvoir et toutes vos ruses; sinon tous nos desseins seront renversés. " 1068. Après avoir raisonné de la sorte, ces ministres d'iniquité résolurent de persécuter de nouveau notre Seigneur Jésus-Christ et son saint Précurseur; mais, comme ils ne pénétraient point les mystères cachés dans la Sagesse incréée, il n'y avait que contradiction et incertitude dans les divers renseignements qu'ils se transmettaient et dans les grandes conséquences qu'ils en tiraient; car ils ne savaient à quoi s'arrêter en voyant d'un côté tant de merveilles, et de l'autre tant de choses contraires aux marques 385 par lesquelles ils s'imaginaient que le Verbe incarne annoncerait sa venue. Or, Lucifer voulant communiquer sa malice à ses satellites et les faire entrer dans son dessein, qui était de découvrir la cause inconnue de l'abattement qu'il sentait, assemblait les démons afin qu'ils l'informassent de ce qu'ils avaient vu et entendu, et il leur promettait de grandes récompenses et des charges considérables dans sa république maudite. Et, afin que la malice de ces ministres infernaux s'embrouillât de plus en plus dans leur confuse rage, le Maître de la vie permit qu'ils eussent une plus grande connaissance de la sainteté de Baptiste. Quoiqu'il ne fit point des miracles comme le Sauveur, les marques de sa sainteté étaient pourtant insignes, et il était admirable en ses vertus extérieures. Sa Majesté cacha aussi au Dragon quelques-unes de ses merveilles les plus extraordinaires, et, dans ce qu'il parvenait 'à savoir, il trouvait une grande ressemblance entre Jésus-Christ et saint Jean; de sorte qu'il hésitait continuellement auquel des deux il attribuerait la dignité et l'office de Messie. Ce sont tous deux, disait-il, de grands saints et de grands prophètes; la vie de l'un, sans être éclatante, est fort extraordinaire, et l'autre opère beaucoup de miracles; leur doctrine est presque la même; ils ne peuvent être tous deux Messies, mais, quels qu'ils soient, je reconnais en eux de mortels ennemis et des saints d'une vertu éminente; il faut par conséquent que je les persécute jusqu'à ce que j'en sois venu à bout. 1069. Le démon commença à concevoir ces craintes 386 dès qu'il eut vu saint Jean mener dans le désert une vie si nouvelle et si prodigieuse depuis son enfance, et il crut que ce genre de vie surpassait les forces d'un simple mortel. D'autre part, il connut aussi quelques-unes des couvres et des vertus de la vie de notre Seigneur Jésus-Christ qui ne lui paraissaient pas moins admirables, et il les comparait avec celles du saint Précurseur. Mais, comme le Seigneur vivait parmi les hommes d'une manière plus commune, Lucifer s'attachait autant que possible à découvrir ce qu'était saint Jean. Et clans ce désir il, porta les Juifs et les pharisiens de Jérusalem à envoyer au saint des prêtres et des lévites pour savoir de lui qui il était (1), sil était le Christ, comme ils le croyaient par l'inspiration de l'ennemi. Et il fallait que cette impulsion fût,bien forte, puisqu'ils pouvaient observer que saint Jean Baptiste appartenant, comme il était notoire, à la tribu de Lévi, ne pouvait pas être le Messie, car il devait être, selon les Écritures (2), de celle de Juda; et ces pharisiens étaient savants en la loi et n'ignoraient point ces vérités. Mais le démon les troubla, et les porta à faire cette demande, avec une double malice du côté du même démon; car son intention était que le saint répondit sil était le Christ; et que s'il ne l'était pas, il s'enorgueillit de l'estime qu'il s'était acquise parmi le peuple, qui le croyait tel, et qu'il en tirât quelque vanité ou s'attribuât en tout. ou en partie l'honneur qu'on lui faisait. Dans cette malicieuse (1) Joan., I, 19. - (2) Ps. CXXXI, 14. 387 intention , Lucifer fut très-attentif à la réponse de saint Jean. 1070. Mais le saint Précurseur répondit avec une sagesse admirable, confessant la vérité d'une telle manière, que l'ennemi en fut plats abattu et plus confus qu'auparavant. Il répondit qu'il n'était pas le Christ. On lui demanda ensuite sil était Élie, car les Juifs étaient si grossiers, qu'ils ne savaient pas discerner le premier avènement du Messie d'avec le second; et comme ils trouvaient dans les Écritures qu'Élie devait venir auparavant, ils lui demandèrent s'il était Élie. Il répondit qu'il ne l'était point, mais qu'il était la voix qui, comme baie l'avait prédit, criait dans le désert . Aplanissez le chemin du Seigneur (1). Les personnes qu'on lui envoya firent toutes ces demandes à la suggestion de l'ennemi, parce qu'il croyait que si saint Jean était juste il dirait la vérité, et que s'il n'était pas le Messie, il découvrirait clairement qui il était. Mais quand il entendit qu'il était la voix, il en fut fort troublé, ne sachant pas si le saint voulait dire par là qu'il était le Verbe éternel. Le doute de Lucifer s'accrut, lorsqu'il eut réfléchi que saint Jean n'avait pas voulu découvrir aux Juifs d'une manière claire qui il était. Il s'imagina qu'il avait voulu éluder cette déclaration en disant qu'il était la voix ; car s'il eût dit qu'il était la parole de Dieu, il eût par là même déclaré qu'il était le Verbe. Ainsi cet esprit de confusion crut que, pour le cacher, le saint Précurseur (1) Joan., I, 20 et 21 ; Isa., XL, 3. 388 n'avait pas dit qu'il était la parole, mais la voix. Toutes ces méprises font voir le grand aveuglement de Lucifer dans le mystère de l'incarnation. Et au moment où il regardait les Juifs comme abusés et séduits, il l'était lui-même. beaucoup plus, nonobstant toute sa perverse théologie. 1071. Cette déception redoubla sa fureur contre Baptiste. Mais, considérant combien il lui avait mal réussi d'attaquer le Seigneur, et qu'il ne lui avait pas été moins impossible de faire tomber saint Jean dans aucun péché considérable, il résolut de chercher quelque autre moyen pour le persécuter. Il en trouva un fort à propos, et voici comment : Le saint Précurseur reprochait à Hérode l'adultère public et scandaleux qu'il commettait avec Hérodiade, femme de Philippe son frère, à qui il l'avait enlevée, comme le disent les évangélistes (1). Hérode savait que Jean était un homme juste et saint; il le craignait et le respectait, et il était même bien aise de l'entendre parler. Mais les impressions salutaires que la raison et la vérité pouvaient produire sur l'esprit de ce méchant prince étaient bientôt détruites par la haine implacable et satanique de cette Hérodiade et par les intrigues de sa fille, digne émule de son abominable mère. Emportée par sa passion criminelle, cette femme était parfaitement disposée à servir d'instrument au démon pour toutes les iniquités. Elle porta le roi à faire trancher la tête à Baptiste, après avoir été elle- même poussée par (1) Matth., XIV, 3 ; Marc., ... 17 ; Luc., III, 19. 389 l'ennemi à assurer par divers moyens le succès de ses desseins. Or, lorsque déjà Hérode avait fait enchaîner et mettre en prison (1) celui qui était la voix de Dieu lui-même et le plus grand entre les enfants des femmes, le jour arriva auquel il célébrait l'anniversaire de sa fatale naissance par un festin et un bal qu'il donna aux grands de sa cour et aux principaux de la Galilée, dont il était roi (2). Et l'impudique Hérodiade ayant introduit sa fille dans cette assemblée afin qu'elle y dansât, celle-ci sut tellement charmer le roi adultère, qu'il lui dit de demander tout ce qu'elle voudrait, et jura de le lui accorder, quand ce serait même la moitié de son royaume. Alors, à l'instigation de sa mère, remplie comme sa fille de la malice du serpent, elle demanda une chose bien plus précieuse que ce royaume et que plusieurs autres: ce fut la tête de Jean-Baptiste qu'elle exigeait qu'on lui apportât à l'instant même dans un bassin, et le roi ordonna qu'on lui obéit à cause de son serment, et pour s'être assujetti à une femme impudique qui s'était rendue maîtresse de toutes ses actions. Un homme rougirait d'être appelé femme, et regarderait ce nom comme un sanglant affront, parce qu'il le priverait du pouvoir et de la noblesse que renferme la qualité d'homme : mais c'est bien un plus grand déshonneur d'être moins qu'une femme, et de se conduire selon ses caprices; car celui qui obéit est inférieur à celui qui lui commande. Cependant il y en, a (1) Marc., VI, 17. - (2) Ibid., 21. 390 beaucoup qui se dégradent à ce point, sans comprendre que leur avilissement est d'autant plus honteux qu'une femme corrompue est un être plus abject et plus odieux : en effet, quand la femme a perdu cette vertu de la pudeur, il ne lui reste rien qui ne soit fort méprisable devant Dieu et devant les hommes. 1072. Lorsque Baptiste fut pris sur les instances d'Hérodiade, il reçut dans sa prison des faveurs singulières de notre Sauveur, et de sa très-sainte Mère par l'intermédiaire des anges, qui le visitaient très-souvent, par ordre de cette grande Dame, et lui portaient quelquefois à manger des mets qu'ils préparaient eux- mêmes. De son côté , le Seigneur, le consolait intérieurement par des grâces extraordinaires. Mais le démon, qui voulait venir à bout du saint Précurseur, ne laissa point Hérodiade en repos qu'elle ne lui eût procuré la mort, et se servit à cet effet de l'occasion du bal. Il inspira roi Hérode la promesse inconsidérée qu'il fit à la fille d'Hérodiade, et il acheva de l'aveugler en faisant croire à cet impie que son nom serait déshonoré s'il manquait d'accomplir l'inique serment par lequel il avait garanti sa promesse ; c'est ainsi qu'il ordonna qu'on tranchât la tète à saint Jean, comme il est rapporté dans l'Évangile (1). Au même moment la Reine de l'univers connut dans l'intérieur de son très saint Fils, suivant le mode qui lui était ordinaire, que l'heure de la (1) Marc., VI, 27. 391 mort de Baptiste approchait. Elle se prosterna aux pieds de Jésus-Christ, et le pria avec beaucoup de larmes d'assister son serviteur dans cette dernière heure, de le protéger et de le consoler, afin que la mort qu'il allait souffrir pour sa gloire et pour la défense de la vérité ; frit plus précieuse à ses yeux. 1073. Le. Sauveur témoigna à sa très-sainte Mère que sa prière lui était agréable, il lui dit qu'il voulait l'exaucer en tout point, et lui dit de le suivre. Aussitôt notre Rédempteur et l'auguste Marie, transportés par la vertu divine d'une manière invisible, entrèrent dans la prison, où l'illustre Précurseur était chargé de chaînes et tout couvert de plaies; car Hérodiade, qui voulait s'en défaire, avait prescrit à six de ses domestiques de le flageller sans miséricorde; et pour plaire à leur impudique maîtresse, ils exécutèrent ponctuellement ses ordres impies à trois différentes reprises. Cette femme cruelle espérait par ces mauvais traitements ôter la vie à Baptiste avant qu'arrivât la fête en laquelle Hérode commanda cette injuste exécution. Le démon excita ces barbares satellites à le maltraiter saris pitié, à vomir contre sa personne et contre la doctrine qu'il prêchait toute sorte d'outrages et de blasphèmes ; c'étaient d'ailleurs des gens pervers, dignes serviteurs d'une misérable adultère. La prison du Précurseur fut remplie de lumière, et sanctifiée par la présence de Jésus-Christ, de sa très-sainte Mère et d'une grande multitude d'anges, pendant que les palais d'Hérode servaient de retraite à 392 d'impurs démons, et de demeure à des ministres beaucoup plus criminels que tous ceux qu'ils avaient fait jeter dans les prisons. 1076. Le saint Précurseur vit le Rédempteur du mande et sa très-sainte Mère environnés d'une grande splendeur, et accompagnés d'anges innombrables; les chaînes dont il était chargé se brisèrent à l'instant, et ses plaies se trouvèrent entièrement guéries; et ressentant une joie ineffable, il se prosterna avec une profonde humilité et une merveilleuse dévotion aux pieds du Verbe incarné et de l'auguste Marie, et leur demanda leur bénédiction; ils eurent ensuite avec lui plusieurs divins entretiens; je ne m'arrête point à les écrire, mais je dirai seulement ce qui m'a le plus touchée dans ma tiédeur. Le Seigneur dit à Baptiste avec une douceur incomparable : " Jean, mon serviteur bien-aimé, comment donc devancez- vous votre Maître? comment êtes-vous le premier lié, flagellé et affligé, offrez- vous votre vie et souffrez-vous la mort pour la gloire de mon Père, avant que moi- même j'aie souffert? Vos désirs vont bien vite, puisque vous jouissez sitôt du prix des souffrances et des afflictions que j'ai destinées pour mon humanité; mais c'est que mon Père éternel récompense le zèle avec lequel vous avez rempli l'office de mon Précurseur. Que vos ardents souhaits soient accomplis, tendez le cou au glaive, car je l'ordonne de la sorte, afin que vous ayez avec ma bénédiction le bonheur de souffrir et de mourir pour mon nom. J'offre à mon Père votre précieuse 393 mort en attendant que bientôt l'heure de la mienne arrive. " 1075. Baptiste eut le coeur pénétré de la vertu et de la douceur de ces paroles, inondé des délices de l'amour divin, et il resta quelque temps sans pouvoir parler. Mais, fortifié par la grâce céleste, il se trouva en état de répondre à son Seigneur, et de le remercier de ce bienfait ineffable, un des plus grands qu'il eût reçus de sa main libérale, et il dit avec beaucoup de larmes et de soupirs qui partaient du plus intime de son âme: " Je n'étais pas digne, mon divin Seigneur, de souffrir des peines et des tribulations qui méritassent d'être consolées par une faveur celle que celle de jouir de votre adorable présence, et de la présence de votre sainte Mère, mon auguste Reine, et je suis toujours indigne de ce nouveau bienfait. Permettez néanmoins, Seigneur, que je meure avant vous, afin que je puisse par là glorifier davantage votre infinie miséricorde, et faire mieux connaître votre saint nom; agréez en même temps le désir que je vous offre de subir pour ce saint nom une mort plus pénible à la suite de plue longs tourments. Qu'Hérode, que les méchants, que l'enfer même triomphent de ma vie; car je la leur abandonne avec beaucoup de joie pour vous, a mon divin Maître. Acceptez-la, mon Dieu, comme un sacrifice agréable. Et vous, Mère de mon Sauveur, jetez les yeux de votre très-douce miséricorde sur votre serviteur, et conservez -moi en votre grâce comme Mère de notre Bien éternel. J'ai 394 pendant toute ma vie méprisé la vanité , aimé la croix que mon Rédempteur doit sanctifier, et souhaité de semer dans les larmes (1); mais je n'ai jamais pu mériter cette joie, qui me rend mes souffrances si douces, ma prison si agréable, et la mort même plus désirable et plus chère que la vie. " 1076. Pendant que Baptiste s'exprimait en ces termes, trois serviteurs d'Hérode entrèrent dans la prison suivis d'un bourreau, car la haine implacable de cette femme aussi cruelle qu'impudique avait pris avec célérité toutes ses mesures. Se soumettant aux ordres impies d'Hérode, le très-saint Précurseur tendit le cou; et le bourreau lui trancha aussitôt la tète. Au moment même où le coup fut porté, le souverain Prêtre Jésus-Christ, qui assistait au sacrifice, reçut entre ses bras le corps du plus grand d'entre les enfants des hommes, -et la très-pure Mère en reçut la tête entre ses mains, offrant tous deux au Père éternel la nouvelle hostie sur l'autel sacré de leurs mains divines. Cela put avoir lieu, non-seulement parce que Jésus et Marie se trouvaient dans la prison d'une manière invisible pour les témoins du crime, mais aussi à cause d'une dispute qui s'élevait entre les serviteurs d'Hérode, pour savoir qui d'entre eux porterait à l'infâme danseuse et à sa mère impie la tête du saint Précurseur. Ils perdirent tellement leur présence d'esprit dans cette contestation , que l'un des trois prit la tête des mains de la Reine du ciel sans (1) Ps. CXXV, 5. 396 remarquer où il la trouvait, et les autres le suivirent pour la présenter dans un bassin à la fille d'Hérodiade. Notre Rédempteur fit accompagner dans let limbes l'âme de Baptiste par une grande multitude d'anges, et non arrivée causa aux saints patriarches une joie extraordinaire. Quant au Roi et à la Reine de l'univers, ils retournèrent à l'endroit où ils étaient avant de visiter saint Jean. La sainte Église compte beaucoup d'auteurs qui ont écrit sur la sainteté et sur les excellences de ce grand Précurseur, mais il y a encore beaucoup de choses à en dire, et j'en ai appris quelques-unes. Toutefois je ne les rapporterai pas, pour ne pas m'écarter de mon sujet, et pour ne pas trop allonger cette divine histoire. Je me borne à dire que le bienheureux Précurseur reçut dans tout le cours de sa vie de très-grandes faveurs de notre Seigneur Jésus-Christ et de sa très-sainte Mère; soit en sa naissance, soit dans le désert, soit durant sa prédication, soit à l'heure de sa mort; de sorte que la divine Droite n'en a accordé de semblables à aucune nation. Instruction que notre auguste Maîtresse m'a donnée. 1077. Ma fille, vous avez passé fort rapidement sur les mystères de ce chapitre, mais le peu que vous en avez dit renferme de grands enseignements pour 396 vous et pour tous les enfants de la lumière, ainsi que vous l'avez compris. Gravez ces enseignements dans votre coeur, et considérez sérieusement le contraste que présentent la sainteté et la pureté de Baptiste pauvre, affligé, persécuté, enchaîné, et le caractère odieux du roi Hérode, puissant, riche, adulé, entouré de serviteurs plongés dans les délices de la volupté. Ils étaient tous deux d'une même nature', mais leurs qualités étaient bien différentes; car l'un faisait un bon usage de son libre arbitre et des choses visibles, et l'autre en usait très-mal. Les austérités, la pauvreté, l'humilité, le mépris, les afflictions et le zèle de la gloire du Seigneur firent obtenir à notre serviteur Jean la consolation de mourir entre les bras de mon très-saint Fils et entre les miens : bienfait singulier, au-dessus de toute appréciation humaine. Le faste, la vanité, l'orgueil, la tyrannie et la luxure conduisirent au contraire Hérode à une mort malheureuse que lui fit subir un agent du Très-Haut, et le précipitèrent dans les peines éternelles. Vous devez être persuadée que c'est ce qui arrive maintenant; et ce qui arrivera toujours dans le monde, quoique les hommes n'aient l'air ni de le penser ni de le craindre. Ainsi les uns aiment, et les autres redoutent la vanité et la puissance de la gloire du monde , sans en considérer le terme, et sans songer qu'elles sont plus fugitives que l'ombre et plus corruptibles que l'herbe. 1078. Les hommes ne considèrent pas non plus la On principale, et ne sondent point la profondeur de l'abîme dans lequel les entraînent les vices, même 397 pendant leur vie présente; car quoique le démon ne puisse leur ôter leur liberté ni avoir aucune juridiction immédiate sur leur volonté; néanmoins, comme ils la lui livrent si souvent par des péchés énormes, il acquiert un si grand pouvoir sur elle, qu'il s'en sert comme d'un instrument dont il a la disposition pour leur faire commettre toutes les iniquités qu'il leur suggère. Les hommes ont sous les yeux mille exemples aussi lamentables les uns que les autres, et pourtant ils ne parviennent point à connaître le danger formidable qu'ils courent, et ne se demandent point où leurs péchés peuvent les faire aboutir, par un juste jugement du Seigneur, comme le criminel Hérode, et comme la complice de son adultère. Pour amener les âmes sur le bord du précipice, Lucifer conduit les mortels par les sentiers de la vanité, de l'orgueil, de la gloire du monde, de la volupté; et il leur représente qu'il n'y a rien de plus grand et de plus désirable. De sorte que les enfants de perdition renoncent dans leur ignorance à la raison pour suivre leurs inclinations dépravées, et s'abandonner aux plaisirs charnels, esclaves volontaires de leur mortel ennemi. Ma fille, le chemin de l'humilité, de l'humiliation, des afflictions, voilà celui que nous avons montré, mon très-saint Fils et moi. C'est là le grand chemin de la vie, nous y avons marché les premiers , et nous nous sommes eu même temps constitués les maîtres et les protecteurs des affligés. El lorsqu'ils nous appellent dans leurs besoins, nous les assistons d'une manière merveilleuse, et par les faveurs les plus 398 insignes. Les partisans du monde qui recherchent des vaines jouissances et qui fuient le chemin de la croix, se privent de cette protection et de ces bienfaits. Vous avez été appelée dans ce chemin, et vous y êtes attirée par la douceur de mon amour et de ma doctrine. Suivez-moi donc, et faites tous vos efforts pour m'imiter; sachez que vous avez trouvé le trésor caché et la perle précieuse (1) pour lesquels vous devez renoncer à tout ce qui est terrestre et à votre propre volonté, en tant qu'elle pourrait être contraire à celle du Très-Haut. CHAPITRE V. Les faveurs que les apôtres reçurent de notre Rédempteur Jésus- Christ, à cause de la dévotion qu'ils avaient à sa très-sainte Mère. - Judas se perdit pour ne l'avoir pas eue. 1079. La conduite de la très-prudente Marie à l'égard du sacré collège des apôtres et des disciples de notre Seigneur Jésus-Christ , était le miracle des miracles, et la merveille des merveilles de la toute-puissance divine. Elle y déployait une sagesse vraiment inexprimable; mais si j'entreprenais de rapporter (1) Matth., XIII, 44. 399 seulement ce que j'en ai pu comprendre, il faudrait que de ce seul article je fisse un gros volume. J'en dirai quelque chose dans ce chapitre et dans toute la suite de cette histoire quand l'occasion s'en présentera; tout ce que j'en pourrai écrire sera fort au-dessous du sujet; toutefois ce peu sera suffisant pour notre instruction. Le Seigneur inspirait à tous ses disciples, en même temps qu'il les recevait dans son école, les sentiments d'une dévotion singulière et d'un profond respect pour sa très- sainte Mère, tels qu'ils convenaient à des personnes appelées à avoir avec elle des rapports si fréquents et si familiers. Mais bien que les célestes rayons de la divine lumière tombassent sur tous, elle n'était pas égale pour tous, parce que le Seigneur distribuait ses dons selon les qualités de ses ministres, et selon les offices auxquels il les destinait. Les doux et admirables entretiens de leur grande Reine et Maîtresse ne firent ensuite qu'accroître leur vénération et leur respectueux amour; car elle parlait à tous, elle les aimait, les consolait, les instruisait et les secourait dans tous leurs besoins; de sorte qu'ils ne sortaient jamais de sa présence et de sa conversation sans éprouver une joie et une consolation intérieure telles, qu'elles surpassaient même leurs désirs. Mais le fruit plus ou moins salutaire de ces faveurs répondait à la disposition du coeur de ceux qui recevaient cette semence céleste. 1080. Ils ne la quittaient jamais que ravis d'admiration, et concevaient de très- hautes idées de la prudence, de la sagesse, de le pureté de cette grande 400 Dame et de sa majestueuse dignité, jointe à une douceur si tranquille et si humble, qu'aucun disciple ne trouvait de termes pour les dépeindre. Le Très-Haut lui-même le disposait ainsi, parée que, comme je l'ai dit au chapitre XXVIII du livre V, le temps de dévoiler au monde cette Arche mystique du nouveau Testament n'était pas encore venu. Et semblables à celui qui, désirant vivement parler sans néanmoins pouvoir découvrir ses pensées, les concentrerait de plus en plus avant dans son coeur, les apôtres, réduits à garder le silence, puisaient dans les faveurs qu'ils obtenaient un plus puissant motif d'aimer et de révérer la très-pure Marie, et de louer intérieurement Celui qui l'avait élevée à un si haut duré de perfection. Comme notre auguste Princesse connaissait, par la science incomparable dont elle était dépositaire, le naturel de chacun, sa grâce, son état et le ministère auquel il était destiné, elle réglait sur cette connaissance les prières qu'elle adressait au Seigneur pour eux, et les instructions, les paroles et les faveurs qui leur étaient convenables, selon leur vocation. Cette manière d'agir, si agréable au Seigneur de la part d'une simple créature, fut pour les saints anges un nouveau sujet d'admiration; et le Tout-Puissant faisait, par sa providence secrète, que les mimes apôtres répondaient de leur côté aux bienfaits qu'ils recevaient par sa très-sainte Mère. Tout cela composait une divine harmonie qui ne frappait que les esprits célestes. 1081. Saint Pierre et saint Jean furent distingués 401 en ces faveurs et en ces mystères; le premier, parce qu'il devait être le vicaire de Jésus-Christ et le chef de l'Église militante; et c'est à cause de cette dignité à laquelle le Seigneur le destinait que la bienheureuse Vierge aimait et révérait singulièrement saint Pierre; le second, parce qu'il devait tenir la place du même Seigneur en recevant la qualité de fils de cette illustre Reine, et en lui faisant compagnie sur la terre. Ces deux apôtres, sous la garde desquels devaient être partagées l'Église mystique, l'auguste Marie, et l'Église militante des fidèles, furent particulièrement favorisés de cette grande Reine de l'univers. Mais, comme saint Jean était choisi pour la servir' et pour avoir l'Honneur d'être spécialement son fils adoptif, il, reçut des dons particuliers en rapport avec les services qu'il lui devait rendre, et commença dès lors à se distinguer par son zèle. Et, quoique tous les apôtres portassent cette dévotion à un degré si haut qu'il dépasse notre intelligence, l'évangéliste saint Jean pénétra néanmoins plus avant dans les mystères cachés de cette, Cité mystique du Seigneur; c'est là qu'il fut éclairé d'une si vive lumière de la Divinité, qu'à cet égard il surpassa tous les apôtres, comme le témoigne son Évangile; car toutes ces connaissances lui furent accordées par le moyen de la Reine du ciel, et il obtint, par l'amour filial qu'il lui avait voué, le privilège d'être appelé entre tous les apôtres le bien-aimé de Jésus (1); c'est pour cette même raison qu'il reçut (1) Joan., XXI, 20. 402 aussi de grands bienfaits de notre auguste Dame, car il fut par excellence le disciple bien-aimé de Jésus et de Marie. 1082. Le saint évangéliste avait, outre la vertu de chasteté virginale, entre autres vertus qui ne plaisaient pas moins à la Maîtresse de la perfection, cette simplicité de colombe qui règne dans ses écrits, et une mansuétude sereine qui le rendaient extrêmement affable et pacifique; aussi la divine Mère appelait-elle tous ceux qui étaient doux et humbles de cœur les portraits de son très-saint Fils. C'est à cause de ces qualités qui distinguaient saint Jean que la bienheureuse Vierge lui portait une plus tendre affection, comme lui-même fut mieux disposé à concevoir pour elle l'amour le plus respectueux et le dévouement le plus sincère. De. sorte qu'il commença dès sa première vocation, comme je l'ai dit ailleurs, à se signaler entre tous par sa dévotion à la très-pure Marie, et à lui obéir avec une humilité incomparable. Il s'attachait à elle avec plus d'assiduité que les autres, et autant que possible ne s'éloignait point de sa présence; il l'assistait même dans quelques occupations manuelles auxquelles se livrait la Reine de l'univers, et il eut quelquefois le bonheur de se charger d'humbles travaux, à propos desquels il entrait dans de saintes émulations avec les anges de cette même Reine; mais c'était elle qui triomphait toujours en cette sublime vertu d'humilité, sans que ni les hommes ni les anges aient pu jamais l'égaler en la moindre action. Le disciple bien-aimé était aussi fort ponctuel à informer 403 sa divine Maîtresse de toutes les merveilles que le Sauveur avait opérées lorsqu'elle était absente, et du nombre des nouveaux disciples qui avaient reçu sa doctrine. Il s'étudiait toujours à connaître ce qui pourrait lui être le plus agréable, et faisait toutes ses actions en conséquence. 1083. Saint Jean se distinguait aussi par le ton respectueux avec lequel il parlait à l'auguste Marie; il l'appelait toujours Madame lorsqu'elle était présente, et en son absence il la désignait sous le nom de Mère de notre maître Jésus-Christ. Et après l'ascension du même Seigneur, il fut le premier qui l'appela Mère de Dieu et du Rédempteur du monde, et en sa présence il lui disait Mère ou Madame. Il lui donnait aussi d'autres titres, tels que ceux de Réparatrice du péché, de Maîtresse des nations. Il fut encore le premier qui l'appela Marie de Jésus, et après lui les premiers fidèles se servirent souvent de ce nom; et le saint évangéliste le lui donna, parce qu'il sut qu'elle l'entendait répéter avec une complaisance infinie. Quant à moi, je désire exprimer toute mon allégresse et toute ma gratitude au Seigneur de ce qu'il a daigné m'appeler sous ce même nom, malgré mon indignité, à la lumière de la sainte Église et de la foi, et à la religion que je professe. Les autres apôtres et les disciples connaissaient la faveur dont saint Jean jouissait auprès de la bienheureuse Vierge, et ils le sollicitaient maintes fois d'être leur intercesseur pour certaines choses qui ils voulaient demander ou proposer à la puissante Reine; et le saint apôtre lui offrait ses 404 prières avec sa charité ordinaire, sachant mieux que personne combien cette bonne mère était compatissante et miséricordieuse. Je dirai d'autres choses sur ce sujet dans la suite de cette histoire, surtout dans la troisième partie; et il est sûr, que l'on pourrait faire un long ouvrage à ne rapporter que les bienfaits dont ce saint évangéliste fut comblé par la Reine de l'univers. 1084. Après les deux apôtres saint Pierre et saint Jean, l'apôtre saint Jacques, frère du second, fut particulièrement aimé de l'auguste Vierge, et il en obtint des faveurs admirables; j'en raconterai quelques-unes dans la troisième partie. Saint André fut aussi du nombre de ceux qui étaient des plus chers à notre grande Reine, parce qu'elle savait que cet apôtre aurait une dévotion particulière pour la passion et, pour la croix de son divin Maître, et qu'il y mourrait à son exemple. Je ne m'arrête point à énumérer les bienfaits que les autres apôtres en reçurent : je dirai seulement qu'elle les aimait et les vénérait avec la plus juste mesure, .avec autant de charité que d'humilité , les uns pour une vertu, les autres pour une autre, et tous pour son très-saint Fils. La Madeleine vint sur le même rang après sa conversion; car notre divine Princesse la regardait avec une tendre affection à cause de l'amour qu'elle portait à son adorable Fils, et parce qu'elle comprenait que le coeur`de cette illustre pénitente était propre à faire éclater les plus glorieuses merveilles de la droite du Tout-Puissant. La bienheureuse Marie la traitait avec beaucoup de 405 familiarité entre les autres femmes, et lui découvrait de très-hauts mystères qui augmentaient dé plus en plus son amour envers son divin Maître et envers son auguste Mère. La sainte communiqua à notre Reine les désirs qu'elle avait de se retirer dans quelque solitude pour y servir le Seigneur dans une pénitence et dans une contemplation continuelle; et notre trèsdouce Maîtresse lui donna de sublimes instructions dont elle se servit ensuite dans le désert; et quand elle y alla, ce fut avec son agrément et sa bénédiction : la Mère du Sauveur la visita une fois elle- même dans le désert et lui envoya très-souvent des anges pour la fortifier et la consoler dans cette affreuse solitude. Les autres femmes qui suivaient le Maître de la vie reçurent aussi de très-grandes faveurs de sa très-sainte Mère; comme tous les disciples, elles obtinrent des bienfaits incomparables, qui inspirèrent, aux uns et aux autres la dévotion la plus fervente et la plus tendre pour la Mère de la grâce; car les uns et, les autres puisèrent cette grâce avec abondance en elle et par elle, comme en Celle en qui Dieu l'avait mise en, dépôt pour tout le genre humain. Je ne m'étends pas davantage sur cette matière, qui exigerait de très-longs développements; ils ne sont d'ailleurs pas nécessaires, puisqu'on peut s'instruire à cet égard dans. la sainte Église. 1085. Je dirai seulement quelque chose de ce que j'ai appris sur le perfide apôtre Judas, parce que cette histoire demande ici quelques détails peu connus. Ce que je rapporterai servira de leçon aux pécheurs, 406 d'exemple aux obstinés, et d'avis à ceux qui sont peu dévots à la très-pure Marie, s'il se trouve un homme qui ne le soit pas assez envers une créature si sainte et si aimable, que Dieu a aimée d'un amour infini; les anges, de toutes leurs forces spirituelles; les apôtres et les saints, du fond de leur âme, et que toutes les créatures doivent aimer avec une pieuse jalousie, sans pouvoir jamais lui donner les affections qui lui sont dues. Ce malheureux apôtre commença, par son indévotion envers cette très-sainte Dame, à s'éloigner du vrai chemin qui conduit à l'amour de Dieu et à la possession de ses dons. Les choses qui m'en ont été découvertes, afin que je les écrivisse avec le reste, sont conformes à celles que je vais dire. 1086. Judas vint à l'école de notre adorable Maître Jésus-Christ, attiré extérieurement par la force de sa doctrine, et intérieurement par celle du Saint- Esprit, qui y poussait les autres. Prévenu de ce divin secours, il pria le Sauveur de l'admettre au nombre de ses disciples, et le Seigneur le reçut avec des entrailles de père miséricordieux, qui ne rejette aucun de ceux qui le cherchent avec sincérité. Judas obtint dans le principe d'autres faveurs spéciales de la divine droite, au moyen desquelles il surpassa quelques-uns des autres disciples, et fut appelé au nombre des douze apôtres; car le Seigneur l'aimait selon le bon état présent dans lequel il se trouvait, et les couvres saintes qu'il faisait comme les autres disciples. La Mère de la grâce le regarda aussi alors avec miséricorde; quoiqu'elle prévit déjà par sa science infuse la trahison 401 qu'il commettrait à la fin de son apostolat, elle ne lui refusa pas son intercession ni sa charité maternelle; elle fit au contraire tous les efforts possibles pour justifier la cause de son très-saint Fils vis-à-vis de ce malheureux apôtre, afin qu'il ne pût alléguer, quand il voudrait se disculper de sa méchanceté, aucune espèce d'excuse valable, même aux yeux des hommes. Et comme elle savait que le caractère de Judas ne se laisserait point vaincre par la rigueur, mais qu'il s'endurcirait plutôt dans son obstination, cette très-prudente Dame veillait à ce qu'il ne manquât jamais soit du nécessaire, soit de l'utile; elle le prévenait par des témoignages particuliers d'amitié, l'accueillait et l'entretenait avec une douce bonté, et le distinguait parmi les autres. De sorte que, si parfois une certaine rivalité s'élevait entre les disciples pour savoir lequel d'entre eux avait le plus part à la bienveillance de notre grande Reine (comme il leur arriva aussi à l'égard de Jésus-Christ, ainsi qu'il est marqué dans l'Évangile), Judas n'eut jamais sujet d'avoir cette jalousie dans le commencement; car cette auguste Dame le favorisa toujours d'une manière singulière, et lui-même se montra plus d'une fois reconnaissant de ses bienfaits. 1087. Mais, comme Judas n'était pas fort aidé de ses inclinations naturelles, et que l'on remarquait chez les disciples et les apôtres certains défauts habituels à des hommes qui n'étaient pas absolument affermis (1) Luc., XXII, 24. 408 en la perfection ni encore confirmés dans la grâce, cet imprudent disciple commença à se considérer avec quelque complaisance et à se troubler des fautes de ses frères, auxquelles il s'arrêtait plus qu'aux siennes propres (1). Dès qu'il se fut une fois livré sans défiance à cette funeste illusion, sans chercher à en prévenir les suites, la poutre grossit d'autant plus dans ses propres yeux, qu'il examinait avec une présomption plus indiscrète les moindres fétus de paille dans ceux de son prochain; il murmurait des plus petites fautes de ses frères, et prétendait les corriger avec plus d'orgueil que de zèle, pendant qu'il en commettait lui-même de beaucoup plus grandes. Se trouvant parmi les autres apôtres, il représenta saint Jean comme voulant faire l'intrigant auprès de leur divin Maître et de sa bienheureuse Mère, ne comptant pour rien tant de faveurs qu'il recevait de l'un et de l'autre. Néanmoins les désordres de Judas n'étaient jusque-là que des péchés véniels qui ne lui firent point perdre la grâce justifiante. Mais ils étaient aggravés par de très-mauvaises circonstances, et d'ailleurs très-volontaires, car il donna une entrée tout à fait libre au premier, qui fut une vaine complaisance; celui-ci appela incontinent le, second, qui fut une espèce d'envie, et de là s'ensuivit le troisième, qui fut de blâmer intérieurement ses frères, et de juger avec peu de charité leurs actions. Ces péchés ouvrirent la porte à d'autres plus grands, car il laissa aussitôt s'attiédir dans son coeur (1) Luc., VI, 41. 409 la ferveur de la dévotion , puis se refroidir la charité envers Dieu et envers son prochain; alors le jour commença à baisser et la lumière intérieure s'éteignit en lui, de sorte qu'il regardait déjà les apôtres et même l'auguste Marie avec une espèce de répugnance, s'ennuyant dans leur conversation, et trouvant à redire à leurs actions les plus saintes. 1088. Notre très-prudente Dame connaissait le dérèglement intérieur de Judas, et tachait d'y apporter tout le remède possible pour l'empêcher de tomber dans la mort du,péché; elle l'avertissait avec la douceur la plus touchante, comme un fils bien- aimé, du danger auquel il s'exposait, et employait les raisons les plus fortes pour calmer son esprit. Et quoiqu'elle réussît parfois à calmer l'orage qui commençait à gronder dans le coeur de l'inquiet apôtre, il ne se maintenait pas longtemps dans cette tranquillité; et il était bientôt tourmenté par de nouveaux troubles. Puis, donnant un plus facile accès au démon, il en vint jusqu'à s'irriter contre la plus indulgente des mères, et jusqu'à vouloir cacher, ou nier, ou excuser ses propres fautes, comme s'il eût pu tromper ses divins maîtres par son hypocrisie, ou leur dérober le secret de son coeur. Il perdit alors le respect intérieur qu'il avait pour la Mère de miséricorde, méprisant ses plus charitables avis, et lui reprochant la douceur même de ses leçons et de ses paroles. Par cette audacieuse ingratitude, il perdit la grâce, et encourut tonte l'indignation du Seigneur, qui, pour le punir de ses irrévérences sacrilèges, le laissa dans la, main de son 410 conseil (1) : car en rejetant lui-même la grâce et l'intercession de la bienheureuse Vierge, il ferma les portes de la miséricorde et de son salut. Cette aversion qu'il conçut pour la plus tendre mère, le porta bientôt à haïr son adorable Maître, à blâmer et critiquer sa doctrine, à trouver trop fatigante la vie, et trop ennuyeux les entretiens des apôtres. 1089. Le Seigneur ne l'abandonna pourtant pas dès lors ; il lui envoyait toujours des secours intérieurs ; et quoiqu'ils fussent moins extraordinaires que ceux qu'il recevait auparavant, ils ne laissaient pas d'être suffisants s'il eût voulu y coopérer. Notre très-charitable Dame y joignait ses douces exhortations et le pressait de se convertir, de s'humilier et de solliciter son pardon de son divin Maître : elle le lui promit de la part du Seigneur lui-même, et s'offrit de prier pour lui et de faire pénitence pour ses péchés, parce qu'elle demandait seulement qu'il s'en repentit et qu'il s'en corrigeât. La Mère de la grâce lui proposa toutes ces choses, pour le tirer du précipice qu'il glissait, sachant très-bien que le plus grand mal n'est pas de tomber, mais de ne point se relever et de persévérer dans le péché. Le superbe disciple ne pouvait point repousser les témoignages que sa conscience lui rendait de son mauvais état; mais commençant à s'endurcir, il craignit la confusion qui aurait pu lui acquérir de la gloire, et tomba dans celle qui aggrava son péché. Il rejeta par cet orgueil les salutaires (1) Eccles., XV, 14. 411 conseils de la Mère du Sauveur, et, comme pour lui cacher sa malice, il protesta faussement qu'il aimait toujours son adorable Maître, et ses frères, et qu'à cet égard il n'avait pas besoin de s'améliorer. 1090. Notre Seigneur Jésus-Christ et sa très-sainte Mère nous ont laissé un exemple admirable de charité et de patience dans la conduite qu'ils tinrent envers Judas après. sa chute dans le péché: car ils le souffrirent en leur compagnie avec une indulgence telle, qu'ils ne lui témoignèrent jamais le moindre changement, et continuèrent à le traiter avec la même bonté que les autres. C'est pour cela que le désordre intérieur de Judas resta si caché aux apôtres. Toutefois on découvrait dans sa conversation ordinaire et dans son attitude des signes non équivoques de ses mauvaises dispositions, parce qu'il ne nous est pas facile, ni presque possible, de violenter toujours nos inclinations assez pour les dissimuler. dans les choses que nous faisons avec peu de réflexion, nous agissons nécessairement selon notre naturel, et alors nous le trahissons, du moins près de ceux qui nous fréquentent le plus. C'est ce qui arrivait à Judas. Mais comme les apôtres connaissaient l'affabilité et l'affection avec lesquelles notre Rédempteur et sa très-sainte Mère le traitaient, sans pouvoir remarquer aucun changement dans leur conduite, les soupçons qu'ils avaient formés se dissipaient, et ils ne s'arrêtaient point aux apparences qui leur faisaient craindre la chute. C'est pour cette même raison qu'ils furent tous surpris quand le Seigneur leur annonça en la dernière Cène légale 412 qu'un d'entre eux le trahirait; et que chacun lui dit : Est-ce moi, Seigneur (1) ? Quant à saint Jean, comme il eut quelque connaissance des infidélités de Judas, à cause de la grande familiarité qu'il avait avec le Sauveur et la bienheureuse Vierge, et qu'en conséquence il mettait plus de réserve dans ses rapports avec le traître, le Seigneur lui-même lui découvrit ses sentiments, mais seulement par l'indication de certaines marques, ainsi que le rapporte l'Évangile (2). Car jusqu'alors l'adorable Sauveur n'avait jamais manifesté ce qui se passait en Judas. Cette patience est plus admirable en notre auguste Reine, parce qu'elle était mère , une simple créature, et qu'elle regardait comme fort proche la trahison que le perfide disciple méditait contre son très-saint Fils, qu'elle aimait comme mère et non comme servante. 1091. O ignorance ! ô folie des mortels ! combien différente est notre conduite, lorsque nous recevons quelque légère injure, nous qui en avons mérité de si grandes ! Avec quelle impatience nous supportons les faiblesses de notre prochain , voulant cependant qu'on supporte les nôtres ! Quelle peine n'avons-nous pas quand nous faut pardonner une offense, quoique nous priions tous les jours le Seigneur de pardonner les nôtres (3) ! Comme nous sommes prompts à divulguer sans pitié les fautes de nos frères, et prompts à nous fâcher lorsqu'on parle de nos défauts ! Nous ne (1) Matth., XXVI, 41 ; Marc., XIV, 18. - (2) Luc., XXII, 21 ; Joan., XIII, 18, 26. - (3) Matth., VI, 12. 413 voulons mesurer personne avec la même mesure dont nous serions bien aises que l'on nous mesurât, et nous ne prétendons pas que l'on nous juge aussi rigoureusement que nous jugeons notre prochain (1). Tout cela n'est que perversité, que ténèbres suscitées par le souffle du dragon infernal, qui veut s'opposer à la suréminente vertu de charité, et troubler l'ordre de la justice divine et de la raison humaine : car Dieu est charité, et celui qui l'exerce parfaitement demeure en Dieu, et Dieu demeure en lui (2). Lucifer n'est que rage et que vengeance, et ceux qui l'imitent demeurent en Lucifer, qui les pousse dans tous les vices qui s'opposent au bien des autres. J'avoue que la beauté de la charité m'a toujours ravie, et que j'ai un très-grand désir de l'avoir pour amie ; mais aussi je vois dans le clair miroir de la merveilleuse charité que Jésus et Marie ont déployée envers l'ingrat apôtre, que je ne suis jamais arrivée au commencement de la plus excellente des vertus. 1092. Mais de peur que le Seigneur ne me reproche mon silence, j'ajouterai une autre cause de la chute de Judas. Le nombre des apôtres et des disciples s'étant accru, le divin Sauveur résolut de confier à quelqu'un d'entre eux le soin de recevoir des aumônes, de les distribuer en qualité de syndic ou économe pour les nécessités communes, et de payer les tributs impériaux ; Jésus leur proposa ces l'onctions sans choisir personne. Judas les envia aussitôt, tandis que tous (1) Matth., VII, 1 et 2. - (2) I Joan., IV, 16. 414 les autres les redoutaient et désiraient les décliner. Et pour obtenir l'office qu'il convoitait, il ne rougit pas de prier saint Jean d'en parler à notre auguste Reine, afin qui elle le demandât pour lui à son très- saint. Fils. Saint Jean s'acquitta de cette commission Mais comme la très-prudente Mère savait que la prétention de Judas n'était ni juste ni convenable, et qu'elle partait d'un coeur ambitieux et avide des biens de la terre, elle ne voulut point transmettre sa demande à notre divin Maître. Judas fit de nouvelles tentatives par l'intermédiaire de saint Pierre et de quelques autres apôtres, mais toujours en vain; parce que le Très-Haut voulait empêcher par un effet de sa bonté qu'il n'entrât dans cet emploi, ou justifier sa cause après le lui avoir donné. Judas, dont le coeur était déjà tyrannisé par l'avarice, loin de se ralentir pour toutes ces difficultés, redoubla ses funestes empressements, à l'instigation de Satan, qui lui inspirait des pensées d'ambition indignes même de toute personne se trouvant dans un état ordinaire. Que s'il eût été pour les autres honteux et criminel d'y consentir, ce devait l'être beaucoup plus pour Judas, qui était formé à l'école de la plus grande perfection, et éclairé du Soleil de justice, notre Seigneur Jésus-Christ, et de la Lune sans tache, l'auguste Marie. Au jour de l'abondance et de la grâce, tandis que ce divin Soleil l'éclairait, il ne pouvait ignorer qu'il ne frit coupable en obéissant à de pareilles suggestions; et non plus dans la nuit de la tentation, puisqu'alors notre charitable Dame, que nous avons figurée par la lune, influait 415 sur lui ce qu'il fallait pour le garantir des morsures du serpent. Mais comme il fuyait la lumière et qu'il cherchait les ténèbres, il courait au précipice, et surmontant ses répugnances et sa honte, colorant même sa cupidité d'un vernis de vertu, il ne craignit pas de demander lui-même à la bienheureuse Vierge l'office auquel il aspirait. Il l'aborda, et lui dit que la demande que Pierre et Jean lui avaient faite de sa part procédait du désir qu'il avait de la mieux servir, et de veiller à ce que rien ne manquât à son Fils parce que les autres, ajouta-t-il, ne s'en acquittaient pas comme il fallait; ainsi il la suppliait d'obtenir de son Maître cet emploi pour lui. 1093. La grande Reine de l'univers lui répondit avec beaucoup de mansuétude: " Pesez bien, mon très-cher, ce que vous demandez; examinez si l'intention avec laquelle vous le désirez est droite, et ce réfléchissez s'il vous est avantageux de souhaiter ce que tous vos frères craignent, et ce qu'ils n'accepteront point, s'ils n'y sont obligés par un commandement exprès de leur Maître. Il vous aime plus que vous ne vous aimez vous-même; et il sait ce qui vous est convenable : abandonnez- vous à sa très-sainte. volonté; changez de dessein, trichez d'acquérir l'humilité et l'amour de la pauvreté. Sortez de l'abîme où vous êtes tombé , et soyez convaincu que mon Fils usera envers vous de sou amoureuse miséricorde, et que je vous assisterai de ma protection. " Qui n'aurait pas été touché de ces douces et persuasives paroles, sorties de la bouche de 416 la plus aimable et plus, divine créature? Mais ce coeur de bronze ne fléchit point, il ne fit au contraire que se roidir et s'irriter intérieurement, comme s'il avait été blessé par notre compatissante Dame, qui,lui offrait le remède de sa maladie 'mortelle; car un violent accès d'ambition et d'avarice dans l'appétit concupiscible excite aussitôt l'appétit,, irascible contre ceux qui s'y opposent, et quiconque en est pris regarde comme des injures les conseils les plus salutaires. Notre très-prudente et très-douce Princesse ne s'expliqua pas davantage là-dessus, et cessa dès lors de parler à Judas à cause de son obstination.. 1094. Judas quitta l'auguste Vierge toujours agité par les mêmes pensées sordides, et abjurant tout sentiment de pudeur et même de foi, il résolut de s'adresser lui- même à notre Seigneur Jésus-Christ. Or s'étant couvert de l'habit de brebis, comme un solliciteur adroit, il se présenta à sa divine Majesté, et lui dit: " Maître, je souhaite d'accomplir votre volonté, et de vous. servir sous le titre d'économe et de dépositaire des aumônes que nous recevons; j'en ferai part aux pauvres conformément à votre doctrine qui nous enseigne de faire à notre prochain ce que nous voudrions qu'il nous fit ; je les distribuerai à propos et selon votre intention, et mieux que l'on n'a fait jusqu'à présent. " Voilà ce que cet hypocrite dit à son Dieu et à son Maître, commettant à la fois plusieurs péchés énormes. Car, outre qu'il mentait en cachant des dispositions contraires à celles qu'il montrait, ambitieux de l'honneur qu'il ne méritait 417 point, il feignait d'être ce qu'il n'était pas, ne voulant, ni paraître ce qu'il était, ni être ce qu'il désirait paraître. Il murmura aussi contre ses frères, et s'étendit sur ses propres louanges; c'est le sentier battu des ambitieux. Mais ce qu'il y a de plus remarquable, c'est qu'il perdit la foi infuse qu'il avait, prétendant tromper son divin Maître par son hypocrisie. En effet, s'il eût cru alors fermement que Jésus-Christ était véritablement Dieu et homme, il ne se serait pas imaginé de le pouvoir tromper, puisque comme Dieu il scrutait les choses les plus secrètes de son coeur (1), et qu'il pénétrait jusqu'au fond de son âme, non-seulement comme Dieu par sa science infinie, mais encore comme homme par sa science infuse et béatifique; ainsi, si Judas en eût été bien convaincu, il aurait compris que le Sauveur pouvait connaître sa pensée, comme il la connaissait réellement, et il n'aurait pas poursuivi son inique dessein. Mais il ne crut rien de tout cela, et il ajouta l'hérésie à ses autres péchés. 1095. Il arriva à ce disciple infidèle ce que l'apôtre a dit quelque temps après : Ceux, dit-il, qui veulent devenir riches, tombent dans la tentation et dans le piège. de Satan, et en beaucoup de désirs vains et nuisibles, qui précipitent les hommes dans la perte et dans la damnation; car le désir des richesses est la radine de tous les maux, et plusieurs de ceux qui en ont été emportés se sont égarés du chemin de la foi, et se (1) Sap., I, 6. 418 sont engagés eux-mêmes dans de grandes afflictions (1). C'est le malheur que s'attira ce perfide apôtre par son avarice, qui fut d'autant plus honteuse et d'autant plus répréhensible, qu'il avait un plus grand sujet d'être touché de l'exemple admirable de notre Seigneur Jésus-Christ, de sa très-sainte Mère et du sacré collège des apôtres, dont la, communauté ne recueillait que quelques aumônes fort modiques. Mais le mauvais disciple se flatta qu'elles augmenteraient tant par les miracles de son Maître, que par le grand nombre des personnes qui le suivaient, et qu'alors il pourrait mettre la main sur des sommes plus considérables. Et comme les choses n'arrivaient pas selon ses désirs, il se fâchait contre ces mêmes personnes c'est ainsi qu'il témoigna son mécontentement lorsque la Madeleine répandit un parfum de grand prix sur le Sauveur, et son avarice le portant à faire l'estimation de cette précieuse essence, il dit qu'elle valait plus de trois cents deniers, qui pouvaient être distribués aux pauvres (2). Le chagrin qu'il avait d'en avoir été privé lui faisait tenir ce langage, car il, ne se mettait pas fort en peine des pauvres (3). Au contraire, il se plaignait vivement de ce que la Mère de miséricorde fît tant d'aumônes, et même de ce que le Seigneur n'en reçût pas davantage, comme aussi de ce que les apôtres et les disciples ne lui en procurassent pas, de sorte que, toujours chagrin contre tous, il semblait qu'il en eût été offensé. Quelques (1) I Tim., VI, 9. - (1) Matth., XXVI, 6; Marc., XIV, 6; Joan, XII, 3. - (3) Ibid., 6. 419 mois avant la mort du Sauveur, il commença à quitter souvent les apôtres et à s'éloigner du Seigneur, parce que leur compagnie le vexait, et il ne les allait trouver que pour ramasser les aumônes. Alors le démon le poussa à abandonner entièrement son Maître, et à le livrer aux Juifs comme il fit. 1096. Mais revenons à la réponse qu'il reçut du Maître de la vie, lorsqu'il lui demanda la charge d'économe, afin qu'on y découvre combien les jugements du Très-Haut sont terribles et impénétrables. Le Sauveur du monde, voyant que le cupide apôtre ne travaillait qu'à sa perdition finale, voulait le soustraire au danger que renfermait sa demande. Et afin qu'il ne trouvât dans son malheur aucune excuse, sa Majesté lui dit: " Savez-vous, ô Judas! ce que vous demandez? Ne soyez pas si cruel envers vous-même, que de chercher les armes et de solliciter le poison dont vous pourriez vous servir pour vous donner la mort. " Judas répartit: " Moi, Seigneur, je ne désire que de vous servir, et que de m'employer à ce qui sera le plus utile à vos disciples, et je le ferai bien mieux dans cet office que dans tout autre, comme je vous le promets. " Par cette opiniâtreté de Judas à chercher et aimer le péril, Dieu justifia sa cause en permettant qu'il s'y engageât et qu'il y pérît malheureusement; car cet ambitieux résista à la grâce et s'endurcit de plus en plus. Lorsque le Seigneur lui mettait devant les yeux l'eau et le leu, la vie et la mort, il étendit la main et choisit lui-même sa perte (1); (1) Eccles., XV,17. 420 et ainsi fut justifiée la justice et glorifiée la miséricorde du Très-Haut, qui l'avait si souvent pressé de lui ouvrir la porte de son coeur, d'où l'ingrat le chassa pour y faire entrer le démon. Je donnerai dans la suite de cette histoire, sur la malheureuse conduite de Judas, quelques autres détails utiles à l'expérience des mortels, pour ne pas allonger ce chapitre, et parce qu'ils se rattachent à d'autres événements. Quel est celui d'entre les hommes si sujets à pécher, qui né sera saisi d'une vive frayeur, en voyant un de ses semblables, élevé dans l'école de notre Seigneur Jésus-Christ et de sa très-sainte Mère, nourri de leur doctrine, témoin de leurs miracles, opérant les mêmes merveilles que les autres apôtres, passer en si peu de temps de l'apostolat au rôle de démon, et d'innocente brebis qu'il était, devenir un loup ravissant? Judas commença par des péchés véniels, et de ceux-ci il passa aux crimes les plus horribles. Il se livra au démon, qui déjà soupçonnait que notre Seigneur Jésus- Christ était Dieu, et qui déchargea la rage qu'il avait contre le Maître, sur ce malheureux disciple séparé du petit troupeau. Mais si Lucifer n'a fait que redoubler de fureur depuis qu'il a forcément reconnu que Jésus-Christ était véritablement Dieu et le Rédempteur du monde, que peut espérer une âme qui se livre maintenant à un ennemi si cruel, si implacable et si acharné à notre perte? 421 Instruction que la Reine du ciel m'a donnée. 1097. Ma fille, tout ce que vous avez écrit dans ce chapitre est un avis des plus importants pour tous ceux qui vivent en la chair mortelle , et dans le danger de perdre le bien éternel ; car le moyen efficace d'arriver au salit et d'augmenter les degrés de la récompense, se réduit à craindre avec discrétion les jugements du Très- Haut (1), et à s'attirer mon intercession et ma clémence. Je veux que vous sachiez aussi qu'un des divins secrets que mon très-saint Fils découvrit dans la nuit de la Cène à Jean, son bien-aimé et le mien, fut de lui faire connaître qu'il s'était acquis cet amour par celui qu'il me portait, et que Judas était tombé dans le péché pour avoir méprisé la compassion que je lui témoignais. Alors l'évangéliste connut quelques-uns des grands mystères que le Tout-Puissant me communiqua et opéra en moi; il eut aussi connaissance de ce que je devais souffrir en la passion ; et le Seigneur lui ordonna de prendre un soin particulier de moi. La pureté d'une que je demande de vous doit être plus qu'angélique, et si vous vous disposez à l'acquérir, vous participerez aux faveurs que nous fîmes à Jean, et vous serez ma très-chère fille et l'épouse bien-aimée de mon Fils et mon Seigneur. L'exemple que vous offre cet évangéliste, (1) Ps. CXVIII, 120. 422 et la perte de Judas vous exciteront sans cesse à solliciter mes bonnes grâces et à correspondre par la plus vive reconnaissance à l'amour que je vous témoigne sans que vous l'ayez mérité. 1098. Je veux aussi que vous pénétriez un autre secret qui est fort ignoré du monde , c'est que l'un des péchés que le Seigneur a le plus en horreur, est le peu d'estime que l'on accorde aux justes et aux amis de l'Église, et surtout à moi, qui ai été choisie pour être sa Mère et la protectrice universelle de tous. Et si les injures que l'on fait à des ennemis sont si odieuses su Seigneur (1) et aux saints qui se trouvent dans le ciel, comment souffrira-t-il qu'on en fasse à ses plus chers amis, sur lesquels il tient ouverts les yeux de son amour (2)? Cet avis est beaucoup plus important que vous ne sauriez le concevoir pendant la vie mortelle, et c'est une des marques de réprobation que de mépriser les justes. Évitez ce danger, ne jugez personne (3), et moins encore ceux qui vous reprennent et vous enseignent. Ne vous laissez point incliner vers les choses terrestres, et gardez-vous surtout d'aspirer aux charges qui séduisent l'âme, quand elle ne regarde que ce qu'elles ont de sensible et d'humain, qui troublent le jugement et obscurcissent la raison. Ne désirez point les honneurs, ne portez pas envie à ceux qui les reçoivent, et ne demandez au Seigneur que son saint amour; car la créature est pleine des plus mauvaises inclinations, et si elle ne (1) Matth., XVII, 35. - (2) Ps. XXXIII, 16. - (3) Matth., VII, 1. 423 les réprime, elle recherche trop souvent ce qui doit être le sujet de sa damnation. Et quelquefois le Seigneur le lui accorde par ses secrets jugements, pour punir son ambition et plusieurs autres péchés qu'elle a commis, ainsi qu'il arriva à Judas. Les hommes reçoivent en ces biens temporels qu'ils souhaitent avec tant d'ardeur, la récompense de quelque bonne oeuvre qu'ils ont pu faire. Vous comprendrez par là combien est grande l'illusion de beaucoup de partisans du monde qui se croient fort heureux quand tout leur réussit au gré de leurs désirs terrestres. Et cependant c'est le plus grand de tous leurs malheurs, parce qu'ils perdent la récompense éternelle qu'obtiennent les justes qui ont méprisé le monde, et qui y ont été éprouvés par toute sorte d'adversités, le Seigneur refusant quelquefois à ceux-ci les choses temporelles qu'ils souhaitent, pour les soustraire à un péril caché. Afin que vous n'y tombiez pas, je vous avertis et vous recommande de ne jamais convoiter aucune chose périssable. Détournez votre volonté de tout ce qui est passager, maintenez-la libre et mattresse; affranchissez-la de la servitude des passions; et ne demandez que ce qui sera conforme à la volonté du Très-Haut; car sa Majesté prend un soin particulier de ceux qui s'abandonnent à sa divine Providence (1). (1) Matth., VI, 30. 424 CHAPITRE VI. Notre Seigneur Jésus-Christ se transfigure sur le Thabor devant sa très-sainte Mère. - Il se dirige avec elle de la Galilée vers Jérusalem, pour se rapprocher du lieu de la passion. - Ce qui arriva à Béthanie lorsque la Madeleine répandit des parfums sur le Sauveur. 1099. Il y avait déjà plus de deux ans et demi que notre Rédempteur Jésus-Christ prêchait et faisait dei miracles en public; de sorte que le temps marqué par la Sagesse éternelle s'approchait auquel il devait re-tourner à son Père par le moyen de sa passion et de sa mort, après avoir en mourant satisfait à la divine justice et racheté le genre humain. Et comme toutes ses oeuvres tendaient à notre salut et à notre instruction, et qu'elles étaient pleines de sagesse divine, cet adorable Sauveur résolut de préparer quelques-uns de ses apôtres au scandale qu'ils recevraient par sa mort (1), en leur manifestant la gloire de son corps passible, qu'ils devaient voir bientôt flagellé et crucifié ; car il voulait qu'ils le vissent transfiguré par la gloire avant qu'il fût défiguré par les bourreaux. Le (1) Matth., XXVI, 31. 425 Seigneur avait fait cette promesse devant tous peu de temps auparavant, quoiqu'elle ne fût pas pour tous, mais pour quelques-uns seulement, comme le rapporte l'Évangéliste saint Matthieu (1). Il choisit pour cela le Thabor, haute montagne de la Galilée, à deux lieues de Nazareth , du côté de l'orient ; et étant arrivé au sommet de cette montagne avec les trois apôtres Pierre, Jacques et Jean son frère, il se transfigura devant eux, comme le racontent les trois Évangélistes saint Matthieu, saint Marc et saint Luc (2), qui ajoutent qu'outre les trois apôtres s'y trouvèrent les deux prophètes Moïse et Élie, s'entretenant avec Jésus de sa passion. Pendant la transfiguration il vint une voix du ciel de la part du Père éternel, qui dit : Celui-ci est mon Fils bien-ainsi, en qui je me plais uniquement ; écoules-le. 1100. Les Évangélistes ne disent point que la très-pure Marie assistât à la transfiguration, mais ils ne le nient pas non plus ; et s'ils ne se sont pas expliqués là-dessus, c'est parce que cela ne regardait pas leur sujet, et qu'il n'était pas convenable de rapporter dans les Évangiles le miracle caché qui eut lieu. La lumière que j'ai reçue pour écrire cette histoire me découvre qu'au même moment où quelques anges allèrent prendre Moïse et Élie où ils étaient, la bien-heureuse Vierge fut transportée par le ministère de ses saints anges sur la montagne du Thabor, afin (1) Matth., XVI, 38. - (2) Matth., XVII, 1; Marc., IX ; Luc., IX, 28. 426 quelle y vit son très-saint Fils transfiguré, comme effectivement elle le vit, bien qu'elle n'eût pas besoin comme les apôtres d'être affermie dans la foi, quelle avait toujours constante et inébranlable. Mais notre Rédempteur Jésus-Christ eut plusieurs fins en cette merveille de la transfiguration ; et il avait d'autres raisons particulières pour ne pas célébrer un si grand mystère sans que sa très-sainte Mère y fût présente. Car ce qui était une grâce à l'égard des apôtres, était comme dû à notre grande Reine, en sa qualité de coadjutrice dans les oeuvres de la rédemption, à laquelle elle devait concourir jusqu'au pied de la croix; il fallait aussi qu'elle fût fortifiée par cette faveur contre les douleurs que son âme très-sainte devait souffrir : et destinée à être bientôt la Maîtresse de la sainte Église, il était convenable qu'elle fût témoin de ce mystère, et que son adorable Fils ne lui cachât point ce qu'il pouvait si facilement lui découvrir; puisqu'il lui manifestait toutes les opérations de son âme divine. L'amour du Seigneur pour sa bienheureuse Mère était tel, qu'il ne lui permettait pas de lui refuser cette faveur, dans le temps qu'il ne lui en refusait aucune de celles qui pouvaient lui prouver la tendresse de son affection; celle-ci appartenait d'ailleurs à notre auguste Princesse, à raison de son excellence et de sa dignité. C'est pour ces raisons, et pour plusieurs autres qu'il n'est pas nécessaire d'énumérer ici, qu'il m'a été déclaré que la bienheureuse Marie assista à la transfiguration de son très-saint Fils notre Rédempteur. 427 1101. Elle ne vit pas seulement l'humanité de notre Seigneur Jésus-Christ transfigurée et glorieuse, mais de plus elle vit clairement la Divinité pendant tout le temps que ce mystère dura ; car elle ne devait pas recevoir cette faveur de la manière dont les apôtres la reçurent, mais avec plus d'abondance et de plénitude. Et en la vision même de la gloire du corps, qui fut commune à tous, il y eut une grande différence entre notre auguste Reine et les apôtres, non-seulement parce qu'ils succombèrent de sommeil lorsque le Sauveur se retira su commencement pour prier, comme le rapporte saint Luc (1), mais aussi parce qu'ayant ouï cette voix du ciel, ils furent saisis de frayeur, et tombèrent le visage contre terre, demeurant en cet état jusqu'à ce que le Seigneur leur eût dit de se lever et de ne point craindre, comme le raconte saint Matthieu (2); quant à la divine Mère, elle resta toujours immobile, parce que, outre quelle était accoutumée à d'aussi grands bienfaits, elle se trouvait alors comblée de nouveaux dons de lumière et de force pour voir la Divinité; ainsi elle pouvait regarder fixement la gloire du corps transfiguré sans ressentir la crainte et la faiblesse qu'éprouvèrent les apôtres en la partie sensitive. La bienheureuse Marie avait vu autrefois le corps de son adorable Fils transfiguré, comme je l'ai dit ailleurs; mais dans cette occasion elle le vit avec des circonstances particulières, avec une plus vive admiration, et avec des (1) Luc., IX, 32. - (2) Matth., XVII, 16. 428 lumières et des faveurs plus extraordinaires; les effets que cette vision produisit en son âme très-pure furent aussi spéciaux ; car elle en sortit toute renouvelée, toute enflammée d'amour, et toute divinisée. Tant qu'elle vécut dans sa chair mortelle, elle conserva l'image de cette vision, qui s'appliquait à l'humanité glorieuse de notre Seigneur Jésus-Christ. Et quoique ce souvenir lui apportât une grande consolation en l'absence de son Fils, lorsque la même image ne lui était point représentée au milieu d'autres bienfaits, que nous rapporterons dans la troisième partie, il ne laissa pas que de lui rendre plus sensibles les affronts de la passion de Celui qu'elle avait contemplé dans les splendeurs de la gloire, dont il lui retraçait le tableau. 1102. On ne saurait trouver dans les langues humaines des termes pour expliquer les effets que produisit en son âme très-sainte cette vision de l'être entier de Jésus- Christ glorieux: non-seulement parce quelle vit briller d'un éclat si divin cette substance que le Verbe avait prise de son propre sang, et qu'elle avait portée dans son sein et nourrie de son propre lait; mais parce qu'elle ouït la voix du Père éternel qui reconnaissait pour Fils celui qui était aussi le sien, et qui le donnait en même temps aux hommes pour maître. Elle pénétrait tous ces mystères, les considérait avec reconnaissance, et en louait dignement le Tout-Puissant. Elle fit de nouveaux cantiques avec ses anges, et célébra ce jour si solennel pour son âme et pour l'humanité de son très-saint Fils. Je ne m'arrête 429 point à d'autres détails relatifs à ce mystère, ni à dire en quoi consista la transfiguration du corps sacré de Jésus-Christ. Il suffit qu'on sache que son visage devint resplendissant comme le soleil, et ses vêtements plus blancs que la neige (1); et que cette gloire qui rejaillit sur le corps venait de celle que le Sauveur avait toujours en son âme divine et glorieuse. Car le miracle en vertu duquel, au moment de l'incarnation, furent suspendus les effets glorieux que le corps en devait recevoir d'une manière permanente, cessa pour quelque temps en la transfiguration, où le corps très-pur de Jésus-Christ participa à cette gloire de son âme. Ce fut là cette splendeur qui en frappa les témoins. Mais bientôt le même miracle continua à suspendre comme auparavant les effets de l'âme glorieuse de ce divin Sauveur Et comme elle était toujours bienheureuse, ce fut encore une chose merveilleuse que le corps ait joui momentanément d'un privilège qui lui était naturellement perpétuel aussi bien qu'à l'âme. 1103. Après le mystère de la transfiguration, l'auguste Marie fut ramenée en sa maison de Nazareth ; son très-saint Fils descendit de la montagne, et aussitôt il l'alla trouver pour revoir une dernière fois sa patrie et prendre ensuite le chemin de Jérusalem , où il devait souffrir à la Pâque prochaine, qui devait être la dernière pour sa Majesté. Après qu'il eut passé quelques jours à Nazareth, il en sortit accompagné de (1) Matth., XVII, 2. 429 sa très-sainte Mère, des apôtres, des disciples gui il avait et de plusieurs saintes femmes; traversant la Galilée et la Samarie jusqu'à ce qu'ils fussent arrivés en Judée et à Jérusalem. L'évangéliste saint Luc (1), écrivant ce voyage, dit que le Sauveur afermit son visage pour se rendre à Jérusalem; parce qu'en, par; tant il avait une physionomie joyeuse, il brûlait du désir de parvenir à sa passion, il allait spontanément et librement se sacrifier, avec une volonté efficace, pour le salut du genre humain; ainsi il ne devait plus retourner en Galilée, où il avait opéré tant de prodiges. Dans cette résolution de quitter Nazareth , il glorifia comme homme le Père éternel, et lui rendit des actions de grâces de ce qu'il avait reçu en ce lieu l'être humain, qu'il livrait pour le remède des hommes à la passion et à la mort qu'il allait subir. Entre autres choses que dit notre Rédempteur Jésus-Christ dans cette oraison, que je ne saurais bien traduire par mes paroles, j'entendis ce qui suit : 1104." Mou l'ère éternel, je vais avec bonne volonté et avec joie accomplir votre commandement, satisfaire votre justice et souffrir jusqu'à la mort; réconcilier, avec vous tous les enfants d'Adam (2), payer la dette de leurs péchés et leur ouvrir les portes du ciel, qu'ils se sont fermées par ces mentes péchés. Je vais chercher ceux qui se sont égarés (3) en se détournant de moi, et je les ramènerai par la force de mon amour. Je vais (1) Luc., IX, 51. - (2) Rom., V, 10. - (3) Luc., XIX, 10. 431 sembler les dispersés de la maison de Jacob (1), relever ceux qui sont tombés, enrichir les pauvres, rafraîchir ceux qui ont soif, abattre les superbes et élever les humbles. Je veux vaincre l'enfer, et rehausser le triomphe de votre gloire contre Lucifer et contre les vices qu'il a semés dans le monde (2). Je veux arborer l'étendard de la croix (3), sous lequel toutes les vertus et tous ceux qui les pratiqueront doivent combattre. Je veux rassasier mon coeur des opprobres et des affronts dont il est affamé (4), et qui sont si estimables à vos yeux. Je veux m'humilier jusqu'à recevoir la mort des mains de mes ennemis (5), afin que nos amis et nos élus soient honorés et consolés dans leurs tribulations, et soient élevés à de hautes récompenses lorsqu'ils s'humilieront à les souffrir à mort exemple. O Croix désirée! quand est-ce que tu me recevras entre tes bras? O doux opprobres ! ô affronts ! ô douleurs! quand est-ce que vous me conduirez à la mort, pour la vaincre eu ma chair innocente (6)? Peines, affronts, ignominies, verges, épines, passion, mort, venez, venez à moi, qui vous cherche; laissez-vous bientôt trouver par celui qui vous aime et qui tonnait votre valeur. Si le monde vous abhorre, moi je vous convoite. S'il vous méprise dans son ignorance, moi, qui suis la vérité et la sagesse, je vous appelle, parce a que je vous aime. Venez donc à moi, car si je vous (1) Isa., LVI, 8. - (2) I Joan., III, 8. - (3) Matth., XVI, 24. - (4) Thren., III, 30. - (5) Philip., II, 8. - (6) Hebr., II, 14. 432 accepte comme homme, je vous rendrai comme Dieu l'honneur que le péché et ceux qui l'ont commis vous ont ôté. Venez à moi, ne tardez point de satisfaire mes désirs; que si vous appréhendez de m'aborder parce que je suis tout-puissant, je vous permets de déployer toutes vos forces et toutes vos rigueurs contre mon humanité. Je ne vous rejetterai point comme font les mortels. Je veux bannir l'erreur et les illusions des enfants d'Adam, qui aiment la vanité, qui cherchent le mensonge (1), et qui croient malheureux les pauvres, les affligés et les méprisés du monde; quand ils verront Celui a qui est véritablement leur Dieu, leur Créateur, leur Maître et leur Père souffrir les opprobres, les affronts, les ignominies, les tourments, la nudité et la mort de la croix, ils abjureront l'erreur et se feront gloire de suivre leur Dieu crucifié. " 1105. Ce sont là quelques-uns des sentiments que le Maître de la vie notre Sauveur forma dans son coeur, selon l'intelligence qui m'en a été donnée. Et les faits ont manifesté, par l'amour avec lequel il a cherché et enduré les supplices de la passion, de la croix et de la mort, ce que je ne saurais exprimer par mes paroles, de l'estime que l'ors doit faire des souffrances. Mais les enfants de la terre ont encore le coeur appesanti, et ne cessent de s'attacher à la vanité (2). Ayant devant les yeux la vie et la vérité, ils se laissent toujours entraîner à l'orgueil; l'humilité leur déplait, les plaisirs 433 les enchantent, et ils fuient tout ce qui leur parait pénible. O erreur déplorable! Travailler et se fatiguer beaucoup pour éviter une petite gène! Se résoudre follement à souffrir une confusion éternelle pour. ne pas essuyer le plus léger affront, et même pour ne pas se priver d'un honneur vain et apparent ! Dira-t-on après cela (si on n'a perdu le jugement) que c'est s'aimer soi-même, puisque notre plus mortel ennemi, avec toute sa haine, ne peut nous causer un plus grand préjudice que celui que nous nous causons nous-mêmes lorsque nous faisons quelque chose contre le bon plaisir de Dieu? Certes, nous ne croirions pas notre ami celui qui ne nous flatterait que pour mieux dissimuler sa trahison, et nous tiendrions pour fou celui qui, voyant le piège, s'y jetterait tête baissée pour un misérable cadeau. Si cela est vrai, comme ce l'est en effet, que dirons-nous de la conduite des mortels qui se laissent tromper par le monde? Qui est-ce qui leur a ôté le jugement? Qui est-ce qui les prive de l'usage de la raison? Oh! que le nombre des insensés est grand (1) ! 1106. La très-pure Marie fut la seule entre les enfants d'Adam qui, comme l'image vivante de son très saint Fils, se conforma entièrement à sa volonté, à sa vie, à toutes ses oeuvres et à sa doctrine. Elle tut celle qui suppléa par sa prudence et par la plénitude de sa sagesse aux fautes que notre ignorance et notre folie nous font commettre, et qui nous acquit la lumière (1) Eccles., I, 15. 434 de la vérité au milieu de nos plus épaisses ténèbres. Il arriva, dans la circonstance dont je parle, que cette auguste Reine vit dans l'âme très sainte de son Fils, comme dans un miroir, tous les actes d'amour qu'il faisait; et, comme elle le prenait pour le modèle de ses actions, elle pria conjointement avec lui le Père éternel, et dit intérieurement : " Dieu tout, puissant, Père de miséricorde, je glorifie votre être infini et immuable; je vous bénis et vous bénirai à jamais de ce qu'après m'avoir créée, vous avez daigné déployer en ce lieu la puissance de votre bras en m'élevant à la dignité de Mère de votre Fils unique, et en m'enrichissant de la plénitude de votre esprit et de vos anciennes miséricordes , que vous avez répandues si abondamment sur notre très-humble servante; et de ce qui ensuite, sans que je l'eusse mérité, votre Fils unique et le mien, en l'humanité qu'il a reçue de ma substance, a bien voulu me souffrir en sa compagnie si désirable, et m'éclairer par les influences de sa grâce et de sa doctrine pendant le cours de trente-trois années. Je quitte Seigneur, aujourd'hui ma patrie, j'accompagne mon Fils et mon Maître, selon votre bon plaisir, pour assister au sacrifice de sa vie et de son être humain qu'il doit offrir pour tous les hommes. Il n'est point de douleur qui soit égale à la mienne (1), puisque je dois voir l'Agneau qui ôte les péchés du monde (2) en proie aux loups ravissants; Celui (1) Thren., I, 12. - (2) jerem., XI, 19. 435 qui est la splendeur de votre gloire et l'image de votre substance (1); Celui qui est engendré de toute éternité en égalité de cette même substance et qui le sera éternellement ; Celui à qui j'ai donné litre humain dans mon sein virginal livré aux opprobres et à la mort de la croix, et la beauté de son visage, qui est la lumière de mes yeux et la joie des anges, défigurée par les tourments (2). Oh! s'il était possible que je subisse moi seule les peines et les douleurs qui l'attendent, et que je me livrasse à la mort pour lui conserver la vie! Agréez, Père éternel, le sacrifice que je vous offre avec mon bien aimé pour accomplir votre très-sainte volonté. Oh ! que les jours et les heures qui doivent amener la triste nuit de mes douleurs accourent avec vitesse ! Ce sera un jour heureux pour le genre humain, mais une nuit affreuse pour mon coeur consterné de l'absente du Soleil qui l'éclairait. O enfants d'Adam, ennemis de vous-mêmes et plongés dans un funeste sommeil ! sortez de votre léthargie, et reconnaissez l'énormité de vos fautes par les peines qu'elles font souffrir à votre divin Rédempteur. Reconnaissez-la par mes défaillances, mes angoissés et les amer tomes de ma douleur; commencez enfin à apprécier les ravages du péché. " 1107. Je ne saurais dignement raconter toutes les oeuvres que fit la bienheureuse Vierge lors de ce dernier départ de Nazareth, les pensées qu'elle conçut, (1) Sap., VII, 26; Hebr., I, 3. -(2) Isa., LIII, 2. 436 les prières qu'elle adressa au Père éternel, les entretiens à la fois si pleins de charmes et si douloureux qu'elle eut avec son très-saint Fils, la grandeur de son affliction, les mérites incomparables qu'elle acquit; parce que le pur amour avec lequel elle souhaitait comme mère la vie de Jésus-Christ et l'exemption des tourments qu'il devait endurer, se trouvant uni à la conformité qu'elle avait à la volonté de cet adorable Sauveur et du Père éternel, son âme en était transpercée du glaive de douleur que Siméon lui avait montré de loin (1). Dans cette désolation, elle tenait à son Fils des discours dictés par la prudence et la sagesse; mais elle y mêlait les plaintes les plus douces et les plus tendres, de ce qu'elle ne pouvait ni empêcher sa passion, ni mourir avec lui. Elle surpassa en ces peines tous les martyrs qui ont paru. et qui paraîtront dans le monde. C'est dans ces dispositions et ces sentiments cachés aux hommes que le Roi et la Reine ale l'univers sortirent de Nazareth pour aller à Jérusalem- en traversant la Galilée, où le Sauveur du monde ne retourna plus pendant sa vie mortelle. Et, comme il voyait que le temps de souffrir et de mourir pour le salut des hommes s'approchait, il fit de plus grandes merveilles pendant les derniers mois qui précédèrent sa passion et sa mort, ainsi que le rapportent les écrivains sacrés, parlant de ce qui arriva depuis qu'il fut sorti de Galilée jusqu'au jour de son entrée triomphale, dans Jérusalem, dont je ferai mention (1) Luc., II, 35. 437 ci-après, Et jusqu'à cette époque le Seigneur, se mil, lorsque la fête des Tabernacles fut passée, à parcourir et à évangéliser la Judée, en attendant l'heure déterminée où il se devait offrir au sacrifice en la manière et au moment qu'il l'avait résolu. 1108. Sa très-sainte Mère l'accompagna continuellement dans ce voyage, excepté quand parfois ils se séparèrent pour travailler tous deux à des couvres différentes qui regardaient le salut des âmes, et ce n'était que pour fort peu de temps. Saint Jean restait près d'elle dans ces occasions pour lui tenir compagnie et pour la servir; et dès lors l'écrivain sacré découvrit de grands mystères cachés en la très-pure Vierge Mère, et il fut éclairé d'une très-sublime lumière pour les pénétrer. Quand cette puissante Reine s'employait à instruire les âmes et à prier pour leur justification, les merveilles qu'elle opérait étaient plus éclatantes et manifestaient plus hautement sa charité; car elle accorda, comme son très-saint Fils, de plus insignes bienfaits aux hommes dans ces derniers jours qui précédèrent la passion, convertissant plusieurs personnes, guérissant les malades, consolant les affligés, secourant les pauvres, assistant les agonisants, servant tous les malheureux de ses propres mains, et de préférence ceux qui étaient plus délaissés ou atteints de maux plus cruels. Le bien-aimé disciple, qui s'était déjà chargé de la servir, était témoin de tout cela. Mais, comme elle brûlait d'un si ardent amour pour son Fils et son Dieu éternel, et qu'elle le voyait sur le point de passer de ce monde à son Père, et de la 438 priver ainsi de son aimable présence, elle ressentait une si grande peine lorsqu'il était absent, elle éprouvait un désir si véhément de le voir, qu'elle tombait en des défaillances amoureuses quand il tardait un peu plus qu'à l'ordinaire à venir la rejoindre. Et le Seigneur, qui comme Dieu et comme fils observait ce qui se passait en sa très-amoureuse Mère, lui témoignait sa complaisance par une fidélité réciproque, et lui répondait au plus intime de son âme ces paroles, qui furent ici vérifiées à la lettre : Vous avez blessé mon cœur, ma sœur, vous avez blessé mon coeur par un seul de vos regards (1). Car blessant ainsi , vainquant le coeur de son Fils par son amour, elle l'attirait incontinent en sa présence. Et, selon ce que j'ai appris à cet égard, notre Seigneur Jésus-Christ, en tant qu'homme, ne savait pas rester longtemps éloigné de la très-pure Marie, quand il laissait agir dans toute sa force l'amour qu'il portait à une Mère si tendre; de sorte qu'il était naturellement consolé de la voir; et la beauté de l'âme immaculée de sa Mère adoucissait ses peines et ses fatigues, parce qu'il là regardait comme son fruit unique, exquis entre tous; ainsi la très-douce présence de cette auguste Dame était d'un grand soulagement pour sa Majesté au milieu de ses travaux et de ses peines sensibles. 1109. En ce temps-là, il arriva que le Sauveur, continuant ses merveilles en Judée, ressuscita Lazare, à Béthanie, où il avait été appelé par les deux soeurs (1) Cant., IV, 9. 439 Marthe et Marie (1). Et comme ce lieu était fort proche de Jérusalem, le miracle y fut aussitôt divulgué. Alors les princes des prêtres et les pharisiens, jaloux de cette merveille, assemblèrent le conseil, où ils résolurent la mort du Sauveur (2), ordonnant à leurs satellites de leur transmettre les nouvelles qu'ils en apprendraient : car, après avoir ressuscité Lazare, le divin Maître se retira dans une ville nommée Éphrem (3), jusqu'à ce que la fête de Pâque, qui approchait, fût arrivée. Quand il fut temps que notre Rédempteur l'allât célébrer par sa mort, il s'ouvrit davantage aux douze disciples, qui étaient ses apôtres; et, leur parlant en particulier, il les avertit que dans cette ville de Jérusalem, où ils se rendaient, le Fils de l'homme, qui n'était autre que lui-même, serait livré aux princes des pharisiens, et qu'il serait, pris, flagellé et outragé jusqu'à mourir sur une croix (4). Cependant les prêtres épiaient toutes ses démarches, pour, savoir s'il viendrait célébrer la Pâque. Six jours avant cette fête il revint à Béthanie, où il avait ressuscité Lazare, et où les deux soeurs le reçurent dans leur maison et préparèrent un copieux souper au divin Sauveur, à sa très-sainte Mère et à tous. ceux qui les accompagnaient pour la célébration de la Pâque; Lazare, que le Seigneur avait ressuscité peu de jours auparavant, se trouvait au nombre des convives (5). 1110. Le divin Maître était pendant le repas appuyé (1) Joan., XI, 17. - (II) Ibid., 47. - (8) Ibid., 54. - (4) Matth., XX, 18. - (5) Joan., XII, 1. 440 sur le côté, selon la coutume des Juifs, lorsque Marie-Madeleine entra pénétrée d'une céleste lumière, de très-hautes pensées, et de l'amour très-ardent qu'elle avait pour le Sauveur du monde; elle lui versa sur la tête et sur les pieds une précieuse liqueur de nard et d'autres essences aromatiques (1), qu'elle portait dans un vase d'albâtre, et elle lui essuya les pieds avec ses cheveux, comme elle l'avait déjà fait dans la maison du pharisien au temps de sa conversion, ainsi que le marque saint Luc (2). Et quoique les trois autres évangélistes racontent cette seconde onction de la Madeleine d'une manière un peu différente, je n'ai pas appris qu'il s'agisse dans leur récit de deux onctions ni de deux femmes; ils n'ont parlé que d'une seule Madeleine, mue du divin Esprit et du fervent amour qu'elle avait voué à notre Sauveur Jésus-Christ. Là maison fut remplie de la délicieuse odeur de ces parfums, parce qu'il y en avait une assez grande quantité, et la généreuse amante rompit le vase pour mieux l'épuiser à l'honneur de son adorable Maître. L'avare apôtre qui aurait voulu qu'on le lui remit pour le vendre et en toucher le prix, commença à murmurer de cette onction mystérieuse, et à provoquer quelques-uns des autres apôtres à en faire autant, sous prétexte de pauvreté et de charité envers les pauvres, disant qu'on les privait d'une aumône en prodiguant ainsi inutilement une chose d'une si grande valeur, tandis que cette onction n'avait (1) Joan., XII, 3. - (2) Luc., VII, 38. 441 été faite que par une disposition divine, et que lui-même n'était qu'un hypocrite effronté et cupide. 1111. Le Maître de la vérité et de la vie justifia Madeleine, que Judas voulait faire passer pour imprudente et pour prodigue (1). Il lui recommanda à lui et aux autres en même temps de ne la point inquiéter, parce qu'elle avait fait une bonne oeuvre, qu'il y aurait toujours parmi eux des pauvres à qui ils pourraient faire l'aumône, mais qu'ils n'auraient pas toit jours le moyen de rendre cet honneur à sa personne; et que cette libérale amante, poussée par l'Esprit du ciel, avait répandu ce baume sur son corps pour honorer par avancé sa sépulture; car elle annonçait par cette mystérieuse onction que le Seigneur souffrirait bientôt pour le genre humain, et que sa mort et ses funérailles étaient fort proches. Mais le perfide disciple ne faisait nulle attention à tout cela; au contraire, il fut extrêmement indigné contre son Maître de ce. qu'il avait justifié l'action de Madeleine. Or Lucifer voyant les dispositions de ce coeur endurci, lui lança de nouveaux traits, et lui inspira avec une nouvelle avarice une haine mortelle contre l'Auteur de la vie. Dès lors Judas résolut de machiner sa perte, de faire son rapport aux pharisiens en arrivant à Jérusalem, et de l'accuser auprès d'eux avec l'impudence qu'il montra en effet. Car il les alla trouver secrètement, et leur dit que son Maître enseignait des nouveautés contraires aux lois de Moïse et à celles (1) Matth., XXVI, 10. 442 des empereurs; qu'il aimait la bonne chère et les gens de mauvaise vie, qu'il en admettait beaucoup dans sa compagnie, soit des hommes, soit des femmes, et qu'il les entraînait à sa suite; enfin, qu'ils devaient songer à y remédier s'ils voulaient prévenir leur irréparable ruine. Et comme les pharisiens partageaient déjà ces sentiments, conduits qu'ils étaient aussi bien que Judas par le prince des ténèbres, ils reçurent cet avis avec plaisir, et convinrent ensuite de la vente de notre Sauveur Jésus-Christ. 1112. Toutes les pensées et les démarches de Judas étaient connues non-seulement de notre divin Maître, mais aussi de sa très-sainte Mère. Néanmoins le Seigneur n'en dit pas un mot à Judas, et ne laissa pas de lui parler comme un père plein de tendresse, et de lui envoyer de saintes inspirations. La Mère de la Sagesse y ajoutait de nouvelles exhortations et des soins particuliers pour arrêter ce disciple sur les bords du précipice. Elle l'appela dans la nuit même du festin (c'était le samedi avant notre dimanche des Rameaux),lui parla en particulier dans les termes les plus pathétiques, et lui représenta, en versant des larmes abondantes, le danger formidable qu'il courait; elle le supplia,de changer de dessein, et s'il était fâché contre son Maître , de tourner sa vengeance contre elle, pour se rendre moins coupable, attendu qu'elle était une simple créature, tandis que Jésus-Christ était son Seigneur et son Dieu. Et pour satisfaire l'avarice insatiable de Judas, elle lui offrit divers cadeaux qu'elle avait reçus de Madeleine à cette (1) Matth., XXVI, 10. 443 intention. Mais rien ne fut capable de toucher ce cœur obstiné: plus dur que le diamant, il résistait à tous les coups. Au contraire , comme la force des raisons de la bienheureuse Vierge le mettait dans la confusion, il s'en irrita davantage, ne témoignant sa sourde colère que par un sombre silence. Il eut pourtant l'effronterie de prendre ce qu'elle lui donnait, parce qu'il était aussi cupide que perfide. Alors notre très-prudente Reine le quitta pour aller trouver son Fils; et fondant en larmes, elle se prosterna à ses pieds, et lui parla avec une sagesse admirable; mais ses paroles exprimaient tant de douleur, de tendresse et de compassion, qu'elles procurèrent quelque consolation sensible à son Fils bien-aimé, qu'elle voyait affligé en son humanité sainte pour les mêmes raisons qui lui firent dire depuis à ses disciples que son âme était saisie d'une tristesse mortelle (1). Toutes ses peines étaient causées par les péchés des hommes qui ne profiteraient pas de sa passion et de sa mort, comme je le dirai dans la suite. Instruction que notre auguste Maîtresse m'a donnée. 1113. Ma fille, puisque, plus vous avancez en ce que vous écrivez de mon histoire, plus vous connaissez (1) Matth., XXVI, 38. 444 et déclarez l'amour si ardent avec lequel mon Seigneur votre époux et moi aussi embrassâmes la carrière de la souffrance et de la croix, et mieux vous comprenez que ce fut la seule chose que nous choisîmes en la vie mortelle; il est juste qu'éclairée de ces lumières et initiée par votre maîtresse aux secrets de la doctrine de mon Fils, vous fassiez tous vos efforts pour la mettre en pratique. Cette obligation s'accroît pour vous depuis le jour qu'il vous a choisie pour épouse; elle augmente sans cesse, et vous ne sauriez vous en acquitter si vous n'embrassez les afflictions, et si vous ne les aimez d'un amour tel, que pour vous la plus grande de toutes les peines soit de n'en point avoir. Renouvelez chaque jour ce désir dans votre coeur, car je veux que vous soyez fort savante en cette science, que le monde ignore et déteste. Mais remarquez en même temps que Dieu ne veut pas affliger la créature seulement pour l'affliger, mais pour la rendre ,par ce moyen digne des faveurs et des trésors qu'il lui a préparés au delà de tout ce que les hommes peuvent concevoir (1). En preuve de cette vérité, et comme pour gage de cette promesse, le Sauveur a voulu se transfigurer sur le Thabor en ma présence et en celle de quelques-uns de ses disciples. Et dans la prière qu'il y adressa au Père éternel; et qui ne fut connue que de moi seule, après que sa très-sainte humanité se fut humiliée, comme elle le faisait toutes les fois qu'elle commençait une prière, et l'eut glorifié et (1) I Cor., II, 9. 445 reconnu pour Dieu véritable et infini en ses perfections et en ses attributs, il lui demanda que les corps de tous les mortels qui s'affligeraient pour son amour, et qui souffriraient à son imitation dans la nouvelle loi de grâce, participassent ensuite à la gloire de son propre corps, et qu'ils ressuscitassent su jour du jugement universel, unis de nouveau aux mêmes Ames, afin de jouir de cette gloire, chacun su degré qu'il aurait mérité. Le Père éternel exauça tette prière; c'est pourquoi il voulut confirmer te privilège comme un contrat entre Dieu et les hommes, par la gloire que reçut le corps de leur Rédempteur, en lui donnant pour arrhes la possession de ce qu'il demandait pour tous ceux qui l'imiteraient. C'est le poids que produisent les afflictions si courtes et si légères que souffrent les mortels en se privant des vains et vils plaisirs de la terre (1), et en mortifiant leur chair pour Jésus-Christ, mon Fils et mon Seigneur. 1114. Par les mérites infinis qui accompagnèrent cette demande , cette gloire que les hommes doivent recevoir en qualité de membres de Jésus-Christ, leur divin chef qui la leur a acquise, les ceindra comme une couronne de justice (2). Mais l'union des membres au chef ne peut se réaliser que par la grâce et par l'imitation dans la souffrance, à laquelle correspond la récompense. Que si le moindre travail corporel doit obtenir la couronne, combien belle sera celle de ceux qui souffrent de grandes peines, qui pardonnent les (1) II Cor., IV, 17. - (2) II Tim., IV, 8. 446 injures, et qui ne s'en vengent que par des bienfaits, comme nous le fîmes à l'égard de Judas? Car non-seulement le Seigneur ne le priva point de l'apostolat, et ne lui témoigna aucune aigreur, mais il l'attendit jusqu'à la fin et jusqu à ce qu'il se fût mis par sa malice dans l'impossibilité de revenir au bien, en se livrant lui-même au démon. Pendant la vie mortelle le Seigneur est fort lent à punir; mais dans la suite la grandeur de la punition suppléera à ce retardement. Et si Dieu montre tant d'indulgence et de longanimité, à combien plus forte raison, un abject vermisseau ne doit-il pas supporter un autre vermisseau semblable à lui ! Vous devez régler votre patience, vos souffrances, et le soin du salut des âmes sur cette vérité et sur le zèle de la charité de votre Seigneur et votre époux. Je ne veux pas dire pour cela que vous tolériez ce que l'on fera contre l'honneur de Dieu, car ce ne serait pas aimer véritablement le bien de votre prochain; mais il faut que vous aimiez l'ouvrage du Seigneur, et que vous n'ayez en horreur que le péché; que vous souffriez et dissimuliez les injures qui vous seront personnelles,-que vous priiez pour tous, et que vous travailliez suivant vos forces au salut de tous. Ne perdez pas courage si vous ne voyez pas aussitôt le fruit de vos efforts; continuez au contraire à présenter au Père éternel les mérites de mon très-saint Fils, raton intercession et celle des anges et des saints; car comme Dieu est amour (1) , et que les bienheureux demeurent en (1) I Joam., IV, 16. 447 Dieu, ils ne cessent d'exercer la charité en faveur de ceux qui sont dans l'état de voyageurs. CHAPITRE VII. Du mystère caché qui précéda le triomphe de Jésus-Christ dans Jérusalem. - De l'entrée qu'il y fit, et comment il y fut reçu des habitants. 1115. Entre les oeuvres de Dieu que l'on appelle du dehors parce qu'il les a faites au dehors de lui-même, la plus grande a été celle de prendre chair humaine, pour souffrir et mourir pour le salut des hommes. La sagesse humaine n'aurait su pénétrer ce mystère (1); si Celui qui en était l'auteur ne le lui eût révélé par tant de témoignages. Malgré cela, il S'est trouvé beaucoup de sages selon la chair qui ont en peine à croire ce mystère, qui était leur véritable bonheur et leur remède efficace. D'autres l'ont cru, mais sans admettre les conditions réelles avec lesquelles il est arrivé. Les autres, qui sont les catholiques, croient, confessent et connaissent ce mystère dans le degré de lainière qu'en a la sainte Église. Et (1) Matth., XVI, 17. 448 dans cette foi explicite des mystères révélés, nous confessons implicitement ceux qui s'y trouvent,renfermés et qui n'ont pas été manifestés au monde, parce qu'ils n'étaient pas précisément nécessaires au salut; car Dieu réserve les uns pour le temps qu'il juge convenable , les autres pour le dernier jour auquel le secret de tous les coeurs sera révélé devant le juste Juge (1). Le dessein que le Seigneur a eu lorsqu'il m'a prescrit d'écrire cette histoire, comme je l'ai déjà dit et comme je l'ai souvent appris, a été de manifester quelques-uns de ces mystères cachés, sans opinions et sans conjectures humaines; c'est pourquoi j'en si écrit plusieurs qui m'ont été déclarés, tout en sachant que j'en laisse plusieurs autres qui sont dignes d'une grande admiration et d'une vénération singulière. Je veux, à l'égard de ceux que je .manifeste, prévenir la piété et la foi catholique des fidèles; car ceux-ci ne feront pas difficulté de croire l'accessoire, attendu qu'ils confessent déjà par cette même foi le principal des vérités chrétiennes, sur lesquelles est fondé tout ce que j'ai écrit, et tout ce que j'écrirai dans la suite, notamment de la passion de notre Rédempteur. 1116. Le samedi auquel Madeleine versa le baume sur le Seigneur à Béthanie, comme je l'ai rapporté au chapitre précédent, notre divin Maître se retira après le souper dans son oratoire, et la très-sainte Mère ayant laissé Judas dans son obstination, (1) I Cor., IV, 5. 449 suivit bientôt son très-aimable Fils, et l'imita selon sa coutume, en ses prières et en ses exercices. Le Sauveur allait engager le plus grand combat de sa carrière, lui qui, selon l'expression de David (1), s'était élancé du plus haut du ciel pour y retourner, après avoir vaincu le démon, le péché et la mort. Et comme cet adorable et très- obéissant Fils allait volontairement à la passion et à la croix, au moment où il s'en approchait il s'offrit de nouveau au Père éternel, et s'étant prosterné, il le glorifia et fit du fond de son âme une prière pleine de la plus sublime résignation, par laquelle il accepta les affronts de sa passion, les peines, les ignominies et la mort de la croix pour la gloire de son Père, et pour le rachat de tout le genre humain. Sa bienheureuse Mère était retirée dans un coin de cet oratoire, s'associant à son bien- aimé Fils et Seigneur, de sorte que le Fils et la Mère priaient ensemble avec des larmes et des gémissements. 1117. En cette circonstance, le Père éternel apparut avant minuit sous une forme humaine, avec le Saint-Esprit et une multitude innombrable d'anges. Le Père accepta le sacrifice de Jésus-Christ son très-saint Fils, et consentit, pour pardonner au monde, à ce que la rigueur de sa justice fût exercée sur lui. Le même Père, s'adressant ensuite à la bienheureuse Mère, lui dit: " Marie, notre Fille et notre Épouse, je veux que vous livriez de nouveau; votre Fils, (1) Ps. XVIII, 5. 450 afin qu'il me soit sacrifié, puisque je le livre pouf la rédemption du genre humain. " L'humble et innocente colombe répondit: " Je ne suis, Seigneur, que cendre et poussière, mille fois indigne d'être Mère de votre Fils unique et Rédempteur du monde. Mais étant soumise à votre bonté ineffable, qui lui a donné la forme humaine dans mon sein, je l'offre et moi avec lui à votre divine volonté. Je vous supplie, Seigneur, de me recevoir, afin que je souffre conjointement avec votre Fils et le mien. " Le hère éternel agréa aussi l'offrande que la très-pure Marie lui faisait comme un sacrifice agréable. Et relevant le Fils et la Mère de l'humble posture où ils étaient, il dit : Voici le fruit béni de la terre que je désire. Alors il éleva le Verbe incarné au trône sur lequel il siégeait, et le mit à sa droite en partageant avec lui son autorité et sa prééminence. 1118. L'auguste Marie resta à l'endroit où elle se trouvait, mais transportée d'une sainte joie, revêtue d'une splendeur céleste et comme toute transformée. Et, voyant son Fils assis à la droite de son Père éternel, elle dit ces premières paroles du psaume cent neuvième, dans lequel David avait prophétisé ce mystère : Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Asseyez-vous à ma droite (1). Notre divine Reine fit sur ces paroles (comme en les paraphrasant) un cantique mystérieux à la louange du Père éternel et du Verbe incarné. Et, après qu'elle eut achevé de parler, le Père (1) Ps., CIX, 1. 451 continua tout le reste du psaume jusqu'au dernier verset inclusivement, comme accomplissant par son décret immuable tout ce que contiennent ces profondes paroles. Il m'est très -difficile d'exprimer en termes propres les notions qui m'ont été données sur un si haut mystère; mais j'en dirai quelque chose, avec l'aide du Seigneur, afin que l'on pénètre en partie cette merveille si cachée du Tout- Puissant, et ce que le Père éternel en découvrit à la très-pure Marie et aux esprits célestes qui y assistaient. 1119. Or, poursuivant ce que la bienheureuse Vierge avait commencé, il dit : Jusqu'à ce que je réduise vos ennemis à voua servir de marchepied (1). Car, vous étant humiliée suivant ma volonté éternelle, vous avez mérité l'élévation que je vous donne au-dessus de toutes les créatures (2), et de régner à me droite en la nature humaine que vous avez prise, pendant toute la durée des siècles qui ne doivent pas finir; c'est pourquoi je mettrai pendant toute cette éternité vos ennemis sous vos pieds et sous la puissance de votre empire, comme étant leur Dieu et le Restaurateur des hommes, afin que ces mêmes ennemis, qui ne vous ont pas obéi ni reçu, voient votre humanité, c'est-à-dire vos pieds, dans les splendeurs de la plus haute gloire. Et, quoique je n'exécute pas encore cette promesse (afin que le décret de la rédemption du genre humain soit accompli), je veux néanmoins que mes courtisans voient dès à présent ce que les démons (1) Ps. CIX, 1. - (2) Philip., II, 8 et 9. 452 et les hommes connaîtront dans la suite; savoir, que je vous établis à ma droite, au moment même où vous vous humiliez jusqu'à la mort ignominieuse de la croix; et que si je vous livre à toutes ses rigueurs et à leur malice, c'est pour ma propre gloire, c'est afin qu'ils éprouvent une plus grande confusion lorsque je les mettrai sous vos pieds. Le Seigneur fera sortir de Sion le sceptre de votre puissance, pour vous faire régner au milieu de vos ennemis (1). Car moi qui suis le Dieu tout-puissant, et Celui qui suis (2), je ferai sortir et soutiendrai véritablement le sceptre de votre puissance invincible; de sorte que non-seulement les hommes vous reconnaîtront pour leur Restaurateur, leur guide, leur chef, et pour le Seigneur de l'univers, après que vous aurez triomphé de la mort en consommant leur rédemption; mais je veux que, dès aujourd'hui, et même avant de subir la mort, vous remportiez le triomphe le plus magnifique, quand ces mêmes hommes méditent votre ruine et vous accablent de leur mépris. Je veux que vous triomphiez de leur malice comme de la mort, et que, cédant à la force de votre puissance, ils en viennent librement jusqu'à vous honorer, vous glorifier et vous adorer en vous rendant un culte respectueux : je veux aussi que les démons soient vaincus et abattus par le sceptre de votre autorité, et que les prophètes et les justes qui vous attendent dans les limbes reconnaissent aussi bien que les anges cette (1) Ps., CIX, 2. - (2) Exod., III, 14. 453 élévation merveilleuse, que vous avez méritée en mon acceptation et en mon bon plaisir. Le principe est avec vous au jour de votre force, au milieu de la splendeur de vos saints; je vous ai engendré de mon sein avant l'aurore (1). Au jour de cette force invincible que vous avez pour triompher de vos ennemis, je suis en vous et avec vous comme principe dont vous procédez par la génération éternelle de mon entendement fécond avant que l'aurore de la grâce, par laquelle nous avons résolu de nous manifester aux créatures, fût formée, et dans les splendeurs dont jouiront les saints lorsqu'ils seront béatifiés par notre gloire. Comme homme, votre principe est aussi avec vous, et vous avez été engendré au jour de votre puissance, parce que, dès l'instant où vous avez reçu l'être humain par la génération temporelle, de votre Mère, vous avez été enrichi du mérite que vous donnent maintenant les oeuvres par lesquelles vous vous rendez digne de l'honneur et de la gloire qui doivent couronner votre puissance en ce jour et en celui de mon éternité. Le Seigneur a juré, et son serment demeurera irrévocable, que vous êtes le Prêtre éternel selon l'ordre de Melchisédech (2). Moi, qui suis le Seigneur et qui suis tout- puissant pour accomplir ce que je promets, j'ai décidé, avec un serment irrévocable, que vous seriez le souverain Prêtre de la nouvelle Église et de la loi de l'Évangile selon l'ancien ordre du prêtre Melchisédech ; (1) Ps. CIX, 3. - (2) Ibid., 4. 454 car vous serez le véritable Prêtre qui offrirez le pain et le vin que l'oblation de Melchisédech a figurés (1). Je ne me repentirai point de ce décret, parce que cette oblation que vous ferez sera pure et agréable, et je l'accepterai comme un sacrifice de louanges. Le Seigneur est d votre droite; il écrasera les rois au jour de sa colère (2). Par les oeuvres de votre humanité, dont la droite est la divinité qui lui est unie, et par la vertu de laquelle vous les devez faire, et par le moyen de cette même humanité, je briserai, moi qui suis un Dieu avec vous (3), le pouvoir tyrannique que les princes des ténèbres et du monde, soit les anges apostats, soit les hommes, ont montré en ce qu'ils ne vous ont pas adoré, ni reconnu, ni servi comme leur Dieu et leur chef. Ma justice a déjà frappé un coup quand Lucifer et ses sectateurs ont refusé de vous reconnaître : ce fut pour eux le jour de ma colère; le jour viendra plus tard où elle en frappera un second sur les hommes qui ne vous auront pas reçu, et qui ne se seront pas soumis à votre sainte loi. Je les humilierai et les écraserai tons sous le poids de ma juste indignation. Il exercera son jugement au milieu des nations, il remplira les ruines; il écrasera sur la terre les têtes d'un grand nombre d'hommes (4). Votre cause étant justifiée contre toux les enfants d'Adam qui ne profiteront pas de la miséricorde dont vous usez envers (1) Gen., XIV, 18. - (2) Ps. CIX, 5. - (3) Joan., X, 30. - (4) Ps. CIX, 6. 455 eux en les rachetant gratuitement du péché et de la mort éternelle, le même Seigneur, qui n'est autre que moi, jugera avec équité toutes les nations, séparera les justes et les élus d'avec les pécheurs et d'avec les réprouvés, et remplira le vide des ruines qu'ont laissées les anges apostats, qui ne conservèrent ni leur grâce ni leur propre demeure. C'est ainsi qu'il brisera sur la terre la tête des superbes, qui serrant en fort grand nombre à cause de la dépravation et de l'obstination de leur volonté. Il boira de l'eau du torrent dans le chemin, et c'est pour cela qu'il lèvera la tête (1). l e même Seigneur et le Dieu des vengeances la mettra au comble de la gloire; et, pour juger la terre et rendre aux superbes ce qu'ils auront mérité, il s'élèvera, et, comme s'il buvait le torrent de son indignation, il enivrera ses flèches du sang de ses ennemis (2), et par l'épée de sa vengeance il les renversera dans le chemin par où ils devaient arriver à leur félicité. C'est ainsi qu'il vous fera lever la tête et dominer sur les rebelles indociles à votre loi, infidèles à votre vérité et à votre doctrine. Cette conduite sera fondée en justice sur ce que vous aurez bu le torrent des opprobres et des affronts jusqu'à la mort de la croix, dans le temps que vous aurez opéré leur rédemption. 1120. Telle fut, et plus complète, plus profonde et plus inexplicable encore l'intelligence qu'eut l'auguste Marie des paroles mystérieuses de ce psaume que le (1) Ps. CIX, 7. - (2) Deut., XXVII, 42. 456 Père éternel prononça. Et; quoique plusieurs soient dites à la troisième personne, elles ne peuvent s'appliquer néanmoins qu'à la propre personne du Père et au Verbe incarné. Tous ces mystères se réduisent principalement à deux points: l'un qui regarde les menaces contre les pécheurs, les infidèles et les mauvais chrétiens, parce que, ou ils ne reconnaissent point le Rédempteur du monde, ou ils n'ont pas gardé sa divine loi;'l'autre qui renferme les promesses que le Père éternel fit à son Fils incarné de glorifier son saint nom contre et sur ses ennemis. Et comme pour gage et figure de cette exaltation universelle de Jésus-Christ après son ascension et surtout au dernier jugement, le Père voulut qu'il reçut, en son entrée dans Jérusalem, ces applaudissements et cette gloire que les habitants de cette ville lui donnèrent le jour qui suivit celui auquel eut lieu cette vision si mystérieuse, après laquelle le Père et le Saint-Esprit disparurent aussi bien que les anges qui avaient assisté avec admiration à cette scène ineffable. Notre Rédempteur Jésus-Christ et sa bienheureuse Mère passèrent le reste de cette nuit fortunée en de divers entretiens. 1121. Lorsque fut arrivé le jour qui répond au dimanche des Rameaux, le Sauveur s'approcha de Jérusalem avec ses disciples, accompagné d'une grande multitude d'anges qui bénissaient la charité si tendre qu'il manifestait envers les hommes, et son zèle si ardent pour leur salut éternel. Et, ayant marché environ deux lieues, il ne fut pas plutôt arrivé à Bethphagé, qu'il envoya, deux de ses disciples chez un 457 homme de considération dont la maison n'était pas éloignée (1), et avec son agrément ils amenèrent à leur Maître une ânesse et son poulain, que, personne n'avait encore monté. Et, après que les disciples. les eurent couverts de leurs manteaux, le Sauveur prit le chemin de Jérusalem , et se servit dans ce triomphe de l'ânesse et de l'ânon, ainsi que l'avaient,prédit les prophètes Isaïe et Zacharie plusieurs siècles auparavant (2), afin que les prêtres et les docteurs de. la loi ne pussent prétexter leur ignorance. Les quatre, évangélistes ont aussi décrit ce triomphe merveilleux de Jésus-Christ, et racontent ce que virent ceux qui y assistèrent (3). Pendant que le Rédempteur s'avançait, les disciples et tout le peuple avec eux le reconnaissaient par leurs acclamations pour le Messie, pour le fils de David, le Sauveur du monde et le véritable Roi. Les uns disaient : la paix soit dans le ciel et la gloire dans les lieux les plus hauts; béni soit le Roi qui vient au nom du Seigneur; les autres disaient : Hosanna, Fili David ! Sauvez-nous, Fils de David; béni soit le règne de notre père David, qui est déjà arrivé. Tous. coupaient des palmes et des branches d'arbres en signe de triomphe et d'allégresse, et les répandaient eu étendant leurs manteaux sur le chemin par où devait passer le nouveau triomphateur des armées, notre Seigneur Jésus-Christ. 1122. Toutes ces marques de culte et d'admiration, (1) Matth., XXI,1. - (2) Isa., LXII, 11 ; Zach., IX, 9. - (3) Matth., XXI, 1 ; Marc, XI, 8 ; Luc., XIX, 36 ; Joan., XII, 18. 458 toutes ces acclamations que les hommes donnaient au Verbe incarné prouvaient le pouvoir de sa Divinité, d'autant plus que c'était le moment auquel les prêtres et les pharisiens l'attendaient dans cette même ville pour le faire mourir. Car s'ils n'eussent été mus et excités intérieurement par la vertu divine qui éclatait dans les miracles qu'il avait faits, il n'eût pas été possible que tant de gens réunis, dont beaucoup étaient idolâtres et les autres ses ennemis déclarés, l'eussent publiquement reconnu pour le véritable Roi, pour le Sauveur et le Messie, et se fussent soumis à un homme pauvre, humble et persécuté, qui venait sans pompe guerrière, sans armes, sans escorte, sans richesses, sans chars de triomphe ni chevaux superbes. En apparence, tout lui manquait; il entrait sur un petit ânon; il paraissait n'avoir rien que de méprisable dans l'opinion d'un monde plein de vanité; son air, toujours grave, serein, majestueux, répondait seul à sa dignité cachée, mais tout le reste était contraire à ce que le monde estime et applaudit. Ainsi l'on découvrait par ses effets la puissance divine, qui mouvait par sa force les coeurs des hommes et les contraignait à se soumettre à leur Créateur et Restaurateur. 1123. Mais, outre le mouvement universel que l'on remarqua dans Jérusalem à cause de la divine lumière dont le Seigneur éclaira l'esprit de tous ses habitants, afin qu'ils reconnussent notre Sauveur, ce triomphe s'étendit sur toutes les créatures, ou sur plusieurs plus capables de raison, pour accomplir ce que le Père éternel avait promis à son Fils, comme 459 on l'a vu plus haut. Car, tandis que notre Sauveur Jésus-Christ faisait son entrée dans Jérusalem, l'ange saint Michel fut envoyé aux limbes pour donner connaissance de ce mystère aux saints, aux patriarches et aux prophètes qui s'y trouvaient; ils eurent tous en même temps une vision particulière de cette entrée et de ses circonstances, de sorte que du fond de leur retraite ils adorèrent notre divin maître, le reconnurent pour le véritable Dieu et le Rédempteur du mondé, et lui firent de nouveaux cantiques de gloire et de louanges pour son triomphe admirable sur la mort, sur le péché et sur l'enfer. Le pouvoir divin s'étendit aussi sur les coeurs de beaucoup d'autres personnes qu'il toucha dans l'univers entier. Ainsi ceux qui avaient quelque connaissance de Jésus-Christ, non-seulement dans la Palestine et dans les lieux circonvoisins, mais en Égypte et en d'autres royaumes, se sentirent poussés à adorer en esprit le Rédempteur en cette heure solennelle, comme ils le firent avec une joie singulière que leur causa l'influence de la divine lumière qu'ils reçurent à cet effet, quoiqu'ils ne comprissent bien ni le principe ni le but de l'impulsion à laquelle ils obéissaient. Elle ne leur fut pourtant pas inutile, car elle les fit singulièrement avancer dans la foi et dans la pratique des bonnes couvres. Et, afin que le triomphe que notre Sauveur remportait dans cette occasion sur la mort fût plus glorieux, le Très-Haut ne permit pas qu'elle eût en ce jour le moindre droit sur la vie d'aucun des mortels; il ne mourut donc personne dans le monde ce jour-là, quoique bien 460 des gens fussent naturellement morts, si le Tout-puissant ne l'eût empêché, afin que le triomphe de Jésus-Christ fût tout à fait prodigieux. 1124. Cette victoire que le Sauveur remporta sur la mort fut suivie de celle qu'il remporta sur l'enfer; et celle-ci fut beaucoup plus glorieuse, quoiqu'elle fût plus cachée. Car dans le même temps que les hommes commencèrent à invoquer notre divin Maître et à le reconnaître pour le Sauveur et pour le Roi qui venait au nom du Seigneur, les démons sentirent le pouvoir de sa droite qui les chassa du monde tous tant qu'ils étaient, et les précipita dans les profonds cachots de l'enfer, de sorte que durant le peu de temps que Jésus-Christ continua encore sa marche, il ne resta aucun esprit malin sur la terre; tous roulèrent dans les abîmes, aussi pleins de terreur que de rage. Dès lors ils craignirent plus qu'ils n'avaient encore fait, que le Messie ne se trouvât dans le monde , et se communiquèrent le sujet de cette crainte, comme je le dirai dans le chapitre suivant. Le triomphe du Sauveur dura jusqu'à ce qu'il fût entré dans Jérusalem, et les saints anges qui l'accompagnaient adressèrent à sa divinité, dans un concert d'harmonie ineffable, de nouvelles hymnes de louanges. En entrant dans la ville au milieu des applaudissements de tous ses habitants, il descendit de l'ânon, et dirigea ses pas du côté du Temple, où il opéra les merveilles que les évangélistes racontent, et qui excitèrent une admiration universelle. Il renversa les tables de ceux qui vendaient et achetaient 461 dans le Temple, témoignant le zèle qu'il avait pour l'honneur de la maison de son Père, et en chassa ceux qui en faisaient une maison de négoce et une caverne de voleurs (1). Mais aussitôt que le triomphe fut achevé,. la droite du Seigneur suspendit l'influence qu'elle avait fait sentir aux coeurs des habitants de cette ville. Les justes en profitèrent en restant justifiés ou en devenant meilleurs; les autres reprirent leurs vices et leurs mauvaises habitudes, parce qu'ils n'usèrent pas de la lumière et des inspirations que la bonté divine leur envoya. Et parmi tant de personnes qui avaient reconnu publiquement notre Seigneur Jésus-Christ pour le roi de Jérusalem, il n'y en eut pas une seule qui s'offrît à le loger, et qui le reçût dans sa maison (2). 1125. Le Sauveur demeura dans le Temple, où il instruisit le peuple jusqu'au soir. Et pour attester le respect que l'on devait avoir pour ce saint lieu, pour cette maison de prière, il ne voulut pas permettre qu'on lui apportât même un vase d'eau pour boire; et sans avoir pris ce rafraîchissement ni aucune nourriture, il s'en retourna ce même soir à Béthanie, d'où il était parti, et continua ensuite de se rendre les jours suivants à Jérusalem jusqu'à sa Passion (3). La bienheureuse Vierge passa ce jour-là à Béthanie retirée dans sa solitude, d'où elle voyait par une vision particulière tout ce qui arrivait dans le triomphe (1) Matth., XXI, 12; Luc., XIX, 45. - (2) Marc., XI, 11. - (3) Matth., XXI, 17 et 18. 462 admirable de son Fils et de son Maître. Elle vit ce que les anges faisaient dans le ciel, ce que les hommes faisaient sur la terre, ce qu'éprouvaient les démons dans l'enfer, et comment en toutes ces merveilles le Père éternel accomplissait les promesses qu'il avait faites à son Fils incarné et lui donnait l'empire sur tous ses ennemis. Elle vit aussi tout ce que notre Sauveur fit dans ce triomphe et dans le Temple. Elle entendit cette voix du Père qui vint du ciel d'une manière intelligible pour tous les assistants, et qui, répondant à notre Seigneur Jésus-Christ , lui dit : Je vous ai glorifié, et je vous glorifierai de nouveau (1). Ces paroles faisaient connaître qu'outre la gloire et le triomphe que le Père avait donnés ce même jour au Verbe incarné, il le glorifierait de nouveau et l'exalterait après sa mort : car les paroles du Père éternel renferment tout cela ; et c'est ce que l'auguste Marie entendit et pénétra avec une joie inexprimable. Instruction que j'ai reçue de notre grande Reine. 1126. Ma fille, vous avez moins écrit que vous n'avez connu des mystères cachés du triomphe que mon très-saint Fils reçut le jour qu'il entra dans Jérusalem, (1) Joa., XII, 28. 463 et de ce qui le précéda: mais vous en connaîtrez beaucoup plus dans le Seigneur, parce qu'on ne saurait tout pénétrer dans l'état de voyageur. Les mortels sont néanmoins assez instruits et détrompés par ce qui leur en a été découvert, pour comprendre combien les jugements du Seigneur sont différents de leurs jugements, et combien ses pensées sont au-dessus de leurs pensées (1). Le Très- Haut regarde le coeur et l'intérieur des créatures (2), où se trouve la beauté de la fille du Roi (3), et les hommes ne regardent que ce qui- est apparent et sensible. C'est pour cela qui aux yeux de la divine sagesse les justes et les élus sont estimés et élevés quand ils s'abaissent et s'humilient; et que les superbes sont humiliés et regardés avec horreur quand ils s'élèvent. Cette science, ma fille, est ignorée de presque tous les hommes: c'est pourquoi les enfants des ténèbres ne savent désirer et rechercher d'autre honneur, d'autre élévation que, ceux que leur donne le monde. Et quoique les enfants de la sainte Église sachent et confessent que cette gloire est vaine et inconsistante , qu'elle se flétrit comme la fleur et l'herbe des champs, ils ne laissent pas, dans la pratique, que d'oublier cette vérité. Et comme leur conscience privée de la lumière de la grâce ne leur rend pas le témoignage fidèle des vertus, ils sollicitent auprès des hommes l'estime et les applaudissements qu'ils peuvent accorder, quoique tout cela ne soit que fausseté et que (1) Isa., LV, 9. - (2) I Reg., XVI, 7. - (3) Ps. XLIV, 13. 19/30 CHAPITRE-VIII. Les démons s'assemblent clans l'enfer pour délibérer sur le triomphe que notre Sauveur Jésus-Christ reçoit dans Jérusalem. - Ce qui résulte de cette assemblée. - Les princes des prêtres et les pharisiens se réunissent de leur côté. Instruction que la Reine du ciel m'a donnée. CHAPITRE IX. Notre Sauveur Jésus-Christ étant à Béthanie, prend congé de sa très-sainte Mère le jeudi de la Cène pour aller souffrir. - Notre grande Reine le prie de lui accorder la communion quand il en serait temps. - Elle le suit à Jérusalem avec la Madeleine et quelques autres saintes femmes. Instruction que notre auguste Maîtresse m'a donnée. CHAPITRE X. Notre Sauveur Jésus-Christ célèbre la dernière cène légale avec ses disciples. - Il leur lave les pieds. - Sa très-sainte Mère connaît tous ces mystères. Instruction que m'a donnée la puissante Reine dû monde, la bienheureuse Marie. CHAPITRE XI. Notre Sauveur Jésus-Christ célèbre la cène sacramentale en consacrant dans l'Eucharistie son très-saint et véritable corps et son précieux sang. - Les prières et les demandes qu'il fait. - Sa bienheureuse Mère communie. - Autres mystères qui arrivèrent dans cette occasion. Instruction que j'ai reçue de notre auguste Maîtresse. CHAPITRE XII. La prière que notre Sauveur fit dans le jardin. - Les mystères qui. S'y passèrent, et ce que sa très-sainte Mère en connut. Instruction que notre auguste Maîtresse m'a donnée. CHAPITRE XIII. La prise de notre Sauveur par la trahison de Judas. - Ce que la très-pure Marie fit dans cette occasion, et quelques mystères qui s'y passèrent. Instruction que la Reine du ciel m'a donnée. CHAPITRE XIV. La fuite et la séparation des apôtres lors de la prise de leur Maître. - La connaissance que sa très-sainte Mère en eut. - Ce qu'elle fit dans cette occasion. - La damnation de Judas, et le trouble des démons par suite des nouvelles choses qu'ils apprirent. Instruction que la Reine du ciel m'a donnée. 464 mensonge: car Dieu est le seul qui honore et qui élève sans se tromper ceux qui le méritent. Le monde change ordinairement les lots, et décerne ses honneurs à ceux qui en sont le moins dignes, ou aux intrigants qui savent les capter avec le plus d'adresse. 1127. Fuyez cet écueil, ma fille; ne vous attachez point au plaisir que procurent les louanges des hommes ; rejetez leurs avances et leurs flatteries. Donnez à chaque chose le nom et l'estime quelle mérite, car les enfants de ce siècle se conduisent en cela avec trop peu de réflexion. Jamais aucun des mortels n'a pu mériter d'être honoré des créatures comme mon très-saint Fils; et pourtant il ne fit que dédaigner et accepter un instant les honneurs qu'on lui rendit à son entrée dans Jérusalem; il ne permit ce triomphe que pour manifester sa puissance divine, et pour rendre ensuite sa passion plus ignominieuse, ainsi que pour enseigner aux hommes qu'on ne doit pas recevoir les honneurs du monde pour eux-mêmes, si l'intérêt de la gloire, du Très-Haut ne présente pas une autre fin plus relevée, à laquelle on puisse les rapporter ; car sans cela ils sont vains et inutiles, puisqu'ils ne sauraient faire la véritable félicité des créatures capables d'un bonheur éternel. Et comme je vois que vous souhaitez savoir la raison pour laquelle je ne me trouvai point près de mon très-saint Fils dans ce triomphe, je veux satisfaire votre désir, en vous rappelant ce que vous avez écrit souvent dans cette histoire de la vision que j'avais des oeuvres intérieures de mon Fils bien-aimé dans le très-pur 465 miroir de son âme. Cette vision me faisait connaître quand et pourquoi il voulait s'éloigner de moi. Alors je me prosternais à ses pieds, et le suppliais de me déclarer sa volonté sur ce que je devais faire : et quelquefois cet adorable Seigneur me le déclarait et me le commandait expressément; d'autres fois il le laissait à mon choix, afin que je le fisse avec le secours de la lumière divine, et avec la prudence dont il m'avait douée. C'est ce qui eut lieu lorsqu'il résolut d'entrer dans Jérusalem triomphant de ses ennemis. Ainsi il me laissa libre de L'accompagner ou de rester à Béthanie; alors je le priai de me permettre de ne pas assister à cette manifestation mystérieuse, le suppliant néanmoins de me mener avec lui quand il retournerait à Jérusalem pour y souffrir et pour y mourir; parce que je crus qu'il lui serait plus agréable que je m'offrisse à participer aux ignominies et aux douleurs de sa Passion, qu'aux honneurs que les hommes lui rendaient; et il m'en serait revenu une part en qualité de mère, si j'eusse assisté à son triomphe, étant connue pour telle de ceux qui le bénissaient et le louaient; mais je ne recherchais point les applaudissements, et je savais d'ailleurs que le Seigneur les ordonnait pour découvrir sa divinité .et sa puissance infinie, auxquelles je n'avais aucune part; et que par l'honneur qu'on me rendrait alors, je n'augmenterais pas celui qu'on lui devait comme à l'unique Sauveur du genre humain. Ainsi, pour jouir dans ma solitude de ce mystère et glorifier le Très-Haut en ses merveilles, j'eus dans ma retraite la connaissance de tout 466 ce que vous avez écrit. Il y a là pour vous une leçon qui vous excitera à imiter mon humilité, à détacher votre affection de tout ce qui est terrestre , et à vous élever aux choses célestes, qui vous inspireront un profond dégoût pour les honneurs du monde, connaissant par la divine lumière qu'ils ne sont que vanité des vanités et affliction d'esprit (1). CHAPITRE-VIII. Les démons s'assemblent clans l'enfer pour délibérer sur le triomphe que notre Sauveur Jésus-Christ reçoit dans Jérusalem. - Ce qui résulte de cette assemblée. - Les princes des prêtres et les pharisiens se réunissent de leur côté. 1128. Tous les mystères que renfermait le triomphe de notre Sauveur furent grands et admirables, comme nous l'avons remarqué; mais ce qui se passa dans l'enfer accablé par le pouvoir divin , lorsque les démons y furent précipités au moment de l'entrée triomphale de Jésus dans la ville sainte, ne nous fournit pas en son genre un moindre sujet d'admiration. Depuis le dimanche auquel ils essuyèrent cette défaite jusqu'au mardi suivant, ils restèrent deux jours (1) Eccles., I, 14. 467 entiers sous le poids de-la droite du Très-Haut, éperdus à la fois de honte et fureur, et ils exhalaient leur rage devant tous les damnés par des hurlements effroyables ; une nouvelle épouvante se répandit à travers ces sombres régions, dont les infortunés habitants virent s'accroître leurs tourments. Le prince des ténèbres Lucifer, plus troublé que tous les autres, convoqua tous les démons, et se plaçant, comme leur chef, dans un lieu plus élevé, il leur dit 1129." II n'est pas possible que cet homme, qui nous persécute de la sorte, qui ruine notre empire et qui brise mes forces, ne soit plus que prophète. Car Moïse, Élie et Élisée, et nos autres anciens ennemis ne nous ont jamais vaincu avec une pareille. violence, quoiqu'ils aient opéré d'autres merveilles ; et je remarque même qu'il ne m'a pas été caché autant d'oeuvres de ceux-là que de celui-ci , surtout quant à ce qui se passe dans son intérieur, où je ne sais presque rien découvrir. Or comment un simple homme pourrait-il faire cela, et exercer sur toutes choses un pouvoir aussi absolu que celui que tout le monde lui reconnaît ? Il reçoit sans émotion et sans aucune complaisance les louanges que les hommes lui donnent pour les merveilles qu'il a faites. Il a montré en cette entrée triomphante qu'il vient de faire dans Jérusalem un nouveau pouvoir sur nous et sur le monde, puisque je ne me trouve pas assez fort pour accomplir mon dessein, qui est de le détruire et d'effacer son nom de la terre des vivants (1). A l'occasion de ce (1) Jerem., XI, 19. 468 triomphe, non-seulement les siens l'ont proclamé publiquement bienheureux, mais beaucoup de gens soumis à ma domination se sont joints à eux et l'ont même reconnu pour le Messie, pour Celui qui est promis dans la loi des Juifs; de sorte qu'ils ont tous été portés à le révérer et à l'adorer. C'est beaucoup pour un simple mortel, et si celui-ci n'est rien de plus, il est sûr qu'aucun autre n'a joui auprès dé Dieu d'une aussi haute faveur, et qu'il s'en sert et s'en servira encore pour nous causer de grandes. pertes ; car depuis que nous avons été chassés du ciel , il ne nous est pas arrivé d'essuyer des défaites comparables à celles auxquelles nous accoutume cet homme depuis sa naissance, ni de rencontrer une pareille vertu. Et s'il est par malheur le Verbe incarné (comme nous avons sujet de le craindre), nous ne devons rien négliger, c'est une affaire qui demande toute notre attention : parce que si nous le laissons vivre, il attirera tous les hommes après lui par son exemple et par sa doctrine. J'ai tâché quelquefois, pour assouvir ma haine, de lui ôter la vie, mais ç'a été toujours en vain; car dans son pays j'avais disposé quelques personnes à le précipiter du haut d'une montagne, et il eut la puissance d'échapper à ses ennemis (1). Une autre fois, étant à Jérusalem, je fis prendre à plusieurs pharisiens la résolution de le lapider, et il se déroba tout à coup à leurs regards (2). 1130. J'ai maintenant pris des mesures plus sûres Luc., IV, 30. - (2) Joan., VIII, 59. 469 avec son disciple et notre ami Judas; je lui ai inspiré le dessein. de vendre et de, livrer son maître aux pharisiens, que j'ai aussi animés d'une furieuse envie par laquelle ils le feront sans doute mourir d'une mort fort cruelle, comme ils le désirent. Ils n'attendent qu'une occasion favorable, et je la leur prépare avec tout le zèle et toute l'adresse dont je suis capable car Judas, les scribes et les princes des prêtres feront tout ce que je leur proposerai. Je trouve néanmoins en cette entreprise une grande difficulté que nous devons redouter et qui demande de sérieuses réflexions c'est, que si cet homme est le Messie qu'attendent ceux de sa nation , il offrira ses peines et sa mort pour la résurrection des hommes, et il satisfera et méritera infiniment pour tous. Il ouvrira le ciel, et les mortels y jouiront des récompenses dont Dieu nous a privés, et ce sera pour nous un nouveau et insupportable tourment si nous ne faisons tous nos efforts pour l'empêcher. En outre, cet homme souffrant et méritant laissera au monde un nouvel exemple de patience pour les autres ; car il est très-doux et très- humble de coeur, nous ne l'avons jamais vu impatient ni troublé : il enseignera à tous la pratique de ces vertus, que j'abhorre le plus et qui déplaisent au même point à tous ceux qui me suivent. Ainsi il faut pour nos propres intérêts que nous délibérions sur ce que nous devons faire pour persécuter ce nouvel homme, et que vous me disiez ce que vous pensez de cette grave affaire. " 1131. Ces esprits , de ténèbres entrèrent en de 470 longues conférences sur cette proposition de Lucifer, se livrant à tous les transports de leur rage contre notre Sauveur, mais aussi regrettant l'erreur que déjà ils croyaient avoir commise, en travaillant à sa perte avec tant d'astuce et de malice; par un surcroît de cette même malice, ils prétendirent dès lors revenir sur leurs pas et empêcher sa mort, parce qu'ils étaient confirmés dans le doute qu'ils avaient que Jésus pût être le Messie, tout en ne parvenant pas à s'en assurer d'une manière certaine. Cette crainte jeta Lucifer dans un si grand et si pénible trouble , qu'ayant approuvé la nouvelle résolution qu'ils prirent de s'opposer à la mort du Sauveur, il rompit l'assemblée et leur dit : " Soyez sûrs, mes amis , que si cet homme est véritablement Dieu, il sauvera tous les hommes par ses souffrances et par sa mort; il détruira par ce moyen notre empire, et les mortels seront élevés à une nouvelle félicité et revêtus contre nous d'une nouvelle puissance. Quelle énorme bévue nous avons faite en machinant sa perte! Allons donc détourner notre propre malheur. " 1132. Après cette décision, Lucifer et tous ses ministres se rendirent dans la ville et dans les environs de Jérusalem, où ils firent quelques tentatives auprès de Pilate et de sa femme pour empêcher la mort du Seigneur, ainsi que le racontent les évangélistes (1); ils en firent aussi plusieurs autres qui ne sont pas mentionnées dans l'histoire évangélique, et qui ne laissent pourtant pas d'être véritables. Ainsi ils (1) Matth., XVII,19; Luc., XXIII, 4; Joan., XVIII, 38. 471 s'adressèrent en premier lieu à Judas, et par de nouvelles suggestions ils tâchèrent de le dissuader de la vente de son divin Maître, qu'il avait déjà conclue. Et comme il ne se décidait point à renoncer à son entreprise, le démon lui apparut sous une forme sensible, et fit tous ses efforts pour le persuader de ne plus songer à ôter la vie à Jésus-Christ par la main des pharisiens. Connaissant l'avarice insatiable du perfide disciple, il lui offrit beaucoup d'argent, afin qu'il ne le livrât pas à ses ennemis. De sorte que Lucifer se donna plus de peine en cette circonstance que lorsqu'il l'avait auparavant porté à vendre son doux et divin Maître. 1133. Mais, hélas ! que la misère humaine est grande ! Le démon, qui avait déterminé Judas à lui obéir pour le mal, fut impuissant lorsqu'il voulut le faire reculer. C'est que la force de la grâce que ce malheureux avait perdue ne secondait pas l'intention de l'ennemi, et sans ce divin secours, tous les raisonnements, toutes les impulsions du dehors ne sauraient amener une âme à quitter le péché et à suivre le véritable bien. Il n'était pas impossible à Dieu de porter à la vertu le coeur de ce disciple infidèle, mais la sollicitation du démon qui lui avait fait perdre la grâce, n'était pas un moyen convenable pour la lui faire recouvrer. Et le Seigneur avait de quoi justifier la cause de son équité ineffable s'il ne lui donnait pas d'autres secours, puisque Judas était arrivé à une si grande obstination même dans l'école de notre divin Maître, en résistant si souvent à sa doctrine, à ses inspirations 472 et à ses faveurs, en méprisant avec une effroyable témérité ses conseils paternels, ceux de sa très-douce Mère, l'exemple de leur sainte vie, leur conversation, et les vertus de tous les autres apôtres. D'impie disciple avait tout repoussé avec une opiniâtreté plus grande que celle d'un démon, et que Celle d'un homme qui est libre de faire le bien ; il se précipita comme un forcené dans la carrière du mal; et il alla si loin, que la haine qu'il avait conçue contre son-Sauveur et contre la Mère de miséricorde le rendit incapable de chercher cette même miséricorde, indigne de la lumière nécessaire pour distinguer la même lumière, et comme insensible même à la raison et à la loi naturelle, qui auraient suffi pour le détourner de persécuter l'innocent dont les mains libérales l'avaient comblé de bienfaits. Grande leçon pour la fragilité et la folie des hommes, qui sont exposés à tomber et à périr dans de semblables périls, parce qu'ils ne les craignent pas, et à donner à leur tour l'exemple d'une chute si malheureuse et si déplorable. 1134. Lés démons ayant perdu l'espoir de changer les dispositions de Judas, s'en éloignèrent, et entreprirent les pharisiens, auxquels ils firent les mêmes propositions et tâchèrent de les persuader, de ne point persécuter notre Seigneur Jésus Christ: Mais par les mêmes raisons ils ne réussirent pas mieux auprès d'eux qu'auprès de Judas, car il ne leur fut pas possible de leur faire quitter le mauvais dessein. qu'ils avaient formé. Il y eut bien quelques scribes qui par des motifs humains se demandèrent si ce qu'ils avaient résolu 473 leur serait profitable ; mais comme ils n'étaient pas assistés de la grâce, la haine et l'envie qu'ils avaient conçues contre le Sauveur reprenaient bientôt le. dessus- dans leur âme. Les malins songèrent ensuite à travailler la femme de Pilate et Pilate lui- même ; et se servant de la pitié naturelle aux femmes, ils la portèrent, comme il est rapporté dans l'Évangile (1), à lui envoyer dire de rie point condamner cet homme juste: Par cet avis et par plusieurs considérations qu'ils présentèrent à Pilate ils lé déterminèrent à toutes les tentatives qu'il fit pour soustraire l'innocent Seigneur à une sentence dé mort , comme je le raconterai avec les détails nécessaires. Lucifer et ses ministres n'aboutirent malgré tous leurs efforts à aucun résultat. Lorsqu'ils en reconnurent l'inutilité, ils changèrent de plan , et entrant dans une nouvelle fureur, ils excitèrent les pharisiens, leurs satellites et les bourreau à faire mourir le Sauveur de la mort la plus prompte ; mais après l'avoir tourmenté avec la cruauté impie qu'ils déployèrent pour altérer sa patience invincible. Le Seigneur permit qu'on lui fit subir tous les tourments imaginables, pour les hautes fins de la rédemption du genre humain , quoiqu'il empêchât que les bourreaux n'exerçassent quelques cruautés indécentes auxquelles les démons les provoquaient contre son adorable personne, comme je le dirai plus loin. 1135. Le mercredi qui suivit l'entrée de notre Seigneur Jésus-Christ dans Jérusalem (ce fut le (1) Matth., XXVII, 19. 474 jour qu'il passa tout entier à Béthanie sans aller au Temple (1), les scribes et les pharisiens s'assemblèrent de nouveau dans la maison dit chef des prêtres, qui s'appelait Caïphe, pour délibérer sur les moyens de se saisir par la ruse du Rédempteur du monde et de le faire mourir (2), parce que les honneurs que tout le peuple lui avait rendus dans cette conjoncture avaient augmenté leur haine et leur envie contre sa Majesté. Cette envie venait de ce que notre Seigneur Jésus-Christ avait ressuscité Lazare, et des autres merveilles qu'il avait faites dans le Temple. Ils décidèrent dans cette assemblée qu'il fallait lui ôter la vie (3), tout en couvrant leur horrible dessein du prétexte du bien commun, comme le dit Caïphe prophétisant le contraire de ce qu'il prétendait. Le démon voyant leur résolution, inspira à quelques-uns la précaution de ne point exécuter leur projet, au jour de la fête de Pâque , de peur que le peuple, qui révérait Jésus-Christ comme le Messie ou comme un grand prophète; n'excitât quelque tumulte (4). Lucifer fit cela pour voir si, en retardant la mort du Sauveur, il pourrait l'empêcher. Mais comme Judas était déjà tyrannisé par sa propre avarice et par sa propre méchanceté, et privé de la grâce dont il aurait eu besoin pour en secouer le joug, il se rendit fort troublé et inquiet à l'assemblée des princes des prêtres, et leur proposa de leur livrer son maître ; la vente en fut conclue (1) Matth., XXI, 17. - (2) Matth., XXVI, 3. - (3) Joan., XI, 49 ; Matth., XXVI, 5; Marc., XIV, 2. - (4) Matth., XXVI, 15. 475 pour trente pièces d'argent, le traître se contentant de cette somme pour le prix de Celui qui renferme en lui-même tous les trésors du ciel et de la terre ; et afin de ne point perdre cette occasion, les princes des prêtres bâclèrent leur odieux marché malgré l'inconvénient de l'approche de la Pâque, la sagesse et la providence de Dieu le disposant de la sorte. 1136. C'est alors que notre Rédempteur dit à ses disciples ce que saint Matthieu rapporte: Sachez que dans deux jours le Fils de l'homme sera livré pour être crucifié (1). Judas était absent lorsqu'il leur adressa ces paroles ; mais bridant de consommer sa trahison, il revint bientôt auprès des apôtres, et le perfide tâchait de découvrir par les questions qu'il faisait à ses compagnons, au Seigneur lui-même et à sa très-sainte Mère, par quel lieu ils passeraient en partant de Béthanie, et ce que son divin Maître avait résolu de faire durant ces jours de fête. Le disciple infidèle s'informait adroitement de tout cela pour livrer avec plus de facilité le Sauveur entre les mains des princes des prêtres, selon l'accord qu'il avait fait avec eux, et prétendait par cette conduite hypocrite cacher sa trahison. Cependant ses intentions criminelles étaient connues non-seulement du Sauveur, mais encore de sa très-prudente Mère-: car les saints anges l'informèrent incontinent de la promesse par laquelle il s'était engagé à le livrer aux princes des prêtres pour (1) Matth., XXVI, 2. 476 trente deniers. Ce même jour le traître eut la hardiesse. de demander à notre grande Reine par quel endroit son très-saint Fils avait résolu de passer pour aller célébrer la Pâque : et elle liai répondit avec une douceur incroyable : Qui peut , ô Judas, pénétrer les secrets jugements du Très-Haut ? Dès lors elle cessa de l'exhorter à renoncer à ses mauvais desseins; néanmoins notre adorable Sauveur et sa miséricordieuse Mère le souffrirent toujours jusqu'à ce qu'il désespérât lui-méme de son salut éternel. Mais la très-douce colombe prévoyant la perte irréparable de Judas , et que son très-saint Fils serait bientôt livré à ses ennemis , exhala de tendres plaintes en la compagnie des anges, car elle ne pouvait s'entretenir avec d'autres du sujet de sa douleur ; ainsi elle communiquait- toutes ses peines à ces esprits célestes, et leur parlait avec tant de sagesse et de merveilleuse raison, qu'ils ne se lassaient point d'admirer une créature humaine qui au milieu d'une si amère affliction savait agir avec une sublime perfection jusqu'alors inouïe : Instruction que la Reine du ciel m'a donnée. 1137. Ma fille, tout ce que vous avez appris et rapporté dans ce chapitre renferme de grands enseignements et de profonds mystères, dont les mortels peuvent tirer les fruits les plus salutaires, s'ils 477 les étudient avec attention. Vous devez en premier lieu remarquer, sans une imprudente curiosité, que, comme mon très-saint Fils est venu détruire les oeuvres du démon (1) et le vaincre lui-même, afin d'affaiblir son empire sur les hommes, il fallait, selon Cette intention, qu'en le maintenant dans sa nature angélique, et dans la science habituelle qui répond à cette même nature, il lui cachât néanmoins, ainsi que vous l'avez indiqué ailleurs, beaucoup de choses dont l'ignorance devait servir à réprimer la malice de ce dragon de la:manière la plus convenable à la douce et forte providence du Très-Haut (2). C'est pour cela que l'union hypostatique des deux natures divine et humaine lui fut cachée; et il se méprit tellement sur ce mystère, qu'il se perdit dans ses recherches, et ne cessa de changer d'opinion et de résolution jusqu'à ce que mon très-saint Fils permit au moment opportun qu'elle connût et qu'il sût que son âme divinisée avait été glorieuse dès l'instant de sa conception. Il lui cacha aussi quelques miracles de sa très-sainte vie, et lui en laissa connaître d'autres. La même chose arrive maintenant à l'égard de certaines âmes, et mon adorable Fils ne permet pas que l'ennemi connaisse toutes leurs oeuvres, quoiqu'il pût naturellement les connaître; parce que sa Majesté les lui cache pour arriver à ses hautes fins en faveur des âmes. Mais plus tard elle permet ordinairement que le démon les connaisse pour sa plus grande confusion, comme il (1) I Joan., III, 8. - (2) Sap., VIII, 1. 478 arriva dans les oeuvres de la rédemption, lorsque, pour accroître son dépit et son humiliation, le Seigneur permit qu'il les connût. C'est pour cette raison que le dragon infernal épie avec tant de soin les âmes, pour découvrir non-seulement leurs oeuvres intérieures, mais même les extérieures. Vous comprendrez par là, ma fille, combien grand est l'amour que mon très-saint Fils a pour les âmes, depuis qu'il est né et qu'il est mort pour elles. 1138. Ce bienfait serait plus général et plus continuel envers beaucoup d'âmes, si elles-mêmes ne l'empêchaient, en se rendant indignes de le recevoir et en se livrant à leur ennemi, dont elles écoutent les conseils pleins de malice et de perfidie. Et comme les justes, comme les grands saints, sont des instruments souples entre les mains du Seigneur, qui les gouverne lui-même, sans permettre qu'aucun autre les meuve, parce qu'ils s'abandonnent entièrement à sa divine Providence; il arrive au contraire à beaucoup de réprouvés qui oublient leur Créateur et leur Restaurateur, que, lorsqu'ils se sont livrés par le moyeu de leurs péchés réitérés entre les mains du démon, il les porte à commettre toute sorte de,crimes et les emploie à tout ce que sa malice dépravée désire, témoin le perfide disciple et les pharisiens homicides de leur propre Rédempteur. Les mortels ne sauraient trouver aucune excuse dans cet horrible désordre; car comme Judas et les princes des prêtres usèrent de leur libre arbitre pour rejeter la proposition que le démon leur fit de cesser de persécuter notre Seigneur Jésus 479 Christ, ils auraient pu à plus forte raison en user pour ne point consentir à la pensée que cet esprit rebelle leur donna de le persécuter, puisque pour résister à cette tentation ils furent assistés du secours de la grâce s'ils eussent voulu y coopérer; et pour s'obstiner dans leurs desseins sacrilèges, ils ne se servirent que de leur libre arbitre, et que de leurs mauvaises inclinations. Que si la grâce leur manqua alors, ce fut parce qu'elle leur devait être refusée avec justice, à eux qui s'étaient assujettis au démon, pour lui obéir dans tout le mal imaginable, et pour ne se laisser gouverner que par sa volonté perverse, en dépit de la bonté et de la puissance de leur Créateur. 1139. Vous comprendrez par là que ce dragon infernal n'a aucun pouvoir pour porter les âmes au bien, et qu'il en a un grand pour les pousser au mal, si elles oublient le dangereux état où elles se trouvent. Et je vous dis en vérité, ma fille, que si les mortels y faisaient de sérieuses réflexions, ils seraient dans de continuelles et salutaires frayeurs; car dès qu'une âme est une fois tombée dans le péché, il n'est point de puissance créée qui puisse la relever ni empêcher qu'elle se précipite d'abîme en abîme, parce que le poids de la nature humaine, depuis le péché d'Adam , tend au mal comme la pierre à son centre, par l'effet des passions qui naissent des appétits concupiscible et irascible. Joignez à cela l'entraînement des mauvaises habitudes, l'empire que le démon acquiert sur celui qui pèche, la tyrannie avec laquelle il l'exerce, et alors, qui sera assez ennemi de lui-même pour ne 480 pas craindre ce péril? La seule puissance infinie de Dieu peut délivrer le pécheur, sa main seule peut le guérir. Et cela étant incontestable, les mortels ne laissent pas que de vivre aussi tranquilles et aussi insouciants dans un état de perdition que s'il ne dépendait que d'eux d'en sortir par une véritable conversion quand ils le voudront. Beaucoup de gens savent et avouent qu'ils sont incapables de se retirer sans le secours du Seigneur de l'abîme où ils sont; et cependant avec cette connaissance habituelle et stérile, au lien de le prier de les secourir, ils l'offensent et l'imitent de plus en plus, et prétendent que Dieu les attende avec sa grâce, jusqu'à ce qu'ils soient las de pécher ou qu'ils aient atteint le dernier terme de leur malice et de leur folle ingratitude. 1140. Tremblez, ma très-chère fille, devant, ce danger formidable, et gardez-vous d'une première faute; car si vous y tombez, vous en éviterez plus difficilement une seconde, et votre ennemi acquerra de nouvelles forces contre. voua. Sachez que votre trésor est précieux, que vous le portez dans un vase fragile (1), et qu'un seul faux pas peut vous le faire perdre. Les ruses dont le démon se sert contre vous sont grandes, et vous êtes moins adroite et moins expérimentée que lui. C'est pourquoi vous devez mortifier vos sens, les fermer à tout ce qui est visible, et mettre votre cœur à l'abri de la protection du Très-Haut, comme dans une forte citadelle, d'où vous (1) II Cor., IV, 7. 481 résisterez aux attaques et aux persécutions de l'ennemi. Que la connaissance que vous avez eue du malheur de Judas, suffise pour vous faire redouter les périls de la vie passagère. Quant à la nécessité de m'imiter en pardonnant à ceux qui vous haïssent et vous persécutent, en les aimant, en les supportant avec une patience charitable, en invoquant pour eux le Seigneur avec un véritable zèle de leur salut, comme je le fis à l'égard du perfide Judas, je vous ai maintes fois donné les avis les plus pressants; je veux que vous vous signaliez dans la pratique de cette vertu, et que vous l'enseigniez à vos religieuses et à tous ceux que vous fréquenterez; car la patience et la douceur que mon très-saint Fils et moi avons exercées en toute sorte de rencontres, couvriront d'une confusion insupportable tous les mortels qui n'auront pas voulu se pardonner les uns aux autres avec une charité fraternelle. Les péchés de haine et de vengeance seront punis au jugement avec une plus grande indignation, et ce sont ceux qui, en la vie présente, éloignent davantage les hommes de la miséricorde infinie de Dieu, et qui les approchent de plus en plus de la damnation éternelle, s'ils ne s'en corrigent avec un profond repentir. Ceux qui sont doux envers leurs persécuteurs et qui oublient les injures, ressemblent particulièrement au Verbe incarné , qui ne cessait jamais de chercher les pécheurs, de leur pardonner et de leur faire du bien. L'âme qui l'imite en cela, puise à la source même de la charité et de l'amour de Dieu et du prochain, des dispositions et des qualités 482 spéciales, qui la rendent merveilleusement alite et propre à recevoir les influences de la grâce et les faveurs de la divine droite. CHAPITRE IX. Notre Sauveur Jésus-Christ étant à Béthanie, prend congé de sa très-sainte Mère le jeudi de la Cène pour aller souffrir. - Notre grande Reine le prie de lui accorder la communion quand il en serait temps. - Elle le suit à Jérusalem avec la Madeleine et quelques autres saintes femmes. 1141. Pour continuer le cours de cette histoire, nous avons laissé le Sauveur du monde accompagné de ses apôtres retourner à Béthanie , après son entrée triomphante dans Jérusalem. J'ai dit au chapitre précédent ce que firent les démons avant que Jésus-Christ fût livré aux princes des prêtres, et les autres choses qui résultèrent de leur assemblée, de la trahison de Judas et du conciliabule des pharisiens. Revenons maintenant à ce qui se passa à Béthanie, où notre auguste Reine resta avec son très-saint Fils, et le servit durant les trois jours qui s'écoulèrent depuis le dimanche des Rameaux jusqu'au jeudi. L'auteur de la vie se trouva pendant tout ce temps avec sa bienheureuse Mère, excepté celui qu'il prit pour aller 483 à Jérusalem instruire le peuple dans le Temple, le lundi et le mardi; car il ne se rendit point à Jérusalem le mercredi, comme je l'ai déjà marqué. Dans ces derniers voyages il informa ses disciples des mystères de sa passion et de la rédemption du genre humain avec plus de clarté. Et quoiqu'ils entendissent tous la doctrine de leur Dieu et de leur Maître, chacun y répondait néanmoins selon la disposition avec laquelle il l'écoutait, selon les effets qu'elle produisait et selon les sentiments qu'elle excitait dans son coeur; ils étaient toujours un peu froids et si faibles qu'ils n'accomplirent point dans le cours de la passion ce qu'ils avaient promis, comme l'événement le fit voir, et comme je le raconterai en son lieu. 1142. Notre Sauveur communiqua à sa divine Mère, durant ces derniers jours qui précédèrent sa passion, de si hauts mystères de la rédemption du genre humain et de la nouvelle loi de grâce, qu'il y en a plusieurs qui seront cachés jusqu'à ce que l'on jouisse de la vue du Seigneur dans la patrie céleste. Je ne puis déclarer que fort peu de chose de ceux que j'ai connus; mais notre adorable Sauveur mit en dépôt dans le coeur de notre très-prudente Reine tout ce que David appelle secrets et mystères de sa sagesse (1). Ils concernaient principalement les oeuvres du dehors, dont Dieu même avait bien voulu se charger; savoir: notre rédemption , la glorification des prédestinés, et, comme but suprême, l'exaltation de (1) Ps.L, 8. 484 son saint Nom. Notre divin Maître prescrivit à sa très-prudente Mère tout ce qu'elle devait faire durant le temps de la passion et de la mort qu'il allait souffrir pour nous, et la prévint d'une nouvelle lumière. Dans tous ces entretiens, il lui parla avec un air plus sérieux qu'à l'ordinaire, dans l'attitude d'un roi plein de majesté, selon que l'importance du sujet le demandait; car alors toutes les tendresses de fils et d'époux cessèrent entièrement. biais comme l'amour naturel de la très-douce Mère et l'ardente charité de son âme très-pure dépassaient toutes les conceptions des intelligences créées, comme d'un autre côté elle prévoyait la fin prochaine des rapports ineffables qu'elle avait eus avec son Dieu et son Fils, il n'est aucune langue qui puisse exprimer les tendres et douloureuses affections du coeur de cette incomparable Mère ni les amoureuses plaintes qu'elle exhalait : tourterelle mystérieuse qui commençait à sentir les ennuis d'une solitude que toutes les autres créatures du ciel et de la terre ne pouvaient embellir. 1143. Le jeudi qui fut la veille de la passion, et de la mort du Sauveur étant arrivé, le Seigneur avant le lever du soleil appela sa très-amoureuse Mère, qui s'étant prosternée à ses pieds selon sa coutume, lui répondit : " Parlez, mon divin Maître, car votre servante vous écoute. " Son très-saint Fils la releva, et lui dit avec une douceur toute céleste : " Ma Mère, voici le temps fixé par la sagesse éternelle de mon Père, où je dois opérer la rédemption du genre humain, que sa sainte volonté mille fois bénie m'a 485 recommandée; il faut donc que nous exécutions le sacrifice de la nôtre, que nous lui avons si souvent a offert. Permettez-moi d'aller souffrir et mourir pour les hommes, et consentez en qualité de mère véritable à ce que je me livre à mes ennemis pour obéir à mon Père éternel; concourez avec moi par cette obéissance à l'œuvre du salut éternel, puis que j'ai reçu de votre sein virginal mon être d'homme passible et mortel , dans lequel je dois racheter le monde et satisfaire à la justice divine. Et comme vous avez volontairement donné votre Fiat pour mon incarnation (1), je veux que vous le donniez maintenant pour ma passion et pour ma mort sur la croix; par ce sacrifice que vous ferez à mon Père éternel, vous reconnaîtrez la faveur qu'il vous a faite en vous choisissant pour ma Mère; puisqu'il m'a envoyé afin que par le moyen de la passibilité de ma chair je recouvrasse les brebis perdues de sa maison, qui sont les enfants d'Adam (2). " 1144. Ces paroles de notre Sauveur transpercèrent le coeur si tendre de la Mère de la vie; elle le sentit se briser en elle-même comme sous un nouveau pressoir par la douleur la plus forte qu'elle eût encore soufferte. C'est que l'heure arrivait, l'heure de la désolation et des larmes, l'heure dont elle ne pouvait appeler ni au temps ni à un antre tribunal supérieur, pour faire révoquer le décret efficace du Père éternel, qui avait (1) Luc., I, 88. - (2) Matth., XVIII, 11. 486 marqué le moment de la mort de son Fils. La très-prudente Mère voyait en lui un Dieu infini dans ses attributs et dans ses perfections, et un homme véritable; son humanité unie à la personne du Verbe, sanctifiée par cette union et élevée à la dignité la plus ineffable; elle repassait en son esprit l'obéissance qu'il lui avait montrée quand elle lui prodiguait ses soins maternels, les faveurs qu'elle en avait reçues pendant un si long temps qu'elle avait demeuré en son aimable compagnie, et elle se disait que bientôt elle serait privée de ces faveurs, de la beauté do son visage, de la douceur vivifiante de ses paroles; et que non-seulement tout cela lui manquerait à la fois, mais qu'elle-même le livrait aux tourments, aux ignominies de sa passion, et au sacrifice sanglant de la mort de la croix ; et qu'elle le remettait entre les mains des ennemis les plus impitoyables. Toutes ces considérations, toutes ces images, qui frappaient alors. plus vivement que jamais la prévoyante Mère, pénétrèrent son cœur amoureux d'une douleur vraiment indicible. biais la magnanimité de notre Reine surmontant sa peine insurmontable, elle se. prosterna de nouveau aux pieds de son adorable Fils, et les baisant avec un très-profond respect, elle lui répondit eu ces termes : 1145. " Seigneur, Dieu très-haut, et auteur de tout ce qui a l'être, je suis votre servante, quoique vous soyez le fils de mes entrailles, parce que votre bonté ineffable a daigné m'élever de la Poussière à la dignité de votre Mère; il est juste que ce vermisseau reconnaisse votre libérale clémence , et 487 obéisse à la volonté du Père éternel et à la vôtre. Je m'offre avec résignation à son bon plaisir, afin que sa volonté éternelle et toujours aimable s'accomplisse en moi comme en vous. Le plus grand sacrifice que je puisse offrir sera de ne point mourir avec-vous, et de me voir dans l'impuissance d'empêcher votre mort en mourant moi-même à votre place ; car si je souffre à votre exemple et en votre compagnie, ce sera un grand soulagement à mes peines, qui seront toutes douces en comparaison des vôtres. Mon supplice à moi , ce sera de ne poil voir pas vous perdre un instant de vue au milieu des tourments que vous endurerez pour le salut des hommes. Recevez, ô mon unique bien ! le sacrifice de mes désirs, et la douleur que j'aurai de vous voir mourir, vous qui êtes l'Agneau très-innocent, et la figure de la substance de votre Père éternel (1), tandis que je serai condamnée à vivre encore. Agréez aussi la douleur dont je serai pénétrée en voyant l'effroyable châtiment du péché du genre humain retomber sur votre personne adorable par la main de vos cruels ennemis. O cieux ! ô éléments! ô créatures qui y êtes renfermées ! esprits célestes, saints patriarches et prophètes, aidez-moi tous à pleurer la mort de mon bien-aimé, qui vous a donné l'être; et pleurez avec moi le malheur des hommes, qui, après avoir causé cette mort, perdront la vie éternelle qu'il leur doit mériter, sans qu'ils profitent (1) Hebr., I, 3. 488 d'un si grand bienfait. Oh ! malheureux réprouvés, mais bienheureux prédestinés, car vos robes ont été lavées dans le sang de l'Agneau (1) ! Louez le Tout-Puissant, vous autres qui avez su profiter dé ce bienfait. O mon Fils et le bien infini de mon âme, fortifiez votre Mère affligée, et recevez-la pour votre disciple et votre compagne, afin que je participe à votre passion et à votre croix, et que le Père éternel, recevant votre sacrifice, reçoive aussi le mien, comme celui de votre Mère. " 1146. C'est en ces termes et en d'autres que je ne saurais traduire, que la Reine du ciel répondit à son très-saint Fils, et elle s'offrit à différentes reprises à participer à sa passion et à l'imiter en toutes ses souffrances, comme coopératrice et coadjutrice de notre rédemption. Ensuite elle le pria de permettre qu'elle lui fit une autre demande à laquelle elle avait songé depuis longtemps, par la connaissance qu'elle avait de tous les mystères que le Maître de la vie devait opérer à la fin de la sienne; et la divine Majesté le lui ayant permis, la bienheureuse Mère lui dit: " Bien-aimé de mon âme et lumière de mes yeux, je ne suis pas digne, mon Fils, de ce que mon coeur souhaite; mais vous êtes, Seigneur, l'appui de mon espérance et en cette foi , je vous supplie de me faire participante, et si cela vous agrée, du sacrement ineffable de votre sacré corps et de votre précieux sang, que vous avez résolu d'instituer pour gage de votre 488 gloire; afin que vous recevant encore dans mon sein, a vous me communiquiez les effets d'un mystère si nouveau et si admirable. Je sais bien, Seigneur, qu'aucune créature ne peut dignement mériter un bienfait si excessif, que vous avez destiné entre vos oeuvres par votre seule munificence; et pour solliciter maintenant cette même munificence, je ne puis que vous offrir à vous-même vos seuls mérites infinis. Que si j'ai quelque droit à faire valoir, parce que vous avez pris dans mes entrailles l'humanité très-sainte dans laquelle vous les renfermez, je n'entends point en user tant pour vous rendre mien en ce sacrement, que pour être à vous par cette nouvelle possession, en laquelle je puis recouvrer votre douce compagnie. J'ai appliqué mes oeuvres et mes désirs à cette divine communion, dès le moment où vous avez daigné m'en révéler le secret et me découvrir la volonté que vous aviez de demeurer dans votre sainte Église sous les espèces du pain et du vin consacrés. Revenez donc, Seigneur, à la première habitation de votre Mère, de votre amie et de votre servante, que vous avez exemptée du commun péché afin qu'elle vous reçût la première fois dans son sein. J'y recevrai maintenant l'humanité que je vous ai communiquée de mon propre sang, et nous y resterons étroitement unis dans un nouvel embrassement, qui fortifiera mon coeur, enflammera mes affections, et vous retiendra à jamais auprès de moi, vous qui êtes mon bien infini et l'amour de mon âme. " 1147. Notre auguste Reine exprima dans cette 490 occasion beaucoup de sentiments de respect et d'un incomparable amour: car elle parla à son très-saint Fils avec toute l'ardeur et toute la tendresse dont elle était capable, pour obtenir la participation de son sacré corps et de son précieux sang. Le Seigneur lui répondit aussi avec une douce affection , et lui accordant sa demande, il lui promit qu'elle jouirait de la faveur qu'elle sollicitait, lorsqu'il célèbrerait l'institution de cet adorable Sacrement. Dès lors la très pure Mère fit de nouveaux actes d'humilité, de reconnaissance, de vénération et de foi pour se préparer à la communion eucharistique, après laquelle elle soupirait; et il arriva dans cette rencontre ce que je dirai en son lieu. 1148. Notre Sauveur Jésus-Christ ordonna ensuite aux saints anges de sa bienheureuse Mère de l'assister dès lors sous une forme visible pour elle, et de la servir et consoler dans son affliction et dans sa solitude, comme effectivement ils le firent. Il ordonna encore à notre grande Dame qu'aussitôt qu'il serait parti avec ses disciples pour Jérusalem, elle le suivit à peu de distance avec les saintes femmes qui étaient vomies de Galilée en leur compagnie, et lui recommanda de les instruire et de les encourager, de peur que leur foi ne faiblit par le scandale qu'elles recevraient en le voyant souffrir et mourir, au milieu de tant d'ignominies, sur une croix infâme. En terminant cet entretien, le Fils du Père éternel donna sa bénédiction à sa très-amoureuse Mère, et lui fit ses adieux avant ce dernier voyage, qu'il n'entreprenait que pour souffrir et mourir. 491 La douleur dont les coeurs du Fils et de la Mère furent pénétrés dans cette séparation surpasse tout ce qu'on en peut humainement concevoir; car elle répondit à leur amour réciproque, et cet amour était proportionné à la qualité et à la dignité de leurs personnes. Et, quoique nous ne puissions nous en faire une juste idée, cela ne nous dispense pas d'y réfléchir sérieusement, et de partager avec toute la compassion dont nous sommes capables, la tristesse de notre divin Maître et de sa très-sainte Mère, si nous ne voulons encourir le reproche d'ingratitude et d'insensibilité. 1149. Notre Sauveur ayant pris congé de sa tendre Mère et son Épouse désolée, quitta Béthanie le jeudi, qui fut celui de la Cène, un peu avant midi, accompagné des apôtres qui se trouvaient près de lui, pour aller à Jérusalem pour la dernière fois. A peine avait-il fait quelques pas sur cette route qu'il ne devait plus parcourir, qu'il leva ses yeux vers le Père éternel, et, le glorifiant par des louanges et des actions de grâces, il s'offrit de nouveau, avec le plus ardent amour et l'obéissance la plus absolue, à souffrir et à mourir pour tout le genre humain. Notre divin Maître fit cette prière et cette offrande de lui-même avec un zèle et une générosité si admirables, que, comme il est impossible de les dépeindre, il me semble que tout ce que j'en dirais tic ferait titre trahir la vérité et mes désirs. Père éternel et mon Dieu, s'écriait notre Seigneur Jésus Christ, je vais par votre volonté et a pour votre amour souffrir et mourir pour l'affranchissement des hommes, qui sont mes frères et les 492 ouvrages de vos mains. Je vais me livrer pour leur a salut, et pour rassembler et ramener à l'unité ceux a qui sont dispersés par le péché d'Adam (1). Je vais préparer les trésors par lesquels les âmes créées à votre image et à votre ressemblance doivent être ornées et enrichies, afin qu'elles recouvrent le privilège de votre amitié et acquièrent le bonheur éternel, et afin que votre saint, Nom soit connu et exalté de toutes les créatures. Pour ce qui est de votre côté et du mien, toutes les âmes trouveront dans votre miséricorde un remède efficace; ainsi votre équité inviolable sera justifiée à l'égard de ceux qui mépriseront cette rédemption surabondante. " 1150. La bienheureuse Vierge partit sur-le-champ de Béthanie pour suivre l'Auteur de la vie, accompagnée de Madeleine et des autres saintes femmes qui étaient venues de Galilée avec notre Seigneur Jésus-Christ. Et comme le divin Maître instruisait ses apôtres chemin faisant, et les disposait par les enseignements de la foi au spectacle de sa passion , afin qu'ils ne se laissassent ébranler ni par la vue des outrages qui l'attendaient, ni par les tentations de Satan , de même la Maîtresse des vertus consolait et prémunissait de ses avis ses pieuses disciples, afin quelles ne se trompassent point quand elles assisteraient à la flagellation et au crucifiement de leur adorable Maître. Et, quoique ces saintes femmes fussent naturellement plus timides et plus fragiles que les apôtres, elles se (1) Joan., XI, 52. 493 montrèrent néanmoins plus fortes que plusieurs d'entre eux dans la fidélité avec laquelle elles gardèrent la doctrine et les instructions de leur grande Maîtresse. Celle qui se distingua le plus en tout fut sainte Marie-Madeleine, ainsi que les évangélistes le rapportent (1); car elle avait un caractère magnanime, franc, énergique, et son âme était embrasée de tous les feux de l'amour divin. Aussi se chargea-t-elle, entre tous les premiers serviteurs de Jésus, d'accompagner et d'assister constamment sa Mère, sans la quitter un instant dans tout le cours de la passion; et c'est ce qu'elle fit comme une amante très-fidèle. 1151. La bienheureuse Mère s'associa à la prière et à l'offrande que le Sauveur fit dans cette occasion; car elle voyait toutes les oeuvres de son très-saint Fils dans le clair miroir de cette lumière divine par laquelle elle les connaissait, pour les imiter, comme je l'ai dit si souvent. Notre grande Dame était servie et escortée par les anges qui la gardaient, et ils se manifestaient à elle sous une forme humaine, ainsi que le Seigneur lui-même le leur avait ordonné. Elle s'entretenait avec ces esprits célestes du grand sacrement de son adorable Fils, que ni ses compagnes ni toutes les créatures humaines ensemble ne pouvaient pénétrer. Ils connaissaient et appréciaient dignement l'amour immense qui consumait, comme un violent incendie, le coeur très-pur et très-innocent de la Mère, ainsi que la force irrésistible avec laquelle les délicieux parfums (1) Matth., XXVII, 56; Marc., XV, 40; Luc., XXIV, 10; Joan., XIX, 25. 494 de l'amour réciproque de Jésus-Christ son Fils, son Époux, son Rédempteur, l'attiraient après lui (1). Ils présentaient au Père éternel le sacrifice de louange et d'expiation que lui offrait pour les pécheurs l'unique bien-aimée, choisie entre toutes les créatures. Et, comme tous les mortels ignoraient la grandeur de ce bienfait et de l'obligation dans laquelle les mettait l'amour de notre Seigneur Jésus- Christ et de sa très-sainte Mère, cette divine Reine commandait aux saints anges d'en rendre honneur, gloire et bénédiction su Père, au Fils, et au Saint-Esprit; et ils accomplissaient tout cela conformément à la volonté de leur puissante Princesse. 1152. Les paroles me manquent, aussi bien que l'intelligence et la sensibilité, pour exprimer dignement ce que j'ai connu en cette circonstance de l'admiration des saints anges, qui, d'un côté, contemplaient le Verbe incarné et sa très-sainte Mère acheminant l'oeuvre de la rédemption avec tout le zèle que leur inspirait leur ardent amour pour les hommes, et d'un autre côté considéraient la noire ingratitude et l'endurcissement de ces mêmes hommes (2), qui méconnaissaient un bienfait dont la grandeur aurait forcé la reconnaissance des démons eux-mêmes, s'ils eussent été capables de le recevoir. Cette admiration des anges ne supposait nullement l'ignorance; elle n'accusait que notre odieuse insensibilité. Je suis une pauvre femme pleine de faiblesses et moins qu'un (1) Cant., I, 3. - (2) Ps. IV, 3. 495 vermisseau de terre; mais je voudrais, sachant ce que j'ai appris, élever ma voix si haut qu'elle fat entendue par tout l'univers, afin de réveiller les enfants de la vanité et les amateurs du mensonge, et de leur rappeler ce qu'ils doivent à notre Seigneur Jésus-Christ et à sa très-sainte Mère; je voudrais, prosternée à leurs pieds, les conjurer de n'être pas si ennemis d'eux-mêmes et si lents à sortir de cette funeste léthargie, qui les expose à la damnation éternelle et à la perte de la vie bienheureuse que notre Rédempteur Jésus-Christ nous a méritée par la mort cruelle de la croix. Instruction que notre auguste Maîtresse m'a donnée. 1153. Ma fille, je vous appelle de nouveau, afin que votre âme étant éclairée par les dons singuliers de la divine lumière, vous vous plongiez dans le profond océan des mystères de la passion et de la mort de mon très-saint Fils. Préparez vos puissances, et employez toutes les forces de votre coeur et de votre âme, pour vous rendre jusqu'à un certain point digue de connaitre, de peser et de ressentir les ignominies et les douleurs que le fils du Père éternel lui-même a bien voulu souffrir, en s'humiliant jusqu'à mourir sur une croix pour racheter les hommes, et pour vous pénétrer de tout ce que j'ai fait et souffert, en 498 l'accompagnant dans sa très-cruelle passion. Je veux , ma fille, que vous vous appliquiez à cette science si négligée des mortels, et que vous appreniez à suivre votre Époux et à m'imiter, moi qui suis votre Mère et votre Maîtresse. En écrivant et en approfondissant en même temps ce que je vous enseignerai de ces mystères, je veux que vous vous dépouilliez entièrement de toutes les affections humaines et terrestres, et de vous-même, afin que, loin des choses visibles, vous marchiez sur nos traces dans un parfait dénuement des créatures. Et puisque je vous appelle maintenant à part pour l'accomplissement de la volonté de mon très-saint Fils et de la mienne, et qu'en vous enseignant nous voulons enseigner les autres, il faut que vous regardiez et que vous reconnaissiez le bienfait de cette rédemption abondante, comme s'il vous eût été personnellement et exclusivement accordé, et comme s'il suffisait que vous seule n'en profitiez pas, pour que tout le fruit en fût perdu (1). Vous comprendrez par là quelle estime vous en devez faire; car effectivement dans l'amour avec lequel mon très-saint Fils a souffert et est mort pour vous, il vous a regardée avec les mêmes sentiments que si vous seule eussiez eu besoin de sa passion et de sa mort pour votre remède. 1154. Vous devez mesurer sur cette règle votre obligation et votre gratitude. Et puisque vous connaissez la fatale insouciance que les hommes opposent (1) Galat., II, 21. 497 à l'amour extrême que leur Dieu et leur Créateur fait homme leur a témoigné en mourant pour eux, travaillez à réparer cette injure, en l'aimant pour tous les autres, comme si vous seule étiez chargée de payer la dette commune par votre reconnaissance et votre fidélité. Gémissez aussi sur la folie des hommes qui se jouent avec un si grand aveuglement de leur bonheur éternel , et qui amassent sur leur tète les trésors de la colère du Seigneur, en le frustrant des principaux effets de l'amour infini qu'il a fait éclater en faveur du monde. C'est pour cela que je vous découvre tant de secrets, et en même temps la douleur incomparable que je ressentis aussitôt que mon très-saint Fils m'eut quittée pour aller au sacrifice de sa passion et de sa mort. Rien ne saurait exprimer l'affliction de mon âme en cette circonstance; mais si vous y pensez, toutes les peines vous paraîtront douces, les plaisirs terrestres insipides, et vous ne souhaiterez que de souffrir et que de mourir avec Jésus-Christ. Unissez votre compassion à la mienne, vous devez cette fidèle correspondance et ce retour aux faveurs que je vous accorde. 1155. Je veux aussi que vous considériez combien est en horreur aux yeux du Seigneur, aux miens et à ceux des bienheureux le peu de soin que les hommes prennent de fréquenter la sainte communion, et de s'en approcher avec les dispositions convenables et avec une dévotion fervente. C'est pour que vous compreniez bien et transmettiez cet avis important que je vous ai découvert ce que je fis, me préparant des 498 années entières pour le jour auquel je devais recevoir mon très-saint Fils dans l'adorable sacrement, ainsi que ce que je vous dicterai dans la suite pour l'instruction et la confusion des mortels; car si étant innocente, exempte de tout péché, et comblée de toutes les grâces, je n'ai pas laissé de faire tous mes efforts pour y ajouter de nouvelles dispositions par mon humilité, par ma reconnaissance et par une vive ferveur, que ne devez-vous pas faire, et vous et les autres enfants de l'Église, qui chaque jour, à chaque heure, commettent de nouvelles fautes et contractent de nouvelles souillures , avant que de s'approcher de la beauté de la divinité et de l'humanité de mon très-saint Fils et Seigneur? Quelle excuse trouveront les hommes su jour du jugement, d'avoir eu Dieu lui-même parmi eux sous les espèces sacramentales dans l'église, où il attend qu'ils viennent le recevoir pour les remplir de la plénitude de ses dons, et d'avoir cependant méprisé cet amour et ce bienfait ineffable, pour se livrer aux joies mondaines, et pour s'attacher à la vanité et au mensonge? Soyez étonnée, ma tille, comme les anges et les saints le sont, d'une telle folie, et gardez-vous bien d'y tomber. CHAPITRE X. Notre Sauveur Jésus-Christ célèbre la dernière cène légale avec ses disciples. - Il leur lave les pieds. - Sa très-sainte Mère connaît tous ces mystères. 1156. Le jeudi qui précéda le jour de sa passion et de sa mort, notre Sauveur poursuivait vers le soir, comme je l'ai dit, son chemin vers Jérusalem, s'entretenant avec ses disciples des profonds mystères qu'il leur annonçait. Ils lui proposèrent quelques doutes sur ce qu'ils n'entendaient pas; et il les résolut tous par des explications dignes du Maître de la sagesse et du Père le plus tendre, en faisant pénétrer dans leurs coeurs une douce lumière. Il avait toujours aimé les apôtres; mais dans ces derniers jours de sa vie, il voulut, semblable à un cygne divin, donner un charme nouveau aux accents de sa voix et aux expressions de son amour. Non-seulement les approches de sa passion et la prévision de tant de tourments qu'il devait souffrir, n'arrêtaient point ses épanchements, mais comme le calorique concentré par l'opposition du froid se répand de nouveau avec toute son efficace, de même le feu de l'amour divin qui brûlait sans cesse dans le coeur de notre amoureux 500 Jésus, s'en échappait plus ardent et plus actif que jamais , pour envelopper dans l'incendie ceux-là même qui voulaient l'éteindre, après avoir d'abord enflammé ceux qui lui étaient le plus proches. Il arrive ordinairement aux enfants d'Adam , excepté Jésus-Christ et sa très-sainte Mère, de se mettre en colère dans les persécutions, de s'irriter des injures, de s'impatienter dans les peines, de se troubler de tout ce qui leur est contraire, de montrer de la mauvaise humeur à ceux qui les offensent, et de regarder comme une action héroïque de ne pas s'en venger sur-le- champ; mais l'amour de notre divin Maître ne fut point diminué par les injures qu'il devait recevoir en sa passion; il ne se rebuta ni pour l'ignorance de ses disciples, ni pour leur infidélité prochaine. 1157. Ils lui demandèrent où il voulait célébrer la Pâque de l'agneau (1); car cette nuit les Juifs célébraient leur souper comme une fête fort solennelle, et c'était en leur loi la plus claire figure de Jésus-Christ et des mystères qu'il devait opérer pour ce même peuple; mais les apôtres n'étaient pas encore capables de les comprendre. Notre divin Maître leur répondit en chargeant saint Pierre et saint Jean de le devancer à Jérusalem , et d'y préparer la cène de l'agneau pascal dans une maison oit ils verraient entrer un serviteur portant une cruche d'eau, et de dire de sa part au maître de la maison de lui disposer un lieu pour souper avec ses disciples. Cet homme était un habitant (1) Matth., XXVI, 17; XIV, 12; Luc., XXII, 9 501 de Jérusalem fort riche, fort considérable, dévoué au Sauveur, et du nombre de ceux qui avaient cru à sa doctrine et à ses miracles; de sorte qu'il mérita par sa piété que l'Auteur de la vie choisit sa maison pour la sanctifier par les mystères qu'il y opéra, la consacrant alors en un saint Temple pour les autres mystères qui y seraient opérés ensuite.. Les deux apôtres s'empressèrent d'obéir , et selon les marques que le Seigneur leur avait annoncées, ils entrèrent dans cette maison , et prièrent le maître d'y recevoir notre Rédempteur pour y célébrer la grande fête des Azymes, car c'était le nom que l'on donnait à cette Pâque. 1158. Le coeur de ce père de famille fut éclairé d'une grâce singulière, et il leur offrit libéralement sa maison et tout ce qui était nécessaire pour la cène légale; il indiqua aussitôt une grande salle (1) tapissée et ornée avec la magnificence convenable aux augustes mystères que notre Sauveur y voulait opérer, quoiqu'il les ignorait aussi bien que les deux apôtres. Lorsque les préparatifs furent terminés, le Seigneur arriva au logis avec les autres disciples, et sa bienheureuse Mère ne tarda pas d'y venir aussi avec les saintes femmes qui l'accompagnaient. Aussitôt qu'elle y fut arrivée, elle se prosterna humblement et adora son très-saint Fils selon sa coutume, puis elle lui demanda sa bénédiction, et le pria de lui prescrire ce qu'elle devait faire. Sa Majesté lui ordonna de se retirer (1) Luc., XXII, 12. 502 dans une chambre de la maison, car elle était grande et commode, et d'y observer ce que la divine Providence avait déterminé de faire dans cette nuit, de fortifier les femmes qui étaient en sa compagnie, et de leur donner les instructions nécessaires. Notre puissante Reine obéit, et se retira avec ces saintes femmes. Elle leur dit de persévérer dans la foi et dans la prière, se préparant elle- même par des actes fervents à la communion qu'elle savait devoir bientôt recevoir, et toujours intérieurement attentive à tout ce que son très-saint Fils faisait. 1159. Lorsque sa très-pure Mère se fut retirée, notre Sauveur Jésus entra avec les douze apôtres et les autres disciples dans la salle qu'on lui avait destinée, et il y célébra avec eux la cène de l'agneau, observant toutes les cérémonies de la loi, sans rien omettre des rites qu'il avait lui même établis par l'intermédiaire de Moïse (1). Dans cette dernière cène, il instruisit les apôtres du sens de toutes les cérémonies de cette loi figurative; il leur fit connaître qu'il les avait prescrites aux anciens patriarches et prophètes pour symboliser ce qu'il devait lui-même accomplir en réalité comme Réparateur du monde ; que l'ancienne loi de Moïse et ses figures disparaîtraient devant la vérité qu'elles représentaient, que les ombres ne pouvaient que se dissiper, puisqu'il apportait la lumière et le principe de la nouvelle loi de grâce, sous laquelle subsisteraient seulement les préceptes (1) Exod., XII, 3 etc. 503 de la loi naturelle, qui devait durer toujours, mais que ces préceptes seraient perfectionnés par d'autres préceptes divins, et par les conseils qu'il enseignait; que par l'efficace qu'il donnerait aux nouveaux sacrements de sa nouvelle loi, tous les sacrements de la loi de Moïse cesseraient comme insuffisants et purement figuratifs, et que c'était pour cela qu'il célébrait avec eux,cette cène, par laquelle il mettait un terme aux cérémonies et à la force obligatoire de la loi ancienne, puisqu'elle ne tendait qu'à prédire et qu'à signifier ce que le Rédempteur faisait; et que, le but atteint, on n'avait plus besoin des moyens. 1160. Les apôtres découvrirent par ce nouvel enseignement quelques-uns des grands secrets renfermés dans les profonds mystères que leur divin Maître opérait; mais les autres disciples qui se trouvaient avec eux n'eurent pas la même intelligence des oeuvres de cet adorable Seigneur. Judas fut celui qui y fit le moins d'attention : il y comprit peu de chose, ou même rien du tout, parce qu'il était absorbé par son avarice , et qu'il ne songeait qu'à la trahison qu'il venait d'ourdir, et aux moyens de la consommer secrètement. Le Sauveur dissimulait aussi, parce que cette conduite convenait à son équité et à l'exécution de ses très-hauts jugements. Il ne voulut pas l'exclure de la cène ni des autres mystères, jusqu'à ce que lui- même s'en éloignât par sa mauvaise volonté : au contraire, il le traita toujours comme son disciple, son apôtre et son ministre, et respecta son honneur, enseignant par cet exemple aux enfants de l'Église 504 combien ils doivent vénérer ses ministres et ses prêtres, et conserver leur honneur sans divulguer les fautes et les faiblesses que la fragilité de la nature humaine ne leur permettra point de cacher. On n'en saurait trouver aucun plus méchant que Judas, et nous en devons être persuadés. Il n'est personne non plus qui puisse jamais s'égaler à notre Seigneur Jésus-Christ, ni avoir autant d'autorité que lui; c'est ce que la foi nous enseigne. Or il n'est pas juste que ceux qui sont infiniment inférieurs au divin Maître fassent à l'égard de ses ministres meilleurs que Judas, quelque méchants qu'ils soient, ce que le Seigneur lui-même n'a pas fait à l'égard de cet abominable apôtre, et les prélats ne sont pas exempts de cette obligation ; car notre Seigneur Jésus-Christ était véritablement le Pontife souverain, et pourtant il a supporté Judas et lui a conservé son honneur. 1161. Notre Rédempteur fit dans cette occasion un cantique mystérieux à la louange du Père éternel, le bénissant de ce que les figures de l'ancienne loi s'étaient accomplies en lui, et pour la gloire qui en revenait à son saint nom; et après qu'il se fut prosterné et humilié quant à son humanité sainte, il adora et magnifia la Divinité comme infiniment supérieure à cette même humanité; et s'adressant au Père éternel, il lui fit intérieurement avec beaucoup de ferveur cette sublime prière : 1162." Mon Père éternel, Dieu immense, votre divine volonté a déterminé de créer mon humanité, pour que je fusse comme homme le chef de 505 toutes les créatures prédestinées à votre gloire et à une félicité éternelle, et pour qu'elles se dispo sassent parle moyen de mes oeuvres à acquérir leur véritable béatitude (1). C'est pour cela, et pour racheter les enfants d'Adam de leurs péchés que j'ai vécu trente-trois ans parmi eux. Maintenant, Seigneur, le temps propice est arrivé, l'heure agréable à votre volonté éternelle est venue, où votre saint nom doit être manifesté aux hommes, connu de toutes les nations et exalté par la connaissance de la sainte foi qui doit révéler à tous votre Divinité incompréhensible. Voici le moment d'ouvrir le livre scellé de sept sceaux (2) que votre sagesse m'a donné, et de mettre une heureuse fin aux anciennes figures et aux sacrifices des animaux (3), qui ont représenté celui de moi-même que je veux offrir maintenant pour mes frères les enfants d'Adam, les membres de ce corps dont je suis chef, et les brebis de votre troupeau que je vous supplie de regarder avec miséricorde. Que si les anciens sacrifices et les figures que je réalise maintenant, apaisaient votre colère par les choses qu'ils représentaient, il est juste, mon Père, que cette colère cesse, puis que je m'offre volontairement en sacrifice afin de mourir sur la croix pour les hommes, et que je me sacrifie comme un holocauste dans le feu de mon amour (4). Modérez donc, Seigneur, la rigueur de (1) Rom., VIII, 29. - (2) Apoc., V, 29. - (3) Hebr., I, 1, etc. - (4) Ephes., V, 2. 506 votre justice, et regardez le genre humain avec clémence. Donnons aux mortels une loi salutaire, par laquelle ils puissent s'ouvrir les portes du ciel, qui ont été fermées jusqu'à cette heure par leur désobéissance. Qu'ils trouvent enfin un chemin assuré, et un libre accès pour entrer avec moi en présence de votre Divinité, s'ils veulent m'imiter, observer mes préceptes et suivre mes traces. " 1163. Le Père éternel agréa cette prière de notre Sauveur; et aussitôt il envoya du ciel des légions innombrables d'Anges, pour assister dans le cénacle aux oeuvres admirables que le Verbe incarné y devait opérer. Pendant que tout cela se passait dans le cénacle, l'auguste Marie était dans son oratoire élevée à une très-haute contemplation dans laquelle elle voyait ces merveilles aussi clairement et aussi distinctement que si elle y eût été présente ; et elle coopérait et répondait à toutes les couvres de son très-saint Fils comme coadjutrice de toutes, de la manière que son incomparable sagesse lui enseignait. Elle faisait des actes héroïques de toutes les vertus , par lesquelles elle devait répondre à celles de notre Seigneur Jésus- Christ: car elles résonnaient toutes par un écho mystérieux et divin dans le coeur de la très-pure Mère, et alors notre bien-aimée Reine répétait à son tour les mêmes prières. Elle y ajoutait de nouveaux et divins cantiques de louanges pour ce que la très-sainte humanité opérait en la personne du Verbe afin d'accomplir la volonté divine, et les anciennes figures de la loi écrite. 507 1164. De quelle admiration nous serions ravis comme le furent les anges et comme le seront tous les bienheureux dans le ciel, si nous connaissions maintenant cette ineffable harmonie des vertus et des rouvres qui se trouvaient coordonnées dans l'âme de notre puissante Dame comme dans un coeur savamment organisé, sans se confondre ni s'empocher les unes les autres, lorsque toutes en général et chacune en particulier opéraient dans cette occasion avec la plus grande force ! L'auguste Princesse était remplie des divines lumières que j'ai marquées; et par là même elle savait que les cérémonies et les figures légales étaient accomplies en son très-saint Fils, et qu'il les terminait en instituant la nouvelle loi et des sacrements plus nobles et plus efficaces. Elle considérait le fruit si abondant de la rédemption dans les prédestinés, la perte des réprouvés, l'exaltation du saint nom de Dieu, et de l'humanité sainte de son Fils Jésus, la connaissance et la foi universelle de la Divinité qui se propageraient dans l'univers entier; elle voyait le ciel fermé depuis tant de siècles s'ouvrir, afin que dés lors les enfants d'Adam y entrassent par l'établissement et le progrès de la nouvelle Église évangélique et de tous ses mystères, et reconnaissait que toutes ces grandes choses étaient le magnifique ouvrage de son très-saint Fils, qui s'attirait l'admiration et les louanges de tous les courtisans célestes. Elle bénissait le Père éternel, et lui rendait des actions de grâces spéciales pour ces oeuvres inénarrables, sans en omettre aucune, et elle puisait dans 508 tous ces saints exercices une joie et une consolation indicibles. 1165. Mais elle considérait aussi que toutes ces oeuvres merveilleuses devaient coûter à son propre Fils les douleurs, les ignominies, les affronts et les tourments de sa passion, et enfin la cruelle mort de la croix, qui il devait subir tout cela en l'humanité qui ij avait reçue d'elle, et qui un si grand nombre d'entre les enfants d'Adam, pour qui il allait souffrir, le paieraient d'ingratitude et perdraient le fruit abondant de la rédemption. Cette prévision remplissait d'amertume le coeur compatissant de la plus tendre des Mères. Mais comme elle était la vivante image de son très-saint Fils, tous ces divers mouvements de joie et de tristesse se trouvaient en même temps dans son coeur magnanime. Ils n'étaient point capables de la troubler, et elle ne laissait point d'instruire et de consoler les saintes femmes qui étaient avec elle; au contraire, tout en se maintenant elle-même à la hauteur des lumières divines qu'elle recevait, elle savait, dans ses rapports extérieurs, descendre jusqu'à elles pour les éclairer et les fortifier par des conseils salutaires et par des paroles de vie éternelle. O admirable Maîtresse! ô exemplaire plus qui humain! que nous devons tâcher d'imiter. Il est vrai que notre fonds de piété est imperceptible en comparaison de cet Océan de grâce et de lumière. Mais il est sûr aussi que nos peines ne sont presque qu'apparentes en comparaison de celles qu'elle a endurées, puisqu'elle seule a plus souffert que tous les 509 enfants d'Adam ensemble. Et cependant, ni son exemple, ni son amour, ni notre intérêt éternel ne suffisent pour nous faire souffrir avec patience la moindre adversité qui nous survient. La moindre persécution nous trouble et nous met de mauvaise humeur; aussitôt nous nous laissons emporter par nos passions et abattre par la tristesse, nous y résistons avec colère, nous perdons la raison, nous devenons indociles; tout est en nous dans le désordre, et chacun de nos mouvements nous rapproche du précipice. D'un autre côté, la prospérité nous séduit et nous entraîne aussi à notre perte, de sorte que nous ne pouvons en aucun cas nous fier à notre nature corrompue et affaiblie par le péché. Dans toute espèce d'occasions, souvenons-nous donc de notre auguste Maîtresse pour régler nos sentiments désordonnés. 1166. La cène légale étant achevée et les apôtres bien instruits, notre Seigneur Jésus-Christ se leva de table, comme le rapporte saint Jean (1), pour leur laver les pieds. Et il fit auparavant une autre prière mentale au Père, se prosternant en sa présence comme nous avons vu qu'il l'avait fait au moment de la cène; et il dit: " Mon Père éternel, Créateur de tout l'univers, je suis votre image engendrée par votre entendement , et la figure de votre substance (2); et m'étant offert par la disposition de votre sainte volonté à racheter le monde par ma passion et par ma mort, je veux, Seigneur, selon (1) Joan., XIII, 4. - (2) Hebr., I, 3. 510 votre bon plaisir, entrer dans ces mystères en m'humiliant jusqu'à la poussière, quoique je sois votre Fils unique, afin de confondre l'orgueil de Lucifer par mon humilité. Pour donner l'exemple de cette vertu à mes apôtres et à mon Église, qui doit être établie sur ce fondement solide de l'humilité, je veux, mon Père, laver les pieds à mes disciples, et même à Judas, le dernier de tous par sa méchanceté; et me prosternant devant lui avec une humilité profonde et véritable, je lui offrirai mon amitié et son remède. Et quoiqu'il soit le plus grand ennemi que j'aie entre les mortels, je ne lui refuse rai point ma miséricorde ni le pardon de sa trahison, afin que, s'il ne le reçoit pas, le ciel et la terre sachent que je lui ai ouvert les bras de ma clémence, et qu'il l'a méprisée lui-même par une volonté obstinée. " 1167. Notre Sauveur fit cette prière avant que de laver les pieds à ses disciples. Et pour dépeindre jusqu'à un certain point les transports et la sainte ardeur avec lesquels son divin amour disposait et exécutait ces oeuvres, on ne saurait trouver dans le langage ,des. termes assez propres , ni dans toute la création des comparaisons assez justes; car l'activité du feu, l'impétuosité des flots de la mer, le mouvement de la pierre vers son centre, et tous ceux que l'on peut s'imaginer dans les éléments au dedans et au dehors de leur sphère ; tout cela est quasi inerte. Mais nous ne pouvons pas ignorer que ce ne soit son seul amour et sa seule sagesse qui aient pu inventer un tel genre 511 d'abaissement, par lequel le Verbe incarné lui-même a humilié son front jusqu'aux pieds de l'homme, et jusqu'à ceux du plus pervers des mortels, qui fut Judas; c'est par cette humilité que Celui qui est la Parole du Père éternel, le Saint des saints, et essentiellement la bonté même, le Seigneur des seigneurs, et le Roi des rois a bien voulu appliquer ses lèvres sacrées sur la partie du corps la plus vile et la plus sale , et se prosterner devant le plus méchant des hommes pour le justifier, s'il eût reconnu et reçu ce bienfait qu'on ne saurait jamais assez estimer ni assez célébrer. 1168. Après que notre divin Maître eut achevé sa prière, il se leva avec un visage très-serein; et se tenant debout, il ordonna à ses disciples de se ranger et de s'asseoir, comme pour se constituer leur serviteur. Ensuite il quitta le manteau qu'il portait sur la tunique qui était tissue et sans couture, et qui tombait jusqu'aux pieds, sans pourtant les couvrir. Il avait dans cette occasion ses sandales, qu'il ôtait parfois quand il allait prêcher, et que parfois il gardait. Il s'en servait depuis que sa bienheureuse Mère les lui avait faites en Égypte, et elles s'étaient agrandies dans la même proportion que ses pieds avec l'âge, ainsi que je l'ai fait remarquer plus haut. Ayant quitté le manteau, dont l'Évangéliste fait mention sous le terme d'habits, il prit un linge, et s'en ceignit d'un bout, laissant l'autre extrémité libre (1). Ensuite il mit (1) Joan., XIII, 4. 512 de l'eau dans un bassin pour laver les pieds des apôtres (1), qui considéraient avec admiration tout ce que faisait leur adorable Maître. 1169. Il s'adressa au prince des apôtres pour les lui laver, et lorsque le fervent apôtre vit prosterné à ses pieds le même Seigneur qu'il avait reconnu pour le Fils du Dieu vivant, réitérant dans son intérieur cette profession de foi par la nouvelle lumière qui l'éclairait, et reconnaissant avec une humilité profonde sa propre bassesse, il s'écria, dans son trouble et dans sa surprise : Quoi ! Seigneur, vous nie laveriez les pieds (2) ! Mais notre Rédempteur lui répondit avec une douceur incomparable : Vous ne savez pas maintenant ce que je /fais; mais vous le saurez à l'avenir (3). C'était lui dire : Obéissez d'abord à ma volonté, et ne préférez pas votre sentiment au mien, car vous renverseriez l'ordre des vertus, et vous les sépareriez. Vous devez soumettre votre entendement et croire que ce que je fais est convenable, et après que vous aurez cru et obéi, vous découvrirez les mystères de mes couvres, à l'intelligence desquelles vous devez arriver par la porte de l'obéissance; car sans l'obéissance elle ne saurait être véritablement humble, mais elle serait présomptueuse. Votre humilité ne doit pas non plus être préférée à la mienne; je me suis humilié jusqu'à la mort (4), et pour pratiquer une si grande humilité j'ai obéi; et tout en étant mon disciple, vous (1) Joan., XIII, 5. - (2) Ibid., 6. - (3) Ibid., 7. - (4) Philip., II, 8. 513 ne suivez pas ma doctrine, puisque sous prétexte de vous humilier, vous voulez désobéir, et renversant l'ordre des vertus, vous vous privez de l'humilité et de l'obéissance, en suivant la présomption de votre propre jugement. 1170. Saint Pierre ne comprit pas la doctrine renfermée dans la première réponse de son divin Maître: car quoiqu'il fût à son école, il n'avait pas expérimenté les divins effets de ce mystérieux lavement des pieds que le Sauveur allait faire; et embarrassé par son humilité indiscrète, il répliqua au Seigneur Vous ne me laverez jamais les pieds (1) ! L'Auteur de la vie lui répondit plus sévèrement: Si je ne vous lave, vous n'aurez point de part avec moi. Par cette menace notre adorable Maître établissait la sûreté de l'obéissance. Car il semble, au point de vue naturel, que saint Pierre eut quelque excuse de résister à une action si extraordinaire, et que l'esprit humain ne saurait approuver qu'un homme terrestre et pécheur permit que le même Dieu qu'il reconnaissait et qu'il adorait, se prosternât à ses pieds. Mais cette excuse n'était pas ici recevable, parce que notre divin Maître ne pouvait pas errer en ce qu'il faisait; et lorsqu'on ne découvre point évidemment que celui qui commande se trompe, l'obéissance doit être aveugle, et il ne faut point chercher des raisons pour s'en défendre. Notre Sauveur voulait en ce mystère arrêter le cours de la désobéissance de nos premiers parents, Adam et Ève, (1) Joan., XIII, 8. 514 par laquelle le péché était entré dans le monde (1) et à cause du rapport que la désobéissance de saint Pierre avait avec la leur, notre Seigneur Jésus-Christ le menaça d'un autre châtiment semblable à celui dont ils avaient été menacés, disant que, s'il n'obéissait, il n'aurait point de part avec lui; c'était l'exclure de ses mérites et du fruit de la rédemption, par laquelle nous sommes rendus dignes de son amitié et de participer à sa gloire. Il le menaçait aussi de lui refuser la participation de son corps et de son sang, qu'il devait bientôt consacrer sous les espèces du pain et du vin; et tandis que le Seigneur voulait se donner, non en partie, mais tout entier dans cet adorable sacrement, et qu'il souhaitait avec la plus grande ardeur de se communiquer aux siens de cette manière mystérieuse, la désobéissance de l'apôtre eût pu le priver de cet amoureux bienfait, s'il y eût persisté. 1171. La menace que notre Rédempteur fit à saint Pierre, l'instruisit si bien et le mit dans une si sainte crainte, qu'il reprit aussitôt avec une parfaite soumission : Seigneur, non-seulement les pieds, mais les mains et la tête (2), afin que vous me laviez entièrement. Et ce fut comme s'il lui eût dit: J'offre mes pieds pour courir après tout ce qui vous sera agréable, mes mains pour l'exécuter, et ma tête pour ne suivre point mon propre jugement, quand il faudra vous obéir. Le Sauveur agréa cette soumission de saint Pierre, et lui dit : Pour vous autres, vous êtes purs, mais non pas (1) Rom., V, 19. - (2) Joan., XIII, 9. 515 tous (car l'infâme Judas se trouvait parmi eux), et celui qui est lavé, n'a besoin que de se laver les pieds (1). Notre Seigneur Jésus-Christ s exprima ainsi, parce que les disciples (excepté Judas) étaient purifiés de leurs péchés et justifiés par sa doctrine; et ils avaient seulement besoin de laver leurs imperfections et leurs fautes légères pour s'approcher de la communion avec de meilleures dispositions, telles qu'elles sont requises pour recevoir la plénitude de ses divins effets, et obtenir une grâce plus abondante et plus efficace: car les péchés véniels, les distractions et la tiédeur sont de grands obstacles à cette plénitude. Ainsi saint Pierre fut lavé, et les autres obéirent, aussi émerveillés qu'attendris; car ils recevaient tous par ce mystérieux lavement des pieds nue nouvelle effusion de lumières et de grâces. 1172. Notre divin Maître vint pour laver les pieds à Judas, dont la noire trahison ne fut pas capable d'éteindre la charité de cet adorable Seigneur, ni d'empêcher qu'il ne lui donnât en quelque sorte de plus grands témoignages d'affection qu'aux autres apôtres. Et sans les leur faire remarquer, il les rendit sensibles pour Judas de deux manières. Extérieurement, il s'avança vers lui d'un air aimable et caressant, se prosterna à ses pieds, les lava, les baisa, et les mit contre sa poitrine avec une tendresse singulière. Intérieurement, il le favorisa de vives inspirations qu'il lui envoya selon le besoin de sa (1) Joan., XIII, 10. 516 conscience dépravée: car ces secours furent en eux-mêmes plus grands à l'égard de Judas, qu'à l'égard d'aucun autre des apôtres. Mais comme il se trouvait dans de très-mauvaises dispositions, tyrannisé par de vieilles habitudes vicieuses, et endurci dans son obstination partant de successives résolutions criminelles, comme son intelligence s'était obscurcie et ses puissances affaiblies, et qu'il s'était entièrement éloigné de Dieu, et livré su démon, qu'il avait placé dans son coeur comme sur le trône de sa malice , il résista à toutes les grâces et à toutes les inspirations qu'il recevait pendant que le Sauveur lui lavait les pieds. Il se fortifia dans cette résistance par la crainte de déplaire aux scribes et aux pharisiens, s'il manquait à l'accord qu'il avait fait avec eux. Et comme la présence de Jésus-Christ et la force de ses grâces tendaient à dissiper les ténèbres de son entendement, il s'éleva des abîmes de sa conscience une violente tempête qui le remplit de confusion, d'amertume, de colère, d'aigreur, et l'éloigna de son divin Maître et médecin au moment où il lui présentait une dernière fois le remède salutaire, que le malheureux changea lui-même en un poison mortel par cette méchanceté dont il était rempli. 1173. La malice de Judas résista à la vertu de ces divines mains, dans lesquelles le Père éternel avait mis tous ses trésors (1), et le pouvoir de faire des prodiges et d'enrichir toutes les créatures. Et quand (1) Joan., XIII, 2. 517 même l'obstiné Judas n'aurait reçu que les grâces ordinaires, que la présence de l'Auteur de la vie opérait clans les âmes, et celles que sa très-sainte personne y pouvait naturellement répandre, l'iniquité de ce misérable disciple n'en dépasserait pas moins toutes nos pensées. Notre Seigneur Jésus-Christ était merveilleusement bien fait de sa personne; il avait un air imposant et serein , une beauté pleine d'une douceur attrayante; les cheveux , longs à la manière des Nazaréens, lisses, d'une couleur entre le blond doré et le châtain; les yeux grands et bien fendus; le regard accompagné d'une grâce et d'une majesté admirables; la bouche, le nez, et toutes les parties du visage parfaitement proportionnés; et il se montrait en tout si aimable, qu'il inspirait il ceux qui te regardaient sans prévention un respect et un amour singulier. Son seul aspect pénétrait les Mmes d'une joie ineffable, les éclairait, et produisait sur elles des impressions divines et d'autres effets admirables. Judas vit à ses pieds cette personne du Christ si digne d'amour et de vénération; il en reçut de nouveaux témoignages d'affection et des faveurs extraordinaires. Niais son ingratitude et sa perversité furent si grandes, que rien ne fut capable de l'émouvoir et d'amollir son coeur endurci; au contraire il s'irrita de la douceur de Jésus-Christ, et ne voulut point le regarder au lisage, ni faire cas de sa personne: car dès qu'il eut perdu la grâce et la foi, il conçut une telle aversion pour sa divine Majesté et pour sa très-sainte Mère, qu'il ne les regardait jamais au visage. La terreur qu'eut Lucifer 518 de la présence de notre Sauveur fut en quelque façon plus grande; en effet, cet ennemi, comme je l'ai dit, trônait dans le cour de Judas, et ne pouvant souffrir l'humilité que notre divin Maître pratiquait envers les apôtres, il prétendit sortir de Judas, et du cénacle; mais le Seigneur le retint parla puissance de son bras, afin d'y abattre alors son orgueil, quoique ensuite il en ait été chassé (comme je le dirai en son lieu); et c'est ce qui redoubla sa fureur et les doutes qu'il avait que Jésus-Christ ne fût véritablement Dieu. 1174. Notre Sauveur acheva le lavement des pieds, et ayant repris son manteau, il s'assit au milieu de ses disciples, et leur fit cet admirable sermon, que rapporte l'évangéliste saint Jean, et qui commence par ces mots: Savez-vous ce que je viens de vous faire? Vous m'appelez votre Maître et votre Seigneur, et vous avez raison , car je le suis. Si donc je vous ai lavé les pieds, moi qui suis votre Maître et votre Seigneur, vous devez aussi vous laver les pieds les uns aux autres. Car je vous ai donné l'exemple , afin que vous fassiez la même chose que j'ai faite envers vous : puisque le serviteur n'est pas plus grand que le maître, ni l'apôtre plus grand que celui qui l'a envolé (1). Le Sauveur poursuivit son discours, instruisant ses apôtres, et leur communiquant de grands mystères, et une doctrine céleste, à l'exposition desquels je ne m'arrête pas ici, parce que les Évangélistes en font mention. Ce sermon donna aux apôtres de nouvelles lumières sur les mystères (1) Joan., XIII, 13, etc. 519 de la très-sainte Trinité et de l'Incarnation, les disposa par une nouvelle grâce à celui de l'Eucharistie, et les confirma dans la connaissance qu'ils avaient reçue de la sublimité des miracles et de la prédication du Seigneur. Saint Pierre et saint Jean furent favorisés d'une illumination particulière: car chaque apôtre reçut plus ou moins de connaissance, selon ses dispositions et selon la volonté divine. Ce que rapporte saint Jean (1) des questions qu'il fit à notre Seigneur Jésus-Christ à la sollicitation de saint Pierre, pour savoir quel était le traître qui allait le trahir, ainsi que le divin Maître l'avait annoncé lui-même, arriva pendant la cène, lorsque saint Jean était appuyé sur son sein. Saint Pierre désirait connaître le coupable, pour punir ou empêcher sa trahison par le zèle qui l'enflammait, et par cet amour pour Jésus-Christ qu'il faisait toujours éclater avant tous les autres. Mais saint Jean ne le lui déclara point, quoiqu'il le connut par le signe du morceau que le Sauveur offrit à Judas, signe par lequel il avait dit à l'Évangéliste qu'il le lui indiquerait; ainsi il ne le connut que pour lui seul, sans vouloir le découvrir à personne, pour pratiquer la charité qu'il avait apprise à l'école de notre adorable Maître. 1175. Saint Jean reçut des faveurs singulières pendant qu'il était penché sur le sein du Sauveur Jésus, et il y apprit de sublimes mystères touchant sa divinité et son humanité, et d'autres touchant sa bien (1) Joan., XIII, 23. - (2) Ibid., 16. 520 heureuse Mère. Ce fut dans cette occasion que le Seigneur la lui recommanda : car il ne lui dit pas sur la croix qu'elle serait sa mère, ni à elle que le saint Évangéliste serait son fils; mais, Voilà votre mère (1) parce qu'il ne le déterminait pas alors, mais il manifestait seulement en public ce qu'il lui avait recommandé en particulier. Notre auguste Reine avait une connaissance fort claire, comme je l'ai marqué ailleurs, de tous les mystères que son très-saint Fils opérait dans ce lavement des pieds, et pénétrait toutes ses paroles, glorifiant le Très-Haut pourtant de bienfaits par des cantiques de louange. Et quand notre divin Maître opérait ces merveilles; elle ne les considérait point comme des choses qu'elle ignorât, mais comme voyant accomplir ce qu'elle savait auparavant, et qu'elle avait écrit dans son coeur, ainsi,que la loi l'était sur les tables de Moïse (2). Dans ce même temps elle instruisait ses saintes disciples de tout ce qui pouvait leur être utile, et se réservait ce qu'elles n'était pas capable de comprendre. Instruction que m'a donnée la puissante Reine dû monde, la bienheureuse Marie. 1176. Ma fille, je veux que vous vous distinguiez sans les trois vertus principales de mon Fils et mon (1) Joan., XIX, 27. - (2) Deut., V, 22. 521 Seigneur, que vous avez dépeintes dans ce chapitre, afin qu'en les pratiquant vous l'imitiez comme son épouse et ma très-chère disciple. Ces vertus sont, la charité, l'humilité et l'obéissance, que cet adorable Sauveur a fait surtout briller dans sa conduite à la fin de ses jours. Il est certain qu'il a donné pendant toute sa vie des marques éclatantes du grand amour qu'il portait aux hommes, puisqu'il a fait pour eux tant de merveilles dès l'instant qu'il fut conçu dans mon sein par l'opération du Saint-Esprit. Mais à la fin de sa vie, qui fut le temps auquel il établit la loi, évangélique et le Nouveau Testament, la flamme de l'ardente charité et du feu amoureux qui brûlait dans son coeur, en jaillit su dehors avec une nouvelle force. Ce fut dans cette occasion que la charité de notre Seigneur Jésus-Christ agit avec toute son efficace en faveur des enfants d'Adam : car tout concourut alors pour l'exciter; de son côté, les douleurs de la mort qui l'environnaient (1); et du côté des hommes, les répugnances à souffrir et à recevoir leur propre bien, les ingratitudes, les méchancetés, et les desseins d'ôter l'honneur et la vie à celui qui leur consacrait et donnait la sienne, et leur préparait le salut éternel. Par ces obstacles l'amour, qui ne pouvait point s'éteindre (2), éclata davantage, et le Seigneur devint, pour ainsi dire, plus ingénieux à conserver ce même amour dans ses propres oeuvres, à trouver le secret de demeurer parmi les hommes après qu'il aurait dû s'en (1) Ps. CXIV, 3. - (2) Cant., VIII, 7. 522 éloigner, et à leur enseigner par son exemple et par sa doctrine les moyens assurés et efficaces pour participer aux effets de son divin amour. 1177. Je veux que vous soyez fort savante et fort industrieuse en cet art d'aimer votre prochain pour Dieu. Vous le mettrez en pratique, si les injures et lès peines que vous en recevrez ne font qu'augmenter en vous la charité, sachant qu'alors seulement elle n'est ni douteuse ni suspecte, quand, du côté de la créature, elle n'est provoquée ni par des bienfaits ni par des flatteries. Car en aimant celui qui vous fait dit bien vous remplissez un devoir, mais si vous n'y prenez bien garde, vous ne savez pas si vous l'aimez pour Dieu ou pour les avantages qu'il vous procure; et, dans ce dernier cas, vous aimeriez votre intérêt, vous vous aimeriez vous-même plutôt que votre prochain en vue de Dieu, et quiconque aime pour d'autres fins que pour Dieu ne connaît point le pur amour de la charité : il n'est dominé que par l'amour aveugle de son propre intérêt. Mais si vous aimez votre prochain sans y être porté par des considérations personnelles, alors vous aurez pour motif et pour objet principal le Seigneur lui-même, et c'est lui que vous aimerez en la créature, quelle qu'elle soit. Et comme vous pouvez exercer plus facilement la charité intérieure que l'extérieure, quoique vous deviez les embrasser toutes deux autant que vos forces vous le permettront, il faut que vous tâchiez, dans l'exercice de la charité et dans la dispensation des bienfaits spirituels, de vous appliquer toujours aux grandes choses, conformément 523 aux desseins du Seigneur, par vos prières, par de pieuses pratiques et par de prudentes exhortations, travaillant par ces moyens au salut des âmes. Souvenez- vous que mon très-saint Fils ne fit à personne aucun bien temporel qu'il ne lui communiquât en même temps un bien spirituel; car ses divines oeuvres eussent été moins parfaites si elles avaient manqué de cette plénitude. Vous comprendrez par là combien fou doit préférer les biens de l'âme à ceux du corps; et ce sont ceux-là que vous devez toujours demander en premier lieu, quoique les hommes charnels ne demandent souvent, par un aveuglement étrange, que les biens temporels, oubliant les éternels et ceux qui supposent la véritable amitié et la grâce dit Très- Haut. 1178. Les vertus d'humilité et d'obéissance prirent un nouveau lustre en mon très- saint Fils par les choses qu'il fit et qu'il enseigna lorsqu'il lava les pieds à ses disciples. Et il faudrait que votre cour fût bien insensible et bien indocile aux leçons du Seigneur, si, malgré les lumières dont un si rare exemple remplit votre âme, vous ne vous humiliiez point au-dessous de la poussière. Soyez donc persuadée dès maintenant que vous ne pourrez jamais avoir aucun sujet de dire ni de vous imaginer que vous êtes humiliée autant que vous le méritez, quand me-me vous seriez méprisée de toutes les créatures, quelque pécheresses qu'elles fussent, puisque aucune ne saurait être aussi Méchante que Judas, et que vous ne sauriez être aussi sainte et aussi parfaite que votre divin Maître. Néanmoins, 524 si vous tâchez de mériter qu'il vous favorise et honore de cette vertu d'humilité, il vous donnera un genre de perfection et de ressemblance par lequel vous serez digne du titre de son épouse, et de participer à une espèce d'égalité avec lui. Sans cette humilité, nulle âme ne peut être élevée à une telle excellence ni à une participation si sublime; car on n'abaisse que ce qui est élevé, et on n'élève que ce qui est bas; ainsi une âme est toujours exaltée à proportion de soi, humilité et de ses anéantissements (1). 1179. Afin que vous ne perdiez pas cette perle de l'humilité au moment où vous croiriez la mieux garder, je vous avertis qu'il ne faut pas que vous en préfériez la pratique à l'obéissance, ni que vous la régliez par votre volonté, mais par celle de votre supérieur; car si vous préférez votre propre jugement à celui des personnes qui ont droit de vous commander, quoique vous le fassiez sous prétexte de vous humilier, vous tomberez par là même dans l'orgueil, puisque, dans ce cas, non- seulement vous ne choisissez pas la dernière place, mais vous vous élevez au- dessus du jugement de vos supérieurs. Cet avis vous prémunira contre l'illusion à laquelle vous seriez exposée en vous défendant, comme saint Pierre, des bienfaits du Seigneur; car par cette résistance vous vous priveriez non-seulement des dons que vous faites difficulté de recevoir, mais même de l'humilité, qui est le plus grand de tous les trésors et celui que vous prétendriez (1) Matth., XXIII, 12. 525 conserver; vous manqueriez en même temps à la reconnaissance que vous devez au Seigneur pour les hautes fins qu'il a toujours en ses oeuvres, et vous vous opposeriez à l'exaltation de son saint Nom. Il n'appartient pas à vous de scruter ses jugements impénétrables, ni de les réformer par les raisons plus ou moins plausibles sur lesquelles vous vous fondez pour vous persuader que vous êtes indigne de recevoir de telles faveurs ou de vous appliquer à de telles oeuvres. Tout cela, ma fille, n'est qu'un germe de l'orgueil de Lucifer caché sous une humilité apparente, et cet ennemi prétend par là vous rendre incapable de la participation du Seigneur, de ses dons et de son amitié, que vous désirez avec tant d'ardeur. Faites- vous donc une loi inviolable de croire aux faveurs du Très-Haut; de les recevoir, les estimer et les reconnaître avec un profond respect, lorsque vos supérieurs vous déclareront qu'elles sont de lui, et ne marchez pas en chancelant sans cesse au milieu de nouveaux doutes et de nouvelles craintes; mais agissez avec ferveur, et alors vous serez humble, obéissante et douce. 525 CHAPITRE XI. Notre Sauveur Jésus-Christ célèbre la cène sacramentale en consacrant dans l'Eucharistie son très-saint et véritable corps et son précieux sang. - Les prières et les demandes qu'il fait. - Sa bienheureuse Mère communie. - Autres mystères qui arrivèrent dans cette occasion. 1180. C'est en tremblant que je commence à traiter du mystère ineffable de l'Eucharistie, et de ce qui arriva en son institution car en élevant les yeux de l'âme pour recevoir la lumière divine, qui me guide dans cet ouvrage et qui me fait voir tant de merveilles unies ensemble, je me défie de ma faiblesse, que je découvre par cette même lumière. Mes puis situées se troublent, et je ne saurais trouver des termes pour dépeindre ce que je vois et ce que ma pensée me représente, quoique tout cela soit fort au-dessous de l'objet à l'entendement. Je parlerai néanmoins, tout ignorante que je suis, pour ne pas manquer à l'obéissance et pour suivre l'ordre de cette histoire, en continuant le récit de ce que la très-pure Marie a opéré en ces merveilles. Que si je ne m'exprime point avec une clarté digne de la grandeur du sujet, la faiblesse de mon sexe et l'admiration dans laquelle je suis m'excuseront; car il n'est pas aisé de 527 s'occuper de la justesse et de la propriété des termes, lorsque la volonté désire ne suppléer à l'insuffisance des paroles que par des affections, et jouir dans la solitude de ce qu'il ne serait ni possible ni convenable de découvrir. 1181. Notre Seigneur Jésus-Christ célébra la cène légale sur une table qui n'était élevée de terre que d'environ six ou sept doigts, à demi étendu sur le parquet, comme les apôtres, selon la coutume des Juifs. Après qu'il eut achevé le lavement des pieds, il fit préparer une autre table de la hauteur de celles dont à présent nous nous servons pour prendre nos repas, terminant par cette cérémonie les cènes légales et les rites matériels et figuratifs pour commencer le nouveau festin par lequel il établissait la nouvelle loi de grâce. De sorte qu'il fit la première consécration sur une table ou sur un autel élevé, comme ceux que l'on voit dans l'Église catholique. On couvrit cette nouvelle table d'une nappe fort riche; puis l'on y mit un plat et une grande coupe en forme de calice, capable de contenir le vite que le Sauveur y voulait mettre, car il préparait toutes choses par sa puissance et, par sa sagesse divine. Le maître de la maison obéit à une inspiration d'en haut en lui offrant ces vases magnifiques, qui étaient d'une pierre précieuse semblable à l'émeraude. Les apôtres s'en servirent depuis dans le temps convenable pour consacrer, lorsqu'ils en eurent le pouvoir. Notre Seigneur Jésus-Christ s'assit avec les douze apôtres et quelques autres disciples; il se fit apporter du pain sans levain qu'il mit 528 dans le plat, et du vin pur qu'il versa dans le calice, et prépara les autres choses nécessaires. 1182. Alors le Maître de la vie adressa à ses apôtres le discours le plus admirable, et ses paroles divines, qui pénètrent toujours jusque dans le plus intime du cœur, furent pour eux dans cette instruction comme des dards enflammés du feu de la charité, qui leur communiquait son doux embrasement. Il leur découvrit de nouveau les plus sublimes mystères de sa divinité, de son humanité et des oeuvres de la rédemption. Il leur recommanda la paix et l'union de la charité qu il leur devait laisser dans ce sacré mystère qu'il allait opérer (1). Il leur promit que, s'ils s'aimaient les uns les autres, son Père éternel les aimerait de l'amour dont il l'aimait lui-même (2). Il leur fit connaître l'importance de cette promesse, et qu'il les avait choisis pour fonder la nouvelle Église et la loi de grâce. Il leur renouvela les lumières qu'ils avaient de la suprême dignité, de l'excellence et des prérogatives de sa très-pure Mère Vierge. Saint Jean fut favorisé d'une illumination particulière à cause de l'office auquel il était destiné. Notre auguste Reine, plongée dans une divine contemplation; regardait, de la chambre où elle s'était retirée, tout ce que son très-saint Fils faisait dans le cénacle; et elle en avait une plus profonde intelligence que tous les apôtres et que tous les anges ensemble, qui, comme je l'ai dit ailleurs, y assistaient sous une forme humaine, adorant (1) Joan., XIV, 27. - (2) Joan., XVII, 26. 529 leur Seigneur, leur Roi et leur Créateur. Les mêmes anges allèrent prendre Hénoch et Élie là où ils étaient, et les amenèrent dans le cénacle, le Seigneur voulant que ces deux patriarches de la loi naturelle et de la loi écrite se trouvassent présents à la nouvelle merveille et à l'établissement de la loi évangélique, et qu'ils participassent à ses ineffables mystères. 1183. Tous ceux dont je viens de parler étant assemblés, et considérant avec admiration ce que faisait l'Auteur de la vie, la personne du Père éternel et celle du Saint-Esprit apparurent dans le cénacle, comme il était arrivé au Jourdain et sur le Thabor. Tous les apôtres et tous les disciples ressentirent certains effets de cette apparition; il n'y en eut pourtant que quelques-uns pour qui elle fut visible, particulièrement l'évangéliste saint Jean, qui eut toujours le privilège de pouvoir jeter le regard perçant de l'aigle sur les divins mystères. Toute la cour céleste se réunit alors dans le cénacle de Jérusalem; telles furent la pompe et la magnificence avec lesquelles fut fondée l'Église du nouveau Testament, fut établie la loi de grâce et fut instituée l'oeuvre de notre salut éternel ! Pour se faire une idée juste des actes du Verbe incarné, l'on doit remarquer que, comme il avait deux natures, la divine et l'humaine, et toutes deux eu une seule personne, qui était celle du Verbe, les actes des deux natures sont pour cette raison attribués à une même personne, et c'est aussi pour cela que la même personne est appelée Dieu et homme. Par conséquent, lorsque je dis que le Verbe incarné parlait à son Père 530 éternel et le priait, on ne doit pas entendre qu'il parlât et priât par la nature divine en laquelle il était égal au Père (1), mais en la nature humaine, en laquelle il lui était inférieur (2), ayant un corps et une âme comme nous. C'est de cette manière que notre Seigneur Jésus-Christ glorifia dans le cénacle son Père éternel pour sa divinité et pour son lare infini, et le pria ensuite pour le genre humain en ces termes : 1184. " Mon Père, Dieu éternel, je vous exalte en a l'être infini de votre divinité incompréhensible, en laquelle je suis une même chose avec vous et avec le Saint- Esprit (3) ; engendré de toute éternité par votre entendement (4), comme la figure de votre substance et l'image de votre propre nature indivisible (5). Je veux consommer l'œuvre de la rédemption du genre humain, que vous m'avez recommandée en la nature que j'ai prise dans le sein de ma Mère; lui donner la dernière perfection et la plénitude de votre bon plaisir; quitter le monde pour m'asseoir à votre droite, et vous amener toits ceux que vous m'avez donnés, sans qu'il s'en perde aucun (6), autant que cela dépend de notre volonté et de la suffisance de leur remède. Ales délices sont d'être avec les enfants des hommes (î), et si en t'en allant je les laisse sans mon assistance, ils seront seuls, comme des orphelins abandonnés: c'est pourquoi je (1) Joan., X, 30 - (2) Joan., XIV, 28. - (3) Joan., X, 30. - (4) Ps., CIX, 4. - (5) Hebr., I, 3. - (6) Joan., XVII, 12. - (7) Prov., VIII, 31. 531 veux, mon Père, leur donner des gages de mon amour, qui ne saurait s'éteindre, et des récompenses éternelles que vous leur avez préparées. Je veux leur laisser un mémorial impérissable de ce que j'ai fait et a souffert pour eux. Je veux qu'ils trouvent en mes mérites un facile et efficace remède au péché qu'ils ont a contracté par la désobéissance du premier homme, et les réintégrer en l'entière possession du droit qu'ils ont perdu, et qu'ils avaient de prétendre au bonheur éternel pour lequel ils ont été créés. 1185. Et comme le nombre de ceux qui persévèreront dans la justice sera fort petit, il faudra bien assurer aux hommes d'autres remèdes par lesquels ils puissent la recouvrer et l'accroître en recevant a de nouveau les dons les plus sublimes de votre clémente ineffable, pour les justifier et les sanctifier par des secours et des moyens divers dans l'état de leur dangereux, pèlerinage. Que si nous avons dé terminé par notre volonté éternelle de les tirer du néant pour leur donner l'être et l'existence, ç'a été pour leur communiquer les grandeurs de notre divinité, nos perfections et notre éternelle félicité; votre amour, qui m'a fait naître passible et qui m'a a obligé de m'humilier pour eux jusqu'à la mort de la croix (1), ne serait pas satisfait s'il n'inventait un nouveau mode de se communiquer aux hommes selon leur capacité et selon notre sagesse et notre puissance. Ce mode doit consister en des signes (1) Philip., II, 3. 532 visibles, proportionnés à la condition sensible des hommes, et ces signes doivent produire des effets invisibles auxquels participera leur esprit invisible et immatériel. 1186. "Pour ces très-hautes fins de votre gloire, je demande, mon Père, le Fiat de votre volonté éternelle en mon nom et en celui de tous les pauvres et affligés enfants d'Adam. Que si leurs péchés provoquent votre justice , leurs misères et leurs besoins implorent votre miséricorde infinie. Et je joins à cette même miséricorde toutes les oeuvres, de mon humanité unie par un lien indissoluble à ma divinité; l'obéissance avec laquelle j'ai consenti non seulement à souffrir, mais à mourir pour eux ; l'humilité avec laquelle je me suis soumis ana hommes et à leurs jugements iniques; la pauvreté, et les travaux de ma vie, mes opprobres et ma passion; ma mort, et l'amour avec lequel j'ai accepté tout cela pour votre gloire, et afin que vous fussiez connu et adoré de toutes les créatures, capables de votre grâce et de votre félicité. Vous m'avez, mon Père, rendu frère des hommes; vous avez voulu que je fusse leur chef (1), comme celui de tous les élus qui doivent éternellement jouir avec nous. de notre divinité, afin qu'ils soient, comme enfants, héritiers avec moi de vos biens éternels (2), et qu'ils participent, comme membres, à l'influence que je veux leur communiquer comme chef (3), (1) Coloss., I, 18. - (2) Rom., VIII, 17. - (3) I Cor., VI, 15. 533 selon l'amour que je leur porte comme à mes frères; et je veux, autant qu'il est en moi, les entraîner à ma suite, et le faire rentrer dans votre amitié et dans le doux commerce sous les lois duquel ils ont été formés en leur chef naturel, le premier homme. 1187. " Je détermine, Seigneur, par cet amour immense que tous les mortels puissent désormais être pleinement réengendrés en votre grâce par le sacrement du Baptême, et qu'ils le puissent recevoir aussitôt qu'ils seront nés, sans aucun concours de leur propre volonté, que des tiers manifesteront alors pour eux, afin qu'ils renaissent au jour de votre sagesse. Qu'ils soient dès lors héritiers de votre gloire , et marqués comme enfants de mon Église par un caractère indélébile; qu'ils soient purifiés de la souillure du péché originel ; qu'ils reçoivent les dons des vertus de foi, d'espérance, et de charité, avec lesquels ils puissent se montrer vos enfants dans leur conduite, vous connaître, espérer en vous, et vous aimer pour vous-même. Qu'ils reçoivent aussi les vertus avec lesquelles ils a puissent régler leurs passions désordonnées par le péché, et discerner sans erreur le bien et le mal. Que le sacrement soit la porte de mon Église, et qu'À, rende ceux qui l'auront reçu capables des autres sacrements et des nouveaux bienfaits de notre grâce. Je détermine encore qu'après ce sacrement ils en reçoivent un autre , qui lés con firme dans la sainte foi qu'ils ont professée et qu'ils 534 doivent professer; afin qu'ils puissent la défendre avec fermeté, quand ils auront l'usage de la raison. Et comme la fragilité des hommes leur fera aisément transgresser ma loi, et que ma charité ne peut les laisser sans un remède qui leur soit facile et opportun, je destine à cet effet le sacrement de la Pénitence, par lequel, reconnaissant et confessant leurs péchés avec douleur, ils seront rétablis dans l'état de justice, et continueront à gagner des mérites pour la gloire que je leur ai promise. Ainsi Lucifer et ses ministres ne triompheront point de les avoir fait déchoir de l'état heureux dans lequel le baptême les avait mis. 1188. " Les hommes étant justifiés par le moyen de ces sacrements, seront capables de la participation la plus haute, la plus intime et la plus tendre qu'ils puissent avoir avec moi dans l'exil de leur vie mortelle : ils la réaliseront en me recevant d'une manière ineffable sous les espèces du pain et du vin; en celles du pain, je laisserai mon corps, et en celles du vin je laisserai mon sang. Je me trouverai véritablement et réellement tout entier en chacune de ces espèces consacrées; quoique j'établisse ce sacrement mystérieux de l'Eucharistie sous l'une et sous l'autre , parce que je m'y donnerai en forme d'aliment proportionné à la condition des hommes et à leur état de voyageurs, opérant toutes ces merveilles pour eux, et voulant rester ainsi au milieu d'eux jusqu'à la fin des siècles (1). Et afin qu'ils (1) Matth., XXVIII, 20. 535 aient un autre sacrement qui les purifie et les sou tienne lorsqu'ils seront arrivés su terme de la vie, a je leur destine le sacrement de l'Extrême-Onction; qui leur sera aussi comme un gage de leur résurrection dans les mêmes corps qui auront été marqués par ce sacrement. Et comme tous tendent à sanctifier les membres du corps mystique de mon Église, en laquelle doit régner un ordre parfait, et chacun doit occuper le rang convenable à son ministère, je veux que les ministres de ces sacrements reçoivent eux-mêmes un sacrement particulier qui les élèvera, par rapport à tous les autres fidèles, su degré suprême du sacerdoce, et j'instituerai à cet effet le sacrement de l'Ordre, qui les revêtira d'un caractère spécial et les sanctifiera avec une efficacité merveilleuse. Et quoique ce soit de moi qu'ils doivent tous recevoir cette excellence, je veux qu'elle leur soit communiquée par l'intermédiaire d'un chef, qui sera mon vicaire, représentera ma personne, et sera le Pontife souverain, aux mains duquel je confierai les clefs du ciel, et je veux que tous lui obéissent sur la terre. Pour que rien ne manque à la perfection de mon Église, j'institue en dernier lieu le sacrement du Mariage, qui sanctifiera les rapports naturels établis pour la propagation du genre humain; afin que tous les états de l'Église soient enrichis et ornés de mes mérites infinis. C'est là, Père éternel, ma dernière volonté, par laquelle je fais tous les mortels héritiers de mes mérites, que leur dispensera ma nouvelle 536 Église, dans laquelle je les mets en dépôt. " 1189. Notre Rédempteur Jésus-Christ fit cette prière en présence des apôtres, sans qu'ils s'en aperçussent. biais la bienheureuse Mère, qui de sa retraite le voyait et l'imitait en tout, se prosterna et offrit comme Mère au Père éternel les demandes de son Fils. Et quoiqu'elle ne pût ajouter aucune valeur méritoire aux oeuvres de son très-saint Fils, néanmoins, en sa qualité de coadjutrice, elle unit ses prières aux siennes, comme dans les autres occasions semblables, et sollicita de son coté la divine miséricorde, afin que le Père éternel ne regardât point son Fils tout seul , mais toujours en compagnie de sa fière. Aussi les regarda-t-il tous deux, et agréa-t- il à la fois les prières que le Fils et la Mère lui adressaient pour le salut des hommes. Notre auguste princesse fit encore dans cette circonstance une autre chose, parce que son très-saint Fils l'en chargea. Pour la comprendre, il faut remarquer que Lucifer se trouva présent lorsque Jésus-Christ lava les pieds à ses apôtres, comme je l'ai dit au chapitre précédent; et ayant vu ce que le Sauveur faisait , et qu'il ne lui permettait pari de sortir du cénacle, il inféra de là qu'il destinait aux apôtres quelque bienfait insigne, et tout en reconnaissant son impuissance contre le Seigneur, il voulut, poussé par l'orgueil et par nue haine implacable, pénétrer ces mystères pour tâcher de s'y opposer par quelque méchanceté. La bienheureuse Vierge connut le dessein de Lucifer, et vit que son très-saint Fils lui remettait cette cause; c'est pourquoi brûlant du zèle de la gloire 537 du Très-Haut, et usant de son autorité de Reine, elle commanda su dragon et à tous ses ministres de sortir aussitôt du cénacle et de descendre dans les gouffres de l'enfer. 1190. Pour vaincre Lucifer, le bras du Tout-Puissant arma la très-pure Marie d'une nouvelle vertu, à laquelle ni lui ni les autres démons ne purent résister; ainsi ils furent précipités dans l'abîme, jusqu'à ce qu'il leur tilt de nouveau permis d'en sortir, et d'assister à la passion et à la mort de notre Rédempteur, par laquelle ils devaient être entièrement vaincus, et assurés que Jésus-Christ était le Messie, le Sauveur du monde, Dieu et homme véritable. On voit donc que Lucifer et ses ministres furent témoins de la cène légale, du lavement des pieds des apôtres et ensuite de toute la passion; mais ils ne furent présents ni à l'institution de la divine Eucharistie, ni à la communion que notre Seigneur Jésus-Christ donna lui-même aux apôtres. Les démons chassés, notre auguste Reine s'éleva à une plus haute contemplation des mystères qui s'approchaient, et les saints anges chantèrent la gloire du grand triomphe que cette nouvelle et vaillante Judith venait de remporter sur le dragon infernal. Au même moment notre divin Sauveur fit un autre cantique pour glorifier le Père éternel et lui rendre des actions de grâces de ce qu'il lui avait accordé ses demandes en faveur des hommes. 1191. Après tout ce que je viens de dire, notre Rédempteur prit en ses vénérables mains le pain qui 538 était dans le plat, demandant intérieurement l'agrément du Très-Haut et le priant de permettre qu'alors dans le cénacle, et plus tard dans la sainte Église, il se rendit réellement et véritablement présent dans l'hostie en vertu des paroles qu'il allait prononcer, comme obéissant à ces mêmes paroles; puis il leva les yeux au ciel avec tant de majesté, que les apôtres, les anges et la bienheureuse Vierge Mère elle- même, furent saisis d'une nouvelle crainte révérentielle. Enfin, il prononça les paroles de la consécration sur le pain, qui fut changé transsubstantiellement en son véritable corps, et il prononça la consécration du vin sur le calice, changeant le même vin en son véritable sang. Aussitôt qu'il eut achevé de prononcer les paroles sacramentelles , le Père éternel répondit Celui-ci est mou Fils bien-aimé, dans lequel je trouve mes délices, et je les trouverai jusqu'à la fin du monde; il demeurera avec les hommes tout le temps que leur exil durera. La personne du Saint-Esprit confirma la même promesse. Et la très-sainte humanité de Jésus- Christ en la personne du Verbe s'inclina profondément devant la Divinité dans le sacrement de son corps et de son sang. Notre grande Reine, qui était dans sa retraite, se prosterna et adora son Fils dans l'Eucharistie avec un respect infini. Ensuite les anges de sa garde et tous les autres anges l'adorèrent à leur tour, et après que ces esprits célestes l'eurent adoré, Hénoch et Élie en firent de même, chacun de son côté en leur nom et en celui des anciens patriarches et des prophètes de la. loi naturelle et de la loi écrite. 539 1192. Tous les apôtres et disciples crurent à ce grand mystère, excepté le perfide Judas, et l'adorèrent avec une foi vive et une humilité profonde, chacun selon sa disposition. Et alors notre grand prêtre Jésus-Christ éleva son corps et son sang consacrés, afin que tous ceux qui assistaient à cette première messe l'adorassent de nouveau, comme ils le firent effectivement. Sa très-pure Mère, saint Jean, Hénoch et Élie furent au moment de l'élévation éclairés d'une plus vive lumière, afin de mieux savoir comment le corps sacré du Sauveur se trouvait sous les espèces du pain et son. précieux sang sous celles du vin, et en toutes deux Jésus-Christ vivant tout entier par l'union inséparable de son âme, de son corps et de son sang, comment la Divinité y résidait, et en la personne du Verbe celles du Père et du Saint-Esprit; et comment par ces unions, ces existences et ces concomitances inséparables, les trois personnes divines étaient présentes dans l'Eucharistie avec l'humanité parfaite de notre Seigneur Jésus-Christ. Ce fut notre auguste Princesse qui pénétra plus avant toutes ces vérités, et l'intelligence que les autres en eurent fut proportionnée aux degrés de leur perfection. Ils connurent aussi l'efficace des paroles de la consécration, et qu'elles avaient dès lors une vertu divine, afin qu'étant prononcées sur la matière requise avec l'intention de Jésus-Christ par quelque prêtre que ce fût né ou à naître, elles changeassent la substance du pain en son corps, et celle du vin en son sang, laissant les accidents sans sujet, et avec un 539 nouveau mode de subsister sans disparaître, et cela d'une façon si ineffable et avec tant de certitude, que le ciel et la terre passeront avant que cesse l'efficace de cette formule de consécration, dûment prononcée par le prêtre et ministre de Jésus- Christ. 1193. La bienheureuse Marie connut aussi par une vision spéciale de quelle manière le corps sacré de notre Seigneur Jésus-Christ était caché sous les accidents du pain et du vin sans leur causer comme sans subir aucune, altération , parce que ces mêmes accidents ne peuvent pas plus être les formes du corps du Sauveur, que ce corps ne peut devenir leur sujet. Ils conservent après la consécration la même étendue et les mêmes qualités qu'ils avaient auparavant , et ils occupent le même espace, comme on le voit en l'hostie consacrée; et le corps sacré y est d'une manière indivisible sans qu'une partie soit confondue avec l'autre, quoiqu'il ait toute sa grandeur; il est tout entier en toute l'hostie, et tout entier en chaque partie, sans que l'hostie l'étende ni le rétrécisse, et sans que le corps étende ni rétrécisse l'hostie; parce que l'étendue propre du corps ne dépend point de celle des espèces accidentelles, ni le volume des espèces du corps consacré ; ainsi ils ont un mode d'existence tout à fait distinct, et le corps pénètre la quantité des accidents sans qu'ils le puissent empêcher. Et quoique naturellement la tête demanderait un autre lieu et occuperait un autre point de l'espace que les mains et ainsi des autres parties, il arrive par la puissance divine que le corps consacré se trouve tout 541 entier dans un même lieu; car ici il ne dépend point de l'étendue de l'espace qu'il occupe naturellement; la très-sainte Eucharistie échappe à toutes ces dépendances, tous ces rapports, parce que le corps du Sauveur y peut être sans eux avec toutes ses dimensions ; il n'est pas non plus dans un seul endroit ni dans une seule hostie , mais en même temps dans toutes les hosties consacrées, quoique le nombre en soit presque infini. 1194. Elle comprit encore que, bien que le sacré corps n'eût, comme je viens de l'expliquer, aucune dépendance naturelle des accidents, il ne s'y trouverait néanmoins qu'autant de temps que les espèces du pain et du vin dureraient sans se corrompre, parce que la très-sainte volonté de Jésus-Christ, auteur de ces merveilles, l'avait déterminé de la sorte. Ce fut comme une dépendance volontaire et morale de l'existences miraculeuse de son corps et de son sang avec l'existence intégrale des accidents. Et quand ils se corrompent par les causes naturelles qui peuvent' les altérer, comme il arrive après qu'on a reçu le sacrement, car la chaleur de l'estomac les altère et les corrompt, ou par d'autres causes qui peuvent produire le même effet, alors Dieu crée de nouveau une autre substance au dernier instant où les espèces sont disposées à recevoir la dernière transmutation , et cette nouvelle substance qui remplace pour ainsi dire le corps, consacré, sert à la nutrition du corps humain, qui se l'assimile et la pénètre de sa vie. Cette merveille de créer une nouvelle substance, qui absorbe les accidents altérés et corrompus, est une 542 conséquence de la volonté divine, qui a déterminé que le corps sacré ne subsisterait point avec la corruption des espèces. Cela a même quelque rapport à l'ordre de la nature; car la substance de l'homme qui se nourrit, ne saurait prendre aucun accroissement que par une autre substance qui lui est ajoutée de nouveau, et dont les accidents primitifs ne peuvent se conserver dans le corps humain. 1195. La main du Tout-Puissant a renfermé tous ces miracles et plusieurs autres dans ce très-auguste sacrement de l'Eucharistie. La Reine de l'univers les approfondit. tous par sa divine science; saint Jean, les patriarches de l'ancienne loi qui s'y trouvaient présents, et les apôtres en sondèrent plusieurs jusqu'à un certain point. La bienheureuse Marie, en connaissant la grandeur de l'inestimable bienfait qui s'étendait sur tous les mortels, connut aussi l'ingratitude avec laquelle ils traiteraient un mystère si ineffable, institué pour leur remède; et elle se chargea dès lors de réparer autant qu'il lui serait possible notre insensibilité, et de rendre de continuelles actions de grâces du Père éternel et à son très-saint Fils pour l'incompréhensible faveur que le genre humain recevait. Elle voua toute sa vie à ces prières réparatrices, et elle les faisait souvent en versant des larmes de sang qui partaient de son coeur enflammé de la plus ardente charité, pour expier notre coupable et honteux oubli. 1196. Ce que j'admire le plus, c'est ce qui arriva à notre Seigneur Jésus-Christ lui- même, qui, ayant élevé le très-saint Sacrement, afin que les disciples 543 l'adorassent, comme je l'ai dit, le divisa avec ses mains sacrées, et se communia lui- même le premier, comme le premier et le souverain Prêtre. Et se reconnaissant, en tant qu'homme, inférieur à la divinité qu'il recevait en son corps et en son sang consacrés, il se recueillit, s'humilia, et parut trembler en la partie sensitive, pour nous montrer deux choses : l'une, le respect avec lequel on doit recevoir son sacré corps: l'autre, la douleur qu'il ressentait de la témérité avec laquelle tant de personnes s'approcheraient de ce très, auguste sacrement. Les effets que produisit la communion dans le corps de Jésus-Christ furent divins et ineffables; car la gloire de son âme très-sainte rejaillit quelques instants sur lui, comme lors de la transfiguration; mais cette merveille ne fut manifestée qu'à la très-pure Mère, et un peu à saint Jean, à Hénoch, et à Élie. Après cette faveur, la très-sainte humanité renonça en la partie inférieure à tout repos et à toute consolation jusqu'à la mort. La divine Mère découvrit aussi, par une vision particulière, comment son très-saint Fils se recevait lui-même en l'Eucharistie, et comment il demeura lui-même dans son propre sein après s'être reçu. Tout cela produisit les plus sublimes effets en notre grande Reine. 1197. Notre Sauveur Jésus-Christ fit en se communiant un cantique de louanges au Père éternel, et s'offrit lui-même dans l'Eucharistie pour le salut du genre humain; ensuite il divisa une autre particule du pain consacré, et la remit à l'archange saint Gabriel, afin qu'il la portât à la bienheureuse Marie 544 et qu'il la communiât. Par cette faveur les saints anges furent comme satisfaits et dédommagés de ce que la dignité sacerdotale, si excellente, était conférée aux hommes et non point à eux, d'avoir eu seulement entre leurs mains le corps consacré de leur Seigneur et de leur Dieu ; ils en ressentirent tous une joie nouvelle et inexprimable. Notre auguste Reine attendait, les yeux baignés de larmes, la sainte communion, lorsque l'archange Gabriel arriva avec une légion innombrable d'autres anges; elle la reçut de la main de ce saint prince la première après son adorable Fils, qu'elle imita en son humilité et en sa sainte crainte. Le très-saint Sacrement fut mis en dépôt dans le sein de la très-pure Marie, et dans son coeur, comme dans le véritable sanctuaire, et le plus décent tabernacle du Très- Haut. Et ce dépôt du sacrement ineffable de l'Eucharistie y resta tout le temps qui s'écoula depuis cette nuit jusqu'après la résurrection , c'est-à-dire jusqu'au moment où saint Pierre consacra et dit sa première messe, comme je le rapporterai plus tard. Le Seigneur tout-puissant ordonna de la sorte cette merveille, pour la consolation de sa divine Mère, et aussi pour accomplir par avance en cette manière la promesse, qu'il fit depuis à son Église, de demeurer avec les hommes jusqu'à la fin des siècles (1) : car après sa mort, sa très-sainte humanité ne pouvait point demeurer dans l'Église dune autre manière, tant qu'on n'aurait point consacré son corps et son (1) Matth., XXVIII, 20. 545 sang. Ainsi fut mise en dépôt dans la très-pure Marie cette manne véritable, comme la manne figurative, l'avait été dans l'arche de Moïse (1). Et les espèces sacramentales se conservèrent sans se corrompre dans son sein tout le temps qui se passa jusqu'à la nouvelle consécration. Elle rendit ales actions de grâces au Père éternel et à son très-saint Fils par de nouveaux cantiques , imitant encore en cela le Verbe incarné. 1198. Après que la Reine des anges eut reçu la communion, notre Sauveur donna le pain consacré aux apôtres, et leur ordonna de le départir entre eux et de le recevoir (2); il leur conféra par ces paroles la dignité sacerdotale, qu'ils commencèrent d'exercer en se communiant eux-mêmes avec un souverain respect et avec beaucoup de larmes de dévotion, adorant le corps et le sang de notre Rédempteur, qu'ils avaient reçu. Ils eurent l'avantage d'être élevés les premiers à cette haute dignité, comme étant choisis pour être les fondateurs de l'Église évangélique (3). Ensuite saint Pierre , par le commandement de notre Seigneur Jésus-Christ, prit d'autres particules consacrées, et communia Hénoch et Élie. Et par les effets de cette communion , ces saints personnages furent fortifiés de nouveau pour attendre jusqu'à la fin du monde la vision béatifique, qui leur est différée depuis tant de siècles par la volonté divine. Les deux patriarches louèrent le Tout-Puissant, et lui rendirent (1) Hebr., IX, 4. - (2) Luc., XXII, 17. - (8) Ephes., II, 20. 546 de ferventes actions de grâces pour une telle faveur; après quoi les saints anges les remirent au lieu d'où ils les avaient tirés. Le Seigneur réalisa ce prodige, pour donner à ceux qui avaient vécu sous les anciennes lois naturelle et écrite, des gages de son incarnation, de leur rédemption et de la résurrection générale. Car tous ces mystères sont renfermés dans le sacrement de l'Eucharistie, et en le donnant aux deux saints patriarches Hénoch et Élie qui vivaient en une chair mortelle, le Sauveur en étendit la participation aux deux états de ces anciennes lois; parce que les autres qui le reçurent étaient soumis à la nouvelle loi de grâce, dont les apôtres étaient les pères. Les deux saints Hénoch et Élie comprirent toutes ces choses, et rendirent, au nom des autres justes de leurs lois, des actions de grâces à leur Rédempteur et au nôtre pour ce mystérieux bienfait. 1199. Il arriva un autre miracle fort secret en la communion des apôtres : ce fut que le perfide Judas, voyant que le divin Maître leur prescrivait de communier, résolut, l'infidèle, de ne le point faire, mais de garder secrètement, s'il le pouvait, le sacré corps, pour le porter au prince des prêtres et aux pharisiens, et de leur dire quel personnage était son maure, puisqu'il déclarait que ce pain était sou propre corps, afin qu'ils condamnassent cette déclaration comme un grand crime; que, s'il ne pouvait pas réussir dans ce dessein, il se proposait de commettre quelque autre attentat contre cet adorable sacrement. La Reine de l'univers, qui observait par une très-claire vision tout 547 ce qui se passait, les dispositions intérieures et extérieures avec lesquelles les apôtres recevaient la sainte communion, et les effets que ce divin sacrement produisait en eux, vit aussi les intentions exécrables de l'obstiné Judas. Elle s'enflamma du zèle de la gloire de son Seigneur, comme Mère, comme Épouse et comme Fille; et, connaissant que c'était sa volonté qu'elle usât en cette occasion du pouvoir de Mère et de Reine, elle ordonna à ses anges de retirer successivement de la bouche de Judas le pain et le vin consacrés, et de les remettre avec les autres espèces eucharistiques; car il lui appartenait, dans cette rencontre, de défendre l'honneur de son très-saint Fils et d'empêcher la nouvelle injure que Judas voulait lui faire. Les anges obéirent; ainsi, lorsque le plue méchant des hommes communia, ils lui ôtèrent de la bouche. les espèces sacramentales les unes après les autres, et, les ayant purifiées du contact de ce palais sacrilège, ils les remirent secrètement avec les autres espèces tant le Seigneur voulait toujours conserver l'honneur de son ennemi et de son apôtre endurci ! Et comme Judas ne fut pas des derniers à communier, et que les, saints anges exécutèrent vivement l'ordre de leur Reine, ceux qui communièrent après, selon leur rang d'ancienneté, reçurent ces espèces. Notre Sauveur rendit des actions de grâces au Père éternel, et termina par là les mystères des Cimes légale et sacramentelle pour commencer ceux de sa passion, dont je parlerai dans les chapitres suivants. La Reine du ciel ne cessait de considérer avec admiration tous ces mystères, 548 et de glorifier le Très-Haut par des cantiques de louanges. Instruction que j'ai reçue de notre auguste Maîtresse. 1200. O ma fille! si ceux qui professent la sainte foi catholique ouvraient leurs coeurs endurcis et pesants pour recevoir la véritable intelligence du sacré mystère et du bienfait inestimable de l'Eucharistie, ou si, affranchis des affections terrestres et de la tyrannie de leurs passions, ils s'appliquaient avec cette foi vivifiante à découvrir en la divine lumière leur félicité, et à considérer qu'ils possèdent au milieu d'eux dans le très-saint Sacrement le Dieu éternel, qu'ils peuvent le recevoir, le fréquenter et participer aux effets de cette manne céleste! s'ils appréciaient le prix et la grandeur de ce don! s'ils estimaient ce trésor ! s'ils goûtaient sa douceur ! s'ils savaient y chercher la vertu cachée de leur Dieu tout-puissant! Ah! ils n'auraient rien à désirer ni à craindre dans leur exil! Les mortels ne doivent point se plaindre dans l'heureux temps de la loi de grâce, si leur fragilité et leurs passions les affligent, puisqu'ils ont dans ce pain du ciel le salut et la force à leur disposition. Ils ne doivent point se troubler non plus, si le démon les tente et les persécute, puisqu'ils peuvent glorieusement le vaincre par le bon usage de ce sacrement 549 ineffable , s'ils le reçoivent souvent et dignement dans cet espoir. La grande faute des fidèles est de ne point réfléchir à ce mystère, et de ne point se prévaloir de sa vertu infinie dans tons leurs besoins; car mon très-saint Fils l'a institué pour leur remède. En vérité je vous le dis, ma très-chère fille, Lucifer et ses ministres sont saisis d'une telle terreur en présence de l'Eucharistie, qu ils souffrent de plus grands tourments à s'en rapprocher qu'à rester dans l'enfer. Et s'ils entrent dans les églises, et s'exposent par là à endurer de nouveaux supplices, c'est dans l'espérance de faire pécher quelques âmes dans ces lieux sacrés et devant le très-saint Sacrement. Car la haine qu'ils ont contre Dieu et contre les âmes les détermine seule, lorsqu'ils trichent ale remporter une pareille victoire, à affronter ces tourments et ces supplices en se rapprochant de mon très-saint Fils présent dans l'Eucharistie. 1201. Quand on le porte en procession par les rues, d'ordinaire ils fuient et s'éloignent bien vite, et ils n'oseraient aborder ceux qui l'accompagnent s'ils ne savaient, par une longue expérience, qu'ils réussissent souvent à faire perdre à plusieurs chrétiens le respect dû à cet auguste sacrement. C'est pour cette raison qu'ils s'attachent surtout à tenter dans les églises; car ils comprennent combien grande est l'injure que l'on fait au Seigneur en oubliant qu'il s'y trouve, par un effet de son amour, dans le sacrement, où il attend les hommes pour les sanctifier, et pour en recevoir le retour du tendre amour qu'il leur témoigne 550 par tant de douces industries. Vous connaîtrez par là quelle force ont contre les démons ceux qui reçoivent dignement ce pain céleste, et combien les hommes se rendraient formidables à ces esprits rebelles, s'ils le mangeaient avec une dévotion et avec une pureté dans lesquelles ils bicheraient de se maintenir jusqu'à une autre communion. biais il en est fort peu qui veuillent prendre ce soin, et l'ennemi les épie sans cesse pour profiter des occasions propres à les jeter dans l'oubli, dans les froideurs et dans les distractions, et pour empêcher qu'ils ne se servent contre lui d'armes si puissantes. Gravez ces leçons dans votre cour, et, puisque le Très-Haut a ordonné par l'organe de vos supérieurs que, malgré votre démérite, vous receviez chaque jour cet adorable sacrement, travaillez à vous conserver dans l'état oit vous vous mettez pour une communion jusqu'à ce que vous en fassiez une autre car mon Seigneur et moi voulons que vous vous serviez de ce glaive dans les combats du Très -Haut, au nom de la sainte Église, contre les ennemis invisibles qui persécutent et affligent aujourd'hui la Maîtresse des nations, sans qu'il se trouve personne qui la console et qui songe à ses peines (1). Gémissez sur cette insensibilité, et laissez votre cour se briser de douleur est voyant que, tandis que le tout-puissant et juste Juge est si irrité contre les catholiques, qui, sous la sainte foi dont ils font profession, provoquent tous les jours sa colère par des péchés énormes, il y en (1) Thren., I, 1. 551 a si peu qui en considèrent et qui en craignent les funestes suites, et qui cherchent à les détourner en recourant au véritable remède, qu'ils pourraient obtenir par le bon usage du très-saint sacrement de l'Eucharistie, en le recevant avec un cœur contrit et humilié, et en implorant mon intercession. 1202. Cette. irrévérence, qui est un très-grand péché dans tous les enfants de l'Église, est sans doute beaucoup plus odieuse et plus criminelle chez les mauvais prêtre, indignes de leur caractère; parce que le peu de respect avec lequel ils traitent l'adorable Sacre meut de l'autel porte les autres catholiques à ne pas en faire assez de cas. Assurément, si le peuple voyait les prêtres s'approcher des divins mystères avec une crainte respectueuse, il comprendrait mieux que tous les fidèles doivent recevoir leur Dieu dans l'Eucharistie avec une égale vénération. Ceux qui s'en approchent avec les dispositions convenables brilleront dans le ciel comme le soleil entre les étoiles; car la gloire de l'humanité de mon très-saint Fils rejaillira sur eux d'une manière spéciale, dont ne seront pas favorisés ceux qui n'ont pas fréquenté la sainte Eucharistie avec celte dévotion. En outre, leurs corps glorieux auront sur la poitrine comme certaines devises éclatantes pour marquer qu'ils out été de dignes tabernacles du très-saint Sacrement quand ils l'ont reçu. Ce sera là un sujet particulier pour eux de grande joie accidentelle; pour les esprits célestes, de chants d'allégresse et de triomphe; pour tous les bienheureux, de vive admiration. Ils recevront encore une autre 552 récompense accidentelle, car ils connaîtront mieux que les autres comment mon très-saint Fils se trouve dans l'Eucharistie, et tous les miracles qu'elle renferme; et cette connaissance leur causera une si grande joie; qu'elle seule suffirait pour les rendre éternellement bienheureux, quand ils n'en auraient `point d'autre dans le ciel. Pour ce qui est de la gloire essentielle de ceux qui auront communié avec dévotion et avec pureté de conscience, elle égalera et même surpassera souvent celle, de plusieurs martyrs qui n'auront pas reçu la sainte Eucharistie. 1203. Je veux aussi, ma fille, que vous appreniez de ma propre bouche ce que je pensais de moi, lorsque étant dans la condition de voyageuse sur la terre, je devais recevoir mon Fils et mon Seigneur dans le divin sacrement. Pour mieux le concevoir, vous n'avez qu'à repasser dans votre mémoire tout ce que vous avez appris de mes dons, de ma grâce, de mes ouvres et des mérites de ma vie, telle que je vous l'ai fait connaître, afin que vous l'écriviez. Je fus préservée dans ma conception du péché originel, et dès cet instant j'eus la connaissance et la vision de la Divinité, comme vous l'avez dit plusieurs fois. J'eus une plus grande science que tons les saints ensemble; je surpassai en amour les séraphins les plus éminents; je ne commis jamais aucun péché; je pratiquai toujours toutes les vertus d'une manière héroïque, et la moindre de mes vertus m'éleva à un plus haut degré que les plus saints personnages parvenus au comble de la perfection; toutes mes oeuvres tendirent aux 553 fins les plus sublimes; les dons que je reçus furent sans nombre et sans mesure; j'imitai mon très-saint Fils avec une fidélité souveraine; je travaillai aveu ardeur; je souffris avec courage, et je coopérai à toutes les couvres du Rédempteur dans la proportion qui m'était assignée; je ne cessai jamais de l'aimer et de mériter les accroissements les plus extraordinaires de grâce et de gloire. Eh bien ! je crus avoir obtenu une magnifique récompense de tous ces mérites, en recevant une seule fois le sacré corps de mon Fils dans l'Eucharistie ; encore ne me jugeais-je pas digne d'une si grande faveur. Considérez maintenant, ma fille, ce que vous et les autres enfants d'Adam devez penser en recevant cet admirable sacrement. Et si une seule communion serait une récompense surabondante pour le plus grand de tous les saints, que doivent penser et faire les prêtres et les fidèles qui la reçoivent fréquemment? Ouvrez les yeux parmi les épaisses ténèbres qui aveuglent des hommes, et élevez-les à la divine lumière pour connaître ces mystères. Regardez vos oeuvres comme fort insignifiantes, vos mérites comme fort mesquins, vos peines comme bien. légères, et votre reconnaissance comme bien insuffisante pour un si rare bienfait dont jouit la sainte Église; possédant sous les espèces eucharistiques Jésus-Christ un très-saint Fils qui ne demande qu'à le communiquer à tous les hommes pour les enrichir. Que s'il ne vous est pas possible de lui rendre un juste retour pour cette faveur, inestimable et pour tant d'autres que vous en recevez, du moins humiliez- vous 554 jusque dans votre néant, et croyez avec toute la sincérité de votre coeur que vous en êtes indigne. Glorifiez le Très-Haut, bénissez-le, et préparez-vous sans cesse à recevoir la communion avec de ferventes affections , disposée à souffrir plusieurs fois le martyre pour obtenir un si grand bien. CHAPITRE XII. La prière que notre Sauveur fit dans le jardin. - Les mystères qui. S'y passèrent, et ce que sa très-sainte Mère en connut. 1204. Par les merveilles que notre Sauveur opéra dans le cénacle, il fondait le royaume que le Père éternel lui avait donné par sa volonté immuable, et lorsque arriva la nuit qui termina le jeudi de la Cène, il résolut de marcher au rude combat de sa passion et de sa mort, par lequel la rédemption du genre humain devait être accomplie. Il sortit de la salle où il avait célébré tant de mystères, et au même moment sa très-sainte Mère sortit aussi de sa retraite pour aller au-devant de lui. Le Prince des éternités et notre auguste Reine se rencontrèrent, et aussitôt leurs coeurs furent si vivement transpercés d'un glaive de douleur, qu'il n'est pas possible aux hommes ni même aux 555 anges de sonder une plaie si profonde. La plus désolée des Mères se prosternant l'adora comme non Dieu et son Rédempteur véritable. Et le Seigneur la regardant avec une majesté divine et avec une tendresse filiale, lui dit ces seules paroles : " Ma Mère, je serai avec vous dans la tribulation; accomplissons la volonté de mon Père éternel et le salut des hommes. " Notre grande Reine s'offrit au sacrifice avec la fermeté d'un cœur magnanime, et demanda à son Fils sa bénédiction. Et après l'avoir reçue, elle s'en retourna dans sa retraite, où le Seigneur lui permit de rester, sans perdre de vue rien de ce qui lui arriverait et de ce qu'il opérerait, afin qu'elle l'imitât et coopérât en toutes choses, selon qu'elles la regardaient. Le maître de la maison qui était présent à celle douloureuse séparation, offrit alors par une inspiration divine sa maison et tout ce qui s'y trouvait à la bienheureuse Vierge, et la pria de sen servir tout le temps qu'elle demeurerait à Jérusalem; la Reine de l'univers accepta cette offre avec une humble reconnaissance. Les mille anges de sa garde qui l'assistaient toujours sous une forme visible à ses yeux seulement, restèrent près d'elle, et quelques-unes des saintes femmes qu'elle avait amenées lui tinrent aussi compagnie. 1205. Notre Rédempteur sortit de la maison du cénacle accompagné de tous les hommes qui avaient assisté aux deux Cènes et à la célébration des mystères; ensuite il y en eut plusieurs qui prirent congé de lui pour aller chacun où ses occupations 556 l'appelaient. Le Sauveur n'étant suivi que de ses douze apôtres, se rendit sur la montagne dés Oliviers, qui est proche de Jérusalem et à la partie orientale de cette ville. Et le perfide Judas, toujours vigilant et impatient de livrer son divin Maître, ne douta point qu'il n'allât passer la nuit en oraison , selon sa coutume, et crut que cette occasion était fort propre pour le mettre entre les mains de ses complices les scribes et les pharisiens. Dans cette malheureuse résolution il s'arrêta, et laissa avancer son adorable Maître et les autres apôtres, sans qu'ils s'en aperçussent alors, et aussitôt qu'ils furent un peu éloignés, il courut en toute hâte à sa perte. Troublé, agité, bouleversé, il trahissait l'infâme dessein qu'il couvait, et ne pouvant se défendre, malgré son orgueil, d'une sombre inquiétude, qui révélait le mauvais état de sa conscience, il arriva tout effaré à la maison des princes des prêtres. Il lui advint en chemin que Lucifer, voyant l'ardeur avec laquelle ce perfide travaillait à faire périr notre Seigneur Jésus-Christ, et soupçonnant plus que jamais qu'il était le véritable Messie, comme je l'ai dit au chap. X° , lui apparut sous la figure d'un de ses amis, très-méchant homme à qui il avait confié le secret de sa trahison. Sous cette figure le dragon infernal s'entretint avec Judas sans en être connu, et il lui dit que, bien qu'il eût approuvé le dessein. qu'il avait de vendre son maître pour les raisons qu'il lui avait exposées, il avait pourtant changé d'avis après avoir mûrement considéré cette entreprise, et qu'il serait sans doute mieux de ne point livrer son ennemi 557 aux princes des prêtres et aux pharisiens, parce qu'il n'était pas aussi méchant que lui Judas le pensait, qu'il ne méritait pas la mort, et qu'il pourrait bien s'échapper au moyen de quelques miracles, et punir sa tentative par les grands désagréments qu'il lui causerait. 1206. Lucifer se servit dans ses nouveaux doutes de ce stratagème pour empocher que le perfide disciple ne suivit ses premières inspirations contre l'Auteur de la vie. biais cette nouvelle ruse lui fut inutile, parce que Judas, qui avait volontairement perdu la foi, sans être borné aux conjectures du démon, aima mieux risquer la mort de son maître que de s'exposer à l'indignation des pharisiens en leur manquant de parole. Cette crainte et son avarice abominable lui firent mépriser le conseil de Lucifer, qu'il prenait pour cet homme dont j'ai parlé. Et comme il était privé de la grâce, il rie voulut point et ne put pas même se résoudre, malgré les instances du démon, à abandonner sa criminelle entreprise. Or, dans le temps que les princes des prêtres étaient assemblés afin de délibérer sur les moyens auxquels pourrait recourir Judas pour accomplir la promesse qu'il leur avait faite, le traître entra chez eux , et leur dit qu'il avait laissé son maître et les autres disciples sur la montagne des Oliviers, et qu'il croyait qu'ils pourraient facilement le prendre cette nuit, en usant de sages précautions, de peur qu'il ne leur échappât par (1) Matt., XIV, 44. 558 ses artifices ordinaires. Les princes des prêtres se réjouirent beaucoup de cet avis, et firent aussitôt préparer des gens armés pour aller saisir le très-innocent Agneau. 1207. Pendant que l'on faisait tous ces préparatifs, le Seigneur était avec les onze apôtres, et travaillait à notre salut éternel et à celui même de ceux qui ne songeaient qu'à le faire mourir. Ce fut un admirable débat entre la malice excessive des hommes et la bonté infinie de Dieu; que si cette lutte du bien et du mal commença dans le monde à partir du premier homme, ces deux principes extrêmes atteignirent en la mort de notre Rédempteur leur plus grand développement, puisque la malice humaine et la bonté divine déployèrent en ce moment l'une coutre l'autre toutes leurs ressources possibles : la première, en ôtant la vie et l'honneur au Créateur et au Rédempteur des hommes; la seconde, en les sacrifiant pour leur salut avec une immense charité. Il fut pour ainsi dire nécessaire dans cette occasion que l'âme très-sainte de notre Seigneur Jésus-Christ regardât sa très- pure Mère, et que sa Divinité eu fit de même, afin de trouver parmi les créatures un sujet capable d'attirer son amour et d'arrêter la justice divine. Car il considérait alors qu'en cette seule pure créature il recevrait dignement le fruit de la passion et de la mort que les hommes lui destinaient; la justice divine trouvait cri cette sainteté sans borne une certaine compensation à la malice des hommes, et les trésors des mérites de Jésus-Christ étaient mis en dépôt eu l'humilité, 559 en la fidélité et en la charité de cette auguste Dame, afin que l'Église renaquit ensuite et sortit des mérites et de la mort du même Seigneur, comme le phénix de ses cendres. Cette complaisance que l'humanité de notre Rédempteur prenait à considérer la sainteté de sa divine Mère, le fortifiait en quelque sorte pour vaincre la malice des mortels, et il reconnaissait que la patience avec laquelle il souffrait toutes ses peines n'était point inutile , puisqu'il trouvait entre les hommes sa bien- aimée et très-sainte Mère. 1208. Notre grande Princesse connaissait de sa retraite tout ce qui se passait, elle découvrit les pensées de l'obstiné Judas , et de quelle manière il s'écarta du collège des apôtres, comment Lucifer lui parla sous la figure de son ami, tout ce qui lui arriva dans la maison des princes des prêtres, et les préparatifs qu'ils firent pour prendre le Seigneur. On ne saurait exprimer la douleur que cette connaissance excitait dans le cœur de la très-pure Mère, ni les actes des vertus qu'elle pratiquait à la vue de tant de méchanceté, ni l'admirable conduite qu'elle tint dans tous ces événements; il suffit de dire que tout ce qu'elle fit eut une plénitude de sagesse et de sainteté souverainement agréable à la bienheureuse Trinité. Elle eut compassion de Judas, et pleura sa perte. Elle répara le crime de ce perfide disciple en adorant, en aimant et en glorifiant le même Seigneur, qu'il vendait par une si noire trahison. Elle était prèle à mourir pour ce malheureux, s'il eût été nécessaire. Elle pria pour ceux qui complotaient l'emprisonnement et la mort de 560 son divin Agneau, et les regardait comme des gages qui devaient être estimés et rachetés par le prix infini d'un si précieux sang et d'une vie si sainte; c'était le cas que cette très-prudente Dame en faisait. 1209. Notre Sauveur poursuivit son chemin vers la montagne des Oliviers, passa le torrent du Cédron, et entra dans le jardin de Gethsémani (1); et s'adressant à tous les apôtres qui le suivaient, il leur dit: " Asseyez-vous ici pendant que je m'en rai là pour prier, et priez de votre côté de peur que vous n'entriez en tentation (2). " Notre divin Maître leur donna cet avis afin qu'ils fussent constants en la foi contre les tentations qu'il leur avait annoncées lors de la Cène; il leur dit aussi qu'ils seraient tous scandalisés cette nuit de ce qu'ils lui verraient souffrir, que Satan les attaquerait pour les cribler (3) et les troubler par ses tromperies; que, comme il avait été prédit, le Pasteur devait être frappé et les brebis dispersées (4). Ensuite le Maître de la vie appela saint Pierre, saint Jean et saint Jacques (5), et se retira avec eux dans un autre endroit, où il ne pouvait être ni vu ni entendu des huit autres apôtres. Seul avec les trois premiers, il éleva les yeux vers le Père éternel, et le glorifia selon sa coutume; et voulant accomplir la prophétie de Zacharie (6), il demanda intérieurement qu'il fat permis à la mort de s'approcher de l'innocent (1) Joan., XVIII, 1. - (2) Matth., XXVI, 30; Luc., XXII, 40. - (3) Luc., XXII, 31. - (4) Zachar., XIII, 7. - (5) Marc., XIV, 33. - (6) Zachar , XIII, 7. 561 par excellence, et qu'il fût ordonné au glaive de la justice divine de s'éveiller et de marcher contre le Pasteur et contre l'homme uni à Dieu, pour exercer sur lui toute sa rigueur, et pour le frapper jusqu'à lui ôter la vie. C'est pour cela que notre Seigneur Jésus-Christ s'offrit de nouveau au Père pour satisfaire sa justice et, pour le rachat de tout le genre l'humain ; il permit aux tourments de la passion et de la mort de se faire ressentir en la partie passible de son humanité très-sainte, et suspendit dès lors la consolation qu'elle pouvait recevoir de la partie impassible, afin que par ce délaissement ses douleurs et ses afflictions arrivassent à leur plus haut degré. Le Père éternel approuva et permit tout cela selon la volonté de la très- sainte humanité du Verbe. 1210. Cette prière fut comme une permission par suite de laquelle s'ouvrirent les digues clés eaux amères de la passion, afin qu'elles inondassent l'âme de Jésus- Christ, comme il l'avait dit par David (1). Ainsi il commenta dès lors à s'attrister et à sentir de grandes angoisses, et dans cette désolation il dit aux trois apôtres : Mon âme est triste jusqu'à la mort (2). Et, comme ces paroles et la tristesse de notre Sauveur renferment de très-grands mystères pour notre instruction, je dirai quelque chose de ce qui m'en a été déclaré, ainsi que je le conçois. Le Seigneur permit que cette tristesse arrivât au plus haut degré auquel elle pouvait naturellement et miraculeusement arriver (1) Ps. LXVIII, 2. - (2) Marc., XIV, 34. 562 avec toute la possibilité que comportait son humanité très-sainte. Il ne s'attrista pas seulement en la partie inférieure de son âme par le désir de vivre, qui lui est naturel, mais aussi en la partie supérieure, où il prévoyait la réprobation de tant d'âmes pour lesquelles il devait mourir; et il savait que cette réprobation était conforme aux jugements et aux décrets impénétrables de la justice divine. Ce fut. là la cause de sa plus grande tristesse, comme nous le verrons plus loin. Il ne dit pas qu'il était triste pour la mort, mais jusqu'à la mort : parce que la tristesse qu'il avait des approches de la mort, à cause du désir naturel de la vie, fut moindre que celle que lui causait la connaissance de la réprobation de tant d'âmes. Et, outre qu'il s'était imposé la nécessité de mourir pour la rédemption da genre humain, sa très- sainte volonté était prête à surmonter ce désir naturel pour notre instruction, parce qu'il avait joui, eu la partie par laquelle il était voyageur, de la gloire du corps dans sa transfiguration. Car il se croyait comme obligé, à cause de cette jouissance, de souffrir en retour de cette gloire qu'il avait reçue en tant que voyageur, afin qu'il y eût du rapport entre ce qu'il avait reçu et ce qu'il donnait, et que nous fussions instruits de cette doctrine par ces trois apôtres qui furent témoins de cette gloire et de cette tristesse ; c'est dans ce but qu'ils furent choisis pour assister à l'un et à l'autre mystère, et ils le comprirent dans cette circonstance par une lumière particulière qui leur fut donnée à cet effet. 563 1211. Il fut aussi comme nécessaire, pour satisfaire l'amour immense que notre Sauveur Jésus-Christ avait pour nous, de permettre à cette tristesse mystérieuse de le plonger dans une mortelle agonie : car s'il n'en exit épuisé toute l'amertume, sa charité n'aurait point été rassasiée, et l'on n'aurait point connu si clairement que toutes les eaux des plus grandes tribulations n'étaient pas capables de l'éteindre (1). Il exerça dans les mêmes souffrances cette charité envers les trois apôtres qui étaient présents, et tout troublés de savoir que l'heure, s'approchait en laquelle notre divin Maître devait souffrir et mourir, comme il le leur avait lui-même annoncé par plusieurs prédictions. Ce trouble et cette crainte qu'ils éprouvaient les faisaient rougir intérieurement d'eux-mêmes, sans oser découvrir leur confusion; mais le très-doux Seigneur les encouragea en leur manifestant sa propre tristesse, et en leur faisant connaître qu'il l'aurait jusqu'à la mort, afin qu'en le voyant lui- même affligé, ils n'eussent pas honte de sentir les peines et les craintes dans lesquelles ils se trouvaient. Cette tristesse du Seigneur eut aussi un autre mystère à l'égard des trois apôtres Pierre, Jean et Jacques; car ils avaient entre tous les autres une plus haute idée de la divinité et de l'excellence de leur Maître, tant à cause de la sublimité de sa doctrine, de la sainteté de ses couvres et de la grande puissance qu'ils découvraient en ses miracles, que parce qu'ils les avaient toujours (1) Cant., VIII, 7. 564 plus vivement admirées et avaient considéré plus attentivement l'empire qu'il exerçait sur les créatures. Ainsi, pour les confirmer en la foi qui leur devait faire croire que le Sauveur était aussi un homme véritable et passible, il fut convenable qu'ils le vissent de leurs propres yeux triste et affligé comme un homme véritable, et qu'avec le témoignage de ces trois apôtres, privilégiés par de telles faveurs, la sainte Église pût étouffer les erreurs que le démon prétendrait y semer touchant la réalité de l'humanité de notre Seigneur Jésus-Christ; et enfin, que les autres fidèles trouvassent dans cet exemple un grand motif de consolation lorsqu'ils seraient dans les afflictions et dans la tristesse. 1212. Après que les trois apôtres eurent été éclairés par cette doctrine, l'Auteur de la vie leur dit : Demeurez ici, veillez et priez pour moi (1) : leur enseignant par ces paroles la pratique de tous les avis qu'il leur avait donnés, et leur recommandant de rester constamment unis à lui en sa doctrine et en la foi; de ne point se laisser entraîner du côté de l'ennemi; de se tenir sur leurs gardes et de veiller, pour suivre' et déjouer ses manoeuvres, et d'espérer fermement qu'après les opprobres de la passion ils verraient l'exaltation de son nom. Ensuite le Seigneur s'éloigna un peu des trois apôtres, et, se prosternant le visage contre terre, il pria le Père éternel et lui dit : Mon Père, s'il est possible, que ce calice soit détourné de moi (2). Notre (1) Matth., XXVI, 38. - (2) Ibid., 39. 565 Seigneur Jésus-Christ fit cette prière après être descendu du ciel avec une volonté efficace de souffrir et de mourir pour les hommes; après avoir méprisé l'ignominie de sa passion (1), qu'il avait volontairement embrassée, et renoncé à toutes les consolations que son humanité pouvait recevoir; après avoir recherché avec le plus ardent amour les afflictions, les douleurs, les affronts et la mort; après avoir fait une si grande estime des hommes, qu'il se résolut de les racheter au prix de son sang. Or, lorsque déjà il avait vaincu à ce point par sa sagesse divine et humaine la crainte naturelle qu'aurait pu lui inspirer la pensée de la mort, lorsqu'il l'avait surmontée par la force d'une charité qui ne saurait s'éteindre, il ne semble pas que cette seule crainte ait pu le porter à faire cette prière. C'est ce que j'ai connu par la lumière qui m'a été donnée sur les mystères cachés que cette même prière de notre Sauveur renfermait. 1213. Pour faire comprendre ce que j'ai appris à cet égard, il faut que je fasse remarquer que, dans cette occasion, notre Rédempteur Jésus-Christ traitait avec le Père éternel de la plus grande affaire qu'il eût entreprise, et c'était la rédemption du genre humain, et le fruit de sa passion et de sa mort sur la croix pour la prédestination secrète des saints. Dans cette prière, le Sauveur représenta au Père éternel ses peines; son très-précieux sang et sa mort, qu'il offrait, de son côté, comme un prix très-surabondant pour tous les (1) Hebr., XII, 2. 566 mortels, et pour chacun de ceux qui étaient nés et de ceux qui devaient naître jusqu'à la fin du monde : et du côté du genre humain, il lui représenta tous les péchés, toutes les infidélités, toutes les ingratitudes et tous l'es mépris dont les méchants se rendraient coupables pour se priver du fruit de la passion et de la mort qu'il acceptait et qu'il subirait pour eux, et pour ceux-là mêmes qui, ne profitant pas de sa clémence, devraient être condamnés aux peines éternelles. Et autant notre Sauveur mourait volontiers et comme par inclination pour ses amis les prédestinés, autant les souffrances et la mort lui étaient amères et pénibles par rapport aux réprouvés; parce que de leur côté il ne se trouvait aucune raison finale pour laquelle le Seigneur dût subir une mort si ignominieuse. Sa Majesté donna à la douleur qu'il ressentait le nom de calice, terme dont les Hébreux se servaient pour exprimer ce qui il f avait de plus affligeant, comme le Seigneur le témoigna lorsqu'il demanda aux enfants de Zébédée s'ils pouvaient boire le calice qu'il boirait (1). Ce calice était d'autant plus amer à notre Seigneur Jésus-Christ, qu'il savait mieux que ses souffrances et sa mort seraient non-seulement inutiles aux réprouvés, mais quelles leur seraient une occasion de scandale et leur attireraient un châtiment plus terrible, à cause de l'abus et du mépris qu'ils en feraient (2). 1214. J'ai donc compris que la prière de notre Seigneur Jésus-Christ fut de demander au Père qu'il (1) Matth., XX, 22. - (1) I Cor., I, 23. 567 détournât de lui ce calice très-amer de mourir pour les réprouvés; et que sa mort étant inévitable, personne, s'il était possible, ne se perdit, puisque la rédemption qu'il offrait était surabondante pour tous les hommes, et autant que cela dépendait de sa volonté il l'appliquait à tous, afin que, s'il était possible, elle fût efficacement utile à tous; sinon, il soumettait sa très-sainte volonté à celle de son Père éternel. Notre Sauveur fit à trois différentes reprises cette même prière (1), et étant dans l'agonie il pria avec un redoublement de ferveur, comme le dit saint Luc (2), selon que l'exigeait l'importance de l'affaire qu'il traitait. Il y eût dans cette prière comme une espèce de débat entre l'humanité de Jésus-Christ et la divinité. Car l'humanité, par le grand amour qu'elle avait pour les hommes, qui étaient de la même nature, souhaitait que tous obtinssent le salut éternel par sa passion. Et la divinité représentait, selon notre manière de concevoir, que par ses très-hauts jugements le nombre des prédestinés était déterminé, et que, suivant l'équité de sa justice, le don de la gloire ne devait point être accordé à ceux qui en faisaient un si grand mépris, et qui se rendaient volontairement indignes de la vie spirituelle par leur résistance opiniâtre à Celui qui la leur procurait et qui la leur offrait. De cette espèce de débat résultèrent l'agonie de Jésus-Christ et la longue prière qu'il fit, alléguant la puissance de son Père éternel, et que toutes choses étaient possibles à sa majesté et à sa grandeur infinie (3). (1) Matth., XXVI, 44. - (2) Luc., XXII, 43. - (3) Marc., XIV, 36. 568 1215. Cette agonie augmenta en notre Sauveur par la force de sa charité et par la prévision des obstacles qu'il savait que les hommes mettraient à ce que sa passion et sa mort profitassent à tous. Alors il sua de grosses gouttes de sang en si grande abondance, qu'elles découlaient jusqu'à terre (1). Et, quoique sa prière fût conditionnelle et que l'objet de sa demande ne lui fût point accordé, parce que la condition posée ne devait point être remplie de la part des réprouvés, il obtint du moins que les secours seraient grands et fréquents pour tous les mortels, et qu'ils seraient augmentés pour ceux qui ne les repousseraient point et qui voudraient en user; que les justes et les saints participeraient avec une grande abondance au fruit de la rédemption, et que la plupart des grâces dont les réprouvés se rendraient indignes leur seraient attribuées. Et la volonté humaine de Jésus-Christ se conformant à la volonté divine, il accepta la passion respectivement pour tous les hommes, pour les réprouvés comme suffisante, comme devant leur assurer des secours suffisants s'ils voulaient s'en servir; et pour les prédestinés, comme efficace, parce qu'ils coopèreraient à la grâce. Ainsi fut disposé et comme effectué le salut du corps mystique de la sainte Église sous son chef et son fondateur notre Seigneur Jésus-Christ (2). 1216. Et pour la plénitude de ce divin décret, lorsque le Sauveur, dans son agonie, priait pour la (1) Luc., XXII, 44. - (2) Coloss., I, 18. 569 troisième fois, le Père éternel lui envoya l'archange saint Michel (1), afin qu'il lui répondit et le fortifiât d'une manière sensible, en lui communiquant par la voie des organes corporels ce que le Seigneur savait par la science de son âme très-sainte; car l'ange ne lui pouvait rien dire qu'il ignorât, pas plus qu'il ne pouvait opérer, pour remplir sa mission, aucun autre effet dans l'intérieur du divin Maître. Mais, comme je l'ai dit ailleurs, notre Seigneur Jésus-Christ suspendait toutes les consolations qui pouvaient rejaillir de sa science et de son amour sur sa très-sainte humanité, l'abandonnant en tant que passible à tout ce que les souffrances avaient de plus rigoureux, ainsi qu'il le témoigna depuis sur la croix; et au lieu de ces consolations, il reçut quelque adoucissement à ses peines par l'ambassade du saint archange, au moins du coté des sens, par un effet analogue à celui que produit la science ou connaissance expérimentale de ce que l'on savait auparavant par la théorie : car l'expérience a toujours quelque chose de neuf pour les sens, et excite d'une manière particulière les facultés naturelles. Ce que saint Michel dit au Sauveur de la part du Père éternel, en s'adressant à sa raison humaine, consista à lui représenter qu'il n'était pas possible (comme sa Majesté le savait) que ceux qui ne voudraient pas se sauver fussent sauvés; mais qu'au gré divin le nombre des prédestinés était inestimable, quoiqu'il fût moindre que celui des réprouvés; que parmi eux se trouvait au (1) Luc., XXII, 43. 570 premier rang sa très-sainte Mère, ce fruit si digne de sa rédemption; que les patriarches, les prophètes, les apôtres, les martyrs, les vierges et les confesseurs en profiteraient aussi pour se signaler dans son amour et opérer des choses admirables à la gloire du saint nom du Très-Haut; et l'ange lui nomma plusieurs de ceux-ci après les apôtres, entre autres les fondateurs des ordres religieux , dont il lui marqua les qualités particulières. Il lui exposa également d'autres grands mystères qu'il n'est pas nécessaire de mentionner ici; je n'ai d'ailleurs pas ordre d'en parler, et ce que j'ai dit suffit pour suivre le cours de cette histoire. 1217. Dans les intervalles de cette prière que fit notre Sauveur, les évangélistes disent qu'il retourna vers les apôtres pour les exhorter à veiller, à prier, à se garder de la tentation (1). Le très-vigilant Pasteur fit cela pour apprendre par son exemple aux prélats de son Église quel soin ils doivent avoir de ses brebis; car si notre Seigneur Jésus-Christ a, pour s'en occuper, interrompu une prière si importante, il est facile d'en conclure ce que les prélats doivent faire, et combien ils sont obligés de préférer le salut de ceux qui leur sont soumis à tout autre intérêt. Pour connaître le besoin que les apôtres avaient d'être secourus, il faut remarquer qu'après que le Dragon infernal eut été chassé du cénacle, comme je l'ai raconté; et fut resté quelque temps terrassé su fond de l'abîme, le Seigneur lui permit ensuite d'en sortir, parce que sa (1) Matth., XXVI, 41; Marc., XIV, 38. - (2) Luc., XXII, 40. malice devait servir à l'exécution des décrets du TrèsHaut. A l'instant une multitude de démons circonvinrent Judas pour l'empêcher de vendre son maître, par tous les moyens que j'ai rapportés. Et comme ils ne parvinrent point à le dissuader de son projet sacrilège, ils tournèrent leur rage contre les autres apôtres, soupçonnant qu'ils avaient reçu quelque grande faveur de leur Maître dans le cénacle, et Lucifer tenait à en découvrir la nature pour tâcher d'en prévenir les effets. Notre Sauveur connut ce cruel acharnement du prince des ténèbres et de ses ministres, et, comme un père charitable et un prélat vigilant, il alla trouver ses enfants encore faibles, ses disciples encore novices, qui étaient ses apôtres, il les réveilla et leur recommanda de prier et de se tenir sur leurs gardes, afin qu'ils n'entrassent point en tentation et qu'ils évitassent les surprises de leurs ennemis, qui les menaçaient dans l'ombre et leur tendaient des pièges sans qu'ils s'en doutassent. 1218. Il revint donc su lieu où il avait quitté les trois apôtres, qui ayant été les plus favorisés, avaient plus de sujet de veiller et d'imiter leur divin Maître. Mais il les trouva endormis ; s'étant laissé abattre par l'ennui et la tristesse qui les accablaient, ils étaient tombés dans une espèce de tiédeur et d'apathie que suivit ce dangereux sommeil. Avant que de les éveiller, il les considéra et pleura un moment sur eux, les voyant plongés par leur négligence dans- cette nuit funeste de la paresse, pendant que Lucifer était si vigilant pour les perdre. Puis il s'adressa à Pierre, et lui 572 dit : Quoi ! Simon , vous dormez? Vous n'avez pu seulement veiller une heure avec moi (1)? S'adressant ensuite et à lui et aux autres, il leur dit: Veillez et priez, afin que vous n'entriez point en tentation, car mes ennemis et les vôtres ne dorment point comme vous. La raison pour laquelle il reprit saint Pierre, fut non- seulement parce qu'il l'avait choisi pour être le chef et le supérieur de tous, et parce qu'il s'était distingué entre les antres disciples par ses protestations de mourir pour le Seigneur et de ne le point renoncer, quand même tous les autres se scandaliseraient à son sujet, l'abandonneraient et le renonceraient; mais il le reprit encore parce que ces mêmes protestations que l'apôtre avait faites du coeur le plus sincère, lui méritaient l'avantage d'être repris et averti d'une manière spéciale. Il est certain, en effet, que le Seigneur corrige ceux qu'il aime, et que nos bonnes résolutions lui sont toujours agréables, quand même nous ne les accomplirions pas dans la suite, comme il arriva à saint Pierre, le plus fervent des disciples. Je parlerai dans le chapitre suivant de la troisième fois que notre Rédempteur Jésus-Christ revint pour réveiller tous les apôtres, quand Judas s'approchait pour le livrer à ses ennemis. 1219. Retournons au cénacle, où la Reine de l'univers était avec les saintes femmes qui l'accompagnaient, voyant avec la plus grande clarté dans la divine lumière tous les mystères que son très-saint (1) Marc., XIV, 37 et 38. 573 Fils opérait dans le jardin, sans qu'aucune circonstance lui fût cachée. Au même moment que le seigneur se retira avec les trois apôtres Pierre, Jean et Jacques, notre auguste Dame se retira de la compagnie des femmes dans une autre chambre, et emmena avec elle les trois Marie , dont elle établit Marie-Madeleine supérieure. Quant aux autres femmes, elle les avait quittées , après les avoir exhortées à prier et à veiller, afin qu'elles n'entrassent point en tentation. Lorsqu'elle fut seule avec ses trois disciples les plus familières, elle supplia le Père éternel de suspendre en elle toutes les consolations qui pouvaient l'empêcher de sentir en son corps et en son âme avec. son très-saint Fils et à son imitation, ce que les souffrances ont de plus rigoureux, et de permettre qu'elle souffrit en son corps les douleurs des plaies que le Seigneur devait recevoir. La bienheureuse Trinité approuva et exauça cette prière : ainsi la divine Mère ressentit dans une certaine mesure les douleurs de son adorable Fils, comme je le dirai en son lieu. Elles furent si violentes, qu'elle en serait morte plusieurs fois, si la droite du Très-Haut ne l'eût miraculeusement soutenue; mais sous un autre rapport, ces douleurs que lui dispensait la main du Seigneur, allégèrent et garantirent en quelque sorte sa vie; car avec son immense et brûlant amour, rien n'aurait pu lui être plus mortellement pénible que de voir souffrir et mourir son bien-aimé Fils sans endurer personnellement avec lui les mêmes peines. 1220. L'auguste Vierge choisit les trois Marie pour 574 assister avec elle à la passion, et elles furent, en raison de ce choix, favorisées d'une plus grande grâce que les autres femmes, et éclairées d'une plus vive lumière des mystères de Jésus-Christ. Quand la plus sainte des mères se fut retirée avec les trois Marie, elle sentit aussitôt une nouvelle tristesse, et s'adressant à ses compagnes : " Mon âme, leur dit-elle, est triste de ce que mon bien-aimé Fils et Seigneur doit souffrir et mourir sans que je puisse mourir avec lui au milieu des mêmes tourments. Priez, mes amies, afin que vous ne soyez point surprises par la tentation. " Ayant dit ces paroles, elle se mit un peu à l'écart, et s'unissant à la prière que notre Sauveur faisait dans le jardin, elle exprima les mêmes désirs pour ce qui la concernait, et selon la connaissance qu'elle avait de la volonté humaine de son très-saint Fils; et après s'être rapprochée des trois femmes aux même s intervalles pour les encourager (car elle connut aussi la rage que le Dragon avait contre elle), elle continua sa prière et tomba dans une agonie pareille à celle du Sauveur. Elle pleura la perte des réprouvés, parce qu'elle découvrit mieux alors les grands mystères de la prédestination et de la réprobation éternelle. Et pour imiter en tout le Rédempteur du monde et coopérer avec lui, elle eut une sueur de sang semblable à celle du Seigneur, et l'archange saint Gabriel lui fut envoyé par ordre de la très-sainte Trinité pour la fortifier, comme saint Michel avait été envoyé à notre Sauveur. Le saint prince lui déclara là volonté du Très-Haut dans les mêmes termes que le 575 premier archange avait parlé à son très-saint Fils; car ils faisaient l'un et l'autre la même prière, et la cause dé leur tristesse était aussi la même; et c'est pourquoi il y eut de la conformité entre leurs actes et entre leurs visions, bien entendu avec les différences convenables. J'ai appris que dans cette circonstance, la très-prudente Dame avait préparé quelques linges, prévoyant ce qui devait arriver en la passion de son bien-aimé Fils; et alors elle chargea quelques-uns de ses anges de se rendre avec un morceau de toile au jardin, oh le Seigneur suait du sang, afin d'essuyer sa face vénérable, et c'est ce que firent lés ministres du Très-Haut, car sa Majesté voulut bien, pour l'amour de sa Mère et pour lui augmenter son mérite, recevoir cette pieuse et tendre marque de son affection. Quand arriva l'heure où les ennemis du Sauveur se saisirent de sa personne, sa Mère désolée l'annonça aux trois Marie, qui commencèrent- à se lamenter en versant des torrents de larmes, surtout la Madeleine qu'enflammait une plus amoureuse ferveur. Instruction que notre auguste Maîtresse m'a donnée. 1221. Ma fille, tout ce que vous avez connu et écrit dans ce chapitre est un avis de la plus haute importance pour vous et pour tous les mortels, si vous y réfléchissez avec attention. Pesez-les donc en votre 576 esprit et méditez sérieusement sur cette capitale affaire de la prédestination ou réprobation éternelle des :tores, puisque mon très-saint Fils l'a traitée lui-même si sérieusement, et que la difficulté ou l'impossibilité qu'il y a que tous les hommes soient sauvés, lui a rendu si amère la passion et la mort, qu'il acceptait et subissait pour le remède de tous. Dans ce pénible combat, il a fait connaître toute l'importance de cette affaire; et c'est pour cela qu'il redoubla ses prières auprès de son Père éternel; tandis que l'amour qu'il avait pour les hommes lui faisait suer avec abondance son propre sang d'un prix inestimable, parce que sa mort ne pouvait pas profiter à tous, à cause de la malice avec laquelle les réprouvés se rendraient indignes de participer à ses effets. Mon Fils mon Seigneur a de quoi justifier sa cause, en ce qu'il a offert à tous le salut par son amour et par ses mérites infinis; et celle du Père éternel est aussi justifiée en ce qu'il a donné au monde ce remède , et qu'il l'a mis devant chaque homme, de sorte qu'il pût étendre la main vers la mort ou vers la vie, vers l'eau ou vers le feu (1), en connaissant la distance qui les sépare. 1222. Mais comment les hommes prétendront-ils s'excuser ou se disculper d'avoir oublié leur propre salut éternel, lorsque mon adorable Fils et moi avec lui le leur avons procuré avec une telle sollicitude, et avons souhaité avec une si grande ardeur qu'ils le reçussent? Et si aucun des mortels ne saurait se disculper (1) Eccles., XV, 17 et 18. 577 de sa négligence et de sa folie, combien moins le pourront, su jour du jugement, les enfants de la sainte Église, eux qui ayant reçu la foi de ces mystères ineffables, se distinguent néanmoins fort peu des infidèles et des idolâtres par la vie qu'ils mènent ! Ne vous imaginez pas, ma fille, qu'il ait été écrit en vain qu'il y a beaucoup d'appelés, et peu d'élus (1). Tremblez à cette sentence, et renouvelez dans votre coeur le soin et le zèle de votre salut selon l'obligation qu'a augmentée pour. vous la connaissance de tant de sublimes mystères. Et quand vous ne le feriez pas en vue de la vie éternelle et dans l'intérêt de votre propre bonheur, vous devriez le faire pour répondre à l'affection que je vous témoigne en vous révélant tant de divins secrets, et si je vous nomme ma fille et l'épouse de mon Seigneur, vous devez comprendre que votre rôle doit se borner à aimer et à souffrir sans la moindre attention à aucune chose visible, puisque je vous appelle à suivre mon exemple; et afin que vous le suiviez fidèlement, je veux que votre prière soit continuelle, et que vous veilliez avec moi une heure, c'est-à-dire tout le temps de la vie mortelle, qui, comparée avec l'éternité, est moins qu'une heure et qu'un instant. Voilà les dispositions dans lesquelles je veux que vous poursuiviez le récit des mystères de la passion, que vous vous en pénétriez, et que vous les graviez dans votre coeur. (1) Matth., XX, 16. 578 CHAPITRE XIII. La prise de notre Sauveur par la trahison de Judas. - Ce que la très-pure Marie fit dans cette occasion, et quelques mystères qui s'y passèrent. 1223. Dans le même temps que notre Sauveur Jésus-Christ priait son Père éternel sur la montagne des Oliviers, et travaillait au salut de tout le genre humain, le perfide disciple Judas s'empressait pour le livrer aux princes des prêtres et aux pharisiens. Et comme Lucifer et ses ministres ne purent détourner Judas et ses complices de l'inique dessein qu'ils avaient de faire mourir leur Créateur et leur Maître, cet esprit rebelle changea lui-même de résolution par une nouvelle malice, et poussa les Juifs à exercer les plus grandes cruautés sur la personne sacrée du Seigneur. Le dragon infernal soupçonnait fort, comme je l'ai déjà dit, que cet homme si extraordinaire était le Messie et Dieu véritable; c'est pourquoi il voulait, pour s'en assurer, faire de nouvelles expériences par le moyen des injures les plus sanglantes qu'il suggérait contre le Sauveur aux Juifs et à leurs satellites, en leur communiquant aussi son orgueil et son effroyable envie. Ce que Salomon avait écrit au livre de 579 la Sagesse (1) s'accomplit donc à la lettre dans cette occasion. Car il parut à Satan que si Jésus-Christ n'était point Dieu, mais un simple mortel , il se laisserait abattre par la persécution et par les tourments, et qu'ainsi il en triompherait; et que s'il était Dieu, il le ferait assez connaître en se tirant des mains de ses ennemis et en opérant de nouvelles merveilles. 1224. L'envie des princes des prêtres et des scribes se ralluma aussi sous le nième source de téméraire impiété, et incontinent ils assemblèrent une troupe nombreuse à la sollicitation de Judas, qui devait être son guide, et la chargèrent d'aller avec un tribun, quelques soldats idolâtres et beaucoup de juifs, se saisir du très-innocent Agneau qui attendait l'événement, et pénétrait toutes les pensées des princes des prêtres, comme Jérémie l'avait prophétisé expressément (2). Tous ces ministres d'iniquité sortirent de la ville, et prirent le chemin de la montagne des Oliviers; ils étaient adnés et munis de cordes, de chaînes, de flambeaux et de lanternes (3), suivant les dispositions arrêtées par l'auteur de la trahison , ce perfide craignant que sou très-doux Maître, qu'il prenait pour un magicien, ne fit quelque prodige pour se dérober à leurs recherches : comme si les armes et les mesures des hommes eussent pu prévaloir contre la puissance divine, s'il eût voulu s'en servir, comme il le pouvait, et comme il l'avait fait dans d'autres occasions avant que cette heure déterminée arrivât, en (1) Sap., II, 17, etc. - (2) Jerem., XI, 19. - (3) Joan., XVIII, 3. 580 laquelle il devait lui-même se livrer volontairement à la passion, aux outrages et à la mort de la croix ! 1225. Comme ils s'approchaient, sa Majesté revint pour la troisième fois vers ses disciples, et les ayant trouvés endormis, il leur dit: Vous pouvez maintenant dormir et vous reposer; l'heure est venue, en laquelle vous verrez que le Fils de l'homme sera livré entre les mains des pécheurs. Mais c'est assez; levez-vous, allons, car celui qui me. doit livrer est près d'ici, il m'a déjà vendu (1). Le Maître de la sainteté adressa ces paroles aux trois apôtres les plus privilégiés, sans leur témoigner la moindre aigreur, et au contraire, avec beaucoup de patience et de douceur. Pour eux, ils étaient si confus qu'ils ne savaient , porte le texte sacré, que répondre au Seigneur (2). Ils se levèrent aussitôt, et il alla avec eux trois joindre les huit autres à l'endroit où il les avait laissés, et les trouva aussi endormis de tristesse. Notre divin Maître voulut qu'ils marchassent tous réunis sous la conduite de leur chef, en forme de communauté et d'un corps mystique à la rencontre des ennemis, leur enseignant ainsi la force que possède une communauté, parfaite pour vaincre le démon et ses partisans, et pour n'en être point vaincue; parce qu'un triple lien, comme dit l'Ecclésiaste (3), est rompu difficilement; et si quelqu'un prévaut contre un seul, deux pourront lui résister, car e est là le prix de l'union (4). Le Seigneur (1) Marc., XIV, 41. - (2) Ibid., 40. - (3) Eccles., IV, 12. - (4) Ibid., 9; V, 12. 581 instruisit de nouveau tous les apôtres, et les prépara à l'événement. Bientôt on entendit le bruit des soldats et des ministres qui venaient pour le prendre. Le Sauveur alla au-devant d'eux, et au même instant il dit intérieurement. avec une profonde émotion et un air si majestueux, qu'il faisait éclater quelque chose de sa Divinité : " Passion si désirée, douleurs, plaies, outrages, peines, afflictions, mort ignominieuse, venez, venez enfin, venez vite; car l'incendie de l'amour qui me consume pour le salut des hommes, vous attend comme son aliment propre : approchez-vous de Celui qui est très-innocent entre les créatures; il connaît ce que vous valez, il vous a cherchés, il vous a souhaités, et il vous accepte librement et avec joie; je vous ai achetés par les grands désirs que j'ai eus de vous avoir, et je vous estime à votre juste prix. Je veux réparer le mépris que l'on fait de vous, vous anoblir et vous revêtir du plus haut caractère. Que la mort vienne, afin qu'en la subissant sans l'avoir méritée, je remporte." sur elle le triomphe, et que je mérite la vie à ceux qui ont reçu cette mort en châtiment du péché (1)." Je permets que mes amis m'abandonnent (2) ; car je veux, et je puis moi seul entrer dans la lice pour assurer à tous la victoire. " 1226. Pendant que l'Auteur de la vie disait ces paroles, Judas s'avança pour donner à ses complices le signe dont ils étaient convenus ensemble, savoir, (1) Os., XIII, 14. - (2) Isa., LXIII, 5. 582 que son maure était celui qu'il saluerait, et auquel il donnerait le perfide baiser de paix (1) ; leur recommandant de se saisir aussitôt de sa personne, et surtout de ne point en prendre un autre pour lui. Le malheureux disciple usa de toutes ces précautions, non-seulement à cause de la cupidité qui le dévorait et de la haine qu'il avait conçue contre son divin Maître, ruais aussi à cause des frayeurs qui s'emparèrent de lui : car il semblait à ce misérable que si notre Seigneur Jésus- Christ ne mourait point dans cette occasion, il serait obligé de retourner en sa compagnie, et, redoutant la confusion qu'il éprouverait en sa présence plus que la mort de son âme et plus que celle de son adorable Maître, il brûlait, pour éviter cette honte, de consommer au plus tôt sa trahison, et de voir l'Auteur de la vie périr entre les mains de ses ennemis. Or, le traître aborda le très doux Seigneur; et, dissimulant sa haine avec l'art de la plus insigne hypocrisie, il le baisa en lui disant : Je tous salue, Maître (2); et c'est par ce trait infâme de Judas que s'acheva, pour ainsi dire, l'instruction du procès de sa perte, et que fut définitivement justifiée la cause de Dieu, qui allait dès lors lui retrancher ses grâces et ses secours. Car le perfide distille combla la mesure de sa malice et de son audace impie lorsque, méconnaissant la sagesse qu'avait notre Seigneur Jésus-Christ, comme Dieu et comme homme, pour découvrir sa trahison, et la puissance qu'il avait de l'anéantir, (1) Matth., XXVI, 48. - (2) Marc., XIV, 45. 583 il prétendit lui cacher sa méchanceté sous l'apparente affection d'un disciple fidèle, et cela pour livrer aux tourments et à une mort si ignominieuse son Créateur et son Maître, de qui il avait reçu tant de bienfaits. Il renferma dans cette seule trahison tant de péchés si énormes, qu'il n'est pas possible d'en exprimer la malice; car il fut infidèle, parricide et sacrilège, ingrat, inhumain et désobéissant, menteur, avare, impie, et maître de tous les hypocrites; et il tourna tout cela contre la personne même de Dieu incarné. 1227. D'autre part, la miséricorde ineffable du Seigneur et l'équité de sa justice furent aussi justifiées, (le sorte qu'il accomplit parfaitement ces paroles de David : J'étais pacifique avec ceux qui haïssaient la paix; et quand je leur parlais, ils m'attaquaient sans sujet (1). Le Sauveur réalisa ce mot prophétique avec iule perfection si éminente, qu'au même moment où Judas le baisait et en recevait cette très-douce réponse : Mon ami, pourquoi êtes-vous venu (2)? il lui envoya, par l'intercession de sa bienheureuse Mère, une nouvelle et très-vive lumière qui fit connaître à ce perfide l'horrible noirceur de sa trahison, le châtiment dont il était menacé, s'il ne réparait son crime par nue sincère pénitence; et que , s'il voulait y recourir, il obtiendrait sou pardon de la divine clémence. Ce que Judas entendit dans ces paroles de notre Seigneur Jésus-Christ fut comme si sa Majesté lui eût dit (1) Ps. CIX, 7. - (2) Matth., XXVI, 50. 584 intérieurement celles -ci : " Sachez , mon ami, que vous vous perdez, et que vous vous éloignez de ma miséricorde par cette trahison. Si vous voulez mon amitié, je ne vous la refuserai pas pour cela, pourvu que vous vous repentiez de votre péché. Considérez l'impiété que vous commettez en me livrant par un baiser. Souvenez- vous des bienfaits que vous avez à reçus de mon amour, et que je suis le Fils de la Vierge qui vous a aussi particulièrement favorisé dans votre apostolat par les leçons et par les conseils d'une tendresse tout à fait maternelle. A sa seule considération vous deviez ne point commettre une telle trahison que de vendre et livrer son propre Fils, puisqu'elle ne vous a jamais désobligé; tant de douceur et tant de charité dont elle a usé à votre égard ne méritaient pas d'aussi cruelles représailles. Mais, quoique votre crime soit consommé, ne rejetez pas son intercession, qui seule sera puissante auprès de moi ; elle m'a si souvent demandé pour vous le pardon et la vie, que je veux bien vous les offrir encore. Soyez certain que nous vous aimons, parce que vous habitez encore le séjour de l'espérance; nous ne vous refuserons point notre amitié si vous la désirez. Et si vous la rejetez, vous encourrez notre indignation et votre punition éternelle. " Cette divine semence ne produisit aucun fruit dans le coeur du malheureux disciple, plus dur que le diamant et plus cruel que celui du tigre, puisque, résistant à la divine miséricorde, il s'abandonna au désespoir, comme je le dirai dans le chapitre suivant. 585 1228. Judas ayant donné le signe du baiser, l'Auteur de la vie et ses disciples se trouvèrent face à face avec la troupe de soldats qui venaient pour le prendre; c'était la rencontre des deux escadrons les plus différents et les plus opposés qu'il y eût jamais dans le monde. Car d'un côté était notre Seigneur Jésus-Christ, Dieu et homme véritable, comme capitaine et chef de tous les justes, suivi des onze apôtres, qui étaient et devaient être les plus illustres et les plus vaillants soldats de soit Église; il était aussi accompagné de l'armée innombrable des esprits angéliques, qui, admirant ce spectacle, le bénissaient et l'adoraient. De l'autre côté venait Judas, comme auteur de la trahison, tout armé d'hypocrisie et de méchanceté, escorté d'une foule de bourreaux juifs et idolâtres pour exécuter cette trahison avec la plus grande cruauté. Parmi eux se trouvait Lucifer avec des milliers de démons, excitant Judas et ses compagnons à porter hardiment leurs mains sacrilèges sur leur Créateur. Sa Majesté, s'adressant aux soldats avec nue grande autorité, malgré son désir incroyable de souffrir, leur demanda : Qui cherchez-vous? Ils lui répondirent : Jésus de Nazareth. Le Seigneur leur dit : C'est moi (1). Dans cette dernière réponse, si précieuse, si essentielle pour le bonheur du genre humain, Jésus-Christ se déclara notre Rédempteur, nous donnant des gages assurés de notre remède et des espérances du salut éternel, qui ne nous était accordé que parce qu'il s'offrait volontairement à nous racheter par sa passion et par sa mort. (1) Joan., ( ?) II, 4 et 5. 586 1229. Les ennemis ne découvrirent point ce mystère, et ne comprirent pas le sens véritable de cette parole : C'est moi. Mais la bienheureuse Mère et les anges le pénétrèrent entièrement, et les apôtres le connurent aussi. Et ce fut comme si le Seigneur leur eût dit : Je suis Celui qui suis, et je l'ai déclaré à mon prophète Moïse (1); car je suis par moi-même, et toutes les créatures tiennent de moi leur être et leur existence : je suis éternel, immense, infini, un par la substance et par les attributs, et, cachant ma gloire, je me suis fait homme afin de racheter le monde par le moyen de la passion et de la mort que vous voulez me faire souffrir. Comme le Seigneur dit cette parole en vertu de sa divinité, il ne fut pas possible aux ennemis d'y résister, et aussitôt qu ils l'eurent ouïe, ils tombèrent tous par terre à la renverse (2). Non-seulement les soldats furent terrassés, mais les chiens qu'ils menaient et les quelques chevaux sur lesquels ils étaient montés tombèrent aussi, réduits à l'immobilité des rochers. Lucifer et ses démons, abattus parmi les autres, se sentirent accablés d'une nouvelle confusion et déchirés par de nouveaux tourments. Ils restèrent dans cet état environ un demi-quart d'heure sans aucun mouvement. O parole mystérieuse par le sens et d'une force plus qu'invincible! Que le sage ne se glorifie pas dans sa sagesse, et que le fort ne se glorifie pas dans sa force (3); que l'orgueil et l'arrogance des enfants de Babylone soient confondus, puisqu'une (1) Exod., III, 14. - (2) Joan., XVIII, 6. - (3) Jerem., IX, 23. 587 seule parole sortie de la bouche du Seigneur avec tant de douceur et d'humilité déjoue tous les efforts et détruit toute la présomptueuse puissance des hommes et de l'enfer. Que les enfants de l'Église sachent aussi que les victoires de Jésus-Christ se remportent en confessant la vérité et en laissant passer la colère (1); en imitant sa douceur et son humilité de coeur (2), et en ne triomphant que dans la défaite, avec une simplicité de colombe et avec fine douceur d'agneau, sans opposer la résistance de loups furieux et affamés. 1230. Notre Sauveur regarda avec les onze apôtres l'effet de sa divine parole dans le renversement de ces ministres d'iniquité, et contempla en eux d'un air affligé l'image de la punition des réprouvés; il exauça l'intercession de sa très-sainte Mère, qui le pria de les laisser se relever, car sa divine volonté avait déterminé de le permettre par ce moyen. Et, quand il fut temps de leur accorder cette permission, il pria le père éternel et lui dit : " Mon Père, Dieu éternel, vous avez mis toutes choses entre mes mains (3), et a avez laissé à ma volonté la rédemption du genre humain, que votre justice demande. Je veux très volontiers la satisfaire avec plénitude, et nie livrer à la mort pour mériter à mes frères la participation à vos trésors et le bonheur éternel toue vous leur avez préparé. " Par suite de cette volonté efficace, le Très-Haut permit aux hommes, aux démons et aux pètes de se relever et de revenir à leur premier état. (1) Rom., XII, 19. - (2) Matth., XI, 29. - (3) Joan., XIII, 3. 588 Alors notre Sauveur leur demanda pour la seconde fois : Qui cherchez-vous? Ils lui dirent: Jésus de Nazareth (1). Sa Majesté leur répondit avec la plus grande douceur : Je vous ai dit que c'était moi : si c'est donc moi que vous cherchez, laissez aller ceux que vous voyez ici (2). Par ces paroles, le Seigneur donna aux ministres et aux soldats le pouvoir,, de le prendre et d'exécuter ce qu'ils avaient résolu; et c'était, sans qu'ils le comprissent, de charger sa divine personne de toutes nos douleurs et de toutes nos infirmités (3). 1231. Le premier qui s'avança témérairement pour saisir l'Auteur de la vie fut un nommé Malchus, serviteur du pontife. Et, quoique tous les apôtres fussent troublés, affligés, effrayés, saint Pierre s'enflamma plus que les autres du zèle de l'honneur et de la défense de son divin Maître; il tira une épée qu'il avait, et, en frappant Malchus, il lui coupa et détacha une oreille (4). Et le coup lui aurait fait une plus grande blessure si la providence divine du Maître de la patience et de la douceur ne l'eût amorti. Le Seigneur ne voulait point permettre qu'un autre que lui mourût dans cette occasion; car il venait donner la vie éternelle à tous (si tous voulaient la recevoir), et racheter le genre humain par ses plaies, par son sang et par ses douleurs. Il n'était point non plus conforme à sa volonté et à sa doctrine que l'on défendit sa personne avec des armes offensives, et que cet exemple (1) Joan., XVIII, 7. - (2) Ibid., 8. - (3) Isa., LIII, 4. - (4) Joan., XVIII, 10. 589 demeurât dans son Église comme si ce dût être une principale intention de s'en servir pour la défendre. Pour confirmer la doctrine qu'il avait enseignée à cet égard, il prit l'oreille coupée et la remit à Malchus, le laissant plus sain qu'il ne l'était auparavant. Mais s'étant adressé d'abord à saint Pierre pour le reprendre, il lui dit : Remettez votre épée dans le fourreau; car tous ceux qui prendront l'épée pour tuer périront par l'épée. Quoi ! je ne boirai pas le calice que mon Père m'a donné? Pensez-vous que je ne puisse pas prier mon Père, et qu'il ne m'enverrait pas tout d l'heure plusieurs légions d'anges pour me défendre ? Comment donc s'accompliront les Écritures et les prophéties (1)? 1232. Par cette douce réprimande saint Pierre apprit, comme chef de l'Église, qu'il devait tirer d'une puissance spirituelle les armes dont il se servirait pour l'établir et la défendre; que la loi de l'Évangile n'enseignait point à combattre et à vaincre le démon, le monde et la chair avec des épées matérielles, mais par l'humilité, la patience, la douceur et la charité parfaite; que, par le moyen de ces vertus victorieuses, la force divine triomphe de ses ennemi et de la puissance de ce monde ; que ce n'est pas aux disciples de notre Seigneur Jésus-Christ d'attaquer et de se défendre avec ces armes matérielles, mais aux princes de la terre pour leurs possessions terrestres, et que l'ép 20/30 LA CITÉ MYSTIQUE DE DIEU DEUXIÈME PARTIE - LIVRE SIXIÈME CHAPITRE XV. On amène notre Sauveur Jésus-Christ lié chez le pontife Anne. Ce qui arriva dans cette circonstance, et ce que sa très-sainte Mère y souffrit. Instruction que la grande Reine de l'univers m'a donnée. CHAPITRE XVI. On amène notre Sauveur Jésus-Christ chez Caïphe le grand prêtre, où il est accusé et interrogé s'il est le Fils de Dieu. - Saint Pierre le renonce deux autres fois. - Ce que fait l'auguste Marie dans cette rencontre, et quelques autres mystères. Instruction que notre grande Reine m'a donnée. CHAPITRE XVII. Ce que notre Sauveur souffrit depuis le renoncement de saint Pierre jusqu'au lendemain, et la grande affliction de sa très-sainte Mère. Instruction que j'ai reçue de la très-sainte Vierge. CHAPITRE XVIII. On assemble le conseil dès le vendredi matin pour vider la cause de notre Sauveur Jésus-Christ. - On l'amène à Pilate. - Sa très-sainte Mère, saint Jean l'Évangéliste, et les trois Marie, vont à sa rencontre. Instruction que j'ai reçue de notre grande Reine. CHAPITRE XlX. Pilate renvoie à Hérode la cause et la personne de notre Sauveur Jésus-Christ. - On l'accuse devant Hérode, qui le méprise et le renvoie à Pilate. - La bienheureuse Marie le suit, et ce qui arriva dans cette occasion. Instruction que la Reine du ciel m'a donnée. CHAPITRE IX. Notre Sauveur Jésus-Christ fut par ordre de Pilate flagellé, couronné d'épines et outragé. - Ce que fit la bienheureuse Marie dans cette occasion. Instruction que j'ai reçue de la Reine de l'univers. CHAPITRE XXI. Pilate prononce la sentence de mort contre l'Auteur de la vie. - Le Seigneur porte sur ses épaules la croix sur laquelle il doit mourir. - Sa très- sainte Mère le suit. - Ce que fit cette auguste Reine dans cette occasion contre le démon, et quelques autres événements. Teneur de la sentence de mort que Pilate prononça contre Jésus de Nazareth notre Sauveur. Instruction que notre auguste Maîtresse m'a donnée. CHAPITRE XXII. Notre Sauveur Jésus-Christ est crucifié au mont du Calvaire. - Les sept paroles qu'il prononça du haut de la croix. - Sa très-sainte mère s'y trouve présente, percée de douleur. Testament que fit sur la croix Jésus-Christ, notre Sauveur priant son Père éternel. Instruction que notre auguste Maîtresse m'a donnée. LA CITÉ MYSTIQUE DE DIEU DEUXIÈME PARTIE - LIVRE SIXIÈME CHAPITRE XV. On amène notre Sauveur Jésus-Christ lié chez le pontife Anne. Ce qui arriva dans cette circonstance, et ce que sa très-sainte Mère y souffrit. 1256. il faudrait, pour parier dignement de la passion, des opprobres et des souffrances de autre Sauveur Jésus-Christ, se servir de paroles si vives et si efficaces qu'elles pussent pénétrer plus avant qu'une épée à deux tranchants, et atteindre par une profonde blessure jusqu'aux fibres les plus secrètes de nos lecteurs (1). Les peines de cet adorable Seigneur ne furent point communes, et il n'y aura jamais de douleur semblable à la sienne (2). Sa personne sacrée (1) Hebr., IV. 12. - (2) Thren., I, 12. 2 n'était point comme celle des autres enfants des hommes; il ne souffrit point pour lui-même ni pour ses péchés, mais pour nous et pour nos propres crimes (1). Il ne faut donc pas que les termes dont nous nous servons pour parler de ses souffrances soient communs, mais extraordinaires et efficaces, afin de nous en faire concevoir un juste sentiment. Mais, hélas ! il ne m'est as possible de donner cette force à mes paroles, ni de trouver celles que mon âme désire pour manifester ce mystère ! J'en dirai pourtant ce que je pourrai, employant les termes qui me seront dictés, quoique la petitesse de mon talent amoindrisse la grandeur de l'intelligence que j'en ai, et que ces termes ne répondent pas à ce que j'en conçois. Que la force et la vivacité de la foi que les enfants de l'Église professent suppléent donc à la faiblesse de mon discours. Et si les expressions sont communes, faisons en sorte que la douleur soit extraordinaire, la pensée haute, la pénétration vive, la considération profonde, la reconnaissance sincère et l'amour fervent, et croyons que tout cela sera fort au-dessous de la vérité de l'objet, et du retour que nous devons à notre divin Rédempteur comme serviteurs, comme amis, et comme enfants adoptés par le moyen de sa passion et de sa mort. 1257. Le très-doux agneau Jésus-Christ ayant été pris et garrotté dans le jardin, fut amené chez les pontifes, et d'abord chez Anne (2). Le traître disciple (1) I Petr., II, 21. - (2) Joan., XVIII, t3. 4 avait recommandé d'avance à cette troupe turbulente de soldats et de ministres de ne se point fier à son Maître, mais de le tenir étroitement lié, parce que c'était un magicien, et qu'il pourrait bien s'échapper de leurs mains (1). Lucifer et ses princes des ténèbres les irritaient secrètement, afin qui ils traitassent le Seigneur avec une cruauté impie et un mépris sacrilège. Et comme tous étaient des instruments dociles à la volonté de Lucifer, ils exercèrent sur la personne de leur Créateur toutes les inhumanités qui leur furent permises. Ils le lièrent avec une fort longue chaîne d'une telle manière, qui ils lui en firent divers tours à la ceinture et au cou, laissant les deux bouts libres : ils avaient fixé à cette chaîne des menottes, qu'ils mirent aussi aux mains du Seigneur qui avait créé les cieux, les anges et tout le reste de l'univers (2). Et, les ayant ainsi liées, ils les lui firent passer par derrière. Ils avaient apporté cette chaîne de la maison du pontife Anne, où elle servait à fermer la porte d'un cachot par une espèce de pont-levis; ils l'en avaient détachée dans le dessein d'en charger notre divins Maître, et y avaient ajusté des menottes garnies de cadenas. Ils ne furent pourtant pas satisfaits ni rassurés de cette manière inouïe de lier un captif : car ils s'empressèrent de joindre à cette pesante chaîne deux cordes assez longues; ils en jetèrent une autour du cou du Sauveur, et, la lui croisant sur la poitrine, ils lui en entourèrent le corps et l'attachèrent avec (1) Marc., XIV, 44. - (2) Hebr., I, 10. 4 des noeuds fort serrés, laissant encore les deus extrémités assez longues;sur le devant pour que deux soldats pussent tirer par là notre adorable Seigneur. Ils se servirent de l'autre corde pour lui lier les bras, et, lui en ayant fait aussi plusieurs tours à la ceinture, ils laissèrent les deux bouts pendre sur le dos, où il avait les mains liées, afin que deux autres soldats pussent le tirer et le relever. 1258. Le Saint et le Tout-puissant se laissa lier et emmener de cette sorte, comme sil eilt été le dernier des criminels et le 'plus faible des hommes; parce qu'il s'était chargé de toutes nos iniquités (1), et de la faiblesse ou Impuissance pour le bien à laquelle nous avaient réduits ces mêmes iniquités. Après l'avoir pris dans le jardin et l'avoir maltraité et blessé avec les mains, avec les cordes et avec les chaînes, les bourreaux l'attaquèrent encore avec leurs langues car ils vomirent, confine des vipères, le venin sacrilège qu'ils avaient, par des blasphèmes et par des injures inouïes contre Celui que les anges et les hommes adorent et glorifient dans le riel et sur la terre. Ils partirent tous de la montagne des Oliviers avec un tumulte et des vociférations horribles, menant au milieu d'eux le Sauveur du monde, les uns le tirant par les cordes de devant, les autres par celles qui lui assujettissaient les bras par derrière, et cela avec une violence inconcevable; quelquefois ils le faisaient marchez avec précipitation; quelquefois ils le faisaient (1) Isa., LIII, 6. 5 reculer et l'arrêtaient tout court; d'autres fois ils le traînaient soit d'un côté, soit d'un autre, suivant que les démons les poussaient eux-mêmes. Ils le faisaient souvent tomber, et, comme il avait les mains liées par derrière, il donnait de la tète contre terre, et sa face vénérable en était toute meurtrie et toute couverte de poussière. Quand il tombait, ils se jetaient sur lui, l'accablaient de coups et foulaient aux pieds sa personne sacrée et jusqu'à son visage; et, mêlant à toutes ces insultes de grands cris et de sanglantes moqueries, ils le rassasièrent d'opprobres, comme Jérémie l'avait déploré d'avance (1). 1259. Au milieu des excès de la fureur impie dont Lucifer enflammait ces ministres impitoyables, il était lui-même fort attentif aux couvres de notre Sauveur, dont il prétendait éprouver la patience pour reconnaître s'il était véritablement un simple mortel; car l'incertitude où il était à cet égard tourmentait plus son orgueil que toutes ses autres peines. Et, lorsqu'il observa la douceur et la patience que Jésus-Christ montrait parmi tant de mauvais traitements, et qu'il les supportait avec un air tranquille et majestueux , sans aucun trouble et sans la moindre émotion, ce dragon infernal entra dans une plus grande colère, et comme eût fait un homme furieux et enragé, il résolut de prendre les cordes dont les bourreaux se servaient, et de tirer lui-même, assisté des autres démons, le Sauveur avec plus de violence, pour tâcher d'altérer (1) Thren., III, 30. 6 le calme et la mansuétude de la divine victime. Mais la très-pure Marie, qui de sa retraite découvrait par une claire vision tout ce qui se passait autour de son très- saint Fils, prévint cet attentat, et, quand elle s'aperçut de l'audacieux dessein de Lucifer, usant de son pouvoir de Reine, elle lui défendit de s'approcher de la personne sacrée de Jésus-Christ pour l'offenser. A l'instant même cet ennemi perdit ses forces, et il lui fut impossible de rien exécuter: car il n'était pas convenable que sa malice se mêlât en cette manière de la passion et de la mort du Rédempteur. Il lui fut néanmoins permis de porter ses satellites à irriter les Juifs, fauteurs de la mort du Sauveur, puisqu'il dépendait du libre arbitre de ceux-ci d'y consentir ou de s'y opposer. Lucifer se prévalut de cette permission, et, s'adressant à ces ministres d'iniquité, il leur dit: " Quel homme est-ce donc que celui-là? Il est né dans le monde, et, par sa patience et par ses rouvres, il nous tourmente et nous détruit! Personne, depuis Adam jusqu'à présent, n'a montré dans les souffrances ce courage, cette égalité d'âme. Nous n'avons jamais vu chez les mortels tant d'humilité ni tant de douceur. Comment serions-nous en repos lorsque nous voyons sur la terre un si rare et si puissant exemple, capable d'en entraîner tous les habitants? Si c'est là le Messie, il ouvrira sans doute le ciel, et fermera les voies par où nous conduisons les hommes à nos tourments éternels, et nous serons vaincus et frustrés de nos prétentions. Que si ce n'est qu'un simple homme, nous ne devons pas souffrir qu'il laisse aux autres un 7 si grand exemple de patience. Venez donc, complices de mon orgueilleuse rébellion; marchons et persécutons-le par le moyen de ses ennemis, qui, obéissants sujets de mon empire, sont animés contre lui de la furieuse envie que je leur ai communiquée. 1260. L'auteur de notre salut se livra en proie à la rage que Lucifer avait inspirée à cette troupe de Juifs, cachant le pouvoir qu'il avait de les anéantir ou d'empêcher les outrages qu'ils lui faisaient, afin que notre rédemption fût plus abondante. Or le menant lié et maltraité de la sorte, ils arrivèrent chez le pontife Anne, auquel ils le présentèrent comme un criminel digne de mort. C'était la coutume des Juifs de présenter ainsi liés les malfaiteurs qui méritaient le dernier suppliée, et ces liens étaient comme autant de témoins du crime qui méritait la mort; et ils amenaient de cette sorte le Sauveur comme lui signifiant la sentence avant que le juge l'eût prononcée. Le sacrilège pontife parut dans une grande salle, où il s'assit, plein d'une arrogance superbe, sur une estrade qui s'y trouvait. Le prince des ténèbres, Lucifer, environné d'une grande multitude de démons, se mit aussitôt près de lui. Les satellites et les soldats présentèrent Jésus-Christ chargé de chaînes au pontife, et lui dirent: " Nous vous amenons, Seigneur, ce méchant homme, qui a troublé tout Jérusalem et toute la Judée par ses sortilèges et par ses méchancetés; au moins, cette fuis son art magique ne lui a servi de rien pour s'échapper de nos mains. " 1261. Notre Sauveur Jésus- Christ était assisté 8 d'une multitude innombrable d'anges, qui l'adoraient et le glorifiaient, admirant par quels jugements impénétrables de sa sagesse (1) le Verbe divin consentait à être présenté comme coupable et pécheur devant un prêtre inique, qui faisait parade de son zèle pour la justice et pour l'honneur du Seigneur, au moment où il voulait le lui ôter aussi bien que la vie d'une manière sacrilège, tandis que le très-doux Agneau gardait le silence sans ouvrir la bouche, comme l'avait dit Isaïe (2). Le pontife l'interrogea d'un ton impérieux sur ses disciples et sur la doctrine qu'il enseignait (3). Il lui fit cette question pour en calomnier la réponse, dans le cas où elle eût prêté tant soit peu à ,une interprétation fâcheuse. Mais le Maître de la sainteté, qui est le guide de la sagesse, et qui redresse les plus sages (4), offrit su Père éternel cette humiliation qu'il subissait étant présenté au pontife comme coupable, et interrogé par lui comme criminel et auteur d'une fausse doctrine. Notre Rédempteur répondit, quant à sa doctrine, avec un air humble et tranquille : J'ai parlé publiquement ci tout le monde, j'ai toujours enseigné dans la synagogue et dans le Temple, où tous les Juifs s'assemblent, et je n'ai rien dit en secret. Pourquoi m'interrogez-vous? Interrogez ceux qui ont entendu ce que' je leur ai dit, ceux-là savent ce que j'ai enseigné (5). Le Sauveur s'en rapports A ses auditeurs, en faisant cette réponse, parce (1) Roi., XI, 33. - (2) Isa., LIII, 7. - (3) Joan., XVIII, 19. - (4) Sap., VII, 18. - (5) Joan., XVIII, 20, 21. 9 que sa doctrine était de son Père éternel, qu'on aurait calomnié le témoignage que lui-même en aurait rendu, et que la vérité et la vertu se justifient d'elles-mêmes parmi leurs plus grands ennemis. 1268. Il ne parla point de ses apôtres, parce que ce n'était pas alors nécessaire, et que d'ailleurs ils se trouvaient dans nue telle disposition qu'ils ne pouvaient point être loués de leur Maître. Et quoique cette réponse qu'il fit relativement à sa doctrine fût si pleine de sagesse et si directe à la question qui lui avait été posée, il y eut parmi les satellites qui se trouvaient auprès du pontife un soldat qui osa, dans son effroyable témérité, lever la main et donner un soufflet à cet adorable Seigneur; et non content de l'avoir frappé, il le reprit, en disant : Est-ce ainsi que tu réponds au pontife (1)? Le Sauveur reçut ce sanglant affront, en priant le Père éternel pour celui qui le lui avait fait, et il était même prêt à tendre l'autre joue si c'eût été nécessaire, pour recevoir un autre soumet, accomplissant jusqu'aux moindres détails la doctrine qu'il avait enseignée (2). Mais afin que ce stupide et audacieux valet, loin de pouvoir se vanter, eût à rougir d'une méchanceté si inouïe, le Seigneur lui repartit avec beaucoup de sérénités et de douceur : Si j'ai mal parlé, montrez en quoi j'ai mal dit ; mais si j'ai bien parlé, pourquoi me frappez-vous (3) ? O spectacle digne d'une nouvelle admiration pour les esprits célestes! Combien de sujet ont et doivent avoir les (1) Joan., XVIII, 22. - (2) Matth., V, 39. - (3) Joan., XVIII, 23. 10 colonnes du ciel et tout le firmament de trembler, seulement à en entendre le récit! Cet adorable Seigneur est Celui, comme Job l'assure (1), qui est si sage en son coeur et si puissant en sa force, que personne ne lui peut résister et trouver la paix en lui résistant; qui transporte les montagnes et les renverse dans sa colère avant qu'elles puissent s'en apercevoir, qui ébranle la terre sur ses fondements et en secoue les colonnes les unes contre les autres, qui commande au soleil, et le soleil ne se lève point, qui tient les étoiles enfermées comme sous un sceau, qui fait des choses grandes et incompréhensibles, à la colère duquel personne ne peut résister, et sous qui fléchissent ceux qui soutiennent le monde : et cependant c'est le même qui souffre pour l'amour des hommes qu'un impie soldat le frappe au visage 1263. Le sacrilège serviteur fut confondu dans sa méchanceté par la réponse humble et efficace que fit le Sauveur. Mais ni cette confusion, ni celle que pouvait avoir le pontife, de ce que l'on commettait un tel crime en sa présence, ne furent capables de les émouvoir ni d'adoucir les autres ennemis de l'Auteur de la vie. Pendant qu'on le maltraitait de la sorte, saint Pierre et l'autre disciple, qui était saint Jean, arrivèrent chez Anne. Saint Jean, qui en était fort connu, entra facilement; mais saint Pierre resta dehors, jusqu'à ce que le disciple bien-aimé eût parlé à la portière; et à sa considération elle le laissa entrer, (1) Job., IX, 4, etc. 11 pourvoir ce qui se passait à l'égard du Rédempteur (1). Les deux apôtres pénétrèrent dans la cour de la maison contiguë à la salle du pontife, et saint Pierre s'approcha du feu où les soldats se chauffaient, parce que la nuit était froide. Cette servante qui gardait la porte, ayant considéré avec attention saint Pierre, l'aborda et lui dit: " N'êtes-vous pas des disciples de cet homme (2)? " Elle lui fit cette demande en ayant l'air de s'en moquer; ce dont saint Pierre eut honte par une lâche pusillanimité; et cédant à la peur, il lui répondit: " Non, je n'en suis point. " Après avoir fait cette réponse, il s'écarta de la compagnie et sortit de la maison d'Anne; mais il suivit ensuite sou maître chez Caïphe, où il le renonça deux autres fois, comme je le dirai ci-après. 1264. Le renoncement de Pierre causa une plus grande douleur à notre divin Maître que le soufflet qu'il reçut; car autant le péché était contraire et odieux à son immense charité, autant et plus les souffrances lui étaient agréables et douces, parce qu'elles lui servaient à vaincre nos propres péchés. Après ce premier renoncement, Jésus-Christ pria le Père éternel pour son apôtre, et disposa que la grâce et le pardon de ses trois renoncements successifs lui seraient ménagés parle moyen de l'intercession de la bienheureuse Marie. Cette auguste Princesse voyait de son oratoire tout ce qui se passait, ainsi que je l'ai indiqué. Et comme elle avait dans son sein le propitiatoire et le sacrifice, (1) Joan., XVIII, 16. - (2) Ibid.. 17. 12 c'est-à-dire son adorable Fils lui- même sous les espèces eucharistiques , elle lui adressait ses amoureuses prières, exerçant des actes sublimes de compassion, de reconnaissance et. d'adoration. Quand elle eut connu le renoncement de saint Pierre, elle pleura amèrement , et elle n'arrêta point ses larmes qu'elle n'eût su que le Très-Haut ne lui refuserait point ses grâces, et qu'il le relèverait de sa chute; Cette tendre Mère sentit aussi dans son corps virginal toutes les douleurs et toutes les blessures de son Fils, et aux mêmes endroits que lui. Et lorsque le Seigneur fut garrotté avec les cordes et les chaînes, elle éprouva aux mains un mal si violent, que le sang en jaillit comme si elles eussent été fortement litres; et il en arriva de même pour les autres blessures qu'il recevait sur sa personne sacrée. Comme à ces souffrances corporelles se joignait la douleur qui déchirait son âme en la vue des tourments qu'endurait notre Seigneur Jésus-Christ, elle finit par verser dans cet amoureux martyre des larmes de sang, prodige qu'opéra te bras du Seigneur. Elle sentit aussi le soufflet qui fut donne à son très-saint Fils comme si la même main sacrilège eût frappé en même temps et le Fils et la Mère: Pendant tous ces mauvais traitements que le Sauveur subissait, elle imita les saints anges à glorifier et à adorer leur Créateur avec elle, pour réparer les outrages que les pécheurs lui faisaient; et communiquant aux mêmes anges ses profondes et douloureuses réflexions, elle s'entretenait avec eux du triste sujet de sa compassion , de ses amertumes et de ses larmes 13 Instruction que la grande Reine de l'univers m'a donnée. 1265. Ma fille, la lumière divine que vous recevez pour connaître les mystères renfermés dans ce que mon très-saint Fils et moi avons souffert pour le genre humain et pour apprécier le peu de retour qu'il nous rend pour tant de bienfaits, vous appelle à de grandes choses. Vous vivez dans une chair mortelle, et par conséquent vous êtes exposée aux mêmes ingratitudes; mais la force de la vérité que vous comprenez, produit souvent en vous des mouvements de surprise, de douleur et de compassion, en raison du peu de réflexion que font les mortels sur de si hautes merveilles, et à la vue des biens qu'ils perdent par leur lâcheté. Or, si vous êtes dans ces sentiments, quelles doivent être les pensées des anges et des saints sur ce sujet? Que dois-je penser moi-même sous les yeux du Seigneur, envoyant le monde et les fidèles dans un état si dangereux et dans un oubli si déplorable, après que mon très-saint Fils a souffert une mort si cruelle, tandis qu'ils peuvent m'invoquer comme leur Mère et leur avocate, et quand son admirable vie et la mienne leur servent d'exemple? Je vous dis en vérité, ma très-chère fille, que mon intercession et les, mérites que je représente au Père éternel de son Fils et du mien, peuvent seuls apaiser sa juste colère, et,empêcher qu'il ne détruise le monde et qu'il ne punisse 14 rigoureusement les enfants de l'Église, qui savent la volonté du Seigneur, et ne l'accomplissent point (1). Mais je suis fort indignée d'en trouver si peu qui s'affligent avec moi, et qui consolent mon Fils dans ses peines, comme dit David. (2) Cette insensibilité sera ce qui couvrira d'une plus grande confusion les mauvais chrétiens au jour du jugement; parce qu'ils connaîtront alors avec une douleur irréparable qu'ils ont été non-seulement ingrats, mais inhumains et cruels envers mon très-saint Fils, envers moi et envers eux-mêmes. 1266. Réfléchissez donc, ma fille, à vos obligations, élevez-vous au-dessus de tout ce qui est terrestre et au-dessus de vous-même; car je vous appelle et vous choisis, afin que vous m'imitiez et m'accompagniez là où les créatures me laissent si seule, après tant de faveurs que mon très-saint Fils et moi leur avons faites. Considérez avec toute l'attention dont vous êtes capable combien il en a coûté à mon Seigneur de réconcilier les hommes avec son Père et de leur mériter son amitié (3). Gémissez de ce que tant d'hommes vivent sans y songer, et semblent travailler de toutes leurs forces à détruire et à perdre ce qui a coûté le sang et la mort de Dieu même, ce que je leur ai procuré dès ma conception , et ce que je ne cesse de solliciter et de tâcher d'obtenir pour leur salut. Pleurez amèrement de ce qu'il se trouve dans la sainte Église plusieurs successeurs de ces pontifes (1) Joan., IV, 25. - (2) Ps. LXVIII, 21. - (3) Colos., I, 22. 15 hypocrites et sacrilèges, qui sous prétexte de piété condamnèrent Jésus-Christ; de ce que l'orgueil et beaucoup d'autres grands péchés sont autorisés et applaudis; de ce que l'humilité, la vérité, la justice et les vertus sont opprimées; et de ce qu'il n'y a que la cupidité et que la vanité qui triomphent. Bien peu de personnes connaissent la pauvreté de Jésus-Christ,. bien moins de personnes encore veulent l'embrasser. Les progrès de la sainte foi sont arrêtés par l'ambition excessive des puissants du monde, et chez un grand nombre de catholiques elle est oiseuse et stérile; tout ce qui doit avoir vie est mort, et tout marche à une ruine irréparable. Les conseils de l'Évangile sont oubliés, les préceptes transgressés, la charité presque éteinte. Mon Fils et mon Dieu a présenté ses joues avec une patience et une douceur ineffable pour être frappé (1). Qui est celui qui pardonne une injure pour l'imiter? Au contraire le monde a fait des lois pour se venger, et non-seulement les infidèles, mais aussi les enfants de la foi et de la lumière les pratiquent. 1267. Je veux que, connaissant l'énormité de ces péchés, vous imitiez ce que j'ai fait dans le cours de la passion et durant toute ma vie; car j'exerçais pour tous les hommes tous les actes de vertu contraires aux différents vices. Pour les blasphèmes et les injures que l'on adressait à mon adorable Fils, je le bénissais et le louais; pour les infidélités que l'on pratiquait à son égard, je croyais en lui, et ainsi de toutes les (1) Thren., III, 30. 16 autres offenses. C'est ce que je veux que vous fassiez dans le monde où vous vivez et que vous connaissez. Que l'exemple de Pierre vous fasse fuir aussi les dangers auxquels exposent les créatures; car vous n'êtes pas plus forte que cet apôtre de Jésus-Christ, et si votre fragilité vous fait parfois tomber, pleurez aussitôt comme lui, et ayez recours à mon intercession. Réparez vos fautes journalières par la patience dans les adversités, recevez-les avec joie, sans trouble et sans aucune distinction , quelles qu'elles puissent être; suit les maladies, soit les insultes des créatures, soit les agitations et la lutte des passions que vos ennemis invisibles feront naître dans votre âme (1). Il y a dans tout cela de quoi souffrir, et vous devez vous y résigner avec foi, espérance et magnanimité. Croyez bien qu'il n'y a point d'exercice plus profitable pour l'âme que celui des tribulations ; elles éclairent, détrompent et éloignent le coeur humain des choses terrestres, et le portent au Seigneur, qui vient au-devant de lui; car il habite avec les affligés, il les délivre et les protège (2). (1) Rom., VII, 23. - (2) Ps. XC, 15. 17 CHAPITRE XVI. On amène notre Sauveur Jésus-Christ chez Caïphe le grand prêtre, où il est accusé et interrogé s'il est le Fils de Dieu. - Saint Pierre le renonce deux autres fois. - Ce que fait l'auguste Marie dans cette rencontre, et quelques autres mystères. 1268. Après que notre Sauveur eut reçu chez Anne les outrages et le soufflet dont j'ai parlé, ce pontife l'envoya lié à son gendre Caïphe, qui remplissait cette année-là les fonctions de grand prêtre, et près duquel les scribes et les anciens s'étaient assemblés pour examiner la cause du très-innocent Agneau (1). La patience invincible et la mansuétude que le Seigneur des vertus témoignait au milieu des injures qu'on lui faisait, étonnaient, confondaient et irritaient les démons d'une façon inexprimable, et comme ils ne pénétraient point les opérations intérieures de la très-sainte Humanité, comme quant aux actions extérieures, par lesquelles ils tâchent de deviner le coeur des autres hommes, ils ne découvraient en lui aucun mouvement désordonné, et que le très-doux Seigneur ne se plaignait pas, ne soupirait même pas, et refusait à son (1) Joan., XVIII, 24; Matth., XXVI, 57. - (2) Ps. XXIII, 10. 18 humanité jusqu'à cette légère consolation; cette générosité héroïque les tourmentait singulièrement, et ils l'admiraient comme quelque chose d'étrange et de tout à fait extraordinaire chez les hommes, qui sont d'une condition passible et faible. Transporté d'une nouvelle fureur, le Dragon excitait tous les princes des prêtres, les scribes et tous leurs serviteurs à insulter et à maltraiter le Seigneur de la manière la plus abominable; et de leur côté, ils étaient prêts à exécuter tout ce que l'ennemi leur suggérait, quand la divine volonté le leur permettait. 1269. Cette troupe infâme de ministres infernaux et d'hommes sans pitié partit dé la maison d'Anne, et traîna notre Sauveur chez Caïphe à travers les rues de la ville, continuant de le traiter avec une cruauté implacable et avec toutes les ignominies imaginables. Ils envahirent sa demeure avec un tumulte scandaleux , et le grand prêtre et ses assistants accueillirent le divin captif par de cruels sarcasmes, le voyant soumis à leur pouvoir et à leur juridiction, dont ils ne croyaient pas qu'il pût désormais se défendre. O secret de la très-haute sagesse du ciel de l'ignorance diabolique et stupide aveuglement des mortels ! Quelle distance immense vois-je entre vous et les oeuvres du Très-Haut! C'est quand le Roi de gloire, qui est puissant dans les combats (1), triomphe des vices, de la mort, et du péché par les vertus de patience, d'humilité et de charité, comme Seigneur de toutes les (1) Ps., XXIII, 8. 19 vertus, que le monde croit l'avoir vaincu par son orgueil ! Combien différentes étaient les pensées de notre Seigneur Jésus-Christ, de celles de tous ces ouvriers d'iniquité! L'Auteur de la vie offrait à son Père éternel ce triomphe que sa douceur et son humilité remportaient sur le péché; il priait pour les prêtres, pour les scribes, et pour tous ses autres persécuteurs; et il représentait à son Père sa patience, ses propres douleurs, et l'ignorance de ceux qui l'outrageaient. Au. même moment sa bienheureuse Mère offrait la même prière pour ses ennemis et ceux de son très- saint Fils, imitant en tout ce que sa Majesté faisait; car elle le découvrait clairement, comme je l'ai maintes fois répété. De sorte qu'il se trouvait entre le Fils et la Mère une admirable correspondance à laquelle se complaisait infiniment le Père éternel. 1270. Le pontife Caïphe occupait son siège sacerdotal enflammé d'une envie et d'une haine mortelle contre le Maître de la vie. Lucifer et tous les démons, qui vinrent de la maison d'Anne, l'assistaient. Les scribes et les pharisiens s'acharnaient comme des loups affamés contre le très-doux Agneau; tous se réjouissaient de sa prise, comme l'envieux se réjouit quand il voit son compétiteur abattu. Ils cherchèrent d'un commun accord des témoins, qui, subornés par des présents et des promesses, dissent quelque faux, témoignage contre notre Sauveur Jésus-Christ (1). Ceux qui avaient été prévenus se présentèrent; mais (1) Matth., XXVI, 59; Marc., XIV, 56. 20 ils ne s'accordaient point dans leurs dépositions; et ils pouvaient encore moins les appliquer à Celui qui était par nature l'innocence et la sainteté même (1). Pour se tirer d'embarras, ils appelèrent deux autres faux témoins, qui déposèrent contre Jésus, assurant de lui avoir ouï dire qu'il pouvait détruire ce Temple de Dieu bâti par la main des hommes, et dans trois jours en rebâtir un autre, qui ne serait point fait par la main des hommes (2). Mais ce faux témoignage n'était pas non plus convaincant; quoiqu'ils prétendissent s'en servir contre notre Sauveur, pour prouver qu'il usurpait le pouvoir divin, et qu'il se l'arrogeait à lui-même. Quand cela eût été, il était la vérité infaillible, par conséquent il ne pouvait rien dire de faux, rien de présomptueux, puisqu'il était véritablement Dieu. Mais le témoignage était faux; attendu que le Seigneur n'avait point proféré ces paroles telles que les témoins les rapportaient, en les appliquant au Temple matériel de Dieu. Ce que le Sauveur avait dit dans une certaine circonstance, lorsqu'il chassa du Temple ceux qui y vendaient et qui y achetaient, et qu'il répondit à ceux qui lui demandaient par quel pouvoir il les chassait: Détruisez ce Temple (3), équivalait à leur dire, de détruire le Temple de son corps, et qu'il ressusciterait le troisième jour, comme il lit pour preuve de sa puissance divine. 1271. Notre Sauveur ne répondit pas un seul mot (1) Hebr., VII, 26. - (2) Matth., XXVI, 60; Marc., XIV, 68. - (3) Joan , II, 19. 21 à toutes les calomnies que l'on inventait contre son innocence. Caïphe voyant le silence et la patience du Seigneur, se leva de son siège, et lui dit : " Ne répondez- vous rien aux accusations dont ces gens vous chargent (1)? " Mais il se tut et ne fit encore aucune réponse (2), parce que Caïphe et les autres membres du conseil, non-seulement étaient décidés à ne pas ajouter foi à ce qu'il aurait dit, mais leur double intention était qu'il répondit quelque chose, dont ils pussent se servir pour le calomnier, afin de couvrir leur tyrannique dessein, et d'empêcher que le peuple ne s'aperçût qu'ils le condamnaient injustement à mort. Cet humble silence de Jésus-Christ, qui devait adoucir le pontife, l'irrita encore davantage, parce qu'il lui ôtait tout prétexte pour exercer sa malice. Lucifer, qui excitait Caïphe aussi bien que les autres, était fort attentif à tout ce que le Rédempteur du monde faisait. Quoique l'intention de ce dragon fût bien différente de celle du pontife; car il prétendait seulement pousser à bout la patience du Seigneur, ou lui donner lieu de dire quelque parole à laquelle il pût reconnaître s'il était véritablement Dieu. 1272. Dans cette intention Lucifer inspira à Caïphe de faire avec emportement et d'un ton impérieux cette nouvelle question à notre Seigneur Jésus-Christ: Je vous conjure par le Dieu vivant de nous déclarer si vous êtes le Christ Fils de Dieu (3)? Cette question de la part du pontife fut pleine de témérité et de folie; car (1) Marc., XIV, 60. - (2) Ibid., 61. - (3) Matth., XXXVI, 63. 22 s'il doutait que Jésus-Christ ne fût Dieu, c'était un crime énorme et une insigne témérité de le tenir garrotté comme un coupable en sa présence; cet examen devait être fait d'une autre manière et selon la raison et selon la justice. Mais Jésus-Christ entendant que le grand prêtre le conjurait au nom du Dieu vivant, adora ce saint Nom, quoique prononcé par une bouche si sacrilège. Et pour exprimer son respect, il répondit en ces termes : Vous le dites, et je le suis. Toutefois je vous annonce qu'un jour vous verrez venir sur les nues du ciel le Fils de l'homme, qui n'est autre que moi, assis à la droite de Dieu (1). Les démons et les hommes se troublèrent diversement par cette réponse. Lucifer et ses ministres n'y purent point résister, et sentirent en elle une force qui les précipita dans l'abîme, écrasés sous le poids de cette vérité qui leur causait de nouveaux tourments. Et ils n'auraient point osé retourner en présence du Seigneur, si sa très-haute Providence n'eut disposé, que Lucifer entrât en de nouveaux doutes si Jésus-Christ avait dit la vérité ou s'il n'avait pas fait cette réponse pour se délivrer des Juifs. Dans cette incertitude, ils firent de nouveaux efforts et revinrent su combat; car le dernier triomphe que le Sauveur devait remporter sur eux et sur la mort était réservé pour la croix, comme nous le verrons dans la suite selon la prophétie d'Habacuc (2). 1273. Mais Caïphe, irrité de la réponse du Seigneur, qui devait le détromper entièrement, se leva une (1) Matth., XXVI, 64. - (2) Habac., III, 13. 23 seconde fois, et déchirant ses habits pour marquer le zèle qu'il prétendait avoir de l'honneur de Dieu, il dit à haute voix : Il a blasphémé, qu'avons-nous besoin encore de témoins? N'avez-vous pas entendu son blasphème? Qu'en pensez-vous (1)? Cette inepte et abominable déclaration de Caïphe fut véritablement un blasphème; car il dénia à Jésus-Christ la qualité de Fils de Dieu, qui par nature lui appartenait, et lui attribua le péché, qui par nature répugnait à sa divine personne. Telle fut la folie de ce méchant prêtre, qui était obligé par sa charge de connaître la vérité religieuse et de l'enseigner; de sorte qu'il devint lui-même un blasphémateur exécrable quand il dit que Celui qui était la. sainteté même blasphémait. Et ayant prophétisé peu de temps auparavant, par l'inspiration. du Saint-Esprit en vertu de sa dignité, qu'il était expédient qu'un seul homme mourut pour toute la nation (2), il ne mérita pas à cause de ses péchés d'entendre la vérité qu'il annonçait. Mais comme l'exemple et le sentiment des princes et des prélats sont si puissants pour mouvoir le peuple, qui est ordinairement porté à flatter les grands, tous ceux qui assistaient à cette inique assemblée s'irritèrent contre notre adorable Sauveur, et répondant à Caïphe, s'écrièrent : Il mérite la mort; qu'il meure, qu'il meure (3) ! Et excités par le démon, ils se jetèrent tous ensemble sur notre très-doux Maître, et déchargèrent sur lui leur fureur diabolique; les uns lui donnaient des soufflets (1) Matth., XXVI, 65. - (2) Joan., XI, 50. - (3) Matth., XXVI, 67. 24 et lui tiraient les cheveux , les autres lui crachaient au visage, d'autres lui, donnaient des coups de pied ou le frappaient de la main sur le cou; c'était une espèce d'affront très-sanglant que les Juifs réservaient aux gens qu'ils méprisaient le plus. 1274. Jamais les hommes n'ont été témoins d'outrages aussi cruels que ceux que les Juifs firent dans cette occasion à notre Rédempteur. Saint Luc et saint Marc rapportent que ces bourreaux impitoyables lui couvrirent le visage, et que lui ayant bandé les yeux, ils lui donnaient des soufflets en l'apostrophant ainsi: " Devine maintenant, devine, puisque tu es prophète, dis-nous qui t'a frappé (1). " La cause pour laquelle ils lui couvrirent le visage fut mystérieuse; et c'est parce que de la joie que notre Sauveur avait de souffrir ces opprobres, comme je le dirai bientôt, il rejaillissait sur son vénérable visage une beauté et une splendeur extraordinaire, qui remplirent tous ces ouvriers d'iniquité d'une surprise et d'une confusion fort pénibles, et pour cacher leur étonnement, ils attribuèrent cet éclat à l'art magique, et ils prirent de là occasion de voiler la face du Seigneur avec un linge fort sale, indignes qu'ils étaient de la regarder, et voulant d'ailleurs se soustraire à l'aspect de cette divine. lumière, qui les tourmentait et paralysait leur fureur diabolique. La bienheureuse Marie ressentait tous les sanglants affronts que subissait le Sauveur; elle sentait aussi la douleur des coups et des blessures (1) Luc., XXII, 64; Marc., XIV, 65. 25 dans les mêmes endroits et dans les mêmes moments que. l'adorable Rédempteur les recevait. Il y avait cette seule différence : c'est qu'en notre Seigneur Jésus- Christ les douleurs étaient causées par les coups que les Juifs lui donnaient, tandis que la main du Très-Haut les causait en sa très-pure Mère, suivant ses propres désirs. Et il est sûr que naturellement elle aurait succombé aux douleurs et aux peines intérieures dont elle était accablée, si la vertu divine ne l'eût fortifiée en même temps, afin qu'elle continu de souffrir avec son bien-aimé Fils et son Seigneur. 1275. Il n'est pas possible d'exprimer ni même de concevoir les oeuvres intérieures que fit le Sauveur au milieu de ces traitements d'une cruauté inouïe. Il n'y eut que la bienheureuse, Marie qui les connut entièrement, pour les imiter avec une souveraine perfection. Mais comme notre divin Maître apprenait à l'école de l'expérience de ses propres douleurs les souffrances de ceux qui devaient l'imiter et suivre sa doctrine, il s'appliqua à les sanctifier et à les bénir d'une manière spéciale en cette occasion, où il leur enseignait par son exemple le chemin étroit de la perfection. Parmi ces opprobres, ces tourments et tous ceux qu'il souffrit ensuite, il se plut à renouveler en faveur de ses élus les béatitudes qu'il leur avait promises auparavant. il se tourna vers les pauvres en esprit qui devaient l'imiter en cette vertu, et il dit : " Vous serez bienheureux dans votre dénuement des choses terrestres, car je rendrai par ma passion et par ma mort le royaume du ciel comme une 26 possession assurée, et comme une récompense certaine a de la pauvreté volontaire (1). Bienheureux seront ceux qui souffriront avec douceur et qui supporteront les adversités avec patience; car outre le droit qu'ils acquièrent à ma félicité pour m'avoir imité, ils posséderont la terre des volontés et des coeurs des hommes, par leur paisible conversation et par les charmes de la vertu. Bienheureux seront ceux qui sèmeront dans les larmes (2) et qui pleureront; car elles leur feront trouver le pain d'intelligence et de vie, et cueillir plus tard le fruit de la joie éternelle (3). 1276. " Bienheureux seront aussi ceux qui auront faim et soif de la justice et de la vérité; car je leur mérite une nourriture qui les rassasiera, et qui surpassera tous leurs désirs, soit en la grâce, soit en la récompense de la gloire. Bénis seront les miséricordieux qui auront compassion de ceux qui les offensent et qui les persécutent, comme je le fais en leur pardonnant et en leur offrant mon amitié et ma grâce, s'ils veulent la recevoir; et je leur promets au nom de mon Père une miséricorde abondante. Bénis soient ceux qui ont le coeur pur, qui m'imitent et qui crucifient leur chair pour conserver la pureté de l'esprit. Je leur promets la vision de la paix , et qu'ils arriveront à celle de ma divinité par ma ressemblance et par ma participation. Bénis soient les pacifiques qui, sans chercher leurs (1) Matth., V, 3. - (2) Ps. CXXV, 6. - (3) Eccles., XV, 3. 27 intérêts, ne résistent point aux maux, et les reçoivent avec un coeur ingénu et tranquille, sans aucun esprit de vengeance; ils seront appelés mes enfants, parce qu'ils ont suivi la conduite de leur Père céleste; je les porte et les écris dans ma niée moire et dans mon entendement pour les adopter comme miens. Que ceux qui souffriront persécution pour la justice soient bienheureux et héritiers de mon royaume céleste, parce qu'ils ont souffert avec moi; je veux qu'ils soient éternellement avec moi, où je suis moi-même (1). Que les pauvres se réjouissent, que les affligés se consolent, que les petits et les méprisés du monde célèbrent leur bon heur; et vous qui souffrez avec humilité et avec patience, goûtez donc vos souffrances avec joie intérieure, puisque vous me suivez par les voies de a la vérité. Renoncez à la vanité, dédaignez les pompes et les applaudissements de la superbe et trompeuse Babylone; passez par le feu et par les eaux de la tribulation jusqu'à ce que vous soyez arrivés à moi, qui suis la lumière, la vérité, et votre guide qui vous conduis au repos éternel et au lieu de rafraîchissement (2). " 1277. Notre Sauveur Jésus-Christ s'occupait à ces rouvres si divines et à des prières pour les pécheurs, tandis que le conseil des méchants l'entourait et l'assiégeait, suivant l'expression de David (3), comme une bande de chiens enragés, l'accablant d'insultes, (1) Joan., XII, 26. - (2) Ps. CXXV, 12. - (3) Ps. XXI, 17. 28 d'opprobres, de coups et de blasphèmes. La Vierge mère, toujours attentive, s'associait à ce qu'il faisait et souffrait; dans la prière, elle faisait les mêmes demandes pour les ennemis; et dans les bénédictions que son très-saint Fils donna aux justes et aux prédestinés, elle se constitua leur mère, leur avocate et leur protectrice; et elle fit au nom de tous des cantiques de louange et de reconnaissance, de ce que le Seigneur réservait aux pauvres et aux méprisés du monde une si haute place dans son estime et une si large part dans ses complaisances. Pour cette raison et pour plusieurs autres choses qu'elle connut dans les oeuvres-intérieures de Jésus-Christ; elle fit de nouveau, avec une ferveur incomparable, choix des souffrances, des mépris, des tribulations et des peines pour tout le reste de la passion et de sa très-sainte vie. 1278. Saint Pierre avait suivi notre Sauveur de la maison d'Anne jusqu'à celle de Caïphe, mais toujours d'un peu loin, parce que la crainte qu'il avait des Juifs l'intimidait; toutefois, il parvenait à la surmonter jusqu'à un certain point par l'amour qu'il portait à son Maître, et par un effort de courage naturel. Il ne fut pas difficile à cet apôtre, favorisé d'ailleurs par l'obscurité de la nuit, de s'introduire dans la maison de Caïphe, à cause de la multitude des personnes qui entraient et qui sortaient. Il fut pourtant aperçu entre les portes de la cour par une autre servante, qui était portière, comme l'était celle de la maison d'Anne; et, s'étant approchée des soldats qui se chauffaient dans 29 cette même cour, elle leur dit : " Cet homme-là est un de ceux qui étaient avec Jésus de Nazareth; " et une personne de sa compagnie lui dit: Vous êtes véritablement Galiléen, et un de ses disciples. Saint Pierre le nia, et jura qu'il n'en était point (1): après cela il s'écarta du feu et de la compagnie. Mais, quoiqu'il sortît de la cour, il ne put pas se résoudre de s'en éloigner, jusqu'à ce qu'il eût vu la fin de tout ce qui arriverait au Sauveur; car il était retenu par l'amour qu'il lui portait et par la compassion naturelle qu'il avait des peines dans lesquelles il le laissait. Après qu'il eut tournoyé et épié environ une heure dans cette même maison de Caïphe, un parent de Malchus, à qui ]'Apôtre avait coupé l'oreille, le reconnut et lui dit : Vous êtes Galiléen et disciple de Jésus; je vous ai vu avec lui dans le jardin (2)? Alors saint Pierre, se voyant découvert, fut saisi d'une plus grande crainte; et il se prit à détester et à jurer qu'il ne connaissait point cet homme. Aussitôt le coq chanta pour la seconde fois (3); de sorte que la parole que son divin Maître lui avait dite fut ponctuellement accomplie, qu'avant que le coq chantât deux fois, il le renoncerait cette nuit trois fois (4). 1279. Lucifer employa toutes ses ruses et toutes ses forces pour perdre saint Pierre. Il excita premièrement les servantes des pontifes, comme plus volages, et ensuite les soldats, afin que les unes et les autres (1) Marc., XIV, 67 et 71; XIV, 68; Luc., XXII, 58 et 59; Matth., XXVI, 72. - (2) Joan, XVIII, 26. - (3) Marc., XIV, 72 . - (4) Ibid., 30. 30 tourmentassent l'Apôtre par leurs remarques et leurs questions, et il troubla le saint lui-même par de violentes tentations, parce qu'il vit le danger, et surtout quand il commença à chanceler. Par suite de ces cruelles attaques, le premier renoncement de saint Pierre fut simple, le second avec serment, et il ajouta su troisième des imprécations contre lui-même. C'est ainsi que l'on tombe d'un moindre péché dans un plus grand, quand on prête l'oreille aux suggestions de l'ennemi. Mais, saint Pierre ayant ouï le chant du coq, se souvint de la prédiction de son divin Maître, parce que sa Majesté le regarda avec sa bénigne miséricorde (1). La Reine de l'univers lui procura ce bonheur par ses charitables prières : car elle connut, du cénacle où elle était, les renoncements que l'Apôtre avait faits, et tout ce qui avait contribué â sa chute, entraîné qu'il avait été par la crainte naturelle, et bien plus encore par la violence de la tentation de Lucifer. Elle se prosterna aussitôt, et pria avec beaucoup de larmes pour saint Pierre, en représentant sa fragilité et en même temps les mérites de son adorable Fils. Le Seigneur lui-même excita le coeur de Pierre et le reprit avec douceur par le moyen de la lumière qu'il lui envoya, afin qu'il reconnût sa faute et qu'il la pleurât. L'Apôtre sortit incontinent de la maison du pontife, le coeur brisé par la plus vive douleur et par les sanglots que lui arrachait le regret de sa chute. Pour la pleurer dans toute l'amertume de son âme, il alla (1) Luc., XXII, 61. 31 dans une grotte, qui est maintenant appelée du chant du coq, où il pleura avec un profond repentir. Dans trois heures il recouvra la grâce, et obtint le pardon de ses péchés, n'ayant pourtant jamais été privé des saintes inspirations. Notre auguste Princesse lui envoya un, de ses anges, avec charge de le consoler secrètement et de le porter â conserver l'espérance du pardon, de peur qu'il ne lui fût retardé par la défiance et le découragement. Le saint ange partit avec ordre de ne point se manifester à Pierre, attendu que son péché était encore trop récent. Cet esprit céleste exécuta tout ce qui lui avait été ordonné, sans que l'Apôtre s'aperçût de sa présence; ainsi ce grand pénitent fut fortifié et consolé par les inspirations de l'Ange, et reçut le pardon de son crime par l'intercession de la très-pure Marie. Instruction que notre grande Reine m'a donnée. 1280. Ma fille, le secret mystérieux des opprobres, des outrages et des mépris auxquels fut en butte mon très-saint Fils, est lin livre scellé, qui ne peut être ouvert ni entendu que par la divine lumière, comme il vous a été donné de le connaître et de le lire en partie, quoique vous en écriviez beaucoup moins que vous n'en pénétrez, parce que vous ne sauriez tout exprimer. Mais comme ce livre vous est ouvert dans le plus 32 intime de votre coeur, je veux qu'il y reste imprimé, et que dans la connaissance de cet exemplaire vivant et véritable vous étudiiez la science divine, que ni la chair ni le sang ne peuvent vous enseigner, parce que le monde ne la connaît point, et qu'il ne mérite pas de la connaître. Cette divine philosophie consiste à comprendre et à aimer le bonheur inestimable du sort de ceux qui sont pauvres, humbles, affligés, méprisés et inconnus parmi les enfants de la vanité (1). Mon très-saint et très-aimé Fils établit cette école dans son Église, quand il prêcha et proposa à tous les huit béatitudes sur la montagne. Et il mit depuis cette dos trine en pratique, comme un Maître qui fait ce qu'il enseigne, quand il renouvela dans sa passion les chapitres de cette science qu'il s'appliquait à lui-même, ainsi que vous rayez rapporté. Cette école est partout ouverte aux catholiques; ce livre est toujours étalé sous leurs yeux, et pourtant, qu'il y en a peu et qu'on compterait aisément ceux qui entrent dans cette école et qui lisent dans ce livre, tandis qu'il y a une infinité d'insensés qui ignorent cette science, parce qu'ils ne se disposent point à en être instruits ! 1281. Les mortels ont la pauvreté en horreur, et sont affamés des richesses, sans que leur vanité puisse les désabuser. Que de gens qui se laissent emportera la colère et à la vengeance, et qui méprisent la mansuétude ! Qu'il en est peu qui gémissent de leurs véritables misères, et qu'il en est beaucoup qui cherchent les (1) Matth., V, 2, etc. 33 consolations terrestres ! A peine trouve-t-on un homme qui aime la justice, et qui ne soit injuste et déloyal envers son prochain. La miséricorde est éteinte, l'intégrité des coeurs violée ou blessée, la paix troublée. Personne ne vent pardonner; et, bien loin de vouloir souffrir pour la justice, les hommes font tous leurs efforts pour éviter les peines qui leur sont si légitimement dues. C'est pour cela, ma très-chère fille, qu'il s'en trouve très-peu qui soient bienheureux et qui reçoivent les bénédictions de mon très-saint Fils et les miennes. Vous avez maintes fois connu la juste colère du Très-Haut contre ceux, qui font profession de la foi, de ce qu'à la vue de leur exemplaire et du Maître de la vie, ils vivent presque comme des infidèles, et sont bien souvent plus horribles qu'eux; car ce sont eux qui méprisent véritablement le fruit de la rédemption, qu'ils avouent et qu'ils connaissent; ils commettent le mal avec impiété dans la terre des saints (1), et se rendent indignes du remède qui leur a été mis entre les mains avec tant de miséricorde. 1282. Je veux, ma fille, que vous travailliez à devenir bienheureuse, en suivant parfaitement mon exemple dans la mesure de la grâce que vous recevez pour entendre cette doctrine cachée aux sages et aux prudents du monde (2). Je vous découvre chaque jour de nouveaux secrets de ma sagesse, afin que votre, coeur s'enflamme, et que vous vous excitiez à porter votre main à des choses fortes (3). Je vais maintenant (1) Isa., XXVI, 10. - (2) Matth., XI, 35. - (3) Prov., XXXI, 19. 34 vous faire connaître un exercice auquel je m'adonnais, et dans lequel vous pourrez en partie m'imiter. Vous savez déjà que dès le premier instant de ma conception je fus pleine de grâce, exempte de la tache du péché originel et de toute participation à ses effets par ce privilège singulier, je fus dès lors bienheureuse dans les vertus, sans y sentir aucune répugnance, et sans titre obligée de satisfaire pour aucun propre péché. Néanmoins la science divine m'enseigna que, comme j'étais fille d'Adam en la nature qui avait péché, je devais, quoique je ne la fusse point dans le péché commis, m'humilier jusqu'au centre de la terre. Et comme j'avais les sens de la même espèce que ceux par lesquels la désobéissance avait été commise, et qu'en affectaient les mauvais effets auxquels alors et depuis s'est trouvée sujette la condition humaine, je devais, à cause de cette seule relation, les mortifier, les humilier et les priver de l'inclination qu'ils éprouvaient en cette même nature. De sorte que j'agissais comme une très-fidèle fille de famille, qui regarde comme sienne propre la dette de son père et de ses frères, quoiqu'elle ne l'ait point contractée, et qui tâche de la payer avec d'autant plus de zèle, qu'elle aime son père et ses frères, et qu'elle les voit dans l'impuissance d'y satisfaire, ne prenant aucun repos qu'elle ne soit parvenue à leur procurer une entière libération. C'est ce que je faisais à l'égard de tout le genre humain, dont je pleurais les misères et les péchés; et, comme j'étais fille d'Adam, je mortifiais eu moi les sens et les puissances par lesquels il avait 35 péché, et je m'humiliais comme confuse et coupable de sa désobéissance et de son péché, quoique j'en fusse exempte, et j'en faisais autant pour les autres, qui sont mes frères en la même nature. Vous ne sauriez m'imiter dans les mêmes conditions, parce que vous avez participé au péché. Mais c'est ce qui vous oblige à n'imiter dans les autres choses que je faisais sans en avoir été souillée : puisque l'obligation que vous avez de satisfaire à la justice divine, après l'avoir contractée, vous doit presser de travailler sans cesse et pour vous et pour votre prochain, et de vous humilier jusque dans le néant; car un coeur contrit et humilié porte la divine clémence à user de miséricorde (1). CHAPITRE XVII. Ce que notre Sauveur souffrit depuis le renoncement de saint Pierre jusqu'au lendemain, et la grande affliction de sa très-sainte Mère. 1283. Les écrivains sacrés ont passé cet endroit sous silence, sans avoir déclaré où l'on mit l'Auteur de la vie, ni ce qu'il souffrit, ni les injures qu'il reçut dans la maison de Caïphe et en sa présence, depuis le (1) Ps. L, 19. 36 renoncement de saint Pierre jusqu'au lendemain, tandis qu'ils ont tous parlé du nouveau conseil qui se tint pour envoyer le Seigneur à Pilate, comme on le verra dans le chapitre suivant. J'hésitais à m'arrêter à ces circonstances, et à écrire ce qui m'en a été découvert, parce qu'il m'a été aussi montré qu'on ne connaîtra pas tout dans cette vie, qu'il n'est pas même convenable de dire à tous certaines choses, et que les mystères de la vie et de la Passion de notre Rédempteur ne seront entièrement manifestés aux hommes qu'au jour du jugement. Pour ce qu'il m'est permis d'en révéler, je ne trouve point de termes qui soient proportionnés à l'idée que j'en ai formée, et encore moins à l'objet que je conçois, parce que tout y est ineffable et au-dessus de mon savoir-dire. Je dirai néanmoins par obéissance ce que je pourrai, pour n'être pas reprise d'avoir caché la vérité, qui confond et condamne tellement notre vanité et notre oubli. Je confesse en présence du Ciel mon insensibilité, puisque je ne meurs point de honte et de douleur après avoir commis des fautes qui ont conté tant de peines au même Dieu, qui m'a donné l'être et la vie que j'ai. Nous ne pouvons plus ignorer l'énormité du péché, puisqu'il a attiré tant de maux sur l'Auteur même de la grâce et de la gloire. Je serais la plus ingrate de tous les mortels, si dès maintenant je n'abhorrais le péché plus que la mort, et autant même que le démon; et je déclare cette obligation à tous les enfants de la sainte Église. 1284. Les opprobres que notre Seigneur Jésus 37 Christ reçut en présence de Caïphe lassèrent, sans l'assouvir, l'envie de cet ambitieux pontife et la rage de ses complices. Mais, comme minuit était déjà passé, ceux du conseil déterminèrent que, pendant qu'ils dormiraient, notre Sauveur serait gardé dans un lieu de sûreté jusqu'au lendemain. C'est pourquoi ils le firent mettre, garrotté comme il était, dans une espèce de cave souterraine qui servait de prison pour les plus grands voleurs et les plus scélérats. Cette prison était si obscure, qu'on n'y voyait presque pas, et si puante, qu'elle aurait été capable d'infecter toute la maison, si l'on n'eût pris soin d'en bien boucher les ouvertures : car il y avait plusieurs années qu'on ne l'avait ni lavée ni nettoyée, tant parce qu'elle était fort profonde, que parce que, lorsqu'on y renfermait des brigands, on n'éprouvait aucun scrupule à les jeter dans cet horrible cachot, comme des gens indignes de pitié, et comme des bêtes féroces et indomptables. 1285. On exécuta ce que le conseil d'iniquité avait prescrit; ainsi les soldats menèrent le Créateur du ciel et de la terre au fond de cet immonde cachot ! Et comme il était toujours lié en la même manière qu'il était venu du jardin, les bourreaux purent continuer à satisfaire à leur aise la rage que le prince des ténèbres leur inspirait : car, se servant des cordes dont le Seigneur était attaché, ils le tirèrent, ou plutôt le traînèrent dans cette prison avec une fureur incroyable, le chargeant de coups et de blasphèmes exécrables. Il se trouvait dans un coin le plus enfoncé 38 de cette cave une pointe de rocher si dure, qu'on n'avait pu la casser. Les bourreaux attachèrent notre Sauveur Jésus-Christ avec les bouts des cordes à ce rocher qui avait la forme d'un tronçon de colonne; mais ce fut avec un raffinement de cruauté, car il n'avait pas la liberté de se redresser ni de s'asseoir pour prendre le moindre soulagement, et cette posture était extrêmement gênante et pénible. L'ayant laissé dans cet état, ils fermèrent les portes de la prison , et en remirent les clefs à l'un de ces méchants satellites, afin qu'il les gardât. 1286. Mais le dragon infernal était continuellement agité par son orgueil, et brûlait toujours de découvrir qui était Jésus-Christ; et, voulant encore éprouver sa patience invincible, il s'unit à tous ces hommes pervers pour inventer une nouvelle méchanceté. Il poussa celui qui avait les clefs du lieu où était le divin prisonnier et le plus grand trésor du ciel et de la terre, à solliciter ses compagnons, aussi méchants que lui, de descendre tous ensemble dans la prison où était le Maître de la vie, et de s'entretenir un peu avec lui pour lui donner occasion de deviner ou de faire quelque prodige, car ils le prenaient pour un magicien. Cédant à cette suggestion diabolique, le geôlier appela d'autres soldats et satellites, qui adoptèrent son projet. Mais, pendant qu'ils se préparaient à l'exécuter, il arriva que la multitude d'anges qui accompagnaient le Rédempteur dans sa Passion, l'ayant vu dans une posture si pénible et dans un lieu si abject et si sale, se prosternèrent devant lui et l'adorèrent 39 pour leur Dieu véritable; et, plus il se rendait admirable en se laissant traiter de la sorte pour l'amour des hommes, plus ils s'empressaient de lui témoigner leur vénération, et de lui offrir l'hommage de leur culte. Ils lui chantèrent quelques- unes des hymnes que sa très-pure Mère avait faites à sa louange, comme je l'ai dit plus haut. Et tous les esprits célestes le prièrent au nom de cette auguste Reine, que, puisqu'il ne voulait pas montrer la puissance de sa droite en délivrant sa très- sainte humanité de tant de peines, il leur permît au moins de le délier pour lui donner quelque soulagement, et de le défendre contre cette troupe de bourreaux, qui, inspirés par Lucifer, se disposaient à lui faire de nouveaux outrages. 1287. Le Sauveur, ne voulant pas recevoir le service plue les anges s'offraient à lui rendre , leur dit Ministres de mon Père éternel, ce n'est pas ma volonté que vous me donniez maintenant aucun sou lapement dans ma passion; je veux souffrir tous ces opprobres et toutes ces peines, afin de satisfaire à l'ardente charité avec laquelle j'aime les hommes, et laisser à mes élus et amis cet exemple, afin qu'ils m'imitent et qu'ils ne perdent point courage dans la tribulation, et afin que tous estiment les trésors de la grâce que je leur ai méritée avec abondance par le moyen de ces peines. Je veux aussi justifier ma cause, et montrer aux réprouvés, au jour de ma colère, combien il est juste qu'ils soient damnés, après avoir méprisé la très- douloureuse passion 40 que j'ai subie pour leur procurer le salut. Vous direz à ma Mère qu'elle se console dans cette tribulation, en attendant que le jour de la joie et du repos arrive; qu'elle m'imite maintenant en ce que je fais et en ce que j'endure pour les hommes, et que j'accepte sa tendre compassion et toutes ses oeuvres avec beaucoup de complaisance. " Les saints anges allèrent aussitôt trouver leur grande Reine, et ils la consolèrent par leur ambassade sensible, quoiqu'elle connût par une autre voie la volonté de son très-saint Fils et tout ce qui se passait dans la maison de Caïphe. Et lorsqu'elle vit la nouvelle cruauté que l'on exerçait sur l'Agneau du Seigneur et la posture si pénible de son très-saint corps, elle sentit la même douleur en sa très- pure personne, comme elle sentait toutes les autres peines de l'Auteur de la vie; car elles se répercutaient toutes comme un écho miraculeux dans le corps virginal de cette très-innocente colombe; le même glaive de douleur transperçait et le Fils et la Mère, avec cette différence pourtant, que Jésus-Christ soutirait comme Homme- Dieu et l'unique Rédempteur des hommes, et la bienheureuse Marie comme simple créature et la coadjutrice de son très-saint Fils. 1288. Quand elle sut que sa Majesté permettait à cette bande hideuse, excitée par le démon, d'entrer dans la prison, la tendre mère pleura amèrement pour les nouveaux outrages dont son fils serait l'objet. Et, prévoyant les desseins sacrilèges de Lucifer, elle résolut d'user de son autorité de Reine pour empêcher 41 qu'on ne fit, contre la personne de notre Seigneur Jésus-Christ, aucune des actions indécentes par lesquelles ce dragon prétendait satisfaire la barbarie de ces misérables. Car, quoique tous les actes qu'ils commettaient pour maltraiter le Sauveur fussent odieux et d'une extrême irrévérence par rapport à sa divine personne, certains pouvaient être plus contraires à la décence, et c'est à ceux-là que l'ennemi poussait ses instruments pour irriter le Seigneur, n'ayant pu altérer sa douceur par les autres. Les oeuvres que fit notre auguste Princesse dans cette occasion et dans tout le cours de la passion furent si admirables, si héroïques et si extraordinaires, qu'on ne saurait les louer ni les raconter dignement, quand même on écrirait plusieurs livres sur ce seul sujet; ainsi il faut le réserver pour quand on jouira de la vision béatifique, attendu qu'il n'est pas possible de le traiter pendant cette vie. 1289. Or ces ministres d'iniquité entrèrent dans la prison, solennisant par des blasphèmes la fête qu'ils se promettaient au milieu des insultes et des sarcasmes auxquels ils étaient décidés à se livrer contre le Seigneur des créatures. Et l'ayant abordé ils se mirent à lui cracher vilainement su visage, et à lui donner des soufflets avec un mépris incroyable. Le Sauveur n'ouvrit point la bouche et ne leva pas même les yeux, se tenant toujours dans une humble sérénité. Ces ministres sacrilèges voulaient l'obliger de parler ou de faire quelque action ridicule ou extraordinaire, pour avoir occasion de le faire passer pour 42 magicien et de se moquer de lui encore davantage; quand ils virent cette douceur inaltérable, ils se laissèrent aller à tous les transports de la colère qu'excitaient en eux les démons qui les accompagnaient. lis détachèrent notre divin Maître du rocher auquel il était lié, le placèrent su centre de la prison, et lui bandèrent les yeux avec un linge; et l'ayant ainsi au milieu d'eux, chacun lui donnait à l'envi des coups de poing et des soufflets, et redoublant leurs railleries et leurs blasphèmes, ils lui disaient de deviner qui l'avait frappé. Ces misérables proférèrent plus souvent ces blasphèmes dans cette occasion qu'en la présence de Caïphe; et lorsque saint Matthieu, saint Marc et saint Luc (1) racontent ce qui se passa devant ce pontife, ils comprennent tacitement ce qui arriva depuis. 1290. Le très-doux Agneau se taisait parmi tant d'opprobres et de blasphèmes. Et Lucifer, qui souhaitait avec ardeur qu'il lui échappât nu léger mouvement d'impatience, enrageait de voir la sérénité inaltérable de notre Sauveur; et il inspira avec nue malice infernale à ces hommes, qui étaient et ses esclaves et ses amis, de lui arracher tous ses vêtements, et de le traiter avec toute d'irrévérence et toute: la cruauté qu'un ennemi si exécrable pouvait imaginer. Les soldats ne résistèrent point à cette tentation, et résolurent d'exécuter un semblable projet. Mais notre très-prudente Dame usa de sein pouvoir de Reine (1) Matth., XXVI, 67; Marc., XIV, 65; Luc., XXII, 64. 43 pour empêcher ce sacrilège abominable, recourant aussi aux prières, aux larmes et aux soupirs; car elle pria le Père éternel de refuser son concours aux causes secondes de telles actions, et elle prescrivit aux organes des bourreaux eux-mêmes de n'user point de la vertu naturelle qu'ils avaient pour agir. Il résulta de cet ordre qu'ils ne purent rien exécuter de tout ce que le démon et leur propre malice leur suggéraient à cet égard; car ils oubliaient aussitôt beaucoup de choses, et ils n'avaient pas la force d'accomplir les autres choses qu'ils désiraient faire ; leurs bras étaient comme engourdis et perclus jusqu'à ce qu'ils eussent renoncé à leur mauvais dessein. Quand ils y avaient renoncé, ils revenaient à leur état naturel; parce que le miracle n'avait point lieu alors pour les châtier, mais seulement pour empocher les actions plus indécentes, et permettre celles qui l'étaient moins, ou celles d'une autre espèce d'irrévérence que le Seigneur voulait bien souffrir. 1291. Notre puissante Reine imposa silence aux démons, et leur défendit d'exciter les ministres et les soldats à commettre ces indécences, auxquelles Lucifer voulait les porter. Par cette défense le dragon fut abattu, et n'eut pas la forcé d'entreprendre ce que la bienheureuse Vierge lui interdisait, ainsi il ne lui fut pas possible d'irriter davantage ces hommes dépravés, et ceux-ci ne purent ni dire ni faire autre chose que ce qui leur était permis. Mais après avoir éprouvé en eux-mêmes coq effets aussi admirables qu'étranges, ils ne méritèrent pas de se détromper ni de 44 reconnaître la puissance divine, quoiqu'ils se sentissent tantôt comme perclus, et tantôt libres et sains, et tout cela subitement; ces endurcis l'attribuaient à l'art magique et disaient que le Maître de la vérité et de la vie était un enchanteur. Et dans cette erreur diabolique ils continuèrent à maltraiter le Sauveur et à le couvrir de mille moqueries injurieuses, jusqu'à ce qu'ils s aperçurent que la nuit était déjà fort avancée, et alors ils le lièrent de nouveau au rocher; ensuite ils sortirent du cachot ainsi que les démons. Ce fut une disposition de la Sagesse divine de remettre au pouvoir de la bienheureuse Marie la défense de son très-saint Fils quant à tees choses intéressant l'honnêteté et la décence, par lesquelles il n'était pas convenable que Lucifer et ses ministres l'offensassent. 1292. Notre Sauveur se trouva une seconde fois seul dans cette prison, assisté néanmoins des esprits célestes qui admiraient les oeuvres et les secrets jugements de sa divine Majesté en ce qu'elle avait bien voulu souffrir, et qui, à la vue de ces merveilles, lui offrirent leurs louanges et leurs profondes adorations, ne cessant de glorifier et d'exalter son saint Nom. Notre divin Rédempteur fit une longue prière à son Père éternel, pour ceux qui devaient être les enfants de son Église évangélique, pour l'exaltation de la foi et pour les apôtres, surtout pour saint Pierre, qui pleurait alors son péché. Il pria aussi pour ceux qui l'avaient outragé, et il appliqua plus particulièrement sa prière à sa très-sainte Mère, et à ceux qui, à 45 son imitation, seraient affligés et méprisée du monde; et il offrit pour toutes ces fins sa passion et la mort qu'il attendait. Au même moment la Mère de douleurs faisait la même prière pour les enfants de l'Église et pour les ennemis de son Fils et les siens, sans avoir contre ceux-ci ni colère ni aigreur. Elle tourna. toute son indignation contre le démon, comme incapable de la grâce à cause de son obstination irréparable. Et dans la sensible affliction où elle était, elle dit avec beaucoup de larmes au Seigneur. 1293. " Amour et bien de mon âme, mon Fils et mon Seigneur, vous êtes digne que toutes les créatures vous rendent le culte de respect, d'honneur et de louanges qu'elles vous doivent; car vous êtes l'image du Père éternel et la figure de sa a substance (1), infini en votre être et en vos perfections; vous êtes le principe et la fin de toute sainteté (2). Si ces mêmes créatures dépendent absolument de votre volonté, comment, Seigneur, méprisent-elles, outragent-elles et tourmentent elles maintenant votre personne, qui mérite tous les hommages d'une adoration suprême? Continent la malice des hommes a-t-elle osé s'élever avec tant de témérité? Comment l'orgueil s'est-il oublié jusqu'à mettre sa bouche dans le ciel? Comment l'envie a-t-elle été si puissante? Vous êtes l'unique et radieux Soleil de justice, qui éclaire et qui bannit les ténèbres du péché (3). Vous êtes la source de la (1) Hebr., I, 3. - (2) Apoc., I, 8. - (3) Joan., I, 29. 46 grâce, qui ne se refuse à aucun de ceux qui veulent la recevoir. C'est vous qui, par un amour libéral, donnez l'être et le mouvement à ceux qui l'ont dans la vie (1), et dont toutes les créatures reçoivent leur conservation; tout dépend nécessairement de vous, sans que vous ayez besoin de rien. Or qu'ont elles vu, ces créatures, dans vos oeuvres? Qu'ont elles trouvé en votre personne pour vous maltraiter de la sorte? O laideur effroyable du péché, qui es bien pu défigurer à ce point la beauté du ciel et obscurcir les brillants rayons de la face la plus vénérable ! O monstre impitoyable, qui traites avec tant d'inhumanité le Réparateur même de tes ravages ! Mais je connais, mon Fils, que vous êtes l'Artisan du véritable amour, l'Auteur du salut du genre humain, le Maître et le Seigneur des vertus (2), et que vous mettez en pratique la doctrine que vous enseignez aux humbles disciples de votre école. Vous humiliez et confondez l'orgueil, et vous êtes pour tous l'exemple de salut éternel. Et si vous voulez que tous imitent votre charité et de votre patience ineffable, je dois être la première à suivre votre exemple, moi qui vous ai donné la chair passible en laquelle vous êtes bafoué, couvert de crachats, accablé de coups. Oh ! si je pouvais moi soute souffrir toutes ces peines, et faire en sorte, mon très-innocent Fils, que vous en fussiez délivré! Mais si cela n'est pas possible, accordez-moi (1) Act., XVII, 28. - (2) Ps. XXIII, 10. 47 du moins de souffrir avec vous jusqu'à la mort. Et vous, esprits célestes, qui admirez la patience de mon bien-aimé, et qui connaissez sa divinité immuable, et l'innocence et la dignité de son humanité véritable, réparez les injures et les blasphèmes qu'il reçoit des hommes. Et proclamez qu'il est digne de recevoir l'honneur, la gloire, la sagesse, la puissance et la force (1). Conviez les cieux, les planètes, les étoiles et les éléments à le reconnaître, et voyez s'il est une douleur égale à la mienne (2). " Telles étaient, entre autres, les tristes plaintes par lesquelles la Mère désolée exhalait et soulageait quelque peu son amère douleur. 1294. La patience que montra notre auguste Princesse dans la passion et à la mort de son bien-aimé Fils, fut incomparable : car elle ne crut jamais souffrir assez; la grandeur de ses peines n'égalait point celle de son affection, qu'elle mesurait à l'amour et à la dignité de son très-saint Fils, et à l'excès de ses souffrances : dans tous les outrages que l'on faisait au même Seigneur, elle ne témoigna pas le moindre ressentiment personnel. Il n'y en avait point un seul qui lui échappât; mais elle ne s'en considérait point comme directement offensée, elle les déplorait en tant qu'ils offensaient la divine personne de son Fils, et qu'ils devaient tourner au préjudice des agresseurs; elle pria pour tous, et sollicita le Très-haut de leur pardonner, de les retirer du péché et de tout mal, (1) Apoc., V, 12. - (2) Thren., I, 12. 48 de les éclairer par sa divine lumière, et de leur faire la grâce d'acquérir le fruit de la rédemption. Instruction que j'ai reçue de la très-sainte Vierge. 1295. Ma fille, il est écrit dans l'Évangile (1) que le Père éternel a donné à son Fils unique et le mien la puissance de juger et de condamner les réprouvés au dernier jour du jugement universel. Et cela devait être, non-seulement afin que tous ceux qui seront jugés et criminels, voient alors le Juge suprême qui les condamnera selon la volonté et l'équité divine, mais encore afin qu'ils voient cette même forme de son humanité sainte, en laquelle ils ont été rachetés (2), et découvrent en elle les opprobres et les tourments qu'elle a subis pour les délivrer de la damnation éternelle; et le même Seigneur qui les doit juger leur représentera tout ce qu'il a fait pour eux. Et comme ils ne pourront lui alléguer aucune excuse ni trouver . aucune justification, cette confusion sera pour eux le commencement de la peine éternelle qu'ils ont méritée par leur ingratitude obstinée. Car alors éclatera au grand jour l'immensité de la miséricorde avec; laquelle ils ont été rachetés, et l'équité de la justice avec laquelle ils seront condamnés. La douleur, les (1) Joan., V, 27. - (2) Apoc., I, 7. 49 peines et les amertumes que souffrit mon très-saint Fils à la pensée que tous ne profiteraient pas du fruit de la rédemption, furent extrêmes; et ce fut ce qui me déchira le tueur dans le temps que je le voyais en butte à des outrages, à des blasphèmes et à des tourments si impies et si cruels, qu'il est impossible de les dépeindre dans la vie présente. Pour moi, j'en conçus une juste et claire idée, et ma douleur fut proportionnée à cette connaissance, aussi bien que l'amour et la vénération que j'avais pour Jésus-Christ, mon Seigneur et mou Fils. Mais la plus grande peine que j'eus après celle-là, ce fut de savoir que sa Majesté ayant souffert une passion et une mort si affreuse pour les hommes , il s'en trouverait un si grand nombre qui se damneraient en dépit de cette rançon d'une valeur infinie. 1296. Je veux que vous m'imitiez aussi en cette douleur, et que vous vous affligiez de ce malheur déplorable; car parmi les mortels il n'y en a point d'autre qui mérite beaucoup de larmes et de lamentations, et il n'est point de douleur qui soit comparable à celle-ci. On voit peu de gens dans le monde qui réfléchissent à cette vérité avec l'attention convenable. Mais mon Fils et moi regardons avec une complaisance particulière ceux,qui nous imitent en cette douleur, et qui s'affligent de la perte de tant d'âmes. Tâchez, ma très-chère fille, de vous distinguer dans ces saints exercices, et ne cessez de prier; car vous né savez comment le Très-Haut acceptera vos prières. Mais vous devez savoir qu'il promet de donner à ceux 50 qui demanderont, et d'ouvrir la porte de ses trésors infinis à ceux qui y frapperont (1). Et afin que vous ayez de quoi lui offrir, gravez dans votre coeur et dans votre mémoire ce que mon très-saint Fils et votre Époux a souffert de la part de ces hommes pervers et de ces vils bourreaux; contemplez la patience invincible, la mansuétude et le calme silencieux avec lesquels il s'est assujetti à leur inique volonté. Profitez dès maintenant de cet exemple, -et faites en sorte que ni l'appétit irascible ni aucune autre passion de fille d'Adam ne règnent en vous; qu'il n'y ait dans votre coeur qu'une horreur efficace pour le péché de l'orgueil et pour tout ce qui pourrait vous porter à mépriser et à offenser votre prochain. Demandez au Seigneur la patience, la douceur, la tranquillité dans les souffrances et l'amour de sa croix. Unissez-vous à elle, prenez-la avec une pieuse affection, et suivez Jésus- Christ votre époux (2), afin que vous puissiez l'atteindre. (1) Luc., XI, 9. - (2) Matth., XVI, 24. CHAPITRE XVIII. On assemble le conseil dès le vendredi matin pour vider la cause de notre Sauveur Jésus-Christ. - On l'amène à Pilate. - Sa très-sainte Mère, saint Jean l'Évangéliste, et les trois Marie, vont à sa rencontre. 1297. Les évangélistes disent (1) que le vendredi matin les anciens du peuple s'assemblèrent avec les princes des prêtres et les scribes, qui étaient les plus respectés du peuple, parce qu'ils étaient savants en la loi; et ce fut pour terminer d'un commun accord la cause de Jésus-Christ et pour le condamner à la mort, comme tous ceux du conseil le souhaitaient, en couvrant leur décision d'une apparence de justice, afin de satisfaire le peuple. Ce conseil se tint dans la maison de Caïphe, où le Sauveur était en prison. Et pour l'examiner de nouveau, ils ordonnèrent de le faire monter dans la salle du conseil. Les satellites descendirent aussitôt dans la prison pour exécuter cet ordre; et comme ils le détachaient de ce rocher dont j'ai parlé, ils lui dirent en se moquant de lui : " Sus, sus, Jésus de Nazareth, il faut marcher; tes miracles (1) Matth., XXVII, 1; Marc., XV, 1; Luc., XXII, 66; Joan., XVIII, 28. 52 ne t'ont guère servi pour te défendre. Ne pourrais-tu pas maintenant employer pour te sauver cet art merveilleux par les secrets duquel tu disais que tu rebâtirais le Temple en trois jours? Mais tu paieras à cette heure tes vaines forfanteries, et nous allons rabattre tes hautes pensées. Viens, viens, car les princes des prêtres et les scribes t'attendent pour mettre un terme à tes fourberies et te livrer à Pilate, qui saura bien en finir d'un coup avec toi. " On détacha le Seigneur de ce rocher, et on le mena garrotté comme il était devant le conseil, sans qu'il ouvrît seulement la bouche. Mais il était si défiguré par les coups et par les crachats, dont il n'avait pu se nettoyer ayant les mains liées, qu'il causa de l'horreur à ceux du conseil , sans qu'ils en eussent la moindre compassion, si grande était la haine qu'ils avaient conçue contre notre adorable Maître ! 1298. Ils lui demandèrent encore s'il était le Christ, c'est-à-dire l'Oint (1). Cette seconde demande fut faite avec une intention malicieuse comme les autres, non pour entendre et accepter la vérité, mais pour la calomnier et rétorquer contre lui sa propre réponse. Mais le Seigneur, qui voulait mourir pour la vérité, ne voulut point la nier, ni l'avouer de manière qu'ils la méprisassent et qu'ils prissent quelque prétexte pour la décrier; car la seule apparence même de la calomnie était incompatible avec son innocence et avec sa sagesse. C'est pourquoi il tempéra sa réponse de telle (1) Luc., XXII, 66. 53 sorte, que, si les pharisiens avaient un peu de piété, ils auraient aussi occasion de rechercher avec un zèle véritable le mystère que ses paroles renfermaient; et que, s'ils n'en avaient point, on sût que la faute était en leur mauvaise intention, et non en la réponse du Sauveur. Il leur répondit donc : Si je vous dis que je le suis, vous ne me croirez point; et si je vous interroge sur quelque chose, vous ne me répondrez pas, et vous ne me laisserez pas aller (1). Néanmoins, je vous dis que désormais le Fils de l'homme sera assis à la droite de la puissance de Dieu (2). Les pontifes répliquèrent : Vous êtes donc le Fils de Dieu? Le Seigneur leur répondit : Vous le dites, je le suis (3). Et ce fut comme s'il eût dit: La conséquence que vous avez tirée que je suis le Fils de Dieu est fort légitime : car mes oeuvres, ma doctrine, vos Écritures, et tout ce que vous faites et que vous ferez à mon égard, rendent témoignage que je suis le Christ promis en la loi. 1299. Mais comme ces hommes remplis de malice n'étaient point disposés à ouvrir leur cœur à la vérité divine, quoiqu'ils l'entrevissent à travers de claires conséquences, et qu'ils pussent y ajouter foi, ils ne l'entendirent et ne la crurent pourtant pas; au contraire, ils la regardèrent comme un blasphème digne de mort. Et voyant que le Seigneur confirmait ce qu'il avait déjà avoué, ils dirent : Qu'avons-nous besoin encore du témoignage de témoins, puisque nous avons entendu nous-mêmes de sa bouche (4)? Aussitôt ils (1) Luc., XXII, 67 et 68. - (2) Ibid., 69. - (3) Ibid., 70. - (4) Ibid., 71. 54 déterminèrent, d'un commun accord, qu'étant digne de mort, il serait emmené devant Ponce-Pilate, qui gouvernait la province de Judée an nom de l'empereur romain, comme maître de la Palestine pour ce qui concernait le temporel. Et, selon les lois de l'empire romain, les causes qui entraînaient la peine capitale étaient renvoyées au sénat, ou à l'empereur, ou à ses ministres, qui gouvernaient les provinces éloignées; car ils ne s'en remettaient point aux gens du pays, voulant que les suaires assez graves pour pouvoir aboutir au dernier supplice fussent examinées avec plus d'attention, et qu'aucun criminel ne fût condamné sans être ouï, et sans avoir eu le temps de se défendre; car, quant à ces règles de justice, les Romains se conformaient plus qu'aucune autre nation à la loi naturelle de la raison. Pour ce qui regarde notre Seigneur Jésus-Christ, les pontifes et les scribes étaient bien aises qu'il mourût par la sentence de Pilate, qui était idolâtre, pour se mettre à couvert des reproches du peuple, en disant que le gouverneur romain l'avait condamné, et qu'il ne l'aurait pas fait s'il n'eût été digne de mort. Leur perversité et leur hypocrisie les aveuglaient tellement, qu'ils se flattaient de pouvoir cacher leur jeu, comme s'ils n'eussent pas été les auteurs de toutes ces infàmes manœuvres, et plus sacrilèges que le juge idolâtre; mais le Seigneur fit que leur méchanceté se trahit aux yeux de tous parles instances mêmes qu'ils firent auprès de Pilate, comme nous le verrons bientôt. 1300. Les satellites amenèrent notre Sauveur Jésus 55 Christ de la maison de Caïphe à celle de Pilate, pour le lui présenter lié avec des chaînes et des cordes, comme digne de mort. La ville de Jérusalem était pleine de gens qui y étaient accourus de tous les coins de la Palestine, pour y célébrer la grande pâque de l'agneau et des azymes. Mille bruits s'étaient déjà répandus parmi le peuple, et le Maître de la vie était universellement connu, de sorte que les rues regorgeaient d'une multitude innombrable, curieuse de le voir passer ainsi garrotté, et se partageant déjà en divers camps. Les uns criaient: Qu'il meure, qu'il meure, ce méchant homme, cet imposteur qui trompait le monde. Les autres disaient: Sa doctrine et ses œuvres ne paraissaient pas être si mauvaises; il faisait du bien à tous. Ceux qui avaient cru en lui s'affligeaient et pleuraient, et toute la ville était dans le trouble et l'agitation. Lucifer et ses démons étaient fort attentifs à tout ce qui se passait; et cet ennemi, se voyant secrètement vaincu par la douceur et la patience invincible de notre Seigneur Jésus-Christ, se débattait contre son propre orgueil et sa propre fureur, soupçonnant de plus en plus que ces vertus dont il était si fort tourmenté ne pouvaient pas se trouver chez un simple mortel. D'autre part, il présumait que les mauvais traitements qu'il recevait, le mépris souverain qu'il subissait, et les défaillances qu'il ressentait en son corps, ne pourraient point compatir avec la perfection d'un homme qui serait véritablement Dieu; parce que, s'il l'était, concluait le dragon, la vertu et la nature divine, communiquée à la nature 56 humaine, produirait en celle-ci de grands effets qui empêcheraient ces sortes de défaillances, et ne permettrait point les outrages qu'on lui faisait. C'était la pensée de Lucifer, qui ignorait le prodige secret et divin par lequel notre Seigneur Jésus- Christ avait suspendu les effets qui auraient pu rejaillir de la divinité sur la nature humaine, afin que les souffrances arrivassent à leur plus haut degré, comme je l'ai dit ci-dessus. Dans ces doutes, le superbe dragon redoublait de rage et s'acharnait de plus en plus à persécuter le Seigneur, afin de découvrir quel était celui qui endurait ainsi de pareils tourments. 1301. Le soleil était déjà levé quand cela arrivait, et la Mère de douleurs, qui observait toute chose, résolut de sortir, de sa retraite pour suivre son très-saint Fils à la maison de Pilate, et l'accompagner jusqu'à la croix. Comme elle sortait du cénacle, saint Jean survint pour l'informer de tout ce qui se passait; car le disciple bien-aimé ignorait alors que la bienheureuse Marie connût par une vision particulière toutes les oeuvres de son divin Fils, ainsi que leurs divers incidents. Après le renoncement de saint Pierre, saint Jean s'était retiré, observant de plus loin les événements. Il reconnut aussi la faute qu'il avait commise en prenant la fuite su jardin, et, se présentant à notre auguste Reine, il la salua avec beaucoup de larmes comme Mère de Dieu, et sollicita humblement son pardon ; ensuite il lui dit tout ce qui se passait dans son coeur, tout ce qu'il avait fait, et tout ce qu'il avait vu en suivant son divin Maître. Il crut qu'il 57 fallait prévenir la Mère désolée, afin d'adoucir la cruelle impression dont elle serait frappée, à l'aspect de son très-saint Fils. Et, voulant dès lors la préparer à ce triste spectacle, il lui dit : " O ma vénérée Dame, à quel état est réduit notre divin Maître ! Il n'est pas possible de le regarder sans en avoir le coeur brisé . les coups et les crachats ont tellement défiguré son visage si beau, que vous aurez peine à le reconnaître quand vous le verrez. " La très-prudente Mère écouta ce récit avec autant d'attention que si elle eût ignoré les mauvais traitements que l'on faisait à notre Rédempteur; mais elle fondait en larmes, et était abreuvée d'amertume et de douleur. Les saintes femmes, qui se trouvaient auprès d'elle, entendirent aussi ce triste récit; elles en eurent le cœur percé de la même douleur, et furent saisies d'un grand étonnement. La Reine du ciel ordonna à saint Jean de la suivre avec ces dévotes femmes, auxquelles elle adressa ces paroles : " Hâtons-nous, afin que je puisse voir le Fils du Père éternel, qui a pris chair humaine dans mon sein; vous verrez, mes très chères amies, ce que l'amour que mon Seigneur et mon Dieu porte aux hommes a bien pu opérer en lui, et ce qu'il lui colite pour les racheter du péché et de la mort, et pour leur ouvrir les portes du ciel. " 1302. La divine Reine alla par les rues de Jérusalem, accompagnée de saint Jean, des saintes femmes (quoique toutes ne la suivissent pas toujours, hormis les trois Marie et quelques autres fort pieuses), et des 58 anges de sa garde; elle dit à ces esprits célestes de faire en sorte, que la foule du peuple ne l'empêchât point de parvenir à l'endroit où se trouvait son très-saint Fils. Ils lui obéirent et lui en facilitèrent l'abord. Elle entendait par les rites où elle passait les divers discours que l'on tenait et les divers jugements que l'on portait sur un cas si lamentable; car tout le monde s'entretenait de ce qui venait d'arriver à Jésus de Nazareth. Les personnes les plus compatissantes s'en affligeaient, et c'était le petit nombre : quelques-uns s'informaient pourquoi on le voulait crucifier; d'autres parlaient du lieu où il allait, et racontaient qu'on le menait lié comme un scélérat; ceux-ci avouaient qu'il était fort maltraité; ceux-là demandaient quel crime il avait commis, pour être soumis à un châtiment si cruel; enfin, beaucoup de gens disaient avec surprise ou avec peu de foi: Voilà donc où ont abouti tous ses miracles? Il faut que cet homme soit un imposteur, puisqu'il n'a pas su se défendre ni se délivrer. Toutes les rues, toutes les places retentissaient de discussions et de murmures. Mais, au milieu d'un pareil tumulte, notre invincible Reine conservait, malgré l'excès de sa douleur, une sérénité et une constance imperturbables, priant pour les incrédules et pour les malfaiteurs, comme si elle n'eût point eu d'autre soin que de travailler à obtenir le pardon de leurs péchés, et elle les aimait avec autant de charité que si elle en eût reçu de grands bienfaits. Elle ne s'irrita point contre ces ministres sacrilèges de la passion et de la mort de son bien-aimé Fils, et ne 59 témoigna pas même la moindre indignation. Au contraire, elle les regardait avec affection, et leur faisait du bien. 1303. Plusieurs de ceux qui la rencontraient dans les rues reconnaissaient la Mère de Jésus de Nazareth, et lui disaient, émus d'une compassion naturelle: " O Mère affligée! quel malheur est le vôtre! Comme votre coeur doit être brisé, déchiré! " D'autres lui disaient avec impiété : " Que vous avez mal élevé votre fils! Pourquoi permettiez-vous qu'il introduisit tant de nouveautés parmi le peuple? Vous auriez bien mieux fait de les avoir empêchées; mais cet exemple servira pour les autres mères, qui apprendront par votre infortune à instruire leurs enfants. " La très- innocente colombe entendait ces discours et d'autres semblables, encore plus injurieux; elle les accueillait tous, dans son ardente charité, avec les sentiments convenables, agréant la compassion des gens humains, supportant la dureté impie des incrédules, ne s'étonnant point du procédé des ingrats et des ignorants, et priant tour à tour le Très-Haut pour les uns et pour les autres. 1304. Les saints anges conduisirent à travers cette cohue la Reine de l'univers à l'angle d'une rue où elle rencontra son très-saint Fils; aussitôt elle se prosterna devant lui, et l'adora avec la plus haute et la plus fervente vénération que toutes les créatures ensemble lui aient jamais rendue. Ensuite elle se leva, et le Fils et la Mère se regardèrent avec une tendresse ineffable; ils se parlèrent intérieurement, le coeur navré 60 d'une douleur qu'on ne saurait exprimer. Puis la très-prudente Dame se retira un peu en arrière, et suivit notre Seigneur Jésus-Christ, en s'entretenant avec lui et avec le Père éternel dans le secret de son âme; mais c'était d'une manière si sublime, que la langue corruptible des mortels n'est pas capable d'en donner une juste idée. Cette Mère affligée disait : " Dieu suprême, mon Fils, je connais les ardeurs de la charité que vous avez pour les hommes, et qui vous oblige de cacher la puissance infinie de votre Divinité sous la forme de la chair passible que vous avez reçue dans mon sein (1). Je glorifie votre Sagesse incompréhensible, par laquelle vous acceptez des outrages si sanglants, et vous vous livrez, vous qui êtes le Seigneur de tout ce qui est créé, pour le rachat de l'homme, qui n'est qu'un esclave aussi vil que la cendre et la poussière (2). Vous êtes digne d'être loué et béni de toutes les créatures, et elles doivent exalter votre bonté immense mais moi, qui suis votre Mère, comment cesserais je de vouloir que ces opprobres retombent sur moi seule, et non point sur votre divine personne, qui est la beauté que les anges contemplent et la splendeur de la gloire du Père éternel? Comment me résignerais-je à ne point tâcher de vous procurer quelque soulagement dans de pareilles peines? Comment puis-je vous voir si affligé et si défiguré, et souffrir qu'on ne manque de compassion et de (1) Philip., II, 7. - (2) Gen., III, 19. 61 pitié qu'envers le Créateur et le Rédempteur dans une passion si amère? Mais s'il n'est pas possible que je vous donne, comme Mère, aucun soulage ment, agréez, comme Fils et comme Dieu saint et véritable, ma douleur et le sacrifice que je vous offre, de l'impuissance où je me trouve de diminuer vos peines. " 1305. Notre auguste Princesse garda durant toute sa vie au fond de son âme l'image de son très-saint Fils ainsi maltraité, défiguré, enchaîné et lié; et elle resta toujours aussi vivement frappée de ce triste spectacle que si elle eût continué à l'avoir sous les yeux. Notre Seigneur Jésus-Christ arriva à la maison de Pilate suivi de plusieurs membres du conseil des Juifs, et d'une foule innombrable composée de toutes les classes de la population. En le présentant au juge, les Juifs se tinrent hors du prétoire, affectant de vouloir, par zèle religieux, éviter toute espèce d'irrégularité, afin de pouvoir célébrer la pâque des pains sans levain, pour laquelle ils devaient être tout à fait purs d'infractions commises contre la loi (1). Et ces stupides hypocrites ne faisaient point de cas de l'horrible sacrilège dont ils souillaient leurs âmes en se rendant homicides de l'innocent! Pilate, quoique gentil, eut quelque égard pour les cérémonies des Juifs; et, voyant qu'ils faisaient difficulté d'entrer dans le prétoire, il en sortit. Et, selon la coutume des Romains, il leur demanda: De quoi accusez-vous cet homme (2) ? (1) Joan., XVIII, 28. - (2) Ibid., 29. 62 Les Juifs lui répondirent: Si ce n'était pas un scélérat, nous ne vous l'eussions pas livré de la sorte (1). Et ce fut comme s'ils lui eussent dit : Nous avons examiné ses méfaits, et nous sommes si attachés à la justice et à nos devoirs, que, s'il n'était pas un insigne criminel, nous ne procèderions pas contre lui. Pilate leur répliqua: " Quels crimes a-t-il donc commis? 11 a été convaincu, répondirent les Juifs, d'avoir troublé tout le pays et voulu s'établir notre roi, d'avoir défendu de payer les tributs à César, de s'être fait le Fils de Dieu (2), et d'avoir prêché une nouvelle doctrine, enseignant dans toute la Judée, depuis la Galilée jusqu'ici (3). " Alors Pilate leur dit : " Prenez-le vous-mêmes, et jugez-le selon votre loi; car je ne trouve aucun motif pour le juger. " Les Juifs répliquèrent ; " Il ne nous est pas permis de condamner à mort, et encore moins de faire mourir qui que ce soit (4). " 1306. La bienheureuse Marie, saint Jean et les femmes qui la suivaient, se trouvaient présents à toutes ces procédures; car les saints anges conduisirent leur Reine à un endroit d'où elle pouvait voir et ouïr tout ce qui se faisait et tout ce qui se disait. Et, couverte de son voile, elle versait des larmes de sang par la violence de la douleur qui brisait son coeur virginal. Elle était, quant aux actes de toutes les vertus, un miroir très-clair, dans lequel se réfléchissait l'âme très-sainte de son Fils, et elle (1) Joan., XVIII, 30. - (2) Luc., XXIII, 2. - (3) Ibid.. G. - (1) Joan., XVIII, 31. 63 ressentait dans son corps le contrecoup de ses douleurs et de ses peines. Elle pria le Père éternel de lui accorder la grâce de ne point perdre de vue son adorable Fils jusqu'à sa mort, autant qu'il serait naturellement possible. Cela lui fut accordé pendant que le Seigneur ne fut point en prison. La très-prudente Dame, considérant qu'il était convenable que l'on connut l'innocence de notre Sauveur parmi les fausses accusations des Juifs, et qu'ils demandaient injustement sa mort, pria avec beaucoup de ferveur que le juge ne fût point trompé, et qu'il fût assez éclairé pour comprendre que Jésus-Christ lui avait été livré par l'envie des prêtres et des scribes. En vertu de cette prière, Pilate eut une claire connaissance de la vérité, et découvrit que Jésus était innocent, et que c'était par envie qu'on le lui avait livré, comme le dit saint Matthieu (1); c'est pourquoi le Seigneur se communiqua davantage à lui, quoique Pilate ne coopérât point à la vérité qu'il connut, et qu'ainsi il n'en ait point profité; mais elle nous sert, à nous, et elle a fait voir la perfidie des pontifes et des pharisiens. 1307. Les Juifs souhaitaient, dans leur haine, que Pilate leur fût favorable, et qu'il prononçât aussitôt la sentence de mort contre le Sauveur, et comme ils s'aperçurent qu'il éludait leurs poursuites par toutes ses objections, ils se mirent à pousser des cris de fureur, renouvelèrent leurs accusations calomniatrices, et répétèrent qu'il voulait s'emparer du royaume de Judée; (1) Matth., XXVII, 18. 63 que c'était dans ce dessein qu'il trompait et excitait le peuple, et qu'il disait être le Christ, c'est-à-dire roi sacré (1). lis firent cette malicieuse plainte à Pilate, pour l'inquiéter davantage par le zèle du royaume temporel, qu'il devait conserver sous la domination de l'empire romain. Et comme, parmi les Juifs, les .rois étaient sacrés, ils ajoutèrent que Jésus s'appelait Christ, c'est-à-dire oint comme roi (2), afin que Pilate, ayant les idées des gentils, dont les rois n'étaient point sacrés, entendit que, s'appeler le Christ, c'était la même chose que de s'appeler roi des Juifs, déjà sacré. Alors Pilate lui demanda : " Que répondez-vous à toutes ces accusations (3)? " Mais Jésus ne répondit point un mot en présence des accusateurs, de sorte que Pilate était tout étonné d'un silence et d'une patience si extraordinaires (4). Et, désirant s'assurer davantage s'il était véritablement roi , il s'éloigna du tumulte des Juifs, et entra avec le Seigneur dans le prétoire. Et là, il lui dit à part: " Êtes-vous le roi des Juifs (5)? " Pilate ne put pas penser que Jésus-Christ fût roi de fait, puisqu'il savait assez qu'il ne régnait pas; ainsi il ne l'interrogeait que pour savoir s'il était roi de droit et sil prétendait au trône. Notre Sauveur. répondit: Dites-vous cela de vous-même, ou d'autres vous l'ont-ils dit de moi (6)? Pilate repartit : " Je ne suis pas Juif; votre nation et vos princes des prêtres vous ont livré entre mes mains. Qu'avez-vous fait (7)?" (1) Luc., XXIII, 5. -(2) Ibid., 2. - (3) Marc., XV, 4. - (4) Ibid., 5. - (6) Joan., XVIII, 33. - (6) Ibid., 34. - (7) Ibid., 35. 65 Jésus répondit : Mon royaume n'est pas de ce monde; si mon royaume était de ce monde, mes serviteurs auraient combattu pour empêcher que je ne fusse livré aux Juifs; mais mon royaume n'est pas d'ici (1). Pilate ajouta quelque créance à cette réponse du Seigneur; c'est pourquoi il lui dit: Vous êtes donc roi, puisque vous avez un royaume? Jésus répondit : Oui, je le suis. Je suis né et suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque aime la vérité, écoute ma voix (2). Pilate admira cette réponse du Seigneur, et lui dit : Qu'est-ce que la vérité ? Et, lui ayant fait cette question, il sortit de nouveau du prétoire sans en attendre la réponse, et dit aux1uifs : Je ne trouve aucun crime en cet homme pour le, condamner (3). Mais c'est la coutume qu'à la fête de Pâque je vous délivre un prisonnier; voulez-vous donc que je vous délivre Jésus ou Barabbas (4)? (C'était un voleur et un assassin qu'on tenait alors en prison pour avoir tué un homme dans une querelle.) Alors tous redoublèrent leurs cris, et vociférèrent : Nous vous demandons de nous délivrer Barabbas, et de crucifier Jésus (5). Et ils persistèrent dans cette demande, jusqu'à ce qu'elle leur fût accordée. 1308. Pilate fut fort troublé des réponses de notre Sauveur Jésus-Christ et de l'obstination des Juifs; parce que, d'un côté, il ne voulait point rompre avec eux; et il les voyait si acharnés à exiger la mort du (1) Joan., XVIII, 36. -(2) Ibid.. 37. - (3) Ibid., 38. -(4) Ibid., 39. - (5) Ibid.. 40. 66 Seigneur, que cela lui paraissait bien difficile sans céder à leurs exigences; d'un autre côté, il connaissait clairement qu'ils le persécutaient par une envie mortelle qu'ils avaient contre lui, et que tout ce qu'ils disaient pour prouver qu'il soulevait le peuple, était faux et ridicule (1). Quant aux prétentions à la royauté qu'ils lui imputaient, il avait été satisfait de la réponse du Christ lui-même, qu'il voyait si pauvre; si humble et si patient dans les calomnies qu'on débitait contre lui. Et, à l'aide de la lumière qu'il reçut d'en haut, il reconnut la véritable innocence du Sauveur; mais ce fut là tout, car il continua à ignorer le mystère et la dignité de la Personne divine. La force des paroles de Jésus-Christ portait Pilate à en faire une haute estime, et à croire qu'il renfermait en lui quelque mystère; et c'est pourquoi il cherchait les moyens de le délivrer, et le renvoya ensuite devant Hérode, comme je le dirai dans le chapitre suivant; néanmoins toutes ces lumières ne furent point efficaces, parce que son péché l'en rendit indigne, qu'il n'out en vue que des fins temporelles auxquelles il subordonna sa conduite sans se préoccuper de la justice, et qu'il se conduisait par l'inspiration de Lucifer, comme je l'ai marqué, plus que par la claire connaissance qu'il avait de la vérité. De sorte qu'il se comporta en juge inique, jugeant la cause de l'innocent selon la passion de ceux qui étaient ses ennemis déclarés, et qui l'accusaient faussement. Et son péché fut encore plus (1) Matth., XXVII, 18. 67 grand, en ce qu'il agit contre sa propre conscience, en condamnant à mort cet innocent, et en ordonnant qu'il fût d'abord fouetté avec tant de cruauté, comme nous le verrons en son lieu, sans aucun autre motif que de contenter les Juifs. 1309. Mais quoique Pilate se montrât, pour ces raisons et pour plusieurs autres , le plus méchant des jugea en condamnant Jésus-Christ, qu'il prenait pour un simple mortel dont on ne pouvait contester l'innocence, son péché fut relativement moindre que celui des prêtres et des pharisiens, non-seulement parce que ceux-ci agissaient par envie, par cruauté et pour d'autres fins détestables, mais aussi parce que ce fut pour eux un crime énorme de ne pas reconnaître Jésus-Christ comme le Messie véritable, et le Rédempteur Dieu et homme, promis en la loi que ces mêmes Hébreux croyaient et professaient. Et pour leur condamnation le Seigneur permit que, quand ils accusaient notre Sauveur, ils l'appelassent Christ et Roi sacré , confessant par leurs paroles la vérité qu'ils niaient. Mais ces incrédules devaient ajouter foi à ce qu'ils disaient, pour entendre que notre Seigneur Jésus-Christ était véritablement oint, non par Ponction figurative des rois et des prêtres anciens, mais par cette onction qu'annonce David (1), différente de toutes les autres, comme l'était l'onction de la Divinité unie à la nature humaine, qui l'éleva à être Christ, Dieu et homme véritable; son âme très-sainte (1) Ps. XLIV, 7. 68 étant ointe par les dons de grâce et de gloire, qui répondent à l'union hypostatique. Or l'accusation des juifs signifiait cette vérité mystérieuse, quoiqu'ils ne la crussent point à cause de leur perfidie, et qu'ils l'interprétassent faussement par envie, reprochant au Seigneur de vouloir se déclarer roi sans qu'il le fait, tandis que le contraire était vrai. S'il ne voulait point en donner des preuves ni user de la puissance de roi temporel, lui, le Maître absolu de tout l'univers, c'était parce qu'il n'était pas venu dans le monde pour commander aux hommes, mais pour obéir (1). L'aveuglement des Juifs était encore plus grand, en ce qu'ils attendaient le Messie comme roi temporel, et pourtant blâmaient Jésus-Christ de ce qu'il l'était; il semble qu'ils ne voulaient pour Messie qu'un roi qui fût si puissant, que personne n'eût pu lui résister; mais alors même ils ne l'auraient reçu que par force, et non pas avec cette pieuse volonté que le Seigneur demande. 1310. Notre auguste Reine pénétrait profondément ces mystères cachés, et les repassait dans son cœur, exerçant des actes héroïques de toutes les vertus. Et comme les autres enfants d'Adam conçus dans le péché et souillés de plusieurs crimes, se laissent d'ordinaire d'autant plus troubler et abattre, qu'ils sont assaillis par des tribulations et des douleurs plus violentes, et qui alors la colère et les autres passions désordonnées les agitent, le contraire arrivait en la très-pure Marie, (1) Matth., XX, 28. 69 chez laquelle n'agissaient ni le péché ni ses effets; et la nature ne pouvait point contre-balancer l'excellente grâce qu'elle avait. Car les grandes persécutions et les grandes eaux de tant de douleurs n'éteignaient point le feu de son coeur enflammé de l'amour divin (1); mais c'étaient comme autant de brandons qui l'alimentaient et embrasaient de plus en plus cette âme divine et l'excitaient à redoubler ses prières pour les pécheurs au moment où ils en avaient un plus pressant besoin, puisque la malice des hommes était alors arrivée à son plus haut degré. 0 Reine des vertus, Maîtresse des créatures et très-douce Mère de miséricorde ! que mon insensibilité est grande , puisque mon coeur ne se brise point de douleur dans la connaissance que j'ai de vos peines et de celles de votre bien-aimé Fils unique! Si, malgré tout ce que je sais, je me trouve encore en vie, au moins faut-il que je m'humilie jusqu'à la mort. C'est manquer aux lois de l'amour et même de la simple pitié, que de voir souffrir l'innocent et de lui demander des grâces, sans prendre part à ses peines. Or de quel front dirons-nous, Reine vénérable, que nous aimons notre divin Rédempteur et que nous vous aimons, vous qui êtes sa Mère, si, lorsque vous buvez ensemble l'amer calice des douleurs les plus affreuses, nous nous enivrons au calice des plaisirs de Babylone? Oh ! si je comprenais bien cette vérité! Oh! si je la sentais et pénétrais! Si elle-même me pénétrait jusqu'au fond des entrailles, en (1) Cant., VIII, 7. 70 me forçant de considérer ce que mon adorable Seigneur et sa Mère affligée ont souffert! Comment pourrai-je penser qu'on est injuste à mon égard, lorsqu'on me persécutera? comment oserai-je me plaindre, quand je me verrai méprisée et rejetée du monde : " O grande Reine des martyrs et des âmes fortes, Maîtresse des imitateurs de votre Fila, si je suis votre fille et votre disciple, comme vous avez daigné me l'assurer, et que mon Seigneur a bien voulu me le mériter, ne repoussez point les désirs que j'ai de suivre vos traces dans le chemin de la croix ! Et si par faiblesse je viens à tomber, obtenez-moi, ma très-charitable Mère, les forces dont j'aurai besoin pour me relever, et donnez-moi un coeur contrit et humilié pour pleurer mon ingratitude. Priez le Très-Haut qu'il me favorise de son saint amour, qui est un don si précieux, que votre seule intercession me le peut procurer, et mon seul Rédempteur me le mériter. Instruction que j'ai reçue de notre grande Reine. 1311. Ma fille, les mortels sont fort négligents à considérer les oeuvres de mon très-saint Fils, et à pénétrer avec une humble vénération les mystères qu'il y a renfermés pour le remède et le salut de tous. C'est pour cela que tant de gens les ignorent, et qu'il s'en 71 trouve d'autres qui s'étonnent que le Sauveur ait consenti à être traîné comme un criminel devant des juges iniques, qui l'examinèrent comme un malfaiteur et le regardèrent comme un insensé ; enfin, qu'il n'ait pas défendu son innocence par sa divine sagesse, et dévoilé la malice des Juifs et de ses autres adversaires, puisqu'il eût pu le faire avec tant de facilité. Mais dans un tel sujet d'admiration l'on doit révérer les très-hauts jugements du Seigneur qui a établi cette ordonnance à la rédemption du genre humain, opérant avec équité et bonté, et comme il était convenable à tous ses attributs, sans refuser à aucun de ses ennemis les grâces suffisantes pour faire le bien, sils voulaient y coopérer, par le bon usage des droits de leur liberté; car il voulait que tous fussent sauvés, s'ils n'y mettaient aucun obstacle de leur côté. ainsi personne n'a sujet de se plaindre de la miséricorde divine, qui a été surabondante (1). 1312. Mais je veux encore, ma très-chère fille, que vous découvriez l'instruction que ces oeuvres renferment; car mon très-saint Fils n'en a fait aucune qu'en qualité de Rédempteur et de Maître des hommes. Dans la patience qu'il montra et le silence qu'il garda, en sa passion, permettant qu'on le fit passer pour un perturbateur et pour un insensé, il a laissé aux hommes une leçon aussi importante qu'elle est pou étudiée et surtout peu pratiquée des enfants d'Adam. Ils ne se prémunissent pas contre la contagion que Lucifer leur (1) I Tim., II, 4. 72 a communiquée par le péché, et qu'il répand continuellement dans le monde; c'est pour cela qu'ils nu cherchent point auprès du Médecin le remède qui pourrait guérir leurs maladies; mais le Seigneur par son immense charité a laissé et en ses paroles et en ses oeuvres le secours qui leur est nécessaire. Que les hommes considèrent donc qu'ils ont été conçus dans le péché (1), et qu'ils voient quelles profondes racines a jetées dans leurs coeurs la semence de l'orgueil, de la propre estime, de l'avarice, de l'hypocrisie, du mensonge et de tous les autres vices que le Dragon y a semée. Généralement, tous recherchent les honneur et la vaine gloire, tous veulent être estimés, préférés. Ceux qui se croient savants veulent être vantés, applaudis, et font parade de leur science. Les ignorants veulent paraître savants. Les riches se glorifient de leurs richesses, et veulent être honorés. Les pauvres aspirent à devenir riches , affectent les dehors des riches et briguent leur faveur. Les puissants veulent qu'on les craigne, qu'on les respecte et qu'on leur obéisse. Tous enfin se précipitent à l'envi dans cette erreur,' et tachent, même quant à la vertu, de paraître ce qu'ils ne sont point, et ne sont pas ce qu'ils désirent paraître. On excuse ses vices, on cherche à faire briller ses qualités et ressortir ses avantages, on s'attribue les dons et les bienfaits comme si on ne les avait pas reçus, et on les reçoit comme s'ils n'étaient pas dispensés gratuitement par une main libérale; et au (1) Ps., L, 7. lieu d'en témoigner sa gratitude, on s'en sert contre Dieu, de qui ils viennent, et contre soi-même. Tous les hommes en général sont enflés du venin mortel de l'antique serpent, et plus il étend ses ravages et les consume, plus ils veulent s'en gorger. Le chemin de la croix est désert, parce que fort peu de personnes y marchent, et suivent Jésus-Christ dans les voies de l'humilité et de la sincérité chrétienne. 1313. La patience et le silence qu'eut en sa passion mon Fils, permettant qu'on le traitât comme un insensé malfaiteur, brisèrent la tête du Dragon infernal et rabattirent sa superbe arrogance. Maître d'une philosophie nouvelle et médecin qui venait guérir le mal du péché, il ne voulut point se défendre ni se disculper ou se justifier, ni contredire ceux qui l'accusaient, laissant aux hommes ce grand exemple d'une conduite si opposée aux suggestions de Lucifer, De sorte qu'en sa Majesté fut mise en pratique cette doctrine du Sage, qui dit (1) qu'une folie légère et opportune est plus précieuse que la sagesse et que la gloire; car l'homme est si fragile qu'il vaut mieux qu'il soit pour quelque temps regardé comme ignorant et méchant, que de faire une vaine ostentation de sagesse et de vertu. Il y a une infinité de gens qui se laissent séduire par cette dangereuse erreur, et qui, voulant passer pour savants, se répandent en- paroles comme des insensés (2); mais ils perdent par là ce qu'ils prétendent, parce qu'ils découvrent leur ignorance. Tous 74 ces vices naissent de l'orgueil enraciné dans la nature corrompue. Pour vous, ma fille, conservez dans votre coeur la doctrine de mon très-saint Fils et la mienne, fuyez la vanité, souffrez dans le silence, et ne vous mettez pas en peine si le monde vous répute ignorante, puisqu'il ne sait pas où se trouve la véritable sagesse (1). CHAPITRE XlX. Pilate renvoie à Hérode la cause et la personne de notre Sauveur Jésus-Christ. - On l'accuse devant Hérode, qui le méprise et le renvoie à Pilate. - La bienheureuse Marie le suit, et ce qui arriva dans cette occasion. 1314. Une des accusations que les Juifs et leurs pontifes présentèrent à Pilate contre le Sauveur, fut qu'il avait commencé dans la province de Galilée à prêcher et à soulever le peuple par sa doctrine (2). Ce fut de là que Pilate prit occasion de demander si Jésus-Christ était Galiléen. Et ayant su qu'il l'était , il crut avoir quelque raison de se décharger de la cause de notre Rédempteur, dont il connaissait l'innocence, et de se délivrer des importunités des Juifs, qui le (1) Baruch., III, 15. - (2) Luc., XIII, 5 et 6. 75 pressaient avec tant d'instance de le condamner à la mort. Hérode se trouvait alors à Jésusalem pour y célébrer la Pâque des Juifs. Celui-ci était fils de l'autre roi Hérode, qui avait fait mourir les innocents, et persécuté notre Seigneur Jésus- Christ nouvellement né (1), et comme il s'était marié avec une Juive, il avait embrassé le judaïsme en se faisant prosélyte. C'est pour cela que son fils Hérode observait aussi la loi de Moïse, et était parti de Galilée, dont il était gouverneur, pour venir célébrer la Pâque à Jérusalem. Pilate et Hérode, qui gouvernaient les deux principales provinces de la Palestine , savoir, la Judée et la Galilée, étaient brouillés; car il était arrivé peu de temps auparavant que Pilate, voulant témoigner son zèle pour conserver les droits de l'empire romain, avait, comme il est rapporté au chap. mie de saint Luc (2), fait égorger plusieurs Galiléens dans le temps qu'ils faisaient certains sacrifices, mêlant le sang des coupables arec celui de leurs sacrifices. Or Hérode s'était irrité de cela, et Pilate souhaitant lui donner quelque satisfaction, résolut (le lui renvoyer notre Sauveur, comme sou sujet, afin qu'il examinât et jugeât sa cause (3); il espérait toujours d'ailleurs qu'Hérode le délivrerait comme innocent, et accusé par les pontifes et les scribes à cause de leur perfide envie. 1315. Notre Seigneur Jésus-Christ sortit , garrotté comme il l'était, de la maison de Pilate pour aller (1) Matth., II, 16. - (2) Luc., XIII, 1. - (3) Luc., XXIII, 7. 76 chez Hérode; il était accompagné des scribes et des prêtres qui allaient l'accuser devant le nouveau juge, et d'un grand nombre de soldats et de satellites, pour l'amener en le tirant par les cordes, et pour s'ouvrir un passage à travers la multitude d'étrangers et de curieux qui remplissait les rues. Mais leur malice en rompait sans peine les rangs pressés, et comme les ministres et les pontifes étaient ce jour-là si impatients de répandre le sang du Sauveur, ils hâtaient le pas, et menaient sa Majesté presque en courant, et avec un horrible tumulte. La bienheureuse Marie sortit ,également avec sa compagnie de la maison de Pilate pour suivre son très-doux Fils, et l'accompagner dans le chemin qu'il lui restait à parcourir jusqu'à la croix. Il n'aurait pas été possible que notre auguste Princesse eût fait ce chemin sans perdre de vue son bien-aimé, si les saints anges n'eussent fait en sorte, pour se conformer à ses désirs, qu'elle se trouvât toujours assez près de son Fils pour pouvoir jouir de sa présence , et participer ainsi avec une plus grande plénitude à toutes ses peines. Ce fut par son très-ardent amour qu'elle obtint tout ce qu'elle souhaitait, et, s'attachant aux traces du Seigneur, elle entendait les injures que les bourreaux lui adressaient, les coups qu'ils lui donnaient, le murmure du peuple, et les divers sentiments que chacun exprimait ou rapportait. 1316. Quand Hérode eut appris que Pilate lui renvoyait Jésus de Nazareth, il en témoigna une joie singulière. Il savait qu'il était l'intime ami de Jean, 77 auquel il avait fait trancher la tête (1); il. était aussi informé de ses prédications, et par une folle curiosité il souhaitait s'entretenir avec lui, et surtout lui voir opérer quelque prodige en sa présence (2). L'Auteur de la vie fut donc amené devant Hérode, contre lequel le sang de saint Jean-Baptiste criait bien plus haut devant le même Seigneur que celui du juste Abel (3). Mais ce malheureux prince, qui ignorait les terribles jugements du Très-Haut, le reçut avec force moqueries, le prenant pour un magicien. Et dans cette erreur effroyable, il l'examina et lui fit plusieurs questions pour le provoquer, pensait-il, à faire quelque merveille, comme il le désirait (4). Le Maître de la sagesse et de la prudence ne lui répondit pas un mot, gardant toujours un humble sérieux en la présence du très-indigne juge, qui méritait bien par ses iniquités d'être privé du bonheur d'ouïr les paroles de vie éternelle qui seraient sorties de la bouche de Jésus-Christ si Hérode eût été disposé à les accueillir avec respect. 1317. Cependant les princes des prêtres et les scribes étaient présents; ils persistaient à accuser le Sauveur, et à lui reprocher les mêmes crimes dont ils l'avaient chargé devant Pilate (5). Mais il ne répondit rien non plus à toutes ces calomnies; car il n'ouvrit pas seulement la bouche devant Hérode, qui le pressait de parler, ni pour répondre à ses questions, ni (1) Marc., VI, 27. - (2) Luc., XXIII, 8. - (3) Gen., IV, 10. - (4) Luc., XXIII, 9. - (5) Ibid., 10. 78 pour détruire les fausses accusations de ses ennemis, parce qu'Hérode était en toute manière indigne d'ouïr la vérité : juste châtiment que les princes et les puissants du monde doivent craindre le plus. Hérode s'irrita du silence et de la douceur de Jésus- Christ, qui trompaient sa vaine curiosité; et, pour dissimuler son mécompte, ce méchant juge prit le parti de tourner en dérision notre très-innocent Maître; et, ayant porté, par sons exemple, tous ceux de sa suite à lui prodiguer des marques de mépris, il ordonna de le ramener à Pilate (1). Tous les serviteurs d'Hérode se moquèrent aussi de la modestie du Seigneur; et, voulant le traiter en fou, ils le vêtirent d'une robe blanche, costume par lequel on distinguait les insensés, afin que tout le monde les évitât. Mais cette robe fut pour notre Sauveur le symbole de son innocence et de sa pureté, la providence du Très-Haut l'ordonnant de la sorte, afin que ces ministres d'iniquité rendissent eux-mêmes, à leur insu, témoignage à la vérité, qu'ils prétendaient malicieusement obscurcir, aussi bien que les merveilles éclatantes qu'avait opérées notre adorable Rédempteur. 1318. Hérode remercia Pilate de la courtoisie avec laquelle il lui avait remis la cause et la personne de Jésus de Nazareth,et lui fit dire qu'il ne trouvait aucun crime en cet homme, qui ne paraissait âtre qu'un ignorant digne de mépris. Depuis ce jour-là, Hérode et Pilate, qui étaient brouillés, devinrent amis (2), le (1) Luc., XXIII, 11. - (2) Ibid., 42. 79 Très-Haut le disposant ainsi par les secrets jugements de sa divine sagesse. Notre Sauveur fut donc renvoyé d'Hérode à Pilate, et conduit par beaucoup de soldats de ces deux gouverneurs, à travers les flots d'une populace plus agitée et plus bruyante encore. Car ceux qui l'avaient auparavant vénéré comme le Sauveur et le Messie béni du' Seigneur (1), étant alors pervertis par l'exemple des prêtres et des magistrats, condamnaient et méprisaient le même Seigneur auquel ils venaient de rendre honneur et gloire: tant l'erreur et le mauvais exemple des chefs sont puissants pour entraîner le peuple! Au milieu de ce tumulte et de toutes ces ignominies; notre Sauveur répétait intérieurement, avec un amour, une humilité et une patience ineffables, ces paroles qu'il avait déjà dites par la bouche de David: Je suis un ver, et non un homme; je suis l'opprobre des mortels et le rebut de la populace. Ceux qui me voyaient se sont tous moqués de moi; et le mépris sur les lèvres, ils m'insultaient en branlant la tête (2). Notre adorable Maître était un ver, et non un homme, non-seulement parce qu'il ne fut point engendré comme les autres hommes, et qu'il n'était point un simple homme, mais véritablement homme et Dieu à la fois, mais aussi parce qu'au lieu d'être traité comme un homme, il le fut comme un ver de terre, et qu'en butte à tous les outrages, il ne fit non plus de bruit ni de résistance qu'un misérable vermisseau que l'on foule aux pieds et que l'on écrase (1) Matth., XXI, 9. - (2) Ps. XXI, 7 et 8. 80 comme l'objet le plus vil. Tous ceux qui regardaient notre Rédempteur Jésus-Christ (et ils formaient une multitude innombrable), semblaient, en vomissant l'injure et en secouant la tête, vouloir rétracter tout ce qu'ils avaient dit et tout ce qu'ils avaient fait à son avantage. 1319. La Mère de douleurs ne se trouva point corporellement présente aux opprobres et aux accusations dont les prêtres chargèrent l'Auteur de la vie devant Hérode, ni à l'interrogatoire que ce malheureux prince lui fit subir, parce qu'elle resta hors de la salle. où l'on fit entrer le Seigneur; elle sut néanmoins, par une vision intérieure; tout ce qui s'y passa. Nais quand le Sauveur sortit de cette salle où était le tribunal d'Hérode, il la rencontra, -et alors ils se regardèrent tous deux avec une intime douleur et avec une compassion réciproque, qui répondait à l'amour d'un tel fils et d'une telle mère. Cette robe blanche qu on lui avait mise, comme à un insensé, fut pour elle un nouvel objet qui lui brisa le coeur, quoiqu'elle connût, seule entre tous les mortels, le mystère de l'innocence et de la pureté que cet habit figurait. Elle l'adora sous cette robe mystérieuse, et le suivit chez Pilate, où on le ramenait; car ce que la volonté divine avait disposé pour notre remède, devait y être accompli dans le trajet du palais d'Hérode à celui de Pilate; la presse était telle, ainsi que la précipitation avec laquelle ces satellites impies menaient le Sauveur, qu'ils le firent tomber plusieurs fois par terre, et alors ils le tiraient par les cordes avec une cruauté et 81 une violence si horribles, que' le sang jaillissait de ses sacrées veines; et, comme il ne pouvait pas facilement se relever à cause qu'il avait les mains liées, et que la foule ne pouvait ni ne voulait s'arrêter, ceux qui suivaient notre divin Rédempteur le heurtaient, marchaient sur son adorable personne, et lui donnaient plusieurs coups de pied, au milieu des éclats de rire des soldats, qui, excités par le démon, avaient abjuré tout sentiment de compassion naturelle, et semblaient n'avoir plus rien d'humain. 1320. La compassion et la douleur de la plus tendre des mères augmentèrent à la vue d'une pareille férocité, et, s'adressant à ses anges, elle leur ordonna de recueillir le précieux sang que leur Roi versait par les rues, afin qu'il ne fût point foulé aux pieds et profané par les pécheurs; et c'est ce que firent les ministres célestes. Elle leur prescrivit encore d'empêcher ces artisans d'iniquité de marcher sur la divine personne de son adorable Fils, s'il venait de nouveau à tomber. Et, comme elle était très-prudente en tout, elle ne voulut pas que les anges exécutassent cet ordre sans avoir consulté le Seigneur lui-même; elle leur dit donc de lui demander, de sa part, son agrément, et de lui représenter les peines qu'elle souffrait comme mère, voyant ces pécheurs le fouler avec une telle irrévérence sous leurs pieds sacrilèges. Et, pour mieux décider son très-saint Fils, elle le pria, par l'organe des mêmes anges, de changer cet acte d'humilité, qu'il voulait bien pratiquer en permettant à ces cruels satellites de le traiter d'une manière si odieuse, en un 82 acte d'obéissance, en se laissant fléchir aux prières de sa Mère affligée, qui était aussi sa servante, et tirée de la poussière. Les saints anges représentèrent tout cela à notre Seigneur Jésus-Christ de la part de sa très-sainte Mère ; ce n'est pas qu'il l'ignorât, puisqu'il savait tout ce qui se passait dans l'intérieur de la bienheureuse Marie, et qu'il l'opérait lui-même par sa divine grâce; mais c'est que le Seigneur veut que l'on garde dans des occasions semblables l'ordre de la raison, que notre auguste Reine connaissait alors par une très-haute sagesse, pratiquant diversement les vertus dans ses différentes opérations; car la prescience du Seigneur, qui pénètre toutes choses , n'empêche point les mesures et les précautions. 1321. Notre Sauveur Jésus-Christ exauça les prières de sa bienheureuse Mère, et permit à ses anges d'exécuter, comme ministres de sa volonté, ce qu'elle souhaitait. Ainsi ils s'opposèrent à ce qu'on le fit tomber durant le chemin qui restait jusqu'à la maison de Pilate , et à ce qu'on le renversât et le foulât aux pieds comme auparavant, sans empêcher pourtant que les ministres de la justice et la populace furieuse n'exerçassent les autres mauvais traitements sur sa divine personne. La sainte Vierge voyait tout , entendait tout, avec un coeur invincible, mais pénétré de la plus sensible douleur qu'on puisse imaginer. Les Marie et saint Jean, qui suivaient le Seigneur et sa très-pure Mère, le virent aussi et le considérèrent avec beaucoup de larmes et avec des sentiments conformes à leurs dispositions. Je ne m'arrête point à dépeindre 83 la désolation de ces saintes femmes et de quelques autres personnes dévotes qui accompagnaient aussi notre auguste Reine; ce triste tableau me demanderait trop de temps, surtout si j'entreprenais de rapporter ce que fit la Madeleine comme la plus fervente à témoigner son amour et sa reconnaissance à notre Rédempteur Jésus-Christ, ainsi que le Seigneur lui-même le dit quand il la justifia; car celui à qui on pardonne de plus grands péchés, c'est celui qui aime davantage (1). 1322. Le Sauveur arriva pour la seconde fois à la maison de Pilate, que les Juifs pressèrent de nouveau de le condamner à la mort de la croix. Pilate, qui connaissait l'innocence de Jésus-Christ et l'envie mortelle des Juifs, regretta vivement qu'Hérode lui eût renvoyé la cause dont il souhaitait se décharger. Mais se voyant obligé comme juge de la terminer, il tâcha d'apaiser les Juifs par divers moyens. C'est ainsi qu'il engagea secrètement plusieurs ministres et amis des pontifes et des prêtres à leur suggérer ridée de demander la liberté de notre Rédempteur, de le délivrer après qu'il lui aurait fait subir quelque châtiment, et de ne plus donner la préférence au voleur Barabbas. Pilate avait déjà fait cette tentative lorsqu'on lui présenta pour la seconde fois notre adorable Maître pour le condamner. Car il fit aux Juifs, non une seule fois, mais à deux ou trois reprises, la proposition de choisir Jésus ou Barabbas (2), avant et après (1) Luc., VII, 43. - (2) Matth., XXVII, 17. 84 qu'on eût mené le Seigneur devant Hérode; et c'est ce que racontent les évangélistes avec quelque différence , sans pourtant se contredire en la vérité. Pilate s'adressant aux juifs leur dit : " Vous m'avez présenté cet homme comme soulevant le peuple; et l'ayant interrogé en votre présence, je ne l'ai trouvé coupable d'aucun des crimes dont vous l'accusez (1). Hérode non plus, à qui je vous ai renvoyés, ne lui a rien fait qui montre qu'il soit digne de mort, quoique vous l'ayez accusé devant lui (2). Je me contenterai donc maintenant de le châtier, afin qu'il se corrige à l'avenir (3). Et étant obligé de délivrer quelque malfaiteur à cause de la solennité de Pâque , je délivrerai le Christ, si vous voulez lui donner la liberté, et je punirai Barabbas du dernier supplice. " Les Juifs, s'apercevant que Pilate désirait délivrer Jésus-Christ, répondirent en masse : " Nous ne voulons point du Christ, faites-le mourir, et rendez-nous Barabbas (4). " 1323. La coutume de faire sortir un criminel de prison dans cette grande solennité de Pâque, fut introduite parmi les Juifs comme en mémoire et en reconnaissance de la liberté qu'à pareil jour leurs pères avaient obtenue, lorsque le Seigneur les délivra du pouvoir de Pharaon, en frappant dans la nuit les premiers-nés de l'Égypte, et en submergeant ensuite le même Pharaon et toute son armée dans la mer Rouge (5). C'est en souvenir de cet insigne bienfait (1) Luc., XXIII,14. - (2) Ibid.. 15. - (3) Ibid., 16. - (4) Ibid., 18. - (5) Exod., XII, 29; XIV, 28. 85 que les Hébreux faisaient grâce à celui des prisonniers qui était le plus coupable, lui pardonnant ses crimes, et punissant les autres qui n'étaient pas aussi criminels. Et dans les traités qu'ils avaient conclus avec les Romains, ils avaient stipulé le maintien de cette coutume, à laquelle les gouverneurs se conformaient ponctuellement. Toutefois les Juifs altérèrent dans cette occasion le caractère de cette coutume, eu égard au jugement qu'ils faisaient de notre Seigneur Jésus- Christ; en effet, obligés de délivrer le plus criminel, et prétendant eux-mêmes que Jésus de Nazareth l'était, ils ne voulurent néanmoins pas le délivrer, et choisirent plutôt Barabbas, qu'ils croyaient moins coupable que lui. La rage du démon et leur propre envie les aveuglaient et leur pervertissaient les sens à un tel point, qu'ils se trompaient eux-mêmes en toutes choses. 1324. Lorsque Pilate avait dans le prétoire tous ces débats avec les Juifs, il arriva que sa femme, qui s'appelait Procula, le sachant, lui envoya dire: " Ne vous embarrassez point dans l'affaire de ce juste; car j'ai eu aujourd'hui à son sujet un songe qui m'a beaucoup tourmentée (1). " Le motif de cet avis de Procula fut que Lucifer et ses démons, voyant les mauvais traitements que l'on exerçait sur la personne de notre Sauveur et la douceur inaltérable avec laquelle il les supportait, sentirent, en dépit de leur fureur, une confusion et une perplexité toujours croissantes. Le (1) Matth., XXVII, 19. 86 superbe Lucifer ne pouvait pas comprendre avec ses orgueilleuses pensées comment il était possible que la Divinité se trouvât si étroitement unie au Sauveur, qu'elle permit qu'on l'accablât de tant d'opprobres, et qu'il éprouvât en son corps les effets de tant de cruautés; par suite, il ne parvenait pas à s'assurer s'il était Homme- Dieu ou s'il ne l'était pas; néanmoins ce dragon infernal croyait qu'il y avait là en faveur des hommes quelque grand mystère dont les conséquences ne pouvaient manquer de lui être fort préjudiciables, s'il n'arrêtait le progrès d'une chose si extraordinaire. Après s'être concerté à cet égard avec ses démons, il pressa les pharisiens par toutes sortes de suggestions de ne plus persécuter Jésus-Christ. Mais ces suggestions furent inutiles, comme introduites par le même dragon et sans vertu divine dans des coeurs obstinés et pervertis. Et alors les démons désespérant de pouvoir rien obtenir des pharisiens, s'adressèrent à la femme de Pilate, et lui firent entendre dans un songe que cet homme était juste et innocent; que si son mari le condamnait il serait privé de sa charge, et qu'elle devait lui conseiller de délivrer Jésus et de punir Barabbas, s'ils ne voulaient point voir arriver quelque grand malheur et en leur famille et en leurs propres personnes. 1325. Procula fut fort effrayée de ce que le démon lui représenta dans ce songe, et quand elle sut ce qui se passait entre les Juifs et son mari, elle lui envoya dire ce que raconte saint Matthieu, afin qu'il ne condamnât point à la mort celui qu'elle regardait comme 87 juste. Le démon inspira également à Pilate des craintes semblables, qu'accrut l'avis de sa femme; mais comme tous les motifs en étaient terrestres et politiques, et qu il n'avait point coopéré aux grâces du Seigneur, ces craintes ne durèrent que jusqu'à ce qu'il en est conçu une plus forte, ainsi que les faits le prouvèrent. Pour lors il chercha une troisième fois, comme le marque saint Luc (1), à défendre la cause de notre Seigneur Jésus-Christ; et s'adressant aux Juifs, il leur dit qu'il était innocent, qu'il ne trouvait rien en lui qui méritât la mort, qu'il le corrigerait,' et qu'ensuite il le mettrait en liberté. Je rapporterai dans le chapitre suivant qu'il le fit effectivement châtier pour voir s'ils en seraient satisfaits. Mais les Juifs persistèrent, en élevant la voix, à exiger qu'il- fat crucifié (2). Alors Pilate demanda de l'eau, et ordonna qu'on délivrât Barabbas comme ils le désiraient. Et se lavant les mains devant tout le monde, il dit: " Je n'ai nulle part en la mort de cet homme juste que vous condamnez. Prenez garde à ce que vous faites, car je me lave les mains, afin que l'on sache qu'elles ne trempent point dans le sang de l'innocent. (3). " Pilate crut par cette cérémonie se disculper de la mort de notre adorable Sauveur, et l'attribuer aux princes des Juifs et à tout le peuple qui la demandaient. Et les Juifs furent si insensés et si aveuglés dans leur fureur, qu'à la condition de voir bientôt notre divin Seigneur crucifié, ils acceptèrent le (1) Luc., XXIII, 22. - (2) Ibid.. 23. - (3) Matth., XXVII, 24. 88 marché de pilote et se chargèrent de ce crime, prononçant leur propre sentence par cette effroyable imprécation : " Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants (1). " 1326. O stupide et cruel aveuglement! O témérité inouïe! Vous voulez assumer sur vous et sur vos enfants l'injuste condamnation du juste et le sang de l'innocent, que le juge lui-même déclare être sans crime, afin qu'il crie contre vous jusqu'à la fin du monde ! O Juifs perfides et sacrilèges ! croyez-vous donc que le sang de l'Agneau qui lave les péchés du monde, et la vie d'un homme , qui est en même temps vrai Dieu, soient d'un poids si léger? Quoi! est-il possible que vous veuillez ainsi vous en charger, vous et vos enfants? Quand il ne serait que votre frère, que votre bienfaiteur, que votre maître, votre inhumanité et votre malice seraient déjà monstrueuses et exécrables. Certes, le châtiment que vous subissez est bien juste : il faut que le sang de Jésus-Christ, que vous avez voulu faire retomber sur vous et sur vos enfants, ne vous laisse jouir d'aucun repos en nul endroit du monde; et que cette charge, qui pèse plus que les cieux et que la terre, vous abatte et vous écrase. Mais, hélas 1 que dirons-nous si nous considérons que ce sang divinisé ayant coulé sur tous les enfants d'Adam pour les laver et les purifier, et ayant coulé pour les laver et les purifier avec plus d'abondance sur les enfants de la sainte Église, il y a néanmoins (1) Matth., XXVII, 25. 89 tant de fidèles qui par leurs mauvaises oeuvres se chargent de ce précieux sang, comme les Juifs d en chargèrent et par leurs œuvres et par leurs paroles, ceux-ci ignorant et ne croyant point que ce fût le sang de Jésus-Christ, et les catholiques sachant et confessant que ce l'est ! 1327. Les péchés et les rouvres iniques des chrétiens ont en quelque sorte un langage par lequel ils demandent le sang et la mort de notre Seigneur Jésus-Christ, en consentant à ce que ce sang retombe sur eux-mêmes. Que le Christ soit outragé, déchiré et cloué sur une croix, méprisé, condamné à la mort, et moins estimé que Barabbas. Qu'il soit dépouillé, flagellé et couronné d'épines pour nos péchés, nous ne voulons point avoir d'autre part en ce sang que d'être nous-mêmes la cause qui il soit répandu d'une manière ignominieuse et qu'on nous l'impute éternellement. Que ce Dieu incarné souffre et meure lui-même, pourvu que nous nous jouissions des biens visibles. Hâtons-nous d'user des créatures, couronnons-nous de roses (1), vivons dans la joie, servons-nous de notre pouvoir; empêchons que personne ne soit au-dessus de nous; méprisons l'humilité, fuyons la pauvreté, amassons des richesses; trompons tout le monde, ne pardonnons aucune injure; rassasions-nous des délices de la volupté; que nos yeux ne voient rien que notre cœur ne désire et ne tâche d'acquérir. Voilà notre loi : suivons-la aveuglément. Et si par (1) Sap., II, 6, etc. 90 cette conduite nous crucifions Jésus-Christ, que son sang retombe sur nous et sur nos enfants. 1328. Demandons maintenant aux réprouvés qui sont dans l'enfer si tel n'a pas été le langage de leurs oeuvres, comme le leur attribue Salomon dans la Sagesse, et si pour l'avoir tenu intérieurement ils ne s'appellent pas eux-mêmes insensés et impies, et s'ils ne l'ont pas réellement été. Que peuvent espérer après cela ceux qui ne profitent point du sang de Jésus-Christ, et qui s'en chargent eux-mêmes, non comme le désirant pour leur remède, mais comme le méprisant pour leur damnation? Où est celui d'entre les enfants de l'Église qui soutire qu'un voleur et un scélérat lui soit préféré ? Cette doctrine est si mal pratiquée dans le temps où nous sommes, que l'on admire celui qui consent à ce qu'un homme d'un mérite égal ou même supérieur au sien obtienne la prééminence, et l'on ne considère pas que jamais personne ne sera aussi bon que Jésus-Christ, ni aussi méchant que Barabbas. Mais la plupart, quoiqu'ils aient cet exemple sous les yeux, se croient offensés et malheureux s'ils ne sont partout préférés, et s'ils ne jouissent de tous les avantages que procurent les honneurs, les richesses, les dignités, et toutes les choses qui brillent et qui provoquent les applaudissements du monde. Voilà ce que l'on recherche, ce que l'on se dispute; voilà ce à quoi les hommes consacrent tous leurs soins, toutes leurs forces et toutes leurs puissances, dès qu'ils commencent d'en user, jusqu'à ce qu'ils les perdent. Ce qui est encore plus 91 déplorable, c'est que ceux qui par leur profession et par leur état ont renoncé au monde et lui ont tourné le dos, n'échappent point à cette contagion; et tandis que le Seigneur leur commande d'oublier leur peuple et la maison de leur père (1), ils se tournent de leur côté par l'action des principales facultés de la créature humaine, c'est-à-dire qu'ils prêtent toute leur attention et apportent toute leur sollicitude à l'administration de leurs intérêts, qu'ils aspirent et qu'ils travaillent à assurer à leur peuple et à la maison de leur père tout ce que le monde possède, et tout cela leur parait peu répréhensible, et ils se laissent ainsi séduire par la vanité. Au lieu d'oublier la maison de leur père, ils oublient celle de Dieu , dans laquelle ils demeurent, où ils reçoivent avec les secours du Ciel pour s'occuper de leur salut, un honneur qu'ils n'auraient jamais reçu dans le monde, et où ils sont entre, tenus sans aucun embarras ni souci qui puisse les distraire de leurs obligations. Cependant ils deviennent ingrats à tous ces bienfaits, abandonnant l'humilité que leur état leur impose. Il semble qu'il n'y ait que les pauvres et que les solitaires, que le monde méprise, qui doivent participer à l'humilité de notre Sauveur Jésus- Christ, à sa patience, à ses affronts, aux opprobres de sa croix, profiter de son exemple et suivre sa doctrine : c'est pour cela que les voies de Sion sont délaissées, et qu'elles pleurent de ce qu'il s'en trouve si peu qui viennent à la solennité (1) Ps. XLIV, 11. 92 de l'imitation de notre adorable Rédempteur (1). 1329. Elles n'ont pas été moindres, la folie et l'ignorance de Pilate, qui s'imaginait qu'après s'être lavé les mains, et avoir imputé le sang de Jésus-Christ aux Juifs, il serait justifié en sa conscience et devant les hommes, qu'il prétendait satisfaire par cette cérémonie pleine d'hypocrisie et de mensonge. Assurément les Juifs prirent la principale et la plus grande part à la condamnation de l'innocent, et appelèrent sur leurs tètes la responsabilité du plus horrible attentat mais Pilate n'en fut pas moins coupable, puisque ayant reconnu l'innocence de notre Sauveur Jésus-Christ, il ne devait point lui préférer un voleur et un meurtrier, ni châtier un homme en qui il ne trouvait aucun crime (2). Bien moins encore lui était-il permis de le condamner à la mort et de le livrer à la merci de ses mortels ennemis, dont l'envie et la cruauté lui étaient manifestes. Aussi un juge ne saurait être juste lorsque, connaissant la vérité et la justice, il les met en balance avec les considérations et les fins humaines de l'intérêt personnel : car c'est là un poids qui entraîne la raison des hommes qui ont l'âme basse; et comme ils manquent du fonds solide de vertu et de probité, que les juges doivent nécessairement avoir, ils ne savent résister ni à la cupidité, ni aux peurs mondaines; ils se laissent aveugler par la passion, et abandonnent la justice, pour ne point s'exposer à perdre leurs avantages temporels; et c'est ce que fit Pilate. (1) Thren., I, 4. - (2) Luc., XXIII, 25. 93 1330. Notre grande Reine se trouvait, dans la maison de Pilate , à même d'apprendre par l'intermédiaire de ses saints anges les discussions qui s'étaient élevées entre cet inique juge et les scribes et les pontifes sur l'innocence de notre Seigneur Jésus-Christ, et sur la préférence qu'ils accordaient à Barabbas. Elle entendit tous les cris de ces forcenés en silence et avec une admirable patience, comme étant une image vivante de son très-saint Fils. Et quoiqu'elle conservât un calme inaltérable plein de modestie, les vociférations des Juifs ne laissaient pas de pénétrer son coeur affligé, comme une épée à deux tranchants. Mais les gémissements qu'elle poussait dans son triste silence résonnaient dans le sein du Père éternel avec plus de douceur que les plaintes de la belle Rachel, qui, suivant l'expression de Jérémie, pleurait ses enfants sans vouloir être consolée (1), parce qu'ils n'étaient plus. Notre très-belle Rachel la bienheureuse Marie ne demandait aucune vengeance; elle sollicitait le pardon des ennemis qui lui ravissaient le Fils unique du Père éternel et le sien. Elle imitait tous les actes de l'âme très-sainte de Jésus-Christ, et agissait avec tant de sainteté, qu'il était impossible à l'affliction de troubler ses puissances, à la douleur d'affaiblir sa charité, à la tristesse de diminuer sa ferveur; le tumulte ne distrayait point son attention, et les injures et les cris de la populace ne l'empêchaient point de rester intérieurement recueillie parce qu'elle donnait à toutes (1) Jerem., XXXI, 15. 94 choses la plénitude de toutes les vertus au degré le plus éminent. Instruction que la Reine du ciel m'a donnée. 1331. Ma fille, je vois que ce que vous avez écrit et connu vous jette dans l'étonnement, observant que Pilate et Hérode ne se montrèrent pas aussi barbares ni aussi cruels dans la Passion de mon très-saint Fils que les prêtres, les pontifes et les pharisiens; vous remarquez surtout que ceux-là étaient des juges séculiers des gentils, et que ceux-ci étaient des docteurs de la loi,. des prêtres du peuple d'Israël qui professaient la véritable foi. Je veux- dissiper cette surprise par une leçon qui n'est pas nouvelle et que vous avez entendue autrefois; mais je veux que vous la repassiez maintenant en votre esprit, et que vous ne l'oubliiez de votre vie. Sachez donc, ma très-chère fille, que plus on est élevé, plus la chute est dangereuse ; car le mal en est irréparable, ou le remède fort difficile. Lucifer occupait dans le ciel une place éminente, tant par sa nature que par les dons de la grâce, car il surpassait en beauté toutes les autres créatures: mais par la chute de son péché il tomba dans la misère la plus profonde et dans la dernière difformité, ne surpassant ses sectateurs que par une plus grande obstination. Les premiers parents du genre humain 95 Adam et Ève furent élevés à une très-haute dignité, et reçurent de la main du Tout-Puissant des dons très-sublimes; mais ils se perdirent eux-mêmes par leur chute, et entraînèrent dans leur perte toute leur postérité. Que si elle a été réparée, le remède en a été aussi cher que la foi l'enseigne , et Dieu a fait éclater une miséricorde immense en les secourant eux et leurs descendants dans une telle disgrâce. 1332. Plusieurs autres âmes sont parvenues au sommet de la perfection, et en sont malheureusement tombées, et tombées si bas, quelles ont été presque réduites au désespoir ou à une espèce d'impossibilité de se relever. Du côté de la créature elle- même ce mal a des causes nombreuses. La première est le chagrin et la confusion excessive qu'éprouve celui qui est déclin du haut rang des sublimes vertus, non- seulement parce qu'il s'est privé des plus grands biens, mais parce qu'il ne compte pas plus sur les bienfaits futurs que sur ceux qu il a perdus dans le passé, et qui il n'ose pointai appuyer davantage sur les grâces qu'il peut obtenir par de nouveaux efforts que sur celles qui lui ont été précédemment accordées, et dont il n'a pas profité par son ingratitude. Il résulte de ce funeste désespoir que l'on agit sans ferveur, sans goût et sans dévotion ; car le désespoir éteint tous les sentiments, comme l'espérance ferme aplanit mille difficultés, fortifie la créature humaine dans sa faiblesse, et lui fait entreprendre de grandes rouvres. Il y a encore une autre cause qui n'est pas moins formidable, c'est que les âmes accoutumées aux bienfaits 96 de Dieu, ou par office comme les prêtres et les religieux, ou par l'habitude des vertus et des faveurs, comme les autres personnes adonnées à la spiritualité, pèchent ordinairement par le mépris qu'elles font de ces mêmes bienfaits, et par le mauvais usage des choses divines; car, par suite de leur fréquence, elles .en viennent, par un aveuglement étrange, à estimer peu les dons du Seigneur ; cette irrévérence empêche les effets de la grâce, à laquelle elles cessent de coopérer, et bientôt elles perdent cette sainte crainte qui entretient la vigilance et excite la créature à faire le bien, à obéir à la volonté divine, et à profiter avec soin des moyens que Dieu a prescrits pour sortir du péché, et pour acquérir son amitié et la vie éternelle. Ce danger est extrêmement grave pour les prêtres tièdes qui fréquentent l'Eucharistie et les autres sacrements sans crainte et sans respect; pour les personnes instruites et pour les puissants du monde, qui se corrigent difficilement de leurs péchés, parce qu'ils ont. perdu l'estime et la vénération des remèdes que l'Église leur présente, c'est-à-dire des sacrements, de la prédication et des bons livres. C'est pour cela que ces remèdes, qui sont salutaires aux autres pécheurs, et qui guérissent les ignorants, les rendent eux-mêmes malades, quoiqu'ils soient les médecins qui s'occupent de la santé spirituelle des autres. 1333. Ce ne sont pas là les seules raisons de ce mal; il y en a d'autres qui regardent le Seigneur même. Attendu que les péchés de ces âmes, qui par leur état ou par leur caractère sont les plus obligées à 97 Dieu, se pèsent dans la balance de sa justice fort différemment de ceux des autres âmes, qui sont moins favorisées de sa miséricorde. Et quoique les péchés de tous les hommes soient les mêmes quant à la matière, ils n'en sont pas moins fort différents par leurs circonstances. En effet, les prêtres, les savants, les personnes puissantes, les prélats, ceux qui remplissent des fonctions saintes ou ont une réputation de vertu, font un mal incalculable par le scandale de leur chute et par les péchés qu'ils commettent. Ils se rendent coupables d'une audace plus téméraire, quand ils osent s'élever contre Dieu, qu'ils connaissent davantage et auquel ils sont les plus redevables, en l'offensant avec plus de lumières et de science, et par conséquent avec plus d'insolence et de mépris que les ignorants; c'est pourquoi il est si grièvement offensé par les péchés des catholiques, et surtout par ceux des personnes qui sont les plus éclairées, ainsi qu'on le voit dans toutes les parties des livres sacrés. Et comme le terme de la vie humaine a été assigné à chacun des mortels afin qu'il y méritât la récompense éternelle, de même il a été déterminé jusqu'à quel nombre de péchés la longanimité du Seigneur doit attendre et souffrir chacun : et la justice divine ne suppute pas seulement ce nombre d'après la quantité, mais aussi d'après la qualité et la gravité des péchés; il peut donc arriver que dans les âmes qui ont reçu plus de lumières et plus de faveurs du Ciel, la qualité supplée à la multitude des péchés, et qu'elles soient abandonnées et punies avec an moindre nombre que 98 les autres pécheurs. On ne doit pas s'imaginer que tous puissent prétendre au sort de David (1) et de saint Pierre (2), car tous n'auront pas fait avant leur chute autant de bonnes œuvres auxquelles le Seigneur ait. égard. Il ne faut pas croire non plus que le privilège de quelques-uns soit une règle générale pour tous, puisque tous n'ont pas été choisis pour un ministère dans les jugements impénétrables du Seigneur. 1334. Votre doute sera éclairci, ma fille, par cette instruction , et vous comprendrez quel mal c'est d'offenser le Tout-Puissant; combien est épouvantable le malheur des âmes qui pèchent, lorsque le Seigneur, les ayant rachetées par son propre sang, les élève et les conduit dans le chemin de la lumière, et continent une personne peut tomber d'un haut degré de vertu dans un endurcissement plus criminel que d'autres d'une vertu plus commune. Le mystère de la passion et de la mort de mou très-saint Fils atteste cette vérité , en ce que les pontifes, les prêtres, les scribes et tout ce peuple étaient, comparativement aux Gentils, plus redevables ù Dieu, et leurs péchés les tirent. tomber dans un endurcissement plus aveugle et plus cruel que celui des Gentils eux-mêmes, qui ignoraient la véritable religion. Je veux aussi que cette vérin: et cet exemple vous rendent prudente, et vous fassent craindre un si terrible danger; et que vous unissiez à cette sainte crainte une humble reconnaissance et une haute estime des bienfaits du Seigneur. Souvenez- vous (1) II Reg., XII, 13. - (2) Luc., XXII, 61. 99 de la pauvreté au jour de l'abondance (1). Faites en une juste comparaison en vous- même. Considérez que vous portez votre trésor dans un vase fragile, et que vous le pouvez perdre (2); que lorsqu'on reçoit tant de faveurs, ce n'est pas une marque qu'on les ait méritées, puisqu'on ne les possède point par un droit de justice, mais par une pure grâce. Que si le Très-Haut vous a traitée avec tant de familiarité, il ne vous a pas assurée pour cela que vous ne puissiez tomber, et il ne vous a pas donné lieu non plus dé vivre dans la négligence, ou de perdre la crainte et le respect. Plus ses divines faveurs croisent à votre égard, plus vous devez être vigilante , car Lucifer est plus irrité coutre vous que contre les autres Mmes; parce qu'il a connu que le Seigneur vous a donné plus de marques de sou amour libéral qu'à des générations entières; et si vous étiez ingrate après tant de bienfaits et de miséricordes, vous seriez la plus malheureuse des créatures et certainement digne d'un châtiment fort rigoureux votre faute serait sans excuse. (1) Eccles., XVIII, 25. - (2) II Cor., IV, 1. 100 CHAPITRE IX. Notre Sauveur Jésus-Christ fut par ordre de Pilate flagellé, couronné d'épines et outragé. - Ce que fit la bienheureuse Marie dans cette occasion. 1335. Pilate, remarquant l'opiniâtreté et l'emportement des Juifs contre Jésus de Nazareth , et désirant ne le point condamner à mort, parce qu'il reconnaissait son innocence, crut qu'en le faisant durement fouetter, il apaiserait la fureur de ce peuple très-ingrat, et l'envie des pontifes et des scribes, de sorte qu'ils cesseraient de le persécuter et de demander sa mort, et dans le cas où Jésus-Christ eût manqué en quelque chose aux cérémonies et aux coutumes judaïques, il en serait suffisamment châtié. Pilate fit ce jugement parce qu'il avait ouï dire que Jésus ne gardait pas le sabbat ni les autres rites; en effet, c'était ce dont les pharisiens l'accusaient, ainsi que le raconte d'évangéliste saint Jean (1). Mais ici Pilate raisonnait mal, puisqu'il n'était pas possible que le Maître de la sainteté manquât en la moindre chose à la loi, n'étant parvenu pour la détruire, mais bien pour l'accomplir (1) Joan., IX, 16. 101 entièrement (1). Et quand même cette accusation n'eût pas été calomnieuse, il ne devait pas lui imposer une si grande peine, puisque les Juifs avaient en leur loi d'autres moyens, par lesquels ils se purifiaient des transgressions fréquentes qu'ils commettaient contre elle; ainsi ç'aurait toujours été une criante injustice de le faire fouetter avec tant de rigueur. Le juge ne se trompait pas moins lorsqu'il s'imaginait que les Juifs se laisseraient toucher en cette circonstance d'une certaine compassion naturelle, et écouteraient la voix de l'humanité. Car la fureur qu'ils avaient contre notre très-doux maître n'était pas celle d'hommes naturellement portés à la pitié quand ils voient leur ennemi humilié et abattu, parce qu'ils ont un coeur de chair, et une sympathie instinctive pour leur semblable, laquelle provoque facilement leur compassion : mais ces perfides Juifs étaient comme transformés en démons, qui s'irritent davantage contre celui qui est le plus affligé et le plus humilié, et quand ils le voient dans un plus grand abandonnement, c'est alors qu'ils disent : Persécutons-le maintenant qu'il n'a personne qui le défende, et qui le délivre de nos mains (2). 1336. Telle était la rage implacable des pontifes et des pharisiens leurs complices contre l'Auteur de la vie ; parce que Lucifer, désespérant désormais d'empêcher sa mort, que les Juifs prétendaient, les irritait avec une horrible malice, afin qu'ils la lui donnassent (1) Matth., V, 17. - (2) Sap., II, 18. 102 avec une cruauté inouïe. Pilate hésitait entre la lumière de la vérité, qu'il connaissait, et les vues humaines et terrestres qui le conduisaient; et suivant l'erreur qu'elles inspirent à ceux qu'elles dirigent, il ordonna que l'on fouettât rigoureusement Celui qu'il avouait être sans crime (1). On choisit six satellites de la justice, qui étaient les plus robustes pour exécuter cette sentence si injuste que le démon venait de suggérer, et ces vils scélérats incapables de pitié acceptèrent avec beaucoup de joie l'office de bourreaux : car l'homme violent et envieux est toujours bien-aisé d'exercer sa fureur, fût. ce par des actions basses et indignes. Aussitôt ces ministres du démon assistés de plusieurs autres menèrent notre Sauveur Jésus-Christ au lieu du supplice; c'était une cour ou un parvis de la maison où l'on mettait ordinairement à la question les malfaiteurs pour les obliger d'avouer leurs crimes. Ce parvis présentait une aire peu élevée, il était entouré de colonnes, dont les unes étaient couvertes par l'édifice qu'elles soutenaient, et les autres étaient à découvert et fort basses. Ils attachèrent fortement le Sauveur à une de celles-ci qui était de marbre , parce qu'ils le prenaient toujours pour un magicien, et qu'ils appréhendaient qu'il ne leur échappât. 1337. Ils le dépouillèrent d'abord de la robe blanche, et ce fut avec autant d'ignominie que lorsqu'on l'en avait revêtu en la maison d'Hérode. Et quand ils lui ôtèrent les cordes et les chaînes dont on (1) Joan., XIX, 1. 103 l'avait garrotté en le prenant au Jardin, ils le maltraitèrent encore d'une manière affreuse, rouvrant les plaies que les mêmes liens lui avaient faites aux bras et aux poignets, tant on les lui avait serrés. Et lui ayant laissé ses divines mains libres, ils lui ordonnèrent brutalement, avec force blasphèmes, de se dépouiller lui-même de la tunique sans couture qu'il avait. C'était la même que sa très-sainte Mère lui avait mise en Égypte, quand elle commença à faire marcher le très-doux Enfant Jésus, comme je l'ai rapporté en son lieu. Notre adorable Seigneur n'avait alors que cette tunique : car, quand on le prit au Jardin, on lai arracha le manteau qu'il portait ordinairement au-dessus de sa tunique. Le Fils du Père éternel obit aux bourreaux, et consentit à exposer son sacré et vénérable corps aux regards de la foule. Mais ces cruels et impies satellites, s'imaginant que sa modestie le rendait trop lent à se déshabiller, lui enlevèrent la tunique avec beaucoup de violence et de précipitation. Ainsi le Seigneur de l'univers se trouva tout nu, n'ayant d'autre vêtement qu'un caleçon, qu'il portait et qu'il garda toujours; c'était aussi le mémo rire sa bienheureuse blèse lui avait mis en Égypte avec la petite tunique : car tout ce qu'elle lui mit alors avait cruû à mesure que le très-saint corps croissait; et le Seigneur ne quitta jamais ni la tunique ni le caleçon, ni même les chaussures que notre auguste Princesse lui mit, excepté lorsqu'il allait prêcher, comme je l'ai dit ailleurs; alors il marchait souvent pieds nus. 104 1338. Il me semble avoir ouï dire .que plusieurs docteurs ont écrit que notre Sauveur fut entièrement dépouillé de tout ce qui pouvait couvrir sa personne sacrée, au moment de la flagellation et du crucifiement, sa Majesté consentant à sabir cette confusion pour- augmenter ses souffrances. Mais m'étant informée de la vérité par un nouvel ordre que je reçus de mes supérieurs, il m'a été déclaré que notre divin Maître était disposé à souffrir sans résistance tous les opprobres qui ne choqueraient point la décence, et que les bourreaux essayèrent de lui faire cet affront d'une nudité complète, et voulurent lui ôter le seul caleçon qui lui restait; mais que cela ne leur fut pas possible, parce que quand ils voulurent l'entre prendre leurs bras se roidirent, comme il arriva dans la maison de Caïphe à ceux qui prétendirent dépouiller le Seigneur de l'univers, ainsi que je l'ai raconté au chapitre dix-septième. Et quoique les six bourreaux y employassent toutes leurs forces, ils éprouvèrent tous la même chose ; néanmoins ces ministres d'iniquité parvinrent ensuite, pour fouetter le Sauveur avec plus de cruauté, à relever un peu le caleçon, et c'est tout ce que sa Majesté permit. Dit reste, ces barbares ne furent ni attendris ni touchés du miracle qui engourdissait leurs membres; mais, dans leur folie diabolique, ils l'attribuèrent aux sortilèges qu'ils imputaient à l'Auteur de la vérité et de la vie. 1339. Notre divin Rédempteur fut dépouillé de cette manière-là devant la multitude, et les six bourreaux le lièrent cruellement à une colonne de ce 105 parvis pour le frapper plus à leur aise. Puis ils se mirent à le flageller deux à deux avec une cruauté si inouïe, que la nature humaine en eût été incapable, si Lucifer ne se fût comme incorporé avec ces ministres impitoyables. Les deux premiers fouettèrent le très-innocent Seigneur avec de grosses cordes retorses, déployant dans cette exécution sacrilège toute leur rage et toutes leurs forces. Par ces premiers coups ils couvrirent tout le corps sacré de notre Sauveur d'énormes tumeurs et de meurtrissures, qui le défigurèrent entièrement et firent jaillir de toutes parts son très-précieux sang des blessures. Quand ceux-là se furent lassés, deux autres bourreaux les remplacèrent et le frappèrent à l'envi avec de rudes lanières et avec tant de violence, qu'ils firent crever toutes les tumeurs et toutes les ampoules que les premiers avaient causées; et il en sortit une si grande quantité de sang, que non-seulement tout le corps adorable du Sauveur en fut baigné, mais qu'il rejaillit sur les habits des satellites sacrilèges qui le frappaient, et ruissela jusqu'à terre. Ces deux bourreaux étant hors d'haleine, se retirèrent, et les derniers commencèrent à le frapper avec des nerfs aussi durs que des osiers déjà secs. Ceux- ci le déchirèrent avec une plus grande cruauté, non-seulement parce que leurs coups, au lieu de tomber simplement sur son très-saint corps, ne pouvaient plus tomber que sur les plaies que les premiers lui avaient faites, mais aussi parce qu'ils frirent de nouveau irrités par les démons, que la patience du Christ rendait de plus en plus furieux. 106 1340. Toutes ses veines étaient déjà rompues, et son corps sacré ne présentait plus qu'une vaste plaie, de sorte que ces troisièmes bourreaux ne trouvèrent point de partie saine à blesser. Mais ces monstres, redoublant leurs coups, déchirèrent la chair virginale de notre Rédempteur; ils en firent tomber plusieurs lambeaux par terre, et lui dénudèrent les os en divers endroits de ses épaules, où on les Noyait tout ensanglantés, et quelques-uns sur un espace plus large même que la paume de la main. Et pour effacer jusqu'aux derniers vestiges de cette beauté, qui surpassait celle de tous les enfants des hommes (1), ils le frappèrent à son divin visage, sur les pieds et sur les mains, sans qu'il y eût une partie qui échappât à leurs coups et sur laquelle ils n'exerçassent la rage qu'ils avaient conçue contre ce très-innocent Agneau, dont le précieux sang coulait à flots sur le sol. Les coups qu'on lui appliqua sur les pieds, sur les mains et sur le visage lui causèrent une douleur incroyable, ces parties étant les plus nerveuses, les plus sensibles et les plus délicates. Ce vénérable visage était tout meurtri, et le sang qui en sortait de toutes parts se caillant devant ses yeux, l'aveuglait entièrement. En outre, ils le couvrirent de leurs immondes crachats, pour le rassasier eu quelque sorte d'opprobres (2). Le nombre des coups de fouet que reçut le Sauveur depuis les pieds jusqu'à la tête fut de croit mille cent quinze. Ainsi le souverain Seigneur et le (1) Ps., XLIV, 3. - (2) Thren., III, 30. Créateur de tout l'univers, qui par sa nature divine était impassible, devint pour nous et sous notre chair, comme l'avait prédit Isaïe (1), un homme de douleurs, connaissant à fond par sa propre expérience toutes nos souffrances, et il parut le dernier des hommes et le plus méprisé de tous. 1341. La multitude de peuple qui suivait notre Sauveur remplissait les cours de la maison de Pilate aussi bien que les rues, parce que tout le monde attendait le dénouement de cette grande affaire, et sen entretenait au milieu d'un tumulte horrible, chacun selon le jugement qu'il en avait formé. La bienheureuse Vierge souffrit des peines inexprimables parmi ces scènes de désordre, à la vue des opprobres dont les Juifs et les Gentils accablaient son très-saint Fils. Quand on le mena au lieu du supplice, la très-prudente Dame se retira dans un coin du parvis avec les Marie et saint Jean, qui l'assistaient et partageaient sa douleur. Retirée en cet endroit, elle découvrit par une vision très-claire tous les coups que notre adorable Sauveur recevait. Et quoiqu'elle ne vit point par les yeux du corps ce qui se passait, elle n'en eut pas moins une connaissance fort distincte. Il n'est pas possible de dire ni mime de concevoir les douleurs et la désolation qu'elle ressentit dans cette circonstance; on ne pourra les comprendre, avec les autres mystères de la Divinité qui nous sont cachés, que là où ils seront publiquement manifestés pour la gloire (1) Isa., LIII, 3. 108 du Fils et de la Mère. J'ai dit en d'autres endroits de cette histoire, et notamment dans le récit que j'ai fait de la passion du Seigneur, que la très-pure Marie sentit en son corps toutes les douleurs que son Fils éprouva par les mauvais traitements auxquels il fut en butte. Elle souffrit une douleur semblable dans toutes les parties de son corps, à mesure que celui de notre Seigneur Jésus-Christ était frappé des coups de fouet des bourreaux; de sorte que, sans répandre d'autre sang que celui qu'elle versa avec ses larmes, et sans non plus recevoir aucune plaie par impression de celles du Seigneur, la souffrance la changea et la défigura à un tel point, que saint Jean et les Marie ne la reconnaissaient presque plus aux traits de son visage. Outre les douleurs de son corps, celles qu'elle souffrit en son âme très-sainte furent inexprimables; car c'est dans cette circonstance que l'on pouvait dire que l'augmentation de la science n'était que l'augmentation des peines (1). Animée à la fois de l'amour naturel à une mère et de la souveraine charité de Jésus-Christ, elle seule comprit mieux que toutes les autres créatures ensemble l'innocence du même Soigneur, la dignité de sa personne divine., et l'énormité des injures qu'il essuyait des perfides Juifs, et de ces mêmes enfants d'Adam, qu'il rachetait de la mort éternelle. 1342. Ayant exécuté la sentence qui ordonnait la flagellation de notre Sauveur, les mêmes bourreaux le (1) Eccles., I, 18. 109 délièrent de la colonne avec un insolent dédain, et lui prescrivirent, en vomissant de nouveaux blasphèmes, de se vêtir au plus tôt de sa tunique, qu'ils lui avaient ôtée. Mais un de ces satellites inspiré du démon l'avait cachée pendant qu'on fouettait notre très-doux Maître, afin qu'il ne pût la trouver et qu'il restât ainsi dépouillé pour prolonger sa confusion et les sarcasmes de ses ennemis. La bienheureuse Vierge connut cette malice infernale, et, usant du pouvoir de Reine, elle commanda à Lucifer et à tous ses démons de sortir de ce lieu; et aussitôt ils se sentirent forcés de s'en éloigner par la vertu et par la puissance de notre auguste Princesse. Ensuite elle ordonna aux saints Anges de remettre la tunique de son très-saint Fils dans un endroit où sa Majesté pût facilement la prendre pour en vêtir son sacré corps, qui était tout déchiré de coups. Cela fut incontinent accompli, sans que les sacrilèges satellites en pénétrassent le mystère; ils l'attribuaient à des maléfices diaboliques. Notre Sauveur se vètit, ayant, outre ses plaies, souffert une nouvelle douleur, que le froid lui causait; car la saison était froide, comme on le peut voir par ce que les évangélistes disent (1); et comme le Seigneur avait demeuré un assez long temps dépouillé, le sang de ses plaies s'était figé, et c'est ce qui les lui rendait plus sensibles; il avait d'ailleurs moins de forces pour les endurer, parce que le froid les lui diminuait : cela n'empêchait pourtant pas que (1) Marc., XIV, 54; Luc., XXII, 55; Joan., XVIII, 18. 110 l'ardeur de son infinie charité ne lui fit désirer de souffrir toujours davantage. Et quoique la compassion soit si naturelle aux créatures raisonnables, personne ne fut touché du piteux état où il se trouvait, excepté sa Mère désolée, qui pleurait et gémissait pour tout le genre humain. 1343. Entre les mystères du Seigneur cachés à la sagesse humaine, c'est un grand sujet d'admiration que la fureur des Juifs, qui étaient des hommes de chair et de sang, sensibles comme nous, ne frit point apaisée en voyant notre adorable Maître si maltraité et tout déchiré des cinq mille cent quinze coups de fouet qu'il avait reçus; et que, bien loin d'être émus d'une certaine compassion naturelle à la vue d'un objet si pitoyable, leur envie leur suggérât de nouveaux moyens d'outrager celui qui avait déjà tant souffert. Mais leur rage était si implacable, qu'elle leur fit bientôt inventer un nouveau genre de tourment. Ils allèrent donc trouver Pilate dans le prétoire, et lui dirent devant ceux de son conseil : " Cet imposteur, ce séducteur du peuple, Jésus de Nazareth, a voulu par ses artifices et par sa vanité qu' on le prit pour le roi des Juifs; et afin d'humilier son orgueil et de confondre davantage sa présomption, nous vous demandons l'autorisation de lui mettre les insignes de la royauté, dont il s'est rendu digne par son orgueilleuse fantaisie. " Pilate accorda l'injuste demande des Juifs, et leur permit d'exécuter ce qu'ils souhaitaient. 1344. Or, ils menèrent notre Sauveur au prétoire, où ils le dépouillèrent de nouveau avec la même 111 cruauté et la même insolence qu'auparavant; et ils le vêtirent d'un manteau de pourpre (1) tout déchiré et couvert de taches , pour le livrer à la risée de tous, sous ce costume propre à un roi imaginaire. Ils lui mirent aussi sur sa tète sacrée une couronne d'épines habilement entrelacées. Elle était composée de joncs épineux, dont les pointes étaient très-fortes et très-aiguës, et ils la lui enfoncèrent avec tant de violence, que plusieurs épines pénétrèrent jusqu'au crâne, quelques-unes jusqu'aux oreilles, et d'autres jusqu'aux yeux. Aussi le couronnement d'épines fut-il un dés plus douloureux tourments qu'ait soufferts notre adorable Seigneur. En guise de sceptre, -ils lui mirent un roseau dans la main droite. Ensuite ils lui jetèrent sur les épaules un manteau violet, semblable aux chapes dont on use dans l'Église; car les rois se servaient aussi alors de cet ornement pour marquer leur dignité. Telle fut l'ignominie avec laquelle les perfides Juifs habillèrent comme un roi de théâtre Celui qui était par nature et à tous tes titres le véritable Roi des rois et le Seigneur des seigneurs (2). Tous les hommes de la milice se réunirent sous les yeux des pontifes et des pharisiens, et ayant placé au milieu d'eux notre divin Maître, ils lui lancèrent, le blasphème à la bouche, les sarcasmes les plus mordants; car les uns, fléchissant le genou, lui disaient ironiquement : " Salut! Roi des Juifs. " D'autres lui donnaient des soufflets. Il y en avait qui, lui prenant (1) Joan. XIX, 2. - (2) Apoc., XVI, 19. 112 le roseau qu'il avait à la main, en frappaient et meurtrissaient sa tête. D'autres le souillaient de leurs immondes crachas; tous l'accablaient de leurs injures, de leurs mépris, de leurs outrages, inspirés par une fureur vraiment infernale (1). 1345. O charité incompréhensible et sans borne ! ô patience inouïe et qui surpasse l'imagination des enfants d'Adam! qui a pu, Seigneur, obliger votre grandeur, vous qui êtes le Dieu véritable et puissant dans votre être et dans vos oeuvres., à s'humilier jusqu'à vous faire souffrir des supplices, des opprobres et des blasphèmes si effroyables? Mais plutôt quels sont ceux d'entre les hommes, ô mon adorable Créateur ! qui ne vous ont pas offensé et n'ont pas travaillé à vous empêcher de rien faire pour eux ? Qui d'entre nous pourrait s'imaginer ce que vous avez souffert, si nous ne connaissions pas votre bonté infinie? Mais puisque nous la connaissons et que nous considérons avec la certitude de la sainte foi tant de bienfaits, tant de merveilles admirables de votre amour, où est notre jugement? A quoi sert la lumière de la vérité que nous confessons? De quelles illusions sommes-nous donc le jouet, puisqu'à la vue de vos douleurs, des coups de fouet, des épines, des opprobres et des affronts que vous avez reçus, nous osons chercher les plaisirs, le repos, les honneurs et les vanités du monde? Le nombre des insensés est véritablement infini (2). En effet, la plus grande de toutes (1) Matth., XXVII, 29; Joan., XIX, 9; Marc., XV, 19. - (2) Eccles., I, 15. 113 les folies est de connaître une obligation sans y satisfaire, de recevoir un bienfait sans jamais le reconnaître, d'avoir devant les yeux le plus précieux de tous les biens, et de le mépriser, de le rejeter, loin d'en tirer le moindre profit; enfin, de laisser la vie pour suivre la mort éternelle. Le très-innocent agneau Jésus n'ouvrit pas seulement la bouche su milieu de tant d'opprobres. Mais ni les sanglantes railleries qu'ils firent de notre divin Maître, ni les mauvais traitements qu'ils exercèrent sur sa sacrée personne ne purent apaiser la rage des Juifs. 1346. Pilate crut que si ce peuple ingrat voyait Jésus de Nazareth dans un état si pitoyable, il en aurait le coeur attendri et confus; c'est pour cela qu'il ordonna qu'on le fît paraître à une fenêtre du prétoire, afin que. tous le vissent ainsi déchiré de coups, défiguré, couronné d'épines, et sous le costume ignominieux d'un roi imaginaire . Et alors, s'adressant au peuple, il lui dit : Ecce Homo (1) : " Voilà l'homme que vous regardez comme votre ennemi. Que puis-je faire encore contre lui, après l'avoir fait châtier avec tant de rigueur? Il est si abattu, que vous n'avez plus sujet de le craindre. Je ne trouve rien en lui qui soit digne de mort. " Certes ce que le juge disait était incontestable; mais il condamnait par là même sa conduite aussi inique qu'impie, puisque sachant et avouant que cet homme était juste, et déclarant qu'il ne méritait point la mort, il ne lui avait pas moins infligé des (1) Joan., XIX, 5. 114 tourments si cruels, qu'ils eussent suffi pour lui ôter plusieurs fois la vie. O aveuglement de l'amour-propre ! ô quelle méchanceté de considérer dans ces sortes d'occasions ceux qui peuvent donner ou enlever, les charges ! Combien ces vues terrestres n'obscurcissent-elles pas la raison! Comme elles font pencher la balance de la justice, puisque dans cette rencontre elle s'éleva contre la vérité souveraine, et entraîna la condamnation du Juste des justes! Tremblez, juges, qui jugez la terre, et prenez bien garde que les poids de vos jugements ne soient faux (1); car en prononçant une sentence injuste, vous vous condamnez vous-mêmes. Comme les pontifes et les pharisiens ne souhaitaient rien tant dans leur haine implacable que de faire mourir notre Sauveur Jésus-Christ, rien aussi ne pouvait les satisfaire que sa mort; c'est pourquoi ils répondirent à Pilate : " Crucifiez-le, crucifiez-le (2). " 1347. La bienheureuse Vierge vit son très-saint Fils quand Pilate le montra, et dit : Ecce Homo; et s'étant prosternée, elle l'adora et le reconnut comme Dieu-Homme véritable. Saint Jean, les Marie et tous les anges qui accompagnaient notre auguste Dame firent de même : elle le leur prescrivit, et comme Mère de notre Sauveur et comme leur Reine; d'ailleurs les saints anges découvraient en Dieu même sa volonté à cet égard. Notre très-prudente Reine dit alors au Père éternel, aux saints anges, et surtout à (1) Ps. II, 10. - (2) Joan., XIX, 6. 115 son bien-aimé Fils des choses si sublimes, si pleines de douleur, de compassion et de respect, qu'elles ne pouvaient partir que d'un cour aussi embrasé que le sien des flammes du plus chaste amour. Elle considéra encore pansa très-haute sagesse que dans cette occasion où son adorable Fils était si méprisé et si outragé des Juifs, il fallait chercher le moyen le plus convenable de lui conserver son honneur et de prouver son innocence. Dans cette très-prudente pensée elle renouvela les prières qu'elle avait déjà faites en faveur de Pilate, comme je l'ai dit, afin qu'il continuât à déclarer, comme juge, que notre Rédempteur Jésus-Christ ne méritait point la mort et n'était point criminel, ainsi que les Juifs le prétendaient, et que tout le mondé pût entendre cette déclaration. 134S. En vertu de cette prière de l'auguste Marie, Pilate sentit une vive pitié de voir le Seigneur si maltraité, et il fut fâché de l'avoir fait fouetter avec tant de. barbarie. Bien que son caractère plus humain et plus compatissant que celui des Juifs contribuât à exciter en lui ces mouvements, ce qui opérait le plus dans son âme c'était la lumière qu'il recevait par l'intercession de la Mère de la grâce. Ce fut cette même lumière qui porta ce juge à faire tant de propositions aux Juifs pour tâcher de délivrer notre Sauveur Jésus-Christ après qu'on l'eut couronné d'épines, ainsi que le raconte l'évangéliste saint Jean au chapitre dix-neuvième (1). Car lorsqu'ils lui demandèrent son (1) Joan., XIX, 4. 116 crucifiement, Pilate leur répondit : " Prenez-le vous-mêmes, et crucifiez-le, car pour moi je ne trouve point de crime en lui pour le faire (1). " Les Juifs lui dirent: " Nous avons notre loi, et selon la loi il doit mourir, parce qu'il s'est fait le Fils de Dieu (2). " Ces paroles accrurent les craintes de Pilate : il songea qu'il pouvait être vrai que Jésus fût le fils de Dieu , selon le sentiment qu'il avait, comme Gentil, de la Divinité. Ces craintes le firent rentrer dans le prétoire, où il prit le Seigneur en particulier, et lui demanda d'où il était (3). Mais sa Majesté ne lui répondit rien, parce que Pilate n'était point en état de comprendre sa réponse, et il ne la méritait pas non plus. Il fit pourtant de nouvelles instances, et dit au Roi du ciel : " Vous ne me parlez point? Ne savez-vous pas que j'ai le pouvoir de vous crucifier, et que j'ai le pouvoir de vous délivrer (4)? " Pilate prétendit par là obliger Jésus-Christ à se disculper et à répondre quelque chose qui pût l'éclaircir sur ce qu'il désirait savoir,. Il lui semblait qu'un homme réduit à un si pitoyable état accepterait avec empressement la moindre avance et la moindre marque d'intérêt dont le juge voudrait le favoriser. 1349. Mais le Maître de la vérité répondit à Pilate sans s'excuser, et avec plus de magnanimité qu'il n'attendait; et dans cette réponse il lui dit : Vous n'auriez aucun pouvoir sur moi s'il ne vous avait été donné d'en haut; c'est pourquoi celui qui m'a livré entre (1) Joan., XIX, 6. - (2) Ibid., 7. - (3) Ibid., 9. - (4) Ibid., 10. 117 vos mains est plus coupable que vous (1). Cette seule réponse mettait ce juge dans l'impossibilité de trouver aucune excuse pour couvrir le crime qu'il commettait en condamnant Jésus-Christ, puisqu'elle devait lui faire comprendre que ni lui ni même César n'avaient aucun pouvoir sur cet homme adorable; que si on l'avait livré à sa juridiction contre toute raison et justice, cela avait été permis par un ordre supérieur, et qu'ainsi Judas et les pontifes en lui procurant la mort avaient commis un crime plus énorme ; mais qu'il en était lui - même coupable, quoique à un moindre degré. Pilate ne parvint point à connaître cette vérité mystérieuse; mais les paroles de notre Seigneur Jésus-Christ l'effrayèrent: ce qui lui fit faire les derniers efforts pour le délivrer. Les pontifes devinant l'intention de Pilate, le menacèrent de la disgrâce de l'empereur s'il le délivrait, et s'il ne faisait pas mourir celui qui se prétendait roi. Ils lui dirent : " Si vous délivrez cet homme, vous n'êtes pas ami de César; car quiconque se fait roi s'oppose à ses ordres (2). " Ils parlèrent ainsi parce que les empereurs romains ne permettaient point que personne prît dans toute l'étendue de leur empire les marques ou le titre de roi sans leur consentement; et si Pilate l'eût permis, il aurait contrevenu aux décrets de César. Il fut fort troublé par cette malicieuse menace des Juifs, et, s'asseyant dans son tribunal (3) (c'était environ vers la sixième heure) pour juger le Seigneur, (1) Joan., XIX, 11. - (2) Ibid., 11. - (3) Ibid., 13. 118 il fit de nouvelles tentatives, disant aux Juifs : " Voilà votre roi (1). " Alors ils crièrent tous : " Otez, ôtez-le de là, crucifiez-le. " Pilate leur répliqua Crucifierai-je votre roi ? " A quoi ils répondirent : " Nous n'avons point d'autre roi que César (2). " 1350. Pilate se laissa vaincre par la malice obstinée des Juifs. Et étant dans son tribunal, en un lieu qui s'appelle en grec Lithostrotos, et en hébreu Gabbatha, le jour de la préparation de la pâque, il prononça la sentence de mort contre l'Auteur de la vie, comme je le rapporterai dans le chapitre suivant. Les Juifs sortirent de la salle avec de grands témoignages de joie, publiant la sentence qui avait été prononcée contre le très-innocent Agneau, et qui renfermait notre remède, quoique ces ingrats l'ignorassent. La Mère de douleur, qui était restée dehors, connut tout ce qui se passa par une vision particulière. Et lorsque les pontifes et les pharisiens sortirent en annonçant que son très-saint Fils avait été condamné à mourir sur la croix, son affliction redoubla, et son coeur fut impitoyablement percé du glaive. Comme ce qu'elle souffrit alors surpasse tout ce que l'entendement humain peut concevoir, je me contente de livrer ce sujet aux méditations de la piété chrétienne. Il n'est pas possible non plus d'exprimer les actes d'adoration, de respect, d'amour, de compassion, de douleur et de soumission, qu'elle exerça intérieurement dans cette circonstance. (1) Joan., XIX, 14. - (2) Ibid, 15. 119 Instruction que j'ai reçue de la Reine de l'univers. 1351. Ma fille, vous considérez avec étonnement la malice endurcie des Juifs, et la facilité de Pilate, qui l'ayant appréciée ne laissa pas de la favoriser au préjudice de l'innocence de mon adorable Fils. Je veux vous tirer de cet étonnement par les avis dont vous avez besoin pour marcher avec précaution dans le chemin de la vie. Vous savez que les anciennes prophéties des mystères de la Rédemption et toutes les Écritures saintes devaient être infaillibles, puisque le ciel et la terre périraient plutôt qu'elles pussent manquer de s'accomplir (1), selon qu'il est déterminé dans l'entendement divin. Or, pour faire souffrir à mon Fils cette mort très- ignominieuse que les prophètes avaient prédite (2), il fallait qu'il y eût des hommes qui le persécutassent; mais que ceux-ci aient été les Juifs, leurs pontifes, et Pilate l'inique juge qui le condamna, ç'a été leur malheur, et non point le choix du Très- Haut, qui voudrait sauver tous les hommes (3). Et si ces ministres sont tombés dans un malheur si déplorable, on le doit attribuer à leurs propres péchés et à leur extrême malice, par laquelle ils ont résisté à la grâce des plus grands bienfaits, puisqu'ils avaient parmi eux leur Rédempteur et leur Maître, qu'ils pouvaient converser avec lui, le connaître, ouïr ses (1) Matth., XXIV, 35. - (2) Sap., II, 20; Act., III, 18; Jerem., XI, 19. - (3) I Tim., II, 4. 120 divines paroles, assister à ses miracles, et recevoir les faveurs que les anciens patriarches ont implorées si longtemps sans les obtenir (1). Par ce moyen la cause du Seigneur a été justifiée, et il a été visible qu'il a lui-même cultivé sa vigne et l'a entourée de soins (2), et qu'elle ne lui a produit que des épines et de mauvais fruits, donnant la mort su Maître qui l'a plantée, et ne voulant point le reconnaître, comme elle le devait et le pouvait bien plus que des étrangers. 1352. Ce qui arriva au chef Jésus-Christ mon Seigneur et mon Fils, doit arriver jusqu'à la fin du monde aux membres de ce corps mystique, qui sont les justes et les prédestinés : car ce serait une chose monstrueuse que les membres ne correspondissent point au Chef, les enfants au Père, et les disciples au Maître. Et quoique dans le monde les justes soient mêlés avec les pécheurs, les prédestinés avec les réprouvés, et que l'on y voie toujours des persécuteurs et des persécutés, des meurtriers qui donnent et des innocents qui subissent la mort, des personnes qui mortifient et d'autres qui sont mortifiées; le sort de chacun des hommes ne lui échoit que par suite de sa malice ou de sa bonté, et malheur à ceux qui par leurs péchés et par leur mauvaise volonté causent du scandale dans le monde (3) : c'est par là qu'ils deviennent les instruments du démon. Les pontifes, les pharisiens, et Pilate commencèrent dans la (1) Matth., XIII, 17. - (2) Matth., XXI, 38. - (3) Matth., XVIII, 7. 121 nouvelle Église l'oeuvre d'iniquité, car ils maltraitèrent le Chef de ce corps mystique si admirablement beau ; et ceux qui en maltraitent et qui en maltraiteront les membres, c'est-à-dire les saints et les prédestinés, se rendront les disciples des Juifs et du démon. 1353. Voyez donc, ma très-chère fille, lequel de ces sorts vous voulez maintenant choisir en la présence de mon Seigneur et en la mienne. Et si après que votre Rédempteur, votre Époux et votre Chef, a été maltraité, affligé, couronné d'épines et chargé d'opprobres, vous voulez être sa disciple et membre de ce corps mystique, il n'est ni convenable ni possible que vous viviez dans les délices du monde et selon la chair. Il faut que vous soyez persécutée sans que vous persécutiez personne, et opprimée sans opprimer qui que ce soit ; que vous portiez la croix et souffriez le scandale sans le causer; que vous pâtissiez sans faire pâtir votre prochain ; vous devez, au contraire, travailler à son salut autant qu'il vous sera possible, ne cessant de pratiquer la perfection de votre état et de votre vocation. C'est là le partage des amis de Dieu, et l'héritage de ses enfants dans la vie mortelle; cet héritage renferme la participation de la grâce et de la gloire que mon très-saint Fils leur a acquise par les tourments, par les opprobres et par la mort de la croix : j'y ai aussi coopéré par tant de douleurs et d'afflictions que vous avez connues, et dont je veux que le souvenir ne s'efface jamais dans votre esprit. Le Très-Haut pouvait prodiguer les richesses temporelles à ses élus, les élever 122 aux plus hautes charges, et les douer d'une force tellement invincible qu'ils eussent soumis toutes choses à son pouvoir souverain. Mais il n'était pas convenable qu'ils fussent conduits par ce chemin, afin que les hommes ne se trompassent point eux- mêmes, en frisant consister leur félicité dans les grandeurs et les pompes mondaines, et en arrivant ensuite à délaisser les vertus, à ternir la gloire du Seigneur, à méconnaître l'efficace de la grâce, à ne point désirer les choses spirituelles et éternelles. Je veux que vous étudiiez continuellement cette science, que vous y fassiez tons les jours de nouveaux progrès , et que vous pratiquiez tout ce qu'elle vous enseignera. CHAPITRE XXI. Pilate prononce la sentence de mort contre l'Auteur de la vie. - Le Seigneur porte sur ses épaules la croix sur laquelle il doit mourir. - Sa très- sainte Mère le suit. - Ce que fit cette auguste Reine dans cette occasion contre le démon, et quelques autres événements. 1354. Pilate prononça la sentence par laquelle il condamnait notre Sauveur Jésus- Christ, auteur de la vie, à mourir de la mort de la croix, selon le souhait 123 des pontifes et des pharisiens. Après qu'elle lui eut été notifiée, on le mena dans un autre endroit de la maison du juge, où on lui ôta le manteau de pourpre qu'on lui avait mis comme. à un roi imaginaire. Cela eut lieu conformément aux vues mystérieuses du Seigneur, quoique avec une intention malicieuse du côté des Juifs, qui voulaient conduire le Sauveur au supplice de la croix avec ses propres habits, afin que tous pussent le reconnaître : car les coups, les crachats et la couronne d'épines avaient si fort défiguré son divin visage, qu'il ne fut reconnaissable pour le peuple qu'à ses vêtements. On lui mit la tunique sans couture, que les anges apportèrent par ordre de leur Reine, l'ayant tirée secrètement d'une autre chambre, où les ministres l'avaient jetée lorsqu'ils la lui ôtèrent pour le revêtir du manteau de pourpre. Les Juifs ne s'aperçurent point de ce miracle, et ils n'étaient d'ailleurs pas en 'état de le remarquer, à cause de la précipitation avec laquelle ils s'occupaient des préparatifs de sa mort. 1355. L'activité des Juifs était telle, que la sentence de mort, qui avait été prononcée contre Jésus de Nazareth , fut aussitôt publiée par toute la ville, et le peuple courut à la maison de Pilate pour le voir sortir et mener au supplice. Jérusalem était pleine de gens ; car, outre le nombre considérable de ses habitants, il y était venu de tous les côtés beaucoup d'autres personnes pour célébrer la Pâque; et dans cette occasion tous se rendirent au palais de Pilate pour voir ce qui s'y passait à l'égard de Jésus-Christ. 124 C'était le vendredi , jour de la préparation , selon l'interprétation grecque ; car ce jour-là les Hébreux se préparaient pour le jour suivant du Sabbat, qui était leur grande solennité, en laquelle ils ne vaquaient à aucune oeuvre servile, pas même pour ce qui concernait leur nourriture :tout se faisait le vendredi. On fit sortir notre Sauveur avec ses propres vêtements à la vue de tout ce peuple (1) ; il était si défiguré par les plaies, le sang et les crachats, qui couvraient sa face divine, que ceux qui l'avaient vu auparavant l'eussent pris pour un autre que lui-même. Il parut, suivant l'expression d'Isaïe (2), comme un lépreux, et comme un homme frappé de Dieu : en effet, avec toutes ses meurtrissures, son corps sacré, couvert de sang caillé , ne présentait plus qu'une seule grande plaie. Les saints anges l'avaient plus d'une fois essuyé par ordre de la Mère désolée ; mais aussitôt les bourreaux recommençaient à lui jeter tant d'autres crachats, qu'il en était tout souillé en ce moment. A l'aspect d'un objet si pitoyable, il s'éleva un si grand bruit parmi le peuple, qu'on né pouvait rien entendre de tout ce que l'on disait. Mais les pontifes et les pharisiens dominaient de leur voix le tumulte, se livraient à une joie indécente, et engageaient la foule par de grossières, plaisanteries à se calmer et à débarrasser le chemin par lequel ils devaient faire passer le divin Condamné, afin que tout le monde pût entendre la lecture (1) Joan., XIX, 17. - (2) Isa., LIII, 4. 125 de la sentence de mort qui avait été prononcée contre lui. Toute cette multitude était divisée d'opinion, et au milieu de la confusion, chacun cherchait à faire prévaloir son avis. Parmi les nations différentes qui assistaient à ce triste spectacle, il se trouvait des gens qui avaient été favorisés des charitables bienfaits, et secourus par les miracles du Sauveur; d'autres encore qui avaient ouï et embrassé sa doctrine, et qui étaient ses parents et ses amis; plusieurs de ceux-ci pleuraient amèrement; quelques-uns demandaient quels crimes avait commis cet homme pour être traité avec tant de cruauté. Les autres demeuraient dans le silence et dans la consternation enfin on ne voyait partout que confusion et que tumulte. 1356. Saint Jean fut le seul des Apôtres qui se trouvât présent à ce spectacle, car se tenant auprès de la bienheureuse Vierge et des Marie, il fut témoin de tout ce qui se passa, quoiqu'ils restassent un peu à l'écart de la multitude. Et lorsque le saint Apôtre vit sortir son divin Maître, songeant qu'il en était si particulièrement aimé, il fut saisi d'une si vive douleur, qu'il s'évanouit et tomba comme mort. Il en arriva autant aux trois Marie. Mais la Reine des vertus fut invincible, et quoiqu'elle sentit une douleur inexprimable, elle n'eut pas ces défaillances qui marquaient la faiblesse des autres. Elle fut en tout très-prudente, très-forte , et admirable ; elle sut garder tant de mesure dans ses actions extérieures, que, sans faire éclater. la moindre plainte, 126 elle consola les Marie et saint Jean, et pria le Seigneur de les fortifier, afin qu'ils pussent lui faire compagnie jusqu'à la fin de la Passion. En vertu de cette prière, ils revinrent en leur premier état, et parlèrent à notre auguste Dame, qui ne montra aucun trouble parmi tant de confusion et d'amertume, et conserva une sérénité et une dignité vraiment royales, quoiqu'elle ne cessât de répandre des larmes. Elle considérait son Fils et son Dieu véritable ; elle priait le Père éternel, et lui offrait les douleurs de la Passion, à l'exemple de notre Sauveur. Elle connaissait la malice du péché, pénétrait les mystères de la rédemption, conviait les anges à prier avec elle pour les amis et pour les ennemis; et élevant son amour et sa douleur à leur plus haut degré, elle donnait la plénitude à toutes ses vertus, se rendant par là un objet digue de l'admiration des anges, et de la complaisance de la Divinité,. Et comme il n'est pas possible de traduire dans une langue humaine les sentiments que la Mère de la Sagesse formait dans son coeur et exprimait parfois par ses paroles, je m'en remets à la piété chrétienne. 1357. Les pontifes et les satellites de la justice tâchaient de faire taire le peuple, afin qu'il entendit la sentence qui avait été prononcée contre Jésus de Nazareth ; car après la lui avoir notifiée, ils voulaient la lire publiquement en sa présence. Ayant donc apaisé le tumulte, et le Seigneur étant debout comme un criminel, ils en donnèrent lecture à haute voix, afin que tous les assistants l'entendissent; 127 ensuite ils la relurent plusieurs fois par les rues, et en dernier lieu an pied de la croix. Je sais que cette sentence a été souvent imprimée, et, selon ce qui m'a été déclaré, elle l'a été au fond d'une manière exacte, sauf quelques mots qu'on y a ajoutés; j'omettrai ces additions, attendu que les termes que je vais employer, sans y rien ajouter et sans en rien retrancher, m'ont été inspirés comme il suit. Teneur de la sentence de mort que Pilate prononça contre Jésus de Nazareth notre Sauveur. 1358. " Moi, Ponce Pilate, président de la Basse-Galilée, gouvernant ici en Jérusalem pour l'empire romain, dans le palais de l'archiprésidence, je juge et prononce que je condamne à mort Jésus, surnommé Nazaréen par le peuple, originaire de Galilée, comme factieux, rebelle à la Loi, à notre Sénat, et au grand empereur Tibère César. Et par cette sentence je détermine qu'il meure sur une croix, attaché avec des clous, comme l'on y attache les criminels, parce qu'assemblant ici chaque jour une foule de personnes pauvres et riches, il n'a cessé d'exciter des troubles par toute la Judée, en se prétendant le Fils de Dieu et le Roi d'Israël; en annonçant la ruine de cette célèbre ville de Jérusalem, du saint Temple et du sacré Empire; en refusant le tribut à César, et parce qu'il a poussé l'audace jusqu'à entrer en triomphe, avec 128 des palmes, accompagné d'une grande partie du peuple, dans cette ville de Jérusalem et dans le saint Temple de Salomon. J'ordonne au premier centenier, appelé Quintus Cornelius, de le mener parla même ville avec ignominie, garrotté comme il l'est, et flagellé par mon ordre. On lui mettra ses propres vêtements, afin qu'il soit reconnu de tous; et il portera la croix sur laquelle il doit a être crucifié. Il ira par toutes les rues les plus a fréquentées entre deux voleurs qui ont été condamnés à la mort pour des larcins et des meurtres a qu'ils ont commis, et c'est afin qu'il serve d'exemple à tout le peuple et aux malfaiteurs. " Je veux aussi et j'ordonne par cette présente sentence, qu'après que l'on aura mené de la sorte ce malfaiteur par les rues, ou le fasse sortir de la ville par la porte: Pagora, appelée maintenant Antoniana, et qu'un héraut déclare tous les crimes énoncés clans cette sentence ; on le conduira ensuite sur le mont que l'on appelle Calvaire, où l'on exécute ordinairement les plus insignes malfaiteurs; et là, ayant été cloué et crucifié sur la noème croix qu'il aura portée (comme il a été dit), son corps demeurera suspendu entre les deux sus dits voleurs. On mettra au sommet de la croix le titre de sou nom dans les trois langues actuellement le plus répandues, à savoir, l'hébraïque, la grecque et la latine, de sorte que chacun dise ; C'EST JÉSUS DE NAZARETH ROI, DES JUIFS; afin que tous l'entendent et le connaissent. 129 " Je défends aussi sous peine de confiscation de biens, de mort, et d'être déclaré rebelle à l'Empire Romain, que personne, de quelque état et condition qu'il soit, ose empêcher la justice que j'ordonne de faire et d'exécuter en toute rigueur, selon les lois romaines et hébraïques. L'année de la création du monde cinq mille deux cent trente-trois, le vingt-cinq mars. " PONTIUS PILATUS JUDEX ET GUBERNATOR GALILEAE INFERIORIS PRO ROMANO IMPERIO, QUI SUPRA PROPRIA MANU. " 1359. Selon cette supputation , la création du monde eut lieu au mois de mars ; et cinq mille cent quatre-vingt-dix-neuf ans s'écoulèrent du jeu auquel Adam fut créé jusqu'à l'Incarnation du Verbe. En y ajoutant les neuf mois qu'il demeura dans le sein virginal de sa très-sainte Mère, et les trente-trois ans qu'il vécut, on trouve les cinq mille deux cent trente-trois ans et trois mois qui, selon le comput romain, restent jusqu'au vingt-cinq mars ; car suivant les calculs adoptés par l'Église, la première année du monde n'est composée que de neuf mois et sept jours, la seconde année commençant au premier janvier. Il m'a été déclaré qu'entre les opinions des Docteurs, la supputation que la sainte Église marque dans le Martyrologe Romain est la véritable , comme je l'ai déjà dit ù propos de l'Incarnation de notre Seigneur Jésus-Christ, au livre premier de la seconde partie, chapitre onzième. 130 1360. La sentence , que Pilate avait prononcée contre notre Sauveur ayant été lue à haute voix devant tout le peuple, les satellites chargèrent sur les épaules délicates et meurtries de Jésus la lourde croix sur laquelle il devait être crucifié. Et afin qu'il pût la tenir et la porter, ils lui délièrent les mains, sans délier pourtant le corps; car ils se promettaient de le mener et de le tirer par les cordes dont ils l'avaient garrotté, et par un raffinement de cruauté, ils lui en firent deux tours au cou. La croix était de quinze pieds de long, fort épaisse et d'un bois fort pesant. Le héraut qui avait publié la sentence ouvrit la marche, et ensuite toute cette populace turbulente, les satellites et les soldats partirent du palais de Pilate avec des vociférations et un tumulte effroyables, pressant leurs rangs comme ceux d'une procession en désordre, pour se diriger vers le mont du Calvaire à travers les rues de Jérusalem. Quand notre Rédempteur eut aperçu la croix, il la regarda avec la joie la plus vive, semblable à l'époux qui considère les riches joyaux de son épouse, et en la recevant il lui adressa intérieurement ces paroles : 1361. " O Croix si longtemps attendue et désirée, viens à moi, ma bien-aimée, reçois-moi entre tes bras, afin que mon Père éternel y reçoive, comme sur un autel sacré, le sacrifice de la réconciliation éternelle avec le genre humain. Je suis descendu du ciel dans une vie mortelle et dans une chair a passible, pour mourir entre tes bras : car tu dois v être le sceptre par lequel je triompherai de tous 131 mes ennemis, la clef avec laquelle j'ouvrirai les portes du paradis à mes élus (1), le sanctuaire où les criminels enfants d'Adam trouveront la miséricorde, et le canal des trésors qui peuvent les enrichir dans leur pauvreté. Je veux me servir de toi pour ennoblir les déshonneurs et les opprobres des hommes, afin que mes amis les embrassent avec joie et les recherchent avec ardeur pour me suivre dans le chemin que je leur fraierai par ton moyen. Je vous bénis, mon Père, Dieu éternel, o Seigneur du ciel et de la terre (2); et obéissant à votre divine volonté, je charge sur mes épaules le bois du sacrifice de mon humanité passible et très- innocente, et je l'accepte volontiers pour le salut éternel des hommes. Recevez-le, mon Père, pour satisfaire votre justice, afin que désormais a ils ne soient plus des serviteurs, mais des enfants héritiers avec moi de votre royaume (3). " 1362. La bienheureuse Vierge pénétrait tous ces mystères avec une plus haute intelligence que les esprits célestes ; et ce qu'elle ne pouvait pas voir, elle le connaissait par une révélation particulière, qui le lui découvrait avec beaucoup de clarté, et lui manifestait en même temps les opérations intérieures de son très- saint Fils. Cette divine lumière lui fit connaître le prix infini que le bois sacré de la croix acquit par le seul contact de l'humanité divinisée de notre Rédempteur Jésus- Christ. Aussitôt elle adora (1) Isa., XXII, 2. - (2) Matth., XI, 25. - (3) Rom., VIII, 17. 132 cet instrument auguste, et lui rendit le culte qui lui était dut. Les anges qui accompagnaient le Sauveur et sa très-sainte Mère en firent de même. De son côté, elle partagea le tendre empressement avec lequel son adorable Fils reçut la croix, et lui adressa un discours très-sublîme comme Coadjutrice du Rédempteur. Elle pria aussi le Père éternel , imitant en tout de la manière la plus parfaite son divin Exemplaire, sans omettre la moindre chose. Au moment où le héraut publiait la sentence par les rues, elle composa, pour exalter l'innocence de son très-saint Fils, un cantique de louanges, qu'elle opposait aux crimes énumérés dans ta sentence , comme si elle en eût voulu paraphraser les termes à la gloire du même Seigneur. Les saints anges faisaient leur partie dans ce cantique, et le répétaient avec elle à mesure que les habitants de Jérusalem blasphémaient contre leur divin Rédempteur. 1363. Et comme toute la foi, toute l'intelligence et tout l'amour des créatures étaient en cette triste occasion concentrés dans le coeur magnanime de la Mère de la Sagesse, elle seule avait une juste idée, et portait un digne jugement des peines et de la mort que Dieu souffrait pour les hommes. Et sang rien négliger de tout ce qu'il fallait faire extérieurement, elle repassait et pénétrait par sa sagesse tous les mystères de la Rédemption du genre humain, et le mode de leur accomplissement au moyen de l'ignorance des mêmes hommes qui étaient rachetés. Elle comprenait merveilleusement quel était Celui qui 133 souffrait, ce qu'il souffrait, de qui et pour qui il le souffrait , la dignité de la personne de notre Rédempteur Jésus-Christ, en laquelle se trouvaient les deux natures divine et humaine, leurs perfections, et les attributs de ces mêmes natures. La bienheureuse Marie seule en eut, après le Seigneur lui-même, la plus haute connaissance : de sorte qu'elle fut l'unique entre toutes les simples créatures qui parvint à faire une estime convenable de la Passion et de la mort de son très-saint Fils. Elle ne fut pas seulement témoin oculaire de ce qu'il souffrit, mais elle le connut par sa propre expérience, et c'est ce qui doit exciter une sainte émulation, non-seulement parmi les hommes, mais encore parmi les anges, qui ne participèrent point à cette grâce. Ils surent pourtant que notre auguste Reine éprouvait en son âme et en son corps les mêmes douleurs que son adorable Fils, et combien cela fut agréable à la très-sainte Trinité : et ils suppléèrent aux peines qu'ils ne purent point souffrir par la gloire qu'ils lui rendirent. Il arrivait quelquefois que la Mère affligée, ne voyant point son très-saint Fils, sentait en sois corps et en son âme les nouveaux tourments qu'on lui faisait subir, même avant qu'elle les connut par l'intelligence. Et en étant comme alarmée, elle disait: Hélas! quel martyre souffre maintenant mon très-doux Seigneur ! Bientôt elle apprenait et discernait nettement par la lumière d'en haut tout ce qui se passait à l'égard de sa divine Majesté. Mais elle fut si admirable et si constante: dans le désir qu'elle 134 avait d'imiter son divin Exemplaire, qu'elle refusa durant la Passion toute sorte de soulagement naturel, non-seulement à son corps, car elle ne reposa, ne mangea et ne dormit point pendant ce temps-là ; mais encore à son âme, suspendant toutes les considérations qui pouvaient adoucir ses amertumes, et ne voulant recevoir aucune consolation, excepté celles que le Très-Haut lui communiquait par quelque divine influence : et alors elle la recevait avec humilité et avec reconnaissance pour recouvrer de nouvelles forces, afin de s'attacher avec plus de ferveur à l'objet douloureux et à la cause de ses peines. Elle réfléchissait aussi sur la malice des Juifs et des ministres, sur le grand besoin qu'avait le genre humain d'être secouru dans son état déplorable, et sur l'ingratitude des mortels, pour qui son très-saint Fils souffrait; tout cela, elle le connut à un degré très-éminent et très-parfait, et elle le ressentit plus que toutes les créatures. 1364 Le Tout-Puissant opéra dans ces circonstances, par l'organe de l'auguste Marie, un autre mystère admirable et secret contre Lucifer et ses ministres infernaux, et le prodige arriva en cette manière : Comme les démons étaient fort attentifs à tout ce qui se passait en la Passion du Seigneur, qu'ils ne parvenaient point à connaître, ils sentirent au moment même oh sa Majesté reçut la croix sur ses épaules, tin nouvel accablement et une espèce de défaillance dont ils ignoraient la cause, et dont l'étrangeté les jeta dans une grande surprise et une nouvelle tristesse mêlée de confusion et de rage. Le prince des ténèbres sentant ces nouveaux et irrésistibles effets, craignit que la Passion et la mort dé Jésus-Christ ne le menaçassent d'une irréparable catastrophe et de la ruine de son empire. Et ne voulant point en' attendre, l'événement en la présence de notre Sauveur, il résolut de s'enfuir et de se retirer avec tous les autres esprits rebelles dans les enfers. Lorsqu'il voulut exécuter cette résolution, notre auguste Princesse s'y opposa , car le Très-Haut l'éclaira au même moment et la revêtit de son pouvoir, lui donnant connaissance de ce qu'elle devait faire dans cette rencontre. Or la bienheureuse Vierge s'a dressant à Lucifer, et à ses légions, leur défendit avec une autorité de Reine de prendre la fuite, et leur commanda d'attendre la fin de la Passion, et de se trouver présents à tout ce qui s'y passerait jusqu'au mont du Calvaire. Les démons ne purent résister au commandement de notre puissante Reine, parce qu'ils connurent et sentirent la vertu divine qui opérait en elle. Ainsi contraints d'obéir à ses ordres, ils accompagnèrent, comme s'ils avaient été liés et enchaînés, notre Seigneur Jésus-Christ jusqu'au Calvaire, où il devait, du haut du trôné de la croix, triompher d'eux; selon qu'il était déterminé par la Sagesse éternelle, comme nous le verrous dans la suite. Je ne saurais exprimer la tristesse et le découragement dont Lucifer et ses démons furent saisis dans cette occasion. Mais, selon notre manière de concevoir, ils allaient au Calvaire comme des criminels que l'on traîne au 136 supplice, et que l'approche d'une punition inévitable plonge dans un abattement mortel. Et cette peine fut chez le démon proportionnée à sa nature et à sa malice, et répondit au mal qu'il avait fait dans le monde, en y introduisant la mort et le péché (1), pour le remède duquel Dieu lui-même allait mourir. 1365. Notre Sauveur continua à se diriger vers le mont du Calvaire , portant sur ses épaules, comme dit Isaïe (2), le signe de sa domination, qui était la sainte croix par laquelle il devait régner et assujettir le monde, mériter l'exaltation de son nom au- dessus de tout nom (3) , et racheter le genre humain entier de la puissance tyrannique que le démon s'était acquise sur les enfants d'Adam (4). Le même Isaïe (5) appelle cette tyrannie le joug qui les accablait, et le sceptre de celui qui les opprimait, et qui exigeait avec violence le tribut du premier péché. Et pour vaincre ce tyran et détruire le sceptre de sa domination et le joug de notre servitude, notre Seigneur Jésus-Christ mit la croix au même endroit où l'on porte le joug de la servitude et le sceptre de la puissance royale, voulant marquer par là qu'il en dépouillait le démon et la transportait sur ses épaules, afin que dès l'instant où il prit sa croix, les captifs enfants d'Adam le reconnussent pour leur légitime Seigneur et leur véritable Roi, qu'ils devaient suivre par le chemin de cette croix (6), par laquelle il a (1) Sap., II, 24. - (2) Isa., IX, 6. - (3) Philip., II, 9. - (4) Colos., II, 15. - (5) Isa., IX, 4. - (6) Matth., XVI, 21. 137 réduit tous les mortels sous son empire (1), et les a rendus ses sujets et ses esclaves achetés au prix de son précieux sang et de sa propre vie (2). 1366. Mais, hélas! que notre ingratitude est extrême! Que les Juifs et les ministres de la Passion aient ignoré ce mystère caché aux princes du monde; qu'ils n'aient point osé toucher la croix du Seigneur, parce qu'ils la croyaient ignominieuse, ce fut par leur faute, et cette faute a été énorme. Mais elle n'est point comparable à la nôtre, puisque ce mystère nous est maintenant découvert, et qu'en témoignage de notre croyance, nous condamnons l'aveuglement de ceux qui ont persécuté notre divin Maître. Or, si nous les blâmons de ce qu'ils ont ignoré ce qu'ils devaient connaître, quel péché sera le nôtre, si tout en reconnaissant Jésus-Christ pour notre Rédempteur, nous le persécutons et le crucifions comme eux (3) par nos offenses? O mon très-doux Jésus! lumière de mon entendement, gloire de mon âme, méfiez- vous de ma tiédeur et de ma faiblesse, qui me font répugner à vous suivre avec ma croix dans le chemin que vous m'avez frayé par la vôtre. Ayez la bonté, mon adorable Maître, de m'attirer après vous (4), et je courrai à l'odeur de votre ardent amour, de votre patience ineffable, de votre éminente humilité, et à la participation de vos opprobres; de vos angoisses, de vos affronts et de vos douleurs. Que ce soit là mon (1) Joan., XII, 32. - (2) I Cor., VI, 20. - (3) Hebr., VI, 6. - (4) Cant., I, 3. 138 héritage dans cette vie passagère et pénible; que ce soit là nia gloire et mon repos, car je ne veux avoir d'autre vie, d'autre consolation, d'autre paix, d'autre joie que votre croix et vos ignominies. Comme les Juifs et tout ce peuple aveuglé prenaient, des précautions pour ne point toucher la croix du très-innocent condamné, s'imaginant que son glorieux déshonneur était capable de les souiller, cet adorable Seigneur s'ouvrait lui-même la route qu'il devait parcourir à travers le flot de la populace qui remplissait les rues de vociférations horribles et confuses, au milieu desquelles on entendait retentir la voix du héraut qui publiait la sentence. 1367. Les satellites de la justice; abjurant tout sentiment de pitié naturelle, menaient notre Sauveur avec une cruauté incroyable. Les uns le tiraient avec les cordes par devant pour hâter sa marche , les autres par derrière pour augmenter ses peines et l'arrêter tout court. Ces violences et la pesanteur de la croix lui faisaient faire de fréquents soubresauts et des chutes nombreuses. Les pierres qu'il rencontrait en tombant le blessèrent surtout aux genoux, où les blessures se renouvelaient toutes les fois qu'il tombait. Le poids de la croix lui causa en outre un grand ulcère à l'épaule. Et par les secousses qu'on lui imprimait, tantôt la croix heurtait contre sa tête, et tantôt sa tête contre la croix , et alors les épines de la couronne s'enfonçaient davantage dans les parties les plus vives de la chair. Ces ministres d'iniquité aggravaient les douleurs de leur victime par des 139 blasphèmes exécrables et en couvrant sa face divine de leurs immondes crachats et de poussière. Ils lui en jetaient avec un tel acharnement, qu'ils lui en remplissaient les yeux, dont elle les regardait avec miséricorde, se déclarant par là encore plus indignes d'un regard si favorable. Ils étaient si impatients de faire mourir notre doux Maître, qu'ils ne lui laissaient prendre aucun repos; et comme il avait été accablé de tant de mauvais traitements en un si court laps de temps, son corps sacré était tellement affaibli et réduit à un tel état de défaillance, qu'on eût cru qu'il allait succomber à tant d'affreux tourments. 1368. La Mère de douleurs quitta la maison de Pilate pour suivre son très-saint Fils; elle était accompagnée de saint Jean , de la Madeleine et des autres Marie. Et comme la grande foule la pressait et l'empêchait de s'approcher du Sauveur, elle pria le Père éternel de lui faire la grâce de pouvoir se trouver au pied de la croix en la compagnie de son Fils, de sorte qu'elle pût le voir par l'organe physique; et assurée de la volonté du 'I'res-Haut, elle ordonna aux saints ancrés de lui en faciliter le moyen. Les anges lui obéirent avec un humble respect, et conduisirent leur Reine par une rue qui abrégeait le chemin. Grâce à cette diligence, ils rencontrèrent notre divin Maître, et alors le Fils et la Mère se regardèrent en face, chacun d'eux ressentant une nouvelle douleur à la vue de ce que l'autre souffrait; mais fis ne se parlèrent point de vive voix, et la dureté des bourreaux ne leur aurait pas donné le temps de le faire. La très-prudente Mère 140 adora son très-saint Fils qu'elle voyait pliant sous le faix de la croix, et le pria intérieurement, que puisqu'elle ne pouvait point le soulager de ce lourd fardeau, et qu'il ne voulait pas non plus permettre que les anges le fissent suivant le désir que lui inspirait son amour maternel, il se servît du moins de sa puissance divine pour suggérer à ses ministres l'idée de lui donner quelqu'un qui l'aidât à porter l'instrument du supplice. Notre Rédempteur Jésus-Christ exauça cette prière; et c'est ainsi qu'un homme de Cyrène appelé Simon fut destiné à porter la croix avec le Seigneur (1). Les pharisiens et les satellites se décidèrent à lui procurer ce soulagement, les uns par une certaine compassion naturelle, les autres par la crainte qu'ils avaient que Jésus-Christ ne mourût avant quo d'être crucifié, car il était dans une extrême défaillance, comme je l'ai rapporté. 1369. L'esprit humain ne saurait ni concevoir ni exprimer la douleur que la tendre Vierge Mère éprouva dans le trajet qu'elle fit jusqu'au mont du Calvaire, ayant devant les yeux son propre Fils, qu'elle seule pouvait dignement connaître et aimer. Son affliction était si grande qu'elle n'aurait pu manquer c'est mourir si la puissance divine ne l'eût soutenue. Dans cette extrême désolation, elle dit intérieurement ait Seigueur : " Mon Fils et mon Dieu éternel, lumière de mes yeux et vie de mon situe, recevez, Seigneur, le sacrifice douloureux de l'impuissance où je suis de 441 vous soulager de la croix, et de la porter moi mène qui suis fille d'Adam, afin d'y mourir pour votre amour, comme vous y voulez mourir par la très-ardente charité que vous avez pour le genre humain. O généreux médiateur entre le péché et la justice! combien fortement sollicitez-vous la miséricorde parmi tant d'injures! O charité sans borne et sans mesure, qui, pour avoir lieu d'agir avec plus d'énergie et d'efficace, permettez tous ces opprobres ! O doux amour infini, que ne puis-je disposer de tous les coeurs et de toutes les volontés des hommes, afin de les empêcher de répondre si mal à ce que vous souffrez pour tous! Oh ! si quelqu'un pouvait parler au coeur des mortels, et leur faire comprendre ce qu'ils vous doivent, puisque le rachat de leur captivité et la réparation de leur ruine vous ont coûté si cher ! " Notre auguste Princesse ajoutait à ces paroles plusieurs autres choses pleines de la plus sublime sagesse que je ne saurais rendre. 1370. Comme le dit l'évangéliste saint Luc, celte multitude (1) comptait dans ses rangs beaucoup d'autres femmes qui suivaient aussi le Seigneur, et (lui s'affligeaient et pleuraient de le voir si maltraité. Mais le très-doux Jésus se retournant vers elles, leur dit: Filles de Jérusalem, ne pleurez point sur moi, mais pleurez sur vous-mêmes et sur vos enfants. Car les jours viendront dans lesquels on dira : Heureuses les femmes (1) Luc., XXIII, 27. 142 stériles, heureuses les entrailles qui n'ont point conçu, les mamelles qui n'ont point nourri (1) ! Alors les hommes diront aux montagnes : Tombez sur nous, et aux collines : Cachez-nous. Car s'ils traitent ainsi le bois vert, que feront-ils du bois sec (2) ? Par ces termes mystérieux, le Seigneur approuvait en quelque sorte les larmes que ces femmes versaient à cause de sa très-sainte Passion, et témoignait agréer leur compassion , nous apprenant en même temps quel doit être le principe de nos larmes pour qu'elles soient salutaires. Ces pieuses disciples dejnotre divin Maître l'ignoraient alors, car elles pleuraient ses affronts et ses douleurs, et non pas la cause pour laquelle il les souffrait; mais elles méritèrent d'en être instruites. Ce fait comme si le Seigneur leur eût dit : Pleurez sur vos péchés et sur ceux de vos enfants en me voyant souffrir, et non pas sur les miens, car je n'en ai aucun, et il n'est pas même possible qu'on en trouve en moi; c'est pour vos propres péchés que je souffre. Et si la compassion que vous me montrez est bonne et juste, j'aime encore mieux que vous pleuriez vos péchés que les peines que j'endure pour eux; en pleurant de la sorte, vous recevrez et sur vous et sur vos enfants le prix de mon sang et de la rédemption quo ce peuple aveugle ignore. Car le temps viendra, qui sera celui du jugement universel, auquel celles qui ri auront point d'enfants se croiront bienheureuses, et auquel les réprouvés souhaiteront que les montagnes tombent (1) Luc., XXIII, 28 et 29. - (2) Ibid., 30 et 31. 143 sur eux pour ne point voir ma colère. Car si leurs péchés dont je me suis chargé, ont produit ces effets en moi qui suis innocent, quels sont ceux qu'ils produiront en eux, qui seront comme un bois sec, sans aucun fruit de grâce et de mérite? 1371. Ces femmes fortunées furent éclairées , en récompense de leurs larmes et de leur compassion, pour pénétrer cette doctrine. La prière de la très-pure Marie ayant été exaucée, les pontifes, les pharisiens et les satellites résolurent de chercher nu homme qui aidât notre Rédempteur Jésus-Christ à porter la croix jusqu'au Calvaire. Ils rencontrèrent à propos Simon de Cyrène (appelé le Cyrénéen parce qu'il était natif de cette ville de Libye, et' venait souvent à Jérusalem); c'était le père de deux disciples du Seigneur qui se nommaient Alexandre et Rufus (1). Les Juifs contraignirent ce Simon de porter la croix de Jésus une partie du chemin, sans vouloir eux-mêmes la toucher, parce qu'ils croyaient qu'ils se souilleraient en touchant l'instrument du supplice d'un homme qu'ils punissaient comme un insigne malfaiteur. Ils prétendaient le faire passer pour tel aux yeux du peuple par ces précautions affectées. Simon prit la croix et suivit le Sauveur qui marchait entre les deux larrons, afin que tons le regardassent comme un scélérat de leur espèce. La Mère de douleurs s'avançait à quelques pas du Sauveur, comme elle l'avait demandé au Père éternel; et elle se conformait si entièrement (1) Marc., IV, 21. 144 à sa divine volonté dans toutes les peines de la Passion de son adorable Fils, auxquelles elle participait d'une manière si sensible, qu'elle n'eut pas. la moindre pensée de rétracter le consentement qu'elle avait donné à ses souffrances et à sa mort: si grande était la charité qu'elle avait pour les bommes, si grande la grâce par laquelle notre sainte Reine surmontait la nature ! Instruction que notre auguste Maîtresse m'a donnée. 1372. Ma fille, je veux que le fruit de l'obéissance par laquelle vous écrivez l'histoire de ma vie soit de former en vous une véritable disciple de mon très-saint Fils et de moi. C'est tour cela en premier lieu que vous recevrez la divine lumière qui vous fait découvrir de si hauts mystères, et les avis que je ne me lasse point de vous donner, afin que vous arriviez à bannir de votre coeur toute affection quelconque pour les créatures. Par ce dénuement vous surmonterez les obstacles que le démon vous suscite, et qui vous exposent à tant de dangers à cause de votre naturel facile. Moi qui le connais, je vous en avertis et je vous corrige; je vous instruis pour vous conduire. comme une mère et une maîtresse. Vous connaissez par la lumière du Très-Haut les mystères de la Passion et de la mort de mon Fils, et l'unique et 145 véritable chemin de la vie, qui est celui de la croix ; cette même lumière vous fait voir aussi que tous ceux qui sont appelés ne sont pas élus pour la croix. Il y a beaucoup de gens qui disent qu'ils désirent suivre Jésus-Christ; mais le nombre de ceux qui se disposent véritablement à l'imiter est fort petit; car aussitôt que la croix des souffrances se fait sentir, on la rejette et on lui tourne le dos. La douleur que causent les afflictions est fort sensible à la nature humaine par rapport à la chair; le fruit spirituel en est plus caché, et peu de personnes se laissent guider par la lumière. C'est pourquoi sont en si grand nombre les mortels qui, oubliant la vérité, n'écoutent que la chair, et veulent toujours la caresser sans lui refuser jamais rien. Ils aiment les honneurs, rejettent les affronts, souhaitent les richesses, et ont en horreur la pauvreté; ils courent après les plaisirs, et évitent les mortifications. Tous ceux-là sont ennemis de la croix de Jésus Christ et la rebutent, parce qu'ils la croient ignominieuse comme ceux qui le crucifièrent (1). 1373. Une autre illusion est commune dans le monde, c'est celle des personnes qui s'imaginent suivre Jésus-Christ, leur divin Maître, sans souffrir et sans agir; elles se contentent de n'être pas fort hardies à commettre les péchés, et font consister toute la perfection en une espèce de prudence ou d'amour tiède, qui leur permet de ne rien refuser à leur volonté; et (1) Philip., III, 18. 146 de se dispenser de la pratique des vertus qui sont pénibles à la chair. Elles sortiraient de cette erreur, si elles considéraient que mon très-saint Fils a été maître autant que Rédempteur; et qu'il n'a pas seulement laissé aux hommes le trésor de ses mérites comme un secours pour les tirer de la damnation, mais encore comme un remède nécessaire pour les guérir de la maladie que le péché avait causée à la nature. Personne n'a été aussi sage que mon Fils et mon Seigneur; personne n'a pu connaître les conditions de l'amour aussi bien que lui, qui est la sagesse et la charité même (1); il pouvait en outre faire tout ce qu'il voulait. Eh bien, avec tout cela, il n'a pas choisi une vie douce et agréable pour la chair, mais pénible et pleine de douleurs, parce qu'il n'aurait pas suffisamment accompli son ministère en rachetant les hommes, s'il ne leur eût point enseigné à vaincre le démon et la chair, et à se vaincre eux-mêmes, et s'il ne leur eût fait connaître en même temps que cette glorieuse victoire est remportée par la croix, par les peines, la pénitence, la mortification et l'abaissement, qui sont les témoignages de l'amour et les marques des prédestinés. 1374. Pour vous, ma fille, qui connaissez le prix de. la sainte croix et l'honneur que les ignominies et les tribulations en ont reçu, vous devez embrasser votre croix et la porter avec joie sur les traces de mon Fils et votre Maître (2). Il faut que dans le cours de (1) I Joan., IV, 16. - (2) Matth., XVI, 24. 147 la vie passagère, vous trouviez votre gloire dans les persécutions, les mépris, les maladies, les outrages, la pauvreté , les humiliations, et dans tout ce qui est pénible et contraire à la, chair mortelle (1). Et afin que vous m'imitiez et me soyez agréable en tous vos exercices, je ne veux pas que vous cherchiez du soulagement dans les choses terrestres. Vous ne devez point vous amuser à réfléchir sur ce que vous souffrez, ni le découvrir à personne dans l'espoir de diminuer vos peines. Gardez- vous bien surtout d'exagérer les persécutions et les déplaisirs que vous recevez des créatures, ou de dire que vous souffrez beaucoup, ou de vous comparer avec les autres personnes affligées. Je ne vous dis pas que ce soit un péché de se procurer quelque soulagement honnête et modéré, et de se plaindre quelquefois avec patience. Mais de votre part, ma fille, ce soulagement serait une infidélité à l'égard de votre Époux et de votre Seigneur, car il vous a plus favorisée vous seule que des générations entières; et si le retour que vous lui devez en souffrant et en l'aimant, n'était pas aussi parfait que possible, vous ne sauriez vous disculper. Cet adorable Seigneur veut que vous vous unissiez si intimement à lui, que vous ne devez pas même accorder un soupir à votre faible nature sans autre fin plus haute que celle de vous soulager, de vous consoler. Et si l'amour vous attire, alors vous vous laisserez entraîner par sa douce force pour vous reposer dans les douceurs de l'amour; (1) Rom., V, 3. 148 mais bientôt l'amour de la croix vous fera renoncer à ce soulagement, comme vous savez que je le faisais avec une humble soumission. Tenez pour règle générale que toutes les consolations humaines amènent des imperfections et des dangers. Vous ne devez recevoir que celles que le Très-Haut vous enverra par soi-même ou par ses saints anges. Et ne puisez avec discrétion dans ces divines douceurs que ce qui vous fortifiera pour, souffrir davantage, et pour vous éloigner des consolations sensibles qui pourraient passer à là partie animale. CHAPITRE XXII. Notre Sauveur Jésus-Christ est crucifié au mont du Calvaire. - Les sept paroles qu'il prononça du haut de la croix. - Sa très-sainte mère s'y trouve présente, percée de douleur. 1375. Notre véritable et nouvel Isaac, fils du Père éternel, arriva au mont du sacrifice, au même lieu où fut essayée la figure sur le fils du patriarche Abraham (1) et où l'on exécuta sur le très-innocent Agneau la rigueur qui fut suspendue à l'égard de (1) Gen., XXII, 9. 149 l'ancien Isaac qui le représentait. Le mont du Calvaire était un lieu méprisé, comme étant destiné pour le supplice des plus insignes criminels, dont les cadavres infects le rendaient encore plus ignominieux. Notre très-doux Jésus y arriva épuisé de fatigue, couvert de sang et de plaies, et tout défiguré. La vertu de la Divinité qui déifiait sa très-sainte humanité par l'union hypostatique, le soutint, non pour le soulager mais pour le mortifier dans ses souffrances,. afin que son amour immense en fût rassasié de telle sorte néanmoins qu'il lui conservât la vie, jusqu'à ce qu'il fut permis à la mort de la lui ôter sur la croix. Navrée de douleur, la divine Mère parvint aussi su sommet du Calvaire, et put corporellement s'approcher de son Fils; mais en esprit et par ce qu'elle souffrait, elle était comme hors d'elle-même, car elle ne vivait plus que dans son bien-aimé et de ses souffrances. Saint Jean et les trois Marie étaient auprès d'elle, parce qu'elle avait prié le Très-Haut de lui accorder cette seule et sainte compagnie, et leur avait obtenu de sa divine Majesté cette grande faveur de se trouver si près du Sauveur au pied de la croix. 1376. Comme la très-prudente Mère connaissait que les mystères de la Rédemption allaient être accomplis, quand elle vit que les bourreaux se disposaient s dépouiller le Seigneur pour le crucifier, elle se tourna en esprit vers le Père éternel et lui adressa cette prière : " Mon Seigneur et mon Dieu, vous êtes Père de votre Fils unique, qui, par la génération éternelle, est né Dieu véritable de Dieu véritable, 150 qui n'est autre que vous ; et par la génération temporelle il est né de mon sein, où je lui ai donné le corps humain dans lequel il souffre. Je l'ai nourri de mon propre lait; en qualité de Mère, je l'aime comme le meilleur Fils qui ait jamais pu naître d'une autre créature, et j'ai un droit naturel sur son humanité très-sainte en la personne qu'il a : et votre divine Providence ne dénie jamais ce droit à qui appartient. Or je vous offre maintenant ce droit de mère, et le mets de nouveau entre vos mains, afin que votre Fils et le mien soit sacrifié pour la rédemption du genre humain. Acceptez, Seigneur, mon offrande, puisque je ne vous offrirais pas autant si j'étais moi-même crucifiée; non-seulement parce que mon Fils est vrai Dieu et de votre propre substance, mais aussi par rapport à ma douleur. Car, si je mourais., et que les sorts fussent changés afin que sa très-sainte vie fût conservée, ce serait pour moi une grande consolation et l'accomplissement de mes désirs. " Le Père éternel accueillit cette prière de notre auguste Reine avec une complaisance ineffable. Il ne fut permis au patriarche Abraham que l'essai du sacrifice figuratif de son fils (1), parce que le Père éternel en réservait l'exécution et la réalité pour son Fils unique. Cette mystique cérémonie ne fut pas non plus communiquée à Sara, mère d'Isaac, non-seulement à cause de la prompte obéissance d'Abraham, mais aussi parce (1) Gen., XXII, 12. 151 que ce secret ne devait pas même être confié à l'amour maternel de Sara, qui peut- être, quoiqu'elle fût sainte et juste, aurait entrepris de s'opposer à l'ordre du Seigneur. Mais il n'en arriva pas de même à l'égard de l'incomparable Marie ; car le Père éternel put avec sûreté lui confier sa volonté éternelle, afin qu'elle coopérât dans une juste proportion au sacrifice du Fils unique, en s'associant à la volonté même du Père. 1377. La Mère invincible ayant achevé cette prière, connut que les impitoyables ministres de la Passion voulaient, comme le rapportent saint Matthieu et saint Marc (1), faire boire au Seigneur du vin mêlé avec du fiel et de la myrrhe, pour augmenter les peines de sa Majesté. Les Juifs prirent prétexte de la coutume qu'ils avaient de donner aux condamnés à mort une certaine quantité de vin généreux et aromatique, pour leur fortifier les esprits vitaux, afin qu'ils subissent leur supplice avec plus de courage cette coutume s'était introduite à propos de ce que dit Salomon dans les Proverbes : Donnez du cidre à ceux qui sont affligés, et du vin à ceux qui sont dans l'amertume du coeur (2). Cette boisson pouvait animer et soulager un peu les autres condamnés; mais les Juifs, par une cruauté étrange, y mêlèrent tant de fiel, qu'elle ne pouvait causer à notre adorable Sauveur qu'une extrême amertume. La divine Mère connut cette perfidie, et, touchée d'une compassion (1) Matth., XXVII, 34; Marc., XV, 23. - (9) Prov., XXXI, 6. 152 maternelle, elle pria avec beaucoup de larmes le Seigneur de ne la point prendre. Et sa Majesté condescendit de telle sorte aux prières de sa Mère, qu'ayant goûté l'amertume de ce vin pour ne pas refuser entièrement cette nouvelle mortification, elle n'en voulut pas boire (1). 1378. On était déjà à la sixième heure du jour, qui répond à celle de midi ; et les bourreaux étant sur le point de crucifier le Sauveur, le dépouillèrent de la tunique sans couture. Et comme cette tunique était étroite et longue, ils la lui ôtèrent par le haut sans lui ôter la couronne d'épines; mais ils y mirent tant de violence, qu'ils arrachèrent la couronne avec la même tunique d'une manière impitoyable ; car ils lui ouvrirent de nouveau les blessures de sa tète sacrée, dans quelques-unes desquelles restèrent lés pointes des épines, qui, nonobstant leur dureté, ne laissèrent pas de se rompre par la forée avec laquelle les bourreaux lui enlevèrent la tunique, et avec elle la couronne. Ils la lui replacèrent aussitôt sur la tête avec une cruauté inouïe, ajoutant plaies sur plaies: Ils renouvelèrent aussi celles de son très- saint corps car la tunique s'y était comme collée, de sorte qu'en la lui arrachant ils ajoutèrent, comme dit David (2), des douleurs nouvelles à celles de ses plaies. On dépouilla quatre fois notre adorable Sauveur dans le cours de sa Passion. La première, pour le fouetter lorsqu'on le lia à la colonne; la seconde, pour lui (1) Matth., XXVII, 34. - (2) Ps. LXVIII, 31. 153 mettre le manteau de pourpre par dérision; la troisième, quand on le lui ôta pour le revêtir. de sa tunique; la quatrième fois sur le Calvaire, pour le laisser en cet état ; et alors ses souffrances furent plus vives, parce que ses plaies étaient plus profondes, que sa très-sainte humanité était réduite à une faiblesse extrême, et que le mont du Calvaire était plus exposé aux intempéries de l'air: car il fut aussi permis au vent et su froid de l'affliger en sa mort. 1379. Une de ses plus grandes peines fut de se voir nu en la présence de sa bienheureuse Mère, des pieuses femmes qui l'accompagnaient, et de la multitude de. peuple qui assistait à ce triste spectacle. Il ne réserva par son pouvoir divin que le caleçon que sa très-sainte Mère lui avait mis en Égypte; en effet, il ne fut pas possible aux bourreaux de le lui ôter, ni lorsqu'ils le fouettèrent, ni quand ils le dépouillèrent pour le crucifier : ainsi il le portait lorsqu il fut déposé dans le sépulcre, et c'est ce qui m'a été déclaré plusieurs fois. Il est vrai que le Sauveur serait mort volontiers tout nu et sans ce caleçon, pour mourir dans la dernière pauvreté, et sans rien avoir de tout ce qu'il avait créé et dont il était le Seigneur véritable, si sa très-sainte Mère ne l'eût prié de ne point permettre qu'on le lui ôtat : le Seigneur se rendit à ses désirs, parce qu'il suppléait par cette espèce d'obéissance filiale à l'extrême pauvreté en laquelle il souhaitait mourir. La sainte croix était étendue par terre, et les bourreaux préparaient les 154 autres choses nécessaires pour crucifier notre divin Maître, aussi bien que les deux voleurs qui devaient mourir en même temps. Et tandis qu'ils s'occupaient de ces préparatifs, il fit cette prière au Père éternel : 1380." Mon Père, Dieu éternel, infini en bonté et en justice, j'offre à votre Majesté incompréhensible tout mon être humain et toutes les oeuvres que j'ai faites en lui par votre très-sainte volonté, après avoir descendu de vôtre sein dans cette chair passible et mortelle, pour racheter en elle mes frères les hommes. Je vous offre, Seigneur, avec moi, ma Mère bien-aimée, son amour, ses œuvres très-parfaites, ses douleurs, ses peines, ses fatigues, et la prudente sollicitude avec laquelle elle s'est attachée à me servir, à m'imiter, à m'accompagner jusqu'à la mort. Je vous offre le petit troupeau de mes apôtres, la sainte Église, et l'assemblée des fidèles, telle qu'elle existe maintenant et qu'elle existera jusqu'à la fin du monde, et avec elle tous les mortels enfants d'Adam. Je remets tout entre vos mains comme étant le vrai Dieu et le Seigneur tout-puissant : et pour ce qui me regarde, je souffre et je meurs volontairement pour tous; et par cette volonté je veux que tous soient sauvés, si tous veulent me suivre, et profiter de leur rédemption, afin que d'esclaves du démon, ils deviennent vos enfants, mes frères et mes co-hértiers par la grâce que je leur ai méritée. Je vous offre, en particulier, Seigneur, les pauvres, les 155 misérables et les affligés , qui sont mes amis, et qui m'ont suivi par le chemin de la croix. Et je désire que les noms des justes et des prédestinés soient écrits dans votre mémoire éternelle. Je vous prie, mon Père, d'arrêter les effets de votre justice envers les hommes, de ne point leur infliger les châtiments dont ils se sont rendus dignes par leurs péchés, enfin, d'être désormais leur Père, comme vous êtes le mien. Je vous prie aussi pour ceux qui assistent à ma mort avec une pieuse affection, afin qu'ils soient éclairés de votre divine lumière; et pour tous ceux qui me persécutent, afin qu'ils se convertissent à la vérité; et surtout je vous prie pour l'exaltation de votre ineffable et très-saint Nom. " 1381. La bienheureuse Vierge connut cette prière de notre Sauveur, et pour l'imiter, elle pria de son côté le Père éternel dans les termes qui convenaient à sa qualité de mère. Elle n'oublia jamais d'accomplir cette première parole qu'elle entendit de la bouche de son Fils et de son Maître nouvellement né: Rendez-vous semblable à moi, ma bien-aimée. Le Seigneur ne manqua jamais non plus de remplir la promesse qu'il lui avait faite de lui donner par sa toute-puissance un nouvel être de grâce divine, qui serait au-dessus de celui de toutes les créatures, en retour du nouvel être humain qu'elle donna au Verbe éternel dans son sein virginal. Ce bienfait renfermait la très-haute connaissance qu'elle avait de toutes les opérations de la très-sainte humanité de son Fils, sans que la moindre lui échappât. Et 156 elle les imita, comme elle les connut; de sorte qu'elle fut toujours soigneuse à les observer, habile à les pénétrer, prompte en l'exécution, forte et diligente en toutes ses oeuvres. En cela elle ne fut point troublée par la douleur, ni empêchée par les peines, ni embarrassée par les persécutions, ni attiédie par l'amertume de la Passion. Et quoique cette constance fût admirable en notre auguste Reine, elle l'aurait été pourtant moins, si elle n'eût assisté à la Passion de son Fils que comme les autres justes. Mais il n'en fut point ainsi: unique et exceptionnelle en toutes choses, elle sentait en son très-saint corps, comme je l'ai dit ailleurs, les douleurs intérieures et extérieures que notre Sauveur souffrait en sa personne sacrée. On peut dire, quant à cette correspondance sympathique, que cette divine Mère fut aussi fouettée et couronnée d'épines, qu'elle reçut des crachats et des soufflets, qu'elle porta la croix sur ses épaules, et qu'elle y fut clouée, puisqu'elle subit en son corps tous ces tourments, aussi bien que les autres; sans doute ce fut d'une manière différente, mais toujours avec une très-grande ressemblance, afin que la Mère fût en tout la vive image du, Fils. Outre qu'en cela la grandeur et la dignité de la très- pure Marie devaient répondre à celles du Sauveur suivant toute la proportion dont elle était capable, cette merveille renferma un autre mystère : ce fut de satisfaire en quelque sorte à l'amour de Jésus-Christ, et à l'excellence de sa Passion, qui devait être par là fidèlement reproduite par une simple créature. Or, quelle est celle qui pût prétendre 157 à ce glorieux privilège, comme sa propre Mère? 1382. Les bourreaux voulant marquer sur la croix les trous où ils devaient mettre les clous, ordonnèrent insolemment au Créateur de l'univers ( O témérité effroyable) ! de s'étendre sur la même croix, et le Maître de l'humilité obéit sans résistance. Mais par une malice inouïe, ils marquèrent la place des trous à une distance plus grande que ne l'indiquait la longueur des bras et du reste du corps. La Mère de la lumière remarqua cette nouvelle cruauté, et ce fut une des plus grandes afflictions qu'elle souffrit dans toute la Passion, car elle pénétra les intentions perverses de ces ministres d'iniquité, et prévit les don-. leurs que son très-saint Fils souffrirait quand on le clouerait sur la croix. Mais elle ne put l'empêcher, attendu que le même Seigneur voulait souffrir encore cette peine pour les hommes. Et lorsque le Sauveur se leva de la croix afin qu'on y pratiquât les trous, notre auguste Princesse s'en approcha et l'aida à se relever en le prenant par le bras, puis elle l'adora et lui baisa la main avec une profonde vénération. Les bourreaux le lui permirent, parce qu'ils croyaient que la présence de sa Mère ne ferait qu'augmenter l'affliction du Seigneur, auquel. ils n'épargnèrent aucune des douleurs qu'ils purent imaginer. Mais ils n'en pénétrèrent point le mystère, car notre adorable Rédempteur n'eut point d'autre plus grande consolation dans sa Passion que de voir sa très-sainte Mère, et de considérer la beauté de son âme, et en elle sa 158 plus fidèle image, et la complète acquisition du fruit de sa Passion et de sa mort. En ce moment cette vue remplit notre Seigneur Jésus-Christ d'une joie intérieure , qui contribua en quelque façon à le fortifier. 1383. Après qu'on eut fait les trois trous dans la sainte croix, les bourreaux ordonnèrent une seconde fois su Sauveur de s'y étendre pour l'y clouer. Et le souverain et puissant Monarque, le Maître de la patience obéit et se mit sur la croix, étendant les bras au gré des ministres de sa mort. Il était si exténué et si défiguré, que si ces barbares eussent conservé quelque reste de raison et d'humanité, ils n'auraient pu persister. dans leur cruauté en voyant la douceur, l'humilité, les plaies et l'état pitoyable de l'innocent Agneau. Mais les Juifs et les satellites ( O terribles et impénétrables jugements du Seigneur! ) étaient animés de la haine implacable et pleins de la malice des démons, et, privés de tout sentiment humain , ils n'agissaient plus qu'avec une fureur diabolique. 1384. Or, l'un des bourreaux prit la main de notre adorable Sauveur, et tandis qu'il la tenait sur le trou de la croix, un autre bourreau la cloua, perçant à coups de marteau la main du Seigneur avec un gros clou aigu, qui rompit les veines et les nerfs, et disloqua les os de cette main sacrée qui avait fait les cieux et tout ce qu'ils renferment. Quand il fallut clouer l'autre main, le bras ne put pas arriver au trou, parce que les nerfs s'étaient retirés et que l'on avait 159 pratiqué malicieusement les trous trop distants l'un de l'autre, comme on l'a vu plus haut. Et pour en venir à bout , ces hommes impitoyables prirent la chaîne avec laquelle le très-doux Seigneur avait été lié, et plaçant sa main dans une espèce de menottes qui garnissaient l'un des bouts de la même chaise, ils tirèrent par l'autre bout avec tant de violence, qu'ils ajustèrent la main au trou, et la clouèrent avec un autre clou. Ils passèrent ensuite aux pieds, et les ayant posés l'un sur l'autre, ils les lièrent avec la même chaîne; et les tirant avec une cruauté inouïe, ils les clouèrent tous deux avec le troisième clou, qui était un peu plus fort que les autres. Ainsi fut attaché à la sainte croix ce corps sacré auquel la Divinité était unie, et l'admirable structure de ses membres déifiés et formés par le Saint-Esprit, fut rompue au point qu'on pouvait lui compter les os (1), tant ils s'étaient luxés et disloqués d'une manière sensible. Ceux de la poitrine et des épaules se déboîtèrent, et toue sortirent hors de leur place par la cruelle violence des bourreaux. 1385. Il n'est pas possible d'e:primer ni même de concevoir les douleurs atroces que notre adorable Sauveur souffrit dans ce supplice. Il ne les fera coin. prendre mieux qu'au jour du jugement, pour justifier sa cause contre les réprouvés, et afin que les saints le louent et le glorifient dignement. Mais à présent que la foi à cette vérité nous permet et nous (1) Ps., XXI, 13. 160 oblige d'y appliquer tout notre jugement (où il faudrait que nous rien eussions aucun), je supplie, je conjure les enfants de la sainte Église de considérer attentivement un mystère si vénérable, et d'en peser toutes les circonstances ; car si nous les méditons à sérieusement, nous y trouverons des motifs efficaces pour abhorrer le péché et pour ne le plus commettre, puisqu'il a causé tant de souffrances à l'Auteur de la vie. Réfléchissons aussi aux grandes douleurs qui affligeaient l'esprit et le corps de sa très-pure Mère; car. par cette porte nous découvrirons le Soleil qui nous éclaire le coeur. O Reine et Maîtresse des vertus ! O Mère véritable du Roi des siècles, immortel et incarné pour mourir ! Il est vrai, mon auguste Princesse, que la dureté de nos coeurs ingrats nous rend incapables et indignes de ressentir vos douleurs et celles de votre très-saint Fils, notre Rédempteur; mais procurez-nous par votre clémence ce bien que nous ne méritons point. Bannissez de nous une insensibilité si criminelle. Si nous sommes la cause de toutes ces peines, est-il raisonnable, est-il juste qu'elles s'arrêtent à vous et à votre bien-aimé? Il faut que le calice des innocents passe jusqu'aux coupables qui l'ont mérité. Mais, hélas ! où est le jugement? où est la sagesse? où est la lumière de nos yeux? qui nous a privé de la raison? qui nous u ravi le coeur sensible et humain ? Quand je n'aurais pas reçu, Seigneur, l'être que j'ai à votre image et à votre ressemblance (1); quand vous ne m'auriez pas donné (1) Sap., II, 23. 161 la vie et le mouvement (1) ; quand tous les éléments et toutes les créatures, que vous avez créés pour mon service (2), ne me donneraient pas une connaissance si certaine de votre amour immense; l'excès infini que ce même amour a fait paraître en vous clouant à la croix, au milieu de douleurs et de tourments si affreux, devrait me convaincre et me captiver dans des liens indissolubles de compassion; de reconnaissance , d'amour et de confiance en votre bonté ineffable. Mais si la voix de tant de prodiges ne m'éveille, si votre amour ne m'enflamme, si. votre Passion et vos peines ne me touchent, si tant de bienfaits ne me subjuguent, quelle fin dois-je attendre de ma folie? 1356. Après que le Sauveur eut été cloué à la croix, les satellites de la justice, craignant que les clous ne lâchassent, résolurent de les river derrière le bois sacré, qu'ils avaient perforé. Dans ce dessein, ils levèrent la croix pour la renverser brusquement contre terre avec le même Seigneur crucifié. Cette nouvelle cruauté fit frémir tout le peuple, qui, ému de compassion, jeta un grand cri. Quant à la Mère de douleurs, pour prévenir cet odieux attentat, elle pria le Père éternel de ne point permettre que les bourreaux exécutassent leur projet tel qu'ils l'avaient conçu. Ensuite elle ordonna aux saints anges de veiller au service de leur Créateur. Tout se fit suivant les instructions de notre auguste Reine; car au moment (1) Act., XVII, 28. - (2) Eccle., XXXIX, 30 ; Amos., IV, 18. 162 où les bourreaux renversèrent la croix afin que le Sauveur tombât avec elle le visage contre la terre, qui était couverte de pierres et d'ordures, les anges le soutinrent; et par ce moyen il ne toucha aucune de ces pierres, non plus que le sol. Les satellites rivèrent les pointes des clous sans s'apercevoir du miracle ; car le corps du Seigneur était si près de terre, et les anges tenaient la croix si bien fixée, que les impitoyables Juifs croyaient que les pierres et les ordures atteignaient leur adorable victime. 1387. Aussitôt ils approchèrent la croix avec le divin Crucifié du lieu où elle devait être dressée. Et se servant les uns de leurs épaules, les autres de leurs hallebardes et de leurs lances, ils l'élevèrent avec le Seigneur, et la poussèrent dans le trou qu'ils avaient pratiqué à cet effet. Alors l'Auteur de notre salut et de notre vie se trouva suspendu sur le bois sacré à la vue d'une infinité de personnes de différentes nations. Je ne veux point omettre une autre cruauté qu'ils exercèrent, m'a-t-il été déclaré, l'égard du Sauveur en dressant la croix; c'est qu'en se servant de la pointe de leurs armes pour la soutenir, ils lui firent de profondes blessures en divers er1droits de sou très-saint corps , et surtout sous les bras. A ce spectacle, le peuple redoubla ses cris et augmenta en même temps la confusion. Les Juifs blasphémaient, les gens humains se désolaient, les étrangers s'étonnaient, tout le monde se faisait remarquer cette scène horrible. Il y en avait qui n'osaient point regarder le Rédempteur dans un état si 163 pitoyable; ceux-ci considéraient un exemple si étrange; ceux-là disaient que cet homme était juste et innocent ; et tous ces divers sentiments étaient comme autant de flèches qui perçaient le coeur de la plus affligée des mères. Le corps sacré du Sauveur perdait beaucoup de sang par les blessures que les clous lui avaient faites ; car la secousse qu'il reçut lorsqu'on laissa tomber la croix dans le trou, renouvela toutes ses plaies: ouvrant ainsi de plus grandes issues aux sources auxquelles il nous invitait, par la bouche d'Isaïe (1), à aller puiser avec joie les eaux propres à étancher notre soif, et à laver les taches de nos péchés. De sorte qu'on ne saurait se disculper si on ne s'empresse d'y courir (2), puisqu'on les achète sans argent et sans aucun échange, et que la volonté de les recevoir suffit pour les obtenir. 1388. Ils crucifièrent en manie temps les deux larrons, et dressèrent leurs croix l'une à la droite, l'autre à la gauche de notre Rédempteur, le plaçant au milieu comme celui qu'ils croyaient le plus coupable. Ires pontifes et les pharisiens, oubliant les deux scélérats, tournèrent toute leur fureur coutre Celui qui était impeccable et saint par nature. Et branlant la tète par moquerie (3), ils jetaient des pierres et de la poussière contre la croix du Seigneur, et contre sa personne sacrée. Ils lui disaient: " Toi qui détruis le temple de Dieu et qui, le rebâtis en trois jours, sauve-toi maintenant toi-même ; il a sauvé les autres (1) Isa., XII, 3. - (2) Isa., LV, 9. - (3) Matth., XXVII, 89. 164 et il ne peut se sauver lui-même (1). " D'autres disaient : " S'il est le Fils de Dieu, qu'il descende main-, tenant de la croix, et nous croirons en lui. " D'abord les deux larrons se moquaient aussi de sa Majesté, et lui disaient: " Si tu es le Fils de Dieu, sauve-toi, et sauve-nous avec toi (2). " Les blasphèmes des larrons furent d'autant plus sensibles au Seigneur, qu'ils étaient plus proches de la mort, qu'ils perdaient le mérite du supplice qu'ils subissaient, et qu'étant punis par la justice, ils pouvaient satisfaire en partie pour leurs crimes; comme l'un des deux le fit peu de temps après, profitant de la plus favorable occasion que jamais pécheur ait eue dans le monde 1389. Lorsque notre auguste Princesse vit que les Juifs, persistant dans leur perfide envie, s'acharnaient à déshonorer de plus en plus Jésus-Christ crucifié, qu'ils le blasphémaient et le regardaient comme le plus méchant des hommes, et qu'ils juraient de retrancher son nom de la terre des vivants, comme Jérémie l'avait prophétisé (3), son âme fidèle s'enflamma de nouveau du zèle de l'honneur de son Fils et de son Dieu véritable. Et s'étant prosternée devant sa sacrée personne crucifiée, elle l'adora et pria le Père éternel de défendre l'honneur de son Fils unique par des signes si éclatants, que les perfides Juifs en fussent confondus et frustrés dans leurs malicieuses intentions. Après avoir fait cette prière au Père, elle s'adressa avec le même zèle et avec le même pouvoir (1) Matth., XXVII, 42. - (2) Ibid., 44. - (2) Jerem., XI, 19. 165 de Reine de l'univers à toutes les créatures irraisonnables qu'il contient, et leur dit : " Créatures insensibles , sorties de la main du Tout-Puissant , manifestez le sentiment que les hommes doués de raison refusent stupidement d'éprouver à la vue de sa mort. Cieux, soleil, lune, étoiles, planètes, arrêtez votre cours, suspendez vos influencés envers les mortels. Éléments, altérez vos propriétés; que la terre perde son repos; que les pierres et les rochers se brisent. Tombeaux, qui servez de triste demeure aux morts, ouvrez-vous pour confondre les vivants. Voile mystique et figuratif du Temple, déchirez-vous par le milieu et par ce déchirement annoncez aux incrédules leur punition, et attestez la vérité de la gloire de leur Créateur et de leur Rédempteur qu'ils prétendent obscurcir. " 1390. En vertu de cette prière et de ce pouvoir de la bienheureuse Vierge Mère de Jésus-Christ crucifié, la toute-puissance du Très-Haut avait disposé tout ce qui arriva au moment de la mort de son Fils unique. Sa divine Majesté éclaira et toucha les coeurs de beaucoup de personnes témoins des prodiges qui arrivèrent, et déjà auparavant de plusieurs autres, afin qu'elles reconnussent Jésus crucifié pour saint et juste, et pour le véritable . Fils de Dieu, comme le centenier et un grand nombre d'autres qui. s'en retournèrent du Calvaire en frappant leur poitrine de douleur, ainsi que le racontent les évangélistes (1). (1) Matth., XXVII, 54; Luc., XXIII, 48. 166 Il n' y eut pas que ceux qui avaient ouï et reçu sa doctrine qui le reconnurent; il y en eut une foule d'autres qui ne (avaient point connu et qui n'avalent pas, va ses miracles. Par l'effet de cette même prière, Pilate fut inspiré de ne point changer le titre de la croix que l'on avait déjà inscrit au-dessus de la tête du Seigneur en trois langues, c'est-à-dire en hébreu en grec et en latin. Et quoique les Juifs insistassent auprès du juge pour que l'inscription ne portât point Jésus de Nazareth roi des Juifs, mais seulement qui se qualifiait roi des Juifs (2). Pilate répondit : " Ce qui est écrit demeurera écrit; " et ne voulut point la changer (2). Toutes les autres créatures insensibles obéirent, par la volonté divine, à l'ordre de la très-pure Marie. Et tous les prodiges que des évangélistes racontent (3), arrivèrent entre midi et trois heures du soir, ou la neuvième heure' en laquelle le Sauveur` expira. Le soleil s'obscurcit; les planètes changèrent leurs influences; les cieux et la lune interrompirent leurs mouvements; les éléments se troublèrent; la terre trembla; plusieurs montagnes se fendirent; les pierres se brisèrent les unes contre les autres; les tombeaux s'ouvrirent, d'où les corps de certaines personnes nui étaient mortes ressuscitèrent. Le bouleversement de tout ce qui est visible et élémentaire, fut si extraordinaire, qu'il se fit sentir dans toutes les parties monde. Les Juifs qui étaient dans Jérusalem (1) Joan., XIX, 21. - (2) Ibid., 22. - (3) Luc., XXIII, 45; Matth., XXVII, 51 et 52. 167 furent saisis d'étonnement et d'effroi; néanmoins leur perfidie et leur malice extrême les rendit indignes de connaître la vérité que toutes les créatures insensibles leur publiaient. 1391. Les soldats qui crucifièrent notre Sauveur .Jésus-Christ, et à qui appartenait comme exécuteurs la dépouille des justiciés, convinrent entre eux de partager les habits de l'innocent Agneau. Ils firent quatre parts du manteau ou surtout qu'il avait quitté lors de la cène pour laver les pieds à ses apôtres, et qu'ils avaient, par une disposition divine, porté au Calvaire, et chacun d'eux eut la sienne , car ils étaient quatre (1). biais ils ne voulurent point couper la tunique sans couture (2), la Providence l'ordonnant de la sorte dans des vues fort mystérieuses; c'est pourquoi ils tirèrent au sort à qui elle resterait; et elle fut cédée à celui auquel le sort la fit échoir, de sorte que ce que dit David dans le psaume vingt-unième (3) fut accompli à la lettre. Les saints docteurs expliquent les mystères que cachait cette conduite de la divine Providence, qui ne permit point que cette tunique fût coupée; et entre autres choses elle voulut noua signifier que quoique les Juifs déchirassent par les coups et par les plaies la très-sainte humanité de notre Seigneur Jésus-Christ qui recouvrait la Divinité, ils ne purent néanmoins pris atteindre ni blesser celle-ci par la Passion; et celui à qui écherra l'heureux sort d'être justifié en participant à (1) Jean., XIX, 21. - (2) Ibid., 24. - (3) Ps., XXI, 19. 168 cette même Passion, entrera un jour dans la pleine et entière possession et jouissance de la Divinité. 1392. Et comme la sainte croix était le trône roi al de Jésus-Christ et la chaire d'où il voulait enseigner la science de la vie, confirmant, lorsqu'il y fut élevé, sa doctrine par son exemple, il prononça cette parole, en laquelle il renferma tout ce que la charité et la perfection ont de plus sublime : Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font (1). Notre divin Maître s'appropria ce précepte de la charité et de l'amour fraternel, en l'appelant sien (2). Et pour preuve de cette vérité qu'il avait enseignée, il en pratiqua le précepte sur la croix, non-seulement en aimant ses ennemis et en leur pardonnant (3), mais aussi en, représentant leur ignorance pour les disculper, au moment même où leur malice était arrivée au plus haut degré auquel pussent atteindre les hommes, puisqu'elle leur avait fait persécuter, et crucifier, et blasphémer leur Dieu et leur Rédempteur. Telle fut l'ingratitude humaine après tant de lumières, d'instructions et de bienfaits, et telle fut l'ardente charité de notre adorable Sauveur en retour des tourments, des épines, des clous , de la croix et de tant de cruels outrages. O amour incompréhensible! ô douceur ineffable! ô patience que les hommes ne sauraient jamais concevoir, que les anges admirent et que les démons redoutent ! L'un des deux larrons, appelé Dismas, comprit quelque chose de ce mystère, et l'intercession (1) Luc., XXIII, 34. - (2) Joan., XV, 12. - (3) Matth., V, 44. 169 de la bienheureuse Vierge opérant en même temps, il fut éclairé d'une lumière intérieure qui lui fit connaître son Rédempteur et son Maître à cette première parole qu'il dit sur la croix. Et; touché d'une véritable contrition de ses péchés, il se tourna vers son compagnon et lui dit : Quoi ! tu ne crains pas Dieu, quand tu es condamné au mente supplice? Pour nous, c'est avec justice, puisque nous soufrons la peine due â nos crimes; mais celui-ci n'a commis aucun mal (1). Et s'adressant ensuite à notre Sauveur, il lui dit: Seigneur, souvenez-vous de moi lorsque tous serez dans votre royaume (2): 1393. Cet heureux voleur, le centenier, et les autres qui confessèrent Jésus-Christ sur la croix, furent les premiers à ressentir les effets de la rédemption. Mais le plus heureux de tous, ce fut Dismas, qui mérita d'entendre la seconde parole que dit le Seigneur : Je vous dis en vérité que vous serez aujourd'hui avec moi dans le paradis (3). O bienheureux voleur, qui seul avez obtenu cette parole si désirée de tous les justes de la terre! Les anciens patriarches et les prophètes n'ont pas eu le bonheur de l'entendre, s'estimant fort heureux de descendre dans les limbes, et d'y attendre pendant le cours de plusieurs siècles le paradis que vous avez obtenu en un moment par le plus beau trait de votre métier. Naguère vous voliez le bien d'autrui et les choses terrestres, et vous ravissez maintenant le ciel des mains de son Maître ! Mais vous l'emportez (1) Luc., XXIII, 40 et 41. - (2) Ibid., 42. - (3) Ibid., 43. 170 avec justice, et il vous le donne par grâce : vous avez été le dernier disciple de sa doctrine pendant sa vie, et le premier à la pratiquer après l'avoir ouïe. Vous avez aimé et corrigé votre frère; vous avez reconnu votre Créateur; vous avez repris ceux qui blasphémaient; vous avez imité votre adorable Maître en souffrant avec patience, vous l'avez prié avec humilité de se souvenir de vos misères comme rédempteur; et il a récompensé vos désirs comme glorificateur, en vous accordant sans délai la récompense qu'il vous a méritée, à vous et à tous les mortels. 1304. Le bon larron justifié, Jésus jeta ses doux regards sur sa Mère affligée, qui se tenait su pied de la croix avec saint Jean ; et s'adressant d'abord à sa Mère, il lui dit : Femme, voilà votre fils (1); et s'adressant ensuite à l'Apôtre, il lui dit : Voilà votre mère (2). Le Seigneur appela la sainte Vierge du nom de femme, et non de celui de mère, parce qu'il aurait été sensiblement consolé en prononçant ce dernier nom si plein do; douceur; et il ne voulut pas se donner cette consolation au milieu de ses plus grandes souffrances, comme je l'ai déjà fait remarquer, parce qu'il avait renoncé à tout ce qui pouvait adoucir ses peines. Mais en l'appelant femme, il lui dit intérieurement : Femme bénie entre toutes les femmes (3), la plus prudente entre les enfants d'Adam; femme forte et confiante (4), exempte de tout péché, toujours fidèle en mon amour, toujours assidue à mon service; femme dont la charité n'a pu (1) Joan., XII, 26. - (2) Ibid., 27. - (3) Luc., I, 42. - (4) Prov., XXXI, 10. 171 être éteinte ni troublée parles eaux amères de la Passion (1) : je m'en vais à mon Père, et je ne puis désormais vous faire compagnie ; mon disciple bien-aimé vous assistera, il vous servira comme sa mère, et sera votre fils. Notre auguste Reine entendit tout cela. Et dès cette heure le saint apôtre la reçut pour sienne , favorisé de nouvelles lumières pour mieux connaître et estimer davantage la plus parfaite créature que la Divinité eût créée après l'humanité de notre Seigneur Jésus-Christ. Ainsi éclairé, il l'honora et la servit tout le reste de la vie de cette grande Reine, comme je le dirai plus loin. Elle le prit aussi pour son fils avec une humble obéissance, et lui promit dès lors une sollicitude toute maternelle, sans que les douleurs extrêmes de la Passion empêchassent son coeur magnanime de pourvoir à tout; car elle faisait toujours ce que la perfection et la sainteté ont de plus sublime , sans en omettre la moindre chose. 1395. Il était environ la neuvième heure du jour, bien que les ténèbres et le deuil de la nature parussent déjà faire régner la confusion de la nuit , quand notre Sauveur Jésus-Christ prononça d'une voix éclatante et forte la quatrième parole, que tous ceux qui étaient présents purent entendre : Mon Dieu, dit-il, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous délaissé (2)? Quoique le Seigneur dit ces paroles en la langue hébraïque, elles ne furent pas comprises de tous.. Et comme les premiers mots en cette langue étaient, Eli, Eli, quelques (1) Cant., VIII, 7. - (2) Matth., XXVII, 46. 172 uns s'imaginèrent qu'il appelait Élie : quelques autres dirent en se moquant : " Voyons si Élie viendra maintenant le délivrer de nos mains (1). " Mais le mystère de ces paroles de Jésus-Christ fut aussi profond que caché aux Juifs et aux Gentils; car elles comportent plusieurs sens que les docteurs sacrés leur ont donnés. Ce qui m'a été expliqué, c'est que le délaissement de Jésus-Christ ne consista point en ce que la Divinité s'éloigna de la très-sainte humanité par la dissolution de l'union substantielle hypostatique, ni par la suspension de la vision béatifique de son âme; car l'humanité eut ces deux unions avec la Divinité dès l'instant qu'elle fut conçue dans le sein virginal, de l'auguste Marie par l'opération du Saint-Esprit; et la Divinité n'a jamais délaissé ce à quoi elle s'est une fois unie. Telle est la vraie et catholique doctrine. Il est également certain que la très-sainte humanité fut abandonnée de la Divinité, en ce qu'elle ne la préserva point de la mort et des douleurs de la Passion. Mais le Père éternel ,ne la délaissa point entièrement, en ce qui regarde le soin dé son honneur, puisqu'il le défendit avec éclat par le désordre de. toutes les créatures insensibles, qui pleurèrent sa mort. Il y a encore un autre délaissement que notre Sauveur Jésus-Christ exprima par cette plainte, qui naissait de la charité immense qu'il avait pour les hommes, et ce délaissement fut celui des réprouvés; il se plaignit de ceux-ci à la dernière heure de sa vie, comme dans la prière (1) Matth., XXVII, 49. 173 qu'il fit au jardin, oh son âme très-sainte fut saisie de cette tristesse mortelle que j'ai dépeinte ci-dessus; parce qu'offrant une rédemption si abondante pour tout le genre humain, elle ne devait point être efficace dans les réprouvés; et qu'il s'en trouverait privé au sein du bonheur éternel, pour lequel il les avait créés et rachetés: et comme c'était un décret de la volonté éternelle du Père, il se plaignit amoureusement et avec douleur, quand il dit : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous délaissé? entendant parler de la compagnie des réprouvés. 1396. Comme plus grand témoignage de ces sentiments, le Seigneur ajouta aussitôt là cinquième parole, et dit : J'ai soif (1). Les douleurs de la Passion pouvaient causer à notre adorable Sauveur une soif naturelle. Mais ce n'était pas alors le moment de la faire connaître et de l'apaiser, et le divin Maître, sachant qu'il était sur le point d'expirer, n'en aurait rien dit, sans quelque dessein mystérieux. Il désirait avec ardeur que les captifs enfants d'Adam ne refusassent point la liberté qu'il leur méritait, et qu'il leur offrait. Il désirait que tous répondissent à ses soins charitables par la foi et, par l'amour qu'ils lui devaient; qu'ils reçussent ses mérites et ses douleurs, sa grâce et son amitié, qu'ils pouvaient acquérir en participant et à ses mérites et à ses souffrances; et qu'ils ne perdissent point leur félicité éternelle , qu'il leur laissait pour héritage, s'ils voulaient la recevoir et la mériter. (1) Joan., XIX, 28. 174 Voilà quelle était la soif de notre divin Maître, et il n'y eut alors que la bienheureuse Marie qui la comprit parfaitement; c'est pour cette raison , qu'elle appela intérieurement avec la charité la plus vive les pauvres, les humbles, les êtres affligés, méprisés et persécutés, afin qu'ils s'approchassent du Seigneur, et qu'ils apaisassent en partie cette soif , puisqu'il n'était pas possible de l'apaiser entièrement. Mais les perfides Juifs et les bourreaux, pour témoigner davantage leur funeste endurcissement, présentèrent par dérision su Seigneur une éponge trempée dans le fiel et le vinaigre, et l'ayant attachée au bout d'une canne, ils la lui portèrent à la bouche, afin qu'il en bût (1), accomplissant la prophétie de David, qui dit: Dans ma soif ils m'ont présenté du vinaigre à boire (2). Notre très-patient Seigneur en goûta, et même il, en but quelque peu, pour montrer par ce mystère qu'il tolérait la damnation des réprouvés. Mais à la prière de sa très-sainte Mère, il cessa presque aussitôt d'en prendre ; parce qu'étant la Mère de la grâce, elle devait en être aussi la porte, et la médiatrice de ceux qui profiteraient de la Passion et de la rédemption. 1397. Ensuite le Sauveur prononça avec le même mystère la sixième parole: Consummatum est (3). J'ai maintenant accompli l'oeuvre pour laquelle je suis venu du ciel. J'ai accompli la rédemption des hommes et la volonté de mon Père éternel, qui m'a envoyé pour souffrir et mourir pour le salut des gommes. J'ai accompli (1) Joan., XIX, 29. - (2) Ps., LXVIII, 22. - . (8) Joan., XII, 30. 175 les Écritures, les prophéties, les figures du vieux Testament, et le cours de la vie passible et mortelle que j'ai reçue dans le sein de ma Mère. Je laisse dans le monde mon exemple, ma doctrine, mes sacrements, et les remèdes propres à guérir les maux que le péché a causés. J'ai satisfait à la justice de mon Père éternel pour la dette de la postérité d'Adam. J'ai enrichi mon Église pour le remède des péchés que les hommes commettront; et pour ce qui regardait ma mission de réparateur, j'ai achevé avec une entière perfection l'oeuvre de mon avènement su monde, et j'ai jeté dans l'Église militante un fondement assuré pour l'édifice de l'Église triomphante, que personne ne pourra ni ébranler ni changer. Tous ces mystères sont renfermés dans ces paroles: Consummatum est. 1398. L'oeuvre de la rédemption du genre humain ayant été entièrement achevée, il fallait que, comme le Verbe était sorti de son Père pour s'incarner et vivre d'une vie mortelle dans le monde (1), il s'en allât par la perte de cette vie à son Père avec l'immortalité. C'est pour cela que Jésus-Christ notre Sauveur dit la dernière parole : Mon Père, je remets mon âme entre vos mains (2). Le Seigneur prononça ces mots d'une voix forte, de sorte que tous les assistants les entendirent; et quand il voulut les prononcer, il leva les yeux au ciel, comme s'adressant à son Père éternel, et après le dernier mot, il baissa de nouveau la tête et rendit l'esprit. Par la vertu divine de ces dernières (1) Joan., XVI, 28. - (2) Luc., XXIII, 46. 176 paroles, Lucifer et tous les démons furent précipités dans les abîmes, où ils demeurèrent tous abattus, comme je le dirai dans le chapitre suivant L'invincible Reine, la Maîtresse des, vertus pénétra toute la profondeur de ces mystères, comme Mère du Sauveur et coadjutrice de sa Passion, an delà de ce que toutes les créatures ensemble en peuvent concevoir. Et afin qu'elle participât en tout à 'cette même Passion, il fallait que, comme elle avait ressenti les douleurs qui répondaient à celles de son très-saint Fils, elle souffrît aussi, sans mourir, les peinés qu'eut le Seigneur à l'instant de sa mort. Que si elle ne mourut point, c'est que Dieu lui conserva la vie par un miracle qui fut plus grand que les autres par lesquels sa divine Majesté la lui avait conservée dans tout le cours de la Passion. Car cette dernière douleur fut beaucoup plus intense et plus vive que les antres; et nous pouvons dire que tout ce que les ho m mes ont enduré depuis le commencement du monde ne saurait égaler ce que la bienheureuse Marie souffrit dans la Passion. Elle resta au pied de la croix jusqu'au soir, c'est-à-dire jusqu'au moment où l'on ensevelit le corps sacré du Sauveur, comme je le dirai dans la suite; et en récompense de cette dernière douleur, le peu d'être terrestre qui animait son corps virginal fut encore spiritualisé d'une manière spéciale. 1399. Les saints évangélistes n'ont pas écrit les autres mystères cachés que notre Rédempteur Jésus-Christ opéra sur la croix; et les catholiques ne peuvent former, à cet égard, que les prudentes conjectures 177 qu'ils tirent de la certitude infaillible de la foi. Mais entre ceux qui m'ont été découverts en cette histoire et en cette partie de la Passion , il y a une prière que le Sauveur fit su Père éternel avant de prononcer les sept paroles dont les évangélistes font mention. Je l'appelle une prière, parce qu'il s'adressa au Père éternel, quoique ce fût plutôt un testament qu'il fit en qualité de véritable et très-sage Père de la grande famille du genre humain, que son Père lui avait recommandée. Et comme la raison naturelle enseigne que le chef d'une famille et le possesseur d'un bien quelconque ne serait pas un prudent administrateur, et négligerait les devoirs de sa position, s'il ne déclarait à l'heure de sa mort la manière dont il entend disposer de ses biens et régler les intérêts de sa famille, afin que ses héritiers et ses successeurs sachent ce qui revient à chacun d'eux, sans être obligés de se disputer, et qu'ils entrent ensuite en possession légitime et paisible de leur part d'héritage; c'est pour cela que les hommes du siècle font leurs testaments quand ils se portent bien, pour éviter toute inquiétude à leurs derniers moments. Les religieux eux-mêmes se désapproprient de l'usage des choses qu'ils ont, car tout ce qui est terrestre pèse beaucoup à l'heure de la mort, et les soucis qui en naissent empêchent l'âme de s'élever librement à son Créateur. Sans doute, les choses terrestres n'étaient pas capables d'embarrasser notre Sauveur, puisqu'il n'en possédait aucune , et d'ailleurs elles n'auraient pu gêner sa puissance infinie; néanmoins il était convenable qu'il 178 disposât alors des trésors spirituels et des dons qu'il avait acquis pour les hommes pendant le cours de sa vie. 1400. Le Seigneur attaché à la croix disposa de ces biens éternels, faisant connaître ceux à qui ils devaient appartenir et qui devaient être ses légitimes héritiers, et ceux qu'il déshéritait, ainsi que les causes de la différence de leur sort. Il s'entretint de tout cela avec son Père éternel, comme souverain Seigneur et très-juste juge de toutes les créatures , car les secrets de la prédestination des saints et de la réprobation des impénitents étaient renfermés dans ce Testament, qui fut fermé et cacheté pour les hommes. Seule, la bienheureuse Marie eut le privilège de l'entendre, parce que non-seulement elle pénétrait toutes les opérations de l'âme très-sainte de Jésus-Christ, mais elle était encore son héritière universelle, constituée la maîtresse de tout ce qui est créé. Coadjutrice de la rédemption, elle devait être aussi l'exécutrice testamentaire qui présiderait à l'accomplissement des volontés de ce Fils, qui mit toutes choses entre les mains de sa Mère, comme le Père éternel les avait mises entre les siennes (1), et en cette qualité, elle devait être chargée de distribuer les trésors acquis par son Fils et lui appartenant, tant à raison de, son titre que de ses mérites infinis. Cette connaissance m'a été donnée comme faisant partie de cette histoire, afin de faire mieux ressortir la dignité de notre auguste Reine, et que les pécheurs recourent (1) Joan., XIII, 3. 179 à elle comme à la dépositaire des richesses, dont son Fils notre Rédempteur veut rendre compte à son Père éternel : car tous nos secours doivent être tirés du dépôt de la très-pure Marie, et c'est elle qui doit les distribuer de ses mains charitables et libérales. Testament que fit sur la croix Jésus-Christ, notre Sauveur priant son Père éternel. 1401. Après que la sainte croix eut été dressée sur le Calvaire, le Verbe incarné qui y était attaché, dit intérieurement à son Père, avant de prononcer aucune des sept paroles : " Mon Père, Dieu éternel, je vous glorifie de cette croix où je suis, et je vous Honore par le sacrifice de mes douleurs, de ma passion et de ma mort, vous bénissant de ce que par l'union hypostatique de la nature divine, vous avez élevé mon humanité à la suprême dignité de Christ, Dieu et homme, oint par votre Divinité même. Je vous glorifie pour la plénitude de tous les dons possibles de grâce et de gloire que vous avez communiqués à mon humanité dès l'instant de mon incarnation ; et je reconnais que vous m'avez donné dès ce moment l'empire universel sur toutes les créatures dans l'ordre de la grâce et de la nature pour toute l'éternité (1) ; que vous m'avez établi Maître des cieux et des éléments, du soleil, de la lune, des (1) Matth., XXVIII, 18. 180 étoiles, du feu, de l'air, des mers, de la terre, et de toutes les créatures sensibles et insensibles qui s'y trouvent ; de la révolution des siècles, des jours et des nuits, soumettant tout à mon pouvoir absolu; que vous m'avez fait le Chef, le Roi et le Seigneur des anges et des hommes, pour les gouverner et pour récompenser les bons et punir les méchants (1) ; qu'à cet effet vous m'avez donné la toute- puissance et les clefs de l'abîme (2), depuis les hauteurs du ciel jusque dans les profondeurs des enfers; que vous avez remis entre mes mains la justification éternelle des hommes , leurs empires, leurs royaumes et leurs principautés, les grands et les petits, les pauvres et les riches, et tous ceux qui sont capables de votre grâce et de votre gloire; enfin , que vous m'avez établi le Justificateur, le Rédempteur et le Glorificateur universel de tout le genre humain (3), le Seigneur de la mort et de la vie, de tous ceux qui sont nés, de la sainte Église et de ses trésors, des Écritures, des mystères, des sacrements, des secours, des lois, et des dons de la grâce : vous avez remis, mon Père, toutes choses entre mes mains (4), et les avez subordonnées à ma volonté, et c'est pour cela que je vous bénis, que je vous exalte, que je vous glorifie. 1402. Maintenant, Père éternel, que je sors de ce monde pour m'en aller à votre droite par la mort (1) Ephes., I, 21; Joan., V, 22. - (2) Apoc., XX, 1. - (3) I Cor., I, 30. - (4) Joan., XIII, 3. 181 que je vais souffrir sur la croix, et que j'ai accompli par elle et par ma passion la rédemption des hommes que vous m'avez confiée, je demande, mon Dieu, que cette croix soit le tribunal de notre justice et de notre miséricorde. Je veux juger, pendant que j'y suis attaché, ceux pour qui je donne la vie. Et justifiant ma cause, je veux disposer des trésors de mon avènement au monde, de ma passion et de ma mort; afin de déterminer dès maintenant ce qui est dû aux justes ou aux réprouvés, à chacun selon les oeuvres par lesquelles il m'aura témoigné son amour ou son mépris. J'ai cherché, Seigneur, tous les hommes, je les si tous appelés à mon amitié et à ma grâce, et j'ai travaillé sans cesse pour eux dès l'instant que j'ai pris chair humaine ; j'ai souffert toute sorte de peines, de fatigues, d'injures, d'opprobres; j'ai subi une flagellation ignominieuse, et si porté la couronne d'épines; enfin je vais mourir de la mort cruelle de la croix; j'ai imploré votre miséricorde infinie pour tous; je vous ai sollicité en faveur de tous par mes veilles, par mes jeûnes et par mes travaux ; je leur ai enseigné le chemin de la vie éternelle; et autant que cela peut dépendre de ma volonté, je veux l'accorder a tous, comme je l'ai méritée pour tous, sans en excepter ni en exclure aucun; c'est pour tous que j'ai établi la loi de grâce ; et l'Église, dans le sein de laquelle ils pourront se sauver, durera toujours, sans que personne puisse l'ébranler. 1403. Mais nous connaissons , mon Père, par notre prescience, que par leur malice et leur dureté 182 tous les hommes ne veulent pas recevoir notre salut éternel, ni se prévaloir de notre miséricorde, ni marcher dans le chemin que je leur ai frayé par ma vie, par mes pauvres et par ma mort; mais qu'ils veulent arriver, par les voies de l'iniquité, jusqu'à la damnation. Vous êtes juste, Seigneur, et vos jugements sont très- équitables (1) ; il est juste aussi, puisque vous m'avez établi juge des vivants et des morts (2), des bons et des méchants, que je décerne aux justes la récompense qu'ils ont méritée en me servant et m'imitant, et que j'inflige aux pécheurs le châtiment de leur obstination perverse : que ceux-là aient part avec moi à mes biens, et que ceux-ci soient privés de mon héritage, qu'ils n'ont pas voulu accepter. Or, mon Père éternel, en votre nom et au mien, et pour vous rendre gloire,. je vais faire les dernières dispositions de ma volonté humaine, qui est conforme à votre volonté éternelle et divine. Je veux en premier lieu nommer ma très-pure Mère qui m'a donné l'être humain, et la constituer mon héritière unique et universelle de tous les biens de la nature, de la grâce et de la gloire qui m'appartiennent, afin qu'elle en soit la maîtresse avec un plein pouvoir; je lui accorde actuellement tous ceux de la grâce, qu'elle peut recevoir dans sa condition de simple créature, et je lui promets ceux de la gloire dans l'avenir. Je veux aussi qu'elle soit maîtresse des anges et des hommes; qu'elle ait sur eux un empire absolu, que tous lui (1) Ps. CXVIII, 137. - (2) Act., X, 42. 183 obéissent et la servent, que les démons la craignent et lui soient assujettis , et que toutes les créatures privées de raison et de sentiment lui soient soumises, les cieux , les étoiles, les planètes, les éléments et tous les êtres vivants, oiseaux, poissons et animaux que l'univers contient : je la rends maîtresse de tout, et veux que tons la sanctifient et l'exaltent avec moi. le veux encore qu'elle soit la dépositaire et la dispensatrice de tous les biens que les cieux et la terre renferment. Ce qu'elle ordonnera et disposera dans l'Église à l'égard des hommes et des enfants, sera confirmé dans le ciel par les trois personnes divines, et nous accorderons selon sa volonté tout ce qu'elle demandera pour les mortels, maintenant et toujours. 1404. Je déclare que le suprême ciel appartient aux anges, qui ont obéi à votre sainte et juste volonté, afin qu'il soit leur demeure propre et éternelle ; et que là leur appartiennent également la jouissance et la claire vision de notre Divinité. Je veux qu'ils en jouissent d'une possession éternelle, en notre amitié et en notre compagnie. Je leur prescris de reconnaître ma Mère pour leur Reine et leur Maîtresse légitime, de la servir, de l'accompagner, de l'assister en tout lieu et en tout temps, et de lui obéir en tout ce qu'elle voudra leur commander. Quant aux démons qui ont été rebelles à notre parfaite et sainte volonté, je les bannis de notre vue et de notre compagnie; je les condamne de nouveau à notre indignation et à la privation éternelle de notre 184 amitié et de notre gloire, et de la vue de ma Mère, des saints et des justes mes amis. Je leur assigne pour demeure perpétuelle l'enfer, qui est le centre de la terre, et le lieu le plus éloigné de notre trône céleste, où ils seront privés de la lumière, et dans l'horreur des ténèbres palpables (1). Et je déclare que c'est là la part d'héritage qu'ils ont choisie par leur obstination et par leur orgueil, en s'élevant contre litre divin et contre ses ordres: et je les condamne à être tourmentés dans ces antres ténébreux par un feu éternel qui ne s'éteindra jamais. 1405. Par toute la plénitude de ma volonté, j'appelle, je choisis, et je tire de la nature humaine entière tous les justes et tous les prédestinés qui, par ma grâce et par mon imitation doivent être sauvés en accomplissant ma volonté et observant ma sainte loi. Ce sont ceux que je nomme en premier lieu (après ma bienheureuse Mère) les héritiers de toutes mes promesses, de mes mystères, de mes bénédictions, des trésors de mes sacrements, des secrets de mes Écritures, de mon humilité, de ma douceur, des vertus de foi, d'espérance et de charité, de prudence, de justice, de force et de tempérance, de mes dons, de mes faveurs, de ma croix, de mes souffrances, de mes opprobres, de mes humiliations et de ma pauvreté. Ce sera là leur partage en la vie passagère. Et comme ils en doivent faire eux-mêmes le choix par leurs bonnes oeuvres, afin qu'ils le 185 fassent avec joie, je le leur destine en gage de mon amitié, parce que je l'ai choisi pour moi-même. Je leur promets ma protection , mes inspirations, mes faveurs, mes secours, mes dons, et la justification, selon leur disposition et leur amour; car je serai pour eux un père, un frère, un ami (1), et ils seront mes enfants, mes élus et mes bien-aimés : et comme tels, je les institue légataires de tous mes mérites et de tous mes trésors sans aucune réserve de ma part. Je veux qu'ils obtiennent de ma sainte Église et puisent dans mes sacrements tout ce qu'ils se rendront capables de recevoir; qu'ils puissent recouvrer la grâce s'ils la perdent, et regagner mon. amitié en se baignant et se purifiant de plus en plus dans mon sang; que l'intercession de ma Mère et de mes sainte leur serve dans tous leurs besoins; qu'elle les adopte pour ses enfants et les protège comme siens; que mes anges les gardent, les conduisent et les défendent; qu'ils les portent dans leurs mains, dupeur qu'ils ne trébuchent, et en cas de chute, qu'ils les aident à se relever (2). 1406. Je veux que mes justes et mes élus dominent, sur les réprouvés et sur les démons, et que mes ennemis es craignent et leur soient assujettis; que toutes les créatures les servent; que les cieux, les planètes, les étoiles et leurs influences les conservent; que la terre, les éléments, tous les animaux et toutes les autres créatures, qui sont à moi et qui me servent, les (1) II Cor., VI, 18. - (2) Ps. XC, 11 et 12. 186 entretiennent comme mes enfants et mes amis, et que leur bénédiction soit dans la rosée du ciel et dans la graisse de la terre (1). Je veux moi-même prendre mes délices au milieu d'eux (2), leur communiquer mes secrets, converser intimement et demeurer avec eux dans l'Église militante sous les espèces du pain et du vin; en gage infaillible de la félicité et de la gloire éternelles que je leur promets , et dont je les fais héritiers, afin qu'ils en jouissent à jamais avec moi dans le ciel d'une possession inamissible. 1407. Quant à ceux que notre volonté rejette et réprouve (bien qu'ils fussent créés pour une plus haute fin), je consens à leur attribuer comme leur partage en cette vie passagère, la concupiscence de la chair et des yeux, l'orgueil et tous ses effets (3) ; je permets qu'ils se rassasient de la poussière de la terre, c'est-à-dire de ses richesses, des vapeurs et de la corruption de la chair, de ses plaisirs, des vanités et des pompes mondaines. Pour en acquérir la possession, ils n'ont cessé d'employer tous les efforts de leur volonté; ils y ont appliqué leurs sens, leurs facultés, les dons et les bienfaits que nous leur avons accordés; et ils ont eux-mêmes choisi volontairement l'erreur et rejeté la vérité que je leur ai enseignée dans ma sainte loi (4 ). Ils ont renoncé à celle que j'ai écrite dans leur propre coeur, et à celle que ma grâce leur a inspirée; ils ont méprisé ma doctrine et mes (1) I Cor., III, 22; Sap., XVI, 24; Genes., XXVII, 39. - (2) Prov., VIII, 31. - (3) I Joan., II, 16. - (4) Rom., II, 8; Ps. IV, 3. 187 bienfaits; ils se sont associés avec mes ennemis et les leurs; ils ont accueilli leurs mensonges et aimé la vanité; ils se sont. plu aux injustices, à la vengeance et aux projets de l'ambition, ils n'ont cessé de persécuter les pauvres, d'humilier les justes, de railler les simples et les innocents; ils ont cherché leur propre gloire et aspiré à s'élever au-dessus des cèdres du Liban (1) dans la loi de l'iniquité qu'ils ont observée. 1408. Comme ils ont fait tout cela en dépit de notre bonté divine, qu'ils ont persisté dans leur malice opiniâtre et renoncé au droit d'enfants que je leur ai acquis, je les déshérite de mon amitié et de ma gloire. Et ainsi qu'Abraham éloigna de lui les enfants des esclaves, avec quelques présents, et réserva tout son bien pour Isaac, fils de Sara, qui était né libre (2), de même j'exclus les réprouvés de mon héritage avec les biens passagers et terrestres qu'ils ont eux-mêmes choisis. Et en les repoussant de notre compagnie, de celle de ma Mère, des anges et des saints, je les condamne aux abîmes et au feu éternel de l'enfer où ils seront en la compagnie de Lucifer et de ses démons, auxquels ils se sont volontairement assujettis, et je les prive pour notre éternité de l'espérance du remède. C'est là, mon Père, la sentence que je prononce comme juge et comme chef (3) des hommes et des anges, et le testament (1) Ps., XXXVI, 35. - (2) Genes., XXV, 5. - (3) Ephes. IV, 15; Colos., II, 10. 188 que je fais au moment de ma mort pour régler l'effet de la rédemption du genre humain, rendant à chacun ce qui lui est dit en justice selon les oeuvres (1), et conformément au décret de votre sagesse incompréhensible et de votre justice très- équitable. " Ainsi parla notre Sauveur crucifié à son Père éternel, et ce mystère fut caché et gardé dans le coeur de la bienheureuse Marie, comme un testament secret et scellé, afin qu'il fût exécuté en temps et lieu, et dès lors même dans l'Église par son intercession, comme il l'avait été précédemment par la prescience divine, dans laquelle le passé et l'avenir sont également présents. Instruction que notre auguste Maîtresse m'a donnée. 1409. Ma fille, tâchez de n'oublier jamais la connaissance des mystères que je vous ai découverts dans ce chapitre. Je prierai le Seigneur, comme votre Mère et votre Maîtresse, de graver de sa main divine dans votre coeur les leçons que je vous si données, afin que tant que vous vivrez vous les ayez constamment présentes à votre esprit. Je veux que par ce bienfait vous conserviez continuellement le souvenir (1) II Tim., IV, 8. 189 de Jésus-Christ crucifié, mon très-saint Fils et votre Époux, et que vous n'oubliiez jamais les douleurs qu'il ressentit sur la croix, et la doctrine qu'il y enseigna et qu'il y pratiqua. C'est avec ce miroir que vous devez perfectionner la beauté de votre âme, et apprendre à n'avoir qu'au dedans de vous-même votre éclat et vos charmes, comme la fille du Roi (1), pour que vous marchiez de progrès en progrès, et que vous régniez en qualité d'épouse du souverain Roi. Et comme ce titre glorieux vous oblige de faire tous vos efforts pour l'imiter, et de vous modeler sur lui autant qu'il vous sera possible avec sa grâce, comme ce doit être là le fruit de mes instructions, je veux que dès maintenant vous viviez crucifiée avec Jésus-Christ (2), et que vous vous rendiez semblable à cet adorable exemplaire en mourant à la vie terrestre. Je veux que les effets du premier péché soient détruits en vous, que vous ne viviez plus que dans les opérations et les effets de la vertu divine, et que vous renonciez à tout ce que vous avez hérité comme fille du premier Adam, afin d'acquérir l'héritage du second , qui est Jésus-Christ votre Rédempteur et votre Maître. 1410. Votre état doit être une croix fort étroite, ou il faut que vous soyez clouée, et non une voie large où vous trouveriez des privilèges et des interprétations qui la rendraient plutôt large et commode qu'assurée et parfaite. L'illusion des enfante de (1) Ps XLIV, 13. - (2) II Cor., V, 15. 190 Babylone et d'Adam est de chercher dans leurs différents états des adoucissements à la loi de Dieu, et de vouloir marchander le salut de leurs âmes pour acheter le ciel à bon compte, même au risque de le perdre, s'il leur en doit coûter la peine de se conformer à la rigueur de la loi divine et de ses préceptes. De là vient qu'ils courent en quête des doctrines et des opinions qui élargissent les voies de la vie éternelle; sans songer que mon très-saint Fils, leur a enseigné qu'elles étaient fort étroites (1) , et qu'il n'en a point suivi d'autres, afin que personne ne s'imagine pouvoir arriver au bonheur éternel par des voies plus spacieuses et proportionnées aux inclinations d'une chair pervertie par le péché. Ce danger est plus grand pour les ecclésiastiques et les religieux, qui par leur état doivent suivre leur divin Maître et se conformer à sa vie et à sa pauvreté; c'est pour cela qu'ils ont choisi le chemin de la croix; et cependant ils veulent que leurs dignités ou leur profession leur procurent plus de commodités temporelles et de plus grands honneurs qu'ils n'en auraient obtenus dans une autre carrière. Et pour y réussir, ils accommodent à leur gré la croix qu'ils ont promis de porter, de sorte qu'elle ne les empêche pas de vivre fort à l'aise et de mener une vie sensuelle en se fondant sur de simples opinions, et sur des interprétations trompeuses. Mais ils connaîtront un jour la vérité de cette sentence du Saint-Esprit qui dit : " Toutes les voies de l'homme (1) Matth., VII, 14. 191 lui paraissent droites, mais le Seigneur pèse les coeurs (1). " 1411. Je veux, ma fille, que vous soyez si loin de cette erreur, que vous pratiquiez toujours ce que votre profession présentera de plus rigoureux et de plus étroit; de sorte que vous ne puissiez vous séparer de cette croix ni vous tourner d'un côté ou de l'autre, comme y étant clouée avec Jésus-Christ; car vous devez préférer la moindre obligation de cet état à toutes les commodités temporelles. Il faut que votre main droite soit clouée par l'obéissance, sans que vous vous réserviez, un seul mouvement, une seule action, pensée ou parole qui ne soit dirigée par cette vertu. Vous ne devez point vous permettre un geste qui vienne de votre propre volonté, mais vous devez suivre en tout celle de vos supérieurs; il ne faut pas non plus que vous soyez sage à vos propres yeux (2) en quoi que ce soit, mais ignorante et aveugle, afin que vos guides ne trouvent en vous aucune résistance. Celui qui promet, dit le Sage (3), a cloué sa main et se trouve pris par ses paroles. Or vous avez cloué votre main par le voeu d'obéissance, et par cet acte vous vous êtes dépouillée de votre liberté et du droit. de dire : Je veux, ou je ne veux point. Votre main gauche sera clouée par le veau de pauvreté, et vous ne conserverez aucune inclination, aucune affection pour aucune des choses qui flattent d'ordinaire les yeux; car, soit dans l'usage, soit dans (1) Prov., XXI, 2. - (2) Prov., III, 7. - (3) Prov., VI, 1. 192 le désir de ces choses, vous devez imiter fidèlement Jésus-Christ pauvre sur la croix. Vos pieds doivent être cloués par le troisième voeu, celui de chasteté, afin que vous soyez pure, chaste et belle dans toutes vos démarches et dans toutes vos voies. C'est pourquoi vous ne devez point permettre que l'on dise en votre présence aucune parole qui choque la bienséance, ni recevoir aucune image des choses passagères, ni regarder ou toucher aucune créature humaine; vous devez consacrer tous vos sens et particulièrement vos yeux à la chasteté, et ne vous en servir que pour contempler Jésus crucifié. Vous garderez avec toute sûreté le quatrième voeu de clôture dans le côté de mon très-saint Fils, c'est là que je vous en demande l'accomplissement. Et afin que cette doctrine vous paraisse plus douce et ce chemin moins étroit, mettez-vous à considérer en vous-même l'image de mon adorable fils tout couvert de plaies, accablé d'outrages, cloué sur la croix, et déchiré en toutes les parties de son corps sacré, tel qu'il vous a été représenté. Nous étions, mon très-saint fils et moi, d'un tempérament plus sensible et plus délicat qu'aucun des enfants es hommes, et nous avons souffert pour eux des tourments affreux, afin qu'ils eussent le courage de se résigner à des peines beaucoup plus légères pour leur propre bien éternel et en retour de l'amour que nous leur avons témoigné. lis devraient prouver leur reconnaissance en choisissant le chemin dès épines et en portant la croix sur les traces de Jésus-Christ pour acquérir la félicité éternelle, 193 puisque c'est là le droit chemin pour y parvenir (1). 21/30 CHAPITRE XXIII. Le triomphe que notre Sauveur Jésus-Christ remporta sur le démon et sur la mort étant sur la croix. - La prophétie d'Habacuc, et, le conciliabule que les démons tinrent dans l'enfer. Conciliabule que Lucifer tint avec ses démons dans l'enfer après la mort de notre Seigneur Jésus-Christ. Instruction que la Reine du ciel m'a donnée. CHAPITRE XXIV. Le coup de lance donné au côté de Jésus-Christ après sa mort. - La descente de la croix et sa sépulture, et ce que fit la bienheureuse Vierge dans ces circonstances jusqu'à son retour au cénacle. Instruction que j'ai reçue de notre auguste Maîtresse. CHAPITRE XXV. Comment notre auguste Reine consola saint Pierre et les autres apôtres. - La prudence avec laquelle elle agit après la sépulture de son fils. - Comment elle vit descendre son âme très-sainte dans les limbes des saints Pères. Instruction que j'ai reçue de la Reine du ciel. CHAPITRE XXIII. Le triomphe que notre Sauveur Jésus-Christ remporta sur le démon et sur la mort étant sur la croix. - La prophétie d'Habacuc, et, le conciliabule que les démons tinrent dans l'enfer. 1412. Les sacrés mystères de ce chapitre correspondent à plusieurs autres dont j'ai fait mention en divers endroits de cette histoire. L'un de ces mystères est que Lucifer et ses démons ne parvinrent jamais, dans le cours de la vie et des miracles de notre adorable Sauveur, à connaître avec une certitude infaillible qu'il était vrai Dieu et Rédempteur du monde, et par conséquent ils ne connaissaient point non plus la dignité de la bienheureuse Marie. La providence de la divine Sagesse disposait les choses de la sorte, afin que tout le mystère de l'incarnation et de la rédemption des hommes s'opérât d'une manière plus avantageuse. Ainsi, quoique Lucifer sût que Dieu se revêtirait de la chair humaine, il ignorait le mode et (1) Matth., XVI, 24 194 les circonstances de l'incarnation; et c'est parce qu'il lui fut permis d'en juger selon son orgueil, qu'il se trouva dans une si grande perplexité, tantôt assurant que Jésus- Christ était Dieu à cause des miracles qu'il faisait, et tantôt le niant parce qu'il le voyait pauvre, méprisé, affligée t maltraité. Ébloui par le mobile éclat de ces diverses lumières, il demeura dans le doute jusqu'à ce que notre Sauveur fût crucifié, moment auquel le dragon infernal devait être, par la connaissance des mystères du Rédempteur, à la fois convaincu et dompté par la vertu de la Passion et de la mort qu'il avait procurée à sa très-sainte humanité. 1413. Ce triomphe de notre Rédempteur Jésus-Christ fut accompli d'une manière si sublime et si admirable, que je me trouve dans l'impossibilité de le dépeindre; car il fut tout spirituel, et il ne s'y passa rien que les sens puissent apercevoir. Je voudrais, pour le faire comprendre, que nous nous communiquassions nos pensées les uns aux antres comme les anges, au moyen de cette simple vue intellectuelle par laquelle ils s'entendent entre eux; car il faudrait que nous pussions nous eu servir pour manifester et pénétrer cette grande merveille de la ToutePuissance. J'en dirai pourtant tout ce que je pourrai , persuadée qu'on eu découvrira plus par la lumière de la foi qu'on n'en comprendra par mon faible exposé. 1414. Ou a vu dans le chapitre précédent comment Lucifer et ses démons essayèrent de s'éloigner 195 de notre Sauveur Jésus-Christ et de se jeter dans l'enfer aussitôt que sa Majesté eut reçu la croix sur ses sacrées épaules, parce qu'ils sentirent en ce moment la puissance divine les subjuguer avec une plus grande force. Par ce nouveau tourment ils comprirent (le Seigneur le permettant de la sorte) que la mort de cet homme innocent qu'ils avaient tramée, les menaçait de quelque grande perte, et qu'il devait ne pas être un simple mortel. C'est pourquoi ils souhaitaient se retirer et ne plus assister les Juifs et les bourreaux comme ils l'avaient fait jusqu'alors. Mais la puissance divine les retint et les enchaîna comme des dragons furieux, les forçant, au moyen de l'empire que la bienheureuse Marie avait reçu sur eux, de demeurer et de suivre Jésus-Christ jusqu'au Calvaire. Le bout de cette chaîne invisible fut remis entre les mains de notre auguste Reine, pour qu'elle pût les assujettir et les maîtriser par les vertus de son très-saint Fils, comme des captifs retenus par autant d'amicaux. Ils avaient beau se débattre comme des forcenés, et tenter vainement à diverses reprises de prendre la fuite, ils ne purent surmonter la force irrésistible avec laquelle la bienheureuse Vierge les arrêtait et ses contraignait à s'approcher du Calvaire et à se ranger autour de la croix, où elle leur ordonna de demeurer immobiles jusqu'à la consommation de tant de sublimes mystères qui y étaient opérés tour le salut des hommes et pour la ruine des démons. 1415. Ainsi enchaînés, Lucifer et les antres esprits infernaux se sentirent tellement torturés par le supplice 196 que leur faisait subir la présence de notre Seigneur Jésus-Christ et de sa très-sainte Mère, et tellement consternés par la perspective de la défaite dont ils étaient menacés, qu'ils eussent voulu chercher une espèce de soulagement dans les ténèbres de l'abîme. Et comme il ne leur était pas permis de s'y précipiter, ils se pressaient les uns contre les autres et se roulaient comme des insectes épouvantés qui cherchent un abri pour se cacher, quoique leur fureur surpassât celle des plus cruels animaux. C'est là que fut profondément humilié l'orgueil de Lucifer, et que furent confondues les bonnes pensées qu'il avait d'établir son trône au-dessus des étoiles (1), et d'absorber les plus pures eaux da Jourdain (2). A quelle impuissance était réduit celui qui avait si souvent prétendu bouleverser tout l'univers ! Dans quel honteux abattement était tombé celui qui avait trompé tant d'âmes par ses fausses promesses ou par ses menaces! Comme ce malheureux Aman était troublé à la vue de la potence qu'il avait préparée pour son ennemi Mardochée (3) ! Quelle confusion fut la sienne quand il vit la véritable Esther, l'auguste Marie solliciter le salut de son peuple, et demander que le traître fût dépouillé de son ancienne grandeur, et puni du châtiment qu'il s'était attiré par l'excès de son orgueil (4)! C'est là que notre invincible Judith vainquit l'ennemi superbe dont elle abattit la tête altière (5). Je saurai maintenant, (1) Isa., XIV, 13. - (2) Job., XL., 18. - (3) Esth., VII., 9. - (4) Ibid- 9., - (5) Jud., XIII, 10. 197 ô Lucifer, que ton arrogance et ta présomption surpassent tes forces (1). Comment es-tu déjà tout rempli de vers et rongé de la teigne, toi qui paraissais si brillant? Comment es-tu plus opprimé que les nations que tu frappais de tes plaies (2)? Ah! désormais je ne craindrai plus tes vaines menaces, et je ne me laisserai plus tromper par tes mensonges, car je te vois affaibli, dompté, et sans aucun pouvoir. 1416. Il était déjà temps que le Maître de la vie vainquit l'antique serpent. Et comme il devait remporter cette victoire en lui faisant connaître la vérité qu'il ignorait, et qu'ici l'aspic venimeux ne pouvait point fermer les oreilles à la voix de l'enchanteur (3), le Seigneur commença à prononcer sur la croix les sept paroles, permettant à Lucifer et à ses démons d'en pénétrer le sens mystérieux : car c'est en leur accordant l'intelligence que sa Majesté voulait triompher d'eux, du péché et de la mort, et les dépouiller de la tyrannie qu'ils exerçaient sur tout le genre humain. Or le Sauveur prononça la première parole : Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font (4). A cette prière, les princes des ténèbres connurent avec certitude que notre Seigneur Jésus-Christ s'adressait au Père éternel, et qu'il était son' Fils naturel, et vrai Dieu avec lui et avec le Saint-Esprit; qu'homme parfait, il recevait volontairement en sa très-sainte humanité, unie à la divinité, la mort pour racheter. (1) Isa., XIV, 6. - (2) Isa., XIV, 12. - (3) Ps. LVII, 5. - (4) Luc., XXIII, 34. 198 tout le genre humain, et qu'il promettait par ses mérites infinis aux enfants d'Adam et même à ceux qui le crucifiaient sans en excepter aucun, le pardon général de tous leurs péchés, pourvu qu'ils profitassent de leur rédemption et voulussent se l'appliquer pour leur remède. Cette connaissance provoqua chez tous les esprits rebelles un si violent accès de dépit et de rage, qu'ils voulurent à l'instant s'élancer avec impétuosité au fond des enfers; mais ils s'épuisaient en vains efforts pour y parvenir, car notre puissante Reine les retenait. 1417. Dans la seconde parole que le Seigneur adressa à l'heureux voleur : Je vous dis en vérité que vous serez aujourd'hui avec moi dans le paradis (1), les démons découvrirent le fruit de la rédemption en la justification des pécheurs, et la fin dernière de cette même rédemption en la glorification des justes; et ils comprirent que dès lors les mérites de Jésus-Christ commençaient à opérer avec une nouvelle force; que par ces mêmes mérites allaient s'ouvrir les portes du paradis, qui avaient été fermées par le péché; et que les hommes entreraient dans le ciel pour y jouir du bonheur éternel et y occuper les places auxquelles les démons étaient dans l'impossibilité d'arriver. Par là ils reconnurent la puissance que le Sauveur avait d'appeler les pécheurs, de les justifier et de les glorifier, et les victoires qu'il avait remportées sur eux pendant sa très-sainte vie par les très-éminentes vertus d'humilité, (1) Luc., XXIII, 43. 199 de patience, de douceur, et par toutes les autres qu'il avait pratiquées. On ne saurait exprimer la confusion et la peine qui accablèrent Lucifer quand il dut avouer cette vérité; elles furent si grandes, que, malgré son orgueil, il s'humilia jusqu'à prier la bienheureuse Marie de permettre à lui et à ses compagnons de descendre dans l'enfer, et de les chasser de sa présence; mais notre auguste Reine n'y consentit point, parce que le moment n'était pas encore venu. 1418. Par la troisième parole que le très-doux Jésus dit à sa Mère : Femme, voilà votre fils (1), les démons connurent que cette divine Femme était véritablement Mère de Dieu incarné, et la même que celle dont l'image leur avait été montrée dans le ciel à l'époque de leur création; celle enfin qui leur briserait la tète, ainsi que le Seigneur le leur avait annoncé dans le paradis terrestre (2). Ils connurent que la dignité et l'excellence de cette grande Reine la mettaient au-dessus de tontes les créatures, et qu'elle avait un pouvoir absolu sur eux, selon l'expérience qu'ils en faisaient. Et comme dès le commencement du monde, quand la première femme fut créée, les démons avaient employé toutes leurs ruses pour tâcher de découvrir cette auguste Femme qui leur avait été représentée clans le ciel, et s'aperçurent alors seulement qu'elle avait toujours échappé à leurs recherches inquiètes, ils entrèrent dans une fureur indescriptible, parce que la connaissance qu'ils en (1) Joan., XIX, 26. - (2) Gen., III, 15. 200 eurent tout à coup les tourmentait plus que tous les autres supplices qu'ils enduraient; ils enrageaient les uns contre les autres comme des bêtes féroces, et ils redoublèrent de colère contre la bienheureuse Vierge; mais tout cela n'aboutit à rien. Ils comprirent en outre que notre Sauveur avait destiné saint Jean à être comme l'ange gardien de sa Mère, en le revêtant de la puissance sacerdotale. Ils y virent comme une menace contre la colère qu'ils avaient à l'égard de notre auguste Princesse, et saint Jean comprit aussi sa mission. Lucifer connut non-seulement le pouvoir que le saint évangéliste avait sur les démons, mais encore celui que tous les prêtres recevaient à raisonne leur dignité et de leur participation. à celle de notre Rédempteur; et il sut que les autres justes, ne fussent-ils point prêtres, obtiendraient du Seigneur une protection spéciale et une grande puissance contre l'enfer. Tout cela consternait Lucifer et ses légions. 1419. Lorsque Jésus-Christ notre Sauveur prononça la quatrième parole , en disant au Père éternel : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez -vous délaissé (1)? les esprits rebelles connurent que la charité de Jésus-Christ était sans bornes à l'égard de tous les hommes; et que, pour la satisfaire, la Divinité avait mystérieusement suspendu son influence sur la très-sainte humanité , afin que par l'extrême rigueur de ses souffrances la rédemption fût plus surabondante; ils (1) Matth., XXVII, 46 201 comprirent aussi qu'il se plaignait amoureusement de ce que ne se sauveraient pas tous les hommes, eux dont il se trouvait abandonné, et pour lesquels il était prêt à souffrir davantage: si le Père éternel l'ordonnait. Ce bonheur que les hommes avaient d'être si aimés de Dieu augmenta l'envie de Lucifer et de ses ministres, d'autant plus qu'ils sentirent en même temps la toute-puissance divine pour déployer sur les hommes sans aucune mesura cette charité infinie. Cette pensée abattit l'orgueil et la malice de nos implacables ennemis, et ils se reconnurent trop faibles pour s'opposer efficacement à cette charité si les hommes voulaient s'en prévaloir. 1420. La cinquième parole que notre Seigneur Jésus-Christ prononça : J'ai soif (1), rehaussa encore le triomphe qu'il remportait sur les démens, et accrut de nouveau leur fureur, parer que le Sauveur l'adressa plus clairement contre eux. Ils entendirent que sa Majesté leur disait : " S'il vous semble que ce que je souffre pour les hommes soit excessif, ainsi que l'amour que je leur porte, je veux que vous sachiez que ma charité ne cesse d'être ardente pour leur salut éternel; que les eaux très-amères de ma Passion n'ont pas été capables de l'éteindre (2), et que je souffrirais encore pour eux de plus affreux tourments, s'il le fallait, afin de les délivrer de votre tyrannie et de les rendre assez forts, assez puissants pour surmonter votre malice et votre orgueil. (1) Joan., XIX, 28. - (2) Cant., VIII, 7. 202 1421. Parla sixième parole du Seigneur : Consummatum est (1), les démons eurent une entière connaissance du mystère de l'incarnation et de la rédemption des hommes, qui venait, selon l'ordre de la sagesse divine, d'être achevée dans toute sa perfection. Car il leur fut à l'instant manifesté que notre Rédempteur Jésus-Christ avait accompli la volonté du Père éternel, les promesses et les prophéties qui avaient été faites au monde par les anciens patriarches; que l'humilité et l'obéissance de notre Sauveur avaient vengé le Très-Haut de leur propre orgueil et de leur révolte dans le ciel , lorsqu'ils avaient refusé de se soumettre et de le reconnaître pour supérieur dans la chair humaine qu'il devait prendre, et que c'est pour cela qu'ils étaient, suivant les règles d'une sagesse et d'une équité souveraine , humiliés par ce meute Seigneur qu'ils avaient méprisé. Et comme, à raison de la dignité suprême et des mérites infinis du Christ, il était convenable qu'il exerçât alors la puissance que le Père éternel lui avait remise, de juger les anges et les hommes (2), usant de ses attributions et intimant en quelque sorte la sentence à Lucifer et à tous les démons dans son exécution même, il leur ordonna, comme condamnés aux flammes éternelles, de descendre à l'instant au fond des gouffres infernaux. Et en mente temps il prononça la septième parole : Mon Père, je remets mon âme entre vos mains (3). Notre puissante Reine concourut à la volonté de son (1) Joan., XIX, 30. - (2) Joan., V, 22. - (3) Luc., XXIII, 46. 203 très-saint Fils, et ordonna aussi à Lucifer et à ses compagnons de se précipiter dans l'abîme. En vertu de cet ordre du souverain Roi de l'univers et de sa bienheureuse Mère, les esprits rebelles furent chassés du Calvaire et précipités jusque dans les dernières profondeurs des enfers avec une force plus rapide que celle de la foudre qui s'échappe de la nue. 1422. Notre Sauveur Jésus- Christ, victorieux triomphateur, voulant, après avoir subjugué ses plus grands ennemis, remettre son âme entre les mains du Père éternel (1), baissa la tète comme pour permettre à la mort de s'approcher de lui; il vainquit aussi la mort par cette permission , par laquelle elle fut trompée comme le démon. La raison en est, que la mort n'aurait pu avoir aucune juridiction sur les hommes, si le premier péché ne leur eût attiré ce châtiment; c'est pour cela que l'Apôtre dit que l'aiguillon de la mort c'est le péché, et que par le péché elle a passé à tous les hommes (2); et comme notre Sauveur paya la dette du péché qu'il ne pouvait commettre , il en résulta que quand la mort lui ôta la vie, sans avoir aucun droit sur sa Majesté, elle perdit celui qu'elle avait sur les enfants d'Adam ; de sorte que dès lors ni la mort ni le démon ne pouvaient plus les attaquer avec le mente succès qu'auparavant, pourvu qu'ils se prévalussent de la victoire de Jésus-Christ, et ne voulussent pas rentrer de plein gré sous leur empire. Si notre premier père Adam n'eût pas (1) Joan., XIX, 30. - (2) Rom., V, 12 ; I Cor., XV, 55. 204 péché, et qu'en lui nous n'eussions pas tous péché, la mort n'aurait point été connue , nous aurions été transportés de cet heureux état d'innocence dans le fortuné séjour de la patrie éternelle. Mais le péché nous a rendus sujets de la mort et esclaves du démon, qui nous fa procurée afin de nous empêcher par son moyen d'arriver à la vie éternelle, après nous avoir privés de la grâce et de l'amitié de Dieu, et réduits dans l'esclavage du péché et sous son empire tyrannique. Notre adorable Sauveur est venu détruire toutes ces oeuvres du démon (1), et mourant innocent après avoir satisfait pour nos péchés, il fit que la mort ne frapperait que le corps, et non pas l'âme; qu'elle ne nous ôterait que la vie corporelle, et non point I'éternelle, la vie naturelle, et non point la spirituelle; enfin qu'elle deviendrait pour nous la porte par laquelle nous pourrions arriver au souverain bonheur si nous-mêmes ne voulions le perdre. C'est ainsi que le Sauveur se chargea de la peine du premier péché, et décida que la mort corporelle reçue pour son amour serait la satisfaction que nous pouvions offrir de notre côté. C'est ainsi qu'il détruisit la mort, et la sienne fut comme l'appât dont il se servit pour la tromper et pour la vaincre (2). 1423. La prophétie contenue. dans le cantique d'Habacuc fut accomplie dans ce triomphé de notre Sauveur; je n'en prendrai que ce qui convient à mon sujet. Le prophète connut ce mystère et le pouvoir (1) 1 Joan., III, 8. - (2) I Cor., XV, 54 , Os., XIII, 14. 205 que Jésus-Christ avait sur la mort et sur le démon. Il pria le Seigneur avec une sainte crainte de vivifier son couvre, qui était l'homme; et prédit qu'il le ferait, et 'qu'au fort de sa colère il se souviendrait de sa miséricorde (1); que la gloire de cette merveille couvrirait les cieux, et que la terre retentirait de ses louanges (2) que sa splendeur brillerait comme le soleil (3); qu'il aurait la force dans ses mains, c'est-à- dire les bras de la croix, et que sa puissance y serait cachée; que la mort vaincue irait devant sa face, et que Satan marcherait devant lui et mesurerait la terre (4). Tout cela fut accompli à la lettre, car Lucifer terrassé eut la tête écrasée sous les; pieds de Jésus-Christ et de sa bienheureuse Mère, qui au Calvaire l'accablèrent de tout le poids de la Passion et de la puissance divine. Il descendit jusqu'au centre de la terre (qui est le fond de l'enfer et le point le plus éloigné de la superficie); c'est pourquoi le prophète dit qu'il mesura la terre. Tout le reste du cantique s'applique au triomphe de notre Sauveur dans le progrès de l'Église jusqu'à la fin, et il n'est pas nécessaire de le citer. Mais ce qu'il faut que tous les hommes sachent, c'est que Lucifer et ses démons furent enchaînés et brisés par la mort de Jésus-Christ, qu'ils furent presque réduits à l'impuissance de les tenter, s'ils ne leur eussent eux- mêmes ôté volontairement. leurs chaînes par fleurs péchés, et encouragé la présomption de leurs ennemie à entreprendre encore de. perdre (1) Habac., III, 2. - (2) Ibid., 8. - (3) Ibid., 4. - (4) Ibid.. 5. 206 le monde par de nouveaux efforts. On le verra mieux par le récit du conciliabule qu'ils tintent dans l'enfer, et de la suite de cette histoire. Conciliabule que Lucifer tint avec ses démons dans l'enfer après la mort de notre Seigneur Jésus-Christ. 1424. La chute que Lucifer et ses démons firent des hauteurs du Calvaire jusqu'au fond de l'abîme, fut plus violente que quand ils furent précipités du ciel. Et quoique ce triste lieu soit toujours une terre ténébreuse, couverte des ombres de la mort, pleine d'horreur, de misère et de tourments, comme le dit le saint homme Job (1), il y régna en ce moment nu désordre plus affreux encore : car les damnés furent saisis d'une nouvelle. épouvante, et eurent à souffrir une peine accidentelle, à cause de la violence avec laquelle les démons se jetèrent sur eux en tombant, et des transports de rage auxquels ils se livrèrent. Il est bien vrai qu'ils n'ont pas le pouvoir dans l'enfer de tourmenter les âmes selon leur volonté, et de les mettre dans des lieux où les peines sont plus ou moins grandes, attendu que cela est réglé par la puissance de la justice divine, suivant le degré de démérite de chacun des réprouvés, qui ne sont tourmentés que dans cette mesure. Mais, outre la peine essentielle, le juste Juge ordonne qu'ils puissent successivement souffrir, en certaines circonstances, d'autres peines (1) Job., X, 21. 207 accidentelles; parce que leurs péchés ont laissé des racines dans le monde, et plusieurs mauvais exemples qui contribuent à la perte, d'un grand nombre de personnes, et c'est le nouvel effet de leurs péchés qu'ils n'ont point réparés, qui leur cause ces peines. Les démons firent subir à Judas de nouveaux supplices pour avoir vendu Jésus-Christ, et pour lui avoir procuré la mort. Et ils surent alors que le lieu si horrible où ils l'avaient mis, et que j'ai déjà dépeint, était destiné pour la punition de ceux qui, ayant reçu la foi , se damneraient faute de bonnes oeuvres, et de ceux qui mépriseraient délibérément le culte de cette vertu, et le fruit de la rédemption. C'est, contre cette classe de réprouvés que les démons tournent toute leur colère; tâchant d'exercer sur eux la haine qu'ils ont conçue contre Jésus et Marie. 1425. Aussitôt que Lucifer eut reçu la permission de s'occuper de ses nouveaux desseins, et put sortir de l'abattement dans lequel il resta quelque temps plongé, il entreprit de communiquer aux démons la nouvelle rage qu'il avait contré le Seigneur. C'est pourquoi il les assembla tous, et s'étant placé sur un lieu éminent, il leur dit : " Vous n'ignorez pas, vous autres qui avez depuis tant de siècles embrassé mon juste parti, et qui y demeurerez fidèles pour venger mes injures, vous n'ignorez pas, dis-je, celle que je viens de recevoir de ce nouvel Homme-Dieu; vous savez qu'il m'a tenu dans une étrange perplexité durant trente-trois ans, me cachant son être divin 208 et les opérations de son âme, et qu'il a triomphé de nous par la mort même que nous lui avons procurée pour nous en défaire. Je l'ai abhorré avant même qu'il prit la chair humaine, et j'ai refusé de le reconnaître comme plus digne que moi de recevoir les adorations de tous en qualité de souverain Seigneur. Et quoique j'aie été précipité du ciel avec vous à cause de cette résistance, et revêtu de cette difformité si indigne de ma grandeur et de ma beauté primitive, ce qui me tourmente plus que ma déchéance, c'est de me voir si opprimé par cet homme et par sa Mère. Je les ai cherchés avec une activité infatigable dès que le premier homme fut créé, pour les détruire ou pour anéantir du moins toutes leurs couvres et empêcher que personne ne le reconnût pour son Dieu , et ne profitât des exemples du Fils et de la Mère. J'ai fait tous mes efforts pour y réussir, mais ç'a été en vain, puisqu'il m'a vaincu par son humilité et par sa pauvreté, qu'il m'a renversé par sa patience, et qu'il m'a enfin privé par sa Passion et par sa mort ignominieuse de l'empire que j'exerçais sur le monde. Cela me tourmente tellement, que si je pouvais l'arracher de la droite de son Père où il va s'asseoir triomphant, et l'entraîner ensuite, avec tous ceux qu'il a rachetés, dans les abîmes où nous sommes, je n'en serais pas encore satisfait, et ma fureur ne serait pas encore apaisée. 1426." Est-il possible que la nature humaine, si inférieure à la mienne, doive être autant élevée au-dessus de toutes les créatures! Qu'elle soit si aimée 209 et si favorisée de son Créateur, qu'il l'ait unie à lui-même en la personne du Verbe éternel! Qu'elle m'ait persécuté avant même cette union, et qu'après elle m'ait défait et confondu à ce point! Je l'ai toujours regardée comme ma plus cruelle ennemie ; elle m'a toujours été odieuse. O hommes si favorisés du Dieu que j'abhorre, et si aimés de son ardente charité, comment empêcherai-je votre bonheur? Comment vous rendrai-je aussi malheureux que moi, puisque je ne puis anéantir l'être que vous avez reçu? Que ferons-nous maintenant, ô mes sujets? Comment rétablirons-nous notre empire? Comment recouvrerons-nous nos forces pour attaquer l'homme? Comment pourrons-nous désormais le vaincre? Car dorénavant, à moins que les mortels ne soient tout à fait insensibles et ingrats, à moins qu'ils ne soient plus endurcis que nous à l'égard de cet Homme-Dieu qui les a rachetés avec tant d'amour, il est certain qu'ils. le suivront tous à l'envi; ils lui donneront leur coeur et embrasseront sa douce loi ; personne ne voudra prêter l'oreille à nos mensonges; ils fuiront les vains honneurs que nous leur promettons, et rechercheront les mépris ; ils s'attacheront à mortifier leur chair, et connaîtront le danger qui se trouve dans les plaisirs ; ils abandonneront les richesses pour embrasser la pauvreté, qui a été si honorée de leur Maître, et ils dédaigneront tout ce que nous pourrons offrir à leurs sens, pour imiter leur véritable Rédempteur. Ainsi notre royaume sera détruit puisque personne ne viendra demeurer avec nous 210 dans ce lieu de confusion et de supplices ; ils acquerront tous le bonheur que nous avons perdu ; ils s'humilieront et souffriront avec patience ; rien ne restera à ma fureur et à mon orgueil. 1427. O malheureux que je suis, quels tourments me cause ma propre erreur! Si j'ai tenté cet homme dans le désert (1), cela n'a servi qu'à lui faire remporter sur moi une insigne victoire , et laisser un exemple très-efficace aux hommes pour me vaincre. Si je l'ai persécuté, il n'en a que mieux fait éclater son humilité et sa patience. Si j'ai persuadé à Judas de le vendre, et aux Juifs de le crucifier avec tant de cruauté, ce n'a été que pour avancer ma ruine et le salut des hommes, et que pour établir dans le monde cette doctrine que je voulais détruire. Comment Celui qui était Dieu a-t-il pu s'humilier de la sorte? Comment a-t-il tant souffert de la part d'hommes si méchants? Comment ai-je moi-même tant travaillé à rendre la rédemption des hommes si abondante, si admirable et si divine, qu'elle me tourmente horriblement, et me réduit à une telle impuissance? Comment cette femme, qui est sa Mère et mon ennemie, est-elle si forte et si invincible ? Ce pouvoir est extraordinaire chez une simple créature ; sans doute elle le reçoit du Verbe éternel, à qui elle a donné la chair humaine. Le Tout-Puissant m'a toujours fait une guerre à outrance par le moyen de cette femme, que mon ambition m'a fait détester dès le premier (1) Matth., IV, 3. 211 moment où son image me fut représentée. Mais si je ne parviens point à assouvir ma haine et à satisfaire mon orgueil, je n'en persisterai pas moins à combattre perpétuellement ce Rédempteur, sa Mère et les hommes. Eh bien donc, compagnons, voici le moment de nous livrer à notre haine contre Dieu. Approchez-vous pour conférer avec moi sur les moyens dont nous nous servirons, car je souhaite connaître votre opinion sur cette affaire. 1428. Quelques-uns des principaux démons répondirent à cette horrible proposition de Lucifer, et l'encouragèrent en lui communiquant divers desseins qu'ils avaient couvés pour empêcher le fruit de la rédemption dans les hommes. Ils convinrent tous qu'il n'était pas possible de s'attaquer à la personne de Jésus-Christ, ni de diminuer le prix infini de ses mérites, ni de détruire l'efficace de ses sacrements, ni de changer la doctrine qu'il avait prêchée; mais qu'il fallait néanmoins, en tenant compte des nouveaux moyens et des nouvelles faveurs que Dieu avait ménagés pour le salut des hommes , inventer de nouveaux artifices pour les empêcher d'en faire leur profit, et essayer de les séduire par de plus grandes tentations. A cet effet, plusieurs démons des plus rusés dirent : " Il est vrai que les hommes ont maintenant une nouvelle doctrine et une loi fort puissante; qu'ils ont de nouveaux sacrements, qui sont efficaces, un nouvel exemplaire, qui est le Maître des vertus, et une éloquente Avocate en cette femme extraordinaire; mais les inclinations et les passions de 212 leur chair et de leur nature sont toujours les mêmes, et les choses délectables et sensibles n'ont point été changées. Ainsi, en redoublant de malice, nous détruirons, autant qu'il dépend de nous, ce que ce Dieu homme a opéré pour eux, et nous leur ferons une vigoureuse guerre, car nous tâcherons de les attirer à nous par nos suggestions et d'exciter leurs passions, afin qu'ils se laissent entraîner à leur impétuosité sans considérer leurs suites funestes; nous savons tous que la capacité humaine est si bornée, qu'étant occupée à un objet, elle ne peut être attentive à ce qui lui est opposé. " 1429. Après cette délibération , les démons se partagèrent en plusieurs bandes, suivant les différents vices, et se départirent les offices qu'ils devaient exercer pour tenter les hommes avec toute l'astuce possible. Ils décidèrent qu'ils devaient s'efforcer dé maintenir l'idolâtrie dans le monde, afin que les hommes n'arrivassent point à la connaissance du vrai Dieu et de la rédemption du genre humain. Et que si l'idolâtrie disparaissait ils feraient naître de nouvelles sectes et des hérésies, en choisissant à cet effet les hommes les plus pervers et les plus corrompus, qui seraient les premiers à les embrasser et à les enseigner. C'est dans ce conciliabule infernal que furent inventées la secte de Mahomet, les hérésies d'Arius, de Pélage, de Nestorius, et toutes celles qui se sont produites dans le monde depuis la primitive Église jusqu'à nos jours, entre plusieurs autres qu'ils y forgèrent et qu'il n'est ni nécessaire ni convenable de 213 rapporter ici. Lucifer approuva ce système diabolique parce qu'il était contraire à la vérité divine, et sapait le fondement du salut des hommes, qui consiste en la foi. Et il félicita , caressa et plaça près de lui les démons qui l'avaient imaginé, et s'étaient chargés de chercher les impies propres à introduire ces erreurs. 1430. D'autres démons promirent pour leur compte de pervertir les inclinations des petits enfants en les observant dès leur berceau ; d'autres encore, de rendre les parents négligents dans l'éducation de leurs enfants, soit par aversion, soit par une tendresse excessive, et d'inspirer aux enfants de l'antipathie pour leurs parents. Il y en eut qui s'offrirent à semer la division entre les personnes mariées, et à leur faciliter l'adultère et le mépris de leurs obligations réciproques et de la fidélité qu'elles se doivent. Tous contractèrent l'engagement de propager parmi les hommes les querelles, la haine, la discorde et la vengeance; de les y exciter parles jugements téméraires, par l'orgueil, par la sensualité, par l'avarice et par l'ambition; de combattre par des arguments captieux toutes les vertus que Jésus-Christ avait enseignées, et surtout de détourner les mortels du souvenir de sa Passion et de sa mort, et du bienfait de la rédemption, de la pensée des supplices de l'enfer et de leur éternité. Par tolus ces moyens les démons se flattèrent que les hommes s'attacheraient exclusivement aux choses sensibles, et ne se mettraient pas fort en peine des choses spirituelles et de leur propre salut. 214 1431. Lucifer ayant ouï ces projets et plusieurs autres que les démons avaient formés, leur dit : " Je suis fort content de vos avis, je les admets et les approuve tous, et je ne doute pas que nous n'obtenions un succès facile sur ceux qui n'embrasseront point la loi que ce Rédempteur adonnée aux hommes. Mais ce sera une affaire grave que d'attaquer ceux qui la recevront. Néanmoins je prétends employer toute ma rage contre cette loi, et persécuter cruellement ceux qui la suivront; à ceux-là nous devons faire une guerre acharnée jusqu'à la fin du monde. Je vais tâcher de semer mon ivraie dans cette nouvelle Église (1), c'est-à-dire l'ambition, l'avarice, la sensualité, les haines mortelles et tous les vices dont je suis la source. Car si les péchés se multiplient une fois parmi les fidèles, ils irriteront Dieu par leur malice et par leur grossière ingratitude, et l'obligeront à leur refuser avec justice les secours de la grâce si abondants que leur Rédempteur leur a mérités; et s'ils s'en privent par leurs iniquités, nous sommes sûrs de remporter sur eux de grandes victoires. Il faut aussi que nous travaillions à leur ôter la piété et le goût de tout ce qui est spirituel et divin, de sorte qu'ils ne comprennent point la vertu des sacrements, ou qu'ils les reçoivent sans s'être purifiés de leurs péchés, ou du moins sans dévotion; car, comme ces bienfaits sont spirituels, il est indispensable de les recevoir avec ferveur pour en augmenter le fruit. Et (1) Matth., XIII, 25. 215 si les mortels méprisent leur remède, ils recouvreront bien tard leur sauté et résisteront moins à nos tentations; ils ne découvriront point nos mensonges, ils oublieront les faveurs célestes, méconnaîtront la mémoire de leur Rédempteur et dédaigneront l'intercession de sa Mère; cette noire ingratitude les rendra indignes de la grâce, et leur Dieu et leur Sauveur sera trop irrité pour la leur accorder. Je veux que tous vous secondiez mon entreprise et que vous y apportiez tous vos soins, sans perdre ni temps ni occasion d'exécuter ce que je vous commande. " 1432. Il n'est pas possible d'exposer les résolutions que Lucifer et ses ministres prirent dans cette occasion contre la sainte Église et ses enfants, pour tâcher, d'absorber ces eaux du Jourdain (1). Il nous suffira de dire que cette conférence dura presque une année entière après la mort de Jésus-Christ, et de considérer dans quel état se trouvait anciennement le monde, et celui dans lequel il se trouve depuis cette précieuse mort, et depuis que le Seigneur a manifesté la vérité de la foi par tant de miracles, par tant de bienfaits, et par les exemples de tant de saints personnages. Et si tout cela ne suffit pas pour ramener les mortels dans le chemin du salut, on peut comprendre l'étendue du pouvoir que Lucifer s'est acquis sur eux et l'acharnement de la haine qu'il leur a vouée, haine telle, que nous pouvons dire avec saint Jean : " Malheur à la terre, car Satan descend vers (1) Job., XL, 18. 216 vous, plein de fureur et de rage (1). " Mais, hélas! faut-il que des vérités aussi infaillibles et aussi importantes que celles-là, et si propres à nous faire connaître notre danger et à nous le faire éviter par tous les moyens possibles, soient aujourd'hui si éloignées du souvenir des mortels qui né remarquent pas, les. pertes irréparables que cet oubli cause dans le . monde! Nôtre ennemi est rusé, cruel et vigilant, et nous restons cependant les bras croisés! Doit-on s'étonner que Lucifer soit devenu si puissant dans le monde, quand tant de gens l'écoutent, l'accueillent et croient à ses mensonges, et que très-peu lui résistent, parce qu'ils ne songent pas à la mort éternelle que cet implacable ennemi leur procure avec tant de malice? Je prie ceux qui liront ceci de ne point mépriser un danger si effroyable. Et si la situation du monde et ses malheurs, si les expériences funestes que chacun fait en soi-même ne sont pas capables de nous éclairer sur l'imminence du péril, apprenons au moins à le connaître par la grandeur des secours que notre adorable Sauveur nous a laissés dans son Église; car il ne nous aurait pas donné tant de remèdes si l'extrême gravité de notre maladie ne nous eût exposés aux pins terribles chances d'une mort éternelle. (1) Apoc., XII, 12. 217 Instruction que la Reine du ciel m'a donnée. 1433. Ma fille, vous avez reçu de la divine lumière de grandes connaissances sur le glorieux triomphe que mon Fils et mon Seigneur remporta sur les démons étant sur la croix, et sur l'abattement dans lequel les jeta leur défaite. Mais vous devez être persuadée que vous ignorez beaucoup plus de choses de ces mystères si ineffables que vous n'en avez connu; car, tant que l'on vit dans la chair mortelle, on n'a pas les dispositions nécessaires pour les pénétrer à fond; la Providence en réserve l'entière pénétration pour la récompense des saints qui jouissent de la vue de Dieu dans le ciel, où l'on a une parfaite intelligence de ces mystères; et en même temps pour la confusion des réprouvés, lorsqu'ils les connaîtront en leur manière à la fin de leur course. Mais ce que vous avez appris est plus que suffisant pour vous convaincre des dangers de la vie mortelle, et pour voua animer par l'espérance de vaincre vos ennemis. Je veux aussi vous avertir de la nouvelle haine que le Dragon a conçue contre vous à cause de ce que vous avez écrit dans ce chapitre. Il n'a cessé de vous haïr, et il a fait tous ses efforts pour vous empêcher d'écrire ma vie, comme vous avez eu lieu de vous en apercevoir depuis que vous l'avez commencée. Mais il est maintenant dans une plus grande colère, parce que vous avez découvert l'humiliation qu'il a reçue à la 218 mort de mon très-saint Fils, l'abattement auquel il fut réduit, et le plan qu'il a dressé avec ses démons pour se venger de sa ruine sur les enfants d'Adam, et particulièrement sur ceux de la sainte Église. Tout cela le met dans un nouveau trouble, et il frémit de voir que l'on étale ses misères devant ceux qui les ignoraient. Vous sentirez cette colère par les persécutions et les tentations qu'il vous suscitera; car vous avez déjà commencé, à éprouver la cruauté de cet ennemi, et je vous en avertis afin que vous soyez bien sur vos gardes. 1434. Vous ôtes surprise, et c'est avec raison, d'avoir connu d'un côté l'efficacité des mérites de mon Fils pour la rédemption du genre humain, et la ruine et l'impuissance à laquelle il réduisit les démons, et de les voir d'un autre côté exercer avec audace un si grand empire dans le monde. Les lumières que vous avez reçues pour écrire cette histoire suffiraient pour vous tirer de cet étonnement; je veux néanmoins vous donner de nouveaux éclaircissements afin que vous redoubliez de précautions contre des ennemis si pleins de malice. Il est certain que quand ils connurent le mystère de l'Incarnation et de la Rédemption, qu'ils virent mon très- saint Fils naître dans la pauvreté et vivre dans les humiliations et dans les mépris, quand ensuite ils eurent pénétré les secrets de sa vie, de ses miracles, de sa Passion, de sa mort mystérieuse et de toutes les autres choses qu'il fit dans le monde polir gagner les coeurs des hommes, Lucifer et ses démons se trouvèrent sans 219 aucune force pour tenter les fidèles comme ils avaient accoutumé de tenter les autres, et selon le souhait qu'ils en avaient toujours. Ce découragement des démons et la peur que leur inspiraient ceux qui étaient baptisés et qui suivaient notre Seigneur Jésus-Christ, durèrent plusieurs années dans la primitive Église; car le zèle avec lequel ils l'imitaient, la ferveur avec laquelle ils professaient sa sainte foi, embrassaient la doctrine de l'Évangile, et pratiquaient toutes les vertus par les actes les plus héroïques d'amour, d'humilité, de patience et de mépris des vanités du monde, faisait resplendir en eux la vertu divine à un point tel, que des milliers d'entre eux répandaient leur sang et sacrifiaient leur vie pour notre Seigneur Jésus- Christ, opérant les choses les plus merveilleuses et les plus excellentes pour la gloire de son saint nom. Cette force invincible leur venait de ce que la Passion, la mort de leur Rédempteur et le prodigieux exemple de sa patience et de son humilité, frappaient encore leurs yeux de près, et de ce qu'ils étaient moins vivement attaqués par les démons, qui ne pouvaient se relever du profond abattement dans lequel le triomphe da divin Crucifié les plongea. 1435. Les démons craignaient tant cette vive image et l'imitation de Jésus-Christ qu'ils reconnaissaient chez les premiers enfants de l'Église, qu'ils n'osaient s'en approcher et fuyaient même leur rencontre, ainsi qu'il leur arrivait à l'égard des apôtres et des autres justes qui furent assez heureux que de recevoir la doctrine de mon très-saint Fils pendant 220 qu'il vivait sur la terre. Ils offraient au Très-Haut dans leurs oeuvres très-parfaites les prémices de la grâce et de la rédemption. La même chose aurait continué à se produire jusqu'à présent, témoin les saints, si tous les catholiques eussent profité de la grâce par une coopération fidèle, et eussent suivi le chemin de la croix, comme Lucifer le craignait et comme vous l'avez expliqué. Mais peu à peu la charité, la ferveur, la dévotion se sont refroidies en beaucoup de fidèles qui ont suivi les inclinations et les désirs de la chair, aimé la vanité et les biens de la terre, et se sont laissé tromper par les illusions de Lucifer; de sorte qu'ils ont terni dans leur âme la gloire du Seigneur, en se livrant à ses plus grands ennemis. Voilà l'ingratitude monstrueuse qui a conduit le monde au déplorable état où il se trouve, et permis aux démons d'élever leur, orgueil contre Dieu, présumant d'assujettir tous les enfants d'Adam, grâce à la coupable indifférence des catholiques. Leur audace s'en est accrue à ce point, qu'ils ont entrepris de détruire toute l'Église en portant un si grand nombre de personnes à ne la point reconnaître, et ceux qui vivent dans son sein à la mésestimer, ou à ne point se prévaloir du prix du sang et de la mort de leur Rédempteur. Mais ce qui est le plus désolant, c'est que la plupart des catholiques ne parviennent point à connaître le mal et ne se soucient pas du remède; et pourtant ils ont sujet de croire qu'ils sont arrivés aux temps calamiteux dont mon très-saint Fils avait menacé le monde lorsqu'il dit, en s'adressant aux filles de Jérusalem, que les femmes 221 stériles seraient alors bienheureuses, et que les hommes demanderaient que les montagnes et les collines tombent sur eux pour les cacher, afin de ne point voir l'incendie allumé par tant de péchés énormes, sous les pieds des enfants de perdition qui y seront consumés comme des sarments desséchés et stériles (1). Vous vivez, ma fille, dans ce siècle malheureux, et afin que vous ne soyez pas entraînée dans la perte de tant d'âmes, pleurez-la amèrement, et n'oubliez jamais les mystères de l'Incarnation, de la Passion et de la mort de mon très-saint Fils; car je veux que vous en témoigniez une juste reconnaissance pour beaucoup de personnes qui les méprisent. Je vous assure que ce seul souvenir remplit les démons de terreur, et leur fait fuir ceux qui méditent avec reconnaissance la vie et les mystères de mon très-saint Fils. (1) Luc., XXIII, 28. 222 CHAPITRE XXIV. Le coup de lance donné au côté de Jésus-Christ après sa mort. - La descente de la croix et sa sépulture, et ce que fit la bienheureuse Vierge dans ces circonstances jusqu'à son retour au cénacle. 1436. L'évangéliste saint Jean dit que la bienheureuse Marie, Mère de Jésus, était auprès de la croix, accompagnée de Marie Cléophas et de Marie Madeleine (1). Et quoiqu'il rapporte cela avant que notre Sauveur eût expiré, on doit entendre que notre invincible Reine y resta encore après, et qu'elle s'y tint toujours debout, adorant son bien-aimé Jésus, mort sur cet arbre de vie, ainsi que la Divinité, qui était toujours unie au corps sacré de notre Rédempteur. Notre auguste Princesse était d'une constance inébranlable dans ses sublimes vertus, immobile au milieu des flots impétueux des douleurs qui pénétraient jusqu'au fond de son coeur ; et avec sa science éminente elle repassait en son esprit les mystères de la Rédemption, admirant l'harmonie avec laquelle la divine Sagesse les disposait. La plus grande affliction de cette Mère de miséricorde était l'ingratitude (1) Joan., XIX, 25. 223 par laquelle elle prévoyait que les hommes répondraient à un bienfait si rare et si digne d'une reconnaissance éternelle. Elle se demandait aussi avec inquiétude comment elle donnerait la sépulture au corps sacré de son très saint Fils, et qui le lui descendrait de la croix sur laquelle elle avait continuellement les yeux élevés. Dans ce pénible embarras, elle s'adressa en ces ternies aux anges qui l'assistaient: " Ministres du Très-Haut , mes amis dans la tribulation, vous savez qu'il n'y a point de douleur égale à la mienne ; dites-moi comment je descendrai de la croix mon bien-aimé. Où pourrai-je lui donner une sépulture honorable? car ce soin me regarde comme Mère. Dites-moi ce que je dois faire, et aidez-moi dans cette triste occasion. " 1417. Les saints anges lui répondirent.: " Reine et Maîtresse de l'univers, préparez votre mur à ce qu'il lui reste à souffrir encore. Le Très-Haut a caché sa gloire et sa puissance aux mortels, pour se soumettre aux dispositions impies et cruelles des méchants; et il continue à vouloir que l'on accomplisse à son égard les lois établies par les hommes ; or, une de ces lois porte que les condamnés à mort ne doivent pas être ôtés de la croix sans la permission du juge lui-même. Nous nous empresserions de vous obéir et de défendre notre Dieu et notre Créateur véritable : mais son bras nous arrête, parce qu'il veut en tout justifier sa cause, et verser encore en faveur des hommes le peu de sang qui lui reste, afin de les obliger d'autant 224 plus à répondre à son amour, qui les a rachetés avec tant d'abondance (1). Et s'ils ne profitent pas de ce bienfait, leur punition sera effroyable; et plus le Seigneur aura tardé à se venger, plus la vengeance sera rigoureuse." Cette réponse des anges augmenta la douleur de la Mère affligée; car il ne lui avait pas été révélé que son très-saint Fils dût encore être percé d'un coup de lance; aussi, fut-elle saisie d'une nouvelle tristesse, dans l'incertitude de ce qui arriverait au corps sacré du, Sauveur. 1438. Bientôt elle vit une troupe de gens armés qui venaient au Calvaire; et craignant qu'ils ne cour missent quelque nouvel attentat contre notre Rédempteur, qui avait déjà expiré sur la croix , elle s'adressa à saint Jean et aux Marie , et leur dit : " Hélas ! ma douleur est arrivée à son comble ; j'en ai le coeur brisé. Les bourreaux et les Juifs ne sont peut-être pas satisfaits d'avoir fait mourir, mon Fils et mon Seigneur. Ils prétendent sans doute exercer quelque nouvelle cruauté sur son sacré corps. " C'était la veille de la grande tète du Sabbat des Juifs; et pour la célébrer sans préoccupation, ils avaient prié Pilate de leur permettre de rompre les jambes aux trois crucifiés, pour hâter leur mort, et les descendre ce même soir de leurs croix, afin qu'ils n'y parussent point le jour suivant, qui leur était très- solennel (2). Cette compagnie de (4) Ps. CXXIX, 7. - (2) Joan., XIX, 31. 225 soldats que vit la bienheureuse Vierge, arriva au Calvaire avec cette intention. Et comme ils y trouvèrent les deux voleurs encore en vie, ils leur rompirent les jambes, et les firent mourir dans ce dernier tourment (1). Mais, voyant que notre Sauveur Jésus-Christ était déjà mort, ils se dispensèrent de lui rompre les jambes (2), accomplissant par là la mystérieuse prophétie qui est contenue dans l'Exode, où le Seigneur leur défendait de rompre les os de l'Agneau figuratif qu'ils mangeaient le jour de Pàque (3). Cependant un soldat appelé Longin s'approcha de notre Rédempteur, et lui ouvrit le côté avec sa lance (4); et aussitôt il en sortit du sang et de l'eau, comme l'assure saint Jean, qui, témoin du prodige, rendit témoignage à la vérité (5). 1439. La bienheureuse Marie sentit le coup de lance que le corps inanimé de Jésus ne pouvait sentir, percée de la même douleur que si elle eût reçu la blessure. Mais cette douleur qu'elle éprouva dans son corps céda à celle qui remplit son âme très- sainte quand elle vit la cruauté inouïe avec laquelle on ouvrit le côté à son adorable Fils après sa mort. Et touchée d'une égale compassion, elle oublia ses propres maux pour dire à Longin : Que le Tout-Puissant vous regarde avec des yeux de miséricorde, pour la peine que vous avez causée à mon âme. Voilà jusqu'où alla son indignation, ou, pour mieux dire, (1) Joan., XIX, 32. - (2) Ibid., 33. - (3) Exod., XII, 46. - (4) Joan., XIX, 34. - (5) Ibid., 35. 226 sa douce clémence, pour l'enseignement de tous ceux qui auraient à se plaindre de quelque offense. Car elle considérait que Jésus-Christ avait reçu après sa mort une très-grande injure par ce coup de lance; et cependant ce fut par le plus grand des bienfaits qu'elle paya de retour celui qui la lui fit, puisqu'elle obtint que Dieu le regardât avec des yeux de miséricorde, lui rendit le bien pour le mal, et le comblât de bénédictions et de grâces. Il arriva donc que notre Sauveur, exauçant la prière de sa très-sainte Mère, voulut que du sang et de l'eau qui coulèrent de son divin côté, quelques gouttes rejaillissent sur le visage de Longin, et par cette faveur il lui accorda la vue corporelle dont il était presque privé, et éclaira cri même temps son âme, afin qu'il connût le Crucifié qu'il avait inhumainement percé. Par cette connaissance, Longin se convertit; et pleurant ses péchés , il les lava dans le sang et l'eau qui s'échappèrent du côté de Jésus-Christ, qu'il reconnut pour vrai Dieu et pour le Sauveur du monde. Et aussitôt il fit une déclaration publique de ses sentiments devant les Juifs pour leur plus grande confusion, et en témoignage de leur endurcissement et de leur perfidie. 1440. Notre très-sage Reine pénétra le mystère du coup de lance, et comprit que de ces dernières gouttes de sang et d'eau, qui jaillirent du côté de son très-saint Fils, allait sortir l'Église nouvelle, purifiée et rajeunie en vertu de sa Passion et de sa mort , et que de son sacré coeur sortaient encore 227 comme de leur racine les branches qui , chargées de fruits de la vie éternelle, se sont étendues par tout le monde. Elle repassa en son esprit le mystère de ce rocher frappé de la verge de la justice du Père éternel, afin qu'il en jaillit de l'eau vive pour apaiser la soif de tout le genre humain, et rafraîchir tous ceux qui en boiraient (1). Elle considéra les relations qui se trouvaient entre ces cinq fontaines des pieds, des mains et du côté, ouvertes dans le paradis nouveau de la très-sainte humanité de notre Seigneur Jésus-Christ, et bien plus abondantes, bien plus propres à fertiliser le monde que le fleuve du Paradis terrestre, divisé en quatre canaux pour arroser la superficie de la terre (2). Elle résuma ces mystères et plusieurs autres dans un cantique de louange qu'elle fit à la gloire de son très-saint Fils, après qu'il eut reçu le coup de lance: outre ce cantique, elle fit une très-fervente prière, afin que tous ces mystères fussent accomplis en faveur de tout le genre. humain. 1441. Le soir de ce jour de la préparation était déjà fort avancé, et la tendre Mère ne savait pas encore comment elle pourrait satisfaire son désir de donner la sépulture au corps de son adorable Fils : car le Seigneur voulait adoucir les peines de sa très-sainte Mère par les moyens particuliers que sa divine Providence avait ménagés, en inspirant à Joseph d'Arimathie et à Nicodème de demander la permission (1) Exod., XVII, 6. - (2) Gen., II, 10. 229 d'enterrer le corps de leur divin Maitre (1). Tous deux étaient disciples du Seigneur, et justes, quoiqu'ils ne fussent point du nombre des soixante-douze ; mais ils ne se déclaraient point ouvertement parce qu'ils redoutaient les Juifs, qui regardaient comme suspects et même comme ennemis tous ceux qui suivaient la doctrine de Jésus-Christ et le reconnaissaient pour leur Maître. Le plan de la volonté divine relativement à la sépulture qu'elle désirait procurer à son très-saint Fils, n'avait point été communiqué à la très-prudente Vierge : c'est pourquoi les difficultés qui se présentaient à son imagination augmentaient le douloureux embarras d'où elle ne savait comment se tirer par elle-même. Dans cette affliction elle leva les yeux vers le ciel, et dit : " Père éternel, j'ai été, par votre bonté et votre sagesse infinie, élevée de la poussière à la très-haute dignité de Mère de. votre Fils éternel, et me comblant de vos dons avec une libéralité immense comme votre Être, vous avez bien voulu que je le nourrisse de mon propre lait, que je pourvusse à ses besoins, et que je l'accompagnasse jusqu'à la mort ; je suis maintenant obligée en qualité de Mère de donner une sépulture honorable à son sacré corps, et tout ce que je puis faire dans l'état où je me trouve, c'est de la lui souhaiter, et de m'affliger de ce que je n'ai pas le moyen d'accomplir mon désir. O mon Dieu, je supplie votre (1) Joan., XIX, 38 229 Majesté de me le procurer par votre toute-puissance. " 1442. Telle est la prière que fit la compatissante Mère après que le corps de Jésus eut reçu le coup de lance. Un instant après elle vit venir vers le Calvaire une troupe de gens avec des échelles et d'autres préparatifs, et elle put supposer qu'ils venaient ôter de la croix son trésor inestimable ; mais comme elle ne pénétrait point leurs intentions, elle entra dans de nouvelles alarmes à la pensée de la cruauté des Juifs, et s'adressant à saint Jean, elle lui dit : " Mon fils, quel serait le dessein de ces gens qui viennent avec tant de préparatifs? " L'apôtre répondit : " Chère Dame, ne craignez point ; car ceux que nous voyons venir sont Joseph et Nicodème accompagnés de leurs domestiques; ce sont tous des amis et des serviteurs de votre très-saint Fils mon Seigneur. " Joseph était juste aux yeux de Dieu, estimé du peuple, d'une naissance illustre, et l'un des magistrats de la ville (1); il siégeait donc ordinairement au conseil, comme l'Évangile le fait entendre en disant que Joseph n'avait point adhéré aux projets, ni connivé à la conduite des homicides de Jésus-Christ, qu'il reconnaissait pour le Messie véritable (2). Et si Joseph ne s'était point avant la mort du Sauveur déclaré ouvertement son disciple, alors du moins il le lit avec éclat, l'efficace de la rédemption produisant des effets tout nouveaux. (1) Luc., XXIII, 50. - (4) Ibid., 51. 230 Chassant la crainte. qu'il avait auparavant de l'envie des Juifs et du pouvoir des Romains, il s'en vint hardiment trouver Pilate, et lui demanda le corps de Jésus (1), pour le descendre de la croix, et lui donner une sépulture honorable ; attestant qu'il était innocent et le vrai Fils de Dieu , et que cette vérité était établie par les miracles de sa vie et de sa mort. 1443. Pilate n'osa point refuser à Joseph ce qu'il demandait ; ainsi il lui permit de disposer du corps de Jésus comme il jugerait à propos. Ayant reçu cette permission, il sortit de la maison du juge et appela Nicodème, qui était aussi juste, et savant dans les lettres divines et humaines, comme on le peut inférer de ce qui arriva lorsqu'il alla, suivant le récit de saint Jean , trouver Jésus dans la nuit pour entendre sa doctrine (2). Ces deux saints personnages prirent courageusement la résolution de donner la sépulture à Jésus crucifié. Joseph prépara un linceul blanc pour l'envelopper (3), et Nicodème acheta environ cent livres de parfums (4), dont les Juifs avaient accoutumé de se servir pour embaumer les corps des personnes les plus distinguées. Ils se, rendirent au Calvaire avec ces préparatifs et tous les instruments nécessaires, accompagnés de leurs serviteurs et de plusieurs gens pieux , en qui opérait aussi le sang du divin Crucifié, qui avait été répandu pour tous. (1) Marc., XV, 13. - (2) Joan., III, 2. - (3) Matth., XXVII, 39. - (4) Joan., XIX, 39. 231 1444. Ils arrivèrent en présence de la bienheureuse Marie, qui se tenait plongée dans la plus profonde douleur an pied de la croix, avec saint Jean et les Marie. Et au lieu de la saluer, ils furent si touchés de ce triste spectacle, qu'ils restèrent quelque temps prosternés aux pieds de notre auguste Reine, et les uns et les autres au pied de la croix, sans pouvoir retenir leurs larmes ni proférer aucune parole. Ils ne cessèrent de gémir et de sangloter que lorsque notre invincible Princesse les releva de terre, les consola et les anima; et alors ils la saluèrent avec une humble compassion. La très-prévoyante Mère les remercia de leur piété et de l'hommage qu'ils rendaient à leur Dieu et à leur Maître en donnant la sépulture à son très-saint corps, et elle leur portait au nom du Seigneur la récompense de cette bonne oeuvre. Joseph d'Arimathie dit à la bienheureuse Vierge : " Chère Dame, nous sentons déjà au fond de nos coeurs la douce et forte action de l'Esprit divin qui nous remplit de sentiments si tendres, que nous ne saurions ni les mériter ni les exprimer. " Aussitôt Joseph et Nicodème ayant quitté leurs manteaux , dressèrent eux-mêmes les échelles contre la croix, et y montèrent pour détacher le corps du Sauveur; et comme la glorieuse Mère en était fort proche, avec saint Jean et la Madeleine qui l'assistaient, Joseph craignit que la douleur de la divine peine ne se renouvelât si elle voyait déclouer le sacré corps, et si elle le touchait quand ils le descendraient. Il avertit donc l'apôtre de l'entraîner 232 un peu à l'écart, afin de lui épargner cette nouvelle affliction. Mais saint Jean, qui connaissait mieux le coeur invincible de notre auguste Dame, lui répondit que dès le commencement de la Passion elle s'était trouvée présente à toutes les peines du Seigneur, et qu'elle ne le quitterait point jusqu'à la fin : parce qu'elle le révérait comme son Dieu, et l'aimait comme le Fils de ses entrailles. 1445. Ils la supplièrent néanmoins de vouloir bien se retirer un peu pendant qu'ils descendraient de la croix le corps de leur Maître. Mais la bienheureuse Vierge leur répondit : " Chers amis, puisque je me suis trouvée présente lorsqu'on a cloué mon très saint Fils sur la croix, permettez que je le sois quand on l'en détachera; car quoique une chose si touchante doive de nouveau me déchirer le coeur, plus je la verrai de près, plus elle adoucira mes peines. " En conséquence de cette réponse, ils se disposèrent à descendre le corps du Sauveur. Ils commencèrent par lui ôter la couronne d'épines, et découvrirent par là les profondes blessures qu'elles avaient faites à son chef sacré. Ils la descendirent avec beaucoup de vénération et de larmes, et la mirent entre les mains de sa très-douce Mère. Elle la reçut à genoux, et l'adora avec une dévotion admirable, la baisant et l'arrosant de ses larmes; et elle la pressa si fort de ses lèvres, que quelques pointes y pénétrèrent. Elle pria le Père éternel de faire que ces épines, consacrées par le sang de son Fils, fussent tenues en grande vénération par les fidèles qui 233 auraient plus tard le bonheur d'en être dépositaires. 1446. Puis, à l'exemple de la divine Mère, saint .Jean, la Madeleine, les Marie et d'autres femmes dévotes, et quelques fidèles qui se trouvaient là, adorèrent cette sainte couronne, ainsi que les clous que la bienheureuse Vierge avait également reçus et adorés la première. Quand on descendit le corps de notre adorable Sauveur, sa très-sainte Mère voulant le recevoir se mit à genoux et étendit ses bras avec le linceul déplié; saint Jean était du côté de la tête, et la Madeleine du côté des pieds pour aider Joseph et Nicodème, et tous ensemble, les yeux baignés de larmes, le remirent avec le plus grand respect entre les bras de la plus tendre des mères. En ce moment elle se sentit également pénétrée de compassion et de joie; car la vue de ce Fils, le plus beau des enfants des hommes (1), alors couvert de plaies et défiguré, renouvela toutes les douleurs de son âme; mais si en le tenant dans ses bras, en le pressant contre son sein, elle souffrait quelque chose d'inexprimable, elle goûtait en même temps, par la possession de son trésor, des consolations et des douceurs qui satisfaisaient l'ardeur de son amour. Elle lui rendit le culte de la plus humble adoration en versant des larmes de sang. Après qu'elle l'eut adoré, tous les anges qui l'accompagnaient l'adorèrent aussi, sans toutefois que les assistants s'en aperçussent. Saint Jean à son tour adora le corps sacré de notre Rédempteur, et après lui tous les (1) Ps. XLIV, 3. 234 autres l'adorèrent, chacun selon son rang. Pendant cette adoration la très-prudente Mère le tenait entre ses bras, assise par terre. 1447. Notre grande Reine agissait dans toutes ces circonstances avec tant de sagesse et de prudence, qu'elle était l'admiration des hommes et des anges; car ses discours toujours mesurés , étaient à la fois pleins d'une douce tendresse et d'une vive compassion pour ce divin objet, naguère si beau (1), de plaintes amoureuses et du sens le plus mystérieux. Elle appréciait la perte qu'elle venait de faire au de-là de toutes celles qui peuvent affliger les mortels. Elle attendrissait les coeurs et éclairait les âmes pour leur faire connaître le mystère qu'elle repassait en son esprit. Enfin elle présentait dans toute sa personne le modèle de la plus haute perfection; on y découvrait une humble majesté, et la sérénité de son visage n'était point altérée par l'indicible tristesse de son coeur. Calme au milieu de cette lutte de sentiments si divers, elle parlait à son bien-aimé Fils, au Père éternel, aux anges, aux assistants, et à tout le genre humain, pour la rédemption duquel Jésus avait bien voulu souffrir et mourir. Je n'entrerai pas dans de plus longs détails sur les actions et les discours de notre auguste Princesse dans ce cas; la piété chrétienne trouvera assez de matière pour s'y étendre, et il m'est d'ailleurs impossible de m'arrêter à chacun de ces vénérables mystères. (1) Ps., XLIV, 3. 235 1448. Après que la Mère de douleurs eut gardé quelque temps le corps de son adorable Fils sur ses genoux, saint Jean et Joseph la supplièrent de leur permettre de l'ensevelir, parce qu'il était déjà fort lard. La très-prudente Mère le leur permit, et le corps du Sauveur fut embaumé sur le même linceul dont cous avons parlé, et avec les aromates et les parfums que Nicodème avait achetés, et qui servirent tous à leur destination (1). On le mit ensuite dans un cercueil pour le porter au sépulcre. Notre auguste Princesse, qui était très-attentive à tout, convoqua un grand nombre d'anges du ciel, afin qu'ils assistassent avec ceux de sa garde à la sépulture du corps de leur Créateur, et ils descendirent à l'instant sous des formes humaines, invisibles toutefois pour tous, excepté pour leur Reine. Une procession eut lieu, où se trouvaient les anges et les hommes : saint Jean, Joseph, Nicodème, et le centenier qui assista à la mort du Sauveur, et qui le reconnut pour le vrai Fils de Dieu, furent les quatre qui portèrent le sacré corps. La divine Mère les suivait, accompagnée de Madeleine, des Marie et de quelques autres femmes dévotes ses disciples. A elles se joignirent beaucoup de fidèles qui, éclairés de la divine lumière, vinrent au Calvaire après le coup de lance. Tous se dirigèrent dans cet ordre, au milieu d'un profond silence et versant des larmes, vers un jardin qui était proche,et dans lequel Joseph avait un sépulcre neuf où l'on n'avait (1) Joan., XIX, 40. 236 encore mis personne (1). Ils déposèrent dans ce sépulcre béni le sacré corps de Jésus. Et avant qu'on le fermât, sa très-sainte Mère l'adora de nouveau. Après qu'elle lui eut rendu ce culte, les anges et les hommes adorèrent aussi leur Seigneur, puis l'on ferma le sépulcre avec une pierre qui était fort grande, comme le rapporte l'évangéliste (2). 1449. Aussitôt que le sépulcre de Jésus-Christ fut fermé, ceux qui s'étaient ouverts au moment de sa mort se fermèrent de nouveau, jusque-là ils s'étaient (mystère qui n'était pas le seul que renfermât ce prodige) pour ainsi dire tenus prêts à recevoir, par un heureux sort, le corps de leur Créateur incarné; ils ne pouvaient lui offrir que cet asile, lorsque les Juifs n'avaient point voulu, malgré ses bienfaits, le recevoir pendant sa vie. Plusieurs anges demeurèrent pour garder le sépulcre, par ordre de leur Reine, qui y laissait son trésor. Tous ceux qui avaient assisté à la sépulture du corps sacré du Sauveur, revinrent su Calvaire dans le même silence et le même ordre qu'ils avaient gardé en le quittant. La Maîtresse des vertus s'approcha de la sainte croix et l'adora avec une tendre dévotion. Saint Jean, Joseph et tous ceux qui s'étaient trouvés aux funérailles, lui rendirent ensuite le même culte. Le soleil s'était déjà couché , et notre auguste Princesse partit du Calvaire pour s'en retourner au cénacle, où ce saint cortège la suivit. Elle y entra avec saint Jean, les Marie et leurs compagnes; les (1) Joan., XIX, 41. - (2) Matth., XXVII, 60. 237 autres prirent congé d'elle après lui avoir demandé sa bénédiction avec beaucoup de larmes. La très-humble et très-prudente Dame les remercia du service qu'ils avaient rendu à son très-saint Fils, et de la consolation qu'elle en avait reçue, puis elle les renvoya comblés de bienfaits intérieurs, et tout attendris de sa douceur admirable et de sa profonde humilité. 1450. Les Juifs, confondus et troublés par ce qui se passait, allèrent chez Pilate le samedi matin (1), pour le prier de faire garder le sépulcre, disant que Jésus-Christ (qu'ils appelèrent ce séducteur) avait dit qu'il ressusciterait après trois jours, et que ses disciples pourraient bien dérober le corps et dire qu'il serait ressuscité. Pilate acquiesça à cette malicieuse prévoyance, il leur accorda les gardes qu'ils demandaient, et ils les mirent au sépulcre (2). Mais les perfides Juifs ne prétendaient qu'obscurcir l'événement qu'ils craignaient , comme on le découvrit depuis quand ils subornèrent les gardes pour leur faire dire que notre Seigneur Jésus-Christ n'était point ressuscité, mais que ses disciples l'avaient enlevé (3). Et comme il n'y a point de conseil contre le Seigneur (4), toutes ces précautions ne servirent qu'à mieux établir et divulguer la résurrection. (1) Matth., XXVII, 62. - (2) Ibid., 65. - (3) Matth., XXVIII, 13. - (4) Prov., XXI, 30. 238 Instruction que j'ai reçue de notre auguste Maîtresse. 1451. Ma fille, le coup de lance que mon très-saint Fils reçut dans son sacré côté ne fut douloureux que pour moi; mais ses effets et ses mystères sont très-doux pour les âmes saintes qui en savent goûter la douceur. J'en fus fort affligée, mais cette faveur mystérieuse est d'une grande consolation pool, ceux qui en ont profité. Pour apprendre à y participer, vous devez considérer que mon Fils et mon Seigneur voulut, par le très-ardent amour qu'il a pour les hommes, recevoir, outre les plaies des mains et des pieds, celle du côté, qui lui ouvrit le coeur, siége de l'amour, afin que les âmes entrassent, en quelque façon par cette porte pour goûter cet amolli en le puisant à sa propre source, et que ce fût le lieu de leur refuge. Je veux que vous n'en ayez point d'autre pendant votre exil, et. que vous y fassiez votre demeure assurée tant que vous vivrez. C'est là où vous apprendrez les conditions et les lois de l'amour clans lequel vous m'imiterez, et où vous comprendrez que vous devez rendre des bénédictions pour les injures qui vous seront faites, à vous ou à vos proches, volume vous avez vu que je le faisais quand je fus moi-même percée du coup de lance que mon très-saint Fils reçut au côté après sa mort. Je vous déclare, ma très-chère fille, que vous ne sauriez rien faire de plus utile et de plus efficace pour acquérir la grâce du Très-Haut que vous souhaitez. Et la prière que 239 vous ferez en pardonnant les injures sera extrêmement profitable, non-seulement pour vous, mais encore pour ceux qui vous auront offensée; car mon très-saint Fils est tout touché quand il voit que les créatures l'imitent, en pardonnant à ceux qui les outragent et en priant pour eux, parce qu'ainsi elles participent. à la très- excellente charité qu'il a fait éclater sur la croix. Gravez dans votre coeur cette doctrine, et pratiquez-la pour m'imiter en la vertu que j'ai estimée le plus. Regardez par cette plaie le coeur de Jésus-Christ votre Époux , et considérez avec quelle tendresse, avec quelle générosité j'ai aimé eu lui ses bourreaux et toutes les créatures. 1452. Méditez aussi sur la providence admirable du Très-Haut, voyez combien elle est ponctuelle à secourir à temps les créatures qui l'invoquent dans leurs besoins avec une confiance véritable, comme sa divine Majesté le fit à mou égard, quand je me trouvai si affligée à cause de l'impuissance où j'étais de donner la sépulture à mon très-saint Fils, selon mou obligation. Le Seigneur voulant me secourir dans cette nécessité, inspira à Joseph, à Nicodème et aux autres fidèles qui vinrent ensevelir son corps, les sentiments d'une pieuse charité. Et ces hommes justes me consolèrent tellement dans cette pénible circonstance, que le Très-Haut ayant égard à cette bonne couvre et à mes prières, les remplit d'ineffables influences de sa divinité; ils en furent favorisés tout le temps qu'ils employèrent à descendre de la croix le corps du Sauveur et à lui donner la sépulture; et dès lors ils furent 240 renouvelés et éclairés pour pénétrer les mystères de fi rédemption. Tel est l'ordre admirable que garde dans sa conduite la douce et forte Providence du Très-Haut pour rendre certaines créatures dignes de récompense, elle en met d'autres dans l'affliction ; elle excite la pitié des personnes qui peuvent venir en aide aux nécessiteux, afin que leurs bienfaits et la prière des pauvres qui les reçoivent, leur attirent la grâce qu'elles ne mériteraient point si elles n'exerçaient ces oeuvres charitables. Et le Père des miséricordes, qui nous inspire et nous facilite par ses secours la pratique d'une bonne oeuvre, daigne accorder ensuite la récompense comme si elle nous était due en justice, parce que nous répondons à ses inspirations par la faible coopération que nous apportons de notre côté , quoique tout le bien qui se trouve en ce que nous faisons vienne de sa main libérale (1). 1453. Considérez aussi l'ordre très-équitable de cette Providence en la justice qu'elle exerce, réparant les outrages que l'on reçoit avec patience. Ainsi, mon très- saint Fils ayant souffert une mort pleine d'opprobres , le Très-Haut ordonna aussitôt qu'il fût enseveli avec honneur, et suscita une foule de personnes qui le reconnurent pour le vrai Dieu et le Rédempteur véritable, et qui déclarèrent ouvertement qu'il était saint, innocent et juste; et il fit qu'au moment même où ses bourreaux venaient de le crucifier avec tant d'ignominie, il fût adoré comme le, vrai Fils de (1) Jacob., I, 17. 241 Dieu ; et que ses propres ennemis confondus sentissent intérieurement l'horreur du crime qu'ils avaient commis en le persécutant. Quoiqu'ils n'aient pas tous profité de sa bonté, ces bienfaits n'en furent pas moins des effets de l'innocence et de la mort du Seigneur. Je contribuai aussi par mes. prières à le faire connaître et révérer des secrets serviteurs qu'il s'était choisis. CHAPITRE XXV. Comment notre auguste Reine consola saint Pierre et les autres apôtres. - La prudence avec laquelle elle agit après la sépulture de son fils. - Comment elle vit descendre son âme très-sainte dans les limbes des saints Pères. 1454. La plénitude de la sagesse qui éclairait l'entendement de la bienheureuse Marie, la rendait attentive à tout ; de sorte que, même au milieu de ses douleurs, elle- prévoyait et ordonnait toujours ce qu'il fallait faire selon les temps et les circonstances, sans oublier ni négliger quoi que ce fût. Et par cette prudence céleste elle pratiquait ce que toutes les vertus ont de plus saint et de plus parfait. Après les funérailles de notre Seigneur Jésus-Christ , elle se retira, comme on l'a vu plus haut, dans la maison du Cénacle. Et se trouvant dans. la salle où les cènes furent célébrées, 242 avec saint Jean, les Marie et quelques autres saintes femmes qui avaient suivi le Seigneur depuis soli départ de la Galilée, elle s'adressa à elles et à l'apôtre, et les remercia avec une profonde humilité et avec beaucoup de larmes, de la fidélité avec laquelle elles l'avaient accompagnée durant toute la Passion de son bien-aimé Fils; elle leur promit en son nom la récompense de leur constante piété et de leur sainte affection , et s'offrit encore à être leur servante et leur amie. Saint Jean et ces saintes femmes lui rendirent des actions de grâces pour cette grande faveur, lui baisèrent les mains et lui demandèrent sa bénédiction. Ils la prièrent aussi de reposer un peu et de prendre quelque nourriture. Mais notre auguste Reine leur répondit : Tout mon repos et toute ma nourriture consistent à voir mon Fils et mon Seigneur ressuscité. Satisfaites, vous autres, vos besoins comme il convient, pendant que je me retirerai auprès de mon Fils. 1455. Elle alla aussitôt dans sa retraite accompagnée de saint Jean, et s'y trouvant seule avec lui, elle se mit à genoux et lui dit : " Il ne faut pas que vous oubliiez les paroles que mon très-saint Fils nous a adressées du haut de la croix. Il a bien voulu, par sa divine bonté, vous désigner pour mon fils, et moi pour votre mère. Vous êtes prêtre du Très-Haut, et à raison de votre éminente dignité, il est juste que je vous obéisse dans toute ma conduite ; c'est pourquoi je veux que dès maintenant vous me prescriviez ce que je devrai faire : car 243 j'ai toujours été servante, et toute ma joie consiste à obéir jusqu'à la mort. " Ce disant, notre auguste princesse versa beaucoup de larmes. Et l'apôtre, sans pouvoir retenir les siennes, lui répondit : " Chère Dame, Mère de mon Rédempteur, c'est moi qui dois vous être soumis; car le nom de fils ne marque aucune autorité, mais plutôt l'obligation rigoureuse d'obéir à sa mère ; et Celui qui m'a fait prêtre vous a choisie pour être sa Mère, et s'est soumis à votre volonté (1), quoiqu'il fût le Créateur de l'univers. Il est bien juste que je vous obéisse aussi, et que je fasse tous mes efforts pour remplir dignement la charge qu'il m'a confiée de vous servir comme fils ; et pour m'acquitter de mes devoirs en cette qualité, je voudrais être plus ange qu'homme. " Cette réponse de l'apôtre fut très-sage, mais elle ne fut pas assez convaincante pour vaincre l'humilité de la Mère des vertus, qui repartit humblement : " Mon fils Jean, toute ma satisfaction sera de vous obéir comme au chef , puisque vous l'êtes. Dans cette vie passagère, je dois toujours avoir un supérieur auquel et ma volonté et mes sentiments soient soumis : c'est pour cela que vous êtes ministre du Très-Haut, et, comme fils, vous me devez cette consolation dans ma pénible solitude. " Saint Jean répondit : " Ma Mère, que votre volonté soit faite, car en elle je trouverai toute ma sûreté. " Et sans plus de réplique, (1) Luc., II, 51. 244 la divine Mère lui demanda la permission de demeurer seule dans la méditation des mystères' de son très-saint Fils, et le pria d'aller chercher quelque nourriture pour les femmes qui l'accompagnaient, de les assister et de les consoler. Elle en excepta seulement les Marie, parce qu'elles désiraient persévérer dans le jeûne jusqu'à ce quelles eussent vu le Seigneur ressuscité, et elle recommanda à saint Jean de leur laisser satisfaire leur dévotion. 1456. Saint Jean alla consoler les Marie, et exécuta l'ordre que la Reine du ciel lui avait donné. Et après qu'il eut pourvu aux besoins de ces pieuses femmes, elles se. retirèrent, et consacrèrent cette nuit à de douloureuses méditations sur la Passion et sur les mystères du, Sauveur. La bienheureuse Marie agissait avec cette prudence divine, pratiquant l'obéissance, l'humilité, la charité, et prévoyant tout ce qui était nécessaire avec une ponctualité, merveilleuse, quoiqu'elle fût plongée dans la plus amère désolation. Elle prit soin de ses pieuses disciples sans s'oublier elle-même , et sans négliger ce qui regardait sa plus grande perfection. Tout en approuvant l'abstinence de Marie comme étant plus fortes et plus ferventes en amour, elle prévint les besoins de celles qui étaient plus faibles. Elle avertit l'apôtre de ce qu'il devait faire à son égard, et se. montra en tout la Maîtresse de la perfection et la Reine de la grâce. Telle fut sa conduite au moment où les eaux de la tribulation étaient débordées sur son âme (1). (1) Ps. LXVIII, 1. Car, une, fois seule dans sa retraite, elle donna libre cours aux sentiments douloureux qui agitaient tout son être, et,laissa ses puissances intérieures et extérieures s'abîmer dans l'amertume de son coeur, se représentant les images de tous les mystères de la mort ignominieuse de son très-saint Fils; de ceux de sa vie, de sa prédication et de ses miracles, du prix infini de la rédemption des hommes, de l'Église nouvelle qu'il avait établie, ornée d'une merveilleuse beauté; enrichie de ses sacrements et de tous les trésors de sa grâce, du bonheur incompréhensible de tout le genre humain, racheté avec tant d'abondance et de gloire, de la félicité certaine réservée aux prédestinés, et de la perte effroyable des réprouvés, qui se rendraient volontairement indignes de la gloire éternelle que son Fils leur avait méritée. 1457. L'auguste Vierge passa toute la nuit dans la considération de ces sublimes mystères" pleurant et gémissant, louant et glorifiant les oeuvres de son Fils, sa Passion, ses jugements impénétrables, et d'autres ineffables secrets de la divine sagesse et de la providence du Seigneur ; elle les repassait tous dans son esprit, et les pénétrait comme l'unique Mère de la véritable sagesse ; s'entretenant tantôt avec les saints anges, et tantôt avec le Seigneur lui-même, de ce que sa divine lumière. lui en faisait connaître intérieurement: Le samedi matin, un peu après quatre heures, saint Jean alla voir la Mère affligée avec le désir de la consoler. Et s'étant mise 246 à genoux, elle le pria de lui donner sa bénédiction comme prêtre et comme son supérieur. Le nouveau fils la lui demanda à son tour avec beaucoup de larmes, et ils se la donnèrent réciproquement. Notre grande Reine l'engagea à parcourir immédiatement la ville, où il ne tarderait pas à rencontrer saint Pierre, qui venait la chercher ; elle lui dit de l'accueillir avec cordialité, de le consoler et de le mener en sa présence; et d'en faire de même à l'égard des autres apôtres qu'il rencontrerait, leur donnant l'espérance du pardon , et leur promettant son amitié. Saint Jean sortit du Cénacle, et quelques instants après il rencontra saint Pierre tout confus et tout baigné de larmes, qui se rendait en tremblant auprès de notre auguste Reine. Il venait de la grotte, où il avait pleuré son renoncement ; l'évangéliste le consola, et l'encouragea par la promesse qu'il lui fit de la part de la divine Mère. Ils cherchèrent tous deux les autres apôtres: ils en trouvèrent quelques-uns, et ils allèrent ensemble au Cénacle, où était leur véritable remède. Pierre se présenta tout seul le premier à la Mère de la grâce, et se jetant à ses pieds, il dit, le coeur pénétré d'une profonde douleur : " J'ai péché, Vierge sainte, j'ai péché devant mon Dieu, j'ai offensé mon Maître, et vous aussi. s Il ne lui fut pas possible d'en dire davantage, tant il était suffoqué par les soupirs, par les larmes, et par les sanglots que lui arrachait le souvenir de son infidélité. 1458. La bienheureuse Marie voyant dans Pierre 247 prosterné à la fois le pécheur repentant de sa faute récente et le chef de l'Église, choisi de son très-saint Fils pour être son vicaire, ne crut pas convenable de se prosterner elle-même aux pieds du pasteur, qui avait si peu de temps auparavant renié son Maître; mais dans son humilité, elle ne savait non plus se résoudre à ne point lui rendre l'hommage qui était dû à sa dignité. Pour ne manquer ni à l'un ni à l'autre de ses devoirs, elle jugea qu'elle pouvait l'honorer par un acte extérieur, en lui en dissimulant le motif. Ainsi elle se mit à genou-, voulant lui témoigner son respect; mais elle lui dit tut même temps , pour cacher son intention : " Demandons pardon de votre péché à mon Fils et votre Maître. " Elle pria Dieu et encouragea l'apôtre, le fortifiant dans l'espérance, et lui représentant les miséricordes dont le Seigneur avait usé envers les pécheurs convertis, et l'obligation qu'il avait, comme chef du collège des apôtres, de confirmer les autres dans la foi par son exemple. C'est par des exhortations semblables, toutes pleines de force et de douceur, qu'elle affermit Pierre dans l'espérance du pardon. Les autres apôtres se présentèrent à leur tour devant la très-pure Marie, et se prosternant aussi à ses pieds, lui demandèrent. pardon de la lâcheté avec laquelle ils avaient abandonné son très-saint Fils dans sa Passion. Ils pleurèrent amèrement leur péché, et la présente de la bienheureuse Vierge, qui leur montrait une tendre compassion, augmentait la vivacité de leur repentir, car il éclatait sur son visage une vertu 248 si admirable, qu'elle produisait en eux de divins effets de contrition de leurs péchés, et d'amour, pour. leur adorable Maître. Notre auguste Princesse les releva et les encouragea, en leur promettant le par-, don qu'ils souhaitaient, et son intercession pour le leur obtenir. Ils commencèrent ensuite, chacun selon son rang, à lui raconter ce qui leur était arrivé dans leur- fuite, comme si notre Reine en eût ignoré quelque chose. Elle les écouta avec bonté, prenant occasion de ce qu'ils disaient pour leur parier au tueur, les confirmer dans la foi de leur Rédempteur, et rallumer en eux son divin amour. La très-pure Marie vint efficacement à bout de tout cela, car ils la quittèrent animés de ferveur et justifiés par de, nouveaux accroissements de grâce. 1459. La bienheureuse Mère passa une partie du samedi dans ces saints entretiens. Et quand le soir vint, elle se retira une seconde fois, laissant les, apôtres renouvelés en esprit, pleins de consolation et de joie du Seigneur, mais toujours profondément touchés de la Passion de. leur Maître. De son côté, notre divine Reine s'appliqua à considérer ce que l'âme très-sainte de son Fils faisait depuis qu'elle était sortie de son. corps sacré. Elle sut alors que cette âme de Jésus-Christ, unie à la Divinité, descendait dans les limbes des saints patriarches, pour les tirer de cette prison souterraine, où ils étaient retenus depuis le premier juste qui mourut dans le monde, attendant la venue du Rédempteur universel des hommes. Pour exposer, ce mystère, qui est un 249 des articles de la très-sainte humanité de, notre Seigneur Jésus-Christ, il me paraît utile de donner ici les notions que j'ai reçues sur les limbes, et sur leur situation. Or je dis que la terre a deux mille cinq cent deux lieues de diamètre, passant par le centre d'une superficie à l'autre; et jusqu'au demi diamètre, qui est le centre, il y en a mille deux cent cinquante-une : et l'on doit mesurer la circonférence de ce globe par rapport au diamètre. L'enfer des damnés se trouve dans le centre comme dans le coeur de la terre; c'est un abîme, une chaos qui contient plusieurs gouffres ténébreux, où les peines sont différentes, mais toutes effroyables et terribles ; et tous ces gouffres forment un globe, qui est lait à peu près comme un vase d'une dimension immense, dont l'orifice est fort large. Les démons et tous les damnés étaient dans cet horrible lieu de confusion et de tourments, et ils y seront pendant toute l'éternité, tant que Dieu sera Dieu ; car dans l'enfer il n'y a point de rédemption. 1460. A l'un des côtés de l'enfer se trouve le purgatoire, où les âmes des justes se purifient, lorsque pendant cette vie elles n'ont pas entièrement satisfait pour leurs péchés; et quelles n'en sont pas, sorties assez pures pour pouvoir arriver aussitôt à la vision béatifique. Cet antre est fort grand aussi, mais il l'est beaucoup moins que l'enfer : et quoiqu'il y ait de grandes peines dans le purgatoire, elles ne (1) Matth., XXV, 41. 250 ressemblent point à celles de l'enfer des damnés. A l'autre côté se trouvent les limbes, qui sont divisés en deux parties. L'une est destinée aux enfants qui meurent sans avoir reçu le baptême, avec le seul péché originel, et sans avoir volontairement fait aucune couvre ni bonne ni mauvaise. L'autre était la demeure des âmes des justes qui avaient déjà expié leurs péchés, mais qui ne pouvaient entrer dans le ciel ni jouir de Dieu jusqu'à ce qu'eût eu lieu la rédemption des hommes, et que notre Sauveur Jésus-Christ eût ouvert les portes du paradis (1), que le péché d'Adam avait fermées. Cet antre des limbes est aussi plus petit que l'enfer; ii n'a aucune communication avec lui, et l'on n'y souffre point les peines du sens comme dans le purgatoire; car les âmes y arrivent après avoir été purifiées de leurs souillures dans le même purgatoire; elles n'étaient que privées, de la vision béatifique, que soumises à la peine du dam ; c'est là que se trouvaient tous ceux qui étaient morts en état de grâce, jusqu'à ce que le Sauveur mourût. C'est là que descendit son âme très-sainte unie à la Divinité, comme nous l'exprimons, quand nous disons qu'il est descendu aux enfers, quoique les limbes et le purgatoire aient d'autres noms particuliers : car ce nom d'enfer est généralement appliqué à tous ces lieux souterrains, quoique communément parlant nous entendions par ce nom le lieu où se trouvent les démons et les damnés, ainsi 251 que par le, nom de ciel nous entendons ordinairement l'empyrée où sont les saints, et où ils demeureront toujours, comme les damnés dans l'enfer. Après le jugement universel il n'y aura que le ciel et l'enfer qui soient habités: en effet, le purgatoire ne sera plus nécessaire, et les enfants sortiront aussi des limbes, et passeront dans une autre demeure. 1461. L'âme très-sainte de notre Seigneur Jésus-Christ arriva aux limbes accompagnée d'une multitude innombrable d'anges, qui célébraient les louanges de leur Roi victorieux et triomphant, et lui rendaient honneur et gloire. Et pour représenter sa grandeur et sa majesté, ils commandaient aux portes de cette ancienne prison de s'ouvrir, afin de laisser entrer le Roi de- gloire et le Seigneur des armées, qui est puissant dans les combats (1). En vertu de ce commandement quelques rochers du chemin se brisèrent, quoique cela ne fût pas nécessaire pour l'entrée du Roi et de sa milice céleste, qui n'était composée que d'esprits doués, d'une merveilleuse subtilité. Far la présence de l'âme très-sainte de notre Rédempteur, cet antre ténébreux fut changé en ciel; il se trouva inondé des plus vives splendeurs; les âmes des justes qui y étaient furent béatifiées par la claire vision de la Divinité, et dans un instant elles passèrent de l'état d'une si longue attente à ta possession éternelle de la gloire, et des ténèbres à la lumière inaccessible, dont elles jouissent (1) Ps. XXIII, 7 et 8. 262 maintenant. Elles reconnurent leur vrai Dieu et leur Rédempteur véritable, lui rendirent des actions de grâces, et le louèrent par de nouveaux cantiques, disant : L'Agneau qui a été immolé est digne de recevoir la divinité, la puissance et la force (1). Vous nous avez rachetés, Seigneur, par votre sang, de toute tribu, de tout peuple et de toute nation: Vous avez fait que nous soyons, un royaume poser notre Dieu, et nous régnerons (2). Seigneur, la puissance, l'empire et ta gloire de vos oeuvres vous appartiennent. Au même moment sa divine Majesté ordonna aux anges de tirer du purgatoire tontes les armes qui y souffraient; et à l'instant elles furent menées en sa présence. Et comme pour les prémices de la rédemption des hommes, elles furent toutes délivrées par le Rédempteur lui-même des peinés qu'elles y devaient souffrir encore, et furent glorifiées par la vision béatifique, comme les autres âmes des justes. De sorte que, ce jour-là les deux prisons, les limbes et le purgatoire, se trouvèrent désertes à la suite de la visite du souverain Roi. 1462. Ce jour ne fut terrible que pour l'enfer des damnés, car le Très-Haut fit que tous ces malheureux connussent et sentissent la descente du Rédempteur dans les limbes, et que les saints Pères et les justes connussent aussi la terreur que ce mystère causait aux damnés et aux démons. Ceux-ci étaient atterrés, écrasés sous le poids d'une oppression semblable à (1) Apoc., V, 12. - (2) Ibid.. 9. 253 celle qu'ils avaient subie sur le Calvaire, comme je l'ai rapporté plus haut, et lorsqu'ils entendirent (eu leur manière de parler et d'entendre) la voix des anges qui allaient aux limbes devant leur Roi, ils furent saisis d'un nouveau trouble et d'un nouvel effroi, et ils se cachaient dans les plus profondes cavernes de l'enfer, comme des serpents que l'on poursuit. Les damnés furent accablés d'un surcroît de confusion, reconnaissant avec un plus grand désespoir l'erreur qui leur avait fait perdre le fruit de la rédemption dont les justes avaient su profiter. Et comme Judas et le mauvais larron étaient récemment arrivés dans l'enfer, on ils souffraient beaucoup plus que les autres, leurs tourments s'accrurent encore en ce moment, car les démons redoublèrent contre eux de fureur. Ces esprits rebelles résolurent, autant qu'il dépendrait d'eux, de persécuter et de tourmenter davantage les chrétiens qui feraient profession de la foi catholique, et de punir plus cruellement ceux qui l'abjureraient ou qui transgresseraient la loi du Seigneur, parce qu'ils jugeaient que ceux-là méritaient un châtiment plus rigoureux que les infidèles à qui la foi n'aurait pas été annoncée. 1463. La grande Reine de l'univers étant dans sa retraite, eut connaissance de tous ces mystères et de plusieurs antres secrets que je ne puis déclarer. Et quoique cette vision particulière excitât une joie ineffable dans la partie supérieure de son âme où elle la recevait, cette joie ne se communiqua pas à ses sens corporels, comme cela eût pu naturellement arriver. 254 Au contraire, lorsque la bienheureuse. Vierge s'aperçut qu'elle commençait à s'étendre jusqu'à la partie inférieure de son âme, elle pria le Père éternel de suspendre cet écoulement, parce qu'elle ne voulait point jouir en son corps, tant que celui de son très-saint Fils se trouverait dans le sépulcre et ne serait point glorifié. La très-prudente Mère témoigna par là le grand amour qu'elle avait pour son adorable Fils, comme la plue vive et la plus parfaite image de cette humanité déifiée; et c'est à cause de sa fidélité incomparable qu'il lui fut donné de souffrir de mortelles angoisses dans son corps , tandis que son âme surabondait de joie, comme il arriva à notre Sauveur Jésus Christ. Durant cette vision elle fit des cantiques de louanges, célébrant ce mystérieux triomphe, et glorifiant la très-douce et très-sage providence du Rédempteur, qui comme un Père plein de tendresse et comme un Roi tout-puissant, voulut lui-même descendre pour prendre possession de ce nouveau royaume que son l'ère lui avait remis, et voulut eu racheter les habitants par sa présence, afin qu'ils commençassent, avant de le quitter, à jouir de la récompense qu'il leur avait méritée. L'accomplissement de ces hauts desseins et de plusieurs autres qui lui furent révélés la transportait d'allégresse, et c'est pourquoi elle exaltait le nom du Seigneur comme Coadjutrice et comme Mère de l'adorable Triomphateur. 255 Instruction que j'ai reçue de la Reine du ciel. 1464. Ma fille, méditez les enseignements que contient ce chapitre, ils vous sont directement applicables et très-nécessaires dans l'état où vous a placée le Très- Haut, et eu égard à ce qu'il demande de vous afin que vous correspondiez à son amour. Or, ce qu'il demande de vous, c'est que parmi les embarras des créatures, avait comme supérieure, soit comme inférieure, soit en commandant, soit eu obéissant, vous ne perdiez jamais, malgré tontes les occupations extérieures, la vue du Seigneur dans. la partie supérieure de votre Ame, et que vous ne détourniez jamais vos regards de la lumière du Saint-Esprit, qui vous assistera pour vous disposer à recevoir ses continuelles communications; car mon très-saint Fils veut trouver dans la solitude de votre coeur ces voies cachées au démon et fermées aux passions, qui conduisent dans le sanctuaire où n'entre que le souverain Prêtre (1), et où l'âme jouit des secrets et saints embrassements du divin Époux , lorsque entièrement dégagée des choses terrestres, elle lui prépare le lieu sacré de son repos. C'est là où vous trouverez votre Seigneur favorable, le Très-Haut libéral, votre Créateur miséricordieux, votre Rédempteur et votre Époux plein de douceur et d'amour; vous n'y craindrez point la puissance (I) Hebr., IX, 7. 256 des ténèbres ; ni les effets du péché, quine pénètrent point jusqu'à cette région de lumière et de vérité. Mais ce qui détruit ces voies divines, est l'amour déréglé pour ce qui est visible, c'est la négligence à garder la loi du Seigneur; ce qui suffit pour les obstruer, c'est le moindre désordre des passions ou le plus petit soin inutile , c'est surtout l'inquiétude de l'âme et le trouble intérieur; car pour y marcher, il faut que le coeur soit pur et libre de ce qui n'est point vérité et lumière. 1465. Vous avez bien compris et expérimenté cette doctrine, je n'ai cessé de vous la manifester dans ma conduite comme dans un clair miroir. Vous avez su de quelle manière je me suis comportée dans les douleurs et dans les afflictions de la Passion de mon très-saint Fils; avec quel zèle je m'occupai des apôtres et des préparatifs de la sépulture, comment j'assistai les saintes femmes et comment j'agis tout le reste de ma vie, conciliant toujours ces choses extérieures avec les opérations de pion cime, sans que les unes empêchassent les autres. Or, pour m'imiter en cela, comme je veux que vous le fassiez, il faut que ni la fréquentation inévitable des créatures, ni les occupations de votre état, ni les peines de la vie passagère, ni les tentations et la malice du démon puissent détourner votre attention et troubler votre intérieur. Et je vous avertis, ma très-chère fille, que si vous n'êtes très-soigneuse sur cet article, vous perdrez beaucoup de temps, vous vous priverez d'une infinité de faveurs extraordinaires, vous frustrerez les très- hautes et 257 très-saintes fins du Seigneur, et vous nous contristerez moi et les anges, car nous voulons touque votre conversation soit avec nous ; vous perdrez aussi par cette négligence la tranquillité de votre esprit, la consolation de votre âme, plusieurs degrés de grâce, les accroissements de l'amour divin que vous souhaitez, et enfin une très-grande récompense dans le ciel. Vous voyez par là combien il vous importe d'être attentive à mes avis, et de m'obéir en ce que je vous enseigne avec un amour maternel. Faites-y réflexion, ma fille, et gravez dans votre coeur mes paroles, afin que vous les mettiez en pratique par mon intercession et avec la grâce du Très-Haut. Tâchez aussi de m'imiter eu la fidélité de l'amour avec lequel je refusai, afin d'imiter mon adorable Maître, le soulagement que mes sens corporels auraient pu recevoir, tout en le remerciant de son secours ainsi que de la faveur qu'il fit aux justes des limbes, lorsque son âme très, sainte y descendit pour les racheter et les combler de joie par sa présence; car toutes ces merveilles furent les effets de son amour infini. 22/30 CHAPITRE XXVI. La résurrection de notre Sauveur Jésus-Christ, et son apparition à sa très-sainte Mère avec les saints Pères des limbes. Instruction que la bienheureuse Vierge Marie. m'a donnée. CHAPITRE XXVII. Quelques apparitions de notre Sauveur Jésus-Christ ressuscité aux Marie et aux apôtres. - Le récit qu'ils en faisaient à notre auguste Reine, et la prudence avec laquelle elle les écoutait. Instruction que j'ai reçue de notre auguste Reine. CHAPITRE XXVIII. Quelques profonds mystères qui arrivèrent à la bienheureuse Marie après la résurrection du Seigneur. - Elle reçoit le titre de Mère et de Reine de l'Église. - Apparition de Jésus-Christ un peu avant son ascension. Instruction que la Reine du ciel m'a donnée. CHAPITRE XXIX. Notre Rédempteur Jésus-Christ monte an ciel avec tous les saints qu'il avait tirés des Limbes. - Il emmène aussi sa très-sainte Mère pour la mettre en possession de la gloire. Instruction que j'ai reçue de notre grande Reine. 258 CHAPITRE XXVI. La résurrection de notre Sauveur Jésus-Christ, et son apparition à sa très-sainte Mère avec les saints Pères des limbes. 1466. L'âme très-sainte de notre Rédempteur Jésus-Christ demeura dans les limbes depuis les trois heures et demie du vendredi au soir jusqu'aux trois heures du matin du dimanche suivant. Alors elle retourna victorieuse au sépulcre, accompagnée des mêmes anges qui l'escortaient dans sa descente aux limbes, et des saints qu'elle tira de ces prisons souterraines, comme les dépouilles que sa victoire lui avait acquises et tes trophées de son glorieux triomphe, laissant ses ennemis rebelles (laits l'abattement et l'effroi. Il y avait au sépulcre beaucoup d'antres anges qui le gardaient pour faire honneur au sacré corps uni à la Divinité. Et quelques-uns d'eue avaient recueilli par l'ordre de leur Reine les reliques du sang que son très-saint fils versa, les lambeaux de chair qu'on lui lit tomber de ses plaies, les cheveux qu'on lui arracha, et tout le reste qui contribuait à la parfaite intégrité de sou humanité sainte, la très-prudente Mère songea à tout. Les anges gardaient précieusement ces reliques, chacun d'eux s'estimant 259 fort heureux de la part qui lui était échue. En premier lieu les saints Pères virent le corps de leur Rédempteur tout blessé, déchiré et défiguré par la cruauté des Juifs. Les patriarches, les prophètes et tous les autres saints le reconnurent dans ce pitoyable état, l'adorèrent et déclarèrent de nouveau que le Verbe incarné s'était véritablement chargé de nos infirmités et de nos douleurs (1), et qu'il avait surabondamment payé notre dette et satisfait à la justice du l'ère éternel pour ce que nous avions mérité, étant lui-même très-innocent et sans aucun péché. C'est là où nos premiers parents, Adam et Ève, apprécièrent les ravages que leur désobéissance avait causés dans le monde, combien en avait coûté la réparation, et l'immense bonté, la miséricorde infinie du Rédempteur. Les patriarches et les prophètes virent accomplies leurs prédictions et les espérances qu'ils avaient eues dans les promesses du Très-Haut. Et comme ils sentaient en la gloire de leurs âmes l'effet de la rédemption abondante, ils en louèrent de nouveau le Tout-Puissant et le Saint des saints, qui l'avait opérée avec un ordre si merveilleux de sa sagesse. 1467. Les auges restituèrent ensuite au corps sacré taules les reliques qu'ils avaient recueillies, le rétablissant dans son intégrité naturelle, et cela se fit en présence de tous les saints qui étaient sortis des limbes. Au même instant l'âme très-sainte du Seigneur se réunit à son corps, et lui donna la vie et la (1) Isa., LIII, 4. 260 gloire immortelle. Et quittant le linceul et les parfums avec lesquels on lavait enseveli (1), il fut revêtu des quatre dons de gloire, la clarté, l'impassibilité, l'agilité et la subtilité. Ces dons rejaillirent de la gloire immense de l'âme de notre Seigneur Jésus-Christ sur son corps déifié. Et quoiqu'il eût dû les recevoir au moment même de la conception, comme un apanage et comme une attribution naturelle, puisque dès lors son âme très-sainte fut glorifiée, et que toute cette, humanité très- innocente était unie à la Divinité , il est vrai qu'ils furent alors suspendus et ne rejaillirent point sur le sacré corps, afin que restant passible il prit nous mériter notre gloire en se privant de celle de son corps, ainsi que je l'ai dit ailleurs. Mais en la résurrection ces dons lui furent rendus avec justice, dans le degré et dans la proportion qui répondait à la gloire de l'âme et à l'union de l'âme avec la Divinité. Et comme la gloire de l'âme très-sainte de notre Sauveur Jésus-Christ est incompréhensible et ineffable, de même il est impossible de bien exprimer par nos faibles paroles et par aucun exemple la gloire et les dons de son corps déifié, car par rapport à sa pureté le cristal est obscur. La clarté dont il resplendissait surpasse celle des autres corps glorieux, comme le jour surpasse la nuit, et plus que l'éclat de mille soleils ne surpasserait celui d'une seule étoile; et parvint-on à réunir en une seule créature les beautés de toutes les autres, elle paraîtrait difforme auprès (1) Joan., XIX, 40. 261 de lui ; aussi n'y a-t-il rien en tout ce qui est créé qui puisse lui être comparé. 1468. L'excellence de ces dons surpassa de beaucoup en la résurrection la gloire qu'ils communiquèrent en la transfiguration et en d'autres occasions où notre Seigneur Jésus-Christ se transfigura, comme ou l'a vu dans le cours de cette histoire; car alors il la reçut en passant et proportionnellement à la fin pour laquelle il se transfigurait : mais en la résurrection il l'eut avec plénitude pour en jouir éternellement. Par l'impassibilité le corps sacré devint inaltérable. Par la subtilité il fut tellement purifié de ce qu'il avait de terrestre, qu'il pouvait pénétrer les autres corps sans aucune résistance, comme s'il eût été un pur esprit; et c'est ainsi qu'il pénétra la pierre du sépulcre sans la déplacer et sans la briser, en la manière dont il était sorti du sein virginal de sa très-pure Mère. L'agilité l'affranchit du poids de la matière au point qu'il surpassait la libre activité des anges ; et il pouvait par lui- même se transporter plus rapidement qu'eux d'un lieu à un autre, comme il le fit quand il se montra aux apôtres et en d'autres occasions. Les sacrées plaies qui le défiguraient auparavant parurent aux pieds, aux mains et an côté si brillantes, qu'elles rehaussaient sa beauté ravissante comme du trait caractéristique le plus admirable. Notre Sauveur sortit du sépulcre revêtu de toute cette beauté et de toute cette gloire. Et en présence des saints et des patriarches qu'il avait tirés des limbes, il promit à tout le genre humain la résurrection 262 universelle, comme un effet de la sienne, en la même chair et dans le même corps de chacun des mortels; et aux justes leur future glorification dans leur chair et dans leur corps. Pour gage de cette promesse de, la résurrection universelle, sa divine Majesté ordonna aux âmes de beaucoup de saints qui se trouvaient présentes, de s'unir à leurs corps et de les ressusciter à une vie immortelle. Cet ordre divin fut aussitôt exécuté, et alors eut lieu la résurrection des corps dont saint Matthieu prévenant le mystère fait mention dans son Évangile (1) : entre autres, de ceux de sainte Anne, de saint Joseph, de saint Joachim et de quelques anciens Pères et patriarches qui se distinguèrent le plus en la foi et en l'espérance de l'incarnation, et qui la demandèrent avec le plus d'ardeur an Très-Haut. Et en récompense de leur ferveur et de leurs saints désirs, ils obtinrent par avance la résurrection et la gloire de leurs corps. 1469. Oh ! combien ce Lion de Juda, ce fils de David paraissait déjà puissant, admirable, victorieux et fort (2) ! Jamais personne ne sortit du sommeil aussi vivement que Jésus-Christ de la mort. A sa voix impérieuse, les ossements desséchés et dispersés de ces vieux morts se rapprochèrent aussitôt , et la chair qui était réduite en poussière, se renouvela et s'unit aux os pour reconstituer son être primitif, mais perfectionné par les dons de gloire que le corps reçut de l'âme glorifiée qui lui donna la vie. Tous ces saints (1) Matth., XXVII, 52. - (2) Ps. III, 6. 263 ressuscitèrent dans un instant avec leur Rédempteur, et parurent plus clairs et plus resplendissants que le soleil; beaux, transparents, légers, capables de le suivre partout; et par leur bonheur ils nous ont confirmés dans l'espoir que nous verrions notre Rédempteur dans notre propre chair, et que nous le contemplerions de nos propres yeux comme Job l'a prédit pour notre consolation (1). La grande Reine du ciel pénétrait tous ces mystères, et y participait par la vision qu'elle avait dans le Cénacle. Au moment même où l'âme très-sainte de Jésus-Christ entra dans son corps et lui donna la vie, celui de sa très-pure Mère reçut la joie qui était suspendue dans son âme jusqu'à la résurrection de cet adorable Seigneur, comme je l'ai dit dans le chapitre précédent. Ce bienfait fut si excellent, qu'elle en fut toute transformée, et elle passa incontinent de la désolation où elle était à une céleste consolation, et de la tristesse à une joie ineffable. Il arriva que dans cette circonstance l'évangéliste saint Jean l'alla voir pour la consoler dans son amère solitude, comme il l'avait fait le jour précédent; mais il fut agréablement surpris de trouver entourée des splendeurs de la gloire, Celle qui naguère était presque méconnaissable à cause de son affliction. Le saint apôtre l'ayant considérée avec admiration et avec un profond respect, crut que le Seigneur devait être déjà ressuscité, puisque sa divine Mère recevait tant de consolation qu'elle en était toute renouvelée. (1) Job., XIX, 26. 264 1470. Par cette nouvelle joie et par, les opérations si divines que l'âme de notre auguste Princesse produisait dans la vision de tous ces mystères si sublimes, elle commença à se disposer à la prochaine apparition de son Fils ressuscité. Et au milieu des cantiques de louanges et des prières quelle faisait, elle sentit tout à coup, outre la joie qu'elle avait, quelque chose d'extraordinaire, je ne sais quelle consolation céleste, qui répondait d'une manière merveilleuse aux douleurs et aux peines intérieures qu'elle avait souffertes dans la Passion; ce bienfait était tout différent et fort au-dessus de la joie qui rejaillissait de son âme sur son corps comme un écoulement naturel. Après ces admirables effets, elle reçut une autre grâce qui lui fit goûter des faveurs divines qui étaient toutes nouvelles. Alors elle sentit s'opérer en elle une nouvelle infusion de sentiments et de lumières qui précèdent la vision béatifique, et que je ne décris point ici, parce que je l'ai déjà fait lorsque j'ai traité de cette matière dans la première partie. J'ajoute seulement que notre incomparable Reine reçut ces bienfaits dans cette occasion d'une manière plus excellente et avec plus d'abondance que dans les autres rencontres, parce que la Passion de son très-saint Fils et les mérites qu'elle y acquit avaient précédé, et son Fils tout-puissant lui donnait une consolation qui répondait à la grandeur des peines qu'elle avait souffertes. 1471. La bienheureuse Marie étant ainsi préparée, notre Sauveur Jésus-Christ ressuscité et glorieux 265 entra accompagné de tous les saints et de tous les patriarches qu'il avait tirés des limbes. La très-humble Reine se prosterna et adora son très-saint Fils, et le Seigneur la releva lui-même. Et par cette faveur, beaucoup plus grande que celle que demandait la Madeleine en souhaitant toucher les sacrées plaies de Jésus- Christ (1) , la Mère Vierge reçut un bienfait extraordinaire qu'elle seule put mériter comme exempte de la loi du péché. Et quoique ce ne fût pas le plus grand de ceux dont elle fut favorisée dans cette occasion, elle n'eût pas été capable de le recevoir si elle n'eut été soutenue par les anges et fortifiée par le Seigneur lui-même, afin de ne point tomber en défaillance. Ce bienfait consista en ce que le corps glorieux de Jésus-Christ pénétra celui de sa très-pure Mère, qui devint tout éclatant, comme si un globe de cristal renfermait le soleil, qui le remplirait de splendeur et de beauté par sa lumière. C'est ainsi à peu près que le corps de l'auguste Marie fut uni à celui de son adorable Fils par le moyen de cette divine pénétration, qui fut pour elle comme une voie pour arriver à la connaissance de la gloire de l'âme et du corps du même Seigneur. Par ces faveurs, comme par autant de degrés de dons ineffables, notre grande Reine s'éleva à la contemplation des mystères les plus sublimes. Parvenue à ces hauteurs, elle entendit une voix qui lui disait : Ma bien-aimée, montez encore, montez plus haut (2). En vertu de cette voix, elle fut (1) Joan., XX, 17. - (2) Luc., IV, 10. 266 toute transformée et vit la Divinité dune vue claire et intuitive, dans laquelle elle trouva le repos et pour quelques moments au moins la récompense de toutes ses peines. Il faut forcément garder ici le silence, puisque les paroles nous manquent pour exprimer ce qui se passa à l'égard de la très-pure Marie dans cette vision béatifique, qui fut la plus haute et la plus divine de celles dont elle avait été privilégiée jusqu'alors. Célébrons ce jour avec des cantiques de louanges, avec des transports d'admiration, avec des congratulations, avec amour et avec d'humbles actions de grâces de ce qu'elle fut si exaltée, de ce qu'elle nous mérita à nous, et de ce dont elle jouit elle-même. 1472. Notre auguste Princesse jouit pendant quelques heures de l'être de Dieu avec son très-saint Fils, et participa à sa gloire comme elle avait participé h ses douleurs. Ensuite elle descendit de cette vision par les mêmes degrés par lesquels elle y était montée; et à la fin de cette faveur elle fut de nouveau. appuyée sur le bras gauche de la très-sainte humanité, et, caressée en une autre manière de lit droite de la Divinité (1). Elle eut de très-doux entretiens avec son adorable Fils sur les sublimes mystères de sa Passion et de sa gloire. Et dans ces entretiens elle fut de nouveau enivrée du vin de lit charité et do l'amour, qu'elle but sans mesure à sa propre source. Elle reçut abondamment dans cette circonstance tout ce qui pouvait être accordé à une simple créature, comme (1) Cant., II, 6. 267 si la divine équité avait voulu , selon notre manière de concevoir, réparer pour ainsi dire l'injure (je me sers de cette expression , parce que je ne saurais mieux m'expliquer) qu'avait reçue une créature si pare et exempte de toute tache, en souffrant les douleurs et les tourments de la Passion, qui , ainsi que je l'ai dit plusieurs fois, étaient les mêmes que notre Sauveur Jésus-Christ endura; et dans ce mystère la joie de la divine Mère répondit aux peines qu'elle avait souffertes. 1473. Après avoir été comblée de toutes ces faveurs, elle s'adressa, tout en restant dans un état très-sublime, aux saints patriarches et aux justes qui accompagnaient le Sauveur; elle les reconnut tous et parla à chacun selon son rang, se réjouissant de leur sortie des limbes, et louant le Tout-Puissant de ce que sa miséricorde libérale avait opéré en chacun d'eux. Elle s'entretint particulièrement avec ses parents, saint Joachim et sainte Anne, avec sou époux Joseph et avec saint Jean- Baptiste. Ensuite elle parla aux patriarches, aux prophètes et à nos premiers permis Adam et lave. Ils se prosternèrent tous aux pieds de notre auguste Princesse, et la reconnurent lieur lit Mère du Rédempteur du monde, pour la cause de leur remède, et la Coadjutrice de leur rédemption; et comme telle ils voulurent, conformément aux dispositions de la divine Sagesse, l'honorer d'un digne culte de vénération. Mais la Reine des vertus et la Maîtresse de l'humilité se prosterna elle-même, et rendit aux saints l'honneur qui leur était 268 dû, et le Seigneur le permit, parce que les saints, quoiqu'ils fussent inférieurs en la grâce, étaient supérieurs en l'état de bienheureux qui leur assurait à jamais la gloire éternelle , et que la Mère de la grâce, encore voyageuse sur la terre, n'était point su nombre des compréhenseurs. Cet, entretien avec les saints Pères se prolongea en présence de notre Sauveur Jésus-Christ. Et la très-pure Marie convia tous les anges et tous les saints qui y assistaient, à louer le Triomphateur de la mort, du péché et de l'enfer, et ils lui chantèrent tous des cantiques nouveaux, des psaumes et des hymnes de gloire; ensuite le Sauveur ressuscité fit les autres apparitions que je rapporterai dans le chapitre suivant. Instruction que la bienheureuse Vierge Marie. m'a donnée. 1474. Ma fille, réjouissez-vous dans la peine où vous êtes, de ce que vous ne sauriez exprimer par vos faibles paroles ce que vous concevez des ineffables mystères que, vous venez d'écrire. C'est une victoire que le Très-Haut remporte sur la créature, et sa divine Majesté trouve sa gloire à entendre cette même créature se déclarer vaincue par la grandeur de mystères aussi sublimes que ceux-ci ; car on en pénétrera fort peu tant que l'on vivra dans une chair mortelle. 20 Je sentis toutes les peines de la Passion de mon très-saint Fils, et quoique je ne perdisse point la vie, j'expérimentai néanmoins d'une manière mystérieuse les douleurs de la mort, et à ce genre de mort correspondit en moi une autre admirable et mystique résurrection à un état plus élevé de grâce et de célestes opérations. Et. comme l'être de Dieu est infini, à quelques communications que la créature soit appelée, il lui en reste toujours davantage à connaître, à aimer, à posséder. Mais afin que vous puissiez découvrir dès maintenant quelque chose de la gloire de mon Seigneur Jésus-Christ, de la mienne et de celle des saints, en vous servant du raisonnement et des notions que vous avez sur les dons du corps glorieux, je veux vous donner une règle par laquelle vous pourrez passer à ceux de l'âme. Vous savez déjà que ceux-ci sont : la vision, la compréhension et la jouissance. Ceux du corps sont ceux que vous avez indiqués : la clarté, l'impassibilité, la subtilité et l'agilité. 1475. A tous ces dons correspond une certaine augmentation pour la plus petite action méritoire que fait celui qui est en état de grâce, quand ce ne serait que remuer une paille ou donner un verre d'eau pour l'amour de Dieu (1). La créature recevra pour lit moindre de ces actions, lorsqu'elle sera bienheureuse, une plus grande clarté que celle de plusieurs soleils. Dans l'impassibilité, elle sera plus à l'abri de la (1) Matth., X, 42. 270 corruption humaine et terrestre que tous les efforts et toutes les précautions des puissants de la terre ne sauraient les défendre de ce qui peut leur nuire on altérer leur état. Dans la subtilité elle est au-dessus de tout ce qui peut lui résister, et elle exerce un nouvel empire sur tout ce qu'elle veut pénétrer. Enfin dans le doit d'agilité elle obtient pour la moindre 'action méritoire une plus grande activité pour se mouvoir que celle qu'ont les oiseaux, les vents et les créatures les plus actives, comme le feu et les autres éléments pour tendre à leur centre naturel. Par l'augmentation que l'on mérite dans ces dons du corps , voir comprendrez celle dont sont susceptibles les dons de l'âme, auxquels les premiers correspondent et desquels ils dérivent. Car l'on reçoit dans la vision béatifique, pour le moindre mérite, de plus grandes lumières et une plus profonde connaissance des attributs et des perfections de Dieu, que toutes les lumières qu'aient jamais pu avoir, et que toute la connaissance qu'aient jamais pu acquérir dans la vie mortelle tons les docteurs de l'Église. Il y a aussi une augmentation dans le don de compréhension à l'objet divin; car de la certitude inébranlable avec laquelle le juste comprend ce bien infini, résulte pour lui un sentiment de sécurité et de nouvelle satisfaction plus digne d'envie que tout ce que les créatures ont de plus précieux, pût-il le posséder sans crainte de le perdre. Dans le doit de jouissance, qui est le troisième de l'âme, il est accordé au juste dans le ciel, en récompense de l'amour avec lequel il fait une minime bonde oeuvre, des 271 degrés d'amour de jouissance si excellents, que cette augmentation surpasse tout ce qui est capable d'attirer l'affection et les désirs des hommes dans la vie passagère; et les délices qu'elle procure sont telles, qu'il n'y a rien dans le monde qui puisse lui être comparable. 1476. Élevez maintenant votre esprit, ma fille, et, après avoir apprécié les récompenses si merveilleuses qui sont réservées à la moindre action faite pour Dieu, jugez quelle est la récompense des saints qui pour l'amour du Seigneur ont fait les choses si héroïques et souffert les supplices si cruels que vous raconte l'histoire de l'Église. Et si cela arrive chez les saints qui sont de simples mortels sujets à des péchés et à des imperfections qui diminuent le mérite, considérez avec toute l'attention possible quelle doit être la gloire de mon très-saint Fils, et vous sentirez combien l'intelligence humaine est incapable, surtout dans la vie passagère, de comprendre dignement ce mystère, et de se former une juste idée d'une grandeur si immense. L'âme très-sainte de mon Seigneur était substantiellement unie à la Divinité en sa personne divine, et par l'union hypostatique il fallait que l'océan infini de cette même Divinité lui fût communiqué, la béatifiant comme celle à qui elle avait communiqué son propre être de Dieu d'une manière ineffable. Mais si son âme n'a pas acquis par ses mérites cette gloire qui lui fut donnée dès l'instant de sa conception dans mon sein en vertu de l'union hypostatique, les oeuvres qu'il fit ensuite durant l'espace de 272 trente-trois ans, naissant dans la pauvreté, vivant dans les fatigues, aimant, pratiquant comme voyageur toutes les vertus, prêchant , souffrant, méritant, rachetant tout le genre humain , établissant l'Église et tout ce que la foi catholique enseigne; ces oeuvres, dis-je, méritèrent la gloire de son corps sacré, et cette gloire correspondait à celle de son âme; tout cela est incompréhensible, magnifique, immense, la manifestation eu est réservée pour la vie éternelle: Et par rapport à mon adorable Fils, le puissant bras du Très-Haut opéra de grandes choses en moi, simple créature que j'étais; de sorte que j'oubliai aussitôt les douleurs que j'avais eues. Il en arriva de même aux Pères des limbes, et il en arrive encore de même aux autres saints quand ils reçoivent la récompense. J'oubliai toutes mes afflictions, parce que la joie inexprimable que je ressentais excluait la peine; mais je ne perdis jamais le souvenir de ce que mon Fils avait souffert pour le genre humain. CHAPITRE XXVII. Quelques apparitions de notre Sauveur Jésus-Christ ressuscité aux Marie et aux apôtres. - Le récit qu'ils en faisaient à notre auguste Reine, et la prudence avec laquelle elle les écoutait. 1477. Après que notre Sauveur Jésus ressuscité et glorieux eut visité et rempli de gloire sa très-sainte Mère, il résolut, comme un père plein de tendresse et comme un pasteur très-vigilant, de rassembler les brebis de son troupeau, que le scandale de sa Passion avait troublées et dispersées. Les saints Pères et tous ceux qu'il avait tirés des limbes et du purgatoire l'accompagnaient toujours, quoiqu'ils ne se manifestassent point dans ses apparitions; car il n'y eut que notre auguste Reine qui les vit, qui les connût, et qui leur parlât pendant les quarante jours qui se passèrent jusqu'à l'Ascension de son très-saint Fils. Et lorsqu'il n'apparaissait point à d'autres personnes, il restait toujours auprès de sa bienheureuse Mère dans le Cénacle, où elle demeura sans en sortir durant ces quarante jours. Elle y jouissait de la vue du Rédempteur du monde, et de l'assemblée des prophètes et des saints qui faisaient compagnie au Roi et à la Reine de l'univers. Quand le Seigneur 294 voulut se manifester aux apôtres, il commença par les femmes, comme étant non les plus faibles, mais les plus fortes en la foi et en l'espérance de sa résurrection ; car ce fut par là qu'elles méritèrent d'obtenir les premières en faveur de le voir ressuscité. 1478. L'évangéliste saint Marc fait mention du soin que prirent Marie Madeleine et Marie mère de Joseph de remarquer où l'on déposait le corps sacré de Jésus dans le sépulcre (1). Par suite de cette prévoyance, elles sortirent le samedi soir du Cénacle avec quelques autres saintes femmes pour descendre dans la ville ; elles y achetèrent des parfums dans le dessein de retourner le jour suivant de grand matin au sépulcre pour y adorer le très-saint corps de leur Maître, et l'embaumer de nouveau (2). Or, le dimanche elles sortirent avant le jour pour exécuter leur pieux dessein, ignorant que le sépulcre eut été scellé, et qu'on y eût mis des gardes par ordre de Pilate (3). Dans le trajet, elles se. préoccupaient uniquement de la difficulté de trouver quelqu'un qui leur ôterait la grande pierre au moyen de laquelle elles avaient remarqué qu'on avait fermé le sépulcre; mais l'amour leur persuadait qu'elles surmonteraient cet obstacle, sans toutefois qu'elles sussent comment il était nuit quand elles sortirent du Cénacle, et lorsqu'elles arrivèrent au sépulcre , le soleil était déjà levé (4) , parce qu'il regagna le jour de la (1) Marc., IV, 47. - (2) Marc., XVI, 2. - (3)Marc., XXVII, 65. - (4) Joan., XX, 1; Marc., XVI, 2. 275 résurrection les trois heures pendant lesquelles il s'était couvert de ténèbres, au moment de la mort de notre Sauveur. Par ce miracle on concilie les récits des évangélistes saint Marc et saint Jean , qui disent, l'un que les Marie arrivèrent au sépulcre lorsque le soleil venait de se lever, et l'autre qu'elles y vinrent avant-le jour : et tout cela est vrai. En effet, elles sortirent de grand matin avant le point du jour; mais , quoiqu'elles ne se fussent point arrêtées en route, quand elles arrivèrent le soleil s'était déjà levé, à cause de la diligence extraordinaire qu'il fit ce jour-là. Le sépulcre était comme une petite grotte voûtée dont l'ouverture était fermée par une grande pierre; il y avait au dedans un endroit un peu élevé, et ce fut là que l'on déposa le corps de notre Sauveur. 1479. Un grand tremblement de terre se fit sentir un peu avant que les Marie s'entretinssent de la difficulté qu'elles auraient de faire ôter la pierre, et au même moment un ange du Seigneur renversa la pierre qui fermait le sépulcre (1). Lés gardes en furent si saisis de frayeur, qu'ils demeurèrent comme morts (2), quoiqu'ils né vissent point le Seigneur; car son corps était déjà ressuscité et sorti du sépulcre avant que l'ange en ôtât la pierre. Les Marie sentirent aussi quelque crainte, mais elles s'encouragèrent, et le Seigneur les fortifia; elles s'approchèrent donc, et entrèrent dans le sépulcre. Elles (1) Matth., XXVIII, 2. - (2) Ibid., 4. 276 virent près de l'ouverture l'ange qui avait renversé la pierre, et qui était. assis dessus; il avait le visage brillant comme un éclair, et son vêtement était blanc comme la neige (1) ; et il leur dit : Ne craignez point; c'est Jésus de Nazareth que vous cherchez : il n'est pas ici, parce qu'il est ressuscité. Entrez, et vous verrez le lieu où on l'avait mis (2). Les Marie entrèrent, et voyant le sépulcre vide, elles furent toutes désolées, parce qu'elles étaient plus occupées du désir qu'elles avaient de le voir, que de ce que l'ange leur avait dit. Bientôt elles virent deux autres anges assis aux côtés du sépulcre, qui leur dirent : Pourquoi cherchez-vous parmi les morts Celui qui est vivant ? Il n'est point ici, mais il est ressuscité; souvenez-vous de ce qu'il vous a dit, étant encore en Galilée : qu'il fallait qu'il fût crucifié, et qu'il ressuscitât trois jours après (3). Allez promptement en donner la nouvelle à ses disciples et à Pierre, et dites-leur qu'ils aillent en Galilée, où ils le verront (4). 1480. Par cet avis les Marie se souvinrent de ce que leur divin Maître avait dit. Et étant assurées de sa résurrection,, elles partirent aussitôt du sépulcre pour en donner la nouvelle aux onze apôtres et aux autres disciples qui avaient suivi le Seigneur ; mais la plupart prirent ce qu'elles leur disaient pour un vain rêve (5), tant ils étaient ébranlés dans leur foi, tant ils avaient déjà oublié les paroles de leur (1) Matth., XXVIII, 8. - (2) Marc., XVI, 6. - (3) Luc., XXIV, 5 et 6. - (4) Marc., XVI, 7. - (5) Luc., XXIV, 11. 277 Rédempteur. Pendant que les Marie, pleines de joie et de crainte, racontaient aux apôtres ce qu'elles avaient vu, les gardes du sépulcre reprirent leurs sens (1). Et comme ils le virent ouvert, et que le sacré corps n'y était plus, ils allèrent avertir les princes des prêtres de ce qui s'était passé, et les mirent dans un si grand trouble, qu'ils s'assemblèrent immédiatement avec les anciens du peuple pour délibérer sur le moyen de cacher fine merveille si éclatante (2). Ils résolurent de donner une grande somme d'argent aux soldats, afin qu'ils dissent que pendant qu'ils dormaient, les disciples de Jésus étaient venus enlever son corps du sépulcre (3). Les princes des prêtres les ayant ainsi gagnés leur dirent de ne rien craindre, et qu'ils les mettraient à couvert des suites de leur apparente négligence (4) ; c'est pourquoi ils publièrent cette imposture parmi les Juifs; et il y en eut beaucoup, qui furent assez stupides pour y ajouter foi;. d'autres, encore plus obstinés et plus aveuglés, admettent aujourd'hui même le témoignage de gens qui ont avoué qu'ils dormaient, tout en prétendant qu'ils ont vu enlever le corps du Sauveur. 1481. Quoique le rapport des Marie parût du délire aux disciples et aux apôtres, saint Pierre et saint Jean, souhaitant s'en éclaircir, se rendirent promptement au sépulcre , et les Marie y retournèrent après eux (5). Saint Jean arriva le premier, (1) Matth., XXVIIII, 11. - (2) Ibid., 12. - (3) Ibid., 18. - (4) Ibid., 14. - (5) Joan., XX, 3. 278 et, sans entrer dans le sépulcre, il vit de l'ouverture les linges à un autre endroit que celui où l'on avait mis le sacré corps (1), et il attendit que saint Pierre fût arrivé. Celui-ci entra le premier, saint Jean le suivit, et ils virent que le corps du Sauveur n'était point dans le sépulcre (2). Saint Jean dit qu'il crut alors, et c'est qu'il s'affermit dans ce qu'il avait commencé à croire, lorsqu'il vit la Reine du ciel toute changée , comme je l'ai rapporté dans le chapitre précédent. Les deux apôtres s'en retournèrent, pour annoncer aux autres ce qu'il; avaient vu avec admiration dans le sépulcre. Les Marie ne s'en éloignèrent point, et elles considéraient avec étonnement tout ce qui arrivait. La Madeleine, poussée par une plus grande ferveur et versant beaucoup de larmes, entra de nouveau dans le sépulcre pour le reconnaître avec plus d'attention. Et quoique les apôtres n'eussent point vu les anges, la Madeleine les vit, et ils lui dirent : Femme, pourquoi pleurez-vous ? Marie répondit : C'est parce qu'ils ont enlevé mon Seigneur, et que je ne sais où ils l'ont mis (3). Ensuite elle marcha un peu dans le jardin où était le sépulcre, et aussitôt elle vit Jésus tout auprès d'elle, sans découvrir que ce fût lui. Et sa divine Majesté lui dit aussi: Femme, pourquoi pleurez-vous ? Elle, croyant que c'était le jardinier, lui dit sans réflexion et transportée du divin amour : Seigneur, si c'est vous qui l'avez enlevé, dites-moi où vous l'avez mis, et je l'emporterai (4). (1) Joan., XX, 5. - (2) Ibid.. 6. - (3) Ibid., 13. - (4) Ibid., 15. 279 Alors notre adorable Maître lui dit: Marie (1): Et en la nommant il se fit connaître par la voix. 1482. Quand la Madeleine connut que c'était Jésus, elle en fut ravie de joie, et lui dit : Mon Maître (2) ; et se prosternant à ses pieds, elle voulut les baiser, comme accoutumée à cette faveur. Mais le Seigneur la prévint, et lui dit : Ne me touchez pas, car je ne suis pas encore monté cers mon Père ; allez vers mes frères les Apôtres, et dites-leur que je m'en vais monter vers mon Père et vers votre Père (3). La Madeleine partit aussitôt toute consolée, toute joyeuse, et à une petite distance elle rencontra les autres Marie. A peine avait-elle achevé de leur dire ce qui lui était arrivé, et qu'elle avait vu Jésus ressuscité, qu'au milieu de leurs transports et de leurs larmes, le Seigneur leur apparut, et leur dit : La paix soit avec vous (6). Et quand elles l'eurent reconnu, l'évangéliste saint Matthieu dit qu'elles l'adorèrent; le Seigneur leur ordonna d'aller trouver les apôtres, et de leur dire qu'elles l'avaient vu, et qu'ils devaient se rendre en Galilée ; que là ils le verraient ressuscité, (5). Après cela le Seigneur disparut, et les Marie s'en retournèrent promptement au Cénacle, et racontèrent aux apôtres tout ce qu'il leur était arrivé; mais ils avaient toujours de la peiné à le croire (6). Ensuite elles entrèrent dans la retraite de la Reine du ciel, et lui firent le récit de ce qui se passait. (1) Joan., XX, 16. - (2) Ibid. - (3) Ibid., 17. - (4) Matth., XXVIII, 9. - (5) Ibid., 10. - (6) Luc., XXIV, 11. 280 Elle les écouta avec une bonté et une prudence admirable, comme si elle l'eût ignoré, quoiqu'elle le sût par cette vision intellectuelle en laquelle elle connaissait toutes ces choses. Et elle prenait occasion de ce que les Marie lui racontaient, pour les confirmer en la foi des sublimes mystères de l'Incarnation et de la Rédemption, et des saintes Écritures qui en traitaient. Mais la très-humble Reine ne leur dit point ce qui lui était arrivé, quoiqu'elle fait la Maîtresse de ces fidèles et dévotes disciples, comme le Seigneur était le Maître des apôtres pour les rétablir en la foi. 1483. Les évangélistes ne disent point en quel temps le Seigneur apparut à saint Pierre, quoique saint Luc le suppose (1). Mais ce fut après que lés Marie l'eurent vu ; et il lui apparut d'une manière plus secrète et en particulier comme au chef de l'Église, avant de se montrer aux apôtres réunis ou à aucun d'eux, le jour même de la résurrection, après que les Marie l'eurent assuré qu'elles l'avaient vu. Ensuite il apparut, comme saint Luc le raconte fort au long (2), aux deux disciples qui allaient en un bourg nommé Emmaüs, éloigné de Jérusalem de soixante stades, qui faisaient quatre milles de Palestine, et près de deux lieues d'Espagne. L'un des deux s'appelait Cléopbas, et l'autre était saint Luc lui-même ; or, voici ce qui, arriva. Les deux disciples sortirent de Jérusalem après avoir appris ce que les (1) Luc., XXIV, 34. - (2) Ibid., 15, etc. 281 Marie avaient annoncé; chemin faisant, ils s'entretenaient de tout ce qui s'était passé en la Passion, de la sainteté de leur Maître, et de la cruauté des Juifs. ils s'étonnaient que le Tout-Puissant eut permis qu'un homme si saint et si innocent subit tant de mauvais traitements. L'un disait: " A-t-on jamais vu une pareille douceur ? " L'autre répliquait : " Est-il possible de trouver une patience égale à la sienne? Il a toujours souffert sans se plaindre et sans perdre la majesté et la sérénité de son visage. Sa doctrine était sainte, sa vie irréprochable, dans ses discours il ne s'occupait que du salut éternel, et dans ses oeuvres que du bien de tous; or, quelle raison ont eue les prêtres de lui vouer une haine si implacable? " L'un disait: " Il a été véritablement admirable en tout; on ne peut pas nier qu'il ait été un grand Prophète, et qu'il n'ait fait de nombreux miracles; il a rendu la vue aux aveugles, il a guéri les malades, il a ressuscité les morts, et il a prodigué de toutes parts les bienfaits : mais il a dit qu'il ressusciterait le troisième jour qui suivrait sa mort; c'est aujourd'hui, et nous ne voyons pas le fait s'accomplir. " L'autre répliqua : " Il a dit aussi qu'on le crucifierait, et cela est arrivé comme il l'a prédit (1). " 1484. Pendant qu'ils conféraient ensemble de toutes ces choses, Jésus leur apparut en costume de pèlerin, comme s'il les eût atteints sur la route, et (1) Matth., XI, 19. 282 leur demanda (après les avoir salués) : " De quoi vous entreteniez-vous, et pourquoi êtes-vous tristes (1)? " Alors Cléophas lui répondit : " Êtes-vous le seul étranger dans Jérusalem qui ne sachiez point ce qui s'y est passé ces jours derniers? " Le Seigneur lui dit : " Et qu'y est-il arrivé? " Le disciple répondit a Vous ne savez pas comment on a traité Jésus de Nazareth, qui a été un prophète puissant en oeuvres et en paroles? Et comment les princes des prêtres et nos magistrats l'ont condamné à mort, et l'ont crucifié ?Nous espérions néanmoins que ce serait lui qui délivrerait Israël en ressuscitant : mais c'est aujourd'hui le troisième jour après sa mort, et nous ne savons point ce qu'il est devenu. Il est vrai que quelques femmes de celles qui étaient avec nous nous ont fort étonnés ; car étant allées avant le jour au sépulcre, et n'ayant point trouvé le corps de Jésus, elles sont venues dire qu'elles avaient vu plusieurs anges, qui déclaraient qu'il était ressuscité. Aussitôt quelques- uns des nôtres ont couru au sépulcre, et ont trouvé que ce que les femmes avaient dit était exact. Quant à nous, nous nous rendons à Emmaüs pour y attendre la fin de toutes ces choses extraordinaires. " Alors le Seigneur leur dit : " Insensés dont le coeur est si lent à croire ce qui a été annoncé par les prophètes ! Ne fallait-il pas que le Christ souffrit toutes ces peines et une mort si ignominieuse, et qu'il entrât par cette voie dans sa gloire? " (1) Luc., XXIV, 16, etc. 283 1485. Notre divin Maître leur signala dans les E1'critures les mystères de sa vie et de sa mort pour la rédemption du genre humain, commençant par la figure de l'agneau que Moïse ordonna d'immoler et de manger, après avoir teint de son sang le haut (les portes (1) ; il leur expliqua le sens symbolique (le la mort du grand prêtre Aaron (2), de la mort de Samson causée par l'excès de sa passion pour son épouse Dalila (3), et de plusieurs endroits des Psaumes de David (4), où il prédisait l'assemblée que les Juifs tinrent pour condamner le Seigneur, sa mort, le partage qu'ils firent entre eux de ses habits, et que son corps ne serait point sujet ü la corruption; il leur expliqua aussi ce qui est dit au livre de la Sagesse (5), et ce qu'Isaïe et Jérémie ont exprimé encore plus clairement de sa Passion, à savoir qu'il serait défiguré comme un lépreux, qu'il paraîtrait un homme de douleurs, qu'on le mènerait à la mort comme une brebis qu'on va égorger, et qu'il n'ouvrirait seulement pas la bouche pour se plaindre (6); puis il passa à ce. que dit Zacharie, qui l'avait vu couvert de toute sorte de plaies (7), et interpréta divers autres endroits des prophètes qui s'appliquent d'une manière évidente aux mystères de sa vie et de sa mort. Par la vertu de ses divines paroles, les disciples reçurent peu à peu la chaleur de la charité, et la lumière de la foi, qui s'était éclipsée en eux. Et (1) Exod., XII, 7. - (2) Num., XX, 29. - (3) Jud, XVI, 30. - (4) Ps. XXI, 16 et 19; XV, 10. - (5) Sap., II, 10. - (6) Isa., LIII, 2; Jerem., XI, 19. - (7) Zach., XIII, 6. 284 lorsqu'ils furent arrivés près du bourg où ils allaient, notre adorable Sauveur feignit d'aller plus loin; mais ils le prièrent instamment de s'arrêter et de demeurer avec eux, lui représentant qu'il était déjà fort tard. Il accepta leur offre, et se mit à table avec eux pour faire la cène, suivant l'usage des Juifs Puis il prit du pain, le bénit selon sa coutume, le rompit et le leur présenta , leur donnant avec ce pain béni la certitude infaillible qu'il était leur Rédempteur et leur Maître. 1486. Ils le reconnurent, parce qu'il leur ouvrit les yeux de l'âme, et,aussitôt qu'il les eut éclairés par sa divine lumières il disparut. Pour eux, ravis d'admiration et transportés de joie, ils se disaient l'un à l'autre : " N'est-il pas vrai que nous sentions notre coeur briller au dedans. de nous lorsqu'il nous parlait dans le chemin, et qu'il nous découvrait les Écritures? Et se levant à l'heure même, ils partirent, quoiqu'il fût déjà nuit, et retournèrent à Jérusalem (1): Ils entrèrent dans la maison où les apôtres s'étaient retirés pour éviter les insultes des Juifs, et ils les trouvèrent avec quelques autres personnes, qui assuraient que le Seigneur était ressuscité et qu'il était apparu à saint Pierre. Les deux disciples rapportèrent à leur tour ce qui leur était arrivé en chemin, et comment Jésus en rompant le pain s'était fait connaître à eux. Saint Thomas se trouvait alors présent, et quoiqu'il eût entendu les deux disciples, (1) Luc., XXIV, 33 285 dont les paroles étaient confirmées par saint Pierre qui assurait aussi qu'il avait vu son Maître ressuscité, il s'en tint à ses objections et conserva ses doutes, sans vouloir ajouter foi au témoignage des trois disciples plus qu'à celui des saintes femmes. Il sortit avec une espèce de dépit, effet de son incrédulité, et se retira de la compagnie des autres. Peu d'instants après que Thomas se fut retiré, le Seigneur entra quoique les portes fussent fermées, et apparut au milieu de ceux qui étaient assemblés, et leur dit : La paix soit avec vous; c'est moi, ne craignez pas (1). 1487. Mais le trouble et la frayeur dont ils étaient saisis leur faisant penser que c'était un esprit qu'ils voyaient, il leur dit : Pourquoi vous troublez-vous, et pourquoi toutes ces pensées vous entrent-elles dans l'esprit? Regardez mes mains et mes pieds, c'est moi-même; touchez-moi, considérez-moi bien, un esprit n'a ni chair ni os comme vous voyez que j'en ai (2). Alors même les apôtres restèrent si éperdus de joie et d'admiration, que, tout en voyant et touchant les mains du Sauveur percées, ils ne parvenaient point encore à croire que ce fût bien lui qu'ils entendaient et qu'ils touchaient. Le meilleur des Maîtres leur demanda pour les rassurer davantage : Avez-vous ici quelque chose à manger (3)? Ils lui présentèrent avec empressement un morceau de poisson rôti et un rayon de miel, dont il mangea en leur présence, et leur donna ce qui restait (4). Ensuite il leur dit : Ce que vous voyez (1) Luc., XXIV, 36. - (2) Ibid., 38. - (3) Ibid., 41. - (4) Ibid., 42. 286 c'est ce que, je vous avais dit lorsque j'étais avec vous qu'il fallait que tout ce qui est écrit de moi dans la loi de Moïse, dans les Prophètes et dans les Psaumes, fût accompli (1). Alors il leur ouvrit l'intelligence, ils le connurent , et comprirent les Écritures qui parlaient de sa Passion, de sa mort et de sa résurrection. Et les ayant ainsi éclairés par sa divine lumière, il leur dit une seconde fois : La paix soit avec vous. Comme mon Père m'a envoyé, moi je vous envoie (2), afin que vous enseigniez au monde la vérité et la connaissance de Dieu et de la vie éternelle , et que vous prêchiez la pénitence et la rémission des péchés en mon nom. Ayant dit ces paroles, il souffla sur eux et leur dit : Recevez le Saint-Esprit. Les péchés seront pardonnés à ceux à qui vous les pardonnerez, et ils seront retenus à ceux à qui vous les retiendrez (3). Vous prêcherez parmi toutes les nations, en commençant par Jérusalem (4). Ensuite le Seigneur disparut, les laissant consolés et affermis dans la foi, et leur ayant donné, à eux et aux autres prêtres, le pouvoir de pardonner les péchés. 1488. Tout cela arriva, comme je l'ai dit, en l'absence de saint Thomas. Mais par, une disposition de la divine Providence, il retourna bientôt à l'assemblée qu'il avait quittée, et. les apôtres lui racontèrent tout ce qui leur était arrivé depuis son départ. Et quoiqu'il les eût trouvés tout changés par la joie dont venait de les remplir l'apparition du Seigneur, il n'en persista (1) Luc., XXIV, 44. - (2) Joan., X, 21. - (3) Ibid., 22 et 23. - (4) Luc., XXIV, 47. 287 pas moins dans son incrédulité, déclarant qu'il ne croirait point ce qu'on lui disait, s'il ne voyait les marques des clous dans ses mains, et s'il ne mettait la sienne dans la plaie de son côté (1). L'incrédule Thomas persista dans cette opiniâtreté jusqu'à ce que huit jours après le Seigneur entra une autre fois dans la maison , les portes fermées, et apparut de nouveau au milieu des apôtres, parmi lesquels l'incrédule se trouvait. Il les salua selon sa coutume, leur disant : La paix soit avec vous (2). Et s'adressant à Thomas, il le reprit avec une bonté et une douceur admirable, et lui dit : Approchez-vous, Thomas; mettez ici votre doigt, et regardez mes mains; portez aussi votre main et mettez-la dans mon côté, et ne soyez plus incrédule, niais soumis et fidèle (3). Thomas toucha les sacrées plaies de notre divin Sauveur, et il fut intérieurement éclairé , de sorte qu'il crut et qu'il reconnut sa faute. Et se prosternant il lui répondit : Vous êtes mon Seigneur et mon Dieu (4). Alors Jésus lui dit : Vous croyez, Thomas, parce que vous voyez; heureux ceux qui n'ont point vu, et qui ont cru (5). Puis il disparut, laissant les apôtres et Thomas, qui était avec eux, pleins de lumière et de joie. Ils allèrent aussitôt raconter à la bienheureuse Marie ce qui était arrivé, comme ils l'avaient fait après la première apparition. 1489. Les apôtres ne pénétraient point alors la (1) Joan., XX, 25. - (2) Ibid., 26. - (3) Ibid.. 27. - (4) Ibid., 28. - (5) Ibid., 29. 288 profonde sagesse de la Reine du ciel, et encore moine la connaissance qu'elle avait de tout ce qui leur arrivait, et des oeuvres de son très-saint Fils; c'est pourquoi ils l'informaient de ce qui se passait, comme si elle l'eût ignoré; et elle les écoutait avec la plus grande prudence et avec une douceur maternelle. Après la première apparition quelques apôtres lui parlèrent de l'obstination de Thomas, disant qu'il ne voulait point les croire, quoiqu'ils assurassent avoir vu leur Maître ressuscité; et comme il persévéra pendant ces huit jours dans son incrédulité, l'indignation de ces apôtres contre lui ne fit qu'augmenter. Souvent ils allaient trouver la bienheureuse Vierge, et accusaient Thomas d'un sot entêtement à peine digne de l'homme le plus grossier. Notre indulgente Princesse les écoutait sans émotion, et voyant que les apôtres s'aigrissaient de plus en plus (car ils étaient encore imparfaits), elle interpella les plus mécontents, et les apaisa en leur rappelant que les jugements du Seigneur étaient fort cachés, qu'il tournerait à sa gloire l'incrédulité de Thomas, qu'il en tirerait de grands biens pour les autres, et qu'il fallait qu'ils en attendissent les effets avec patience et sans se troubler. Elle fit une fervente prière pour Thomas, et par son intercession le Seigneur hâta l'application du remède dont cet apôtre incrédule avait besoin. Après qu'il eut reconnu son adorable Maître, et que les autres en eurent informé notre auguste Reine, elle prit de là occasion de les instruire et de les confirmer en la foi; et elle les exhorta à 289 rendre avec elle des actions de grâces au Très-Haut pour un si grand bienfait, et à ne point se laisser ébranler par les tentations, puisqu'ils étaient tous sujets à tomber. Elle leur donna plusieurs autres avis très-salutaires, et les prépara pour ce qu'il leur restait à faire dans la nouvelle Église. 1490. Notre Sauveur fit encore d'autres apparitions et plusieurs autres miracles, comme l'évangéliste saint Jean l'énonce; mais on n'en a écrit que ce qui était suffisant pour établir la foi de la résurrection (1). Le même évangéliste rapporte ensuite que Jésus se manifesta de nouveau à saint Pierre, à Thomas, à Nathanaël, aux fils de Zébédée et à deux autres disciples près de la mer de Tibériade (2) ; et comme cette apparition est fort mystérieuse, j'ai cru ne devoir point l'omettre dans ce chapitre. Voici comment elle eut lieu. Les apôtres se rendirent en Galilée après ce qui leur était arrivé dans Jérusalem, parce que le Seigneur le leur avait ordonné, leur promettant que ce serait là qu'ils le verraient. Or saint Pierre, se trouvant avec les six autres disciples sur les bords de cette mer, leur dit qu'il voulait aller pêcher, puisque c'était son métier, pour tâcher de pourvoir à leurs besoins. Tous se joignirent à lui, et ils passèrent la nuit entière à jeter leurs filets sans prendre un seul poisson. Le matin suivant notre Sauveur leur apparut sur le rivage sans néanmoins se faire connaître. Il était proche de la barque dans laquelle ils pêchaient, et il leur (1) Joan., XV, 30 . - (2) Joan., XXI, 1. 290 demandé : N'avez-vous rien à manger? Ils lui répondirent : Nous n'avons rien (1). Le Seigneur leur dit : Jetez votre filet du côté droit, et vous trouverez quelque chose (2). Ils jetèrent leur filet, et ils ne le pouvaient plus tirer, tant il était rempli de poissons. Alors saint Jean reconnut Jésus-Christ à ce miracle, et s'adressant à saint Pierre il lui dit : " C'est le Seigneur (3). " A ces mots saint Pierre le reconnut aussi, et, emporté par son ardeur ordinaire , il se vêtit aussitôt de sa tunique et se jeta dans la mer, marchant sur les eaux jusqu'à l'endroit où se trouvait le Maître de la vie; et les autres disciples y menèrent leur barque, traînant le filet plein de poissons. 1491. Ils descendirent à terre, et ils trouvèrent que le Seigneur leur avait déjà préparé à manger, car ils virent des charbons allumés et un poisson dessus, et du pain (4); mais le Sauveur leur dit d'apporter quelques poissons de ceux qu'ils venaient de prendre. Saint Pierre monta dans la barque, et tira le filet ù terre: il contenait cent cinquante-trois gros poissons, et cette énorme quantité ne l'avait point déchiré. Le Seigneur leur dit de manger. Et quoiqu'il fût si familier avec eux, personne n'osa lui demander qui il était; car les miracles qu'il venait de faire et la majesté qui paraissait cru lui les avaient pénétrés d'une grande crainte respectueuse. Il s'approcha d'eux, et leur distribua du pain et du poisson. Après qu'ils eurent mangé il se tourna vers saint Pierre et lui (1) Joan., XXI, 5. - (4) Ibid., 6. - (3) Ibid.,7. - (4) Ibid.. 9. 441 demanda : Simon, fils de Jean, m'aimez-vous plus que ceux-ci? Saint Pierre lui répondit: Oui, Seigneur, cous savez que je vous aime. Jésus lui dit : Paissez mes apicaux (1). Il lui demanda de nouveau : Simon, fils de Jean, m'aimez-vous? Saint Pierre répondit encore : Oui, Seigneur, vous savez que je vous aime (2). Il lui demanda pour la troisième fois : Simon, fils de Jean m'aimez-vous? Saint Pierre fut contrasté de ce qu'il lui demandait pour la troisième fois, m'aimez-vous? Il il lui répondit : Seigneur, rien ne vous est caché,vcous savez que je vous aime. Notre Sauveur Jésus-Christ lui dit une troisième fois : Paissez mes brebis (3). Il l'établit ainsi seul chef de son Église universelle et unique, lui donnant comme à son vicaire la suprême autorité sur tous les hommes. Et c'est pour cela qu'il lui demanda si souvent s'il l'aimait, comme si ce seul amour l'eût rendu capable de la dignité souveraine, et eût suffi pour l'exercer dignement. 1492. Ensuite le Seigneur fit connaître à saint Pierre les devoirs de la charge qu'il lui confiait, et lui dit : En vérité, je vous assure que lorsque vous étiez jeune, vous vous ceigniez vous-même, et vous allies oit vous vouliez ; mais quand vous serez vieux; vous étendrez vos bras, et un autre vous ceindra et vous mènera où vous ne voudrez pas aller (4). Saint Pierre comprit que le Sauveur lui prédisait la mort de la croix en laquelle il l'imiterait. Et comme il aimait beaucoup saint Jean, il souhaita savoir ce qu'il de (1) Joan., XXI, 15. - (2) Ibid., 16. -(3) Ibid., 17. - (4) Ibid.,18. 292 viendrait; c'est pourquoi il demanda au Seigneur : Que ferez-vous de celui-ci que vous aimez tant (1)? Le Seigneur lui répondit : Que vous importe de le savoir? Si je veux qu'il demeure ainsi jusqu'à ce que je vienne une seconde fois au monde, cela ne dépendra que de moi. Mais vous, suivez-moi, et ne vous mettez pas en peine de ce que j'en veux faire (2). De là vint que le bruit courut parmi les apôtres que saint Jean ne mourrait point (3). Mais l'évangéliste lui-même fait remarquer que Jésus- Christ ne dit pas d'une manière positive qu'il ne mourrait point, et cela résulte des dernières paroles qu'il adressa à saint Pierre; il semble plutôt que le Seigneur eût l'intention de cuber ce qu'il voulait décider quant à la mort de l'évangéliste, et de s'en réserver alors le secret. La bienheureuse Marie eut une claire connaissance de tousses mystères et de toutes ces apparitions par la révélation dont j'ai parlé en plusieurs endroits. Et comme la dépositaire des ouvres et des mystères du Seigneur en l'Église, elle les repassait souvent dans son esprit. Les apôtres, et surtout son nouveau fils saint Jean, l'informaient de tout ce qui leur arrivait. Cette auguste Princesse demeura dans sa retraite pendant les quarante jours qui s'écoulèrent depuis la résurrection; et elle y jouissait de la vue de son très-saint Fils, de celle des saints et des anges, et ceux-ci répétaient les cantiques de louanges que cette divine Mère faisait, et les recueillait pour ainsi dire sur ses (1) Joan., XXI, 21. - (2) Ibid., 22. - (3) Ibid., 23. 293 lèvres pour exalter la gloire du Seigneur des. victoires et des armées. Instruction que j'ai reçue de notre auguste Reine. 1493. Ma fille, d'instruction que je vous donne dans ce chapitre servira aussi de réponse à la question, que. vous désireriez me faire pour savoir pourquoi mon très- saint Fils apparut une fois en pèlerin et une autre fois en jardinier, et pourquoi il ne se faisait pas toujours connaître aussitôt qu'il se manifestait. Sachez, ma très-chère fille, qu'encore que les Marie et les apôtres fussent disciples du Seigneur, et comparativement beaucoup plus parfaits que tous les autres hommes du monde, ils n'étaient pourtant que des enfants en sainteté, bien loin du degré de perfection auquel ils auraient dû arriver à l'école d'un tel Maître. Ils chancelaient souvent dans leur foi, et dans les autres vertus ils n'avaient pas toute la ferveur que demandaient leur vocation et les bienfaits qu'ils recevaient du Seigneur; orles plus petites fautes que commettent les âmes que Dieu choisit pour les favoriser de ses entretiens les plus familiers, pèsent plus dans les balances de sa très-juste équité que plusieurs lourdes fautes des autres âmes qui ne sont point appelées à cette grâce. C'est pour cette raison que les Marie et les apôtres, quoiqu'ils fussent dans l'amitié du 294 Seigneur, n'étaient pas assez bien disposés, à canne de leurs infidélités et de leur tiédeur, pour sentir aussitôt les effets célestes de la présence de leur divin Maître. Mais avant de se faire connaître à eux, il leur adressait avec un amour paternel des paroles vivifiantes, par lesquelles il les disposait à recevoir,ses lumières et ses faveurs. Quand une fois il avait renouvelé leur foi et leur amour, il se faisait connaître , il leur communiquait l'abondance de sa divinité, qu'ils sentaient, et les comblait des dons les plus admirables au moyen desquels ils s'élevaient au-dessus d'eux-mêmes. Et lorsqu'ils commençaient à jouir des délices de se présence, il disparaissait, afin de leur faire désirer et solliciter avec une nouvelle ardeur ses communications et ses doux entretiens. Voilà, ma fille, les raisons pour lesquelles le Seigneur ne se fit point connaître d'abord qu'il apparat à la Madeleine, aux apôtres et aux disciples qui allaient à Emmaüs. Et il agit à peu près de même envers beaucoup d'Amer qu'il choisit pour leur offrir le commerce le plus intime. 1494. Cet ordre admirable de la divine Providence vous montrera combien vous devez vous reprocher l'incrédulité dans laquelle vous êtes tombée si souvent à l'égard des faveurs que vous recevez de la clémence de mon très-saint Fils; car il est temps que vous modériez les craintes auxquelles vous vous êtes toujours laissée aller, afin que vous ne passiez point de l'humilité à l'ingratitude et du doute à l'obstination et à la dureté de cœur en ne croyant pas que ces faveurs 295 viennent de lui. Vous trouverez aussi une instruction salutaire dans des réflexions sérieuses sur la promptitude avec laquelle le Très-Haut se plaît, par sa charité infinie , à répondre à ceux qui sont humbles et dont le coeur est affligé (1), et à soulager ceux qui le cherchent avec amour (2) , qui méditent sur ses mystères et qui s'entretiennent de sa Passion et de sa mort. Vous connaîtrez les effets de cette charité par l'exemple de Pierre, de la Madeleine et des deux disciples. Imitez donc, ma fille, la Madeleine dans la ferveur avec laquelle elle cherchait son Maître, sans s'arrêter même avec les anges, sans s'éloigner du sépulcre comme tous les autres, et sans prendre un instant de repos jusqu'à ce qu'elle l'eût trouvé. Cette grâce lui fut aussi accordée en récompense de ce qu'elle m'avait accompagnée avec le plus tendre dévouement durant tout le temps de la Passion. Les autres Marie montrèrent le même zèle, et par là elles méritèrent d'être les premières à voir le Sauveur ressuscité. Après qu'elles eurent obtenu cette faveur, l'humilité de saint Pierre et la douleur avec laquelle il pleura son reniement (3), portèrent le Seigneur à le consoler et à ordonner aux Marie de lui annoncer particulièrement la nouvelle de sa résurrection (4): Et peu de temps après il le visita, le confirma en la foi et le remplit de joie et des dons de sa grâce. Quant aux deux disciples, il leur apparut ensuite malgré leurs (1) Ps. XXXIII, 18. - (2) Sap., VI, 13. - (3) Matth., XXVI, 75. - (4) Marc., XVI, 7. 296 doutes, avant de se manifester aux autres, parce qu'ils s'entretenaient avec compassion de sa mort et de ses souffrances. Par là, ma fille, vous devez être persuadée que les hommes ne font aucune bonne oeuvre avec une intention droite, qu'ils n'en reçoivent comme au comptant une grande récompense; car ni le feu le plus ardent ne consume aussi vite la matière la, plus inflammable, ni la pierre que rien ne retient ne tombe aussi rapidement pour arriver à son centre, ni les vagues de la mer ne s'élancent avec autant d'impétuosité , que la bonté du Très-Haut ne le porte à communiquer sa grâce aux âmes, lorsqu'elles se disposent à cette communication en ôtant l'obstacle des péchés, qui arrête en quelque façon avec violente les effusions du divin amour. Cette vérité est une des choses qui excitent le plus vivement l'admiration des bienheureux qui la connaissent dans le ciel. Louez le Seigneur de cette bonté infinie, et de ce que par elle il tire de grands biens des maux qui arrivent, comme il le fit de l'incrédulité des apôtres, dont il se servit pour découvrir à leur égard l'attribut de sa miséricorde, pont établir d'une manière plus incontestable le mystère de sa résurrection , et pour donner une preuve éclatante de la rémissibilité des péchés et de sa clémence eu pardonnant aux apôtres, en oubliant en quelque sorte leurs fautes pour les chercher et pour leur apparaître; enfin eu se familiarisant avec eux comme un véritable Père, qui se plaisait à les éclairer et à proportionner ses instructions à leur ignorance et à leur peu de foi. 297 CHAPITRE XXVIII. Quelques profonds mystères qui arrivèrent à la bienheureuse Marie après la résurrection du Seigneur. - Elle reçoit le titre de Mère et de Reine de l'Église. - Apparition de Jésus-Christ un peu avant son ascension. 1495. L'abondance et la sublimité des mystères m'ont rendue pauvre de paroles dans tout le cours de cette histoire. L'entendement y découvre de grandes choses parla divine lumière, maison n'en peut déclarer' que fort peu : et cette difficulté m'a toujours causé beaucoup de peine, car l'intelligence est féconde et la parole stérile; de sorte que l'expression ne répond pas aux idées que je conçois, les termes dont je me sers me tiennent toujours dans la crainte, et je suis très-peu satisfaite de ce que je dis, parce que tout me parait insignifiant, et que je suis condamnée à laisser entre la pensée et l'expression une grande lacune que je ne saurais remplir. Je me trouve maintenant dans la même peine pour exposer les sublimes mystères qui se passèrent à l'égard de la bienheureuse Marie depuis la résurrection de son adorable Fils jusqu'à son ascension. Après la Passion et la résurrection , le Tout-Puissant la mit dans un nouvel état beaucoup plus 298 élevé; les opérations étaient plus cachées, les faveurs étaient proportionnées à son éminente sainteté et à la volonté secrète de Celui qui les faisait; car cette même volonté était la règle sur laquelle il les mesurait. Que si je devais écrire tout ce qui m'a été manifesté, il faudrait singulièrement allonger cette histoire et multiplier les volumes. On pourra découvrir au moins une partie de ces divins mystères pour la gloire de cette auguste Reine par ce que j'en dirai. 1496. J'ai dit au commencement du chapitre précédent que le Seigneur passa avec sa très-sainte Mère dans le Cénacle les quarante jours qui suivirent sa résurrection, excepté lorsqu'il s'en absentait pour apparaître à quelques personnes, et dans ce cas il y retournait aussitôt. Il n'est pas possible de concevoir les grandes choses que tirent alors le Roi et la Reine (le l'univers. Ce qu'il m'a été donné d'en connaître est ineffable, car ils se livrèrent souvent à de délicieux entretiens pleins d'une sagesse céleste, qui causaient à la divine Mère nue joie particulière, inférieure sans doute à celle de la vision béatifique, mais surpassant toutes les consolations imaginables. D'autres fois cette grande Reine, les patriarches et les saints qui s'y trouvaient clans leur état de glorification , s'occupaient à louer le Très-Haut. Elle connut toutes les oeuvres et les mérites de ces mêmes saints, les bienfaits que chacun d'eux avait reçus de la droite, du Tout-Puissant, tous les mystères, toutes les ligures et toutes les prophéties du temps des anciens 299 Pères qui avaient précédé l'avènement du Messie. Et tout cela était plus présent à sa mémoire qu'à nous autres catholiques l'Ave Maria. Notre. très-prudente Dame considéra les grands motifs que tous ces saints avaient de bénir l'auteur de tous les biens , et quoiqu'ils ne cessassent de le bénir comme tous les justes glorifiés par la vision béatifique, elle leur dit, dans les entretiens qu'elle avait alors avec eux, qu'elle voulait qu'ils exaltassent avec elle le Seigneur pour toutes les faveurs dont elle savait qu'ils avaient été comblés par sa main libérale. 1497. Toute cette auguste assemblée des saints condescendit à la volonté de leur Reine, et ils commencèrent avec ordre ce divin exercice; de sorte qu'ils faisaient tous un choeur où chacun des bienheureux disait un verset, et où la Mère de la Sagesse leur répondait par un autre. Pendant qu'ils continuaient alternativement es doux cantiques, il arrivait que la bienheureuse Vierge disait à elle seule autant de louanges que tous les saints et que tous les anges ensemble; car ceux-ci faisaient aussi leur partie dans ces cantiques nouveaux, qui leur paraissaient aussi admirables qu'aux autres bienheureux, parce que notre auguste Princesse, par la sagesse et le zèle qu'elle témoignait dans une chair mortelle, surpassait, tous ceux qui n'étaient point du nombre des mortels et qui jouissaient de la vision béatifique. Tout ce que la-très-pure Marie fit pendant ces quarante jours est au-dessus de ce que les hommes peuvent concevoir. Mais ses hautes pensées et les motifs de son incomparable prudence 300 furent dignes de son très-fidèle amour; car, sachant que son très-saint Fils s'arrêtait dans le monde surtout pour elle, afin de l'assister et de la consoler, elle résolut de répondre à son divin amour autant qu'il lui était possible. C'est pour cela quelle ordonna que les mêmes saints rendissent à notre adorable Sauveur sur la terre les continuelles louanges qu'ils lui auraient rendues dans le ciel. Et concourant lices louanges de son Fils, elle les éleva su plus haut degré, et fit un ciel du Cénacle. 1498. Elle employa la plus grande partie de ces quarante jours dans ces exercices, et l'on y fit plus de cantiques et d'hymnes que tous les saints et les prophètes ne nous en ont laissé. Quelquefois on s'y servait des psaumes de David et des prophéties de l'Écriture, en les paraphrasant et en découvrant les profonds mystères qui s'y trouvent renfermés; et les saints Pères qui les avaient annoncées s'adressaient d'une manière plus particulière à la bienheureuse Vierge, reconnaissant les faveurs qu'ils avaient reçues de la divine, droite lorsque tant de sublimes secrets leur avaient été révélés. d.a joie que ressentait notre auguste Reine lorsqu'elle répondait à sa très- sainte mère. et à son père saint Joachim , à saint Joseph, à saint Jean-Baptiste et aux grands patriarches, est inexprimable, et il est certain qu'on ne peut imaginer an état plus semblable à la jouissance, béatifique de pieu que celui dans lequel elle se trouvait alors. Une autre grande merveille eut lieu en ce temps-là, ce fut que toutes les âmes des justes qui moururent en grâce 301 pendant ces quarante jours, venaient toutes au Cénacle, et celles qui n'avaient rien à expier y étaient béatifiées. Mais celles qui auraient dû aller en purgatoire y demeuraient sans voir le Seigneur, les unes trois jours, les autres cinq, et les autres plus ou moins de temps. Et alors la Mère de miséricorde satisfaisait pour elles par des génuflexions, des prosternations ou par quelque oeuvre pénible, et surtout par la très-ardente charité avec laquelle elle priait pour elles, et leur appliquait les mérites infinis de son Fils pour acquitter leurs dettes; et par ce secours elle leur abrégeait le temps, et les délivrait de la peine qu'elles souffraient de ne pas voir le Seigneur (car elles n'avaient point celle du sens), et aussitôt elles étaient béatifiées et reçues dans l'assemblée des saints. Et notre très-douce Princesse faisait d'autres cantiques très-sublimes au Seigneur pour chaque nouvelle âme qui y entrait. 1499. Parmi tous ces exercices et toutes ces consolations ineffables, la bienheureuse Vierge n'oubliait point la misère et la pauvreté des enfants d'Ève, qui étaient alors de la gloire et en danger de la perdre; mais, considérant comme une Mère charitable l'état des mortels, elle fit pour tous la plus fervente prière. Elle pria le l'ère éternel de propager la nouvelle loi de grâce partout le monde, de multiplier les enfants de l'Église, de la protéger et de rendre le prix de la rédemption efficace pour tous. Et quoiqu'elle subordonnât, pour ce qui en regardait l'effet, cette prière aux décrets éternels de la sagesse et de la volonté divines, 302 la très-miséricordieuse Mère embrassait tous les mortels dans son affection, et par ses désirs elle étendait sur tous le fruit de la rédemption et le bienfait de la vie éternelle. Outre cette prière générale, elle en fit une -particulière pour les apôtres, et surtout pour saint Jean et pour saint Pierre , parce qu'elle reconnaissait fui pour son fils, et l'autre pour le chef de l'Église. Elle pria aussi pour la Madeleine, pour les Marie, pour tous les autres fidèles qui appartenaient alors à l'Église, et pour l'exaltation de la foi et du nom de son très-saint Fils Jésus-Christ. 1500. Quelques jours avant l'ascension du Seigneur, sa très-sainte Mère étant dans le Cénacle occupée à un de ces exercices, le Père éternel, et le Saint-Esprit y apparurent sur un trône d'une splendeur ineffable, au-dessus des choeurs des anges et des saints qui s'y trouvaient, et des autres esprits célestes qui accompagnèrent les personnes divines. Ensuite celle du Verbe incarné monta sur le trône où étaient les deux autres. Et l'humble Mère du Très-Haut s'étant retirée dans un coin, se prosterna et adora la très-sainte trinité, et en elle son propre Fils incarné. Le Père éternel ordonna à deux anges de la plus haute hiérarchie d'appeler la très-pure Marie, et ils obéirent à l'instant. ils s'approchèrent d'elle, et lui annoncèrent d'une voix très-douce la volonté divine. Elle se releva avec une profonde humilité et une crainte respectueuse, et accompagnée des anges elle s'approcha du trône, au pied duquel elle se prosterna de nouveau. Le Père éternel lui dit : Ma bien-aîmée, 303 montez plus haut (1), et ces paroles opérant ce qu'elles signifiaient, elle fut placée par la vertu divine sur le trône des trois divines personnes. Ce fut un nouveau sujet d'admiration pour les saints, de voir une simple créature élevée à une dignité si éminente. Et connaissant l'équité et la sainteté des couvres du Très-Haut, ils lui donnèrent de nouvelles louanges et le reconnurent pour grand, pour juste, pour puissant, pour saint et pour admirable en tous ses conseils. 1501. Le Père éternel s'adressa à la bienheureuse Marie, et lui dit : " Ma Fille, je vous confie et vous recommande l'Église que mon Fils unique a fondée, la nouvelle loi de grâce qu'il a enseignée dans le monde, et le peuple qu'il a racheté. " Le Saint-Esprit lui dit à son tour : " Mon Épouse, choisie entre toutes les créatures, je vous communique ma sa gesse et ma grâce, et je mets en dépôt dans votre coeur les mystères, les oeuvres, la doctrine et toutes les autres merveilles que le Verbe incarné a opérées dans le monde. " Le Fils s'adressant aussi à elle, lui dit : " Ma Mère bien-aimée, je m'en vais à mon Père, je vous laisse en ma place, et je vous recommande mon Église, ses enfants et mes frères , comme mon Père me les a recommandés. " Puis les trois personnes divines s'adressèrent aux chœurs des anges et des saints, et leur dirent : " Voici la Reine de tout ce qui est créé dans le ciel et sur la terre, voici la Pro tectrice de l'Église, la Maîtresse des créatures, le (4) Luc., XIV, 10. 304 Mère de la charité, l'Avocate des fidèles et des pécheurs, la Mère du bel amour et de l'espérance sainte (1); elle est puissante pour attirer notre clémence et notre miséricorde. Nous l'avons faite la dépositaire des trésors de notre grâce, et avons a gravé notre loi dans son cœur très-fidèle. Flle a renferme les mystères que notre toute-puissance a opérés pour le salut du genre humain. C'est le chef-d'oeuvre de nos mains, où la plénitude de notre volonté se communique et reposé sans aucun n obstacle qui arrête le torrent de nos perfections a divines. Celui qui l'invoquera du fond du coeur ne périra point, et celui pour qui elle intercèdera acquerra la vie éternelle. Nous lui accorderons ce a qu'elle nous demandera, nous accomplirons toujours ses désirs et exaucerons ses prières, parce qu'elle s'est entièrement consacrée à notre bon a plaisir. " L'auguste Vierge s'humilia à l'énumération de ces faveurs ineffables, et plus la droite du Très-Haut l'élevait au-dessus de toutes les créatures humaines et angéliques, plus elle s'abaissait; et adorant le Seigneur, elle s'offrait, comme si elle eût été la dernière de toutes, à travailler dans la sainte Église avec tout le zèle d'une fidèle servante, et à exécuter avec promptitude tout ce que la divine volonté lui ordonnait. Elle accepta de nouveau le soin de l'Église évangélique, comme une mère pleine de tendresse pour tous ses enfants; et elle réitéra dès cette heure les (1) Eccles., XXIV, 24. 305 prières qu'elle avait faites pour eus jusqu'alors, de sorte qu'elle les continua avec beaucoup de ferveur pendant toute sa vie, comme nous le verrons dans la troisième partie de cette histoire, où l'on connaîtra plus clairement ce que l'Église doit à cette grande Reine , et les bienfaits qu'elle lui mérita et lui obtint. Par toutes ces faveurs et par celles que je marquerai dans la suite, elle eut une espèce de participation de l'être de son adorable Fils, que je ne saurais exprimer, car ce divin Seigneur lui donna une communication de ses attributs et de ses perfections qui correspondait su ministère de Mère et de Maîtresse de l'Église, en la place de Jésus-Christ lui- même; et par cette communication elle fut élevée à un être tout nouveau de science et de pouvoir: ainsi rien ne lui fut caché, soit dans les mystères divins soit dans les coeurs des hommes. Elle sut en quel temps et comment elle devait user de la puissance divine à laquelle elle participait à l'égard des hommes, des démons et de toutes les créatures; en un mot, notre grande Reine reçut dignement et avec plénitude tout ce qu'une simple créature était capable de recevoir. Saint Jean eut quelque intelligence de ces mystères, et elle lui fut accordée afin qu'il connût et estimât au degré convenable le trésor qui lui avait été confié, et dès ce jour-là il prit un nouveau soin de révérer et de servir la Maîtresse de l'univers. 1502. Le Très-Haut fit d'autres faveurs merveilleuses à la bienheureuse Marie pendant l'espace dé ces quarante jours, sans en laisser passer aucun qu'il 306 ne déployât pour elle sa toute-puissance par quelque bienfait singulier, comme se plaisant à l'enrichir de plus en plus avant de partir pour le ciel. Or, comme le temps déterminé par la divine Sagesse allait être accompli, auquel le Seigneur devait s'en retourner à son Père éternel, alors qu'il avait, comme le dit saint Luc (1), établi le mystère de sa résurrection par diverses apparitions et par les preuves les plus éclatantes, il résolut de se manifester de nouveau à toute l'assemblée, où les apôtres, les disciples et les femmes dévotes se trouvaient au nombre de six-vingts personnes. Cette apparition eut lieu dans le Cénacle le jour mémé de l'Ascension , après celle dont saint Marc fait mention dans le dernier chapitre de sou Évangile (2). Car après que les apôtres furent allés en Galilée par ordre du Seigneur (3), et qu'ils l'y eurent vu près de la mer de Tibériade (4), comme je l'ai rapporté, et sur la montagne où saint Matthieu dit qu'ils l'adorèrent (5), et où cinq cents disciples le virent, suivant le témoignage de saint Paul (6); après, dis-je, ces apparitions, ils s'en retournèrent à Jérusalem, le Seigneur le disposant de la sorte afin qu'ils se trouvassent présents à son admirable ascension. Et les onze apôtres étant à table, le Seigneur entra, comme le racontent saint Marc dans son Évangile (7), et saint Luc dans les Actes des (1) Act., I, 3. - (2) Marc., XVI, 14. - (3) Matth., XXVIII, 10. - (4) Joan., XXI, 1. - (5) Matth., XXVIII, 17. - (6) I Cor., XV, 6. (7) Marc., XVI, 14. 307 Apôtres (1), et il mangea avec eux avec une bonté et une familiarité paternelle, tempérant les splendeurs de sa gloire afin de se laisser voir à tous. Et après qu'ils eurent achevé de manger, il leur dit avec un sérieux plein de majesté et de douceur 1503. " Sachez, mes disciples, que mon Père éternel m'a donné toute puissance dans le ciel et sur la terre (2); et je veux vous la communiquer, afin que vous étendiez ma nouvelle Église par tout le monde. Vous avez été incrédules, et n'avez ajouté foi à ma résurrection qu'avec beaucoup de peine ; mais il est temps que, comme mes fidèles disciples, vous instruisiez tous les hommes, et que vous leur prêchiez la foi et mon Évangile comme je vous l'ai enseigné. Vous baptiserez ceux qui croiront, et vous leur confèrerez le baptême au nom du Père, et du Fils (qui n'est autre que moi), et du Saint-Esprit (3). Celui qui croira et qui sera baptisé sera sauvé ; mais celui qui ne croira pas sera condamné (4). Enseignez aux fidèles à garder ma sainte loi. Elle sera confirmée par plusieurs miracles; car ceux qui croiront chasseront les démons en mon nom ; ils parleront des langues qui leur étaient inconnues (5) ; ils guériront les morsures des serpents ; et s'ils boivent du poison, il ne leur nuira pas, et en imposant les mains sur les malades, ils leur rendront la santé (6). " Ce furent (1) Act., I, 4. - (2) Matth., XXVIII, 18. - (3) Ibid., 10. - (4) Marc., XVI, 16. - (5) Ibid., 17. - (6) Ibid., 18. 308 les merveilles que notre Sauveur Jésus-Christ promit pour établir son Église par la prédication de l'Évangile ; elles ont été toutes accomplies dans les apôtres et dans les fidèles de la primitive Église. Et le Seigneur continue les mêmes miracles, lorsqu'il le juge nécessaire, pour propager l'Évangile dans les parties du monde où il n'a pas été reçu, et pour conserver sa sainte Église dans les contrées où elle est établie; car il n'abandonnera jamais sa très-chère épouse. 1504. Ce même jour, par une disposition divine, pendant que le Seigneur était avec les onze apôtres, plusieurs autres fidèles et quelques saintes femmes s'assemblèrent dans la maison du Cénacle jusqu'au nombre de six-vingts, ainsi qu'on l'a vu plus haut car notre divin Maître avait résolu que toutes ces personnes fussent témoins de son ascension. Il voulut d'abord les instruire de ce qu'il convenait qu'ils apprissent avant qu'il montât au ciel, et faire en même temps ses adieux à toute l'assemblée. Or ils étaient tous réunis en paix et en charité dans la salle où la Cène avait été célébrée, quand l'Auteur de la vie leur apparut, et leur dit avec une douceur et une tendresse véritablement paternelle : 1505." Mes.très-chers enfants, je m'en vais monter vers mon Père, du sein duquel je suis descendu pour sauver et racheter les hommes. Je vous laisse en ma place ma Mère, qui sera votre Protectrice, votre Avocate, votre Consolatrice et votre Mère vous l'écouterez et lui obéirez en tout. Et comme je vous ai dit que qui me verra aussi mon 309 Père, et que celui qui me connaît le connaîtra aussi (1) , je vous assure maintenant que celui qui connaîtra ma Mère me connaîtra aussi; que celui qui l'écoute m'écoute; que celui qui lui obéira m'obéira; que celui qui l'offensera m'offensera ; et que celui qui l'honorera m'honorera aussi. Vous la reconnaîtrez tous pour votre Mère et pour votre Supérieure; et vos successeurs en feront de même. Elle résoudra toutes vos difficultés, et vous me trouverez en elle toutes les fois que vous me chercherez : car j'y demeurerai jusqu'à la fin du monde, et je m'y trouve maintenant, mais d'une manière qui vous est cachée. " Le Seigneur parla de la sorte parce qu'il était dans le sein de sa Mère sous les espèces sacrées qu'elle reçut su moment de la Cène; car elles s'y conservèrent sans aucune altération jusqu'à la première messe que l'on célébra ensuite, comme je le dirai plus loin, et ce fut ainsi que notre adorable Sauveur accomplit ce que saint Matthieu rapporte qu'il leur dit dans cette occasion : " Je suis avec vous jusqu'à la fin des siècles (2). " Le Seigneur ajouta : " Vous reconnaîtrez Pierre pour le chef suprême de mon Église, en laquelle je le laisse pour mon Vicaire; et vous lui obéirez comme en étant le souverain Pontife. Vous considérerez Jean comme le fils de ma Mère; car je le lui ai recommandé en cette qualité du haut de la croix (3). " Le Sauveur regardait sa très-sainte Mère, qui se (1) Joan., XIV, 9. - (2) Matth., XXVIII, 20. - (3) Joan., XIX, 26. 310 trouvait présente, et lui découvrait secrètement le dessein qu'il avait, de prescrire à toute cette assemblée de l'adorer par le culte qui était dû à sa dignité de Mère, et de laisser à cet égard un commandement spécial à l'Église. Mais la très-humble Dame supplia son Fils de ne lui décerner que l'honneur qui était absolument nécessaire pour exécuter tout ce dont il l'avait chargée, et de ne point permettre que les nouveaux enfants de l'Église lui rendissent une plus grande vénération que celle qu'ils lui avaient rendue jusqu'alors afin que le culte sacré s'adressât entièrement et directement au Seigneur lui-même, et servît à la propagation de l'Évangile et à l'exaltation de son saint Nom. Notre Rédempteur Jésus-Christ exauça cette très- prudente prière de sa Mère, tout en se réservant de la faire mieux connaître en temps convenable; et en la comblant secrètement des faveurs les plus extraordinaires, comme nous le verrons dans la suite de cette histoire. 1506. La tendre exhortation que notre divin Maître fit à cette sainte assemblée, les mystères qu'il lui découvrit, les adieux qu'il lui adressa, produisirent des effets admirables en tous ceux qui y assistaient : car ils furent tout enflammés du divin amour par la foi vive qu'ils eurent aux mystères de sa Divinité et de son humanité. Ils pleuraient amoureusement, et poussaient des soupirs du fond de leur cœur su souvenir de sa doctrine, de ses paroles vivifiantes, de sa douce conversation, et à la pensée qu'ils allaient être bientôt privés de tant de biens. Ils 311 auraient bien voulu le retenir, mais cela n'était ni possible, ni convenable. Ils auraient voulu lui faire leurs derniers adieux , et ils ne pouvaient s'y résoudre. Partagés entre la joie et la tristesse, ils sentaient dans leur coeur mille mouvements contraires. Comment, disaient-ils, pourrons-nous vivre sans un tel Maître ? Qui nous instruira et nous consolera comme lui ? Qui nous accueillera avec tant de douceur? Qui sera notre Père et notre protecteur? Nous serons orphelins dans le monde. Quelques-uns rompirent le silence, et dirent au Sauveur : " O notre très- aimable Père, ô vie de nos aines! Quoi ! main tenant que nous. vous connaissons pour notre Restaurateur, vous nous quittez ! Emmenez-nous, Seigneur, avec vous; ne nous privez point de votre vue. O notre douce espérance, que ferons-nous sans vous? Où irons-nous si vous nous abandonnez? Quel chemin prendrons-nous si nous ne vous suivons comme notre Père, notre Chef et notre Maître ? " A toutes ces amoureuses plaintes des fidèles, le Seigneur leur répondit de ne point s'éloigner de Jérusalem, et de persévérer dans la prière jusqu'à ce qu'il leur envoyât le Saint- Esprit consolateur que le Père avait promis, ainsi que le même Seigneur l'avait dit aux apôtres dans le Cénacle. Ensuite il arriva ce que je rapporterai dans le chapitre suivant. 312 Instruction que la Reine du ciel m'a donnée. 1507. Na fille, il est juste qu'étant dans l'admiration des secrètes faveurs que j'ai reçues de la droite du Tout-Puissant (1), vous redoubliez votre zèle pour le bénir, et lui donner des louanges éternelles en mémoire de tant de choses merveilleuses. Et quoique je vous en cache beaucoup, que vous ne connaîtrez qu'après que vous serez hors de la chair mortelle, je veux que dès maintenant vous vous regardiez comme particulièrement et personnellement tenue à exalter le Seigneur, en reconnaissance de ce que m'ayant formée de la commune masse d'Adam, il m'a tirée de la poussière, et a fait éclater en moi la puissance de son bras, et a opéré tant de prodiges pour celle qui ne pouvait dignement les mériter. Pour rendre ces justes louanges au Très-Haut, ne vous lassez pas de répéter en mon nom le cantique que j'ai fait, le Magnificat, dans lequel je les ai renfermées en peu de paroles (2). Quand vous serez seule, vous le direz à genoux ou prosternée en terre, ayant surtout soin de le réciter avec beaucoup de ferveur et de vénération. Cet exercice que je vous indique me sera fort agréable, et je le présenterai au Seigneur si vous vous en acquittez en la manière que je souhaite. (1) Luc., I, 49. - (2) Ibid., 46. 1508. Et comme je vois que vous vous étonnez toujours de ce que les évangélistes n'ont point écrit ces grandes choses que le Très-Haut a faites à mon égard, je veux vous donner de nouveau des explications que vous avez déjà entendues en d'autres circonstances; car je désire qu'elles restent gravées dans la mémoire de tous les mortels: je vous réponds donc que j'ordonnai moi-même aux évangélistes de n'en écrire que ce qui serait nécessaire pour établir l'Église sur les articles de la foi, et sur les commandements de la loi divine : car je connus, comme Maîtresse de l'Église, et par la science infuse que le Très-Haut m'avait donnée pour m'acquitter de ce ministère, que quelques mots sur mes excellences suffisaient pour lors. Toutes mes prérogatives étaient renfermées en ma dignité de Mère de Dieu, et en cette déclaration que j'étais pleine de grâce : mais la Providence. divine en réservait l'exposition plus complète pour le temps le plus opportun, jusqu'à ce que la foi eût été mieux établie. Il est vrai que dans les siècles passés quelques-uns des mystères qui me concernent ont été successivement manifestés; mais la plénitude de cette lumière vous a été communiquée, quoique vous ne soyez qu'une vile créature, à cause des misères et de l'état déplorable où se trouve le monde; c'est pour cela que la divine miséricorde a bien voulu ménager aux hommes ce moyen si favorable, afin qu'ils cherchent leur remède et le salut éternel par mon intercession. Il y a longtemps que vous l'avez compris, et vous le comprendrez encore au 314 mieux dans la suite. Mais je veux d'abord que vous vous appliquiez entièrement à m'imiter, et que vous méditiez sans cesse mes vertus, afin de remporter 1a victoire sur mes ennemis et les vôtres, comme vous le souhaitez. CHAPITRE XXIX. Notre Rédempteur Jésus-Christ monte an ciel avec tous les saints qu'il avait tirés des Limbes. - Il emmène aussi sa très-sainte Mère pour la mettre en possession de la gloire. 1509. Le moment heureux arriva bientôt où le Fils unique du Père éternel, qui était descendu du ciel pour se revêtir de la chair humaine, devait y remonter par sa propre vertu pour s'asseoir à la droite de Celui dont il était l'éternel héritier, engendré de sa substance en égalité, et en unité de nature et de gloire infinie. Il monta si haut, parce qu'il était auparavant descendu dans les lieux inférieurs de la terre, suivant l'expression de l'Apôtre (1) et ce fut après avoir accompli toutes les choses qui avaient été dites et écrites de son avènement au (1) Ephes., IV, 9. 315 monde, de sa vie, de sa mort et de la rédemption du genre humain ; avoir pénétré, comme Seigneur de tout ce qui est créé, jusqu'au centre de la terre, et avoir déclaré que, s'il ne montait pas au ciel, le Saint-Esprit ne viendrait point (1), qu'il couronna tous ses mystères par celui de son ascension glorieuse. Or, pour célébrer ce jour si solennel et si mystérieux, notre Seigneur Jésus-Christ choisit pour témoins de son ascension les six-vingts personnes qu'il avait réunies dans le Cénacle, comme il a été rapporté dans le chapitre précédent ; cette très-heureuse assemblée se composait de la très-pure Marie, des onze apôtres, des soixante-douze disciples, de Marie-Madeleine, de Marthe et de leur frère Lazare, des autres Marie, et de quelques autres hommes et femmes fidèles. 1510. Notre divin Pasteur sortit du Cénacle avec ce petit troupeau , qu'il conduisait devant lui par les rues de Jérusalem, sa bienheureuse Mère étant à ses côtés. Les apôtres et tous les autres se dirigèrent ensuite, par ordre du Seigneur, vers Béthanie, qui n'est éloignée que d'environ une demi-lieue du pied du mont des Oliviers. Les saints qui avaient été tirés des limbes et du purgatoire suivaient le divin Triomphateur, lui chantant avec les anges qui l'accompagnaient de nouveaux cantiques de louanges : mais ils n'étaient visibles qu'à l'auguste Marie. La résurrection de Jésus de Nazareth était déjà divulguée (1) Joan., XVI, 7. 316 dans la ville de Jérusalem et par toute la Palestine, quoique les princes des prêtres eussent employé tous leurs efforts pour faire prévaloir le faux témoignage des soldats, qui prétendaient que ses disciples avaient enlevé son corps (1) ; mais la plupart découvrirent leur perfidie, et ne voulurent point y ajouter foi. La divine Providence ne permit point que parmi les habitants de la ville aucun des incrédules ou de ceux qui doutaient vit ou troublât cette sainte procession qui sortait du Cénacle: car ils furent tous privés de cette consolation par nue espèce d'éblouissement, comme incapables de connaître un mystère si admirable ; et notre Sauveur Jésus-Christ ne se manifestait qu'aux six-vingts justes qu'il avait choisis, afin qu'ils le vissent monter au ciel. 1511. Ils marchèrent tous avec cette assurance que le Seigneur leur inspirait, jusqu'au sommet du mont des Oliviers ; et étant arrivés au lieu déterminé, ils formèrent trois choeurs, l'un d'anges, l'autre des saints qui étaient sortis des limbes, et le troisième des apôtres et des autres fidèles, et se partagèrent en deux ailes, dont notre Sauveur Jésus-Christ était le Chef. Puis la très-prudente Mère se prosterna aux pieds de son Fils, l'adora comme vrai Dieu et Rédempteur véritable du monde, et lui demanda sa dernière bénédiction. Tous les autres fidèles qui se trouvaient présents en firent de même à l'imitation de leur Reine. Alors ils demandèrent avec (1) Matth., XXVIII, 13. 317 beaucoup de larmes au Seigneur s'il rétablirait en ce temps-là le royaume d'Israël (1). Il leur répondit que ce secret appartenait à son Père éternel, et qu'il ne leur convenait pas de le savoir (2) ; mais qu'il fallait qu'ils reçussent le Saint-Esprit, et qu'ensuite ils prêchassent les mystères de la rédemption du genre humain dans Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu'aux extrémités de la terre (3). 1512. Après que le Seigneur eut adressé cet adieu à cette sainte et heureuse assemblée des fidèles, il joignit les mains avec un air serein et majestueux, et commença à s'élever de terre par sa propre vertu, y laissant les vestiges ou l'empreinte de ses pieds sacrés. Il monta insensiblement dans la région de l'air, ravissant les yeux et le coeur de ces nouveaux enfants de l'Église. Et comme le premier mobile imprime le mouvement à tous les cieux inférieurs qu'il renferme dans sa vaste sphère, de même notre Sauveur Jésus-Christ attira après lui les anges, les saints Pères, et les autres justes qui l'accompagnaient, les uns en corps et en âme, les autres en leurs âmes seulement : de sorte qu'ils s'élevèrent tous ensemble de terre dans le plus bel ordre , et suivirent leur Roi. et leur Chef. Le nouveau mystère que la droite du Très-Haut opéra en ce moment, fut d'emmener sa très- sainte Mère pour lui donner dans le ciel la possession de la gloire et de la place (1) Act., I, 6. - (I) Ibid., 7. - (3) Ibid., 8. 318 qu'il lui avait destinée comme à sa Mère véritable, et qu'elle s'était acquise par ses mérites. La bienheureuse Vierge était déjà préparée à cette faveur avant de la recevoir; car son très-saint Fils la lui avait promise pendant les quarante jours qu'il demeura avec elle après sa résurrection. Et afin que ce mystère ne fuit alors découvert à aucun mortel, que les apôtres et les autres fidèles ne fussent point privés de la présence de leur auguste Maîtresse, et qu'elle persévérât à prier avec eux jusqu'à la venue du Saint-Esprit (comme il est marqué dans les Actes des Apôtres) (1), la puissance divine fit qu'elle se trouvât, d'une manière miraculeuse, en deux endroits car elle resta su milieu des enfants de l'Église, elle se rendit avec eux su Cénacle, et en même temps elle monta su ciel avec le Rédempteur du monde, et sur son propre trône, où elle s'assit trois jours avec le plus parfait usage de ses puissances et de ses sens, tandis qu'on la voyait aussi dans le Cénacle tout absorbée dans la contemplation. 1513. La bienheureuse Vierge fut élevée avec son très-saint Fils, et placée à sa droite, et alors s'accomplit ce que dit David : que la Reine était à sa droite, revêtue des splendeurs de la gloire, comme d'un manteau d'or pur (2), et parée de tous les dons et de toutes les grâces à la vue des anges et des saints qui escortaient le Seigneur. Or, afin que l'admiration de ce grand mystère enflamme davantage (1) Act., I, 14. - (2) Ps. XLIV, 10. 319 la dévotion et la foi vive des fidèles, et les porte à glorifier l'Auteur d'une merveille si inouïe, il faut que ceux qui liront ce miracle sachent que dès que le Très-Haut m'eut déclaré qu'il voulait que j'écrivisse cette histoire, et m'eut même prescrit à diverses reprises d'entreprendre cet ouvrage, pendant plusieurs années successives sa divine Majesté me fit connaître divers mystères, et me découvrit un grand nombre des sublimes secrets que j'ai écrits et que je dois écrire dans la suite : parce que la haute importance du sujet exigeait cette préparation. Je ne recevais pas néanmoins toutes ces lumières à la fois parce que la capacité de la créature est trop bornée pour profiter d'une si grande abondance. Mais lorsque je devais écrire , la lumière de chaque mystère en particulier m'était renouvelée d'une autre manière. Je recevais ordinairement l'intelligence de tous ces mystères aux jours de fête consacrés à notre Sauveur Jésus-Christ, et à notre auguste Reine; et quant à cette grande merveille que le Seigneur opéra lorsqu'il emmena le jour de son ascension sa très-sainte Mère dans le ciel, tandis qu'elle se trouvait encore miraculeusement dans le Cénacle , je l'ai connue aux mêmes jours pendant plusieurs années consécutives. 1514. La certitude qui est inséparable de la vérité divine, ne laisse aucun doute dans l'entendement de celui qui la contrait et qui la considère en Dieu, où tout est lumière sans mélange de ténèbres (1), et où (1) I Joan., I, 5. 320 l'on discerne à la fois l'objet et sa raison d'être. Mais pour ce qui regarde ceux qui lisent ou entendent seulement ces mystères, il faut donner des motifs à leur piété pour les porter à croire ce qu'ils ont d'obscur. C'est pour cela que j'aurais hésité à rapporter cette secrète et mystérieuse ascension de notre auguste Reine au ciel avant sa mort, si je n'eusse craint de me rendre grandement coupable en excluant de cette histoire un fait si merveilleux, et qui constitue pour elle une prérogative si glorieuse. Je me trouvai dans cette hésitation la première fois que je connus ce mystère, mais je ne m'y trouve pas maintenant que je l'écris, ayant déjà déclaré dans la première partie, que la bienheureuse Vierge fut portée dans le ciel empyrée aussitôt après sa naissance, et ayant dit ensuite dans cette seconde partie que cela lui était arrivé deux fois pendant les neuf jours qui précédèrent l'incarnation du Verbe, pour la disposer, dignement à un si haut mystère. En effet, si le Tout- Puissant a accordé des faveurs si admirables à la très-pure Marie avant qu'elle fût la Mère du Verbe, afin de la préparer à cette sublime dignité, il est bien plus croyable qu'il les lui aura renouvelées lorsque déjà elle était consacrée comme l'ayant reçu dans son sein virginal, où elle lui donna la forme humaine de son sang le plus pur, lorsqu'elle l'avait nourri de son propre lait, élevé comme son Fils véritable, lorsque enfin elle l'avait servi l'espace de trente-trois ans, et imité en sa vie, en sa Passion et en sa mort avec une fidélité qu'aucune langue ne saurait exprimer. 321 1515. Si l'on cherche dans ces mystères de la bienheureuse Marie les raisons pour lesquelles le Très-Haut les a opérés en elle, ou les a tenus si longtemps cachés dans son Église, c'est là une tout autre chose. Le prodige en lui-même doit se mesurer sur la puissance de Dieu, sur l'amour incompréhensible qu'il a eu pour sa Mère, et sur la dignité qu'il lui a donnée au-dessus de toutes les créatures. Et comme les hommes, tant qu'ils vivent dans leur chair mortelle, ne parviennent jamais à connaître entièrement ni la dignité de l'auguste Vierge Mère, ni l'amour que son adorable Fils a pour elle, ni la tendresse qu'a la très-sainte Trinité à son égard, ni ses mérites, ni la sainteté à laquelle la toute-puissance du Très-Haut l'a élevée, ils sont toujours tentés, dans leur ignorance, de limiter le pouvoir qu'il lui a plu de faire éclater, en opérant en faveur de sa Mère tout ce qu'il a pu, c'est-à-dire tout ce qu'il a voulu. Or, s'il s'est donné à elle seule d'une manière si particulière que de devenir le Fils de sa propre substance, il fallait, par une conséquence rigoureuse, qu'il fit à son égard, dans l'ordre de la grâce, ce qu'il n'était pas convenable de faire à l'égard d'aucune autre créature, ni même à l'égard du genre humain tout entier; et non-seulement les faveurs, les dons et les hies dont le Seigneur a comblé sa très- sainte Mère, doivent être exceptionnels; mais la règle générale est qu'il ne lui en a refusé aucun de toits ceux qu'il a pu lui faire, pour rehausser sa gloire et sa sainteté, et les rapprocher de celle de son humanité très-sainte. 322 1516. Mais pour ce qui est de la bonté que Dieu a eue de découvrir ces merveilles à son Église, il s'y trouve d'autres raisons de sa haute providence, par laquelle il la gouverne et lui procure de nouvelles lumières, selon les temps et les besoins qui s'y présentent. Car l'heureux jour de la grâce qui a lui sur le monde par l'incarnation du Verbe et la rédemption des hommes, a son lever et son midi, comme il aura son coucher; et la Sagesse éternelle dispose lés choses et règle les heures suivant ses desseins et dans l'ordre le plus convenable. Quoique tous les mystères de Jésus- Christ et de sa Mère soient contenus dans les divines Écritures, ils ne sont pas également tous manifestés à la fois; mais le Seigneur tire pou à peu le voile des figures, des métaphores ou des énigmes; de sorte que plusieurs mystères qui étaient comme renfermés et réservés pour nue certaine époque, ont été découverts comme les rayons du soleil le sont lorsque se retire la nue qui les intercepte. On ne doit pas s'étonner si les hommes ne reçoivent que peu à peu les rayons de cette divine lumière, puisque les anges eux-mêmes, qui connurent dès leur création le mystère de l'incarnation en substance d'une manière assez, vague, et comme la fin à laquelle se rapportait out le ministère qu'ils devaient exercer auprès des bouillies, ne découvrirent pas néanmoins toutes les conditions, tous les effets et toutes les circonstances de ce mystère; au contraire, ils n'en ont connu la plupart que dans le cours des cinq mille deux cents et quelques années qui se sont écoulées depuis la création du 323 monde. Cette connaissance nouvelle de particularités qu'ils ignoraient, redoublait leur admiration, et les portait à glorifier de nouveau Celui qui en était l'auteur, comme je l'ai remarqué en divers endroits de cette histoire. Par cet exemple je réponds à l'étonnement que pourraient avoir ceux qui apprendront pour la première fois le mystère de la très-pure Marie que j'expose ici, et qui a été caché jusqu'au moment où le Très-Haut a bien voulu le découvrir avec les autres que j'ai fait et ferai connaître dans la suite. 1517. Avant que j'eusse été informée de ces raisons, lorsque je commençai à connaître ce mystère que notre Sauveur Jésus-Christ opéra en emmenant sa très- sainte Mère avec lui dans son ascension, grands furent mon embarras et mon admiration, non pas taut pour ce qui me concernait que par rapport à ceux qui l'entendraient rapporter. Entre autres choses par lesquelles le Seigneur daigna m'éclairer alors, il lite rappela ce qu'avait. écrit de lui-même dans l'Église, saint Paul racontant le ravissement qu'il eut jusqu'au troisième ciel, c'est-à-dire jusqu'au ciel des bienheureux, sans déterminer s'il y fut ravi avec son corps ou sans son corps , et sans nier ni affirmer plutôt l'un que l'autre, puisqu'il suppose an contraire qu'il a pu être ravi de l'une de ces deux manières comme de l'autre. Je compris donc que, s'il est possible que l'Apôtre ait été, au commencement de sa conversion, ravi avec sou corps jusqu'au ciel empyrée, lorsque sa (1) II Cor., XII, 2. 324 vie précédente offrait, non des mérites mais des fautes, et que s'il n'y avait ni témérité ni inconvénient dans l'Église à croire que le pouvoir divin ait fait ce miracle en sa faveur, on ne devait pas douter que le Seigneur n'eût accordé ce privilège à sa Mère, qui était déjà remplie de tant de mérites ineffables et élevée à une si haute sainteté. Le Seigneur me fit aussi entendre que, puisque les autres saints gui étaient ressuscités avec Jésus-Christ avaient obtenu de monter avec lui au ciel en corps et en âme, il y avait bien plus de sujet d'accorder ce bienfait à sa très-pure Mère; car quand même il eut été refusé à tous les autres mortels, il était en quelque sorte dû à la bienheureuse Marie parce quelle avait souffert avec lui. Il était juste qu'elle eût part au triomphe du Sauveur, et à la joie avec laquelle il allait s'asseoir à la droite de son Père éternel , pour que sa propre Mère pût à son tour se placer à la sienne , elle gui lui avait fourni de sa propre substance cette nature humaine en laquelle il montait triomphant au ciel. Et comme il était convenable que le Fils et la Mère ne fussent point séparés dans ce triomphe, il l'était aussi qu'aucun autre enfant de la race humaine n'arrivât eu corps et en âme à la possession de cette félicité éternelle avant l'auguste Marie, eût-ce été son père, sa mère et son époux Joseph; car ce jour-là il aurait manqué quelque chose à la joie accidentelle de tous ceux qui montaient avec notre Rédempteur Jésus-Christ, et même à celle de son humanité sainte, si la très-pure Marie avait été absente, et si elle n'était 325 entrée avec eux dans la patrie céleste, comme Mère de leur Restaurateur et Reine de tout ce qui est créé, qu'aucun de ses sujets ne devait devancer en cette faveur. 1518. Ces raisons me semblent suffisantes pour satisfaire la piété des catholiques, pour les consoler et les réjouir saintement par la connaissance de ce mystère et de plusieurs autres de cette nature, dont je parlerai dans la troisième partie. Et reprenant le fil de l'histoire, je dis que notre Sauveur emmena avec lui dans son ascension sa très-sainte Mère revêtue de splendeur et de gloire à la vue des anges et des saints, qui en recevaient une joie inexprimable. Il fut très-utile que les apôtres et les autres fidèles ignorassent alors ce mystère, car s'ils eussent vu monter leur Mère et leur Maîtresse avec Jésus-Christ, ils eussent été plongés dans la consternation, puisque la plus grande consolation qu'il leur restât était d'avoir parmi eux la Mère la plus compatissante. Néanmoins ils éclatèrent en sanglots et en gémissements, quand ils virent que leur très-aimable Maître et leur Rédempteur s'éloignait en s'élevant de plus en plus. Et au moment où ils commençaient à le perdre de vue, une nuée très-lumineuse se mit entre le Seigneur et ceux qui demeuraient sur la terre, et le déroba entièrement à leurs regards (1). La personne du Père éternel tenait dans cette nuée : il descendit de l'empyrée jusqu'à la région de l'air à la rencontre de son (1) Act., I, 9. 326 Fils unique incarné, et de la Mère qui lui avait donné le nouvel être humain dans lequel il s'en retournait. Puis, le Père les approchant de lui, les reçut avec un embrassement propre à l'amour infini; et ce spectacle causa une nouvelle joie aux légions innombrables d'anges qui accompagnaient la personne du Père éternel. Bientôt cette divine assemblée traversa rapidement les éléments et les sphères célestes, et arriva aux hauteurs de l'empyrée. A l'entrée qui. s'y fit, les anges qui montaient de la terre avec leur Roi et leur Reine, Jésus et Marie, et ceux qu'ils avaient rencontrés dans la région de l'air, s'adressant aux autres qui étaient demeurés dans le ciel empyrée, répétèrent les paroles de David (1), en y ajoutant les choses relatives au mystère. 1519. Ouvrez, ouvrez vos portes éternelles, ô princes; et vous, portes, ouvrez-vous, afin de laisser entrer dans sa demeure le grand Roi de gloire, le Seigneur des puissances, qui est fort et puissant dans les combats, qui est vainqueur, et qui revient victorieux et triomphant de tons ses ennemis. Ouvrez les portes du paradis suprême, et laissez-les toujours ouvertes, car voici le nouvel Adam, le Restaurateur de tout le genre humain, qui est riche en miséricorde (2), opulent dans les trésors de ses propres mérites, chargé des dépouilles et des prémices de la rédemption abondante (3) qu'il a opérée dans le monde, par sa mort. Il a réparé la perte de notre nature, et a (1) Ps. XXIII, 7. - (2) Ephes., II, 4. - (3) Ps. CXXIX, 7. 326 élevé la nature humaine à la dignité souveraine dé son propre être immense. II vient avec le royaume des élus que son Père lui a donnés. Il a racheté les mortels, et par sa miséricorde libérale il leur laisse le moyen de pouvoir légitimement reconquérir le droit qu'ils avaient perdu par le péché, et de mériter par l'observance de sa loi la vie éternelle en qualité de ses frères et comme héritiers des biens de son Père (1); en outre, pour sa plus grande gloire et pour mettre le comble à notre joie, il amène à ses côtés la Mère de bonté qui lui a donné la forme humaine, en laquelle il a vaincu le démon , et notre Reine vient parée de tant de beauté et de grâce, qu'elle charme tous ceux qui la regardent. Sortez, sortez, divins courtisans, vous verrez notre Roi revêtu de splendeur avec le diadème que sa Mère lui a donné (2), et vous verrez sa Mère couronnée de la gloire que son Fils lui donne. 1520. Cette procession toute nouvelle et si bien rangée arriva an ciel empyrée au milieu de transports d'allégresse qui surpassent tout ce qu'on petit imaginer. Et après que les anges et les saints eurent formé deux choeurs, notre Rédempteur Jésus-Christ et sa bienheureuse Mère passèrent entre deux, et tous à leur tour rendirent ait Sauveur l'adoration suprême, et à sa très-sainte Mère l'hommage qui était dû à sa haute dignité, chantant de nouveaux cantiques de louanges à l'Auteur de la grâce et de la vie, et à sa (1) II Tim., IV, 8. - (2) Cant., III, 11. 328 divine Mère. Le Père éternel mit à sa droite sur le trône de la Divinité le Verbe incarné, et il y parut avec tant de gloire et de majesté, qu'il inspira une nouvelle admiration et une crainte respectueuse à tous les habitants du ciel, qui connaissaient intuitivement la Divinité avec sa gloire et ses perfections infinies, unie substantiellement en une personne à la très-sainte humanité, d'une union indissoluble qui élevait cette même humanité à une prééminence et à une gloire que l'oeil n'a point vues, que l'oreille n'a point ouïes, et que jamais aucun homme mortel n'a comprises (1) 1521. Dans cette circonstance l'humilité et la sagesse de notre très-prudente Reine atteignirent le plus haut degré; car parmi toutes ces faveurs ineffables, elle demeura sur le marchepied du trône de la Divinité abîmée dans la connaissance de son être terrestre et de simple créature; et là, prosternée, elle adora le Père et lui fit de nouveaux cantiques de louanges, pour la gloire qu'il communiquait à son Fils, et de ce qu'il élevait en lui son humanité déifiée à une grandeur si sublime. Ce fut un nouveau motif d'admiration et de joie pour les anges et pour les saints de voir la très-prudente humilité de leur Reine, dont ils tâchaient d'imiter les vertus avec une sainte émulation. On entendit alors la voix du Père qui s'adressant à l'auguste Vierge lui disait : Ma Fille, montez plus haut. Son très-saint Fils l'appela aussi, (1) Isa., LXIV, 4. 329 disant : Ma Mère, levez-vous et venez prendre la place que je vous dois pour le zèle avec lequel vous m'avez suivi et imité. Et le Saint-Esprit lui dit : Mon Épouse et ma bien-aimée, venez recevoir mes embrassements éternels. Ensuite tous les bienheureux eurent connaissance du décret de la très- sainte Trinité par lequel il était déclaré que la place de la bienheureuse Mère serait la droite de son Fils pendant toute l'éternité pour lui avoir donné l'être humain de son propre sang , et pour l'avoir nourri, servi et imité avec toute la plénitude et toute la perfection possible à une simple créature; et qui aucune autre créature humaine ne prendrait possession de ce lieu et de cet état inamissible, avec les attributions déjà exclusivement propres à notre auguste Reine avant qu'elle y,fût élevée; il était aussi déclaré que cette place lui était destinée avec justice, afin qu'elle en prit la possession éternelle après sa mort, comme étant infiniment au-dessus de tous les autres saints et par ses mérites et par sa dignité. . 1522. En vertu de ce décret, la très-pure Marie fut mise sur le trône de la très- sainte Trinité, à la droite de son adorable Fils, sachant dès lors comme les autres saints que, non-seulement la possession de cette place lui était destinée après sa mort pour toutes les éternités, mais encore que le Seigneur la laissait libre d'y demeurer et de ne plus retourner au monde. Car la volonté conditionnelle des Personnes divines était, pour ce qui dépendait du Seigneur, qu'elle ne quittât plus, son siége de gloire. Et afin qu'elle 330 se déterminât, le Très-Haut lui découvrit de nouveau l'état dans lequel la sainte Église militante se trouvait sur la terre, ainsi que l'isolement et les besoins des fidèles, au milieu desquels elle pouvait à son gré descendre ou ne pas descendre pour les protéger. Par là il donnait occasion à la Mère de miséricorde d'augmenter ses mérites, et de manifester la tendresse maternelle qu'elle avait pour le genre humain, en faisant un acte de charité sublime, semblable à celui de sou très-saint Fils, lorsqu'il accepta l'état passible, et suspendit pour nous racheter la gloire qu'il pouvait et devait recevoir en son corps. Sa bienheureuse Mère l'imita aussi en ce point, afin de se rendre en tout semblable au Verbe incarné, et connaissant clairement tout ce qui lui était proposé, elle se prosterna devant les trois Personnes, et dit : " Dieu éternel et tout-puissant, mon Seigneur, si j'accepte maintenant la récompense que vous m'offrez par un effet de votre infinie bonté, ce sera. pour mon repos. Mais si je m'en retourne sur la terre, et que je travaille encore parmi les enfants d'Adam pendant la vie passagère, pour assister les fidèles de votre sainte Église, cela tournera à la gloire et au bon plaisir de votre divine Majesté, et au profit de mes enfants exilés et voyageurs. Or je choisis le travail, et je me prive quant à présent de ce repos et de la joie, que je reçois de votre divine présence. J'apprécie ce que je possède et ce que je reçois; mais j'en fais le sacrifice à l'amour que vous avez pour les 331 hommes. Agréez, seigneur de tout mon être, agréez mon sacrifice, et faites que votre vertu divine me dirige dans l'entreprise que vous m'avez confiée. Propagez votre foi, afin que votre saint nom soit glorifié , et agrandissez votre Église , acquise par le sang de votre Fils unique et le mien ; car je m'offre de nouveau à travailler pour votre gloire, et à gagner autant d'âmes que je pourrai. " 1523. C'est le choix si inouï que fit la Reine des vertus; et il fut si agréable au Seigneur, qu'il le récompensa aussitôt, en la disposant par les purifications et les illustrations dont j'ai parlé ailleurs. à voir intuitivement la Divinité : car elle ne l'avait vue jusqu'alors, dans cette occasion, que par une vision abstractive, de même que tout ce qui avait précédé. Lorsqu'elle fut ainsi élevée, la Divinité lui fut manifestée par la vision béatifique ; et elle fut remplie de gloire et de biens célestes qu'on ne saurait exprimer ni connaître dans cette vie. 1524. Le Très-Haut renouvela en elle tous les dons qu'il lui avait communiqués jusqu'alors, les confirma et les scella de nouveau au degré qui était, convenable, pour l'envoyer en qualité de Mère et de Maîtresse de la sainte Église ; il lui renouvela aussi les titres de Reine de tout ce qui est créé, d'Avocate et de Maîtresse des fidèles, qu'il lui avait donnés auparavant : et comme le sceau s'imprime sur la cire molle, de même l'être humain et l'image de Jésus-Christ furent de nouveau imprimés en la 332 très-pure Marie par la vertu de la toute-puissance divine, afin qu'elle s'en retournât avec cette marque à l'Église militante, on elle devait être le jardin véritablement fermé et scellé pour garder les eaux de la vie (1). O mystères aussi vénérables que sublimes! O secrets de la très-haute Majesté, dignes de nos plus profonds respects ! O charité de l'auguste Marie, que les ignorants enfants d'Ève n'ont jamais pu, imaginer ! Ce ne fut pas sans mystère que Dieu laissa le secours de ses enfants les fidèles à la disposition de cette Mère de miséricorde ; ce fut une divine adresse pour trous découvrir en cette merveille cet amour maternel que nous n'aurions peut-être jamais bien connu autrement, malgré tant d'autres oeuvres qu'elle avait faites en notre faveur. Ce fut un effet de la divine Providence, afin que notre grande Reine ne fût point privée de cette excellence, que trous comprissions l'obligation qu'un pareil témoignage d'amour nous imposait, et que nous fussions excités à la reconnaissance par un exemple si admirable. Ce que les martyrs et les autres saints ont fait en renonçant à quelque satisfaction passagère pour arriver au repos éternel, nous pourra-t-il paraître grand à la vue de cette charitable bonté de notre très-douce Mère, et sachant qu'elle s est privée de la joie véritable pour venir secourir ses faibles enfants? Quelle confusion doit être la nôtre, lorsque, ni pour reconnaître ce bienfait , ni pour imiter cet exemple, ni (1) Cant., IV, 12. 333 pour plaire à cette auguste Reine, ni pour nous assurer sa compagnie éternelle et celle de son adorable Fils, nous ne voulons pas même nous priver du moindre plaisir terrestre et trompeur, qui nous attire leur inimitié et nous procure la mort ? Bénie soit une telle femme; que les cieux la louent, et que toutes les générations l'appellent bienheureuse (1). 1525. J'ai terminé la première partie de cette Histoire par le chapitre trente-unième des Proverbes de Salomon , en m'en servant pour énumérer les excellentes vertus de cette incomparable Reine, qui fut l'unique Femme forte de l'Église ; je pourrais finir aussi cette seconde partie par le même chapitre ; car le Saint-Esprit a renfermé dans la fécondité des mystères que contiennent les paroles de ce passage des Proverbes, plus que je ne saurais dire. Ces paroles se vérifient plus éminemment dans le grand mystère dont je viens de faire mention, par l'état si sublime dans lequel se trouva la très-pure Marie après avoir reçu ce bienfait. Mais je ne m'arrête point à répéter ce que j'ai déjà dit, attendu que si l'on prend la peine d'y faire réflexion, on y découvrira la plupart des choses que je pourrais expliquer ici, et l'on verra que cette auguste Reine l'ut véritablement la Femme forte (2) dont le prix venait de loin, et du plus haut du ciel empyrée. On découvrira la confiance que la très-sainte Trinité eut (1) Luc., I, 48. - (2) Prov., XXI, 10. 334 en elle, et que le coeur de son Fils Dieu et homme, ne fut point frustré de ce qu'il en attendait. Ou trouvera qu'elle fut le vaisseau du marchand qui apporta du ciel la nourriture à l'Église; qu'elle planta cette même Église, du fruit de ses mains ; qu'elle se ceignit de force et affermit sou bras pour entreprendre de grandes choses; qu'elle ouvrit sa main aux pauvres, et étendit ses bras vers les affligés, qu'elle vit combien ce trafic était bon à la vue de la récompense dans l'état béatifique ; que sa lampe ne s'éteignit point pendant la nuit de la tribulation qu'elle ne pouvait rien craindre dans la rigueur des tentations, et qu'elle avait donné à ses domestiques un double vêtement. Or, pour se préparer à tout cela, elle demanda avant de descendre du ciel au Père éternel la puissance , au Fils la sagesse , au Saint-Esprit le feu de son amour, et aux trois Personnes leur assistance ; et quand elle fut sur le point de s'en retourner, elle leur demanda leur bénédiction. Elle la reçut prosternée devant leur trône, et fut remplie de nouvelles influences de la Divinité. Elles la congédièrent avec beaucoup de tendresse, et la renvoyèrent pleine des trésors inestimables de leur grâce. Les saints anges et les justes l'exaltèrent bar des bénédictions et des louanges magnifiques, avec lesquelles elle revint sur la terre, comme je le dirai dans la troisième partie, où l'on verra aussi ce qu'elle lit dans la sainte Église pendant le temps qu'il fut convenable qu'elle y demeurât ; que toutes ses actions furent un sujet d'admiration pour les 335 bienheureux, et d'un immense profit pour les mortels, et qu'elle travailla toujours avec un zèle incroyable pour leur procurer la félicité éternelle. Comme elle avait connu le prix de la charité en son principe, c'est-à-dire en Dieu même, qui est charité (1), elle en fut toute enflammée ; de sorte que son pain du jour et de la nuit fut la charité, et, semblable à une abeille laborieuse , elle descendit de l'Église triomphante dans l'Église militante, chargée des fleurs de la charité, pour fabriquer le miel de l'amour de Dieu et du prochain , dont elle nourrit les enfants de la primitive Église, et elle les rendit par cette nourriture si forts et si parfaits, qu'ils devinrent propres à être les fondements du haut édifice de la sainte Église (2). 1526. Pour finir ce chapitre et en même temps cette seconde partie, je reviendrai à l'assemblée des fidèles que nous avons laissés si affligés sur la montagne des Oliviers. La bienheureuse Marie ne les oublia pas au milieu de sa gloire ; mais, considérant la tristesse et la stupéfaction avec lesquelles ils continuaient à regarder dans les airs l'endroit où leur Rédempteur et leur Maître avait disparu, elle jeta les yeux sur eux de la nue dans laquelle elle montait, et d'où elle les assistait. Et voyant leur douleur, elle pria tendrement Jésus de consoler ces pauvres enfants qu'il laissait orphelins sur la terre. Le Rédempteur des hommes, touché des prières de (I) I Joan., IV, 16. - (2) Ephes., II, 20. 336 sa très-douce Mère, envoya de cette même nue deux anges vêtus de blanc et tout rayonnants de lumière, qui apparurent sous une forme humaine à tous les fidèles, et leur dirent : Hommes de Galilée, ne vous arrêtez pas à regarder en haut avec tant d'étonnement : car ce même Seigneur Jésus, qui du milieu de vous s'est élevé dans le ciel, en descendra avec la même gloire et la même majesté que vous l'y avez vu monter (1). Par ces paroles et quelques autres qu'ils ajoutèrent, ils consolèrent les apôtres, les disciples et les autres fidèles, afin qu'ils ne se laissassent point abattre par la douleur, et qu'ils attendissent dans leur retraite la consolation que le Saint- Esprit leur donnerait par sa venue, ainsi que le divin Maître le leur avait promis. 1527. Mais il faut remarquer qu'encore que ces paroles tendissent à consoler les hommes et les femmes qui composaient cette heureuse assemblée, elles servirent aussi à les, reprendre de leur peu de foi. Car si, elle eût été bien affermie par le pur amour de la chanté, ils auraient compris qu'il leur était inutile de regarder le ciel avec une si grande surprise, puisqu'ils ne pouvaient plus voir leur Maître, ni le retenir par cet amour sensible qui les portait à ré garder en haut, par où cet adorable Seigneur était monté: mais ils pouvaient le voir par la foi et le chercher où il était, et avec la foi ils l'eussent assurément trouvé. L'autre manière de le chercher était (1) Act., I, 11. 337 inutile et imparfaite, puisqu'il n'était pas nécessaire qu'ils le vissent et qu'ils lui parlassent corporellement pour le porter à les assister par sa grâce : et comme ils ne l'entendaient pas de la sorte, ils commettaient une faute digne d'être reprise. Les apôtres et les disciples restèrent longtemps à l'école de notre Seigneur Jésus-Christ, et puisèrent la doctrine de la perfection dans sa propre source, qui était si pure et si claire, qu'ils auraient pu être déjà tout spiritualisés, et capables dé la plus haute perfection. Mais notre nature est si malheureusement encline à satisfaire les sens et à se contenter de tout ce qui les flatte, quelle veut aimer et goûter d'une manière sensible même, les choses les plus divines et les plus spirituelles : et une fois accoutumée à ces inclinations terrestres, elle tarde beaucoup à s'en purifier, et bien souvent elle se trompe elle-même lorsqu'elle croit aimer plus sûrement ce qui est le plus saint et le plus parfait. Cette vérité a été expérimentée pour notre instruction par les apôtres, à qui le Seigneur avait dit qu'il était de telle sorte la vérité et la lumière, qu'il était en même temps le chemin (1), et que par lui ils arriveraient à la connaissance de son Père éternel: car la lumière n'est pas faite que pour briller dans la solitude, ni le chemin que pour s'y arrêter. 1528. Cette doctrine si répétée dans l'Évangile et si souvent sortie de la bouche de Celui qui en (1) Joan., XIV, 6. 338 est l'auteur, et confirmée par l'exemple de sa vie, aurait pu élever le coeur et (esprit des apôtres à sa connaissance et à sa pratique. Mais la satisfaction spirituelle et sensible qu'ils recevaient de la conversation et de la présence de leur divin Maître, et le grand amour qu'ils lui portaient avec raison, occupaient toutes les forces de leur volonté. Elle restait si attachée aux sens, qu'ils ne savaient se résoudre à sortir de cet état, ni remarquer qu'ils se cherchaient beaucoup eux-mêmes dans cette satisfaction spirituelle , se laissant aller à l'inclination qu'ils avaient pour un plaisir spirituel qui leur venait des sens. Et si leur adorable Maître ne les eût quittés en montant au ciel, il eût été bien difficile de les éloigner de sa très-douce présence sans leur causer une douleur et une tristesse excessives ; et par là ils n'auraient pas été si propres à prêcher l'Évangile, qui devait,être annoncé par tout le monde au prix des travaux, des sueurs, et même de la vie de ceux qui le prêchaient. Ce ministère ne pouvait convenir qu'à des hommes forts en l'amour divin, dégagés des douceurs sensibles de l'esprit, et préparés à tout; à l'abondance et à la disette, à l'infamie et aux honneurs, aux applaudissements et aux outrages, à la tristesse et à la joie (1), et à conserver dans tous ces divers événements le zèle de l'honneur de Dieu avec un coeur magnanime, supérieur à toutes les adversités comme à toutes les prospérités. Après cette (1) II Cor., VI, 8. 339 réprimande des anges, ils s'en retournèrent avec la bienheureuse Marie de la montagne des Oliviers au Cénacle, où ils persévérèrent à prier avec elle, en attendant la venue du Saint-Esprit (1), comme nous le verrons dans la troisième partie. Instruction que j'ai reçue de notre grande Reine. 1529. Ma fille, vous terminerez heureusement cette seconde partie de ma vie, si vous êtes bien pénétrée et persuadée de la douceur très-efficace de l'amour du Seigneur, et de sa munificence infinie envers les âmes qui n'y mettent aucun obstacle de leur côté. Il est plus conforme à l'inclination et à la volonté sainte du souverain Bien de consoler les créatures que de les affliger; de les caresser que de les châtier. Mais les mortels ignorent cette science divine, car ils souhaitent que le Seigneur leur donne les consolations, les plaisirs et les récompenses terrestres et dangereuses, et les préfèrent aux biens véritables et assurés. L'amour divin dissipe cette erreur pernicieuse, lorsqu'il les corrige et les afflige par les adversités, et qu'il les instruit par les châtiments : car la nature humaine est par elle-même pesante, grossière et ingrate, et ce n'est qu'à force (1) Act., I, 12. 340 de la labourer et de la cultiver qu'on parvient à lui faire produire de bons fruits, et par ses inclinations elle ne saurait être bien disposée à recevoir les très-douces et très-aimables communications du souverain Bien. C'est pourquoi il faut la travailler et la polir par le marteau des adversités, et la retremper dans le creuset de la tribulation , afin qu'elle se rende capable des faveurs divines, et qu'elle apprenne à ne pas aimer les objets terrestres et trompeurs, dans lesquels la mort est cachée. 1530. Toutes les peines. que j'avais prises me parurent fort peu de chose quand je connus la récompense que le Seigneur m'avait préparée par sa bonté éternelle : et c'est pour cela qu'il disposa avec une providence admirable que je choisisse volontairement de retourner dans l'Église militante, parce que ce choix devait servir à exalter le saint nom du TrèsHaut, à m'acquérir une plus grande gloire, et à procurer à l'Église et à ses enfants le secours nécessaire en la manière la plus admirable et la plus sainte. Je crus qu'il était fort juste de me priver de la félicité que j'avais dans le ciel, pendant ces années qu'il me restait encore à vivre sur la terre, et d'y retourner pour y acquérir de nouveaux mérites, et y trouver de nouvelles occasions de travailler selon le bon plaisir du Très-Haut : car je devais tout cela à sa bonté divine, qui m'avait tirée de la poussière. Profitez donc, ma très- chère fille, de cet exemple, et animez-vous à m'imiter dans un temps auquel la sainte Église se trouve si affligée et environnée de 341 tribulations, sans que ses enfants se mettent en peine de la consoler. Je veux que vous vous y employiez de toutes vos forces, priant du plus intime de votre cœur le Tout-Puissant pour ses fidèles, et étant toujours prête à donner, s'il était nécessaire , votre propre vie pour une si belle cause. Je vous assure, ma fille, que le zèle que vous y déploierez sera fort agréable aux yeux de mon très-saint Fils et aux miens. Que tout soit à la gloire du Très-Haut, Roi des siècles, immortel et invisible, et de sa très-sainte Mère Marie, durant les siècles des siècles (1) ! (1) I Tim., I, 17. FIN DE LA DEUXIÈME PARTIE. 23/30 TROISIÈME PARTIE INTRODUCTION DE LA TROISIÈME PARTIE DE L'HISTOIRE DIVINE, ET DE LA TRÈS-SAINTE VIE DE L'AUGUSTE MARIE, MÈRE DE DIEU. LIVRE SEPTIÈME. OU L'ON RAPPORTE LES DONS TRÈS-SUBLIMES QUE LA DIVINE DROITE FIT A LA REINE DU CIEL, AFIN QU'ELLE TRAVAILLAT DANS LA SAINTE ÉGLISE. - LA VENUE DU SAINT-ESPRIT. - LE FRUIT ABONDANT DE LA RÉDEMPTION, ET DE LA PRÉDICATION DES APOTRES. - LA PREMIÈRE PERSÉCUTION DE L'ÉGLISE. - LA CONVERSION DE SAINT PAUL ET L'ARRIVÉE DE SAINT JACQUES EN ESPAGNE. - L'APPARITION QUE CET APOTRE EUT DE LA MÈRE DE DIEU A SARAGOSSE, ET DE LA FONDATION DE LA CHAPELLE DE NOTRE-DAME- DU-PILIER. CHAPITRE I. Après que notre Sauveur Jésus-Christ se fut assis à la droite du Père éternel, la bienheureuse Marie descendit du ciel sur la terre pour y affermir la nouvelle Église par son assistance et par son enseignement. Instruction que la grande Reine des anges m'a donnée. CHAPITRE II. Où l'on voit que l'évangéliste saint Jean, dans le chapitre vingt et unième de l'Apocalypse, parle expressément de la vision qu'il eut quand il vit descendre du ciel la bienheureuse Marie. CHAPITRE III. Où l'on poursuit l'explication du reste du chapitre vingt et unième de l'Apocalypse. Instruction que la grande Reine des anges m'a donnée. CHAPITRE IV. La bienheureuse Marie se fait voir trois jours après sa descente du ciel. - Elle parle aux apôtres. - Notre Seigneur Jésus-Christ la visite. - Et quelques autres mystères jusqu'à la venue du Saint-Esprit. Instruction que la Reine du ciel m'a donnée. CHAPITRE V. La venue du Saint-Esprit sur les astres et sur les autres adèles. - La bienheureuse Marie le vit intuitivement. - Autres faits mystérieux qui arrivèrent alors. Instruction que m'a donnée notre Dame la grande Reine du ciel. CHAPITRE VI. Les apôtres sortirent du Cénacle pour prêcher à la multitude du peuple qui y était accouru. - Ils lui parlèrent en diverses langues. - Il y eut ce jour-là environ trois mille personnes qui se convertirent. - Ce que fit la bienheureuse Vierge dans cette occasion. Instruction que j'ai reçue de la grande Reine des anges. TROISIÈME PARTIE INTRODUCTION DE LA TROISIÈME PARTIE DE L'HISTOIRE DIVINE, ET DE LA TRÈS-SAINTE VIE DE L'AUGUSTE MARIE, MÈRE DE DIEU. 1. Plus le navigateur s'avance à travers les abîmes redoutables de la haute mer, plus il craint les tempêtes et la rencontre de corsaires ennemis qui pourraient l'attaquer (1). Son ignorance et sa faiblesse augmentent ses inquiétudes. Eu effet, il ne sait ni quand ni d'où lui viendra le danger, et il ne peut le plus souvent ni le détourner, ni le surmonter quand il se présente. C'est justement l'état où je me trouve, me voyant lancée sur l'immense océan des excellences et des grandeurs de la bienheureuse Marie, quoique ce soit une mer fort douce et fort tranquille, comme je le reconnais et l'avoue. Que si je me trouve si avant dans cet océan de la grâce, ayant déjà écrit la première et la seconde partie de la très-sainte vie de cette grande Reine, cela n'est pas suffisant pour dissiper mes craintes: car c'est dans cette vie comme dans un miroir sans tache, que j'ai connu (1) Eccles., XLIII, 26. 344 plus clairement mon incapacité et ma bassesse, et ces nouvelles lumières ne servent qu'à me faire paraître l'objet de cette histoire divine toujours plus impénétrable et plus incompréhensible. En outre, les princes des ténèbres redoublent d'efforts, et cherchent, comme des corsaires sans pitié, m'affliger et à me décourager par des illusions et des tentations dont l'odieuse malice dépasse tout ce que j'en saurais dire. Ceux qui naviguent dans une mer orageuse n'ont d'autre ressource que de tourner leurs regards vers l'étoile polaire, astre fixe, fidèle étoile des mers qui les guide à travers les flots. Je tâche de faire la même chose dans la tourmente des tentations et des craintes qui m'environnent. Et me tournant vers le pôle de la volonté divine et vers la bienheureuse Marie, mon étoile à la clarté de laquelle l'obéissance me la fait découvrir, affligée, troublée et craintive, je crie maintes fois du fond de mon coeur, et je dis : Seigneur Dieu tout-puissant, que ferai-je dans les doutes où je suis? Poursuivrai-je, ou cesserai-je d'écrire cette histoire? Et vous, Mère de la grâce et mon auguste Maîtresse, déclarez-moi votre volonté et celle de votre très-saint Fils. 2. J'avoue avec vérité, et comme je le dois à la divine bonté, que le Seigneur a toujours répondu à mes clameurs, et que, me déclarant sa volonté de diverses manières, il ne m'a jamais refusé sa clémence paternelle. Cela se manifeste assez par l'assistance que j'ai reçue de la divine lumière , pour écrire la première et la seconde partie ; mais, outre cette faveur, le Très-Haut a très-souvent calmé mes inquiétudes, et m'a rassurée par lui-même , par sa très-sainte Mère et par ses anges, réitérant ses promesses et confirmant ses témoignages 345 pour vaincre mes craintes et mes lâchetés. Bien plus, les anges visibles qui sont les supérieurs et les ministres du Seigneur dans sa sainte Église, m'ont déclaré que c'était sa volonté que je continuasse cette divine histoire sans aucune timidité, et m'ont enjoint de m'y soumettre. J'ai également reçu l'intelligence de la lumière ou de la science infuse, qui avec une douce force appelle, enseigne et découvre ce qu'il y a de plus élevé dans la perfection, de plus pur dans la sainteté, de plus sublime dans la vertu, c'est-à-dire ce que la volonté doit le plus aimer; et c'est pourquoi je comprends que tout cela m'est représenté comme renfermé dans cette arche mystique la bienheureuse Marie, comme une manne cachée (1), afin que tous soient conviés à la goûter et à la posséder. 3. Nonobstant tout cela, lorsque je me suis déterminée à commencer cette troisième partie, j'ai eu de nouvelles et violentes contradictions, qui n'ont pas été moins difficiles à surmonter que les autres qui m'arr8taient dans les deux premières,parties. Je puis affirmer sans hésiter que je n'ai pas écrit une phrase, que je ne me décide pas à écrire une ligne sans essuyer plus de tentations que je ne trace de lettres. Et quoique je me suffise bien à moi-même pour me laisser embarrasses par mes craintes, puisque sachant ce que je suis je ne puis manquer de tomber dans la pusillanimité et dans une défiance de moi-même égale à l'expérience de ma faiblesse, ce n'était ni en cela ai dans la grandeur de mon sujet que je trouvais des empêchements, dont j'ignorai quelque temps la nature. Je présentai au Seigneur (1) Hebr., IX, 4. 346 la seconde partie, que j'avais écrite, comme je lui avais présenté la première. Mes supérieurs m'ordonnaient rigoureusement d'entreprendre cette troisième partie, et par la force que la vertu d'obéissance communique à ceux qui s'y soumettent, je m'animais dans ma lâcheté, et je tâchais de dissiper les craintes qui m'empêchaient d'exécuter ce que l'on me prescrivait. Mais je balançai quelques jours entre les désirs qui me pressaient de commencer et les difficultés que j'y trouvais, j'étais comme un navire ballotté par des vents contraires et violents. 4. D'un côté le Seigneur me répondait de continuer ce que j'avais commencé, que c'était sa volonté et son bon plaisir, et c'est ce que je découvrais toujours dans mes prières continuelles. Je ne communiquais pourtant pas aussitôt ces ordres du Très- Haut à mon confesseur, non que j'eusse intention de les lui cacher, mais pour une plus grande sûreté, et pour n'avoir pas lieu de croire qu'il s'en rapportât à mes seules informations. Alors le Seigneur, qui est si uniforme en ses œuvres, lui inspirait de nouveau et à mes autres supérieurs de me prescrire d'achever cette histoire, et c'est ce qu'ils ont toujours fait. D'un autre côté l'ancien serpent, dans sa maligne jalousie, calomniait tout ce que je ressentais, décriait ce que l'on me disait, et excitait contre moi une furieuse tempête de tentations; tantôt il prétendait m'élever à la hauteur de son orgueil, tantôt il tâchait de me précipiter dans l'abîme du désespoir, et de m'envelopper dans la nuit des craintes désordonnées, se servant de diverses autres tentations intérieures et extérieures, qu'il augmentait à mesure que je poursuivais cette histoire , surtout quand j'étais prête à 347 l'achever. Cet ennemi se servit aussi du sentiment de quelques personnes pour lesquelles je devais avoir naturellement des égards, et qui ne me conseillaient point de continuer ce que j'avais commencé. En même temps il troublait les religieuses qui sont sous ma conduite. Il me semblait d'ailleurs que je n'aurais pas assez de temps pour achever mon travail, attendu que je ne devais pas me dispenser de suivre la communauté, si je voulais m'acquitter de la principale obligation d'une supérieure. Dans toutes ces perplexités il ne m'était pas possible de calmer mon esprit et de jouir de cette paix intérieure qui était nécessaire pour recevoir la lumière et l'intelligence actuelle des mystères que j'écris; car cette lumière ne se transmet pas, cette intelligence ne se communique pas tout entière à travers les tourbillons que les tentations soulèvent dans l'âme (1) : cette lumière ne vient que dans un air doux et frais, qui rassérène les puissances intérieures (2). 5. Affligée et troublée par tant de tentations, je continuais mes clameurs. Un jour entre autres je dis au Seigneur: Mon adorable Maître, votre sagesse infinie découvre mes gémissements et les désirs que j'ai de vous plaire et de ne me point éloigner de votre service (3). Je me plains amoureusement en votre divine présence; permettez-moi, Seigneur, de vous demander pourquoi vous m'ordonnez ce que je ne puis accomplir, ou pourquoi vous permettez à vos ennemis et aux miens de paralyser mes efforts par leur malice ? Sa divine Majesté répondit à cette plainte, et me dit avec une certaine sévérité : " O âme ! sachez que vous ne pouvez (1) III Reg., XIX, 11. - (2) Ibid., 12. - (3) Ps. XXXVII, 10. 348 continuer ce que vous avez commencé, et achever d'écrire la vie de ma Mère, si vous n'êtes en tout très-parfaite et très-agréable à mes yeux; car je veux cueillir en vous le fruit abondant de ce bienfait, et afin que vous l'acquériez comme je le veux, il faut détruire entièrement en vous tout ce que vous avez de terrestre et de fille d'Adam, les effets du péché, ses inclinations et les mauvaises habitudes. " Cette réponse du Seigneur excita en moi un nouveau zèle et de plus ardents désirs d'exécuter tout ce qu'elle me faisait connaître; car elle n'exigeait pas seulement une mortification commune des inclinations et des passions, mais une mort absolue de toute la vie animale et terrestre, un renouvellement et une transformation en un autre être, et une nouvelle vie céleste et angélique. 6. Or, souhaitant employer toutes mes forces pour accomplir ce qui m'était proposé, j'examinais mea inclinations, mes appétits et les plus secrets replis de mon âme, et je sentais un véhément désir de mourir à tout ce qui est visible et terrestre. Je passai quelques jours dans ces exercices, en proie à une grande désolation; car, à mesure que mes désirs croissaient, les dangers et les distractions que les créatures me causaient augmentaient aussi, et suffisaient pour m'empêcher; et plus je voulais m'éloigner de tous ces obstacles, plus je me trouvais embarrassée et accablée par les choses mêmes que j'avais en horreur. L'ennemi se servait de tout pour me décourager, et me représentait comme impossible la perfection de vie à laquelle j'aspirais. Dans cette affliction où j'étais, il m'en survint tout à coup une autre fort extraordinaire. Ce fut que je commençai à sentir en ma personne une nouvelle disposition, 349 qui me rendait si sensible, que les moindres peines me paraissaient plus insupportables que les plus grandes que j'eusse souffertes jusqu'alors. Les mortifications, que je regardais auparavant comme très-légères, me devenaient terribles, et je me trouvais si faible à l'encontre de tout ce qui pouvait me causer quelque douleur, qu'il me semblait y recevoir des blessures mortelles. La vue d'une discipline me faisait trembler, et chaque coup me déchirait le coeur; et je puis dire sans exagération que de me mettre seulement une main sur l'autre, cela me faisait verser des larmes. Une pareille faiblesse me remplissait de confusion, et je m'affligeais. extrêmement de me voir dans un état si déplorable. J'expérimentai même que voulant me forcer à travailler, nonobstant le mal que j'avais, le sang me sortait des ongles. 7. J'ignorais la cause de ce phénomène, et, réfléchissant à ma propre misère, je disais dans la profonde tristesse où j'étais : Hélas! quel état lamentable est le mien? Quel changement est celui que j'éprouve? Le Seigneur me prescrit de me mortifier et de mourir à tout, et je me trouve maintenant plus vive et moins mortifiée que jamais. Livrée à mes réflexions, je ressentis durant plusieurs jours de grandes amertumes et de grandes angoisses. Mais le Très-Haut, voulant les adoucir et me consoler, me dit : " Ma fille et mon épouse, ne vous affligez point de cette épreuve et de cette situation nouvelle, où vous êtes si sensible aux moindres peines. J'ai voulu par ce moyen éteindre en vous les effets du péché, vous faire renaître à une u nouvelle vie, et vous disposer à des opérations plus hautes et plus conformes à mon bon plaisir. Jusqu'à 350 ce que vous soyez arrivée à ce nouvel état, vous ne pourrez commencer ce qu'il vous reste à écrire de la vie de ma Mère et de votre Maîtresse. " Par cette nouvelle réponse du Seigneur je recouvrai quelque force; car ses paroles sont toujours des paroles de vie qui vivifient l'âme (1). Et quoique mes peines et mes tentations ne diminuassent point, je me disposais néanmoins à travailler et à combattre; rouis c'était en me défiant toujours de ma faiblesse, et sans espérance d'y remédier. Je cherchais le remède en la Mère de la vie, et je résolus de la prier avec instance de me favoriser, comme l'unique et dernier refuge des affligés, comme la protectrice de laquelle et par laquelle j'avais toujours reçu de grands bienfaits, quoique je fusse la plus inutile de toutes les créatures. 8. Je me prosternai aux pieds de cette grande Reine du ciel et de la terre, et répandant mon coeur en sa présence, je la priai de me faire miséricorde et de me procurer le remède nécessaire à mes imperfections et à mes défauts. Je lui représentai les désirs que j'avais de faire toujours ce qui lui serait le plus agréable, à elle et à son très-saint Fils ; et je m'offris de pratiquer tout ce qui pourrait contribuer à sa plus grande gloire, fallût-il passer par le feu, subir tous les supplices et répandre mon sang. La compatissante Mère répondit à cette prière, et me dit : " Ma fille, vous n'ignorez pas que les désirs que le Très-Haut excite de nouveau dans votre coeur ne soient des gages et des effets de l'amour avec lequel il vous appelle pour vous faire a participer aux communications familières du commerce (1) Joan., VI, 69. 351 le plus intime. Sa volonté très-sainte, comme la mienne, est que vous accomplissiez de votre côté ces désirs, afin que vous n'apportiez aucun obstacle à votre vocation, et que vous n'ajourniez point davantage ce qui lui est agréable et qu'il vous ordonne. Pendant tout le temps que vous avez employé à écrire ma vie, je vous ai fait connaître l'obligation que vous impose un bienfait si grand et si extraordinaire, et je vous si instruite, afin que vous exprimiez en vous la doctrine que je vous donne et l'exemplaire de ma vie, selon l'étendue de la grâce que vous recevrez. Vous allez écrire la troisième et dernière partie de mon histoire; or, il est temps de vous élever à ma parfaite imitation, de vous revêtir d'une nouvelle force, et de porter votre main à des choses fortes (1). C'est en a entrant dans cette vie nouvelle et dans ces opérations que vous entamerez ce qu'il vous reste à écrire, car ce doit être en pratiquant le bien que vous connaissez. Vous ne le sauriez écrire sans cette disposition; attendu que la volonté du Seigneur est que ma vie, soit plus écrite dans votre coeur que sur le papier, et que vous sentiez en vous ce que vous écrivez, afin d'écrire ce quo vous sentez. 9. " C'est pourquoi je veux que votre intérieur soit dépouillé de tontes les images et de toutes les affections terrestres (2), afin qu'ayant oublié tout ce qui est visible, votre continuelle conversation soit avec le Seigneur, avec moi et avec ses anges (3) ; tout le reste doit être pour vous quelque chose d'étranger. Grâce à ce détachement et à la pureté que j'exige de Prov., XXXI, 17 et 19. - (2) Ps. XLIV, 13. - (3) Philip., III, 20. 352 vous, vous briserez la tête de l'ancien serpent, et vous surmonterez les obstacles qu'il vous suscite pour vous empêcher d'écrire et de faire le bien. Et puisque vous vous êtes laissée aller aux vaines craintes qu'il vous a suggérées, et que vous avez tardé à répondre au Seigneur, à entrer dans la voie par laquelle il veut bien vous conduire, et à ajouter foi à ses bienfaits, je veux vous dire maintenant que c'est pour cette raison que sa divine Providence a permis à ce dragon, en qualité de ministre de la justice, de châtier votre incrédulité, et de vous porter à ne point vous soumettre à sa parfaite volonté. Ce même ennemi a réussi, par ses ruses, à vous faire tomber dans diverses fautes, se servant du prétexte de la bonne intention et d'une fin vertueuse; il a tâché aussi de vous persuader faussement que vous n'étiez point destinée à d'aussi grandes faveurs, parce que vous n'en méritez aucune; et par là il vous a rendue bien froide, bien lente à témoigner votre gratitude: comme si ces oeuvres du Très-Haut étaient non purement a gratuites, mais dues en justice. Il vous a singulière ment embarrassée par ces illusions, et vous a empêchée de pratiquer les grandes choses que vous pouviez faire avec la grâce, et de répondre à celle que vous recevez sacs l'avoir méritée. Il est temps, ma très-chère fille, de vous tranquilliser et de croire au Seigneur, et à moi, qui vous enseigne ce qui est le Y plus sûr et le plus haut de la perfection, qui consiste à m'imiter parfaitement; il est temps de vaincre l'orgueil et la cruauté du Dragon, et de lui briser la tête par la vertu divine. Rien ne vous autorise à paralyser l'effet de cette vertu; il faut au contraire que vous 353 oubliiez tout ce qui est terrestre, pour vous abandonner amoureusement à la volonté de mon très-saint Fils et à la mienne, puisque nous n'exigeons de vous que ce qui est le plus saint, le plus louable, et le plus agréable à nos yeux et à notre bon plaisir. " 10. Cette leçon de mon auguste Mère et Maîtresse remplit mon âme d'une nouvelle lumière, et redoubla mon désir de lui obéir en tout. Je renouvelai mes bons propos; je résolus de m'élever au-dessus de moi-même avec la grâce du Très-Haut, et je fia tous nies efforts pour me préparer à accomplir sans résistance sa divine volonté. Je me servis de ce que la mortification a de plus rude et de plus douloureux, en dépit de la sensibilité excessive dont je me suis plainte précédemment; mais les attaques du démon ne cessaient point. Je reconnaissais que mon entreprise était fort difficile, et que l'état auquel le Seigneur m'appelait était un lieu de refuge bien haut pour que la faiblesse humaine pût y atteindre avec ses inclinations terrestres. Je ferai assez comprendre cette vérité et les retarda qui provenaient de ma fragilité et de ma bassesse, en confessant que le Seigneur, dans le cours de ma vie entière, a daigné travailler à me tirer de la poussière et de mon extrême abjection, en multipliant en ma faveur ses bienfaits à un point que je ne puis concevoir. Sa puissante droite les a tous dirigés à cette fin, et il n'est maintenant ni convenable et même possible de les raconter; je ne crois pourtant pas qu'il soit juste de les passer tous sous silence: il me semble que j'en dois découvrir quelques-uns, afin que l'on connaisse en quel malheureux état le péché nous a précipités, quelle distance il a mise entre la créature raisonnable et le terme des vertus et 354 de la perfection auquel cette même créature peut parvenir, et combien il en coûte pour la remettre dans le chemin qui y conduit. 11. Quelques années avant de commencer à écrire cette troisième partie, je reçus à différentes reprises un grand bienfait de la divine Droite. Ce fut une espèce de mort, comme civile, pour ce qui concerne les opérations de la vie animale et terrestre, et cette mort me faisait entrer dans un nouvel état de lumière et d'opérations. Mais comme l'âme se trouve toujours revêtue de la mortelle et terrestre corruption, elle sent toujours un poids qui l'accable et l'abat (1), si le Seigneur ne réitère ses merveilles et ne la favorise du secours de la grâce. Il renouvela en moi dans cette occasion, par l'intermédiaire de la Mère de piété, la grâce dont je viens de faire mention; et cette très-douce Reine, me parlant dans une vision, me dit : " Sachez, ma fille, que vous ne devez plus vivre de votre vie ordinaire, mais de celle de votre époux Jésus-Christ en vous (2); il doit être la vie de votre âme et l'âme de votre vie. C'est pour cela qu'il a veut renouveler en vous, par ma main, la mort de votre a ancienne vie, qu'il a opérée auparavant à votre égard, et renouveler la vie que nous exigeons de vous. Qu'il soit donc dès aujourd'hui manifeste au ciel et à la terre que la soeur Marie de Jésus, ma fille et ma servante, a est morte au monde, et que c'est là l'oeuvre du bras du Tout- Puissant, qui veut que cette âme vive en a réalité des seules choses que la foi enseigné. On quitte tout par la mort naturelle, et Marie de Jésus, en s'arrachant à tout ce qui est visible, a laissé, en pleine (1) Sap., IX, 15. - (2) Galat., II, 20. 355 connaissance, par sa dernière volonté et par son testament, son âme à son Créateur et Rédempteur, son corps à la terre et aux souffrances, qu'elle accepte sans résistance. Vous nous chargeons , mon très-saint Fils et moi, de cette âme , pour accomplir sa dernière volonté, si par cette même volonté elle nous obéit avec promptitude. Et nous célébrons ses funérailles avec les habitants de notre cour, pour lui donner la sépulture dans le sein de l'humanité sacrée du Verbe éternel, qui est le sépulcre de ceux qui meurent au monde pendant leur vie passagère. Désormais elle ne doit plus vivre en elle ni pour elle par les opérations propres à une tille d'Adam : car elle doit manifester en elle, par toutes ses opérations, la vie de Jésus-Christ, qui est sa propre vie. Je conjure mon Fils de regarder cette défunte avec son immense bonté, de recevoir son âme pour lui seul, et de la reconnaître pour étrangère sur, la terre, et pour habitante des régions les plus sublimes et les plus divines. J'ordonne aux anges de la reconnaître pour leur compagne, et de traiter avec elle comme si elle était dégagée de la chair mortelle. 12." Je prescris aux démons de laisser cette défunte comme ils laissent les morts qui ne sont point de leur juridiction, et sur qui ils n'ont aucun droit, puisque dies aujourd'hui elle doit être plus morte à tout ce qui est visible que ceux mêmes qui sont morts d'une mort naturelle. Je supplie les hommes de la perdre de vue et de l'oublier comme ils oublient les morts, afin qu'ils la laissent reposer et ne la troublent point dans sa paix. Et pour vous, ô aime ! je vous commande et vous exhorte de vous assimiler à ceux qui ont réellement (19 Philip., III, 20. 356 cessé de vivre dans le siècle, et qui se trouvent pour une éternelle vie en la présence du Très-Haut. Je veux que vous les imitiez en l'état de la foi, puisque l'assurance de l'objet et la vérité sont les mêmes en vous qu'en eux. Votre conversation doit être dans le ciel (1), vos rapports avec le Seigneur de tout ce qui est créé et votre époux, vos entretiens avec les anges et les saints, toute votre attention doit se fixer sur moi, qui suis votre Mère et votre Maîtresse. Pour tout le reste qui est visible et périssable, il faut que vous n'ayez pas plus de vie, de mouvement, et que vous n'agissiez et n'opériez pas plus qu'un corps mort, qui ne donne aucune marque de vie et de sensibilité, quoi qu'il lui arrive et quoi qu'on lui fasse. Les injures ne doivent donc point vous inquiéter, ni les applaudissements vous émouvoir; vous ne devez ni sentir les outrages, ni vous plaire dans les honneurs, ni vous élever par la présomption, ni vous laisser abattre par le désespoir; il faut que vous veilliez constamment à réprimer en vous tous les mouvements, soit de colère, soit de concupiscence; car dans ces passions votre règle doit être celle d'un corps mort, qui en est entièrement libre. N'attendez pas non plus du monde plus de correspondance qu'il en a pour un corps mort; vous savez qu'il oublie bientôt ceux qu'il louait pendant leur vie, et celui-là même qui lui était le plus intimement cher, fût-ce un père, fût-ce un frère, il se bâte de l'éloigner de ses yeux dès que la mort l'a frappé; quant au défunt, il se laisse emporter partout sans se plaindre, sans 357 ressentir les injures qu'on peut lui faire, et sans se soucier des vivants ni de tout ce qu'il laisse parmi eux. 13. " Quand vous serez ainsi morte, il ne vous tes. fera plus qu'à vous considérer comme la nourriture des vers, comme un objet d'abjection digne de toute sorte de rebuts et de mépris, afin que vous soyez comme dans la terre, si bien ensevelie dans la cou. naissance de votre misère et de votre corruption, que vos sens et vos passions n'exhalent aucune mauvaise odeur devant le Seigneur et parmi les vivants, faute d'une sépulture suffisante, ainsi qu'il, arrive à un cadavre peu profondément enterré. Si vous mon. triez que vous êtes encore vivante su monde et immortifiée en vos passions, vous causeriez (et vous êtes à même de le comprendre) une plus grande horreur à Dieu et aux saints que celle qu'auraient les a hommes de voir des cadavres hors de terre. User de vos puissances et de vos sens pour vous procurer la moindre délectation, doit vous paraître un fait aussi étrange, aussi choquant, que de voir remuer un mort. Mais cette mort salutaire que je vous demande vous disposera, vous préparera à être l'épouse favorite de mon très-saint Fils, ma véritable disciple et ma fille bien-aimée. Tel est l'état où je veux que vous soyez, et telle est la sagesse que je dois vous enseigner, afin que vous marchiez sur mes pas et que vous imitiez ma vie, retraçant en vous mes vertus dans le degré qu'il vous sera accordé. C'est le fruit que vous devez tirer du récit de mes excellences et des très-sublimes mystères: de ma sainteté que le Seigneur vous découvre. Je ne veux pas que ces mystères, déposés 358 dans votre coeur, en sortent sans accomplir en vous la volonté de mon Fils et la mienne; cet accomplisse. meut sera pour vous la perfection souveraine. Car puisque vous buvez les eaux de la sagesse à leur propre source, qui est le Seigneur, il ne serait pas juste que vous fussiez dépourvue et altérée de ce que vous distribuez aux autres, et que vous achevassiez a d'écrire cette histoire sans profiter d'une si favorable occasion et d'un si grand bienfait que vous recevez. Préparez votre coeur par cette mort dans laquelle je veux que vous soyez, et vous obtiendrez la réalisation de vos désirs et des miens. " 14. Ainsi me parla la grande Reine du ciel dans cette circonstance, et dans plusieurs autres rencontres elle m'a renouvelé cette doctrine de vie éternelle que j'ai déjà résumée dans les instructions qu'elle m'a données sur les chapitres de la première et de la seconde partie, et je l'exposerai plus longuement dans cette troisième. On connaîtra assez par tout ce que j'ai écrit et que j'écrirai , combien j'ai été négligente à répondre à tant de bienfaits, puisque je me trouve toujours si peu avancée en la vertu, toujours fille d'Adam si vivace, quoique cette auguste Reine et son puissant Fils m'aient promis tant de fois que si je meurs à tout ce qui est terrestre et à moi-même, ils m'élèveront à un autre état fort sublime, et c'est ce que le Seigneur me promet,derechef par sa divine grâce. Cet état est une solitude profonde où, tout en étant au milieu des créatures, je n'aurais plus aucun commerce avec elles, où je jouirais seulement de la vue du Très-Haut, de sa très- sainte Mère et des saints anges, et ne participerais qu'il leurs communications, laissant le Seigneur diriger toutes mes 359 opérations et tous mes mouvements par la force de sa divine volonté, pour les fins qui regardent sa plus grande gloire. 15. Le Très-Haut m'a exercée pendant tout le cours de ma vie, dès mon enfance, par diverses épreuves de continuelles infirmités, des douleurs et d'autres afflictions venant des créatures. Mais nies souffrances se sont augmentées avec mes années par une autre épreuve nouvelle qui m'a fait aisément oublier toutes les autres; car ce fut comme un glaive à double tranchant qui m'a percée jusqu'au coeur, et qui, suivant l'expression de l'Apôtre, a pénétré jusqu'à la division de l'âme et de l'esprit (1). Ç'a été la crainte dont j'ai fait souvent mention, et pour laquelle j'ai été reprise dans cette histoire. J'en ai été fort affligée dès mon enfance; mais elle est devenue excessive depuis mon entrée en religion, et depuis que je me suis entièrement appliquée à la vie spirituelle et (lue le Seigneur a commencé à se manifester davantage à mon âme. Dès lors le Seigneur m'étendit sur cette, croix, il mit mon coeur sous le pressoir, et je me demandais en tremblant si je marchais par le bon chemin, si je ne me laissais pas tromper par de vaines illusions, si je ne perdrais pas, la grâce et l'amitié de Dieu. Cette peine devint beaucoup plus grande par suite des indiscrétions imprudentes que quelques personnes commirent à cette époque, et qui me jetèrent dans une extrême désolation, et encore par suite des terreurs que d'autres personnes m'inspirèrent en me représentant que, j'étais dans le danger. De sorte que cette vive crainte s'enracina tellement dans mon coeur, qu'elle n'a jamais (1) Hebr., IV, 12. 359 cessé, et qu'il ne m'a pas été possible de la surmonter entièrement, ni parles assurances que mes confesseurs et mes supérieurs me donnaient, ni par les leçons qu'ils me faisaient, ni par les exhortations qu'ils m'adressaient, ni parles autres moyens dont ils se servaient pour cela. Il y a plus : les anges, la Reine du ciel et le Seigneur lui-même, me rassuraient continuellement, et en leur présence je me sentais libre et tranquille. Mais à peine étais-je sortie de la sphère de cette lumière divine, qu'incontinent j'étais combattue de nouveau avec tant de violence, qu'il fallait bien reconnaître que ces coups partaient du Dragon infernal et de sa cruauté et alors j'étais troublée, affligée, consternée, redoudant de la part de la vérité les mêmes dangers que si elle avait cessé de l'être. Cet ennemi redoublait surtout ses efforts pour m'empêcher de communiquer mes peines à mes confesseurs, et spécialement su supérieur qui me dirigeait; car ce prince des ténèbres ne craint rien tant que la lumière et le pouvoir qu'ont les ministres du Seigneur. 16. Entre l'amertume de cette douleur et le désir très-ardent de la grâce et de ne point perdre Dieu, j'ai vécu plusieurs années, pendant lesquelles se sont succédé en moi tant de divers événements, qu'il me serait impossible de les raconter. Je crois que la racine principale de cette crainte était sainte, mais il en sortait plusieurs branches infructueuses, quoique la Sagesse divine se servît de toutes pour ses fins; et c'est pour cela que le Seigneur permettait à l'ennemi de me tourmenter et de se prévaloir du remède même que sa divine Majesté daignait me ménager; car la crainte désordonnée et qui empêche le bien, quoiqu'elle ait du rapport avec la 361 crainte juste et salutaire, est toujours mauvaise, vient toujours du démon. Mes afflictions ont été parfois si extrêmes, qu'il me semble que ç'a été un nouveau bienfait de n'avoir pas été privée de la vie passagère, et surtout de celle de l'âme. Mais le Seigneur, à qui les mers et les vents obéissent (1), à qui toutes choses servent, et qui donne à toutes les créatures leur nourriture su moment le plus opportun (2), a bien voulu par sa divine bonté rétablir le calme dans mon esprit et diminuer mes peines, afin que j'écrivisse avec tranquillité ce qui reste de cette histoire. Il y a déjà plusieurs années que le Très-Haut me consola, me promettant lui-même de me faire jouir du repos et de la paix intérieure avant, ma mort; et il me fit connaître que le Dragon était si furieux contre moi (2) parce qu'il prévoyait qu'il n'aurait plus guère de temps pour me persécuter. 17. Lorsque je me disposais à écrire cette troisième partie, sa divine Majesté m'adressa avec une bonté singulière ces paroles: " Mon épouse et ma bien-aimée, je veux adoucir vos peines et modérer vos afflictions ; tranquillisez-vous, ma colombe, et reposez dans la douce assurance de mon amour et dans la foi à ma puissante et royale parole, par laquelle je vous certifie que c'est moi qui vous parle et qui choisis vos voies pour accomplir mon bon Plaisir. C'est moi qui vous conduis par ces voies, et qui suis à la droite de mon Père éternel et dans le sacrement de l'Eucharistie sous les espèces du pain. Je vous donne cette certitude de ma vérité afin que vous vous rassuriez; car je ne veux point, ma bien-aimée, vous regarder comme (1) Matth., VIII, 27. - (2) Ps. CXLIV, 15. - (2) Apoc., XII, 19. 362 mon esclave, mais comme ma fille et mon épouse, et comme l'objet de mes complaisances et de mes délices. Il est temps que vos. frayeurs et vos amertumes cessent, il est temps que le calme et la sérénité renaissent dans votre coeur affligé. Certaines personnes croiront que ces caresses et ces assurances si fréquentes du Seigneur n'humilient point, et qu'il n'y a qu'à en jouir; pourtant est-il qu'elles plongent pour ainsi dire mon coeur dans la poussière, et m'accablent de mille inquiétude causées par les dangers qui m'environnent. Que si quelqu'un s'imagine le contraire, c'est qu'il n'a point expérimenté ces opérations, et qu'il ne comprend point ces secrets du Très-Haut. Il est vrai que j'ai remarqué un grand changement dans mon intérieur, et que j'ai reçu un soulagement sensible dans les peinés et les tentations qui provenaient de ces craintes désordonnées; mais le Seigneur est si sage et si puissant, que si d'un côté il rassure l'âme, de l'autre il l'excite à se tenir sur ses gardes, la met dans de nouvelles appréhensions de sa chute et des périls de la vie mortelle, et ne permet pas qu'elle échappe à la connaissance de sa misère et de sa bassesse. 18. Je puis bien avouer que par ces faveurs continuelles et plusieurs autres que j'ai reçues, le Seigneur a modéré mes craintes plutôt qu'il ne me les a ôtée, car je vis toujours dans l'appréhension de lui déplaire ou de le perdre, ne sachant comment je pourrai lui être agréable et répondre à sa fidélité, comment je pourrai aimer avec plénitude Celui qui est par lui-même le souverain bien, et qui est si digne de l'amour que je puis lui rendre et au delà. En proie à ces soucis, et considérant mon extrême misère, ma faiblesse et la multitude 364 de mes péchés, je dis au Très-Haut. "Mon très-doux amour, Dieu de mon âme, quoique vous me donniez de si grandes assurances pour apaiser les troubles de mon cœur, comment, Seigneur, puis-je vivre sans. mes craintes parmi les dangers d'une vie si pénible, si pleine de tentations et d'embûches, et portant plus qu'aucune autre créature mort trésor dans un vase fragile (1) ? " Sa divine Majesté me répondit en ces termes avec une tendresse paternelle : " Mon épouse et ma bien- aimée, je ne veux pas que vous vous délassiez de la juste crainte que vous avez de m'offenser; mais ma volonté est que vous ne vous affligiez point à l'excès, et que de vains troubles ne vous empêchent pas d'arriver su a degré le plus parfait et le plus élevé de mon amour. Vous avez ma Mère pour règle et pour Maîtresse; c'est elle qui vous enseigne : tâchez de l'imiter. Je vous assiste par ma grâce, et je vous conduis par ma direction. Or, dites-moi, que me demandez-vous, ou que voulez- vous pour votre sûreté et pour votre repos ? " 19. Je repartis au Seigneur avec toute la soumission possible, et lui dis : " Très- haut Seigneur et mon adorable Père, vous me demandez beaucoup quoique. je, doive toutes choses à votre bonté et à votre amour immense; mais je connais ma faiblesse et mon inconstance : il n'est rien qui puisse me contenter, sinon de ne point vous offenser par la moindre pensée ni par le plus petit dérèglement de mes puissances, et de parvenir à conformer tontes mes actions à votre bon plaisir." Sa divine Majesté me répondit : " Mes secours continuels (1) II Cor., IV, 7. 364 ne vous manqueront pas, non plus que mes a faveurs, si vous y correspondez. Et afin que cette correspondance vous soit plus facile, je veux faire à a votre égard une chose digne de l'amour avec lequel je vous aime. J'établirai entre mon Etre immuable et a votre petitesse une chaîne de ma providence spéciale, a à laquelle vous serez attachée de telle sorte, que si a, voua faites par fragilité ou délibérément quelque chose qui me déplaise, vous sentirez une force par a laquelle je vous arrêterai et vous attirerai à moi. Vous vous apercevrez dès maintenant de l'effet de cette faveur, et vous le sentirez en vous-même comme l'esclave qui est enchaînée afin qu'elle ne s'enfuie. " 20. Le Tout-Puissant a accompli. cette promesse à la grande joie et au grand avantage de mon âme; car, entre tant, de bienfaits que j'ai reçus de sa main libérale, et que je ne dois pas raconter ici, puisqu'ils sont cri dehors de mon sujet, il n'en est aucun qui ait été pour moi aussi précieux que celui-ci. Je le reconnais non- seulement dans les grands, mais dans les plus petits dangers; de sorte que si par négligence j'omets une pieuse pratique quelconque, comme d'incliner la tête ou de baiser la terre pour adorer le Seigneur lorsque j'entre dans le choeur (selon notre usage en religion); je sens aussitôt une douce force qui m'avertit de ma faute, et qui ne me laisse point (autant qu'il dépend d'elle) commettre la moindre imperfection. Et si quelquefois j'y tombe par suite de ma faiblesse, cette force divine vient incontinent à mon secours, et me cause nue si grande peine, que j'en si le coeur brisé. Cette douleur sert alors de frein pour réprimer en moi le moindre mouvement désordonné, et d'aiguillon pour m'exciter à 365 chercher aussitôt le remède de la faute ou. de l'imperfection commise. Et comme le Seigneur ne se repent point de ses dons (1), il ne s'est pas contenté de m'accorder, celui que je reçois par cette chaîne mystérieuse; mais un jour, qui fut celui de son saint Nom et de sa Circoncision, je connus que dans sa divine bonté il triplait cette chaîne, afin de la rendre plus solide, et de me gouverner avec une plus grande force : car un triple lien, comme dit le Sage, se rompt difficilement (2). Telle est, ma faiblesse; qu'elle a besoin de toutes ces précautions pour n'être pas vaincue par tant de ruses et de tentations opiniâtres que l'ancien serpent emploie pour m'abattre. 21. Elles redoublèrent à cette époque à un tel point, que, nonobstant les bienfaits et les ordres du Seigneur que j'ai mentionnés, les prescriptions de mes supérieurs et plusieurs autres raisons que je passe sous silence, je faisais encore difficulté de commencer à écrire la dernière partie de cette histoire, parce que je subissais de nouveau l'influence des esprits de ténèbres qui, cherchaient à m'envelopper. C'est ce que je compris, et je me servirai des expressions de saint Jean qui dit au chapitre douzième de l'Apocalypse (3) : Que le grand Dragon roux lança de sa gueule un fleuve d'eau contre cette divine femme qu'il persécutait depuis qu'il se fut révolté dans le ciel ; et comme il ne put point l'engloutir, ni même l'atteindre, il se tourna fort irrité contre ceux qui restaient de la postérité de cette grande Dame, et qui se signalaient en rendant témoignage à Jésus-Christ dans son Église (4). Au temps dont je viens de parler, l'antique (1) Rom., XI, 29. - (2) Eccles., IV, 12. - (3) Apoc., XII, 15. - (4) Ibid., 17. 366 serpent montra sa rage contre moi , en me troublant et en me poussant, autant qu'il le pouvait, à commettre certaines fautes qui retardaient mes progrès dans la pureté et la perfection de vie que l'on demandait de moi , et m'empêchaient d'écrire ce que l'on m'ordonnait: Tandis que ce combat se passait dans mon intérieur, vint le jour auquel nous célébrons la fête du saint Ange gardien, c'est-à-dire le premier mars (1) ; me trouvant au choeur pour y dire matines, j'entendis tout à coup un très-grand bruit qui me pénétra d'une crainte respectueuse, et me porta à m'humilier profondément. Bientôt je. vis une nombreuse multitude d'anges qui remplissaient tout le choeur, et parmi lesquels il y en avait un plus brillant et plus beau qui était assis comme sur un tribunal de justice. Je sus à l'instant que c'était l'archange saint Michel. Et aussitôt ils me déclarèrent que le Très-Haut les envoyait avec une autorité spéciale pour juger mes négligences et mes péchés. 22. Je souhaitais me prosterner et redonna lire mes fautes avec beaucoup de larmes et d'humilité devant ces juges suprêmes : mais comme j'étais avec les religieuses, je n'osai faire aucune action extraordinaire, pour ne pas les distraire; je fis pourtant intérieurement tout mon possible pour pleurer mes péchés avec amertume et avec contrition. Dans cet état, je connus que les saints anges, conférant ensemble, disaient : Cette créature est inutile, négligente et peu zélée à faire ce que le Très- Haut, et notre Reine lui commandent; elle hésite à ajouter créance à leurs bienfaits, et aux continuelles illustrations dont nous l'avons favorisée. Privons-la (1) C'était le jour auquel on solennisait alors cette tête. 367 de tous ces bienfaits, puisqu'elle n'en profite point, et qu'elle ne veut pas embrasser cette pureté et cette perfection de vie que le Seigneur lui enseigne, ni achever d'écrire la vie de sa très-sainte Mère; malgré les ordres réitérés qu'elle en a reçus : or, si elle ne se corrige, il n'est pas juste qu'elle obtienne d'aussi grandes faveurs, et qu'une doctrine aussi saints lui soit enseignée. " Ces paroles m'affligèrent extrêmement et augmentèrent mes larmes. Accablée de confusion et de douleur, je m'adressai aux saints anges dans l'amertume de mon âme, et leur promis de me corriger de mes fautes, fallût-il mourir pour obéir su Seigneur et à sa très-pure Mère. 23. Après cette humiliation et ces promesses , les esprits angéliques tempérèrent quelque peu la sévérité qu'ils me témoignaient. Ils me répondirent avec plus de douceur que si j'exécutais promptement ce que je leur promettais, ils m'assuraient qu'ils me favoriseraient toujours de leur protection, et qu'ils m'admettraient en leur compagnie, pour communiquer avec moi comme ils communiquent entre eux. Je leur rendis des actions de grâces pour, ce bienfait, et je les priai de remercier pour moi le Très-Haut. Ils disparurent après m'avoir avertie qu'en retour du privilège qu'ils m'offraient, je devais les imiter en leur pureté , sans commettre délibérément aucune imperfection, et c'était la condition de leur promesse. 24. Tous ces événements et plusieurs autres qu'il ne convient pas que je rapporte, contribuèrent à m'humilier davantage, parce qu'ils me forçaient à me reconnaître plus répréhensible, plus ingrate et plus indigne de tant de bienfaits, de tant de saintes exhortations et 368 de tant de commandements salutaires. Toute confuse et toute désolée; je réfléchis en moi-même que je n'avais aucune excuse pour résister davantage à la volonté divine en tout ce que je connaissais et qui m'était si important. Et prenant une résolution efficace de l'accomplir, ou de mourir à la tâche, je cherchai quelque moyen sensible, capable de m'exciter dans mes négligences, et de me porter, s'il était possible; à me purifier des. moindres imperfections et à faire toujours ce qui serait le plus saint et le plus agréable aux yeux du Seigneur. Or j'allai trouver mon confesseur, et je le priai avec toute la soumission et la sincérité possibles de nie reprendre sévèrement, et de m'obliger à devenir parfaite et diligente en tout ce qui était le plus conforme à la volonté divine, et à exécuter ce que le Très-Haut demandait de moi. Mais quoiqu'il fût très-vigilant et plein de sollicitude, comme tenant la place de Dieu, et connaissant sa très-sainte volonté et les voies par lesquelles il devait me conduire, il ne pouvait pas toujours m'assister, à cause des absences auxquelles les forçaient les charges qu'il avait en la religion. Je me décidai à m'adresser à une religieuse qui me faisait part de ses conseils, pour la prier de me les continuer et de lié faire pas difficulté de me reprendre dans toute sorte d'occasions. Je prenais tous ces moyens et plusieurs autres , par l'ardent désir. que j'avais de plaire au Seigneur, à sa très-sainte Mère et ma maîtresse, et aux saints anges, qui souhaitaient aussi mon avancement et ma plus grande perfection. 25. Lorsque j'étais dans ces empressements, il arriva une nuit que mon. saint ange gardien, m'apparut avec une douceur singulière, et me dit: " Le Très-Haut veut 369 condescendre à vos désirs, et ordonne que je rem plisse près de vous l'office dont vous désirez si vivement que quelqu'un se charge. Je serai votre ami et votre compagnon fidèle qui vous avertirai et exciterai votre attention ; et à cet effet vous me trouverez présent, comme je le suis maintenant, dans toutes les rencontres auxquelles vous voue adresserez A moi avec le désir sincère de vous rendre plus agréable à votre Seigneur et votre Époux , et de lui garder une entière fidélité. Je vous enseignerai à le louer continuellement, et nous dirons ensemble ses louanges; je vous découvrirai de nouveaux mystères de sa grandeur, et je vous donnerai des connaissances particulières de son Être immuable, de ses trésors et de ses perfections divines. Si, étant occupée par l'obéissance ou par la charité, vous vous laissez aller à une certaine négligence et attirer aux choses extérieures et terrestres, je vous appellerai et vous avertirai d'être attentive au Seigneur : pour cela je me servirai de quelques paroles, qui seront souvent celles-ci : Qui est semblable à Dieu, qui habite les lieux les plus élevés et dans les humbles de coeur (1) ? Quelquefois je vous ferai souvenir des bienfaits que vous avez reçus de la droite du Très-Haut, et de ce que vous devez à son amour. D'autres fois je vous avertirai de le regarder et d'élever votre coeur à lui. Mais vous devez être ponctuelle, attentive et obéissante à mes avis. 26. Le Très-Haut ne veut pas non plus vous cacher davantage une faveur que vous avez ignorée jusqu'à (1) Ps. CXI, 5, etc. 370 cette heure parmi tant d'autres que sa bonté très-libérale vous a faites, afin que dès maintenant vous lui en témoigniez votre reconnaissance: c'est que je suis un des mille anges qui servaient à la garde de notre grande Reine pendant qu'elle était voyageuse sur la terre, et de ceux qui. étaient distingués par la devise de son admirable nom. Regardez-moi, et vous le verrez écrit sur ma poitrine. " Je regardai aussitôt, et je vis que ce saint nom y brillait gravé d'une manière merveilleuse; ce qui me causa une extrême consolation. Le saint ange, poursuivant son discours, me dit : " Le Seigneur m'ordonne aussi de vous faire savoir que de ces mille anges il y en a eu fort peu et fort rarement qui aient été destinés à garder d'autres âmes; mais celles que nous avons gardées jusqu'à présent ont toutes été du nombre des saints, et il ne s'en est trouvé aucune qui ait été du nombre des réprouvés. Or, considérez, ô âme, l'obligation que vous avez de ne point renverser cet ordre: car si vous vous perdiez après un si rare bienfait, votre châtiment serait un des plus rigoureux que puissent subir les habitants de l'enfer; et vous seriez regardée comme la plus malheureuse et la plus ingrate des filles d'Adam. Que si j'ai été destiné à vous garder, après avoir eu le bonheur d'être employé à la garde de notre grande Reine l'auguste Marie, et Mère de notre Créateur, ç'a été par un ordre spécial de la très-haute providence du Seigneur, qui vous avait choisie parmi les mortels dans son entendement divin, pour écrire la vie de sa très-sainte Mère, et en même temps pour vous donner lieu de l'imiter, et qui a voulu aussi que je vous assiste et que je vous enseigne en tout comme 371 témoin immédiat de ses actions, de ses excellences et de ses vertus admirables. " 27. Et quoique notre divine Maîtresse remplisse surtout cet office par elle-même, c'est moi qui vous fournis ensuite les termes et les images nécessaires pour exprimer ce qu'elle vous a enseigné; et je vous donne d'autres notions que le Très- Haut indique, afin que vous écriviez avec plus de facilité les mystères qu'elle vous a découverts. Vous avez l'expérience de tout cela, bien que vous n'ayez pas toujours connu l'ordre et le mystère caché de cette Providence; et que le Seigneur, vous accordant un singulier privilège, m'eût chargé de vous porter avec une douce force à imiter sa très-pure Mère et notre Reine, à lui obéir et à suivre sa doctrine. J'exécuterai dès à présent ce mandat avec plus de zèle et d'efficace. Déterminez donc d'être très-fidèle et très-reconnaissante à de si rares bienfaits, et de vous élever à ce que la perfection a de plus sublime; car c'est ce que l'on vous enseigne, et ce que l'on exige de vous. Et sachez que si vous acquériez celle des plus hauts séraphins, vous seriez encore fort redevable à une miséricorde si abondante et si libérale. Ce nouveau genre de vie que le Seigneur demande de vous se trouve renfermé et tracé dans les instructions que vous recevez de notre grande Reine, et dans ce que vous apprendrez et écrirez encore dans cette troisième partie. Écoutez- le avec soumission, reconnaissez-le avec humilité, et exécutez-le avec diligence; car ce faisant vous serez bienheureuse. " 28. Le saint ange me déclara plusieurs autres choses dont le détail n'est pas nécessaire à mon sujet. Mais j'ai 372 dans cette introduction dit ce qui précède, tant afin de découvrir en partie l'ordre que le Très-Haut a tenu à mon égard pour m'obliger à écrire cette histoire, que pour indiquer aussi quelque peu les fins que sa divine sagesse a eues en me l'ordonnant; et ces fins ne sent pas pour moi seule, mais pour tous ceux qui souhaiteront profiter du fruit de ce bienfait, comme d'un puissant moyen par lequel chacun peut rendre efficace en lui-même celui de notre rédemption. On se convaincra également que la perfection chrétienne ne s'acquiert point sans de grands combats contre le démon, et sans des efforts continuels pour vaincre les passions et surmonter les mauvaises inclinations de notre nature dépravée. Outre ce que je viens de rapporter, au moment où j'allais commencer cette troisième partie, la divine Mère et mon auguste Maîtresse me dit en souriant : " Que ma bénédiction éternelle et celle de mon très-saint Fils viennent sur vous, afin que vous écriviez le reste de ma vie, et qu'en même temps vous l'imitiez avec toute la perfection que nous désirons. Ainsi soit-il. LIVRE SEPTIÈME. OU L'ON RAPPORTE LES DONS TRÈS-SUBLIMES QUE LA DIVINE DROITE FIT A LA REINE DU CIEL, AFIN QU'ELLE TRAVAILLAT DANS LA SAINTE ÉGLISE. - LA VENUE DU SAINT-ESPRIT. - LE FRUIT ABONDANT DE LA RÉDEMPTION, ET DE LA PRÉDICATION DES APOTRES. - LA PREMIÈRE PERSÉCUTION DE L'ÉGLISE. - LA CONVERSION DE SAINT PAUL ET L'ARRIVÉE DE SAINT JACQUES EN ESPAGNE. - L'APPARITION QUE CET APOTRE EUT DE LA MÈRE DE DIEU A SARAGOSSE, ET DE LA FONDATION DE LA CHAPELLE DE NOTRE-DAME- DU-PILIER. CHAPITRE I. Après que notre Sauveur Jésus-Christ se fut assis à la droite du Père éternel, la bienheureuse Marie descendit du ciel sur la terre pour y affermir la nouvelle Église par son assistance et par son enseignement. 1. J'ai achevé heureusement la seconde partie de cette histoire, laissant notre grande Reine l'auguste Marie visible dans le Cénacle et assise dans l'empyrée à la droite de son Fils et Dieu éternel (1), également (1) Ps. XLIV, 10. 374 présente dans ces deux endroits de la manière miraculeuse que j'ai dite; car le Fils de Dieu et le sien, voulant rendre sa glorieuse ascension plus admirable, l'emmena avec lui pour la mettre en possession des récompenses ineffables qu'elle avait méritées jusqu'alors, et lui assigner la place qu'en vue de ses mérites passés et des autres qu'elle devait acquérir, il lui avait préparée de toute éternité. J'ai dit aussi que la très-sainte Trinité laissa au choix de cette divine Mère, de s'en retourner au monde pour la consolation des premiers enfants de l'Église évangélique et pour l'établissement de cette même Église, ou bien de demeurer éternellement dans le bienheureux état de la gloire, sans sortir de la possession qu'elle en avait reçue. Car les trois personnes divines penchaient, pour ainsi dire, à cause de l'amour qu'elles avaient pour cette créature incomparable, mais sous cette condition de lui laisser la liberté de son choir, à ne point la tirer de l'état sublime où elle se trouvait, et à ne point la renvoyer dans le monde parmi les exilés enfants d'Adam. D'un côté il semblait que la justice le demandât, puisque la passion et la mort de son Fils avaient déjà opéré la rédemption du monde, à laquelle elle avait coopéré avec toute la plénitude et toute la perfection possible. La mort, d'ailleurs, n'avait aucun droit sur elle, non-seulement à cause des douleurs inexprimables qu'elle souffrit lors du crucifiement de notre Sauveur Jésus-Christ (comme je l'ai rapporté en son lieu), mais encore parce que cette grande Reine ne fut jamais tributaire de la mort, du démon, ni 375 du péché, et qu'ainsi la loi commune des enfants d'Adam (1) ne lui était point applicable. C'est pourquoi on pourrait dire que le Seigneur souhaitait en quelque sorte que, sans mourir comme eux, elle passât par une autre voie de l'état de voyageur à celui de compréhenseur, et de la mortalité à l'immortalité, sans que la mort atteignit sur la terre Celle qui n'y avait commis aucun péché peur la mériter; et le Très-Haut pouvait assurément la faire passer, dam le ciel même, d'un état à l'autre. 2. D'un autre coté, 1a charité et l'humilité de cette admirable et tendre Mère la pressaient de s'en retourner; car l'amour l'excitait à secourir ses enfants, à faire connaître et glorifier le nom du Très-Haut dans la nouvelle Église. Elle désirait aussi attirer un grand nombre de personnes à la profession de la foi par ses soins et par son intercession, et imiter ses enfants et ses frères du genre humain en mourant comme eux sur la terre, quoiqu'elle ne dût point payer ce tribut, puisqu'elle n'avait point péché (2). En outre elle considérait, dans sa merveilleuse sagesse, qu'il était bien plus avantageux de mériter l'accroissement de la récompense dans la gloire, que de la posséder pour quelque peu de temps, et même pour l'éternité, sans espérance de pouvoir augmenter cette récompense par ses mérites. Cette humble sagesse de la bienheureuse Vierge lui procura aussitôt une nouvelle gloire; car le Père éternel fit savoir à tous les courtisans (1) Hebr., IX, 27. - (2) Rom., VI, 23. 376 célestes ce que sa divine Majesté souhaitait et ce que la très-pure Marie choisissait pour le bien de l'Église Militante et pour le secours des fidèles. De sorte que tous les bienheureux connurent alors dans le ciel ce qu'il est juste que nous connaissions maintenant sur la terre : c'est que, comme le Père éternel, pour emprunter le langage de saint Jean (1), a tant aimé le monde, qu'il a donné son Fils unique pour le racheter, de même il a donné une autre fois sa Fille l'auguste Marie., l'envoyant de l'empyrée sur la terre pour affermir l'Église que Jésus-Christ avait fondée; aussi, pour le même sujet, le Fils a donné sa très-chère Mère, et le Saint-Esprit sa très-douce Épouse. Ce bienfait eut lien dans des circonstances qui le relevbrent beaucoup, car il suivit de bien près les injures que notre Rédempteur Jésus-Christ avait reçues en sa passion et en sa mort ignominieuse, et qui avaient rendu le monde encore plus indigne de cette faveur. O amour infini ! ô charité immense ! comme vous nous prouvez que les grandes eaux de nos iniquités ne sauraient vous éteindre (2) ! 3. Après que la bienheureuse Marie eut demeuré trois jours entiers dans le ciel, jouissant de la gloire en corps et en âme, à la droite de son Fils et Dieu véritable, et la volonté qu'elle avait de retourner sur là terre ayant été exaucée, elle partit des hauteurs de l'empyrée pour revenir au monde avec l'a bénédiction de la très-sainte Trinité. Sa divine Majesté ordonna à (1) Joan., III, 16. - (2) Cant., VIII, 7. 377 une multitude innombrable d'anges de l'accompagner, en choisissant pour former ce cortége dans tous les choeurs,'et la plupart parmi les séraphins sublimes qui se tiennent le plus près du trône de la Divinité. Elle entra dans une nuée éclatante qui lui servait comme d'un char lumineux conduit par les séraphins eux-mêmes. L'intelligence humaine ne saurait se représenter combien la beauté et la splendeur de cette auguste Reine brillaient au dehors; et il est certain que naturellement aucune créature vivante n'eût pu la regarder sans mourir. C'est pourquoi, quand elle fut dans le Cénacle, il fallut que le Très-Haut voilât ses splendeurs aux yeux de ceux qui la regardaient, jusqu'à ce que tes rayons qui rejaillissaient de sa personne eussent été tempérés. Il ne fut donné qu'à l'évangéliste saint Jean, par un privilège spécial, de la voir dans toute la force et dans tout l'éclat de la lumière dont l'avait revêtue la gloire dont elle avait joui. Comment douter de la beauté ravissante que cette magnifique Reine du ciel devait avoir en descendant du trône de la très-sainte Trinité, puisque le visage de Moïse jetait de si vifs rayons de lumière après son entretien avec Dieu sur la montagne de Sinaï, où il reçut la loi, que les Israélites ne pouvaient en supporter la splendeur (1) ? Et nous ne savons pas si ce prophète vit clairement la Divinité; d'ailleurs, quand il l'aurait vue, il est bien certain que cette vision aurait été infiniment au-dessous de celle qu'eut la Mère de Dieu lui-même. (1) Exod., XXXIV, 29. 378 4. Notre grande Darne arriva au Cénacle comme substituée à son très-saint Fils dans l'Église nouvelle. Elle y vint si enrichie des dons de la grâce pour ce ministère, que leur abondance fut un nouveau sujet d'admiration pour les anges, et d'une espèce d'étonnement pour les saints; car elle était une vivante image de Jésus- Christ, notre Rédempteur et nôtre Maître. Elle descendit de la nuée lumineuse dans laquelle elle venait, et , sans être aperçue de ceux gui se trouvaient dans le Cénacle, elle rentra dans son état naturel, en tant qu'elle ne se trouvait plus que dans ce seul lieu. Aussitôt la Maîtresse de la sainte humilité se prosterna, et, s'humiliant profondément, elle dit : " Mon adorable Seigneur, voici ce chétif vermisseau de terre dont je reconnais que j'ai été formée (1), passant du néant à l'être que je dois à votre clémence très-libérale. Je reconnais aussi, ô Père éternel, que votre bonté ineffable m'a tirée de la poussière, sans que je l'eusse mérité, pour m'élever à la dignité de Mère de votre Fils unique. Je loue et glorifie de tout mon coeur votre miséricorde infinie pour une si grande faveur. Et en reconnaissance de tant de bienfaits je m'offre à vivre et à travailler de nouveau dans cette vie mortelle tout le temps qu'il plaira à votre sainte volonté. Je me dévoue à être votre fidèle servante et celle des enfants de la sainte Église; je les présente tous devant votre immense charité, et je vous supplie, (1) Gen., II, 7. Seigneur, du fond de mou coeur, de les regarder en Dieu et en Père plein de clémence. Je vous offre pour eux le sacrifice que je fais en me privant de votre gloire et du repos pour les servir, et en choisissant volontairement de souffrir et de cesser de jouir de votre claire vue, pour m'employer à ce qui vous est si agréable. " 5. Les saints anges qui étaient venus du ciel avec l'auguste Marie, prirent congé d'elle pour s'en retourner, félicitant de nouveau la terre de ce qu'ils y laissaient leur grande Reine. Et je fais remarquer en écrivant ceci que les princes célestes me demandèrent pourquoi, dans cette histoire, je ne donnais pas plus souvent à la bienheureuse Marie le titre de Reine des anges, et me dirent de prendre garde d'y manquer dans la suite, à cause de la grande satisfaction qu'ils recevaient quand on le lui donnait. Ainsi, pour leur obéir et leur plaire, désormais je l'appellerai souvent de ce nom. Et reprenant mon récit , je dois dire que pendant les trois premiers jours que la divine Mère passa dans le Cénacle après être descendue du ciel, elle resta fort élevée au-dessus de tout ce qui est terrestre, jouissant de la consolation et des admirables effets do la gloire dont elle avait été comblée dans le ciel les trois antres jours précédents. Parmi tous les mortels l'évangéliste saint Jean eut alors seul connaissance de ce mystère caché, car il lui fut manifesté dans une vision comment la grande Reine du ciel y était montée avec son très-saint Fils, et il la vit descendre avec la gloire et les grâces avec lesquelles elle 380 revenait au monde pour enrichir l'Église. Dans l'admiration qu'excitait en saint Jean un mystère si nouveau, il fut durant deux jours comme ravi hors de lui- même. Et sachant que sa très-sainte Mère était déjà descendue des hauteurs de l'empyrée, il brûlait de lui parler, mais il n'osait se le permettre. 6. L'apôtre bien-aimé balança presque tout un jour entre les empressements d'un amour respectueux et les craintes de son humilité. Cédant enfin à l'affection filiale, il résolut d'aller trouver sa divine Mère dans le Cénacle; mais, au moment où il s'y rendait, il s'arrêta et se dit en lui-même : " Comment oserai-je satisfaire mes désirs sans d'abord savoir la volonté du Très-Haut et celle de mon auguste Dame? Mais mon Rédempteur et mon adorable Maître me l'a donnée pour Mère, et m'a favorisé du titre de fils; or, mon devoir est de la servir et de l'assister; elle n'ignore point mes désirs, et je ne crois pas qu'elle les rejette; elle est une Mère très-douce et très compatissante : elle me pardonnera; je veux me prosterner à ses pieds. " Saint Jean s'enhardit par ces pensées, et pénétra dans le lieu où la divine Reine était en prière avec les autres fidèles. Et aussitôt qu'il l'eut regardée, il tomba le visage contre terre, sentant à peu près les mêmes effets que lui et les deux autres apôtres sentirent sur le Thabor quand le Seigneur se transfigura à leurs yeux (1); car la splendeur que saint Jean découvrit sur le visage de la bienheureuse (1) Matth., XVII, 2. 381 Vierge était fort semblable à celle de notre Sauveur Jésus-Christ. Et comme il conservait encore le souvenir de la vision dans laquelle il l'avait vue descendre du ciel, sa faiblesse naturelle fut accablée par une plus grande force, et c'est pour cela qu'il tomba. Dans l'admiration et la joie où il était, il resta près d'une heure ainsi prosterné, sans pouvoir se relever, rendant à la Mère de son Créateur le culte de sa profonde vénération. Les autres apôtres et les disciples qui étaient dans le Cénacle ne furent pas surpris de le voir si longtemps en cette humble posture, parce qu'à l'exemple de leur divin Maître et de la très-pure Marie, les fidèles en attendant le Saint-Esprit se prosternaient souvent en forme de croix, et ils y demeuraient des heures entières en prière. 7. Le saint apôtre étant ainsi prosterné, la compatissante Mère s'en approcha et le releva de terre; et se manifestant à lui d'une manière plus naturelle, elle-même se mit à genoux et lui dit : " Mon seigneur et mon fils, vous savez que je ne dois agir que par vos ordres, et que c'est vous qui devez me diriger dans toutes mes actions, attendu que vous êtes en la place de mon très-saint Fils et mon divin Maître afin de me prescrire tout ce que je dois faire; et je veux vous prier de nouveau d'être ponctuel en cela pour me procurer la consolation que j'ai à obéir. " L'humble apôtre fut tout confus en entendant ces paroles; et, plus frappé encore de ce qu'il avait vu et connu en notre auguste Princesse, il se prosterna de nouveau en sa présence, s'offrant à être son esclave 382 et la suppliant de le commander et gouverner en toutes choses. Saint Jean persista encore quelque temps dans ces instances, jusqu'à ce que, vaincu par l'humilité de notre Reine, il se soumit à sa volonté et se résigna, pour mieux lui obéir, à la diriger comme elle le désirait : c'était pour lui le parti le plus sage, comme pour nous un rare et puissant exemple bien propre à confondre notre orgueil et à nous apprendre à le dompter. Et si nous nous prétendons les enfants et les dévots de cette divine Mère et Maîtresse de l'humilité, il est juste que nous l'imitions. Les puissances intérieures du saint évangéliste furent si pénétrées des impressions que lui fit l'état dans lequel il avait vu la grande Reine des anges, que l'image en resta gravée dans son âme pendant toute sa vie. En cette occasion, lorsqu'il la vit descendre du ciel, il fut saisi d'une admiration extraordinaire, et il exprima ensuite dans l'Apocalypse les idées qu'il lui fut donné de concevoir, surtout dans le chapitre vingt et unième, comme je le dirai dans le chapitre suivant. Instruction que la grande Reine des anges m'a donnée. 8. Ma fille, je vous ai déjà répété bien souvent de vous débarrasser de tout ce qui est visible et terrestre, et de mourir à vous-même et à ce que vous avez de la 383 fille d'Adam. C'est la doctrine que je n'ai cessé de vous inculquer, et ce sont les leçons que vous avez écrites dans la première et dans la seconde partie de ma vie; maintenant je vous appelle avec un redoublement de tendresse maternelle, et je vous convie au nom de mon Très-saint Fils, au mien, et de la part de ses anges (qui vous affectionnent beaucoup aussi), d'oublier toutes les autres choses créées et de vous élever à une autre vie, vie nouvelle, plus sublime et plus céleste, qui se rapproche de la félicité éternelle. Je veux que vous vous éloigniez entièrement de la Babylone, de vos ennemis, des illusions et des vanités par lesquelles ils vous persécutent, que vous vous approchiez de la sainte cité de la Jérusalem céleste, que vous demeuriez dans ses parvis pour .y travailler de toutes vos forces à m'imiter aussi parfaitement que possible, et qu'ainsi vous arriviez, avec le secours de la divine grâce, à l'union la plus intime avec mon Seigneur, votre divin et très-fidèle Époux. Écoutez donc ma voix, ma très-chère fille, avec les dispositions d'une dévotion généreuse. Suivez-moi avec ferveur, et renouvelez votre vie sur le modèle que vous tracez de la mienne, en observant ce que je fia après que j'eus quitté la droite de mon très-saint Fils pour m'en retourner an monde. Considérez et. pénétrez avec attention mes œuvres, afin que, selon la grâce que vous recevrez, vous reproduisiez dans votre âme ce que vous en connaîtrez et écrirez. Le secours divin ne vous manquera point, si vous ne vous en rendez indigne par votre négligence; car le Très-Haut ne le refuse 384 jamais à ceux qui font de leur côté tout leur possible pour accomplir son bon plaisir. Préparez votre coeur, agrandissez sa capacité, animez votre volonté, purifiez votre entendement, et débarrassez vos puissances de toutes les images des créatures visibles, afin qu'aucune ne vous gène et ne vous fasse commettre la moindre imperfection, que le Très-Haut puisse vous confier les secrets de sa sagesse, et que par elle vous soyez prête à faire promptement ce que nous vous enseignerons être le plus agréable à nos yeux 9. Votre vie doit être dès aujourd'hui semblable à celle de ceux qui renaissent par la résurrection, après avoir perdu celle qu'ils avaient auparavant. Et de même que ceux qui reçoivent ce bienfait reviennent ordinairement à la vie tout renouvelés, et se regardent comme étrangers au milieu de tout ce qu'ils aimaient naguère, changeant les désirs, réformant les inclinations qu'ils avaient, et agissant en tout d'une manière différente, de même, ma fille, et à un plus haut degré encore, je veux due vous soyez renouvelée; car vous devez vivre comme si vous commenciez à participer aux dons de la gloire, dans la mesure que vous rendra possible la puissance divine qui opérera en vous. Mais pour éprouver ces effets si divins, il. faut que vous vous aidiez, que vous prépariez tout votre coeur, et due vous deveniez libre et comme une table bien polie sur laquelle le Très-Haut puisse de son doigt divin écrire et dessiner, ou encore comme une cire molle et sans résistance sut laquelle il puisse imprimer le sceau de mes vertus. Sa Majesté 385 veut que vous soyez en sa main puissante un instrument propre à opérer sa volonté sainte et parfaite or, l'instrument ou l'outil ne résiste point à la main de l'artisan, et s'il a une volonté, il ne s'en sert que pour se laisser mouvoir. Courage donc, ma très-chère fille; venez, venez où jb vous appelle, et sachez que si c'est le propre du souverain bien de se communiquer et de favoriser ses créatures en tout temps , ce très-doux Père des miséricordes veut encore dans le siècle présent manifester davantage sa clémence libérale envers les mortels; car leur temps approche de sa fin , et il y en a peu qui veuillent se disposer à recevoir les dons de sa puissante droite. Ne perdez point, ma fille, une occasion si favorable; suivez-moi et courez sur mes traces, et n'attristez pas le Saint-Esprit en vous arrêtant, lorsque je vous convie avec un amour maternel à un si grand bonheur et à une doctrine si sublime et si parfaits. 386 CHAPITRE II. Où l'on voit que l'évangéliste saint Jean, dans le chapitre vingt et unième de l'Apocalypse, parle expressément de la vision qu'il eut quand il vit descendre du ciel la bienheureuse Marie. 10. Notre Sauveur Jésus-Christ ayant donné du haut de la croix, à l'apôtre saint Jean, la dignité et le titre si excellent de Fils de l'auguste Marie (1), comme choisi pour tare l'objet de sort divin autour, il fallait que ce disciple bien-aimé fût aussi le secrétaire des mystères ineffables de cette grande peine, qui étaient plus cachés aux autres. C'est pour cela qu'il lui en fut révélé plusieurs qui s'étaient précédemment passés est elle, et qu'on le fit comme témoin oculaire du prodige mystérieux qui arriva le jour de 1'Asccusion du Seigneur, puisqu'il fut donné à cet aigle sacré de voir monter le Soleil de justice notre Seigneur Jésus-Christ avec une lumière sept fois plus éclatante, suivant la parole d'Isaïe (2), et la Lune, avec une lumière semblable à celle du Soleil, à cause de la ressemblance qu'elle avait avec lui. Le bienheureux évangéliste la vit monter et se placer à la droite de sou Fils; il la vit aussi descendre (comme je l'ai rapporté) (1) Joan., XIX, 26. - Isa., XXX, 26. 387 avec une nouvelle admiration ; car il vit et connut la transformation qu'avant de descendre sur la terre elle avait subie, en passant par la gloire ineffable qu'elle avait reçue dans le ciel avec tant de nouvelles influences de la Divinité et une si large participation à ses attributs. Notre Sauveur Jésus-Christ avait déjà promis aux apôtres qu'avant de monter au ciel il conviendrait avec sa Hère qu'elle demeurât avec eux dans l'Église pour leur consolation et pour leur instruction, comme je l'ai dit à la fin de la seconde partie. Mais l'apôtre saisit Jean, dans la joie et l'admiration qu'il avait de voir cette auguste Reine à la droite de notre Sauveur Jésus-Christ, oublia pour quelque temps cette promesse; et, absorbé dans la contemplation d'une merveille si inouïe, il en vint à craindre que la divine Mère ne quittât plus la gloire dont elle jouissait. Dans ce doute, le saint évangéliste souffrit parmi les douceurs qu'il goûtait, des peines amoureuses qui l'affligèrent beaucoup, jusqu'à ce qu'il se fût ressouvenu des promesses de son divin Maître, et qu'il eût vu redescendre sa très-sainte Mère sur la terre. 11. Les mystères de cette vision furent si bien gravés dans la mémoire de saint Jean, qu'il ne les oublia jamais, non plus que les autres qui lui furent révélés sur la grande Reine des anges. L'écrivain sacré désirait ardemment laisser à cet égard quelques détails il la sainte Église. Mais la très-prudente humilité de l'auguste Marie l'empêcha de les découvrir pendant qu'elle vivait, et il lui persuada de les tenir cachés 388 dans son coeur jusqu'à ce que le Très-Haut en ordonnât autrement, parce qu'il n'était pas convenable de les manifester au monde avant le moment fixé. Le saint apôtre obéit à la divine Mère. Et lorsque la Sagesse éternelle jugea à propos que l'évangéliste, avant de mourir, enrichit l'Église du trésor de ces mystères cachés, ce fut par un ordre spécial du Saint-Esprit qu'il les enveloppa de métaphores et d'énigmes aussi difficiles à entendre que l'Église le reconnaît. Aussi était-il convenable qu'ils ne fument point découverts à tous, mais enfermés comme les perles dans leurs coquilles et comme l'or dans les mines, afin que la sainte Église les tirât à l'aide de nouvelles lumières et de nouveaux efforts quand elle en attrait besoin, et qu'en attendant ils fussent comme en dépôt dans l'obscurité des livres sacrés, obscurité que les saints docteurs avouent trouver surtout dans le livre de l'Apocalypse. 12. J'ai dit quelque chose dans le cours de cette divine histoire des soins que la Providence du Très-Haut prit à cacher la grandeur de sa très-sainte Mère dans la primitive Église; mais je ne laisserai pas que de les faire remarquer de nouveau pour prévenir la surprise des personnes qui pourraient maintenant s'étonner des nouveaux détails qu'elles connaîtront. Or, pour dissiper les doutes que l'on peut se former là-dessus, il suffît de considérer ce que divers saints docteurs remarquent, savoir que Dieu cacha aux Juifs le corps et la sépulture de Moïs (1), pour (1) Deut., XXXIV, 6. 389 empêcher que ce peuple, si porté à l'idolâtrie, n'adorât les restes du prophète, qu'il avait tant estimé, ou qu'il ne l'honorât d'un culte vain et superstitieux. Ils disent que ce fut pour la même raison que, lorsque Moïse décrivit la création du monde et de toutes les créatures qu'il renferme , il ne parla point expressément de la création des anges, quoiqu'ils fessent les plus nobles des êtres; mais à la comprit dans ces paroles qu'il dit : Dieu créa la lumière (1), nous f4isaut par là entendre la lumière matérielle qui éclaire ce monde visible , et nous signifiant en mémé temps sous une métaphore obscure ces lumières substantielles et spirituelles, qui sont les saints anges, dont il n'était pas convenable de donner alors une notion plus claire. 13. Si la contagion de l'idolâtrie a causé tant de rayages parmi le peuple Hébreu par suite du voisinage et du commerce des Gentils, assez aveugles pour attribuer la divinité à toutes les créatures qui leur semblaient grandes, puissantes et douées d'une supériorité quelconque, les mêmes Gentils eussent été bien plus exposés à tomber dans l'erreur, si, dans le temps que l'on commençait à leur prêcher l'Évangile et la foi de notre Sauveur Jésus-Christ, on leur eût proposé simultanément l'excellence de la bienheureuse Mère. Le témoignage de saint Denis l'Aréopagite nous est une preuve assez convaincante de cette vérité; c'était un philosophe si sage, qu'il connut (1) Gen., I, 3. 390 le Dieu de la nature; et pourtant, lorsque, déjà catholique, il put voir et entretenir l'auguste Marie, il dit que, si la foi ne lui eût enseigné qu'elle était une simple créature, il l'aurait prise pour une divinité, et adorée comme telle. Les Gentils plus ignorants seraient tombés facilement dans cette erreur ; ils auraient confondu la divinité du Rédempteur,qu'ils devaient admettre, avec la grandeur de sa bienheureuse Mère, si on la leur eût proposée en même temps ; et ils se seraient imaginé qu'elle était Dieu comme son Fils, puisqu'ils étaient si semblables en sainteté. Mais ce danger n'est plus à craindre maintenant que la loi et la foi de l'Évangile sont si enracinées dans l'Église, qui est si éclairée par la doctrine des saints docteurs, et par tant de merveilles que Dieu a opérées pour la manifestation du Rédempteur. Car nous savons d'une manière très-certaine que lui seul est Dieu et homme véritable , plein de grâce et de vérité (1), et que sa Mère est une simple créature, qui, sans avoir la divinité, fut pleine de grâce, immédiatement au-dessous de Dieu , et au-dessus de toutes les autres créatures. Or, dans ce siècle si éclairé par les vérités divines, le Seigneur sait quand et entourent, il convient d'augmenter la gloire de sa très-sainte Mère, en découvrant les énigmes et les secrets des saintes Écritures, où il la tient renfermée. 14. L'évangéliste a écrit dans un style métaphorique le mystère dont je traite ici , et beaucoup (1) Joan., I, 14. 391 d'autres qui concernent notre grande Reine, au chapitre vingt et unième de l'Apocalypse, notamment quand il appelle l'auguste Marie la sainte Cité de Jérusalem , et qu'il la décrit avec les détails qui remplissent le reste de ce chapitre. Et quoique je l'aie expliqué plus amplement dans la première partie, le divisant en trois chapitres, et l'appliquant (selon les lumières que j'avais reçues) au mystère de l'immaculée conception de la Reine des anges, il faut maintenant l'expliquer par rapport au mystère de la descente qu'elle fit du ciel sur la terre après l'ascension de son très-saint Fils. On ne doit pas en conclure que ces explications soient le moins du monde contradictoires ou inconciliables : elles se trouvent toutes deux dans la lettre du texte sacré; et assurément la sagesse divine peut renfermer plusieurs mystères dans un même discours; nous pouvons entendre dans une de ses paroles deux choses sans équivoque et sans répugnance, comme David dit, les avoir entendues (1). C'est à une des causes qui rendent difficile l'intelligence de l'Écriture sainte, et cela était nécessaire, afin que ses obscurités la rendissent en mime temps plus féconde et plus estimable, et que les fidèles apprissent à l'étudier avec plus d'humilité, d'attention et de respect. Que si elle est pleine de tant de mystères et de métaphores, c'est parce que dans ce style où il peut mieux exprimer beaucoup de mystères sans se faire violence pour chercher des termes plus propres. (1) Ps. LXI, 11. 392 15. On comprendra mieux cela à propos du mystère dont nous parlons, puisque saint Jean dit qu'il vit descendre du ciel la sainte Cité de la Jérusalem nouvelle, ornée, etc. (1). Il est certain que la métaphore de cité convient véritablement à l'auguste Marie; et qu'elle descendit du ciel après y être montée avec son très-saint Fils, ainsi que lors, de la conception immaculée, en laquelle elle descendit de l'entendement divin, où elle avait été formée comme une terre, nouvelle et un ciel nouveau , selon qu'il a été marqué, dans la première partie. L'évangéliste entendit ces deux mystères lorsqu'il la vit cette fois descendre corporellement, et il les renferma dans un seul chapitre. Ainsi il faut maintenant l'expliquer selon ce sens; et quoique je répète la lettre du texte sacré, ce sera d'une manière plus succincte, à cause de ce que j'ai déjà dit dans la première explication. Et en celle-ci je parlerai au nom de l'évangéliste, pour mieux m'astreindre à la lettre. 16. Je vis, dit saint Jean , un nouveau ciel et une nouvelle terre ; car le premier ciel et la première terre avaient disparu, et il n'y avait plus de tuer (2). Il appela la très- sainte humanité du Verbe incarné , et celle de sa divine Mère nouveau ciel et nouvelle terre : ciel par l'habitation, et nouveau par le renouvellement. La Divinité habite en notre Sauveur Jésus-Christ en unité de personne , par une union substantielle et indissoluble (3); et en Marie, par 393 une effusion particulière de la grâce après Jésus-Christ. Ces cieux sont nouveaux; car il vit l'humanité passible, qui, après avoir subi tous les supplices et jusqu'à la mort, avait été déposée dans le sépulcre, élevée, placée à la droite du Père éternel, et couronnée de la gloire et des dons qu'elle mérita par sa vie et par sa mort. Il vit aussi la Mère, qui lui avait donné cet être passible, et qui avait coopéré à la rédemption du genre humain, assise à la droite de son Fils (1), et plongée dans l'océan de la lumière divine et inaccessible , participant à la gloire de son Fils comme Mère, et comme s'y étant acquis un droit par ses oeuvres pleines d'une charité ineffable. Il appela aussi nouveau ciel et nouvelle terre la patrie des vivants, éclairée, parla lampe de l'Agneau (2), ornée des trophées de ses triomphes, et embellie par la présence de sa Mère, le royaume éternel dont ils avaient pris possession en qualité de Roi et Reine légitimes et véritables. Ils le renouvelèrent par leur vue et par la nouvelle joie qu'ils communiquèrent à ses anciens habitants, et par l'introduction des nouveaux enfants d'Adam, qu'ils y menèrent pour le peupler comme citoyens qui n'en devaient jamais sortir. Par cette transformation le premier ciel et la première terre disparurent ; non-seulement parce que le ciel de la très-sainte humanité de Jésus-Christ, et celui de Marie (où il avait vécu comme dans le premier ciel) passèrent dans les demeures éternelles, en y entraînant (1) Apoc., XXI, 2. - (2) Ibid., 1. - (3) Col., II, 9. 394 la terre de l'être humain; mais aussi parce que dans ce premier ciel et dans cette première terre les hommes passèrent de l'être passible à l'état de l'impassibilité. Les rigueurs de la justice disparurent, et le repos leur succéda. L'hiver des afflictions cessa, et le doux printemps des joies et des délices éternelles arriva (1). Le premier ciel et la première terre de tous les mortels disparurent aussi : car notre Seigneur Jésus-Christ entrant avec sa bienheureuse Mère dans la céleste Jérusalem , brisa les serrures qui la fermaient depuis cinq mille deux cent trente-trois ans, afin que personne n'y pénétrât et que tons les hommes restassent sur la terre, jusqu'à ce que la justice divine eût obtenu satisfaction de l'offense qu'elle avait reçue par leurs péchés. 17. La très-pure Marie devint d'une manière spéciale un nouveau ciel et une nouvelle terre, en montant avec son Fils, notre Sauveur Jésus-Christ, et en prenant possession de sa droite eu la gloire de l'âme et du corps, sans avoir passé par la commune mort de tous les enfants des hommes. Et quoiqu'elle fût auparavant ciel en la terre de sa condition humaine, où la Divinité résidait sous une forme tout à fait particulière , ce premier ciel et cette première terre disparurent en cette grande Dame, et se transformèrent, par une opération merveilleuse, en un nouveau ciel et en une nouvelle terre, où Dieu habitait avec une gloire souveraine entre toutes les créatures. (1) Cant., II, 11. 395 Grâce à ce prodige, en cette nouvelle terre, en laquelle Dieu habitait, il n'y eut plus de mer; car les amertumes et les tempêtes des tribulations eussent cessé d'exister pour elle , si elle eût voulu dès lors demeurer dans ce bienheureux état. Et pour ce qui regarde les autres, qui demeurèrent en âme et en corps, ou seulement en âme dans la gloire, il n'y eut aussi plus de mer orageuse, comme en la première terre de la mortalité. 18. Et moi Jean, poursuit l'évangéliste, je vis la sainte Cité de Jérusalem qui descendait du ciel et venait de Dieu, préparée comme une épouse qui s'est ornée pour soit époux (1). C'est à moi, indigne apôtre de Jésus-Christ, qu'un mystère si caché a été découvert, afin que je le fisse connaître au monde : je vis la Mère du Verbe incarné , véritable Cité mystique de Jérusalem, Vision de paix, qui descendait du trône de bien sur la terre, comme revêtue de la Divinité même, et ornée d'une nouvelle participation de ses attributs, de sa sagesse, de sa puissance, de sa sainteté, de son immutabilité, de sa charité, et d'une admirable ressemblance avec son Fils en ses manières et en ses actions. Elle venait comme l'instrument de la droite du Tout-Puissant, élevé par cette nouvelle participation à la dignité de Vice-Dieu. Mais quoique venant sur la terre pour y travailler en faveur des fidèles, elle se fût volontairement privée clans cette intention de la félicité que lui procurait la vision (1) Apoc., XXI, 2. 396 béatifique; le Très-Haut résolut néanmoins de l'envoyer armée de la toute- puissance de son bras, et de la dédommager de l'état auquel elle renonçait pour un temps, par une autre participation et vision de sa Divinité incompréhensible, participation et vision compatibles avec la condition de voyageur, niais au reste si divines et si sublimes, qu'elles devaient surpasser tout ce que les hommes et que les anges mêmes en sauraient concevoir. A cet effet, il l'orna de sa main des dons qu'il pouvait lui communiquer, et la prépara comme une Épouse pour son Époux le Verbe incarné, de sorte qu'il ne pat désirer trouver en elle aucune grâce, aucune excellence qui lui manquât, et que l'Époux ne cessât jamais de se reposer en elle et avec elle, comme en son ciel, et sur un trône digne de lui, quoiqu'elle eût quitté sa droite. Et comme l'éponge est imbibée dans tous ses interstices du liquide qu'elle absorbe, de même , selon notre manière de parler, cette gaude Dame était toute pénétrée de l'influence et de la communication de la Divinité. 19. Le texte poursuit : En même temps j'entendis sortir du trône une voix forte, qui disait : C'est ici le Tabernacle où Dieu demeurera avec les hommes. Ils seront, son peuple, et Dieu même sera leur Dieu (1). Cette voix qui sortit du trône attira toute mon attention par de divins effets d'une incomparable suavité. Je compris que notre grande Dame entrait, avant de (1) Apoc., XXI, 3. 397 mourir, en possession de la récompense méritée, par une faveur singulière et par une prérogative qui n'était due qu'à elle entre tous les mortels. Effectivement, aucun de ceux qui obtiennent la possession de la gloire qui leur est destinée, n'a la faculté et la liberté de revenir à la vie; mais cette grâce fut néanmoins accordée à cette unique Épouse pour augmenter sa gloire, puisque, la possédant et ayant déjà été reconnue des courtisans du ciel pour leur légitime Reine, elle descendit volontairement sur la terre, pour être la servante de ses propres sujets, et pour les soigner et les gouverner comme ses enfants. Par cette charité sans bornes elle mérita encore une fois que tous les mortels fussent son peuple, et d'être mise de nouveau en possession de l'Église militante , où elle revenait pour y résider et pour la gouverner; elle mérita aussi que Dieu demeurât avec les hommes, et qu'il se montrât propice et miséricordieux à leur égard; car il resta sous les espèces sacramentales dans le sein de la bienheureuse Marie, comme dans son sanctuaire, tout le temps qu'elle vécut dans l'Église après qu'elle fut descendue du ciel. Et indépendamment de toute autre raison, il eût suffi qu'elle s'y trouvât, pour que son adorable Fils fût resté sur la terre dans l'Eucharistie : et c'était à cause de ses mérites et de ses prières qu'il habitait au milieu des hommes par sa grâce et par de nouveaux bienfaits; c'est pourquoi le texte ajoute : 20. Dieu essuiera toutes les larmes de leurs yeux, et il n'y aura plus de mort , ni de gémissements, ni de 398 cris (1). Car cette grande Dame vient pour être la Mère de la grâce, de la miséricorde, de la consolation et de la vie. C'est elle qui remplit le monde de joie, et qui essuie les larmes, dont la source a été ouverte par le péché qu'a introduit notre mère Ève, C'est elle qui a changé le deuil en allégresse, les pleurs en une nouvelle jubilation, les cris en chants de louange et de gloire, et la mort du péché en, vie, pour ceux qui la chercheront en elle. Désormais la mort du péché, les cris des réprouvés et leurs affreuses douleurs doivent cesser ; car si les pécheurs se réfugient à temps dans ce sanctuaire, ils y trouveront le pardon, la miséricorde et la consolation. Les premiers siècles, où Marie, Reine des anges, ne se trouvait point, sont passés; et ils su sont écoulés dans la douleur, au bruit des cris de ceux qui l'appelèrent, et qui ne la possédèrent point, comme le monde la possède à présent pour son remède, pour son secours, pour arrêter la justice divine et pour obtenir miséricorde aux pécheurs. 21. Alors Celui, qui était assis sur le trône dit : Voici que je fais toutes choses nouvelles (2). Ce fut la voix du Père éternel, qui me lit connaître qu'il faisait tout nouveau : Église nouvelle , loi nouvelle, sacrements nouveaux; et qu'ayant fait des faveurs si nouvelles aux hommes, entre autres celle de leur donner son Fils unique (2), il leur en accordait une autre très-singulière, en leur envoyant la divine (1) Apoc., XXI, 4. - (2) Ibid., 5. - (3) Joan., III, 16. 399 Mère si enrichie de tant de dons admirables, si transformée et munie du pouvoir de distribuer les trésors de la rédemption que son Fils avait mis entre ses mains afin qu'elle les répandit sur les hommes suivant sa très-prudente volonté. C'est pour ce sujet qu'il l'envoya de son divin trône à l'Église , renouvelée à l'image de son Fils unique, marquée des attributs de la Divinité, comme une copie vivante de cet adorable original , autant qu'il pouvait être reproduit par une simple créature, afin qu'elle servît de modèle de sainteté à la nouvelle Église évangélique. 22. Et il me dit: Ecrivez : Ces paroles sont très-fidèles et très-véritables. Puis il ajouta : Tout est accompli; je suis le commencement et la fin, je donnerai gratuitement à boire de la fontaine d'eau vive à celui qui a soif. Celui qui aura vaincu possédera ces choses : je serai son Dieu, et il sera mon fils (1). Le même Seigneur m'ordonna du haut de son trône d'écrire ce mystère, afin que je rendisse témoignage de la fidélité et de la vérité de ses paroles, et des couvres admirables qu'il avait opérées envers la bienheureuse Marie, pour la grandeur et la gloire de laquelle il avait déployé sa toute-puissance. Et comme ces mystères étaient si profonds et si sublimes, je les ai exprimés en termes qui resteront énigmatiques jusqu'au temps que le même Seigneur a fixé pour les manifester au monde et pour faire connaître que tout ce qui pouvait être utile au salut des mortels, avait déjà été fait. En (1) Apoc., XXI, 5, 6 et 7. 400 disant, tout est accompli, il leur rappelait qu'il avait envoyé son Fils unique pour les racheter par sa Passion et par sa mort, pour les instruire par sa vie et par sa doctrine; puis sa Mère, enrichie de tant de dons, pour secourir et protéger l'Église; puis le Saint-Esprit, pour la consoler, l'éclairer, la confirmer et la fortifier par ses grâces, suivant les promesses qui lui avaient été faites. Et comme le Père éternel n'avait plus rien à nous donner, il dit : Tout est accompli; comme s'il eût dit : Tout ce qui a été possible à ma toute-puissance, et conforme à mon équité et à ma bonté, à moi qui suis lé commencement et la fin de tout ce qui a l'être. Comme commencement, je le donne à toutes choses par la toute-puissance de ma volonté; et comme fin, je reçois toutes choses, établissant par ma sagesse les moyens propres à les conduire à cette fin. Les moyens se réduisent à mon très-saint Fils, et à sa Mère, ma bien-aimée et unique entre les enfants d'Adam. En eux se trouvent les eaux pures et vives de la grâce (1), afin que tous les mortels qui les chercheront, souhaitant avec ardeur leur salut éternel, en boivent comme à leur source première. A ceux-là elles seront distribuées gratuitement, car ils ne sauraient les mériter; c'est mon Fils incarné qui les leur a méritées par sa vie, c'est sa bienheureuse Mère qui les obtient et les mérité en faveur de ceux qui recourent à elle. Et à celui qui se vaincra lui-même et qui triomphera du monde et du (1) Joan., VII, 37. 401 démon, lesquels tâchent de le détourner de ces eaux de la vie éternelle. Je serai son Dieu libéral, miséricordieux et tout-puissant, et il possédera tous mes biens et ce que je lui si préparé par le moyen de mon Fils et de sa Mère, car je l'adopterai pour fils et pour héritier de ma gloire éternelle. 23. Mais pour les lâches, les incrédules, les abominables, les homicides, les fornicateurs, les malfaiteurs, les idolâtres, et tous les menteurs, leur partage sera dans l'étang brûlant de feu et de soufre, qui est la seconde mort (1). J'ai donné à tous les enfants d'Adam mon Fils unique pour Maître, Rédempteur et Frère, et sa Mère pour refuge, médiatrice et puissante avocate auprès de moi; et comme telle je la rends au monde, afin que tous sachent. que je veux qu'on se prévaille de sa protection. Mais ceux qui ne surmonteront point les répugnances de leur chair dans les souffrances, ou qui ne croiront point mes témoignages et les merveilles que j'ai opérées en leur faveur, et qui sont marquées dans mes Écritures; ceux qui y ayant ajouté foi s'abandonneront aux honteux plaisirs; les sorciers, les idolâtres qui méconnaissent mon pouvoir et ma divinité et suivent le démon; tous ceux qui font profession de mentir et de commettre l'iniquité ne doivent attendre d'autre héritage que celui qu'ils ont eux-mêmes choisi. C'est l'horrible feu de l'enfer qui brûle avec une puanteur abominable comme un noir étang de soufre, où tous les réprouvés (1) Apoc., XXI, 8. 402 subissent des tourments différents, qui répondent aux infamies que chacun a commises, quoiqu'ils se ressemblent tous par leur éternelle durée et par la privation de la vision de Dieu, principe de la félicité des saints. Et ce sera la seconde mort sans remède, parce qu'ils n'ont pas profité de celui qu'avait la première mort du péché, qu'ils pouvaient, par la vertu de-leur Restaurateur et de sa Mère, réparer avec la vie,de la grâce. Poursuivant le récit de sa vision, l'évangéliste dit : 24. Aussitôt il vint un des sept anges qui tenaient les sept coupes pleines des sept dernières plaies; et il une parla, disant : Venez, je vous montrerai Celle qui est l'Épouse de l'Agneau (1). Je connus que cet ange et les autres étaient de ceux qui se trouvaient les plus proches du trône de la bienheureuse Trinité, et qu'il leur avait été donné un pouvoir spécial pour châtier la témérité des hommes qui auraient commis les péchés que je viens d'énumérer, après la promulgation dans le monde du mystère de la Rédemption, de la vie, de la doctrine et de la mort de notre Sauveur, et enfin après la notification de l'excellence et de la puissance de sa très- sainte Mère, toujours prête à secourir les pécheurs qui l'invoquent de tout leur coeur. Et comme dans la suite des siècles ces mystères se manifesteront davantage par les miracles et par les lumières qui frapperont le monde, par les exemples et les vies des saints, surtout des hommes apostoliques, (1) Apoc., XXI, 9. 403 des fondateurs des ordres religieux, et de tant de martyrs et de confesseurs, les péchés dont les hommes se rendront coupables dans les derniers temps seront plus graves et plus odieux, l'ingratitude après tant de bienfaits sera plus criminelle et digne d'un plus grand châtiment, et par conséquent ils provoqueront une plus terrible application des équitables rigueurs de la justice divine. Ainsi, dans cet avenir (qui pour nous est devenu le présent), Dieu châtiera rigoureusement les hommes par des calamités inouïes : ce seront les dernières plaies dont il frappera le monde; car le dernier jugement s'approche de plus en plus. On petit revoir au reste dans la première partie le paragraphe deux cent soixante-six. 25. Et l'ange me transporta en esprit sur une grande et haute montagne, et il me montra la sainte Cité de Jérusalem qui descendait du ciel et venait de Dieu (1). Je fus transporté par la force de la puissance divine sur la cime d'une haute montagne d'intelligence et de lumière où apparaissaient les mystères les plus inaccessibles. En ayant l'esprit tout éclairé, je vis l'Épouse de l'Agneau, qui était sa femme comme la sainte Cité de Jérusalem , Épouse de l'Agneau par la ressemblance et l'amour réciproque de Celui qui ôte les péchés du monde (2) , et femme du même Agneau, parce qu'elle l'accompagna inséparablement dans toutes ses couvres et ses merveilles, et que pour elle il sortit du sein de son Père éternel pour prendre ses délices (1) Apoc., XXI, 10. - (2) Joan., I, 29. 404 avec les enfants des hommes (1), comme étant les frères de cette Épouse, et par elle aussi les frères du Verbe incarné lui-même. Je la vis comme la sainte Cité de Jérusalem , qui enferma en elle Celui que la terre et les cieux ne peuvent contenir, et lui donna une habitation spacieuse, et c'est dans cette Cité qu'il plaça le temple et le propitiatoire où il voulait être cherché et sollicité pour se montrer favorable et libéral envers les mortels. Je la vis aussi comme la ville de Jérusalem, parce qu'elle renfermait dans son intérieur les perfections de la Jérusalem triomphante et le fruit le plus mûr et le plus exquis de la rédemption du genre humain. Et quoique sur la terre elle s'humiliât au-dessous de tous, et qu'elle se prosternât à nos pieds comme si elle eût été la moindre des créatures, je la vis néanmoins sur les hauteurs de l'empyrée, élevée au trône et à la droite de son Fils unique (2), d'où elle descendait vers l'Église, comblée de dons et de trésors pour favoriser les fidèles enfants de cette même Église. (1) Prov., VIII, 31. - (2) Ps. XLIV, 10. CHAPITRE III. Où l'on poursuit l'explication du reste du chapitre vingt et unième de l'Apocalypse. 26. L'évangéliste dit que cette sainte Cité de Jérusalem , l'auguste Marie, était illuminée de la clarté de Dieu, et sa lumière était semblable à une pierre précieuse, telle qu'une pierre de jaspe, transparente comme le cristal (1). Dès l'instant que la très-pure Marie eut reçu l'être, son âme fut remplie et comme inondée d'une participation de la Divinité toute nouvelle, tout exceptionnelle, qui n'avait jamais été accordée à aucune autre créature, parce qu'elle seule était la brillante aurore qui participait aux splendeurs mêmes du Soleil Jésus-Christ, homme et Dieu véritable, qui devait naître d'elle. Cette divine lumière, ces clartés merveilleuses, s'accrurent jusqu'à ce qu'elle eût atteint son apogée, étant assise à la droite de son Fils unique sur le trône même de la bienheureuse Trinité (2), et revêtue de la variété de tous les dons, grâces, vertus, mérites, et d'une gloire qui l'élevait au-dessus de toutes les créatures. Et lorsque je la vis dans cette (1) Apoc., XXI, 11. - (2) Ps. XLIV, 9. 406 lumière inaccessible , elle me parut n'avoir point d'autre clarté que celle de Dieu même, laquelle se trouvait en son être immuable comme dans sa propre source, et rejaillissait sur l'auguste Vierge. Une même lumière, une même clarté provenait de l'humanité de son Fils unique, et dans la Mère et dans le Fils, en chacun toutefois à un degré différent; mais en substance elle semblait être la même, et l'on voyait qu'elle ne se trouvait dans aucun autre des bienheureux, ni même chez eux tous ensemble. Cette glorieuse Reine était, par la diversité de ses vertus, semblable au jaspe; par la grandeur de ses mérites elle était précieuse, et par la beauté de son âme et de son corps elle était comme le cristal le plus transparent, lorsqu'il est tellement pénétré par la lumière qu'on serait tenté de le confondre avec elle. 27. La ville était ceinte d'une grande et haute muraille, et elle avait douze portes, où étaient douze anges et des inscriptions qui contenaient les noms des douze tribus d'Israël. Il y avait trois portes vers l'Orient, trois vers le Septentrion, trois vers le Midi, et trois vers l'Occident (1). La muraille qui défendait cette sainte Cité l'auguste Marie, était aussi haute et aussi grande que Dieu même, sa toute- puissance infinie et tous ses attributs; car il déploya tout son pouvoir, toute sa grandeur, toute son immense sagesse, pour la garantir des insultes des ennemis qui pouvaient l'attaquer. Cette invincible défense fut encore (1) Apoc., XXI, 12 et 13. 407 augmentée lorsqu'elle redescendit sur la terre pour y demeurer seule sans l'assistance visible de son très-saint Fils, et pour affermir la nouvelle Église de l'Évangile; car elle put disposer à cette fin, d'une manière nouvelle, de toute la puissance de Dieu contre les ennemis visibles et invisibles de cette même Eglise. Et comme, après que le Très-Haut eut fondé cette sainte Cité la bienheureuse Marie, il ouvrit libéralement ses trésors, comme il voulut appeler par son entremise à la connaissance de sa divine Majesté et à la félicité éternelle tous les mortels sens exception, Gentils, Juifs et Barbares, sans distinction de peuples et d'états, c'est, pour cela qu'il construisit cette sainte Cité avec douze portes vers les quatre parties du monde, sans aucune différence. Il y plaça les douze anges pour appeler et convier tous les enfants d'Adam, et pour leur inspirer d'une manière spéciale la dévotion envers leur Reine. Les inscriptions qui contenaient les noms des douze tribus se trouvaient aussi sur ces portes, afin que personne n'ait sujet de se croire exclu du refuge et du sanctuaire de cette sainte Jérusalem , et que tous les mortels sachent que l'auguste Marie porte leurs noms écrits dans son coeur, et même dans les faveurs qu'elle a reçues du Très-Haut pour être la Mère de la clémence et de la miséricorde, et non de la justice. 28. La muraille de cette ville avait douze fondements, où étaient écrits les douze noms des douze apôtres de l'Agneau (1). Quand notre grande Dame fit (1) Apoc., XXI, 14. 408 à la droite de gon adorable Fils sur le trône de sa gloire, d'où elle s'offrit à redescendre sur la terre pour raffermir l'Église, le même Seigneur lui recommanda singulièrement le soin des apôtres, et grava leurs noms dans le coeur si pur et si tendre de cette incomparable Reine, et nous les y trouverions écrits s'il nous était possible d'y lire. Et quoique nous ne fussions alors que onze apôtres, le nom de saint Mathias fut par anticipation écrit au lieu de celui de Judas. C'est l'amour, c'est la sagesse de cette grande Dame qui produisit la doctrine, l'enseignement, le gouvernement stable que nous douze apôtres donnâmes avec saint Paul à l'Église, en l'établissant dans le monde c'est pourquoi le Seigneur écrivit nos noms sur les fondements de cette Cité mystique la bienheureuse Marie, qui fut la base sur laquelle furent assurés les commencements de la sainte Église et des apôtres ses fondateurs. Elle nous enseigna par sa doctrine, nous éclaira par sa sagesse, nous enflamma par sa charité, et nous supporta par sa patience; elle nous attirait par sa douceur, nous conduisait par ses conseils, nous prévenait par ses avis, et nous délivrait des dangers par le pouvoir divin dont elle était dispensatrice. Elle veillait aux besoins de tous comme à ceux de chacun en particulier, aux besoins de chacun comme à ceux de tous les autres ensemble. Nous eûmes, nous autres apôtres, un accès plus libre aux douze portes de celte sainte Cité que tous les enfants d'Adam. Et tant qu'elle vécut, notre Maîtresse et notre Protectrice n'oublia jamais aucun de nous; mais en tout lieu et en tout 409 temps nous sentîmes les effets de sa protection, sans qu'elle ait jamais manqué de nous secourir dans nos nécessités et de nous consoler dans nos afflictions. Car ce fut de cette grande et puissante Reine, et par elle que nous reçûmes tous les bienfaits, toutes les grâces et tons les dons que le bras du Tout-Puissant nous communiqua, pour nous rendre les dignes ministres de la nouvelle alliance (1) du Nouveau Testament. Il fallait donc que nos noms fussent inscrits sur les fondements de la muraille de cette Cité mystique la bienheureuse Marie. 29. Celui qui me parlait avait pour toise une verge d'or, dont il devait mesurer la ville, et ses portes, et sa muraille. La ville était d'une forme quadrangulaire, aussi longue que large : et il la mesura avec sa verge d'or, et trouva qu'elle avait douze mille stades, et que la longueur, la hauteur; et la largeur en étaient égales (1). Celui qui me parlait la mesura en ma présence, afin que je comprisse la grandeur immense de cette sainte Cité de Dieu. Il avait pour toise une verge d'or, qui était le symbole de l'humanité déifiée par la personne du Verbe, et de ses dons, dé sa grâce et de ses mérites : elle figurait aussi la fragilité de l'être humain et terrestre, et l'immutabilité précieuse et inestimable de l'Être divin, qui rehaussait l'humanité et ses mérites. Salis doute la mesure dépassait de beaucoup l'objet mesuré, mais néanmoins il n'en existait aucune autre, ni dans le ciel, ni sur la terre, (1) II Cor., III, 6. - (2) Apoc., XXI, 15 et 16. 410 pour mesurer l'auguste Marie et sa grandeur, excepté celle de son adorable Fils; attendu que toutes les créatures humaines et angéliques étaient disproportionnées et insuffisantes pour mesurer cette Cité mystique et divine. Mais , mesurée avec son Fils, elle se trouvait proportionnée avec lui, comme sa digne Mère, sans qu'il lui manquât rien pour atteindre les dimensions d'une pareille dignité. Son étendue était de douze mille stades, également sur les quatre plans de la muraille : car chaque face avait douze mille stades de longueur et de hauteur; de sorte qu'elle formait un carré dont les côtés étaient absolument égaux: Telle était la grandeur, l'immensité et la plénitude des dons et des excellences de cette grande Reine, que si les autres ont reçu une mesure de cinq ou de deux talents (1), elle a reçu pour chacun de ses dons une mesure de douze mille talents, nous surpassant tous d'un degré incommensurable. Et quoiqu'elle eût été déjà mesurée d'après cette proportion, quand elle descendit du non être à l'être, lors de son immaculée conception, prédestinée à devenir la Mère du Verbe éternel , en cette circonstance solennelle où elle descendit du ciel pour établir l'Église, elle fut rapprochée une seconde fois de cette mesure de son Fils unique à la droite fin Père, et elle se trouva y correspondre exactement, de manière à pouvoir occuper cette place, et retourner vers l'Eglise pour y remplir l'office de son propre Fils le Rédempteur du monde. (1) Matth., XXV, 15. 411 30. La muraille était bâtie de pierre de jaspe, mais let ville même était d'un or très- fin, semblable à du verre d'une grande pureté. Les fondements de la muraille de la ville étaient ornés de toutes sortes de pierres précieuses (1). Les oeuvres de la bienheureuse Marie; qui éclataient au dehors et que tous pouvaient découvrir, comme on découvre les murailles d'une ville, offraient toutes une variété si agréable et si digne d'admiration pour tous ceux qui la fréquentaient, que par son seul exemple elle ravissait les coeurs, et par sa seule présence elle chassait les démons et dissipait leurs vains fantômes : c'est pour cela que la muraille de cette sainte Cité était de jaspe. Par sa conduite et par son influence extérieure; notre auguste Reine opéra plus de fruit et plus de merveilles dans la primitive Église que tous les apôtres et les autres saints de ce siècle. Mais l'intérieur de cette Cité mystique était d'un or très-fin y symbole d'une charité ineffable, tirée de celle dé son adorable Fils, et tenant de si près à celle de l'Être infini, qu'elle semblait en être un rayon. Cette sainte Cité n'était pas seulement d'un or du plus haut prix, mais elle était aussi semblable à. du verre d'une grande pureté : car elle était un miroir sans tache, dans lequel se reflétait la Divinité elle-même, de sorte qu'on ne voyait en elle autre chose que cette image. Elle était encore comme une table de cristal, sur laquelle était écrite la loi de l'Évangile, afin qu'elle (1) Apoc., XXI, 18 et 19. 412 fût manifestée au monde entier en elle et par elle . c'est pour cette raison qu'elle était du verre le plus pur et le plus transparent, et non d'une pierre obscure, comme les tables de Moïse, destinées à un seul peuple (1). Et les fondements de la muraille de cette grande Ville étaient de pierres précieuses; car le Très-Haut la construisit de sa main, en y entassant sans mesure les richesses de sa toute-puissance, sur ce qu'il y avait de plus précieux , de plus magnifique et de plus solide en ses dons, en ses privilèges et en ses faveurs, marqués par les pierres que les créatures regardent et estiment comme ayant le plus de valeur et comme étant les plus belles et les plus riches. On peut voir encore, en la première partie, le dixième chapitre du livre premier. 31. Les douze portes de la ville étaient douze perles, chaque porte d'une seule perle : et la place était d'un or pur comme un verre, transparent. Au reste je ne vis point de temple dans la ville, parce que le Seigneur Dieu tout-puissant et l'Agneau en sont le temple (1). Ceux qui s'approcheront de cette sainte Cité, l'auguste Marie, pour y entrer par la foi, par l'espérance, par la vénération, la piété et la dévotion, trouveront la précieuse perle, qui les rendra riches et opulents dans ce monde, et bienheureux dans l'autre par son intercession. Ils ne craindront point d'entrer dans cette ville de refuge : car ses portes sont très-agréables, comme étant de fines et brillantes perles, et (1) Exod., XXI, 18. - (2) Apoc., XXI, 21 et 22 413 cela, afin qu'aucun des mortels ne puisse s'excuser, s'il néglige de se prévaloir de cette grande Reine, et de son inépuisable charité envers les pécheurs; puisqu'il n'y a rien en elle qui ne les attire dans le chemin de la vie éternelle. Que si ces portes frappent par leur merveilleuse magnificence ceux qui les abordent, l'intérieur, c'est- à-dire la place de cette ville admirable, les frappera bien davantage; car il est de l'or le plus pur et le plus brillant, symbole de l'amour le plus ardent, et du brûlant désir de recevoir tous les mortels, et de les enrichir des trésors de la félicité éternelle. De là vient qu'elle se manifeste à tous par sa lumière et par ses clartés, et que personne ne saurait trouver en elle les ténèbres de l'erreur ou du mensonge. Et puisque dans cette sainte Cité, la bienheureuse Marie, Dieu même résidait d'une manière spéciale , ainsi que l'Agneau, qui est son Fils, sous les espèces sacramentales, lesquels occupaient toutes ses puissances; il s'ensuit que je ne dus point y voir d'autre temple ni d'autre propitiatoire que le Dieu tout-puissant lui-même, et l'Agneau. Il n'était pas nécessaire que l'on construisit un temple dans cette ville, pour y prier et pour y célébrer des cérémonies, comme dans les autres temples; en effet, Dieu même et son Fils en étaient le temple, et exauçaient tous les voeux et toutes les prières que cette sainte Cité vivante faisait pour les fidèles enfants de l'Église. 32. Elle n'avait pas besoin du soleil ni de la lune pour l'éclairer, parce que la lumière de Dieu l'éclairait 414 et que l'Agneau en est la lampe (1). Après que notre Reine s'en fut retournée au monde de la droite Je son très-saint Fils, son esprit ne fut point illuminé suivant le mode ordinaire aux autres saints, ni comme il l'avait été avant l'ascension, mais en récompense de la claire vision et de la jouissance dont elle s'était volontairement privée pour revenir vers l'Église militante, elle obtint une autre vision abstractive et continuelle de la Divinité, à laquelle correspondait proportionnellement une autre jouissance. Ainsi, elle participait d'une manière spéciale à l'état des compréhenseurs, quoiqu'elle fût encore au nombre des voyageurs. Elle reçut en outre un antre bienfait : c'est que son très-saint Fils sous les espèces sacrées du pain demeura toujours dans le sein de Marie, comme dans son propre sanctuaire; et elle conservait ces espèces sacramentales jusqu'à ce qu'elle reçût de nouveau l'adorable Eucharistie. De sorte que, tant qu'elle vécut sur la terre après être descendue du ciel, elle eut toujours avec elle son très saint Fils dans l'auguste Sacrement, le contemplant en elle-même par une vision particulière, qui lui fut accordée, afin qu'elle le vît et jouît de ses entretiens sans être obligée de chercher sa divine présence hors d'elle même. Elle l'avait réellement dans son sein , afin de pouvoir dire avec l'épouse : Je l'ai saisi, et ne le laisserai point s'éloigner avec toutes ses faveurs. Il n'était donc pas possible qu'il y eût dans (1) Apoc., XXI, 23 . - (2) Cant., III, 4. 415 cette sainte Cité aucune nuit, que la grâce dût éclairer comme la lune, et qu'elle eût besoin de quelques autres rayons du Soleil de justice ; car elle le possédait dans toute sa plénitude , et non en partie comme les autres saints. 33. Les nations marcheront à sa lumière ; et les rois de la terre y apporteront leur gloire et leur honneur (1). Les exilés enfants d'Ève n'auront aucune excuse à faire valoir, s'ils,ne s'acheminent pas vers la véritable félicité , à la faveur de la divine lumière que la très-sainte Vierge a donnée au monde. Son adorable Fils et Rédempteur l'a envoyée du ciel afin qu'elle éclairât son Église naissante, et l'a montrée aux premiers enfants de la sainte Église. Dans la suite des temps il a manifesté la grandeur et la sainteté de cette grande Reine au moyen des merveilles qu'elle a opérées, en comblant les hommes de bienfaits innombrables. Dans les derniers siècles (qui sont les siècles présents), il étendra davantage sa gloire, et la fera connaître de nouveau avec un plus vif éclat, à cause de l'extrême besoin que l'Église aura de sa puissante intercession et de sa protection maternelle, pour vaincre le monde, le démon et la chair, qui par la faute des mortels prendront un plus grand empire et recouvreront de nouvelles forces (comme il arrive maintenant) pour les éloigner de la grâce et les rendre de plus en plus indignes de la gloire. Au redoublement de malice de Lucifer et de ses sectateurs le Seigneur veut opposer (1) Apoc., XXI, 24. 416 les mérites et les prières de sa très-sainte Mère, la lumière de sa vie qu'il envoie au monde, et sa puissante intercession, afin qu'elle soit le refuge et le sanctuaire des pécheurs, et que tous aillent à lui par ce chemin si droit, si sûr et si plein de splendeurs. 34. Si les rois et les princes de la terre marchaient à cette lumière, et apportaient leur honneur et leur gloire à cette sainte Cité, la très-pure Marie; s'ils employaient leur grandeur, leur autorité, leurs richesses et la puissance de leurs États à exalter sou Nom et celui de son très-saint Fils; s'ils dirigeaient tous leurs efforts vers ce but, ils mériteraient, qu'ils n'en doutent pas, d'are favorisés de la protection de cette auguste Reine dans l'exercice de leurs hautes fonctions, et gouverneraient leurs États ou monarchies avec sagesse et bonheur. Pour exciter plus vivement cette confiance chez nos princes catholiques, qui professent et défendent la sainte foi, je leur déclare ce qui maintenant et dans le cours de cette histoire m'a été découvert, afin que je l'écrive fidèlement. C'est que le souverain Roi des rois et Restaurateur des monarchies a donné à la très-pure Marie le titre spécial de Patronne, de Protectrice et d'Avocate de ces royaumes catholiques. Par ce bienfait singulier le Très-Haut a voulu préparer un remède aux calamités et aux afflictions qui devaient arriver dans ces siècles présents au peuple chrétien en punition de ses péchés, comme nous l'expérimentons avec douleur et avec larmes. Le dragon infernal a tourné toute sa fureur 417 contre la sainte Église , s'apercevant de la négligence des chefs et des membres de ce corps mystique, et sachant que tous aiment la vanité et les plaisirs. La plus grande responsabilité de ces péchés et leur châtiment retombent sur ceux qui sont les plus catholiques, et dont les offenses sont plus graves; car ce sont des enfants rebelles qui connaissent la volonté de leur Père céleste, et ne se soucient non plus de l'accomplir que ceux qui lui sont étrangers. Ils savent aussi que le royaume du ciel souffre violence, et que ce sont les violents qui le ravissent (1); et cependant ils s'abandonnent à l'oisiveté, aux plaisirs, ils s'accommodent aux exigences du monde et de la chair. Pour punir ces illusions dangereuses du démon, le juste Juge se sert du démon lui-même, en lui permettant par ses équitables jugements d'affliger la sainte Église et de châtier sévèrement ses enfants. 35. Mais le Père des miséricordes qui est aux cieux ne veut point que-les couvres de sa clémence soient entièrement éteintes; et pour les conserver il nous offre le remède convenable, qui consiste en la protection de l'auguste Marie , en ses prières continuelles et en son intercession; de sorte qu'ainsi l'équité de sa justice divine a un certain titre et un motif convenable pour suspendre la punition rigoureuse que nous méritons, et qui nous sera infligée si nous ne tâchons d'obtenir de la grande Reine de l'univers (1) Matth., XI, 12. 418 qu'elle intercède en notre faveur, qu'elle apaise son très-saint Fils justement irrité, et qu'elle nous procure l'amendement de tant de péchés, par lesquels nous provoquons sa colère et nous nous rendons indignes de sa miséricorde. Que les princes catholiques et les habitants de leurs royaumes profitent de l'occasion quand la bienheureuse Marie leur offre des jours de salut et le temps de la propitiation (1). Qu'ils apportent à cette grande Dame leur honneur et leur gloire , les consacrant entièrement à son très-saint Fils et à elle, en reconnaissance du bienfait, de la foi catholique dont ils ont été prévenus, et de la perpétuité de cette foi dans leurs monarchies, où elle s'est conservée jusqu'à nos jours dans toute son intégrité, comme pour prouver au monde l'amour si particulier que l'adorable Fils et la divine Mère ont pour ces royaumes, et celui qu'ils leur témoignent en leur donnant cet avis si salutaire. Qu'ils tâchent donc d'employer leurs forces et leur grandeur pour étendre la gloire du nom de Jésus-Christ et de celui, de la très-pure Marie par toutes les nations. Et qu'ils soient persuadés que ce sera un moyen très-efficace pour se rendre le Fils favorable, que d'exalter la Mère par un digne culte de respect, et d'étendre sa gloire par tout l'univers, afin qu'elle soit connue et vénérée de toutes les nations. 36. Pour un plus grand témoignage de la clémence de l'auguste Marie, l'évangéliste ajoute que les portes (1) II Cor., VI, 2. 419 de Bette sainte Jérusalem n'étaient fermées id de jour ni de nuit, afin que les nations y apportassent leur gloire et leur honneur (1). Que personne donc, fait-il pécheur, iii-rat, païen, infidèle, ne s'approche avec crainte des portes de cette Mère de miséricorde ; car Celle qui s'est privée de la gloire dont elle jouissait à la droite de son Fils, pour venir nous secourir, ne fermera point les portes de sa pitié à celui qui s'y présentera pour son remède avec une humble dévotion. Qu'il y arrive dans la nuit du péché ou dans le jour de la grâce, et à quelque heure de sa vie que ce soit, il sera toujours accueilli et secouru. Si celui qui va trouver à minuit son ami, l'oblige, soit en considération de ses besoins, soit à force d'importunités, de se lever, de l'assister et de lui donner les pains qu'il demande (2); que fera Celle qui est notre Mère, qui nous aime avec tant de tendresse, qui nous appelle, qui nous attend et nous presse de recevoir de sa main le secours dont nous avons besoin? Elle n'attendra point nos importunités, car elle est attentive à la voix de ceux qui l'invoquent et prompte à leur répondre; elle est toute douceur, toute bonté pour les favoriser et toute libéralité pour les enrichir. Elle sollicite la miséricorde du Très- haut et lui sert de motif pour en user à notre égard; elle est la porte du ciel, afin que nous entrions dans la gloire par son intercession : Il n'y entrera jamais rien de souillé ni de mensonger (3). Or, elle ne se laissa jamais aller au (1) Apoc., XXI, 25 et 26. - (2) Luc., XI, 8. - (3) Apoc., XXI, 27. 420 moindre sentiment de rancune ou de colère contre les hommes, il ne se trouva jamais en elle aucune erreur, aucun péché ni aucun défaut; il ne lui manque donc rien de tout ce qu'on peut souhaiter pour le remède des mortels. Nous n'avons aucune excuse, aucun prétexte à alléguer, si nous ne nous en approchons avec une humble reconnaissance; car comme elle est toute pure, elle nous purifiera aussi si nous avons recours à elle. C'est elle qui a la clef des fontaines du Sauveur, dont parle Isaïe (1); approchons-nous donc de ces fontaines, elle nous les ouvrira par son intercession si nous la prions avec instance, et alors les eaux salutaires couleront pour nous laver entièrement, et pour nous rendre dignes d'être reçus en la délicieuse compagnie de son adorable Filé pour toute l'éternité. Instruction que la grande Reine des anges m'a donnée. 37. Ma fille, je veux vous déclarer pour votre consolation et pour celle de mes serviteurs, que vous avez écrit les mystères de ces chapitres sous le bon plaisir et avec l'approbation du Très-Haut, qui veut (1) Isa., XII, 3. 421 que le monde sache ce que j'ai fait pour l'Église, après que j'y fus descendue de l'empyrée pour assister les fidèles, et qu'il connaisse le désir que j'ai de secourir les catholiques qui se prévaudront de mon intercession et de ma protection, comme le Très-Haut me l'a recommandé, et. comme je le leur promets avec are affection maternelle. Vous avez aussi causé aux saints, et surtout à mon fils Jean, une satisfaction toute particulière, en parlant de la joie qu'ils eurent tous lorsque je montai au ciel avec mou Fils et mon Seigneur, l'accompagnant en son ascension glorieuse; car il est temps que les enfants de l'Église comprennent ce mystère, et qu'ils connaissent plus formellement la grandeur des bienfaits auxquels le Tout- puissant m'a élevée, et que par là ils élèvent leurs propres espérances, étant mieux instruits de ce que je puis et veux faire en leur faveur. Tendre Mère que je suis , comment ne serais-je point émue de compassion en voyant mes enfants si cruellement trompés par les mensonges et opprimés par la tyrannie du démon auquel ils se sont livrés en aveugles? Mon serviteur Jean a renfermé dans le chapitre vingt-unième et dans le douzième de l'Apocalypse d'autres grands secrets relatifs aux bienfaits que j'ai reçus du Très-Haut; mais vous en avez dit assez pour faire maintenant comprendre: aux fidèles combien mon intercession est puissante: pour leur procurer le remède dont ils out besoin , et vous en écrirez davantage plus tard. 38. Mais dès aujourd'hui vous devez recueillir 422 pour vous le fruit de tout ce que vous avez appris et rapporté. Il faut en premier lieu que vous fassiez de nouveaux progrès dans la dévotion affectueuse que vous avez pour moi, et que vous vous affermissiez dans l'espérance que je vous protégerai dans toutes vos tribulations, que je vous conduirai doits vos actions, et que les portes de ma clémence seront toujours ouvertes pour vous et pour tous ceux gué vous me recommanderez, si vous êtes telle que je veux. que vous soyez, et telle que je vous souhaite. Or, afin que mon désir soit accompli, je vous avertis, ma très-chère fille, que, comme je fus renouvelée dans le ciel par la puissance divine, pour retourner sur la terre et pour y agir avec une nouvelle perfection, de trirème le Seigneur veut que vous soyez renouvelée dans le ciel de votre intérieur, dans les hautes retraites de votre intelligence, et dans la solitude où vous vous êtes réfugiée, pour écrire ce qui reste de. ma vie. Ne croyez pas que cela soit arrivé sans une providence spéciale, comme vous le reconnaîtrez si vous réfléchissez à ce qui s'est d'abord passé en vous quand il vous a fallu entamer cette troisième partie, ainsi que vous l'avez raconté. Or, maintenant que vous trouvant seule et débarrassée du gouvernement de votre monastère, je vous donne cette instruction, il est juste qu'avec le secours de la grâce, vous vous renouveliez en l'imitation de ma vie, en reproduisant en vous (autant qu'il vous sera possible) ce que vous remarquez en moi. C'est la volonté de mort très-saint Fils, lest la mienne, c'est le but de vos désirs. Soyez donc 423 attentive à mes avis, et ceignez-vous de force (1). Déterminez votre volonté d'une manière efficace à se conformer avec docilité, avec constance , avec zèle , au bon plaisir de votre divin Époux. Accoutumez-vous à ne le perdre jamais de vue, lorsque vous descendrez au commerce des créatures et aux oeuvres de Marthe. Je serai votre Maîtresse, les anges vous accompagneront, afin que vous glorifiiez continuellement le Seigneur avec eux; et sa divine Majesté vous munira de sa force, afin que vous combattiez contre ses ennemis et les vôtres. Ne vous rendez pas. indigne de tant de faveurs. CHAPITRE IV. La bienheureuse Marie se fait voir trois jours après sa descente du ciel. - Elle parle aux apôtres. - Notre Seigneur Jésus-Christ la visite. - Et quelques autres mystères jusqu'à la venue du Saint-Esprit. 39. J'avertis de nouveau ceux qui liront cette histoire de ne pas être surpris des mystères cachés de l'auguste Marie qu'ils y verront écrits, et de ne pas les regarder comme incroyables pour avoir été ignorés (1) Prov., XXXI, 17. 424 dans le monde jusqu'à présent; car, outre que tous se rapportent et conviennent parfaitement à cette grande Reine, nous ne saurions nier que les oeuvres merveilleuses qu'elle fit après l'ascension de son très-saint Fils n'aient été très- nombreuses et tout à fait extraordinaires, quoique jusqu'ici la sainte Église n'en ait point eu d'histoire authentique. En effet, elle se trouvait être la Maîtresse, la Protectrice et la Mère de la loi évangélique, qui s'établissait et se propageait dans le monde sous sa protection. Que si pour ce ministère le souverain Seigneur la renouvela comme on l'a dit, et déploya en sa faveur le reste de sa toute-puissance, il est clair qu'ou ne doit contester à Celle qui a été une créature unique, exceptionnelle , aucun don , aucun privilège , quelque grand qu'il soit., pourvu qu'il ne répugne point à la vérité catholique. 40. Elle demeura trois jours dans le ciel, jouissant de la vision béatifique, comme je l'ai rapporté dans le premier chapitre , et descendit sur la terre le jour qui répond au dimanche après l'Ascension, et que la sainte Église appelle le dimanche dans l'octave de la fête. Elle resta dans le Cénacle trois autres jours, jouissant des effets de la vision de la Divinité, cl pendant ce temps-là, l'éclat des splendeurs dont elle était revêtue en descendant du ciel se tempérait; il n'y eut que l'évangéliste saint Jean qui courut le mystère, car il n'était pas convenable que ce secret tôt alors découvert aux autres apôtres, parce qu'ils n'étaient pas suffisamment disposés pour en recevoir 425 la connaissance. Quoiqu'elle se trouvait parmi eux , la lumière qui rejaillissait de sa personne sacrée durant ces trois jours, ne frappait point leurs yeux , et cela fit bien utile, puisque le même évangéliste à qui il fut donné de la voir dans ce glorieux état tomba la face contre terre lorsqu'il l'aborda, ainsi que je l'ai dit ci-dessus; et cependant il avait été fortifié par une grâce spéciale, et préparé à cette première vue de sa bienheureuse Mère. Il n'était d'ailleurs pas convenable que le Seigneur dépouillât tout à coup notre grande Reine de la splendeur et des autres effets extérieurs et intérieurs , avec lesquels elle était venue de Fa gloire et de son trône; il fallait au contraire que, par un ordre de sa sagesse infinie, elle cessât peu à peu de jouir de ces faveurs si divines, afin que son très-saint corps revint à un état visible plus commun, dans lequel elle pût converser avec les apôtres et avec les autres fidèles de la sainte Église. 41. J'ai dit ailleurs que cette merveille que le Seigneur opéra pour la bienheureuse Marie en l'élevant en corps et en aime dans le ciel , ne contredit point ce qui est écrit dans les Actes des apôtres, lesquels rapportent que les apôtres et les sainte femmes persévéraient tous unanimement dans la prière avec Marie Mère de Jésus, et avec ses frères après que sa divine Majesté fut montée au ciel (1). L'accord de cet endroit avec ce que j'ai dit est fort clair; en effet, saint Luc a écrit cette histoire selon ce (1) Act., I, 14. 426 que lui et les apôtres avaient vu dans le Cénacle, sans faire mention du mystère qu'il ignorait. Et comme le corps virginal de Marie se trouvait en deus endroits, il est certain, quoiqu'elle usât de son attention, de ses autres facultés et de ses sens d'une manière plus parfaite et plus réelle dans le ciel , il est. certain, dis-je, qu'elle était au milieu des apôtres, et que tous la voyaient. D'ailleurs, on peut prouver que la bienheureuse Marie persévérait avec eux dans la prière, car du haut du ciel elle les voyait, elle unissait ses prières à celles de tous ceux qui étaient dans le Cénacle; et se trouvant à la droite de son adorable Fils, elle les lui présenta, et obtint pour eux la persévérance et plusieurs autres grandes faveurs du Très-Haut. Pendant les trois jours qu'elle fut dans le Cénacle jouissant des effets de la gloire, et taudis que les splendeurs qui lui en étaient restées allaient se tempérant, notre grande Reine consacra toutes ses heures aux sentiments d'une divine ferveur, il des actes de reconnaissance et d'humilité, et aux exercices de tant de vertus ineffables, qu'il n'y a ni expressions ni images capables de rendre ce que j'ai appris de ce sublime mystère, quoique la connaissance que j'en ai reçue soit fort inférieure à la réalité. Ce mystère causa une nouvelle admiration aux anges et aux séraphins qui l'accompagnaient; et ils se demandaient quelle était lit plus grande merveille, ou celle que le puissant bras du Très-Haut avait opérée eu élevant une simple créature à tant de faveurs si 427 éminentes, ou bien de lavoir, dans le temps qu'elle se trouvait si enrichie de grâce et de gloire au-dessus de toutes les créatures , s'humilier comme si elle était la plus infime de toutes. Je sus que cette admiration des mêmes séraphins les jetait pour ainsi dire dans un extrême étonnement, et que, considérant leur Reine dans une si grande élévation et dans une humilité si prodigieuse, ils s'en entretenaient et se disaient les tais aux autres : " Si les démons eussent connu avant leur chute un si rare exemple d'humilité, il eût été a impossible qu'ils se fussent élevés en leur orgueil. Notre grande Dame est Celle qui , exempte de toute tache et de tout défaut, a comblé, non en partie mais pleinement, les vides de l'humilité de toutes les créatures. Elle seule a dignement pesé la majesté et la grandeur suprême du Créateur, et la petitesse de tout ce qui est créé. C'est elle qui sait combien et comment le Très-Haut doit être obéi et honoré:, et comme elle le sait elle l'exécute, Est-il possible qu'au milieu des épines élue le péché a scindes chez les enfants d'Adam, la terre ait produit ce lis éclatant si agréable à son Créateur, et d'une odeur si douce pour les mortels (1)? Est-il possible que dans le désert du monde, dans cette solitude terrestre si éloignée de la grâce, ait apparu une créature si parfaite et si enrichie des délices du Tout-Puissant (2)? Qu'il soit éternellement loué en sa sagesse et en sa bonté, d'avoir formé une créature si excellente (1) Cant., II, 2. - (2) Cant., VIII, 5. 428 et si admirable , sujet d'une sainte émulation pour notre nature, exemple et gloire de la nature humaine ! Et vous, bénie entre les femmes (1), prédestinée et choisie entre toutes les créatures, soyez connue, célébrée' et exaltée par toutes les nations. Jouissez pour toute l'éternité de la prééminence que votre Fils et notre Créateur vous donnée! Qui il prenne ses complaisances en vous , pour la beauté de vos vertus et de vos prérogatives; que son immense charité, qui souhaite la justification de tous les hommes, en savoure la douceur. Vous la satisfaites pour tous, et le souverain Seigneur, vous regardant vous seule, ne se repentira point d'avoir créé tant d'ingrats. Et s'ils l'irritent par leurs péchés, vous l'apaisez et le leur rendez propice. Nous ne nous étonnons pas s'il favorise tous les enfants d'Adam, ô notre auguste Reine, puisque vous demeurez avec eux et qu'ils sont de votre peuple. " 43. Les saints anges célébrèrent par ces louanges et par plusieurs autres cantiques qu'ils faisaient, l'humilité et les œuvres de la bienheureuse Marie depuis qu'elle était descendue du ciel, et elle répondit à quelques-unes de ces louanges. Avant que ceux qui l'avaient accompagnée et qui devaient s'en retourner au ciel la laissassent, dans le Cénacle, et après que se furent écoulés les trois premiers jours qu'elle y demeura (n'y ayant que saint Jean qui eût vu la (1) Luc., I, 28. 429 splendeur qui rejaillissait de sa personne sacrée), elle connut qui il était temps de converser avec les fidèles. Mlle se rapprocha donc d'eux et s'adressa aux apôtres et aux disciples avec une tendresse de mère, et s'associant à leurs prières, elle les présenta avec ses larmes à son très-saint Fils, et intercéda pour eux et pour tous ceux qui, dans les siècles à venir, devaient recevoir la sainte foi catholique et la grâce. Et dès ce jour-là elle pria aussi le Seigneur, sans y manquer aucun des jours qu'elle vécut dans la sainte Église de hâter les époques auxquelles on y devait célébrer les fêtes de ses mystères, comme il le lui avait déclaré de nouveau dans le ciel. Elle pria de même sa divine Majesté d'envoyer au monde des hommes d'une sainteté insigne, qu'elle savait destinés à travailler à la conversion des pécheurs. L'ardeur de sa charité envers les hommes était si grande dans ces prières , que naturellement elle en aurait perdu la vie. Mais pour la fortifier et modérer la véhémence de ses désirs, son très-saint Fils lui envoya plusieurs fois un des plus éminents séraphins, pour lui dire que ses prières seraient exaucées, et lui déclarer l'ordre que la divine Providence devait garder à cet égard, pour la plus grande utilité des mortels. 44. Le coeur virginal de noire auguste Princesse s'embrasait tellement d'amour par la vision de lu Divinité dont elle jouissait, comme je l'ai dit, d'une manière abstractive, qu'elle surpassait sans comparaison les plus enflammés séraphins, voisins du trône de la Divinité. Et quand quelquefois elle descendait 430 de ces hauteurs, quand elle sentait moins vivement les effets de cette divine flamme, ce n'était que pour regarder l'humanité de son très-saint Fils, car elle ne reconnaissait dans son intérieur aucune image des autres choses visibles, excepté lorsqu'elle conversait actuellement par les sens avec les créatures. Dans ce souvenir qui lui rappelait son bien-aimé Fils, elle éprouvait une sorte de regret naturel et tendre de son absence; mais ce regret était toujours modéré et réglé par la sagesse d'une Mère si parfaite. Et comme l'écho de cet amour répondait dans le coeur du Fils, il se laissait blesser par les désirs de sa très-chère Mère, et ainsi s'accomplissait à la lettre ce qu'il dit dans le Cantique des cantiques (1) : les regards de sa Mère, de son Épouse bien-aimée , le ravissaient et l'attiraient sur la terre. 45. Cela arriva plusieurs fois, comme je le dirai dans la suite, et la première fut quelques jours après que notre grande Reine fut descendue du ciel avant la venue du Saint-Esprit, et six jours ne s'étaient pas encore passés depuis quelle avait commencé à converser avec. les apôtres. Dans ce court intervalle, notre Seigneur Jésus-Christ descendit en personne pour la visiter et la remplir de nouveaux dons et de consolations ineffables. La très-candide colombe languissait d'amour, et par les amoureuses défaillances qu'elle avait, elle excitait la charité bien ordonnée du souverain Roi (2). Et cet adorable Seigneur se montrant (1) Cant., VI, 4. - (2) Cant., II, 4 et 5. 431 à elle dans cette circonstance, la soutint de la main gauche de son humanité déifiée (1), et de la droite de la Divinité il l'éclaira, l'enrichit et la pénétra entièrement de nouvelles influences par lesquelles il la vivifia. C'est là où les amoureuses peines de cette biche blessée trouvèrent leur soulagement (2); car elle puisa à son gré dans les fontaines du Sauveur, elle fut rafraîchie et fortifiée, mais pour activer dans sou sein les flammes de cet incendie d'amour qui ne s'éteignit jamais (3). Elle guérit de cette blessure dans le temps qu'elle en recevait une nouvelle; elle fut délivrée de ces défaillances pour défaillir davantage, et reçut la vie pour se livrer encore à la mort que lui faisait souffrir son affection; car ces sortes de maladies ne comportent point d'autres remèdes. Quand la très-douce Mère eut recouvré quelque peu de force par cette faveur, elle se prosterna devant le Seigneur, et lui demanda de nouveau sa bénédiction avec une profonde humilité, lui rendant de ferventes actions de grâces de ce qu'il l'honorait de sa divine présence. 46. Notre très-prudente Dame était hors d'elle-même à la vue de ce bienfait, non- seulement parce qu'il y avait si peu de temps qu'elle était privée de la présence humaine de son très-saint Fils, mais parce que le Seigneur ne lui avait pas déclaré à quelle époque il la visiterait, et que la très-haute humilité de cette auguste Reine ne lui permettait pas d'espérer (1) Cant., II, 6. - (2) . Ps. XLI, 2. - (3) Isa., XII, 3. - (4) Cant., VIII, 7. 432 que la bonté divine lui donnât sitôt cette consolation. Et comme ce fut la première fois qu'elle la reçut, elle en ressentit une plus grande admiration, qui la porta à s'humilier et à s'anéantir davantage en sa propre estime. Elle jouit pendant cinq heures de la présence et des caresses de son très-saint Fils, et aucun des apôtres ne connut alors ce bienfait, quoiqu'ils vissent en la bienheureuse Vierge certaines marques qui leur faisaient conjecturer qu'il lui était arrivé quelque chose d'extraordinaire; mais dans la crainte respectueuse avec laquelle tous la regardaient, aucun n'osa lui demander la cause de son état. Lorsqu'elle comprit que son adorable Fils voulait s'en retourner su ciel pour prendre congé de lui elle se prosterna de nouveau, lui demandant une seconde fois sa bénédiction, et la permission, quand il la favoriserait à l'avenir de ses visites, de reconnaître en sa présence les négligences dont elle, se rendait coupable, au lieu de lui témoigner sa reconnaissance et de payer ses bienfaits d'un juste retour. Elle fit cette demande parce que le même Seigneur lui promettait de la visiter quelquefois dans la suite., et qu'avant son ascension, quand il était avec sa Mère, elle avait coutume (comme je l'ai rapporté dans la seconde partie) de se prosterner devant sa Majesté, se reconnaissant indigne de ses faveurs et lente à y répondre. Et, quoiqu'elle ne pût s'accuser d'aucune faute, puisque Mère de la sainteté elle n'en commit aucune, quoiqu'elle ne pût se persuader non plus par ignorance qu'elle en eût commis, puisqu'elle était la Mère de la Sagesse, le Seigneur 433 amena son humilité, son amour et sa science, à peser dignement ce qu'elle devait en qualité de simple créature à Dieu en tant que Dieu; et par cette très-haute connaissance, jointe à cette humilité très-profonde, il lui semblait que tout ce qu'elle faisait était fort peu de chose en comparaison du retour qu'exigeaient tant de sublimes bienfaits. Et elle s'attribuait à elle-même cette inégalité; et quoiqu'il n'y eût pas là de faute, elle voulait confesser l'infériorité de l'être terrestre comparé avec la divine excellence. 47. Mais au milieu des mystères et des faveurs ineffables qu'elle reçut dès le jour de l'ascension de son Fils notre Sauveur Jésus-Christ, les soins qu'elle prit afin que les apôtres et les autres disciples se préparassent dignement à recevoir le Saint-Esprit, furent admirables. Cette très-prudente Maîtresse appréciait la grandeur du bienfait que le Père des lumières leur destinait; elle connaissait aussi l'affection sensible que les apôtres avaient pour l'humanité de leur divin Maître Jésus, et savait que la tristesse qu'ils sentaient de son absence pourrait les troubler. Pour réparer en eux ce défaut et perfectionner, tous leurs sentiments, comme une Mère compatissante et une puissante Reine, aussitôt qu'elle fut arrivée au ciel avec son très-saint Fils, elle envoya un de ses anges au Cénacle pour leur déclarer sa volonté et celle de son Fils: c'était qu'ils devaient s'élever au-dessus d'eux-mêmes, et vivre plus où ils aimaient par la foi, c'est-à-dire en l'Être de Dieu, qu'en leurs propres sens qu'ils animaient, et ne pas se laisser attirer par la 434 seule vue de l'humanité, mais s'en servir comme d'une voie pour passer à la Divinité, où l'on trouve une entière satisfaction et un parfait repos. Notre auguste Reine ordonna au saint ange d'inspirer et de dire tout cela aux apôtres. Après qu'elle fut descendue du ciel, elle les consola dans leur tristesse et les fit sortir de l'abattement où ils étaient; chaque jour elle consacrait une heure à leur exposer les mystères de la foi, que son très-saint Fils leur avait enseignés; ce qu'elle faisait, non point avec autorité, mais par manière d'entretien. En outre elle leur conseilla de s'entretenir eux-mêmes et de conférer pendant une autre heure sur les avis, les promesses, la doctrine et les instructions de leur adorable Maître Jésus, de prier vocalement une autre partie du jour, récitant le Pater noster et quelques psaumes, d'employer le reste à l'oraison mentale, et de prendre vers le soir un peu de pain et de poissons pour nourriture, et, après leur repas, un sommeil modéré, afin qu'ils se disposassent par ces prières et par ce jeûne à recevoir le Saint-Esprit, qui devait venir sur eux. 48. La vigilante Mère étant à la droite de son très-saint Fils, prenait soin de cette heureuse famille. Et pour donner le suprême degré de perfection à toutes ses couvres, quand elle parlait aux apôtres après être descendue du ciel, elle ne le faisait jamais que saint Pierre ou saint Jean ne lui commandassent de le faire. Elle pria son très-saint Fils de le leur inspirer, afin qu'elle leur obéit comme à ses vicaires et à ses prêtres. Sa prière fut exaucée : tout était accompli comme la 435 Maîtresse de l'humilité le prévoyait; ensuite elle obéissait comme servante, et, loin de se prévaloir de la dignité de Reine et de Maîtresse, et de s'attribuer la moindre autorité, elle agissait toujours comme inférieure à tous. C'était ainsi qu'elle parlait aux apôtres et aux autres fidèles. En ces jours-là elle leur exposa le mystère de la très-sainte Trinité dans les termes les plus sublimes et les plus mystérieux, mais pourtant d'une manière intelligible et en se mettant à la portée de tous. Puis elle leur exposa le mystère de l'anion hypostatique, tous ceux de d'Incarnation, et beaucoup d'autres qui concernaient la doctrine qu'ils avaient ouïe de leur divin Maître; elle leur fit savoir aussi que pour une plus grande intelligence ils seraient éclairés par le Saint-Esprit quand ils le recevraient. 49. Elle leur enseigna à prier mentalement, leur déclarant l'excellence et la nécessité de cette oraison; et leur montrant que pour la créature raisonnable le principal office et la plus noble occupation consiste à s'élever par l'entendement et par la volonté au-dessus de tout ce qui est créé,. à la connaissance et à l'amour de Dieu; et qu'on doit préférer cette occupation à toute autre chose, sans y rien interposer qui puisse priver l'âme de ce bien, qui est le bien souverain de la vie et le principe de la félicité éternelle. Elle leur enseigna encore comment ils devaient reconnaître devant le Père des miséricordes la grâce qu'il nous avait faite en nous donnant son Fils unique pour notre Rédempteur et notre Maître, et (amour avec lequel 436 sa divine Majesté nous avait rachetés au prix de sa passion et de sa mort, et combien d'actions de grâces ils devaient lui rendre de ce qu'il les avait choisis eux- mêmes entre les autres hommes pour être ses apôtres, pour converser avec lui et jouir de sa compagnie, et pour être les fondements de sa sainte Église. Par ces exhortations, par cet enseignement, la divine Mère éclaira les cœurs des onze apôtres et des autres disciples, les anima et les disposa parfaitement à recevoir le Saint-Esprit et ses divins effets. Et comme elle pénétrait leurs cœurs et connaissait leur naturel, elle s'accommodait à tous selon leurs besoins et selon la grâce et la portée de chacun, afin qu'ils pratiquassent les vertus avec joie, avec consolation et avec force. Quant aux exercices extérieurs, elle les avertit de s'humilier, de se prosterner, et de faire d'autres actes de culte respectueux pour adorer la majesté et la grandeur du Très-Haut. 60. Elle allait chaque jour, matin et soir, demander la bénédiction aux apôtres : d'abord à saint Pierre, comme le chef, ensuite à saint Jean, et aux autres selon le rang de leur ancienneté. Au commencement ils voulaient tous s'excuser de faire cette cérémonie à l'égard de la bienheureuse Marie, parce qu'ils la regardaient comme leur Reine et la Mère de leur divin Maître Jésus. Mais la très-prudente Dame les obligea tous à lui donner leur bénédiction en qualité de prêtres et de ministres du Très-Haut, leur expliquant l'excellence de cette dignité éminente, les fonctions qu'elle leur attribuait, le grand respect auquel elle 437 leur donnait droit. Et comme il s'agissait dans ces saints débats de savoir qui s'humilierait le plus, il fallait bien que la victoire restât ü la Maîtresse de l'humilité, et que les disciples fussent vaincus et instruits par son exemple. D'un autre côté, les paroles de la bienheureuse Vierge étaient si suaves, si vives et si efficaces pour mouvoir les cœurs de tons ces premiers fidèles, qu'elle les éclairait avec une force divine et très-douce, et les déterminait à pratiquer tout ce qui est le plus saint et le plus parfait des vertus. Et reconnaissant en eux-mêmes ces merveilleux effets, ils s'en entretenaient avec admiration, et disaient : " Nous trouvons véritablement en cette pure créature les mêmes instructions, la même doctrine et la même consolation dont nous avions été privés par l'absence de son Fils et notre Maître. Ses œuvres, ses paroles, ses conseils et sa conversation pleine de douceur nous enseignent et nous persuadent, comme nous le sentions près de notre Sauveur quand il nous parlait et vivait parmi nous. Maintenant nos cœurs s'enflamment par la doctrine et les exhortations de cette admirable créature, comme il nous arrivait par les paroles de notre Sauveur Jésus-Christ. Le Tout-Puissant a sans doute déposé en la Mère de son Fils unique sa sagesse et sa vertu 438 quelle il a mis en dépôt sa loi, sa verge des prodiges, et la très-douce manne pour notre vie et notre consolation (1). " 51. Si les saints apôtres et les autres premiers enfants de la sainte Église nous eussent laissé par écrit ce qu'ils ont connu, comme témoins oculaires, de l'auguste Marie et de son éminente sagesse, ce qu'ils ont entendu , ce qu'ils ont remarqué pendant le temps qu'ils purent converser avec elle, nous aurions par leurs témoignages une connaissance plus particulière de la sainteté et des actions héroïques de cette Reine de l'univers; et l'on verrait qu'en la doctrine qu'elle enseignait, et dans les effets qu'elle produisait, on reconnaissait que son très-saint Fils lui avait communiqué une espèce de vertu divine semblable à la sienne, quoiqu'elle. fût dans le Seigneur comme la fontaine dans sa source, et dans la bienheureuse Mère comme dans le canal par où elle se communiquait et se communique encore à tous les mortels. Mais les apôtres furent si heureux que de boire les eaux du Sauveur et de la doctrine de sa très-pure Mère à leurs propres sources, les recevant d'une manière sensible, comme il était convenable pour le ministère et pour l'office dont ils étaient chargés d'affermir l'Église et de propager la foi de l'Évangile dans tout l'univers. 52. L'épiscopat du plus malheureux des hommes, de Judas, était, suivant l'expression de David (2), devenu vacant par sa trahison et par sa mort; c'est (1) Hebr., IX, 4. - (2) Ps. CVIII, 7. 439 pourquoi il en fallait pourvoir un autre qui en fût digne; car c'était la volonté du Très-Haut que pour la venue du Saint-Esprit le nombre des douze apôtres fût complet, tel que le Maître de la vie l'avait fixé quand il les choisit (1). La très-pure Marie transmit cet ordre du Seigneur aux onze apôtres dans une des conférences qu'elle leur faisait. Ils approuvèrent tous la proposition, et la supplièrent de nommer elle-même, comme Mère et comme Maîtresse, celui qu'elle connaîtrait le plus digne et le plus capable de l'apostolat. La divine Dame savait à quoi s'en tenir, puisque les noms des douze, au nombre desquels était saint Mathias, se trouvaient gravés dans son coeur, ainsi que je l'ai rapporté dans le second chapitre. Mais dans son humble et profonde sagesse, elle comprit qu'il était convenable de remettre ce soin à saint Pierre, afin qu'il commençât à exercer dans la nouvelle Église l'office de pontife et de chef, en qualité de vicaire de Jésus-Christ, qui en était l'Auteur et le Maître. Elle dit au saint apôtre de faire cette élection en présence de tous les disciples et de tous les autres fidèles, afin que tous le vissent agir comme chef suprême de l'Église. Et saint Pierre se conforma aux ordres de notre auguste Reine. 53. Saint Luc marque dans le premier chapitre des Actes des Apôtres (1) la manière dont cette première élection se fit dans l'Église. Il dit que durant les jours qui se passèrent entre l'ascension et la venue du Saint-Esprit, (1) Luc., VI, 13. - (2) Act., I, 15, etc. 440 l'apôtre saint Pierre ayant assemblé les six-vingts fidèles qui se trouvèrent aussi présents à l'ascension du Seigneur, leur dit : " Mes frères, il faut que ce qui est écrit, et que le Saint-Esprit a prédit par la bouche de David (1) touchant Judas, qui se mit à la tète de ceux qui prirent Jésus, soit accompli. Il était comme nous du nombre des douze apôtres, et devait participer à notre ministère; mais il prévariqua, vendit son Maître, et du prix de sa trahison acheta un champ, qu'on appelait communément Haceldama, c'est-à-dire le Champ du sang. Vous savez qu'à la fin ce malheureux, devenu tout à fait indigne de la miséricorde divine, se pendit lui- même, qu'il creva par le milieu du ventre, et que toutes ses entrailles se sont répandues. C'est une chose notoire pour tous ceux qui étaient à Jérusalem. Puis donc qu'il est écrit su livre des Psaumes : Que sa demeure devienne déserte, que personne ne l'habite, et que son épiscopat soit donné à un autre (2); il faut qu'entre ceux qui ont toujours suivi le Seigneur Jésus dans le cours de a sa prédication, après qu'il eut reçu le baptême de Jean, il en soit choisi un qui rende témoignage avec Dons de sa résurrection. " 54. Ce discours, achevé, et tous les fidèles reconnaissant la nécessité de l'élection du douzième apôtre, on s'en rapporta pour le mode à saint Pierre lui-même. Le saint apôtre décida qu'entre les soixante (1) Ps. XL, 10. - (2) Ps. CVIII, 7. 441 douze disciples on en désignerait deux (qui furent Joseph, surnommé le Juste, et Mathias), qu'on jetterait le sort entre les deux, et qu'on proclamerait apôtre celui sur qui le sort tomberait. lis approuvèrent tous ce mode d'élection, qui alors était tout à fait sûr, parce que la vertu divine opérait de grandes merveilles pour établir l'Église. Et ayant écrit les noms des deux disciples avec le titre et l'office d'apôtre de Jésus-Christ, chacun sur un billet séparé, on mit les billets dam un vase où l'on ne pouvait pas les voir, et ils prièrent tous le Seigneur de faire paraître lequel de ces deux il avait choisi, puisqu'il pénétrait les cœurs de tous les hommes (1). Ensuite saint Pierre tira un billet, où se trouvait écrit Mathias, disciple et apôtre de Jésus- Christ; et aussitôt ils reconnurent et reçurent tous avec joie saint Mathias pour légitime apôtre, et les onze l'embrassèrent. L'auguste Marie, qui était présente à tout, lui demanda sa bénédiction, les autres fidèles en firent autant à son exemple, et ils continuèrent leur prière et leur jeûne jusqu'à la venue du Saint-Esprit. (1) Act., I, 24. 442 Instruction que la Reine du ciel m'a donnée. 55. Ma,fille, vous êtes avec raison surprise des sublimes faveurs que j'ai reçues de mon très-saint Fils, de l'humilité avec laquelle je les recevais et les reconnaissais, de la charité et de la sollicitude que je déployais parmi les consolations qu'elles me causaient pour soulager les nécessités des apôtres et des fidèles de la sainte Église. Il est temps, ma très-chère fille, que vous recueilliez en vous le fruit de la science qui vous a été accordée; car vous ne pouvez maintenant en recevoir une plus grande, et les desseins que j'ai formés sur vous et que je désire réaliser, ne tondent à rien moins qu'à faire de vous une fille fidèle qui m'imite avec ferveur, et une disciple docile qui m'écoute et me suive de tout son coeur. Animez donc votre foi, considérant combien je suis puissante pour vous favoriser et vous assister, et soyez persuadée qu'à cet égard je dépasserai vos désirs, et que je me montrerai libérale et prodigue à vous combler de biens inestimables. Mais pour les recevoir il faut que vous vous humiliiez plus bas que la terre même, et que vous vous regardiez comme la dernière de toutes les créatures, puisque vous êtes de vous-même plus inutile que la plus vile poussière, n'ayant en vous que misère et que dénuement. A la lumière de cette vérité, considérez sérieusement combien grande est envers vous la clémence du Très-Haut, et quel 443 retour, quelle reconnaissance vous lui devez; car si celui qui paie sa dette n'a pas, quoiqu'il s'en libère entièrement, sujet de se glorifier, quel doit être votre sentiment, à vous qui ne sauriez satisfaire à tant d'obligations que vous avez ? Il est juste que vous vous humiliiez, puisque vous vous trouvez toujours redevable, quand même vous travailleriez incessamment, autant qu'il vous serait possible, à vous acquitter de votre dette; et cela étant, que pourriez-vous espérer si vous étiez négligente ? 56. C'est à force de prudence et d'attention que vous parviendrez à savoir comment vous devez m'imiter en la foi vive, en l'espérance ferme, en la charité fervente, en l'humilité profonde, et dans le culte et le respect que l'on doit à la majesté infinie du Seigneur. Je vous avertis de nouveau que le serpent veille sans cesse et emploie toutes ses ruses pour empêcher les mortels de rendre le culte et la vénération qu'ils doivent à leur Dieu, et pour leur faire mépriser par une vaine témérité cette vertu et les autres qu'elle renferme. Il pousse les mondains et les gens vicieux au funeste oubli des vérités catholiques, afin que la foi divine cesse de leur représenter la crainte et le respect que doit inspirer la pensée du Très-Haut; et en cela il les rend tout semblables aux païens, qui ne connaissent point la véritable Divinité. Il amène les autres qui cherchent la vertu et pratiquent quelques bonnes couvres à une tiédeur, à une négligence dangereuse, dans laquelle ils passent leur vie sans songer à ce qu'ils perdent en perdant la ferveur. Enfin ce 444 dragon tâche d'abuser par une grossière confiance ceux qui font profession d'une vie plus parfaite, afin que par les faveurs qu'ils reçoivent, ou par la clémence qu'ils connaissent, ils se croient fort familiers avec le Seigneur, et manquent de se tenir dans l'humble vénération et dans la sainte crainte avec laquelle ils doivent être en la présence d'une si haute Majesté, dont le seul aspect fait trembler les puissances du ciel, comme la sainte Église l'enseigne à ses enfants (1). Du reste, comme en d'autres occasions je vous ai avertie de ce danger, il suffit maintenant de vous en rafraîchir la mémoire. 57. Mais je veux que vous soyez si fidèle et si ponctuelle à pratiquer mes leçons sur ce point, que vous les appliquiez à toutes vos actions, toutefois sans affectation, sans exagération, afin que par votre exemple et par vos paroles vous enseigniez à tous ceux qui vous fréquenteront la sainte crainte et l'humble respect que les créatures doivent avoir pour le Créateur. Je veux surtout que vous inculquiez cette divine science à vos religieuses, afin qu'elles comprennent quels doivent être leur humilité et leurs sentiments de révérence dans leurs rapports avec Dieu. A cet égard , l'enseignement le plus efficace sera l'exemple que vous donnerez dans les oeuvres d'obligation : car celles- là, il faut bien se garder de les cacher ou de les omettre, dans la crainte d'en concevoir quelque vanité. Ceci est encore plus obligatoire (1) In praefat. Miss. 445 pour ceux qui gouvernent les autres, parce que c'est un devoir de leur charge d'exhorter leurs inférieurs et de les maintenir dans la sainte crainte du Seigneur; et ils y réussissent plus efficacement par l'exemple que parles paroles. Vous devez aussi les instruire de la vénération qu'elles doivent avoir pour les prêtres, comme étant les oints du Seigneur. Quand vous les aborderez pour les entendre, quand vous prendrez congé d'eux, vous demanderez toujours, à mon exemple, leur bénédiction. Et lorsque vous vous verrez le plus favorisée de la bonté divine, jetez les yeux sur les nécessités et les mictions de votre prochain, et sur le danger des pécheurs, et priez pour tous avec une vive foi et une ferme confiance; car on ne saurait se flatter d'aimer véritablement Dieu, si l'on se contente seulement de jouir de ses bienfaits, sans se souvenir de ses frères. Il faut que vous demandiez avec instance que ce souverain bien, que vous connaissez et auquel vous participez, se communique à tous, puisque personne n'en est exclu, et que tous ont besoin de sa communication et du secours divin. Ma propre charité vous montre ce que vous devez pratiquer et imiter en toutes choses. 446 CHAPITRE V. La venue du Saint-Esprit sur les astres et sur les autres adèles. - La bienheureuse Marie le vit intuitivement. - Autres faits mystérieux qui arrivèrent alors. 58. Les douze apôtres, avec les autres disciples et fidèles, demeuraient tout joyeux en la compagnie de la grande Reine du ciel, attendant dans le Cénacle la promesse du Sauveur, confirmée par sa très-sainte Mère, qu'il leur enverrait d'en haut l'Esprit consolateur, qui leur enseignerait toutes choses et leur rappellerait tout ce qu'il leur avait dit (1). Ils étaient tous si intimement unis par la charité, que, durant tous ces jours-là, aucun n'eut une pensée, un sentiment, une impression contraires à ceux des autres. Ils n'avaient en toutes choses qu'un coeur et qu'une âme. Aussi n'y eut- il entre tous ces premiers enfants de l'Église aucune dispute, ni la moindre apparence de discorde, quand il s'agit de l'élection de saint Mathias, et pourtant c'était une de ces occasions où les plus sages mêmes sont ordinairement divisés, parce que chacun prétend être de ce nombre pour (1) Joan., XIV, 26. s'attacher à son opinion et ne point se ranger à celle d'autrui. Mais dans cette sainte assemblée il n'y eut aucune division, car ils étaient unis par la prière et par le jeûne, et ils attendaient tous la visite du Saint-Esprit, qui n'habite point dans les coeurs divisés. Et afin que l'on sache combien cette union de charité fut puissante, non-seulement pour les disposer à recevoir le Saint- Esprit, mais aussi pour les aider à vaincre les démons et à les chasser, il faut remarquer qu'au fond des enfers, où ces rebelles étaient encore abattus depuis la mort de notre Sauveur Jésus-Christ, ils se sentirent accablés d'une nouvelle oppression et saisis d'une frayeur extraordinaire, à cause des vertus de ceux qui se trouvaient dans le Cénacle; et quoiqu'ils ne les connussent point en particulier, ils comprirent que de ce saint lieu sortait cette puissance mystérieuse qui les opprimait, et alors ils crurent que leur empire serait détroit par les changements que ces disciples de Jésus-Christ commençaient à opérer dans le monde par la pratique de sa doctrine et l'imitation de ses exemples. 59. La Reine des anges, la bienheureuse Marie, connut par la plénitude de la sagesse et de la grâce le temps et l'heure déterminés par la divine volonté pour envoyer le Saint-Esprit sur le collège des apôtres. Les jours de la Pentecôte étant accomplis (1), c'est-à-dire cinquante jours après la résurrection de notre Seigneur et Rédempteur, la bienheureuse Mère vit (1) Act., I, 1. 448 que dans le ciel l'humanité de la personne du Verbe représentait au Père éternel la promesse que le Sauveur lui-même avait faite dans le monde à ses apôtres, de leur envoyer le divin Esprit consolateur (1), et que le temps fixé par sa sagesse infinie arrivait pour accorder cette faveur à la sainte Église, pour y affermir le règne de la foi que le Fils de Dieu avait fondé, et pour l'enrichir des dons qu'il lui avait mérités. Le même Sauveur représenta aussi à son Père les mérites qu'il avait acquis en la chair mortelle par sa très-sainte vie, par sa passion et par sa mort, les mystères qu'il avait opérés pour le salut du genre humain; qu'il était le Médiateur, l'Avocat et l'Intercesseur entre le Père éternel et les hommes, et que sa très-sainte Mère se trouvait parmi eux , elle en qui les divines personnes prenaient leurs complaisances. Il demanda encore que le Saint-Esprit vint au monde sous une forme visible, sans préjudice de la grâce et des dons invisibles qu'il y devait répandre, parce que, cette manifestation était convenable pour l'honneur de la loi évangélique devant le monde, pour fortifier et animer davantage les apôtres et les fidèles qui devaient prêcher la parole divine, et pour inspirer de la terreur aux ennemis du Seigneur, qui l'avaient persécuté pendant sa vie et méprisé jusqu'à la mort de la croix. 59. La bienheureuse Vierge, quoique étant, sur la terre, joignit ses prières à la demande que notre Rédempteur fit dans le ciel, comme il convenait à la (1) Joan., XIV, 26. 449 compatissante Mère des fidèles, prosternée avec une profonde humilité, les bras étendus eu croix, elle sut bientôt que la demande du Sauveur du monde était accueillie dans le consistoire de la très-sainte Trinité, et que pour l'expédier et l'exécuter (qu'on me passe ces expressions), les deux personnes du Père et du Fils, comme principe duquel procède le Saint-Esprit, ordonnaient la mission active de la troisième personne (car il appartient aux deux-premières personnes d'envoyer celle qui en procède), et que la troisième personne, le Saint-Esprit, acceptait la mission passive et consentait à venir dans le monde. Et quoique toutes ces personnes divines et leurs opérations soient d'une même volonté infinie et éternelle, sans aucune divergence, néanmoins les mêmes puissances, qui en toutes les trois personnes sont indivisibles et égales, ont, ad infra, des opérations en une personne qu'elles n'ont pas en une autre: ainsi l'entendement engendre dans le Père, et non point dans le Fils, parce qu'il est engendré; et la volonté respire dans le Père et dans le Fils, et non point dans le Saint-Esprit, qui est respiré. C'est pour cette raison qu'il est attribué au Père et au Fils, comme principe actif, d'envoyer le Saint-Esprit ad extra, c'est-à-dire au dehors, et qu'il est attribué au Saint-Esprit d'être envoyé comme passivement. 61. Les demandes dont je viens de parler ayant précédé le jour de la Pentecôte du matin, la très-prudente Reine avertit les apôtres, les autres disciples et les saintes femmes, au nombre de cent vingt 450 personnes (1), de prier et d'espérer avec une plus. grande ferveur, parce que bientôt ils seraient visités du Saint-Esprit. Ainsi réunis, ils priaient avec notre auguste Maîtresse, lorsque, à l'heure de Tierce, on entendit venir du ciel un grand bruit (2), pareil à un tonnerre éclatant et à un vent impétueux, accompagné de brillants éclairs; le céleste météore éclata sur la maison du Cénacle, qu'il remplit de lumière, et le feu divin se répandit sur toute cette sainte assemblée. A l'instant, sur la tète de chacun des cent vingt fidèles, se balancèrent des langues de ce même feu dans lequel le Saint-Esprit venait (3), et ils furent tous remplis de divines influences et de dons ineffables; mais cette merveilleuse venue produisit des effets bien différents et dans le Cénacle et dans toute la ville de Jérusalem, selon les diverses dispositions des sujets. 62. Ces effets furent divins en la bienheureuse Marie, et les courtisans célestes en admirèrent la sublimité. Quant à nous, nous ne saurions les comprendre ni les expliquer. Cette grande Dame en fut toute transformée et ravie jusque dans le sein du Très-Haut : elle vit le Saint-Esprit par une claire intuition, et jouit pour quelque temps, comme en passant, de la vision béatifique de la Divinité, participant elle seule à ses dons et à ses prodigieux effets plus que tous les autres saints. Sa gloire, en ce moment-là, surpassa celle des anges et des bienheureux. Elle (1) Act., t,15. - (2) Act., II, 2. - (3) Ibid., 8. 451 seule rendit plus d'actions de grâces et de louanges au Très-Haut que tous ces saints ensemble, pour reconnaître le bienfait qu'il accordait à la sainte Église en lui envoyant son divin Esprit, et en s'engageant à le lui envoyer plusieurs fois et à la gouverner par son assistance jusqu'à la fin des siècles. La très-sainte Trinité se complut tellement à ce que la seule Marie fit dans cette circonstance, qu'elle se reconnut comme satisfaite et comme payée de retour, à raison de cette faveur qu'elle venait de faire au monde. Bien plus, elle fit comme si elle avait été obligée de l'accorder, à cause de cette créature unique qui habitait la terre, et que le Père regardait comme sa Fille, le Fils comme sa Mère, et le Saint-Esprit comme son Épouse; qu'il devait, selon notre manière de concevoir, visiter et enrichir, après l'avoir, choisie pour une si haute dignité. Tous les dons et toutes les grâces du Saint-Esprit furent renouvelés en cette digne et heureuse Épouse par de nouveaux effets et par de nouvelles opérations qui sont au-dessus de tout ce que nous pouvons imaginer. 63. Les apôtres, ainsi que le dit saint Luc (1), furent aussi remplis du Saint-Esprit; car ils reçurent de merveilleux accroissements de la grâce justifiante à mi degré fort élevé, et eux douze furent seuls confirmés eu cette grâce pour ne la point perdre. Ils reçurent aussi, chacun de son côté, et au degré le plus convenable, l'infusion habituelle des sept dons (1) Act., II, 4. 452 la sagesse, l'intelligence, la science, la piété, le conseil, la force et la crainte de Dieu. Par ce bienfait, aussi grand et aussi admirable que nouveau dans le monde, les douze apôtres furent élevés, renouvelés et rendue capables d'être les ministres de la nouvelle alliance (1), et les fondateurs de l'Église évangélique dans l'univers entier, car cette nouvelle grâce et ces nouveaux dons leur communiquèrent une vertu divine, qui les portait avec une douce force à pratiquer ce qu'il y a de plus héroïque dans toutes les vertus et de plus sublime dans la sainteté. Par cette force ils faisaient avec promptitude et facilité les choses les plus difficiles, et cela sans tristesse et sans contrainte, mais avec joie et allégresse (2). 64. Le Très-Haut opéra proportionnellement les mêmes effets dans tous les autres disciples et fidèles, qui reçurent le Saint-Esprit dans le Cénacle, sans toutefois être confirmés dans la grâce comme les apôtres; mais ils reçurent la grâce et les dons avec plus ou moins d'abondance selon leurs dispositions, et le ministère qu ils devaient exercer dans la sainte Église. La même proportion fut gardée à l'égard des apôtres, mais saint Pierre et saint Jean furent singulièrement favorisés parce que leurs offices étaient plus élevés; en effet, l'un devait gouverner l'Église comme chef, et l'autre assister et servir la Reine du ciel et de la terre, l'auguste Marie. Le texte sacré de saint Lac porte (3) que le Saint-Esprit remplit toute la maison (1) II Cor., III, 6. - (2) II Cor., IX, 7. - (3) Act., II, 4. 453 où se trouvait cette heureuse assemblée, non-seulement parce que tous y furent remplis du divin Esprit et de ses dons ineffables, mais parce que la maison même fut pleine d'une lumière et d'une splendeur admirable. Cette plénitude de merveilles rejaillit sur d'autres personnes qui étaient hors du Cénacle, car le Saint- Esprit produisit aussi divers effets dans les habitants de Jérusalem. Tous ceux qui par un bon sentiment compatirent à la Passion et à la mort de Jésus-Christ notre Sauveur et Rédempteur, s'affligeant de ses affreux tourmente et révérant sa personne sacrée, furent visités intérieurement d'une nouvelle lumière et d'une grâce singulière qui les disposa à embrasser ensuite la doctrine des apôtres. Saint Pierre, dans son premier sermon, convertit un grand nombre de ces hommes à qui la compassion qu'ils eurent de la mort du Seigneur servit à procurer un si grand bonheur. Il y eut d'autres justes qui se trouvant dans Jérusalem hors du Cénacle, sentirent aussi une grande consolation intérieure qui ranima leurs bonnes dispositions, de sorte que le Saint-Esprit produisit en chacun d'eux de nouveaux effets de grâce. 65. Les autres effets que le divin Esprit opéra ce jour-là dans Jérusalem, et qui furent très-différents de ceux dont je viens de parler, ne sont pas moins admirables quoique plus. cachés. Or il arriva que le grand bruit, le vent impétueux, les éclairs et les tonnerres qui furent comme les avant-coureurs de la venue du Saint-Esprit, troublèrent et épouvantèrent tous les habitants de la ville ennemis du Seigneur, 454 selon le degré de leur malice et de leur perfidie. Ce châtiment frappa surtout ceux qui avaient concouru à la mort de notre Sauveur, et qui s'étaient signalés par leur cruauté et par leur rage. Tous ceux-là tombèrent à terre et y demeurèrent l'espace de trois heures, se donnant de la tète contre les pierres. Ceux qui avaient flagellé le Sauveur moururent tous aussitôt suffoqués par leur propre sang, à la suite des hémorragies déterminées par la chute qu'ils tirent, et dont la violence alla jusqu'à les étouffer pour venger l'effusion du sang divin qu'ils avaient répandu avec tant d'impiété. Le téméraire qui avait donné un soufflet sacrilège à l'adorable Rédempteur, non-seulement mourut sur-le champ, mais il fut précipité en corps et en âme dans l'enfer. Plusieurs autres Juifs, tout en échappant à la mort, furent aussi châtiés par des douleurs internes, et par certaines maladies honteuses qui se sont transmises, à cause du sang de Jésus-Christ dont ils se chargèrent, jusqu'à leurs descendants, et qui infestent encore aujourd'hui leurs familles au point de les rendre des objets de dégoût et d'horreur. Ce châtiment fut public dans Jérusalem en dépit des efforts que les pontifes et les pharisiens firent pour le dissimuler, comme ils avaient fait lors de la résurrection du Sauveur. Mais comme ce n'était pas un fait très-important , les apôtres et les évangélistes n'en firent aucune mention dans leurs écrits, et, au milieu des troubles de la ville, la multitude l'oublia bientôt 66. Le châtiaient s'étendit jusque dans l'enfer, 455 où les démons le sentirent avec un redoublement de confusion et de désespoir pendant trois jours , comme les Juifs restèrent renversés par terre pendant trois heures. Durant ce temps-là, Lucifer et ses démons poussaient des hurlements effroyables qui remplissaient tous les damnés de terreur, aggravaient leurs peines et les jetaient dans un abattement extraordinaire. 0 Esprit ineffable et puissant ! la sainte Église vous appelle le doigt de Dieu, parce que vous procédez du Père et du Fils, comme le doigt procède du bras et du corps; mais il m'a été découvert dans cette occasion que vous avez le même pouvoir infini avec le Père et le Fils. Dans un même moment le ciel et la terre s'émurent en votre divine présence avec des effets fort différents à l'égard de tous les mortels, mais très-semblables à ceux qui arriveront le jour du jugement universel. Vous remplîtes les saints et les justes de votre grâce, de vos dons et d'une consolation inexprimable; vous châtiâtes les impies et les superbes, et les remplîtes de confusion et de peines. Je vois ici véritablement s'accomplir ce que vous avez dit par l'organe de David (1), que vous êtes le Dieu des vengeances, et que vous agissez avec une entière liberté, rendant, quand vous le voulez, aux méchants ce qui leur est dû, afin qu'ils ne se glorifient point avec insolence dans leur injuste mille, et qu'ils ne disent point dans leur coeur que vous ne les verrez point, que vous ignorerez leurs iniquités, et qu'ils n'en recevront aucune punition. (1) Ps. XCIII, 1. 456 67. Que les insensés de la terre sachent donc que le Très-Haut discerne les vaines pensées dés hommes (1), et que s'il est libéral et doux envers les justes, il est rigoureux et inexorable envers les impies et les-méchants quand il faut les punir. Il appartenait au Saint-Esprit de montrer l'un et l'autre dans cette circonstance, parce qu'il procédait du Verbe qui s'incarna pour les hommes, et qui mourut pour les racheter, et souffrit tant d'opprobres et de mauvais traitements sans ouvrir la bouche et sans vouloir s'en venger (2). Il fallait donc que-le Saint-Esprit, descendant sur la terre, répartit l'honneur du Verbe incarné, et que, s'il ne châtiait pas tous ses ennemis, il marquât au moins dans la punition des plus impies, celle que méritaient tous ceux qui l'avaient traité avec cruauté et avec perfidie, si malgré l'exemple qu'ils voyaient, ils ne se soumettaient point à la vérité avec un sincère repentir. Il était juste aussi de récompenser le peu de personnes qui avaient reconnu le Verbe incarné pour le Rédempteur, et de disposer ceux qui devaient prêcher sa foi et sa doctrine par des faveurs proportionnées à leur ministère, qui était d'établir l'Église et la loi évangélique. Quant à la bienheureuse Marie, la visite du divin Esprit lui était eu quelque sorte due. L'apôtre dit (3) que l'homme quittant son père et sa mère pour demeurer avec son épouse, comme l'avait déjà dit Moïse (4), participe à un grand (1) Ps. XCIII, 11. - (2) Isa., LIII, 7. - (3) Ephes., V, 32. - (4) Gen., II, 24. 457 sacrement, figure de l'union qui existe entre Jésus-Christ et l'Église, pour s'unir à laquelle en l'humanité qu'il revêtit; il est descendu du sein de son Père. Or si Jésus- Christ est descendu du ciel pour demeurer avec son épouse l'Église, il semblait que le Saint-Esprit dût aussi descendre pour la très-pure Marie, car elle n'était pas,moins son Épouse que l'Église ne l'était de Jésus-Christ, et il ne l'aimait pas moins que le Verbe incarné n'aimait l'Église. Instruction que m'a donnée notre Dame la grande Reine du ciel. 68. Ma fille, les enfants de l'Église sont peu reconnaissants du bienfait que leur accorda le Très-Haut lorsqu'il envoya le Saint-Esprit à cette même Église, après avoir envoyé son Fils comme Maître et Rédempteur des hommes. L'amour dont il les a aimés et par lequel il a voulu les attirer à lui a été si grand, que pour les rendre participants de ses divines perfections, il a envoyé d'abord le Fils (1), qui est la Sagesse, et ensuite le Saint-Esprit, qui est son amour même, afin qu'ils fussent enrichis de ses attributs dans la proportion suivant laquelle ils étaient tous capables de les recevoir. Quand le divin Esprit descendit (1) Joan., III, 16. 458 la première fois sur les apôtres et sur les autres fidèles qui étaient avec eux , il a voulu, en venant ainsi , donner des gages de sa munificence, et témoigner qu'il ferait cette même faveur aux autres enfants de l'Église, de la lumière et de l'Évangile, et qu'il communiquerait ses dons à tous si tous se disposaient à les recevoir. En confirmation de cette vérité, le même divin Esprit descendait sur un grand nombre de croyants sous une forme ou par des effets visibles (1), parce qu'ils étaient véritablement des serviteurs fidèles, humbles, sincères, d'un coeur pur et préparés à sa visite. Il vient encore maintenant dans beaucoup d'âmes justes, quoique ce ne soit. point avec des marques aussi éclatantes qu'alors, car cela n'est ai nécessaire ni convenable. Les effets et les dons intérieurs sont tous du même genre, selon la disposition et la capacité de ceux qui les reçoivent. 69. Heureuse est l'âme qui aspire avec ardeur à obtenir ce bienfait et à participer à ce feu divin, qui l'enflamme et l'éclaire, qui consume eu elle tout ce qui est terrestre et charnel, qui la purifie et l'élève. enfin d'un nouvel être par l'union et la participation de Dieu lui- même. Cet incomparable bonheur, je vous le souhaite, ma fille, comme une véritable et tendre Mère; et afin que vous l'obteniez dans toute sa plénitude, je vous avertis de nouveau de préparer votre coeur et de travailler à y conserver, en tout ce qui vous surviendra, une tranquillité et une paix (1) Act., VIII, 17; X, 44; XI, 15. 459 inaltérables. La divine bonté veut vous transporter dans une demeure haut placée et sûre, où les agitations de votre esprit cesseront, et où les traits du monde et de l'enfer ne sauraient arriver. C'est là que le Très-Haut reposera dans votre tranquille habitation, et trouvera en vous un temple digne de sa gloire. Le Dragon ne manquera pas d'employer toute sa malice pour vous tenter. Soyez sur vos gardes, afin que ses attaques n'excitent aucun trouble, aucune inquiétude dans l'intérieur de votre âme. Conservez votre trésor dans votre secret, et jouissez des délices du Seigneur des doux effets de son chaste amour et des influences de sa science; car c'est pour cela qu'il vous a choisie et distinguée entre plusieurs générations, et qu'il a étendu sur vous sa main libérale. 70. Considérez donc votre vocation, et soyez assurée que le Très-Haut vous offre de nouveau la participation et la communication de son divin Esprit et de ses dons. Mais sachez que, quand il les accorde, il n'ôte point la liberté de la volonté, car il la laisse toujours maîtresse de choisir à son gré entre le bien et le mal. Ainsi il faut que, vous confiant en la faveur divine, vous preniez une résolution efficace de m'imiter en toutes les oeuvres de ma vie que vous connaissez, et de ne point empêcher les effets et la vertu des dons du Saint-Esprit., Pour vous mieux pénétrer de cette doctrine, je vous expliquerai la pratique des sept dons. 71. Le premier, qui est la sagesse, donne la connaissance et le goût des choses divines, pour exciter 460 l'intime amour que vous devez y apporter, et pour vous faire souhaiter et rechercher en toutes choses le bon, le meilleur, le plus parfait et. le plus agréable au Seigneur. Vous devez concourir à ce saint mouvement en vous abandonnant sans réserve au bon plaisir de la divine volonté, et en repoussant tout ce qui peut retarder vos progrès, quelques charmes que vous y trouviez. Le don d'intelligence, qui est le second, vous aidera à cela en vous donnant une lumière spéciale pour vous faire connaître à fond l'objet qui se présentera à votre esprit. Vous devez coopérer à cette intelligence en détournant votre attention et vos réflexions des choses étrangères dont la connaissance est inutile, et que le démon vous offre par lui-même et par le moyen des autres créatures, pour distraire votre entendement et l'empêcher de bien pénétrer la vérité des choses divines. L'application à ces vains objets l'embarrasse beaucoup, car, sachez-le bien, l'intelligence des choses mondaines et l'intelligence des choses divines sont incompatibles; la capacité humaine est bornée, et lorsqu'elle s'applique à plusieurs choses, elle les comprend. moins que si elle s'attachait à une seule. On expérimente ici encore la vérité dé l'Évangile, que personne ne peut servir deux maîtres (1). Or, quand l'âme donnant toute son attention à l'intelligence du bien, le pénètre, la force, qui est le troisième don , lui est nécessaire pour pratiquer avec résolution tout ce que (1) Matth., VI, 24. l'entendement a connu de plus saint, de plus parfait et plus agréable au Seigneur. C'est la force qui fait vaincre toutes les difficultés et surmonter tous les obstacles qui peuvent se présentera et détermine la créature à s'exposer à souffrir toute sorte de peines, pour ne pas se priver du véritable et souverain bien qu'elle connaît. 27. Mais comme il arrive souvent que, par suite de son ignorance naturelle, de ses doutes, de ses tentations , la créature ne saisit pas les conclusions qu'elle doit tirer de la vérité divine qu'elle connaît, et que cela l'empêche de choisir et de pratiquer ce qui est le meilleur, su milieu des expédients que lui offre la prudence de la chair, le don de science, qui est le quatrième, sert à la tirer de cet embarras, lui donnant des lumières pour inférer une chose bonne d'une autre, et lui apprenant à discerner dans sa conduite le parti le plus sûr, et à faire valoir ses raisons en cas de besoin. Le don de piété, qui est le cinquième, s'unit à celui-là, et incline l'âme avec une douce force à tout ce qui est véritablement du bon plaisir et du service de Dieu, à tout ce qui peut tourner au bien spirituel du prochain; il fait aussi qu'elle l'exécute, non par une certaine passion naturelle, mais par un motif saint, parfait et vertueux. Le don de conseil, qui est le sixième, lui permet de se conduire en toutes choses avec une haute prudence, porte la raison à agir avec circonspection et sans témérité, à considérer les moyens, à peser les circonstances pour elle-même et pour les autres, afin 462 de choisir avec une sage discrétion les voies les plus convenables pour atteindre des fins honnêtes et saintes. Vient ensuite, en dernier lieu , le don de crainte, qui garde et scelle tous les autres. Il détermine le coeur à fuir tout ce qui est imparfait, dangereux , et contraire à la vertu et à la perfection de l'âme; ainsi il lui sert comme d'une forte muraille qui la défend. Il faut pourtant bien connaître l'objet et la mesure de cette sainte crainte, pour qu'elle ne devienne pas excessive , et pour ne pas craindre où il n'y a aucun sujet de crainte, comme cela vous est arrivé si souvent par la malice artificieuse du serpent, qui, au lieu de la sainte crainte, a taché de vous inspirer une crainte désordonnée, même des bienfaits du Seigneur. Mais cette instruction vous montrera comment vous devez user des dons du Très- Haut, et vous conduire par leur moyen. Je vous avertis néanmoins que la science de craindre est le propre effet des faveurs que Dieu communique à lame, et il le produit en elle avec douceur, avec pais: et. avec tranquillité, clin qu'elle sache estimer et apprécier ses dons ( car tout ce qui vient de la main du Très-haut est grand et précieux), et afin qu'une crainte servile ne l'empoche point de bien reconnaître, les faveurs de sa main puissante, niais qu'une sainte ennuie, au contraire, l'excite à répondre aux grâces par toute la gratitude dont elle est capable, et à s'humilier profondément. Or, connaissant toutes ces vérités comme vous les connaissez, et sortant de la lâcheté que produit la crainte servile, vous n'aurez plus 463 que la crainte filiale, qui sera la boussole avec laquelle vous marcherez en toute sécurité dans cette vallée de larmes. CHAPITRE VI. Les apôtres sortirent du Cénacle pour prêcher à la multitude du peuple qui y était accouru. - Ils lui parlèrent en diverses langues. - Il y eut ce jour-là environ trois mille personnes qui se convertirent. - Ce que fit la bienheureuse Vierge dans cette occasion. 73. Aux signes si sensibles et si éclatants avec lesquelles le Saint-Esprit descendit sur les apôtres, tous les habitants de Jérusalem s'émurent émerveillés d'un événement si extraordinaire , et le bruit de ce que l'on avait vu sur la maison du Cénacle s'étant répandu, tout le peuple y accourut pour voir ce qui s'y passait (1). On célébrait ce jour-là une des fêtes ou Pâques des Hébreux; et c'est pour cela, comme aussi par une disposition particulière du Ciel, qu'il se trouvait dans la ville un très-grand nombre d'étrangers de toutes les nations du monde, auxquels le Très- Haut voulait manifester ce nouveau prodige, (1) Act., II, 6. 464 et la manière dont on allait commencer à prêcher et à propager la nouvelle loi de grâce , que le Verbe incarné notre Rédempteur et notre Maître avait établie pour le salut des hommes. 74. Les apôtres, qui étaient tout enflammés de charité par la plénitude des dons du Saint-Esprit, sachant que le peuple de Jérusalem accourait aux portes du Cénacle, demandèrent à leur Reine la permission de sortir pour lui prêcher la parole de Dieu; car une si grande grâce ne pouvait rester un seul moment oisive, sans tourner au profit des âmes et à une nouvelle gloire de Celui qui en était l'auteur. Ils sortirent tous du Cénacle, et s'étant présentés au peuple, ils commencèrent à prêcher les mystères de la foi et du salut éternel. Jusqu'alors ils s'étaient tenus retirés et s'étaient montrés timides; en ce moment, in contraire, ils parurent avec un courage tout à fait inattendu, et les paroles qui sortaient de leurs bouches, comme des rayons d'une nouvelle lumière, étaient si efficaces, que tous les auditeurs en furent pénétrés : aussi la foule était-elle frappée d'étonnement et d'admiration, à la vue d'un changement si inouï, si incroyable. Tous se regardaient les uns les autres, et se disaient avec une espèce d'effroi : " Qu'est-ce donc que nous voyons? Ces hommes qui parlent ne sont-ils pas tous Galiléens? Comment donc les entendons- nous parler chacun la langue de notre pays? Juifs et Prosélytes, Romains, Latins, Grecs, Crétois, Arabes, Parthes, Mèdes, et tant d'autres de divers endroits du monde, nous les entendons 465 tous parler en notre langue (1). " 0 grandeurs de Dieu! qu'il est admirable dans ses oeuvres ! 75. Cette merveille, que tant de diverses nations. qui étaient dans Jérusalem entendissent parler les apôtres chacune en sa propre langue, leur causa un grand étonnement, aussi bien que la doctrine qu'ils prêchaient. Il faut pourtant remarquer que bien que les apôtres, par la plénitude de science et des dons gratuits qu'ils avaient reçus, fussent capables de parler en toutes sortes de langues, parce que cela était nécessaire pour prêcher l'Évangile aux nations, néanmoins en cette circonstance ils ne parlèrent qu'en la langue de la Palestine; et n'articulant que celle-là ils étaient entendus de toutes les nations, comme s'ils eussent parlé en la propre langue de chacune. De sorte que le mot articulé par chaque apôtre dans la langue hébraïque, arrivait aux oreilles des divers auditeurs dans la propre langue de leur pays. Tel fut le miracle que Dieu fit alors, afin qu'ils fussent mieux compris, et mieux accueillis de tant de nations différentes. Ainsi saint Pierre ne répétait point le mystère qu'il prêchait, dans la langue de chacun de ceux qui l'écoutaient. Il ne l'annonçait qu'une fois, et alors chacun l'entendait en sa propre langue; et il en arrivait de même aux autres apôtres. Car si chacun eût parlé en la langue de celui qui l'écoutait, il lui aurait fallu répéter pour le moins dix-sept fois la même chose; puisqu'il y avait autant de nations (1) Act., II, 7, etc. 466 différentes dans l'auditoire, comme le remarque saint Luc (1), disant que chacun entendait les apôtres eu sa langue maternelle; et s'ils eussent fait toutes ces répétitions, ils auraient dû y employer plus de temps que ne le fait supposer le texte sacré; ç'aurait été même une confusion et un sujet d'ennui d'entendre parler tant de sortes de langues à la fois; et ce miracle ne serait pas pour nous aussi intelligible que celui que je viens de déclarer. 76. Les nations qui écoutaient les apôtres ne comprirent pas cette merveille, quoiqu'elles fussent étonnées d'ouïr chacune la langue de son pays. Et si le texte de saint Luc porte (2) que les apôtres commencèrent à parler diverses langues, c'est parce qu'ils les surent à l'instant, et qu'ils les parlèrent aussitôt après, comme je le dirai dans la suite, et parce qu'ils pouvaient les parler, et que ceux qui vinrent au Cénacle les entendirent prêcher chacun en sa propre langue. Mais ce nouveau prodige produisit divers effets dans les auditeurs, et les divisa en des sentiments contraires, selon leurs dispositions. Ceux qui écoutaient les apôtres avec an coeur pieux et docile recevaient de grandes notions sur la Divinité et sur la rédemption du genre humain , dont les apôtres parlaient d'une manière très-sublime et très- pathétique, et la force de leurs paroles excitait en ces heureux auditeurs de fervents désirs de connaître la vérité, en même temps que la divine (1) Act., II, 9, etc. - (2) Ibid., 4. 467 lumière les éclairait et les pénétrait d'une vive douleur pour pleurer leurs péchés et pour demander miséricorde. Animés de ces sentiments, ils appelaient en gémissant les apôtres, et les priaient de leur enseigner ce qu'ils devaient. faire pour acquérir la vie éternelle. D'autres, qui étaient endurcis, s'irritaient contre les apôtres, et n'étaient point touchés des grandeurs divines qu'ils prêchaient; loin d'ajouter foi à leurs discours, ils les traitaient de novateurs et de fourbes. Il y avait aussi beaucoup de Juifs plus impies et plus obstinés en leur perfidie et en leur envie, qui outrageaient davantage les apôtres, et disaient qu'ils étaient ivres et sans jugement (1). Parmi eux se trouvaient plusieurs de. ceux qui revinrent de la chute qu'ils avaient faite lors du grand bruit que l'on entendit à la venue du Saint-Esprit : car ils se relevèrent et plus obstinés et plus rebelles contre Dieu. 77. Mais l'apôtre saint Pierre se chargea; comme chef de l'Église, de réprimer ce blasphème, et s'adressant, à eux avec une voix plus forte., il leur dit (2) : " Peuple juif, et vous tous qui demeurez dans Jérusalem, apprenez ceci, et prêtez l'oreille à mes paroles. Ce n'est pas, comme vous le pensez, que ces hommes qui sont avec moi soient ivres, puisqu'il n'est pas encore midi, qui est l'heure à laquelle certaines gens ont coutume de commettre ce désordre. Mais sachez que Dieu a (1) Act., II, 13. - (a) Ibid., 14, etc. 468 accompli en eux ce qu'il avait promis par le prophète Joël, lorsqu'il dit (1) : " Il arrivera, dans les temps à venir, que je répandrai mon Esprit sur toute chair: " vos fils et vos filles prophétiseront : vos jeunes gens et vos vieillards auront des visions et des songes divine. En ce temps-là je répandrai mon Esprit sur mes serviteurs et sur mes servantes : je ferai paraître des prodiges dans le ciel et des merveilles sur la terre, avant que le grand et glorieux jour du Seigneur arrive. Et quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé. " Israélites, entendez ces paroles (2). C'est vous qui avez fait mourir Jésus de Nazareth par les mains des méchants, lui qui était un homme saint, de qui Dieu vous a rendu témoignage par les vertus, les prodiges et les miracles que vous savez qu'il a faits par lui au milieu de vous : il l'a ressuscité d'entre les morts, selon les prophéties de David (3) ; car ce saint roi ne pouvait point parler de lui-même, puisque vous avez le sépulcre où se trouve son corps; mais, comme prophète, il a parlé de Jésus-Christ, et nous sommes témoins de sa résurrection, l'ayant vu monter au ciel par sa propre vertu, pour s'asseoir à la droite du Père, ainsi que le même David l'a également prophétisé (4). Que les incrédules entendent ces paroles, et apprennent cette vérité, que la malice de leur perfidie veut nier; mais le Très- (1) Joel., II, 28. - (2) Act., II, 22, etc. - (3) Ps. XV, 8. -(4) Ps. CIX, 1. 469 Haut s'opposera à cette malice par les merveilles qu'il opèrera en nous, ses serviteurs, en témoignage de la doctrine de Jésus-Christ et de sa résurrection glorieuse. 78. " Que toute la maison d'Israël sache donc que certainement Dieu a établi pour son Christ et pour Seigneur de. toutes choses ce même Jésus que vous avez crucifié, et que le troisième jour il est ressuscité d'entre les morts. " Vivement touchés par ce discours, un grand nombre de ceux qui l'entendirent versèrent d'abondantes larmes de componction, demandant à saint Pierre et aux autres apôtres ce qu'ils pourraient faire pour leur propre remède (1). Saint Pierre, continuant, leur dit : " Faites une véritable pénitence, et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus-Christ, afin que vos péchés vous soient remis; et vous recevrez aussi le Saint-Esprit : car la promesse vous a été faite pour vous et pour vos enfants, et pour ceux qui sont plus éloignés, que le Seigneur attirera et appellera. Tâchez donc maintenant de profiter du remède, et de vous sauver en vous éloignant de cette génération perverse et incrédule (2). " Saint Pierre et les autres apôtres ajoutèrent plusieurs autres paroles, de vie, par lesquelles les perfides Juifs et les autres incrédules furent tous confondus : et comme ils n'y pouvaient pas répondre, ils se retirèrent du Cénacle. Mais le nombre de ceux qui embrassèrent (1) Act., II, 37. - (2) Ibid., 88, etc. 470 la véritable doctrine et la foi de Jésus-Christ é'éleva à près de trois mille, qui s'unirent tous aux apôtres, dont ils reçurent le baptême; et les prodiges que les apôtres opéraient troublèrent toute la ville de Jérusalem, et répandirent un grand effroi parmi les incrédules (1). 79. Les trois mille personnes qui se convertirent ce jour-là par le premier sermon de saint Pierre, étaient de toutes les nations qui se trouvaient alors à Jérusalem, afin que le fruit de la rédemption s'étendit aussitôt sur tous les peuples; que tous ensemble fissent une Église, et que la grâce du Saint-Esprit s'appliquât à tous, sans en exclure aucun, puisque l'Église universelle devait être composée de tontes les nations du monde. Parmi les convertis, il y avait, comme je l'ai dit plus haut, plusieurs des Juifs qui avaient suivi notre Sauveur Jésus- Christ avec piété et compassion, et qui s'étaient affligés de sa Passion et de sa mort. Il s'en convertit aussi quelques-uns de ceux qui avaient concouru à sa mort, mais en fort petit nombre, parce que la plupart ne se disposèrent point à recevoir cette grâce; car s'ils se fussent tous disposés, ils eussent tous obtenu le pardon de leur crime. Le sermon achevé, les apôtres se retirèrent ce même soir su Cénacle avec une grande partie des nouveaux enfants de l'Église, pour informer la Mère de miséricorde, la très-pure Marie, de tout ce qui s'était passé, et afin que les néophytes la connussent et la révérassent. (1) Act., II, 43. 471 80. Mais l'auguste Reine des anges u ignorait rien de tout ce qui était arrivé : car de sa retraite elle avait entendu la prédication des apôtres, connu jusqu'à la moindre pensée, et pénétré le coeur de tous les auditeurs. La compatissante Mère demeura toujours prosternée le visage contre terre, demandant avec beaucoup de larmes la conversion de tous ceux qui embrassèrent la foi du Sauveur; priant même pour les autres qui se seraient convertis s'ils eussent coopéré aux secours et à la grâce du Seigneur. La bienheureuse Vierge, voulant assister les apôtres en ce grand oeuvre auquel ils commençaient à travailler par leurs premières prédications, et aider leurs auditeurs à en profiter, envoya plusieurs anges de sa garde au secours des uns et des autres. Ces zélée auxiliaires les encouragèrent par leurs saintes inspirations, et remplirent les apôtres d'une nouvelle ardeur et d'une nouvelle énergie pour publier et découvrir les mystères cachés de la divinité et de l'humanité de notre Rédempteur Jésus-Christ. Les anges exécutèrent fidèlement les ordres de leur grande Reine; et dans cette circonstance elle usa de son pouvoir et des privilèges de sa sainteté d'une manière en rapport avec la grandeur d'une merveille extraordinaire et avec, l'importance de la cause dont il s'agissait. Quand les apôtres arrivèrent près d'elle avec ces prémices si abondantes de leurs prédications et du Saint-Esprit, elle les accueillit tous avec une joie incroyable, et avec la douceur d'une véritable et tendre Mère. 472 81. L'apôtre saint Pierre, s'adressant aux nouveaux convertis, leur dit : " Mes frères et serviteurs du Très-Haut, voici la Mère de Jésus, notre Rédempteur et notre Maître, dont vous avez reçu la foi, le reconnaissant pour Dieu et homme véritable. C'est elle qui lui a donné la forme humaine , en le concevant dans son sein, d'où il sortit la laissant vierge, avant, pendant et après l'enfantement; reconnaissez-la pour votre Mère, votre Protectrice et votre Médiatrice; vous et nous, c'est par elle que nous recevrons la lumière, la consolation et le remède de nos péchés et de nos misères. " Cette exhortation de l'apôtre et la vue de la bienheureuse Marie produisirent chez ces nouveaux fidèles des effets admirables de lumière et de joie intérieure : car cette prérogative de communiquer de grands biens intérieurs et de donner une lumière particulière à ceux qui la regardaient avec des sentiments de piété et de vénération, lui fut confirmée et augmentée, lorsqu'elle se plaça dans le ciel à la droite de son très-saint Fils. Quand tous ces fidèles eurent reçu cette faveur par la présence de notre auguste Dame , ils se prosternèrent à ses pieds, lui demandèrent en pleurant la permission de lui baiser la main , et la prièrent de leur donner sa bénédiction Mais l'humble et prudente Reine, alléguant que les apôtres, qui étaient prêtres , et saint Pierre , vicaire de Jésus-Christ, se trouvaient présents, s'excusa de le faire, jusqu'à ce que le saint apôtre lui eut dit : " Honorée Dame , ne refusez point à ces fidèles ce 473 que leur piété vous demande pour la consolation de leurs âmes. " La bienheureuse Marie obéit au chef de l'Église, et donna avec une humble dignité de Reine sa bénédiction aux néophytes. 82. L'amour, qui pressait leurs coeurs, leur fit désirer que la divine Mère leur adressât quelques paroles de consolation; mais l'humilité et le respect ne leur permettaient pas d'oser l'en prier. Et comme ils s'étaient aperçus de la soumission qu'elle témoignait à saint Pierre, ils s'adressèrent à lui, et le prièrent de l'engager à ne point les congédier sans leur dire quelques mots pour les encourager. Saint Pierre crut qu'il était convenable de consoler ces âmes, qui venaient d'être régénérées en notre Seigneur Jésus-Christ par sa prédication et par celle des autres apôtres; mais comme il savait que la Mère de la Sagesse n'ignorait point ce qu'elle devait faire, il n'osa lui dire que ces paroles : " Divine Mère, exaucez les voeux de vos serviteurs et de vos enfants. " Aussitôt notre grande Reine obéit, et s'adressa en ces termes aux néophytes : " Mes très-chers frères en notre Seigneur, rendez du fond de votre âme des actions de grâces et de louanges continuelles au Tout- Puissant de ce qu'il vous a attirés et appelés d'entre les autres hommes au véritable chemin de la vie éternelle par la connaissance de la sainte foi que vous avez reçue. Soyez- y fermes et constants pour la confesser de tout votre coeur, et pour écouter et croire tout ce que contient la loi de grâce , telle que l'a établie et enseignée son 474 véritable Maître Jésus-Christ mon Fils et votre Rédempteur. Obéissez à ses apôtres, et soyez attentifs à ce qu'ils vous enseigneront. Vous recevrez par le Baptême le caractère des enfants du Très- Haut. Je m'offre à être votre servante; pour vous assister en tout ce qui sera nécessaire pour votre consolation; je prierai mon Fils et mon Dieu éternel pour vous, et le supplierai a de vous regarder comme un père plein d'indulgence, de vous manifester la joie de son visage dans la véritable félicité, et de vous communiquer maintenant sa grâce. " 83. Cette touchante exhortation anima singulièrement ces nouveaux enfants de l'Église, et les remplit de lumière, de vénération et d'admiration; si haute fut l'idée qu'ils conçurent de la Reine de l'univers; et après lui avoir demandé de nouveau sa bénédiction, ils prirent congé d'elle ce même jour, transformés et enrichis par les dons merveilleux de la droite du Tout-Puissant. Les apôtres et les disciples continuèrent dès lors sans aucune interruption leurs prédications et leurs miracles; et pendant toute cette octave ils catéchisèrent non-seulement les trois mille personnes qui se convertirent le jour de la Pentecôte, mais une foule d'autres qui embrassaient chaque jour la foi. Et comme il y eu avait de toutes les nations, ils leur parlaient et les catéchisaient chacune en sa propre langue; et c'est pour cela que j'ai dit qu'ils parlèrent dès ce temps-là diverses langues. Les apôtres ne reçurent pas seuls cette grâce; car; quoiqu'elle fût 475 en eux et plus grande et plus insigne, les disciples la reçurent également, ainsi que les cent vingt fidèles qui étaient dans le Cénacle, et les saintes femmes qui avaient reçu le Saint-Esprit. Cela fut alors nécessaire, parée que le nombre de ceux qui se convertissaient à la foi était très-considérable : aussi , quoique tous les hommes et même plusieurs femmes s'adressassent aux apôtres , il y eut plusieurs autres femmes qui, après les avoir entendus, allaient trouver la Madeleine et ses compagnes. Celles-ci les instruisaient, et en outre en convertissaient d'autres qui les venaient voir à cause des miracles qu'elles opéraient : car le pouvoir d'en faire fut aussi communiqué aux saintes femmes, qui guérissaient toutes sortes de maladies par la seule imposition des mains, donnaient ra vue aux aveugles, faisaient parler les muets et marcher les paralytiques, et ressuscitaient plusieurs morts. C'étaient principalement les apôtres qui opéraient ces prodiges et beaucoup d'autres; néanmoins les disciples et les saintes femmes contribuaient comme eux à mettre en émoi la ville de Jérusalem tout entière; on n'y entendait parler que des prodiges et de la prédication des apôtres de Jésus-Christ, que de ses disciples et de ceux qui adhéraient à sa doctrine. 84. Le bruit de ces événements extraordinaires se répandait jusque hors de la ville : car il n'y avait aucun malade qui, ayant recours à eux, ne fût guéri de sa maladie. Ces miracles furent alors plus nécessaires, non-seulement pour confirmer la 476 nouvelle loi et la foi de Jésus-Christ, mais aussi afin que les bommes, poussés par le désir naturel qu'ils ont de conserver la vie et de recouvrer la santé du corps, pussent, tout en ne venant chercher que la guérison de leurs infirmités physiques, entendre la parole divine, et s'en retourner, non-seulement avec la santé du corps, mais encore avec celle de l'âme, comme il arrivait ordinairement à ceux que les apôtres guérissaient. Par là le nombre des fidèles s'accroissait de jour en jour; et leur foi était si vive, leur charité si ardente, qu'ils commencèrent tous à imiter la pauvreté de Jésus-Christ, méprisant les richesses, et portant tout ce qu'ils avaient aux pieds des apôtres, sans s'approprier ni se réserver la moindre chose (1). Ils rendaient tous leurs biens communs pour les fidèles, et voulaient se délivrer du péril des richesses et vivre dans la pauvreté, dans la simplicité, dans l'humilité, et en oraison continuelle, sans prendre autre soin que celui du salut éternel. - Ils se regardaient tous comme frères et enfants d'un. même Père qui est dans les cieux (2), et considérant que la foi, l'espérance, la charité, les sacrements, la grâce et la vie éternelle qu'ils cherchaient, étaient communs pour tous, ils croyaient l'inégalité dangereuse entre les mêmes chrétiens, enfants d'un même Père, héritiers de ses biens et sectateurs de sa loi; il leur répugnait de voir qu'étant si unis entre eux en ce qui était essentiel, les uns (1) Act., II, 45. - (2) Matth., XXIII, 9 477 fussent riches et les autres pauvres, sans se partager les biens temporels comme ceux de la grâce, puisqu'ils appartiennent tous à un Père qui est le même pour tous ses enfants. 85. Tel fut le siècle d'or et l'heureux commencement de l'Église évangélique. Alors un fleuve de joie inonda la Cité de Dieu (1); alors le torrent de la grâce et des dons du Saint-Esprit fertilisa ce nouveau paradis de l'Église, récemment établi par là main de notre,Sauveur Jésus-Christ, et au milieu duquel se trouvait l'arbre de vie, la bienheureuse Vierge. En ce temps-là la foi était vive, l'espérance ferme, la charité ardente, la simplicité réelle, l'humilité véritable, la justice intègre; les fidèles ne connaissaient point l'avarice et ne s'attachaient point à la vanité; ils dédaignaient le faste et vivaient sans convoitise, sans orgueil, sans ambition, vices qui ont depuis amené tant de désordres parmi des gens qui professent la foi, qui prétendent suivre Jésus-Christ, et qui le renient par, leurs oeuvres. Allèguerons- nous pour excuse gîte c'étaient alors les prémices du Saint-Esprit (2); que les fidèles n'étaient, pas aussi nombreux; que les temps sont aujourd'hui bien différents; que la Mère de la Sagesse et de la. grâce, l'auguste Marie, vivait alors dans la sainte Église, au milieu de ses enfants, et que la présence, les prières et la protection de cette grande Reine les soutenaient, les affermissaient et les élevaient jusqu'à l'héroïsme dans leur croyance et dans leur conduite? (1) Ps. XLV, 4. - (2) Rom., VIII, 23. 478 86. Nous répondrons à cela dans la suite de cette histoire, où l'on verra que ç'a été par la faute des enfants de l'Église que tant de vices se sont introduits parmi eux; et qu'ils, ont eux-mêmes donné lieu au démon d'obtenir sur les chrétiens des avantages qu'il n'aurait même pas. osé espérer malgré son orgueil et sa malice. Je dirai ici seulement que la vertu et la grâce du Saint-Esprit ne se sont point épuisées dans ces prémices. Cette grâce est toujours la même , et serait aussi efficace à l'égard du grand nombre jusqu'à la fin de l'Église, qu'elle l'a été à l'égard du petit dans son commencement, si ce grand nombre était aussi fidèle que le petit. Il est vrai que les temps sont changés; mais ce changement de la vertu aux vices et du bien au mal ne se fait point par le changement des cieux et des astres, mais par celui des hommes, qui ont quitté les voies droites de la vie éternelle pour suivre celles de la perdition. Je ne parle pas maintenant des païens ni des hérétiques, qui ont fermé entièrement les yeux à la véritable lumière de la foi et même de la raison naturelle. Je parle des fidèles qui; se glorifiant d'être les enfants de la lumière, se contentent du nom seul, et s'en servent parfois pour couvrir leurs vices des apparences de la vertu, et déguiser leurs péchés. 87. Il ne me sera pas possible d'écrire dans cette troisième partie le moindre des prodiges et des choses merveilleuses que notre grande Reine fit dans la primitive Église; mais par ce que j'en dirai, et par les années qu'elle vécut dans le monde après l'ascension, 479 on pourra s'en former une idée; car elle ne cessa point un instant, elle lie perdit pas une occasion de faire quelque faveur singulière à l'Église, en commun , ou en particulier, soit en la demandant à son très-saint Fils, qui ne lui refusait rien, soit en multipliant ses exhortations, ses enseignements, ses conseils, et en répandant en diverses manières parmi les enfants de l'Évangile la divine grâce dont elle était la trésorière et la dispensatrice. Un des mystères cachés qui m'ont été découverts sur ce pouvoir de l'auguste Marie, est que durant ces années qu'elle passa dans la sainte Église, le nombre de ceux qui se damnèrent fut relativement très-petit, et que si l'on compare un siècle avec ce peu d'années, il y en eut alors plus de sauvés que dans le cours de plusieurs siècles postérieurs. 88. J'avoue que le sort de cette époque trois fois fortunée pourrait nous causer une sainte envie à nous qui naissons à -la lumière de la foi dans les derniers et les plus mauvais temps, si la succession des années prouvait amoindrir le pouvoir, la charité et la clémence Ae cette souveraine Impératrice. Il est vrai qu'il ne nous est pas donné de la voir, de converser avec elle et de l'entendre par les sens; et que sous ce rapport ces premiers enfants de l'Église furent plus Heureux que nous. Mais nous devons être bien convaincus qu'à cette époque même nous étions présenta en la divine science et en la charité de cette compatissante Mère : car elle nous vit et nous connut tous , dans les diverses périodes successifs de la durée de 480 l'Église, selon le temps auquel nous y devions naître; elle pria, elle intercéda pour nous tous, comme pour ceux qui vivaient alors. Et elle n'est pas à présent moins puissante dans le ciel qu'elle ne l'était jadis sur la terre, ni moins notre Mère qu'elle ne l'était des premiers fidèles, puisque nous lui sommés aussi chers qu'eux. Mais, hélas! que notre foi, notre ferveur et notre dévotion sont bien différentes ! Quant à elle, elle n'a point changé; sa charité est restée la même, et son intercession, sa protection seraient aussi les mêmes, si dans nos malheureux temps nous recourions à elle avec reconnaissance, avec humilité et avec ferveur; si nous implorions son assistance, et si, à l'exemple de ces dévots et premiers fidèles, nous lui abandonnions notre sort et nos destinées avec une ferme espérance d'en être secourus; car si on les imitait, il est certain que toute l'Église catholique éprouverait jusqu'à la fin des siècles les effets de la protection qu'elle a trouvée dès ses commencements chez cette puissante Reine. 89. Revenons à la sollicitude dont cette tendre Mère entourait les apôtres et les nouveaux convertis, attentive à tout ce qui pouvait les consoler, et pourvoyant à tout ce qui pouvait leur être nécessaire. Elle anima les apôtres et les ministres de la divine parole, elle les exhorta à bien considérer le pouvoir et les témoignages si extraordinaires avec lesquels son très-saint Fils commençait à établir la foi de son Église; la vertu que le Saint-Esprit leur avait communiquée pour les rendre de dignes ministres et 481 l'assistance qu'ils avaient toujours reçue du bras du Tout-Puissant; elle leur recommanda de le reconnaître pour l'auteur de toutes ces oeuvres et de toutes ces merveilles; de lui en rendre de très-humbles actions de grâces; et de continuer, avec une ferme confiance, à instruire les fidèles et à travailler à l'exaltation du nom du Seigneur, afin qu'il fût loué, connu et aimé de tous. Elle était la première à pratiques ses propres leçons avec une humilité admirable et en chantant les louanges du Très-Haut par des hymnes de gloire. Et c'était avec une plénitude telle, qu'elle ne négligea de prier le Père éternel et de lui rendre de ferventes actions de grâces pour aucun des néophytes; car elle les avait toua présents en sa mémoire sans aucune exception. 90. Non-seulement elle faisait cela pour chacun d'eux, mais elle les accueillait, les écoutait et les favorisait tous de ses paroles de vie et de lumière. Les jours qui suivirent la venue du Saint-Esprit, plusieurs d'entre eux lui parlèrent en secret et lui découvrirent leur intérieur; il en fut ensuite de même de ceux qui se convertirent dans Jérusalem, quoique notre grande Reine n'ignorât rien de ce qui se passait dans leur âme. En effet, elle connaissait leur coeur, leur caractère, leurs sentiments et leurs inclinations; et par cette divine pénétration elle s'accommodait au naturel et aux besoins de chacun, et appliquait à tous les maux le remède convenable. C'est ainsi que la bienheureuse Marie fit tant de rares faveurs et accorda tant de grâces insignes à un 482 nombre incalculable d'âmes, qu'on ne les saurait connaître dans cette vie. 91. Aucun de ceux que notre auguste Maîtresse instruisit ne se damna (et pourtant il y en eut beaucoup qui obtinrent ce privilége), parce qu'elle fit des prières particulières pour eux tout le temps qu'ils vécurent, de sorte qu'ils furent tous écrits dans le livre de vie. Et pour obliger son très-saint Fils à leur accorder cette grâce, elle lui disait : " Mon adorable Seigneur et la vie de mon âme, je m'en suis retournée au monde avec votre agrément, u pour être la Mère de vos enfants et de mes frères les fidèles de votre Église. J'aurais le coeur pénétré de douleur si le fruit de votre sang, qui est d'un prix infini, se perdait pour ces enfants, qui ont a recours à mon intercession; il ne faut pas qu'ils a deviennent malheureux, puisqu'ils ont compté sur un pauvre vermisseau pour implorer votre clémente. Admettez-les, mon Fils, dans votre gloire, au nombre de vos prédestinés et amis. " Le Seigneur lui répondit aussitôt que sa demande, serait exaucée. Et je crois que la même chose arrive maintenant à l'égard de ceux qui méritent l'intercession de la très-pure Marie et qui la sollicitent de tout leur coeur; car comment pourrait-on s'imaginer, si cette très-douce Mère adresse à son adorable Fils de semblables prières, qu'il lui refusera ce peu, après lui avoir déjà donné tout son propre être, afin qu'elle le revêtit de la chair et de la nature humaine, et qu'en cette même chair elle le nourrit de son propre lait? 483 92. La plupart de ces nouveaux fidèles, par la haute estime qu'ils avaient de la bienheureuse Vierge après l'avoir vue et entendue , se présentaient de nouveau à elle et lui apportaient des bijoux , des pierreries et autres choses précieuses; surtout les femmes se dépouillaient de leurs plus riches ornements pour les offrir à leur auguste Maîtresse. Mais elle n'accepta aucun de ces dons. Et, s'il était convenable d'en recevoir quelques-uns, elle excitait intérieurement Ils donateurs à les porter aux apôtres, afin qu'ils les distribuassent avec charité, équité et justice entre les plus pauvres fidèles pour subvenir à leurs nécessités. Mais cette humble 1llère en témoignait sa gratitude comme si elle les eût acceptés pour elle-même. Elle recevait avec une douceur céleste les pauvres et les malades, et en guérissait plusieurs qui avaient des maladies invétérées. Elle remédia à de grandes nécessités cachées par l'intermédiaire de saint Jean , prévoyant toutes choses sans jamais négliger aucun acte de vertu. Et comme les apôtres et les disciples s'occupaient tout le jour à la prédication et à la conversion de ceux qui venaient embrasser la foi, notre grande Reine avait soin de préparer le nécessaire pour leur nourriture , et à l'heure de leur repas elle servait elle-même les prêtres à genoux, après leur avoir demandé avec respect et avec nue humilité incroyable la main pour la leur baiser. Ce qu'elle faisait surtout à l'égard des apôtres, connaissant que leurs âmes étaient confirmées en grâce, et considérant les effets que le Saint-Esprit y avait produits, et leur dignité 484 de souverains pontifes et de fondements de l'Église (1). Elle les voyait quelquefois environnés d'une grande splendeur qui rejaillissait de leurs personnes sacrées, et tout contribuait à augmenter son respect et sa vénération pour eux. Instruction que j'ai reçue de la grande Reine des anges. 93. Ma fille, vous trouverez renfermés dans les événements que vous a fait connaître ce chapitre, beaucoup de secrets relatifs au mystère de la prédestination des âmes. Sachez que la rédemption du genre humain suffisait pour les sauver toutes, puisque même elle a été très-surabondante (2). La parole de la vérité divine a été proposée à tous ceux, tant qu'ils sont, qui en ont entendu la prédication ou qui ont pu s'apercevoir des effets de l'avènement de mon Fils au monde. Outre cette prédication et ces marques extérieures, ils ont tous reçu des inspirations intérieures, afin que tous le reconnussent et le cherchassent. Malgré cela, vous vous étonnez de ce que par le premier sermon de l'apôtre trois mille personnes se soient converties de la grande multitude que contenait Jérusalem. Vous avez bien plus sujet de (1) Ephes., II, 20. - (2) Rom., V, 20. 485 vous étonner de ce qu'il s'en convertisse maintenant si peu pour entrer dans le chemin du salut éternel, lorsque l'Évangile est plus répandu, la prédication plus fréquente, les ministres plus nombreux, le nombre des ministres sacrés plus considérable, la lumière de l'Église plus éclatante, la connaissance des mystères divins plus distincte; et néanmoins les hommes sont plus aveuglés, les coeurs plus endurcis, l'orgueil est plus altier, l'avarice sans borne, et tous les vices règnent sans crainte de Dieu et sans retenue. 94. Avec une pareille perversité, les mortels ne peuvent point, au milieu de leurs malheurs, se plaindre de la très-haute et très-juste providence du Seigneur, qui a offert à tous et à chacun, et qui leur offre encore sa miséricorde paternelle, leur enseignant le chemin de la vie et leur signalant en même temps celui de la mort, et s'il les abandonne parfois à leur endurcissement, c'est avec une justice très- équitable. Les réprouvés se plaindront inutilement d'eux-mêmes quand ils connaîtront trop tard ce qu'ils pouvaient et devaient connaître au temps opportun. Si dans la vie passagère, qui leur est accordée pour mériter la vie éternelle, ils ferment les oreilles et les yeux à la vérité et à la lumière; s'ils écoutent le démon et se livrent entièrement à ses volontés les plus impies, s'ils usent si mal de la bonté et de la clémence du Seigneur, que peuvent-ils alléguer pour leur excuse? S'ils ne savent point pardonner une injure, et s'ils cherchent à se venger du tort le plus léger par les 24/30 CHAPITRE VII. Les apôtres et les disciples s'assemblent pour résoudre quelques doutes, notamment sur la forme du baptême. - On le donne aux nouveaux catéchumènes. - Saint Pierre célèbre la première messe. - Conduite de la bienheureuse Marie dans toutes ces circonstances. Instruction que la Reine des anges m'a donnée. CHAPITRE VIII. On rapporte le miracle par lequel les espèces sacramentales se conservaient en la très-pure Marie d'une communion à l'autre, et le mode de ses opérations après qu'elle fut revenue du ciel vers l'Église. Instruction que j'ai reçue de la grande Reine des anges l'auguste Marie. CHAPITRE IX. L'auguste Marie connut que Lucifer se préparait à persécuter l'Église. - Ce qu'elle fit contre cet ennemi en protégeant et défendant les fidèles. Instruction que la grande Reine des anges m'a donnée. CHAPITRE X. Les faveurs que l'auguste Marie faisait aux apôtres par le ministère de ses anges. - Le salut éternel qu'elle obtint à une femme à l'heure de la mort. - Autres événements relatifs à quelques personnes qui se damnèrent. Instruction que la très pure Marie m'a donnée. 486 plus cruelles représailles; si, pour augmenter leurs biens périssables, ils renversent tout l'ordre de la raisonet de l'amitié fraternelle et naturelle; si pour un plaisir honteux ils oublient les peines de l'enfer, et surtout s'ils méprisent les inspirations, les secours et les avis que Dieu leur envoie afin qu'ils redoutent et évitent la perdition éternelle, comment pourront-ils se plaindre de la clémence divine? Que les mortels qui ont péché contre Dieu se détrompent donc enfin, et qu'ils sachent que sans pénitence il n'y a point de grâce, que sans amendement il n'y a point de rémission, et que, sans pardon il n'y a point de gloire. Hais comme la grâce, la rémission et la gloire ne seront accordées à aucun indigne, elles ne seront pas refusées non plus à celui qui en sera digne, car jamais la miséricorde n'a manqué et ne manquera à celui qui s'efforce de l'obtenir. 95. Je veux , ma fille, que vous tiriez de toutes ces vérités les instructions salutaires qui vous conviennent. Le premier point pour vous sera d'être fort attentive à la moindre inspiration sainte que vous aurez et au plus petit avis qu'on vous donnera; vînt-il de la part du dernier des ministres du Seigneur ou de n'importe quelle créature, vous devez prudemment considérer que cela n'arrive point à votre connaissance par hasard et sans une disposition particulière du Ciel, puisqu'il est certain que M 'providence du Très-Haut ordonne tout pour votre bien; c'est pourquoi vous devez, en pareil cas, accueillir cet avis avec une humble reconnaissance, et le méditer 487 en vous-même afin de découvrir quelle vertu cette espèce d'aiguillon peut et doit vous exciter à pratiquer, et afin d'agir ensuite d'après les lumières que vous recevrez. La chose vous parût-elle de peu d'importance, ne la méprisez pas: faites- la, au contraire, et ce sera une bonne oeuvre par laquelle voue vous diapo serez à d'autres d'un plus grand mérite et d'une vertu plus éminente. La seconde instruction que vous devez tirer, c'est de réfléchir au dommage que cause dans les âmes le peu de cas qu'elles font des secours, des inspirations, des vocations et de tant d'autres bienfaits du Seigneur; car l'ingratitude dont elles se rendent coupables en ce point justifie la rigueur équitable avec laquelle le Très-Haut laisse s'endurcir plusieurs pécheurs. Que si ce danger est tant à craindre pour tous, combien plus ne le sera-t-il pas pour vous, si vous ne profitez point de la grâce surabondante et des faveur? inestimables dont vous a comblée la clémence du Seigneur, préférablement à mille générations? Et comme mon très-saint Fils ne vous prévient de ses bienfaits que pour votre avancement et pour le profit des autres âmes, je veux en dernier lieu que vous ayez, à mon exemple (tel que vous le connaissez), le plus ardent désir d'aller en aide à tous les enfants de l'Église et à tous les autres que, vous pourrez, suppliant le Très-Haut du fond de votre coeur de regarder toutes les aimes avec des yeux de miséricorde et de les sauver. Et afin qu'elles obtiennent ce bonheur, offrez- vous à souffrir pour elles si c'est nécessaire, vous souvenant de ce qu'elles 488 ont coûté à mon Fils et à votre Époux, qui a versé son sang et. donné sa vie pour les racheter, et des peines que j'ai prises dans l'Église pour leur salut. Demandez continuellement à la divine miséricorde le fruit de cette rédemption, et afin que vous ne l'oubliiez pas, je vous en fais un commandement. CHAPITRE VII. Les apôtres et les disciples s'assemblent pour résoudre quelques doutes, notamment sur la forme du baptême. - On le donne aux nouveaux catéchumènes. - Saint Pierre célèbre la première messe. - Conduite de la bienheureuse Marie dans toutes ces circonstances. 96. Il n'est pas du sujet de cette histoire d'y suivre l'ordre des actes des apôtres, tels: que les a écrits saint Luc , et d'y rapporter tout ce que les apôtres firent après la venue du Saint-Esprit; car quoiqu'il soit certain que la grande Reine et Maîtresse de l'Église eut connaissance de tout ce qui se passait, ils firent néanmoins en son absence plusieurs choses qu'il n'est pas nécessaire de mentionner ici. Il serait d'ailleurs impossible d'indiquer la. manière dont la bienheureuse Vierge concourait à toutes les oeuvres des apôtres et des disciples et à chacun des événements 489 en particulier, cela seul exigerait des volumes. Il suffît à mon sujet, et pour l'enchaînement de cette histoire, de prendre uniquement ce qui est indispensable du récit de l'.évangéliste dans les Actes des apôtres, et l'on connaîtra ainsi en grande partie les choses qu'il a omises sur notre auguste Reine, parce qu'elles n'entraient pas dans son plan , et qu'il n'était pas même convenable de les écrire alors. 97. Or, à mesure que les apôtres continuaient leurs prédications et les merveilles qu'ils opéraient dans Jérusalem, le nombre des fidèles croissait aussi; de sorte que dans les sept jours qui suivirent la venue du Saint-Esprit, il y en eut jusqu'à cinq mille , comme le dit saint Luc dans le chapitre quatrième (1). On les catéchisait tous pour les préparer au baptême, et les disciples surtout s'en occupaient avec zèle, parce que les apôtres prêchaient et avaient quelques controverses avec les pharisiens et les sadducéens. Le septième jour, la Reine des anges, retirée dans son oratoire, et considérant l'accroissement de ce petit troupeau de son très-saint Fils, redoubla ses prières et le présenta à sa divine Majesté, la suppliant d'éclairer ses ministres les apôtres, afin qu'ils se missent à régler le gouvernement, et prissent les mesures nécessaires pour la plus parfaite direction de ces nouveaux enfants de la foi. Et se prosternant elle adora le Seigneur et lui dit : " Dieu éternel, ce chétif vermisseau vous loue et vous glorifie de l'amour immense (1) Act., IV, 4. 490 que vous avez pour le genre humain, et de ce que vous manifestez si généreusement votre miséricorde paternelle, appelant tant d'hommes à la connaissance et à la foi de votre très-saint Fils, et propageant dans le monde la gloire de votre saint nom. Je vous supplie, mon adorable Seigneur, d'éclairer vos apôtres et de leur suggérer tout ce qui convient le mieux à votre Église, afin qu'ils puissent établir le gouvernement nécessaire pour son agrandissement et sa conservation. " 98. Aussitôt la très-prudente Mère connut dans cette vision qu'elle avait de la Divinité que sa prière était très-agréable su Seigneur, qui lui répondit Marie, mon Épouse, que voulez-vous? que me de mandez-vous? car vos désirs se sont fait entendre, et votre voix a doucement retenti à mes oreilles (1). " Demandez ce que vous souhaitez, ma volonté est prête à vous l'accorder. " La bienheureuse Marie répondit : " Mou Dieu, Seigneur de tout mon être, mes désirs et mes gémissements ne sont point cachés à votre sagesse infinie. Je veux, je cherche et je demande ce qui vous est le plus agréable, votre plus grande gloire et l'exaltation de votre nom dans la sainte Église. Je vous présente ces nouveaux enfants par lesquels vous l'avez en si peu de temps agrandie, et je souhaite qu'ils reçoivent le sacré baptême puisqu'ils sont déjà instruits dans la sainte foi. Je souhaite aussi, si vous l'agréez, (1) cant., II, 14. 491 que les apôtres, vos prêtres et vos ministres commentent dès maintenant à consacrer le corps et le sang de votre Fils et du mien, afin que, par cet ineffable et nouveau sacrifice, ils vous rendent des actions de grâces et des louanges pour le bien fait de la rédemption du genre humain, et pour toutes les autres faveurs que par elle vous avez faites au monde; et que nous recevions, s'il vous plaît, en qualité d'enfants de l'Église, cet aliment de vie éternelle. Je ne suis que cendre et que poussière, la moindre servante des fidèles et la plus petite de toutes les femmes, c'est pour cela que je n'ose point le proposer à vos prêtres les apôtres. Mais inspirez, Seigneur, à Pierre, qui est votre vicaire, de déterminer ce que vous voulez. " 99. La nouvelle Église fut encore redevable de ce bienfait à l'auguste Marie ; ce fut par suite de sa sage prévoyance et de son intercession qu'on commença dès lors à consacrer le corps et le sang de son très-saint Fils, et qu'on célébra la première messe dans la même Église après l'ascension, et la descente du Saint-Esprit. Il était juste, en effet, que cette première distribution du pain de vie (1) entre ses enfants fût due à ses soins vigilants, puisqu'elle était l'heureux et riche vaisseau qui l'apporta du ciel (2). C'est pourquoi le Seigneur lui dit : " Ma Bien-Aimée et ma Colombe, que ce que, vous souhaitez et demandez (1) Joan., VI, 85. - (2) Prov., XXXI, 16. 492 se fasse. Mes apôtres, avec Pierre et Jean; vous parleront, et vous ordonnerez par eux ce que vous désirez, afin qu'on l'exécute. " A l'instant ils arrivèrent tous près de notre grande Reine, qui les reçut avec son respect ordinaire, s'agenouillant et demandant leur bénédiction. Saint Pierre, comme chef des apôtres, la lui donna. Il prit ensuite la parole au nom de tous, et représenta à la bienheureuse-Vierge que les néophytes étaient déjà catéchisés en la foi et instruits des mystères du Seigneur, et qu'il serait temps de leur donner le baptême pour les marquer du caractère d'enfants de Jésus-Christ réunis dans le giron de l'Église; puis il pria notre auguste Maîtresse d'ordonner ce qu'elle jugerait le plus à propos et qui serait du bon plaisir du Très-Haut. La très-prudente Mère répondit : " Seigneur, vous êtes qi le chef de l'Église et le vicaire de mon très-saint Fils en cette même Église, sa très-sainte volonté approuvera tout ce que vous ordonnerez en son nom, ma volonté est la sienne avec la vôtre. " 100. En conséquence de cette réponse, saint Pierre décida que le jour suivant (qui répondait au dimanche de la très-sainte Trinité) on administrerait le saint baptême aux catéchumènes qui s'étaient convertis cette semaine; la bienheureuse Vierge l'approuva de la sorte ainsi que les autres apôtres. Il se présenta ensuite un autre doute soir le baptême qu'il fallait donner, si c'était celui de saint Jean ou celui de Jésus-Christ notre Sauveur. Quelques membres de l'assemblée disaient qu'il fallait donner aux catéchumènes 493 le baptême de saint Jean, qui était celui de pénitence, et qu'ils devaient arriver par cette porte à la foi et à la justification de leurs âmes. D'autres pensaient au contraire que par le baptême et la mort de Jésus-Christ le baptême de saint Jean avait été abrogé, que celui-ci ne servait que pour préparer les coeurs à recevoir le Rédempteur; mais que le baptême de sa divine Majesté donnait la grâce justifiante et lavait tous les péchés de ceux qui étaient bien disposés, et qu'il fallait les introduire immédiatement dans la sainte Église. 101. Saint, Pierre et saint Jean adoptèrent cette opinion, et la bienheureuse Marie la confirma; de sorte qu'il fut arrêté qu'on établirait dès lors le baptême de notre Seigneur Jésus-Christ, et que ces nouveaux convertis le recevraient comme les autres qui embrasseraient la foi. En ce qui concerne la matière et la forme de ce baptême, il ne s'éleva aucun doute parmi les apôtres, ils convinrent tous que la matière devait être l'eau naturelle et élémentaire, et la forme : " Je te baptise au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, parce que notre Sauveur avait indiqué lui-même cette matière et cette forme, et qu'il les employa à l'égard de ceux qu'il baptisa de ses mains. Cette forme du baptême est encore observée aujourd'hui. Et quand il est dit dans les Actes des apôtres (1), qu'ils baptisaient au nom de Jésus- Christ, cela doit s'entendre non de la forme, mais de l'auteur du baptême, (1) Act., II, 38. 494 qui était Jésus-Christ, pour distinguer son baptême de celui de saint Jean. Car c'était la même chose de baptiser su nom de Jésus-Christ qu'avec le baptême de Jésus-Christ; mais la forme était celle que le Seigneur lui-même a marquée, en désignant expressément les trois personnes de la très-sainte Trinité (1), comme le fondement et le principe de toute la foi et de toute la vérité catholique. Après cette résolution les apôtres décidèrent qu'on assemblerait le jour suivant tous les catéchumènes dans la maison où était le Cénacle pour y être baptisés, et que les soixante-douze disciples se chargeraient de les préparer ce jour-là. 102. Notre auguste Princesse s'adressa ensuite à toute l'assemblée après en avoir demandé la permission aux apôtres, et elle s'exprima en ces termes a Seigneurs, le Rédempteur du monde, mon Fils et Dieu véritable, a offert au Père éternel, dans l'amour qu'il a eu pour les hommes, le sacrifice a de son corps sacré et de son précieux sang, se consacrant lui-même sous les espèces du pain et du vin, sous lesquels il a déterminé de demeurer dans l'Église, afin que ses enfants y eussent un sacrifice et un aliment de vie éternelle, et un gage infaillible de la félicité dont ils espèrent jouir dans le ciel. Par ce sacrifice, qui renferme les mystères de la vie et de la mort du Fils, on apaisera le Père, et en lui et par lui l'Eglise lui rendra les actions de (1) Matth., XXVIII, 19. 495 grâces et les louanges qu'elle lui doit comme Dieu et comme bienfaiteur. Vous êtes les prêtres et les ministres à qui seuls il appartient de l'offrir. Je souhaiterais, si vous le jugez à propos, que vous commençassiez à célébrer ce sacrifice non sanglant, et à consacrer le corps et le sang de mon très-saint Fils, afin que nous reconnaissions le bienfait de la rédemption, et celui d'avoir envoyé le Saint-Esprit à l'Église, et afin que les fidèles, en recevant ce pain de vie, commençant à jouir de ses divins effets. Parmi les catéchumènes qui recevront le baptême, on pourra admettre à la communion du corps adorable ceux qui paraîtront être les plus capables et qui seront préparés, puisque le baptême est la première disposition pour y participer. " 103. Tous les apôtres et disciples se conformèrent aux désirs de la très-pure Marie, et lui rendirent des actions de grâces pour le bienfait qu'ils recevaient tous par ses avis et par sa doctrine. Il fut décidé que le jour suivant, après le baptême des catéchumènes, on consacrerait le corps et le sang de Jésus-Christ, et que saint Pierre dirait la messe, puisqu'il était le souverain pontife de l'Église. Le saint apôtre y consentit, et avant de sortir de cette assemblée, il lui exposa un autre doute, afin qu'elle. le résolût, c'était sur la distribution des aumônes et sur le règlement qu'il fallait établir pour le partage des biens que les néophytes offraient à l'Église; et afin que tous ses frères s'en rendissent bien compte, il le leur proposa de cette manière : 496 104. " Mes très-chers frères, vous savez que notre Rédempteur et adorable Maître Jésus-Christ, par u son exemple, par sa doctrine et par ses préceptes, nous a enseigné et prescrit la véritable pauvreté (1) en laquelle nous devons vivre, délivrés des soins que les biens entraînent, sans en désirer et sans en amasser dans cette vie. Outre cette doctrine salutaire, nous avons devant les yeux l'exemple terrible et encore tout récent de la perte de Judas, qui était aussi apôtre comme nous, et qui par son ava rite et son attachement aux biens de la terre s'est malheureusement perdu , et est tombé de la dignité d'apôtre dans l'abîme de l'iniquité et de la damnation éternelle. Nous devons éviter cet affreux danger, et nous résoudre à ne posséder aucun bien et même à ne point manier d'argent, pour imiter en cette rigoureuse pauvreté notre Chef et notre Maître." Je sais que c'est ce que vous souhaitez tous, comprenant que le Seigneur ne nous a mis le danger et la punition sous les yeux que pour nous préserver de la contagion. Or, afin que nous soyons tous délivrés de l'embarras que nous causent les dons et les aumônes que les fidèles nous apportent, il faut établir désormais une forme de gouvernement. C'est pourquoi je vous engage maintenant à déterminer le mode et à fixer l'ordre qu'il faudra suivre pour recevoir et distribuer l'argent et les autres choses qu'on nous donnera. " (1) Matth., VII, 20; Luc., XIV, 33. 497 105. Le collège des apôtres et des disciples su, trouva en quelque sorte embarrassé pour prendre les mesures convenables dans ce règlement, et divers expédients furent proposés. Quelques-uns disaient qu'il serait utile de nommer un économe qui recevrait tout l'argent et toutes les offrandes, et se chargerait de les employer aux nécessités communes. Mais cet avis ne fut pas goûté d'une assemblée composée d'hommes, pauvres et disciples du Maître de la pauvreté, qui se souvenaient du funeste exemple de Judas, D'autres opinèrent qu'il faudrait remettre toutes les aumônes à une personne sire, en dehors du collège, laquelle en aurait l'entière disposition et en distribuerait les fruits ou les revenus suivant les besoins de tous les fidèles : et ils ne savaient que résoudre à cet égard, non plus que sur plusieurs autres moyens qui étaient proposés. La grande Maîtresse de l'humilité, l'auguste Marie, les écoutait tous sans dire un seul mot, tant à cause du respect qu'elle portait aux apôtres que parce qu'elle ne voulait point, en exprimant la première son sentiment, gêner la manifestation. de celui des autres; car, quoiqu'elle fit la Maîtresse de tous, elle se comportait toujours comme une disciple qui eût écouté pour apprendre. Mais saint Pierre et saint Jean , voyant la diversité des opinions, supplièrent la divine Mère de les tirer tous de cette perplexité en leur déclarant ce qui serait le plus agréable à son très-saint Fils 106. Elle obéit aussitôt ; et, s'adressant à toute cette assemblée, elle dit : " Seigneurs mes frères, 498 j'ai été à l'école de notre véritable Maître mon très-saint Fils, dès l'heure à laquelle il sortit de mon sein jusqu'à ce qu'il mourût et qu'il montât au ciel : et dans le cours de sa divine vie je n'ai jamais vu ni su qu'il touchât de l'argent, ni qu'il acceptât des présents d'un prix considérable. Que si, peu après sa naissance, il reçut les dons que les rois de l'Orient lui offrirent en l'adorant (1), ce fut à cause du mystère qu'ils figuraient, et pour ne pas frustrer les pieuses intentions de ces rois, qui étaient les prémices des Gentils. Mais il m'ordonna en même temps, étant. entre mes bras, de les distribuer aussitôt aux pauvres et dans le Temple, comme je le fis. Il me dit maintes fois, pendant sa vie, qu'une des hautes fins pour lesquelles il était venu au monde scias une forme humaine, ç'avait été de relever la pauvreté et de l'enseigner aux mortels, qui l'avaient en horreur. Et par sa conversation, par sa doctrine et par sa très-sainte vie, il me fit toujours connaître que la sainteté et la perfection qu'il venait enseigner seraient fondées sur une extrême pauvreté volontaire et sur le mépris des richesses ; que plus celte pauvreté serait grande dans l'Église, plus éminente serait la sainteté à laquelle elle parviendrait en toute sorte de temps; et l'avenir le prouvera assez. 107. " Or, étant dans l'obligation de suivre les traces de notre divin Maître , de mettre en pratique (1) Matth. 499 sa doctrine pour l'imiter, et d'établir son Église sur cette même doctrine aussi bien que sur son exemple, il faut que nous embrassions tous la plus haute pauvreté, et que nous l'honorions, que nous la vénérions comme la véritable mère des vertus et de la sainteté. C'est pourquoi il me semble que nous devons tous éloigner notre coeur de l'amour et du désir des richesses, nous abstenir de recevoir et de manier l'argent, et ne point accepter les dons qui sont d'un trop grand prix. Et afin qu'aucun de vous ne soit exposé à l'avarice, on peut élire six ou sept personnes d'une vie irréprochable et d'une vertu éprouvée, qui redoivent les offrandes, les aumônes, et les autres choses dont les fidèles voudront se dépouiller pour vivre avec plus de sûreté et suivre Jésus-Christ, mon Fils et leur Rédempteur, sans aucun embarras de richesses. Tout cela aura nom d'aumône, et non de rente, ni d'argent, ni de revenu, et l'on s'en servira pour nos nécessités communes, pour celles de nos frères les pauvres et pour les besoins des malades; dans notre assemblée et dans l'Église personne ne doit s'arroger sur la moindre chose plus de droit que ses frères. Que si les aumônes que l'on nous fait pour Dieu ne suffisent pas pour tous , ceux qui seront désignés à cet effet en demanderont en son nom de plus abondantes. Nous devons être convaincus que notre vie doit dépendre de la très-haute providence de mon adorable Fils, et non du soin d'amasser de l'argent sous prétexte de nous entretenir; 500 nous pourrons toujours subvenir à nos besoins; pourvu que nous ayons confiance en Dieu, nous bornant à demander discrètement l'aumône quand cette ressource sera indispensable. " 108. Les apôtres et les autres fidèles de cette sainte assemblée applaudirent tous aux paroles de leur Reine et la nôtre, reconnaissant qu'elle était l'unique et véritable disciple du Seigneur et Maître de l'Église. La très-prudente Mère, par une disposition divine, ne voulut remettre à aucun des apôtres ni cette décision ni le soin d'établir dans l'Église le solide fondement de la perfection évangélique et chrétienne, parce qu'une oeuvre de cette importance exigeait l'exemple de Jésus- Christ et de sa propre Mère. Ils furent les inventeurs et les artisans de cette très- noble pauvreté, et ceux qui l'honorèrent et la pratiquèrent les premiers, les apôtres et tous les enfants de la primitive Église, se conformèrent à ces deux exemplaires. Ce genre de pauvreté fut observé plusieurs années dans l'Église. Ensuite, par la fragilité humaine et par la malice du démon, la pratique de cette vertu cessa d'être générale, et la pauvreté volontaire finit par ne plus se trouver que dans l'état ecclésiastique. Et comme plus tard elle devint difficile ou presque impossible, Dieu suscita divers ordres religieux au sein desquels, malgré les différences de leurs institutions, dette pauvreté primitive fut rétablie en tout on en grande partie; elle se maintiendra de la sorte dans l'Église jusqu'à la fin; et plus on pratiquera honorera et aimera cette vertu, plus on jouira de ses 501 privilèges. Aucun des ordres que la sainte Église a approuvés n'est exclu de la perfection relative, et personne ne saurait être excusable s'il ne vise à la plus haute perfection dans l'état où il se trouve. Mais comme il y a plusieurs demeures dans la maison de Dieu (1), il y a aussi plusieurs ordres. Que chacun donc observe ce qui le regarde selon son état. Et soyons tous persuadés que le premier pas dans l'imitation de Jésus-Christ est la pauvreté volontaire, et que celui qui l'observera plus strictement s'approchera davantage de Jésus-Christ, et participera avec abondance aux autres vertus et aux autres perfections. 109. Cette séance du collège des apôtres fut terminée par la décision de la très-pure Marie, et l'on nomma six personnes prudentes pour recevoir et distribuer les aumônes. Notre grande Dame demanda la bénédiction aux apôtres, qui sortirent pour continuer leur ministère; les disciples allèrent de leur côté rejoindre les catéchumènes pour les préparer, à recevoir. le baptême le jour suivant. La bienheureuse Vierge, accompagnée de ses anges et des autres Marie, alla disposer et orner la salle où son très-saint Fils avait célébré les cènes; elle-même la balaya et l'arrangea, afin qu'on pût y consacrer le jour suivant le corps et le sang de notre adorable Sauveur, comme il avait été arrêté. Elle demanda au maître de la maison les mêmes ornements qu'on y avait mise jeudi de la Cène, ainsi (1) Joan., XIV, 2. 502 que je l'ai rapporté, et le pieux hôte les donna avec tout le respect et toute la vénération qu'il avait pour l'auguste Marie. Cette très-prudente Dame prépara aussi le pain sans levain, le vin qu'il fallait pour la consécration, le plat et le calice dans lesquels notre Sauveur avait consacré. Elle se procura, en outre, de l'eau pure et des vases pour le baptême, afin que la cérémonie se passât sans embarras et aussi décemment que possible. Après ces mesures, la charitable Mère se retira et passa cette nuit dans les actes les plus fervents d'amour, d'humilité et de reconnaissance, et dans les exercices de la plus haute oraison, offrant su Père éternel tout ce que son éminente sagesse lui inspirait pour se disposer dignement elle-même à la communion qu'elle attendait, et afin que les autres la reçussent aussi avec l'agrément et le bon plaisir de sa divine Majesté, et elle fit la même prière pour ceux qui devaient être baptisés. 110. Le matin du jour suivant, qui fut celui de l'octave du Saint-Esprit, tous les fidèles et tous les catéchumènes se rendirent auprès des apôtres et des disciples dans la maison ou était le Cénacle; et quand ils furent réunis, saint Pierre leur prêcha et leur exposa la nature et l'excellence du sacrement du baptême, la nécessité et les effets divins qu'il leur ferait éprouver; comment, par son moyen, ils seraient marqués du caractère intérieur qui distingue les membres du corps mystique de l'Église, et renaîtraient enfants de Dieu et héritiers de sa gloire par la grâce justifiante et la rémission des péchés. Il les 503 exhorta à garder la loi divine, à laquelle ils se soumettaient par leur propre volonté, et à' rendre de très-humbles actions de grâces pour ce bienfait et pour tous les autres qu'ils recevaient du Très-Haut. Il leur expliqua aussi la vérité de l'auguste mystère de l'Eucharistie, qui devait être célébré en consacrant le vrai corps et le vrai sang de Jésus-Christ, afin que tous l'adorassent, et que ceux qui devaient y participer après le baptême s'y préparassent. 111. Tous les nouveaux convertis furent enflammés de ferveur par ce sermon, parce que lu dispositions de leur coeur étaient sincères, les paroles de l'apôtre vives et pénétrantes, et la grâce intérieure fort abondante. Puises apôtres commencèrent à baptiser avec un ordre parfait, à la grande édification de tous. Les catéchumènes entraient par une porte du Cénacle, et après avoir été baptisés ils sortaient par une autre; les disciples et les autres fidèles les conduisaient sans aucune confusion. La bienheureuse Vierge était présente à tout ce qui se passait, quoi-, qu'elle se frit retirée dans un coin du Cénacle; elle priait et récitait des cantiques de louange pour tous, connaissant l'effet que produisait le baptême en chacun avec un degré plus ou moins grand de vertus infuses. Elle voyait qu'ils étaient tous régénérés et lavés dans le sang de l'Agneau, et que leurs dînes recevaient une pureté et une splendeur divines. En témoignage de cette grâce, tous les assistants voyaient descendre du ciel une éclatante et vive lumière sur chaque nouveau baptisé. Par cette merveille Dieu 504 voulut autoriser le principe de ce grand sacrement dans son l'Église et consoler ses premiers enfanta qui y entraient par cette porte, et nous aussi qui participons au même bonheur sans y donner l'attention et sans en montrer la reconnaissance que nous devrions. 112. On acheva de baptiser ceux qui se présentèrent, quoiqu'il y eût plus de cinq mille personnes qui reçurent le baptême ce jour-là. Et pendant que les nouveaux baptisés rendaient des actions de grâces pour un bienfait si admirable, les apôtres, avec les disciples et les autres fidèles, vaquèrent quelque temps à l'oraison. Ils se prosternèrent tous ensemble, glorifiant et adorant le Seigneur Dieu infini et immuable, et confessant qu'ils étaient indignes de le recevoir dans le très-auguste sacrément de l'autel. Cette adoration et cette humilité profonde leur servirent de préparation prochaine pour communier. Ils récitèrent ensuite les mêmes oraisons et les mêmes, psaumes que notre Seigneur Jésus-Christ avait dits avant de consacrer, imitant en cette action tout, ce qu'ils avaient vu faire à leur divin Maître. Saint. Pierre prit en ses mains le pain sans levain qui était préparé, et levant d'abord les yeux au ciel avec d'admirables sentiments de vénération, il prononça sur le pain les paroles de la consécration du très-saint Corps de Jésus-Christ, telles que le Seigneur lui-même les avait dites auparavant (1). Le. Cénacle fut à l'instant rempli d'une splendeur visible et d'une multitude, innombrable (1) I Cor., XI, 34. 505 d'anges; et toute l'assemblée. s'aperçut que cep flots de lumière tombaient surtout sur la Reine du ciel et de la terre. Ensuite saint Pierre consacra le calice, et fit avec le sacré corps et le précieux sang les mêmes cérémonies que notre Sauveur, les élevant, afin que tous l'adorassent. Après cela l'apôtre se communia lui-même et communia les onze apôtres, selon que la très-pure Marie le lui avait inspiré. Puis, entourée des esprits célestes qui étaient dans le Cénacle pénétrés d'un saint respect, elle reçut à son tour la communion de la main de saint Pierre, s'étant prosternée trois fois le visage contre terre avant d'arriver à l'autel. 113. Elle reprit aussitôt la place qu'elle occupais auparavant, et il n'est pas possible d'exprimer les effets que produisit en cette incomparable créature la communion de la très-sainte Eucharistie; car elle fut toute transformée et tout absorbée en ce divin embrasement de l'amour de son adorable Fils, auquel elle avait participé en recevant son corps sacré. Elle fut élevée et ravie par ces merveilleux effets; mais les saints anges, conformément à la volonté de leur Reine, l'enveloppèrent d'un voile mystérieux, afin que les assistants ne découvrissent que ce qui était convenable des effets divins qu'ils pouvaient remarquer en elle. Les disciples communièrent après notre Reine; puis les autres fidèles qui avaient embrassé la foi avant la descente du Saint-Esprit communièrent aussi. Mais des cinq mille personnes qui fuirent baptisées, il n'y en eût que mille qui reçurent la communion 506 ce jour-là, parce qu'elles n'étaient pas toutes assez préparées pour recevoir le Seigneur avec les connaissances et les dispositions qu'exige cet auguste sacrement et ce sublime mystère de l'autel. Le mode de communion que suivirent ce jour-là les apôtres, fut de communier, ainsi que la bienheureuse Marie et les cent vingt fidèles sur lesquels le Saint-Esprit était descendu , sous les deux espèces du pain et du vin; mais les nouveaux baptisés ne communièrent que sous l'espèce du pain. Cette différence se fit, non pour marquer que les nouveaux fidèles fussent moins dignes de communier sous une espèce que sous l'autre, mais parce que les apôtres connurent qu'on recevait sous chaque espèce Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme tout entier, et qu'il n'y avait aucun prétexte pour chacun des fidèles, ni d'ailleurs aucune nécessité de communier sous les deux espèces; ils prévirent, en outre, qu'il y, aurait grand danger d'irrévérence et d'autres inconvénients fort graves à communier tant de personnes sous les espèces du vin : danger et inconvénients qui n'étaient pas alors à craindre à l'égard du petit nombre de fidèles qui les reçurent. Aussi la coutume de communier sous la seule espèce du pain ceux qui ne consacraient point le corps et le sang de Jésus-Christ, remonte-t-elle, ainsi que je l'ai appris, à la primitive Église, quoiqu'il y en eût quelques-uns qui, sans être prêtres, communiassent dans les premiers temps sous les deux espèces. Mais cette sainte Église s'étant établie dans toutes lois parties du monde, a ordonné ensuite d'une manière formelle, avec cette 507 sagesse que lui donne l'Esprit-Saint qui la gouverne, que les laïques et ceux qui ne célèbrent point la messe communieraient sous la seule espèce du pain, et qu'il n'y aurait que ceux qui célèbrent cet auguste mystère qui communieraient sous les deux espèces par eux consacrées. C'est la pratique assurée de la sainte Église catholique romaine. 114. Après qu'ils eurent tous communié, saint Pierre acheva la célébration du mystère sacré par quelques oraisons et quelques psaumes qu'il dit en actions de grâces avec les autres apôtres; car on n'avait pas encore déterminé les oraisons et les cérémonies qui ont été ajoutées à la messe, à diverses époques, tant avant qu'après la consécration et la communion. Plus tard, l'Église romaine a heureusement réglé, avec une sainte sagesse; tout ce que les prêtres du Seigneur doivent réciter et observer en célébrant la sainte messe. Quand tout ce que je viens de dire fut terminé, ils restèrent encore quelque temps en oraison: Puis ils sortirent (car le jour était déjà fort avancé) pour s'employer à d'autres choses et pour prendre leur nourriture. Notre grande Reine, au nom de tous, rendit au Très-Haut des actions de grâces qu'il reçut avec complaisance, et il agréa les prières que sa bien- aimée lui fit pour ceux quai étaient présents en la sainte Église, comme pour ceux qui en étaient absents. 508 Instruction que la Reine des anges m'a donnée. 115. Ma fille, quoiqu'il vous soit impossible de pénétrer pendant votre vie passagère le secret de l'amour que j'eus.et que j'ai. toujours pour les mortels, je veux, indépendamment de ce que vous avez appris, vous faire remarquer de nouveau, pour votre plus grande instruction, que quand le Très-Haut me donna dans le ciel le titre de Mère et de Maîtresse de la sainte Église, il me fit participer, par une communication ineffable, à sa charité et à sa miséricorde infinie envers les enfants d'Adam. Et comme j'étais une simple créature, et que le bienfait était immense, j'aurais, à cause de la force avec laquelle il, opérait en moi, perdu plusieurs fois la vie naturelle, si la puissance divine ne me l'eût conservée par miracle. Je sentais aussi maintes fois des effets analogues dans les transports de reconnaissance auxquels je me livrais lorsque' quelques âmes entraient dans l'Église et ensuite dans la gloire, parce que j'étais la seule qui connusse entièrement ce bonheur et qui pusse l'apprécier, et c'était suivant ce degré de compréhension que j'en rendais, avec une profonde humilité, les plus ferventes actions de grâces du Très-Haut. Mais la charité me causait surtout de semblables défaillances quand je demandais la conversion des pécheurs, ou quand quelque fidèle venait à se perdre. Dans ces sortes d'occasions, je souffrais beaucoup plus entre la joie et la douleur que les martyrs dans tous leurs 509 tourments; car j'opérais pour chaque âme avec une force inconcevable et surnaturelle. Aussi les enfants d'Adam me sont-ils réellement redevables du sacrifice de ma vie, que j'ai si souvent offerte pour eux. Et si maintenant, dans mon état, je ne puis plus l'offrir, l'amour avec lequel je sollicite leur salut éternel n'est pas moindre, mais beaucoup plus souverain et plus parfait. 116. Et si l'amour de Dieu envers le prochain eut en moi une si grande force, jugez quelle devait être la véhémence de celui que je sentais pour le Seigneur, même lorsque je le recevais à l'autel. Je vous déclare ici un secret sur ce qui m'arriva la première fois que je le reçus de la main de saint Pierre : c'est que le Très-Haut laissa mon amour agir avec une telle violence, que mon coeur s'ouvrit réellement et donna lieu, comme je le souhaitais, à mon Fils consacré d'y entrer et d'y demeurer comme un Roi sur son propre trône. Vous comprendrez par là, ma très- chère fille, que si j'étais susceptible d'une douleur quelconque dans la gloire dont je jouis, ce qui m'en causerait une très-sensible ce serait de voir la témérité effroyable des hommes qui osent recevoir le corps sacré de mon très-saint Fils, les uns avec des souillures et des crimes abominables, les autres saris dévotion, sans respect, et presque tous sans considérer l'importance, sans peser la valeur de cette hostie, qui n'est rien moins que Dieu lui-même, germe, de la vie oui de la mort éternelle. 117. Craignez donc, ma fille, ce danger; pleurez-le 510 pour un si grand nombre d'enfants de -l'Église; demandez leur salut su Seigneur, et profitant de l'instruction que je vous donne, rendez-vous digne de pénétrer profondément ce mystère d'amour : et quand vous y participerez, bannissez de votre entendement toutes les images des choses terrestres; rappelez- vous seulement que vous allez recevoir Dieu lui-mème,,1'Étre infini et incompréhensible. Faite tous vos efforts pour témoigner votre amour, votre humilité et votre gratitude, et soyez persuadée que vous resterez toujours fort au- dessous de ce que vous devez faire, et de ce que mérite un mystère si vénérable. Pour y apporter de meilleures dispositions, réglez-vous sur ce que je faisais dans ces occasions, dans lesquelles je veux surtout que vous M'imitiez intérieurement, comme vous le faites dans les trois humiliations corporelles; et j'approuve aussi la quatrième, que vous avez ajoutée pour honorer dans l'adorable sacrement la partie de la chair et du sang que mon très-saint Fils a prise dans mes entrailles et que j'ai développée en le nourrissant de mon propre lait. Continuez toujours cette dévotion; puisqu'il est certain qu'il se trouve dans le corps consacré une partie de mon propre sang et de ma propre substance, comme vous l'avez connu. Que si vous éprouveriez la plus vive douleur en voyant fouler aux pieds avec un mépris sacrilège le corps sacré et le précieux sang de mon Fils, vous, devez la ressentir aussi, vous devez verser des larmes amères, sachant comment la plupart des enfants de l'Église le traitent aujourd'hui, 511 avec une irrévérence impie, sans aucune crainte et sans aucun égard. Gémissez donc sur un pareil malheur ; pleurez de ce qu'il y en ait si peu qui pleurent; pleurez de ce que les fins que mon très-saint Fils a voulu atteindre par son immense amour sont ainsi frustrées. Et afin que vous pleuriez davantage, je vous fais savoir, qu'autant dans la primitive Église il y avait de personnes qui se sauvaient, autant il y en a maintenant qui se damnent. Je ne vous déclare pas au-dessus ce qui arrive jour par jour; car si vous le saviez, et que vous eussiez une véritable charité, vous mourriez de douleur. Ce malheur déplorable arrive, parce que les enfants de la foi suivent les ténèbres, aiment la vanité, convoitent les richesses, et qu'ils courent presque tous après les plaisirs sensibles et trompeurs, qui aveuglent l'entendement et le couvrent d'une nuit épaisse, dans laquelle ils ne connaissent plus la lumière, et ne savent plus ni discerner le bien du mal, ni pénétrer la vérité et la doctrine évangélique. 512 CHAPITRE VIII. On rapporte le miracle par lequel les espèces sacramentales se conservaient en la très-pure Marie d'une communion à l'autre, et le mode de ses opérations après qu'elle fut revenue du ciel vers l'Église. 118. Jusqu'ici, je n'ai parlé de ce bienfait qu'en passant, me réservant d'en faire un plus ample récit en son lieu, c'est-à-dire maintenant; afin qu'une si grande merveille du Seigneur en faveur de sa Mère bien-aimée ne figure point dans cette histoire sans les détails précis que peut souhaiter notre piété. Je m'afflige de mon impuissance personnelle, non-seulement parce que tout ce que j'ignore surpasse infiniment ce que je conçois, mais aussi parce que j'exprime avec peine et avec crainte nième ce que je connais, à cause de l'insuffisance de mon langage, dont les termes ne répondent pas à ma compréhension. Néanmoins je n'ose passer sous silence les bienfaits que notre auguste Reine reçut de la puissante droite de son très-saint Fils après qu'elle en fut descendue pour diriger son Église; car s'ils étaient auparavant magnifiques et inénarrables , ils augmentèrent dès lors avec une divine variété; pour manifester 513 la puissance infinie de l'auteur de ces dons, et la prodigieuse capacité de cette créature unique et choisie entre toutes, à laquelle ils étaient destinés. 119. A ce rare et admirable privilège, que la bienheureuse Marie reçut, de conserver toujours dans son sein les espèces sacramentales, il ne faut point chercher une autre raison qu'aux autres faveurs insignes que Dieu fit uniquement à cette grande Dame; et c'est sa volonté sainte et sa sagesse infinie qui opère toujours tout ce qui est convenable avec poids et mesure (1). Sans plus de motifs, il suffirait à la prudence et à la piété chrétienne de savoir que Dieu a eu pour mère naturelle cette sainte créature, et qu'elle seule, entre toutes les autres, fut digne de l'être. Et puisque cette merveille a été unique et sans exemple, ce serait accuser une ignorance grossière que de chercher des preuves pour nous convaincre que le Seigneur a fait à l'égard de sa Altère ce qu'il n'a fait, et ne fera à l'égard de personne; car la seule Marie s'élève au-dessus de l'ordre commun de toutes les âmes. Mais quoique tout cela soit vrai, le Très-Haut n'en veut pas moins que, par la lumière de la foi et par d'autres illustrations, nous découvrions les raisons de convenance et d'équité pour lesquelles son bras puissant a opéré ces merveilles en faveur de sa très-digne Mère, afin que ces mêmes merveilles nous le fassent connaître, et glorifier en elle et par (1) Sap., XI, 21. 514 elle, et que nous sachions avec combien de sûreté nous plaçons toute notre espérance en une Reine si puissante, et nous remettons notre sort entre les mains de Celle en qui son adorable Fils a déposé tous les trésors de son amour. Or, selon ces vérités établies, je dirai ce que j'ai appris du mystère dont j'entreprends de parler. 120. La bienheureuse Marie vécut trente-trois ans en la compagnie de son divin Fils, et à partir du moment où il sortit de son sein virginal, elle ne le quitta jamais jusqu'à la croix. Elle le nourrit, le servit, l'accompagna, le suivit, l'imita, agissant en tout et toujours comme mère, comme fille, comme épouse, comme très-fidèle servante et amie; jouissent de sa vue, de sa conversation, de sa doctrine et des faveurs que par tous ses mérites et tous ses services elle reçut en la vie mortelle. Jésus-Christ monta au ciel, et la force de l'amour et de la raison l'obligea d'emmener avec lui sa très-chère Mère, pour ne pas y trouver sans elle, et pour quelle ne restât point sur la terre privée de sa présence et de. sa compagnie. Nais la très-ardente charité que le Fils et la Mère avaient pour les hommes rompit eu quelque sorte ce lien et cette union, contraignant notre très-douce Mère à revenir dans le monde pour affermir (Église, et son adorable Fils à l'envoyer ici-bas et à consentir à l'absence qui allait durant ce temps-là les séparer l'un de l'autre. Mais le Fils de Dieu pouvant par un moyen particulier adoucir cette privation à sa bien- aimée, il appartenait à son amour 515 de le faire; et il ne l'aurait pas manifesté d'une manière aussi éclatante, s'il avait refusé à sa bienheureuse Mère la faveur de l'accompagner sur la terre pendant qu'il était assis dans la gloire à 1a droite de son Père éternel. En outre, l'amour très- ardent de cette divine Mère, accoutumée à la présence de son adorable Fils, eût souffert violence à un degré insupportable, si elle eût dû rester tant d'années dans la sainte Église sans l'avoir présent en la manière qu'elle le pouvait. 121. Notre Sauveur Jésus-Christ pouvait satisfaire et satisfit à tout cela, en résidant toujours, sous les espèces sacramentels, dans le coeur de sa bienheureuse Mère, tant qu'elle demeura dans l'Église, après l'ascension de son adorable Fils dans le ciel. Et par cette présence sacramentelle il remplaça en quelque sorte avec avantage celle dont sa très-douce Mère jouissait quand il vivait sur la terre près d'elle : alors, en effet, il la quittait souvent pour s'employer aux oeuvres de la rédemption, et dans ces circonstances la bienheureuse Vierge était en proie aux inquiétudes on aux craintes que lui causaient les travaux de son très-saint Fils; elle se demandait sans cesse s'il reviendrait, ou s'il la priverait pour longtemps de sa douce compagnie; et quand elle en jouissait, elle ne pouvait pas ne pas prévoir la Passion et la mort de la croix qui l'attendaient. Cette douleur tempérait souvent la joie qu'elle éprouvait à le voir, à l'entendre, à le posséder. Mais lorsque, la tempête de la Passion passée, déjà il se trouvait à la droite du Père éternel, 516 et que ce divin Seigneur et sou bien-aimé Fils résidait sons les espèces sacramentales dans son sein virginal, alors la très-pure Mère jouissait de sa vue sans crainte et sans alarme. En son Fils elle voyait toute la très-sainte Trinité, de ce genre de vision que j'ai indiqué ailleurs. De sorte que ce que cette grande Reine a dit dans le Cantique des cantiques s'accomplissait à la lettre : Je l'ai saisi, et je ne le laisserai pas s'éloigner jusqu'à ce que je l'aie conduit dans la maison de ma Mère l'Église (1). Là, je lui donnerai du vin aromatique à boire, et du suc de mes grenades (2). 122. Par cette faveur que l'auguste Vierge reçut, le Seigneur satisfit aussi à la promesse qu'il avait faite à son Église, dans la personne des apôtres, de demeurer avec eux jusqu'à la consommation des siècles, ayant accompli d'avance la parole qu'il leur avait donnée un peu avant de monter su ciel (3); car alors il était déjà sous les espèces sacramentales dans le sein de sa Mère, comme je l'ai dit dans la seconde partie. Et l'accomplissement de la promesse n'eût pas été immédiat s'il ne se fut trouvé dans l'Église par ce nouveau miracle. En effet, dans ces premières années les apôtres n'eurent point de temple, ni aucun lieu propre pour garder continuellement la très-sainte Eucharistie : c'est pourquoi ils consommaient toutes les espèces le jour qu'ils célébraient la messe. La seule Marie était le temple et le sanctuaire dans lequel le (1) Cant, III, 4. - (2) Cant, VIII, 2. - (3) Matth., XXVIII, 20. 517 très-saint Sacrement fut conservé pendant ce temps-là, afin qu'il n'y eût aucun instant où le Verbe incarné ne résidât dans l'Église depuis son ascension jusqu'à la fin du monde. Et quoiqu'il ne fût point dans ce tabernacle vivant pour l'usage des fidèles, il l'habitait pourtant pour leur profit, et pour d'autres fins très-glorieuses; car la grande Reine du ciel priait pour eux dans ce Temple qui n'était autre qu'elle- même. Elle adorait Jésus-Christ consacré dans l'Église su nom de toute cette même Église : et par le moyen de cette auguste Dame, et de la demeure que le Seigneur faisait en elle, il était présent et uni de cette manière au corps mystique des fidèles. Bien plus, cette incomparable Dame, en gardant son adorable Fils sous les espèces sacramentales dans son sein, rendit ce siècle plus heureux que s'il eut habité comme à présent d'autres sanctuaires et d'autres tabernacles : puisque dans celui qu'il avait en la bienheureuse Vierge il fut toujours adoré avec le plus profond respect et le culte le plus religieux, et il n'y fut jamais offensé, comme il l'est maintenant dans nos temples. Il trouva en Marie avec plénitude les délices qu'il souhaitait prendre éternellement parmi les enfants des hommes (1); et l'assistance perpétuelle de Jésus-Christ dans son Église ne tendant qu'à cette fin, le Très-Haut ne pouvait s'y complaire plus absolument que lorsqu'il était.sous les espèces sacramentales dans le coeur de sa très-pure Mère. Elle (1) Prov., VIII, 81. 518 était la sphère la plus propre du divin amour, et comme l'élément et le centre où il reposait; et toutes les autres créatures lui étaient comme étrangères en comparaison de l'auguste Marie; parce que ce feu de la divinité qui brille toujours par une charité infinie, ne trouvait en ces créatures ni son foyer ni son centre. 123. Et d'après l'intelligence que j'ai reçue de ce mystère, j'ose dire que notre Sauveur Jésus-Christ avait tant d'estime et d'amour pour sa très-sainte Mère, et qu'elle l'attirait si irrésistiblement vers elle, que, s'il ne fût toujours resté avec elle sous les espèces consacrées, il serait descendu de la droite de son père sur la terre pour ne point la délaisser pendant qu'elle vécut dans l'Église. Eût-il fallu que les courtisans célestes fussent privés de la présence de la très-sainte humanité pour ce temps-là, il en eût fait moins de cas que de tes priver de la compagnie de sa Mère. Ce n'est pas là une exagération, puisque nous devons tous avouer que le Seigneur trouvait en elle une correspondance plus parfaite et une espèce d'amour plus semblable à celui de sa volonté, qu'en tous les bienheureux ensemble, et que, par un amour réciproque, il aimait la bienheureuse Marie, plus que tous ces courtisans célestes. Si, lorsque le pasteur de la parabole de l'Evangile (1) laissa les quatre- vingt-dix neuf brebis pour en chercher une seule qui lui manquait, nous ne lui reprochons point d'avoir laissé le (1) Matth., XVIII, 12. 519 plus pour le moins, les saints dans le ciel n'auraient pas été surpris, de leur côté, que ce divin pasteur Jésus-Christ les eût tous quittés pour se trouver en la compagnie de cette très-douce et très-innocente brebis, qui le revêtit de sa propre nature, et qui le nourrit en cette même nature. Nul doute que les yeux de cette bien-aimée Épouse et très-chère Mère l'eussent attiré du ciel sur la terre (1), où il était venu auparavant pour le salut des enfants d'Adam, qui l'avaient bien moins obligé, et pour mieux dire très-désobligé par leurs péchés, et ce n'était que pour souffrir pour eux. Que s'il fût venu rejoindre sa tendre Mère, ce n'eût pas été pour souffrir et pour mourir, mais pour se procurer la joie d'être auprès d'elle; mais pour cela il ne fut pas nécessaire de quitter le ciel, puisqu'il parvenait, en descendant sur la terre d'une autre manière, à savoir, par la vertu des paroles sacramentelles, à satisfaire son amour et celui de sa bienheureuse Mère, dans le coeur de laquelle ce véritable Salomon reposait comme dans sa couette royale (2) sans quitter la droite de son Père éternel. 124. Voici comment le Très-Haut opérait ce miracle. Lorsque la très-pure Marie recevait les espèces sacramentales, elles se dégageaient du foyer commun de l'estomac, où se font la coction et la digestion de l'aliment naturel, afin de ne pas se confondre et se mêler avec le peu de nourriture que notre grande (1) Cant., VI, 4. - (1) Cant., III, 7. 520 Reine prenait quelquefois. Le très-saint Sacrement, étant dégagé de ce foyer de l'estomac se plaçait dans le coeur de Marie, comme en récompense du sang qu'il avait fourni lors de l'incarnation du Verbe, pour former cette très-sainte humanité à laquelle il s'unit hypostatiquement, ainsi que je l'ai exposé dans la seconde partie. La communion de la divine Eucharistie est considérée comme une extension de l'incarnation; il était donc juste que la bienheureuse Mère participât à cette extension d'une manière nouvelle et spéciale, elle qui avait aussi concouru à cette même incarnation du Verbe éternel d'une manière miraculeuse et toute particulière. 125. La chaleur du coeur est extrêmement grande chez tous les êtres vivants parfaitement constitués, et surtout chez l'homme, à cause de son excellence, de sa noblesse, de l'importance de ses opérations et de sa longévité; et la bénigne nature prend soin d'y faire circuler un air bienfaisant qui rafraîchit et tempère cette ardeur naturelle d'où provient la chaleur animale. Cela étant, et avec la forte complexion de notre auguste Reine, la chaleur de son tueur était extrêmement intense, et l'activité incessante de son amour enflammé l'augmentait encore : néanmoins les espèces sacramentales, qui étaient dans son coeur, ne se consumaient et ne s'altéraient même point. Sans doute il fallait multiplier les miracles pour les conserver : mais pourquoi les épargner à l'égard de cette créature unique, qui était elle-même un prodige de miracles, et l'abrégé de toutes les merveilles? Cette 521 faveur commença dès la première communion, qu'elle reçut pendant la Cène (comme il a été dit plus haut), et pour la lui continuer, ces premières espèces se conservèrent jusqu'à la seconde communion, qu'elle reçut de la main de saint pierre, le jour de l'Octave de la Pentecôte. Il arriva alors qu'au moment où elle reçut de nouveau et avala les espèces sacrées, les premières qu'elle avait dans le coeur se consumèrent, et les nouvelles espèces qu'elle venait de recevoir prirent leur place. C'est dans cet ordre miraculeux que, dès ce jour-là jusqu'à la dernière heure de sa très-sainte vie, les espèces sacramentales se remplacèrent les unes les autres dans son coeur, y conservant toujours son adorable Fils dans le très-auguste sacrement. 126. La bienheureuse Marie fut si divinisée, ses opérations et ses puissances furent si élevées au-dessus de tout ce que peut concevoir la pensée humaine par ce bienfait et par celui de la vision continuelle et abstractive de la Divinité dont j'ai parlé ailleurs, qu'il est impossible de le comprendre en cette vie mortelle et de s'en former une idée exacte, analogue aux idées que nous nous faisons des autres choses, et je ne trouve pas même de termes pour exprimer le peu qui m'en a été annoncé. Après qu'elle fut descendue du ciel elle se trouva toute changée, toute transformée quant à l'usage qu'elle avait à faire des sens corporels; car sous un rapport elle était séparée de son très-saint Fils, auquel elle en consacrait le digne emploi lorsqu'ils lui servaient pour converser; 522 et sous un autre rapport elle sentait, elle comprenait comment elle le possédait dans son coeur, où il attirait et recueillait toute son attention. Dès le jour où elle descendit du ciel, elle fit un nouveau pacte, avec ses yeux, et jouit d'un nouvel empire pour ne recevoir les images ordinaires des choses terrestres et visibles qui entrent par les sens, qu'autant qu'il le fallait pour diriger les enfants de l'Église, et pour savoir à cet égard ce qu'elle devait faire et décider. Elle ne se servait point de ces images, et dans la conversation elle n'était pas obligée d'en user ni de recourir à la faculté intérieure, où elles sont déposées chez les autres personnes pour alimenter la mémoire et l'entendement; car elle faisait tout cela au moyeu d'autres images infuses et de la science qui lui était communiquée par la vision abstractive de la Divinité, à la manière que les bienheureux découvrent eu Dieu et voient ce que ce libre miroir veut leur montrer en lui-même ou dans les créatures, par une autre vision ou science. Notre auguste Reine connaissait ainsi tout ce que, selon la volonté de Dieu, elle devait faire, ne se servant point de la vue pour savoir et apprendre quoi que ce fat; néanmoins elle regardait par un simple regard le chemin par où elle passait et les personnes auxquelles elle s'adressait. 127. Elle usait titi peu davantage du sens de l'ouïe, parce que cela était nécessaire pour entendre tout ce que les fidèles et les apôtres lui racontaient de l'état des âmes, de l'Église et de leurs besoins, et pour les encourager par ses réponses, par ses avis et par ses 523 conseils. Mais elle avait tin tel empire sur ce sens , qu'elle ne lui laissait percevoir aucun bruit, aucune parole qui pat le moins du monde offenser la sainteté et la perfection très-sublime de sa dignité, ou qui ne fût pas nécessaire pour exercer la charité envers le prochain. Elle n'usait point de l'odorat pour remarquer les odeurs terrestres ou tout autre objet propre à cet organe, mais elle sentait des parfums célestes par le ministère des anges, qui l'en embaumaient en y trouvant de nouveaux motifs de louer le Créateur. fille éprouva aussi un grand changement dans le sens (lu goût , car elle s'aperçut due, depuis qu'elle était descendue du ciel , elle pouvait vivre sans aucun aliment, quoiqu'il ne lui eût pas été prescrit de n'en point prendre. Elle était libre à cet égard; ainsi elle mangeait quelquefois, mais fort peu, et c'était lorsque saint pierre et saint Jean l'y engageaient, ou pour ne pas attirer l'attention des personnes qui auraient pu s'étonner qu'elle ne prit rien; de sorte qu'elle ne mangeait que par obéissance ou par humilité , et alors elle ne percevait ni ne distinguait non plus la saveur propre à l'aliment que si c'eût été un corps. apparent ou glorieux qui eût mangé. Il en était de même pour le toucher, car elle remarquait très-peu ce qu'elle touchait, et n'en avait aucune satisfaction sensible; mais elle sentait dans sert coeur avec une douceur et une joie ineffable le contact des espèces sacramentales, et c'était ce sentiment qui absorbait ordinairement. son attention. 128. Toutes ces faveurs relatives à l'usage de ses 544 sens lui furent accordées à sa demande; car elle les consacra tous de nouveau, aussi bien que toutes ses puissances, à la plus grande gloire du Très-Haut, et ne s'en servit que pour agir avec toute la plénitude possible de vertu, de sainteté et de perfection éminentes. Et quoiqu'elle eût accompli pendant toute sa vie, dès son immaculée conception , le devoir de fidèle servante (1) et de prudente dispensatrice de sa plénitude de grâce et des dons du Seigneur (comme on l'a vu dans tout le cours de cette histoire), néanmoins, après qu'elle eut monté au ciel avec son adorable Fils, elle reçut un nouveau surcroît de tons ces dons, et la Toute- Puissance divine lui accorda une nouvelle manière d'opérer. Elle était encore dans la condition des voyageurs, puisqu'elle ne jouissait pas de la vision béatifique comme les compréhenseurs; mais ses actes, en ce qui regarde les sens, avaient plus de rapport avec ceux des saints glorifiés en corps et en âme, qu'avec ceux des autres voyageurs. On ne saurait expliquer par aucun autre exemple l'état si heureux, si extraordinaire et si divin dans lequel se trouva notre auguste Princesse quand elle revint du ciel sur la terre pour diriger la sainte Église. 129. La sagesse et la science intérieure répondaient, chez la bienheureuse Marie, à cette manière d'agir avec les facultés sensitives, car elle connaissait la volonté et les décrets du Très-Haut en tout ce qu'elle devait et qu'elle voulait opérer; elle savait en (1) Matth., XXV, 10. 525 quel temps, de quelle manière, dans, quel ordre elle devait faire chaque chose; en quels termes et dans quelles circonstances elle devait parler, au point qu'en cela les anges qui nous assistent sans perdre de vue le Seigneur, ne la surpassaient pas, au contraire. Leur grande Reine pratiquait les vertus avec une si haute sagesse qu'ils en étaient ravis d'admiration, parce qu'ils comprenaient qu'aucune autre simple créature ne pouvait la surpasser, ni même arriver à cette sainteté consommée, à cette perfection suréminente avec laquelle cette divine Mère opérait. Une des choses qui la pénétrèrent d'une joie indicible, c'était l'adoration et le respect que les esprits célestes rendaient à son Fils sous les espèces sacramentales dans son sein. Les saints en firent de même dans le ciel lorsqu'elle y monta en la compagnie de son très-saint Fils, le portant aussi renfermé dans son coeur sous les espèces sacramentales, parmi les bienheureux, que ce doux spectacle remplissait d'une nouvelle joie. Celle que causait à notre grande Dame la profonde vénération que les anges témoignaient au très-saint Sacrement dans son sein, provenait de la divine science qui' lui faisait prévoir la négligence grossière qu'apporteraient les mortels à rendre au corps sacré du Seigneur le culte qu'ils lui doivent. Pour réparer cette faute qu'elle savait que nous commettrions tous, elle offrait à sa divine Majesté les hommages dont l'entouraient les princes célestes, qui connaissaient plus dignement ce mystère, et qui le révéraient avec les sentiments du respect le plus sincère. 526 130. Elle voyait au dedans d'elle-même le corps de son très-saint Fils,. tantôt glorieux, tantôt revêtu de la beauté naturelle de son humanité sainte, d'autres fois, et presque continuellement, elle connaissait tous les miracles que renferme le très- auguste sacrement de l'Eucharistie. Elle jouissait de toutes ces merveilles et de beaucoup d'autres que nous ne saurions comprendre dans cette vie corruptible; parfois elle les contemplait en elles-mêmes, et parfois en la vision abstractive de la Divinité; et de même qu'elle voyait la Divinité, de même elle discernait toutes les choses qu'elle devait faire, soit dans sa conduite personnelle, soit dans ses rapports avec l'Église. Et ce qu'elle prisait le plus, c'était de savoir combien son très-saint Fils se complaisait i1 demeurer sous les espèces sacramentales dans son coeur très- pur; et il y trouvait sans doute plus de délices (selon ce qui m'a été découvert) qu'à être en la compagnie des bienheureux. O chef-d'oeuvre singulier, unique et prodigieux de la puissance infinie! Vierge sainte, vous seule avez été un ciel plus agréable a votre Créateur que le ciel inanimé qu'il a fait pour sa demeure (1). Celui que les espaces incommensurables ne peuvent contenir (2), s'est renfermé en vous seule, et a trouvé un trône convenable non-seulement dans votre sein virginal, mais aussi dans le domaine immense de votre capacité et do votre amour. Vous seule avez toujours été un ciel, et Dieu (1) Ps., CXIII, 25. - (2) III Reg., VIII, 27. 527 a toujours été avec vous depuis qu'il vous a donné l'être, et reposera en vous pendant tous les siècles de son interminable éternité avec une satisfaction absolue. Que toutes les nations vous connaissent, que toutes les générations vous bénissent (1); que toutes les créatures vous glorifient et vous louent, et reconnaissent leur Dieu et leur Rédempteur véritable, qui par vous seule nous a visités et relevés de notre malheureuse chute (2). 131. Qui d'entre les mortels et même d'entre les anges pourra dépeindre l'incendie d'amour qui consumait le coeur de cette grande Reine pleine de sagesse? Qui pourra comprendre avec quelle impétuosité le fleuve de la Divinité inonda et réjouit cette Cité de Dieu (3)? Quelles affections, quels mouvements, quels actes lui faisaient produire toutes ses vertus et tous les dons qu'elle avait reçus sans aucune mesure, agissant toujours avec toute la force incomparable de ces grâces? Quelles prières elle faisait pour la sainte Église? Quelle fut sa charité envers nous? Quelles biens elle nous procura et quelles faveurs elle nous ménagea? Il n'y a que l'Auteur de cette merveille ineffable qui puisse le connaître. Pour nous, élevons notre espérance, animons notre foi, augmentons notre amour envers cette tendre Mère, demandons-lui avec instance son intercession et sa protection, car le Sauveur ne lui refusera rien pour nous, puisque étant son Fils et notre frère, il lui a donné d'aussi (1) Luc., I, 48. - (2) Ibid., 68. - (3) Ps. XLV, 5. 528 grands témoignages d'amour que ceux que j'ai rapportés et que je rapporterai dans la suite. Instruction que j'ai reçue de la grande Reine des anges l'auguste Marie. 132. Ma fille, par tout ce que je vous ai découvert jusqu'à cette heure de ma vie et de mes oeuvres, vous êtes bien avertie que vous ne trouverez en aucune simple créature autre que moi, l'exemplaire ou l'original sur lequel vous puissiez copier la plus grande sainteté et la plus haute perfection à laquelle vous aspirez. Mais maintenant vous avez montré le degré le plus sublime de vertu auquel je sois parvenue dans la vie mortelle. C'est là un bienfait qui vous oblige plus que jamais à renouveler vos désirs et à appliquer toute l'attention de vos facultés à la parfaite imitation de ce que je vous enseigne. Il est temps, ma très-chère fille, et il est juste que vous vous abandonniez entièrement à ma volonté en ce que je demande de vous. Et afin de vous animer davantage à acquérir ce bien , je veux vous apprendre que , quand mon très-saint Fils visite sous les espèces eucharistiques ceux qui le reçoivent avec vénération et avec ferveur, après s'être préparés avec tout le soin et tout le zèle possibles à le recevoir avec un coeur pur et sans tiédeur, sa divine Majesté reste dans leur âme malgré la 529 consomption de l'hostie , d'une autre manière spéciale et par une grêce particulière, par laquelle il les assiste, les enrichit et les dirige, en récompense du bon accueil qu'elles lui ont fait. Il y a fort peu d'âmes qui obtiennent cette faveur, parce que la plupart l'ignorent , et reçoivent le très-saint Sacrement sans cette disposition, légèrement, comme par coutume, et sans se préparer par la vénération et la sainte crainte que devrait leur inspirer un si auguste mystère. Quant à vous, qui êtes instruite de ce secret, je veux que tous les jours (puisque vous communiez tous les jours par ordre de vos supérieurs) vous vous prépariez dignement, afin que vous ne soyez point privée de cette grande faveur. 133. Pour cela vous devez méditer sur ce que vous avez appris que je faisais; vous règlerez là-dessus vos désirs, votre ferveur, votre vénération, votre amour, et tout ce que vous devez faire pour préparer votre coeur, comme le temple et la demeure de votre divin Époux et de votre souverain Roi. Tâchez donc de vous bien recueillir avant et après l'avoir reçu ; faites réflexion sur la fidélité que vous lui devez garder en qualité d'épouse, et surtout n'oubliez pas de mettre un bandeau sur vos yeux et une garde à tous vos sens (1), afin qu'il n'entre dans le temple du Seigneur aucune image profane. Conservez-vous avec soin dans une grande pureté de coeur, car la plénitude de la lumière et de la sagesse divine n'entre (1) Ps. CXL, 3. 530 point dans une âme impure (1). Vous connaîtrez tout cela par le secours de la lumière que Dieu vous a donnée, si vous n'êtes attentive qui à elle seule avec toute la droiture de votre intention. Et comme vous ne pouvez pas renoncer entièrement au commerce des créatures, il faut que vous ayez un grand empire sur vos sens, et que vous ne leur permettiez de vous transmettre aucune image des choses sensibles, si elle ne peut vous aider à pratiquer ce qui est le plus saint et le plus pur des vertus. Séparez ce qui est précieux d'avec ce qui est vil (2), et la vérité d'avec le mensonge. Et afin que vous m'imitiez en cela d'une manière parfaite, je veux que dès maintenant vous compreniez avec quelle circonspection vous devez faire toutes choses, grandes ou petites, afin que vous n'en perdiez point le fruit en renversant l'ordre de la raison et de la lumière divine. 134. Considérez donc sérieusement l'illusion commune des mortels et les pertes irréparables qu'ils font chaque jour, parce que dans les résolutions de leur volonté ils ne sont mus ordinairement que par ce qui frappe les sens, et qu'une simple impression suffit pour leur faire prendre aussitôt un parti, sans aucune réflexion et sans demander le moindre conseil. Et comme les choses sensibles mettent sur-le- champ en branle les passions et les inclinations animales, il s'ensuit qu'on ne subordonne pas ses actions au jugement de la raison, mais qu'on cède à l'impétuosité (1) Sap., I, 4. - (2) Jerem., XV, 19. 531 des passions, excitées par les sens et par leurs objets. C'est pourquoi celui qui ne consulte l'injure que par la douleur qu'elle cause, est porté aussitôt à la vengeance. C'est pourquoi encore celui qui ne suit que la convoitise de la chose d'autrui qu'il a regardée, se résout à l'injustice. C'est ainsi enfin qu'agissent tant de malheureux qui se laissent aller à la concupiscence de la chair, à la concupiscence des yeux et à l'orgueil de la vie (1), qui sont ce que le monde et le démon leur offrent, parce qu'ils n'ont rien d'autre ,à leur donner. Dans leur illusion funeste, ils prennent les ténèbres pour la lumière (2), l'amer pour le doux, le venin mortel pour le remède de leurs passions, et l'ignorance aveugle pour la sagesse; puisque leur sagesse est diabolique et terrestre. Pour vous, ma fille, gardez-vous de cette erreur pernicieuse, et ne vous déterminez jamais en rien seulement d'après ce qui est sensible, ni d'après les avantages que les sens vous représentent. Pesez vos actions et examinez- les d'abord à l'aide de la lumière intérieure que Dieu vous a communiquée, afin de ne rien faire à l'aveugle, et cette lumière ne vous manquera jamais. Prenez ensuite conseil de votre supérieur, si vous le pouvez; avant de choisir un parti. Que si votre supérieur est absent, consultez une autre personne, fuit-ce un inférieur, car cela est encore plus sûr que de se conduire par sa volonté propre, laquelle peut être troublée et obscurcie par les passions. Vous devez garder cet (1) Joan., II, 16. - (3) Joan., III, 19. 532 ordre en tout ce que vous ferez, surtout dans les choses extérieures, procédant toujours avec prudence , avec discrétion, suivant les circonstances qui se présenteront, et suivant les besoins du prochain. Mais dans toutes les circonstances possibles il vous faudra prendre garde de perdre la boussole de la lumière intérieure sur cette mer orageuse du commerce des créatures, où le navigateur est toujours exposé à périr. CHAPITRE IX. L'auguste Marie connut que Lucifer se préparait à persécuter l'Église. - Ce qu'elle fit contre cet ennemi en protégeant et défendant les fidèles. 135. Élevée au plus haut degré de grâce et de sainteté auquel puisse parvenir une simple créature, la grande Reine de l'univers regardait avec sa science divine le petit troupeau de l'Église, qui se multipliait tous les jours. Semblable à une tendre mère et à une vigilante bergère, elle était, pour ainsi dire, aux aguets sur la haute montagne où. la droite de son Fils tout-puissant l'avait placée, et elle observait si les brebis de son troupeau n'étaient point exposées à 533 tomber dans les piéges des loups infernaux, dont elle connaissait la rage contre les nouveaux enfants de l'Évangile. Tel était le soin que la Mère de la lumière prenait de cette sainte famille, qu'elle avait adoptée pour sienne et qu'elle regardait comme l'héritage de son très-saint Fils, comme des enfants choisis entre tons les autres mortels et. comme les élus du TrèsHaut. La nouvelle Église fut quelque temps dans une situation prospère, gouvernée qu'elle était par la divine Maîtresse, qui lui distribuait ses conseils et ses avis, lui enseignait sa doctrine, et ne cessait d'offrir pour elle ses prières et ses supplications, sans perdre une seule occasion ni un seul moment pour remplir ce ministère, et pour consoler les apôtres et les autres fidèles. 136. Quelques jours après la venue du Saint-Esprit, redoublant ses prières, elle dit au Seigneur : " Mon Fils et mon Seigneur, vrai Dieu d'amour, je sais que le petit troupeau de votre sainte Église, dont vous m'avez constituée la Mère et la Protectrice, ne vaut rien moins que le prix infini de votre vie et de votre sang, moyennant lequel vous l'avez racheté fie la puissance des ténèbres (1); il est juste, Seigneur, que je vous offre aussi ma vie et tout mon être, pour la conservation et l'accroisse ment de ce dont votre sainte volonté fait une si grande estime. Agréez, mon Dieu, que je meure, s'il le faut, pour que votre saint nom soit exalté (1) Col., I, 13. 534 et que votre gloire se répande dans tout l'univers. a Recevez, mon Fils, le sacrifice de mes lèvres et de ma volonté que je vous offre avec vos propres mérites. Favorisez vos fidèles de votre miséricorde, soutenez ceux qui n'espèrent qu'en vous et qui a s'abandonnent à votre sainte foi. Éclairez Pierre a votre vicaire, afin qu'il gouverne heureusement les brebis que vous lui avez confiées. Gardez, tous les a apôtres vos ministres, prévenez-les tous des bénédictions de votre clémence (1), afin que nous accomplissions tous votre sainte et parfaite volonté. " 137. Le Très-Haut, répondant aux prières de notre charitable Reine, lui dit: " Mon Épouse et ma bien-aimée, mon élue entre les créatures pour la plénitude de mes complaisances, je suis attentif à vos désirs et à vos prières. Mais vous savez que mon Église doit suivre mes traces et ma doctrine en marchant dans le chemin des souffrances et de ma croix, que mes apôtres, mes disciples, tous mes intimes amis et tous mes imitateurs doivent embrasser (2), puisqu'ils ne peuvent obtenir ce titre a qu'à la condition de souffrir. La barque de mon Église a besoin du lest des persécutions pour qu'elle puisse voguer avec sûreté à travers les prospérités a et les dangers du monde. C'est ce que ma très-haute providence demande à l'égard des fidèles et des prédestinés. Considérez donc l'ordre suivant lequel cela doit être réglé. " (1) Ps. XX, 4. - (2) Matth., I, 88. 535 138. Aussitôt notre grande Reine eut une vision dans laquelle elle vit Lucifer et une multitude innombrable de démons qui le suivaient et sortaient des cavernes infernales. Ils y étaient restés abattus depuis le moment où ils furent vaincus et précipités de la montagne du Calvaire, comme on l'a dit plus haut. Elle vit que ce dragon à sept tètes s'élevait comme de la mer, suivi des autres esprits rebelles; et quoiqu'il füt fort affaibli, comme un convalescent qui sortant d'une longue maladie ne saurait presque se tenir debout, néanmoins en son orgueil et en sa rage il s'avançait avec arrogance et avec une haine implacable; mais on s'apercevait dans cette occasion que sa fierté était plus grande que sa force, comme l'avait dit auparavant Isaïe (1); car d'un côté il laissait paraître l'accablement que lui avait causé la victoire de notre Sauveur et le triomphe qu'il avait da haut de la croix remporté sur lui; d'un autre côté il exhalait la fureur dont il était enflammé contre la sainte Église et contre ses enfants. Arrivé sur la terre, il la parcourut et la reconnut tout entière; puis i1 s'en vint à Jérusalem pour y déployer tout son acharnement contre les brebis de Jésus-Christ, et commença par observer de loin ce troupeau, si humble, mais si formidable pour son insolente malice. 139. Quand le dragon eut reconnu la multitude de personnes qui avaient embrassé la sainte foi, et venaient d'heure en heure recevoir le saint baptême, (1) Isa., XVI, 6. 536 quand il eut vu que les apôtres prêchaient et faisaient tant, de merveilles en faveur des âmes, que les convertis, renonçaient aux richesses et les méprisaient, il découvrit à l'instant les principes de sainteté invincibles sur lesquels était établie la nouvelle Église, et l'étrange changement qu'ils annonçaient redoubla la fureur dont il était transporté. Se retranchant dans sa' propre malice, il poussait des hurlements épouvantables, et s'irritait contre lui-même du peu de pouvoir qu'il avait contre Dieu, pour boire les eaux pures du Jourdain qu'il aurait.voulu dessécher (1). Il tâchait de s'approcher de l'assemblée des fidèles; mais il ne le pouvait, parce qu'ils étaient tous unis en une charité parfaite. Cette vertu et celles de foi, d'espérance et d'humilité, formaient comme une forteresse inaccessible an dragon et à ses ministres d'iniquité. Il rôdait autour du troupeau de Jésus-Christ pour épier si quelque brebis ne cesserait point d'être sur ses gardes, afin de s'élancer sur elle et de la dévorer, il cherchait tous les moyens de tenter les fidèles et d'en attirer quelqu'un, afin de s'en servir pour faire brèche à cette forteresse des vertus qu'il reconnaissait chez tous; mais il trouvait que tous les points étaient bien gardés, et bien défendus par la vigilance des apôtres, par la force de la grâce et par la protection de l'auguste Marie. 140. Quand cette charitable Mère eut vu Lucifer avec une si nombreuse armée de démons, et découvert (1) Job., XL, 18. 537 la rage avec laquelle il s'élevait contre l'Église évangélique, elle en eut le coeur pénétré de compassion et de douleur, connaissant d'un côté la faiblesse et l'ignorance des hommes, et de l'autre la malice, les ruses et la fureur de l'ancien serpent. Et voulant réprimer et refréner son orgueil, la bienheureuse Marie l'interpella en ces termes : " Qui est semblable à Dieu, qui habite les lieux les plus élevés (1)? O insensé! téméraire ennemi du Tout-Puissant ! que le même Seigneur qui, étant sur la croix, t'a vaincu et a terrassé ton orgueil en rachetant le genre humain de ta cruelle tyrannie, te commande maintenant; que sa puissance t'accable, et que sa u sagesse te confonde et te précipite dans l'abîme. Et c'est ce que je fais en son nom, afin que tu ne puisses empêcher l'exaltation et m gloire que tous les hommes lui doivent comme Dieu et comme Rédempteur. " Ensuite notre compatissante Mère continua ses prières, et, s'adressant au Seigneur, elle lui dit : " Mon Dieu et mon adorable l'ère, si la puissance de votre bras n'arrête et ne brise la fureur que je découvre dans le dragon infernal et dans ses démons, il perdra et détruira sans doute toute la terre en ses habitants. Vous êtes le Dieu de miséricorde et de clémence envers vos créatures ne permettez pas, Seigneur, que ce serpent répande son venin sur les âmes rachetées et levées par le sang de l'Agneau votre adorable Fils (2). Est-il (1) Ps. CXII, 5. - (2) Apoc., VII, 14. 538 possible que ces âmes se livrent elles-mêmes à un monstre si cruel? Comment mon coeur pourra-t-il a retrouver la paix, si je vois tomber dans un mal•heur si affreux quelques-unes de celles qui ont recueilli le fruit de ce précieux sang ? Oh ! si ce dragon tournait toute sa rage contre moi seule, et que les âmes que vous avez rachetées fussent sauvées ! Je soutiendrai, moi, Seigneur éternel, vos a guerres contre vos ennemis. Revêtez-moi de votre force, afin que je les humilie et que j'abatte leur a insolence et leur orgueil. " l41. En vertu de cette prière et de cette résistance de notre puissante Reine, Lucifer. se laissa grandement décourager, et n'osa point alors s'approcher d'aucun membre de la sainte assemblée des fidèles. Il ne diminua toutefois rien de sa fureur; mais il résolut, au contraire, de se servir des scribes et des pharisiens et de tous les juifs qu'il reconnaissait persister dans leur obstination et dans leur perfidie. Il les aborda, et au moyen de diverses tentations il les remplit. d'envie et de haine contre les apôtres et contre les autres fidèles de l'Église; de sorte qu'il entreprit par l'intermédiaire des incrédules la persécution qu'il n'eut pas la hardiesse de commencer par lui-même. Il leur représenta qu'ils recevaient un plus grand dommage de la prédication des apôtres et des disciples que de celle de Jésus de Nazareth, leur Maître, dont ils voulaient illustrer et relever le nom sous les yeux de ceux mêmes qui l'avaient crucifié comme malfaiteur; qu'il en résultait pour eux un 539 grand déshonneur, que le nombre des disciples devenait considérable, et qu'ils attiraient tout le peuple après eux par les miracles qu'ils faisaient chaque jour; que par là les maîtres et les docteurs de la loi seraient méprisés et perdraient leurs bénéfices accoutumés, parce que les néophytes donnaient tout aux nouveaux prédicateurs qu'ils écoutaient, et que cette perte pour les anciens maîtres de la loi commençait à croître sensiblement, à cause du grand nombre de personnes qui suivaient déjà les apôtres. 142. Ces conseils d'iniquité allaient fort bien à la cupidité et à l'ambition aveugle des Juifs; aussi les reçurent-ils comme excellents et d'ailleurs conformes à leurs désirs. Il arriva de là que les pharisiens, les sadducéens, les magistrats et les prêtres tinrent contre les apôtres toutes ces assemblées que saint Luc mentionne dans leurs Actes (1). La première eut lieu lorsque saint Pierre et saint Jean guérirent à la porte du Temple un homme paralytique dès sa naissance, âgé de quarante ans, qui était connu dans toute la ville de Jérusalem. Et comme ce miracle fut si public et si éclatant, tout le peuple, frappé d'admiration, courut vers eux (2). Alors saint Pierre lui fit un grand sermon (3), et prouva qu'on ne se pouvait sauver par aucun autre nom que par celui de Jésus, en la vertu duquel lui et saint Jean avaient guéri ce paralytique incurable. Le lendemain les prêtres s'assemblèrent et firent paraître devant eux les deux apôtres (4). (1) Act., III, 6. - (2) Ibid., 11. -(3) Ibid. 12, etc. - (4) Act., IV, 5. 540 Mais comme le miracle était notoire, et que le peuple en glorifiait Dieu, 'ces juges iniques s'en sentirent si confondus, que n'osant point les châtier ils se contentèrent de leur défendre de parler et d'enseigner à l'avenir au nom de Jésus de Nazareth (1). Saint Pierre, avec son coeur magnanime, leur répondit qu'ils ne pouvaient leur obéir en cela, parce que Dieu leur commandait le contraire, et qu'il n'était pas juste de désobéir à Dieu pour obéir aux hommes (2). Après cette défense ils rendirent pour le moment la liberté aux deux apôtres, qui s'en allèrent aussitôt trouver notre auguste Reine pour l'informer de ce qui leur était arrivé, quoiqu'elle le sût déjà par une vision dont elle avait été favorisée. Ensuite ils se mirent en oraison, et pendant qu'ils y étaient, le Saint-Esprit vint une seconde fois sur eux tous avec des marques sensibles. 143. Quelques jours après arriva la punition miraculeuse d'Ananie et de Saphire sa femme, qui, tentés d'avarice, prétendirent tromper saint Pierre, lui apportant seulement une partie du prix d'un fonds de terre qu'ils avaient vendu, et retenant le reste, tout en assurant qu'ils ne l'avaient pas vendu plus cher (3). Peu de temps auparavant, Barnabé, autrement appelé Joseph, qui était lévite et de l'île de Chypre, avait vendu une autre terre et en avait apporté tout le prix aux apôtres (4). Et afin que l'on sût que tous les fidèles devaient agir avec cette sincérité, (1) Act., IV, 18. - (2) Ibid., 19. - (3) Act., V, 5. - (4) Act., IV, 37. 541 Ananie et Saphire furent punis, tombant par terre et expirant aux pieds de saint Pierre. Cette punition terrible mit en émoi tous les habitants de Jérusalem , et procura aux apôtres l'avantage de prêcher plus librement., Mais les magistrats et les sadducéens s'irritèrent contre eux, s'en saisirent, et les jetèrent dans la prison publique (1), où ils ne restèrent pas longtemps, parce que notre grande Reine les délivra, comme je le dirai bientôt. 144. Je ne veux point passer sous silence le secret de la chute d'Ananie et de Saphire, sa femme. Quand la grande Reine du ciel eut connu que Lucifer et ses démons instiguaient les prêtres et les magistrats à s'opposer à la prédication des apôtres, et que par suite de ces instigations ils avaient mandé en leur présence saint Pierre et saint Jean après la guérison miraculeuse du paralytique, et leur avaient défendu de prêcher au nom de Jésus, il arriva que cette charitable Mère considérant les conséquences funestes qui en résulteraient pour la conversion des âmes, si ces malicieux desseins n'étaient pas déjoués, s'adressa de nouveau au dragon, et s'intéressant dans cette cause (comme elle l'avait promis au Seigneur) avec beaucoup plus de résolution que Judith dans celle d'Israël, dit à ce cruel tyran : " Ennemi du Très Haut, comment oses-tu , comment peux-tu t'élever contre ses créatures, lorsqu'en vertu de la Passion et de la mort de mon adorable Fils, tu as (1) Act., V, 18. 542 été vaincu et dépouillé de ton pouvoir tyrannique? Qu'est-ce que tu peux, ô basilic venimeux, enchaîné et emprisonné que tu es dans les supplices de l'enfer pour toute l'éternité? Ne sais-tu pas que tu dépens de sa puissance infinie, et que tu ne saurais résister à sa volonté invincible? Eh bien ! il t'ordonne, et je t'ordonne en son nom et en vertu de son pouvoir, de te hâter de descendre avec tes démons dans l'abîme d'où tu es sorti pour persécuter les enfants de l'Église. " 145. Le dragon infernal ne put résister à ce commandement de notre puissante Reine, parce que son très-saint Fils permit, pour augmenter la terreur des démons, qu'ils le vissent tous sous les espèces sacramentales dans le coeur de son invincible Mère, comme sur le trône de sa toute-puissance et de sa majesté. Il en arriva de même en d'autres occasions, dans lesquelles la bienheureuse Vierge confondit Lucifer; j'en dirai quelque chose dans la suite. Cette fois il se précipita dans les abîmes avec toutes ses légions qui le suivaient; ils tombèrent tous domptés au moins pour quelque temps, et accablés sous le poids de la vertu divine, que leur faisait sentir cette femme incomparable. Dans cet état ils poussaient des hurlements effroyables, et s'irritaient contre eux-mêmes du sort lamentable et irrémissible auquel ils étaient condamnés, désespérant d'ailleurs de vaincre notre puissante Reine et tous ceux qu'elle prenait sous sa protection. Lucifer plein de rage appela ses démons, et leur dit : " Quel malheur est le mien? Dites-moi ce 543 que je dois faire contre cette ennemie, qui me tourmente et me précipite de la sorte, me faisant une plus grande guerre que toutes les autres créatures ensemble? Cesserai-je de la persécuter, de peur qu'elle n'achève de me détruire? Je suis toujours vaincu en la combattant, et elle est toujours victorieuse. Je sens qu'elle diminue de plus en plus mes forces, et peu à peu elle finira par les anéantir, et je ne pourrai rien entreprendre coutre les imitateurs de son Fils. Mais comment me résignerais-je à souffrir un préjudice si injuste? N'ai-je plus mon orgueilleuse puissance? Dois-je donc céder à une femme d'une nature si inférieure à la mienne? Cependant je n'ose plus lutter contre elle. Tâchons toujours d'abattre quelqu'un de ses enfants qui suivent sa doctrine; un succès partiel diminuera ma confusion, et suffira pour me satisfaire. " 146. Le Seigneur permit su dragon et aux siens de revenir sur la terre pour tenter et exercer les fidèles. Après avoir observé leur conduite et reconnu la grandeur des vertus qui les sauvegardaient, ils tic trouvaient aucun moyen de les faire tomber dans les piéges qu'ils leur tendaient. Mais en étudiant leurs caractères et leurs inclinations (c'est toujours ainsi, Hélas! qu'ils nous font une cruelle guerre !) ils remarquèrent qu'Ananie et Saphire sa femme étaient les plus attachés à l'argent, et qu'ils l'avaient toujours recherché avec certains sentiments d'avarice. Le démon les attaqua par cet endroit, qu'il trouva le plus faible, et parvint à leur suggérer la pensée de retenir 544 une partie du prix de l'héritage, qu'ils vendaient pour le donner aux apôtres, de qui ils avaient reçu la foi et le baptême. Ils se laissèrent vaincre à cette vile tentation , parce qu'elle était selon leur basse inclination; de sorte qu'ils prétendirent tromper saint Pierre ; mais le saint apôtre eut révélation de leur péché, et les punit par la mort soudaine dont ils furent frappés à ses pieds, d'abord Avanie, et ensuite Saphire, laquelle, ne sachant rien de ce qui était arrivé à son mari, vint peu de temps après; et mentant comme lui, elle expira aussi sous les yeux des apôtres. 147. Dès le premier dessein que conçut Lucifer contre l'Église, notre auguste Reine connut ce qu'il entreprenait, et qu'Avanie et Saphire ne repoussaient point ses perfides suggestions; et, pleine de compassion et de douleur, elle se prosterna en la divine présence, et dit avec un intime gémissement: " Hélas! ô mon adorable Fils, comment ce dragon dévorant peut-il faire sa proie des brebis de votre troupeau ? Comment, mon divin Seigneur, pourrai-je souffrir que le venin de l'avarice et du mensonge s'insinue dans les âmes qui vous ont coûté et votre propre vie et votre précieux sang? Si ce cruel ennemi profite de leur inexpérience pour se glisser parmi elles, il étendra de plus en plus ses ravages, grâce a à l'exemple. du péché et à la faiblesse des hommes, et les uns suivront les autres dans leur chute. Je succomberai, mon Dieu, à ma douleur, parce que vous m'avez fait connaître ce que pèse le péché 545 dans les balances de votre justice; et beaucoup plus celui des enfants que celui des étrangers. Or remédiez, mon bien-aimé, à ce dommage que vous m'avez fait comprendre. " Le Seigneur lui répondit : " Ma Mère et mon Élue, que votre coeur, où je réside, ne soit point affligé; car je tirerai pour mon Église plusieurs biens de ce mal, que ma providence a permis à cette fin. Par le châtiment dont je punirai ces péchés, j'apprendrai aux autres fidèles à ne pas imiter un exemple effrayant, dont le souvenir vivra dans l'Église, et à ne pas se laisser tenter à l'avenir par la cupidité ni par l'amour de l'argent, puisque ma colère menace du même châtiment ceux qui commettront le même crime; car, ainsi que l'enseigne ma loi sainte, ma justice est toujours la même contre les rebelles à ma volonté. " 148. La bienheureuse Marie fut consolée par cette réponse du Seigneur, quoique la rigueur avec laquelle la divine justice tira vengeance de la duplicité d'Avanie et de Saphire excitât en elle une vive pitié. Pendant que tout cela se passait, elle fit les prières les plus ardentes pour les autres fidèles, afin qu'ils ne fussent point abusés par le démon ; et se tournant de nouveau contre lui, elle le terrassa et le chassa, afin qu'il cessât d'irriter les Juifs contre les apôtres. Et en vertu de cette force avec laquelle elle arrêtait la fureur des esprits rebelles, les enfants de la primitive Église jouissaient d'une paix et d'une tranquillité fort grande. Cet heureux calme et cette 546 charitable protection d notre auguste Reine auraient toujours continué, si les hommes ne s'en fussent rendus indignes en se livrant aux mêmes tentations qu'Ananie et Saphire, et à d'autres plus dangereuses encore. Oh ! si les fidèles craignaient ce terrible exemple, et imitaient celui des apôtres ! Il arriva qu'étant dans la prison où j'ai déjà dit qu'ils étaient détenus, ils invoquèrent le secours divin et celui de leur Peine et charitable Mère; et quand elle eut connu, par la divine lumière qu'ils étaient prisonniers, prosternée les bras en croix devant la divine présence, elle lit pour eux cette prière " 149. Souverain Seigneur, Créateur de l'univers, je me sommets de tout mon coeur à votre sainte u volonté; et je reconnais, mon Dieu, qu'il est convenable, ainsi que votre sagesse infinie l'ordonne, que les disciples suivent leur Maître, qui n'est autre que vous, qui êtes la lumière et le guide a véritable de vos élus; c'est ce que je confesse, mon adorable Fils; car vous cotes venu sur la terre sous d'humbles dehors, pour honorer l'humilité et détruire l'orgueil, et pour enseigner le chemin de la croix par la patience au milieu des afflictions et du mépris des hommes. Je sais aussi que vos apôtres et vos disciples doivent suivre cette doctrine, et l'établir dans l'Église. Mais s'il est possible, souverain Bien de mon âme qu'ils conservent maintenant la liberté et la vie pour fouler votre sainte Église, pour annoncer au monde la gloire de votre saint Nom , et pour le convertir à 547 votre véritable foi , je, vous supplie, Seigneur, de me permettre de secourir Pierre, votre sicaire, et Jean mon fils et votre bien-aimé, et tous ceux qui sont détenus en prison par la malice de Lucifer. Faites, Seigneur, que cet ennemi ne se glorifie pas. Maintenant d'avoir triomphé de vos serviteurs. Empêchez qu'il s'élève contre les autres enfants de l'Église. Brisez son orgueil, et faites qu'il soit confondu en votre présence. " 150. Le Très-Haut, répondant à cette prière, dit à la bienheureuse Vierge : " Mon Épouse, que ce que vous souhaitez se fasse, car c'est ma volonté. Envoyez vos anges, afin qu'ils détruisent les oeuvres de Lucifer; ma force est avec vous. " Après ce consentement, la grande Reine des anges dépêcha aussitôt nu de ceux de sa garde, qui appartenait à la plus haute hiérarchie, pour aller ôter les chaînes aux apôtres et les tirer de la prison où ils étaient. Ce fut l'ange dont saint Luc fait mention au chapitre cinquième des Actes (1), qui délivra pendant la nuit les apôtres de la prison , comme la très-pure Marie le lui avait ordonné, quoique l'évangéliste saint Luc n'ait point expliqué le secret de ce miracle. Quant aux apôtres, ils virent dans toute sa splendeur et dans toute sa beauté cet esprit céleste, qui leur dit que sa Reine l'avait envoyé pour les tirer de la prison, connue il le fit; ensuite il leur ordonna d'aller prêcher, et ils obéirent. Elle chargea aussi d'autres (1) Act., V, 19. 548 anges, peu de temps après, d'aller trouver les magistrats et les prêtres, et d'en éloigner Lucifer 'et ses démons, qui les irritaient contre les apôtres, avec ordre de leur donner de saintes inspirations, afin qu'ils n'osassent point chercher à leur nuire ni à empêcher leur prédication. Ces saints anges obéirent également, et s'acquittèrent si bien de cette mission, qu'il en résulta ce que dit saint Luc au même chapitre (1), à propos du discours que fit dans le conseil ce vénérable docteur de la loi, nommé Gamaliel. Car, comme les autres juges se trouvaient embarrassés du parti qu'ils avaient à prendre à l'égard des apôtres, qu'ils avaient mis en prison, et qui étaient libres et prêchaient dans le Temple, sans qu'on sot par qui ils avaient été délivrés, Gamaliel exprima son opinion, et conseilla aux prêtres de ne point se mêler de ces hommes, mais de les laisser prêcher : parce que si cette oeuvre était une enivre de Dieu, ils ne sauraient l'empêcher; et si elle ne l'était pas, elle tomberait bientôt d'elle-même, comme l'entreprise des deux imposteurs qui quelques années auparavant avaient tenté de former de nouvelles sectes à Jérusalem et dans la Palestine : l'un s'appelait Théodas, et l'autre Judas Galiléen; et tous deux périrent avec leurs partisans. 151. Gamaliel donna ce conseil par l'inspiration des saints anges de notre grande Reine, qui disposèrent aussi les autres juges à le recevoir. Que si ces juges défendirent aux apôtres de prêcher encore (1) Act., V, 34. 549 Jésus de Nazareth, ce fut leur propre réputation et leur intérêt particulier qui les v portèrent. Ils les firent aussi fouetter avant de les renvoyer, parce que, malgré la première défense qu'ils leur avaient faite de continuer à prêcher, ils avaient eu à les prendre une seconde fois pour le même sujet, lorsque étant sortis de la prison ils prêchèrent de nouveau, par ordre de l'ange qui les avait mis en liberté. Les apôtres allaient aussitôt rendre compte à la bienheureuse Vierge de tous leurs travaux et de toutes les persécutions qu'ils essuyaient, et la très-prudente Reine les recevait avec une tendresse maternelle, ravie de les voir si constants dans les souffrances, et si zélés pour salut des âmes." Vous me paraissez maintenant, Seigneurs, leur disait- elle, de véritables imitateurs et des disciples fidèles de votre Maître, puisque vous bravez pour son saint Nom les outrages et les opprobres, et que vous l'aidez avec joie à porter sa croix. Vous êtes ses dignes ministres et coopérateurs, quand vous travaillez ainsi à faire valoir le fruit de son sang dans les hommes , pour le salut desquels il l'a répandu. Que sa puissante droite vous bénisse, et vous communique sa divine vertu. " Elle leur disait cela à genoux , après leur avoir baisé la main, et les servait ensuite, comme on l'a vu plus haut. 550 Instruction que la grande Reine des anges m'a donnée. 152. Ma fille, vous trouverez plusieurs instructions fort importantes pour votre salut, et pour celui (le tous les fidèles enfants de la sainte Église, en ce que vous avez connu et écrit dans ce chapitre. On doit en premier lieu considérer la sollicitude et la vigilance avec lesquelles je m'occupais du salut éternel de tous les fidèles, sans oublier la moindre de leurs nécessités, et le plus petit de leurs dangers. Je leur enseignais la vérité, je priais continuellement pour eux, je les encourageais dans leurs peines; je pressais le TrèsHaut de les assister, et surtout je les garantissais des attaques, des illusions et de la fureur des démons. Maintenant que je suis dans le ciel, je leur offre encore à tous les mêmes faveurs; et si tous ne les expérimentent pas, ce n'est pas que, de mon côté, je ne désire les leur faire, mais c'est qu'il y a bien peu de fidèles qui m'implorent de tout leur coeur, et qui se disposent à mériter et à recueillir le fruit de mon amour maternel. Je les défendrais tous contre le dragon, si tous m'invoquaient, et craignaient les embûches dont il les environne pour les faire tomber dans la damnation éternelle. Afin que les mortels sortent de leur funeste assoupissement, et évitent ce malheur effroyable, je leur donne maintenant ce nouvel avis : c'est, ma fille, qu'il est très-certain que toua ceux qui se perdent depuis la mort de mon très 551 saint Fils, et après les faveurs qu'il a faites au monde par mon intercession, sont plus tourmentés dans l'enfer que ceux qui se sont perdus avant son avènement au monde, et avant que je m'y trouvasse. Ainsi ceux qui entendront maintenant ces mystères, et qui les mépriseront pour leur perdition, seront passibles de plus grandes et de nouvelles peines. 153. Il faut que les mortels réfléchissent aussi sur l'estime qu'ils doivent faire de leurs propres âmes, puisque j'ai tant travaillé et que je travaille chaque jour tant pour elles, après que mon très-saint Fils les a rachetées par sa mort. Leur oubli à cet égard est fort blâmable et digne même d'une punition très-rigoureuse. Car quelles raisons peut avoir un homme qui a reçu la foi de prendre tant de peine pour se procurer un plaisir passager des sens, qui ne dure parfois que quelques instants, et ne saurait dans tous les casse prolonger au delà du terme de la vie; et de ne pas faire plus de cas de son cime, qui est éternelle, que si elle s'anéantissait avec les choses visibles? Les Hommes ne considèrent pas (tue quand tout périt pour eux, alors l'âme commence à souffrir ou à jouir de ce qui est éternel et sans fin. Vous qui connaissez cette vérité et la perversité des mortels, ne soyez pas surprise si le dragon infernal est aujourd'hui si puissant contre les hommes; car dans une guerre continuelle, celui qui est victorieux accroît toutes ses forces de toutes celles que le vaincu a perdues. Cela se vérifie surtout dans le combat acharné et incessant que les chrétiens ont à soutenir contre les démons en effet, 552 si les âmes les vainquent, elles puisent de nouvelles forces dans cette victoire, et ces esprits rebelles demeurent plus affaiblis, comme il arriva lorsque mon Fils les eut vaincus et que je les, eus terrassés Après lui. Mais, s'ils s'aperçoivent qu'ils obtiennent de l'avantage sur les hommes, alors ils s'élèvent en leur orgueil, se prévalent de leur faiblesse, et recouvrent de nouvelles forces et un plus grand pouvoir: c'est ce que vous voyez aujourd'hui dans le monde, et cela parce que les amateurs de leur vanité se sont. assujettis à eux, les suivant sous l'étendard de cette même vanité et de leurs fausses promesses. Par suite de ce funeste aveuglement l'enfer a élargi son sein, et plus il engloutit d'âmes, plus il en est affamé, aspirant à ensevelir dans ses abîmes tout le reste des hommes. 154. Craignez, ô ma très-chère fille, craignez ce danger autant que vous le connaissez, et prenez bien garde de donner aucune entrée dans votre coeur aux émissaires de ce féroce ennemi. Vous avez l'exemple d'Ananie et de Saphire, dans l'âme desquels le démon pénétra, en se servant, comme d'une brèche, de leur amour de l'argent. Je ne veux pas que vous convoitiez quoi que ce soit des choses du temps, et je veux que vous réprimiez de telle sorte en vous toutes les passions et les inclinations de la nature fragile, que les esprits malins eux-mêmes n'y puissent découvrir, avec toute leur perspicacité, le moindre mouvement désordonné d'orgueil, d'avarice, de vanité, de colère, ni d'aucune autre passion. C'est en cela que consiste la science des saints, sans laquelle personne ne vit assuré 553 dans la chair mortelle, et dont l'ignorance est cause de la perle d'une multitude innombrable d'âmes. Apprenez-la cette science avec beaucoup d'attention, et enseignez-la à vos religieuses, afin que chacune soit pour elle-même une vigilante sentinelle. Par ce moyen elles vivront en paix et en une véritable charité; et chacune et toutes ensemble, unies en la tranquillité du divin Esprit et fortifiées par la pratique de toutes les vertus , formeront une citadelle inaccessible à leurs ennemis. Rappelez-vous et rappelez à vos religieuses la punition d'Ananie et de Saphire, exhortez-les aussi à être exactes à l'observance de leur règle et de leurs constitutions, car par là elles mériteront ma protection toute particulière. CHAPITRE X. Les faveurs que l'auguste Marie faisait aux apôtres par le ministère de ses anges. - Le salut éternel qu'elle obtint à une femme à l'heure de la mort. - Autres événements relatifs à quelques personnes qui se damnèrent. 155. A mesure que la nouvelle loi de grâce se répandait dans Jérusalem, que le nombre des fidèles croissait, et que l'Église évangélique se développait (1), 554 notre auguste et bienheureuse Reine, de soit côté, redoublait de sollicitude et multipliait les soins dont elle entourait les nouveaux enfants que les apôtres engendraient en notre Seigneur Jésus-Christ (2) par leur prédication. Et comme ils étaient les fondements de l'Église (3), sur lesquels, comme sur des assises inébranlables, devait reposer la solidité de cet édifice admirable , la très-prudente Mère et Maîtresse s'occupait des besoins du collège apostolique avec une vigilance toute spéciale. Cette vigilance assidue devenait d'autant plus active; qu'elle savait que Lucifer redoublait sa fureur contre les imitateurs de Jésus-Christ, et surtout contre les apôtres comme ministres du salut éternel des autres fidèles. Il ne sera jamais possible ici-bas de dire ni même de concevoir les services, les faveurs, les bienfaits de tout genre qu'elle procura à tout le corps de l'Église et à chacun de ses, membres mystiques, et particulier aux apôtres et aux disciples; car, selon ce qui m'a été découvert, il ne se passa point de jour ni d'heure où elle n'opérât pour eux plusieurs merveilles. Je rapporterai dans ce chapitre quelques événements qui nous présentent un fécond enseignement, à cause des secrets de la providence impénétrable du Très-Haut qu'ils renferment. On pourra en inférer quels devaient être le zèle et la charité que la bienheureuse Marie avait pour les âmes. 156. Elle aimait et servait les apôtres avec une (1) Act., V, 14. - (2) I Cor., IV, 15. - (3) Ephes., II, 20. 555 tendresse et une vénération incroyables, tant à raison de leur éminente sainteté qu'à raison de leur dignité de prêtres et de leur ministère de fondateurs et de prédicateurs de l'Évangile. Lorsqu'ils demeurèrent ensemble à Jérusalem, elle les servait, les assistait, les conseillait et pourvoyait à leurs besoins, comme je l'ai raconté plus haut. L'extension et les progrès de l'Église les forcèrent bientôt à sortir de Jérusalem, pour baptiser et initier à la foi tant de personnes de divers lieux circonvoisins qui se convertissaient; mais ils ne tardaient pas à y revenir, parce qu'ils avaient résolu de ne. pas quitter Jérusalem et de ne pas se séparer jusqu'à ce qu'ils eu eussent reçu l'ordre exprès. Ou voit par les Actes des apôtres (1) que saint Pierre alla à Lydde et à Joppé, où il ressuscita Tabithe et fit d'autres miracles, et revint ensuite à Jérusalem. Et quoique saint Luc fasse mention de ces voyages après avoir rapporté la mort de saint Étienne (dont je parlerai dans le chapitre suivant), néanmoins beaucoup d'habitants de la Palestine se convertirent. auparavant; c'est pourquoi les apôtres furent obligés de sortir de Jérusalem pour aller les instruire et les confirmer dans la foi, et ils y rentraient ensuite pour rendre compte de tout à leur auguste Maîtresse. 157. Le démon tâchait d'empêcher le fruit de tous ces voyages et de toutes ces prédications, suscitant contre les apôtres, contre leurs auditeurs et les néophytes taille obstacles et contradictions de la part (1) Act., IX, 38 et 40. 556 des incrédules. Dans ces persécutions ils recevaient chaque jour de cruels outrages et de grandes alarmes, parce que l'ennemi des âmes se flattait de pouvoir les attaquer avec plus de succès en l'absence de leur Protectrice. En effet, cette grande Reine des anges était si redoutable pour l'enfer, que, nonobstant la haute sainteté des apôtres, il semblait à Lucifer que loin de Marie, il les trouverait désarmés, et qu'il pourrait les tenter et les attaquer avec avantage. Sans doute, l'orgueil et la fureur de ce dragon sont tels, comme le dit Job, qu'il méprise le fer comme une paille légère, et l'airain comme un bois pourri (1). Il ne craint ni les flèches ni la fronde; mais il craint tant l'auguste Marie, que pour tenter les apôtres il attend qu'ils en soient éloignés. 158. Toutefois, sa protection ne leur manqua point, car cette charitable Dame découvrait toutes choses du haut de sa sublime sagesse, et comme une très- vigilante sentinelle elle leur signalait les piéges de Lucifer, elle accourait au secours de ses enfants, ministres du Seigneur. Dans les occasions où elle ne pouvait point parler aux apôtres parce qu'ils étaient absents, elle lotir envoyait les saints anges de sa garde aussitôt qu'elle les savait affligés, en leur recommandant de les consoler, de les animer et de les préparer à tout, et quelquefois même de chasser les démons qui les persécutaient. Les esprits célestes se hâtaient d'exécuter les ordres que leur Reine leur donnait, (1) Job., XLI, 18 et 19 557 tantôt d'une manière secrète, en suggérant aux apôtres de douces et saintes pensées, tantôt, et le plus souvent, en leur apparaissant sous une forme visible, revêtus de lumière et d'une, beauté ravissante, et ils lés informaient de tout ce qui leur était utile de connaître, ou de ce dont voulait les avertir leur auguste Maîtresse. Ils usaient fréquemment dans leurs visites do ce mode sensible, tant à cause de la grande sainteté des apôtres que parce qu'il était alors extrêmement nécessaire de les soutenir et de les fortifier par d'abondantes consolations. Jamais ils ne se trouvèrent dans la détresse ou dans l'affliction sans que cette charitable Mère les secourât par ces moyens, outre les prières continuelles, les supplications et les actions de grâces qu'elle offrait pour eux. Elle était la Femme forte, dont les domestiques étaient munis d'un double vêtement (1); elle était aussi la Mère de famille qui fournissait à tous la nourriture nécessaire et qui plantait la vigne du Seigneur du fruit de ses mains (2). 159. Elle prenait relativement le même soin des autres fidèles, et quoiqu'ils fussent en si grand nombre dans Jérusalem et dans la Palestine, elle les connais. sait tous et veillait sur tous, pour les favoriser dans leurs besoins et dans leurs tribulations. Elle ne se bornait pas à remédier à leurs nécessités spirituelles, elle s'occupait aussi de leurs nécessités corporelles; sans parler de la multitude de malades qu'elle (1) Prov., XXXI, 21. - (3) Ibid., 15 et 16. 558 guérissait des infirmités les plus graves. Quand elle savait qu'il n'était pas convenable de guérir miraculeusement certains d'entre eux, elle ne laissait pas de les visiter pour leur consolation, et de leur porter elle-même toutes les choses dont ils pouvaient avoir besoin. Elle soignait surtout ceux qui étaient les plus pauvres, et maintes fois elle leur donnait à manger de ses propres mains, faisait leur lit et entretenait autour d'eux la propreté, comme si elle eût été leur servante et malade avec les malades. Telles étaient l'humilité et la charité de la grande Reine de l'univers, qu'elle ne dédaignait point de s'employer aux choses les plus basses pour l'utilité de ses enfants les fidèles, comme si elle y avait cherché sa propre consolation. Elle les remplissait tous de joie, et répandait tant de douceur dans leurs peines, qu'elle les leur rendait tontes faciles. Quant à ceux qui étaient éloignés et qu'elle ne pouvait point assister personnellement, elle les favorisait secrètement par l'entremise de ses anges, ou leur obtenait par ses prières divers secours intérieurs. 160. Elle exerçait sa charité maternelle d'une manière toute particulière envers les moribonds et les mourants; elle en assistait nu grand nombre dans cette lutte suprême, et ne les quittait point qu'elle ne, leur eût procuré l'espoir certain du repos éternel. Elle faisait de ferventes prières pour ceux qui allaient au purgatoire, et pratiquait plusieurs oeuvres pénitentielles, comme de se prosterner les bras en croix de faire des génuflexions et d'autres exercices 559 par lesquels elle satisfaisait pour eux. Puis elle envoyait quelques-uns de ses anges dans le purgatoire avec ordre d'en délivrer ces Mmes pour lesquelles elle avait satisfait, de les mener dans le ciel, et de les présenter en son nom à son très-saint Fils, comme une partie de l'héritage du même Seigneur, et comme le fruit de son sang et de sa rédemption. Beaucoup d'âmes obtinrent ce bonheur dans le temps que la Reine du ciel habitait la terre. Et j'ai appris qu'elle ne le refuse point maintenant à celles qui se disposent pendant leur vie à mériter sa présence à l'heure de leur mort, ainsi que je l'ai dit ailleurs. Mais il faudrait trop allonger cette histoire si je voulais rapporter les faveurs que la bienheureuse Vierge fit à une foule de personnes qu'elle assista à l'article de la mort; je ne puis donc m'y arrêter: je raconterai seulement ce qui arriva à une fille qu'elle arracha de la gueule da dragon infernal; cet événement est trop extraordinaire et trop digne de nos réflexions pour que je l'omette dans cette histoire et le refuse à notre instruction. 161. Il y avait à Jérusalem une fille dont les parents étaient d'une condition pauvre et obscure; elle se convertit parmi les cinq mille personnes qui les premières reçurent le baptême. Cette pauvre fille tomba malade en s'occupant aux affaires de sa maison, et sa maladie traîna en langueur sans aucune amélioration dans son état. Il en résulta ce qui arrive à beaucoup d'autres en semblables circonstances, c'est-à-dire qu'elle se relâcha de sa première ferveur, et se négligea 560 au point de commettre certaines fautes qui lui firent perdre la grâce baptismale. Lucifer, qui veillait toujours pour dévorer quelques-unes de ces âmes, assaillit celle-ci avec une extrême violence, Dieu le permettant de la sorte pour sa plus grande gloire et pour celle de sa très-sainte Mère. Le démon apparut à cette fille sous la forme d'une autre femme, pour la mieux tromper, et lui dit en la caressant d'éviter toute relation avec les gens qui prêchaient le Crucifié , et de ne point ajouter foi à tout ce qu'ils lui débitaient, parce qu'ils ne faisaient que la tromper; que sinon, les prêtres et les juges la châtieraient comme ils avaient crucifié le maître de cette loi nouvelle et mensongère qu'on lui avait enseignée; enfin qu'elle n'avait qu'à l'abandonner pour. se relever de sa maladie, et pour vivre ensuite contente et à l'abri de tout péril. La fille lui répondit : " Je ferai ce que vous me dites : mais comment me comporterai-je à l'égard de cette Dame que j'ai vue avec ces hommes et avec ces femmes, et qui me semble si belle et si douce que je ne saurais m'empêcher de l'aimer beaucoup? " Le démon lui répliqua : " C'est justement celle-là qui est la plus méchante de toute cette compagnie; c'est elle que vous devez haïr la première, et il faut que vous ne vous laissiez plus tromper par elle, c'est ce qui vous importe le plus. " 162. L'âme de cette pauvre fille fut infectée par ce mortel venin de l'antique serpent, et au lieu de recouvrer la santé du corps, elle vit sa maladie s'aggraver de jour en jour, et marcha rapidement à 561 la fois vers la mort naturelle et vers la mort éternelle. Un des soixante-douze disciples qui allait visiter les fidèles fut informé de la maladie dangereuse de cette fille, parce qu'un de ses voisins lui dit qu'il y avait dans cette maison une femme de ceux de sa secte qui allait expirer. Il entra pour la voir et l'encourager par de saintes paroles, et pour reconnaître ses besoins. Mais la malade était si tyrannisée par les démons, qu'elle ne voulut ni lui permettre de s'approcher d'elle, ni lui adresser la parole, et il eut beau l'exhorter dans les termes les plus pathétiques, elle se détournait et se couvrait la tête pour ne pas l'entendre. Le disciple connut à ces marques la perte de la malade sans pouvoir en découvrir la cause; il alla aussitôt en donner avis à l'apôtre saint Jean , qui sans tarder un instant accourut auprès de cette fille. Il lui fit de vives remontrances, et lui répéta des paroles qui eussent été des paroles de vie éternelle si elle eût voulu les écouter. Mais il en fut rebuté aussi bien que le disciple, et elle persista toujours dans son obstination. L'apôtre vit plusieurs légions de démons qui environnaient la malade, et qui se retirèrent lorsqu'il entra dans la maison, ne cessant pourtant de montrer l'envie d'y retourner bientôt pour entretenir cette malheureuse fille dans les illusions dont elle était pleine. 163. A la vue de son endurcissement, l'apôtre s'en alla tout désolé trouver la très- pure Marie pour l'en informer et pour lui en demander le remède. Notre grande Reine jeta aussitôt un regard intérieur 562 sur la malade, et découvrit le triste et dangereux état auquel l'ennemi avait réduit son âme. La compatissante Mère s'affligea de la disgrâce de cette pauvre brebis abusée par le loup infernal, et, prosternée en terre, elle se mit à prier et à demander sa conversion au Très-Haut, qui ne répondit rien à cette demande de sa bienheureuse Mère. Non que ses prières cessassent de lui être agréables; mais tout au contraire, il voulut alors faire en quelque sorte le sourd pour la forcer de redoubler ses supplications, parce qu'il aimait à entendre sa voix, et pour nous apprendre en même temps quelles étaient la charité et la prudence de notre auguste Reine dans les occasions on l'exercice de ces vertus était nécessaire. Cette fois le Seigneur la laissa dans l'état commun et ordinaire où elle se trouvait, sans lui donner aucune lumière nouvelle sur l'objet de sa demande. Mais elle n'en continua pas moins à prier, et ne diminua rien de sa très-ardente charité, sachant bien qu'elle ne devait point, à cause du silence du Seigneur, manquer d'exercer son office de Mère, tant que la volonté divine ne lui était pas manifestée expressément. Telle fut la prudence avec laquelle elle se conduisit dans cet événement. Elle ordonna ensuite à l'un de ses anges d'aller secourir cette âme, de la défendre contre les démons, et de la presser, par de saintes inspirations, de fermer l'oreille à leurs mensonges et de se convertir à Dieu. L'ange s'acquitta de sa mission avec cette promptitude que ces esprits célestes apportent toujours à obéir à la volonté du Très 563 Haut; mais il ne lui fut pas possible non plus de réduire cette fille obstinée, quoiqu'il eût employé comme ange tous les moyens imaginables pour la désabuser. C'est là l'état affreux auquel peut arriver une âme qui se livre au démon. 164. Le saint ange s'en retourna vers la sainte Vierge et lui dit : " Grande Reine, je viens d'assister cette fille en péril de damnation, comme vous, ô Mère de miséricorde, me l'aviez prescrit; mais son endurcissement est tel, qu'elle repousse obstinément les saintes inspirations que je lui ai ménagées. J'ai soutenu contre les démons su moins mon droit de la défendre , et ils m'ont résisté, alléguant celui que cette fille leur a volontairement attribué sur elle-même, ce en quoi elle persévère librement. Le pouvoir de la divine justice n'a pas concouru avec moi, comme je le désirais en obéissant à votre volonté; c'est pourquoi, grande Reine, je ne puis vous donner la consolation que vous désirez. n Notre charitable Maîtresse fut fort affligée par cette réponse; mais comme elle est la Mère de l'amour, de la science et de l'espérance sainte (1), elle ne pouvait point perdre ce qu'elle nous a mérité et enseigné à tous. S'étant donc retirée de nouveau pour demander la conversion de cette âme abusée, elle se prosterna et dit : " Seigneur Dieu des miséricordes, voici ce chétif vermisseau de terre: châtiez-moi et frappez-moi, et ne permettez pas que (1) Eccles., XXIV, 24. 564 je voie que cette âme, marquée par les prémices de votre sang et trompée par le serpent, serve de trophée à la malice et à la haine qu'il a contre vos fidèles. " 165. La bienheureuse Marie persévéra quelque temps en cette prière; mais le Seigneur ne lui répondit point encore, pour éprouver son coeur invincible et sa très-ardente charité envers le prochain. La très, prudente Vierge considéra ce qui était arrivé au prophète Élisée quand il fut sollicité de rendre la vie au fils de la Sunamite, son hôtesse; que dans cette circonstance le bâton du prophète avec lequel Giézi , son disciple, toucha l'enfant, ne suffit pas pour le ressusciter, et qu'il fallut qu'Élisée allât lui-même toucher l'enfant et s'étendre sur lui pour le rendre vivant à sa mère (1). Il fut impossible à l'ange et à l'apôtre d'arracher à la mort du péché et aux illusions de Satan cette malheureuse fille; c'est pourquoi notre auguste. Princesse résolut d'aller elle-même la secourir, et proposa son, dessein au Seigneur dans la prière qu'elle fit pour elle. Et quoiqu'elle n'obtint encore aucune réponse de sa divine Majesté, comme l'urgence du cas semblait l'autoriser à compter sur son consentement, elle sortit de sa retraite avec saint Jean et se mit à marcher vers la maison de la malade, qui était assez éloignée du Cénacle. Mais les anges l'arrêtèrent aussitôt, le Seigneur leur ayant ordonné de la porter et de l'accompagner, sans le lui avoir (1) IV Reg., IV, 34. 565 pourtant manifesté à elle-même. Elle leur demanda pourquoi ils l'arrêtaient. Les esprits célestes lui répondirent: a Grande Reine, nous ne devons pas souffrir que vous marchiez par les rues de la ville, lorsque nous pouvons plus décemment vous porter nous-mêmes. x Ils la placèrent ensuite sur un trône formé d'une nuée lumineuse, et la transportèrent dans la chambre de la malade, laquelle étant pauvre et déjà incapable de parler, se trouvait abandonnée de tous, excepté des démons qui l'environnaient et attendaient son âme pour l'emporter. 166. Mais à l'instant que la Reine des anges fut arrivée, tous les esprits malins s'enfuirent avec une vitesse incroyable, poussant des hurlements épouvantables, et dans leur précipitation il semblait qu'ils s'embarrassassent les uns les autres. Notre puissante Dame leur ordonna de descendre dans l'abîme jusqu'à ce qu'il leur fût permis d'en sortir, et ils obéirent à ce commandement sans y pouvoir résister. La charitable Mère s'approcha de la malade, et l'ayant appelée par son nom, elle lui prit la main et lui adressa quelques douces et vivifiantes paroles, par la vertu desquelles elle fut toute changée; elle commença à respirer et à reprendre ses sens. Et répondant à la bienheureuse Marie, elle lui dit : " Bonne Dame, une femme qui m'a visitée m'a assuré que les disciples de Jésus me trompaient, et m'a engagée à me séparer au plus tôt et d'eux et de vous, me menaçant de quelque grande disgrâce si j'embrassais la loi qu'ils m'enseignaient. " - " Ma fille, répliqua 566 notre Reine, cette femme qui vous est apparue n'était autre que le démon votre ennemi. Je viens vous donner la vie éternelle de la part du Très-Haut; revenez donc à sa véritable foi, que vous aviez reçue auparavant, et reconnaissez-le de tout votre coeur pour le vrai Dieu et le Rédempteur véritable, qui est mort sur la croix pour votre salut et pour celui du monde entier. Adorez-le, invoquez-le et demandez-lui pardon de vos péchés. " 167. " Je croyais tout cela jadis, répondit la malade, et l'on m'a dit que c'était une croyance pernicieuse, et qu'on me châtierait si j'y persistais. " Notre auguste Maîtresse lui dit encore : " Ma fille, ne craignez point cette perfide menace; mais sachez que la punition et les peines que l'on doit craindre sont celles de l'enfer, où les démons vous conduisaient." Vous ôtes maintenant bien près de la mort, et vous pouvez obtenir le salut que je vous offre, si vous voulez me croire; et ainsi vous échapperez au feu éternel, dont vous étiez menacée pour votre erreur. " Cette exhortation et la grâce que la bienheureuse Vierge procura à cette pauvre fille, la touchèrent d'une si vive componction, que, versant des torrents de larmes, elle pria notre grande Reine de la protéger dans le péril où elle se trouvait, lui promettant dé se soumettre à tout ce qu'elle lui prescrirait. Aussitôt la compatissante Mère lui fit protester la foi de notre Seigneur Jésus-Christ, et lui suggéra un acte de contrition pour se confesser. Elle la disposa ensuite à recevoir les sacrements, et fit 567 appeler les apôtres pour les lui administrer : et cette fille privilégiée expira heureusement, ne cessant de répéter des actes de contrition et d'amour, et invoquant Jésus et sa Mère, qui en prenait soin, entre les bras de sa protectrice, qui avait resté deux heures entières auprès d'elle pour empêcher que le démon ne revint la séduire. Le secours de la divine Marie fut si puissant, que non-seulement elle la remit dans le chemin de la vie éternelle, mais elle lui procura en outre tant de grâces, que cette âme bienheureuse sortit de ce monde délivrée de la coulpe et de la peine. Puis elle la fit conduire au ciel par quelques-uns des douze anges qui avaient sur leur poitrine la devise de la rédemption, et qui portaient des palmes et des couronnes en leurs mains, destinés qu'ils étaient à secourir les dévots de leur grande Reine. J'ai fait mention de ces ange dans la première partie, au chapitre quatorzième, paragraphe deux cent-deux; et au chapitre dix-huitième, paragraphe deux cent soixante-treize; et ainsi il n'est pas nécessaire de répéter maintenant ce que j'en ai dit. Je fais remarquer seulement, à propos de ces saints anges, que la bienheureuse Vierge envoyait en diverses occasions, qu'elle les choisissait selon les grâces et le vertus qu'ils avaient pour assister et favoriser les hommes. 168. Après que cette âme eut été ainsi sauvée, les autres anges ramenèrent leur Reine à son oratoire dans la même 'nuée en laquelle ils l'avaient transportée. Aussitôt qu'elle y fut, elle s'humilia et se prosterna pour adorer le Seigneur et lui rendre des 568 actions de grâces de ce qu'il avait arraché cette âme de la gueule du dragon infernal ; et en reconnaissance de ce bienfait, elle fit un cantique de louanges au Très-Haut. Sa divine Majesté ordonna cette merveille par fa sagesse infinie, afin que les anges, les saints du ciel, les apôtres et même les démons connussent le pouvoir incomparable de l'auguste Marie; què comme elle était la Maîtresse de tous, de même ils ne sauraient tous ensemble arriver au degré de sa puissance; et qu'elle obtiendrait tout ce qu'elle demanderait pour ceux qui l'aimeraient, la serviraient et l'invoqueraient, puisque cette heureuse fille ne fut point privée du remède, dons un état si déplorable, à cause de l'amour qu'elle avait eu pour cette grande Dame. Cette merveille arriva aussi afin que les démons fussent consternés, confondus, et qu'ils désespérassent de s'opposer avec succès à ce que la bienheureuse Vierge veut et peut en faveur de ses dévots. On peut remarquer dans cet exemple plusieurs autres choses pour notre instruction; je m'en rapporte à cet égard à l'attention et à la prudence des fidèles. 169. Il n'en fut pas de même pour dent autres nouveaux convertis qui se . rendirent indignés de la protection efficace de la très-pure Marie; et comme cet exemple peut aider à notre expérience et nous servir de leçon, tout autant que celui d'Ananie et de Saphire, pour nous faire découvrir les ruses que Lucifer emploie afin de tenter et de, vaincre les hommes, je le rapporterai ici tel qu'il m'a été raconté, avec les instructions qu'il renferme , et qui 569 sont propres à nous faire craindre avec David (1) les justes jugements du Très- Haut. Après le miracle que je viens de citer, les démons eurent la permission de revenir sur la terre et de tenter les fidèles, parce qu'il le fallait pour assurer leur couronne aux justes et aux prédestinés. Or, Lucifer, suivi des autres esprits rebelles, sortit de l'enfer avec une plus grande rage contre les fidèles, et se mit aussitôt à observer par quel endroit il pourrait les attaquer, tâchant de découvrir leurs mauvaises inclinations, comme il le fait maintenant, connaissant, par la longue expérience qu'il a, que les enfants d'Adam, inconsidérés qu'ils sont, cèdent plus facilement à leurs inclinations et à leurs passions qu'à la raison et à la vertu. Et comme la multitude ne saurait être-fort parfaite en toutes ses parties, et que le nombre, des fidèles augmentait de jour en jour dans l'Église, il s'en trouvait naturellement plusieurs en qui se refroidissait la ferveur de la charité; et par là le démon avait un plus vaste champ où il pouvait semer son ivraie. Il distingua parmi les fidèles deux hommes qui avaient des inclinations déréglées et de mauvaises . habitudes avant de se convertir, et qui tenaient à gagner les bonnes grâces de quelques-uns des principaux Juifs, dont ils attendaient divers avantagea temporels; et cette convoitise des honneurs et des biens périssables (qui a toujours été la racine de tous les maux) (2), les portait à flatter les puissants par de lâches complaisances, pour capter leur faveur. (1) Ps. CXVIII, 120. - (2) I Tim., VI, 10. 570 110. Par suite de ces mauvaises dispositions, le démon se persuada que ces fidèles étaient faibles en la foi et en toutes les autres vertus, et qu'il pourrait les pervertir par le moyen des personnages dont ils dépendaient. Ce dragon infernal exécuta son dessein, comme il l'avait formé, et malheureusement il réussit, en suggérant à ces prêtres incrédules la pensée de faire aux deux néophytes toute sorte de reproches et de menaces parce qu'ils avaient embrassé la foi de Jésus-Christ et reçu le baptême; les prêtres remplirent avec le zèle le plus rigoureux le rôle que le démon leur proposait. Et comme la colère des personnes puissantes intimide les inférieurs d'un caractère pusillanime tel que celui de ces deux convertis si attachés à leurs propres intérêts temporels, ils résolurent, avec cette bassesse d'âme, d'apostasier de la foi de Jésus-Christ, pour ne pas encourir l'inimitié de ces Juifs puissants en la protection desquels ils avaient mis leur funeste confiance. Ils s'éloignèrent bientôt de l'assemblée des autres fidèles, cessèrent d'assister à la prédication et aux saints exercices que leurs frères suivaient, et firent ainsi eux-mêmes connaître leur chute et leur perte. 171. Les apôtres furent désolés de la perte de ces fidèles, et du scandale que causerait aux autres un exemple si pernicieux dans les commencements de l'Église. Ils délibérèrent entre eux s'ils en informeraient, la bienheureuse Vierge, parce qu'ils prévoyaient que cette fâcheuse nouvelle l'affligerait extrêmement. L'apôtre saint Jean leur rappels qu'elle 571 savait tout ce qui se passait dans l'Église, et qu'il serait impossible de cacher ce triste changement à sa très-vigilante charité. En conséquence, ils allèrent tous lui rendre compte de ce qui était arrivé. aux deus apostats, qu'ils avaient inutilement tachés de ramener par leurs exhortations à la vraie foi qu'ils venaient d'abjurer. La très-prudente Mère ne dissimula point sa douleur, car il n'était pas convenable qu'elle la cachât quand il s'agissait de la perte des âmes qui étaient. déjà unies à l'Église. ll fallait aussi que les apôtres appréciassent par la sensible douleur de notre grande Dame l'estime qui ils devaient faire des enfants de l'Église, et le zèle avec lequel ils devaient travailler à les maintenir dans la toi , et à les faire rentrer dans le chemin du salut quand ils s'en seraient écartés. La très-sainte Vierge se retira aussitôt dans son oratoire, et se prosternant, selon sa coutume, elle fit une fervente prière pour ces deux apostats, et versa sur eux d'abondantes larmes de sang. 172. Le Très-Haut, voulant modérer jusqu'à un certain point sa douleur par la connaissance de ses secrets jugements, lui dit : " Mon Épouse et mon Élue entre mes créatures, je veux que vous connaissiez mes justes jugements en ce qui concerne les deux âmes pour lesquelles vous me priez, ainsi que tous les autres qui entreront dans mon Église. Ces deux hommes qui viennent d'abjurer ma véritable foi pourraient faire plus de mal que de bien parmi les autres fidèles , s'ils continuaient avec eux leurs rapports, car ils ont des moeurs fort dépravées, 672 et se pervertissent de plus en plus sous l'in fluence de leurs mauvais instincts; de sorte que, a dans ma prescience infinie, je prévois que, ces deux apostats seront réprouvés; c'est pourquoi il convient de les séparer du troupeau des fidèles , et de les retrancher du corps mystique de mon Église, de peur qu'ils n'infectent les autres, et ne leur communiquent leur malice. Il faut, ma Bien-Aimée, selon ma très-haute providence, qu'il entre dans mon Église des prédestinés et des réprouvés; ceux-ci qui se damneront par leurs péchés, et ceux-là qui, avec ma grâce, se sauveront par leurs bonnes oeuvres : ma doctrine et l'Évangile doivent être semblables à un filet qui renferme toute sorte de poissons (1), bons et mauvais, prudents et mal avisés. De même l'ennemi doit semer son ivraie parmi le bon grain de la vérité (2), afin que les justes se justifient davantage, et que ceux qui sont souillés se souillent aussi davantage, si leur malice les y porte (3). " 173. Telle fut la réponse qu'adressa le Seigneur à la bienheureuse Marie après cette prière, la faisant participer par de nouvelles. communications à sa divine science. Ces communications calmèrent sa douleur en lui faisant mieux connaître l'équité de la justice du Très-Haut quand il condamnait, avec raison, ceux qui par leur malice se rendaient réprouvés et indignes de l'amitié de Dieu et de sa gloire. Mais (1) Matth., XIII, 47. - (2) Ibid., 28 . - (3) Apoc., XXII, 11. 573 comme la divine Mère avait le poids du sanctuaire dans sa sagesse, dans sa science et dans sa charité suréminente, elle seule entre toutes les créatures pesait dignement le malheur d'une âme qui perd Dieu éternellement, et qui est condamnée aux tourments éternels en la compagnie des démons; et sa douleur était proportionnée à cette pénétration. Nous savons que les anges et les saints du ciel, qui connaissent en Dieu ce mystère, n'en peuvent ressentir aucune peine, toute peine serait incompatible avec la félicité suprême de leur état. Et si la douleur était compatible avec la gloire dont ils jouissent, elle répondrait chez eux à la connaissance qu'ils dut du sort lamentable de ceux qui se damnent, à cause de la très-parfaite charité avec laquelle ils les aiment, et du grand désir qu'ils éprouvent de partager avec eux la gloire. 174. Or la douleur que ne saurait causer aux bienheureux la damnation des hommes, la très-pure Marie l'eut à un degré autant au-dessus de celle qu'ils auraient s'ils étaient susceptibles d'une douleur quelconque, qu'elle les surpassait et en sagesse et en charité. Pour la ressentir, elle se trouvait dans la condition des voyageurs, et pour en connaître la cause elle avait la science propre aux compréhenseurs : car elle jouit dé la vision béatifique, elle connut l'Être de Dieu, sa bonté infinie, l'amour qu'il a pour le salut des hommes, et elle comprit combien il s'affligerait de la perte e'une âme, s'il était possible qu'il s'affligeât. Notre charitable Seine connaissait aussi la difformité des démons, la haine qu'ils ont 574 contre les hommes, la nature des peines de. l'enfer et les conditions de la société éternelle de mêmes démons et de tous les damnés. Elle pénétrait tout cela, et mille autres choses que je ne saurais exprimer. Or quelle douleur, quelle peine, quelle compassion cette connaissance ne devait-elle pas exciter dans un coeur aussi doux et aussi tendre que celui de notre très-charitable Marie, sachant que ces deux âmes et tant d'autres après elles se perdraient, nonobstant les grandes grâces qu'elles auraient repues dans la sainte Église ! Elle s'affligeait de ce malheur et répétait sans cesse : " Est-il possible qu'une âme se prive à jamais par sa propre volonté de la vue de Dieu, et qu'elle préfère celle de tant d'horribles démons dans le feu éternel ! " 175. La très-prudente Reine garda pour elle le secret de la réprobation de ces nouveaux apostats, sans le découvrir aux apôtres. Mais tandis qu'elle se livrait à sa douleur dans sa retraite, l'évangéliste saint Jean entra pour la visiter et pour apprendre en même temps si elle voulait lui donner quelques ordres. Et comme il la vit si affligée, il en fat troublé, et lui ayant demandé la permission de parler, il lui dit : " Chère Dame, Mère de mon Seigneur Jésus Christ, depuis la mort de sa Majesté, je n'ai jamais remarqué en votre personne sacrée tant de signes de douleur que j'y découvre maintenant; vos yeux et votre visage sont tout couverts de sang, ce que je n'avais pas encore vu depuis ce temps-là. Dites-moi, grande Dame, s'il est possible, le sujet d'une 576 affliction si extraordinaire, et si je puis vous soulager, quand il faudrait donner ma vie. " La bienheureuse Marie lui répondit : Mon fils, je pleure maintenant pour ce même sujet. Saint Jean crut que le souvenir de la Passion avait renouvelé en la compatissante Mère une douleur si cruelle, et dans cette pensée il lui répliqua: " Ah ! mon auguste Reine, vous pouvez modérer vos larmes, puisque votre Fils et notre Rédempteur est glorieux et triomphant dans le ciel à la droite de son Père éternel. Et quoique ce ne soit pas une raison pour que nous oubliions ce qu'il a souffert pour les hommes, il n'en est pas moins juste que vous vous réjouissiez des grands biens qui ont résulté de sa Passion et de sa mort. " 176. " Si après que mon adorable Fils est mort pour eux (répondit la sainte Vierge), ceux qui l'offensent, qui le renient, et qui perdent le fruit inestimable de son précieux sang, veulent le crucifier de nouveau, il faut bien que je pleure, connaissant comme je le connais le très-ardent amour qu'il a pour les hommes, amour tel, qu'il serait disposé à souffrir encore pour le salut de chacun ce qu'il a souffert pour tous. Je vois qu'on paie si peu de retour cet amour immense, je vois la perdition éternelle de tant de personnes qui devraient le reconnaître , que je ne puis ni modérer ma douleur, ni manquer d'y succomber, si le mime Seigneur qui m'a donné la vie ne me la conserve. O enfants d'Adam, formés à l'image 576 de mon Fils et mon Seigneur, à quoi pensez-vous? Où est votre raison pour. sentir votre malheur, si vous perdez Dieu éternellement? " Saint Jean répartit : " O ma Mère et ma Maîtresse, si c'est pour ces deux apostats que vous vous affliger, vous n'ignorez pas que parmi tant d'enfants il doit y avoir des serviteurs infidèles, puisque dans notre apostolat Judas a prévariqué à l'école même de notre Rédempteur et notre Maître. - O Jean, répondit notre auguste Reine, si Dieu avait résolu par une volonté formelle la perte de quelques lames, cela pourrait diminuer ma douleur; mais quoiqu'il permette la damnation des réprouvés, parce qu'ils veulent eux-mêmes se perdre, ce n'est point là l'effet de la volonté absolue de la divine Bonté; car elle voudrait sauver tous les hommes, s'ils ne lui résistaient par leur libre arbitre (1); et mon très-saint Fils a eu une sueur de sang en considérant qu'ils ne seraient pas tous prédestinés, et que tous ne recevraient pas efficacement le fruit du sang qu'il versait pour tous. Et si maintenant dans le Ciel il pouvait ressentir quelque douleur, celle que lui ferait éprouver la perte d'une seule âme surpasserait toutes les peines qu'il a souffertes pour elle en sa Passion et en sa mort. Or, connaissant cette vérité, et vivant dans une chair passible , il est bien juste que je m'afflige de ce que; taon Fils n'obtient pas ce qu'il désire avec tant d'ardeur. (1) I Tim., II, 4. 577 Saint Jean fut attendri jusqu'aux larmes par ces paroles et par plusieurs autres réflexions de la Mère de miséricorde, et pleura longtemps avec elle. Instruction que la très pure Marie m'a donnée. 177. Ma fille, puisque dans ce chapitre vous avez appris d'une manière toute particulière la douleur incomparable avec laquelle je pleurai la perte de l'âme de mon prochain , vous en comprendrez mieux ce que vous devez faire pour la vôtre et pour celle des autres, afin de m'imiter en la perfection que je demande de vous. Je n'aurais refusé aucun supplice ni même la mort, si c'est été nécessaire, pour empocher la damnation d'une seule âme; au contraire, ma très-ardente charité y eût trouvé un véritable soulagement. Que si cette sainte douleur ne va pas jusqu'à vous faire mourir, il faut du moins que vous soyez disposée à souffrir pour ce sujet tout ce que le Seigneur ordonnera, et que vous ne manquiez pas de prier pour le salut des âmes, et de faire tout votre possible pour préserver vos frères du moindre péché. Et lorsqu'il vous semblera que le Seigneur ne vous écoute point, ne vous rebutez pas pour cela, mais animez votre espérance et persévérez; car cette sainte importunité lui est toujours agréable, puisqu'il désire plus que roua le salut de tous ceux qu'il a rachetés. Si après 578 tous ces efforts vous n'êtes pas encore exaucée, servez-vous des moyens que la prudence et la charité vous inspireront, et renouvelez vos prières avec plus d'instance; car le Très-Haut est toujours satisfait de cette charité envers, le prochain, et de l'amour avec lequel on tâche d'empêcher le péché qui l'offense. Il ne veut point la mort du pécheur; et, comme vous venez de l'écrire, loin d'avoir par lui-même une volonté absolue et antécédente de perdre ses créatures, il voudrait les sauver toutes, si elles-mêmes ne se perdaient; et quoique sa justice le force à permettre cette perte, à cause de la condition libre des hommes, il ne fait que permettre ce qui lui déplait. Ne vous lassez point dans ces sortes de prières; mais en celles qui regardent les choses temporelles, demandez-lui qu'il fasse sa sainte volonté de la manière la plus convenable. 178. Et si je veux que vous travailliez avec tant de zèle et de charité pour le salut de vos frères, songez à ce que vous devez faire pour le vôtre, et voyez quelle estime vous devez avoir pour votre propre âme, qui a coûté un prix infini. Je veux vous recommander, comme Mère, quand la tentation et les passions vous porteront à commettre une faute, quelque légère qu'elle puisse être, de vous souvenir de la douleur et des larmes que m'ont causées la connaissance des péchés des mortels et le désir de les empêcher. Prenez garde, ma très-chère fille, de me donner le même sujet de douleur; car quoique je ne puisse plus en souffrir maintenant, du moins vous me 579 priveriez de la joie accidentelle que j'aurais à voir qu'après avoir daigné être votre Mère et votre Maîtresse, pour vous diriger comme ma fille et comme ma disciple, vous devenez parfaite comme formée à mon école. Votre infidélité à cet égard tromperait le désir que j'ai que vous vous rendiez en toutes vos rouvres agréable à mon très-saint Fils, et que vous lui laissiez accomplir en vous sa sainte volonté aussi pleinement que possible. Considérez avec la lumière infuse que vous recevez, combien énormes seraient vos péchés, si vous en commettiez quelques-uns après que le Seigneur et moi vous avons comblée de tant de bienfaits. Les dangers et les tentations ne vous manqueront pas dans le temps qu'il vous reste à vivre; mais souvenez-vous toujours de mes instructions, de mes douleurs, de mes larmes, et surtout de ce que vous devez à mon très-saint Fils, qui est si libéral envers vous, et qui vous applique avec tant d'abondance le fruit de son sang, afin de trouver en vous tout le retour de la reconnaissance. FIN DU TOME V. 25/30 TROISIÈME PARTIE LIVRE SEPTIÈME CHAPITRE XI. Où l'on donne quelques détails sur la prudence avec laquelle la bienheureuse Marie dirigeait les nouveaux fidèles. - ce qu'elle fit à l'égard de. saint Étienne durant sa vie et au moment de sa mort. - Plusieurs autres événements. lnstrucion que la grande Reine des anges m'a donnée. CHAPITRE XII. La persécution que souffrit l'Église après la mort de saint Etienne. - Ce que lit notre auguste Reine dans cette occasion, et comment Par ses soins les apôtres rédigèrent le symbole de la foi catholique. Instruction que j'ai reçue de la grande Reine des anges. CHAPITRE XIII. La bienheureuse Marie envoya le Symbole de la foi aux disciples et aux autres fidèles. - Ils firent de grands miracles par son moyen. - Les apôtres se partagèrent le monde. - Autres oeuvres de la grande Reine du ciel. Instruction que la Reine des anges m'a donnée. CHAPITRE XIV. La conversion de saint Paul. -Comment la bienheureuse Marie y concourut. - Quelques autres mystères cachés. Instruction que j'ai reçue de la grande Reine des anges. CHAPITRE XV. On déclare les moyens secrets dont les démons se servent pour attaquer les âmes. - Comment le Seigneur les défend par les anges, par l'auguste Marie et par lui-même. - Conciliabule que ses ennemis tinrent après la conversion de saint Paul contre cette grande Reine et contre l'Église. Instruction que la grande Reine des anges m'a donnée. Note de l'Éditeur: Ici commence le tome VI de l'édition de Paris 1857(Poussièlgue- Rusand) TROISIÈME PARTIE LIVRE SEPTIÈME CHAPITRE XI. Où l'on donne quelques détails sur la prudence avec laquelle la bienheureuse Marie dirigeait les nouveaux fidèles. - ce qu'elle fit à l'égard de. saint Étienne durant sa vie et au moment de sa mort. - Plusieurs autres événements. 179. Le Seigneur ayant investi l'auguste Marie du ministère de Mère et de Maîtresse de la sainte Église, devait lui donner en thème temps une science et une lumière proportionnée à un office si sublime, afin que par ce moyen elle connût tous les membres de ce corps mystique, dont le gouvernement spirituel lui appartenait, et qu'elle fournit à chacun la doctrine et l'enseignement propres à son rang, à sa condition et à ses besoins. Notre Reine reçut cette lumière avec toute la plénitude et toute l'abondance de sagesse et 2 de science divine que l'on peut voir dans tout le cours de cette histoire. Elle connaissait tous les fidèles qui entraient dans l'Église, et pénétrait leurs inclinations naturelles, le degré de grâce et les vertus qu'ils avaient, le mérite de leurs oeuvres, les fins et les commencements de chacun ; de sorte qu'elle n'ignorait rien de tout ce qui regardait l'Église, à moins que le Seigneur ne lui cachât dans certaines occasions, pour quelque temps, des secrets, qu'il lui découvrait ensuite au moment opportun. Et toute cette science n'était point stérile, mais elle se trouvait accompagnée d'une égale participation de la charité de son très-saint Fils, par laquelle elle aimait tous les fidèles comme elle les connaissait. Et attendu qu'elle pénétrait d'ailleurs le mystère de la volonté divine, elle dispensait les sentiments de la charité intérieure avec poids et mesure, et suivant toutes les règles de cette sagesse, de sorte qu'elle n'aimait et n'estimait personne au-dessus ni au-dessous de ses mérites; défaut dans lequel nous tombons très-souvent à cause de notre ignorance, même en ce qui nous semble le plus juste. 180. Mais la Mère de l'amour bien ordonné et de la science la plus parfaite ne renversait point l'ordre de la justice distributive en L'application de son estime et de son affection maternelle; car elle les dispensait à la lumière de l'Agneau, qui l'éclairait et qui la guidait, afin qu'elle donnât de son amour intérieur à chacun ce qui lui était dû, plus ou moins, selon les divers degrés du mérite, quoiqu'elle fût à l'égard 3 de tous la mère la plus indulgente, la plus tendre, sans tiédeur, sans parcimonie et sans oubli. Mais dans les démonstrations extérieures de sa bienveillance et dans ses actes, elle se conduisait, quand elle était obligée de se trouver avec les fidèles assemblés, par d'autres règles d'une très-haute prudence, évitant toujours ces privautés, ces singularités qui éveillent l'émulation, la jalousie, l'envie dans les communautés, dans les familles, et dans toutes les sociétés où les actions publiques sont remarquées et contrôlées par le grand nombre. C'est une passion commune et naturelle à tous de désirer d'être estimé et aimé, surtout des personnages distingués et puissants; à peine trouverait-on un homme qui ne se flatte lui-même d'avoir autant de mérite que tout autre pour être autant estimé et favorisé que lui, et même davantage. Ce mal s'étend jusqu'aux personnes les plus élevées en dignité et même en vertu, comme on l'a vu dans le collège des apôtres, qui, sans avoir aucun motif de soupçonner notre adorable Sauveur de la moindre partialité, débattirent entre eux des questions de préséance et de supériorité, qu'ils osèrent soumettre à leur divin Maitre (1). 181. Pour prévenir et empêcher ces sortes de disputes, notre grande Reine mettait le plus grand soin à se montrer toujours égale, toujours la même dans la distribution de ses faveurs et dans les témoignages d'affection qu'elle donnait à tous les fidèles à la vue (1) Matth., XVIII, 1; Luc., IX, 46. 4 de l'Église. Cette conduite fut non-seulement digue d'une telle Maîtresse, mais encore très-nécessaire dans les commencements, tant pour servir de système de gouvernement dans l'Église aux prélats dépositaires de l'autorité, qu'à raison de ce que, dans ces temps fortunés et prospères, tous les apôtres, tous les disciples et d'autres fidèles , se signalaient par des miracles et par d'autres dons divins, comme beaucoup de docteurs se distinguent dans ces derniers siècles par leur science et leur érudition. Il fallait leur enseigner à tous que, ni pour ces grands dons, ni pour d'autres grâces moins éclatantes, personne ne devait se laisser enfler d'une vaine présomption, ni se croire digne d'être plus honoré et plus favorisé de Dieu et de sa très-sainte Mère dans les choses extérieures. Le juste doit se contenter d'être dans l'amitié du Seigneur; et à celui qui ne l'est pas, tous les honneurs et tous les applaudissements ne serviront de rien. 182. Malgré cette réserve, notre très-prudente Princesse ne manquait pas de témoigner la vénération et de rendre l'honneur qui étaient dal à chacun dés apôtres et des fidèles, selon leur dignité ou leur ministère; de sorte que, quant aux marques de vénération, elle montrait à tous par sou exemple ce qu'ils devaient faire dans les choses d'obligation, comme par sa réserve elle leur enseignait là modération dans les choses volontaires et facultatives. Notre auguste Reine fut si admirable et si prudente en tout cela, qu'elle ne donna jamais le moindre sujet de plainte à 5 aucun des fidèles qui l'abordaient; jamais aucun ne put lui refuser, même avec la moindre apparence de raison, son estime et son respect; loin delà, tous l'aimaient, la bénissaient, et, pleins de joie, se reconnaissaient redevables à ses faveurs et à sa bonté maternelle. Aucun ne put craindre d'en être négligé ou rebuté dans ses besoins, aucun ne put s'apercevoir qu'elle le méprisât et qu'elle. en favorisât ou aimât plus un autre; elle ne donnait jamais lieu aux fidèles de faire des comparaisons de ce genre, si grandes étaient la discrétion et la sagesse de notre Reine! si précis était le point auquel elle suspendait au levier de la prudence les balances de la charité extérieure ! C'est pour cela qu'elle ne voulut point distribuer par elle-même les offices et les dignités entre les fidèles, ni solliciter pour aucun. A cet égard elle s'en rapportait entièrement à l'avis et à la décision des apôtres, auxquels par ses prières secrètes elle obtenait les lumières du ciel. 183. Sa profonde humilité la portait aussi à agir avec tant de sagesse, que par sa conduite elle enseignait à tous cette vertu, puisqu'ils savaient qu'elle était Mère de la Sagesse elle-même, qu'elle n'ignorait rien, et qu'elle ne pouvait se tromper en ce qu'elle aurait fait. Néanmoins elle voulut laisser ce rare exemple dans la sainte Église, afin que personne ne présumât de sa science, de sa prudence ou de sa vertu, surtout dans les matières importantes, et que tous comprissent que le succès d'une affaire est attaché à l'humilité et au bon conseil, et qu'il y a présomption 6 à s'en rapporter à sa propre opinion, quand on est obligé de consulter celle des autres. Elle savait aussi que d'intercéder poux les autres dans les choses temporelles, cela inspire à celui qui intercède,certains sentiments de supériorité présomptueuse et de vanité, que développent encore les remerciements flatteurs de ceux qui ont été favorisés par suite de cette intercession. Toutes ces misères, toutes ces taches inhérentes à une vertu commune, étaient infiniment au-dessous de la sainteté éminente de notre auguste Maîtresse : c'est pour cela qu'elle nous a enseigné par son exemple à nous conduire dans toutes nos actions de manière à ne point en diminuer le mérite et à ne mettre aucun obstacle à notre plus grande perfection. Toutefois, cette extrême circonspection avec laquelle elle agissait ne l'empêchait pas de donner aux apôtres ses conseils et ses avis en ce qui concernait l'exercice de leur ministère, et ils la consultaient souvent; elle traçait de même des règles de conduite aux autres fidèles de l'Église, car elle opérait toutes choses avec la plénitude de la sagesse et de la charité. 184. Saint Étienne, qui était du nombre des soixante-douze disciples, fut un des saints qui eurent le bonheur de mériter l'affection particulière de la grande Reine du ciel; car dès qu'il commença à suivre notre Sauveur Jésus-Christ, elle le regarda entre les autres avec une singulière tendresse, et lui accorda une des premières places dans son estime. Elle connut aussitôt que ce saint était choisi du Maître 7 de la vie pour défendre son honneur et son saint nom, et pour donner sa vie pour lui. En outre, cet invincible saint avait un caractère fort doux et fort pacifique, que la grâce rendit encore beaucoup plus aimable envers tous, et plus docile à toutes les inspirations de la sainteté. Ce bon naturel plaisait extrêmement à la très-douce Mère; et quand elle trouvait quelqu'un de ce naturel doux et bénin, elle disait que celui-là ressemblait davantage à son très-saint Fils. Ces qualités et les vertus héroïques qu'elle reconnaissait en saint Étienne la portaient à l'aimer tendrement, à le combler de ses bénédictions, et à rendre des actions de grâces au Seigneur de ce qu: il l'avait créé, appelé et choisi pour être les prémices de ses martyrs; et dans la prévision de son martyre, qu'elle savait être si glorieux, elle l'aimait intérieurement beaucoup, car son très-saint Fils lui avait révélé ce secret. 185. L'heureux saint répondait avec une attention scrupuleuse et avec une respectueuse fidélité aux bienfaits qu'il recevait de notre Sauveur Jésus-Christ et de sa très-sainte Mère, car il était non-seulement pacifique, mais encore humble de coeur, et ceux qui le sont véritablement sont fort reconnaissants des faveurs qu'ils reçoivent, fussent-elles moins grandes que celles dont le saint disciple Étienne était l'objet. Il eut toujours une très-haute estime et une extrême vénération pour la Mère dé miséricorde, et lui demandait sa protection avec la dévotion la plus fervente. Il la consultait sur beaucoup de choses mystérieuses ; 8 car il était fort savant, plein de foi et du Saint-Esprit, comme dit saint Luc (1). Notre auguste Maîtresse satisfaisait à toutes ses questions, le fortifiait et l'animait, afin qu'il défendit courageusement l'honneur de Jésus-Christ. Et pour le confirmer davantage dans sa grande foi, elle lui prédit son martyre, lui disant : " Étienne, vous serez le premier-né des martyrs que mon très-saint Fils et mon Seigneur engendrera par l'exemple de sa mort; vous suivrez ses traces comme un fidèle disciple et un vaillant soldat, et vous porterez l'étendard de sa croix dans la milice du martyre. Il faut pour cela vous armer de force et du bouclier de la foi, et soyez assuré que la vertu du Très-Haut vous assistera dans le combat. " 186. Cet avis de la Reine des anges alluma dans le cour de saint Étienne le plus ardent désir du martyre, comme on peut le conclure de ce que rapportent de lui les Actes des apôtres. Non-seulement il y est dit qu'il était plein de grâce et de force, et, qu'il opérait de grands miracles et de grands prodiges dans Jérusalem ; mais, après les apôtres saint Pierre et saint Jean, il n'est aucun disciple dont il soit dit qu'il disputât avec les Juifs et qu'il les confondit avant saint Étienne, à la sagesse et à l'esprit duquel ils ne pouvaient résister (2), parce qu'il leur prêchait et les reprenait avec un cour intrépide, se signalant par sa hardiesse parmi les autres disciples. Saint Étienne faisait tout cela, enflammé du désir du martyre (1) Act., VI, 5. - (2) Ibid.. s. 9 que notre grande Dame lui avait prédit. Et comme s'il avait eu peur qu'un rival vint lui enlever cette couronne des mains, il se présentait avant tous les autres pour disputer avec les rabbins et les autres maîtres de la loi de Moïse, cherchant avec empressement les occasions de défendre l'honneur de Jésus-Christ, pour lequel il savait qu'il devait sacrifier sa vie. Le dragon infernal étant parvenu par sa malignité à découvrir le désir de saint Étienne, tourna toute sa rage contre lui, et résolut d'empêcher que ce courageux disciple reçût publiquement le martyre en témoignage la foi de notre Rédempteur Jésus-Christ. Et pour exécuter son dessein il incita les Juifs les plus incrédules à donner secrètement la mort à saint Étienne. Lucifer était tourmenté par la vertu et le courage qu'il reconnaissait en ce saint disciple, et il craignait qu'avec une pareille magnanimité il ne fit de grandes choses, et en sa vie et en sa mort, pour honorer la doctrine et la foi de son Maître. Au reste, la haine que les Juifs avaient contre le saint était telle, qu'il lui fut facile de leur persuader de lui ôter la vie en secret. 187. Ils l'essayèrent plusieurs fois dans le peu de temps qui se passa depuis la descente du Saint-Esprit jusqu'au martyre du saint. biais la grande Reine de l'univers, qui connaissait la malice et les artifices de Lucifer et des Juifs, délivra saint Étienne de toutes leurs embûches jusqu'au moment marqué où il devait être lapidé, comme je le dirai bientôt. En trois différentes occasions la bienheureuse Vierge envoya un 10 de ses anges qui l'assistaient, pour tirer saint Étienne d'une maison où ils avaient formé le dessein de l'étrangler. L'esprit céleste. le délivra de ce péril d'une manière invisible pour les Juifs qui le cherchaient, mais le saint vit son libérateur et sentit qu'il le transportait au Cénacle, et qu'il le présentait à sa Reine. D'autres fois elle le faisait avertir par le même ange de ne point passer par telle rue, ou de ne point entrer dans telle maison où ils l'attendaient pour s'en défaire. D'autres fois encore la charitable Mère l'empêchait elle-même de sortir du Cénacle, parce qu'elle connaissait qu'on l'épiait pour le tuer. Et non-seulement on l'attendit plusieurs nuits quand il sortirait du Cénacle pour s'en retourner chez lui; mais on lui tendit aussi les mêmes piéges en d'autres maisons. Car saint Étienne, entraîné, comme je l'ai fait remarquer, par l'ardeur de son zèle, allait sans aucune précaution visiter et consoler beaucoup de fidèles dans leurs besoins, parce que, bien loin de craindre les périls et les occasions de mourir, il les désirait et les recherchait. Aussi, ne sachant point en quel temps le Seigneur lui accorderait le grand bonheur qui lui était promus, et voyant que sa divine Mère l'arrachait si souvent au danger, se plaignait- il parfois amoureusement à elle, et lui disait-il : " Ma Reine et ma Protectrice, quand arrivera donc ce jour, quand arrivera celte heure en laquelle je paierai à mon Dieu et à mon adorable Maître la dette de ma vie, en me sacrifiant pour l'honneur et la gloire de son saint nom! " 11 188. La bienheureuse Marie ressentait une joie incomparable d'entendre ces douces plaintes de l'amour de Jésus-Christ dans la bouche de son serviteur Étienne, auquel elle répondait avec aine tendresse maternelle : " Mon fils et serviteur très-fidèle du Seigneur, le temps déterminé par sa très-haute sagesse ne tardera pas de venir, vos espérances ne a seront point frustrées. Travaillez maintenant à ce u qu'il vous reste à faire dans sa sainte Église, la couronne de votre nom vous est assurée : rendez de continuelles actions de grâces au Seigneur qui vous l'a préparée. " La pureté et la sainteté d'Étienne étaient d'une perfection suréminente, de sorte que les démons ne pouvaient s'approcher de lui qu'à une grande distance, et c'était pour cela que Jésus-Christ et sa très-sainte Mère l'aimaient beaucoup. Les apôtres l'ordonnèrent diacre. Il avait une vertu vraiment extraordinaire et héroïque, et il mérita ainsi d'être le premier qui après la Passion remporta sur tous la palme du martyre. Et pour découvrir davantage la sainteté de ce grand et premier martyre, j'ajouterai ici ce que j'en ai appris, selon ce que dit saint Luc au chapitre sixième des Actes des apôtres (1). 189. Il s'éleva dans Jérusalem des murmures parmi les fidèles; car les Grecs se plaignaient contre les Hébreux de ce que dans le service ordinaire des convertis on n'employait point les veuves des Grecs comme celles des Hébreux. Les uns et les autres (1) Act., VI, 1. 12 étaient juifs israélites; mais on -appelait Grecs ceux qui étaient nés en Grèce, et Hébreux ceux qui étaient originaires de la Palestine: et c'était là le sujet de la plainte des Grecs. Ce ministère journalier consistait dans la distribution des aumônes et des offrandes destinées à l'entretien des fidèles. On en chargea six hommes d'une probité reconnue , comme il a été rapporté su chapitre septième ; et cette mesure fut prise d'après le conseil de la bienheureuse Marie, comme il a été dit su même chapitre. Mais le, nombre des fidèles augmentant, il fallut aussi employer à ce même ministère plusieurs femmes veuves d'un âge mûr, qui pourvoyaient aux besoins de leurs frères, surtout à ceux des autres femmes et des malades, leur distribuant ce que les six aumôniers en titre leur remettaient. C'étaient des veuves d'Hébreux. Et les Grecs s'imaginant qu'il était injurieux pour leurs veuves de n'être point employées à ce ministère, se plaignirent devant les apôtres du tort qu'on leur faisait. 190. Pour terminer ce différend, le collège , des apôtres, fit assembler les fidèles, et ils leur dirent Il n'est pas juste que nous laissions la prédication de la parole de Dieu pour prendre soin de l'entretien des frères qui viennent à la foi (1). Choisissez donc vous-mêmes parmi vous sept hommes d'une vertu éprouvée, qui soient pleins de sagesse et animés du Saint-Esprit; nous leur confierons ce ministère, (1) Act., VI, 2, etc. 13 afin que nous puissions nous livrer à la prière et à la prédication. Et vous vous adresserez à eux dans les doutes ou dans les différends qui se présenteront à propos de l'entretien et des nécessités des fidèles. " Cette proposition plut à toute l'assemblée, qui choisit sans distinction de nationalité les sept disciples que nomme saint Luc. Le premier et le plus considérable fut saint Étienne, dont la foi et la sagesse étaient connues de tous. Les sept élus furent surintendants, des six premiers et des veuves qui remplissaient ce charitable office, dont les grecques ne furent pas plus exclues que les autres, car on ne fit plus aucune attention à la nationalité, mais seulement à la vertu de chacune. Saint Étienne fut celui qui par sa sagesse et sa sainteté admirable contribua le plus à terminer ce différend, et qui apaisa aussitôt les murmures des Grecs, en portant les Hébreux à leur donner satisfaction, afin qu'ils vécussent . tous en bonne intelligence, comme enfants de notre Sauveur Jésus-Christ, et qu'ils agissent avec sincérité et charité, sans partialité et sans acception des personnes; ce qu'ils firent du moins pendant les quelques mois que le saint vécut encore. 191. Toutefois ce genre d'occupations n'empêcha pas saint Étienne de prêcher et de disputer avec les Juifs incrédules. Mais comme ils ne pouvaient ni lui donner la mort en secret, ni résister à sa sagesse en public, cédant à leur haine furieuse, ils suscitèrent contre lui de faux témoins qui l'accusèrent de blasphème 14 contre Dieu et contre Moïse (1), et qui dirent qu il ne cessait de parler contre le saint Temple et contre la loi, et d'assurer que Jésus de Nazareth détruirait l'un et l'autre. Et comme les faux témoins déposaient tout cela, et que le peuple était irrité contre lui par les faussetés qu'on lui imputait à dessein, on se saisit du saint et on l'emmena à la salle du conseil où étaient les prêtres comme juges de cette cause. Le président lui demanda devant tous si ces accusations étaient fondées (2), et en réponse le saint dit des choses inspirées par la plus haute sagesse, prouvant par les anciennes Écritures que Jésus-Christ était le véritable Messie qu'elles annonçaient. Et en terminant son discours il leur reprocha leur dureté et leur incrédulité avec tant de force et d'éloquence, que, se voyant dans l'impuissance de répondre, ils se bouchèrent les oreilles et grincèrent des dents contre lui. 192. La bienheureuse Vierge eut connaissance de la prise de saint Étienne, et aussitôt elle lui envoya un de ses anges avant qu'il arrivât devant les pontifes, avec ordre de l'animer de sa part au combat qui l'attendait. Saint Étienne lui répondit par le même ange qu'il allait avec la joie la plus vive confesser- la foi de son divin Maître, qu'il était bien résolu à donner, sa vie pour cette même foi, comme il l'avait toujours désiré, et qu'il la priait de, l'assister dans cette circonstance à titre de Mère et (1) Act., VI, 11, etc. - (2) Act., VII, 1. 15 de Reine très-clémente, et que la seule chose qui l'affligeât, c'était de n'avoir pu lui demander sa bénédiction pour mourir avec elle, suivant son voeu le plus cher, et qu'il la suppliait de la lui donner de sa retraite. Ces dernières paroles attendrirent extrêmement le coeur de la très-pure Marie, et elle aurait bien voulu l'assister en personne dans cette occasion, où le saint devait sacrifier sa vie pour la défense de l'honneur de son Dieu et de son Rédempteur. La très-prudente Mère se rendait compte des difficultés qu'il y avait d'aller par les rues de Jérusalem au moment où toute la ville était agitée, et plus encore de trouver le moyen de parler à saint Étienne. 193. Elle se prosterna et pria le Seigneur pour son bien-aimé disciple, représentant à sa divine Majesté le désir qu'elle avait de le favoriser à cette dernière heure. Et dans sa clémence le Très-Haut, qui est toujours attentif aux prières et aux désirs de son Épouse et de sa Mère, et qui voulait d'ailleurs rendre plus précieuse la mort de son fidèle serviteur et cher disciple Étienne, envoya du ciel une multitude d'anges, avec ordre de se joindre à ceux de l'auguste Marie, et de la transporter à l'instant à l'endroit où se trouvait le saint. Les anges s'empressèrent d'exécuter la volonté du Seigneur, et ayant placé leur Reine dans une nuée tout éclatante de lumière , ils la portèrent dans la salle du conseil où était saint Étienne , et où le grand prêtre achevait de l'examiner sur les accusations intentées contre lui. Cette apparition fut cachée à tous les assistants, excepté à saint Étienne, qui 16 vit devant lui en l'air la Reine de l'univers, revêtue de divines splendeurs et de gloire; il vit aussi les anges qui la tenaient suspendue dans la nuée. Cette faveur incomparable augmenta la flamme de l'amour divin et redoubla le zèle de l'honneur de Dieu en son défenseur Étienne. Et outre la nouvelle joie que lui causa la vue de la bienheureuse Marie, il arriva aussi que les splendeurs de notre grande Reine frappant le visage de saint Étienne, il en rejaillissait le plus vif éclat et une beauté ravissante. 194. De ce prodige vint l'attention avec laquelle les Juifs qui étaient dans cette salle regardèrent saint Étienne, comme il est rapporté dans le chapitre sixième des Actes, où saint Luc dit qu'ayant les yeux fixés sur le saint disciple, son visage leur parut semblable à celui d'un ange (1); car ils y voyaient sans doute quelque chose de surhumain. Dieu ne voulut point cacher à ces perfides Juifs cet effet de la présence de sa très-sainte Mère, afin que leur confusion fût plus grande si malgré un miracle si éclatant ils n'embrassaient point la vérité que saint Étienne leur prêchait. Mais ils ne connurent point la cause de cette beauté surnaturelle du saint, parce qu'ils étaient indignes de la connaître; et il n'était pas- même convenable de la découvrir alors : c'est pour cette raison que saint Luc ne l'a point indiquée non plus. La bienheureuse Marie adressa à saint Étienne des paroles vivifiantes et merveilleusement propres à le (1) Act., VI, 15. 17 consoler; elle ,assista en le comblant des bénédictions les plus douces et les plus abondantes, et en priant le Père éternel de le remplir de nouveau en ce moment de son divin Esprit. La prière de notre auguste Reine fut exaucée, et ce qui le prouve, c'est le courage invincible et la sublime sagesse avec lesquels saint Étienne parla aux princes des Juifs, et démontra l'avènement de Jésus-Christ en qualité de Sauveur et de Messie, commençant son discours dès la vocation d'Abraham jusqu'aux rois et aux prophètes du peuple d'Israël, et citant les témoignages irréfragables de toutes les anciennes Écritures. 195. A la fin de ce discours, en vertu des prières de la bienheureuse Marie qui était présente, et en récompense du zèle invincible de saint Étienne, notre Sauveur lui apparut du haut du ciel entr'ouvert, et Jésus-Christ se montra debout à la droite de son Père, pour marquer qu'il voulait soutenir son fidèle serviteur dans son combat. Saint Étienne leva les yeux su ciel, et s'écria : " Je vois les cieux ouverts a et leur gloire, et dans cette même gloire je vois n Jésus à la droite de Dieu (1). " Mais les Juifs perfides et endurcis prirent ces paroles pour un blasphème, et se bouchèrent les oreilles pour ne point les entendre. Et comme le blasphémateur, selon la loi, devait être lapidé, ils ordonnèrent qu'elle fût exécutée en la personne du saint. Alors ils se jetèrent sur lui avec la dernière violence; comme des loups (1) Act., VII, 55. ravissants, et le traînèrent hors de la ville avec de grands cris. Au moment où cette scène commençait, l'auguste Marie lui donna sa bénédiction; et l'ayant ainsi encouragé, elle le quitta en lui prodiguant de nouvelles marques de tendresse, et ordonna à tous les anges de sa garde de l'accompagner et de l'assister dans son martyre, jusqu'à ce qu'ils conduisissent son âme devant le Seigneur. Ensuite les anges qui étaient descendus du ciel pour la transporter auprès de saint Étienne, la ramenèrent au Cénacle, avec un seul des anges de sa garde. 196. Elle vit de là par une vision spéciale le martyre de saint Étienne dans toutes ses particularités; comment on le traînait hors de la ville avec de bruyantes vociférations, en le faisant passer pour un blasphémateur digne de mort; que Saul était un de ceux qui montraient dans cette exécution le plus d'emportement et d'ardeur (1), et qui, comme zélateur de la loi de Moïse, gardait les manteaux de tous ceux qui lapidaient saint Étienne. elle vit les pierres qu'on lui jetait, et qu'il y en avait quelques-unes qui pénétraient dans la tête du martyr, et qui y restaient toutes teintes de son sang. Grande et. profonde fut la compassion qu'un martyre si cruel inspira à notre Reine; mais plus grande encore fut la joie qu'elle eut de voir saint Étienne le recevoir si glorieusement. La compatissante Mère, voulant le secourir de son oratoire, priait pour lui avec beaucoup de (1) Act., VII, 57. 19 larmes, et quand l'invincible martyr sentit qu'il était près d'expirer, il dit : Seigneur, recevez mon esprit (1). puis, s'étant mis à genoux, il éleva la voix et ajouta : Seigneur, ne leur imputez point ce péché (2). La bienheureuse vierge s'associa aussi à ces prières avec une joie indicible de voir que le fidèle disciple imitait si parfaitement son Maître, priant pour ses ennemis et ses bourreaux, et remettant son esprit entre les mains de son Créateur et de son Rédempteur. 197. Saint Étienne expira accablé des pierres que lui avaient jetées les perfides Juifs, les Juifs, plus endurcis dans leur obstination que les pierres mêmes. Et à l'instant les anges de l'auguste Marie menèrent cette bienheureuse âme devant Dieu pour être couronnée d'honneur et de gloire éternelle. Notre Sauveur Jésus- Christ l'accueillit avec ces paroles de son Évangile : Mon ami, montez plus haut (3); venez moi, serviteur fidèle ; que si vous avez été fidèle en de petites choses qui ne font que passer, je vous récompenserai éternellement avec abondance (4) ; et je vous reconnaîtrai devant mon Père pour mon fidèle serviteur et mon ami, parce que vous m'avez confessé devant les hommes (5). Tous les anges, tous les patriarches et les prophètes et tous les autres bienheureux reçurent ce jour-là une nouvelle joie accidentelle, et félicitèrent le glorieux martyr de sa victoire, le reconnaissant pour les prémices de la passion du Sauveur, et pour (1) Act. VII, 58. - (2) Ibid., 50. - (3) Luc., XIV, 10. - (4) Matth., XXV, 21 et 23. - (5) Matth., X, 82. 20 le capitaine de ceux qui le suivraient dans la lice du martyre. Cette âme bienheureuse fut placée en un lieu de gloire fort éminent, et proche de la très- sainte humanité de notre Rédempteur Jésus-Christ. L'auguste Vierge participait à cette joie par la vision qu'elle avait de tout ce qui se passait; et pour en rendre des actions de grâces su Très-Haut, elle fit avec les anges divers cantiques à sa gloire. Les anges qui revinrent du ciel, où ils avaient laissé saint Étienne, témoignèrent à la divine Mère leur reconnaissance pour les faveurs qu'elle avait faites au saint, jusqu'à le placer dans la félicité éternelle dont il jouissait. 198. Saint Étienne mourut neuf mois après la Passion et la mort de notre Sauveur Jésus-Christ, le vingt-six décembre, le même jour que la sainte Église célèbre son martyre, et ce jour-là il achevait la trente-quatrième année de son âge : c'était aussi la trente-quatrième année de la naissance du Sauveur, et il s'était même déjà passé un jour de l'an trente-cinq. De sorte que saint Étienne naquit aussi le jour qui vient après celui de la naissance de notre Sauveur; il n'était plus âgé que des neuf mois qui s'écoulèrent depuis la mort de Jésus-Christ jusqu'à la sienne, et le jour de son martyre répondit à celui de sa naissance; tout cela m'a été déclaré. La prière de la très-pure. Marie et celle de saint Étienne méritèrent la conversion de Saul, comme nous le verrons plus loin. Et afin que cette. conversion fût plus glorieuse, le Seigneur permit que dès ce jour-là le 21 même Saul entreprit de, persécuter l',Église et de la détruire, en se signalant entre tous les Juifs dans la persécution qui s'éleva après la mort de saint Étienne, par la haine qu'ils avaient contre les nouveaux fidèles, comme je le dirai dans le chapitre suivant. Les disciples prirent le corps de l'illustre martyr (1), et lui donnèrent la sépulture, pleurant et gémissant de ce qu'ils étaient privés d'un homme si sage et si zélé pour la loi de grâce. J'ai un peu étendu mon récit, parce que j'ai connu la grande sainteté de ce premier martyr, et parce que c'était un fervent dévot de la bienheureuse Vierge, qui l'a couvert de son côté d'une protection toute spéciale. lnstrucion que la grande Reine des anges m'a donnée. 199. Ma fille, les mystères divins représentés et proposés ana sens terrestres des hommes ne font pas sur eux une vive impression, quand ils les trouvent dissipés et accoutumés aux choses visibles, et quand leur intérieur n'est point débarrassé des engagements du monde et des ténèbres du péché; car l'homme est de lui-même pesant et très-peu capable de s'élever aux choses célestes; et si, outre cette (1) Act., VIII, 2. 22 difficulté, qui lui est naturelle, il consacre toutes ses facultés à la recherche et à l'amour des choses apparentes, il ne peut que s'éloigner de plus en plus de la vérité; et accoutumé à l'obscurité, la lumière l'offusque (1). C'est pour cela que les hommes terrestres font si peu de cas des oeuvres merveilleuses du Très-Haut et de celles que j'ai faites et que je fais chaque jour pour eux. Ils foulent aux pieds les perles, et ne distinguent point le pain des enfants du grossier aliment des brutes. Tout ce qui est céleste et divin leur semble insipide, et répugne même à leur goût blasé par les plaisirs sensibles; ainsi ils sont incapables de comprendre les choses sublimes, et de profiter de la science de vie et du pain d'intelligence qu'elles renferment. 200. Mais le Très-Haut a bien voulu, ma très-chère fille, vous tirer de ce péril; il vous a donné la science et la lumière, et a perfectionné vos sens et vos puissances, afin que, fortifiée par la vertu de la divine grâce, vous fassiez une digne estime de ses oeuvres admirables, et jugiez sainement des mystères que je vous découvre. Et quoique je vous aie dit plusieurs fois que vous ne sauriez entièrement les pénétrer pendant la vie mortelle, vous n'en devez et pouvez pas moins, selon votre capacité, en faire une très-grande estime, tant pour vous instruire que pour m'imiter en mes oeuvres. Ma vie n'a été, même après que je me fus assise dans le ciel, à la droite de mon (1) I Cor., II, 14. 23 très-saint Fils, et que je fus revenue sur la terre, qu'un tissu de toute sorte de peines et de tribulations; cela vous fera comprendre que la vôtre doit passer par les mêmes vicissitudes, si vous voulez me suivre comme votre Mère, et apprendre à mon école le secret de la félicité. Ma conduite dans la direction des apôtres et de tous les fidèles était toujours prudente, toujours humble, toujours égale, exempte de partialité; vous y trouverez des règles qui vous serviront à vous comporter à l'égard de vos inférieures avec douceur, avec modestie, avec une humble gravité, et surtout sans acception de personnes. Une parfaite charité et une véritable humilité rendent tout cela facile à ceux qui gouvernent. En effet, si les supérieurs agissaient avec ces vertus, ils ne seraient point si absolus dans leur commandement, ni si attachés à leur propre sentiment; ils ne renverseraient point l'ordre de la justice avec un préjudice aussi notable que celui dont peut se plaindre aujourd'hui tonte la chrétienté : car l'orgueil, la vanité, l'intérêt, l'amour-propre et les considérations de la chair et du sang se glissent presque dans toutes les actions de. ceux qui ont quelque autorité, de sorte que tout,est perverti, et toutes les provinces sont livrées à l'injustice et à d'effroyables désordres. 201. Dans le zèle très-ardent que j'avais pour l'honneur de mon adorable Fils et que je déployais pour que l'on prêchât et défendit son saint Nom; dans la joie que j'éprouvais quand on accomplissait à cet égard sa divine volonté; et quand on faisait profiter 25 dans les âmes le fruit de sa Passion et de sa mort en étendant la sainte Église; dans les faveurs dont je comblai le glorieux martyr Étienne, parce qu'il était le premier qui offrait sa vie pour la foi de son divin Maître: en tout cela, vous trouverez, ma fille, de grands motifs de louer le Très- Haut pour toutes ses oeuvres admirables et dignes de vénération et de gloire; de m'imiter, et de bénir sa bonté infinie de la sagesse qu'elle me donna pour opérer en tout avec plénitude de sainteté et selon son bon plaisir. CHAPITRE XII. La persécution que souffrit l'Église après la mort de saint Etienne. - Ce que lit notre auguste Reine dans cette occasion, et comment Par ses soins les apôtres rédigèrent le symbole de la foi catholique. 202. En. ce même jour auquel saint Étienne fut lapidé et mis à mort, saint Lue rapporte qu'il s'éleva une grande persécution contre l'Église qui était à Jérusalem (1). Il ajoute expressément que (2) Saul la ravageait, cherchant par toute la ville ceux qui avaient embrassé la foi de Jésus-Christ pour les (1) Act., VIII, 1. - (2) Ibid., 3. 25 prendre et les mener devant les magistrats, comme il le fit à l'égard de beaucoup de fidèles, qui furent traînés en prison et maltraités, et dont plusieurs même reçurent la mort dans cette persécution. Et quoiqu'elle fût fort terrible à cause de la haine que les princes des prêtres avaient vouée à tous les imitateurs de Jésus-Christ, et parce que Saul se signalait entre tous par la violence avec laquelle il se portait le défenseur de la loi de Moïse, ainsi qu'il le dit lui-même, dans l'épître aux Galates (1) : néanmoins cette fureur des Juifs avait une autre cause secrète, dont ils ignoraient eux-mêmes le principe, tout en en sentant les effets. 203. Cette cause était le trouble de Lucifer et de ses démons, qui s'alarmèrent du martyre de saint Étienne, et par là redoublèrent leur rage contre les fidèles, et surtout contre la Reine et la Maîtresse de l'Église, l'auguste Marie. Le Seigneur permit, pour augmenter sa confusion, que ce dragon la vit quand les Anges la transportèrent auprès de saint Étienne. Lucifer ayant remarqué ce bienfait si extraordinaire, et frappé de la constance et de la sagesse de saint Étienne, se persuada que la puissante Reine en ferait autant en faveur des autres martyrs qui s'offriraient à mourir pour le nom de Jésus-Christ, ou du moins qu'elle les assisterait par sa protection, afin qu'ils ne craignissent ni les tourments ni la mort, mais qu'ils les subissent avec un courage invincible. Les tourments (1) Galat., I, 13. 26 et les douleurs étaient le moyen que le démon avait choisi pour intimider les fidèles et les retirer de la suite de notre Sauveur Jésus-Christ, s'imaginant que les hommes, qui sont si attachés à la vie et qui redoutent naturellement la mort et les douleurs, surtout quand elles sont extrêmes, pour, les éviter renonceraient à la foi, et que cet exemple déterminerait les autres à ne point l'embrasser. Le serpent se servit toujours de ce moyen; mais dans le progrès de l'Église il se trompa lui-même par sa propre malice, comme il s'était trompé le premier à l'égard du chef de tous les saints, notre Seigneur Jésus-Christ. 204. Mais comme alors l'Église était dans ses commencements, et que Lucifer se trouva si mal d'avoir irrité les Juifs contre saint Étienne, il en demeura tout confus. Quand il le vit mourir si glorieusement, il assembla ses démons et leur dit : " Je suis troublé par la mort de ce disciple, et par la faveur qu'il a reçue de cette femme, notre ennemie : car si elle fait la même chose pour les autres disciples et imitateurs de son Fils, il ne nous sera pas possible d'en vaincre aucun par le moyen des tourments et de la mort; cet exemple les excitera au contraire à souffrir et à mourir comme leur Maître; ainsi nous en viendrons à être vaincus par les moyens mêmes dont nous nous servons pour les vaincre; car pour notre propre tourment le plus grand triomphe qu'ils puissent remporter sur nous, c'est de sacrifier leur vie pour la foi que nous avons entrepris de détruire. Nous nous égarons dans 27 cette voie ; mais je rien trouve point d'antres pour persécuter ce Dieu incarné, sa Mère et leurs imitateurs. Est-il possible que les hommes soient si prodigues d'une vie qu'ils aiment si éperdument, et qu'étant si sensibles aux moindres douleurs ils se livrent eux-mêmes aux tourments les plus cruels pour imiter leur Maître? Mais certes, ce n'est point cela qui apaisera ma juste colère. Je ferai que d'autres hommes braveront la mort pour soutenir mes mensonges, comme ceux-ci la bravent pour les intérêts de leur Dieu. Tous ne mériteront pas la protection de cette femme invincible; et tons ne seront pas non plus assez courageux pour endurer des tourments aussi effroyables que ceux que j'inventerai. Allons donc, et irritons les Juifs nos amis contre cette race odieuse, afin qu'ils l'exterminent et qu'ils effacent de la terre le nom de son auteur. " 205. Lucifer exécuta aussitôt son exécrable dessein, et alla avec une multitude innombrable de démons trouver les princes et les magistrats des Juifs et les autres gens dit peuple qu'il reconnaissait les plus incrédules; il les remplit tous de confusion, d'envie et de rage contre ceux qui suivaient la loi de Jésus-Christ, et les enflamma par ses suggestions hypocrites d'un faux zèle pour la loi de Moïse et les antiques traditions de leurs ancêtres. Il ne fut pas difficile an démon de semer cette ivraie dans des coeurs si perfides et souillés par tant d'autres péchés; aussi la reçurent-ils avec une entière volonté. Bientôt ils tinrent plusieurs assemblées, dans lesquelles ils 28 proposèrent de se défaire d'un seul coup de tous les disciples et de tous les autres sectateurs de Jésus-Christ. Les uns disaient de les chasser de Jérusalem, les autres de les bannir de tout le royaume d'Israël ceux-ci opinaient qu'il fallait les faire périr tous ensemble, afin d'en finir en une fois avec cette secte; ceux-là enfin conseillaient de les condamner aux plus cruels supplices, pour intimider les autres et les empêcher par cet exemple de s'unir à eux, et de confisquer au plus tôt tous leurs biens, avant qu'ils pussent en remettre la valeur aux apôtres. Cette persécution fut si violente, au rapport de saint Luc, que les soixante-douze disciples s'enfuirent de Jérusalem , et furent dispersés dans la Judée et dans la Samarie (1), où ils prêchèrent néanmoins avec un zèle admirable. Les apôtres, l'auguste. Marie et d'autres fidèles demeurèrent dans Jérusalem ; mais, ils s'y tenaient cachés, et il y en eut plusieurs qui se blottirent dans les endroits les plus secrets, de peur de tomber entre les mains de Saul, qui les cherchait activement pour les prendre. 206. La bienheureuse Vierge, témoin attentive de tout ce qui se passait, commença, le jour même de la mort de saint Étienne, par donner ordre que son saint corps fût enseveli (car cela se fit aussi par ses soins), et demanda qu'on lui apportât une croix que le martyr avait sur lui. Il l'avait faite à l'imitation de cette même Reine; car après la descente du Saint-Esprit (1) Act., VIII, 1. 29 elle en porta une sur elle, et à son exemple les autres fidèles en portaient communément dans la primitive Église. Elle reçut cette croix de saint Étienne avec une vénération particulière, tant par rapport à la croix elle-même que parce que le martyr l'avait portée. Elle lui décerna le titre de saint, et ordonna de recueillir tout ce que l'on pourrait de son sang, et de le garder avec beaucoup d'estime et de révérence comme d'un martyr déjà glorieux. Elle loua sa sainteté et sa constance en présence des apôtres et de nombreux fidèles, pour les consoler et les animer par son exemple dans cette épreuve. 207. Pour se faire une idée de la magnanimité que notre grande Reine montra dans cette persécution, et dans les autres auxquelles l'Église fut en butte pendant le temps de sa très-sainte vie, il faut est quelque sorte récapituler les dons que le Très- Haut lui communiqua, en les réduisant à la participation ale ses divins attributs, participation aussi spéciale, aussi ineffable que l'exigeait le rôle de cette Femme forte en qui le coeur de l'Époux devait se confier entièrement (1), et qu'il allait charger de toutes les couvres au dehors que la toute-puissance de son bras avait faites; car il est certain que la très-pure Marie, en sa manière d'opérer, surpassait toutes les créatures; et la vertu avec laquelle elle agissait se rapprochait de la vertu de Dieu lui-même, dont elle paraissait être l'unique image. Elle connaissait toutes (1) Prov., XXXI, 11. 30 les oeuvres et toutes les pensées des hommes, et pénétrait tous les desseins et toutes les ruses des démons. Elle n'ignorait rien de ce qu'il convenait de faire dans l'Église. lit quoique tout cela fût réuni et renfermé dans son entendement, son intérieur ne se troublait point dans la disposition de tant de choses; les unes n'embarrassaient point les autres; elle ne se méprenait pas sur les moyens, et ne s'empressait point dans l'exécution; les difficultés ne la rebutaient point; elle n'était point accablée par la multitude des affaires; elle prenait soin de ceux qui étaient présents sans oublier les absents ; sa prudence n'était jamais en défaut, jamais au dépourvu, car elle paraissait immense; aussi s'appliquait-elle à toutes choses comme à une seule cri particulier, et veillait-elle aux besoins de chaque fidèle comme s'il eût réclamé seul la sollicitude de la divine Maîtresse. Semblable au soleil qui éclaire, vivifie et échauffe tout ce qui est sur la terre saris peine, sans lassitude, sans oubli, en conservant tout sou éclat, notre incomparable Reine, que le Seigneur avait choisie comme le Soleil pour son Église, la gouvernait, l'animait et vivifiait tous ses enfants sans en négliger aucun. 208. Quand elle vit l'Église si troublée, si persécutée et si affligée par la malice des démons et des hommes, qu'ils irritaient, elle se tourna aussitôt contre les auteurs de cette criminelle entreprise, et commanda avec empire à Lucifer et à ses ministres de descendre pour lors dans l'abîme, où ils furent à l'instant précipités par une force irrésistible, en poussant 31 des hurlements épouvantables: Ils y demeurèrent huit jours entiers comme enchaînés, jusqu'à ce qu'il leur fut permis de remonter de nouveau. Ensuite la bienheureuse Vierge appela les apôtres, les consola et les exhorta à être constants et à espérer le secours du Ciel dans cette tribulation; et ses paroles les décidèrent tous à ne point sortir de Jérusalem. Les disciples, qui s'éloignèrent parce qu'ils ne pouvaient, vu leur grand nombre, se cacher comme il était alors convenable, allèrent tous prendre congé de leur Mère et de leur Maîtresse, et lui demandèrent sa bénédiction. Elle les exhorta et les encouragea, leur prescrivant de ne point cesser, malgré cette persécution, de prêcher Jésus-Christ crucifié; et en effet, ils le prêchèrent dans la Judée, dans la Samarie et ailleurs. Dans les épreuves qu'ils curent à traverser, elle les secourut par le ministère des saints anges, qu'elle leur envoyait avec ordre de les animer et même de les porter, en cas de besoin , comme il arriva à Philippe sur le chemin de la ville de Gaza, quand il eut baptisé l'Ethiopien, l'un des serviteurs de la reine Candace, selon qu'il est rapporté mi chapitre huitième des Actes (1). Elle envoyait aussi les mêmes auges pour secourir les fidèles qui étaient à l'article de la mort; ensuite elle assistait dans le purgatoire les âmes qui y allaient. 209. Les inquiétudes et les peines des apôtres furent durant cette persécution plus grandes que (1) Act., VIII, 39. 32 celles des autres fidèles, parce qu'en leur qualité de maîtres et de fondateurs de l'Église, il fallait qu'ils l'assistassent tant à Jérusalem que dans les autres endroits où elle s'était établie. Sans doute ils étaient remplis de science et des dons du Saint-Esprit; néanmoins, l'entreprise était si ardue et les obstacles si puissants, qu'ils se seraient souvent trouvés arrêtés ou même refoulés, sans le conseil et le secours de leur auguste Maîtresse. C'est pourquoi ils la consul-, talent souvent; et selon les affaires qui survenaient, elle les convoquait et les réunissait pour délibérer, car elle seule pénétrait à fond les choses présentes et prévoyait avec certitude celles à venir; et d'après ses avis ils sortaient de Jérusalem et allaient où leur présence était nécessaire, comme il arriva à saint Pierre et à saint Jean, qui se rendirent à Samarie quand ils apprirent que cette ville avait reçu la parole de Dieu (1). l a bienheureuse Vierge, au milieu de toutes ces occupations et de toutes les tribulations des fidèles, qu'elle aimait et assistait comme ses enfants, ne maintenait dans un état immuable de tranquillité parfaite et conservait une sérénité d'esprit inaltérable. 210. Elle mettait dans ses actions un ordre tel, qu'il lui restait du temps pour se retirer plusieurs fois dans son oratoire; et quoique ses occupations extérieures ne l'empêchassent point de prier, elle se livrait dans sa solitude à divers saints exercices dont elle se réservait le secret. Elle se prosternait en terre, (1) Act., VIII, 14. 83 baisait la poussière, gémissait et pleurait pour le salut des mortels, et à la pensée de la perte de tant de personnes dont elle prévoyait la réprobation. La loi évangélique, l'image de l'Église et ses progrès, les peines et les tribulations que les fidèles devaient souffrir, tout cela était gravé dans son coeur, et elle s'en entretenait avec le Seigneur et le repassait dans son esprit, pour disposer toutes choses par cette lumière et cette science divine de la volonté sainte du TrèsHaut. C'était là où elle renouvelait cette participation de l'être de Dieu et de ses perfections, dont elle avait besoin pour tant de choses divines qu'elle opérait pour le bien et dans la direction de l'Église, sans en négliger aucune, les accomplissant toutes avec une telle plénitude de sagesse et de sainteté, que, simple créature, elle semblait toujours cesser de l'être. Eu effet, douée d'une sagesse incomparable dans ses pensées, très- prudente dans ses conseils, très-équitable et très juste dans ses jugements, très- sainte dans ses œuvres, véridique et sincère dans ses paroles, toujours d'une bonté parfaite et vraiment merveilleuse, elle était indulgente envers les faibles, douce et tendre envers les humbles, sévère et majestueuse envers les superbes. Sa. propre excellence ne l'élevait pas plus que l'adversité ne la troublait, et que les afflictions ne l'abattaient enfin elle était en tout la vivante image de son très-saint Fils agissant. 211. La très-prudente Mère considéra que les disciples s'étant séparés pour prêcher le nom et la foi de notre Sauveur Jésus-Christ, n'avaient aucune 34 instruction ni aucune règle explicite et déterminée pour prêcher une doctrine uniforme et concordante, et pour proposer à la créance des fidèles les mêmes vérités formellement exprimées. Elle sut, en outre, qu'il fallait que les apôtres se répandissent bientôt par tout le monde pour y étendre et établir l'Église par leur prédication , et qu'il était convenable qu'ils fussent tous d'accord sur la doctrine sur laquelle devait reposer toute la vie et toute la perfection chrétienne. La très- prudente Mère de la Sagesse crut que pour tout cela il fallait réduire en abrégé tous les mystères divins que les apôtres devaient prêcher et que les fidèles devaient croire, afin que ces vérités, rassemblées en peu d'articles, fussent pour tous plus faciles à apprendre; qu'autour d'elles toute l'Église fût unie sans aucune différence essentielle, et qu'elles fussent comme les colonnes inébranlables sur lesquelles s'élèverait l'édifice spirituel de cette nouvelle Église évangélique. 212. La bienheureuse, Vierge aspirant à la conclusion de cette affaire, dont elle connaissait l'importance, exposa ses désirs au même Seigneur qui les lui donnait, et persévéra plus de quarante jours dans cette prière, en l'accompagnant de jeûnes, de prosternations et d'autres saints exercices. Et de même que pour recevoir de Dieu la loi écrite, il fallut que Moise jeûnât et priât quarante jours sur la montagne de Sinaï, comme médiateur entre Dieu et le peuple (1), (1) Exod., XXXIV, 28. 35 de même pour la loi de grâce notre Sauveur Jésus-Christ fut auteur et médiateur entre son Père éternel et les hommes, et la très-pure Marie fut médiatrice entre les hommes et son très-saint Fils, afin que l'Église évangélique reçût écrite dans le coeur de ses enfants cette nouvelle loi, réduite à des articles de foi qui ne changeront point, qui ne péricliteront point dans cette même Église, parce qu'ils expriment des vérités divines et infaillibles. Un de ces jours, pendant sa prière, elle dit au Seigneur : " Souverain Roi, Dieu éternel, Créateur et Conservateur de tout l'univers, vous avez par votre clémence ineffable commencé l'œuvre magnifique de votre sainte Église. Or il n'est point conforme, Seigneur, à votre sa gesse infinie, de laisser imparfaites les couvres de votre puissante droite; élevez donc à sa plus haute perfection cette oeuvre que vous avez si glorieusement commencée. Que les péchés des mortels ne vous en empêchent pas, mon Dieu, puisque la voix de leur . malice ne crie pas si haut que la voix du sang et de la mort de votre Fils unique et du mien : le cri de ce précieux sang ne demande point vengeance comme la voix du sang d'Abel (1), mais il implore votre miséricorde pour ceux mêmes qui l'ont répandu. Jetez, Seigneur, les yeux sur les nouveaux enfants qu'il vous a engendrés, et sur ceux que votre Église aura dans les siècles à venir; remplissez de votre divin Esprit Pierre votre vicaire et les (1) Gen., IV, 10. 36 autres apôtres, afin qu'ils fixent dans l'ordre convenable les vérités sur lesquelles votre Église doit être établie, et que ses enfants sachent tout ce qu'ils doivent croire d'une croyance unanime." 213. Notre Sauveur Jésus-Christ descendit du ciel pour répondre à ces demandes de sa très-sainte Mère, et lui apparaissant avec une gloire immense, il lui dit : " Ma Mère et ma Colombe, soulagez-vous dans vos amoureuses peines, et satisfaites par ma pré sente et par ma vue les ardents désirs que vous a inspirent l'intérêt de ma gloire et l'agrandissement de mon Église. Je suis Celui qui puis et qui veux lui donner les secours nécessaires; et vous, ma Mère, vous êtes Celle qui pouvez me porter à lui départir mes faveurs : je ne refuserai rien à vos demandes et à vos désirs. " Pendant que le Seigneur lui adressait ces paroles, la bienheureuse Marie demeura prosternée, adorant la divinité et l'humanité de son Fils et de son Dieu véritable. Sa divine Majesté la releva aussitôt, et la remplit de joie et de consolations ineffables; elle lui donna sa bénédiction et la combla en outre de nouveaux dons de sa toute-puissante droite. Elle jouit quelque temps de ce bonheur de voir son adorable Fils, avec lequel elle eut des entretiens sublimes et mystérieux qui calmèrent les inquiétudes que lui causait son zèle pour l'Église, parce que sa divine Majesté lui promit de l'enrichir par son entremise de ses plus grands bienfaits. 214. Après la prière que notre Reine fit pour les apôtres, non-seulement le Seigneur lui promit de les 37 aider à définir exactement le symbole de la foi, mais il lui déclara aussi les termes, les paroles et les propositions dont ils devaient alors le composer. Cette très- prudente Dame connaissait tout, comme il a été plus amplement expliqué dans la seconde partie; mais en ce moment marqué pour la promulgation publique de ce qu'elle avait su si longtemps d'avance, le Seigneur voulut en pénétrer de nouveau le coeur très-pur de sa Mère Vierge, afin que de la bouche de Jésus-Christ lui- même sortissent les vérités infaillibles sur lesquelles son Église est établie. Il fallut aussi prévenir l'humilité de notre grande Dame, afin que par cette même humilité elle se conformât à la volonté de son très-cher Fils, en ce que dans le Credo elle devait s'entendre nommer Mère de Dieu et Vierge avant et après l'enfantement, tandis qu'elle vivait encore en la chair mortelle parmi ceux qui devaient prêcher et croire cette vérité divine. Mais elle pouvait bien entendre prêcher d'elle-même une si grande excellence sans aucune crainte, puisqu'elle avait mérité que Dieu regardât son humilité pour opérer en elle la plus grande de ses merveilles (1), et c'était une chose bien plus importante de savoir elle-même qu'elle était mère et vierge, que de l'entendre prêcher dans l'Église. 215. Notre Seigneur Jésus-Christ prit congé de sa bienheureuse Mère et s'en retourna à la droite de son Père éternel. Puis il inspira à son vicaire saint Pierre (1) Luc., I, 48. 38 et aux apôtres de rédiger ensemble le symbole de la foi universelle de l'Église. Par suite de cette inspiration ils allèrent trouver leur auguste Maîtresse pour conférer avec elle sur les avantages et la nécessité de la résolution à prendre à cet égard. On convint alors que l'on jeûnerait pendant dix jours et que l'on persévèrerait dans la prière, comme une affaire si importante le demandait, afin que les apôtres y fussent éclairés du Saint-Esprit. Ces dix jours passés, ainsi que les quarante jours pendant lesquels l'auguste Marie avait entretenu le Seigneur de cette même affaire, les douze apôtres se réunirent sous les yeux de leur Maîtresse, et alors saint Pierre leur tint ce discours : 216. " Mes très-chers frères, la divine miséricorde a daigné, par sa bonté infinie et par les mérites de notre Sauveur Jésus-Christ, favoriser sa sainte Église, en commençant à multiplier ses enfants d'une manière si rapide et si glorieuse, comme nous le voyons et l'expérimentons tous les jours. C'est dans ce but que son puissant bras a opéré tant de merveilles et de prodiges, qu'il les renouvelle chaque jour par notre ministère, nous ayant choisis (quoique indignes) pour les ministres de a sa divine volonté en cette oeuvre de ses mains, pour la gloire de son saint Nom. Avec toutes ces faveurs le Très- Haut nous a envoyé des tribulations et des persécutions du démon et du monde, afin a qu'elles nous servent à l'imiter comme notre Sauveur et notre Chef, et que la barque de l'Église, 39 munie de ce lest, gagne plus sûrement le port du a repos et de la félicité éternelle. Les disciples se sont répandus, à cause de la colère des princes des prêtres, dans les villes circonvoisines, où ils prêchent la foi de notre Rédempteur Jésus-Christ. Et il faudra que nous allions bientôt la prêcher par tout le monde, comme le Seigneur nous l'a ordonné avant de monter au ciel (1). Or, afin que nous prêchions et que les fidèles croient une seule et même doctrine (car la sainte foi doit être une, comme le baptême (2) dans lequel ils la reçoivent est un, il faut, à présent que nous sommes tous a assemblés au nom du Seigneur, que nous déterminions les vérités et les mystères qui doivent être proposés explicitement à tous les fidèles, afin qu'ils les croient avec uniformité parmi toutes les nations a du monde. C'est une promesse infaillible de notre Sauveur, que partout où seront deux ou trois personnes assemblées cri son nom , il se trouve là au milieu d'elles (3) ; comptons sur cette parole, et espérons fermement que soir divin Esprit nous assistera maintenant, pour qu'en son nom nous entendions et déclarions par un décret invariable les articles que la sainte Église doit recevoir, pour s'établir sur ces mêmes articles jusqu'à la fin du monde, puisqu'elle doit durer jusqu'alors. " 217. Tous les apôtres approuvèrent cette proposition de saint Pierre. Le même saint célébra aussitôt (1) Matth., XXVIII, 19. - (2) Ephes., IV, 5. - (3) Matth., XVIII, 20. 40 la messe, et communia la très-pure Marie et les autres apôtres; et, la messe achevée, ils se prosternèrent, adorant et invoquant le divin Esprit; la bienheureuse Vierge en fit de même. Et ayant demeuré quelque peu de temps en prière, ils entendirent un grand bruit comme quand le Saint-Esprit descendit la première fois sur tous les fidèles qui étaient assemblés, et it l'instant le Cénacle où ils étaient fut rempli de lumière et d'une splendeur admirable, et ils se trouvèrent tous illuminés et remplis du Saint-Esprit. Alors l'auguste Marie leur dit de prononcer et de déclarer chacun un mystère, ou ce que l'Esprit divin lui inspirait. Saint Pierre commença, et tous les autres continuèrent en cette forme : SAINT PIERRE. Je crois en Dieu, le Père tout-puissant, Créateur du ciel et de la terre. SAINT ANDRÉ. Et en Jésus-Christ, son Fils unique, notre Seigneur. SAINT JACQUES LE MAJEUR. Qui a été conçu du Saint -Esprit, qui est né de la Vierge Marie. SAINT JEAN. Qui a souffert sous Ponce Pilate, qui a été crucifié, qui est mort et qui a été enseveli. 41 SAINT THOMAS. Qui est descendu aux enfers, et le troisième jour est ressuscité des morts. SAINT JACQUES LE MINEUR. Qui est monté aux cieux, qui est assis à la droite de Dieu, le Père tout-puissant. SAINT PHILIPPE. Et qui de là viendra juger les vivants et les morts. SAINT BARTHÉLEMI. Je crois au Saint-Esprit. SAINT MATTHIEU. La sainte Église catholique, la communion des saints. SAINT SIMON. La rémission des péchés. SAINT THADDÉE. La résurrection de la chair. SAINT MATHIAS. La vie éternelle. Ainsi soit-il. 218. Ce symbole, que nous appelons vulgairement le Credo, fut rédigé par les apôtres après le martyre de saint Étienne, et avant que l'année de la mort de notre Sauveur fdt révolue. Dans la suite des temps 42 la sainte Église, pour confondre l'hérésie d'Arius et de plusieurs autres hérésiarques dans les conciles qu'elle a tenus contre eux, a expliqué d'une manière plus étendue les mystères que contient le Symbole des apôtres, et a composé le symbole ou le Credo que l'on chante à la messe. Mais ils sont tous deux une même chose en substance, et renferment les quatorze articles que nous propose la doctrine chrétienne pour nous initier à la foi avec laquelle nous sommes obligés de les croire pour être sauvés. Aussitôt que les apôtres eurent achevé de prononcer tout ce symbole, le Saint-Esprit l'approuva par une voix qui fut entendue au milieu de toute l'assemblée, et qui dit : Vous avez bien déterminé. Alors la grande Reine de l'univers et les apôtres rendirent des actions de grâces au Très-Haut, et elle leur en rendit aussi à euxm0mes de ce qu'ils avaient mérité l'assistance du divin Esprit pour parler comme ses organes avec tant de sagesse à la gloire du Seigneur et pour le bien de l'Église. Et pour mieux confirmer les fidèles par son exemple, la très- prudente Maîtresse se mit à genoux aux pieds de saint pierre, et protesta de son adhésion à la sainte foi catholique telle qu'elle est contenue dans le symbole qui venait d'être prononcé. Ce qu'elle fit pour elle-même et pour tous les enfants de l'Église; puis s'adressant à saint Pierre, elle lui dit : Seigneur, que je reconnais pour le vicaire de mon très-saint Fils, moi chétif vermisseau de terre, en mon nom et au nom de tous les fidèles de l'Église , je confesse et atteste entre vos mains tout ce que 43 vous venez de déterminer comme vérités infaillibles et divines de foi catholique, et dans mon adhésion à ces vérités, je bénis et loue le Très-Haut de qui elles procèdent. " Elle baisa la main au vicaire de Jésus-Christ et aux autres apôtres, étant la première qui fit profession expresse de la sainte foi de l'Église, après qu'ils en eurent déterminé les articles. Instruction que j'ai reçue de la grande Reine des anges. 219. Ma fille, je veux, pour votre plus grande instruction et pour votre consolation, vous découvrir, à propos de ce que vous avez écrit dans ce chapitre, d'autres secrets de mes œuvres. Je vous fais donc savoir que, depuis que les apôtres eurent composé le Credo, je le récitais plusieurs fois à genoux et avec le plus profond respect. Et lorsque je prononçais cet article : Qui est né de la Vierge Marie, je me prosternais avec tant d'humilité, de reconnaissance et de louange pour le Très-Haut, qu'aucune créature ne le saurait comprendre. En faisant ces actes , je pensais à tous les mortels au nom desquels je les offrais aussi, pour suppléer à l'irrévérence avec laquelle ils prononceraient des paroles si vénérables Et ç'a été par mon intercession que le Seigneur a inspiré à la sainte Église de dire si souvent dans l'office divin le Credo, le Pater noster, l'Ave Maria; ç'a été encore par cette 44 inspiration que dans les ordres religieux on a établi la coutume de s'incliner quand on les récite, et que tous les fidèles se mettent à genoux au Credo de la messe à ces paroles : Et incarnatus est, etc., afin que l'Église satisfît en partie à ce qu'elle doit au Seigneur pour lui avoir donné cette connaissance et pour les mystères si dignes de vénération et de reconnaissante que le Symbole contient. 220. Mes saints anges me chantaient aussi plusieurs fois le Credo avec tant d'harmonie et de douceur, que mon esprit se réjouissait dans le Seigneur; ou bien ils me chantaient l'Ave Maria jusqu'à ces paroles : Et Jésus, le fruit de vos entrailles, est béni. Et quand ils prononçaient ce très-saint Nom ou celui de Marie, ils faisaient une très-profonde inclination; et par là ils ne faisaient qu'exciter mes sentiments d'humilité amoureuse, et je m'abaissais au-dessous de la poussière, reconnaissant la grandeur de l'être de Dieu et la petitesse de mon être terrestre. O ma fille ! soyez donc bien pénétrée de la vénération avec laquelle vous devez prononcer le Credo, le Pater poster et l'Ave Maria, et prenez bien gardé de tomber dans l'irrévérence grossière que plusieurs fidèles commettent en cela. Ce n'est pas parce que, dans l'Église on dit fréquemment ces prières et ces divines paroles, qu'on doit perdre le respect qui leur est dd. Mais ce manquement téméraire vient de ce qu'on les prononce du bout des lèvres, sans penser ni réfléchir à ce qu'elles signifient et à ce qu'elles renferment. Pour vous, ma fille, je veux que vous en fassiez la 45 matière continuelle de votre méditation, c'est pour cela que le Très-Haut vous a donné ce gotlt si particulier que vous avez pour la doctrine chrétienne; et il est de son bon plaisir et du mien que vous la portiez sur vous et que vous la lisiez souvent, comme vous l'avez accoutumé et comme je vous le recommande de nouveau. Il faut que vous conseilliez à vos inférieures d'en faire de même, car c'est un ornement qui pare les épouses de Jésus-Christ, et tous les chrétiens devraient le porter avec eux. 221. Vous devez aussi regarder comme une leçon pour vous le soin que je pris de faim écrire. le Symbole de la foi aussitôt qu'il fut nécessaire dans la sainte Église. Car c'est une négligence fort blâmable que de connaître ce qui intéresse la gloire et le service du Très-Haut et le bien de la conscience, et de ne pas le mettre incontinent en pratique, ou de ne pas faire au moins tous ses efforts pour l'entreprendre. Quel sujet de confusion pour les hommes qui sont si diligents à se procurer toutes les choses temporelles quand il leur en manque quelqu'une, ils sont en des inquiétudes étranges; ils prient aussitôt le Seigneur de la leur envoyer selon leur désir, comme il arrive lorsqu'ils se trouvent privés de la santé ou des fruits de la terre, et même d'autres choses moins nécessaires, ou plus superflues et plus dangereuses, et cependant quand ils connaissent parmi toutes leurs obligations la volonté et le bon plaisir du Seigneur; ils fout semblant de ne pas comprendre, ou bien ils en différent l'exécution avec une injurieuse 46 insouciance. Or gardez-vous bien, ma fille, de tomber dans ce désordre. Et comme je m'appliquais avec tout le zèle possible à ce qu'il fallait faire pour les enfants de l'Église, tâchez, à mon imitation, d'être ponctuelle en tout ce que vous saurez être la volonté de Dieu, soit pour le bien de votre âme, soit pour le profit des âmes de votre prochain. CHAPITRE XIII. La bienheureuse Marie envoya le Symbole de la foi aux disciples et aux autres fidèles. - Ils firent de grands miracles par son moyen. - Les apôtres se partagèrent le monde. - Autres oeuvres de la grande Reine du ciel. 222. La très-prudente Vierge était aussi soigneuse, aussi vigilante dans le gouvernement de sa famille la sainte Église, que la mère et la femme forte dont la Sage a dit : qu'elle a considéré les sentiers de sa maison, pour ne point manger le pain de l'oisiveté (1). Notre grande Dame les considéra et les connut avec plénitude de science; et comme, tout en restant toujours ornée et revêtue de la pourpre dé la charité et de la blancheur éclatante de son incomparable (1) Prov., XXXI, 27. 47 pureté, elle n'ignorait rien, elle n'omettait rien de ce dont ses enfants et ses domestiques les fidèles pouvaient avoir besoin. Aussitôt que le Symbole des apôtres fut achevé, elle en fit de sa propre main d'innombrables copies, avec l'aide de ses saints anges qui l'assistaient et lui servaient de secrétaires, afin de le faire parvenir sans retard aux disciples qui se livraient à la prédication, disséminés dans la Palestine. Elle en envoya plusieurs copies à chacun d'eux, avec une lettre particulière par laquelle elle leur recommandait d'en garder un exemplaire, et de distribuer les autres aux fidèles, et les informait du mode et des moyens que les apôtres avaient pris pour composer ce symbole, destiné à être prêché et enseigné à tous ceux qui embrasseraient la foi, afin qu'ils le crussent et qu'ils le confessassent. 223. Comme les disciples étaient dispersés en divers endroits, les uns éloignés, les autres plus proches, elle envoya les copies du Symbole et sa lettre à ceux qui étaient plus près par la voie des autres fidèles, qui les leur remettaient; et elle les fit remettre à ceux qui étaient plus éloignés par le ministère de ses anges, qui apparaissaient et parlaient à la plupart des disciples; quant aux autres, auxquels ils ne se montraient pas, ils les leur laissaient toutes pliées entre les mains, produisant dans leur coeur des effets admirables; de sorte que par ces effets et par les lettres de notre auguste Reine ils savaient de quelle part leur venaient ces précieuses dépêches. Indépendamment de ces mesures qu'elle prit personnellement, 48 elle donna ordre aux apôtres de distribuer aussi dans Jérusalem et en d'antres endroits les copies du Symbole qu'ils avaient faites, d'inculquer aux fidèles la vénération qu'ils devaient avoir pour les très-sublimes mystères qu'il renfermait; de leur faire comprendre que le Seigneur lui-même l'avait dicté, en envoyant le Saint- Esprit, afin qu'il l'inspirât et l'approuvât, et de les instruire de ce qui s'était passé et de toutes les autres choses nécessaires, afin que tous sussent que c'était là la foi unique, invariable et certaine, que l'on devait embrasser, confesser et prêcher dans l'Église pour obtenir la grâce et la vie éternelle. 224. Par ces soins le Symbole des apôtres fut en très-peu de temps distribué à tous les fidèles de l'Église, parmi lesquels il produisit un fruit et répandit des consolations incroyables; car ils étaient, en général si fervents, qu'ils le reçurent avec la plus grande dévotion. Et le divin Esprit qui l'avait inspiré pour établir l'Église, le confirma aussitôt par,de nouveaux miracles, non-seulement par l'organe des apôtres et des disciples, mais aussi par le moyen de beaucoup d'autres fidèles. Il y en eut qui en ayant reçu les copies avec les sentiments d'une vénération toute particulière, reçurent le Saint-Esprit sous une forme visible qui venait sur eux avec une divine lumière. Cette lumière les environnait extérieurement, et, entre autres effets célestes, les remplissait d'une merveilleuse science. Ces prodiges allumaient chez les autres le plus ardent désir de posséder et, de révérer le Credo. Il y en eut aussi qui, en l'appliquant 49 sur les malades, sur les morts et sur les possédés, les guérissaient de leurs maladies, les ressuscitaient et en chassaient les démons. Entre autres faits miraculeux, il arriva un jour qu'un juif incrédule entendant un catholique qui récitait dévotement le Credo, entra en fureur et voulut le lui arracher des mains; mais avant de pouvoir exécuter ce détestable dessein, le juif tomba mort aux pieds du catholique. Et comme ceux qui recevaient alors le baptême . étaient tous des adultes, on leur prescrivait de faire leur profession de foi par la récitation du Symbole des Apôtres; et, à la suite de cette profession, le Saint-Esprit descendait visiblement sur eux. 225. On voyait aussi se perpétuer d'une manière manifeste le don des langues, que le Saint-Esprit accordait non-seulement à ceux qui l'avaient reçu le jour de la Pentecôte, mais à un grand nombre d'autres fidèles qui le reçurent depuis, et qui aidaient à prêcher et à catéchiser les néophytes; ainsi, quand ils s'adressaient à un auditoire composé de personnes de différentes nations, chacune d'elles les entendait en sa propre langue, quoiqu'ils ne parlassent que la langue hébraïque. Et lorsqu'ils instruisaient des gens appartenant à la même nation ou connaissant la même langue, ils se servaient de leur idiome, comme je l'ai rapporté plus haut en parlant. de la venue du Saint-Esprit le jour de la Pentecôte. Les apôtres faisaient encore beaucoup d'autres merveilles; car quand ils imposaient les mains sur les nouveaux convertis, ou qu'ils. les confirmaient en la foi, le Saint-Esprit 50 descendait aussi sur eux (1). Le Très-Haut opéra tant de miracles dans ces heureux commencements de l'Église, qu'il faudrait des volumes pour les écrire tous. Saint Luc a rapporté expressément dans les Actes des apôtres ceux qu'il était convenable de mentionner pour que l'Église ne les ignorât pas tous; mais, parlant de ces miracles en général, il dit seulement qu'il y en avait plusieurs (2), parce qu'il n'était pas possible de les renfermer tous dans une histoire si abrégée. 226. En apprenant, en écrivant tout cela, j'admirai la bonté libérale avec laquelle le Tout-Puissant envoyait si fréquemment le Saint-Esprit sous une forme visible sur les fidèles de la primitive Église. Pour diminuer mon étonnement, il me fut répondu les deux choses qui suivent : d'abord, que ce prodige ne faisait que montrer le prix que Dieu attachait, dans sa sagesse, dans sa bonté et dans sa puissance, à attirer les hommes à la participation de sa divinité dans la félicité et dans la gloire éternelle; et que, comme pour nous faire arriver à cette fin, le verbe éternel était descendu du ciel en nue chair visible, communicable et passible, de même la troisième personne descendit si souvent sur l'Église sous une autre forme visible, et de la manière la plus convenable, pour l'établir sur des fondements aussi solides et avec des témoignages de la toute-puissance du Très Haut et de l'amour qu'il a pour cette même Église. (1) Act., VIII, 17. - (2) Ibid., 6. 51 Et en second lieu, que dans ces commencements les effets méritoires de la passion et de la mort de Jésus-Christ, auxquels s'unissaient les prières et l'intercession de la très-pure Marie, étaient tout récents, et que par conséquent, dans l'acceptation du Père éternel, ils opéraient, pour ainsi dire, alors avec une plus grande force, parce que tous les péchés et tous les crimes que les enfants de l'Église ont commis depuis, ne s'étaient point encore interposés comme autant d'obstacles aux bienfaits du Seigneur et aux effusions de son divin Esprit, qui ne peut plus maintenant se manifester si souvent aux hommes qu'en la primitive Église. 227. Une année entière s'était écoulée depuis la mort de notre Sauveur, lorsque les apôtres résolurent, par une inspiration divine, d'aller prêcher la foi dans tout l'univers, parce qu'il était temps de faire connaître aux nations le nom de Dieu, et de leur enseigner le chemin du salut éternel. Et pour savoir la volonté du Seigneur quant à la distribution des royaumes et des provinces qui devaient échoir, en partage à chacun d'eux, ils convinrent, par le conseil de notre auguste Reine, de jeûner et de prier pendant dix jours consécutifs; car après avoir persévéré depuis l'Ascension jusqu'à la Pentecôte dans le jeûne et dans la prière polir se préparer à la venue du Saint-Esprit, ils observèrent cette sainte coutume dans les affaires les plus importantes. Ces pieux exercices accomplis, le dernier jour le vicaire de Jésus- Christ célébra la messe et communia la bienheureuse 52 Vierge et les onze apôtres, ainsi qu'il avait été fait lors de la rédaction du Symbole, et qu'il a été rapporté dans le chapitre précédent. Après la messe et la communion, ils restèrent tous avec la Reine du ciel dans la plus sublime oraison, invoquant spécialement le Saint-Esprit pour qu'il les assistât et leur découvrit sa sainte volonté dans cette affaire. 228. Saint Pierre prit ensuite la parole en ces termes : " Mes très-chers frères, prosternons-nous tous devant la divine clémence, et confessons de tout notre coeur et avec le plus profond respect notre Seigneur Jésus-Christ pour vrai Dieu, pour notre Maître et pour le Rédempteur du monde; professons hautement sa sainte foi telle qu'elle est contenue dans le symbole qu'il nous a donné par l'Esprit Saint, et offrons-nous à accomplir sa divine volonté. Ils le firent, récitèrent le Credo, et ajoutèrent tous ensemble avec le même saint Pierre: " Dieu éternel, nous, abjects vermisseaux, hommes misérables, que notre Seigneur Jésus-Christ a daigné, par sa seule bonté, choisir pour être ses ministres, et pour enseigner sa doctrine, prêcher sa sainte loi et établir son Église dans tout l'univers, nous nous prosternons en votre divine présence, unis de coeur et d'âme. " Afin d'accomplir votre volonté éternelle et sainte, a nous nous offrons à souffrir et à sacrifier notre vie pour la confession de votre sainte foi, pour l'enseigner, pour la prêcher dans le monde entier, comme notre adorable Maître Jésus-Christ nous l'a ordonné. Nous voulons, pour cette mission, nous 53 exposer à toutes sortes de peines, de tribulations et d'outrages, et braver même la mort s'il le faut. Mais nous méfiant de notre faiblesse , nous vous supplions, Seigneur, d'envoyer sur nous votre divin Esprit, afin qu'il nous gouverne et guide nos pas dans la voie droite, sur les traces de notre Maître, et afin qu'il nous communique une nouvelle force, et qu'il nous fasse connaître maintenant dans quels royaumes ou dans quelles provinces il sera plus agréable à votre divine volonté que nous nous dispersions pour prêcher votre saint Nom. " 229. Cette prière étant achevée, il descendit sur le Cénacle une lumière admirable qui les enveloppa tous, et l'on entendit une voix qui dit: Que mon vicaire Pierre assigne h chacun les provinces qui doivent faire son lot. Je le dirigerai et l'assisterai par ma lumière et par mon Esprit. Le Seigneur remit cette distribution à saint Pierre pour confirmer de nouveau dans cette circonstance l'autorité dont il l'avait investi comme chef et pasteur universel de toute l'Église, et afin que les autres apôtres sussent qu'ils la devaient établir dans tout l'univers, sous l'obéissance de saint Pierre et de ses successeurs, auxquels l'Église devait être soumise et subordonnée comme étant les vicaires de Jésus-Christ. C'est ce qu'ils comprirent tous, et il m'a aussi été découvert que ce fit là la volonté du Très-Haut. Et pour l'exécuter, saint Pierre ayant ouï cette voix, commença par lui-même la distribution des royaumes, et dit : " Moi, Seigneur, je m'offre à souffrir et à mourir en suivant mon Rédempteur et mon Maître, 54 et en prêchant son saint Nom; que ce soit maintenant dans Jérusalem, puis dans le Pont, la Galatie, la Bithynie et la Cappadoce, provinces de l'Asie; je fixerai ma résidence d'abord à Antioche, et ensuite à Rome, où j'établirai la chaire de notre Sauveur Jésus-Christ, afin que le chef de son Église y tienne sa place. " Saint Pierre dit cela, parce qu'il avait ordre du Seigneur de désigner l'Église romaine pour le siège et la capitale de toute l'Église universelle. Autrement saint Pierre n'aurait pas décidé de lui-même un point de si haute importance. 230. Saint Pierre poursuivit et dit : " Le serviteur de Jésus-Christ et notre très-cher frère André le suivra prêchant la sainte foi dans les pro vinces de la Scythie d'Europe, d'Épire et de Thrace, a et se fixant dans la ville de Patras, en Achaïe, il gouvernera toute cette province et les autres parties de son lot, autant que ce lui sera possible. Le serviteur de Jésus-Christ, notre très-cher frère Jacques le Majeur le suivra en la prédication de la foi dans la Judée, la Samarie et l'Espagne, d'où il reviendra vers cette ville de Jérusalem pour prêcher la doctrine de notre divin Maître. " Le très-cher frère Jean obéira à la volonté de notre Sauveur telle qu'il la lui a manifestée étant sur la croix. Il s'acquittera des devoirs d'un fils envers notre grande Dame. Il la servira et l'assister avec un respect et un dévouement filial; il lui administrera l'auguste sacrement de l'Eucharistie 55 et soignera aussi en notre absence les fidèles de Jérusalem. Et quand notre Dieu et notre Rédempteur aura appelé à lui dans le ciel la bienheureuse Mère, il suivra son Maître en la prédication dans l'Asie Mineure, dont il dirigera les Églises, en habitant durant la persécution l'île de Patmos. Le serviteur de Jésus-Christ et notre très-cher frère Thomas le suivra prêchant dans l'Inde et dans la Perse, aux Parthes, aux Mèdes, aux Hyrcaniens, aux Brachmanes, aux Bactriens. Il baptisera les trois rois Mages et les instruira de tout; car ils attendent d'être instruits, et ils le chercheront eux-mêmes, attirés par le bruit que feront sa prédication et ses miracles. Le serviteur de Jésus-Christ et notre très-cher frère Jacques le suivra étant pasteur et évêque dans Jérusalem, où il prêchera aux Juifs, et partagera avec Jean l'assistance et le service de la Mère de notre Sauveur. Le serviteur de Jésus-Christ et notre très-cher frère Philippe le suivra par la prédication et par l'instruction des provinces de Phrygie et de la Scythie d'Asie, et résidera dans la ville de Hiéropolis, en Phrygie. Le serviteur de Jésus-Christ et notre très-cher frère Barthélemi le suivra en Lycaonie, partie de Cappadoce, en l'Asie; il se rendra dans l'Inde citérieure, et de là dans l'Arménie mineure. Le serviteur de Jésus-Christ et notre très-cher 56 frère Matthieu enseignera d'abord les Hébreux, et ensuite il suivra son Maître en allant prêcher,en Égypte et en Éthiopie. Le serviteur de Jésus-Christ et notre très-cher frère Simon le suivra prêchant dans la Babylonie, dans la Perse, et aussi dans le royaume d'Égypte. Le serviteur de Jésus-Christ et notre très-cher frère Judas Thaddée suivra notre Maître prêchant dans la Mésopotamie, et ensuite il se joindra à Simon pour prêcher dans la Babylonie et dans la Perse. Le serviteur de Jésus-Christ et notre très-cher frère Mathias le suivra prêchant la sainte foi dans l'Éthiopie intérieure et dans l'Arabie; d'où il reviendra en Palestine; Que l'Esprit du. Très- Haut nous conduise et nous assiste tous, afin que nous fassions en tout lieu et en tout temps sa sainte et parfaite volonté; et qu'il nous donne maintenant sa bénédiction , lui au nom duquel je la donne à tous. " 231. Ainsi parla saint Pierre, et à peine avait-il cessé, qu'on entendit un très-grand bruit, et .le Cénacle fut tout rempli de lumière et de splendeur comme pour marquer la présence du Saint-Esprit. Et su milieu de cette lumière on ouït une voix douce et forte qui dit : Acceptez chacun le lot qui vous est échu. Ils se prosternèrent tous ensemble et dirent : " Souverain Seigneur, nous obéissons avec promptitude et avec allégresse à votre parole et à celle de votre vicaire; vos oeuvres ineffables remplissent notre esprit des douceurs de votre joie. " Cette soumission 57 si prompte que les apôtres témoignèrent au vicaire de notre Sauveur Jésus-Christ n'était sans doute qu'un effet de la charité avec laquelle ils brûlaient de mourir pour sa sainte foi; néanmoins, en cette circonstance, elle les disposa à recevoir une nouvelle visite du divin Esprit, pour être confirmés dans la grâce et dans les dons qu'ils avaient reçus auparavant, et pour être encore favorisés de plusieurs autres. Par de nouvelles illustrations ils connurent mieux toutes les nations et toutes les provinces que saint Pierre leur avait assignées; et en outre, chacun connut les coutumes particulières et la topographie des royaumes qui lui étaient tombés en partage, comme si on lui en eut tracé intérieurement une carte fort distincte et fort complète. Le Très-Haut leur octroya un nouveau don de force pour supporter toute sorte de peines et de fatigues; d'agilité pour parcourir tous les pays, bien que dans leurs voyages les saints anges dussent maintes fois les assister; et intérieurement ils se sentirent tous embrasés comme des. séraphins des flammes du divin amour, et élevés au-dessus de la condition de la nature. 232. La bienheureuse Reine des auges était témoin de toutes ces merveilles, et observait tout ce que la puissance divine opérait dans les apôtres et en elle-même; car dans cette occasion elle participa plus aux influences de la Divinité qu'eux tous ensemble : parce qu'elle était élevée à un degré très-éminent au-dessus de toutes les créatures, et c'est pour cela que 88 l'accroissement de ses dons devait être proportionné à son élévation , et surpasser tous les autres sans mesure. Le Très-Haut renouvela dans le très-pur esprit de sa Mère la science infuse de toutes les créatures, et notamment de tous les royaumes et de toutes les nations, dont les apôtres avaient aussi reçu une connaissance infuse. Elle sut ce qu'ils savaient, mais mieux et plus qu'eux , car elle eut une connaissance individuelle de toutes les personnes auxquelles ils devaient prêcher la foi de Jésus-Christ dans tous les royaumes; et grâce à cette science, elle était aussi su courant de tout ce qui se passait sur la terre, et en discernait aussi nettement tous les habitants, qu'elle savait ce qui se passait et voyait ceux qui entraient dans son oratoire. 233. Cette science lui appartenait comme étant la Maîtresse, la Mère et la Protectrice de l'Église, que le Tout-Puissant lui avait recommandée et confiée, comme je l'ai déjà dit et, comme je serai obligée de le répéter souvent dans la suite. Elle devait prendre soin de tous , depuis le plus grand en sainteté jusqu'au plus petit, et des misérables pécheurs enfants d'Ève. Et si personne ne devait recevoir aucun bienfait du Fils que ce ne fât par les mains de sa Mère, il fallait que cette très-fidèle Dispensatrice de la grâce connût tous ceux de sa famille, au salut desquels elle devait veiller comme une Mère, et comme quelle Mère! Notre auguste Reine avait reçu par infusion non-seulement les espèces et la compréhension de tout ce que j'ai dit, mais elle avait encore une 59 connaissance actuelle de tout ce qui arrivait lorsque les apôtres et les disciples prêchaient : ainsi elle découvrait toutes leurs peines, les périls dont ils étaient menacés, les piéges que le démon leur tendait, et les prières qu'eux et les autres fidèles lui adressaient afin qu'elle les secourût par les siennes, ou par le ministère de ses anges, ou par elle-même; car elle les assistait par tous ces moyens, comme nous le verrons dans la suite en plusieurs événements. 234. Je veux seulement faire remarquer ici, qu'outre cette science infuse que la bienheureuse Vierge avait de toutes choses par les espèces de chacune, elle en avait en Dieu une autre connaissance par la vision abstractive, en laquelle elle regardait continuellement la Divinité. Mais entre ces deux genres de science il y avait une différence; car quand elle regardait en Dieu les peines et les afflictions des apôtres et de tous les fidèles de l'Église, comme cette vision était si douce et une espèce de participation de la béatitude, elle ne causait point à la charitable Mère cette douleur sensible qu'elle éprouvait quand elle envisageait ces tribulations et ces peines en elles-mêmes; en cette dernière vision, elle sen affligeait et pleurait souvent avec une compassion maternelle. Et afin qu'elle ne fût point privée de ce mérite et de cette perfection , le Très-Haut lui accorda toutes ces connaissances dans le temps qu'elle était encore au nombre des voyageurs. Et au milieu de cette plénitude d'idées, d'images et de notions infuses, elle avait 60 sur ses facultés (comme je l'ai déjà dit) untel empire, qu'elle ne recevait de ces espèces nu images acquises que celles qui étaient absolument nécessaires pour l'usage de la vie, ou pour exercer quelque oeuvre de charité, ou pour la perfection des vertus. Enrichie de tous ces dons et parée de cette beauté qui éclatait aux yeux des auges et des saints bienheureux , la divine Mère leur était un objet d'admiration, en laquelle ils glorifiaient le Très-Haut pour la digne application qu'il faisait de tous ses attributs en la très-pure Marie. 235. Elle pria alors du fond de son âme, afin d'obtenir aux apôtres la persévérance, et la force durant leur prédication à travers le monde. Et le seigneur lui promit de les soutenir et de les assister pour faire éclater en eux et par eux la gloire de son Nom, et de leur donner à la fin une digne récompense de leurs peines et de leurs mérites. Cette promesse remplit la bienheureuse Marie de joie et de reconnaissance, et elle exhorta les apôtres à rendre des actions de grâces au Seigneur, et à partir avec allégresse et avec confiance pour aller travailler à la conversion du monde. Et leur ayant adressé plusieurs autres paroles consolantes et vivifiantes, elle se mit à genoux, les félicita de l'obéissance qu'ils avaient tous témoignée au nom de son très-saint Fils, et leur exprima de sa part la satisfaction que lui causait le zèle dont ils se montraient animés pour sa gloire et pour le bien des âmes à la conversion desquelles ils se sacrifiaient. Elle baisa la main à chacun des apôtres, 61 et leur promit d'intercéder pour eux auprès du Seigneur et de s'employer à les, servir; ensuite elle demanda leur bénédiction; selon sa coutume, et ils la lui donnèrent tous comme prêtres du Seigneur. 236. Quelques jours après que fut fait ce partage des provinces, ils commencèrent à sortir de Jérusalem, et d'abord ceux qui devaient prêcher dans les régions de la Palestine; et le premier fut saint Jacques le Majeur. Les autres demeurèrent plus longtemps à Jérusalem, parce que le Seigneur voulait qu'on y prêchât premièrement la foi de son saint Nom avec plus de force et plus d'abondance, et que les Juifs fussent en premier lieu appelés aux noces de l'Évangile, sils voulaient entrer dans la salle du festin; car en ce bienfait de la rédemption, ce peuple fut plus favorisé, quoique plus endurci et plus ingrat que les Gentils (1). Après cela les apôtres se dirigèrent vers les royaumes qui leur étaient tombés en partage, suivant les circonstances et les exigences du moment, se conduisant en cela par les inspirations de l'Esprit divin, le conseil de la bienheureuse Vierge et les ordres de saint Pierre. Mais avant, de quitter Jérusalem, ils allèrent, chacun à son tour, visiter les saints lieux, comme le Jardin, le Calvaire, le Sépulcre, le lieu de l'Ascension, Béthanie et les autres qu'il leur était possible de voir. Ils les parcouraient avec un respect extraordinaire, les arrosaient de leurs larmes et baisaient avec dévotion le sol que le Seigneur (1) Act., XIII, 46. 62 avait touché. De là ils se rendaient au Cénacle, honoraient ce saint lieu à cause des mystères qui y avaient été opérés, et prenaient enfin. congé de la Reine du ciel, en lui demandant de nouveau sa protection ; alors la bienheureuse Mère les congédiait en leur adressant quelques douces paroles pleines d'une vertu divine. 237. C'est au moment du départ des apôtres que la très-prudente Dame leur montra la plus admirable sollicitude maternelle, comme une véritable mère à ses enfants. Ainsi, en premier lieu, elle leur fit à chacun une tunique tissue, semblable à celle de notre Sauveur Jésus-Christ, d'une couleur entre le violet et le cendré, et pour les faire elle se servit du ministère de ses saints anges. De sorte que par ses soins les apôtres partirent habillés les uns comme les autres, et comme leur adorable Maître Jésus-Christ, parce qu'elle voulut qu'ils l'imitassent, et qu'on pût les reconnaître pour ses disciples jusqu'en leurs vêtements. Elle fit aussi douze croix de la hauteur des apôtres, et donna à chacun la sienne, afin qu'ils l'emportassent dans leurs voyages et dans leurs missions, tant pour rendre témoignage de ce qu'ils prêchaient, que pour leur consolation spirituelle dans leurs afflictions. Tous les apôtres conservèrent et portèrent ces croix jusqu'à leur mort. Et ce fut à cause des grandes louanges qu'ils disaient de la croix, que quelques tyrans prirent occasion de faire martyriser sur la même croix ceux qui eurent le bonheur d'y mourir. 238. La tendre Mère donna encore à chacun des 63 douze apôtres une petite boite de métal, quelle fit exprès, ayant mis dans chacune trois épines de la couronne de son très-saint Fils et quelques morceaux des langes dans lesquels elle avait enveloppé le Seigneur encore enfant, et du linge qui avait reçu son précieux sang en la Circoncision et eu la Passion. Elle gardait toutes ces reliques sacrées avec une vénération et une dévotion extrêmes, comme Mère et comme dépositaire des trésors du ciel. Quand elle voulut les remettre aux douze apôtres, elle les convoqua tous; et quand ils furent réunis en sa présence, elle leur dit avec une, majesté de Reine et une douceur de buire, que ces précieux gages quelle leur confiait, étaient le plus grand trésor qu'elle eût pour les enrichir dans leurs voyages, qu'ils leur rappelleraient vivement le souvenir de son très-saint Fils, et leur attesteraient l'amour que le même Seigneur avait pour eux, tant en qualité d'enfants qu'en qualité de ministres du Très-Haut. Puis elle les leur remit, et ils les reçurent versant des larmes de dévotion et de joie; ils rendirent mille actions de grâces à notre auguste Princesse pour ces faveurs, et se prosternèrent devant elle pour adorer ces reliques vénérables; après cela ils s'embrassèrent les uns les autres et se félicitèrent mutuellement du trésor inestimable qu'ils venaient de recevoir; et saint Jacques fut le premier qui partit pour aller commencer cette mission. 239. Mais, selon ce qui m'a été découvert, les apôtres prêchèrent non-seulement dans les provinces 64 que saint Pierre leur avait alors assignées, mais encore en plusieurs autres voisines de celles-là et plus éloignées de Jérusalem. Il ne faut pas en être surpris; car ils étaient maintes fois transportés d'un lien à un autre par le ministère des anges, soit pour prêcher l'Évangile , soit pour se consulter les uns les autres sur les difficultés qu'ils rencontraient, et surtout pour les aller proposer à saint Pierre, le vicaire de Jésus-Christ; ils étaient plus souvent encore transportés auprès de la bienheureuse Marie polir lui demander les conseils dont ils eurent besoin dans la difficile entreprise d'établir la foi dans des royaumes si différente, et parmi des nations si barbares. Et si, pour donner un peu de nourriture à Daniel, l'ange porta le prophète Habacuc jusqu'à Babylone (1l), il n'est pas étonnant que, par un miracle semblable, les apôtres fussent transportés sur les lieux où ils devaient prêcher Jésus-Christ, faire connaître la Divinité, et établir l'Église universelle pour le salut de tout le genre humain. J'ai dit ailleurs que, l'ange da Seigneur porta Philippe, l'un des soixante-douze disciples, de la route de Gaza jusqu'à Azot, comme le raconte saint Luc (2). Voilà les merveilles qui, avec une infinité d'autres que nous ignorons , furent convenables pour envoyer quelques hommes obscurs et pauvres à tant de royaumes , de provinces et de nations possédées du démon, et pleines des idolâtries, des erreurs et des abominations, dont le monde (1) Dan., XIV, 35. - (2) Act., VIII, 40. 65 était infecté quand le Verbe incarné vint pour le racheter. Instruction que la Reine des anges m'a donnée. 240. Ma fille, l'instruction que je vous donne datte ce chapitre est de vous engager avec toute mon autorité à pousser de profonds gémissements et verser des larmes amères, fût-ce des larmes de sang si vous en aviez, en songeant à la différence que présente la sainte Église entre son état actuel et ses commencements. Considérez comment l'or très-pur de la sainteté s'est obscurci (1), et comment la bonne couleur a été changée en perdant l'ancien éclat que lui avaient donné les apôtres, et par l'emprunt de couleurs fausses et étrangères employées pour couvrir la difformité et la confusion des vices qui ternissent si malheureusement la beauté de l'Église et y font régner une sombre horreur. Pour remonter au principe de cette vérité et la pénétrer à fond, il faut que vous renouveliez en vous la lumière que vous avez reçue pour connaître la. force et la violence avec lesquelles la Divinité tend à communiquer sa bonté et ses perfections à ses créatures. L'impétuosité du souverain Bien est si véhémente pour répandre ses (1) Then., IV, 1. 66 influences dans les âmes, que la volonté de l'homme qui doit les recevoir peut seule les arrêter par le libre. Arbitre dont il est doué; et lorsqu'elle repousse les effusions de la bonté infinie, elle la violente (selon votre manière de concevoir), et contriste en quelque sorte son amour immense dans les témoignages naturels de sa libéralité. Mais si les créatures ne l'empêchaient point et le laissaient opérer avec son efficace, il inonderait toutes les âmes de ses faveurs,, et les remplirait de la participation de son Être divin et de ses attributs. Il tirerait de la poussière ceux qui seraient tombés, et il enrichirait les pauvres enfants d'Adam, les délivrerait de leurs misères, les élèverait et les ferait asseoir parmi les princes de sa gloire (1). 241. Par là vous connaîtrez, ma fille, deux choses que la sagesse humaine ignore. L'une, c'est la complaisance que le souverain Bien prend en ces âmes qui, animées d'un zèle ardent pour sa gloire, travaillent par tous les moyens à ôter des autres âmes l'obstacle qu'elles ont mis par leurs péchés à ce que le Seigneur les justifie et leur communique tant de biens qu'elles peuvent recevoir de sa bonté immense, et dont le Très-Haut désire les enrichir. On ne saurait comprendre en la vie mortelle cette satisfaction que sa divine Majesté reçoit quand on liai aide en cette oeuvre de la conversion des âmes. C'est pour cela que le ministère des apôtres est si sublime, aussi bien que (1) I Reg., II, 8. 67 celui des prélats, des ministres et des prédicateurs de la parole divine, qui en cet office succèdent aux fondateurs de l'Église et qui travaillent à son agrandissement et à sa conservation ; car ils doivent tous être les coopérateurs et les exécuteurs de l'amour immense que Dieu a pour les âmes, qu'il a créées afin qu'elles participassent à sa Divinité. La seconde chose que vous devez considérer est la grandeur et l'abondance des dons et des faveurs que le pouvoir infini communiquerait aux âmes qui ne mettraient aucun empêchement à sa très-libérale bonté. Dans les commencements de l'Église évangélique, le Seigneur manifesta aussitôt avec éclat cette vérité, afin que les néophytes en eussent des preuves incontestables dans un si grand nombre de prodiges et de merveilles que le Très- Haut fit en faveur des premiers fidèles, lorsque le Saint-Esprit descendait si souvent sur eux avec des signes visibles, et dans les miracles que les croyants opéraient, ainsi que vous l'avez rapporté, avec les copies du Symbole, et enfin dans tant d'autres faveurs secrètes qu'ils recevaient du Seigneur. 242. Mais ce fut sur les apôtres et sur les disciples que sa sagesse et sa toute- puissance éclatèrent le plus, parce qu'ils n'apportaient aucun empêchement, aucun obstacle à la volonté éternelle du Très-Haut; ils furent les véritables instruments et les exécuteurs fidèles de son amour divin, les imitateurs de Jésus-Christ et les sectateurs de sa vérité; et c'est pour cela qu'ils furent élevés à une participation ineffable des attributs de Dieu lui-même, et en particulier de sa 68 science, de sa sainteté et de sa puissance, par laquelle ils firent et pour eux et pour les autres âmes des merveilles telles, que les mortels ne les sauraient jamais dignement exalter. Après les apôtres, il y eut d'autres enfants de l'Église qui leur succédèrent,.et qui reçurent de génération en génération (1) l'infusion de cette divine sagesse et de ses effets. Et sans parler maintenant des martyrs innombrables qui ont versé leur sang et donné leur vie pour la sainte foi, considérez les patriarches des ordres religieux; les grands saints qui s'y sont distingués en toutes les vertus; les docteurs, les évêques, les prélats et les hommes apostoliques dans lesquels la bonté et la toute-puissance de la Divinité se sont manifestées avec un si vif éclat, afin que les autres qui sont ministres du salut des âmes ne pussent se plaindre, si Dieu ne leur accordait plus à eux et à tous les fidèles les merveilles et les faveurs qu'obtenaient les premiers, et qu'il continue même pour ceux qu'il trouve capables d'en profiter. 243. Et afin que la confusion des mauvais ministres qui se trouvent aujourd'hui dans la sainte Église soit plus grande, je veux, ma fille, que vous sachiez que dans les desseins de la volonté éternelle par laquelle le Très-Haut a déterminé de communiquer ses trésors infinis aux âmes, il les a d'abord destinés directement aux prélats,, aux prêtres, aux prédicateurs et aux dispensateurs de sa parole divine, (1) Ps. XLIV, 17 69 afin qu'en ce qui dépendait de la volonté du même Seigneur, ils ressemblassent tous par la sainteté et la perfection plus aux anges qu'aux hommes, et qu'ils jouissent de plusieurs privilèges et de plusieurs exemptions de nature et de grâce entre les autres mortels , et que par ces bienfaits singuliers ils se rendissent dignes ministres du Très-Haut, s'ils ne renversaient point l'ordre de sa sagesse infinie, et s'ils correspondaient à la dignité à laquelle ils étaient appelés et choisis entre tous. Cette bonté immense est maintenant la même que dans la primitive Église; l'inclination qui porte le souverain Bien à enrichir les âmes n'est point changée et ne saurait l'être; sa clémence libérale n'est pas diminuée; l'amour qu'il a pour son Église est toujours au même degré; la miséricorde regarde les misères, et les misères sont aujourd'hui sans mesure; les cris des brebis de Jésus-Christ ne peuvent pas monter plus haut; il n'y a jamais eu un si grand nombre de prélats, de prêtres et de ministres. Cela étant, à qui doit-on attribuer la perte de tant d'âmes et la ruine du peuple chrétien? D'où vient qu'aujourd'hui non-seulement les infidèles n'entrent point dans le sein de la sainte Église, mais qu'ils la persécutent et la désolent? Pourquoi les prélats et les ministres ne brillent-ils pas, et Jésus-Christ ne brille-t-il pas en eux comme dans les siècles passés et dans la primitive Église? 244. O ma fille ! je vous exhorte à pleurer sur cette perdition. Voyez comme les pierres du sanctuaire sont dispersées aux carrefours de toutes les 70 rues (1) ! Considérez comme les prêtres du Seigneur se sont rendus semblables au peuple (2), lorsqu'ils devaient le sanctifier et le rendre semblable à eux-mêmes La dignité sacerdotale et ses riches et précieux ornements de vertus ont été souillés par le contact impur des mondains; les oints du Seigneur, expressément consacrés à son seul culte, ont dégénéré de leur divine noblesse; ils ont perdu l'honneur de leur rang pour le ravaler à des actions viles, indignes de leurs éminentes fonctions parmi les hommes. Ils embrassent la vanité; ils se laissent entraîner à l'avarice et à la cupidité; ils soignent leurs intérêts; ils aiment l'argent, et mettent toute leur, espérance dans les trésors; ils s'abaissent jusqu'à flatter et servir les mondains et les puissants, et même les femmes : et parfois ils ne font pas difficulté d'assister aux,assemblées et aux conseils d'iniquité. A peine y a t-il une brebis du troupeau de Jésus-Christ qui connaisse en eux la voix de son pasteur, et qui trouve la nourriture salutaire de la vertu et de la sainteté dont ils devraient être les maîtres. Les petits demandent du pain, et il n'y a personne qui leur en distribue (8). Et quand on le fait par intérêt ou par manière d'acquit, si la main est lépreuse, comment donnera-t-elle l'aliment salutaire au nécessiteux et au malade? Et comment le suprême Médecin lui confiera-t-il le remède dont dépend la vie? Si ceux qui doivent être les intercesseurs et les médiateurs se trouvent (1) Thren., IV, 1. - (2) Isa., XXIV, 2. - (3) Thren., IV, 4. 71 coupables des plus grands péchés, comment obtiendront-ils miséricorde pour ceux qui en ont de moindres ou de semblables? 245. Telles sont les causes pour lesquelles les prélats et les prêtres ne font pas dans ces temps les merveilles que faisaient les apôtres et les disciples de la primitive Église et les autres qui ont imité leur vie avec un zèle ardent pour l'honneur du Seigneur et pour la conversion des âmes. Par la même raison, les trésors de la mort et du sang dé Jésus-Christ, que le même Seigneur a laissés dans l'Église ne profitent ni dans ses prêtres et dans ses ministres, ni dans les autres mortels; car si eux-mêmes les méprisent. et n'en tirent aucun fruit, comment les distribueront-ils avec utilité aux autres enfants de cette famille? C'est encore pour cela que les infidèles ne se convertissent point maintenant à la véritable foi , comme les infidèles de ce temps-là, quoiqu'ils se trouvent sous les yeux des princes ecclésiastiques, des ministres et des prédicateurs de l'Évangile. Aujourd'hui l'Église est plus riche que jamais de biens temporels, de rentes et de possessions; les hommes devenus savants par l'étude y fourmillent, elle dispose de grandes prélatures et de toute sorte de dignités. Or, si ce sont là des bienfaits, on les doit tous au sang de Jésus-Christ; on devrait donc les employer tous à son honneur et à son service, à la conversion des âmes, à l'entretien de ses pauvres, aux besoins de son culte sacré, et à la glorification de son saint Nom. 246. Cet emploi se fait-il? que l'on compte les 72 captifs que les rentes des églises servent à racheter, les infidèles qui se convertissent, les hérésies que l'on extirpe; que l'on compte aussi les sommes qui sont tirées des trésors ecclésiastiques pour des couvres semblables! Puis, que l'on compte les palais que l'on a bâtis avec ces richesses, les majorats que l'on a fondés, les tours superbes que la vanité a construites! Et, chose plus déplorable ! que l'on voie les usages profanes ou même criminels auxquels certains ministres des autels consacrent ces trésors, déshonorant le souverain Prêtre Jésus-Christ, et vivant aussi éloignés de son imitation et de celle des apôtres, auxquels ils ont succédé, que les hommes les plus mondains vivent éloignés du même Seigneur. Et si la prédication des dispensateurs de la parole divine est morte et sans vertu pour vivifier les auditeurs, il faut en attribuer la faute, non à la vérité et à la doctrine des saintes Écritures, mais au mauvais usage que les ministres en font avec leurs intentions perverses. Ils remplacent la fin de la gloire de Jésus-Christ par la recherche de leur propre honneur et des vains applaudissements, ils subordonnent le bien spirituel des âmes aux vils calculs de l'intérêt, et, pourvu qu'ils atteignent leur double but, ils ne se soucient point de tirer aucun autre fruit de leur prédication. C'est pourquoi ils ôtent à la saine et sainte doctrine la sincérité et la pureté (et quelquefois même la vérité) avec lesquelles les auteurs sacrés l'ont établie et les saints docteurs l'ont expliquée: ils la réduisent à des subtilités de leur propre invention , qui causent plus 73 d'admiration ou de plaisir que dé profit aux auditeurs. Et lorsqu'elle arrive si altérée aux oreilles des pécheurs, ils y reconnaissent plutôt le produit du génie du prédicateur que la charité de Jésus-Christ; et ainsi, elle n'a ni vertu ni efficace pour pénétrer les coeurs, quoiqu'elle soit fort habile à chatouiller les oreilles. 247. Ne soyez point surprise, ma très-chère fille, de ce que, pour châtier ces vanités et ces abus et plusieurs autres que le monde n'ignore point, la justice divine ait tellement abandonné les prélats, les ministres et les prédicateurs de sa parole; et de ce que l'Église catholique, qui avait dans ses commencements monté si haut, soit maintenant descendue si bas. Que s'il y a quelques prêtres et quelques ministres qui soient exempts de ces vices si déplorables, l'Église a encore cette obligation à mon très-saint Fils, dans un temps où il est si offensé et si délaissé par tous. Le Seigneur est très-libéral envers ces bons, mais le nombre en est bien petit, comme le témoigne la ruine du peuple chrétien et le mépris dans lequel sont tombés les prêtres et les prédicateurs de l'Évangile : car si les ministres parfaits, si les zélateurs du salut des âmes étaient, nombreux, nul doute que les pécheurs réformassent leur vie et leurs moeurs , que beaucoup, d'infidèles se convertissent; nul doute que les fidèles regardassent et entendissent avec vénération et avec une sainte crainte les prédicateurs, les prêtres et les prélats, et les respectassent à raison de leur dignité et de leur sainteté, et non à. raison de 74 l'autorité et du faste par lesquels ils cherchent à imposer une espèce de crainte révérencielle toute mondaine, tout extérieure et sans aucun profit. Ne soyez ni fâchée ni inquiète, ma fille, d'avoir écrit tout cela, car ils savent eux-mêmes qu'il n'y a rien là qui ne soit vrai; vous ne l'écrivez, d'ailleurs point par votre volonté, mais par mon ordre, afin que vous le déploriez et que vous conviiez le ciel et la terre à s'associer à votre douleur; car il y a très-peu de chrétiens qui s'en affligent; et c'est la plus grande injure que le Seigneur reçoive de tous les enfants de son Église. CHAPITRE XIV. La conversion de saint Paul. -Comment la bienheureuse Marie y concourut. - Quelques autres mystères cachés. 248. Notre mère la sainte Église, dirigée par l'Esprit divin, célèbre la conversion de saint Paul comme tut des plus grands miracles de la loi de grâce, et pour la consolation universelle des pécheurs, puisque de persécuteur, de calomniateur et de blasphémateur du Nom de Jésus-Christ, comme l'Apôtre le dit lui-même (1), il devint apôtre par la divine (1) Tim., I, 13 75 grâce, après avoir obtenu une abondante miséricorde. Notre auguste Reine concourut si puissamment à la lui faire obtenir, que nous ne pouvons pas refuser à son histoire cette rare merveille de la toute-puissance. Mais on en appréciera mieux la grandeur quand on connaîtra l'état de saint Paul pendant qu'il s'appelait Sauf, et qu'il était persécuteur de l'Église, ainsi que les motifs qui le portèrent à se déclarer le défenseur si ardent de la loi de Moïse, et l'ennemi juré de celle de notre Seigneur Jésus-Christ. 249. Saint Paul eut deux principes qui le rendirent si attaché au judaïsme. L'un était son propre naturel, l'autre fut l'influence active du démon, qui en devina les ressources. Saul avait naturellement le coeur grand, magnanime, généreux, énergique, dévoué, et il apportait à ce qu'il entreprenait autant de zèle que de constance. Il avait acquis plusieurs vertus morales et se faisait gloire de professer hautement et de connaître à fond la loi de Moïse, quoiqu'en fait il fût ignorant, comme il le confesse lui-même à son disciple Timothée (1), parce que toute sa science était humaine et terrestre, et qu'il entendait la loi comme la plupart des Israélites , seulement à la lettre, et non d'après l'esprit, et sans la lumière divine qui est nécessaire pour en comprendre le vrai sens et pour en pénétrer les mystères. Mais comme son ignorance lui semblait une véritable science, et qu'il était tenace dans ses idées, il se posait en zélateur ardent des (1) I Tim., I, 13. 76 traditions des rabbins, (1), il regardait comme une chose aussi absurde qu'odieuse qu'on vint publier à l'encontre des docteurs et de Moïse (il le pensait ainsi) une loi nouvelle, inventée par un homme crucifié à cause dé ses crimes; tandis que Moïse avait reçu sur la montagne sa loi de la main de Dieu lui-même (2). Il en conçut une grande horreur pour Jésus-Christ, pour sa loi et pour ses disciples. Ses propres vertus morales (si on peut les appeler vertus, étant sans la véritable charité) servaient à lui raire illusion; car elles lui inspiraient une grande présomption , et il se flattait d'éviter l'erreur; comme il arrive à plusieurs enfants d'Adam qui se complaisent en eux-mêmes quand ils font quelque action vertueuse, et qui, dans cette vaine satisfaction, ne songent pas à réformer en eux des vices énormes. Saul vivait, agissait soifs l'empire de ces illusions, se prévalant obstinément de l'antiquité de sa loi mosaïque, qu'avait établie Dieu lui-même, dont il croyait défendre l'honneur avec un juste zèle, pour n'avoir pas entendu cette loi; qui dans les cérémonies et dans les figures était temporelle, et non éternelle : c'est pourquoi il fallait nécessairement, qu'il y eût un autre législateur plus puissant et plus sage que Moïse, :comme lui-même le dit (3). 250. Au zèle indiscret et au caractère impétueux de Saul se joignit, pour l'irriter davantage contre la. loi de notre Sauveur Jésus-Christ, la malice de Lucifer (1) Galat., I, 14. - (2) Exod., XXXIV, 2. - (3) Deut., XVIII, 15. 77 et de ses compagnons. J'ai parlé plusieurs fois dans le cours de cette histoire des moyens infernaux que le dragon inventait contre la sainte Église. Et un de ces moyens fut de chercher des hommes qui eussent des inclinations et des moeurs en rapport avec ses desseins, pour s'en servir comme d'instruments et d'exécuteurs dé sa méchanceté. Car quoique le même Lucifer et ses démons puissent par eux- mêmes tenter en particulier les âmes, ils ne sauraient déployer ici-bas publiquement leur étendard, et se mettre à la tête d'une secte ou d'un parti contre Dieu, sans se cacher derrière un homme capable de s'attirer des sectateurs aussi aveuglés et aussi insensés que leur chef. Ce cruel ennemi était furieux à la vue des heureux commencements de la sainte Église; il craignait ses progrès, et se consumait d'envie en voyant que les hommes d'une nature inférieure à la sienne étaient élevés à la participation de la Divinité et de la gloire, dont il s'était rendu indigne par son orgueil. Il reconnut les inclinations de Saul, ses habitudes, ses goûts, l'état de sa conscience; et tout dans cet auxiliaire lui parut s'accommoder fort aux désirs qu'il avait de détruire l'Église de Jésus-Christ par la main d'autres incrédules disposés à suivre ses impulsions. 251. Lucifer communiqua son inique dessein aux autres démons dans un conciliabule particulier qu'il tint pour ce sujet; et il y fut décidé d'un commun accord que le dragon lui-même et plusieurs de ses satellites accompagneraient Saul sans le quitter un instant, et qu'ils lui suggèreraient des idées et des sentiments 78 conformes à l'animadversion qu'il se sentait contre les apôtres et contre le troupeau de Jésus-Christ tout entier; ils ne doutaient pas qu'il les écoutât tous , puisqu'ils l'attaqueraient par son côté faible, et qu'ils l'irriteraient par des motifs colorés d'une fausse apparence de vertu. Le démon se mit aussitôt à l'oeuvre. Saul était bien opposé à la doctrine de notre Sauveur dès le temps auquel le Seigneur la prêchait lui-même; néanmoins, tant que sa divine Majesté vécut dans le monde, il ne se fit point connaître comme zélateur aussi fougueux de la loi de Moïse et comme adversaire aussi implacable de celle du Sauveur; ce fut à la mort de saint Étienne qu'il découvrit la haine que le dragon infernal avait allumée en lui contre les imitateurs de Jésus-Christ. Et comme dans cette occasion cet ennemi trouva le coeur de Saul si disposé à recevoir et à suivre ses mauvaises impulsions, il s'applaudit tellement d'avance du succès de sa malice, qu'il s'imagina n'avoir plus rien à souhaiter, et que cet homme se prêterait à toutes les méchancetés qu'il lui proposerait. 252. Dans cette confiance impie, Lucifer prétendit que Saul ôtât lui-même la vie à tous les apôtres, et ce qui est encore plus horrible, qu'il en fit de même à l'égard de la bienheureuse Marie. L'orgueil du cruel dragon alla jusqu'à cette folie. Mais il se trompait Saul était d'un caractère trop noble et trop généreux. Aussi lui parut-il, au premier examen de ce projet diabolique, qu'il serait indigne de son honneur et de sa personne de commettre une pareille trahison et d'agir comme un homme de néant, tandis qu'il pouvait, 79 croyait-il, détruire la loi de Jésus-Christ avec les armes de la raison et de la justice. Il eut encore une plus grande horreur d'attenter à la vie de sa très-sainte Mère, à cause des égards qui lui étaient dus en qualité de femme. Il l'avait vue si modeste et si constante au milieu des peines et dans le cours de la Passion de Jésus-Christ, qu'il la regardait depuis ce temps-là comme une femme grande et digne de vénération ; ainsi il la respectait, et il éprouvait même une certaine compassion de ses douleurs et de ses afflictions, que tout le monde savait avoir été extrêmes. C'est pour cette raison qu'il ne voulut rien entreprendre contre l'auguste Vierge, malgré les odieuses suggestions du démon. Et cette compassion qu'eut Saul des peines de notre auguste Reine lui servit beaucoup à avancer sa conversion. Il ne voulut pas davantage recourir à la trahison contre les apôtres, quoique Lucifer la lui présentât sous de spécieux prétextes, comme une chose digne de son courage. Mais, dédaignant ces moyens iniques, il se promit de se signaler entre tous les Juifs par l'acharnement avec lequel il persécuterait l'Église jusqu'à la détruire et abolir le nom de Jésus-Christ. 253. Le dragon et ses ministres furent satisfaits de cette résolution de Saul, n'en pouvant pas obtenir davantage. Et afin que l'on connaisse la haine qu'ils ont contre Dieu et contre ses créatures, je dois dire qu'ils tinrent ce même jour un autre conciliabule pour aviser aux mesures qu'ils pourraient prendre pour conserver la vie de cet homme, qu'ils trouvaient si 80 propre à exécuter leurs desseins. Ces cruels ennemis savent très-bien qu'ils n'ont nulle juridiction sur la vie des hommes, et qu'ils ne peuvent ni la leur donner ni la leur ôter, à moins que Dieu ne le leur permette dans quelque cas particulier; cependant ils voulurent dans cette occasion devenir les médecins et les tuteurs de la vie et de la santé de Saul, pour les lui conserver autant que cela pouvait dépendre d'eux, en le poussant à se garder de ce qui était nuisible et à user de ce qui était le plus salutaire, et en faisant servir d'autres choses naturelles à la conservation de sa santé. Mais avec toutes ces précautions ils ne purent point empêcher que la divine grâce n'opérât en Saul, lorsque celui qui en est l'auteur le jugea à propos; d'ailleurs les démons étaient si loin de supposer que Saul pût en devenir le trophée, qu'ils n'eurent jamais le moindre doute qu'il reçût la loi de Jésus-Christ, et que la vie qu'ils tâchaient de conserver dût se prolonger pour leur ruine et pour leur plus grand tourment. Ce sont là les oeuvres de la sagesse du Très-Haut, qui laisse le démon s'abuser dans ses conseils d'iniquité, afin qu'il tombe dans la fosse qu'il creuse et dans le piège qu il tend sous les pas de Dieu (1), et que toutes ses machinations ne servent qu'à l'accomplissement de sa divine volonté, à laquelle ce rebelle ne saurait résister. 254 Le Seigneur disposait par ce grand conseil de sa très-haute sagesse, que la conversion de Saul fût et plus admirable et plus glorieuse. C'est pourquoi il (1) Ps., LVI, 7 81 permit que Saul, incité par Lucifer, allât, à l'occasion de la mort de saint Étienne , trouver le prince des prêtres, respirant la menace et le meurtre des disciples du Seigneur qui s'étaient dispersés hors de Jérusalem (1), et lui demander des pouvoirs pour les prendre partout où il les trouverait, et les amener prisonniers à Jérusalem. A l'appui de sa demande, Saul offrit sa personne , son bien et sa vie, et promit de faire ce voyage à ses dépens, pour défendre la loi de ses pères et pour empêcher que' la nouvelle loi que les disciples du Crucifié prêchaient, ne prévalût contre elle. Ces avances déterminèrent facilement le souverain prêtre et les membres de son conseil à accueillir les propositions de Saul , et ils lui donnèrent sur-le-champ une ample commission avec diverses lettres, notamment pour Damas; parce qu'ils avaient appris que quelques-uns des disciples s'y étaient retirés, après avoir quitté Jérusalem. Saul se disposa à partir accompagné d'un certain nombre de satellites de la justice et de soldats. Mais sa principale escorte consistait en plusieurs légions de démons, qui sortirent de l'enfer pour l'assister dans cette entreprise, s'imaginant qu'avec de pareilles mesures ils viendraient à bout de l'Église, et que Saul la mettrait à feu et à sang. Et c'était véritablement son intention et le désir que Lucifer et ses ministres lui inspiraient aussi bien qu'à tous ceux qui le suivaient. Mais laissons-le maintenant sur la route de Damas, où il se rendait pour (1) Act., IX, 1. 82 prendre dans les synagogues de cette ville tous les disciples de Jésus-Christ. 255. La grande Reine de l'univers n'ignorait rien de tout cela; car outre la science et la vision avec laquelle elle pénétrait jusqu'à la moindre pensée des hommes et des démons, les apôtres lui donnaient souvent avis de tout ce qu'on faisait contre les imitateurs de Jésus-Christ. Elle savait aussi depuis longtemps que Saul devait être apôtre du même Seigneur, le prédicateur des Gentils, un des ministres les plus illustres et les plus admirables de l'Église . en effet, son très-saint Fils l'avait informée de tous ces événements, comme je l'ai rapporté dans la seconde partie de cette histoire. Mais comme la persécution augmentait, le fruit que, Paul devait opérer se faisait attendre, il ne portait pas ce nom de chrétien sous lequel il devait travailler si efficacement^à la gloire du Seigneur; d'un autre côté, les disciples de Jésus-Christ, qui ignoraient le secret du Très-Haut, s'affligeaient et se laissaient presque décourager parce qu'ils connaissaient la fureur avec laquelle Saul les cherchait et les persécutait. Tout cela causa une peine extrême à la compatissante Mère de la grâce. Or, considérant dans sa divine prudence combien la situation était grave, elle s'anima d'une nouvelle et plus vive confiance pour demander le remède de l'Église et la conversion de Saul; et, prosternée en la présence de son Fils, elle cette prière : 256. " Souverain Seigneur, Fils du Père éternel, Dieu vivant et véritable, engendré de sa propre 83 substance indivisible, vous qui, par un prodige admirable de votre bonté infinie, avez daigné devenir mon propre Fils : ô vie de mon âme ! comment votre servante, à qui vous avez recommandé votre Église bien-aimée, pourra-t-elle vivre, si la persécution que vos ennemis ont excitée contre elle triomphe, et si votre haute puissance ne l'arrête? Comment pourrai-je souffrir de voir mépriser et a fouler aux pieds le prix de votre mort et de votre sang? Si vous me donnez, Seigneur, pour enfants ceux que vous engendrez dans votre Église, que a j'aime et que je regarde avec un amour maternel, comment pourrai-je me consoler de les voir opprimés, exténués, parce qu'ils confessent votre saint nom, et qu'ils vous aiment de tout leur coeur? Seigneur, la puissance et la sagesse vous appartiennent (1), et il n'est pas juste que le dragon infernal, ennemi de votre gloire et calomniateur de mes enfants et de vos frères, se glorifie contre vous. Confondez, mon Fils, l'ancien orgueil de ce serpent, qui s'élève de nouveau contre voua avec tant d'insolence, menaçant de sa fureur les innocentes brebis de votre troupeau. Considérez comment il abuse et entraîne Saul, que vous avez choisi pour votre apôtre. Il est temps, mon Dieu, de faire agir votre toute-puissance, de délivrer cette âme, de la quelle et en laquelle doivent résulter tant de gloire pour votre saint nom, tant de biens pour l'univers entier. " (1) I Paral., XXIX, 11. 84 257. La bienheureuse Marie persévéra assez longtemps en cette prière, s'offrant à endurer toute sorte de peines, et même à mourir, s'il était nécessaire, pour le remède de la sainte Église et pour la conversion de Paul. Et comme la sagesse infinie de son très-saint Fils avait subordonné cette conversion aux prières de sa Mère bien-aimée, voulant exécuter cette merveille, il descendit du ciel en personne et lui apparut dans le Cénacle, où elle priait dans sa retraite. Et sa divine Majesté lui dit avec cette douceur, avec cette tendresse filiale qu'elle lui témoignait toujours : " Ma Bien-Aimée, ma Mère, en qui je trouve la complaisance de ma parfaite volonté, quelles sont vos demandes? Dites-moi ce que vous souhaitez? " L'humble Reine se prosterna de nouveau en la présence de son très-saint Fils , selon sa coutume; et l'ayant adoré comme vrai Dieu, elle lui dit : " Mon très-haut Seigneur, vous connaissez par avance les pensées et les coeurs des créatures, et mes désirs ne sont point cachés à vos yeux. Ma demande part d'un cœur qui connaît votre infinie charité envers les hommes, du cœur de celle qui est Mère de l'Église, Avocate des pécheurs et votre esclave. Si j'ai tout reçu de votre amour immense uns l'avoir mérité, je n'ai pas sujet de a craindre que vous mépriserez mes désirs, quand ils tendent à votre gloire. Jevons demande, mon Fils, de regarder l'affliction de votre Église, et de vous hâter, comme le meilleur des pères, de venir au se cours de vos enfants, engendrés par votre sang très précieux. " 85 258. Le Seigneur désirait entendre la voix et les gémissements de sa très-chère Mère et de son Épouse bien-aimée; et c'est pour cela qu'il lui laina redoubler us prières dans cette occasion, comme s'il lui eût marchandé une faveur qu'il désirait lui accorder, et qu'il ne pouvait refuser à de tels mérites et à une telle Charité. Cet artifice de l'amour divin fit naître entre notre Seigneur Jésus-Christ et sa très-douce Mère de saints entretiens pendant lesquels elle sollicita. le terme de cette persécution par la conversion de Saul. Dans cette conférence sa divine Majesté lui dit : " Ma Mère, comment ma justice sera-t-elle satisfaite, si j'use de ma miséricorde et de ma clémence envers Saul, lorsqu'il persiste dans l'incrédulité et dans la malice la plus profonde, et qu'il mérite ma juste indignation et un châtiment rigoureux, servant de toutes ses forces mes ennemis pour détruire mon Église et abolir la mémoire de mon nom dans le monde ? " La Mère de la sagesse et de la miséricorde trouva une réponse à ces paroles si concluantes au point de vue de la justice, et elle dit avec cette même sagesse : " Mon adorable Fils, mon Seigneur et Dieu éternel, quand vous avez, dans votre entendement divin, choisi Paul pour votre apôtre et pour un vase d'élection, et quand vous l'avez écrit dans votre mémoire éternelle, ses péchés ne vous ont pas été un empêchement, et leurs eaux n'ont pas été capables d'éteindre le feu de votre amour divin (1) , (1) Cant., VIII, 7. 86 comme vous-même me l'avez manifesté. Vos mérites infinis ont été plus puissants et plus efficaces, vos mérites, sur la vertu desquels vous avez construit l'édifice de votre Église bien-aimée; ainsi je ne demande rien que vous-même n'ayez déjà déterminé : mais je m'afflige; mon Fils, de voir que cette âme s'avance vers un plus grand précipice et court à sa perte, qui causera celle de plusieurs autres (s'il en est de lui comme du reste des hommes), et que la gloire de votre nom , la joie des anges et des saints bienheureux (1) , la consolation des justes, la confiance que doivent recevoir les pécheurs, et la confusion de vos ennemis soient retardées. Ne méprisez donc pas, mon adorable Fils et mon Seigneur, les prières de votre Mère; exécutez vos divins décrets, et faites que j'aie le bonheur de voir glorifier votre nom; car il est déjà temps, et l'occasion est propre : ne permettez pas que mon coeur soit attristé par le retardement d'un si grand bien dans votre Église. " 259. Les flammes de la charité embrasèrent tellement, durant cette prière, le chaste coeur de notre auguste Reine, que sa vie naturelle y eût sans doute été consumée, si le Seigneur lui-même ne la lui eût conservée par une vertu miraculeuse, quoiqu'il permit dans cette circonstance, afin de pouvoir se complaire d'autant mieux dans un amour si excessif de la part d'une simple créature, que sa bienheureuse Mère souffrit (1) Luc., XV, 10. 87 une certaine douleur sensible et tombât comme en défaillance. Mais il fut impossible, dirais-je volontiers, à son très-saint Fils, de résister davantage à la force d'un tel amour, qui le blessait au coeur; c'est pourquoi il la consola et la fortifia, et lui témoignant que ses prières lui étaient très-agréables, il lui dit : " Ma Mère, choisie entre toutes les créatures, que votre volonté se fasse au plus tôt. Je ferai à l'égard de Saul, tout ce que vous demandez, et je le changerai tellement, qu'il deviendra tout à coup le défenseur de mon Église qu'il persécute, et le prédicateur de ma gloire et de mon nom. Dans quelques instants je vais le recevoir dans mon amitié et dans ma grâce. 260. Notre Sauveur Jésus-Christ disparut alors de la présence de sa très-sainte Mère, qui continua sa prière, et eut une vision fort claire de tout ce qui se passait. Le même Seigneur apparut bientôt à Saul, à peu de distance de la ville de Damas, où il se rendait en toute diligence, sans que les progrès de la marche pussent mesurer ceux de sa haine contre Jésus. Le Seigneur se montra à lui dans une nuée resplendissante de la lumière et de l'éclat de sa gloire; en même temps Saul fut environné su dedans et au dehors de la lumière divine, et son coeur et ses sens furent vaincus sans pouvoir résister à une telle force. Il fut renversé de son cheval, et il entendit à l'instant une voix d'en haut, qui lui disait : Saul, Saul, pourquoi me persécutez-vous (1)? Il répondit tout troublé et saisi d'une grande (1) Act., IX, 4. 88 crainte : Seigneur, qui êtes-vous? La voix lui dit : Je suis Jésus que vous persécutez; il vous est dur de résister à l'aiguillon de ma puissance. Alors Saul répondit tout tremblant et plus effrayé : Seigneur, que vous plait-il que je fasse; que voulez-vous faire de moi? Ceux qui accompagnaient Saul entendirent ces demandes et ces réponses, quoiqu'ils ne vissent point notre Sauveur Jésus-Christ, comme le vit Saul; mais ils virent la splendeur qui l'environnait , et ils furent tous fort intimidés, et tellement frappés d'un événement si extraordinaire, qu'ils demeurèrent quelque temps tout interdits et comme hors d'eux-mêmes. 261. Cette nouvelle merveille, inouïe jusqu'alors dans le monde, fut plus grande et plus efficace en ce qui était secret qu'en ce qui paraissait aux sens ; car non- seulement Saul fut abattu, renversé, privé de fa vue, et de ses forces physiques au point qu'il aurait incontinent expiré sans un secours particulier de la puissance divine; mais il fut. aussi intérieurement changé en un homme nouveau , d'une manière plus parfaite que lorsqu'il passa du néant à l'être naturel qu'il avait, et se trouva plus loin de ce qu'il était auparavant que la lumière ne l'est des ténèbres-, et le firmament du centre de la terre ; car il passa de l'image et de la ressemblance du démon à celle du séraphin le plus sublime et le plus enflammé. Ce fut un dessein de la sagesse et de la toute-puissance divine de triompher de telle sorte de Lucifer et de ses démons dans cette conversion miraculeuse, qu'en vertu de la Passion et de la mort de Jésus-Christ ce dragon fût vaincu 89 et sa malice confondue par le moyen de la nature humaine, et de remporter ce triomphe en faisant contraster les effets de la grâce et de la rédemption en un homme: avec le péché même de Lucifer et avec ses effets. Et ici ce contraste eut lieu, car la vertu de Jésus-Christ transforma Saul de démon en ange de grâce, dans un instant aussi rapide que celui dans lequel l'orgueil transforma Lucifer en démon. Il arriva qu'en la nature angélique la suprême beauté déchut jusqu'à une extrême difformité; et en la nature humaine la plus grande laideur s'éleva à la parfaite beauté. Lucifer descendit ennemi de Dieu du plus haut du ciel jusqu'aux plut profonds abîmes de la terre; et- un homme monta ami du même Dieu de la terre jusqu'à l'empyrée. 262. Mais comme ce triomphe n'aurait pas été assez glorieux, si le vainqueur n'eut donné à cet homme plus que Lucifer n'avait perdu, le Tout-Puissant voulut rehausser de toute cette différence la victoire qu'il remportait en Saul sur le démon. Car, quoique déchu de la grâce fort éminente qu'il avait reçue, Lucifer ne perdit pas la vision béatifique, et il n'en fut pas non plus privé, puisqu'elle ne lui avait pas été manifestée, et que, loin de se disposer à l'obtenir, il s'en rendit indigne; mais à l'instant que Saul se disposa à la justification et reçut la grâce, la gloire lui fut aussi communiquée, et il vit clairement la Divinité , quoique ce ne filt. qu'en passant. O vertu invincible de la puissance divine! O efficace infinie. des mérites de la vie et de la mort de Jésus-Christ ! Il était 90 vraiment bien juste que, si la malice du péché avait dans un instant changé l'ange en démon, la grâce de notre Rédempteur fût encore plus puissante et plus abondante que le péché (1) et tirât cet homme de ses abîmes pour l'élever non- seulement à une grâce, mais encore à une gloire si éminente. Cette merveille fut plus grande que d'avoir créé les cieux et la terre, et toutes les créatures qu'elle contient. Elle a été plus grande que de donner la vue aux aveugles, la santé aux malades, et que de ressusciter les morts. Consolons-nous, pécheurs, par l'espérance que nous a laissée cette justification merveilleuse, puisque nous avons pour notre Rédempteur, pour notre Père, et pour notre Frère le même Seigneur qui a justifié Paul; et il n'est pas moins puissant ni moins saint pour nous qu'il ne l'a été pour lui. 263. Tandis que Paul se trouvait renversé par terre, contrit de ses péchés et entièrement renouvelé par la grâce justifiante et par d'autres dons infus, il fut illuminé et préparé en toutes ses puissances intérieures, comme il convenait qu'il le fût. Et après cette préparation il fut enlevé dans l'empyrée, qu'il appelle troisième ciel, déclarant aussi ne point savoir s'il fut ravi avec son corps, ou seulement en esprit (2). Mais il y vit clairement la Divinité, par une vision qui était plus qu'ordinaire, quoique ce ne fût qu'en passant. Outre la perception qu'il eut de l'être de Dieu et de ses attributs infinis en perfection , il connut le mystère (1) Rom., V, 20. - (2) II Cor., XII, 2. 91 de l'incarnation et de la rédemption du genre humain, tous ceux de la loi de grâce, et l'état de l'Église. II connut le bienfait incomparable de sa justification, la prière que lit saint Étienne, et mieux encore celle que la très-pure Marie avait faite, et comment le moment de sa justification avait été hâté par cette prière dont les mérites, après ceux de Jésus-Christ, la lui avaient préparée dans l'acceptation divine. Il fut dès lors très-reconnaissant et très-dévot à la grande Reine du ciel, dont la dignité lui fut manifestée, et il la reconnut toujours pour sa bienfaitrice. Il sut aussi en quoi consistait l'apostolat auquel il était appelé , et qu'il y devait travailler et souffrir jusqu'à la mort. Beaucoup d'autres secrets lui furent en même temps révélés, qu'il ne lui fut pas permis de découvrir, comme il le déclare lui- même (1). Il s'offrit à accomplir tout ce qu'il connut être la volonté divine, et à se sacrifier entièrement pour l'exécuter, comme il le fit depuis. La très-sainte Trinité accepta le sacrifice et l'offrande de ses lèvres, et en présence de tous les courtisans célestes elle le désigna comme le prédicateur et le docteur des Gentils, et le nomma vase d'élection, destiné à porter le saint nom du Très-Haut dans tout l'univers. 264. Ce fut un jour d'une grande joie accidentelle pour les bienheureux ; ils firent tous de nouveaux, cantiques de louanges pour glorifier la puissance divine d'une si rare merveille. Car si la conversion du (1) II Cor., XII, 4. 92 moindre pécheur les remplit d'une nouvelle allégresse (1), quelle devait être celle que leur causait une conversion en laquelle la grandeur et la miséricorde du Seigneur se manifestaient avec tant d'éclat, dont tous les mortels devaient tirer des fruits si précieux, et la sainte Église une gloire si particulière ! Il revint de ce ravissement, changé de Saul en saint Paul ; et quand il se releva, il parut être aveugle, sans qu'il lui fût possible de voir la lumière du soleil. On le conduisit à Damas à la maison d'un de ses amis, où, au grand étonnement de tous, il demeura trois jours sans boire ni manger, absorbé dans la plus sublime oraison. Il se prosterna, et se mettant à pleurer ses péchés (quoiqu'il en eût été justifié), il s'écria, l'âme navrée de douleur au souvenir de sa vie passée : " Hélas! dans quelles ténèbres et dans quel aveuglement ai-je vécu, et avec combien de précipitation courais-je à la damnation éternelle! O amour infini! ô charité sans mesure! ô très- douce clémente de la bonté éternelle ! Qui vous a obligé, Seigneur, à un tel témoignage d'amour envers ce vermisseau de terre, envers ce blasphémateur et votre ennemi? Mais qui peut vous y avoir obligé, si ce n'est vous-même, si ce n'est votre Mère et votre Épouse par ses prières? Dans le temps qu'aveuglé et environné de ténèbres je vous persécutais, vous êtes venu au-devant de moi, miséricordieux Seigneur. Alors que j'allais répandre le sang innocent, (1) Luc., XV, 7. 93 qui aurait toujours crié vengeance contre moi; vous qui êtes le Dieu des miséricordes et le Rédempteur de nos âmes, vous me lavez et me purifiez par le vôtre , vous me faites participant de votre ineffable divinité. Combien de sujets n'ai-je pas de chanter éternellement des miséricordes si inouïes Qui me donnera des larmes pour pleurer suffisamment une vie si horrible à vos yeux? Que les cieux et la terre publient votre gloire. Pour moi je prêcherai votre saint nom , et je le défendrai au milieu de vos ennemis ." Saint Paul redisait ces paroles et d'autres semblables dans son oraison avec une douleur incomparable, en y joignant des actes de très-ardente charité, d'humilité profonde et de très-vive reconnaissance. 265. Le troisième jour après la chute et la conversion de Saul, le Seigneur parla dans une vision à un des disciples, nommé Ananie, qui se trouvait à Damas (1). Et sa divine Majesté ayant appelé Ananie par son nom comme son serviteur et son ami , lui ordonna d'aller dans la maison d'un homme nommé Jude, lui marquant l'endroit. où il demeurait, et d'y chercher Saul de Tarse, qu'il reconnaîtrait parce qu'il le trouverait en prière. Au même moment Saul eut une autre vision du Seigneur, en laquelle il connut le disciple Ananie, et le vit comme venant vers lui et comme lui rendant la vue, en lui mettant les mains sur la tête. Mais le disciple Ananie n'eut alors (1) Act., IX, 10, etc. 94 aucune connaissance de cette vision de Saul; c'est pourquoi il répondit au Seigneur : " J'ai oui dire à plusieurs personnes, Seigneur, combien cet homme a fait de maux à vos saints dans Jérusalem; il a même reçu des princes des prêtres le pouvoir de charger de fers tous ceux qui invoquent votre nom : et cependant, Seigneur, vous ordonnez à a une pauvre brebis comme moi d'aller chercher le loup même qui veut la dévorer ? " Mais le Seigneur lui dit : " Allez sans crainte, car cet homme que vous croyez mon ennemi est pour moi un vase d'élection que j'ai choisi pour porter mon nom devant les Gentils, devant les rois et devant les enfants d'Israël. Et je lui montrerai combien il doit souffrir pour mon nom. " Alors le disciple connut tout ce qui s'était passé. 266. En vertu de cette parole du Seigneur, Ananie obéit et sen alla aussitôt dans la maison où Saul était. Il le trouva en prière, et lui dit : Mon frère Saul, le Seigneur Jésus, qui vous est apparu dans le chemin par où vous veniez, m'a, envoyé vers vous afin que vous recouvriez la vue et que vous soyez rempli du Saint-Esprit (1). Il reçut aussi de la main d'Avanie la sainte communion, par laquelle il fut fortifié, et rendit des actions de grâces à l'auteur de tous ces bienfaits. Ensuite il donna à son corps la nourriture dont il était privé depuis trois jours. Il demeura et conversa pendant quelques jours avec les disciples du Seigneur (1) Act., IX, 17, etc. 95 qui étaient à Damas; et, se prosternant à leurs pieds, il leur demanda pardon, et les pria de l'admettre parmi eux comme leur serviteur et leur frère, quoique le moindre et le plus indigne de tous. Par leur conseil il se montra aussitôt en public, et commença p prêcher Jésus-Christ comme le Messie et le Rédempteur du monde, avec tant de ferveur et de sagesse, qu'il confondait les Juifs incrédules qui se trouvaient à Dansas, où ils avaient plusieurs synagogues. Ils étaient tous stupéfaits de ce changement, et se disaient saris pouvoir revenir de leur surprise : " N'est-ce pas là celui qui tourmentait à Jérusalem ceux qui invoquaient ce nom de Jésus, et qui est même venu ici exprès pour les emmener prisonniers aux princes des prêtres ? D'où vient donc le changement que nous voyons en lui? " 267. Saint Paul se fortifiait de plus en plus (1), et prêchait avec un plus grand zèle, confondant les Juifs et les Gentils, de sorte qu'ils tinrent conseil pour le perdre, et il arriva ce que je rapporterai dans la suite. Cette miraculeuse conversion de saint Paul eut lieu un au et un mois après le martyre de saint Étienne, le 25 janvier; le même jour auquel la sainte Église la célèbre, et c'était la trente-sixième année de la naissance de Jésus-Christ; car saint Étienne, ainsi que je l'ai dit dans le chapitre douzième, mourut le premier jour de la trente-cinquième année, et la conversion de saint Paul arriva à la fin du premier (1) Act., IX, 20. 96 mois de la trente-sixième, saint Jacques étant déjà parti de Jérusalem pour aller prêcher, comme je le dirai plus tard. 268. Revenons à la grande Reine des anges, qui par la science infuse et par la vision dont j'ai fait plusieurs fois mention, connut tout ce qui se passait à l'égard de Saul ; son premier et déplorable état, sa fureur contre le nom de Jésus-Christ, sa chute de cheval et ce qui la causa, son changement, sa conversion, et surtout la miraculeuse et singulière faveur d'être ravi jusqu'au troisième ciel, et d'y voir clairement la Divinité; enfin tout ce qui lui arrivait dans Damas. Il était, au reste, convenable et même juste que cette auguste Dame pénétrât ce grand mystère, non- seulement en qualité de Mère du Seigneur et de sa sainte Église, et comme l'instrument d'une si rare merveille, mais aussi parce qu'elle seule pouvait l'exalter dignement, beaucoup mieux que saint Paul, et mieux même que tout le corps mystique de l'Église; et il ne fallait pas qu'un bienfait si nouveau et qu'une ouvre si admirable de la droite du Tout-Puissant ne trouvassent point la reconnaissance qû ils devaient inspirer aux mortels. C'est cette reconnaissance que la bienheureuse Vierge témoigna d'une manière parfaite, solennisant la première ce nouveau miracle avec le retour possible à tout le genre humain. Elle convia tous ses anges et un très-grand nombre d'autres qui vinrent du ciel, et avec toue ces chœurs divins elle entonna un cantique de louanges pour glorifier la paissance, la sagesse et la miséricorde 97 libérale que le Très-Haut avait fait .éclater . en faveur de saint Paul, et un autre cantique pour exalter les mérites de son très-saint Fils, en vertu desquels cette conversion pleine de merveilles avait été opérée. Par cette fidèle reconnaissance de l'auguste Marie, le Très-Haut fut, selon notre manière de concevoir, comme satisfait de ce qu'il avait opéré en saint Paul pour le bien de son Église. 269. Mais ne passons pas sous silence les soliloques du nouvel apôtre, inquiet de la place qu'il occuperait dans le coeur de la tendre Mère, et du jugement qu'elle porterait sur lui quand elle saurait qu'il avait été l'ennemi et le persécuteur si acharné de son très-saint Fils et de ses disciples, et qu'il avait travaillé avec tant de zèle à détruire l'Église. Ces réflexions de saint Paul ne procédaient pas tant de l'ignorance que de l'humilité et de la vénération avec laquelle -il regardait en son esprit la Mère de Jésus-Christ. Toutefois, il ne savait pas alors que cette grande Dame fût informée de tout ce qui lui était arrivé. Et quoiqu'il la considérât comme une Mère très-miséricordieuse, après qu'il l'eut reconnue en Dieu comme la Médiatrice de sa conversion et de son salut, néanmoins, les énormités de sa vie passée l'intimidaient, l'humiliaient, et lui causaient une espèce de crainte, se réputant indigne de la grâce d'une telle Mère, dont il avait persécuté le Fils avec tant de fureur et d'aveuglement. Il lui semblait que pour pardonner des crimes si affreux il fallait une miséricorde infinie, et il se disait que la Mère était une simple créature. 98 D'un autre côté il s'encourageait, parce qu'il entendait dire qu'elle avait pardonné à ceux-là mêmes qui avaient crucifié son Fils, et il se persuadait qu'elle l'imiterait toujours en cela. Les disciples l'assuraient aussi qu'elle était pleine de douceur et de compassion envers les pécheurs, et lui parlaient souvent de sa grande clémence. Leurs discours redoublaient le désir qu'il avait de la voir, et il se proposait intérieurement de se prosterner à ses pieds, et de baiser la terre où elle aurait marché. Mais bientôt il rougissait de honte à .la pensée de se présenter devant Celle qui était la véritable Mère de Jésus, et craignait qu'elle ne le rebutât, parce qu'elle vivait dans une chair mortelle. Il hésitait sil la supplierait de le châtier, parce qu'il s'imaginait que ce serait une espèce de satisfaction; mais il lui semblait aussi que cette vengeance ne s'accordait point avec son extrême bonté, puisque, bien loin de se venger, elle avait demandé et obtenu pour lui une si grande miséricorde. 270. Parmi ces réflexions et d'autres semblables, le Seigneur permit que saint Paul eût quelques peinte sensibles, mais pourtant douces; et à la fin, s'adressant à lui- même, il se dit : " Prends courage, ô homme vil et pécheur; car sans doute Celle qui a prié pour toi te recevra et te pardonnera, puis qu'elle est Mère véritable de Celui qui est mort pour ton salut; elle agira comme Mère d'un tel Fils; ils sont tous deux pleins de miséricorde et de clémence, et ils ne méprisent pas le coeur contrit 99 et humilié (1). " La divine Mère pénétrait par sa très-sublime science les craintes et les pensées qui agitaient l'esprit de saint Paul. Elle prévit aussi que le nouvel apôtre ne pourrait pas de fort longtemps se rendre auprès d'elle; c'est pourquoi , touchée d'une compassion maternelle, elle ne voulut pas différer jusqu'alors de donner à saint Paul la consolation qu'il souhaitait; et, pour la lui procurer de Jérusalem, où elle était, elle s'adressa à un de ses saints anges, et lui dit : " Esprit céleste et ministre de mon Fils et de mon Seigneur, je suis émue de la peine qui afflige l'humble coeur de Paul. Je vous prie, mon ange, d'aller au plus tôt à Damas, pour le fortifier et pour calmer ses inquiétudes. Vous le féliciterez de son bonheur, et l'avertirez de la reconnaissance éternelle qu'il doit à mon très-saint Fils de la clémence avec laquelle il l'a attiré à son amitié et à sa grâce, et l'a choisi pour son apôtre. Vous lui ferez aussi savoir que jamais homme n'a été l'objet d'une miséricorde pareille à celle qui s'est manifestée sur lui. Et vous lui direz de ma part que je l'assisterai comme Mère dans toutes ses peines, et que je le servirai comme servante que je suis de tous les apôtres et de tous les ministres qui prêchent le saint nom et la doctrine de mon Fils. Vous lui donnerez la bénédiction en mon nom, et vous lui direz que je la lui envoie au nom de Celui qui a daigné prendre chair dans (1) Ps. L, 19. 100 mon sein et se nourrir de mon propre lait. 271. Le saint ange exécuta ponctuellement les ordres de sa Reine, et arriva en fort peu de temps auprès de saint Paul, qui continuait sa prière; car cela arriva le jour après son baptême, et le quatrième jour après sa conversion. L'ange lui apparut sous une forme humaine, avec une beauté et une splendeur admirable, et lui dit tout ce que l'auguste Marie lui avait ordonné. Saint Paul reçut cette ambassade avec une humilité, avec un respect et avec une joie incomparable; et, répondait à l'ange, il lui dit: " Puissant ministre du Très-Haut, moi le plus vil de tous les hommes, je vous supplie, très-doux esprit qui connaissez mes grandes obligations et qui savez combien il a fait éclater en moi sa miséricorde infinie en me manifestant ses richesses, de vouloir bien lui rendre de dignes actions de grâces et des louanges éternelles, de ce que, malgré mon démérite, il m'a communiqué sa lumière divine et marqué du caractère de ses enfants. Il m'a suivi par sa clémence lorsque je m'éloignais le plus de sa bonté; il est venu à ma rencontre dans le temps que je le fuyais; quand dans mon aveuglement je me livrais à la mort, il m'a donné la vie; quand je le persécutais comme ennemi, il m'a élevé à sa grâce et à son amitié, me payant par les plus grands de tous les bienfaits des plus grands de tous les outrages (1). Personne ne s'est jamais rendu (1) I Tim., I, 13. aussi digne d'horreur que moi , et personne n'a jamais été si libéralement pardonné et favorisé. Il m'a tiré de la gueule du lion pour me mettre au nombre des brebis de son troupeau. Vous êtes témoin, esprit céleste, de tout cela, aidez-moi donc à reconnaître éternellement tant de faveurs. Je vous prie de dire à la Mère de miséricorde, mon auguste Reine, que son indigne serviteur se prosterne à ses pieds dans la poussière, et la conjure avec un coeur contrit de pardonner à celui qui a été assez téméraire que d'entreprendre d'abolir le nom et l'honneur de son adorable Fils; d'oublier l'énormité de mes offenses, et d'agir à l'égard de ce blasphémateur comme la Mère qui a conçu, qui a enfanté et qui a nourri en restant toujours vierge, le même Seigneur qui lui a donné l'être, et qui l'a choisie à cet effet entre toutes les créatures. Je mérite le plus rigoureux châtiment pour tant de crimes , et je suis prêt à le subir, pourvu que j'y puisse sentir la clémence de son bénin regard, pourvu qu'elle ne me refuse ni sa grâce ni sa protection. Qu'elle m'admette au nombre des enfants de son Église, qu'elle aime avec tant de tendresse; car je sacrifie pour son agrandissement et pour sa défense mes désirs et mon propre gang, et j'obéirai en tout à Celle que je reconnais pour ma Protectrice et pour la Mère de la grâce. " 272. Le saint ange porta cette réponse à la bienheureuse Marie; et quoique dans sa profonde sagesse elle la connût d'avance, le céleste ambassadeur ne 102 laissa pas que de la redire. Elle l'entendit avec une joie toute particulière, et rendit de nouvelles actions de grâces au Très-Haut pour les oeuvres magnifiques qu'il faisait dans le, nouvel apôtre Paul, et pour le bien qui en résultait à toute l'Église et à ses enfants. Je parlerai le mieux qu'il me sera possible, dans le chapitre suivant , de la confusion et de l'abattement que causa cette merveilleuse conversion de saint Paul à Lucifer et à tous ses démons, et de plusieurs autres secrets qui m'ont été découverts sur la malice de ce dragon. Instruction que j'ai reçue de la grande Reine des anges. 273. Ma fille, aucun des fidèles ne doit ignorer que le Très-haut ne put convertir saint l'aul et le justifier sans multiplier pour cette oeuvre miraculeuse les merveilles de sa puissance infinie. Mais il les opéra pour montrer aux hommes combien sa bonté l'incline à leur pardonner et à les élever à son amitié et à sa grâce, et pour leur enseigner comment ils doivent coopérer et répondre à ses appels à l'exemple de ce grand apôtre. Le Seigneur réveille et, appelle beaucoup d'âmes par la force de ses inspirations et de ses grâces, et il y en a plusieurs qui y répondent, qui obtiennent leur justification, et qui reçoivent les 103 sacrements de la sainte Église; mais toutes ne persévèrent pas en leur justification; il s'en trouve encore moins qui avancent dans la perfection; la plupart, après avoir commencé selon l'esprit, finissent selon la chair. Ce pourquoi elles ne persévèrent point en la grâce et retombent aussitôt dans leurs fautes, c'est qu'elles ne disent point dans leur conversion ce que dit saint Paul dans la sienne: Seigneur, que vous plaît-il faire de moi, et que vous plaît-il que je fasse pour vous (1) ? Et s'il y a des gens qui prononcent ces paroles de bouche, ce n'est pas du fond de leur coeur, où ils conservent toujours un certain amour d'eux-mêmes, de l'honneur, des biens de la terre, et un secret attachement au plaisir et à l'occasion du péché, qui bientôt les fait trébucher et tomber. 274. Mais l'apôtre ut le parfait modèle de ceux qui se convertissent à la lumière de la grâce, nonseulement parce qu'il passa d'un extrême à l'autre, du bout de la région du péché au bout de la région de la grâce et des faveurs les plus admirables; mais aussi parce qu'il coopéra par sa volonté à cette vocation, s'arrachant tout entier à son mauvais état et fuyant sa propre volonté, pour s'abandonner en tout à la volonté divine. Ces paroles : Seigneur, que vous plaît-il faire de moi? exprimaient ce renoncement à lui - même et cette soumission absolue à la volonté divine dans lesquels consista, en ce qui dépendait de lui, toute sa régénération. Et c'est parce qu'il dit (1) Act., IX, 6. 104 ces paroles avec toute la sincérité d'un coeur contrit et humilié,, qu'il se dépouilla de toute sa volonté, qu'il s'abandonna entièrement à celle de Dieu, et qu'il prit une ferme résolution de ne jamais plus hasarder ses puissances et ses sens aux périls de la vie animale et sensible, en laquelle il s'était égaré. Il détermina de se soumettre aux ordres du Très-Haut de quelque manière qu'il les connût, et de les exécuter sans retard, sans objection, comme il le fit lorsque le Seigneur lui prescrivit d'entrer dans la ville de Damas, et lorsqu'il obéit au disciple Ananie en tout ce qu'il lui ordonna. Et comme le Très-Haut, qui pénètre les secrets du coeur humain (1), connut la sincérité avec laquelle Paul correspondait à sa vocation et s'abandonnait à la volonté divine, non-seulement il l'accueillit avec une complaisance infinie, mais il lui départit des grâces, des dons et des faveurs ineffables avec la plus grande abondance; et quoiqu'il ne les eût pas méritées, il ne les aurait pas néanmoins reçues, s'il ne s'y fût disposé par ce complet abandon à la volonté du Seigneur. 275. Cela étant, je veux, ma fille, que voua pratiquiez pleinement ce que je vous ai commandé plusieurs fois : c'est de renoncer à vous-même, de vous éloigner de toutes les créatures, et d'oublier tout ce qui est visible, apparent et trompeur. répétez souvent, mais beaucoup plus de coeur que de bouche : Seigneur, que vous plait-il faire de moi? Car si vous voulez faire (1) Jerem., XVII, 10. 105 quelque chose par votre propre volonté, vous ne chercherez pas en tout avec sincérité la volonté du Seigneur. L'instrument n'a d'autre mouvement que celui que lui imprime la main de l'artisan, et s'il avait un seul mouvement propre , il pourrait résister à la volonté de celui qui le manie. Il en arrive de même entre Dieu et l'âme : si elle a quelque volonté qui la fasse agir sans attendre que Dieu la meuve, alors elle s'oppose au. bon plaisir du Seigneur lui-même. Et comme il respecte les droits de la liberté qu'il lui a donnée, il la laisse s'égarer parce qu'elle le veut, et qu'elle n'attend point l'impulsion de son divin artisan. 276. Et d'autant qu'il n'est pas convenable que toutes les opérations des créatures dans la vie mortelle soient miraculeusement conduites par la puissance divine, le Seigneur, pour ôter aux hommes toute vaine excuse, a gravé la loi dans leur coeur, et l'a déposée ensuite dans sa sainte Église, afin que par elle ils connaissent la volonté divine, qu'ils s'y conforment, et qu'ils l'accomplissent fidèlement. En outre , il a établi dans son Église les supérieurs et ses ministres, afin que, les écoutant et leur obéissant comme au Seigneur même, qui les amiste (1), les âmes lui obéissent en même temps, et qu'elles eussent ce motif de sécurité: Vous avez toutes ces ressources, ma très-chère fille, avec une grande abondance, pour que vous n'entrepreniez aucune chose sans consulter (1) Luc., X, 16. 106 la volonté de Celui qui dirige votre âme, car le Seigneur vous envoie à lui, comme il envoya Paul à son disciple Ananie. Vous avez à cet égard de plus étroites obligations que les autres, parce que le Très-Haut vous, a regardée avec amour, et vous a prévenue d'une grâce spéciale; il veut que vous soyez comme un outil en sa main, puisqu'il vous assiste, vous gouverne et vous meut par lui-même, par moi et par ses saints anges, et qu'il le fait avec la fidélité, avec l'attention et avec la persévérance que vous connaissez. Considérez donc combien il est juste que vous mouriez entièrement à votre propre volonté, que la divine ressuscite en vous, et quelle donne l'âme et la vie à toutes vos actions. Imposez silence à tous vos raisonnements, et soyez persuadée que, quand vous réuniriez toute la science des hommes les plus sages, tout le conseil des plus prudents, et même toute l'intelligence des anges, vous ne réussiriez pas à beaucoup près aussi bien avec toutes ces lumières à exécuter la volonté du Seigneur, ni même à la connaître, que vous n'y réussirez en vous abandonnant entièrement à son bon plaisir. Il n'y a que lui qui sache ce qui vous convient, et il le veut avec un amour éternel; il a choisi vos voies, et c'est lui qui vous y conduit. Laissez-vous donc guider à sa divine lumière, sans perdre le temps à réfléchir à ce que vous devez faire, car ces réflexions pourraient voua égarer; mais vous trouverez toute la sécurité possible dans ma doctrine et dans mes instructions. Gravez-les dans votre coeur, et travaillez de toutes vos forces à les mettre en 107 pratique, afin de vous rendre digne de mon intercession et de mériter par elle que le Très-Haut vous attire à lui. CHAPITRE XV. On déclare les moyens secrets dont les démons se servent pour attaquer les âmes. - Comment le Seigneur les défend par les anges, par l'auguste Marie et par lui-même. - Conciliabule que ses ennemis tinrent après la conversion de saint Paul contre cette grande Reine et contre l'Église. 277. Par l'abondante doctrine des saintes Écritures (1), et ensuite par les écrits des pieux docteurs, toute l'Église catholique et en même temps tous ses enfants sont informés de la malice et de la cruauté vigilante avec lesquelles les démons les persécutent, faisant tous . leurs efforts et employant tous leurs artifices pour les entraîner, si ce leur était possible, dans les tourments éternels. Nous savons aussi par les mêmes Écritures combien le pouvoir infini du Seigneur nous défend, afin que, si nous voulons nous prévaloir de sa protection invincible, nous marchions (1) Gen., III, 1 ; I Paral., XXI, 1; Job., II, 1; Zach., III, 1; Matth, XIII, 19; Luc., VIII, 12; XIII, 16; Act., V, 3. 108 en sûreté jusqu'à ce que nous soyons arrivés su bonheur éternel, qu'il nous a préparé par les mérites de notre Sauveur Jésus-Christ, et qu'il nous donnera si nous le méritons de notre côté. Saint Paul dit que tous les livres saints ont été écrits pour nous affermir dans cette confiance et pour nous consoler par cette assurance, afin que notre espérance ne soit point vaine, comme elle le sera, si nous l'avons sans les bonnes oeuvres (1). C'est pour cette raison que l'apôtre saint Pierre joint ces deux choses ensemble, lorsque nous ayant dit de déposer toutes nos inquiétudes dans le sein du Seigneur, gui prend toujours soin de nous, il ajoute aussitôt : " Soyez sobre et veillez, parce que le démon votre ennemi rôde autour de vous comme un lion rugissant, cherchant quelqu'un qu'il puisse dévorer (2). " 278. Ces avis et plusieurs autres. que renferme l'Écriture sainte ; sont communs et généraux. Et quoique par tous ces avertissements et par une expérience continuelle les enfants de l'Église pussent se faire en particulier une juste idée des ruses et des machinations que les démons emploient pour. nous perdre (3); néanmoins, comme les hommes terrestres et charnels, accoutumés seulement à ce qui frappe les sens, n'élèvent point leur esprit aux choses plus hautes (4), ils vivent dans une fausse sécurité, ignorant (1) II Cor., IV, 4; XI, 14; Rom., XV, 5; Ephes., VI, 11; I Thes., II, 18. - (2) I Petr., V, 8. - (3) Apoc., II, 10 et alibi. - (4) I Cor., II, 14. 109 la cruauté secrète avec laquelle les démons les poussent à leur perte. Ils ignorent aussi la protection divine qui les couvre et les garantit, et, dans leur aveuglement ils ne reconnaissent pas plus le bienfait qu'ils ne craignent le péril. Malheur à vous, terre, dit saint Jean dans l'Apocalypse, parce que Satan est descendu vers vous dans une grande colère (1) ! L'évangéliste entendit ce cri d'alarme dans le ciel , où les bienheureux se seraient affligés de la guerre secrète qu'un ennemi si puissant et si furieux venait faire aux hommes, s'ils pouvaient y connaître un sentiment de douleur. Mais quoique notre danger ne puisse pas faire souffrir les saints dans le ciel, ils ne laissent pas d'avoir compassion de nous, qui, plongés dans une léthargie effroyable, ne sentons point notre propre mal, et n'avons point compassion de nous-mêmes. Pour tirer de ce funeste sommeil ceux qui liront cette histoire, j'ai appris que j'avais reçu en tout ce que j'en ai écrit une lumière particulière qui m'a découvert les secrets conseils de méchanceté qu'ont tenus et que tiennent les démons contre les mystères de Jésus-Christ, contre l'Église et contre ses enfants, comme je l'ai rapporté en plusieurs endroits, pour faire connaître aux hommes quelques-uns des secrets cachés. de la guerre invisible que nous font les esprits malins pour nous maîtriser selon leur volonté. Dans cet endroit, et à l'occasion de ce qui arriva en la conversion de saint Paul, le Seigneur m'a encore (1) Apoc., XII, 12. 110 mieux éclairci cette vérité, afin que je l'expose et que l'on connaisse la lutte continuelle que nos anges soutiennent au-dessus de nos sens contre les démons pour défendre les âmes, et la manière dont le Tout-Puissant les vainc, soit par le moyen des mêmes auges, soit par la très-pure Marie, soit par notre Seigneur Jésus- Christ, soit par lui-même. 279. Pour ce qui est des combats que les saints anges livrent aux démons pour nous défendre de leur envie et de leur malice, nous en avons des témoignages fort clairs dans les livres saints; et il suffit pour mon sujet de les supposer sans les répéter ici. On sait ce que le saint apôtre Jude dit dans son Épître catholique (1) : que saint Michel entra en dispute avec le démon sur ce que cet ennemi prétendait découvrir le corps de Moïse, que le saint archange avait enterré par le commandement du Seigneur dans un lieu qui était caché aux Juifs. Lucifer prétendait le faire connaître, pour porter le peuple à adorer le corps du prophète par des sacrifices, et à changer par là le culte de la loi en idolâtrie; et saint Michel empêchait que le sépulcre ne fût découvert. Cette inimitié de Lucifer et de ses démons est aussi ancienne que leur désobéissance; elle est aussi cruelle, aussi implacable que ce dragon a été superbe et l'est encore contre Dieu, depuis qu'il a connu dans le ciel que le Verbe éternel voulait prendre chair humaine et naître de cette femme qu'il vit revêtue du soleil (2); (1) Jud., V, 9. - (2) Apoc., XII, 1. 111 ce dont j'ai dit quelque chose dans la première partie. La haine que cet esprit orgueilleux a contre Dieu et coutre les hommes, vint de ce qu'il ne voulut point se soumettre aux conseils de la Sagesse éternelle. Et comme il ne peut l'exercer contre le Seigneur même, il l'assouvit contre les ouvrages de sa toute-puissance. Comme encore le démon, par sa nature angélique, s'attache obstinément, pour ne jamais lâcher prise , à ce que sa volonté a une fois déterminé; il ne saurait cesser de persécuter les hommes, quoiqu'il ne le fasse pas toujours par les mêmes moyens; il change de ruses, mais point d'intention; et sa haine, au contraire, s'est accrue et s'accroît de plus en plus par les faveurs que Dieu accorde aux justes et aux saints de son Église, et par les victoires que remporte sur lui la postérité de cette femme son ennemie, dont Dieu lui avait dit qu'il la persécuterait, mais qu'elle lui écraserait la tête (1). 280. Mais comme cet ennemi est un esprit intelligent, qui ne se lasse ni ne se fatigue dans ses opérations, il est si diligent à nous persécuter, qu'il commence ses poursuites dès l'instant que nous commençons notre existence dans le sein de nos mères, et les continue jusqu'à ce que l'âme soit séparée du corps, et ainsi nous expérimentons ce que dit job, que la vie de l'homme sur la terre est une guerre continuelle (2). Cette guerre ne consiste pas seulement en ce que nous sommes conçus dans le péché originel, (1) Gen., III, 15. - (2) Job., VII, 1. 112 et que nous sortons du sein de nos mères avec la concupiscence rebelle et avec les passions déréglées qui nous inclinent au mal; mais indépendamment de cette opposition, de cette rébellion dont nous portons toujours le principe en notre propre nature, le démon, pour nous combattre avec une plus grande fureur, se sert de toutes ses ruses et du pouvoir que nous lui donnons; il se sert aussi de nos sens, de nos puissances, de nos inclinations et de nos passions. Il tâche encore de se prévaloir de plusieurs autres causes naturelles, pour nous empêcher par leur moyen de recevoir la vie dans le sein de nos mères, afin de nous empêcher en même temps de recevoir le remède qui nous procure le salut éternel. Et s'il ne peut y réussir, il fait tous ses efforts pour nous pervertir et pour nous faire perdre la grâce, et emploie tous ses artifices dès l'instant de notre conception jusqu'à la dernière heure de notre vie, qui est celle qui termine aussi notre combat. 281. C'est ce qui arrive surtout à l'égard des enfants de l'Église : car aussitôt que les démons savent que le fait de la génération naturelle du corps humain se produit, ils observent en premier lieu l'intention des parents, s'ils sont en .état de péché ou en état de. grâce, s'ils ont abusé ou non des facultés génératrices; puis ils étudient leur complexion, car les pères et mères la communiquent ordinairement, à leurs enfants. Ils considèrent aussi les causes naturelles, non-seulement les particulières, mais encore les générales, qui concourent à la génération et à la 113 formation des corps humains. Et joignant toutes ces données à leur longue expérience, ils tâchent de découvrir; autant qu'ils peuvent, la complexion ou les inclinations qu'aura le sujet engendré, tirant dès lors de grands pronostics pour l'avenir. Que s'ils sont favorables pour l'enfant, ils font tous leurs efforts pour empêcher qu'il ne vienne heureusement au monde, suscitant divers périls, ou de violentes tentations aux mères, afin qu'elles fassent des fausses couches dans les quarante ou quatre-vingts jours que tarde l'infusion de l'âme. Mais quand ils savent une fois que Dieu a créé et uni l'âme au corps, la rage de ces esprits rebelles est incroyable; et alors ils emploient toute leur malice pour empêcher la naissance de l'enfant, et qu'il né reçoive le baptême, s'il naît en un lieu où l'on ne puisse le lui donner incontinent. Pour cela ils tâchent par leurs tentations et suggestions de porter les mères à divers désordres et excès, à la mité desquels l'enfant naît avant terme ou meurt dans leur sein; car parmi les catholiques, et même parmi les hérétiques qui usent du baptême, les démons se contenteraient d'empêcher que leurs enfants ne le reçussent; afin qu'ils ne fussent pas justifiés, et qu'ils allassent aux limbes, où ils ne verraient pas Dieu; mais parmi les infidèles et les idolâtres, ils n'y prennent pas tant de soins, parce qu'ils sont assurés de la damnation des enfants et de celle de leurs parents. 282. Le Très-Haut a garanti aux hommes de diverses manières sa protection pour les défendra 114 contre cette méchanceté du dragon. La manière commune est celle de sa providence générale, par laquelle il gouverne les causes naturelles, afin qu'elles aient leurs effets au moment convenable, sans que la puissance des démons puisse les arrêter ou les pervertir en ces mêmes effets : car pour cela le Seigneur leur limite le pouvoir par lequel ils bouleverseraient le monde , s'il le laissait à la disposition de leur malice implacable. biais c'est ce que la bonté du Créateur ne permet pas; il ne veut pas abandonner ses ouvrages ni le gouvernement des choses inférieures, et encore moins celui des hommes, à ses ennemis irréconciliables, qui ne remplissent dans l'univers que le rôle de vils bourreaux dans une société bien organisée , et même en cela ils ne font que ce qui leur est ordonné et permis, Et si les hommes dépravés n'avaient aucune intelligence avec ces ennemis, accueillant leurs mensonges et commettant des fautes dignes de châtiment, on verrait, suivant l'ordre établi dans toute la nature, les causes communes et particulières produire leurs effets propres, et il n'arriverait point parmi les fidèles tant de malheurs de tout genre, de mauvaises récoltes, des maladies, des morts subites, et tant de maux que le démon a inventés. Tout cela ne doit être attribué, ainsi que tant d'accidents fâcheux en la naissance des enfants qui naissent tout contrefaits, qu'aux désordres et aux péchés des hommes; car nous donnons nous-mêmes des armes su démon pour nous combattre, et nous méritons d'être châtiés par sa malice, puisque nous nous y livrons. 115 283. Outre cette providence générale, nous avons la protection particulière des saints anges, à qui, suivant l'expression de David (1), le Très-Haut a ordonné de nous porter dans leurs mains, de peur que nous ne tombions dans les piéges du démon, et le Roi-Prophète dit dans un autre endroit (2) que le Seigneur nous enverra son ange qui campera près de nous pour nous défendre et nous délivrera des périls. Cette protection commence aussi, comme la persécution, dès le sein de notre mère où nous recevons l'être humain, et dure jusqu'au moment auquel notre âme comparaîtra devant le tribunal de Dieu, pour être traitée selon qu'elle l'aura mérité. Dès l'instant que l'enfant a été conçu dans le sein de sa mère, le Seigneur ordonne aux anges de garder et l'enfant et la mère. Plus tard, au temps marqué, il lui assigne un ange particulier pour sa garde , comme je l'ai expliqué dans la première partie. Mais dès la génération, les anges ont de grandes disputes. avec les démons pour défendre les enfants qu'ils prennent sous leur protection. Les démons allèguent qu'ils ont juridiction sur eux, parce qu'ils sont conçus dans le péché, enfants de malédiction, indignes de la grâce et des faveurs divines, et esclaves des mêmes démons. Les anges les défendent, alléguant qu'ils sont conçus selon l'ordre des causes naturelles, sur lesquelles l'enfer n'a aucune autorité; et que, s'ils ont le péché originel, ils le contractent avec la nature (1) Ps. XC, 12. - (2) Ps. XXXIII, 7. 116 même, par la faute de leurs premiers parents, et non parleur propre volonté ; que, malgré le péché, Dieu les crée, afin qu'ils le connaissent, le louent et le servent, et qu'en vertu de la Passion et des mérites de Jésus-Christ, ils puissent mériter la gloire; que ces fins ne doivent point être empêchées par la seule volonté des démons. 284. Ces ennemis allèguent aussi que, dans la génération des enfanta, les parents n'ont pas eu la droite intention ni la fin qu'ils devaient avoir, et qu'ils ont péché par l'abus des facultés génératrices. Ce droit est le plus fort que puissent alléguer les démons contre les enfants dans le sein de leur mère ; car il est certain que les péchés de leurs parents éloignent beaucoup d'eux la protection divine, ou méritent que la génération Boit empêchée. Cela arrive souvent, et parfois, même après la conception, les enfants périssent avant que de naître; mais communément les anges les gardent. Et si ce sont des enfants légitimes, ils allèguent que leurs parents ont reçu le sacrement et la bénédiction de l'Église; et s'ils ont quelques vertus, si, par exemple ils sont charitables envers les pauvres, s'ils sont pieux et dévots, s'ils pratiquent quelques bonnes oeuvres, les anges s'en servent comme d'armes contre les démons, pour défendre ceux- qui leur ont été recommandés. A l'égard des enfants qui ne sont pas légitimes, les disputes sont plus grandes, parce que l'ennemi a plus de juridiction sur une génération en laquelle Dieu est si offensé; et que les parents méritent avec justice un châtiment rigoureux : ainsi Dieu 117 manifeste beaucoup plus sa miséricorde libérale en défendant et conservant les enfants illégitimes. Les saints anges s'en prévalent, tout en alléguant, comme je l'ai dit plus haut, le caractère des effets naturels. Lorsque les parents n'ont personnellement aucun mérite ni aucune vertu , quand ils n'ont que des péchés et des vices, alors les anges allèguent encore en faveur des enfants les mérites qui se trouvent en leurs ancêtres ou en leurs frères, et les prières de leurs amis et de ceux à qui ils ont été recommandés, disant qu'ils ne sont nullement responsables des désordres et des excès de leurs parents. Ils allèguent aussi que ces enfants peuvent par la vie parvenir à de grandes vertus et à une sainteté éminente, et que le démon n'a aucun droit pour empêcher celui qu'ils ont d'arriver à connaître et à aimer leur créateur. Dieu révèle quelquefois aux anges que les enfanta sont choisis pour faire quelque chose de grand an service de l'Église, et alors leur défense est très-vigilante et très-puissante; mais aussi les démons augmentent leur fureur et leur persécution par les conjectures qu'ils tirent de la sollicitude des anges. 285. Toutes ces disputes et celles que nous rapporterons dans la suite sont spirituelles, comme le sont les anges et les démons, et les armes avec lesquelles les anges et le Seigneur même combattent, sont également spirituelles. Mais les plus offensives contre les esprits malins sont les vérités des mystères de la Divinité, de la très-sainte Trinité, de notre Sauveur Jésus-Christ, de l'union hypostatique, de la rédemption ; 118 de l'amour immense avec lequel il nous aime et comme Dieu et comme homme, et nous procure le salut éternel ; puis, la sainteté et la pureté de l'auguste Marie, ses mystères et ses mérites. Les démons perçoivent de nouvelles notions de tous ces mystères, afin qu'ils les connaissent et qu'ils les considèrent; et les saints anges ou Dieu même les forcent à cette perception. Alors il arrive ce que dit saint Jacques, que les démons croient les vérités divines, et qu'ils en tremblent (1) : car ces vérités tes accablent et les tourmentent de telle sorte, que pour en détourner la voie ils se précipitent dans l'abîme et demandent que Dieu leur ôte ces notions qu'ils reçoivent, comme de l'union hypostatique et des autres vérités, parce qu'elles les tourmentent plus que le feu qui les dévore, à cause de la grande horreur qu'ils ont pour les mystères de Jésus-Christ. C'est pour cette raison que les anges redisent souvent dans ces combats : Qui, est semblable à Dieu? Qui est semblable à Jésus- Christ, Dieu et homme véritable, qui est mort pour le genre humain ? Qui est semblable à la très- pure Marie notre Reine, qui fut exempte de tout péché, et qui a donné dans son sein la chair et la forme humaine au Verbe éternel, étant vierge et demeurant toujours vierge? 286. Les démons continuent leur persécution, et les anges leur défense, après la naissance des enfants. C'est alors que te dragon redouble sa fureur contre les enfants qui peuvent recevoir le baptême, faisant tous (1) Jacob., II, 19. 119 ses efforts pour l'empêcher; et c'est aussi alors que la faiblesse de l'enfant crie vers le Seigneur ce que dit Ezéchias : Seigneur, je souffre violence, répondez pour moi (1). Cet appel su Seigneur, il semble que les anges le fassent au nom des enfants, lorsqu'ils les gardent avec une sollicitude si vigilante dès qu'ils sont sortis du sein de leur mère, lorsqu'ils ne peuvent eux-mêmes se défendre, et que tous les soins de ceux qui les élèvent ne sauraient prévenir tant de périls qui les environnent dans un âge si tendre. Mais les saints anges suppléent souvent à cette impuissance; car ils les gardent et les défendent quand ils dorment et quand ils se trouvent seuls en d'autres occasions, dans lesquelles un grand nombre d'enfants périraient si leurs anges ne les protégeaient. Ceux qui reçoivent le saint baptême et la confirmation ont en ces sacrements une puissante défense contre l'enfer, à cause du caractère d'enfants de l'Église qu'ils leur donnent; par la justification qui les régénère et les fait enfants de Dieu et les héritiers de sa gloire, par les vertus de foi, d'espérance et de charité, et par les autres qui nous ornent et qui nous fortifient pour faire le bien ; par la participation aux autres sacrements et aux suffrages de l'Église, dans lesquels les mérites de Jésus-Christ et de ses saints nous sont appliqués; et par d'autres grands bienfaits que tous les fidèles confessent. Que si nous nous en prévalions, nous vaincrions le démon par ces armes, et il n'aurait (1) Isa., XXXVIII, 14. 120 rien à prétendre contre aucun des enfanta de la sainte Église. 287. Mais, hélas l 'combien petit est le nombre de ceux qui, étant arrivés à l'usage de la raison, ne perdent pas incontinent la grâce du baptême, et ne se mettent point du parti du démon contre leur Dieu! C'est alors, semble-t-il, que le Seigneur devrait avec justice nous abandonner, et nous refuser la protection de sa Providence et de ses saints anges. Il ne le fait pourtant pas : au contraire, quand nous commençons à nous rendre indignes de sa divine protection, il l'augmente avec une plus grande clémence, pour manifester en nous les richesses de son infinie bonté. On ne saurait exprimer combien grande est la malice avec laquelle les démons tâchent de pervertir les hommes, et de les faire tomber dans quelque péché aussitôt qu'ils ont l'usage de la raison. Ils s'y prennent de loin, et s'efforcent de les accoutumer dès leur enfance à toute sorte d'actions vicieuses, en leur faisant entendre et voir des choses qui portent su mal, même chez leurs parents, chez ceux qui les élèvent, et dans les compagnies où se trouvent des personnes plus âgées et plus vicieuses, et en déterminant les parents à négliger les précautions nécessaires pour préserver dans leurs tendres années leurs enfants. du danger des mauvaises impressions. Car à cette époque on imprime en eux comme sur une cire molle tout ce qui frappe leurs sens, et c'est par là que le démon meut leurs inclinations et leurs passions; et ordinairement les hommes eux-mêmes 121 suivent dans leur conduite leurs inclinations et leurs passions, à moins d'être soutenus par un secours particulier. Il en résulte que, parvenus à l'usage de la raison, les adolescents les suivent aussi, et se laissent entraîner par les choses sensibles et délectables dont les images remplissent leur imagination. Et quand le démon les a fait tomber dans quelque péché, il prend incontinent possession de leur âme, et acquiert un nouveau droit sur eux pour les attirer à d'autres, comme il arrive trop souvent, au grand malheur de tant de personnes. 288. Les soins que prennent les saints anges d'écarter de nous tous ces dangers et de nous défendre du démon, ne sont pas moins grands. Ils envoient souvent aux pères et mères des inspirations saintes qui les excitent à veiller à l'éducation de leurs enfants, à les instruire en la loi de Dieu, à les former à la pratique des oeuvres chrétiennes et de quelques dévotions, à les éloigner des occasions du mal, enfin à les accoutumer à l'exercice des vertus. lis envoient aussi de saintes inspirations aux enfants à mesure qu'ils avancent en âge, ou selon la connaissance que leur donne le Seigneur de ce qu'il veut opérer en leur âme. Ils ont de grandes disputes avec les démons touchant cette défense : car ces malins esprits allèguent contre les enfants tous les péchés des parents et les actes répréhensibles des enfants eux-mêmes; lors même que ces actes ne les rendent pas criminels, les démons disent qu'ils ont leur oeuvre à eux , et qu'ils ont droit de la continuer dans telle âme. Que si 122 les enfants étant arrivés à l'usage de raison commencent à pécher, la résistance que font les' démons pour empêcher les anges de les tirer du péché est plus forte. Alors les anges allèguent les vertus de leurs parents et de leurs ancêtres, et les bonnes actions des mêmes enfants. N'eussent-ils fait que prononcer le nom de Jésus ou celui de Marie lorsqu'on leur apprend à L'articuler, ils l'allèguent pour les défendre, disant qu'ils ont commencé à honorer le saint nom du Seigneur et celui de sa Mère; et s'ils ont d'autres dévotions, s'ils savent et récitent les prières chrétiennes, les saints anges s'en servent encore et se prévalent de tout cela comme d'armes propres à l'homme pour le défendre du démon; car, par chaque bonne oeuvre que nous faisons, nous lui ôtons quelque chose du droit qu'il a acquis sur nous par le péché originel, et surtout par les péchés actuels. 289. Quand l'homme est parvenu à l'usage de la raison, c'est alors que le combat entre les anges et les démons augmente; car, dès l'instant que nous avons commis quelque péché, le dragon infernal redouble sa fureur pour nous faire perdre la vie avant que nous ayons fait pénitence, afin que nous nous damnions. Et pour nous précipiter en d'autres nouveaux crimes, il sème de piéges toutes les voies que l'on a à parcourir dans chaque état, sans en excepter aucun, ne mettant pas néanmoins en tous les mêmes dangers. Que si les hommes connaissaient ce, secret tel qu'il est en réalité, et s'ils voyaient les embûches que le démon leur dresse par leur propre 123 faute, ils marcheraient tous eu tremblant; plusieurs quitteraient ou n'embrasseraient point leur état; et d'autres abandonneraient les fonctions et les charges qu'ils ont recherchées avec ambition. Mais, ignorant les périls oh ils sont, ils vivent dans une fausse et trompeuse sécurité, parce qu'ils ne sont touchés que de ce qui frappe leurs sens; ainsi ils ne craignent point les précipices que le démon leur creuse pour leur funeste ruine. C'est pourquoi il y à tant d'insensés, et si peu de véritables sages; il y a beaucoup d'appelés, mais peu d'élus ; les vicieux et les pécheurs sont sans nombre, et tes vertueux et les parfaits sont fort rares. A mesure que les hommes multiplient leurs péchés, le démon acquiert des actes effectifs de possession en leur drue; et s'il ne peut ôter la vie à ceux qui sont ses esclaves, il les traite du moins comme de vils serviteurs; alléguant qu'ils sont tous les jours d'autant plus à lui, qu'ils veulent bien eux-mêmes lui appartenir, et qu'il n'est pas juste de les lui enlever, ni de leur donner du secours, puisqu'ils n'en profitent point; ni de leur appliquer les mérites de Jésus-Christ, puisqu'ils les méprisent; ni l'intercession des saints, puisqu'ils les oublient. 290. Tels sont, entre autres titres qu'il n'est pas possible de rapporter ici, ceux que le démon fait valoir pour raccourcir le temps de la pénitence à ceux qui se livrent à lui par leurs péchés. Que s'il ne peut y réussir, il tâche de les détourner des voies par lesquelles ils peuvent arriver à la justification ; 124 et en cela il réussit souvent. Toutefois jamais une âme n'est privée de la protection divine et de la défense des saints anges, qui nous délivrent à chaque instant du péril de la mort; ce qui est si certain, qu'à peine se trouvera-t-il un seul homme qui ne l'ait pu éprouver dans le cours de sa vie. Ils ne cessent de nous envoyer des inspirations, des impressions, et se servent de tous les moyens convenables pour nous avertir des malheurs dont nous sommes menacés. Ils nous défendent même de la rage des démons, et allèguent contre eux, pour notre défense, tout ce que l'entendement d'un ange et d'un compréhenseur peut découvrir en tout ce sur quoi leur très-ardente charité et leur pouvoir s'étendent. Et tout cela est très-souvent nécessaire à l'égard de plusieurs âmes qui se sont livrées à la juridiction du démon, et qui n'usent de leur liberté et de leurs facultés que pour se mettre sous son empire tyrannique. Je ne parle point ici des infidèles, des idolâtres et des hérétiques; car, quoique les anges gardiens les défendent et leur donnent de bonnes inspirations, et les excitent quelquefois à faire de bonnes actions morales qu'ils allèguent ensuite à leur défense , ce qu'ils font néanmoins le plus souvent en leur faveur, c'est de les garantir des périls de mort, afin que Dieu ait sa cause plus justifiée, leur ayant donné tant de temps pour se convertir, et ils tâchent aussi d'empêcher qu'ils ne commettent toutes les fautes dans lesquelles les démons voudraient les entraîner; car la charité des saints anges s'applique à leur épargner du moins les 125 peines plus grandes que la malice du démon travaille à leur attirer en l'autre monde. 291. C'est dans le corps mystique de l'Église que la lutte entre les anges et les démons est la plus vive, selon les, différents états des âmes. Ina esprits célestes défendent généralement tous les enfants de l'Église avec les armes pour ainsi dire communes, qu'ils but reçues dans le saint baptême; ils se servent du caractère de la grâce, des vertus, des bonnes oeuvres , des mérites, s'ils en ont acquis quelques- uns, des dévotions qu'ils ont envers les saints, des prières des justes qui intercèdent pour eux, et des bons mouvements qu'ils ont eus pendant toute leur vie. Cette défense est très-puissante pour les justes : car, comme ils sont dans la grâce et dans l'amitié de Dieu, les anges ont un plus grand droit contre les démons, et par là ils les éloignent et leur représentent les âmes justes et saintes comme formidables à tout l'enfer; et à cause de ce seul privilège on devrait estimer la grâce au-dessus de tout ce qui est créé. Il y a d'autres âmes tièdes et imparfaites qui tombent dans le péché et qui se relèvent quelquefois; les démons allèguent contre celles-ci un plus grand droit pour user de leur cruauté envers elles. Mais les saints anges ne laissent pas que de les défendre et de faire tous leurs efforts pour empêcher que le roseau cassé, comme dit Isaïe, ne soit brisé tout à fait; que la mèche qui fume encore ne soit éteinte (1). (1) Isa., XLII, 3. 126 292. Il se trouve d'autres âmes si malheureuses et si dépravées, qu'après avoir perdu la grâce du baptême, elles n'ont fait aucune bonne oeuvre dans toute leur vie; ou si quelquefois elles se relèvent du péché, elles s'y rejettent si résolument, qu'il semble qu'elles aient arrêté leurs comptes avec Dieu, agissant comme sans espérance d'une autre vie, sans crainte de l'enfer et sans la moindre horreur d'aucun péché. Dans ces âmes, la grâce n'a aucune action vitale et ne saurait produire aucun mouvement de véritable vertu; aussi les saints anges ne trouvent-ils rien de bon à alléguer pour leur défense. Les démons crient alors: Celles-ci du moins nous appartiennent en toutes les manières et sont soumises à notre empire, la grâce n'ayant point de part en elles. Ces esprits malins représentent aux anges tous les péchés, toutes les méchancetés et tous les vices de ces âmes qui servent volontairement de si cruels maîtres. On ne saurait croire ni exprimer ce qui se passe à leur égard entre les démons et les anges; car les ennemis s'opposent avec une extrême fureur à ce qu'on leur,donne aucune bonne inspiration et aucun secours. Mais comme ils ne peuvent en cela l'emporter sur la puissance divine, ils font les derniers efforts et se servent de tous leurs artifices, afin qu'au moins elles ne reçoivent point ce secours et qu'elles ne fassent aucun cas de la vocation du ciel. Et il arrive souvent en ces âmes une chose fort remarquable, c'est que, toutes les fois que Dieu leur communique par lui-même on par le moyen de ses anges quelque sainte inspiration ou quelque bon mouvement, 127 il faut premièrement chasser les démons et les éloigner, afin qu'elles y donnent leur attention et que ces oiseaux de rapine ne viennent aussitôt détruire cette bonne semence (1). Les anges font ordinairement cette défense par les paroles que j'ai déjà citées : Qui est semblable à Dieu, qui habite les lieux les plus élevés? Qui est semblable à Jésus-Christ, qui est à la droite du Père éternel? Et qui est semblable à la très-pure Marie? Ils se servent aussi d'autres paroles semblables qui mettent les démons en fuite, et alors ils se précipitent quelquefois dans l'abîme; mais comme leur rage reste toujours la même, ils reviennent bientôt ait combat. 293. Les ennemis emploient aussi toute leur malice pour porter les hommes à multiplier leurs péchés, afin que la mesure de leurs iniquités soit bientôt comblée, et que, le temps de la pénitence leur manquant avec la vie (2), ils puissent les précipiter dans leurs tourments. Mais, si les saints anges qui se réjouissent de la conversion du pécheur, ne peuvent pas la lui procurer malgré lui, ils s'efforcent autant qu'ils peuvent de détourner les enfants de. l'Église de leurs désordres, en les éloignant d'une infinité d'occasions de pécher, ou, quand ils s'y trouvent engagés, de les décider à pécher moins. Et lorsque, par toua ces charitables soins et par mille autres que les mortels ignorent, ils ne peuvent ramener tant d'âmes qu'ils connaissent être dans le péché, ils se prévalent (1) Luc., VIII, 12. - (2) Galat., VI, 10. 128 de l'intercession de l'auguste Marie, et la prient de s'interposer comme médiatrice auprès du Seigneur, et de se charger de confondre les démons. Et pour que les pécheurs aient en quelque sorte un certain droit à sa miséricordieuse pitié, les anges pressent leur âme d'avoir quelque dévotion particulière envers cette grande Dame, et de lui rendre quelque service qu'ils puissent faire valoir. Il est vrai sans doute que toutes les bonnes oeuvres que l'on fait en état de péché mortel sont mortes et comme des armes impuissantes contre le démon; néanmoins elles ont toujours quelque convenance (quoique éloignée) à cause de la sainteté de leurs objets et de leurs bonnes fins; et avec elles le pécheur est moins mal disposé que sans elles. De sorte que ces oeuvres, présentées par les anges et surtout par la très- pure Marie, ont une espèce de vie ou de ressemblance à la vie aux yeux du Seigneur, qui les regarde alors autrement que dans le pécheur, et quoiqu'elles ne puissent pas le porter à le favoriser, il le fait à cause de ceux qui le prient. 294. C'est ainsi qu'une infinité d'âmes sortent du péché et des griffes de Satan, la très-pure Marie venant à leur secours quand la défense des anges ne suffit pas; car il y a un très-grand nombre d'âmes qui sont réduites à un état si déplorable, qu'elles ont besoin d'un bras aussi puissant que celui de cette grande Reine. C'est pour cette raison que les démons sont si tourmentés de leur propre fureur quand ils savent que quelque pécheur se souvient de la bienheureuse Vierge ou qu'il l'invoque ; car ils connaissent 129 la tendre compassion avec laquelle elle les accueille; ils savent que, si elle sollicite pour eux, elle gagne la cause, et qu'alors il ne leur reste aucune espérance ni même aucune force pour lui résister; mais qu'ils se trouvent aussitôt vaincus. Il arrive souvent que, quand Dieu veut opérer une conversion particulière, cette auguste Reine ordonne avec empire aux démons de s'éloigner de cette âme et d'aller dans l'abîme ou ils vont toujours à sa voix. D'autres fois, sans qu'elle leur fasse ce commandement, Dieu frappe leur intelligence de l'idée des mystères de sa Mère, de la puissance et de la sainteté dont elle est douée, et devant ces nouvelles notions ils prennent la fuite, ils tombent atterrés et vaincus , incapables de détourner les âmes de répondre et de coopérer à la grâce que cette charitable Dame leur a obtenue de son très-saint Fils. 295. Mais, quoique l'intercession de cette grande Reine soit si efficace et son pouvoir si formidable aux démons, quoique le Très-Haut ne fasse aucune faveur à l'Église et aux âmes qu'elle n'y contribue par ses prières, il arrive en beaucoup de rencontres que l'humanité du Verbe incarné combat elle-même pour nous, et nous défend contre les attaques de Lucifer et de ses ministres d'iniquité, se déclarant avec sa Mère en notre faveur et vainquant les démons : tant est grand l'amour que cet adorable Seigneur a pour les âmes, et tant est ardent le zèle avec lequel il s'occupe de leur salut éternel ! Et cela n'arrive pas seulement quand les âmes sont justifiées par le moyen 130 des sacrements; car alors les ennemis sentent contré eux la vertu de Jésus-Christ et de ses mérites d'une manière plus immédiate ; mais en d'antres conversions merveilleuses le Seigneur envoie à ces esprits rebelles des espèces particulières, par lesquelles il les ébat et les confond, leur représentant quelques-uns de ses mystères, comme on l'a remarqué plus haut. C'est de cette manière que s'opéra la conversion de saint Paul, celle de la Madeleine et de plusieurs autres saints; et la même chose a lieu quand il faut garantir quelque royaume catholique ou l'Église des trahisons et des méchancetés que l'enfer invente pour les détruire. Pour des événements semblables, non-seulement la très-sainte Humanité , mais aussi la Divinité infinie, avec la puissance qui est attribuée an Père éternel; se déclare immédiatement centre tous les démons en la manière que nous venons de dire, leur donnant une nouvelle connaissance et de nouvelles espèces des mystères et de la toute- puissance qui doit les opprimer, les vaincre et leur enlever la prise qu'ils ont faite, ou qu'ils entreprennent de faire. 296. Quand le très-Haut oppose ces moyens si puissants au dragon infernal, tout ce royaume de confusion est troublé pendant plusieurs jours jusqu'au fond dé ses abîmes, la terreur s'y répand, on n'y entend que des hurlements effroyables, et les démons ne peuvent s'arracher à ce lieu d'horreur, jusqu'à ce que le Seigneur leur permette d'en sortir pour venir sur la terre. Mais lorsqu'ils savent qu'ils 131 ont cette permission, ils se remettent à persécuter les dures avec leur première fureur. Et quoiqu'il semble que ce soit une chose qui ne s'accorde point avec leur orgueil, de recommencer le combat contre celui qui les a vaincus, néanmoins l'envie qu'ils ont contre les hommes, de ce qu'ils peuvent arriver à la jouissance de Dieu, et la fureur avec laquelle ils désirent les priver de ce bonheur, l'emportent chez les démons sur la honte de la défaite, et les déterminent à nous persécuter jusqu'à la fin de notre vie. Que si les péchés des hommes n'avaient pas offensé d'une manière si excessive la divine miséricorde, il m'a été découvert que Dieu userait maintes fois de sa puissance infinie pour défendre bien des rimes, même par une intervention miraculeuse. Il en userait surtout en faveur du corps mystique de l'Église, et de certains royaumes catholiques, en déjouant les complots que trame l'enfer pour perdre la chrétienté, comme nous le voyons de nos propres yeux dans ces siècles malheureux , où nous ne méritons point que la puissance divine nous défende; car nous irritons tous communément la justice du Seigneur, et le monde s'est allié avec l'enfer, à la tyrannie duquel Dieu permet qu'il se soumette, parce que les hommes s'obstinent de. plus en plus dans leur déplorable. aveuglement. 297. Cette protection du Très-Haut dont nous venons de parler éclata en la conversion de saint Paul; car il le choisit dès le sein de sa mère, comme le dit le &tint lui-même (1), le destinant en son entendement (1) Galat., I, 15. 132 divin à être son apôtre et un vase d'élection. Jusqu'à la persécution de l'Église, sa vie se passa au milieu de divers événements sur la portée desquels le démon prit le change, comme il lui arrive souvent à l'égard d'un grand nombre d'âmes; mais cet ennemi l'observa dès sa conception, il sonda son caractère et se préoccupa du soin avec lequel les anges le défendaient et le gardaient. Leur sollicitude excita sa haine et lui fit chercher les moyens de le faire périr dans ses premières années. Ce dessein ne lui ayant pas réussi, il tâcha, su contraire, de lui conserver la vie quand il le vit persécuter l'Église, comme je l'ai rapporté plus haut. Quand ensuite les anges essayèrent en vain de faire revenir Saul de cette erreur, par laquelle il s'était si volontairement livré aux démons, notre puissante Reine accourut à son secours, regardant cette cause comme la sienne propre; grâce à elle, Jésus-Christ employa sa vertu divine, et le Père éternel, à son tour, l'arracha de sa main puissante des griffes du dragon; c'est ainsi qu'il fut confondu et précipité à l'instant dans l'abîme par la présence de Jésus-Christ, avec tous les démons qui accompagnaient Saul sur la route de Damas. 298. Lucifer et ses suppôts sentirent dans cette occasion la force invincible de la toute-puissance divine; ils en furent tellement accablés et terrifiés, que, pendant plusieurs jours, ils restèrent immobiles su fond des cavernes infernales. Mais aussitôt que le Seigneur leur eut ôté de l'intelligence les espèces qu'il leur avait données pour les confondre, ils ne respirèrent 133 plus que la vengeance. Et Lucifer ayant convoqué les autres démons, leur adressa ces paroles Comment est-il possible que j'apaise ma fureur à la vue de tant d'outrages que je reçois chaque jour de ce Verbe incarné, et de cette femme qui l'a conçu et enfanté, s'étant fait homme dans son sein? Où est maintenant ma force? où est ma puissance ? où est ma fureur? où sont les triomphes que j'ai remportés sur les hommes, depuis que sans raison Dieu m'a précipité des cieux dans cet abîme? Il semble, mes amis, que le Tout-Puissant veuille fermer les portes de ces enfers et ouvrir celles du ciel, de sorte que par là notre empire sera détruit , et je verrai mes projeta s'évanouir, moi qui brille du désir d'entraîner dans ces tourments le reste des hommes. Si Dieu fait tant de merveilles en leur faveur, après les avoir rachetés par sa mort; s'il leur témoigne tant d'amour; s'il les attire à son amitié avec tant de force et de prodiges, ils se laisseront sans doute gagner par un si grand amour et par de pareils bienfaits, fussent-ils aussi insensibles que les bêtes féroces, et eussent-ils un coeur aussi dur que le diamant. Ils l'aimeront et le suivront tous, sinon ils sont plus rebelles et plus obstinés que nous. Quelle âme sera assez stupide pour ne pas se montrer reconnaissante envers ce Dieu-Homme, qui lui procure sa propre gloire avec tant de tendresse? Saul était notre ami, l'instrument de mes desseins, soumis à ma volonté et à mon empire, ennemi du Crucifié, et je lui réservais les tourments les plus cruels dans cet enfer. Pourtant il me l'a arraché 134 des mains lorsque je m'y attendais le moins, et de son bras fort et puissant il a élevé un petit homme terrestre à une grâce et à des faveurs si sublimes, que nous- mêmes ses ennemis nous ne pouvons nous défendre d'une espèce d'admiration. Qu'est-ce qu'a fait Saul pour acquérir un bonheur si extraordinaire? N'était-il pas à mon service, exécutant mes ordres et bravant Dieu lui-même? Or, s'il a été si généreux envers lui, que ne sera-t-il pas envers de moindres pécheurs! Quand même il ne les convertirait pas avec d'aussi grandes merveilles, il les appellera et les attirera à lui par le baptême et par les autres sacrements, au moyen desquels il y en a tant qui sont justifiés chaque jour. Cet exemple si rare suffira pour qu'il attire le monde entier, tandis que pour détruire l'Église je prétendais me servir de ce Saul qui la défendra maintenant avec un intrépide courage. Faut-il que je voie la vile nature humaine élevée à la félicité et à la grâce que j'ai perdues, et quelle entre dans les cieux d'où j'ai été chassé? Cela me tourmente plus dans ma propre fureur que le feu qui me brille. J'enrage de ne pouvoir m'anéantir. Pourquoi Dieu ne le fait-il pas, et me condamne-t-il à un pareil supplice? Mais puisqu'il en est ainsi, dites-moi, mes sujets, que ferons-nous contre ce Dieu si puissant? Nous ne pouvons rien contre lui, mais nous pouvons nous en venger sur les hommes qu'il aime tant, puisqu'en cela nous bravons sa volonté. Et comme ma grandeur est plus que jamais irritée contre cette femme notre ennemie, qui lui a donné l'être humain, je veux de nouveau 135 essayer de la détruire et de me venger de l'injure qu'elle nous a faits en nous ôtant Saul et en nous chassant dans cet enfer. Je ne serai point satisfait que je ne l'aie vaincue. Je jure donc de tourner contre elle tous les artifices que j'ai inventés contre Dieu et contre les hommes, depuis que j'ai été précipité dans cet abîme. Suivez-moi tous, pour m'aider dans cette entreprise et pour exécuter ma volonté. " 299. Ce fut là le discours de Lucifer; quelques démons répondirent en ces termes : " Notre chef, nous sommes prêts à vous obéir, sachant combien cette femme notre ennemie nous opprime et nous tourmente; mais nous avons sujet de craindre qu'elle seule elle ne nous résiste, et ne se joue de toutes nos mesures et de toutes nos tentations; car nous avons vu en d'autres circonstances combien elle nous est supérieure en force. Ce qui la touchera le plus sensiblement, ce sera que nous entreprenions quelque chose contre les imitateurs de son Fils, parce qu'elle les aime comme une mère et en prend le plus grand soin. Il faut donc que nous persécutions en même temps les fidèles, puisque nous avons de notre côté tous les Juifs incrédules, qui sont irrités contre cette nouvelle Église du Crucifié; et, avec le concours des pontifes et des pharisiens, nous obtiendrons sur ces fidèles tous les avantages que nous souhaitons, et ensuite vous tournerez toute votre fureur contre cette femme. " Lucifer approuva ce conseil, et témoigna en savoir bon gré à ceux qui l'avaient proposé; de sorte qu'ils résolurent de venir détruire l'Église par l'entremise 136 de nouveaux agents, comme ils l'avaient entrepris par celle de Saul. De cette résolution résultèrent les conséquences que je rapporterai plus loin, et le combat que la bienheureuse Marie soutint contre le dragon et ses démons, remportant sur eux, pour la sainte Église, les grandes victoires dont j'ai dit, au chapitre sixième de la première partie, que je réservais le récit pour cet endroit. Instruction que la grande Reine des anges m'a donnée. 300. Ma fille, vous ne parviendrez jamais à faire entièrement comprendre dans la vie mortelle par vos humaines paroles l'envie que Lucifer et ses démons ont contre les hommes, ni la malice, les ruses, la perfidie et la fureur avec lesquelles ils les persécutent pour les faire tomber dans le péché, et ensuite dans les peines éternelles. Ils tâchent d'empêcher toutes les bonnes oeuvres qu'ils peuvent faire, et s'ils en font quelques-unes, ils les calomnient et travaillent à en dénaturer le caractère, à en détruire les effets. Quant aux oeuvres mauvaises, ils prétendent introduire dans les dînes toutes celles que leur malice peut inventer. La protection divine est admirable contre cette extrême méchanceté, mais les mortels n'y coopèrent pas de leur côté. C'est pour cette raison que 187 l'Apôtre les exhorte à marcher prudemment parmi les piéges que-les démons leur tendent, et à vivre non comme des insensés, mais comme des hommes sages, et de racheter le temps, parce que les jours de la vie d'ici-bas sont mauvais et remplis de périls (1). Et il leur dit, dans un autre endroit, d'être fermes et inébranlables pour abonder en toutes sortes de bonnes oeuvres, et d'être assurés que le Seigneur ne laissera point leur travail sans. récompense (2). Lucifer connaît cette vérité et il la craint, c'est pourquoi il emploie toute sa malice pour décourager les âmes ; quand elles ont commis quelque péché, afin de les dégoûter des bonnes oeuvres, et de leur ôter les armes avec lesquelles les saints anges les défendent et font la guerre aux démons. Et quoique ces oeuvres dans le pécheur ne soient point animées de la charité, et n'aient point cette vie de la grâce qui fait mériter la gloire, elles sont néanmoins d'une grande utilité pour celui qui les fait. Et il arrive quelquefois que, quand il s'accoutume à les faire, la divine miséricorde condescend à lui donner des secours plus efficaces pour faire ces mêmes oeuvres avec plus de plénitude et de ferveur, avec une plus vive douleur de ses péchés et une véritable charité, par lesquelles il obtient la justification. 301. Quand le pécheur fait une bonne action, nous qui sommes dans la gloire, nous prenons de là quelque motif pour le défendre de ses ennemis, et pour prier (1) Ephes., V, 15 et 16. - (2) II Cor., XV, 58. 138 la miséricorde divine de le regarder et de le tirer du péché. Les bienheureux sont aussi bien aises que les mortels les invoquent avec ferveur dans leurs périls et dans leurs besoins, et qu'ils aient envers eux une tendre dévotion. Que si les saints dans la gloire sont si portés par .la grande charité qu'ils ont à secourir les hommes dans les dangers qui les environnent, et dans les persécutions du démon qu'ils connaissent, vous ne devez pas, ma très-chère fille, être étonnée de ma compassion pour les pécheurs qui m'invoquent et qui ont recours à ma clémence pour leur salut; car je le leur souhaite infiniment plus qu'ils ne le désirent eux-mêmes. On ne saurait compter ceux que j'ai délivrés de la fureur du dragon infernal pour avoir eu une certaine dévotion envers moi, n'eût-elle abouti qu'à réciter un Ave Maria, ou à prononcer une seule parole en mon honneur et pour m'invoquer. Ma charité envers eux est si grande, que, sils avaient recours à moi à temps et avec sincérité, il n'en périrait aucun. Mais les pécheurs et les réprouvés ne le font pas , parce qu'ils ne s'inquiètent pas des blessures spirituelles du péché, comme n'étant pas sensibles au corps; et plus elles sont réitérées, moins elles causent de douleur, car le second péché est une blessure faite à un corps mort, qui ne saurait ni craindre, ni prévoir, ni sentir le coup qu'il reçoit. 302. De cette funeste insensibilité provient chez les hommes l'oubli de leur damnation éternelle, et cher. les démons l'ardeur avec laquelle ils les y poussent. Et sans que les infortunés sachent sur quoi ils 139 fondent leur fausse sécurité, ils demeurent tranquilles dans leur propre mal, lorsqu'ils devraient en redouter les suites et méditer sur la mort éternelle qui les menace de fort près, ou lorsqu'ils devraient au moins songer, pour obtenir le salut , à recourir au Seigneur, à moi et aux saints. Mais ils négligent même de faire une demande qui leur colite si peu, jusqu'au moment où elle ne peut plus être accueillie parce qu'ils la font sans les conditions requises. Que si je procure le salut à quelques personnes à leur dernière heure, parce que je vois combien il a coûté à mon très-saint Fils de les racheter, c'est là un privilège qui ne saurait être une règle commune pour tout le monde. Ainsi se damnent tant d'enfants de l'Église qui, aussi ingrats qu'insensés, méprisent les secours si nombreux et si puissants que la clémence divine leur offre au temps le plus opportun. Quel surcroît de confusion pour eux, qui, connaissant la miséricorde du Très-Haut et la bonté avec laquelle je veux les secourir, et la charité des saints pour intercéder en leur faveur, n'ont voulu donner ni à Dieu la gloire, ni à moi, aux anges et aux saints la joie que nous aurions eue de les sauver s'ils nous eussent invoqués de tout leur coeur. 303. Je veux, ma fille, vous découvrir un autre secret. Vous savez que mon Fils et mon Seigneur dit dans l'Évangile que les anges se réjouissent dans le ciel lorsqu'un pécheur fait pénitence et entre dans le chemin de la vie éternelle par le moyen de sa justification (1). Il en est de même, sous un autre rapport, (1) Luc., XV, 10. 140 lorsque les justes font des oeuvres de véritable vertu , qui leur méritent de nouveaux degrés de gloire. Or, ce qui se passe dans le ciel à la conversion des pécheurs et à raison de l'accroissement des mérites des justes, se reproduit en sens inverse chez les démons et dans l'enfer, lorsque les justes pèchent ou que les pécheurs commettent de nouvelles fautes. Car les hommes n'en commettent aucune, quelque légère qu'elle soit, que les démons n'en aient une satisfaction particulière. C'est pourquoi ceux qui les tentent en donnent aussitôt avis à ceux qui sont dans les prisons éternelles, afin qu ils s'en réjouissent et qu'ils connaissent ces nouveaux péchés qu ils enregistrent dans leur mémoire, pour en accuser les coupables devant le juste juge, afin qu'ils sachent par là qu'ils ont une plus grande juridiction sur les malheureux pécheurs qu'ils ont réduits sous leur empire, plus ou moins, selon l'énormité des péchés qu'ils ont commis; telle est la haine qu'ils ont contre les hommes et la trahison qu'ils leur font, lorsqu'ils les trompent par quelque plaisir passager et apparent. Mais le Très-Haut, qui est juste en toutes ses oeuvres, a aussi ordonné, comme en punition de cette méchanceté, que la conversion des pécheurs et les bonnes oeuvres des justes causassent aussi un tourment particulier à ces ennemis, qui, dans leur extrême malice, se réjouissent de la perte des hommes. 304. Cet ordre de la divine Providence tourmente fort tous les démons; car non- seulement ce châtiment les confond et les accable dans la haine mortelle qu'ils ont contre les hommes, mais, en outre, par les victoires que les saints et les pécheurs convertis remportent sur eux, le Seigneur leur ôte une grande partie des forces que leur ont données et que leur donnent ceux qui se laissent séduire par leurs mensonges, et qui pèchent contre leur Dieu véritable. Dans ces occasions, les démons font peser sur les damnés le nouveau tourment qu'ils subissent; et comme il y a dans le ciel une nouvelle joie pour toutes les bonne oeuvrés et pour la pénitence des pécheurs, il y a aussi dans l'enfer, lorsque les démons entrent en fureur, une nouvelle confusion, un nouveau désespoir, qui cause de nouvelles peines accidentelles à tous les habitants de ce séjour d'horreur. C'est de cette manière que le ciel et l'enfer prennent une part égale, mais par des effets si contraires, à la conversion et à la justification du pécheur. Lorsque les âmes sont justifiées par le moyen des sacrements, spécialement par la confession faite avec une véritable douleur, il arrive maintes fois que, les démons n'osent plus, pendant quelque temps, paraître devant le pénitent, et perdent même, pour des heures entières, la hardiesse de le regarder, si lui-même ne leur rend des forces par ses ingratitudes envers Dieu, et en s'exposant de nouveau aux occasions du péché; car dans ce cas les démons s'affranchissent de la crainte que leur ont causée la véritable pénitence et la justification. 305. La tristesse et la douleur sont bannies du ciel; mais, si elles n'y étaient pas impossibles, rien 142 au monde n'affligerait les bienheureux autant que de voir celui qui a été justifié retomber dans le péché et perdre de nouveau la grâce, et le pécheur s'en éloigner de plus en plus et se mettre comme dans l'impossibilité de la recouvrer. La malice du péché est telle, que naturellement il serait capable de contrister le ciel, comme la vertu et la pénitence tourmentent réellement l'enfer. Or considérez, ma très-chère fille, dans quelle ignorance dangereuse de ces vérités vivent communément les mortels, privant le ciel de la joie qu'il recevrait de la justification de leur âme; Dieu, de la gloire extérieure qui lui en résulterait; et l'enfer, du châtiment qui est infligé aux démons, parce qu'ils se réjouissent de la chute et de la perte des hommes. Je veux, ma fille, que vous tâchiez, comme une servante fidèle et prudente, de profiter des lumières dont vous êtes favorisée, pour réparer ces maux. Vous devez aussi vous approcher toujours du sacrement de la pénitence avec ferveur, avec respect et avec une intime douleur de vos péchés; car ce remède cause une grande terreur au dragon, qui fait tous ses efforts pour tromper les âmes et les porter par ses artifices à recevoir ce sacrement avec tiédeur, par coutume, sans douleur et sans les dispositions requises. Et le démon fait ces efforts, non-seulement afin de perdre les âmes, mais encore afin d'éviter le tourment qu'il ressent à la vue d'un vrai pénitent dûment justifié, qui l'accable et le confond dans la malignité de son orgueil. 306. Je vous avertis encore, ma bien-aimée, que, 143 quoique ce soit une vérité infaillible que ces dragons infernaux soient les auteurs et les maîtres du mensonge, qu'ils traitent avec les hommes dans l'intention de les tromper en tout, et qu'ils prétendent toujours, par un redoublement de malice, leur transmettre l'esprit d'erreur par lequel ils les perdent; néanmoins, lorsque ces ennemis, dans leurs conciliabules, délibèrent ensemble et discutent entre eux les résolutions perfides qu'ils prennent pour tromper les mortels, alors ils traitent de quelques vérités qu'ils connaissent et qu'ils ne peuvent nier; car ils les comprennent toutes, et s'ils les communiquent aux hommes, ce n'est pas pour les leur enseigner, mais pour les jeter dans les ténèbres, en les leur proposant mêlées avec des erreurs et des faussetés dont ils se servent pour assurer le succès de leurs desseins impies. Et comme vous avez révélé dans ce chapitre et dans toute cette histoire les secrets de tant de conciliabules et de complots de la malice de ces esprits malfaisants, ils sont fort irrités contre vous, parce qu'ils s'imaginaient que ces secrets n'arriveraient jamais à la connaissance des hommes, et qu'ils ne seraient point informés non plus de ce qu'ils machinent contre eux dans leurs assemblées. C'est pour cette raison qu'ils déploieront toute leur fureur pour se venger de vous; mais le Très-Haut vous assistera si vous l'invoquez, et si vous trichez vous-même de briser la tète du dragon. Demandez aussi au Seigneur que, par sa divine clémence, ces avis et ces instructions que je vous donne servent à détromper 144 les mortels, et priez-le de leur communiquer sa divine lumière, afin qu'ils profitent de ce bienfait. Soyez vous-même la première à y correspondre de votre côté avec toute la fidélité possible, comme celle qui est la plus obligée entre tous les enfants de ce siècle; car, comme vous recevez davantage, votre ingratitude serait plus horrible et le triomphe des démons; vos ennemis, serait plus grand, si, connaissant leur méchanceté, vous ne faisiez tous vos efforts pour les vaincre avec la protection du Très-Haut et avec l'assistance de ses anges. 26/30 CHAPITRE XVI. La bienheureuse Marie tonnait les desseins qu'a formés Lucifer pour persécuter l'Église. - Elle en demande dans le ciel le remède, en la présence du Très-Haut. - Elle avertit les apôtres. - Saint Jacques va prêcher en Espagne, où la sainte Vierge le visite une fois. Instruction que la Reine du ciel m'a donnée. CHAPITRE XVII. Lucifer prépaie une nouvelle persécution contre l'Église et contre la très-pure Marie. - Elle en donne connaissance à saint Jean, et par son ordre elle se détermine d'aller à Éphèse. - Son très-saint Fils lui apparaît, et lui dit d'aller à Saragosse pour visiter l'apôtre saint Jacques. - Circonstances de cette visite. L'auguste Marie va de Jérusalem à Saragosse en Espagne, pour visiter saint Jacques par la volonté de son Fils, notre Sauveur. - Ce qui arriva dans cette visite l'année et le jour auquel elle eut lien. Instruction que la Reine du ciel m'a donnée. CHAPITRE XVI. La bienheureuse Marie tonnait les desseins qu'a formés Lucifer pour persécuter l'Église. - Elle en demande dans le ciel le remède, en la présence du Très-Haut. - Elle avertit les apôtres. - Saint Jacques va prêcher en Espagne, où la sainte Vierge le visite une fois. 307. Lorsque, après la conversion de saint Paul, Lucifer et les princes des ténèbres délibéraient de se venger de l'auguste Marie et des enfants de l'Église, comme il a été rapporté dans le chapitre précédent, ils ne pensaient point que la vue de la grande Reine de l'univers pénétrât ces obscures et profondes 145 cavernes de l'enfer, et ce qu'il y avait de plus secret dans leur conseil d'iniquité. Dans cette assurance trompeuse, ces cruels dragons se promettaient une victoire plus certaine, et se flattaient de ne trouver aucun obstacle à l'exécution de leurs desseins contre elle et contre les disciples de son très-saint Fils. Mais la bienheureuse Mère regardait de sa retraite, à la clarté de sa divine science, tout ce que ces ennemis dé la lumière déterminaient. Elle connut tous leurs projets et tous les moyens qu'ils imaginèrent pour en venir à bout, leur colère contre Dieu et contre elle, et leur haine mortelle contre les apôtres et contre. les autres fidèles de l'Église. Et quoique la très-prudente Dame considérât que les démons ne pouvaient rien exécuter de leur malice sans la permission du Seigneur, néanmoins, comme le combat est inévitable dans la vie mortelle, et qu'elle. connaissait la fragilité humaine et l'ignorance où sont communément les hommes des artifices que les démons emploient pour les perdre, elle fut très-affligée de la prévision des desseins si perfides que couvaient les ennemis pour l'extermination des fidèles. 308. Outre cette science et cette charité suréminente émanée si directement de celle du Seigneur lui-même, elle reçut une autre prérogative, qui consistait en une activité infatigable semblable à l'être de Dieu, qui opère toujours par un acte très- simple; car la trés-diligente Mère était d'une manière permanente dans l'amour actuel de la gloire du Très-Haut, comme incessamment animée d'un zèle actuel pour 146 sa gloire et pour le salut et la consolation de ses enfants. Elle contemplait les mystères les plus sublimes, elle confrontait le passé avec le présent, et l'un et l'autre avec l'avenir, qu'elle prévoyait avec une sagesse plus qu'humaine. Le très- ardent désir qu'elle avait du salut de tous les enfants de l'Église, et la compassion maternelle qu'elle sentait de leurs peines et des dangers qui les environnaient, l'obligeaient à regarder comme siennes toutes la tribulations qui devaient les affliger, et, autant qu'il dépendait de son amour, elle souhaitait les souffrir en leur lieu et place, si cette substitution eût été possible, afin que les autres imitateurs de Jésus-Christ travaillassent avec joie dans l'Église, méritant la grâce et la vie éternelle, et qu'elle seule fût chargée de toutes leurs peines et de toutes leurs afflictions. Sans doute d'après l'équité de la Providence divine cela n'était pas possible, mais nous n'en sommes pas moins redevables à la charité de la bienheureuse Marie de ce rare et merveilleux dévouement, d'autant plus que parfois la volonté de Dieu s'y prêtait pour satisfaire son amour et en adoucir les angoisses, en permettant qu'elle souffrit pour nous, et qu'elle nous méritât en même temps de grands bienfaits. 309. Elle ne connut point en particulier ce que les démons tramaient contre elle dans ce conciliabule; elle comprit seulement que contre elle était leur plus grande fureur. Au reste, ce fut par une disposition divine qu'elle n'eut pas connaissance de toutes leurs mesures, afin que le triomphe qu'elle 147 devait remporter sur tout l'enfer fût plus glorieux, comme on verra dans la suite. Cette prévoyance des tentations et des persécutions que notre invincible Reine devait souffrir, n'était d'ailleurs pas nécessaire comme elle l'était en ce qui concernait les, antres, fidèles, qui n'avaient pas le coeur aussi ferme et aussi intrépide, et dont elle connut d'une manière particulière les peines et les tribulations. Et comme dans toutes les affaira elle avait recours à la prière pour consulter le Seigneur, enseignée qu'elle était par la doctrine et par l'exemple de son très-saint Fils, elle l'employa aussitôt; et s'étant retirée dans sa solitude, elle se prosterna, selon sa coutume, avec un profond respect et avec une ferveur admirable, et elle dit 310. " Souverain Seigneur, Dieu éternel, incompréhensible et saint, voici votre humble servante prosternée devant votre divine Majesté. Je vous supplie, Père éternel, par votre Fils unique et mon Seigneur Jésus-Christ, de ne pas rejeter la prières et les gémissements que du plus intime de mon âme je présente devant votre charité immense, et avec celle que vous avez tirée du foyer ardent de votre coeur amoureux pour la communiquer à votre esclave. Au nom de toute votre Église, de vos apôtres et serviteurs fidèles, je vous présente, Seigneur, le sacrifice de la mort et da sang de votre Fils unique, celui de son adorable corps consacré, les prières qu'il vous a offertes dans le temps qu'il vivait eu sa chair mortelle et passible, et qui vous furent si agréables; l'amour avec lequel il a pris 148 la forme humaine dans mon sein pour racheter le monde, le privilège que j'ai eu de l'y porter pendant neuf mois, et de le nourrir ensuite de mon propre lait, je vous présente tout cela, mon Dieu, afin que vous me donniez la permission de vous demander ce que mon coeur dédire et qui n'est pas haché à vos yeux. " 311. Durant cette prière notre auguste Reine fut ravie en une divine extase, dans laquelle elle vit son Fils unique qui priait le Père éternel, à la droite duquel il était, d'accorder ce que sa très-sainte Mère demandait, puisque toutes ses prières méritaient d'être exaucées, parce qu'elle était sa Mère véritable et en tout fort agréable en son acceptation divine. Elle vit aussi que le Père éternel était porté à lui encorder ce qu'elle souhaitait et qu'il recevait ses prières avec complaisance, et que, la regardant avec une douceur ineffable, il lui disait Marie, ma Fille, montez plus haut. A cette parole du Père éternel, une multitude innombrable d'anges de différents ordres descendit du ciel, et arrivés près de la bienheureuse Vierge, toujours prosternée la face contre terre, ils la relevèrent. Puis ils la transportèrent dans l'empyrée, et la déposèrent devant le trône de la très-sainte Trinité, qui lui fut manifestée par une vision très-sublime, quoique ce ne fût point intuitivement, mais par des imagea représentatives. Elle se prosterna devant le trône, et adora avec la plus profonde humilité l'être de Dieu dans les trois personnes divines; elle rendit. des actions de grâce à son très-saint 149 Fils de ce qu'il avait présenté sa prière au Père éternel, et le supplia de la lui présenter de nouveau. Notre adorable Sauveur, qui, à la droite du Père, reconnaissait la Reine du ciel pour sa digne Mère, ne voulut point oublier l'obéissance qu'il lui avait témoignée sur la terre (1); mais il renouvela en présence de tous les courtisans célestes cette reconnaissance de Fils, et comme tel il présenta de nouveau au Père les désirs et les prières de sa bienheureuse Mère. Le même Père éternel répondit en ces termes : 312. " Mon Fils, en qui ma volonté sainte trouve la plénitude de mes complaisances (2), je suis attentif aux gémissements de votre Mère, est ma clémence est portée à exaucer tans ses désirs et a toutes ses prières. Puis, s'adressant à la très pure Marie, il lui dit : " Ma bien-aimée, ma Fille, mon élue entre mille comme l'objet de mes complaisances, vous êtes l'instrument de ma toute-puissance et la dépositaire de mon amour; calmez vos inquiétudes, et dites- moi, ma Fille, ce que vous demandez; car ma volonté est toute portée à satisfaire vos désirs et vos prières, qui sont saintes à mes yeux. Avec cette permission l'auguste Marie parla, et elle dit : " Père éternel, Dieu de mon âme, qui donnez et conservez l'être à tout ce qui est créé, mes prières et mes désirs sont pour votre sainte Église. Jetez sur elle les yeux de votre miséricorde, et considérez qu'elle est l'oeuvre de (1) Luc., II, 15. - (2) Matth., XVII, 5. 150 Votre Fils unique incarné, acquise et fondée par son propre sang (1). Le dragon infernal et tous vos ennemis, ses alliés, s'élèvent de nouveau contre elle, et complotent la ruine et la perte de vos à fidèles, qui sont le fruit de la rédemption que votre Fils et mon Seigneur a opérée. Confondez les conseils iniques de cet ancien serpent, et défendez vos serviteurs les apôtres et les autres fidèles de l'Église. Et afin qu'ils soient délivrés des embûches, de la fureur et des persécutions de ces ennemis, faites, Seigneur, qui elles se dirigent a toutes contre moi, s'il est possible. Je ne suis qu'une seule pauvre créature, et vos serviteurs sont nombreux; faites qu'ils jouissent de vos faveurs et de la tranquillité nécessaire pour qu'ils puissent travailler à votre exaltation et à votre gloire, et que je souffre , moi seule, les tribulations dont ils sont menacés. Je combattrai vos ennemis, et vous les vaincrez et les confondrez dans leur malice par la puissance de votre bras. " 313. " Mon Épouse et ma bien-aimée, répondit le Père éternel, vos désirs sont agréables à mes yeux, et je satisferai à vos demandes en ce qui est possible. Je défendrai mes serviteurs autant qu'il est convenable pour ma gloire ; et je les laisserai souffrir autant qu'il faut qu'ils souffrent pour mériter leur couronne. Et afin que vous pénétriez le secret de ma sagesse avec laquelle il convient de dispenser (1) Act., XX, 28. 151 ces mystères, je veux que vous montiez sur mon trône, où votre ardente charité vous donne place dans le consistoire de notre grand conseil, et vous rend spécialement participante de nos divins attributs. Venez, ma bien-aimée, et vous entendrez nos secrets pour le gouvernement de l'Église et pour ses progrès, et vous exécuterez votre volonté, qui sera la nôtre , telle que nous allons vous la manifester maintenant. " A la force de cette très-douce voix, la bienheureuse Marie comprit qu'elle était élevée sur le trône de la Divinité, et placée à la droite de son Fils unique, à l'admiration et à la joie de tous les bienheureux, qui connurent la voix et la volonté du Tout-Puissant. Et ce fut véritablement une chose nouvelle et merveilleuse pour tous les anges et tous les saints, de voir qu'une femme en chair mortelle fût élevée et appelée sur le trône du grand conseil de la très-sainte Trinité, pour lui faire part des mystères qui étaient cachés aux autres, et renfermés dans le sein de Dieu même pour le gouvernement de son Église. 314. Il paraitrait dans le monde tout à fait extraordinaire que dans une ville quelconque une femme fût appelée aux assemblées où l'on traite du gouvernement public. Il paraîtrait encore plus étrange quelle fût introduite dans les tribunaux et dans lés assemblées des suprêmes conseils, où l'on décide les affaires les plus importantes des royaumes, Cette nouveauté paraîtrait avec raison fort dangereuse, puisque Salomon dit qu'il a cherché la vérité et la raison 152 parmi les hommes, et que sur mille il en a trouvé un qui la découvrait; mais que, parmi les femmes il n'en a trouvé aucune (1). Il en est si peu qui aient le jugement ferme et droit, à cause de la faiblesse de leur sexe, qu'ordinairement on ne le présume chez aucune; et s'il y en a plusieurs,,elles ne font pas nombre pour s'occuper des grandes affaires, sans autres lumières que les lumières ordinaires et naturelles. Cette loi commune ne s'appliquait point à notre auguste Reine; car si notre mère Ève commença, dans sa folle ignorance, à détruire la maison de ce monde que Dieu avait construite, l'auguste Marie, qui fut très-sage et la Mère de la Sagesse (2), la releva et la restaura par son incomparable prudence et par cette même vertu elle fat digne d'entrer dans le conseil de la très-sainte Trinité, ou les trois personnes divines traitaient de cette réparation. 315. Là il lui fut, de nouveau demandé ce qu'elle souhaitait, pour elle et pour toute la sainte Église, particulièrement. pour, les apôtres et les disciples du Seigneur. La très-prudente Mère exposa une seconde fois les voeux ardents qu'elle formait pour la gloire et l'exaltation du saint nom du Très-Haut, et pour le soulagement des fidèles dans la persécution que les ennemis du Seigneur allaient susciter contre eux. Et quoique sa sagesse infinie connut tout ce qui devait arriver, néanmoins il ordonna à notre auguste Dame de le proposer pour l'approuver et s'y complaire; et pour (1) Eccles., VII, 28 28, - (2) Eccles., XXIV, 34. 153 la mieux instruire des nouveaux mystères de la divine sagesse et de là prédestination des élus, Pour faire bien comprendre ce que j'ai appris de ce mystère, je m'explique en disant que, comme la volonté de la bienheureuse Marie était très- droite, très-sainte, et en tout extrêmement conforme et agréable à celle de l'adorable Trinité, il semble, selon notre manière de concevoir, que Dieu ne pouvait rien vouloir de contraire à la volonté de cette très-pure Dame, dont la sainteté ineffable l'attirait à la volonté de cette Épouse bien-aimée, unique entre toutes les créatures, dont les regards et la chevelure le blessaient (1), et que le Père éternel traitait comme sa fille, le Fils comme sa Mère, le Saint-Esprit comme son Épouse, après lui avoir ensemble remis l'Église, tant leur coeur se confiait en elle (2). Par tous ces titres les trois divines personnes ne voulaient ordonner l'exécution d'aucune chose sans la consultation, sans la sagesse, et presque sans le bon, plaisir de cette Reine de l'univers. 316. Mais afin que la volonté du très-Haut et celle de la bienheureuse Vierge concordassent en ces décrets, il fallut que cette grande Dame reçut premièrement une nouvelle participation de la divine science et des conseils très-secrets de sa providence, suivant lesquels il dispose toutes les choses de ses créatures, leurs fins et leurs moyens avec poids et mesure (3) avec une souveraine. équité et avec une convenance admirable C'est pour cela qu'il fut donné dans cette (1) Cant., IV, 9. - (2) Prov., XXXI, 11. - (2) Sap., XI, 21. 155 occasion à la très-pure Marie une nouvelle et très claire lumière de tout ce qu il convenait que la puissance divine opérât et disposât dans l'Église militante. Elle sut les raisons mystérieuses de toutes ces choses, combien d'apôtres devaient souffrir et mourir avant qu'elle quittât la terre, les peines et les afflictions qu'il fallait qu'ils souffrissent pour le nom du Seigneur, la nécessité de ces épreuves, selon les secrets jugements du Seigneur et la prédestination des saints, et qu'ils devaient établir l'Église en versant leur propre sang, comme leur Maître et leur Rédempteur avait versé le sien pour la fonder sur sa passion et sur sa mort. Elle comprit aussi que par cette connaissance qu'elle avait de ce qu'il était convenable que les apôtres et les imitateurs de Jésus-Christ souffrissent, elle réparait par sa propre douleur et par sa compassion tout ce qu'elle ne souffrirait point et qu'elle souhaitait souffrir, tandis qu'il fallait nécessairement qu'ils passassent par ces afflictions, si courtes et si légères, pour arriver à la récompense éternelle qui les attendait (1). Elle savait déjà que saint Jacques ne tarderait pas à subir le martyre, et qu'en même temps saint Pierre serait mis en prison; mais afin que notre grande Dame eût une plus abondante matière d'augmenter son propre mérite, il ne lui fut pas déclaré alors que l'ange mettrait en liberté le vicaire de Jésus-Christ. Elle comprit enfin que le Seigneur accorderait .à chacun des apôtres et des (1) II Cor., IV, 17. 155 fidèles le genre de peines et de martyre proportionné aux forces de sa grâce et de son esprit. 317. Et afin de satisfaire en tout la très-ardente charité de la bienheureuse Mère, le Seigneur lui accorda de combattre de nouveau pour son honneur les dragons infernaux , et de remporter sur eux les victoires et les triomphes auxquels les antres mortels ne pouvaient pas aspirer; de leur écraser par ce moyen la tète, et de les confondre dans leur orgueil, pour les affaiblir dans leur lutte contre les enfants de l'Église. Afin de la préparer à ces combats, les trois divines personnes lui renouvelèrent tous les dons et la participation des attributs divins, et lui donnèrent leur bénédiction. Les saints anges la replacèrent ensuite dans l'oratoire du Cénacle, de la même manière qu'ils l'avaient transportée dans l'empyrée. Aussitôt qu'elle fut sortie de ce ravissement, elle se prosterna les bras en croix, et avec nue humilité incroyable et des larmes de tendresse elle rendit des actions de grâces au Tout- Puissant pour ce nouveau bienfait dont il l'avait favorisée, et pendant lequel elle n'oublia point les privilèges de son incomparable humilité. Elle s'entretint quelque temps avec les saints anges des mystères qui lui avaient été découverts, et des besoins de l'Église, afin qu'ils s'employassent dans leur ministère à ce qui était le plus pressant. Jale crut qu'il était convenable de prévenir de certaines choses les apôtres, et de les encourager en les préparant aux épreuves que l'ennemi commun leur susciterait, parce que c'était contre eux qu'il dressait 156 sa plus grande batterie. Elle paria pour ce sujet à saint Pierre, à saint Jean, et aux autres qui se trouvaient à Jérusalem; et elle leur donna avis de plusieurs choses particulières qui leur arriveraient à eux et à toute la sainte Église. Elle leur confirma aussi la nouvelle qu'ils avaient de la conversion de saint Paul, leur déclarant le zèle avec lequel il prêchait le nom et la loi de leur adorable Maître. 318. Elle envoya des anges aux apôtres et aux disciples qui étaient hors de Jérusalem, afin qu'ils leur donnassent connaissance de la conversion de saint Paul, et qu'ils les prévinssent et les encourageassent parles mêmes avis que notre auguste Reine avait donnés à ceux qui se trouvaient présents. Elle chargea spécialement l'un des saints anges d'avertir saint Paul des embûches que le démon lui dressait de l'animer et de l'affermir tu l'espérance de la faveur divine su milieu de ses tribulations. Les anges obéirent à leur grande Reine, remplirent ces missions avec cette promptitude qui leur est ordinaire, et se manifestèrent sous une forme visible aux apôtres et aux disciples vers, lesquels elle les envoyait. Cette faveur singulière de la bienheureuse Marie leur causa une joie incroyable et redoubla leur courage; chacun d'eux lui répondit par la voie des mêmes anges avec une humble reconnaissance, lui promettant de mourir volontiers pour l'honneur de leur divin Rédempteur. Saint Paul se distingua en cette réponse, parce que sa dévotion envers sa protectrice, jointe à l'impatient désir qu'il avait de la voir et de lui donner des 157 marques de sa gratitude, le pressait d'exprimer plus vivement les sentiments de son zèle et de sa soumission. Il était alors à Damas où il prêchait et disputait avec les Juifs de diverses synagogues; mais fort peu de temps après il alla prêcher dans l'Arabie, d'où il revint à Damas, comme je le dirai plus loin: 319. Saint Jacques le Majeur était plus éloigné qu'aucun des apôtres; car, ainsi qu'on l'a vu, il fut le premier qui sortit de Jérusalem pouf aller prêcher la foi, et ayant prêché quelques jours en Judée, il passa en Espagne. Pour ce voyage il s'embarqua au port de Joppé, qui est maintenant appelé Jaffa. Ce fut eu l'an du Seigneur 35, au mois d'août, que l'on appelait sextile, un an et cinq mois après la passion du même Seigneur, huit mois après le martyre de saint Étienne, et cinq mois avant la conversion de saint Paul, selon ce que j'ai rapporté dans les chapitres onzième et quatorzième de cette troisième partie. Saint Jacques se rendit de Jaffa en Sardaigne, et, sans s'arrêter dans cette île, il arriva dans fort peu de temps en Espagne, et débarqua au port de Carthagène, où il se mit à prêcher. Il ne demeura que quelques jours à Carthagène, et, conduit par l'esprit du Seigneur, il prit le chemin de Grenade, on il connut que la moisson était grande, et les circonstances favorables pour souffrir toutes sortes de peines pour son divin Maître, comme il arriva en effet. 320. Avant d'en parler, je rappelle que notre grand apôtre saint Jacques fut un des serviteurs les plus 158 chers, un des favoris de la Reine de l'univers. Elle ne le distinguait pas beaucoup par des marques;extérieures, à cause de l'égalité prudente avec laquelle elle les traitait tous (comme je l'ai fait remarquer dans le chapitre onzième), et parce que saint Jacques était son parent; que si saint Jean comme son frère avait aussi la même parenté avec la très-pure Marie, elle avait des raisons qui la dispensaient de garder envers lui la même mesure; car tout le collège des apôtres savait que le Seigneur, étant sur la croix, l'avait choisi pour être le fils de sa très-sainte Mère (1); ainsi il n'y avait point d'inconvénient pour les apôtres à ce qu'elle distinguât saint Jean par quelques témoignages extérieurs, comme il y en aurait eu si cela fût arrivé à l'égard de son frère saint Jacques ou de quelque autre; mais notre très-prudente Reine avait intérieurement pour saint Jacques une affection toute particulière (dont j'ai dit quelque chose dans la, seconde partie), et elle se plut à la lui témoigner par les faveurs les plus spéciales qu'elle lui fit pendant tout le temps qu'il vécut jusqu'à son martyre. Saint Jacques les mérita par l'intimé dévotion et le profond respect qu'il avait pour l'auguste Vierge, de la protection de laquelle il eut un si singulier besoin; car il avait le coeur si généreux et si intrépide, et l'esprit si ardent, qu'il s'exposait à toute sorte de peines et de dangers avec un courage invincible. C'est pourquoi il fut de tous les apôtres le premier, qui sortit de Jérusalem (1) Joan., XIX, 26. 159 pour aller prêcher la foi, et qui souffrit le martyre. Et pendant. ses voyages et ses prédications il fut véritablement un foudre comme enfant du tonnerre, car il reçut ce prodigieux nom quand il fut appelé à l'apostolat (1). 321. Dans sa prédication en Espagne, il rencontra des difficultés et des persécutions incroyables, que le démon lui suscita par le moyen des Juifs incrédules. Ensuite il en essuya d'aussi grandes dans l'Italie et dans l'Asie Mineure, qu'il traversa pour revenir prêcher et souffrir le martyre à Jérusalem, ayant parcouru en fort peu d'années tant de provinces éloignées, et visité tant de nations différentes. Mais comme il n'est pas de mon sujet de rapporter tout ce que saint Jacques a souffert dans ses divers, voyages, je dirai seulement ce qui regarde cette histoire. Pour le surplus, il m'a été découvert que la grande Reine du ciel prit un soin tout particulier de saint Jacques pour les raisons que j'ai marquées; et que, par le ministère de ses auges, elle le garantit et le délivra de plusieurs grands périls, elle le consola et le fortifia plusieurs fois, soit en lui procurant la visite des esprits célestes , soit en lui transmettant des avis très-importants, dont il m'ait plus besoin que les autres dans le peu de temps qu'il vécut. Notre Sauveur Jésus-Christ même lui envoya souvent des anges qui descendaient du ciel pour défendre sou grand apôtre, pour le porter d'un lieu à un autre, et pour le conduire dans ses voyages et dans sa mission. (1) Marc., III, 17. 160 322. Pendant qu'il demeura en Espagne, entre les faveurs qu'il y reçut de l'auguste Marie, il y en eut deux fort signalées; car cette grande Reine vint en personne le visiter et le défendre dame les périls et dans les tribulations où il était. L'une de tes apparitions de la bienheureuse Vierge est celle qu'il eut à Saragosse, apparition aussi certaine qu'elle est célèbre dans le monde, et qu'on ne pourrait nier aujourd'hui uns détruire une croyance pieuse confirmée par de si grands miracles, et attestée par d'éclatants témoignages pendant plus de mille six cents ans; je parlerai de ce prodige dans le chapitre suivant. Quant à l'autre, qui fut la première, je ne crois pas qu'elle soit connue en Espagne, car elle fut plus secrète. Elle eut lieu à Grenade, selon ce qui m'a été découvert, et ce fut de cette manière. Les Juifs avaient établi quelques synagogues dans cette ville à l'époque à laquelle ils avaient passé de Palestine en Espagne, où ils demeuraient à cause de la fertilité du pays et de la proximité des ports de la mer Méditerranée, qui leur facilitait le commerce avec leurs compatriotes de Jérusalem. Lorsque saint Jacques arriva à Grenade pour y prêcher, ils avaient déjà appris ce qui s'était passé à Jérusalem à l'égard de notre Rédempteur Jésus-Christ. Et quoiqu'il y en eût quelques-uns qui désirassent d'être informés de la doctrine qu'il avait prêchée, la plupart néanmoins étaient déjà prévenue par le démon, qui avait introduit dans leur esprit une impie incrédulité, afin qu'ils ne reçussent point cette doctrine, et qu'ils s'opposassent à sa prédication 161 parmi les Gentils, leur faisant entendre qu'elle était contraire aux coutumes judaïques et à Moïse; et que si les Gentils adoptaient cette nouvelle loi, ils détruiraient entièrement le judaïsme. Grâce à cet artifice diabolique, les Juifs empêchaient que la foi de Jésus-Christ ne fût embrassée des Gentils , qui savaient que notre adorable Sauveur était juif; et voyant que ceux de sa nation et de sa loi le méprisaient comme un imposteur, ils ne se décidaient pas si facilement, dans les commencements de l'Église, à recevoir sa doctrine. 323. Or le saint apôtre arriva à Grenade; et à peine eut-il commencé à prêcher que les Juifs l'attaquèrent, le faisant passer pour un vagabond, pour un menteur, pour un auteur de fausses sectes et pour un magicien. Saint Jacques avait avec lui douze disciples à l'imitation de son divin Maître. Et comme ils continuaient tous à prêcher, la haine des Juifs et de leurs partisans ne fit que s'accroître , de sorte qu'ils entreprirent de s'en défaire : et en effet ils firent aussitôt mourir un des disciples de saint Jacques qui s'opposait aux Juifs avec un très-grand zèle. Mais comme le saint apôtre et ses disciples, bien loin de craindre la mort, désiraient la subir pour le nom de Jésus-Christ, ils continuèrent avec un nouveau courage la prédication 'de sa sainte foi. Ils s'y livrèrent un Certain temps, pendant lequel un grand nombre d'infidèles de cette ville et de cette contrée furent convertis. Les Juifs en eurent une extrême colère, et redoublèrent de fureur contre le saint apôtre et ses disciples. Ils les prirent 162 tous, et les destinant à la mort, ils les enchaînèrent et les menèrent hors de la ville, dans un endroit où ils leur lièrent les pieds de peur qu'ils né s'échappassent, car ils les regardaient comme des enchanteurs. Tandis qu'on se préparait à les égorger toua le saint apôtre ne cessait d'invoquer le secours du Très-Haut et de sa Mère Vierge; et s'adressant à elle il lui dit : " Auguste Marie, Mère de mon Seigneur et Rédempteur Jésus-Christ, protégez maintenant votre humble serviteur. Priez, Mère très-donce et très-compatissante, pour moi et pour ces fidèles qui professent la sainte foi. Et si c'est la volonté du Très-Haut que nous mourions ici pour la gloire de son saint nom, suppliez-le, Vierge sainte, de recevoir mon âme en sa divine présence. Souvenez vous de moi, Mère très-clémente, et bénissez-moi au nom de Celui qui vous a choisie entre toutes les créatures. Recevez le sacrifice de la douleur que j'ai d'être privé du bonheur de vous voir à cette heure, si elle doit être la dernière de ma vie. O Marie! ô Marie! " 324. Saint Jacques redit plusieurs fois ces derniers mots. Mais notre auguste Reine entendit toute sa prière de sou oratoire du Cénacle, d'où elle regardait par une vision très-particulière tout ce qui se passait à l'égard de son bien-aimé apôtre Jacques. A cette vue, elle sentit ses entrailles maternelles s'émouvoir d'une tendre compassion pour ce fidèle serviteur qui l'invoquait dans la tribulation. Sa douleur était d'autant plus vive qu'elle en était plus éloignée; mais 163 sachant que rien n'était difficile au pouvoir divin, elle se laissa aller au désir d'assister son apôtre dans son affliction. Et comme elle savait aussi qu'il devait être le premier à donner sa vie et son sang pour son très-saint Fils, cette compassion augments encore dans le coeur de la plus bénigne des Mères. Toutefois elle ne demanda ni au Seigneur ni aux anges d'être portée où était saint Jacques, s'étant abstenue de faire cette demande par son admirable prudence, qui lui découvrait que la divine Providence ne manquerait point d'accorder au saint apôtre tous les secours dont il aurait besoin; car quand il s'agissait de miracles, elle réglait, durant sa vie mortelle, ses désirs et ses demandes à la volonté du Seigneur avec la discrétion la plus merveilleuse. 325. Mais son adorable Fils, qui était attentif à tous les désirs d'une telle Mère, parce qu'ils étaient saints, justes et pleins de charité, ordonna aux mille anges qui l'assistaient d'accomplir à l'instant le souhait de leur Reine. Ils se montrèrent tous à elle sous une forme humaine, et lui dirent ce que le Très-Haut leur ordonnait; et l'ayant reçue sur un trône. formé d'une nuée toute brillante, ils la portèrent aussitôt en Espagne, à l'endroit où saint Jacques et ses disciples se trouvaient enchaînés. Les ennemis qui les avaient pria avaient déjà le coutelas à la main pour les égorger tous. Il n'y eut que le seul apôtre qui vit la Reine du ciel dans la nuée d'où elle lui parla, lui disant avec une douceur céleste: " Jacques, mon fils, et le bien-aimé de mon Seigneur Jésus-Christ, ayez 164 bon courage; et soyez éternellement béni de Celui qui vous a créé et appelé à sa divine lumière. Allons, serviteur fidèle du Très-Haut, levez-vous, et soyez libre de vos chaînes. " L'apôtre s'était prosterné devant la bienheureuse Marie le mieux qu'il avait pu, étant si fort lié par tout le corps. Mais à la voix de notre puissante Reine, ses chaînes et celles de ses disciples se brisèrent incontinent, de sorte qu'ils se trouvèrent libres. Quant aux Juifs qui avaient les armes à la main, ils tombèrent tous par terre, où ils restèrent pendant quelques heures sans aucun sentiment. Les démons qui les assistaient et qui les provoquaient, furent précipités dans l'abîme; et ainsi saint Jacques et ses disciples purent librement rendre des actions de grâces au Tout-Puissant pour un si grand bienfait. L'apôtre témoigna particulièrement sa reconnaissance à la divine Mère avec une humilité et une joie incomparables. Et quoique les disciples du saint ne vissent point l'auguste Vierge ni les anges, ils n'en connurent pas moins le miracle par l'événement. D'ailleurs, l'apôtre leur donna les détails convenables pour les affermir dans la foi, dans l'espérance et dans la dévotion envers la très-pure Marie. 326. Ce rare bienfait de notre Reine fut encore plus grand; car non-seulement elle préserva saint Jacques de la mort, afin que toute l'Espagne jouit de sa prédication et de sa doctrine; mais elle prescrivit encore à cent de ses anges de l'accompagner dans tous ;ses voyages, de le conduire d'un lieu à un autre, de 165 le défendre partout, aussi bien que ses disciples, des périls qui se présenteraient, et de le mener à Saragosse après avoir parcouru tout le reste de l'Espagne. Les cent anges exécutèrent tout cela comme leur Reine le leur avait ordonné, et les autres la ramenèrent à Jérusalem. Saint Jacques avec cette céleste escorte voyagea par toute l'Espagne avec plus de sûreté que ne firent les Israélites dans le désert. Il laissa à Grenade quelques-uns de ses disciples; qui y subirent depuis le martyre; et avec ceux qui lui restaient et les autres qui se joignaient tous les jours à lui, il poursuivit sa route, prêchant en plusieurs endroits de l'Andalousie. Il alla ensuite à Tolède, et de là il passa en Portugal et en Galice, et par Astorga; et après avoir parcouru diverses localités, il arriva dans la province de Rioja, et se rendit par Lograño à Tudèle et à Saragosse, où il arriva ce que je dirai dans le chapitre suivant. Dans tout ce voyage, saint Jacques laissa de ses disciples pour évoques dans plusieurs villes d'Espagne, afin qu'ils y établissent la foi et le culte divin. Les miracles qu'il fit dans ce royaume furent si nombreux et si prodigieux, que ceux dont on a connaissance ne doivent point paraître incroyables, car il y en a bien plus qu'on ignore. Le fruit qu'il fit par sa prédication fut, immense, eu égard au peu de temps qu'il demeura en Espagne, et ç'a été une méprise de dire ou de penser qu'il ait converti fort peu de personnes; car il établit la foi par tous les endroits où il passa, et c'est pourquoi il ordonna un si grand nombre d'évêques dans ce 166 royaume, pour gouverner les enfants qu'il avait engendrés en Jésus-Christ. 327. Pour finir ce chapitre, je veux avertir ici que j'ai appris par des voies différentes que les historiens ecclésiastiques avaient avancé plusieurs opinions qui ne s'accordaient point avec beaucoup de détails que j'écris dans cette histoire: tels que la sortie des apôtres de Jérusalem pour aller prêcher; le partage des provinces et des royaumes qu'ils firent par la voie du sort; la manière dont le Symbole de la foi fut rédigé; le départ de saint Jacques et sa mort. J'ai su que, pour ces événements et plusieurs autres, il y a une grande divergence entre les écrivains quant à l'indication des années et des époques où ils ont eu lieu, pour la faire concorder avec le texte des livres canoniques. Mais je n'ai pas ordre du Seigneur; de satisfaire à tous ces doutes et à divers autres, ni de résoudre ces difficultés; j'ai, au contraire, déclaré dès le commencement que sa divine Majesté m'a ordonné d'écrire cette histoire sans opinions préconçues, fussent-elles bâties sur une connaissance antérieure de la vérité. Et si ce que j'écris, loin d'être en quoi que ce soit contraire, est conforme au texte sacré, et répond à la dignité de la matière que je traite, je ne saurais donner une plus grande autorité à cette histoire, et je ne crois pas non plus. que la piété chrétienne en demande davantage. Il est encore possible que mon travail serve à concilier, quelques différentes opinions des historiens; mais je dois laisser ce soin aux savants. 167 Instruction que la Reine du ciel m'a donnée. 328. Ma fille, en rapportant dans ce chapitre comment la puissance infinie du Très- Haut m'éleva sur son trône pour me communiquer les décrets de sa sagesse et de sa volonté divine, vous avez fait le récit d'une merveille si grande, si extraordinaire, qu'elle surpasse tout ce que l'esprit humain peut concevoir dans la vie passagère; et ce ne sera que dans la patrie et dans la vision béatifique que les hommes connaîtront ce mystère avec une joie toute particulière de gloire accidentelle. Et puisque cette faveur ineffable fut comme un effet et une récompense de la charité très-ardente avec laquelle j'aimais et j'aime le souverain Bien , et de l'humilité avec laquelle je me reconnaissais sa servante; et que ces vertus m'élevèrent sur le trôné de la Divinité et m'y procurèrent une place, lorsque je vivais en la chair mortelle; je veux que vous ayez une plus grande connaissance de ce mystère, qui. a été assurément un des plus sublimes que la toute-puissance divine ait opérés en moi, et l'un de ceux qui ont le plus excité l'admiration des anges et des saints. Quant à votre propre admiration, je veux que ;vous la changiez en un soin très-vigilant et en un vif désir de m'imiter, et de partager les sentiments qui me méritèrent de telles faveurs. 329. Or, considérez, ma très-chère fille, que ce fut non pas une, mais plusieurs fois que je fus élevée dans ma chair mortelle sur le trône de 168 la très-sainte Trinité, après la descente du Saint-Esprit, jusqu'à ce que je montasse au ciel après ma mort pour y jouir éternellement de la gloire que j'ai. En ce qui vous reste à écrire de ma vie, vous découvrirez d'autres secrets relatifs à ce bienfait. Mais toutes les fois que la droite du Très-Haut nie l'accorda, je reçus des dons particuliers et de très-abondants effets de grâce, sous des modes différents que renferme le pouvoir infini , et suivant la capacité qu'il me donna, pour rendre possible l'ineffable et presque immense participation des perfections divines. Le Père éternel me disait quelquefois dans ces faveurs : " Ma Fille et mon Épouse, votre amour et votre fidélité, qui dépassent l'amour et la fidélité de toutes les créatures, nous attirent vers vous et nous donnent la plénitude de satisfaction que nôtre volonté sainte désire. Montez sur notre trône, afin que vous soyez absorbée dans l'abîme de notre Divinité, et que vous ayez la quatrième place en cette Trinité, autant que cela est possible à une simple créature. Prenez possession de notre gloire, dont nous mettons les trésors entre vos mains. Le ciel, la terre et tous les abîmes vous appartiennent. Jouissez dans la vie mortelle, plus que tous les saints, des privilèges de la béatitude. Que toutes les nations et toutes les créatures auxquelles nous avons donné l'être qu'elles ont, vous servent; que les puissances des cieux vous obéissent; que les plus hauts séraphins vous soient soumis; et que tous nos biens vous soient communs dans notre 169 éternel consistoire. Pénétrez le grand conseil de notre sagesse et de notre volonté; et ayez part en nos décrets: puisque votre volonté est très-droite et très-fidèle. Approfondissez les raisons que nous avons, pour ce que justement et saintement nous déterminons; que votre volonté et la nôtre soit une, et qu'un soit le motif de ce que nous disposons pour notre Église. " 330. C'est avec cette bonté aussi ineffable que singulière que le Très-Haut gouvernait ma volonté pour la conformer à la sienne, et afin que rien ne frit exécuté en l'Église que par ma disposition , et que celle-ci fût celle de Dieu même, dont je connaissais dans son éternel conseil les raisons, les motifs, et les convenances. Je vis en lui qu'il n'était pas possible, par une loi commune, que je souffrisse toutes les peines et toutes les tribulations de l'Église, et en particulier des apôtres, comme je le désirais. Quoiqu'il fit impossible de réaliser ce voeu charitable, je ne m'écartai point, en le formant, de la volonté divine qui m'inspira de pareils sentiments, comme une marque et un témoignage de l'amour sans mesure avec lequel j'aimais le Seigneur : et c'était le Seigneur lui-même qui m'animait d'une si grande charité envers les hommes, que je souhaitais souffrir toutes leurs peines et toutes leurs afflictions. Et comme de mon côté cette charité était véritable, et que j'étais toute prête à la pousser jusque-là, si c'eût été possible, elle fut par là même si agréable aux yeux du Seigneur, qu'il m'en récompensa, comme si effectivement 170 j'eusse exécuté mes désirs : car je souffris la plus grande des douleurs à ne pouvoir souffrir pour tous. De là naissait en moi la compassion que j'eus des tourments au milieu desquels les apôtres moururent, et de tous les supplices des fidèles qui souffrirent pour Jésus-Christ : car j'étais affligée et martyrisée en tous et avec tous, et je mourais en quelque sorte avec eux. Tel fut l'amour que j'eus pour mes enfants , les fidèles ; et il est maintenant le même, à la souffrance près ; mais les hommes ne savent pas, ne comprennent pas combien ma charité les oblige à la reconnaissance. 331. Je recevais ces faveurs à la droite de mon très-saint Fils , lorsque de la terre j'y étais élevée et placée, jouissant de ses prééminences et de ses gloires jusqu'au degré auquel elles pouvaient être communiquées à une simple créature. Les décrets et les mystères cachés de la sagesse infinie étaient en premier lieu manifestés à la très- sainte humanité de mon Seigneur, par la révélation incompréhensible qu'elle a avec la Divinité à laquelle elle est unie en la personne du Verbe éternel; et par l'intermédiaire de mon très-saint Fils ils m'étaient communiqués d'une autre matière : car l'union de son humanité avec la personne lu Verbe est immédiate, substantielle et intrinsèque par elle-même; ainsi elle participe à la Divinité et à ses décrets d'une manière proportionnée à l'union substantielle et personnelle. Quant à moi, je recevais cette faveur à un autre titre admirable et sans exemple, d'autant plus qu'il s'appliquait à une 171 simple créature, non unie à la Divinité ; je la recevais comme semblable à l'humanité très-sainte, et après elle la créature la plus voisine de la même Divinité Vous n'en pourrez pas, ma fille, comprendre davantage maintenant; vous ne sauriez pénétrer ce mystère dans la vie mortelle. Mais les bienheureux le connurent chacun selon le degré de science qu'il avait reçu; ils comprirent tous ce rapport et cette ressemblance que j'ai avec mon très-saint Fils , aussi bien que la différence qui nous sépare, et tout cela leur fut et leur est encore maintenant un motif de faire de nouveaux cantiques de gloire et de louange au Tout-Puissant : car cette merveille fut une des grandes oeuvres que son puissant bras ait faites envers moi. 332. Afin que vous exerciez davantage vos forces et celles de la grâce à former de saints désirs et de saintes affections , fût-ce pour des choses que vous ne pouvez exécuter, je vous déclare un autre secret. C'est que lorsque je connaissais les effets de la rédemption en la justification des âmes, et la grâce qui leur était communiquée pour les purifier et les sanctifier par la contrition ou par le baptême et par les autres sacrements , je faisais une si grande estime de ce bienfait, que j'en avais une sainte émulation. Et comme je n'avais aucun péché dont je dusse me justifier, je ne pouvais recevoir cette faveur dans le degré auquel les pécheurs la reçoivent. Mais comme je pleurais leurs péchés plus qu'eux tous ensemble, et que je rendais des actions de grâces au Seigneur pour ce bienfait qu'il accordait aux âmes avec une miséricorde 172 si libérale, j'obtins par ces désirs et par ces oeuvres plus de grâces qu'il n'en aurait fallu pour justifier tous les enfants d'Adam. Telle était la complaisance que le Très- Haut prenait à mes oeuvres et telle fut la vertu que leur donna le Seigneur lui- même, afin qu'elles fussent toutes agréables à sa divine Majesté. 333. Considérez maintenant, ma fille, quelles obligations vous impose la connaissance de secrets si merveilleux et si vénérables. Profitez des talents et de tant de biens que vous avez reçus du Seigneur; suivez-moi par la parfaite imitation de mes oeuvres que je vous manifeste. Et, afin de vous enflammer davantage de l'amour divin, souvenez-vous continuellement que mon très-saint Fils et moi ne cessions, durant notre vie mortelle, de désirer avec une ardeur extrême le salut des âmes de tous les enfants d'Adam, et de pleurer amèrement la perte éternelle de tant de malheureux qui se la procurent à eux-mêmes avec une fausse joie. Je veux que vous vous signaliez dans cette charité, dans ce zèle, et que vous vous y exerciez beaucoup, en qualité d'Épouse très-fidèle de mon Fils, qui par cette vertu s'est livré à la mort de la croix, et en qualité de ma fille et disciple; que si la force de cette charité ne m'ôta point la vie, ce fut parce que le Seigneur me la conserva par miracle; mais c'est cette vertu qui me fit avoir place sur le trône et dans le conseil de la très-sainte Trinité. Si vous êtes, ma chère fille, aussi fervente à m'imiter, et aussi prompte à m'obéir que je le demande de 173 vous, je vous assure que vous participerez aux faveurs que je fis à mon serviteur Jacques; je vous assisterai dans vos tribulations et vous guiderai , comme je vous l'ai promis plusieurs fois; et en outre le Très-Haut sera beaucoup plus libéral envers vous que vous ne sauriez le souhaiter. CHAPITRE XVII. Lucifer prépaie une nouvelle persécution contre l'Église et contre la très-pure Marie. - Elle en donne connaissance à saint Jean, et par son ordre elle se détermine d'aller à Éphèse. - Son très-saint Fils lui apparaît, et lui dit d'aller à Saragosse pour visiter l'apôtre saint Jacques. - Circonstances de cette visite. 334. Saint Luc fait mention de la persécution qu'excita l'enfer conte l'Église, après la mort de saint Étienne, su chapitre huitième des Actes, où il l'appelle grande (1), parce qu'elle le fut jusqu,'à la conversion de saint Paul, par le moyen duquel le dragon infernal la dirigeait: J'ai parlé de cette persécution dans les chapitres douzième et quatorzième, de cette partie. Mais par ce qui est rapporté dans les autres chapitres qui les suivent immédiatement, on (1) Act., VIII, 1. 174 peut comprendre que cet ennemi de Dieu ne se rebuta point, et ne se crut pas si vaincu qu'il n'eût encore assez de force pour s'élever de nouveau contre la sainte Église et contre l'auguste Marie. Et par ce que le même saint Luc rapporte dans le chapitre douzième, où il dit qu'Hérode fit couper la tête à saint Jacques, et fit arrêter saint Pierre (1), on voit que cette persécution recommença après la conversion de saint Paul, quand même il ne dirait pas expressément que le même Hérode envoya des gens pour maltraiter quelques-uns des fidèles (2). Et afin que l'on comprenne mieux tout ce que j'en ai rapporté et que j'en dirai dans la suite, je rappelle que toutes ces persécutions étaient inventées et excitées par les démons, qui irritaient les persécuteurs de l'Église, ainsi que je l'ai fait remarquer en divers endroits. Et comme la Providence divine tantôt leur en donnait la permission, et tantôt la leur ôtait et les précipitait dans l'abîme (ce qui arriva lors de la conversion de saint Paul et en d'autres occasions), il eu résultait ce que l'on a vu dans tous les siècles, que là primitive Église jouissait de temps en temps du repos et de la tranquillité, et qu'après cette trêve elle était inquiétée et affligée de nouveau. 335. La paix était utile pour la conversion des fidèles, et la persécution pour leur mérite et pour leur exercice; c'est pourquoi la Providence divine, dans sa sagesse, faisait et fait toujours succéder l'une (1) Act., XII, 2. - (2) Ibid.. 1. 175 à l'autre. C'est pourquoi encore, après la conversion de saint Paul, l'Église passa même plusieurs mois dans le calme, pendant que Lucifer et ses démons étaient abattus dans l'enfer, jusqu'à ce qu'ils revinrent sur la terre, comme je le dirai bientôt. Saint Luc parle de cet état de paix au chapitre neuvième, après la conversion de saint Paul , quand il dit que l'Église était tranquille dans toute la Judée, dans la Galilée et dans la Samarie, et qu'elle prospérait, marchant dans la crainte du Seigneur et dans la consolation du Saint-Esprit (1). Et quoique l'évangéliste dise cela après avoir rapporté la venue de saint Paul à Jérusalem, cette paix exista longtemps auparavant, car saint Paul se rendit à Jérusalem dans la cinquième année de sa conversion , ainsi qu'on le verra dans la suite; et saint Luc, pour ne point déranger le plan de son histoire, en parle après la conversion, mais dans un sens rétrospectif, de même qu'il arrive aux évangélistes de mentionner dans leur récit, par anticipation , plusieurs autres événements, pour n'avoir plus à revenir au sujet dont ils parlent; car, bien qu'ils suivent l'ordre chronologique pour les choses essentielles, ils ne classent point par annales tous les faits de leur histoire. 336. Cela posé, reprenant ce que j'ai dit au chapitre quinzième touchant le conciliabule que fit Lucifer après la conversion de saint Paul, j'ajoute que le dragon infernal et ses démons prolongèrent quelque (1) Act., IX, 31. 176 temps cette conférence, dans laquelle ils discutèrent et prirent divers moyens pour détruire l'Église et faire déchoir, s'il leur était possible, notre grande Reine du degré éminent de sainteté auquel ils la croyaient parvenue, quoiqu'ils en ignorassent infiniment plus qu'ils n'en connaissaient. Après que les jours pendant lesquels l'Église jouissait de cet heureux calme furent passés , les princes des ténèbres sortirent de l'abîme pour mettre à exécution les desseins impies qu'ils avaient formés. Le grand dragon Lucifer se mit à la tête de tous, et c'est une chose digne de remarque, que la fureur de cette bête féroce contre l'Église et contre l'auguste Marie fut si grande, qu'il tira de l'enfer beaucoup plus des deux tiers de ses démons pour le succès de son entreprise; et il en aurait sans doute dépeuplé ce royaume des ténèbres, si sa malice et sa cruauté mêmes ne l'eussent obligé d'y laisser une partie de ses ministres infernaux pour le tourment des damnés; car, outre le feu éternel que la justice divine leur fournit, et quine leur pouvait manquer, ce dragon ne voulut pas que la vue et la compagnie de ses démons leur manquassent non plus, de peur que ces hommes infortunés ne trouvassent un léger soulagement dans leurs peines pendant le temps que leurs bourreaux. demeureraient hors dé l'enfer. C'est pour cela qu'il y a toujours des démons dans lés abîmes, et ils ne voudraient pas épargner le supplice de leur présence aux misérables damnés, malgré le désir si ardent qu'a Lucifer de détruire les mortels qui vivent sur la terre. Et voilà le maître cruel 177 et impitoyable que servent les aveugles pécheurs! 337. La rage de ce dragon était arrivée à son comble, par les choses qu'il voyait se passer dans le monde depuis la mort de notre Rédempteur, par la sainteté de la bienheureuse Vierge, et par la faveur et la protection que les fidèles trouvaient en elle, suivant l'expérience que les démons avaient faite en saint Étienne, en saint Paul et en d'autres. C'est pour cette raison que Lucifer établit sa demeure dans, Jérusalem, pour exécuter par lui-même son attaque contre ce qui se trouvait de plus fort dans l'Église, et pour diriger de là les coups de toutes ses légions infernales, qui ne gardent un certain ordre que dans la guerre qu'ils font aux hommes pour les détruire, n'étant dans tout le reste que confusion. Le Très-Haut ne leur donna point la permission que leur furieuse envie souhaitait, car s'ils l'obtenaient ils bouleverseraient le monde dans nu moment. Mais il la leur donna d'une manière limitative, et jusqu'au point convenable, pour que l'Église, attaquée par ses ennemis, s'établit dans le sang et sut les mérites des saints, et jetât par ce moyen de plus profondes racines, et afin de manifester, davantage, par- les persécutions et les tourments que souffriraient les fidèles, la vertu et la sagesse du Maître souverain qui gouvernait l'Église. Aussitôt Lucifer commanda à ses ministres de parcourir toute la terre, pour reconnaître où étaient les apôtres et les disciples du Seigneur, en quels endroits son nom était prêché, et de revenir pour l'instruire de tout ce qui se passait. Le dragon se mit dans la sainte cité, 178 le plus loin qu'il put des lieux consacrés par le sang et par les mystères de notre Sauveur; car ils étaient redoutables pour lui et pour ses démons, et à mesure qu'ils s'en approchaient, ils sentaient que leurs forces diminuaient, et qu'ils étaient accablés par la vertu divine. Ils expérimentent cet effet encore aujourd'hui, et le sentiront jusqu'à la fin du monde. C'est assurément un grand malheur, que ces lieux si sacrés pour les fidèles soient aujourd'hui, à cause des péchés des hommes, au pouvoir des ennemis de la foi ; heureux donc est le petit nombre des enfants de l'Église qui ont le privilège d'y demeurer, tels que les religieux de notre séraphique Père et réparateur de l'Église saint François. 338. Lucifer fut informé de l'état des fidèles et de tous les endroits où l'on prêchait la foi de Jésus-Christ par les relations que lui en, firent ses satellites. Il leur donna de nouveaux ordres, afin. que les uns s'employassent à les persécuter, chargeant de cette mission des démons d'une hiérarchie plus ou moins élevée, selon la différence des apôtres, des disciples et des fidèles, et afin que les autres prissent garde à tout ce qui arriverait et vinssent lui en rendre compte, transmettant partout à leurs compagnons des instructions sur ce qu'ils devaient faire contre l'Église. Lucifer signala aussi quelques hommes incrédules, perfides et dépravés, que les démons devaient irriter, provoquer et remplir de colère et d'envie contre les imitateurs de Jésus-Christ. Et parmi ceux-là , se trouvaient le roi Hérode et plusieurs Juifs, à cause de la 79 haine qu'ils avaient contre le même Seigneur qu'ils avaient crucifié, et dont ils prétendaient abolir entièrement la mémoire (1). Les démons choisirent encore quelques Gentils des plus attachés à l'idolâtrie ; et des uns et des autres ces esprits malins cherchèrent les plus méchants pour s'en servir et en faire les propres instruments de leur malice. Par tous ces moyens ils entreprirent la persécution de l'Église ; et le dragon infernal a toujours usé de cet art diabolique pour détruire la vertu et le fruit de la Rédemption et du sang de Jésus-Christ. Et il fit dans la primitive Église un grand ravage parmi les fidèles, les persécutant par diverse; sortes de tribulations qui ne se trouvent point écrites' et dont on n'a nulle connaissance dans l'Église. Mais on a grand sujet de croire que ce que saint Paul dit des anciens saints dans son Épître aux Hébreux (2), se reproduisit à l'égard des nouveaux. Outre ces persécutions extérieures, les démons affligeaient tous les justes , les apôtres, les disciples et les autres fidèles par des tentations secrètes, par des illusions, des suggestions et mille mauvaises pensées, comme ils le font aujourd'hui à l'égard de tous ceux qui souhaitent vivre selon la loi divine et suivre notre Rédempteur Jésus-Christ. Il n'est pas possible de connaître en cette vie tout ce qu'entreprit Lucifer dans la primitive Église pour la détruire, ni ce qu'il fait maintenant avec la même intention. 339. Mais rien ne fut caché alors à l'auguste Mère (1) Jerem., XI, 19. - (2) Hebr., XI, 37. 180 de la Sagesse; car elle connaissait à la clarté de la sublime science tous ces secrets de l'empire des ténèbres cachés aux mortels. Et quoique les coups que nous prévoyons ne nous fassent pas aussi grand mal, et que la très-prudente Reine fût si bien informée des prochaines épreuves de la sainte Église, qu'aucune ne la pouvait surprendre; néanmoins, comme elles menaçaient. les apôtres et tons les fidèles, elles lui perçaient le coeur, où elle les portait tous avec un amour maternel, et sa' douleur se réglait par sa charité presque immense; aussi, en aurait-elle perdu plusieurs fois la vie, si (comme je l'ai dit en divers endroits) le Seigneur ne la lui eût conservée miraculeusement. Il est certain que toutes les Ames justes et parfaites en l'amour du Seigneur ressentiraient à leur tour de grands effets si elles faisaient réflexion sur la rage et la malice de tant de démons si vigilants et si rusés pour perdre quelques simples fidèles, pauvres, faibles et pleins de leurs propres misères. Cette connaissance aurait fait oublier à la bienheureuse Marie toutes ses propres affaires et toutes ses peines, si elle en eût eu pour secourir et consoler ses enfants. Elle redoublait pour eux ses prières, ses soupirs, ses larmes et ses soins. Elle les conseillait, les avertissait et les exhortait pour les préparer ; et les animer an combat , surtout les apôtres et les disciples. Elle commandait souvent aux démons avec une autorité de Reine, et leur arracha un très-grand nombre d'âmes qu'ils trompaient et pervertissaient, et elle les délivrait de la mort, éternelle. D'autres fois elle les 181 empêchait d'exercer, de grandes cruautés envers les ministres de Jésus-Christ; car Lucifer tâcha incontinent d'ôter la vie aux apôtres (comme il l'avait déjà entrepris par le moyen de Saul, ainsi qu'on l'a vu), et la même chose arriva à l'égard des autres disciples qui prêchaient la sainte foi. 340. Quoique notre auguste Maîtresse conservât dans ces sollicitudes et dans cette compassion une grande tranquillité intérieure, que les soins maternels qu'elle prenait n'étaient pas capables de troubler, et quoiqu'elle gardât dans son extérieur une sérénité de Reine, les peines de son cœur ne laissaient pas que de couvrir d'une ombre de tristesse sa physionomie grave et sérieuse. Et comme saint Jean l'assistait avec une attention toute filiale, ce léger changement sur le visage de sa tendre Mère ne put échapper au regain pénétrant de l'Aigle évangélique. Il en fat sensiblement affligé, et ayant cherché quelque temps dans son esprit le sujet de sa peine, il s'adressa au Seigneur, et lui demandant une nouvelle lumière pour ne rien, faire qui ne lui fût agréable, il lui dit : " Seigneur, Dieu infini, Réparateur du monde, je reconnais l'obligation en laquelle, sans l'avoir mérité et par votre seule bonté, vous m'avez mis, en me donnant pour Mère Celle qui est véritablement la vôtre, parce qu'elle vous a conçu, enfanté et nourri de son propre lait. Vous m'avez, Seigneur, rendu le plus heureux des hommes par ce bienfait, vais m'avez. enrichi du plus grand trésor du ciel et de la terre. Mais votre Mère, mon auguste Maîtresse, 182 est restée seule et pauvre sana votre très douce présence, à laquelle tous les hommes et tous les anges ensemble ne sauraient suppléer, et combien moins ce vermisseau, votre serviteur." Aujourd'hui, mon Dieu et Rédempteur du monde, je vois triste et affligée Celle qui vous a donné la forme humaine et qui est la joie de votre peuple. Je désire, Seigneur, la consoler et la soulager de ses peines, mais je me trouve incapable de le faire." D'un côté, la justice et l'amour filial me poussent, et de l'autre le respect et ma faiblesse m'arrêtent. Éclairez-moi, Seigneur, sur ce que je dois faire pour rencontrer votre bon plaisir, et pour le service de votre digne Mère. " 341. Après cette prière, saint Jean demeura quelque temps à hésiter s'il demanderait à la grande Reine du ciel le sujet de sa peine. Il le souhaitait avec ardeur, mais la crainte respectueuse avec laquelle il la regardait, la retenait; et, quoiqu'un sentiment intérieur l'encourageât, il s'approcha trois fois de la porte de l'oratoire où était la très-pure Marie sans oser y entrer pour lui demander ce qu'il désirait savoir. La divine Mère connut tout ce que saint Jean faisait et tout ce qui se passait dans son âme. Et par le respect que la céleste Maîtresse de l'humilité avait pour l'évangéliste en qualité de prêtre et de ministre du Seigneur, elle quitta son oraison , alla le trouver, et lui dit : Seigneur, dites-moi ce que vous demandez à votre servante. J'ai déjà dit ailleurs que notre grande Reine appelait les prêtres et les ministres de son très 183 saint Fils seigneurs. L'évangéliste fut consolé et animé par cette faveur, et il lui répondit, non sans une espèce de crainte : " Ma bonne Maîtresse, le devoir et le désir que j'ai de vous servir ne m'ont point permis de ne pas remarquer votre tristesse, et de ne pas penser que vous avez quelque peine dont je souhaite que vous soyez soulagée. " 342. Saint Jean ne dit que ces paroles, mais l'auguste Vierge pénétra le désir qu'il avait de lui demander le sujet de son affliction, et, toujours très-prompte à obéir, elle voulut prévenir sa demande et lui témoigner sa soumission, comme à celui qu'elle reconnaissait pour son supérieur. Mais elle s'adressa d'abord au Seigneur, lui disant : " Mon Dieu et mon Fils, vous m'avez donné votre serviteur Jean en votre place, afin qu'il m'accompagnât et m'assistât, et je l'ai reçu pour mon supérieur; je souhaite obéir à ses désirs et à sa volonté qui m'est connue, afin que cette humble servante de votre divine Majesté vous soit toujours soumise. Permettez-moi, Seigneur, de lui découvrir ma peine et de satisfaire son désir. " Elle entendit aussitôt le fiai de la divine volonté. Et s'étant mise à genoux aux pieds de saint Jean, elle lui demanda sa bénédiction et lui baisa la main. Puis, lui ayant demandé la permission de parler, elle lui dit : " Seigneur, ce n'est pas sans raison que je suis affligée; car le Très-Haut m'a découvert les tribulations qui doivent venir fondre sur l'Église, et les persécutions auxquelles doivent être en butte tous ses enfants, et surtout les apôtres, qui 184 en souffriront de plus grandes. Et j'ai vu que le dragon infernal est sorti' de l'abîme avec une multitude innombrable d'esprits malins pour exécuter ce dessein impie dans le monde , et ils vont tous travailler avec une haine et une fureur implacable à détruire le corps mystique de Jésus-Christ, qui est la sainte Église. Cette ville de Jérusalem sera attaquée la première, et plus ravagée que les autres ; on y fera mourir l'un des apôtres, et il y en aura d'autres qui seront pris et tourmentés par les artifices du démon. Mon coeur s'émeut de compassion à la pensée de tous ces maux , il se désole à la vue des obstacles que les ennemis susciteront pour empêcher l'exaltation du saint nom du Très-Haut et le remède des âmes. " 343. L'évangéliste fut aussi affligé par cet avis; il s'en trembla même un peu. Mais avec le secours de la divine grâce il répondit à notre grande Reine : " Ma Mère et mon auguste Maîtresse, votre sagesse n'ignore pas que le Très-Haut tirera de ces tribulations de grands fruits pour son Église et pour les fidèles ses enfants, et qu'il les assistera dans leurs épreuves. Nous sommes prêts, nous autres apôtres, à sacrifier notre vie pour le Seigneur, qui a donné la sienne pour tout le genre humain. Nous avons reçu des bienfaits immenses, qui nous obligent à un juste retour. Lorsque nous étions petits à l'école de notre Maître, nous agissions en petits. Mais depuis qu'il nous a enrichis par son divin Esprit, et enflammés de son amour, nous avons perdu notre 185 lâcheté, et nous aspirons à suivre le chemin de sa croix, qu'il nous a enseigné par sa doctrine et par son exemple; nous savons que l'Église doit s'établir et se conserver par l'effusion du sang de ses ministres et de ses enfants. Priez pour nous, auguste Maîtresse, et par la vertu ;divine et par votre protection nous remporterons la victoire sur nos ennemis, nous triompherons d'eux tous à la gloire du Très-Haut. Que si le plus fort de la persécution doit commencer en cette ville de Jérusalem , il me semble, Mère vénérée, qu'il n'est pas convenable que vous l'attendiez ici, de peur que la rage de l'enfer n'entreprenne, par le moyen de la malice humaine, quelque attentat contre le Tabernacle de Dieu. " 344. Notre incomparable Reine, parla compassion et l'amour maternel qu'elle avait pour les apôtres et pour tous les autres fidèles, aurait volontiers et sans aucune crainte demeuré à Jérusalem, pour les consoler et les soutenir tous dans la tribulation dont ils étaient menacés. Mais quelque sainte que fût cette inclination, elle ne la manifesta point à l'évangéliste, parce qu'elle venait de son propre mouvement; elle la fit céder à l'humilité et à l'obéissance qu'elle montrait à l'apôtre comme à son supérieur. Avec cette soumission, sans rien objecter à l'évangéliste , elle le remercia du zèle avec lequel il souhaitait souffrir et mourir pour Jésus- Christ; et pour ce qui est du départ de Jérusalem , elle lui dit de décider ce qu'il jugerait à propos; qu'elle lui obéirait en tout comme son inférieure, et qu'elle 186 prierait notre Seigneur de le conduire par sa divine lumière, afin qu'il choisit le parti qui lui serait le plus agréable , et à là plus grande gloire de son saint nom. Après cette résignation, qui nous présente un si grand exemple et peut bien nous faire rougir de nos désobéissances, l'évangéliste détermina qu'elle se rendrait dans la ville d'Éphèse, aux confins de l'Asie Mineure; et proposant ce parti à la bienheureuse Vierge, il lui dit : " Ma Mère et mon auguste Maîtresse, étant obligés de nous éloigner de Jérusalem et de chercher hors d'ici l'occasion propre , pour travailler à l'exaltation du nom du Très-Haut, il me semble que nous devrions nous retirer à Éphèse, où j'espère que vous opèrerez dans les âmes plus de fruit qu'à Jérusalem. Je voudrais être un de a ceux qui entourent le trône de la très- sainte Trinité, pour vous servir dignement dans ce voyage, et je ne suis qu'un chétif vermisseau de terre : mais le Seigneur sera avec nous, car il vous est partout favorable et comme Dieu et comme votre Fils. " 345. Il fut arrêté qu'ils partiraient pour Éphèse, après avoir donné les avis convenables aux fidèles qui se trouvaient à Jérusalem; et notre grande Reine se retira ensuite dans son oratoire, où elle fit, cette prière : " Dieu éternel, voici votre humble servante prosternée en votre divine présence; je vous supplie, Seigneur, de me conduire à tout ce qui vous sera le plus agréable. Je veux faire ce voyage pour obéir à votre serviteur Jean, dont la volonté sera la vôtre. Il n'est pas juste que votre servante et 187 votre Mère, si obligée des faveurs de votre puissante main, fasse un seul pas qui ne tende à votre plus grande gloire et à l'exaltation de votre saint nom. Exaucez, Seigneur, mon désir et mes prières, afin que je fasse ce qui est le plus conforme à votre bon plaisir. " Le Seigneur lui répondit aussitôt : Mon Épouse et ma Colombe, ma volonté a ordonné ce voyage. Obéissez à J eau, et allez à Éphèse; car j'y veux manifester ma clémence à l'égard de quelques âmes parle moyen de votre présence, pendant le temps qui sera convenable. " Cette réponse du Seigneur laissa la bienheureuse Marie plus consolée' et mieux instruite de la volonté divine; elle demanda à m Majesté sa bénédiction et la permission de se mettre en chemin, au moment que fixerait l'apôtre : et, toute pleine du feu de la charité, elle s'enflammait d'un saint zèle pour le bien spirituel des Éphésiens, dont le Seigneur lui avait fait espérer qu'il tirerait un fruit qui lui serait agréable. L'auguste Marie va de Jérusalem à Saragosse en Espagne, pour visiter saint Jacques par la volonté de son Fils, notre Sauveur. - Ce qui arriva dans cette visite l'année et le jour auquel elle eut lien. 346. Toute la sollicitude de notre incomparable princesse, la très-pure Marie, s'appliquait aux progrès de la sainte Église, à la consolation des apôtres, 188 des disciples et des autres fidèles; et tons ses soins tendaient à les défendre du dragon infernal et de ses ministres, dans la persécution et dans les embûches que ces ennemis leur préparaient, comme on l'a vu plus haut. Par cette ineffable charité, avant de partir de Jérusalem pour se rendre à Éphèse, elle disposa et régla, autant que possible, toutes choses par elle-même et par le ministère de ses saints anges, pour prévenir de la manière la plus convenable les inconvénients de son absence; car elle ne savait point alors combien de temps ce voyage durerait, ni l'époque de son retour à Jérusalem. La plus grande précaution qu'elle put prendre, ce fut de prier continuellement son très-saint Fils de défendre ses apôtres et ses serviteurs par la puissance infinie de son bras, d'abattre l'orgueil de Lucifer, et de dissiper les desseins impies qu'il couvait dans sa malice contre la gloire du même Seigneur. La très-prudente Mère savait que saint Jacques serait le premier des apôtres; qui verserait son sang pour notre Seigneur Jésus-Christ, et comme elle l'aimait beaucoup (ainsi que je l'ai dit ailleurs) entre les prières qu'elle faisait pour tous les apôtres, elle en fit une particulière pour lui. 347. Un jour que la divine Mère était ainsi occupée à prier (c'était le quatrième avant qu'elle partit pour Éphèse), elle sentit dans son intérieur quelque chose d'extraordinaire et des effets célestes, qu'elle avait déjà expérimentés autrefois quand elle était sur le peint de recevoir quelque bienfait particulier. On appelle ces opérations paroles du Seigneur, 189 selon le style de l'Écriture ; et la bienheureuse Marie y répondant, comme Maîtresse de la science, dit Seigneur, que vous plaît-il que je fasse? Parlez, a mon Dieu, car votre servante écoute. s Pendant qu'elle redisait ces paroles, elle vit son très-saint Fils, qui, placé sur un trône d'une majesté ineffable et accompagné d'une multitude innombrable d'anges de tous les ordres et de tous les choeurs célestes, descendait du ciel en personne pour la visiter. Sa divine Majesté entra avec cette pompe dans l'oratoire de sa bienheureuse Mère, et l'humble Vierge lui rendit du fond de son âme le culte de l'adoration la plus parfaite. Aussitôt le Seigneur lui parla en ces termes : " Mère bien-aimée, de qui j'ai reçu l'être humain pour sauver le monde, je suis attentif à vos prières et à vos saints désirs qui sont toujours agréables à mes yeux. Je défendrai mes apôtres et mon Église; je serai son Père et son Protecteur; j'empêcherai quelle ne soit vaincue, et que les portes de l'enfer ne prévaillent contre elle (1). Vous savez qu'il faut que les apôtres travaillent avec me grâce pour ma gloire, et qu'ils me suivent par le chemin de la croix et de la mort que j'ai soufferte pour racheter le genre humain. Le premier qui me doit imiter en cela est Jacques, mon fidèle serviteur; et je veux qu'il souffre le martyre dans cette ville de Jérusalem. Et afin qu'il y vienne, et pour d'autres fins qui regardent ma gloire et la votre, ma volonté est (1) Matth., XVI, 18. 190 que vous le visitiez en Espagne, où il prêche mon saint nom. Je veux, ma Mère, que vous alliez à Saragosse, où il se trouve maintenant, et que vous lui ordonniez de revenir à Jérusalem ; et de construire, avant de quitter Saragosse, dans cette même ville, en votre honneur et sous votre vocable un temple où vous soyez révérée et invoquée, pour le bien de ce royaume, pour ma glaire et mon bon plaisir, pour la gloire et le bon plaisir de notre bienheureuse Trinité. " 343. La grande Reine du ciel reçut cette mission de son très-saint Fils avec une joie toute nouvelle, et lui dit avec une profonde soumission: " Mon adorable Seigneur, que votre sainte volonté soit éternelle ment accomplie en votre servante et votre Mère, et que toutes les créatures vous louent éternellement pour les oeuvres admirables de votre immense miséricorde envers vos serviteurs. Moi-même je vous en glorifie, Seigneur, et vous en rends de très humbles actions de grâces, au nom de toute la sainte Église et au mien. Permettez, mon Fils, que, dans ce temple que vous voulez que votre serviteur Jacques construise, je puisse promettre en votre saint nom, la protection particulière de votre puissant bras, et que ce sanctuaire soit une partie de mon héritage pour tous ceux qui y invoqueront avec dévotion votre même nom, et y imploreront auprès de votre clémence la faveur de mon intercession. 349. Notre Rédempteur Jésus-Christ lui répondit : 191 " Ma Mère; en qui ma volonté a trouvé ses complaisances, je vous donne ma royale parole que je regarderai avec une singulière clémence et remplirai de douces bénédictions ceux de vos dévots qui avec humilité m'invoqueront dans ce temple, par le moyen de votre intercession. J'ai déposé entre vos mains tous mes trésors; et comme ma Mère qui tenez ma place et mon pouvoir, vous pouvez enrichir et privilégier ce lieu et y promettre votre faveur; car j'accomplirai tout au gré de votre volonté. " La très-pure Marie rendit de nouvelles actions de graces pour cette promesse de son Fils et de son Dieu tout-puissant. Puis, conformément aux ordres du même Seigneur, un grand nombre des aines qui l'accompagnaient formèrent un trône d'une nuée très-lumineuse, et y élevèrent l'auguste Vierge, comme Reine et Maîtresse de tout ce qui est créé. Notre Seigneur Jésus-Christ lui ayant donné sa bénédiction, remonta au ciel avec les autres anges. Quant à la très-prudente Mère, portée par les séraphins, et accompagnée de ses mille auges et des autres que le Seigneur lui avait laissés, elle alla a Saragosse, en Espagne, en corps et en rime. Et quoique ce volage eût pu se faire en très-peu de temps, le Seigueur le régla d'une telle manière, que les saints auges formant des choeurs d'une délicieuse harmonie, eussent le loisir d'y chanter des hymnes de louange à leur Reine. 350. Les uns chantaient l'Ave Maria; les autres, Salve sancta Parens, et le Salve Regina; d'autres 192 encore le Regina caeli laetare, etc. Ils alternaient ces chants en choeur, et se répondaient les uns aux autres en formant des accords si mélodieux, que l'homme ne saurait s'en faire une idée ici-bas. Notre auguste Princesse répondait à ces cantiques avec une humilité qui égalait la grandeur de ce bienfait, rapportant toute cette gloire à l'Auteur qui la lui donnait. Elle redisait mille fois: Saint, Saint, Saint, est le Dieu des armées (1) ; Seigneur, ayez pitié des misérables, enfants d'Ève; le pouvoir et la majesté vous appartiennent; vous êtes le seul Saint, le Très-Haut, et le Maître de toutes les milices célestes et de tout ce qui est créé. Les anges répondaient à leur tour à ces divines louanges qui étaient si douces aux oreilles du Seigneur; et avec cette musique céleste ils arrivèrent à Saragosse vers minuit. 351. Le très-heureux apôtre saint Jacques était avec ses disciples hors de la ville, tout contre la muraille qui longe les bords de libre, et il s'était un peu écarté de leur compagnie pour faire oraison. Parmi les disciples, les uns dormaient, et les autres priaient à l'exemple de leur Maître; et comme ils ne pensaient à rien moins qu'à ce qui allait leur arriver, la procession des anges se tint à une certaine distance avec la musique, pour ne pas les surprendre; dé sorte qu'elle prit être entendue de loin, non-seulement par saint Jacques, mais aussi, par les disciples; ceux même qui dormaient se réveillèrent, et tous furent (1) Isa., VI, 3. 193 pénétrés d'une vive consolation intérieure et transportés d'une admiration qui les jeta hors d'eux-mêmes, leur ôta presque la parole, et leur fit verser d'abondantes larmes de joie. Ils aperçurent en l'air une lumière éclatante qui surpassait celle du soleil, quoiqu'elle ne s'étendit pas de toutes parts, ne remplissant qu'un espace déterminé, comme un grand globe. Plus ravis encore, à cette vue, d'admiration et de joie, ils restèrent immobiles jusqu'à ce que leur maître les appela. Par ces merveilleux effets qu'il leur faisait sentir, le Seigneur voulait les préparer et les rendre attentifs à ce qui leur serait découvert de ce grand mystère. Les saints anges placèrent le trône de leur Reine sous les yeux de l'apôtre, qui, absorbé dans la plus sublime oraison, entendait la musique et apercevait la lumière mieux que les disciples: Les anges portaient une petite colonne de marbre ou de jaspe, et d'une autre matière différente ils avaient fait une statue, qui n'était pas fort grande, de la Reine du ciel; ils la portaient avec beaucoup de vénération; et ils avaient préparé ces objets sacrés cette même nuit avec l'habileté qui leur est naturelle quand Dieu leur donne le pouvoir d'agir sur quelque chose. 352. La grande Reine de l'univers étant sur ce trône admirable et environnée des choeurs des anges, qu'elle surpassait et en lumière et en beauté, se manifesta à saint Jacques, qui se prosterna aussitôt devant la Mère de son Créateur et de son Rédempteur; il vit aussi la statue et la colonne ou le pilier entre les 194 mains de quelques anges. La charitable Reine lui donna la bénédiction au nom de son très-saint Fils, et lui dit : " Jacques, serviteur du Très-Haut, soyez béni de sa droite, et rempli de la joie de sa divine face. " Et tous les anges répondirent : Ainsi soit-il. Notre auguste Dame poursuivant son discours ajouta : " Mon fils Jacques, le Tout-Puissant a choisi ce lieu, afin que vous le lui consacriez en y construisant un temple que vous lui dédierez, et où il veut que, sous le titre de mon nom, le sien soit exalté, que les trésors de sa divine droite et de ses anciennes miséricordes soient abondamment communiquées à tous les fidèles; et qu'ils les reçoivent par mon intercession, s'ils les demandent avec une vive foi et avec ente véritable dévotion. Je leur promets, au nom du Très-Haut, de grandes faveurs, de douces bénédictions, et ma puissante protection; car ce temple sera ma maison et mon propre héritage. Et en garantie de cette vérité et de cette promesse, ma propre image y sera placée sur cette colonne; et elle demeurera aussi bien que la sainte foi jusqu'à la fin du monde dans le temple que vous construirez. Vous commencerez au plus tôt cette maison du Seigneur; et après que vous lui aurez rendu ce service, vous partirez pour Jérusalem, où mon très saint Fils veut que vous lui offriez le sacrifice de votre vie dans le même lieu où il a donné la sienne pour la rédemption du genre humain. " 353. Quand notre grande Reine eut achevé ces paroles, elle ordonna aux anges de mettre la sainte 195 statue sur la colonne et de la placer à l'endroit même où elle se trouve aujourd'hui, ce qu'ils exécutèrent dans un instant. Aussitôt que la colonne fut érigée, et que l'image sacrée y fut posée, les mêmes anges et le saint apôtre reconnurent ce lieu pour la maison de Dieu, la porte du ciel (1), et une terre sainte et consacrée en un temple pour la gloire du Très-Haut, et pour l'invocation de sa bienheureuse Mère. En foi de quoi ils y offrirent leurs adorations à la Divinité. Saint Jacques se prosterna, et les anges par de nouveaux cantiques célébrèrent les premiers avec le même apôtre la nouvelle dédicace du premier temple qui eût été construit dans le monde sous le vocable de la grande Reine du ciel et de la terre après la rédemption du genre humain. Telle fut l'heureuse origine du sanctuaire de Notre-Dame du Pilier à Saragosse, que l'on appelle avec raison chambre angélique, propre maison de Dieu et de sa très-pure Mère, digne de la vénération de tout l'univers, et caution assurée des faveurs du Ciel, si nos péchés ne nous en rendent indignes. Il me semble que notre grand patron et apôtre le second Jacob commença bien plus glorieusement ce temple, que le premier Jacob n'avait commencé le sien à Béthel lorsqu'il se rendait en Mésopotamie, quoique cette pierre qu'il érigea comme un monument (2) marquât la place où le temple de Salomon devait être construit. Jacob vit là l'échelle mystique avec les saints anges, en songe et en figure; mais (1) Gen., XXVIII, 17. - (2) Ibid., 18. 196 saint Jacques vit ici par les yeux corporels la véritable échelle du ciel et beaucoup plus d'anges. Là, une pierre fut dressée comme un monument pour le temple qui devait plusieurs fois être détruit et être entièrement ruiné après quelques siècles; mais ici, sur l'appui de cette véritable colonne consacrée, furent établis le Temple de la foi et le culte du Très-Haut jusqu'à la fin monde; et les anges montent et descendent le long de cette échelle du ciel avec les prières des fidèles et avec les faveurs incomparables que distribue notre grande Reine à ceux qui l'invoquent et l'honorent dans ce lieu avec une sincère dévotion. 354. Notre apôtre rendit de très-humbles actions de grâces à la bienheureuse Marie, et la pria dé protéger d'une manière spéciale ce royaume d'Espagne, et surtout ce lieu consacré à sa dévotion et à son nom. La divine Mère lui promit de le faire, et lui ayant donné de nouveau sa bénédiction, les anges la ramenèrent à Jérusalem dans le même ordre qu'ils l'avaient portée à Saragosse. A sa prière, le Très-Haut ordonna qu'un ange demeurât dans ce sanctuaire pour le défendre, et depuis ce jour-là il remplit ce ministère, et le remplira tant qu'y subsisteront l'image sacrée et la colonne. De là le prodige que tous les fidèles reconnaissent : c'est que ce sanctuaire s'est maintenu inébranlable, intact depuis plus de mille six cents ans parmi la perfidie des Juifs, l'idolâtrie des Romains, l'hérésie des ariens et la fureur barbare des Maures; mais l'admiration des catholiques serait encore plus grande s'ils connaissaient en détail les moyens et les artifices 197 que les enfers conjurés ont inventés à diverses époques pour détruire ce sanctuaire par la main de tous ces infidèles et de toutes ces nations. Je ne m'arrête point au récit de ces entreprises inutiles, parce qu'il n'est pas nécessaire, et que d'ailleurs il n'entre pas dans mon sujet. Il me suffit de dire que Lucifer s'est servi très-souvent de tous ces ennemis de Dieu pour essayer de renverser ce sanctuaire , et que le saint ange qui le garde a toujours déjoué tous leurs efforts. 355. Mais je fais savoir deux choses qui m'ont été découvertes, 'afin que je les écrive ici. L'une est que les promesses dont je viens de parler, tant de notre Sauveur Jésus-Christ que de sa très-sainte Mère, de garder ce saint temple , quoiqu'elles semblent être absolues, renferment néanmoins une condition implicite, comme beaucoup d'autres promesses- de l'Écriture sainte qui s'appliquent à des bienfaits particuliers de la divine grâce: Cette condition est que nous agissions de notre côté de manière à ne point obliger le Seigneur de nous priver de la faveur et de la miséricorde qu'il nous promet. Et comme Dieu réserve dans le secret de sa justice le poids des péchés qui peuvent l'y obliger, il se dispense de stipuler expressément cette condition. D'ailleurs, nous sommes assez avertis par sa sainte Église que ses promesses et ses faveurs ne nous sont point faites pour que nous nous en servions contre le Seigneur lui-même, et que nous l'offensions en comptant sur sa libérale miséricorde, puisque rien n'est si capable de nous en rendre 198 indignes que cette ingratitude. Les péchés de ces royaumes et de cette pieuse ville de Saragosse peuvent être en si grand nombre et si énormes, que nous mettrons de notre côté la condition et le nombre par où nous mériterons d'être privés de cet admirable bienfait et de la protection de la grande Reine des anges. 356. Le second avis, qui n'est pas moins digne de considération , est que, comme Lucifer et ses démons connaissent ces vérités et ces promesses du Seigneur, ils ont tâché et tâchent toujours par leur malice infernale d'introduire de plus grands vices parmi les habitants de cette illustre ville , et surtout de ces vices qui peuvent le plus offenser la pureté de la bienheureuse Vierge. Ainsi, il emploie plus de ruses dans cette ville privilégiée que dans les antres. Dans cette conduite, l'antique serpent tend à un double but également exécrable. D'une part, il veut porter les fidèles qui habitent cette ville à offenser Dieu, et à le forcer par leurs offenses de ne leur plus conserver ce sanctuaire, et par là Lucifer obtiendrait ce qu'il i'a pas obtenu par tant d'autres moyens dont il s'est servi. D'autre part, il veut, s'il échoue dans cette première tentative, faire eu sorte au moins d'empocher les limes de vénérer ce saint temple, et de recevoir les grands bienfaits que la très-pure Marie a promis, d'y accorder à ceux qui les demanderaient dignement. Lucifer et, ses démons savent très-bien que tes habitants de Saragosse ont envers la Reine du ciel des obligations plus étroites:que beaucoup d'autres villes 199 et provinces de la chrétienté, parce qu'ils ont dans l'enceinte de leurs murs la source des faveurs que les autres y vont chercher, et que si nonobstant la possession d'un si grand trésor ils deviennent plus vicieux, et méprisent un témoignage de clémence et de bonté qu'ils ne sauraient avoir mérité, cette ingratitude envers Dieu et envers sa très-sainte Mère leur attirera une plus grande indignation et un plus rigoureux châtiment de la justice divine. J'avoue à toits ceux qui liront cette histoire que je suis heureuse de l'écrire à deux journées seulement de Saragosse; je me félicite de ce voisinage, et je regarde ce sanctuaire avec une tendre dévotion , à cause de ce que tout le monde comprendra que je dois à la grande Reine de l'univers. Je déclare aussi la reconnaissance qu'ont dû m'inspirer les bontés des habitants de cette ville. Pour la leur témoigner, je voudrais leur rappeler de vive voix la dévotion profonde et cordiale qu'ils doivent avoir envers l'auguste Marie , et les faveurs qu'ils peuvent, soit obtenir par cette dévotion, soit démériter parleur négligence et leur inattention. Qu'ils se considèrent donc comme plus favorisés et plus obligés que les autres fidèles. Qu'ils apprécient leur trésor, qu'ils en profitent avec joie, et qu'ils se cardent de faire du propitiatoire de Dieu une maison inutile et commune, et de le changer eu un tribunal de justice, puisque la très-pure Marie a fait de ce saint temple un siège de miséricordes. 357. Après cette apparition de la bienheureuse Vierge, saint Jacques appela ses disciples, qui, sans 200 avoir ni vu ni entendu autre chose que la lumière et la musique céleste, en étaient encore tout émerveillés. Leur charitable maître les informa de ce qu'il convenait qu'ils sussent, afin qu'ils l'aidassent à bâtir le monument sacré auquel il se mit à travailler activement; et avec l'assistance des anges il acheva avant de quitter Saragosse la petite chapelle où se trouvent la sainte image et la colonne. Dans la suite des temps les catholiques ont construit le magnifique temple et les édifices accessoires qui entourent ce sanctuaire si célèbre. L'évangéliste saint Jean n'eut alors aucune connaissance de ce voyage de la divine Mère en Espagne; elle ne lui en dit rien, parce que ces faveurs et ces excellences ne concernaient point la foi universelle de l'Église; c'est pour cette raison qu'elle les conservait dans le secret de son cœur, quoiqu'elle en déclarât d'autres plus grandes à saint Jean et sua autres évangélistes, lorsque la connaissance en était nécessaire pour la commune instruction et pour la foi des fidèles. Mais quand saint Jacques, à son retour, d'Espagne, passa par Éphèse, il communiqua à son frère Jean ce qui lui était arrivé pendant qu'il prêchait en Espagne, et lui raconta les deux apparitions qu'il avait eues de la divine Mère, et les circonstances particulières de cette seconde. apparition à Saragosse; il lui parla aussi du temple qu'il avait construit dans cette ville. Et par le récit que l'évangéliste en fit, plusieurs apôtres et disciples connurent ce miracle; car étant de retour à Jérusalem , il le leur rapporta lui-même pour les affermir dans la foi , dans la dévotion 201 envers la grande Reine du ciel, et dans la confiance qu'ils devaient avoir en sa protection. Et cela eut son effet, car dès lors ceux qui surent quelle faveur Jacques avait reçue, l'invoquaient dans leurs afflictions et dans leurs besoins, et la compatissante Mère les secourut tour à tour au milieu de divers dangers et en diverses occasions. 358. Cette miraculeuse apparition de la bienheureuse Marie dans Saragosse eut lieu au commencement de, l'an quarante de la naissance de son Fils notre Sauveur, dans la nuit qui suivit le 2 janvier. Il s'était passé quatre ans quatre mois et dix jours depuis que saint Jacques avait quitté Jérusalem pour aller prêcher; car le saint apôtre en partit (comme je l'ai dit plus haut) en l'an 35, le 20 août, et après cette apparition il employa à construire le temple, à s'en retourner à Jérusalem et à prêcher, un an deux mois et vingt-trois jours, et il mourut le 25 mars de l'an 41. Lorsque la grande Reine des anges lui apparut à Saragosse, elle avait cinquante- quatre ans trois mois et vingt-quatre jours, et elle partit pour Éphèse le quatrième jour après qu'elle fut de retour à Jérusalem, ainsi que je le dirai dans le premier chapitre du livre suivant. De sorte que ce temple lui fut dédié plusieurs années avant sa glorieuse mort, comme on le verra lorsqu'à la fin de cette histoire de notre auguste Dame je déclarerai son âge et l'année en laquelle elle mourut; car depuis cette apparition il se passa plus de temps qu'on ne dit ordinairement. Et pendant toute cette période elle fut honorée d'un 202 culte public en Espagne, où on lui dédia aussitôt, à l'exemple de Saragosse, plusieurs temples dans lesquels on lui rendait une solennelle vénération. 359. Ce merveilleux privilège honore sans contredit beaucoup plus l'Espagne que tout ce qu'on pourrait dire à son avantage, puisqu'elle a eu le bonheur d'être la première entre toutes les nations et tons les royaumes du monde à rendre un culte public à la grande Reine du ciel la très-pure Marie pendant qu'elle vivait en la chair mortelle, et de l'invoquer alors avec plus de dévotion et de zèle que d'autres nations ne l'ont invoquée après sa mort et depuis quelle est montée au ciel pour ne plus revenir sur la terre. J'ai appris que c'est en récompense de cette ancienne dévotion de l'Espagne envers la bienheureuse Vierge que cette charitable Mère a enrichi publiquement les royaumes par un si grand nombre de ses images miraculeuses, et par tant de temples dédiés à son saint nom. Par ces faveurs toutes spéciales, la divine Mère a daigné se rendre plus familière dans ces pays, en leur offrant sa protection dans tant de sanctuaires qu'elle y a, et en venant de toutes parts et dans toutes les provinces au-devant de nous, afin que nous la reconnaissions pour notre Mère et pour notre Patronne, et aussi afin que nous comprenions qu'elle oblige notre peuple à défendre son honneur et à étendre sa gloire dans tout l'univers. 360. Je supplie humblement tous les habitants d'Espagne, et je les presse au nom e cette grande Dame de ranimer leur foi et do faire revivre l'antique 203 dévotion envers la très-pure Marie, de se regarder comme plus obligés à son service que les autres nations, et d'avoir surtout une grande vénération pour le sanctuaire de Saragosse, comme surpassant les autres par l'excellence de ses privilèges, et comme ayant vu et fait naître la pieuse vénération que l'Espagne a vouée à l'auguste Reine du ciel. Et que tous ceux qui liront cette histoire soient persuadés que les prospérités et les grandeurs anciennes de cette monarchie ont été des effets de la protection de la bienheureuse Marie et des services que ses anciens habitants lui ont rendus; et si aujourd'hui ces grandeurs sont si diminuées et presque perdues, il faut l'attribuer à notre oubli et à notre peu de zèle qui nous a attiré et mérité cet abandon si visible. Si nous souhaitons la fin de tant de calamités, nous ne pouvons l'obtenir que par le moyen de cette puissante Reine, en nous attirant sa protection par de nouveaux services et par des témoignages éclatants d'une véritable dévotion. Et puisque le bienfait incomparable de la foi catholique et les autres que j'ai rapportés nous sont venus par l'entremise de notre grand patron et apôtre saint Jacques, renouvelons aussi envers lui notre dévotion, et invoquons-le de tout notre coeur, afin que par son interc6ssion le Tout-Puissant renouvelle ses merveilles. 204 Instruction que la Reine du ciel m'a donnée. 361. Ma fille, je vous avertis que ce n'est pas sans mystère que je vous ai si souvent découvert dans le cours de cette histoire les secrets desseins de l'enfer contre les hommes, les trahisons qu'il ourdit pour les perdre, et la haine vigilante et implacable avec laquelle il tâche d'en venir à bout, ne négligeant ni moment ni occasion, plaçant en tous lieux et en tous chemins des pierres d'achoppement, et tendant mille piéges autour de tous les mortels, quel que soit leur état, pour les y faire tomber; et vous savez que ceux qu'il tend aux personnes qui souhaitent avec ardeur la vie éternelle et l'amitié de Dieu, sont encore plus dangereux, parce qu'ils sont plus cachés. Outre ces avis généraux, je vous ai fait connaître plusieurs fois les entreprises que les démons font contre vous. Il importe à tous les enfants de l'Église de sortir de l'ignorance dans laquelle ils vivent des dangers si fréquents de leur damnation éternelle, sans faire réflexion que ç'a été un châtiment du premier péché de perdre la connaissance de ces secrets; et ensuite lorsqu'ils pourraient la mériter, ils s'en rendent plus indignes par leurs propres péchés. Il y a même beaucoup de fidèles qui vivent dans une aussi grande négligence que s'il n'y avait point de démons très-vigilants à les persécuter et à les séduire; et si quelquefois ils y pensent, ce n'est que superficiellement 205 et en passant, car aussitôt ils retombent dans leur premier oubli, qui équivaut chez la plupart à l'oubli des peines éternelles. S'il est vrai qu'en tous temps et en tous lieux, en toutes oeuvres et en toutes occasions, le démon leur dresse des embûches, il serait bien juste et bien naturel qu'aucun chrétien ne fit un seul pas sans demander la faveur divine pour connaître le péril et pour n'y pas tomber. Mais les enfants d'Adam considèrent si peu leur propre malheur, qu'à peine trouvera-t-on, une seule de leurs actions qui ne soit infectée du venin du serpent infernal, et par là ils accumulent péchés sur péchés, crimes sur crimes, qui irritent la puissance divine et qui les rendent indignes de la miséricorde. 362. Au milieu de tous ces périls, je vous exhorte, ma fille, puisque vous connaissez la vigilance des démons et la haine particulière qu'ils ont conçue contre vous, à avoir vous-même, avec le secours de la divine grâce une vigilance aussi grande et aussi continuelle qu'elle vous est nécessaire pour vaincre les plus rusés des ennemis. Remarquez ce que je fis lorsque je connus l'intention que Lucifer avait de me persécuter et de détruire l'Église : je redoublai alors les prières et les gémissements, et comme les démons voulaient se servir d'Hérode et des Juifs de Jérusalem, quoique j'eusse pu demeurer dans cette ville avec moins de crainte que les autres fidèles, et que je l'eusse désiré, je la quittai néanmoins, pour donner un exemple de prudence et de soumission : de prudence en m'éloignant du péril, et d'obéissance en me 206 conduisant parla volonté de saint jean. Vous n'êtes pas forte, et le commerce des créatures vous expose à un plus grand danger; en outre vous êtes ma disciple, et vous avez mes actions et ma vie pour y conformer la vôtre : c'est pourquoi je veux que, quand vous aurez reconnu le péril, vous vous en éloigniez aussitôt, fallût-il vous résigner à un déchirement douloureux; que vous vous conduisiez par l'obéissance que vous devez à celui qui vous dirige comme par une boussole infaillible, et que vous vous appuyiez sur cette vertu comme sur une forte colonne pour ne pas tomber. Prenez bien garde si sous certaines apparentes de piété l'ennemi ne vous cache point un piège, et ne cherchez point à faire du bien aux autres à votre propre préjudice spirituel. Ne vous fiez point à votre sentiment, quand il vous paraîtrait bon et sûr, et ne faites pas difficulté d'obéir en quoi que ce soit, puisque par obéissance j'entrepris un voyage très-pénible et très-fatigant. 363. Renouvelez aussi en vous les désirs de suivre mes traces et de m'imiter avec perfection pour continuer le reste de ma vie et l'écrire dans votre coeur. Courez par le chemin de l'humilité et de l'obéissance après l'odeur de ma vie et de mes vertus, car si vous m'obéissez (comme je vous y ai si souvent exhortée), je vous assisterai comme ma fille dans vos nécessités et dans vos tribulations, et mon très-saint Fils accomplira en vous sa volonté, comme il le souhaite, avant que vous ayez achevé cet ouvrage; vous recevrez les effets des promesses que nous vous avons faites 207 plusieurs fois, et vous serez bénie de sa puissante droite. Glorifiez le Très-Haut de la faveur qu'il fit à mon serviteur Jacques à Saragosse, de la construction du temple qu'il m'y dédia avant ma mort, de tout ce que je vous ai découvert de cette merveille, enfin de ce que ce temple fut le premier de la loi évangélique, et fort agréable à la très-sainte Trinité. 27/30 LIVRE HUITIÈME. OÙ L'ON APPORTE LE VOYAGE QUE FIT LA TRÈS- PURE MARIE ATHÈNE AVEC SAINT JEAN. - LE GLORIEUX MARTYRE DE SAINT JACQUES. LA PORT ET LA PUNITION D'HÉRODE. - LA RUINE DU TEMPLE DE DIANE. - LE RETOUR DE L'AUGUSTE MARIE D'ÉPHÉSE A JÉRUSALEM. - L'INSTRUCTION QU'ELLE DONNA AUX ÉVANGÉLISTES. - LE TRÈS-SUBLIME ÉTAT AUQUEL ELLE PUT ÉLEVÉE QUELQUE TEMPS AVANT DE MOURIR. - SA TRÈS-HEUREUSE MORT. - SON ASSOMPTION ET SON COURONNEMENT DANS LE CIEL. CHAPITRE I. La bienheureuse Vierge part de Jérusalem avec Saint Jean pour aller à Éphèse. - Saint Paul vient de Damas à Jérusalem. - Saint Jacques y retourne. - Il voit notre grande Reine à Éphèse. - On déclare les choses secrètes qui arrivèrent dans tous ces voyages. Instruction que j'ai reçue de la Reine du ciel. CHAPITRE II. Le glorieux martyre de saint Jacques. - La bienheureuse Marie y assiste et mène. son âme dans le ciel. - On porte son corps en Espagne. - L'emprisonnement de saint Pierre et sa délivrance. - Circonstances mystérieuses de tous ces événements. Instruction que m'a donnée la grande Reine des anges. CHAPITRE III. Ce qui arriva à l'auguste Marie lors de la mort et de la punition d'Hérode. - Saint Jean prêche à Éphèse, où il arrive plusieurs miracles. - Lucifer se lève pour attaquer la Reine du ciel. Instruction que la Reine des anges m'a donnée. 208 LIVRE HUITIÈME. OÙ L'ON APPORTE LE VOYAGE QUE FIT LA TRÈS-PURE MARIE ATHÈNE AVEC SAINT JEAN. - LE GLORIEUX MARTYRE DE SAINT JACQUES. LA PORT ET LA PUNITION D'HÉRODE. - LA RUINE DU TEMPLE DE DIANE. - LE RETOUR DE L'AUGUSTE MARIE D'ÉPHÉSE A JÉRUSALEM. - L'INSTRUCTION QU'ELLE DONNA AUX ÉVANGÉLISTES. - LE TRÈS-SUBLIME ÉTAT AUQUEL ELLE PUT ÉLEVÉE QUELQUE TEMPS AVANT DE MOURIR. - SA TRÈS-HEUREUSE MORT. - SON ASSOMPTION ET SON COURONNEMENT DANS LE CIEL. CHAPITRE I. La bienheureuse Vierge part de Jérusalem avec Saint Jean pour aller à Éphèse. - Saint Paul vient de Damas à Jérusalem. - Saint Jacques y retourne. - Il voit notre grande Reine à Éphèse. - On déclare les choses secrètes qui arrivèrent dans tous ces voyages. 364. Les séraphins ramenèrent l'auguste Marie de Saragosse à Jérusalem, après qu'elle eut enrichi le royaume d'Espagne et cette ville de Saragosse par sa présence, par sa protection, par ses promesses, et par le temple que saint Jacques, assisté des saints anges, y avait construit et dédié à son nom. Aussitôt que la grande Reine des anges fut descendue de la nuée éclatante dans laquelle ces esprits célestes la portaient, se voyant dans le Cénacle, elle se prosterna pour 209 louer avec une humilité profonde le Très-Haut des bienfaits que sa puissante droite avait opérés dans ce voyage miraculeux, en sa faveur et en faveur de saint Jacques et de ces royaumes. Puis considérant avec son humilité ineffable qu'on avait érigé un temple sous son vocable pendant qu'elle vivait encore dans une chair mortelle, elle s'anéantit de telle sorte dans sa propre estime en la divine présence, qu'il semblait qu'elle eût entièrement oublié qu'elle était la véritable Mère de Dieu, une créature impeccable et incomparablement supérieure en sainteté aux plus hauts séraphins. Pour reconnaître ces bienfaits elle s'abaissa aussi bas que si elle eût été un vermisseau de terre, la plus petite des créatures et la plus grande pécheresse; et,elle crut que ces faveurs l'obligeaient à s'élever au-dessus d'elle-même à de. nouveaux degrés d'une plus haute sainteté. C'est ce qu'elle se proposa et ce qu'elle accomplit, sa sagesse et son humilité atteignant un terme au delà de la portée de la vue humaine. 365. Elle employa en ces exercices pieux et en de ferventes prières, pour la défense et l'agrandissement de la sainte Église la plus grande partie. des quatre jours qui suivirent son retour à Jérusalem. Cependant l'évangéliste saint Jean préparait tout dé qui était nécessaire pour le voyage d'Éphèse; et le quatrième jour, c'est-à-dire le cinq janvier de l'an quarante de Jésus-Christ, saint Jean l'avertit qu'il était temps de partir; qu'il avait trouvé une embarcation , et que tout était prêt pour se mettre en route. La grande Maîtresse de l'obéissance se prosterna 210 aussitôt, sans faire une seule réplique, et demanda au Seigneur la permission de sortir du Cénacle et de Jérusalem ; puis elle alla prendre congé du maître de la maison et de ceux qui y demeuraient. On comprend combien ce départ leur dut être pénible; car la très-douce Mère de la grâce leur avait ravi le coeur par sa conversation et par les faveurs qu'elle leur faisait de sa main. libérale, et ils se trouvaient tout à coup sans consolation et privés de ce trésor du ciel, dans lequel ils puisaient tant de biens. Ils s'offrirent tous à l'accompagner. Mais sachant que cela n'était pas convenable, ils la supplièrent avec larmes de revenir bientôt, et de ne pas abandonner tout à fait cette maison, qu'elle avait déjà si longtemps occupée. La divine Mère les remercia de leurs offres pieuses et charitables avec des témoignages d'affection et d'humilité, et adoucit un peu leurs regrets, par l'espérance qu'elle leur donna de son retour. 366. Elle pria saint Jean de lui permettre de visiter les saints lieux de notre rédemption et d'y adorer le Seigneur, qui les avait consacrés par sa présence et par son précieux sang; et, accompagnée du même apôtre, elle fit ces stations sacrées avec une dévotion et une vénération incroyables et avec des larmes abondantes, pendant que saint Jean, extrêmement consolé de pouvoir la suivre, faisait les actes les plus sublimes des différentes vertus. La bienheureuse Mère vit les anges qui gardaient les saints lieux; elle leur recommanda de nouveau de résister à Lucifer et à ses démons, et de les empêcher de détruire et de profaner 211 ces lieux sacrés, comme ils le souhaitaient, et l'entreprendraient par le moyen des Juifs incrédules. Elle avertit les esprits célestes de dissiper par de saintes inspirations les mauvaises pensées et les suggestions diaboliques par lesquelles le dragon infernal tâchait d'exciter les Juifs et les autres mortels à abolir la mémoire de notre Seigneur Jésus-Christ dans ces saints lieux ; elle les chargea de prendre ce soin pendant tous les siècles à venir, parce que la rage des esprits malins durerait toujours contre les lieux et les œuvres de la rédemption. Les saints anges obéirent à leur Reine en tout ce qu'elle leur ordonna. 367. Après avoir fait ces stations, elle se mit à genoux et demanda la bénédiction à saint Jean pour partir de Jérusalem, comme elle le faisait avec son très-saint Fils; car elle pratiqua toujours dans, ses rapports avec le disciple bien-aimé, que le Seigneur lui avait laissé en sa place, les deux grandes vertus d'obéissance et d'humilité. Plusieurs des fidèles qui se trouvaient à Jérusalem lui offrirent de l'argent, des pierres précieuses, et des voitures pour la conduire jusqu'au bord de la mer, et tout ce dont elle pouvait avoir besoin pour son voyage. Mais la très- prudente Dame sut, sans rien accepter, les satisfaire tous par son humilité et par les témoignages. de sa reconnaissance. Elle se servit pour aller jusqu'à la mer d'un âne, sur lequel elle fit le chemin, comme Reine des vertus et des pauvres. Elle se souvenait des voyages qu'elle avait faits jadis avec son très-saint Fils et avec son époux Joseph; et ce souvenir et l'amour divin, 212 qui l'obligeait de nouveau à voyager, excitaient en son coeur virginal les sentiments de la plus tendre dévotion; et pour être en tout très-parfaite, elle fit de nouveaux actes de résignation à la volonté divine, de ce que, pour la gloire du Seigneur et pour l'exaltation de son saint nom, elle était privée de la compagnie de son Fils et de son époux dans ce voyage, ayant eu la consolation d'en jouir en tant d'autres qu'elle avait faits; et de ce qu'elle quittait la retraite du Cénacle, les lieux saints et la compagnie de tant de pieux fidèles; mais elle bénit en même temps le Très-Haut de ce qu'il lui donnait le disciple bien-aimé pour l'accompagner et suppléer en l'absence de son très-doux Fils. 368. Pour rendre le voyage de notre grande Reine plus agréable et plus consolant, aussitôt qu'elle fût sortie du Cénacle tous ses auges se manifestèrent à elle sous une forme corporelle et visible, et l'environnèrent comme des gardes fidèles. Avec cette escorte céleste, n'ayant point d'autre compagnie humaine que saint Jean, elle se rendit au port, où était le navire qui devait aller à Éphèse. Pendant tout le trajet, elle eut de très-doux entretiens et fit de sublimes cantiques à la louange du Très- Haut, avec ces esprits célestes et quelquefois avec saint Jean qui, toujours empressé et officieux, la servait avec un respect admirable dans toutes les circonstances où il, savait pouvoir lui être utile. La bienheureuse Marie répondait à cette sollicitude de l'apôtre par une humilité et une reconnaissance incroyables; car les deux vertus de gratitude et d'humilité grossissaient 213 dans l'estime de notre auguste Reine tout ce que l'on faisait pour elle; et quoique tous les services possibles lui fussent dus à tant de titres obligatoires, elle les regardait comme des faveurs toutes gratuites. 369. Ils arrivèrent au port, et s'embarquèrent sur-le-champ dans un vaisseau avec d'autres passagers. La grande Reine de l'univers se mit en mer, et ce fut la première fois qu'elle y arriva de cette manière; elle sonda d'un oeil sûr et embrassa toute cette vaste étendue de la Méditerranée et la communication qu'elle a avec l'Océan. Elle en vit la profondeur, la hauteur, la longueur, la largeur, les abîmes, les plages , la disposition secrète, les mines , les flux et reflux , tous les poissons, grands et petits, et enfin tout ce que renfermait cette merveilleuse partie de la création. Elle connut aussi combien de personnes s'y étaient noyées par des naufrages , et se souvint de la. vérité qu'énonce l'Ecclésiastique, que ceux qui naviguent sur la mer en racontent les dangers (1), et de ce que dit David, que les soulèvements de ses flots agités sont admirables (9). La divine Mère pouvait connaître tout cela, tant par une grâce particulière de son très-saint Fils, que parce qu'elle jouissait aussi au plus haut degré des privilèges de la nature angélique, et d'une participation spéciale des attributs divins analogue et semblable à celle de la très-sainte humanité de notre Sauveur Jésus-Christ. Grâce -à ces dons et à ces privilèges , non-seulement elle connaissait distinctement (1) Eccles., XLIII, 56. - (2) Ps. XCII, 6. toutes choses comme elles sont en elles-mêmes; mais elle les pénétrait, elle les approfondissait encore par sa connaissance, beaucoup plus que les anges. 370. Lorsque la Mère de la sagesse considéra cette immensité. des flots, en laquelle reluisaient, comme dans le plus brillant miroir, la grandeur et la toute-puissance du Créateur, son esprit, par un élan rapide, s'éleva jusqu'à l'être de Dieu même, qui apparaît avec tant d'éclat dans ses admirables créatures, et elle le loua et le glorifia en toutes et pour toutes. Et ayant pitié, comme une tendre Mère , de tous ceux qui s'exposent à la fureur indomptable de la mer et la parcourent au péril de leur vie, elle fit pour eux les plus ferventes prières, et supplia le Tout-Puissant de défendre dans ces dangers tous ceux qui, s'y trouvant, invoqueraient son intercession et son nom, et demanderaient dévotement sa protection. Le Seigneur lui accorda aussitôt cette demande, et lui promit de favoriser dans les périls de la mer ceux qui porteraient quelqu'une de ses images, et qui dans les tempêtes appelleraient avec affection à leur secours l'Étoile de la mer; l'auguste Marie. Ou infèrera de cette promesse que si les fidèles périssent dans leurs navigations, c'est parce qu'ils ignorent cette faveur de la Reine des anges , ou parce qu'ils méritent par leurs péchés de ne point s'en souvenir dans les tempêtes qui les y assaillent, ou qu'ils ne l'invoquent pas avec une vive foi et avec une dévotion véritable : puisque la parole du Seigneur ne peut point manquer (1), et que sa très-pure Mère ne (1) Matth., XXIV, 35. 215 refuserait pas son assistance aux marins qui l'imploreraient dans leur détresse. 371. Il arriva encore un autre prodige, et ce fut lorsque la sainte Vierge vit la mer, les poissons et les autres animaux maritimes; elle leur donna à tous sa bénédiction, leur ordonnant de reconnaître et de louer leur Créateur a leur manière. Ce fut une chose merveilleuse, que tous ces poissons, obéissant â la parole de leur Reine, vinrent avec une vitesse incroyable se mettre devant le navire, où se réunirent une multitude innombrable de chaque genre de ces animaux. Et entourant le vaisseau, ils avançaient leur tète hors de l'eau, et ils y demeurèrent longtemps, paraissant vouloir reconnaître la Reine des créatures par leurs mouvements extraordinaires et leurs jeux variés, lui témoignant ainsi leur obéissance , célébrant son passage, et la remerciant à leur manière de ce qu'elle avait daigné traverser l'élément au milieu duquel ils vivaient. Tous ceux qui se trouvaient sur le navire furent stupéfaits à la vue de bette merveille inouïe. Et comme cette multitude de poissons, grands et petits, si serrés les uns contre les autres, empêchait le vaisseau de marcher, les passagers étaient de plus en plus étonnés, mais ils ne devinèrent point la cause d'un prodige qui leur semblait si étrange. Saint Jean fut le seul qui la. pénétra, et il ne put s'empêcher de verser des larmes de joie et de dévotion. Quelques moments après il pria la divine Mère de donner sa bénédiction aux poissons, et de leur permettre de s'en aller, puisqu'ils lui avaient obéi 216 avec tant de promptitude, lorsqu'elle les avait conviés à louer le Très-Haut. La très- douce Mère fit ce que saint Jean souhaitait, et aussitôt cette multitude de poissons disparut, et la mer, à l'instant calme, ne présenta plus qu'une surface unie , de sorte qu'ils poursuivirent leur voyage, et arrivèrent à Éphèse en peu de jours. 372. Ils débarquèrent, et notre auguste Reine fit sur terre d'aussi grandes merveilles que sur mer; elle guérit les malades , elle chassa les démons du corps de ceux qui en étaient possédés, et qui recouvraient leur liberté rien qu'à se présenter devant elle. Je ne m'arrête point à écrire tous ces miracles, car il me faudrait faire plusieurs volumes et employer un temps considérable, si je voulais rapporter tous ceux que la bienheureuse Vierge opérait, et les faveurs célestes qu'elle répandait de toutes parts comme l'organe et la dispensatrice de la toute-puissance du Très-Haut. Je n'écris que ceux qui sont nécessaires pour l'histoire, et pour découvrir quelque chose de ce que l'on ignorait des oeuvres et des merveilles de notre grande Reine. Il y avait à Éphèse quelques fidèles qui y étaient venus de Jérusalem et de la Palestine. Le nombre n'en était pas grand; mais sachant l'arrivée de la Mère de notre Sauveur Jésus-Christ , ils vinrent tous la visiter et lui offrir, leurs maisons et leurs biens. Mais la Reine des vertus, qui ne cherchait ni l'éclat ni les commodités temporelles, choisit pour sa demeure la maison de quelques femmes peu riches, qui vivaient sans aucune compagnie d'hommes dans 217 la retraite et dans la solitude. Elles la lui offrirent, par une inspiration du Seigneur, avec beaucoup de charité et de bienveillance. La sainte Vierge accepta cette demeure, et, avec l'intervention et l'assistance des anges, une chambre fort retirée fut disposée pour notre auguste Reine, et une autre pour saint Jean; et ils demeurèrent dans cette maison tant qu'ils séjournèrent dans cette ville d'Éphèse. 373. Après avoir remercié de ce bienfait les maîtresses de la maison, la bienheureuse Marie se retira toute seule dans sa chambre, et, se prosternant, comme elle avait coutume de faire quand elle vaquait à l'oraison, elle adora l'être immuable du Très-Haut; et s'offrant en sacrifice pour le servir dans cette ville, elle dit ces paroles : " Seigneur, Dieu tout-puissant, vous remplissez tous les cieux et toute la terre (1) par l'immensité de votre divinité et de votre grandeur. Voici votre humble servante qui souhaite accomplir parfaitement en tout votre volonté en tout lieu, en tout temps, et quelles que soient les circonstances où il plaira à votre divine providence de me placer : car vous êtes tout mon bien, tout mon être et toute ma vie; les désirs et les affections de ma volonté ne s'adressent qu'à vous seul. Gouvernez, souverain Seigneur, toutes mes pensées, toutes mes paroles et toutes mes oeuvres, afin qu'elles soient toutes selon votre bon plaisir. " La très- prudente Mère connut que le Seigneur acceptait (1) Jerem., XIII, 24. 218 cette demande et cette offre, et qu'il répondait à ses désirs par une vertu divine qui l'assistait et la gouvernait toujours. 374. Elle continua son oraison, priant pour la sainte Église, et réglant en même temps ce qu'elle voulait faire pour aider de son oratoire les fidèles. En conséquence, elle ordonna à quelques-uns de ses saints anges d'aller secourir les apôtres et les disciples qu'elle connut être les plus affligés par les, persécutions que le démon excitait contre eux par le moyen des infidèles. Dans ce temps-là saint Paul sortit de Damas pour échapper aux poursuites des juifs de cette ville, comme il le rapporte lui-même dans la seconde Épître aux Corinthiens, disant qu'on le descendit le long de la muraille (1). Notre grande Reine, voulant défendre l'Apôtre de ces périls et de ceux que Lucifer lui préparait dans le voyage qu'il allait faire à Jérusalem, lui envoya de ses anges, qui l'assistèrent et le gardèrent; car la rage de l'enfer était plus grande contre saint Paul que contre les autres apôtres. Ce voyage est celui dont le même apôtre fait mention dans l'Épître aux Galates, où il marque qu'il alla trois ans près à Jérusalem pour visiter saint Pierre (2). On ne doit pas compter ces trois ans à partir de la conversion de saint Paul, mais depuis son retour de l'Arabie à Damas. Ce que l'on peut, du reste, inférer du texte de saint Paul, puisque, après avoir dit qu'il retourna d'Arabie à (1) II Cor.,XI, 33. - (2) Galat., I, 18. 219 Damas, il ajoute incontinent que trois ans après il alla à Jérusalem; or, si l'on comptait ces trois ans avant le voyage qu'il fit en Arabie, le texte serait fort obscur. 375. L'on peut prouver cela avec une plus grande clarté par la supputation que nous avons faite ailleurs sur l'époque de la mort de saint Étienne, et de ce voyage de l'auguste Marie à Éphèse. En effet, saint Étienne mourut (comme je l'ai dit en son lieu) l'an 34 de Jésus-Christ, accompli en comptant les années à partir du jour de la naissance du Seigneur; et en les comptant du jour de sa Circoncision, comme la sainte Église les suppute maintenant, saint Étienne mourut dans les sept jours qui restent jusqu'au premier janvier, avant que la trente-quatrième année fût révolue. La conversion de saint Paul arriva l'an 36, au 25 janvier. Et s'il fût venu à Jérusalem trois ans après, il y eût trouvé la bienheureuse Vierge et saint Jean; cependant il dit lui-même (1) qu'il ne vit d'autres apôtres à Jérusalem que saint Pierre et saint Jacques le Mineur, surnommé Alphée ; que si la Reine de l'univers et saint Jean s'y fussent trouvés, saint Paul n'aurait pas manqué de les voir, et attrait au moins nommé saint Jean; mais il assure qu'il ne le vit point. Cela s'explique, parce que saint Paul vint à Jérusalem l'an 40, la quatrième année de sa conversion étant accomplie, et un peu plus d'un mois après le départ de la très-pure Marie pour (1) Galat., I, 19. 220 Éphèse, au commencement de la cinquième année de la conversion du même saint, lorsque les autres apôtres, excepté les deux qu'il vit, s'étaient déjà rendus chacun dans sa province, prêchant l'Évangile de Jésus-Christ. 376. Selon cette supputation, saint Paul employa la première année de sa conversion , ou la plus grande partie de ce temps, à prêcher en Arabie, et passa les trois années suivantes à Damas. C'est pourquoi l'évangéliste saint Luc dit au chapitre neuvième des Actes (1), quoiqu'il ne rapporte pas le voyage de saint Paul en Arabie, que longtemps après sa conversion les Juifs qui étaient à Damas tinrent conseil entre eux pour le perdre, entendant par ce long temps les quatre ans qui s'étaient déjà écoulés; puis il ajoute immédiatement qu'étant avertis du dessein qu'ils avaient formé contre lui, les disciples, pendant la nuit, le descendirent le long de la muraille de la ville, et qu'il s'en vint à Jérusalem (2). Et quoique les deux apôtres et les nouveaux disciples qui s'y trouvaient eussent appris sa conversion miraculeuse, ils ne savaient pas s'empêcher de le craindre et de douter de sa persévérance, parce qu'il avait été l'ennemi si déclaré de notre Sauveur Jésus- Christ. Dans cette crainte, ils se méfiaient, au commencement, de saint Paul, jusqu'à ce que saint Barnabé le prit et le menât à saint Pierre, à saint Jacques et aux autres disciples (3). Alors Paul se prosterna aux (1) Act.. IX, 23. - (2) Ibid.. 24 et 25. - (3) Ibid., 26 et 27. 221 pieds du vicaire de notre Sauveur Jésus-Christ, il les lui baisa , et le pria avec une grande abondance de larmes de lui pardonner comme à un pécheur qui reconnaissait ses égarements, et de le recevoir au nombre de ses ouailles et des imitateurs de son adorable Maître, dont il désirait prêcher le saint nom et la foi jusqu'à verser son propre sang. 377. On infère aussi de ce doute qu'eurent saint Pierre et saint Jacques Alphée de la persévérance de saint Paul, que, lorsqu'il vint à Jérusalem, la bienheureuse Marie et saint Jean n'y étaient point ; car, dans le cas contraire, il aurait visité en premier lieu la sainte Vierge, qui aurait dissipé leurs craintes, et ces deux apôtres se seraient aussi directement informés auprès de la divine Mère pour savoir s'ils pouvaient se fier à lui; et la très-prudente Dame les aurait instruits de tout ce qui s'était passé, puisqu'elle prenait un si grand soin de consoler les apôtres, et particulièrement saint Pierre. Mais comme elle était déjà à Éphèse, ils ne trouvèrent personne qui leur répondît de la constance et de la grâce du nouveau converti, jusqu'à ce que saint Pierre en eut la preuve, en le voyant soumis à ses pieds. Alors il le reçut avec beaucoup de joie, et tous les autres disciples furent satisfaits. Ils en rendirent tous d'humbles et ferventes actions de grâces au Seigneur, et décidèrent que saint Paul prêcherait à Jérusalem , comme il le fit en effet, à la grande surprise des Juifs qui le connaissaient. Et comme ses paroles étaient des dards enflammés qui pénétraient les coeurs de tous 222 ceux qui l'entendaient, leur étonnement redoubla, de sorte que deux jours suffirent pour que toute la ville de Jérusalem fût troublée par le bruit qui se répandit de l'arrivée de saint Paul, et du changement dont il donnait des preuves publiques. 378. Lucifer et ses démons ne dormaient point dans cette circonstance, où, pour augmenter leurs tourments, le Tout-Puissant se plut à leur; faire sentir plus vivement les coups de sa justice; car aussitôt que saint Paul fut entré dans Jérusalem, ces dragons infernaux sentirent que la vertu divine qui se trouvait en l'Apôtre les tourmentait et les accablait. Mais comme leur orgueil monte toujours (1), comme leur malice est un foyer qui ne s'éteindra jamais, ils eurent à peine éprouvé l'effet si violent de cette force divine, qu'ils redoublèrent de rage contre celui qu'ils en voyaient investi. Et alors Lucifer, outré de fureur, convoqua ses nombreuses légions de démons, et les exhorta de nouveau à s'animer et à déployer toutes les ressources de leur malice pour exterminer saint Paul, décidé qu'il était lui-même, pour réussir dans cette entreprise, à faire jouer tous les ressorts, à Jérusalem et dans le monde entier. Les démons se mirent aussitôt à l'oeuvre, irritant Hérode et les Juifs contre l'Apôtre, et prenant occasion pour cela du zèle incroyable avec lequel il commençait à prêcher. 379. La Maîtresse de l'univers se trouvant à Éphèse, (1) Ps. LXXIII, 24. 223 connut toutes ces machinations; car, indépendamment dg sa merveilleuse science, les anges qu'elle avait envoyés pour secourir saint Paul l'informèrent de tout ce qui se passait à son égard. Et comme la bienheureuse Mère prévoyait l'agitation que la malice d'Hérode et des Juifs causerait dans Jérusalem, et d'un autre côté l'importance qu'il y avait de lui conserver la vie pour l'exaltation du nom du Très- Haut et la propagation de l'Évangile, et qu'elle connaissait en même temps le péril où il se trouvait, tout cela jeta notre charitable Reine dans de nouvelles inquiétudes, d'autant plus vives qu'elle se voyait loin de la Palestine, où elle aurait pu assister les apôtres de plus près. Mais elle le fit d'Éphèse par l'efficace de ses prières, de ses larmes et de ses gémissements continuels, et par le ministère des saints anges. Le Seigneur voulant adoucir la douleur que lui causait sa sollicitude maternelle, lui répondit, un jour qu'elle était en oraison, que ce qu'elle demandait pour saint Paul lui serait accordé, qu'il lui conserverait la vie, et qu'il le mettrait à l'abri de ce péril et des embûches du démon. Et c'est ce qui arriva; car saint Paul, priant un jour dans le Temple, fut ravi en extase; et dans cet état il fut favorisé de sublimes illuminations qui le remplirent de joie, et le Seigneur lui ordonna de sortir promptement de Jérusalem, parce qu'il le fallait pour sauver sa vie de la haine des Juifs, qui ne recevraient point sa doctrine. 380. C'est pour cette raison que saint Paul ne demeura cette fois que quinze jours à Jérusalem, 224 comme il le dit lui -même dans le chapitre premier de son Épître aux Galates (t). Étant retourné quelques années après de Milet et d'Éphèse à Jérusalem , où il fut pris, il rapporte cette extase qu'il eut dans le Temple, et le commandement que le Seigneur lui fit de sortir au plus tôt de Jérusalem, comme il est marqué dans le chapitre vingt-deuxième des Actes. Il communiqua cette vision et cet ordre du Seigneur à saint Pierre, en qualité de chef des apôtres ; et, quand les fidèles eurent appris le danger qu'il courait, ils l'envoyèrent secrètement à Césarée et à Tarse (2), afin qu'il prêchât également aux Gentils, comme il le fit. La très-pure Marie était l'instrument de toutes ces merveilles et de toutes ces faveurs ; elle était la médiatrice par l'intercession de laquelle son très-saint Fils les opérait; et les connaissant aussitôt, elle en rendait d'humbles actions de grâces en son nom et en celui de toute l'Église. 381. La vie de saint Paul étant en sûreté, la compatissante Mère espérait que la divine Providence favoriserait Jacques, son cousin, dont elle prenait un soin particulier. Il était toujours à Saragosse, assisté par les cent anges qu'elle lui donna à Grenade pour sa compagnie et pour sa défense, comme je l'ai dit. Ces esprits célestes allaient et venaient sans cesse d'Espagne en Palestine, et de Palestine en Espagne, présentant à la bienheureuse Marie les demandes de notre apôtre, et lui rapportant les avis de notre (1) Gaist., I,18. - (2) Act., IX, 30. 225 grande Reine; par ce moyen, saint Jacques apprit que l'auguste Marie était arrivée à Éphèse. Et lorsque la petite chapelle du Pilier de Saragosse fut achevée , et qu'il l'eut mise en un état convenable, il la recommanda à l'évêque et aux disciples qu'il laissait dans cette ville comme dans plusieurs autres d'Espagne. Saint Jacques partit ensuite de Saragosse quelques mois après l'apparition qu'il eut de la Reine des anges; il continua de prêcher dans les divers endroits par où il passait; il s'embarqua sur la côte de Catalogne pour l'Italie, où, poursuivant son voyage et sa prédication, sans y faire un trop long séjour, il s'embarqua une autre fois pour l'Asie avec un ardent désir d'y voir la bienheureuse Marie, sa maîtresse et sa protectrice. 382. Saint Jacques obtint heureusement ce qu'il souhaitait; et, étant arrivé à Éphèse, il se prosterna aux pieds de la Mère de son Créateur en versant d'abondantes larmes de joie et de dévotion. Il lui rendit les plus humbles et les plus ferventes actions de grâces pour les faveurs incomparables qu'il avait reçues du Tout-Puissant par son entremise, dans son voyage d'Espagne et dans le cours de ses prédications; de ce qu'elle l'y avait honoré de sa présence , et de toutes les grâces qu'elle lui avait faites dans ces visites. La divine Mère, comme Maîtresse de l'humilité, le releva aussitôt, et lui dit : " Considérez , Seigneur, que vous êtes l'oint du Très-Haut, son christ et son ministre, et que je ne suis qu'un petit ver de terre. " Ce disant, cette grande Reine se mit à genoux, et 226 demanda la bénédiction à saint Jacques comme au prêtre du Très-Haut. Il resta quelques jours à Éphèse, en la compagnie de l'auguste Vierge et de son frère saint Jean, auquel il raconta tout ce qui lui était arrivé en Espagne; il eut pendant ces jours-là, avec la très-prudente Mère, des entretiens très-sublimes, dont il suffit de rapporter seulement ceux qui suivent. 383. Saint Jacques étant prêt à partir d'Éphèse, la très-pure Marie lui dit : " Jacques, mon fils, il ne a vous reste pas longtemps à vivre. Vous savez avec quelle tendresse je vous aime dans le Seigneur, et souhaite vous introduire dans l'intimité de sa charité éternelle, pour laquelle il vous a créé, racheté et appelé. Je désire manifester cette tendresse dans les quelques jours que vous avez encore à vivre, et je vous promets de faire pour vous avec la divine grâce tout ce qui me sera possible comme une véritable Mère. " Jacques, répondant à cette faveur si ineffable, dit à la sainte Vierge avec la plus profonde vénération : " Auguste Dame, Mère de mon Dieu et de mon Rédempteur, je vous rends mille actions de grâces du fond de mon âme pour ce nouveau bienfait, digne de votre seule charité sans borne. Je vous prie, divine Maîtresse, de me donner votre a bénédiction pour aller endurer le martyre pour votre Fils et mon adorable Maître. Je désire, si c'est sa divine volonté et pour sa gloire, vous supplier de m'honorer de votre présence dans le sacrifice de ma vie, et à l'heure de ma mort, afin que 227 vous m'offriez comme une hostie agréable à sa divine Majesté. " 384. La bienheureuse Vierge répondit à cette prière de saint Jacques, qu'elle la présenterait au Seigneur, et l'accomplirait si sa volonté divine daignait, dans sa bonté, le décider de la sorte pour sa gloire. Par cette espérance et par d'autres paroles éternellement vivifiantes , elle fortifia et anima l'apôtre pour le martyre qui l'attendait, et elle lui dit entre autres choses : " Mon fils Jacques, quels tourments et quelles peines pourraient paraître à craindre, quand ils conduisent dans la joie éternelle du Seigneur (1) ? Les choses les plus amères et les plus terribles sont douces et aimables à celui qui a connu le Bien infini dont il doit jouir au prix d'une douleur passagère. Je vous félicite, Seigneur, de votre très-heureux sort, et de ce que vous serez bientôt affranchi des passions de la chair mortelle, pour jouir du souverain Bien comme compréhenseur, et pour participer à la joie de sa divine présence. Votre bonheur me ravit et me transporte quand je considère que dans si peu de temps vous devez acquérir ce que je souhaite avec tant d'ardeur, et que vous échangerez la vie temporelle pour la possession indéfectible du repos éternel. Je vous donne la bénédiction du Père, et, du Fils, et du Saint-Esprit, afin que toutes les trois personnes en l'unité d'une seule essence vous assistent dans la (1) II Cor., IV, 17. 228 tribulation, et vous dirigent dans vos désirs ; et mes voeux vous accompagneront dans votre glorieux martyre. " 385. Notre grande Reine ajouta d'autres réflexions d'une sagesse admirable et d'une extrême consolation pour saint Jacques. Elle lui ordonna de louer la très-sainte Trinité en son nom et en celui de toutes les créatures, et de prier pour la sainte Église quand il serait parvenu à la vision béatifique. Saint Jacques lui promit de faire tout ce qu'elle lui ordonnait, et lui demanda de nouveau sa protection pour l'heure de son martyre; et la divine Mère la lui promit une seconde fois. Au moment du dernier adieu, saint Jacques lui dit : " Divine Maîtresse, qui êtes bénie entre toutes les femmes, votre vie et votre intercession sont l'appui sur lequel la sainte Église doit être assurée, maintenant et pendant tous les siècles, parmi les persécutions et les tentations des ennemis du Seigneur; et votre charité sera l'instrument de votre légitime martyre. Souvenez-vous toujours, comme une très- douce Mère, du royaume d'Espagne, où la sainte Église et la foi de votre très saint Fils et mon Rédempteur viennent d'être établies. Prenez-le sous votre protection spéciale; conservez-y votre temple sacré et la foi que j'y ai prêchée quoique indigne de cet auguste ministère, a et donnez-moi votre sainte bénédiction. m La très-pure Marie lui promit d'exaucer sa prière et d'accomplir ses désirs; et lui ayant donné sa bénédiction, elle le congédia. 229 386. Saint Jacques prit aussi congé de son frère saint Jean, avec beaucoup de larmes de part et d'autre, mais ces larmes étaient des larmes de joie, à cause du bonheur de l'aîné des deux frères , qui devait être le premier à entrer dans la félicité éternelle et à remporter la palme du martyre. Saint Jacques partit ensuite pour Jérusalem, où il prêcha quelques jours avant que de mourir, comme je le dirai dans le chapitre suivant. La grande Reine de l'univers resta à Éphèse, toujours attentive à tout ce qui se passait à l'égard de saint Jacques et de tous les autres apôtres, sans jamais les perdre intérieurement de vue, et sans cesser de prier pour eux et pour toua les fidèles de l'Église. Et à l'occasion du martyre que saint Jacques allait subir pour le nom de Jésus-Christ, elle fut si enflammée d'amour, et son coeur embrasé eut des désirs. si ardents de donner sa vie pour le même Seigneur, qu'elle mérita beaucoup plus de couronnes que tous les apôtres ensemble; car elle souffrit en chacun d'eux plusieurs martyres d'amour, plus douloureux pour son coeur si tendre et si virginal que le tranchant des rasoirs et le supplice du feu ne le pouvaient être. pour le corps des martyrs. 230 Instruction que j'ai reçue de la Reine du ciel. 387. Ma fille, vous avez dans ce chapitre plusieurs règles de perfection propres à vous faire pratiquer le bien. Or considérez que, comme Dieu est le principe de tout l'être et de toutes les puissances des créatures, il doit, selon l'ordre de la raison, en être aussi la fin car si elles reçoivent tout sans l'avoir mérité, elles doivent tout à Celui qui le leur a donné gratuitement; et si elles l'ont reçu pour opérer, elles doivent toutes leurs oeuvres à leur Créateur, et non à elles-mêmes ni à aucun autre. Cette vérité, que je connaissais clairement et que je repassais dans mon esprit, m'obligeait à me prosterner à chaque instant pour adorer l'être immuable de Dieu avec la plus profonde vénération, comme vous l'avez écrit si souvent avec admiration. Je considérais que j'avais été tirée du néant et formée du limon de la terre; et je m'abîmais dans ce même néant en la présence de l'être de Dieu, le reconnaissant pour l'Auteur qui me donnait la vie, l'être et le mouvement (1), et sachant que je ne serais rien sans lui, et que je lui devais tout, comme à l'unique principe et à la fin de tout ce qui est créé. Par la considération de cette vérité, tout ce que je faisais et que je souffrais me semblait fort peu de chose; et quoique je ne cessasse point de pratiquer le bien, j'aspirais néanmoins (1) Act., XVII, 28. 231 toujours à faire et à souffrir davantage; mais mon coeur n'était jamais satisfait, parce que je me trouvais toujours plus redevable, plus pauvre et plus obligée. C'est là une science bien accessible à la raison naturelle, et encore plus à la lumière de la foi, si les hommes n'en détournaient pas les yeux, puisque la dette est commune et manifeste. Mais je veux, ma fille, qu'au milieu. de cet oubli général vous ayez soin de m'imiter en ces exercices que je vous ai fait connaître, et je vous recommande surtout de vous humilier à mesure que le Très-Haut vous élèvera à ses faveurs et à ses plus tendres caresses. Vous en avez l'exemple dans l'humilité que je pratiquais lorsque je recevais quelque bienfait singulier, comme il arriva quand le Seigneur ordonna de me dédier un temple pendant ma vie mortelle. Cette faveur et toutes les autres m'humilièrent au delà de tout ce que les hommes peuvent concevoir; et si je m'humiliais de la sorte quoique j'eusse fait tant de bonnes oeuvres, considérez ce que vous devez faire, ayant reçu tant de faveurs de la main libérale du Seigneur, et faisant si peu de chose pour le payer de retour. 388. Je veux aussi, ma fille, que vous m'imitiez en la circonspection et en la pauvreté que je pratiquais, évitant toute sorte de superfluité et ne recherchant point vos aises, quand même vos religieuses ou les autres personnes qui vous sont attachées vous les offriraient. Choisissez ou acceptez toujours en cela ce qui est le plus pauvre, le plus modeste, le plus méprisé et le plus humble; puisque autrement vous ne 232 sauriez m'imiter, ni suivre mon esprit, par lequel je refusai, sans tomber pourtant dans aucun extrême, toutes les. commodités superflues que les fidèles m'offrirent à Jérusalem et à Éphèse, tant pour mon voyage que pour ma demeure, ne recevant de leurs charitables offres que ce qui me paraissait le plus pauvre et le plus nécessaire. Cette vertu de pauvreté renferme plusieurs autres vertus qui rendent les hommes fort heureux; mais le monde dans son erreur et dans son aveuglement recherche avec ardeur tout ce qui est contraire à cette vertu et à cette vérité. 389. Prenez bien garde aussi de tomber dans une autre erreur commune. C'est, que les hommes, qui devraient savoir que tous les biens du, corps et de l'âme appartiennent au Seigneur, se les approprient ordinairement à eux-mêmes, et s'imaginent y avoir un si grand droit, que non-seulement ils ne les offrent point de bon gré à leur Créateur, mais s'il arrive parfois qu'il les leur ôte, ils s'en affligent et s'en plaignent, comme si Dieu leur faisait quelque tort. Les pères aiment avec tant de passion et d'excès leurs enfants, et les enfants leurs pères; les maris leurs femmes, et les femmes leurs maris; et ils sont tous si attachés aux biens, à l'honneur, à la santé et aux autres avantages temporels, et certaines âmes aux biens spirituels, que s'ils en sont privés, ils en ont une extrême douleur, et quoiqu'il leur soit impossible de' les recouvrer, ils vivent inquiets et sans consolation, passant du ressentiment au désordre de la raison et de l'injustice. Par ce dérèglement non- seulement 233 ils condamnent les oeuvres de la divine Providence, et perdent le grand mérite qu'ils acquerraient en offrant et en sacrifiant su Seigneur ce qui lui appartient mais ils font aussi connaître qu'ils regarderaient comme leur suprême félicité de posséder ces biens passagers qu'ils ont perdus, et qu'ils vivraient contents pendant plusieurs siècles avec ce seul bien apparent et périssable. 390. Aucun des enfants d'Adam n'a jamais pu autant aimer une chose visible que j'aimais mon très-saint Fils et mon époux Joseph, lorsque je vivais en leur compagnie; et quoique cet amour fait si bien ordonné, j'offris néanmoins de tout mon coeur au Seigneur d'être privée de leur conversation tout le temps que je vécus sur la terre après leur mort. Je veux que vous imitiez cette résignation, quand il vous manquera quelqu'une des choses que vous devez aimer en Dieu, car il ne vous est point permis d'en aimer aucune hors de sa divine Majesté. Vos continuels désirs ne doivent tendre qu'à voir et à aimer éternellement le souverain Bien dans la patrie céleste. Tous vos gémissements et tous vos souhaits doivent être pour cette félicité; et c'est pour elle que vous devez souffrir avec joie toutes les peines et toutes les afflictions de la vie mortelle. Il faut que vous fassiez de tels progrès dans ces sentiments, que dès aujourd'hui vous ayez un vif désir de souffrir, pour vous rendre digne de Dieu, tout ce que vous saurez et apprendrez que les saints ont souffert. Mais sachez que ce désir de souffrir, ces aspirations, ces élans, cette soif de 234 voir Dieu doivent être d'une telle nature, que par l'amour de la souffrance vous suppléiez aux peines que vous ne pouvez point souffrir, et que vous vous affligiez même de ne point mériter d'obtenir ce que vous,. souhaitez si ardemment. Prenez bien garde de mêler aux désirs que vous avez de la vision béatifique un motif étranger, tel que celui de vous soulager des peines de la vie par la joie que procure cette vision; car désirer la vue du souverain Bien pour être affranchi du labeur de la vie, ce n'est pas là aimer Dieu, c'est s'aimer soi-même et son propre avantage, et cet amour n'est digne d'aucune récompense aux yeux du Tout-Puissant, qui pénètrent et pèsent toutes choses. Mais si vous agissez sincèrement et avec la plénitude de la perfection comme une servante et une épouse fidèle de mon fils, aspirant à le voir pour l'aimer et le louer éternellement, et pour ne l'offenser jamais plus; et si encore vous désirez toute sorte de peines et de tribulations pour cette seule fin, soyez assurée que vous nous serez fort agréable, et que vous arriverez à l'état d'amour auquel vous tendez toujours; car c'est pour cela que nous sommes si généreux envers vous. CHAPITRE II. Le glorieux martyre de saint Jacques. - La bienheureuse Marie y assiste et mène. son âme dans le ciel. - On porte son corps en Espagne. - L'emprisonnement de saint Pierre et sa délivrance. - Circonstances mystérieuses de tous ces événements. 391. Notre grand apôtre saint Jacques arriva à Jérusalem, dans le temps que cette ville était tout agitée à propos des disciples et des imitateurs de notre Seigneur Jésus-Christ. Les démons avaient secrètement excité ces nouveaux troubles, irritant de plus en plus les perfides Juifs, et augmentant en eux le zèle de leur loi et l'envie contre la nouvelle loi évangélique, à l'occasion de la prédication de saint Paul. Quoiqu'il n'eût passé que quinze jours à Jérusalem, la vertu divine avait, dans ce peu de temps, béni ses travaux et opéré par son ministère avec tant d'efficace, qu'il convertit une foule de Juifs, et jeta tous les autres dans l'étonnement et dans l'admiration. Les incrédules s'étaient un peu calmés et rassurés en apprenant que saint Paul était sorti de Jérusalem; mais saint Jacques y entra à son tour, immédiatement après, non moins plein de sagesse divine et de zèle pour le nom de notre Rédempteur 236 Jésus-Christ; et c'est ce qui les irrita de nouveau. Lucifer, qui n'ignorait point sa venue, excitait et augmentait la haine des pontifes, des prêtres et des scribes, afin qu'ils s'inquiétassent et s'alarmassent davantage de l'arrivée du nouveau prédicateur. Saint Jacques se mit aussitôt à prêcher avec beaucoup d'ardeur le nom du Crucifié, sa mort et sa résurrection mystérieuse. Dès les premiers jours il convertit plusieurs Juifs,, parmi lesquels on distinguait Hermogène et Philète, magiciens qui avaient fait un pacte avec le démon. Hermogène était le plus savant en l'art magique, et Philète était son disciple; les Juifs voulurent s'en servir, contre l'apôtre, s'imaginant qu'ils le confondraient dans la discussion, ou qu'ils lui ôteraient la vie par quelque sortilège. 392. Les démons machinèrent- cette méchanceté par le moyen des Juifs, comme instruments de leur iniquité, parce que, subjugués par la divine grâce qu'ils sentaient en l'apôtre, ils ne pouvaient eux-mêmes s'en approcher. Dans cette discussion Philète se présenta le premier pour argumenter contre saint Jacques, ayant été entendu que; s'il ne l'emportait point, Hermogène viendrait à son secours comme maître et plus versé dans la science magique. Philète proposa ses arguments sophistiques, mais le saint apôtre,les détruisit comme les rayons du soleil dissipent les ténèbres, et parla avec tant de sagesse et d'efficace, que Philète se reconnut vaincu et se rendit à la véritable foi de Jésus-Christ. Et dès, lors il se fit le défenseur de l'apôtre et de sa doctrine. Mais craignant 237 son maître Hermogène, il pria saint Jacques de le garantir de ses attaques et de ses manoeuvres diaboliques par lesquelles il tâcherait de les perdre: Le saint apôtre donna à Philète un linge qu'il avait reçu de l'auguste Marie, et en portant cette relique le néophyte se garantit des maléfices d'Hermogène, jusqu'à ce que le même Hermogène vînt disputer contre l'apôtre. 393. Hermogène ne put s'en excuser, quoiqu'il craignit saint Jacques ; car il avait promis aux Juifs de le vaincre dans la discussion. Ainsi il l'attaqua avec de plus forts arguments que ceux de son disciple Philète. Mais tous ces efforts furent inutiles contre le pouvoir et la sagesse du Ciel, qui semblaient déborder des lèvres du saint apôtre comme un terrent impétueux. Hermogène y fut heureusement submergé, et comme son disciple Philète il fut obligé de confesser la foi et les mystères de Jésus-Christ, de sorte qu'ils embrassèrent tous deux la sainte foi et la doctrine que Jacques prêchait. Les démons s'irritèrent contre Hermogène, et, usant de l'empire qu'il leur avait donné sur lui, ils le maltraitèrent à cause de sa conversion. Et comme il sut que Philète s'en était défendu au moyen de. la relique qu'il avait obtenue du saint apôtre, il le pria de lui faire la même faveur contre ses ennemis, et saint Jacques donna à Hermogène le bâton dont il se servait dans ses voyages, et avec ce bâton il chassa les démons et les empêcha de s'approcher de lui pour le tourmenter. 394. La grande Reine du ciel contribua beaucoup 238 à ces conversions et aux autres que saint Jacques fit dans Jérusalem par les gémissements et les prières qu'elle offrait de son oratoire à Éphèse; où elle connaissait ( comme on l'a remarqué en divers autres endroits) par une claire vision tout ce que les apôtres et les fidèles de l'Église faisaient, et elle prenait un soin particulier de son cher apôtre, parce qu'il était plus proche du martyre. Hermogène et Philète persévérèrent quelque temps dans la foi de Jésus-Christ, mais ils la perdirent ensuite dans l'Asie, comme on le peut inférer de la seconde épître à Timothée , où l'apôtre lui annonce que Phigelle ou Philète et Hermogène l'avaient quitté (1). La foi avait bien jeté quelques racines dans leur coeur, mais elles ne furent pas assez profondes pour résister aux tentations du démon , qu'ils avaient longtemps servi dans des rapports familiers; et comme ils conservèrent toujours les mauvaises racines des vices, elles finirent par étouffer la bonne semence, et alors ils déchurent de la foi qu'ils avaient reçue. 395. Lorsque les Juifs se virent frustrés de leur vaine espérance par la défaite et la conversion d'Hermogène et de Philète, ils conçurent une nouvelle rage contre l'apôtre saint Jacques, et résolurent de sen débarrasser en lui procurant la mort. Ils offrirent pour cela de l'argent à Démocrite et à Lysias, centurions de la milice des Romains; et les ayant séduits par leurs offres, ils convinrent secrètement avec eux (1) II Tim., I, 15. 239 qu'ils prendraient l'apôtre avec les gens qu'ils commandaient, et que pour cacher la trahison ils prétexteraient une apparence de tumulte ou de querelle au lieu et au moment où il prêcherait, et qu'alors ils le livreraient entre leurs mains. Abiathar, qui était grand prêtre cette année, et Josias, scribe animé du même esprit que le, pontife, se chargèrent de l'exécution de ce perfide dessein. Ils ne tardèrent pas à pouvoir le réaliser, car saint Jacques prêchant au peuple le mystère de la rédemption du genre humain, et le prouvant avec une sagesse admirable et par des. témoignages tirés des anciennes Écritures, ses auditeurs ,en furent si touchés , que leur componction alla jusqu'aux larmes. Le grand prêtre et le scribe entrèrent aussitôt dans une fureur diabolique, et après avoir donné le signal aux soldats romains, Josias s'avança le premier, et s'étant saisi de saint Jacques, il lui mit une corde au cou et le montra comme un perturbateur de la république, et comme l'auteur d'une nouvelle religion contraire à l'empire romain. 396. Démocrite et Lysias arrivèrent en même temps avec leurs soldats, et ayant pris l'apôtre ils le menèrent à Hérode fils d'Archélaüs, qui était aussi prévenu intérieurement par la malice de Lucifer, et extérieurement par la haine des Juifs. Hérode, excité par toutes ces suggestions, avait suscité contre les disciples du Seigneur, qu'il abhorrait, la persécution dont saint Luc fait mention au chapitre douzième des Actes, en disant qu'il envoya des gens pour les 240 maltraiter (1), Il se hâta de profiter de l'occasion pour, ordonner qu'on tranchât la tête à saint Jacques (2). La joie de notre grand apôtre fut incroyable en voyant qu'on le prenait. et qu'on le liait comme son divin Maître, et que l'heure si désirée s'approchait de passer de cette vie mortelle à la vie éternelle par le moyen. du martyre, comme la Reine du ciel le lui avait prédit. Il rendit d'humbles et ferventes actions de grâces pour ce bienfait, et protesta de nouveau publiquement de son attachement à la sainte foi de notre Seigneur Jésus-Christ. Et se souvenant qu'il avait prié à Éphèse la bienheureuse Vierge de l'assister à l'heure de sa mort, il l'invoqua alors du plus intime de son âme. 397. L'auguste Marie entendit de son oratoire les prières de son bien-aimé apôtre et parent, comme toujours attentive à ce qui le concernait, car elle l'accompagnait et le favorisait partout de son intercession efficace. Et tandis qu'elle priait pour lui, elle vit descendre du ciel une grande multitude d'anges de toutes les hiérarchies; une partie de ces esprits célestes alla à Jérusalem; et entoura le saint apôtre lorsqu'on le menait au lieu du supplice. Les autres anges se rendirent à Éphèse auprès de leur Reine, et l'un des principaux lui dit : " Reine des cieux et notre digne Maîtresse, le souverain Seigneur des armées vous charge d'aller sur-le-champ à Jérusalem pour consoler son grand serviteur Jacques, (1) Act., XII, 1. - (2) Ibid., 2. 241 l'assister à l'heure de sa mort, et répondre à ses saints et pieux désirs. " La bienheureuse Vierge reçut cette faveur avec beaucoup de joie et de reconnaissance, louant le Très-Haut de la protection dont il couvre ceux qui se confient en sa miséricorde infinie. Sur ces entrefaites l'apôtre marchait au martyre, opérant en y marchant divers miracles, rendant la santé à plusieurs malades et délivrant plusieurs possédés. Comme le bruit se répandit qu'Hérode ordonnait de le faire mourir, beaucoup d'affligés vinrent chercher leur remède avant que le moyen commun de leur consolation leur manquât. 398. Au même moment les saints anges placèrent leur grande Reine sur le trône le plus brillant (comme on l'a vu en d'autres circonstances), et ils la portèrent à Jérusalem au lieu oh se trouvait saint Jacques pour être exécuté. Le saint apôtre se mit à genoux pour offrir à Dieu le sacrifice de sa vie. Et lorsqu'il leva les yeux su ciel, il vit en l'air la bienheureuse Vierge qu'il invoquait dans son coeur. Il la vit revêtue de divines splendeurs et d'une ravissante beauté, accompagnée d'une multitude d'anges qui l'assistaient. A ce divin spectacle il fut enflammé d'une charité, et pénétré d'une joie dont les ardeurs et les transports remuèrent le coeur et toutes les puissances de l'heureux disciple. Il voulut reconnaître d'une voix éclatante la très-pure Marie pour la Mère de Dieu et la Maîtresse de toutes les créatures. Mais un ange le retint dans ce mouvement de ferveur: et lui dit : " Jacques, serviteur de notre Créateur, conservez 242 dans votre âme ces saintes affections, et ne faites point connaître aux Juifs la présence de notre Reine, car ils n'en sont pas dignes, et ils en concevraient plutôt de la haine que du respect. " D'après cet avis, l'apôtre se tint dans le silence, et dit intérieurement à la Reine du ciel : 399. " Mère de mon Seigneur Jésus-Christ, mon auguste protectrice, refuge des affligés, donnez moi, sainte Reine, votre bénédiction, si désirée de mon âme à cette heure Offrez pour moi à votre Fils, le Rédempteur du monde, le sacrifice de ma vie comme un holocauste allumé par le désir que j'ai de mourir pour la gloire de son saint nom. Que vos très-pures mains soient aujourd'hui l'autel de mon sacrifice, afin qu'il soit agréable à Celui qui s'est offert pour moi sur la sainte croix. Je remets mon âme entre vos mains, et par elles entre les mains de mon Créateur. " Quand il eut dit ces paroles, et pendant qu'il tenait toujours les yeux élevés vers la bienheureuse Marie qui lui parlait au coeur, le bourreau lui trancha la tête. Cette grande Reine de l'univers (ô admirable bonté!) reçut l'âme de son bien-aimé apôtre à son côté sur le trône où elle était, et elle la mena ainsi dans l'empyrée et la présenta à son très-saint fils. En faisant cette nouvelle offrande dans la cour céleste, l'auguste Marie causa à tous les habitants du ciel une nouvelle joie et une gloire accidentelle, et tous la félicitèrent par de nouveaux cantiques de louanges. Le Très-Haut reçut l'âme de Jacques, et la plaça en un lieu. éminent de 243 gloire entre les princes de son peuple. La très-pure Marie, prosternée devant le trône de la Majesté infinie, fit un cantique de louanges et d'actions de grâces pour le martyre et le triomphe du premier apôtre martyr. Dans cette occasion elle ne vit la Divinité que par la vision abstractive dont j'ai plusieurs fois parlé. Mais la très- sainte Trinité la combla de nouvelles bénédictions et de faveurs singulières pour elle et pour la sainte Église, pour laquelle notre charitable Reine fit de ferventes prières. Tous les saints la bénirent aussi; ensuite les anges la ramenèrent à Éphèse, dans son oratoire, où, pendant que tout ce que je viens de dire se passait, un ange tint sa place, représentant sa personne. En y arrivant, la divine Mère des vertus se prosterna selon, sa coutume, et rendit de nouvelles actions de grâces au Très-Haut pour toutes ces merveilles. 400. Les disciples de saint Jacques enlevèrent cette nuit son saint corps, et le portèrent secrètement au port de Joppé, où, par une disposition divine, ils s'embarquèrent avec ce trésor, pour se rendre en Galice. La bienheureuse Vierge leur envoya un ange pour les conduire à l'endroit où Dieu voulait qu'on le déposât. Et quoiqu'ils ne vissent point le saint ange, ils n'en expérimentèrent pas moins son secours efficace, car il les défendit dans tout le voyage, et souvent il les protégeait d'une manière miraculeuse. De sorte que l'Espagne est aussi redevable à la très-pure Marie du bonheur qu'elle a de posséder le corps de saint Jacques, et de l'avoir après sa mort pour défenseur, 244 comme elle l'avait eu pendant sa vie pour prédicateur de la sainte foi, qu'il a laissée si enracinée dans le coeur des Espagnols. Saint Jacques mourut l'an 41 du Seigneur, le 25 mars, cinq ans et sept mois après qu'il fut parti de Jérusalem pour aller prêcher en Espagne. Or, selon cette, supputation et les autres que j'ai faites précédemment, le martyre de saint Jacques arriva sept ans accomplis après la mort de notre Sauveur Jésus-Christ. 401. Que son martyre ait eu lieu vers la fin du mois de mars, cela résulte du chapitre douzième des Actes, où saint Luc dit que, quand Hérode vit qu'il avait plu aux Juifs en faisant mourir saint Jacques (1), il fit aussi arrêter saint Pierre dans l'intention de lui faire trancher la tête comme à saint Jacques, après la fête de Pâques, qui était celle de l'agneau et des pains sans levain (2), que les Juifs célébraient le 14 de la lune de mars. Cela semble prouver que saint Pierre fut mis en prison pendant cette pâque ou à un jour fort rapproché de la fête; que la mort de saint Jacques avait seulement précédé son emprisonnement de quelques jours, et qu'en l'an 41, le 14 de la lune de mars répondit à l'un des derniers jours de ce trois si l'on suit la supputation des années et des mois solaires que nous avons adoptée. Suivant ce calcul, la mort de saint Jacques arriva le 25 mars avant le 14 de la lune; puis eut lien l'emprisonnement de saint Pierre, et ensuite la célébration de la pâque des Juifs. La sainte (1) Act., XII, 3. - (2) Ibid., 4. Église ne célèbre point le martyre de saint Jacques en son jour, parce qu'il se rencontre avec la fête de l'Incarnation, et ordinairement avec les mystères de la Passion; on l'a transféré su 25 juillet, qui fut le jour auquel on débarqua le corps du saint apôtre en Espagne. 402. La mort de saint Jacques et la promptitude avec laquelle Hérode la lui donna, excitèrent et augmentèrent encore la cruauté des Juifs impies, qui s'imaginèrent avoir trouvé dans ce prince aussi inique . qu'inhumain l'instrument de leur vengeance contre les imitateurs de notre Seigneur Jésus-Christ. Lucifer et ses démons espéraient la même chose, et ceux-ci par leurs suggestions, ceux-là parleurs prières et leurs flatteries , lui persuadèrent de faire arrêter saint Pierre, comme il le fit en effet, dans le désir de satisfaire les Juifs pour ses fins temporelles. Les démons craignaient extrêmement le vicaire de Jésus-Christ, à cause de la vertu qu'ils sentaient partir de lui contre eux; c'est pourquoi ils hâtèrent par leurs secrets artifices son arrestation. Saint Pierre en prison fut étroitement lié avec de fortes chaînes pour être mis à mort après Pâques (1). Et quoique le coeur invincible de l'apôtre fût sans aucune crainte et aussi tranquille que s'il eût été libre, tous les fidèles qui se trouvaient à Jérusalem n'en étaient pas oins consterne, sachant que le roi avait résolu de le faire exécuter au plus tôt. Dans cette affliction , ils prièrent ardemment le Seigneur de conserver son vicaire et le chef de (1) Act., XII, 4. 246 l'Église (1), par la mort duquel ils étaient menacés de la plus grande des calamités. Ils implorèrent aussi la puissante intercession de l'auguste Marie , en laquelle et par laquelle ils attendaient tous le remède. 403. Cette affliction de l'Église n'était point cachée à la divine Mère, quoiqu'elle fait à Éphèse; ses yeux compatissants observaient de là, par une vision très-claire, tout ce qui se passait à Jérusalem. En ce même temps elle multipliait ses prières, ses gémissements et ses larmes de sang, demandant la liberté de saint Pierre et la défense de la sainte Église. Cette oraison de la très-pure Marie pénétra les cieux et blessa le coeur de son Fils Jésus notre Sauveur. Et pour lui répondre, sa divine Majesté descendit en personne dans l'oratoire de la maison, où elle était prosternée , la face virginale dans la poussière. Le souverain Roi l'aborda, et, la relevant avec une tendre bonté, il lui dit : " Ma Mère, modérez votre doua leur, et dites-moi tout ce que vous souhaitez, je vous l'accorderai, et vous trouverez grâce devant mes yeux pour l'obtenir. " 404. La présence et les douces paroles du Seigneur remplirent la divine Mère de force, de consolation et de joie; car elle faisait le sujet de soin martyre des peines et des persécutions de l'Église, et elle s'était extrêmement affligée de voir saint Pierre en prison et condamné à la mort, et des maux qui pourraient (1) Act., XII, 5. 247 arriver à la primitive Église si on le faisait mourir. Elle renouvela ses prières auprès de notre Rédempteur Jésus-Christ, et elle lui dit : " Mon adorable Fils, vous savez la tribulation de votre sainte Église; ses cris sont arrivés à vos oreilles, et pénètrent jusqu'au fond de mon coeur affligé. Ses ennemis veulent ôter la vie à son pasteur et votre vicaire; si vous le permettez maintenant, mon divin Seigneur, votre petit troupeau sera dispersé, et les loups infernaux triompheront, suivant leurs désirs, de votre saint nom. Or, afin que je vive, commandez, mon Dieu et vie de mon âme à la mer et à la tempête de s'apaiser, et aussitôt les flots cesseront de battre cette frêle barque. Défendez, Seigneur, votre vicaire, et confondez vos ennemis. Et si c'est pour votre gloire et pour votre bon plaisir, faites que les tribulations viennent m'assaillir, moi; je les souffrirai volontiers pour vos enfants les fidèles, et, assistée de votre pouvoir, je combattrai contre les ennemis invisibles pour la défense de votre Église. " 405. Son très-saint Fils répondit: " Ma Mère, par la puissance et la vertu que vous avez reçue de moi, je veux que vous agissiez selon votre volonté. Faites et défaites tout ce que vous jugerez être convenable à mon Église. Et sachez que toute la fureur des démons se tournera contre vous. " La très-prudente Mère rendit de nouvelles actions de grâces pour cette faveur, et s'offrant à combattre les ennemis du Seigneur pour les enfanta de l'Église, elle 20 dit : " Souverain Seigneur, mon unique espérance, a le coeur de votre servante est tout prêt à souffrir toutes sortes de peines et d'afflictions pour les âmes qui ont conté votre sang et votre vie. Je ne suis qu'une poussière inutile, mais vous êtes d'une a sagesse et d'un pouvoir infinis, et assistée de votre divine faveur je ne crains point le dragon infernal. Et puisque vous voulez que je décide en votre nom a ce qui convient à votre Église, j'ordonne à Lucifer et à tous ses ministres d'iniquité qui troublent l'Église dans Jérusalem, de descendre à l'instant même au fond de l'abîme, et je veux qu'ils y restent dans l'inaction jusqu'à ce que votre divine providence leur permette de revenir sur la terre. " Cette parole de la grande Reine de l'univers fut si efficace, qu'au moment où elle l'eut prononcée à Éphèse, tous les démons qui étaient à Jérusalem furent précipités dans les cavernes éternelles , sans pouvoir résister à la vertu divine qui opérait par le moyen de la bienheureuse Marie. 406. Lucifer et ses ministres reconnurent que ce coup de fouet partait de la main de notre puissante Reine, qu'ils appelaient leur ennemie, parce, qu'ils n'osaient l'appeler par son nom. Dans cette occasion, ils demeurèrent accablés de honte et de désespoir dans l'enfer, comme en tant d'autres circonstances dont j'ai fait mention, jusqu'à ce qu'il leur fût permis d'en sortir, pour faire la guerre à cette invincible Vierge, ainsi qu'on le verra dans la suite. Pendant le temps de leur abattement ils délibérèrent sur les moyens qu'ils 249 pourraient choisir pour l'attaquer. Ayant remporté ce triomphe sur les démons, l'auguste Marie, voulant qu'il s'étendit sur Hérode et sur les Juifs, dit à notre Sauveur Jésus-Christ : " J'enverrai maintenant, mon adorable Fils, si c'est votre volonté, un de vos saints anges pour délivrer votre serviteur Pierre de la prison. " Notre Seigneur Jésus-Christ approuva la résolution de sa Mère Vierge, de sorte que, par la volonté du Roi et de la Reine de l'univers, l'un des esprits célestes qui les entouraient fut envoyé pour tirer l'apôtre saint Pierre de la prison de Jérusalem. 407. L'ange exécuta cet ordre avec beaucoup de promptitude; et étant arrivé à la prison, il y trouva saint Pierre lié avec deux chaînes entre deux soldats qui le gardaient, outre les autres qui, étaient à la porte de la prison pour y former comme un corps de garde (1). La fête de Pâques était déjà passée, et c'était la nuit précédant le jour auquel on devait exécuter la sentence de mort à laquelle le saint apôtre était condamné. Mais il se trouvait si tranquille dans cet état, qu'il dormait d'un aussi profond sommeil que ses gardes (2). L'ange s'approcha de saint Pierre, et il fut obligé de lui donner un coup pour l'éveiller; et sommeillant encore, il lui dit : " Levez-vous promptement, ceignez-vous, mettez votre chaussure, prenez votre manteau et suivez-moi (3). " Saint Pierre se trouva libre de ses chaînes , et , sans comprendre ce qui lui arrivait, il suivit l'ange ignorant quelle (1) Act., XII, 6. - (1) Ibid., 7. - (3) Ibid., 8. 250 était cette vision (1). Et après que cet esprit céleste lui eut fait traverser quelques rues, il lui apprit comment le Tout-Puissant l'avait délivré des chaînes et de la prison par l'intercession de la très-pure Marie; puis il disparut (2). Saint Pierre revint à lui (3), pénétra le mystère et la faveur qu'il venait de recevoir, et en rendit des actions de grâces au Seigneur. 408. Il crut qu'il devait se mettre en lieu de sûreté et en avertir auparavant les disciples et Jacques le Mineur, pour le faire avec leur conseil. Et hâtant le pas il alla à la maison de Marie, mère de Jean surnommé Marc (4). C'était la maison du Cénacle, où dans leur affliction plusieurs disciples s'étaient réunis. Saint Pierre frappa à la porte : une servante nommée Rhode qui descendit pour voir qui c était, ayant reconnu la voix de saint Pierre, fut si saisie de joie, qu'au lieu de lui ouvrir, elle courut dire aux disciples que Pierre était à la porte Ils crurent que c'était un rêve de la servante; mais parce qu'elle assurait qu'elle ne se trompait point, ils s'imaginèrent que ce pourrait être son ange. Pendant cette espèce de contestation , on laissait saint Pierre dans la rue , et lui continuait à frapper à la porte. On lui ouvrit enfin, on le reconnut, et tous furent transportés d'une joie incroyable de voir le saint apôtre et le chef de l'Église délivré de la prison et de la mort. Il les instruisit de tout ce qui lui était arrivé avec l'ange, et leur dit (1) Act., XII, 9. - (2) Ibid., 10. - (3) Ibid., 11. - (4) Ibd., 12. 251 d'en informer secrètement Jacques et les autres frères. Et prévoyant qu'Hérode le ferait bientôt chercher avec beaucoup de soin, ils décidèrent qu'il sortirait cette même nuit de la maison, et qu'il s'éloignerait de Jérusalem de peur qu'on ne le prit une seconde fois. Or saint Pierre, s'en alla, et Hérode le fit chercher, et ne l'ayant pas trouvé, il fit punir les gardes et s'irrita davantage contre les disciples; mais Dieu réprima son orgueil et son impiété, le châtiant sévèrement, comme je le raconterai dans le chapitre qui suit. Instruction que m'a donnée la grande Reine des anges. 609. Ma fille, à l'occasion des effets qu'a produite en vous la faveur singulière que reçut de ma bonté mon serviteur Jacques au moment de sa mort, je veux maintenant vous faire connaître un privilège que le Très Haut me confirma lorsque je menai l'âme de son apôtre dans le ciel pour la lui présenter. Je vous ai déjà dit quelques mots de ce secret; mais je vous en donnerai maintenant une plus grande intelligence, afin que vous soyez véritablement ma fille et ma dévote. lorsque je menai au ciel l'heureuse âme de Jacques, le Père éternel me dit, de manière à ce que tous les bienheureux pussent l'entendre : " Ma Fille et ma Colombe, choisie pour l'objet de mes complaisances 252 entre tontes les créatures, je veux que mes courtisans, tant les anges que les saints, sachent que je vous donne ma divine parole, pour l'exaltation de mon nom , pour votre gloire et pour le profit des mortels, que, s'ils vous invoquent de tout leur coeur à l'heure de leur mort, à l'imitation de mon serviteur Jacques, et s'ils implorent a votre intercession auprès de moi, j'userai envers eux de ma clémence; je les regarderai des yeux d'un Père plein de bonté; je les délivrerai des périls a de cette dernière heure; j'éloignerai d'eux les a cruels ennemis qui font alors tous leurs efforts pour a faire périr les âmes , et je leur ménagerai par votre entremise de grands secours, afin qu'ils leur résistent et se mettent en ma grâce, s'ils s'aident de a leur côté; vous me présenterez leur âme, et elle a recevra une riche récompense de ma main libérale. " 410. Toute l'Église triomphante et moi avec elle rendîmes des actions de grâces et de louanges au Très-Haut pour ce privilège. Et quoique ce soit l'office des anges de présenter les âmes devant le tribunal du juste Juge lorsqu'elles sortent de la servitude de la vie mortelle, le Tout-Puissant ne m'en accorde pas, moins ce privilège d'une manière plus éminente qu'il n'accorde les autres privilèges à toutes les créatures: moi, je les ai tous à un autre titre et à un degré particulier; j'en use souvent, et j'en ai usé à l'égard de quelques-uns des apôtres. Et comme je sais que vous souhaitez savoir comment vous pourrez obtenir de moi cette faveur si estimable pour toutes les âmes, je réponds à votre pieux désir, que ce sera en tâchant de ne vous en rendre pas indigne par l'ingratitude et par l'oubli; vous l'acquerrez surtout par une pureté inviolable, qui est ce que je demande le plus de vous et des antres âmes; car le grand amour que je dois avoir et que j'ai pour Dieu m'oblige de souhaiter avec une intime charité que toutes les créatures observent sa sainte loi, et qu'aucune ne perde son amitié et sa grâce. C'est ce que vous devez préférer à votre propre vie, préférant mourir plutôt que de pécher contre votre Dieu et votre souverain Bien. 410. Ensuite je veux que vous m'obéissiez et pratiquiez ma doctrine; je veux que vous fassiez tous vos efforts pour imiter ce que vous connaissez et écrivez de moi; que vous ne 'mettiez aucune interruption dans l'amour; que vous n'oubliiez jamais l'affection cordiale qu'exige de vous la miséricorde libérale du Seigneur; et que vous témoigniez une continuelle reconnaissance de ce que vous devez à sa divine Majesté et à moi, puisque vos obligations surpassent tout ce que vous pourriez faire pendant la vie mortelle. Soyez fidèle en la gratitude, fervente en la dévotion, prompte à faire tout ce qui sera le plus saint et le plus parfait. Dilatez votre coeur, et prenez garde de le rétrécir par la pusillanimité que le démon cherche à vous inspirer. Portez vos mains à des choses fortes et difficiles (1) par la confiance que vous (1) Prov., XXXI, 19. 254 devez avoir en Dieu; ne vous laissez point abattre dans les advzrsités; n'empêchez point la volonté du Seigneur en ions, ni les très-hautes fins de sa gloire. Ayez une foi vive et une espérance ferme dans les plus grands périls et les. pins violentes tentations. Vous vous servirez pour tout cela de l'exemple de mes serviteurs Jacques et Pierre, et de la connaissance que je vous ai donnée de l'heureuse sécurité en laquelle reposent ceux qui vivent sous la protection du Très-Haut. C'est par cette confiance et par la dévotion que Jacques eut envers moi qu'il obtint la faveur singulière que je lui fis en son martyre, et traversa d'immenses tribulations pour y arriver. C'est par cette même confiance que saint Pierre était si train quille dans sa prison, sans perdre sa sérénité intérieure, et qu'il mérita en même temps que mon très-saint Fils et moi prissions un si grand soin de son salut et. de sa liberté. Les enfants des ténèbres sont indignes de ces faveurs, parce qu'ils mettent toute leur confiance en ce qui est visible, et dans leurs finesses diaboliques et terrestres. Élevez votre coeur, ma fille, et affranchissez-le de ses erreurs; aspirez à ce qui est le plus pur et le plus saint, et soyez assurée que le bras du Tout-Puissant, qui a opéré en moi tant de merveilles, vous soutiendra. CHAPITRE III. Ce qui arriva à l'auguste Marie lors de la mort et de la punition d'Hérode. - Saint Jean prêche à Éphèse, où il arrive plusieurs miracles. - Lucifer se lève pour attaquer la Reine du ciel. 412. L'amour produit sur le coeur de la créature raisonnable certains effets semblables à ceux que la pesanteur produit sur la pierre. Celle- ci descend où son propre poids l'entraîne, et c'est au centre; et l'amour est le poids du coeur qui l'entraîne vers son centre, qui est l'objet qu'il aime. Et si parfois, soit par nécessité, soit par inadvertance, le coeur regarde une autre chose, l'amour est si prompt, qu'il le fait aussitôt revenir à son objet comme par un secret ressort. Il semble que ce poids ou ce pouvoir de l'amour ôte en quelque sorte sa liberté à ce coeur, en ce qu'il l'assujettit comme un esclave à ce qu'il aime, afin que, tant que l'amour subsiste, la volonté ne commande rien de contraire à ce qu'il désire et ordonne. De là naît la félicité ou le malheur de la créature, suivant qu'elle fait une bonne ou mauvaise application de son amour; puisqu'elle rend maître d'elle-même ce qu'elle aime; que si ce maître est méchant et vil, il la tyrannise et l'avilit; et s'il est 256 bon, il l'ennoblit et la rend fort heureuse, et d'autant plus que le bien qu'elle aime est plus noble et plus excellent. Je voudrais me servir de cette philosophie pour expliquer jusqu'à un certain point ce qui m'a été découvert de l'état dans lequel la très-pure Marie vivait, et dans lequel elle fit, dès l'instant de sa conception, de continuels progrès, sans interruption ni diminution, jusqu'à ce qu'elle jouit pour toujours de la vision béatifique, parmi les compréhenseurs. 413. Le saint amour de tous les anges et de tous les hommes ensemble était moindre que l'amour de l'auguste Marie seule; or, si nous pouvions condenser l'amour des anges et des hommes, il est certain qui il résulterait de ce tout un embrasement qui, sana être infini, nous le paraîtrait, par la grandeur excessive qu'il représenterait à notre esprit : si donc la charité de notre grande Reine surpassait tout cela, il n'y eut que la sagesse infinie du Très-Haut qui pût peser l'amour de cette créature, et la force avec laquelle il l'attirait, l'inclinait et le portait vers sa Divinité. Aussi devons-nous être persuadés que dans ce coeur si pur et si ardent il n'y avait point d'autre empire, d'autre mouvement, ni d'autre liberté, que pour aimer souverainement le bien infini; et cela d'une manière si élevée au-dessus de nos faibles conceptions, que nous pouvons plutôt le croire que le comprendre , et plutôt l'avouer que le pénétrer. Cette charité qui possédait le coeur de la très-chaste Marie, l'enflammait à la fois du plus véhément désir devoir le souverain bien, qui lui était absent, et de secourir 257 la sainte Église qui lui était présente. Elle se consumait dans l'incendie qu'allumaient dans son coeur ces deux sentiments; mais elle les dirigeait de telle sorte; par sa grande sagesse, qu'ils ne se gênaient et ne se contredisaient nullement en elle; elle n'abandonnait point entièrement l'un pour se livrer tout à l'autre; su contraire, elle se donnait tout entière à ces deux affections, à la grande admiration des saints et à la pleine satisfaction du Saint des saints. 414. La bienheureuse Marie habitant cette demeure d'une sainteté et d'une perfection si éminentes réfléchissait souvent sur l'état de la primitive Église qui lui était recommandée, et sur les moyens quelle prendrait pour assurer son repos et son progrès. Au milieu de ses sollicitudes et de ses soucis, la délivrance de saint Pierre lui apporta quelque soulagement, parce qu'il pouvait comme chef s'appliquer au gouvernement des fidèles; elle se consolait aussi en pensant que Lucifer et ses démons avaient été chassés de Jérusalem, et privés pour lors de leur pouvoir tyrannique, afin que les imitateurs de ,Jésus-Christ respirassent nu moment, et que la persécution se calmât un peu. Mais la divine Sagesse, qui distribue les peines et les consolations avec poids et mesure (1), voulut que la très-prudente Mère eût dans ce temps-là une connaissance fort claire du mauvais état d'Hérode. Elle vit combien cette âme malheureuse était devenue hideuse et abominable par ses vices monstrueux (1) Sap., XI, 21. 258 et par le grand nombre de ses péchés, qui irritaient la colère du Tout-Puissant et du juste Juge. Elle connut aussi que, par les impressions infernales que les démons avaient laissées dans le coeur d'Hérode et des Juifs, ils étaient tous furieux contre notre Rédempteur Jésus-Christ et contre ses disciples, depuis que saint Pierre avait été délivré de la prison; et que cet inique roi ou gouverneur avait résolu de se défaire de tous les fidèles qu'il trouverait dans la Judée et dans la Galilée, par tous les moyens en son pouvoir. Mais en connaissant le cruel dessein d'Hérode, la bienheureuse Vierge ne fut point informée dès lors de la fin qu'il aurait. De sorte que sachant seulement qu'il était puissant et qu'il avait une 8me fort dépravée, elle eut en même temps une grande horreur de son mauvais état, et une affliction extrême de la haine qu'il avait contre les fidèles. 415. Notre auguste Reine se trouvant entre ces peines et la confiance qu'elle avait en la faveur divine, ne cessait de prier le Seigneur et de lui présenter ses larmes, ses gémissements et ses humbles exercices que j'ai déjà fait connaître. Et, conduite par sa très-sublime prudence, elle s'adressa à l'un des premiers anges qui l'assistaient, et lui dit: " Ministre du Très Haut, ouvrage de ses mains, le soin que je dois prendre de l'Église me presse vivement de lui procurer toute sorte de biens et de travailler à son progrès. C'est pourquoi je vous prie de monter devant le trône du Très-Haut et d'y présenter mon affliction, et de supplier de ma part sa divine Majesté 259 de vouloir bien que je souffre pour ses serviteurs et ses fidèles, et de ne point permettre qu'Hérode exécute ce qu'il a déterminé contre eux pour détruire l'Église. " Le saint ange alla incontinent faire cette ambassade au Seigneur, pendant que la Reine du ciel priait comme une autre Esther, pour la liberté et le salut de son peuple et pour le sien (1). Le divin ambassadeur revint avec la réponse de la très- sainte Trinité, et en son nom dit à la bienheureuse Vierge : " Princesse des cieux, le Seigneur des armées dit que vous êtes la Mère et la Maîtresse de l'Église, et que par sa puissance vous y tenez sa place pendant votre séjour sur la terre; c'est pour quoi il veut que comme Reine du ciel et de la terre vous fulminiez la sentence contre Hérode. " 416. L'auguste Marie se troubla un peu dans sois humilité par cette réponse. Et s'adressant au saint ange tout enflammée de charité, elle lui di t : " Ai-je donc, moi , II fulminer une sentence contre l'ouvrage et l'image de mon Seigneur? Depuis que j'ai reçu l'être de sa divine main, j'ai connu beaucoup de réprouvés entre les hommes, et, je n'ai jamais demandé vengeance contre eux; mais autant qu'il a dépendu de moi j'ai toujours désiré leur remède, s'il était possible, sans jamais avoir eu la pensée de hâter leur châtiment. Allez, esprit bienheureux, vers le Seigneur, et dites-lui que mon tribunal est inférieur au sien, et que je ne puis (1) Esth., IV, 16. 260 condamner personne à mort, sans une nouvelle décision du Supérieur; et que, s'il est possible de ramener Hérode au chemin du salut éternel, je souffrirai toutes les peines du monde qu'il plaira à sa divine Providence d'ordonner, pour empêcher que cette âme ne se perde. " L'ange retourna su ciel avec ce second message de sa Reine, et l'ayant présenté devant le trône de la très-sainte Trinité, il rapporta cette réponse à la divine Mère : " Auguste Reine, le Très-Haut dit qu'Hérode est du nombre a des réprouvés à cause de son obstination dans le mal, qu'il ne recevra ni avis, ni exhortation, ni doctrine, qu'il ne coopèrera point aux secours qui lui seront donnés, et qu'il ne profitera ni du fruit de la Rédemption, ni de l'intercession des saints, ni de tout ce que vous ferez et souffrirez pour lui. " 417. La bienheureuse Vierge envoya une troisième fois le prince céleste avec un nouveau message au trône du Très-Haut, et lui dit : " S'il est convenable qu'Hérode meure, afin qu'il ne persécute point l'Église, représentez, mon ange, au Tout-Puissant, que le divin Seigneur vivent dans sa chair mort telle a daigné m'accorder, par sa charité infinie, le titre de Mère et de refuge des enfants d'Adam et d'avocate des pécheurs; qu'il a institué mon tribunal un tribunal de clémence et de pitié pour recevoir et secourir ceux qui y recourront, implorant mon intercession, et qu'il m'a permis, s'ils s'en prévalaient, de leur promettre au nom de mon très-saint Fils le pardon de leurs péchés. Or cela 261 étant, et ayant des entrailles de Mère pour les hommes, qui sont les ouvrages de ses mains, et le prix de sa vie et de son sang; comment condamnerai-je maintenant l'un d'eux avec tant de sévérité? La justice ne m'a jamais été remise, mais toujours la miséricorde, à laquelle mon coeur est entièrement porté; et maintenant il se trouve serré en quelque sorte entre la compassion que l'amour y produit et l'ordre que je reçois d'exercer une justice rigoureuse. Exposez de nouveau, esprit céleste, le sujet de ma peine su Seigneur; et sachez si son bon plaisir est qu'Hérode meure sans que je le condamne. " 418. Le saint ange monta au ciel avec ce troisième message, et la très-sainte Trinité l'écouta, pleinement satisfaite de la tendre charité de son Épouse. Mais le saint ambassadeur revint bientôt, et transmit ce qui suit à notre compatissante Dame. "Reine de l'univers, Mère de notre Créateur, et notre auguste Maîtresse, le Très- Haut déclare que votre miséricorde est pour les mortels qui veulent se prévaloir de votre puissante intercession, et non pour ceux qui la méprisent, comme Hérode fera : que vous êtes la Maîtresse de l'Église, investie de tout le pouvoir divin, qu'en cette qualité il vous appartient d'en user de la manière la plus convenable, et qu'Hérode doit mourir, mais que ce doit être par votre sentence. " La bienheureuse Marie répondit : " Le Seigneur est juste, et ses jugements sont équitables (1). Je souffrirais plusieurs (1) Ps. CXVIII, 187 262 fois la mort pour délivrer cette âme d'Hé rode, si lui-même ne se rendait délibérément indigne de la miséricorde, et ne se mettait par son obstination au nombre des réprouvés. C'est un ouvrage de la main du Très-Haut, fait à son image et à sa ressemblance (1); il a été racheté parle sang de l'Agneau qui lave les péchés du monde (2). Ce n'est pas par cet endroit que je prononce la sentence contre lui, mais parce qu'il s'est fait l'ennemi obstiné de Dieu, et qu'il s'est rendu indigne de son amitié éternelle : or, par la justice très-équ table du Seigneur, je le condamne à la mort qu'il a méritée, afin qu'il n'exécute point les desseins impies qu'il machine, et qu'ainsi il ne mérite pas de plus grands tourments dans l'enfer. " 419. Le Seigneur opéra cette merveille à la gloire de sa bienheureuse Mère, et en témoignage de ce qu'il l'avait constituée Maîtresse de toutes les créatures avec le suprême pouvoir d'agir à leur égard en Reine, ressemblant en cela à son très-saint Fils. Je ne saurais mieux exposer ce mystère que par les paroles du Seigneur lui- même dans le chapitre cinquième de saint Jean, où il dit en parlant de lui-même : " Que le Fils ne peut rien faire que le Père ne le fasse, mais qu'il fait tout ce que le Père fait (3), parce que le Père l'aime; que si le Père ressuscite les morts, ainsi le Fils ressuscite qui il lui plaît (4) ; que le Père a (1) Job., X, 8 ; Gen., I, 27. - (2) Apoc., I, 5. - (3) Joan., V, 19. - (4) Ibid., 20 et 21. 263 donné toute la puissance de juger au Fils, afin que tous les hommes honorent le Fils comme ils honorent le Père, parce que celui qui n'honore pas le Fils n'honore pas le Père (1). "Ensuite il ajoute qu'il lui a donné cette puissance de rendre les jugements, parce qu'il était le Fils de l'homme , et il l'a été (2) par sa très-sainte Mère. Or, sachant la ressemblance qu'eut la divine Mère avec son Fils (ressemblance que j'ai sou vent fait ressortir), on saisira l'analogie du rapport qui existe quant à cette puissance de juger, entre la Mère et le Fils, avec celui qui existe entre le Fils et le Père. Et quoique la très-pure Marie soit Mère de miséricorde et de clémence pour tous les enfants d'Adam qui l'invoqueront, le Très- Haut veut néanmoins que l'en sache qu'elle a encore une entière puissance de juger tous les hommes, afin que tous l'honorent aussi comme ils honorent son Fils adorable, qui lui a délégué comme à sa Mère véritable la même puissance dont il est investi, au degré et dans la proportion qui lui appartient en qualité de Mère, quoiqu'elle soit une simple créature. 420. En vertu de cette puissance, notre auguste Princesse ordonna à l'ange d'aller à Césarée, où Hérode se trouvait, et de lui ôter la vie comme ministre de la justice divine. L'ange exécuta aussitôt la sentence, et l'évangéliste saint truc dit que l'ange du Seigneur le frappa, et que le malheureux Hérode, dévoré des vers, mourut (3) pour le temps et pour l'éternité. La (1) Joan., V, 22 et 23. - (2) Ibid., 27. - (3) Act., XII, 23. 264 blessure fut intérieure, et produisit la corruption et les vers, qui lui donnèrent une fin si misérable. On infère du même texte, qu'après la mort de saint Jacques et la fuite de saint Pierre, Hérode partit de Jérusalem pour se rendre à Césarée, où il accorda la paix aux Tyriens et aux Sidoniens (1). Quelques jours après, étant revêtu de ses habits royaux, il harangua le peuple avec une grande éloquence (2), et le peuple flatteur s'écria en l'entendant que c'était là la voix d'un dieu (3), et l'impie Hérode accueillit cette expression de l'adulation de la multitude avec la complaisance d'un fol orgueil. C'est dans cette occasion que saint Luc dit que, pour n'avoir pas rapporté la gloire à Dieu, et se l'être insolemment appropriée, l'ange du Seigneur le frappa (4). Que si ce péché fut le dernier par lequel il combla la mesure de ses crimes, il s'attira son châtiment, non par celui-là seul, mais par tous ceux qu'il avait commis auparavant, en persécutant les apôtres, en se moquant de notre Sauveur Jésus-Christ (5), en faisant couper la tête à Jean-Baptiste (6), et en se rendant coupable d'un scandaleux adultère avec sa belle-soeur Hérodiade (7), et de toutes sortes d'autres crimes abominables. 421. Le saint ange revint ensuite à Éphèse, et informa la bienheureuse Marie de l'exécution de sa sentence contre Hérode. La compatissante Mère pleura la perte de cette âme; mais elle bénit en même temps (1) Act., XII, 20. - (2) Ibid., 21. - (3) Ibid., 22. - (4) Ibid., 23. - (5) Luc , XXIII, 11. - (6) Marc., V, 27. - (7) Ibid., 17. 265 les jugements du Très-Haut, et lui rendit des actions de grâces pour le bienfait qu'il avait par cette punition ménagé à l'Église, laquelle, comme dit saint Luc, croissait par la parole du Seigneur (1); et ce n'était pas seulement dans la Galilée et la Judée (où la mort d'Hérode avait fait disparaître le principal obstacle à ses progrès); car dans ce même temps l'évangéliste saint Jean , avec la protection de la divine Mère , commença à établir l'Église évangélique dans Éphèse. La science de l'évangéliste sacré était aussi sublime que celle d'un chérubin, son coeur était enflammé comme l'un des plus hauts séraphins, et il avait près de lui, pour Mère et pour Maîtresse, Celle qui l'était aussi de la sagesse et de la grâce. Avec les riches privilèges dont jouissait l'évangéliste, il put entreprendre de grandes choses et opérer de grandes merveilles pour établir la loi de grâce dans Éphèse, et dans toute cette partie de l'Asie voisine de l'Europe. 422. Aussitôt que saint Jean fut arrivé à Éphèse, il commença à y prêcher et à baptiser ceux qu'il convertissait à la foi de notre Sauveur Jésus-Christ, confirmant sa prédication par de grands miracles et par des prodiges inouïs parmi les Gentils. Et comme il sortait des écoles des Grecs beaucoup de philosophes et d'hommes versés dans leurs sciences humaines, mélangées de tant d'erreurs, le. saint apôtre les convoquait et leur enseignait la véritable science, se servant non-seulement de miracles, mais encore de solides (1) Act., XII, 24. 266 raisons par lesquelles il rendait la foi chrétienne plus croyable. Il se bitait de renvoyer tous les nouveaux convertis à l'auguste Marie, qui en instruisait la plupart; et comme elle connaissait leur intérieur et leurs inclinations, elle leur parlait au coeur et les remplissait des influences de la divine lumière. Fille faisait de nombreux miracles en leur faveur, chassant les démons des corps des possédés, et guérissant toute sorte de maladies; en outre, elle secourait les pauvres et travaillait de ses propres mains pour subvenir à leurs nécessités; elle visitait les hôpitaux, et y servait elle-même les malades. Elle avait dans la maison où elle demeurait des habits pour les personnes les plus pauvres. Elle en assistait beaucoup à l'heure de la mort, et dans ce périlleux passage elle gagna un grand nombre d'âmes qu'elle ramena à leur Créateur et affranchit de la tyrannie du démon. Il y en eut tant qu'elle conduisit dans le chemin de la vérité et de la vie éternelle, et elle opéra dans ce ministère tant de merveilles, qu'on ne saurait les dénombrer dans plusieurs volumes, car il ne se passait point de jour où elle n'étendit le domaine du Seigneur en produisant les fruits les plus abondants dans les âmes qu'elle lui acquérait. 423. Les progrès que la primitive Église faisait chaque jour par la sainteté, par les soins et par les oeuvres héroïques de la grande Reine du ciel, remplissaient les démons de confusion et de rage. Et quoiqu'ils se réjouissent de la damnation de toutes les âmes qu'ils emmenaient dans leurs ténèbres étenelles, 267 ils furent fort tourmentés de la mort d' Hérode , car ils ne craignaient aucun amendement d'un homme si endurci en des vices si abominables; et c'est pourquoi ils le regardaient comme un puissant instrument contre les imitateurs de notre Seigneur Jésus-Christ. La divine Providence permit que Lucifer et les autres dragons infernaux se relevassent du fond de l'enfer, où ils avaient été précipités de Jérusalem par la force de la bienheureuse Marie, comme on l'à vu dans le chapitre précédent. Et après avoir employé le temps qu'ils y demeurèrent à préparer les tentations dont ils prétendaient se servir pour s'opposer à l'invincible Reine des anges, Lucifer résolut de se plaindre devant le Seigneur, en la manière qu'il le fit à l'égard de Job (1), quoique ce fut dans cette occasion avec des marques d'une plus grande fureur contre la sainte Vierge. Et dans cette résolution , lorsqu'il était prêt à sortir de l'abîme, il s'adressa à ses ministres en ces termes 424. " Si nous ne vainquons cette femme notre ennemie, je crains qu'elle ne détruise indubitablement tout mon empire, parce que nous reconnaissons tous en elle une vertu plus qu'humaine, qui nous abat et opprime quand elle veut et en la manière qu'elle veut; et jusqu'à présent nous n'avons pu trouver aucun moyen pour l'abattre à notre tour, ou même pour lui résister. C'est ce que je ne saurais supporter; car si c'était Dieu qui se tint offensé de mes (1) Job., 1, 9, etc. 268 hautaines pensées et de ma rébellion, lui qui a une puissance infinie pour nous anéantir, je n'aurais pas une si grande confusion quand il me vaincrait par lui- même; mais cette femme, quoiqu'elle soit Mère du Verbe incarné, n'est point Dieu, elle n'est qu'une simple créature d'une nature fort inférieure à la mienne; je ne souffrirai plus qu'elle me traite avec tant d'empire et qu'elle m'atterre toutes les fois qu'il lui en viendra la fantaisie. Allons, allons la détruire, et plaignons-nous au Tout-Puissant, comme nous l'avons arrêté. " Le dragon se plaignit et allégua son prétendu droit devant le Seigneur, disant : " Que tandis que l'ange était d'une nature si supérieure, il élevait pansa grâce et par ses dons Celle qui n'était que terre et que poussière, et ne la laissait point dans sa condition ordinaire; que c'était pour cela que les démons ne pouvaient ni la persécuter ni l'aborder. " Mais on doit remarquer que ces ennemis ne se présentent point devant le Seigneur par aucune vision qu'ils aient de sa divinité, ils ne sauraient y arriver; mais comme ils ont une certaine connaissance, une certaine foi, quoique faible et forcée, des mystères surnaturels, ils peuvent, su moyen de ces notions, s'adresser à Dieu; et c'est en ce sens que l'on dit qu'ils sont en sa présence, qu'ils se plaignent, ou qu'ils ont une espèce d'entretien avec le Seigneur. 425. Le Tout-Puissant permit à Lucifer de sortir pour attaquer l'auguste Marie; et comme les conditions que cet esprit rebelle demandait étaient injustes, il y en eut plusieurs qui lui furent refusées. La divine 269 Sagesse accorda à chacun des démons les armes qui étaient convenables pour rendre la victoire de sa Mère plus glorieuse, et afin qu'elle brisât la tête de l'ancien serpent (1). Le combat et le triomphe furent également mystérieux, ainsi que nous le verrons dans les chapitres suivants; ils sont racontés dans le chapitre douzième de l'Apocalypse avec les autres mystères dont j'ai fait mention dans la première partie de cette histoire, en expliquant ce même chapitre. Je dis seulement ici que le Très-Haut permit tout cela, non-seulement pour la plus grande gloire de sa très- sainte Mère, et pour l'exaltation de son pouvoir et de sa sagesse divine, mais aussi pour avoir un juste motif de soulager l'Église des persécutions que les démons machinaient contre elle, et pour donner occasion à sa bonté infinie de répandre avec équité dans la même Église les faveurs que lui acquerrait par ces victoires l'auguste Marie, la seule entre toutes les autres âmes qui pût les remporter. Le Seigneur agit toujours de la sorte dans son Église, disposant et fortifiant quelques âmes choisies , afin que le dragon exerce sur elles sa fureur comme sur des membres de la sainte Église ; et si elles le vainquent avec le secours de la grâce divine, ces victoires tournent à l'avantage de tout le corps mystique des fidèles, et l'ennemi perd le droit et les forces qu'il avait contre eux. (1) Gen., III, 15. 270 Instruction que la Reine des anges m'a donnée. 426. Ma fille, si, dans ce récit de ma vie que vous écrivez, je vous représente si souvent l'état déplorable du monde et celui de la sainte Église dans laquelle vous vivez, et si je vous exprime à chaque instant le désir maternel que j'ai que vous m'imitiez, vous devez être persuadée, ma très-chère fille, que c'est parce que j'ai de grands motifs de vous obliger à vous affliger à mon exemple, et à pleurer maintenant ce que je pleurais lorsque je vivais de la vie des mortels; et je m'affligerais encore dans ces siècles présents, si je pouvais connaître la douleur dans l'état où je me trouve. Je vous assure , ô âme, que les temps approchent où vous devriez pleurer avec des larmes de sang les calamités des enfants d'Adam. Et je renouvelle en vous cette connaissance de ce que je découvre du ciel dans le monde entier et parmi ceux qui professent la sainte foi , parce que vous ne pouvez pas les connaître totalement d'une seule fois. Or, jetez les yeux sur tous, et voyez comme la plupart des hommes sont dans les ténèbres et dans les erreurs de l'infidélité, en laquelle ils courent sans espérance de remède à la damnation éternelle. Voyez aussi combien peu les enfants de la foi et de l'Église se soucient et se préoccupent de cette perte, dont aucun ne, s'afflige; car, comme ils méprisent leur propre salut, ils ne songent point à celui des autres, et comma la ;foi est morte en eux et que l'amour divin leur manque, ils 271 ne s'affligent point de la perte des âmes qui ont été créées pour Dieu lui-même, et rachetées par le sang du Verbe incarné. 427. Ils sont tous enfants d'un Père qui est aux cieux (1), et chacun est obligé de secourir son frère en la manière qui lui est possible. Cette obligation regarde plus directement les enfants de l'Église, qui peuvent s'en acquitter par leurs prières. Mais cette sollicitude charitable doit être plus vive chez les puissants, et chez ceux qui doivent tous leurs moyens d'existence à la foi chrétienne, et qui reçoivent de plus grands bienfaits de la main libérale du Seigneur. Ceux qui par la loi de Jésus- Christ jouissent de tant de biens temporels, et les emploient tous à leurs propres plaisirs, sont ceux qui en qualité de puissants seront tourmentés puissamment (2). Si les pasteurs et les supérieurs de la maison du Seigneur n'ont d'autre soin que de vivre dans les délices et de fuir le travail auquel ils doivent personnellement se livrer, ils se rendent responsables de la ruine du troupeau de Jésus-Christ et du ravage qu'y font les loups infernaux. O ma fille, en quel état lamentable a été réduit le peuple chrétien par les puissants, par les pasteurs négligents, par les mauvais ministres que Dieu lui a donnés par ses secrets jugements 10 quelle punition et quels reproches ne doivent-ils pas attendre ! Ils ne pourront se disculper devant le tribunal du juste Juge, puisque la vérité catholique qu'ils (1) Matth., XXIII, 9. - (2) Sap., VI, 7. 272 professent les détrompe, que la conscience les reprend, et qu'ils se rendent sourds et insensibles à tout. 428. La cause de Dieu et de son honneur est abandonnée; les âmes qu'il considère comme son propre bien sont privées de la véritable nourriture; presque tous ne songent qu'à leurs intérêts et à leur conservation; chacun se sert de ses diaboliques finesses et de ses raisons d'état; la vérité est obscurcie et opprimée; la flatterie règne de toutes parts; l'avarice est effrénée, le sang de Jésus-Christ foulé aux pieds, le fruit de la rédemption méprisé; personne ne veut hasarder ses aisés et ses intérêts pour empêcher que le Seigneur ne perde ce qui lui a coûté sa Passion et sa vie. Les amis de Dieu eux-mêmes mollissent dans la défense de cette cause, car ils n'usent point de la charité et de la sainte liberté avec le zèle qu'ils doivent; la plupart se laissent vaincre par leur lâcheté, ou se contentent de travailler seulement pour eux, et abandonnent la cause commune des autres âmes. Vous comprendrez par là, ma fille, que mon très-saint Fils, ayant implanté l'Église évangélique de ses propres mains, l'ayant fertilisée par son propre sang, elle est arrivée à ce malheureux temps dont le Seigneur lui-même se plaignait par ses prophètes; puisque la sauterelle a dévoré les restes du gazam ; le jélech, les débris de la sauterelle ; et le chasil, les restes du jélech (1); et le Seigneur voulant cueillir le (1) Joel., I, 4. 273 fruit de la vigne, se trouve comme celui qui cherche quelques raisins après qu'on a fait toute la vendange, ou quelques olives que le démon n'ait pas secouées on emportées (1). 429. Dites-moi maintenant, ma fille, comment sera-t-il possible, qu'ayant un véritable amour pour mon très-saint Fils et pour moi, vous donniez accès dans votre coeur à la moindre consolation, à la vue de la perte si déplorable des âmes qu'il a rachetées par son sang et moi par celui de mes larmes, puisque, pour les lui acquérir, j'ai souvent versé des larmes de sang? Si je pouvais en verser encore aujourd'hui, je le ferais avec une nouvelle douleur et avec une nouvelle compassion; mais comme il ne m'est pas possible maintenant de pleurer les périls de l'Église, je veux que vous le fassiez, et que vous n'acceptiez aucune consolation humaine dans un siècle si calamiteux et si digne de pitié. Pleurez donc amèrement, et ne perdez point le prix de cette douleur; qu'elle soit si vive, que votre unique soulagement consiste à vous affliger pour le Seigneur que vous aimez. Considérez ce que je fis pour prévenir la damnation d'Hérode, et pour. en préserver ceux qui voudraient se prévaloir de mon intercession; et dans la béatitude je prie continuellement pour le salut de mes dévots. Ne vous laissez point abattre par les peines et les tribulations que mon très-saint. Fils vous enverra, afin que vous aidiez vos frères et lui acquerriez son propre bien (1) Isa., XXIV, 13. 274 Parmi tant d'injures que les enfants d'Adam lui font, tâchez de les réparer, jusqu'à un certain point, par la pureté de votre âme, qui doit être plus angélique qu'humaine. Combattez pour le Seigneur contre ses ennemis, et en son nom et su mien; brisez-leur la tête; dominez leur orgueil avec empire, et précipitez-les au fond de l'abîme; conseillez même aux ministres de Jésus-Christ auxquels vous parlerez, d'en faire de même par la puissance qu'ils ont, et avec une vive foi, pour défendre lEs âmes, et en elles l'honneur et la gloire du Seigneur; et ainsi ils repousseront les ennemis et les vaincront en la vertu divine. 28/30 CHAPITRE IV. La bienheureuse Marie détruit le temple de Diane à Éphèse. - Ses anges la portent dans l'empyrée, où le Seigneur la prépare pour entrer en bataille contre le dragon infernal et pour le vaincre. - Il commence la lutte par des tentations d'orgueil. Instruction que j'ai reçue de notre grande Reine. CHAPITRE V. La bienheureuse Marie, rappelée par l'apôtre saint Pierre, s'en retourne d'Éphèse à Jérusalem. - Le combat continue contre les démons. - Elle essuie une grande tempête sur mer. - Circonstances secrètes qui s'y présentèrent. LETTRE DE SAINT PIERRE A LA BIENHEUREUSE MARIE. Instruction que notre grande Reine m'a donnée. CHAPITRE VI. L'auguste Marie visite les saints lieux. - Elle remporte des triomphes mystérieux sur les démons. - Elle voit, dans le ciel, la Divinité par la vision béatifique. - Les apôtres tiennent un concile. - Circonstances secrètes de ces événements. Instruction que j'ai reçue de la Reine des anges. CHAPITRE VII. La bienheureuse Marie termine ses divers combats, triomphant glorieusement des démons, comme saint Jean le rapporte dans le chapitre douzième de son Apocalypse. Instruction que j'ai reçue de la Reine des anges. CHAPITRE VIII. On déclare l'état dans lequel Dieu mit sa très-sainte Mère, par une vision de la Divinité abstractive, mais continuelle, après qu'elle eut vaincu les démons, et la manière d'opérer qu'elle avait dans cet état. Instruction que la Reine du ciel m'a donnée. CHAPITRE IX. Le commencement qu'eurent les évangélistes et leurs évangiles. - La part qu'y prit la bienheureuse Vierge. - Elle apparut à saint Pierre à Antioche et à Rome. - Autres semblables faveurs qu'elle fit à quelques autres apôtres. Instruction que la Reine des anges m'a donnée. CHAPITRE IV. La bienheureuse Marie détruit le temple de Diane à Éphèse. - Ses anges la portent dans l'empyrée, où le Seigneur la prépare pour entrer en bataille contre le dragon infernal et pour le vaincre. - Il commence la lutte par des tentations d'orgueil. 430. La ville d'Éphèse, située aux extrémités occidentales de l'Asie, est fort renommée dans toutes les histoires, pour plusieurs grandes choses, qui dans les siècles passés l'ont rendue si illustre et si fameuse dans l'univers entier. Mais sa plus grande gloire a été d'avoir reçu la Maîtresse souveraine 275 du ciel et de la terre dans son enceinte pour quelques mois, comme on verra dans la suite. Voilà l'inestimable privilège qui la rendit véritablement heureuse. Quant à ses autres avantages, quelque excellents qu'ils fussent, ils la rendirent en réalité malheureuse et infâme jusqu'à ce temps-là, puisque le prince des ténèbres y avait tellement affermi son trône. Mais comme notre grande Dame, la Mère de la grâce, fut reçue par tes habitants de cette ville avec tant de marques de bienveillance et de libéralité, il n'était pas possible que la très-ardente et très-généreuse charité qu'elle exerçait dans toute sorte d'occasions ne récompensât un accueil si obligeant par de plus grands bienfaits, se croyant plus redevable à ce peuple, au milieu duquel elle se trouvait, qu'aux autres qui lui étaient étrangers; et si elle était très-libérale envers tous, elle devait l'être davantage envers les Éphésiens. Sa propre gratitude la porta à se regarder comme obligée à favoriser toute cette ville. Elle fit des prières particulières pour elle, suppliant son très-saint Fils avec beaucoup de ferveur de répandre ses bénédictions sur ses habitants; de les éclairer comme un Père plein de bonté, et de les attirer à sa foi et à sa connaissance. 431. Le Seigneur lui répondit que, comme Reine de l'Église et de tout l'univers, elle pouvait faire tout ce qu'elle voudrait; mais qu'il fallait qu'elle considérât l'obstacle qu'opposait cette ville à l'effusion des dons de la miséricorde divine: parce que les anciennes et les présentes abominations des péchés que ses habitants 276 commettaient, avaient fermé les portes de la clémence, et méritaient la rigueur de la justice, qu'ils auraient déjà éprouvée, si le Seigneur n'eût déterminé que cette même Reine vint demeurer dans cette ville au moment oh les iniquités de ses habitants étaient arrivées à leur comble pour attirer le châtiment qui était suspendu à sa considération. Outre cette réponse, la bienheureuse Vierge connut que la divine justice lui demandait comme sa permission et son consentement pour détruire ce peuple idolâtre d'Ephèse et des lieux circonvoisins. Cette connaissance et cette réponse affligèrent profondément le coeur compatissant de la très-douce Mère; mais sa charité quasi immense ne se laissa point décourager, et redoublant ses prières, elle dit au Seigneur : 489. " Souverain Roi, juste et miséricordieux, je sais bien que la rigueur de votre justice s'exécute; lorsque vous n'avez pas lieu d'exercer votre miséricorde; et que vous n'avez besoin pour celle-ci que de trouver en votre sagesse un motif quelconque, fût-il le plus léger, du côté des pécheurs. " Ayez maintenant égard, Seigneur, à la charité avec laquelle les habitants de cette ville m'ont accueillie a pour y demeurer conformément à votre volonté; ayez égard aux offres de leurs biens qu'ils m'ont faites et il votre serviteur Jean pour nous secourir dans nos besoins. Tempérez, mon Dieu, votre rigueur, et faites qu'elle s'exerce sur moi; je la souffrirai volontiers pour le remède de ces misérables. Et vous qui êtes tout- puissant, et qui avez 277 une bonté et une miséricorde infinie pour surmonter le mal par le bien, vous pouvez enlever cet obstacle, et faire qu'ils profitent de vos bienfaits, et que je n'aie pas la douleur de voir périr tant d'âmes, qui, sont les ouvrages de vos mains et le prix de votre sang. " Le Seigneur, répondant à cette prière, dit: " Ma Mère et ma Colombe, je veux que vous connaissiez expressément la cause de ma juste colère, et combien ces hommes pour lesquels vous me priez, en ont mérité les effets. Or soyez attentive, et vous en serez persuadée. " Aussitôt notre auguste Reine découvrit par une très-claire vision tout ce qui suit. 433. Elle connut que plusieurs siècles avant,l'incarnation du Verbe dans son sein virginal, entre divers conciliabules que Lucifer avait tenus pour détruire les hommes, il en tint un dans lequel, s'adressant à ses démons, il leur dit: Par les lumières que j'eus su ciel dans mon premier état, par tee prophéties que Dieu a révélées aux hommes, et par les faveurs qu'il a accordées à un grand nombre de ses amis, j'ai eu moyen de découvrir que Dieu agréera beaucoup que les enfants d'Adam de l'un et de l'autre sexe s'abstiennent dans les temps à venir de plusieurs vices que je désire perpétuer dans le monde, surtout des plaisirs charnels , de la cupidité des biens de la terre et de l'avarice, et qu'ils renoncent mémo' à ce qui leur pourrait être permis. Afin qu'ils le fassent contre mon gré, il leur donnera de grands secours, par lesquels ils seront volontairement 278 chastes et pauvres, et assujettiront leur propre volonté à celle des autres hommes. Et s'ils nous vainquent par ces vertus, ils mériteront de grandes récompenses et des faveurs singulières de Dieu , comme je l'ai remarqué chez plusieurs d'entre eux qui ont été chastes, pauvres et obéissants; par ces moyens je serai frustré de mes prétentions , si nous ne trichons de remédier à ce dommage, et de. le réparer par toutes les voies qui nous seront possibles. Je considère aussi que, si le Verbe divin se revêt de la chair humaine, comme nous l'avons entendu, il sera fort chaste, et qu'en outre il enseignera à une foule. de gens à le devenir, non-seulement aux hommes, mais encore aux femmes, qui, bien que plus faibles, sont aussi souvent plus tenaces, et ce me serait un plus grand tourment d'être vaincu: par elles, après avoir déjà triomphé de la première femme; d'autant plus que les Écritures des anciens annoncent en termes si pompeux les faveurs dont le Verbe incarné fera jouir les hommes en leur propre nature, qu'il doit certainement relever et enrichir par sa puissance. 434. Je demande, poursuivit Lucifer, votre conseil et votre concours pour m'opposer à tout cela; et je veux que nous travaillions dès maintenant à empêcher que les hommes ne reçoivent tant de biens. On voit par là combien est ancienne la haine de l'enfer contre les ordres religieux , et comme il s'y est pris de loin pour machiner contre la perfection évangélique dont ils font profession. Cette question fut 279 longuement discutée entre les démons. Comme conclusion, ils finirent par convenir que de nombreuses légions de démons se tiendraient prêter, que des chefs leur seraient choisis, et qu'ils se chargeraient de tenter ceux qui entreprendraient de vivre sous le joug de la chasteté, de la pauvreté et de l'obéissance; que dès lors ils introduiraient, en dérision de la chasteté; un genre ou un ordre de vierges apparentes ou hypocrites, qui sous ce faux titre se consacreraient au service de Lucifer et de tous ses démons. Ils s'imaginèrent que, par ce moyen diabolique, non- seulement ils entraîneraient ces dures après eux avec un plus grand triomphe, mais qu'ils déshonoreraient aussi la vie religieuse et chaste, qu'ils prévoyaient que le Verbe incarné et sa Mère enseigneraient dans le monde. Et afin que cette institution que l'enfer prétendait y introduire, fit un plus grand progrès, ces esprits malins déterminèrent de lui assurer en abondance tous les biens temporels et tout ce qui flatte la nature, d'une manière pourtant cachée au-dehors; parce qu'ils feraient en sorte qu'on pût y mener la vie la plus licencieuse, sous le nom d'une chasteté dédiée aux faux dieux. 435. Mais ils se demandèrent aussitôt de qui, des hommes ou des femmes, devrait être composé cet ordre. Quelques démons opinèrent qu'il ne fallait y faire entrer que des hommes; parce qu'ils seraient plus constants, et assureraient mieux la perpétuité de l'institution. D'autres alléguèrent que les hommes n'étaient pas aussi faciles à se laisser tromper que les 280 femmes; qu'étant plus clairvoyants, ils pourraient découvrir l'erreur, et qu'à l'égard des femmes il n'y avait pas tant de risques, parce qu'elles sont d'un jugement faible, crédules, fort attachées à ce qu'elles aiment, et par conséquent plus faciles à maintenir dans l'illusion. Cette opinion prévalut, et Lucifer l'approuva, sans néanmoins exclure entièrement les hommes de ce prétendu ordre religieux, espérant en trouver. quelques-uns qui l'embrasseraient pour s'attirer l'estime du peuple, surtout si les démons les assistaient en leurs fourberies pour ne point perdre cette vaine réputation que Lucifer lui-même leur procurerait par ses artifices, pour conserver longtemps dans l'hypocrisie ceux qui s'assujettiraient à son service. 436. Après ce conseil infernal les démons déterminèrent d'établir un ordre ou une congrégation de vierges feintes et trompeuses ; et Lucifer dit à ces esprits immondes : " Quoiqu'il doive m'être très-agréable d'avoir des vierges vouées et consacrées à mon culte, comme celles que Dieu veut avoir, vous savez que la chasteté et. la pureté du corps me sont si fort en horreur, que je ne saurais les souffrir, voulût-on les dédier à mon honneur. C'est pourquoi nous devons tâcher de faire en-sorte que ces vierges soient l'objet de nos infamies. Et si par hasard l'uns d'elles voulait être chaste en son corps, nous lui suggèrerons intérieurement toute sorte de pensées et de désirs impurs, et en y consentant, elle cessera réellement d'être chaste, quand même par vaine gloire elle 281 tâcherait de se soutenir. Du reste, pourvu quelle soit intérieurement impure; nous chercherons à la maintenir dans cette orgueilleuse opinion de sa virginité. " 437. Les démons, voulant jeter les premiers fondements de ce faux ordre, parcoururent toutes lés parties du monde pour en. examiner les nations, et ils trouvèrent que certaines femmes appelées Amazones, étaient les plus propres à seconder l'exécution de leur diabolique dessein. Ces Amazones étaient venues de la Scythie dans l'Asie Mineure, où elles demeuraient. Elles étaient belliqueuses, et démentaient par leur fierté et par leur audace la fragilité de leur sexe. Elles avaient conquis par la force des armes de vastes provinces, et firent d'Éphèse leur première capitale. Elles se gouvernèrent longtemps par elles-mêmes, dédaignant de s'assujettir aux hommes et de vivre en leur compagnie, qu'elles appelaient, dans leur orgueilleuse présomption, une dure servitude. Et comme les historiens s'étendent longuement sur ces matières, quoique avec uns grande divergence d'opinions, je ne m'y arrête point. Il suffit pour mon sujet de dire que ces Amazones étaient superbes, avides de la vaine gloire, et qu'elles méprisaient les hommes; de sorte que Lucifer trouva en elles une bonne disposition pour les séduire par le fantôme de la chasteté. Il représenta, à un grand nombre d'entre elles qu'elles pourraient par cette chasteté se faire estimer et vénérer dans le monde ; qu'elles se rendraient fameuses et admirables devant les hommes; et que l'une d'elles 282 pourrait lien obtenir le titre et les honneurs de déesse. Cédant à cette ambition démesurée qui leur promettait tant de gloire mondaine, beaucoup d'Amazones se réunirent, les unes vierges en effet, les autres, vierges en apparence, et elles fondèrent cet ordre de femmes qui formèrent une congrégation dans la ville d Éphèse , où il prit son origine. 438. En peu de temps le nombre de ces vierges plus que folles s'accrut considérablement, à l'admiration et aux applaudissements du monde, que les démons provoquaient par leurs artifices. Il y en eut une parmi elles qui se distingua le plus par sa beauté, par sa noblesse, par son esprit, par sa chasteté et par plusieurs autres avantages, qui la rendirent et plus célèbre et plus admirable; elle s'appelait Diane. Or, par suite de l'estime qu'elle s'était acquise et de l'influence que lui donnait le grand nombre des compagnes qu'elle avait près d'elle, on entreprit de construire le mémorable temple d'Éphèse, que le monde plaça au nombre de ses merveilles. On mit plusieurs siècles à bâtir ce temple; mais comme Diane s'acquit parmi les aveugles païens le titre de déesse avec tous lés honneurs qu'il comportait, on lui dédia ce magnifique monument, que l'on appela temple de Diane, et suivant cet exemple on en construisit plusieurs autres en divers endroits sous le même titre. Le démon, voulant rendre célèbre cette fausse vierge Diane lorsqu'elle vivait à Éphèse, la remplissait d'illusions diaboliques; il la revêtait souvent de fausses splendeurs 283 et lui découvrait de secrets pronostics; il lui enseigna même diverses cérémonies et divers rites semblables à ceux dont usait le peuple de Dieu, afin qu'elle s'en servit elle-même avec les peuples idolâtres pour honorer le démon. Les autres vierges vénéraient Diane comme une déesse, et les autres Gentils en firent de même, toujours empressés d'attribuer aveuglément la divinité à tout ce qui leur paraissait admirable. 439. Grâce à ces illusions diaboliques, lorsque les Amazones furent vaincues, et que les royaumes voisins prirent à diverses époques le gouvernement d'Éphèse, ils y conservèrent ce temple comme une chose divine et sacrée, y entretenant cette congrégation de vierges folles. Un homme obscur brilla ce temple, mais la ville et le royaume le rebâtirent ensuite, et les femmes y contribuèrent beaucoup. Cela arriva environ trois cents ans avant la rédemption du genre humain. Ainsi, lorsque la bienheureuse Marie se trouvait à Éphèse , le temple qui y subsistait n'était pas le premier, c'était le second qu'on y avait rebâti au temps que j'ai marqué, et ces vierges y demeuraient en divers appartements. Mais comme, au moment de l'incarnation et de la mort de Jésus-Christ, l'idolâtrie était si affermie dans le monde, loin d'avoir amélioré leurs moeurs, ces femmes diaboliques menaient alors une vie plus déréglée qu'auparavant, et communiquaient presque toutes avec les démons d'une manière abominable. Elles commettaient en outre d'autres péchés des plus horribles, et trompaient le monde par 284 leurs artifices et leurs oracles, de sorte que Lucifer tenait les prêtresses et les 'adorateurs dans un égal aveuglement. 440. La divine Mère vit tout cela et mille autres horreurs autour d'elle à Éphèse; elle en eut le cœur pénétré d'une si vive douleur, qu'elle en serait morte si le Seigneur ne l'eût conservée. Mais ayant vu que Lucifer avait comme établi son siége d'iniquité dans l'idole de Diane, elle se prosterna devant son très-saint Fils, et lui dit : " Souverain Seigneur, digne de toute vénération et de toute louange, il est juste de mettre fin et de remédier à ces infamies qui ont duré tant de siècles. Je ne saurais souffrir qu'une malheureuse et abominable femme reçoive le culte de la véritable Divinité, que vous seul méritez comme Dieu infini , et que le nom de la chasteté soit si profané et dédié aux démons. Votre bonté infinie m'a constituée la guide et la Mère des Vierges comme une très-noble partie de votre Église, laquelle est extrêmement agréable à vos yeux, comme le fruit le plus estimable de votre rédemption. Le titre de la chasteté vous doit être consacré dans les âmes qui seront mes filles; c'est pourquoi je ne saurais plus voir qu'on l'attribue faussement aujourd'hui à des impudiques. Je me plains de la témérité que Lucifer et ses démons ont eue d'usurper ce droit, avec tant d'injustice. Je vous prie, mon adorable Fils, en punition de cet attentat, de les condamner à vous voir délivrer ces amis de leur tyrannie, et les tirer 285 de leur servitude pour les mettre dans la liberté de la foi et de la lumière véritable. " 441. Le Seigneur lui répondit : " Ma Mère, je reçois votre demande, parce qu'il n'est pas juste qu'on dédie à mes ennemis, ne fût-ce que nominativement , la vertu de chasteté que vous avez- tant ennoblie, et qui m'est si agréable. Mais la plupart de ces fausses vierges sont réprouvées à cause de leurs moeurs abominables et de leur endurcissement; elles ne prendront pas toutes le chemin du salut éternel. Quelques-unes seulement embrasseront avec sincérité la foi qui leur sera enseignée. " En ce moment saint Jean vint à l'oratoire de l'auguste Marie, sans découvrir pourtant alors le mystère auquel la grande Reine du ciel s'occupait, ni la présence de son adorable Fils. Mais la véritable Mère des humbles voulut unir ses prières à celles du disciple bien-aimé, et ayant demandé intérieurement au Seigneur la permission de lui parler, elle lui dit : " Jean, mon fils, je suis fort affligée d'avoir connu les péchés énormes qui se commettent contre le Très-Haut dans ce temple de Diane, et mon âme désire qu'il y soit bientôt mis un terme et apporté un remède. " Le saint apôtre répondit : " Chère Dame, j'ai vu quelque chose de ce qui se passe dans ce lieu abominable, et dans mon extrême douleur je ne saurais retenir mes larmes en voyant que le démon y est honoré du culte qui n'est dû qu'à Dieu seul; personne ne peut arrêter tant de désordres, si vous, ma charitable Mère, ne l'entreprenez. " 286 442. La bienheureuse Marie ordonna à l'apôtre de s'associer à ses prières, et de demander au Seigneur de remédier à ce mal. Saint Jean s'en alla donc dans sa retraite, la Reine des anges demeurant dans la sienne avec notre Sauveur Jésus- Christ. Et se prosternant de nouveau en la présence du Seigneur, versant beaucoup de larmes, elle continua ses prières avec une ferveur incroyable et avec une douleur si poignante, qu'elle ressemblait aux angoisses de l'agonie. Son très-saint Fils, ne pouvant s'empêcher alors de la fortifier et de la consoler, répondit en ces termes à ses prières et à ses désirs : " Ma Mère et ma Colombe , que ce que vous demandez se fasse sans retard; ordonnez comme puissante Maîtresse tout ce que vous désirez. " A cette permission la très-pure Marie s'enflamma du zèle de l'honneur de la Divinité, et avec une autorité de Reine elle commanda à tous les démons qui étaient dans le temple de Diane de descendre au plus tôt dans l'abîme , et de désemparer ce lieu qu'ils avaient possédé pendant tant d'années. Les légions d'esprits immondes qui trompaient le monde par leurs artifices diaboliques, et qui profanaient ces pauvres âmes, s'y trouvaient en grand nombre; mais dans un instant ils furent tous précipités dans l'enfer par la force des paroles de l'auguste Marie. Elle les frappa d'une terreur telle , que lorsque ses lèvres virginales eurent prononcé la première parole, ils n'eurent pas le temps d'entendre la seconde , si impatients de s'éloigner de la Mère du Tout-Puissant, qu'ils accusaient de lenteur leur agilité naturelle. 287 443 Ils cherchaient dans l'enfer les endroits les plus éloignés du lieu où était la Reine du ciel sur la terre, et ils n'en purent quitter les plus sombres profondeurs, jusqu'à ce qu'ils eurent la permission (comme je le dirai bientôt) d'en sortir avec le dragon pour livrer bataille à cette invincible Daine. Mais on doit remarquer que par ces victoires elle remporta sur le démon un triomphe tel, qu'il ne parvenait plus à reprendre le même poste ou la même juridiction dont elle le dépossédait ; cependant, comme cette hydre infernale et venimeuse est toujours si vivace, quand l'auguste Marie lui coupait une tète, il lui en renaissait d'autres, car elle recommençait ses attaques en inventant de nouvelles ruses contre Dieu et contre son Église. Néanmoins la grande Reine de l'univers , achevant cette victoire, avec le nième consentement de notre Sauveur Jésus-Christ, ordonna sur-le-champ à l'un de ses saints anges de se rendre au temple de Diane, et de le détruire de fond en comble , sans y laisser pierre sur pierre, de ne sauver que neuf femmes qu'elle lui désigna parmi celles qui y demeuraient, de faire périr toutes les autres et de les ensevelir sous les ruines de l'édifice, parce qu'elles étaient réprouvées; que leurs antes suivraient les démons qu'elles adoraient et auxquels elles obéissaient, et qu'elles seraient précipitées dans l'enfer avant que d'augmenter le nombre de leurs crimes. 444. L'ange du Seigneur exécuta l'ordre de sa Souveraine, et renversa en un instant le superbe et fameux temple de Diane, dont la construction avait 288 duré plusieurs siècles, et qui ne présenta plus tout à coup qu'un monceau de décombres aux habitants d'Éphèse épouvantés. Il préserva du désastre les neuf filles que la bienheureuse Marie lui avait désignées et que notre Sauveur Jésus-Christ avait disposées; car elles furent les seules qui se convertirent à la foi, comme je le dirai dans la suite. Tontes les autres périrent sous les ruines sans qu'il en restât aucune trace. Les habitants d'Éphèse firent de grandes re-cherches pour trouver le coupable; mais ils ne purent s'expliquer cette destruction ni en découvrir la cause, comme lors de l'incendie du premier temple, dont l'auteur avoua qu'il l'avait allumé dans l'ambition de transmettre son nom à la postérité. L'évangéliste saint Jean profita de cet événement pour prêcher avec plus de force la vérité divine aux Éphésiens, et pour les tirer de l'erreur dans laquelle le démon les tenait Ensuite le même évangéliste et la Reine du ciel rendirent des actions de grâces et des louanges au Très-Haut pour ce triomphe qu'ils venaient de remporter sur Lucifer et sur l'idolâtrie. 445. Mais on doit prendre garde ici de se tromper par ce qui est rapporté au chapitre dix-neuvième des Actes des apôtres, à propos du temple de Diane, que saint Luc suppose subsister à Éphèse (1) lorsque saint Paul vint prêcher dans cette ville quelques années plus tard. L'évangéliste dit qu'un orfèvre d'Éphèse nominé Démétrius, qui faisait des images (1) Act, XIX, 27. 289 d'argent de la déesse Diane; assembla plusieurs personnes de son art contre saint Paul (1), parce qu'il prêchait dans toute l'Asie que ces ouvrages, faits de la main des hommes, n'étaient pas des dieux. Démétrius persuadait à ses compagnons que, par cette nouvelle doctrine, non-seulement saint Paul leur ferait perdre le profit qu'ils tiraient de leur art, mais qu'il était aussi à craindre qu'on ne méprisât le temple de la grande Diane , si célèbre dans toute l'Asie et dans l'univers. Ce discours alluma leur colère, et ils se mirent à parcourir la ville en criant : " Vive la grande Diane des Éphésiens (2) ! " Et il arriva tout ce que saint Luc raconte dans ce chapitre. Or, afin que l'on comprenne qu'il ne contredit point ce que j'ai écrit , j'ajoute que ce temple dont saint Luc fait mention fut un autre temple moins superbe et plus ordinaire que les Éphésiens rebâtirent après que la bienheureuse Marie s'en fut retournée à Jérusalem. Et quand saint Paul arriva à Éphèse pour y prêcher, ce temple était déjà rebâti. De sorte que l'on infère de ce qui est rapporté dans le texte de saint Luc, combien le culte idolâtrique de Diane était enraciné dans le coeur des Éphésiens et dans toute l'Asie, tant parce que leurs ancêtres avaient passé plusieurs siècles dans cette erreur, que parée que leur ville s'était rendue célèbre dans tout l'univers par ce culte, et par les divers temples de Diane qu'on y avait construits. C'est ainsi que les habitants, trompés à la fois par leurs (1) Act., XIX, 34, etc. - (2) Ibid., 28. 290 préjugés et par leur vanité, s'imaginaient ne pouvoir vivre sans leur Diane et sans lui dédier des temples dans leur ville, qu'ils regardaient comme le siége d'une superstition qui y avait bris naissance et que les autres royaumes avaient adoptée à l'envi. D'où l'on voit que l'ignorance de la véritable Divinité était si grande et si opiniâtre parmi les gentils, que les travaux de plusieurs apôtres pendant plusieurs années furent nécessaires peur la leur faire connaître et pour arracher l'ivraie de l'idolâtrie, surtout parmi les Romains et les Grecs, qui présumaient d'être les plus savants et les plus habiles d'entre toutes les nations du monde. 446. Le temple de Diane détruit, la bienheureuse Vierge eut de plus grands désirs de travailler à l'exaltation du nom de Jésus-Christ et à l'agrandissement de la sainte Église, afin de rendre utile le triomphe qu'elle avait remporté sur les ennemis. Or, un jour que son zèle lui faisait redoubler ses prières, il arriva que les saints anges , se montrant à elle sous une forme visible, lui dirent : " Notre auguste Reine, le grand Dieu des armées célestes nous ordonne de vous porter dans l'empyrée, au pied de son trône, où il vous appelle. " La très-pure Marie répondit : Voici la servante du Seigneur, que sa très-sainte volonté soit accomplie en moi. Aussitôt les anges l'élevèrent sur un trône de lumière, tel qu'il a été décrit ailleurs, et la portèrent dans le ciel en présence de la très-sainte Trinité, qui ne lui fut manifestée dans cette occasion que par une vision abstractive. Elle se 291 prosterna devant le trône suprême, et adora l'être immuable de Dieu avec une profonde humilité. Ensuite le Père éternel lui dit : " Ma Fille et ma très-douce Colombe, la voix des désirs qui vous enflamment et des gémissements que vous poussez pour l'exaltation de mon saint nom , est parvenue à mes oreilles, et les prières que vous faites pour l'Église sont agréables à mes yeux , et me portent à user de miséricorde et de clémence; pour répondre in votre amour, je veux vous investir de nouveau de ma puissance, afin qu'elle vous serve à défendre mon honneur et ma gloire, à triompher de mes ennemis et de leur antique orgueil, à les humilier et à leur briser la tète, et afin que par vos victoires vous protégiez mon Église et acquériez de nouvelles faveurs pour ses fidèles enfants et vos frères. " 447. La bienheureuse Marie répondit : " Voici, Seigneur, la plus petite de vos créatures, prête à faire tout ce qui sera de votre bon plaisir pour l'exaltation de votre nom ineffable et pour votre plus grande gloire; que votre divine volonté s'accomplisse en moi. " Le Pire éternel ajouta : " Que tous mes courtisans célestes sachent que je nomme Marie généralissime de toutes mes armées; elle vaincra tous mes ennemis et en triomphera glorieusement. " Les deux personnes du Fils et du Saint-Esprit confirmèrent la même promesse, et tous les bienheureux répondirent : " Seigneur, que votre sainte volonté soit accomplie au ciel et en la terre. " Puis le Seigneur ordonna à dix-huit des 292 plus hauts séraphins d'orner et de revêtir leur Reine de ses armes., pour la préparer à combattre coutre le dragon infernal. C'est alors que fut mystérieusement accompli ce qui est écrit dans le livre de la Sagesse, que le Seigneur suscitera la. créature pour se venger de ses ennemis (1), et le reste de ce passage. Ces six de ces séraphins se présentèrent en premier lieu, et ceignirent l'auguste; Marie d'une espèce de lumière qui lui servait comme d'armure impénétrable, et qui faisait briller aux yeux des saints la sainteté et la justice de leur Reine, si invincible aux démons, qu'elle représentait d'une manière ineffable la force même de Dieu.. De sorte, que ces séraphins, tous les autres anges et tous les saints. rendirent des actions de grâces au Tout-Puissant pour cette merveille. 448. Six des douze autres séraphins s'avancèrent ensuite, et, obéissant au commandement du Seigneur, ils donnèrent un autre nouvel éclat à notre grande Reine. C~ fut comme une espèce de splendeur de la Divinité dont ils revêtirent son visage, et 'qui devait empêcher les démons éblouis de le regarder. En vertu de ce don, quand les ennemis vinrent pour la tenter, comme nous le verrons, ils ne purent jamais regarder son visage si divinisé; et le Seigneur lui accorda cette grande faveur, parce qu'il ne voulait point le leur permettre. Après. ces séraphins vinrent à leur tour les six derniers, que le Seigneur chargea de donner des (1) Sap., V, 18. 293 armes offensives à Celle qui devait défendre son honneur. Les anges, exécutant cet ordre, animèrent toutes les puissances de la bienheureuse Vierge d'autres qualités nouvelles, et d'une vertu divine qui correspondait à. tous les dons par lesquels le Très-Haut l'avait enrichie: Un pouvoir. extraordinaire fut accordé avec ce bienfait à notre grande Dame, afin qu'elle pût, selon sa volonté, empêcher et arrêter jusqu'aux plus intimes pensées et aux plus secrets efforts de tous les démons; car ils furent tons assujettis à la volonté de l'auguste Marie, sans pouvoir contrevenir à ses ordres; elle use bien souvent dé ce pouvoir en faveur des fidèles et de ses serviteurs. Les trois personnes divines, approuvèrent tous ces préparatifs et consacrèrent la signification de tous ces ornements, déclarant la participation qui lui était donnée des divin a attributs qui sont appropriés à chacune des adorables personnes, afin qu'enrichie de ces dons inestimables, elle s'en retournât dans l'Église et y triomphât des ennemis du Seigneur. 449. Les trois divines personnes donnèrent, comme pour la congédier, leur bénédiction. à la très-pure Marie, qui les adora avec le plus profond respect. Puis les anges la ramenèrent dans son oratoire, et, remplis d'admiration à la vue des oeuvres du Très-Haut, ils disaient: " Quelle est Celle-ci qui; enrichie de tant de dons magnifiques et divins, descend du plus haut des cieux sur la terre pour défendre la gloire du nom de notre Créateur? Avec quelle beauté, dans quel éclat elle vient pour combattre les guerres du Seigneur ! 294 O Reine très-magnanime ! avancez-vous et soyez heureuse dans les combats, et établissez votre. règne sur toutes les créatures (1); que toutes glorifient et louent le Très-Haut de ce qu'il s'est montré si libéral et si puissant en vous comblant de ses faveurs. Saint, saint, saint est le Dieu des armées célestes (2), et en vous toutes les nations de la terre le béniront. u L'auguste Vierge étant arrivée à son oratoire, se prosterna dans la poussière et rendit d'humbles actions de grâces au Tout-Puissant pour tous ces bienfaits. 450. La très-prudente Mère les repassa quelque. temps dans son esprit, et, se disposant au combat qui l'attendait contre les démons, elle vit sortir comme du fond de l'abîme sur la terre, un dragon roux d'un aspect effroyable, qui avait sept têtes, dont chacune vomissait avec nue fureur horrible des flots de fumée et de flammes, et qui était suivi d'une multitude d'autres démons sous la même forme. Cette vision fut si épouvantable, qu'aucun autre vivant n'eût pu la supporter sans mourir; et il fallut, que la bienheureuse Marie elle-même y eût été préparée, et qu'elle fût aussi invincible qu'elle l'était, atour accepter le combat contre ces hideux monstres de l'enfer. Tous ces démons se dirigèrent vers le lieu où était notre grande Reine, et, jetant des hurlements de rage, ils la menaçaient et s'excitaient les uns les autres, en lisant : " Allons, allons détruire cette (1) Ps. XLIV, 5. - (2) Isa., VI, 3. 295 femme, notre ennemie; le Tout-puissant nous permet de la tenter et de lui faire la guerre ; finissons-en cette fois avec elle, et vengeons-nous du mal qu'elle nous a toujours fait, et de ce qu'elle nous a chassés du temple de notre Diane, qu'elle vient de détruire. Détruisons-la elle-même; elle n'est qu'une femme et qu'une simple créature, et nous sommes des esprits sages, rusés et puissants; nous n'avons rien à craindre d'une fille de la terre. ". 451. Toute cette armée de dragons infernaux, commandée par Lucifer, se présenta devant notre invincible Reine, la provoquant au combat. Et comme le plus grand venin de ce serpent est l'orgueil, par lequel il introduit ordinairement dans une infinité d'âmes d'autres vices, dont il se sert pour les vaincre, il crut devoir commencer par ce vice, en le déguisant d'après le sublime état de sainteté auquel il se persuadait que la très-pure Marie était élevée. C'est pour cette raison que le dragon et ses ministres se transformèrent en anges de lumière, et se manifestèrent sous cette forme à la bienheureuse Vierge, s'imaginant qu'elle ne les avait point vus ni reconnus en celle de démons et de dragons, qui leur était propre et légitime. Ils commencèrent par des louanges et par des flatteries, disant : " Vous êtes puissante, Marie; vous êtes grande entre toutes les femmes, le monde entier vous honore et vous loue pour les excellentes vertus qu'il reconnaît en vous et pour les prodigieuses merveilles que vous opérez par ces vertus : vous êtes digne de cette gloire, puisque personne ne saurait 296 vous égaler en sainteté, nous le savons mieux que tous les mortels ensemble; c'est pour cela,que. nous le confessons et que nous venons célébrer devant vous la gloire de vos actions héroïques. " En même temps que Lucifer exprimait hypocritement ces vérités, il tâchait d'inspirer à notre très-humble Reine de fortes pensées d'orgueil et de présomption. Mais, bien loin d'y donner le moindre consentement, ce furent pour elle dé vives flèches. de douleur qui blessèrent au vif son coeur candide et sincère. la peine que ces diaboliques flatteries lui causèrent surpassa celle que souffrirent les, martyrs dans tous. les tourments. Et pour confondre ces mêmes flatteries, elle fit des actes d'humilité et se rabaissa elle-même d'une manière si admirable et si efficace, que les démons ne purent v résister, ni rester plus longtemps en sa présence. Car le Seigneur fit que Lucifer et ses ministres remarquassent et sentissent les effets de ces actes. Ils prirent tous aussitôt la fuite, s'écriant, au milieu de leurs affreux hurlements : " Sauvons-nous dans les profondeurs de l'abîme, puisque ce lieu plein de confusion nous tourmente moins que l'humilité invincible de cette femme. " Ils la laissèrent pour lors, et la très- prudente Dame rendit des actions de grâces au Tout-Puissant pour cette victoire. 297 Instruction que j'ai reçue de notre grande Reine. 452. Ma fille, il y a dans l'orgueil du démon, tel qu'il existe chez cet être rebelle, une tendance à ce qu'il reconnaît lui-même être impossible: c'est qu'il voudrait que, comme les justes et les saints servent Dieu avec une humble soumission, ils lui obéissent et le servissent aussi, pour être en cela semblable à Dieu même. Or l'accomplissement de cet injuste désir est impossible, car il implique évidemment contradiction, puisque l'essence de la sainteté consiste pour la créature à s'ajuster à la règle de la volonté divine, en aimant Dieu par-dessus toutes choses, et en lui restant toujours soumise; et le péché consiste à s'éloigner de cette règle, en aimant quelque autre chose, et en obéissant au démon. Mais la bonté de la vertu est si conforme à la raison, que cet ennemi même ne sacrait nier cette conformité. C'est pour cela qu'il voudrait, s'il était possible, abattre les justes, dans l'envie et dans la rage où il est de ne pouvoir s'en servir, et jaloux d'enlever à Dieu la gloire que lui procurent les saints; et que le même démon ne peut obtenir. C'est encore pour cela qu'il fait tant d'efforts pour renverser à ses pieds quelques cèdres du Liban, quelques hommes élevés en sainteté, et pour ravaler au rang de ses esclaves ceux qui ont été les serviteurs du Très-Haut; et c'est dans cette entreprise qu'il emploie toute sa sagacité, tous 298 ses artifices et tous ses soins. Cette même tendance le porte à faire en sorte qu'on lui dédie, ne fût-ce que de nom, quelques vertus morales, comme le font les hypocrites, et comme le faisaient les vierges de Diane. Il s'imagine ainsi prendre, pour ainsi dire, sa pari. dans les choses que Dieu aime, et souiller la matière des vertus par lesquelles le Seigneur se plait à communiquer sa pureté aux âmes. 453. Saches, ma fille, que les piégea que le serpent infernal tend sous les pas des justes pour les l'aire tomber sont si nombreux, qu'ils ne peuvent., avens une faveur spéciale du Très-Haut, les apercevoir, et encore moins les surmonter et les éviter. Pour obtenir cette protection du Seigneur, sa divine Majesté veut que la créature, de son côté, se tienne toujours sur ses gardes, qu'elle ne se fie point à elle-même, et qu'elle demande et désire continuellement la même protection; sinon elle périra infailliblement, puisque par elle-même elle ne peut rien. Ce qui attire fort la clémence du Seigneur, c'est la ferveur et le zèle pour les choses divines, c'est surtout la persévérance dans l'humilité et dans l'obéissance : vertus qui donnent aux fidèles la fermeté et, l'énergie nécessaires pour résister à l'ennemi. Je veux vous avertir, non pour vous affliger, mais pour mieux vous exhorter à la vigilance, que les justes font très-peu de bonnes rouvres que ce serpent ne parvienne à infecter en y répandant une partie de son venin. Car il tâche ordinairement, avec une adresse incroyable, d'exciter quelque passion ou quelque inclination terrestre qui 299 entraîne l'intention de la créature d'une manière imperceptible, ou la détourne plus ou moins d'agir uniquement pour bien et pour la fin légitime de la vertu, fin que la moindre affection terrestre suffit pour pervertir totalement ou en partie. Et comme cette ivraie est mêlée avec le bon grain, il est bien difficile de la reconnaître dans les commencements, si les âmes ne se dépouillent entièrement de toute sorte d'attache aux choses passagères, et n'examinent leurs rouvres au flambeau de la vérité divine. 454. Vous êtes bien avertie, ma fille, de ce péril, et des artifices que le démon machine contre vous, avec plus d'acharnement que contre les autres âmes. Faites en sorte que votre vigilance soit égale à la sienne; ne vous fiez point dans vos oeuvres à la seule apparence d'une bonne intention : l'intention doit toujours être bonne et droite, mais seule elle ne suffit pas, et la créature ne la discerne pas toujours. Il arrive fort souvent que le démon trompe l'âme par le leurre d'une bonne intention , en lui proposant quelque bonne fin apparente ou fort éloignée, pour l'engager dans quelque péril prochain; et, tombant dans le péril, elle n'atteint presque jamais la bonne fin qu'il lui montrait pour la séduire. D'autres fois, encore qu'elle soit dirigée par une bonne intention, il ne lui laisse point examiner d'autres circonstances, de sorte qu'elle fait l'action sans prudence et avec quelque vice. Il arrive aussi que les inclinations et les passions terrestres se cachent sous une certaine intention qui parait bonne, et alors elles entraînent 300 peu à peu le coeur presque tout entier. Or, parmi tant de périls, le remède est d'examiner vos oeuvres à la lumière dont le Seigneur éclaire la partie supérieure de votre âme, pour apprendre comment vous devez discerner ce qui est précieux de ce qui est vil (1), le mensonge, de la vérité, l'amertume des passions, de la douceur de la raison. Alors vous n'introduirez rien de ténébreux dans la lumière divine qui est en vous; votre oeil sera simple et purifiera tout le corps de vos actions (2), et vous serez en toutes choses tout agréable à votre Seigneur et à moi. CHAPITRE V. La bienheureuse Marie, rappelée par l'apôtre saint Pierre, s'en retourne d'Éphèse à Jérusalem. - Le combat continue contre les démons. - Elle essuie une grande tempête sur mer. - Circonstances secrètes qui s'y présentèrent. 455. Après la juste punition du malheureux Hérode, la primitive Église de Jérusalem jouit d'un certain repos, que la grande Reine de l'univers lui mérita et procura par ses prières et par ses soins (1) Jerem., XV, 19. - (2) Matth., VI, 22. 301 maternels. En ce temps-là saint Barnabé et saint Paul prêchaient avec un fruit admirable. dans les villes de l'Asie Mineure, Antioche, Lystre et Perge, et dans plusieurs autres, comme le rapporte saint Luc aux chapitres, treizième et quatorzième des Actes, où il fait aussi mention des merveilles et des prodiges que saint Paul opérait dans ces villes et dans ces provinces. L'apôtre saint Pierre ayant été délivré de la prison, s'en alla du côté de l'Asie, pour s'éloigner, de Jérusalem et de la juridiction d'Hérode, et pour veiller; de là aux intérêts spirituels des néophytes qui se convertissaient dans l'Asie, sans négliger ceux des fidèles qui se trouvaient dans la Palestine. Ils le reconnaissaient tous pour le vicaire de Jésus-Christ, et lui obéissaient comme au chef de l'Église, sachant que tout ce que Pierre ordonnait et faisait sur la terre était confirmé dans le ciel. Avec cette vive foi ils avaient recours à lui comme ,au Souverain Pontife, quand il se présentait quelque doute. C'est pourquoi on l'avertit dé certaines questions qui avaient été agitées entre saint Paul et saint Barnabé. et quelques Juifs, tant à Antioche qu'à Jérusalem, touchant la pratique de la circoncision et l'observation de la loi de Moïse, comme je le dirai dans la suite, et comme saint Luc le rapporte au chapitre quinzième des Actes (1). 456. Ce fut le sujet qui obligea les apôtres et les disciples qui étaient. à Jérusalem de prier saint pierre (1) Act., XV, 2. 302 de retourner à la sainte cité, pour résoudre ces questions et décider ce qui était convenable, afin que la prédication de la foi ne fût point retardée, puisque les Juifs n'avaient plus de protecteur depuis la mort d'Hérode, et que l'Église jouissait par là d'une grande paix dans Jérusalem. Ils le prièrent aussi de supplier la Mère de Jésus de revenir, pour les mêmes raisons, dans la ville, où les fidèles désiraient vivement sa présence, espérant qu'elle suffirait pour les consoler dans le Seigneur, et pour faire prospérer toutes les affaires de l'Église. Or saint Pierre, ayant reçu ces avis, détermina de partir au plus tôt pour Jérusalem, et avant que de se mettre en route, il écrivit à notre auguste Reine la lettre qui suit LETTRE DE SAINT PIERRE A LA BIENHEUREUSE MARIE. A la Vierge Marie, Mère de Dieu, Pierre, apôtre de Jésus-Christ, votre serviteur et celui des serviteurs de Dieu. " Vénérable Mère, quelques disputes se sont élevées parmi les fidèles sur la doctrine de votre Fils et notre Rédempteur, pour savoir si avec elle il faut observer l'ancienne loi de Moïse. Ils veulent que nous leur disions ce qui convient à cet égard, et ce que nous avons entendu de la bouche de notre divin Maître. Je vais à Jérusalem pour y consulter mes frères les apôtres; et nous 303 vous prions, pour la consolation de tous et pour l'amour que vous avez pour l'Église, de vous en retourner en la même ville, où les Hébreux sont plus pacifiques depuis la mort d'Hérode, et où les fidèles jouissent d'une plus grande sécurité. Tous les imitateurs de Jésus-Christ aspirent à vous voir et à se consoler par votre présence. Quand nous serons arrivés à Jérusalem, nous donnerons cet avis aux autres villes, et avec votre assistance on déterminera ce qui est convenable touchant les matières de la sainte foi et le développement de la loi de grâce. " 457. Ce fut là le style et la teneur de la lettre; et communément les apôtres adoptèrent ce style, mettant en premier lieu le nom de la personne, ou des personnes auxquelles ils écrivaient, et ensuite le nom de celui qui écrivait, ou suivant l'ordre inverse, qu'on remarquera dans les Épîtres de saint Pierre et de saint Paul, et de quelques autres apôtres. Dès la rédaction du Symbole, les apôtres convinrent d'appeler notre auguste Reine , Mère de Dieu, et de lui donner aussi entre eux les titres de Vierge et de Mère, parce qu'il importait à la sainte Église d'établir dans le coeur de tous les fidèles l'article de la virginité et de la maternité de cette grande Dame. Il y avait quelques autres fidèles qui l'appelaient Marie de Jésus, ou la Marie de Jésus de Nazareth; d'autres, moins instruits, l'appelaient Marie, fille de Joachim et d'Anne : de sorte que les premiers enfants de la foi se servaient de tons ces noms quand ils parlaient de notre grande Reine. La 304 sainte Église, se servant plus ordinairement de celui que lui donnèrent les apôtres, l'appelle Vierge et Mère de Dieu, ajoutant à ce titre d'autres noms aussi glorieux que mystérieux. Un esprit fut chargé de porter et de remettre la lettre de saint Pierre à la divine Mère, et en la lui donnant il lui dit qu'elle était de l'apôtre. Elle la prit, et, pour honorer le vicaire de Jésus-Christ, elle se mit à genoux et la baisa : mais elle ne l'ouvrit point; parce que saint Jean était dans un autre endroit de la ville, où il prêchait. Aussitôt que l'évangéliste fut revenu près d'elle, elle se mit à genoux pour lui demander sa bénédiction, selon sa coutume, et elle lui remit la lettre, lui disant qu'elle était de saint Pierre, le pontife de tous. Saint Jean lui demanda. ce que la lettre contenait. Et la Maîtresse des vertus répondit : Vous la lirez le premier, seigneur, et ensuite vous me direz ce qu'elle contient. L'évangéliste le fit de la sorte. 358. Je ne saurais m'empêcher d'être dans l'admiration et dans la confusion en voyant l'humilité et l'obéissance que la bienheureuse Vierge montra dans cette occasion, quoiqu'il semble que ce soit peu de chose. Il n'y avait néanmoins que sa seule prudence incomparable qui pût lui inspirer, qu'encore qu'elle fût Mère de Dieu et que la lettre vînt du vicaire de Jésus-Christ, c'était d'une plus grande humilité et d'une soumission plus profonde, de ne point 14 lire et. même de ne point l'ouvrir sans la permission du ministre qu'elle avait près d'elle, pour, lui obéir et pour se conduire par sa volonté: Cet exemple admirable 305 condamne et instruit en même temps la présomption des inférieurs qui cherchent des expédients et des excuses pour éviter de pratiquer l'humilité et l'obéissance que nous devons aux supérieurs. Mais la très-pure Marie fut en tout la Maîtresse et le modèle de la sainteté, tant dans les choses les plus petites que dans les plus grandes. L'évangéliste ayant lu la lettre de saint Pierre à notre grande Reine, lui demanda son sentiment sur. ce que le vicaire de Jésus-Christ écrivait. Mais voulant encore en cela se montrer plutôt obéissante que supérieure, ou simplement égale à saint Jean, elle lui répondit : " Mon fils et seigneur, ordonnez vous-même ce que vous jugerez le plus à propos, et voici votre servante qui vous obéira. " L'évangéliste dit qu'il lui paraissait convenable qu'elle obéit à saint Pierre, et qu'elle retournât aussitôt à Jérusalem. " Il est juste, et nécessaire, répondit la bienheureuse Vierge, d'obéir au chef de l'Église; réglez promptement le départ. " 459. Après cette résolution-; saint Jean alla chercher un navire en partance pour la Palestine, et préparer ce qui était nécessaire pour le voyage. Pendant que l'évangéliste prenait ce soin, la très-pure Marie appela les femmes qu'elle connaissait, à Éphèse et qui étaient ses disciples, pour prendre congé d'elles et pour les instruire de ce qu'elles devaient faire pour se maintenir dans la foi. Il y en avait soixante-treize et la plupart étaient vierges, notamment les neuf qui furent; ainsi que je l'ai rapporté plus haut, préservées dans la ruine du temple de Diane. L'auguste Marie 306 les avait elle-même catéchisées et converties à la foi ; et les ayant toutes assemblées dans la maison où elle demeurait, avec les femmes qui l'y avaient reçue, elle en fit une communauté. Par cette sainte congrégation, la divine Mère commença à réparer les péchés et les abominations qui avaient été commis pendant tant de siècles dans le temple de Diane; jetant les fondements de la première communauté où l'on devait garder la chasteté, dans la même ville où le démon l'avait profanée. Elle informa de tout cela ces heureuses disciples, qui ne surent pas néanmoins que notre puissante Reine eût détruit le temple : parce qu'il était convenable de tenir cette circonstance secrète, afin que les Juifs n'eussent aucun grief contre la miséricordieuse Mère, et que les Gentils ne s'irritassent point contre, elle, à cause de l'amour insensé qu'ils avaient pour leur Diane. C'est pourquoi le Seigneur fit qu'on regarda cette destruction comme un désastre accidentel, qu'on l'oublia aussitôt, et que les auteurs profanes n'en firent point mention comme du premier incendie. 460. Notre auguste Princesse adressa les plus douces paroles à ses disciples pour les consoler de son absence, et elle leur laissa un papier écrit de sa main, dans lequel elle leur disait : " Mes filles, je suis obligée de m'en retourner à Jérusalem par la volonté du Seigneur tout-puissant. En mon absence vous vous souviendrez de la doctrine que vous avez reçue de moi, et que j'ai entendue de la bouche du Rédempteur du monde. Reconnaissez-le toujours pour 307 votre Seigneur, pour votre Maître et pour l'Époux de vos âmes; servez-le et aimez- le de tout votre coeur. Gravez dans votre mémoire les commandements de sa sainte loi ; ils vous seront expliqués par ses ministres et par ses prêtres, pour lesquels vous aurez une grande vénération ; vous leur obéirez avec beaucoup d'humilité; et vous vous garderez bien d'écouter ou d'accepter d'autres maîtres que ceux qui sont du nombre des disciples de Jésus-Christ, mon très-saint Fils, ou qui ont embrasse sa doctrine. Je veillerai toujours à ce qu'ils vous assistent et vous protègent; je ne vous oublierai jamais, et je ne manquerai pas de prier le Seigneur pour vous. Je vous laisse à ma place Marie l'ancienne; vous lui obéirez en tout avec beaucoup de respect, et, de son côté, elle prendra soin de vous avec le même amour et le même zèle que moi. Vous garderez une retraite inviolable dans cette maison, où jamais aucun homme n'entrera; et si vous êtes obligées de parler à quel qu'un, ce sera à la porte et en présence de trois a d'entre vous. Vous serez assidues à l'oraison; vous direz et chanterez les prières que je vous laisse écrites dans la chambre où j'étais. Observez le silence et la douceur, agissez envers les autres comme vous voudriez qu'ils agissent envers vous. Que la vérité se trouve toujours dans vos paroles; ayez Jésus-Christ crucifié continuellement présent dans toutes vos pensées, dans toutes vos paroles et dans toutes vos actions. Adorez-le, et le reconnaissez 308 pour le Créateur et le Rédempteur du monde; je vous donne en son nom sa bénédiction , et je le prie de résider dans vos coeurs. " 461. La bienheureuse Vierge laissa ces avis et divers autres à cette sainte congrégation qu'elle avait vouée à son adorable Fils. Et celle qu'elle désigna pour en être supérieure était une des charitables femmes qui lui donnèrent l'hospitalité, et à qui la maison appartenait. C'était une femme fort prudente, avec laquelle notre Reine avait eu des entretiens particuliers, l'ayant instruite plus à fond de la loi de Dieu et de ses mystères On l'appelait Marie l'ancienne, parce que la divine Mère avait donné son propre nom à plusieurs femmes lors de leur baptême, leur communiquant sans envie, comme dit la Sagesse (1), l'excellence de son nom; et comme cette Marie fut la première qui reçut à Éphèse le baptême sous ce nom, on la surnommait l'Ancienne pour la distinguer des autres qui avaient été baptisées après. La Reine du ciel leur laissa encore écrits le Pater noster, le Credo, les dix commandements et quelques autres prières vocales qu'elles devaient réciter. Et afin qu'elles fissent leurs exercices avec plus Je dévotion, elle leur laissa dans son oratoire une grande croix, que les saints anges firent bien vite par son ordre. Puis, pour lest satisfaire davantage, elle distribua entre elles tous les quelques meubles et effets qu'elle avait, choses de peu de valeur aux yeux des hommes, (1) Sap., VII, 13 309 mais d'un prix inestimable pour ses disciples, comme témoignages et comme gages de sa tendresse maternelle. 462. Elle prit congé de toutes avec beaucoup de compassion de ce qu'elle les laissait seules, les ayant engendrées en Jésus-Christ. Elles se prosternèrent toutes à ses pieds pleurant amèrement la perte qu'elles allaient faire de leur consolation, de leur refuge et de la joie de leurs coeurs. Mais grâce aux soins que la bienheureuse Mère prit toujours de cette dévote congrégation, les soixante-treize personnes qui la composaient persévérèrent toutes en la crainte de Dieu et en la foi de notre Seigneur Jésus-Christ, quoique le démon leur suscitât de grandes persécutions par lui-même et par les habitants d'Éphèse. Ce que prévoyant notre-très-prudente Reine, elle fit, avant de partir, de ferventes prières pour elles, suppliant son très- saint Fils de les conserver, et de destiner un auge pour la garde de ce petit troupeau. Le Seigneur accorda tout ce que sa très-sainte Mère demandait; et quand elle fut de retour à Jérusalem, elle les consola plusieurs fois par des exhortations qu'elle leur envoyait, et recommanda aux disciples et aux apôtres qui allèrent à Éphèse d'entourer de leur sollicitude ces pieuses recluses. Tact qu'elle vécut , notre grande Dame exerça ainsi sa charité envers elles. 463. Le jour du départ pour Jérusalem arriva, et la plus humble des créatures demanda la bénédiction à saint Jean, qui la lui donna; puis ils allèrent tous deux s'embarquer, ayant demeuré à Éphèse deux ans 309 et six mois. Aussitôt que l'auguste Vierge fut sortie de la maison qu'elle habitait, ses mille anges lui apparurent sous une forme humaine; mais ils étaient tous comme armés et rangés en bataille pour la défendre. Cette disposition inaccoutumée lui fit comprendre qu'elle devait se préparer à continuer le combat contre le grand dragon et ses alliés. Avant d'arriver à la mer elle vit une grande multitude de légions infernales qui venaient vers elle avec diverses figures effroyables , et qui étaient suivies d'un dragon à sept têtes, si difforme et si horrible en sa grandeur aussi bien qu'en tout le reste, qu'elle surpassait celle d'un grand navire , de sorte que le seul aspect de ce monstre abominable suffisait pour inspirer la plus vive terreur. Notre invincible Reine s'arma contre ces visions si formidables de la foi et. de la charité les plus ferventes, se servant des paroles des psaumes et de quelques autres qu'elle avait recueillies des entretiens de son très-saint Fils. Elle ordonna aux saints anges de l'assister, parce que naturellement ces figures si terribles lui causèrent une certaine crainte et une certaine horreur sensible. L'évangéliste ne connut rien de ce qui se passait alors, mais quelque temps après la divine Mère l'informa de tout. 464. Elle s'embarqua avec le saint, et le navire mit à la voile. Mais, à peine était-il sorti du port, que. les furies infernales , profitant de la permission qui leur avait été accordée, excitèrent une tempête si épouvantable , qu'on n'en a jamais vu une semblable jusqu'à présent : car dans ce prodigieux événement 311 le Très-Haut voulut glorifier sa toute-puissance et la sainteté de l'auguste Marie; et c'est pourquoi il permit aux démons de déployer toute leur malice et toutes leurs forces dans cette bataille. L'affreux mugissement des flots dominait le bruit des vents; ils semblaient s'élever jusqu'à la région des nuages, et formant des montagnes écumantes, ils s'élançaient comme pour franchir les digues qui arrêtaient leur fureur (1). Le navire était battu avec tant de violence, qu'il était extraordinaire que chaque vague ne le mit point en pièces. Tantôt il était poussé jusqu'au ciel, tantôt il allait sillonner les sables de l'abîme, ou baignait dans les flots ses antennes et ses mâtures. Aussi fallut-il que pendant cette tempête inouïe les saints anges soutinssent quelquefois le vaisseau en l'air pour le préserver des chocs et des tourbillons, qui l'auraient naturellement fracassé et englouti. 465. Les mariniers et les passagers remarquaient l'effet de cette faveur, mais ils en ignoraient la cause; et, éperdus d'effroi, ils jetaient des cris de détresse et pleuraient leur perte, qui leur paraissait inévitable. Les démons augmentèrent leur consternation ; car, prenant une forme humaine, ils criaient comme s'ils se fussent trouvés sur les autres navires allant de conserve avec celui qui portait notre grande Reine, et disaient à tous ceux qui y étaient d'abandonner ce vaisseau , et de se sauver, s'ils pouvaient, dans les (1) Ps. CIII, 9. 312 autres. Ceux-ci souffraient aussi de la tempête; mais ces dragons tournaient toute leur rage contre le navire qu'ils avaient la permission spéciale d'assaillir, et qui portait leur ennemie; et les autres n'étaient pas si maltraités, quoiqu'ils se trouvassent tous dans le plus grand péril. Il n'y eut que la bienheureuse Marie qui connut cette malice des démons. Et comme les mariniers l'ignoraient, ils crurent que les voix étaient véritablement des autres matelots. Par cet artifice diabolique ils abandonnèrent à diverses reprises le vaisseau, ne voulant plus le gouverner, dans l'espoir de se sauver dans les autres navires. Mais les anges qui assistaient le vaisseau sur lequel leur Reine était, suppléèrent à ce lâche découragement, et le gouvernaient lorsque les mariniers l'abandonnaient à la merci des vents, afin qu'il fit naufrage. 466. Au milieu du désarroi général et de ces scènes de désolation, la bienheureuse Marie montrait le plus grand calme, et jouissait d'une inaltérable sérénité dans l'océan de sa magnanimité et de ses vertus, qu'elle exerçait par des actes aussi héroïques que l'occasion et sa sagesse le demandaient. Comme dans cette traversée si dangereuse elle connut par sa propre expérience les périls de la navigation qui lui avaient été révélés d'une manière divine en allant à Éphèse, elle eut une nouvelle compassion de tous eaux qui naviguaient, et renouvela les prières qu' on avait faites pour eux auparavant, ainsi que je l'ai dit plus haut. La très-prudente Vierge admira aussi la force indomptable de la mer, et y vit une image de la 313 colère de la justice divine, qui brillait avec tant d'éclat en cette créature insensible. Et passant de cette considération à celle des péchés des mortels, qui leur attirent l'indignation du Tout-Puissant, elle fit de grandes prières pour la conversion du monde et pour le progrès de l'Église. Elle offrit pour cela les peines de cette navigation ; car, nonobstant la quiétude de son âme, elle eu souffrit de fort grandes en son corps, surtout affligée de voir que tous Ceux qui se trouvaient dans ces navires étaient persécutés par le démon, parce qu'il voulait la tourmenter et la persécuter elle-même. 467. L'évangéliste saint Jean eut sa grande part dans cette tribulation, à cause du soin qu'il prenait de tout ce qui regardait sa charitable Mère, la Reine de l'univers. Cette peine se joignait à celle que le saint souffrait dans sa propre affliction, et tout lui était d'autant plus douloureux qu'il ne connaissait point alors ce qui se passait dans l'intérieur de l'auguste Vierge. Il tâchait aussi quelquefois de se consoler lui- même en la servant et en s'entretenant avec elle. Et quoique le trajet d'Éphèse aux côtes de Palestine se fasse ordinairement en six ou sept jours, ce voyage dura quinze jours, et la tempête quatorze. Un jour saint Jean s'affligea beaucoup de voir durer si longtemps une si horrible tourmente, et il ne put s'empêcher de dire à la bienheureuse Marie : " Qu'est-ce que cela, divine Mère? Devons-nous périr ici? Priez votre très-saint Fils de jeter sut nous ses regards paternels, et de nous secourir 314 dans cette tribulation. " Elle lui répondit : " Ne vous troublez point, mon fils; c'est le moment de combattre pour le Seigneur, et de vaincre ses ennemis par la force et par la patience. Je le prie de ne pas permettre que personne de ceux qui sont avec nous périsse, et rappelez-vous que Celui qui garde Israël ne s'assoupit ni ne s'endort point (1); les forts de sa cour nous assistent et nous dé fendent; souffrons pour Celui qui a bien voulu s'étendre sur la croix pour le salut de tous. " Ces paroles rendirent à saint Jean le nouveau courage dont il avait besoin. 468. Lucifer et ses démons, redoublant leur fureur, menaçaient notre puissante Reine de la faire périr dans un affreux naufrage. Mais ces menaces étaient comme toutes les autres, des flèches émoussées qui n'atteignaient pas la très-prudente Mère; elle ne regardait pas les démons et ne leur disait pas un seul mot; et, de leur côté, ces esprits rebelles ne pouvaient pas la regarder en face, à cause de l'éclat mystérieux que le Très-Haut lui avait donné, comme je l'ai dit ailleurs. Plus ils faisaient d'efforts pour le braver; moins ils y réussissaient, et plus ils étaient blessés par ces armes offensives dont le Seigneur avait revêtu sa très-sainte Mère. Cependant le Très-Haut lui cachait toujours la fin de ce long et opiniâtre combat, et il se cachait lui-même à la bienheureuse Vierge, sans se manifester à elle par aucune des visions qu'elle avait ordinairement. (1) Ps. CXX, 4. 315 469. Mais le quatorzième jour de la navigation et de la tempête, son très-saint Fils daigna la visiter en personne; il descendit du ciel, et, lui apparaissant sur la mer, il lui dit : Ma très-chère Mère, je suis avec vous dans la tribulation. La vue et les paroles du Seigneur, qui remplissaient la bienheureuse Mère d'une consolation ineffable toutes les fois qu'elle le voyait et qu'elle l'entendait, lui parurent encore plus douces dans cette pénible circonstance. En effet, le secours qui vient dans la plus grande nécessité est plus précieux. Elle adora son très-saint Fils, et lui répondit: " Mon Dieu, unique bien de mon âme, vous êtes Celui à qui les vents et la mer obéissent (1); regardez, mon Fils, notre affliction, et ne permettez pas que les ouvrages de vos mains périssent. " Le Seigneur lui dit : " Ma Mère, ma douce Colombe, j'ai reçu de vous la forme humaine que j'ai, et c'est pour cela que je veux que toutes mes créatures vous obéissent : commandez comme Maîtresse de toutes, puisqu'elles sont soumises à votre empire. " La très-prudente Mère souhaitait que le Seigneur commandât dans cette occasion aux flots, comme lors de la tempête que les apôtres essuyèrent sur, la nier de Galilée (2); mais l'occasion était bien différente, puisqu'alors il n'y avait nul autre qui plût commander aux venus et à le mer. La bienheureuse Marie obéit, et par la vertu de son très-saint Fils elle commanda en premier lieu (1) Matth., VIII, 27. - (2) Ibid., 26. 316 à Lucifer et à ses démons de sortir sur-le-champ de la Méditerranée. Ils la quittèrent aussitôt, et se rendirent dans la Palestine; car en ce moment elle ne leur ordonna point de descendre dans l'abîme, vu que le combat n'était pas encore fini. Après que ces ennemis se furent retirés, elle commanda aux vents et à la mer de s'apaiser, et les vents et la mer obéirent à l'instant même, et il se fît tout à coup un si grand calme, que tous ceux du vaisseau en fusent émerveillés, ne connaissant point la cause d'un changement si subit. Notre Sauveur. Jésus-Christ prit congé de sa très-sainte Mère après l'avoir comblée de bénédiction et de joie, lui ordonnant de prendre terre le jour suivant. Il en fut ainsi; car, le quinzième jour de l'embarquement, ils arrivèrent au port par nu temps fort doux, et débarquèrent. Notre auguste. Reine rendit des actions de grâces au Tout-Puissant pour ces bienfaits , et lui fit un cantique de louanges de ce qu'il les avait délivrés, elle et ses compagnons de route, d'un péril si imminent. Le saint évangéliste en fit de même, et la divine Mère le remercia aussi de ce qu'il avait partagé ses peines; puis elle lui demanda sa bénédiction, et ils s'acheminèrent vers Jérusalem. 470. Les saints anges accompagnaient leur Reine dans le même ordre de bataille que j'ai indiqué lorsqu'ils sortirent d'Éphèse; car les démons recommencèrent le combat dès qu'elle fut descendues terre, où ils l'attendaient. Ils l'attaquèrent avec une fureur incroyable par diverses tentations contre toutes les 317 vertus; mais ces flèches revenaient sur eux , sans faire la moindre brèche à la. Tour de David, à laquelle, dit l'Époux, étaient suspendus mille boucliers (1l) et toute sorte d'armures des, forteresses d'argent (2). En arrivant à Jérusalem, la piété et la dévotion si tendres de la bienheureuse Vierge la pressaient de visiter, avant d'entrer dans sa maison, les lieux consacrés par les mystères de notre rédémption, comme elle les avait visités en dernier lieu, quand elle quitta cette ville pour se rendre à Éphèse; mais saint Pierre se trouvait à Jérusalem; et c'était lui qui l'avait appelée. La maîtresse des vertus, savait d'ailleurs l'ordre qu'on y doit garder; elle résolut donc de préférer l'intention du vicaire de Jésus-Christ à sa propre dévotion De sorte que, voulant d'abord lui obéir, elle alla droit à la maison du Cénacle, où était saint Pierre; et, lorsqu'elle fut en sa présence, elle se mit à genoux et lui demanda sa bénédiction; le priant de lui pardonner si elle n'était pas venue plus tôt; puis elle lui baisa la main comme au souverain Prêtre; mais elle ne lui dit pas autre chose, et ne chercha pas à s'excuser de son retard par la, tempête; aussi saint Pierre ne connut-il tout ce qu'elle avait souffert dans sa navigation que par le récit que saint Jean lui en lit après. Le vicaire de notre Sauveur Jésus-Christ, tous les disciples et tous les fidèles de Jérusalem reçurent leur Maîtresse avec une joie indicible et avec une respectueuse affection; et, se prosternant à ses (1) Cant., IV, 4. - (2) Cant., VIII, 9. 318 pieds, ils la remercièrent de leur avoir apporté la consolation par sa douce présence, et d'être venue dans un lieu où ils pourraient la voir et la servir. Instruction que notre grande Reine m'a donnée. 471. Ma fille, je veux que vous rappeliez continuellement à votre souvenir l'avis que je vous ai donné dès le commencement pour écrire ces secrets vénérables de ma vie; car ma volonté n'est pas que vous soyez simplement un instrument insensible pour les découvrir à l'Église, mais je veux encore que vous soyez la première à profiter de ce nouveau bienfait, pratiquant eu vous-même ma doctrine et l'exemple de mes vertus; c'est à cela que le Seigneur vous appelle, c'est pour cela que je vous si choisie pour ma fille et ma disciple. Quant aux justes réflexions que vous avez faites sur l'humilité que je pratiquai en n'ouvrant point la lettre de saint Pierre sans la permission de mon fils saint Jean, je veux vous développer la leçon qui est renfermée dans ma conduite, en commençant par vous persuader que dans ces deux vertus d'humilité et d'obéissance, qui sont le fondement de la perfection chrétienne, il n'y a rien de petit; tout y est très-agréable au Seigneur, et digue d'une grande récompense de sa miséricorde libérale et de sa justice. 319 472. Vous devez de plus considérer, ma très-chère fille, que, comme la nature humaine ne se fait jamais plus violence qu'en s'assujettissant à une volonté étrangère, il n'y a non plus rien de plus nécessaire que cet assujettissement pour réprimer l'orgueil, que le démon prétend inspirer à tous les enfants d'Adam. C'est pour cette raison que cet ennemi fait tous ses efforts pour porter les hommes à s'attacher à leur propre sentiment et à leur propre volonté. Il se sert de cet artifice pour remporter plusieurs victoires, et pour perdre par divers moyens une infinité d'âmes; car il répand ce venin dans tous les états, dans toutes les conditions, poussant secrètement chacun des mortels à suivre sa propre opinion, de sorte qu'aucun inférieur ne se soumette aux lois et à la volonté du supérieur, et ne croie pouvoir les mépriser et les transgresser, renversant le bel ordre que la divine Providence a établi eu toutes choses. Et comme tous les hommes détruisent ce gouvernement du Seigneur, le monde est rempli de confusion et de ténèbres; tout est dans le désordre, et chacun se gouverne selon sa fantaisie, sans faire cas ni de Dieu ni des lois. 473. Mais si ce mal est général et horrible aux yeux du souverain Seigneur, il est encore beaucoup plus horrible chez les religieux, qui, étant liés par leurs voeux de religion, font tout leur possible pour élargir ces liens ou pour s'en délivrer. Je ne parle pas maintenant de ceux qui, témérairement, les rompent, et transgressent leurs voeux dans les petites choses et dans les grandes : c'est là une témérité 320 effroyable , qui attire après elle la sentence de la damnation éternelle. Afin qu'on ne tombe point dans ce péril, j'exhorte ceux qui veulent assurer leur salut dans l'état religieux à bien se garder de chercher des opinions et des explications relâchées pour se dis penser de l'obéissance qui ils doivent à Dieu en leurs supérieurs, en examinant, quant à la pratique de l'obéissance et à l'observance de leurs autres voeux , jusqu'à quel point ils peuvent faire leur volonté sans pécher, et s'ils peuvent disposer de quelque chose sans permission et de leur propre mouvement. On ne fait jamais de ces sortes de recherches pour garder les voeux; on en fait pour les transgresser et pour étouffer les remords de la conscience. J'avertis les religieux que le démon tache de leur faire avaler ces moucherons venimeux, afin que peu à peu ils avalent les chameaux des plus grands péchés, après s'être accoutumés à ceux qui leur paraissent moindres. Et ceux qui veulent toujours allonger la corde du devoir jusqu'aux portes de la mort du péché mortel, méritent au moins que le juste Juge scrute ensuite minutieusement leur conscience pour les récompenser le moins qu'il pourra, puisqu'ils voudraient ne faire pour Dieu que le moins possible de ce qui lui est agréable, et que c'est là l'étude de toute leur vie. 474. Ce système de raffinements et d'adoucissements dans la loi de Dieu, qui n'aboutit qu'à la recherche des satisfactions qui flattent la chair, est extrêmement odieux à mon très-saint Fils et à moi; car c'est avoir bien peu d'amour pour lui que de 321 n'obéir à sa divine loi qu'en ce qui est d'une obligation rigoureuse, ce n'est que la crainte du châtiment qui agît alors, et non l'amour pour celui qui commande, de sorte qu'on ne ferait rien en vue de cet amour s'il ne menaçait de punir. Il arrive souvent que l'inférieur ne voulant point s'humilier devant un subalterne, s'adresse au principal supérieur, pour obtenir la permission qu'il lui répugne de demander à. l'autre, et bien souvent il la demande générale, précisément à celui qui peut le moins connaître et découvrir le péril de l'imprudent qui la sollicite. On ne peut nier que ce ne soit là encore une espèce d'obéissance, mais il est certain aussi qu'on ne cherche et qu'on ne fait tous ces détours que pour agir avec plus de liberté, avec plus de péril, et avec moins de mérite, puisqu'il y en a sans doute davantage à obéir au supérieur ordinaire, à celui qui n'a pas les belles qualités que l'autre peut avoir, et parait devoir se prêter moins au goût et aux idées de l'inférieur. Telle n'est point la doctrine que j'ai apprise à l'école de mon très-saint Fils, et que j'ai pratiquée; je demandais en tout ce que je devais faire l'agrément de ceux que j'avais pour supérieurs, et vous savez que j'en eus toujours; et lorsqu'il fallut ouvrir la lettre de saint Pierre, qui était le chef de l'Église, j'attendis là permission de son inférieur, qui était pour moi le ministre immédiat. 475. Je ne veux pas, ma fille, que vous adoptiez la doctrine de ceux qui cherchent la liberté et des permissions pour leur propre satisfaction; mais je vous 322 choisis afin que vous m'imitiez, et je vous exhorte à me suivre par le chemin assuré de la perfection. 'Fous ces détoura et toutes ces explications ont perverti l'ordre de la vie religieuse et chrétienne. Vous devez toujours vous humilier et vivre sous l'obéissance ; votre titre de supérieure ne saurait vous en dispenser, puisque vous avez des confesseurs et des supérieurs. Et si parfois, en leur absence, vous ne pouvez agir par leur ordre, demandez conseil et obéissez à quelqu'une de vos inférieures en l'office que vous avez. A vos yeux toutes vos consœurs doivent être des supérieures, et cela ne doit pas vous paraître extraordinaire, puisque vous êtes la moindre de tous les vivants; c'est là la place que vous devez prendre, vous humiliant devant tous les autres comme leur inférieure, afin que vous m'imitiez véritablement, et que vous soyez ma fille et ma disciple. Outre cela vous devez être ponctuelle à me dire vos manquements deux fois par jour, et à me demander la permission pour tout ce que vous aurez à faire; vous vous confesserez aussi chaque jour des fautes que vous aurez commises. Je vous prescrirai par moi-même et par les ministres du Seigneur ce qui vous sera utile; et vous ne devez pas faire difficulté de dire vos manquements ordinaires à plusieurs, afin que vous vous humiliiez en tout et envers tous devant le Seigneur et devant moi. Je veux que vous enseigniez à vos religieuses cette science cachée au inonde et à la chair. Et en vous l'enseignant à vous-même , je veux vous récompenser des peines que vous avez eues en écrivant ma vie, par les notions que je vous 323 donne sur une doctrine si importante, afin que vous compreniez que si vous devez agir en m'imitant comme vous y êtes obligée, vous ne devez ni vous entretenir, ni parler, ni écrire, ni recevoir aucune lettre, ni faire aucun mouvement, ni même avoir aucune pensée, s'il est possible, sans mon ordre et sans prendre avis de celui qui vous dirige. Pour les gens du monde, ces vertus sont des ridicules ou des momeries; mais cette ignorance si superbe recevra sa punition ,lorsque les vérités seront éclaircies en la présence du juste Juge, que les véritables ignorants et les véritables sages seront connus, que les serviteurs qui ont été fidèles dans les petites choses aussi bien que dans les grandes, obtiendront leur récompense (1), et que les insensés s'apercevront du mal qu'ils se sont fait à eux mêmes en suivant la prudence de la chair au moment où ce mal sera irrémédiable. 478. Vous avez senti une certaine jalousie en apprenant que je gouvernais par moi- même cette congrégation de femmes retirées à Ephèse; je vous avertis de ne point vous y laisser aller. Car vous devez considérer que vous et vos religieuses m'avez choisie pour votre supérieure et votre patronne spéciale, afin que je vous gouverne comme Reine et comme Maîtresse; je veux qu'elles sachent que j'ai accepté cette charge et que je me constitue leur supérieure pour toujours, à condition qu'elles seront parfaites en leur vocation et fort fidèles envers leur divin Maître, (1) Matth., XXV, 21. 324 mon très-saint Fils, qui les a choisies pour ses épouses. Rappelez-le-leur souvent, afin qu'elles se gardent et s'éloignent du monde; qu'elles le méprisent; qu'elles se tiennent dans le recueillement et se conservent en paix; qu'elles ne se montrent point indignes d'être mes filles; qu'elles suivent la doctrine que je vous ai donnée dans cette histoire de ma vie, tant pour vous que pour elles; qu'elles l'estiment et la vénèrent avec une vive reconnaissance, et qu'elles la gravent dans leur coeur; car en leur donnant ma vie écrite de votre main pour leur modèle, je remplis l'office de mère et de supérieure, afin qu'étant mes inférieures et mes filles, elles suivent mes traces, imitent mes vertus et répondent à la fidélité et à l'amour que je leur témoigne. 477. Vous trouvez dans ce chapitre un autre avis fort important : c'est que les mauvais obéissants, quand il leur arrive quelque disgrâce à propos de ce qui leur a été ordonné, s'affligent et se troublent aussitôt, et pour pallier leur impatience, ils en attribuent la faute prétendue à celui qui leur a donné l'ordre, et le blâment soit auprès des supérieurs, soit auprès des autres, comme s'il était obligé de répondre des événements ou de les détourner, ou qu'il eût le gouvernement de toutes les choses du monde pour en disposer selon les désirs de l'inférieur. En quoi ils se trompent fort, car il arrive fréquemment que Dieu, voulant récompenser l'obéissance, met celui qui obéit dans des traverses pour augmenter son mérite et embellir sa couronne; d'autres fois il châtie 825 par ces disgrâces la répugnance avec laquelle on a obéi, c'est pourquoi le supérieur gui commande n'en est nullement responsable. Le Seigneur a dit seulement: Celui qui vous écoute et qui vous obéit, m'écoute et m'obéit (1). Les peines qui résultent du fait de l'obéissance sont toujours utiles à l'obéissant, et s'il ne réussit pas toujours, on ne doit pas l'imputer à celui qui commande. Je ne 6s aucun reproche à saint Pierre de ce qu'il m'eût fait venir d'Éphèse à Jérusalem, quoique j'eusse beaucoup souffert dans le voyage; au contraire, je lui demandai pardon de n'avoir pas plus tôt accompli son désir. Ne soyez jamais de mauvaise humeur envers vos supérieurs, car la mauvaise humeur est une liberté fort blâmable, par laquelle on perd le mérite de l'obéissance. Regardez-les avec respect comme tenant la place de Jésus-Christ, et vous aurez un plus grand mérite de leur obéir; suivez mes traces, et l'exemple et la doctrine que je vous donne, et vous serez parfaite en tout. (1) Luc., X, 16. 326 CHAPITRE VI. L'auguste Marie visite les saints lieux. - Elle remporte des triomphes mystérieux sur les démons. - Elle voit, dans le ciel, la Divinité par la vision béatifique. - Les apôtres tiennent un concile. - Circonstances secrètes de ces événements. 478. A la gloire de la bienheureuse Marie, tous les efforts de notre esprit sont impuissants pour expliquer la plénitude de perfection qui se trouvait dans toutes ses oeuvres. En effet, nous sommes toujours accablés par la grandeur de la plus petite de ses vertus , s'il y en eut en elle quelqu'une de petite par rapport à la matière en laquelle cette auguste Reine l'exerçait. Mais la recherche sera toujours fort avantageuse pour nous, pourvu que nous ne nous livrions pas avec présomption , comme pour sonder entièrement l'océan de la grâce, mais que nous la fassions avec humilité pour glorifier et exalter en elle son Créateur, et pour découvrir de plus eu plus de quoi admirer et de quoi imiter. Je m'estimerai extrêmement heureuse, si, en manifestant les faveurs que le Seigneur a faites à la divine Mère, je parviens à donner aux enfants de l'Église une idée de ce que je ne saurais exprimer par mes faibles paroles , car je 327 ne trouve point de termes adéquats à mon sujet; c'est pourquoi je suis réduite à en parler comme en balbutiant et avec une espèce de frayeur. Les événements qui m'ont été découverts pour ce chapitre et pour les suivants furent admirables. J'en dirai ce que je pourrai, afin que la foi et la piété chrétiennes puissent s'y étendre davantage par de pieuses réflexions. 479. Après que la très-pure Marie eut témoigné son obéissance à saint Pierre (comme on l'a vu dans le chapitre précédent), elle crut devoir satisfaire sa dévotion en visitant les lieux sacrés de notre rédemption. Elle réglait toutes les oeuvres propres à chacune des vertus avec une telle prudence , qu'elle n'en omettait aucune, donnant à chacune son temps, afin qu'elles eussent toutes les caractères par lesquels elles avaient la plénitude de la perfection possible. Par celte sagesse elle faisait en premier lieu ce qui était sur tout et avant tout conforme à l'ordre ; elle passait ensuite à ce qui l'était secondairement; mais l'un et l'autre avec tout'. la plénitude que chaque chose demandait en ses opérations. Elle sortit du saint Cénacle pour aller visiter tous les lieux sacrés, accompagnée de ses anges et suivie de Lucifer et de ses démons. Ces dragons cherchaient toujours à l'effrayer par leurs gestes de fureur, par leurs menaces et leurs diverses figures effroyables, aussi bien que par leurs tentations. Mais quand notre grande Dante approchait de l'un des saints lieux qu'elle allait vénérer, les démons s'arrêtaient à une certaine distance, parce que la vertu divine les retenait; ils sentaient 328 aussi qu'ils étaient subjugués par la force que le Rédempteur avait communiquée à ces lieux sacrés par les mystères de notre rédemption. Lucifer, poussé par la témérité de son propre orgueil, faisait néanmoins tous ses efforts pour s'en approcher, car en profitant de la permission qu'il avait de persécuter et de tenter la Maîtresse des vertus, il désirait, s'il lai était possible , remporter sur elle quelque victoire dans ces mérites lieux où il avait été vaincu, ou du moins empêcher qu'elle ne les vénérât avec toute la dévotion qu'il lui voyait. 480. Mais le Très-Haut voulut que la vertu de sa main puissante opérât contre Lucifer et contre ses démons par l'organe de la Reine de l'univers, et que les mêmes actions qu'ils prétendaient troubler en elle, fussent les armes avec lesquelles elle les vainquît. Et c'est ce qui arriva, car la dévotion avec laquelle la divine Mère adora son très-saint Fils et renouvela la mémoire et la reconnaissance de la rédemption, inspira aux démons une si grande terreur, qu'ils ne purent point la surmonter, et ils sentirent venir contre eux, du côté de la bienheureuse Marie, une force secrète qui les accabla, les tourmenta et les refoula plus loin de la présence de cette invincible Reine. Ils jetaient des hurlements épouvantables, qu'elle seule entendait, et disaient entre eux : " Éloignons-nous de cette femme notre ennemie, qui nous confond et nous opprime par ses vertus d'une manière si étrange. Nous prétendions abolir la mémoire et le culte de ces lieux, où les hommes ont été rachetés et 329 où nous avons été dépouillés de notre empire; et cependant cette femme, n'étant qu'une simple créature, déjoue nos desseins, et renouvelle le triomphe que son Fila et Dieu a remporté sur nous du haut de la croix. " 481. L'auguste Marie continua les stations des divers sanctuaires en la compagnie de ses saints anges; et lorsqu'elle fut arrivée sur là montagne des Oliviers, qui était la dernière station, au lieu d'où son très-saint Fils monta au ciel, sa divine Majesté en descendit avec une beauté et une gloire ineffables pour visiter et consoler sa très-pure Mère. Cet adorable Seigneur se manifesta à elle en lui prodiguant les marques de tendresse d'un fils, mais dans tout l'éclat d'un Dieu infini et puissant; il la divinisa et l'éleva de telle sorte au-dessus de l'ètre terrestre par les faveurs qu'il lui fit dans cette occasion, qu'elle fut longtemps comme abstraite de tout ce qui est visible; et quoiqu'elle ne laissât point de s'occuper de toutes les oeuvres extérieures, il fallut néanmoins que pour s'y appliquer elle se fit une plus grande violence que dans d'autres cas semblables, car elle fut toute spiritualisée et transformée en son très-saint Fils. Notre grande Reine sut (parce que le Seigneur le lui apprit) que ces bienfaits étaient une partie de la récompense de l'humilité et de l'obéissance qu'elle avait pratiquées envers saint Pierre, en exécutant aussitôt ses ordres, et en les préférant non-seulement à sa dévotion, mais encore à sa propre commodité. Il lui promit aussi de l'assister dans sa lutte. contre les démons; 330 et accomplissant à l'instant cette promesse, sa divine Majesté fit que Lucifer et ses ministres reconnussent en la bienheureuse Marie quelque chose de nouveau, qui lui assurait sur eux une supériorité encore plus grande. 482. L'auguste Vierge revint au Cénacle, et lorsque les démons essayèrent de renouveler leurs tentations, ils sentirent que c'était comme si un ballon lancé par une main vigoureuse contre un mur de bronze rebondissait avec force et revenait avec une extrême vitesse contre celui qui l'aurait lancé; il en arriva de même à ces ennemis présomptueux , qui reculèrent à l'aspect de la bienheureuse Marie avec plus de fureur contre eux-mêmes qu'ils n'en avaient contre elle. Ils redoublèrent leurs hurlements et leur rage, et confessant malgré eux plusieurs vérités, ils disaient : " Oh! que nous sommes malheureux à la vite du bonheur de la nature humaine! Elle a été élevée à la dignité la plus éminente en cette simple créature. Que les hommes seront ingrats et insensés sils ne profitent des biens qu'ils reçoivent par cette tille d'Adam ! Elle est leur remède et notre ruine en même temps. Son l'ifs est généreux envers elle ; mais elle ne se rend point indigne de sa munificence. C'est un cruel supplice pour nous que d'être obligés de confesser ces vérités. Oh ! si Dieu nous cachait cette femme, dont la vue ajoute tant de tourments à notre envie ! Comment pourrons-nous la vaincre, si son seul aspect nous est insupportable ? Mais convolons-nous par la pensée que les hommes perdront les grands biens que 331 cette femme leur acquiert, et qu'ils la mépriseront follement. Nous nous vengerons sur eux des injures qu'elle nous fait, nous leur ferons sentir notre colère, nous les remplirons d'illusions et d'erreurs, car s'ils méditent sur cet exemple, ils se prévaudront tous de cette femme, et tous suivront ses vertus. Mais cela n'est pas capable de me consoler (ajouta Lucifer), parce que Dieu se laissera plus apaiser par cette sienne Mère qu'il n'est irrité par les péchés de ceux que nous pervertissons; et quand cela ne serait point, je ne saurais souffrir dans ma condition que la nature humaine soit si élevée dada une simple créature qui n'est qu'une faible femme. Cette injure est insupportable, recommençons à la persécuter, excitons notre propre envie, et faisons en sorte que la fureur qu'elle nous cause surpasse la rage que nous avons de la peine où nous sommes; et quoique nous souffrions tous d'affreux tourments, ne perdons pas courage, et ne laissons pas fléchir notre orgueil, car nous pourrions bien à la fin obtenir quelque avantage sur cette femme notre ennemie. " 483. La bienheureuse Marie entendait toutes ces furieuses menaces, mais elle les méprisait comme Reine des vertus; et sans en témoigner la moindre surprise, elle se retira aussitôt dans son oratoire, pour repasser en son esprit, avec sa très-sublime prudence, les mystères du Seigneur dans ce combat contre le dragon, et les délibérations importantes et difficiles auxquelles l'Église était occupée pour mettre fin à la circoncision et aux cérémonies de l'ancienne 332 loi. La Reine des anges se tint quelques jours fort retirée pour travailler à ces grandes affaires, employant ce temps en de continuelles prières et en d'autres saints exercices. Et pour ce qui la concernait, elle supplia le Seigneur d'étendre le bras de sa toute-puissance contre Lucifer, et de la rendre victorieuse et de lui et de ses dénions. Elle ne cessait point de faire cette prière, quoiqu'elle silt qu'elle avait le Très-Haut de son côté, et qu'il ne l'abandonnerait point dans la tribulation; mais au contraire elle agissait de son côté comme si elle eût été la plus fragile des créatures dans le temps de la tentation, pour nous enseigner de quelle manière nous devons nous y comporter, nous qui sommes si sujets à tomber et à nous laisser vaincre. Elle pria pour la sainte Église, et demanda au Seigneur d'établir la loi évangélique dans toute sa pureté, dans toute son intégrité, et de l'affranchir des anciennes cérémonies. 484. Notre auguste Princesse fit cette, prière avec la plus grande ferveur, parce qu'elle connut que Lucifer et ses ministres prétendaient se servir des Juifs pour conserver la loi de la circoncision avec le baptême, et les cérémonies de Moïse avec la vérité de l'Évangile, espérant que par cet artifice ils réussiraient à tenir beaucoup de Juifs opiniâtrement attachés à leur ancienne loi dans les siècles à venir de l'Église. Ce fut un des avantages et des triomphes que l'auguste Vierge remporta dans ce combat qu'elle soutint contre le dragon, que l'on ait commencé à interdire dès lors la circoncision dans le concile dont 333 je parlerai bientôt, et que l'on ait décidé qu'à l'avenir, pendant toute la durée de l'Église, ou séparerait le pur grain de la vérité évangélique d'avec toute la paille sèche et sans fruit des cérémonies mosaïques, comme notre mère la sainte Église le fait aujourd'hui. La bienheureuse Mère déterminait tout cela par ses mérites et par ses prières, pendant que saint Paul et saint Barnabé s'approchaient de Jérusalem; camelle savait déjà qu'ils venaient d'Antioche, envoyés par les fidèles pour résoudre avec saint Pierre et avec les autres les questions que les Juifs avaient soulevées à ce sujet, comme le rapporte saint Luc au chapitre quinzième des Actes (1). 485. Saint Paul et saint Barnabé arrivèrent à Jérusalem, sachant que la Reine du ciel s'y trouvait déjà; et saint Paul était si impatient de la voir, qu'ils se rendirent directement chez elle, et ils se jetèrent à ses pieds en versant d'abondantes larmes, dans les transports de joie qu'excita en eux sa présence. La joie que causa leur arrivée à la divine Mère ne fut pas moindre : elle les aimait dans le Seigneur avec une tendresse singulière, pour le zèle avec lequel ils travaillaient à l'exaltation de son nom et se livraient à la prédication de la foi.. La Maîtresse des humbles souhaitait que les deux apôtres se présentassent d'abord à saint Pierre et aux autres, et ne lui fissent leur visite qu'en dernier lieu, à elle qui se croyait la plus petite d'entre les créatures. Mais ils concilièrent très-bien la (1) Act., XV, 2. 334 vénération et la charité, persuadés qu'on ne devait préférer personne à Celle qui était Mère de Dieu, Maîtresse de tout ce qui est créé et principe de tout notre bien. L'auguste Vierge se prosterna à son tour devant saint Paul et saint Barnabé, elle leur baisa la main et demanda leur bénédiction. Saint Paul eut dans cette occasion une extase sublime , en laquelle lui furent de nouveau révélés de grands mystères et. d'excellentes prérogatives de cette Cité mystique de Dieu , la bienheureuse Marie, et il la vit toute revêtue de la Divinité même. 486. Cette vision pénétra saint Paul d'une admiration, d'un amour et d'une vénération inexprimables pour la très-pure Marie. Revenu de ce ravissement, il lui dit : " Mère de miséricorde et de clémence, pardonnez à cet homme pécheur et vil d'avoir persécuté votre très-saint Fils, mon Seigneur, et sa sainte Église. " La Vierge Mère lui répondit: " Paul, serviteur du Très-Haut, si Celui même qui vous a créé et racheté, vous a appelé à son amitié et a fait de vous un vase d'élection (1), comment pourrais-je refuser de vous pardonner, moi qui suis sa servante ? Mon âme le glorifie et l'exalte de ce qu'il s'est montré si puissant, si saint et si libéral à votre égard. " Saint Paul rendit des actions de grâces à divine Mère pour le bienfait de sa conversion, et pour les faveurs quelle lui avait faites encore, en le délivrant de tant de périls. Saint Barnabé la remercia (1) Act., IX, 15. 335 aussi pour les bienfaits qu'il avait reçus par son entremise; puis il lui demanda de nouveau sa protection, qu'elle leur promit. 487. Saint Pierre, en qualité de chef de l'Église, avait appelé les apôtres et les disciples qui étaient près de Jérusalem; il les assembla un jour avec ceux qui s'y trouvaient, en la présence de la grande Reine de l'univers, usant de son autorité de vicaire de Jésus-Christ pour empêcher la prudente Vierge de se retirer de l'assemblée par sa profonde humilité. Lorsque tous furent réunis, saint Pierre leur adressa la parole en ces termes : " Mes frères et mes enfants en notre Seigneur Jésus-Christ, il a fallu que nous nous réunissions tous pour résoudre les doutes et les points que nos très-chers frères Paul et Barnabé nous ont communiqués , et pour régler plusieurs autres choses qui intéressent la propagation de la foi. Pour cela, il convient que nous commencions par la prière, afin d'implorer l'assistance du Saint-Esprit; nous y persévérerons dix jours, selon notre coutume. Le premier et le dernier jour nous célèbrerons le très-saint sacrifice de la messe, par lequel nous disposerons notre cœur à recevoir la lumière divine. ".Toute l'assemblée approuva ce moyeu. Et ta Reine des anges prépara la salle du Cénacle, où l'on devait célébrer la messe le jour suivant; elle l'orna de ses propres mains, et procura tout le nécessaire pour la communion qu'elle, les autres apôtres et les disciples devaient faire à ces messes, que saint Pierre célébra avec les mêmes 336 cérémonies que les autres dont j'ai fait mention ailleurs. 488. Les autres apôtres et les disciples communièrent de la main de saint Pierre , et après les avoir tous communies , il communia la bienheureuse Marie, qui prenait toujours la dernière place. Grand nombre d'anges descendirent au Cénacle, qui au moment de la consécration fut rempli d'une lumière admirable et d'une odeur délicieuse; ils furent tous témoins de cette merveille, et sentirent des effets divins que le Seigneur se plut à communiquer à leur âme. Après que la première messe fut dite , ils fixèrent les heures qu'ils devaient consacrer ensemble à la prière, sans manquer, en cas d'urgence, au ministère des âmes, de manière à reprendre aussitôt leurs pieux exercices. La sainte Vierge se retira dans un lieu où elle demeura toute seule sans en sortir, ni manger, ni parler à personne pendant ces dix jours. Dans ce temps-là il se passa tant de sublimes mystères à l'égard de la Reine de l'univers, qu'ils furent pour les anges le sujet d'une nouvelle admiration , et ce qui m'en a été manifesté est vraiment ineffable. J'en dirai néanmoins en, peu de mots ce que je pourrai, car il ne muserait pas possible de tout dire. Or, la divine Mère ayant communié à la première messe de ces dix jours, se retira. dans sa solitude, comme on l'a vu, et aussitôt, par ordre du Seigneur, ses anges et les autres qui s'y trouvaient, l'élevèrent en corps et en âme dans l'empyrée, pendant qu'un ange demeurait à sa place sous sa figure, afin que les apôtres qui étaient dans le 337 Cénacle, ne remarquassent pas son absence. Ces esprits bienheureux la portèrent avec: la pompe majestueuse que j'ai décrite en d'autres occasions; et cette fois elle fut plus brillante encore, à cause des desseins du Seigneur, qui l'ordonnait. Lorsque sa très-sainte Mère fut élevée à la région de l'air la plus éloignée de la terre, le Tout-Puissant commanda à Lucifer et à tous ses démons de venir en la présence de cette même Reine au même endroit de l'air qu'elle occupait. A l'instant ils parurent tous et se présentèrent devant l'auguste Marie, et elle les vit, elle les connut tels qu'ils sont, et dans l'état auquel ils sont réduits. Leur aspect lui aurait causé une impression désagréable, tant il est hideux et repoussant; mais elle était munie de la vertu divine, afin que la vue de ces créatures si exécrables ne la blessât point. Il n'en fut pas de même pour les démons; car le Seigneur leur fit connaître d'une manière spéciale et par de vives impressions la grandeur de notre invincible Princesse, et l'autorité que celte femme forte qu'ils persécutaient comme leur ennemie avait sur eux, et que tout ce qu'ils avaient entrepris contre elle n'était qu'une folle témérité. Ils surent encore, pour leur plus grande frayeur, qu'elle avait dans son coeur notre Seigneur Jésus-Christ sous les espèces sacramentales, et que toute la Divinité la couvrait, l'enveloppait pour ainsi dire de la protection de sa toute-puissance, afin que, par la participation de ses divins attributs, elle les détruisit, les humiliât et leur brisât la tête. 489. En même temps les démons entendirent une 338 voix qu'ils connurent sortir de l'être de Dieu, et qui leur disait : " Par ce bouclier si fort et si impénétrable de mon puissant bras je défendrai toujours mon Église, et cette femme brisera la tête de l'ancien serpent (1), et triomphera toujours de son orgueil, pour la gloire de mon saint nom. " Les démons, la regardant malgré eux, ouïrent cet oracle, et découvrirent d'autres mystères de l'auguste Marie. Ils en ressentirent une si cruelle douleur et un si affreux. désespoir, qu'ils dirent comme avec des cris horribles : " Que le pouvoir de Dieu nous précipite au plus tôt dans l'enfer, et ne nous arrête point en la présence de cette femme, qui nous tourmente plus que le feu. O femme forte et invincible, éloignez-vous de nous, puisque nous ne pouvons fuir de votre présence, où la chaîne du pouvoir infini nous tient liés. Pourquoi nous tourmentez-vous aussi. avant le temps (2)? Vous seule en la nature humaine êtes l'instrument de la toute-puissance contre nous, et par vous les hommes peuvent gagner les biens éternels que nous avons perdus. Et quand ils n'espèreraient point voir Dieu éternellement, votre vue, qui est pour nous le plus grand des supplices et des châtiments, à cause de la haine que nous vous avons jurée, les récompenserait des bonnes oeuvres qu'ils doivent à leur Dieu et à leur Rédempteur. Laissez-nous maintenant, ô Dieu tout-puissant, mettez fin à ce nouveau tourment par lequel vous renouvelez celui que nous (1) Gen., III, 15. - (2) Matth., VIII, 29. 339 avons subi lorsque vous nous avez précipités du ciel, puisque maintenant vous accomplissez par cette merveille de la puissance de votre bras la menace que vous nous avez faite alors. " 490. Les démons, dans ces transports de rage, furent assez longtemps retenus en la présence de notre invincible Reine, et ils avaient beau se débattre et chercher à s'enfuir, il ne leur fut pas permis de se retirer aussitôt que leur désespoir le leur faisait désirer. Et afin qu'ils fussent plus pénétrés de la terreur que la bienheureuse Marie leur inspirait, le Seigneur voulut que ce fût elle qui leur en accord comme la permission avec une autorité de Reine. Elle le fit, et à l'instant ils se précipitèrent tous de la région de l'air jusqu'au fond de l'abîme avec toute la vitesse que leurs puissances ont pour se mouvoir, et en poussant des hurlements épouvantables. Dans leur fureur, ils effrayèrent tous les damnés par la menace de nouveaux supplices, confessant en leur présence le pouvoir de Dieu et de sa Mère, qu'ils reconnaissaient malgré eux, et qu'ils souffraient horriblement de ne pouvoir nier. Après ce triomphe, notre auguste Princesse poursuivit sa route jusqu'à l'empyrée, où elle fut reçue au milieu de nouveaux transports de joie de la part de tous les bienheureux , et elle y demeura vingt-quatre heures. 491. Elle se prosterna devant le trône suprême de la très-sainte Trinité, et l'adora en l'unité d'une nature et d'une majesté indivisible. Ensuite elle pria pour l'Église, afin que les apôtres entendissent et 340 déterminassent ce qui était utile pour établir la loi évangélique et marquer la fin de la loi de Moïse. Pendant qu'elle faisait cette prière, elle entendit une voix du trône par laquelle les trois personnes divines, chacune à part et suivant son rang, lui promettaient d'assister les apôtres et les disciples, afin qu'ils définissent et établissent la vérité divine, le Père les gouvernant par sa toute-puissance , le Fils par sa sagesse et comme chef, et le Saint-Esprit comme époux par son amour et par l'illustration de ses dons. Ensuite la divine Mère vit que l'humanité très-sainte de son Fils présentait au Père les prières qu'elle-même avait faites pour l'Église; et que, les approuvant toutes, elle proposait les raisons pour lesquelles il était convenable d'exaucer les prières de notre auguste Reine, afin que la foi et la loi de ['Évangile fussent implantées dans le monde, selon la résolution éternelle de l'entendement et de la volonté divine. 492. Bientôt, en exécution de cette volonté et de la proposition de notre Sauveur Jésus-Christ, la bienheureuse Vierge vit sortir de la Divinité et de l'être immuable de Dieu une forme de temple ou église aussi pure, aussi belle et aussi éclatante que si elle eût été fabriquée avec le diamant ou avec le plus brillant cristal; elle était ornée d'un grand nombre de riches émaux, qui la rendaient et plus magnifique et plus précieuse. Les anges et les saints la virent, et dirent avec admiration: Saint, saint, saint est le Seigneur Dieu tout-puissant en ses oeuvres (1). La très (1) Apoc., IV, 8. 369 sainte Trinité relut cette Église à l'humanité sainte de Jésus-Christ, et sa Majesté se l'unit à lui-même d'une manière merveilleuse que je ne saurais expliquer en termes propres. Le Fils la remit ensuite entre les mains de sa très-sainte Mère. Au moment ou l'auguste Marie reçut l'Église; son âme entière fut inondée de nouvelles splendeurs, du sein desquelles elle vit intuitivement et clairement la Divinité par une éminente vision béatifique. 493. Notre grande Reine fut pendant cette douce extase, qui dura plusieurs heures, véritablement introduite par le souverain Roi dans le cellier du vin aromatique dont parle le Cantique des cantiques (1). Et comme ce qu'elle y reçut et ce qui lui arriva alors surpasse tout ce que nous pouvons imaginer, il me suffira de dire que la charité fut de nouveau réglée en elle, afin qu'elle l'employât dans la sainte Église, qui lui était remise sous ce symbole. Après toutes ces faveurs les anges la ramenèrent au Cénacle, portant toujours en ses mains ce temple mystérieux que son très-saint Fils lui avait remis. Elle demeura les neuf jours suivants en oraison, sans sortir de sa retraite et sans interrompre les actes dans lesquels la vision béatifique la laissa, actes si admirables, qu'on ne saurait ni les exprimer ni les concevoir. Une des principales choses qu'elle fit, ce fut de distribuer les trésors de la rédemption aux enfants de cette Église, en commençant par les apôtres, et en se transportant par sa prévoyance (1) Cant., VIII, 2; II, 4. 342 dans les temps à venir, elle les appliquait à divers justes, selon les mystérieux décrets de la prédestination éternelle. Et comme l'exécution de ces décrets fut commise à la bienheureuse Marie par son très-saint Fils, sa divine Majesté lui donna en même temps le domaine de toute l'Église et l'usage de la dispensation de la grâce que chacun puiserait dans les mérites de la rédemption. Je fie saurais me faire mieux comprendre en parlant d'un mystère si sublime. 494. Le dernier des dix jours, saint Pierre célébra une autre messe , et y communia les mêmes personnes qu'à la première. Puis, étant tous assemblés au nom du Seigneur, ils invoquèrent le Saint-Esprit, et commencèrent à discuter et à résoudre les questions qui s'étaient élevées dans l'Église. Saint Pierre, en qualité de chef et de pontife, parla le premier, ensuite saint Paul et saint Barnabé, et après ceux-là saint Jacques le Mineur, comme le rapporte saint Luc au chapitre quinzième des Actes (1). Le premier point que l'on décida dans ce concile, ce fut qu'on n'imposerait point à ceux qui étaient baptisés le joug de la circoncision et de la loi mosaïque, puisque le salut éternel se donne par le baptême et par la foi de Jésus- Christ. Et quoique ce soit ce que saint Lue a principalement marqué dans ce chapitre, on y détermina aussi d'autres choses relatives au gouvernement et aux cérémonies de l'Église, pour réprimer divers abus que certains fidèles commençaient à introduire (1) Act., XV, 7, etc. 343 par une dévotion indiscrète. On croit que ce concile a été le premier que les apôtres ont tenu; ils s'étaient pourtant déjà réunis pour rédiger le Credo et pour se concerter, ainsi qu'on l'a vu plus haut; mais les douze apôtres concoururent seuls à la rédaction du Symbole, tandis qu'à cette dernière assemblée on convoqua tous les disciples gui parent s'y rendre. Le mode de délibération et de détermination n'y fut plus le même, et l'on y prit des décisions proprement dites, comme cela résulte de celles que rapporte saint Luc dans le même chapitre : Il a semblé bon au Saint- Esprit et à nous étant assemblés, etc. (1). 495. La teneur des actes de ce concile fut communiquée en cette forme aux fidèles et aux Églises d'Antioche, de Syrie et de Cilicie, qui connurent ainsi ce qui y avait été déterminé; et les lettres leur furent directement transmises par saint Paul, saint Barnabé et d'autres disciples. Et le Seigneur voulant approuver cette détermination , il arriva que, quand les apôtres la firent dans le Cénacle, et quand les prêtres la lurent à Antioche en présence des fidèles, le Saint-Esprit descendit en forme de feu visible, de sorte que tous furent consolés et confirmés en la vérité catholique. La bienheureuse Marie rendit des actions de grâces au Seigneur pour le bienfait que la sainte Église avait reçu par cette détermination. Ensuite elle donna congé à saint Paul, à saint Barnabé et aux autres; et pour leur consolation elle leur fit part des (1) Act., XV, 28. 343 reliques de notre Sauveur. Jésus-Christ qu'elle conservait , c'étaient ses langes et d'autres choses qui avaient servi à sa Passion. Elle leur promit sa protection et la continuation de ses prières, et alors ils s'en allèrent tout consolés et animés d'un nouvel esprit et d'un nouveau courage pour supporter les peines et les afflictions qui les attendaient. Pendant tout le temps que dura ce concile, le prince des ténèbres et ses ministres ne purent s'approcher du Cénacle il cause de la frayeur que leur avait donnée notre invincible Reine; et quoiqu'ils épiassent de loin l'occasion, il ne leur fut pas possible de rien entreprendre contre ceux qui y étaient assemblés. Heureux siècle et heureuse assemblée ! 496. Lucifer rôdait sans cesse autour de notre grande Reine comme un lion rugissant; mais, voyant qu'il ne pouvait réussir en rien par lui-même, il alla trouver certaines magiciennes de Jérusalem avec lesquelles il,avait fait un pacte exprès, et leur persuada d'ôter la vie à la bienheureuse Vierge par leurs sortilèges. Ces malheureuses femmes ainsi trompées entreprirent de le faire par des voies différentes; mais tous leurs maléfices n'aboutirent à aucun résultat. Toutes les fois qu'elles s'approchaient de notre auguste Princesse pour chercher à lui nuire, elles demeurèrent toujours immobiles et frappées d'impuissance. Néanmoins la charité sans bornes de la très-douce Mère la porta à faire beaucoup d'efforts pour les convertir, et les détromper par ses paroles et par ses bienfaits; mais des quatre femmes dont le démon se servit en 345 cette circonstance, une seule se convertit et reçut le baptême. Comme toutes ces entreprises ne servaient de rien à Lucifer, il en était tellement troublé et confus, qu'il aurait plusieurs fois cessé de tenter la très-pure Marie, si son orgueil inflexible ne s'y fût opposé; le Seigneur tout-puissant permettant tout cela pour augmenter la gloire du triomphe de sa très-sainte Mère, ainsi que nous le verrons dans le chapitre suivant. Instruction que j'ai reçue de la Reine des anges. 497. Ma fille, la constance et la force invincible avec lesquelles je repoussai les violentes attaques des démons, vous fournissent une leçon des plus importantes pour persévérer dans la grâce et pour acquérir de grandes couronnes. La nature humaine et la nature angélique (même chez les démons) sont douées de dualités fort opposées et fort inégales, car la nature spirituelle est infatigable., et celle des mortels est si faible, qu'elle se lasse et se rebute aussitôt du travail et à la première difficulté qu'elle rencontre dans la vertu , elle perd courage et quitte ce qu'elle a commencé ; ce qu'elle fait un jour avec plaisir, un antre jour lui répugne; ce qui lui paraît facile aujourd'hui, elle le trouve rempli de difficultés le lendemain; tantôt elle veut, et tantôt elle ne veut point; tantôt elle 346 est fervente, et tantôt elle est dans la tiédeur. Mais le démon n., se rebute point, et ne cesse jamais de la persécuter et de la tenter. Cependant la providence du Très- Haut ne manque point de secourir les hommes; il limite et arrête le pouvoir des démons, afin qu'ils ne passent point les bornes de sa divine permission, et qu'ils ne puissent point déployer, dans leur lutte contre les âmes, toutes leurs forces infatigables; il assiste les hommes dans leur faiblesse, et leur donne la grâce et les ressources nécessaires pour qu'ils puissent résister à leurs ennemis et les vaincre dans les choses par lesquelles ils ont la permission de les tenter. 498. On voit par là combien est inexcusable l'inconstance des âmes qui chancellent dans la vertu et dans la tentation, pour ne pas souffrir avec force et avec patience la peine passagère qu'ils trouvent au moment de faire le bien et de résister au démon. Aussitôt elles sentent l'inclination des passions qui convoitent le plaisir présent et sensible; et alors le démon, par un artifice diabolique, le leur représente avec force,. en même temps qu'il leur exagère l'amertume et la difficulté de la mortification, allant, quand c'est possible, jusqu'à leur persuader qu'elle petit compromettre la santé et la vie. Par ces tromperies il entraîne une infinité d'âmes pour les précipiter d'un abîme dans un autre abîme. Et vous remarquerez à ce sujet, ma fille, un désordre fort commun parmi les gens du monde, mais fort horrible aux yeux du Seigneur et aux miens : c'est que beaucoup d'hommes 347 sont faibles et inconstants lorsqu'il s'agit de pratiquer la vertu et la mortification, ou de faire pénitence de leurs péchés, ou de s'employer au service de Dieu; et les mêmes hommes qui sont faibles pour le bien sont forts pour pécher, et constants ait service du démon pour cela, ils entreprennent et ils exécutent des choses plus difficiles et plus pénibles que tout ce que la loi de Dieu leur commande ; de sorte qu'ils n'ont point de force pour sauver leurs ânes, et pour leur procurer la damnation éternelle ils sont forts et robustes. 499. C'est là une funeste erreur qui gagne plus ou moins jusqu'à ceux qui font profession d'aspirer à la perfection, et qui en redoutent les difficultés plue qu'ils ne le devraient; elle est cause de tous leurs retards dans le chemin de la perfection, et parfois même des nombreuses victoires que le démon remporte sur eux dans les tentations. Afin d'éviter ces périls, ma fille , vous devez profiter de mes exemples, et m'imiter en la force et en la constance avec lesquelles je résistais à Lucifer et à tout l'enfer, et en la sérénité majestueuse avec laquelle je méprisais ses illusions et ses tentations sans me troubler et sans y faire mienne attention, car c'est la meilleure manière de vaincre son orgueil. Au milieu des tentations, je ne me laissais point aller non plus à la tiédeur, et loin d'omettre aucun de mes exercices, je multipliais mes oraisons, mes prières et mes larmes, comme on doit le faire dans le temps des luttes contre les démons. Je vous recommande donc d'agir ainsi avec une grande 348 exactitude, d'autant plus que vos tentations ne sont pas des tentations ordinaires; mais l'ennemi y met toute sa malice et y emploie toutes ses ruses, comme je vous en ai souvent avertie, et selon que votre propre expérience vous l'enseigne. 500. Et puisque vous avez particulièrement remarqué la terreur dont les démons furent saisis lorsqu'ils surent que j'avais dans mon coeur mon très-saint Fils nous les espèces sacramentales, je veux vous instruire de deux choses. L'une est que tous les sacrements, et surtout celui de l'adorable Eucharistie, sont de puissantes armes dans la sainte Église pour détruire l'enfer et pour terrifier tous les démons. Ce fut une des fins cachées que mon très-saint Fils eut en l'institution de cet auguste mystère et des autres sacrements. Que si les âmes ne sentent point aujourd'hui cette vertu et ces effets par une expérience ordinaire, c'est qu'elles ont presque entièrement perdu , par l'usage de ces sacrements, la vénération avec laquelle il faudrait les fréquenter et les recevoir. Mais vous ne devez pas douter que les Aines qui les fréquentent avec dévotion ne soient redoutables aux démons, et n'aient sur eux un grand empire, analogue à celui que vous avez reconnu en moi par ce que vous avez écrit. La raison en est que, lorsque l'âme est pure, ce feu divin se trouve en elle comme dans sa propre sphère , et il se trouva eu moi avec toute l'activité qui était possible en une simple créature, et c'est pour cela que je fus si terrible à l'enfer. 501. La seconde chose que je vous dis pour, preuve 349 de cette vérité, est que ce bienfait que je reçus ne fut point pour moi un privilège exclusif, le Seigneur en a favorisé d'autres âmes dans certaine mesure. Il est même arrivé récemment dans l'Église, que Dieu, voulant vaincre le dragon infernal, lui manifesta et lui mit sous les yeux une Ame qui avait dans la poitrine Jésus-Christ sous les espèces sacramentales, et par là il l'humilia et l'abattit de telle sorte, que durant plusieurs jours le même Lucifer n'osa point aborder cette filme, et supplia le Tout-Puissant de ne point la lui montrer en cet état, portant en elle-même l'Eucharistie. Il est aussi arrivé dans une autre occasion que le même Lucifer, par l'entremise de quelques hérétiques et d'autres mauvais chrétiens, entreprit un très- grand mal contre ce royaume catholique d'Espagne, et si Dieu ne l'eût point arrêté par le moyen de cette même personne, l'Espagne serait déjà entièrement perdue et soumise à ses ennemis. Mais la divine clémence voulant se servir de la même personne dont. je vous parle pour le détourner, la manifesta à Lucifer et à ses ministres après qu'elle avait communié. Et par la terreur qu'elle leur causa ils renoncèrent au dessein odieux qu'ils avaient formé pour ruiner tout d'un coup l'Espagne. Je ne vous déclare point quelle est cette personne, parce que cela n'importe. Je vous ai seulement découvert ce secret, afin que vous connaissiez l'estime que Dieu fait d'une âme qui se dispose à mériter ses faveurs, et qui le reçoit dignement dans. l'auguste sacrement de l'Eucharistie, et que vous sachiez que, s'il se montre libéral et puissant envers 350 moi à cause de la dignité et de la sainteté de sa Mère , il veut aussi être connu et glorifié par d'autres âmes ses épouses , secourant son Église dans ses nécessités selon que les temps et les circonstances le demandent. 502. Vous comprendrez par là que, si les délitons craignent tant les âmes qui reçoivent dignement la sainte communion est les autres sacrements, par lesquels elles deviennent invincibles à leurs ennemis, ils travaillent pour la même raison avec d'autant plus d'ardeur à entraîner ces âmes dans le mal, ou à les empêcher d'acquérir contre eux un aussi grand pouvoir, que le Seigneur leur communique. Veillez donc, combattez courageusement contre des ennemis si infatigables et si rusés, et tâchez de m'imiter en cette force. Je veux aussi que vous ayez une grande vénération pour les conciles; pour toutes les assemblées de la sainte Église, et pour tout ce qu'on y ordonne et qu'on y détermine ; car le Saint-Esprit préside aux conciles et aux assemblées qui se tiennent su nom du Seigneur, qui a promis de s'y trouver aussi (1). C'est pour cela que l'on doit obéir à ce qu'ils ordonnent. Et quoiqu'on ne voie point aujourd'hui des marques visibles de l'assistance du Saint- Esprit dans les conciles, il ne laisse pas de tes gouverner secrètement; mais les prodiges et les miracles de ce goure ne sont pas maintenant aussi nécessaires que dans les commencements de l'Église, et le Seigneur ne les (1) Matth., XVIII, 20. refuse pas quand il le juge à propos. Louez et glorifiez sa miséricorde libérale pour tous ces bienfaits, et surtout pour les faveurs qu'il m'a faites lorsque je vivais en une chair mortelle. CHAPITRE VII. La bienheureuse Marie termine ses divers combats, triomphant glorieusement des démons, comme saint Jean le rapporte dans le chapitre douzième de son Apocalypse. 503. four mieux entendre les mystères cachés de ce chapitre, il faut. se rappeler ceux dont j'ai traité dans la, première partie, livre premier, chapitres huitième, neuvième et dixième, où j'ai expliqué le douzième chapitre de l'Apocalypse tel qu'il m'a été découvert: Et non-seulement alors, mais dans tout le cours de cette divine histoire, j'ai remis à cette troisième partie à décrire les combats que la bienheureuse Marie soutint contre Lucifer et ses démons, les victoires qu'elle remporta sur eux , et l'état dans lequel la laissa le Très-Haut :après ces triomphes mystérieux tant qu'elle vécut encore dans sa chair mortelle. L'évangéliste saint Jean eut connaissance de tous ces vénérables secrets, et les renferma dans 352 son Apocalypse (comme je l'ai déjà dit), particulièrement dans les chapitres douzième et vingt-unième, dont je répète les détails dans cette histoire, y étant obligée pour deux raisons. 504. L'une de ces raisons est que ces mystères sont en si grand nombre et si sublimes, qu'on ne saurait jamais les approfondir et les développer entièrement, d'autant plus que l'évangéliste les a renfermés, comme le secret du Roi et de la Reine, dans des énigmes et des métaphores très-obscures, afin qu'il n'y eût que le Seigneur même qui les expliquât quand il le jugerait à propos; et en cela l'évangéliste suivit l'ordre de l'auguste Marie. L'autre raison est que, tout en consistant dans la résistance à la volonté et aux ordres du Dieu très-haut et tout- puissant , l'orgueilleuse révolte de Lucifer retomba , comme sur sa cause principale , sur notre Seigneur Jésus-Christ et sa très-sainte Mère, à la dignité et à l'excellence desquels les anges apostats et rebelles ne voulurent point s'assujettir. Et quoique cette révolte ait donné lieu au premier combat qu'ils livrèrent dans le ciel à saint Michel et à ses anges, ils ne purent néanmoins le livrer alors au Verbe incarné et à sa Mère Vierge en personne ; ils ne luttèrent que préfigurativement avec l'image de la femme mystérieuse qui leur fut annoncée et manifestée dans le ciel avec les mystères qu'elle renfermait comme Mère du Verbe éternel qui devait prendre dans son sein la forme humaine. Et lorsque le temps arriva auquel ces admirables mystères s'accomplirent et auquel le Verbe 358 s'incarna dans le sein virginal de Marie, il fut convie-. nable que ce combat se renouvelât avec Jésus.Christ et Marie en personne, et qu'ils triomphassent par, eux- mêmes des démons, suivant la menace que le Seigneur lui-même leur avait faite, tant dans le ciel. que dans le paradis terrestre, en disant qu'il mettrait une inimitié entre la femme et le serpent, et entre leurs postérités, afin qu'elle lui brisât la tête (1). 505. Tout cela fut accompli à la lettre en Jésus-Christ et en sa très-sainte Mère : car saint Paul a dit que notre grand Pontife et Sauveur avait été, pour l'exemple, tenté par toutes choses sans péché : et il en arriva de même à l'égard de la bienheureuse Marie. Lucifer avait permission dé les tenter après. sa chute du ciel, ainsi que je l'ai dit dans le chapitre dixième de la première partie déjà cité. Et comme ce combat de l'auguste Marie correspondait au premier qui se donna danse ciel, et qu'il fut pour les, démons l'exécution de la menace qui leur fut faite par, le signe qui le représentait, il était naturel que l'évangéliste saint Jean les décrivît dans les mêmes, termes, et les renfermât sous les mêmes énigmes. Or, ayant expliqué ce qui regarde le premier combat, je dois déclarer ce qui se passa dans le second. Et quoique Lucifer et ses démons. eussent été punis, lors de leur première rébellion, par la privation éternelle de la vision béatifique, et précipités dans (1) Gen., III, 15. 356 l'enfer, ils furent encore, dans ce second combat, punis par des peines accidentelles, qui correspondaient à l'ardeur et à la violence avec lesquelles ils persécutaient et tentaient notre invincible Reine. La raison de ceci est qu'il est naturel à la créature, quand ses puissances obtiennent ce qu'elles désirent, de les sentir satisfaites à proportion de la vivacité avec laquelle elles le désiraient; comme, au contraire, d'éprouver de la douleur et du déplaisir lorsqu'elles . ne l'obtiennent point, ou qu'il leur arrive le contraire de ce qu'elles convoitaient et espéraient; or les démons, depuis leur chute, n'avaient rien désiré avec tant de véhémence que de faire déchoir de la grâce Celle qui en avait été la médiatrice, pour la transmettre aux enfants d'Adam. C'est pourquoi ce fat pour les dragons infernaux un tourment incompréhensible de se voir vaincus, domptés, et hors d'espérance d'accomplir leurs désirs, et de réussir dans les desseins impies qu'ils avaient machinés pendant tant de siècles. 506. Pour les mêmes raisons et pour plusieurs autres, la divine Mère ressentit une joie singulière de ce triomphe, et de voir l'antique serpent écrasé. Pour la fin de la lutte et pour le commencement du nouvel état auquel elle devait être élevée après tant de victoires, son très-saint Fils la prévint de faveurs si extraordinaires, qu'elles surpassent tout entendement humain et angélique. Et afin de faire comprendre une partie de ce qui m'en a été découvert, il faut que je fasse remarquer à celui qui lira cette 355 histoire, que nos paroles et nos expressions sont toujours les mêmes, que nos facultés et notre capacité sont subornées, que nous nous trouvons dans la nécessité de nous en servir pour expliquer les mystères surnaturels, ceux-ci et les autres, tant les plus sublimés, que ceux qui sont moins éloignés de notre portée; mais, dans l'objet dont je parle, il y a une capacité ou étendue infinie, de sorte que le Tout- Puissant a pu élever la bienheureuse Vierge d'un état qui nous semble très-sublime à un autre état plus haut, et de celui-ci à un autre encore plus éminent, et la confirmer de plus en plus en ce même genre de grâces, de dons et de faveurs : car la très-pure Marie, étant elle-même tout ce qui n'est pas Dieu, renferme une étendue immense, et forme à elle seule une hiérarchie plus grande et plus élevée que tout le reste des autres créatures humaines et angéliques. 507. Or, tout cela supposé, je dirai comme je pourrai ce qui arriva à Lucifer jusqu'à ce qu'il fut enfin vaincu par l'auguste Marie et par son adorable Fils, notre Sauveur. Le dragon et ses démons tic furent point entièrement désabusés par les victoires que j'ai rapportées dans le chapitre précédent, et à la suite desquelles notre invincible Princesse les chassa et les précipita de la région de l'air jusqu'au fond de l'abîme; ils ne le furent pas non plus, par l'insuccès des sortilèges dont ils essayèrent par le moyen de ces femmes de Jérusalem. Mais, se doutant, dans son opiniâtre malice, qu'il ne lui restait que peu de temps pour user de la permission qu'il avait de tenter 356 et persécuter la bienheureuse Vierge, .l'ennemi entreprit de nouveau de compenser ce peu de temps qu'il présumait lui rester, par un surcroît de fureur et d'audace. En conséquence il alla d'abord trouver des hommes qu'il savait être plus versés dans l'art magique que les sorcières de Jérusalem , et leur donnant de nouvelles instructions, il les chargea d'ôter la vie à Celle qu'il regardait comme son ennemie. Ces ministres d'iniquité l'entreprirent plusieurs fois, se servant de divers maléfices, des plus violents et des plus efficaces. Mais il leur fut impossible de nuire le moins du monde à la santé et à la vie de la bienheureuse Mère, parce que les effets du péché ne pouvaient s'étendre sur Celle qui n'y eut aucune part, et qui était, à d'autres titres, privilégiée et au-dessus de tous les agents de la nature. Le dragon, voyant l'inutilité de toutes les tentatives qu'il avait faites avec tant d'obstination, maltraita d'une manière impitoyable les magiciens dont il s'était servi, le Seigneur le permettant, parce qu'ils le méritaient eux-mêmes par leur témérité, et afin qu'ils sussent à quel maître ils avaient affaire. 508. Lucifer, s'excitant lui-même à une nouvelle rage, assembla tous les princes des ténèbres, et, lorsqu'il leur eut exposé avec véhémence les raisons qu'ils avaient, depuis qu'ils avaient été précipités du ciel, de déployer toutes leurs forces et toute leur malice pour abattre cette femme, leur ennemie, qu'ils connaissaient déjà être Celle qui leur avait été représentée dans le ciel, ils résolurent de l'aller attaquer 357 tous ensemble dans sa retraite, s'imaginant que dans cette solitude ils la trouveraient, une fois ou l'autre, moins sur ses gardes, ou moins vigilamment protégée par Celui qui la défendait. Ils profitèrent aussitôt de l'occasion qui leur semblait favorable, et sortant presque tous de l'enfer pour cette entreprise, ils attaquèrent tous ensemble la bienheureuse Marie dans son oratoire. Ce combat fut le plus grand qui se soit jamais vu, et qui se verra avec une simple créature, depuis le premier qui se donna dans l'empyrée jusqu'à la fin du monde; car celui-ci fut fort semblable au premier. Et pour comprendre quelle devait être la fureur de Lucifer et de ses démons, on n'a qu'à considérer le tourment qu'ils enduraient lorsqu'ils ne faisaient que s'approcher du lieu- où était l'auguste Vierge, ou que la regarder, tant à cause de la vertu divine qu'ils sentaient en elle, qu'au souvenir des diverses victoires qu'elle avait remportées sur eux. Leur rage et leur envie prévalurent cependant sur leur honte et sur tous leurs maux, et les forcèrent à braver leurs propres supplices, à se jeter, pour ainsi dire, à travers les piques et les épées, pourvu qu'ils pussent se venger de notre grande Reine; car ne point l'entreprendre était pour Lucifer un plus grand supplice que tout autre tourment. 509. Dans cette attaque, les esprits malins dirigèrent principalement leurs premiers efforts contre les sens extérieurs de la très-pure Marie, et ils y mêlèrent des hurlements et des cris confus, 358 remplissant l'air des phénomènes les plus étranges et d'un bruit si effroyable, qu'il semblait que toute la machine du monde dût se briser, et, pour rendre ce spectacle plus épouvantable, ils prirent diverses figures visibles, les uns de démons d'une laideur horrible , les, autres d'anges de lumière, et simulèrent entre les uns et les autres dans les ténèbres un combat acharné, sans qu'on en pût connaître la cause, ni ouïr autre chose qu'un affreux tumulte. Ils tâchaient, par cette tentation, de jeter la terreur et le trouble dans notre grande Reine. Et assurément toute autre créature humaine n'aurait pu la supporter sans perdre la vie, eût-elle été sainte, si le Seigneur l'eût laissée dans l'ordre commun de la grâce; car cet assaut se prolongea pendant douze heures entières. 510. Mais, au milieu de tout cela, notre auguste Maîtresse resta tranquille, sereine, immobile, aussi calme que si elle n'eût rien vu ni entendu ; elle ne montra aucun trouble, aucune émotion, aucune tristesse, et tout ce désordre infernal ne put ni altérer sa physionomie , ni lui faire faire un seul mouvement. Les démons assaillirent ensuite par d'autres tentations les puissances intérieures de l'invincible Mère, et répandirent alors tout leur venin diabolique au delà de tout ce que je puis dire ; car ils firent leurs derniers efforts, se servant de fausses révélations, d'illusions, de promesses, de menaces, sans laisser aucune vertu qu'ils ne tentassent par tous les vices contraires, et par tous les moyens et toutes les 359 manières que leur malice put inventer. Je ne m'arrête point à particulariser ces tentations, parce qu'ici les détails ne sont ni nécessaires ni convenables. Mais notre grande Reine les vainquit toutes avec tant de gloire, qu'en toutes les matières des vices elle fit des actes contraires et aussi héroïques qu'on peut l'imaginer, sachant qu'elle agissait toujours avec toute l'énergie de la grâce, des vertus et des dons qu'elle possédait dans l'état de sainteté où elle se trouvait alors. 511. Elle pria dans cette occasion pour tous ceux qui seraient tentés et affligés du démon, comme celle qui expérimentait la force de sa malice, et le besoin que l'on a du secours divin pour la surmonter. Le Seigneur lui promit que tous ceux qui l'invoqueraient dans les tentations dont ils seraient affligés, seraient défendus et protégés par son intercession. Les démens s'acharnèrent à la lutte jusqu'à ce qu'ils eurent épuisé toute leur malice contre la plus sainte des créatures. Et alors elle appela la justice de son côté, et pria le Seigneur de se lever et de juger sa cause, comme dit David (1), afin que ses ennemis fussent dissipés, et que ceux qui le haïssaient prissent la fuite en sa présence. Pour faire ce jugement, le Verbe incarné descendit du ciel dans le Cénacle et dans la retraite où était sa Mère Vierge, pour elle comme un Fils très-doux et très-tendre, pour les démons comme un juge très- sévère, sur le trône (1) Ps. LXXIII, 23; LXVII, 1. 360 de la souveraine majesté. Il était accompagné d'une multitude innombrable d'anges, des anciens saints, d'Adam et d'Ève , de plusieurs patriarches et prophètes, de saint Joachim et de sainte Anne, qui se présentèrent et apparurent tous à la bienheureuse Vierge dans son oratoire. 512. La grande Dame adora son Fils et Dieu véritable prosternée avec toute la vénération qui lui était ordinaire. Les démons ne virent point le Seigneur, mais ils sentirent et reconnurent sa divine présence d'une manière différente, et, par la terreur qu'ils en eurent, ils essayèrent de fuir pour se soustraire à ce qu'elle leur annonçait. Mais le pouvoir divin les retint comme attachés avec de fortes chaises, en la manière que l'on doit supposer qu'il peut lier les natures spirituelles, et le Seigneur mit le bout de ces chaînes entre les mains de sa très-sainte Mère. 513. Tout à coup il sortit une voix du trône qui disait contre eux : " Aujourd'hui la colère du Tout-Puissant tombera sur vous, une femme descendante d'Adam et d'Ève vous brisera la tête (1), et la sentence qui fut prononcée dans le ciel et ensuite dans le paradis terrestre sera exécutée, parce que par votre désobéissance et votre orgueil vous avez méprisé l'humanité du Verbe et Celle qui la lui devait donner dans son sein virginal. " A l'instant la bienheureuse Marie fut relevée de terre où elle était, par le ministère de six des plus hauts séraphins qui entouraient (1) Gen., III, 15. 361 le trône; et l'ayant enveloppée d'une nuée toute resplendis saute, ils la placèrent à côté du trône même de son très-saint Fils. Et de son propre être et de sa divinité jaillit une splendeur ineffable qui la ceignit tout entière et qui la revêtit, comme si t'eût été le globe du soleil (1). La lune parut aussi sous ses pieds, marquant par là que l'auguste Vierge foulait toutes les choses terrestres et passagères, signifiées par les divers changements dé cette planète Ils lui mirent sur la tête un diadème ou une couronne de douze étoiles, symbole des perfections divines qui lui avaient été communiquées dans le degré possible à une simple créature. Elle paraissait aussi être grosse de la haute idée qu'elle avait au fond de son âme de l'être de Dieu, et de l'amour qui y correspondait dans une juste proportion. Elle criait comme étant dans les douleurs de l'enfantement (2), parce qu'elle voulait faire participer toutes les créatures y4i en étaient capables à cette idée de Dieu, à cet amour pour Dieu qu'elle avait conçus; et elles y résistaient, quoiqu'elle le désirât avec une ardeur qu'elle témoignait par ses larmes et ses gémissements. 514. Ce prodige si grand fut montré dans ce ciel tel qu'il avait été tracé dans l'entendement humain, à Lucifer, qui avait la forme d'un grand dragon roux , avec sept têtes, et dix cornes, et sept diadèmes sur ses têtes (3), marquant par cet horrible symbole qu'il était l'auteur des sept péchés capitaux, qu'il voulait (1) Apoc., XII, 1. - (2) Ibid., 2. - (3) Ibid., 3. 362 les couronner dans le monde par les hérésies qu'il allait forger, et qui pour cela étaient représentées par sept diadèmes; et que, par la subtilité et la force de ses artifices et de ses attaques, il avait presque détruit parmi les mortels la loi divine réduite aux dix commandements, contre lesquels il s'armait de dix cornes. Il entraînait aussi de sa queue la troisième partie des étoiles du ciel (1), qui figuraient non-seulement le grand nombre d'anges apostats qui le suivirent lors de sa désobéissance , mais aussi tant de fidèles qu'il a fait tomber du ciel de l'Église, et qui semblaient s'élever au-dessus des étoiles, soit parleur dignité, soit par leur sainteté. 515. Lucifer gardait cette forme si monstrueuse, et. ses démons avaient d'autres formes très-diverses, mais toutes des plus épouvantables. Tous se tenaient en ordre de bataille devant l'auguste Marie, qui allait produire le fruit spirituel par lequel l'Église devait se perpétuer et se nourrir. Et le dragon attendait qu'elle enfantât ce Fils pour le dévorer, en tâchant de détruire la nouvelle Église, par l'envie et la rage incroyable qu'il avait, de voir que cette femme coopérât si puissamment à l'établissement do l'Église, et parvint à la remplir de tant d'enfants et de tant de grâces par la fécondité de ses mérites, de ses exemples et de ses intercessions , et à attirer après elle tant de prédestinés pour le bonheur éternel. Et nonobstant l'envie du dragon, elle mit au monde un enfant mâle qui (1) Apoc., XII, 4. 363 devait gouverner toutes les nations avec un sceptre de fer (1). Cet enfant fut l'esprit infaillible et irrésistible de la même Église, qui, par la rectitude et la puissance de notre Seigneur Jésus-Christ, gouverne toutes les nations en justice; il en est de même de tous les hommes apostoliques qui seront appelés, su jugement universel, à juger comme le Seigneur, avec le sceptre de fer de la divine justice (2). Tout cela fut l'enfantement de la bienheureuse Marie, non-seulement parce qu'elle enfanta Jésus-Christ, mais encore parce quelle enfanta par ses mérites et par ses soins l'Église même à la sainteté et à la rectitude spirituelle, parce qu'elle la nourrit et éleva tant qu'elle vécut sur la terre, et enfin parce que maintenant et toujours elle la conserve et la maintient dans le même esprit fort avec lequel elle la fit naître, en continuant à assurer l'intégrité de la vérité catholique et de la doctrine contre laquelle les portes de l'enfer ne prévaudront point (3). 516. Saint Jean dit que ce Fils fut enlevé vers Dieu et mis sur le trône de Dieu, et que la femme s'enfuit dans un désert où Dieu lui avait préparé une retraite pour y être nourrie pendant mille deux cent soixante jours (4). C'est que tous les fruits légitimes de cette incomparable femme, tant dans la sainteté commune de l'esprit de l'Église que dans les âmes particulières qu'elle engendra et qu'elle engendre (1) Apoc., XII, 5. - (2) Matth., XIX, 28. - (3) Matth., XVI, 18. - (4) Apoc., XII, 5 et 6. 364 comme par son propre enfantement spirituel, tous arrivent au trône, où se trouve le fruit de l'enfantement naturel, qui est Jésus-Christ, dans lequel et pour lequel elle les engendre et les entretient. Quant au désert où la bienheureuse Marie se retira après ce combat, ce fut un état très-sublime et plein de mystères dont je dirai quelques mots dans la suite; et cet état est appelé désert, parce qu'elle est la seule de toutes les créatures qui y ait été élevée, et qu'aucune autre n'a pu l'obtenir ni y arriver. Ainsi elle s'y trouva seule, loin de toutes les créatures, comme je l'expliquerai; elle y fut surtout seule pour le démon, qui ignorait ce mystère plus que tous les autres, et qui ne put plus la tenter ni la persécuter en sa personne. Et le Seigneur la nourrit dans cette solitude pendant mille deux cent soixante jours, tant qu'elle vécut dans cet état avant de passer à un autre. 517. Lucifer connut tout cela, parce que tout cela lui fut annoncé avant que cette divine femme, ce signe vivant que lui et ses démons regardaient, se dérobât à leur vue. Par cette connaissance il perdit entièrement l'espoir dans lequel son grand orgueil l'avait entretenu pendant plus de cinq mille ans, de vaincre Celle qui devait être la Mère du Verbe incarné: Ou peut par là comprendre jusqu'à un certain point quels étaient le dépit et le tourment de ce grand dragon et de ses démons, dépit d'autant plus violent, tourment d'autant plus affreux, qu'ils se voyaient domptés et enchaînés par la femme, qu'ils avaient tant désiré faire déchoir de la grâce, et empêcher par leur furieux 365 acharnement d'enrichir l'Église de ses mérites et de ses œuvres. Le dragon faisait tous ses efforts pour se. retirer, et disait : " O Femme! donnez-moi la permission de me précipiter dans l'abîme; je ne puis demeurer en votre présence, et je ne m'y mettrai plus tant que vous vivrez en ce monde. Vous avez vaincu, ô Femme ! vous avez vaincu , et je reconnais que vous êtes puissante en la vertu de Celui qui vous a choisie pour être sa Mère. Dieu tout-puissant, punissez-nous par vous-même, car nous ne pouvons vous résister, et ne vous servez plus pour instrument d'une femme qui est d'une nature si inférieure à la nôtre, sa charité nous consume, son humilité. nous accable, elle est en tout un témoignage de votre miséricorde envers les hommes, et c'est ce qui nous tourmente plus que mille supplices. Allons donc, démons ! aidez-moi; mais que pouvons-nous tous ensemble contre cette femme, puisque avec toutes nos forces nous ne saurions nous en éloigner tant qu'elle ne voudra point nous chasser de son insupportable présence? O stupides enfants d'Adam! pourquoi me suivez-vous, et pourquoi laissez-vous la vie pour la mort, la vérité pour le mensonge? Quel aveuglement est le vôtre (c'est ce que j'avoue malgré moi) , puisque vous avez de votre côté et en votre nature le Verbe incarné et cette femme? Votre ingratitude est plus grande que la mienne, et cette femme m'oblige de confesser les vérités que j'abhorre de tout mon cœur. Maudite soit la résolution que j'ai prise de persécuter cette fille d'Adam, qui me tourmente et m'opprime de la sorte! " 366 518. Tandis que le dragon exhalait ces plaintes, le prince des milices célestes, saint Michel, apparut pour défendre la cause de la bienheureuse Marie et du Verbe incarné; et il engagea un autre combat avec le dragon et ses sectateurs par les armes de l'intelligence (1). Saint Michel et ses anges disputèrent avec eux, et les convainquirent de nouveau de leur ancien orgueil, de la désobéissance qu'ils avaient commise dans le ciel , et de la témérité avec laquelle ils avaient persécuté et tenté le Verbe incarné et sa Mère , sur lesquels ils n'avaient nul droit, puisqu'ils étaient exempts de tout péché, de tout défaut et de toute imperfection. Saint Michel justifia les oeuvres de la divine justice, déclarant qu'elles étaient très- équitables et irrépréhensibles en la punition de la désobéissance et de l'apostasie de Lucifer et de ses démons; et les saints anges les anathématisèrent, leur intimèrent de nouveau la sentence de leur punition, et proclamèrent le Tout-Puissant saint et juste en toutes ses oeuvres. Le dragon et les siens défendaient de leur côté la rébellion et l'audace de leur orgueil; mais toutes leurs raisons étaient fausses , vaines et pleines de présomption et d'erreurs diaboliques. 519. Il se fit un silence dans cette dispute , et le Seigneur des armées s'adressa en ces termes à la bienheureuse Vierge : " Ma Mère, ma bien-aimée, mon élue entre les créatures par ma sagesse éternelle, pour être ma demeure et mon saint temple, (1) Apoc., XII, 7. 367 c'est vous qui m'avez donné la forme d'homme, et qui avez réparé la perte du genre humain; c'est vous qui m'avez suivi et imité; vous qui avez mérité la grâce et les dons que je vous ai communiqués plus qu'à toutes mes créatures, et en vous ils n'ont jamais été oisifs et inutiles. Vous êtes l'objet digne de mon amour infini, la Protectrice, la Reine et la Maîtresse de mon Église. Vous avez ma commission et mon pouvoir, que, comme Dieu tout-puissant, j'ai mis à la disposition de votre très-fidèle volonté. Servez-vous en donc pour ordonner au dragon infernal de ne point semer dans l'Église, tant que vous y vivrez, l'ivraie des erreurs et des hérésies qu'il a inventées; abattez son orgueil et brisez-lui la tête (1), car je veux que, pendant votre vie, l'Église jouisse de cette faveur par votre présence. " 520. La bienheureuse Marie exécuta cet ordre du Seigneur, et avec l'autorité d'une Reine elle imposa silence aux dragons infernaux, et leur défendit de répandre parmi les fidèles les faussetés qu'ils avaient machinées, et de pousser la témérité, pendant qu'elle serait sur la terre, jusqu'à vouloir séduire aucun des mortels par leurs dogmes et leurs doctrines hérétiques. Cela arriva de la sorte, quoique le serpent irrité exit intention, pour se venger de notre grande Reine, de répandre ce venin dans l'Église; mais le Seigneur lui-même l'empêcha de le faire tant que la divine Mère (1) Gen., III, 15. 368 y vécut, et l'enchaîna, à cause de l'amour qu'il avait pour elle. Après sa glorieuse mort, le Très-Haut laissa agir le démon, en punition des péchés des hommes pesés dans la balance de la divine justice. 521. Ensuite, comme le dit saint Jean, le grand dragon, l'ancien serpent, appelé le démon et Satan, fut chassé avec ses anges de la présence de notre auguste Reine (1) ; il fut précipité sur la terre, où il eut une certaine liberté, comme si la chaîne avec laquelle il était lié avait été un peu allongée. Alors on entendit dans le Cénacle une voix qui fut celle de l'archange et qui disait : " Maintenant le salut de notre Dieu est affermi, et sa puissance et son règne, et la puissance de son Christ, parce que l'accusateur de nos, frères qui les accusait jour et nuit a été précipité (2), et ils ,l'ont vaincu par le sang de l'Agneau, et par le témoignage qu'ils lui ont rendu, et pour lui ils ont méprisé leur vie jusqu'à souffrir la mort (3). C'est pourquoi, ô cieux ! réjouissez-vous, et vous qui les habitez. Malheur à vous, terre et mer, parce que Satan est descendu vers vous dans une grande colère, sachant qu'il ne lui reste que peu de temps (4). " L'ange déclara par ces paroles qu'en vertu des victoires de la bienheureuse Marie et de celles de son Fils notre Sauveur, le royaume de Dieu, qui est l'Église, et les effets de la rédemption du genre humain pour les justes étaient assurés. Il appela tout cela salut, règne et puissance de (1) Apoc., XII, 9. - (2) Ibid., 10. - (3) Ibid.,11. - (4) Ibid.,12. 369 Jésus-Christ. Et l'ange ne se fit entendre que quand le combat fut terminé et quand le dragon fut vaincu et précipité dans la terre et dans la mer, parce que, si la bienheureuse Marie n'eût point vaincu le dragon infernal, cet impitoyable et puissant ennemi eût empêché les effets de la rédemption; et alors l'ange félicita les saints de ce que la grande Triomphatrice avait enfin brisé la tète et dissipé les desseins du démon qui calomniait les hommes , que le même ange appela frères par rapport à la nature spirituelle de l'âme, à la grâce et à la gloire qui établissent une espèce d'alliance entre nous et les esprits bienheureux. 522. Les calomnies par lesquelles le dragon persécutait et accusait les mortels , étaient les illusions et les erreurs avec lesquelles il prétendait pervertir les commencements de l'Église évangélique; et les raisons de justice qu'il alléguait devant le Seigneur consistaient en ce que les hommes, par leur ingratitude, par leurs péchés, et pour avoir ôté la vie à notre Sauveur Jésus-Christ, ne méritaient point le fruit de la rédemption ni la miséricorde du Rédempteur, mais devaient plutôt, en punition, être abandonnés dans leurs ténèbres et dans leurs péchés pour leur damnation éternelle. La très-pure Marie répondit à tout cela comme une Mère très-douce et très-clémente; elle nous mérita la foi et sa propagation , et l'abondance de toutes les miséricordes et de tous les dons qui nous ont été départis en vertu de la mort de son Fils, et dont ceux qui le crucifièrent , et les autres qui ne le reçurent point pour leur Rédempteur, s'étaient rendus 370 indignes par leurs péchés. Mais l'ange avertit les habitants de la terre, avec une, douloureuse compassion, de se prémunir contre les attaques de ce serpent, qui descendait vers eux dans une grande colère, parce qu'il crut sans doute qu'il lui restait peu de temps pour l'exercer, ayant connu les mystères de la rédemption , le pouvoir de l'auguste Marie, et l'abondance des grâces, des merveilles et des faveurs avec lesquelles la primitive Église s'établissait; car de tous ces événements il concluait que le monde finirait bientôt, ou que tous les hommes suivraient notre Seigneur Jésus-Christ, et se prévaudraient de l'intercession de sa Mère pour obtenir la vie éternelle. Mais, hélas ! les hommes ont été plus insensés et plus ingrats que le démon lui-même ne le pensait. 523. L'évangéliste, continuant l'exposition de ces mystères, dit que le grand dragon, se voyant précipité sur la terre , entreprit de poursuivre la femme mystérieuse qui avait mis au monde un enfant mille (1); mais que deux ailes d'un grand aigle lui furent données, afin qu'elle s'envolât au désert, au lieu de sa retraite, où elle est nourrie pendant un temps, des temps, et la moitié d'un temps, hors de la présence du serpent (2). C'est pourquoi le même serpent lança de sa gueule contre la femme de l'eau comme un fleuve, pour l'entraîner sil était possible (3). En ces paroles ou découvre davantage la colère de Lucifer contre Dieu, contre sa Mère et (19 Apoc., XII, 13. - (2) Ibid., 14. - (3) Ibid., 15. 371 contre l'Église; car on voit que, de son côté, ce dragon est toujours dévoré par la même envie, enflé du même orgueil; et il lui resta encore assez de malice pour tenter notre auguste Reine, s'il lui était resté assez de forces, et s'il avait pu se prévaloir de la même permission. Mais il ne l'avait plus pour la tenter; c'est pourquoi l'évangéliste dit que deux ailes d'aigle lui furent données afin qu'elle s'envolât dans le désert, où elle est nourrie pendant les temps qui sont fixés dans ce chapitre. Ces ailes mystérieuses furent la puissance ou la vertu divine, que le Seigneur donna à la bienheureuse Marie pour voler et monter à la vue de la Divinité, et descendre de là vers l'Église, afin de distribuer aux hommes les trésors de la grâce, dont nous parlerons dans le chapitre suivant. 524. L'évangéliste ajoute que, dans cette solitude, dans ce désert, elle était hors de la présence du serpent, parce que dès lors le démon n'eut plus permission de la tenter çn sa personne. Et les temps, le temps et la moitié d'un temps, font trois ans et demi, qui font, à quelques jours près, les mille deux cent soixante jours qui ont été marqués. La très-pure Marie passa le reste de sa vie mortelle dans cet état et en divers autres que je rapporterai. Mais comme le dragon perdit l'espoir de la tenter, il jeta le fleuve de sa malice venimeuse après cette incomparable femme (1). En effet, après la victoire qu'elle remporta (1) Apoc., XII, 15. 372 sur lui, il se mit à tenter les fidèles avec de nouvelles ruses; et à les persécuter par le moyen des Juifs et des Gentils; et surtout après la mort glorieuse de notre grande Dame, il lâcha le torrent des hérésies et des fausses doctrines, qu'il tenait comme renfermées dans son sein. Et les menaces qu'il proféra contre la bienheureuse Vierge furent les guerres qu'il prétendit lui faire en persécutant les hommes, objet de sa tendresse maternelle, pour se venger de .ce qu'il ne pouvait exercer sa rage sur la personne de cette puissante Reine. 525. C'est pour cette raison que saint Jean dit ensuite (1) que le dragon s'irrita contre la femme et alla combattre ses autres enfants, qui gardent la loi de Dieu, et rendent témoignage à Jésus-Christ. Et ce dragon s'arrêta sur le sable de la mer (2), c'est-à-dire au milieu des innombrables infidèles, des idolâtres et des juifs, d'où il fait la guerre à la sainte Église, outre celle qu'il fait secrètement en tentant les fidèles. Mais la terre ferme et stable, qui est l'immutabilité de la sainte Église et son incontestable vérité catholique, secourut la mystérieuse femme; car elle s'entr'ouvrit et engloutit le fleuve que le serpent lança contre elle (3). Et c'est ce qui arrive puisque la sainte Église, qui est l'organe et la bouche du Saint-Esprit, a condamné et convaincu toutes les erreurs et toutes les sectes pernicieuses par les paroles et par la doctrine qui sortent de cette bouche, (1) Apoc., XII, 17. - (2) Ibid., 18. - (3) Ibid., 16. 373 et que transmettent les divines Écritures, les conciles, les décisions, les docteurs et les prédicateurs de l'Évangile. 526. L'évangéliste renferma tous ces mystères et plusieurs autres, dans la description ou le récit de ce combat, et des triomphes de l'auguste Marie. Et pour les achever dans le Cénacle, quoique Lucifer en eût été chassé et se trouvât au dehors, attaché à la chaîne que notre victorieuse Reine tenait, cette grande Dame connut qu'il était temps, et que c'était la volonté de son très-saint Fils de le précipiter dans les cavernes de l'enfer. Et, en vertu de cette puissance divine, elle lâcha le grand dragon et tous ses démons, et leur commanda avec empire de,descendre à l'instant dans l'abîme. Aussitôt que la bienheureuse Vierge leur eut fait ce commandement, ils tombèrent tous dans les plus profonds gouffres de l'enfer, où ils restèrent quelque temps à exhaler leur rage dans des hurlements effroyables, pendant que les sainte anges chantaient de nouvelles hymnes de louanges au verbe incarné pour ses victoires, et pour celles de son invincible Mère. Nos premiers parents, Adam et Ève, lui rendirent des actions de grâces de ce qu'il avait choisi la très-pure Marie, leur fille, pour être sa Mère et la Réparatrice de la ruine dans laquelle ils avaient entraîné leur postérité; les patriarches, à leur tour, de ce qu'ils voyaient leurs prédictions et leurs désirs si heureusement et si glorieusement accomplis. Saint Joachim, sainte Anne et saint Joseph glorifièrent le Tout-Puissant avec une plus grande 374 joie de leur avoir donné une telle fille et une telle épouse, et tous ensemble ils chantèrent les louanges du Très-Haut, le reconnaissant pour saint et admirable dans ses conseils. L'auguste Marie se prosterna devant le trône et adora. le Verbe incarné; elle lui promit de nouveau de travailler pour l'Église, et lui demanda sa bénédiction ; et son très-saint Fils la lui donna avec des effets ineffables. Elle la demanda aussi à ses parents saint Joachim et sainte Anne, et à son époux saint Joseph; elle leur recommanda la sainte Église, et de prier pour tous ses fidèles. Et alors toute cette céleste compagnie se retira, et s'en retourna au ciel. Instruction que j'ai reçue de la Reine des anges. 527. Ma fille, la révolte de Lucifer et de ses démons a marqué dans le ciel le commencement des combats qui auront lieu jusqu'à la fin du monde, entre le royaume de la lumière et celui des ténèbres, entre Jérusalem et Babylone. Le Verbe incarné s'est constitué chef des enfants de la lumière, comme auteur de la sainteté et de la grâce; et Lucifer, auteur du péché et de la damnation, s'est constitué capitaine des enfants des ténèbres. Chacun de ces princes défend son parti, et tâche d'augmenter son royaume et ses imitateurs. Jésus-Christ se sert de la vérité de sa foi divine, des faveur de sa grâce, de 375 la sainteté de la vertu, des secours et des consolations dans les tribulations, et de l'espérance certaine de la gloire qu'il a promise aux siens; il a en outre ordonné à ses anges de les accompagner, de les soutenir et de les défendre jusqu'à ce qu'ils les eussent conduits dans son propre royaume (l). Lucifer s'attire et conserve des partisans par des fourberies, des mensonges et des trahisons ; par des vices énormes, des ténèbres et des désordres; il les traite aujourd'hui comme un tyran,, les opprimant sans aucun soulagement, les affligeant sans aucune consolation véritable, et, plus tard, il leur destine des tourments éternels et épouvantables, dont il les accablera avec la cruauté la plus horrible par lui-même et par ses démons, tant que Dieu sera Dieu. 528. Mais, hélas ! ma fille, quoique cette vérité soit si infaillible et si connue des mortels, la récompense tout autre et le prix infiniment différent, qu'il y a peu de combattants qui suivent Jésus-Christ, leur légitime Seigneur, leur Roi, leur Chef et leur Modèle ! Et qu'il y en a beaucoup que Lucifer retient sous sa bannière, lui qui ne les a point créés, qui ne leur a point donné la vie et la nourriture, qui n'a mérité leur fidélité par aucun bienfait, et n'a pu leur accorder aucune des faveurs qu'a faites et que fait l'Auteur de la. vie et de la grâce, mon très-saint Fils ! si grande est l'ingratitude des hommes, si folle leur infidélité, et si funeste leur aveuglement ! Ils (1) Ps., XC, 11. 376 sont doués d'une volonté libre pour suivre leur Chef et leur Maître, et pour lui témoigner leur reconnaissance; et cependant ils embrassent le parti de Lucifer, ils le servent gratuitement et lui donnent entrée dans la maison du Seigneur et dans son temple, afin qu'il le profane en tyran, et qu'il entraîne après lui le plus grand nombre des hommes dans les tourments éternels. 529. Ce combat dure toujours, parce que le Prince de l'éternité ne cessera jamais, dans sa bonté infinie, de défendre ses âmes qu'il a créées, et qu'il a rachetées par son sang. Mais il ne doit pas combattre avec le dragon par lui seul, non plus que par. ses anges car il est de la plus grande gloire de son saint nom de vaincre ses ennemis et de confondre leur opiniâtre orgueil par la main de ces mêmes créatures humaines, sur lesquelles ils prétendent se venger du Seigneur. Moi qui suis une simple créature, j'ai été la généralissime de ces guerres après mon Fils, qui était Dieu et homme véritable. Et quoique sa divine Majesté ait vaincu et en sa vie et en sa mort les démons, qui s'étaient enflés d'un nouvel orgueil à cause de l'empire que dès le péché d'Adam les mortels leur avaient donné, après sa Majesté je les vainquis à mon tour, en son nom, et c'est par ces victoires que la sainte Église a été établie en une perfection et une sainteté si sublimes, et Lucifer se trouvait réduit à une telle impuissance (comme je vous l'ai déjà déclaré), qu'elle s'y fût maintenue, si l'ingratitude et l'oubli des hommes ne lui eussent 377 rendu les forces, avec lesquelles il fait aujourd'hui tant de ravage dans le monde. 530. Toutefois, mon très-saint Fils n'abandonne pas son Église, qu'il a acquise par son sang (1), ni moi non plus, qui la regarde comme sa mère et sa protectrice ; nous voulons toujours y avoir quelques-unes qui défendent la gloire et l'honneur de Dieu, et qui combattent pour lui contre les démons pour leur plus grande confusion. Je veux que vous vous y disposiez avec la faveur de la divine grâce, sans vous étonner de la force du dragon, ni vous effrayer de votre misère et de votre pauvreté. Vous savez que la fureur de Lucifer fut plus grande contre moi que coutre aucune des créatures, et même que contre toutes ensemble; je le vainquis néanmoins glorieusement par la vertu du Seigneur : par elle vous pourrez vaincre cet ennemi en de moindres attaques. Ét quoique vous soyez faible et sans les qualités dont il vous semblé avoir besoin, je veux que vous compreniez que mon très-saint Fils agit maintenant en cela comme un Roi qui, manquant de soldats et de sujets, reçoit dans sa milice qui que ce soit qui veuille le servir. Animez-vous donc à vaincre le démon en ce qui vous regarde, car le Seigneur vous armera ensuite pour d'autres combats. Et je vous fais savoir que l'Église catholique ne serait point arrivée au triste état où vous la voyez aujourd'hui, s'il y eût eu en elle plusieurs âmes qui se fussent employées à (1) Act., XX, 28. 378 défendre. avec zèle la cause de Dieu et son honneur; mais cette cause est fort abandonnée, même des enfants que la sainte Église a élevés. CHAPITRE VIII. On déclare l'état dans lequel Dieu mit sa très-sainte Mère, par une vision de la Divinité abstractive, mais continuelle, après qu'elle eut vaincu les démons, et la manière d'opérer qu'elle avait dans cet état. 531. A mesure que les mystères de la sagesse infinie et éternelle s'accomplissaient en la bienheureuse Marie, cette grande Dame s'élevait de plus en plus au-dessus. de la sphère de sainteté accessible à la pensée de tout le reste des créatures. Et comme les victoires,qu'elle remporta sur le dragon infernal et sur ses démons eurent lieu dans les conditions et les circonstances, et furent accompagnées des faveurs que j'ai marquées , et que tout cela venait après les mystères de l'Incarnation, de la Rédemption, et les autres dans lesquels elle avait été Coadjutrice de son très-saint Fils, il est impossible à notre bassesse d'atteindre à une juste considération des effets que cela même produisait datas le coeur très-pur de la divine Mère. Elle repassait ces oeuvres du Seigneur dans son 379 esprit, et les pesait au poids de sa très-haute sagesse. L'embrasement du divin amour augmentait, en elle avec l'admiration des anges et des courtisans da ciel et les ressorts de la vie naturelle se fussent brisés dans les élans impétueux auxquels elle se laissait aller pour se plonger et se perdre dans l'abîme de la Divinité, si elle ne lui eût été conservée par miracle. Et comme elle se sentait en même temps attirer par la charité maternelle quelle avait pour ses enfants les fidèles, qui dépendaient tous d'elle comme les plantes dépendent du soleil qui les nourrit et qui les vivifie, elle se trouvait dans tin état ait elle vivait dans une très-douce mais très- forte violence pour concilier tous ces sentiments dans son cœur. 532. Telle fut la situation clans laquelle se vit la bienheureuse Vierge après les victoires qu'elle remporta sur le dragon. Dans tout le cours de sa vie, dols le premier instant qu'elle en jouit, elle avait pratiqué en tout temps, et suivant les circonstances, ce qui était le plus pur, le plus saint. et le plais sublime, sans qu'elle en eût été détournée, soit par les voyages, soit par les afflictions, soit par les soins qu'elle prenait de son très-saint Fils et de son prochain ; mais à cette époque il y eut une espèce de lutte dans son coeur très-ardent entre la force de l'amour divin et celle de l'amour qu'elle avait pour les rimes. Elle sentait en chacune de ces oeuvres de la charité la sainte mais violente émulation avec laquelle elles aspirent à des dons plus parfaits, et à de nouveaux effets de la grâce. D'un côté elle désirait se retirer de tout ce 380 qui est sensible, pour s'élever à la suprême et continuelle union avec la Divinité, sans aucun empêchement et sans aucune entremise des créatures, imitant les compréhenseurs, et se rapprochant plus encore de l'état de son très saint Fils lorsqu'il vivait sur. la terre, en tout ce qui n'était point jouir de la vision béatifique, que l'âme de notre adorable Sauveur avait par l'union hypostatique. Et quoique cela ne fût pas possible à la divine Mère,. il semble néanmoins que l'éminence de sa sainteté et l'excellence de son amour demandassent tout ce qui était immédiat à l'état de compréhenseur. D'un autre côté, l'amour qu'elle avait pour l'Église et le soin de secourir les fidèles dans toutes leurs nécessités , l'attiraient : car sans cet office de Mère de famille, on eût dit que les caresses et les faveurs du Très-Haut ne la satisfaisaient pas pleinement. Et comme il fallait du temps pour se livrer à ces occupations de Marthe, elle réfléchissait sur les moyens de les concilier avec le rôle de Marie, sans manquer ni aux unes ni à l'autre. 533. Le Très-Haut donna lieu à cet embarras de sa bienheureuse Mère, afin que le nouvel état qui lui avait été préparé par sa toute-puissance fût une faveur plus précieuse. Et pour l'en prévenir sa divine Majesté lui dit : " Mon Épouse et ma bien-aimée, les peines et les désirs de votre très-ardent amour ont blessé mon coeur, et par la vertu de ma droite je veux faire en vous une oeuvre qui ne s'est faite et qui ne se fera jamais à l'égard d'aucune nation, parce que vous êtes unique et choisie pour mes 381 délices entre toutes mes créatures. J'ai préparé pour vous seule un état et un lieu solitaire où je vous nourrirai par ma divinité comme les bienheureux, quoique d'une manière différente; vous y jouirez de ma vue continuelle et de mes embrassements dans la solitude, dans le repos et dans la tranquillité, sans que les créatures et votre condition de voyageuse vous gênent. De cette demeure vous prendrez librement votre essor pour vous élever à travers les espaces infinis que votre très-ardent amour demande, pour s'étendre sans mesure et sans limite; de là aussi vous descendrez vers ma sainte Église, dont vous êtes la Mère, et chargée de a mes trésors vous les départirez à vos frères, les distribuant selon votre volonté dans leurs nécessités et dans leurs afflictions, afin que par vous ils reçoivent le remède. " 534. C'est là le bienfait dont j'ai fait mention dans le chapitre précédent, et que l'évangéliste saint Jean a mystérieusement exprimé par ces paroles : La femme s'enfuit dans le désert où Dieu lui avait préparé une retraite pour y être nourrie pendant mille deux cent soixante jours (1). Et il ajoute plus loin : Que deux ailes d'un grand aigle lui furent données, afin qu'elle s'envolât dans le désert où elle est nourrie, etc. (2). Il est bien difficile qu'étant ignorante comme je suis, je puisse bien me faire entendre dans l'explication de eé mystère, parce qu'il contient plusieurs effets surnaturels (1) Apoc., XII, 6. - (2) Ibid., 14. 382 qui, sans exemple chez aucune créature , se sont produits dans les puissances de notre seule Reine l'auguste Marie, pour qui Dieu réserva cette merveille; et puisque la foi nous enseigne que nous ne pouvons mesurer sa toute-puissance incompréhensible, il est juste d'avouer qu'il a pu faire envers elle beaucoup plus que nous ne saurions comprendre, et qu'on ne lui doit refuser que ce qui renferme en soi une contradiction évidente. Quant à ce qui m'a été découvert afin que je l'écrive, je n'y trouve, supposé que je l'entende, rien qui répugne, rien qui empêche que cela ne soit comme je le connais; seulement les termes propres tue manquent pour l'exprimer. 535. Or, je dis qu'après les batailles et les victoires que notre invincible Reine gagna contre le grand dragon et ses démons, Dieu l'éleva à un état dans lequel il lui manifesta la divinité, non par une vision intuitive, comme aux bienheureux, mais au moyen des espèces créées, par une autre vision distincte, que dans tout le cours de cette histoire j'ai appelée vision abstractive, parce qu'elle ne dépend point de la présence réelle de l'objet, et que cet objet infini n'excite point l'entendement par lui-même comme présent, mais par d'autres espèces qui le représentent tel qu'il est en lui-même , quoiqu'il soit absent , eu la manière que Dieu pourrait me communiquer par infusion toutes les idées et toutes les images nécessaires pour me représenter Rome telle qu'elle est en elle-même. La bienheureuse Marie avait déjà eu cette vision de la Divinité dans le cours de sa vie, comme je l'ai souvent 383 répété dans cette histoire; mais, quoiqu'en substance elle ne fût point nouvelle pour elle, puisqu'elle l'eut à l'instant de sa conception (comme on l'a vu en son lieu ) , elle fut ici néanmoins nouvelle par deux conditions particulières : une, qu'elle fut dès ce jour-là continuelle et permanente jusqu'à ce que l'auguste Vierge mourût et passât à la vision béatifique, tandis que les autres fois elle n'avait été que passagère ; l'autre , qu'elle devint dès lors plus vive et plus complète , parce que ce bienfait fut accordé è la divine Mère à un degré plus sublime, plus admirable, plus excellent et au-dessus de toute règle et de toute pensée créée. 536. Pour cette nouvelle faveur, toutes ses puissances furent retouchées par le feu du sanctuaire, et c'étaient de nouveaux effets de la Divinité par lesquels elle fut illustrée et élevée au-dessus d'elle-même; et comme ce nouvel état participait à celui où se trouvent les bienheureux , et qu'en même temps il en différait, il faut que l'on sache en quoi consistaient la ressemblance et la différence. La ressemblance était, que la très-pure Marie regardait le noème objet de la Divinité et des attributs divins dont les compréhenseurs jouissent par une possession assurée, et le connaissait même plus qu'eux tous. La différence consistait en trois choses : la première, en ce que les bienheureux voient Dieu face à face et par nue vision intuitive, tandis que celle de l'auguste Vierge était abstractive, comme je l'ai dit; la seconde, en ce que les saints dans la patrie ne peuvent accroître le degré de la 384 vision béatifique ni de la jouissance essentielle, qui constituent la gloire de l'entendement et de la volonté; tandis que la très-pure Marie, en la vision abstractive qu'elle avait comme voyageuse, n'eut ni terme ni mesure: elle croissait chaque jour en la connaissance des attributs infinis et de l'être de Dieu; c'est pourquoi les ailes de l'aigle lui furent données, afin qu'elle volât toujours plus haut dans les espaces incommensurables de la Divinité, où il y a de plus en plus à connaître infiniment sans aucune qui borne les limites. 537. La troisième différence consistait en ce que les saints ne peuvent ni souffrir ni mériter ce qui n'est pas compatible avec leur état, taudis qu'en celui où était notre Reine, elle souffrait et méritait comme voyageuse. S'il en eût été autrement, le bienfait n'aurait pas été si grand et si estimable pour elle et pour l'Église, car les oeuvres et les mérites de cette grande Dame, dans cet état de grâce et de sainteté éminente, furent pour tous d'un pris extraordinaire. Elle était un spectacle nouveau et admirable pour les anges et pour les saints, et comme une image vivante de son très-saint Fils; car en qualité de Reine et de Maîtresse elle avait le pouvoir de distribuer les trésors, de la grâce, et en même temps elle les augmentait par ses mérites ineffables. Elle n'était point dans l'état des compréhenseurs; mais elle occupait parmi les voyageurs une place si voisine de celle qu'occupait notre Sauveur Jésus-Christ lorsqu'il vivait en ce monde, qu'encore que par rapport à lui elle fût voyageuse 385 quant à l'âme et quant an corps, étant comparée avec les autres voyageurs, elle ressemblait plutôt aux bienheureux. 538. Cet état où se trouvait la sainte Vierge des mandait qu'il y eût dans l'harmonie de ses sens un nouvel ordre, et pour l'exercice de ses facultés naturelles un nouveau mode d'action entièrement analogue ; aussi le Très-Haut changea-t-il celui qu'elle avait eu jusqu'alors, et cela de la manière qui suit Toutes les espèces ou images des créatures que les sens avaient transmises à l'entendement de la bienheureuse Marie, furent effacées de son âme, quoiqu'elle ne reçût (comme je l'ai dit dans cette troisième partie) des espèces et des images sensitives que celles qui étaient absolument nécessaires pour l'exercice de la charité et des autres vertus. Néanmoins, comme elles avaient quelque chose de terrestre , et qu'elles étaient entrées dans son entendement par les organes sensitifs du corps , le Seigneur les lui ôta, la délivrant et la purifiant de toutes ces images et de toutes ces espèces. Et pour remplacer celles qu'elle devait recevoir à l'avenir suivant l'ordre naturel des facultés sensitives et même intellectuelles, le Seigneur répandit dans la partie supérieure de son entendement d'autres espèces plus pures et plus immatérielles , au moyen desquelles elle entendait et connaissait les choses d'une maniéré plus sublime. 539. Les savants pénétreront facilement cette merveille. Et pour me faire mieux comprendre de tous, je ferai remarquer que lorsque nous usons des cinq 386 sens corporels extérieurs par lesquels nous entendons, nous voyons et nous goûtons, nous recevons de l'objet que nous sentons certaines impressions qui se transmettent à une autre paissance intérieure et physique, qu'on appelle sens commun, imagination , fantaisie ou faculté estimative; que là ces impressions se combinent et se réunissent; afin que ce sens commun vérifie ou sente tout ce qui est entré par les cinq sens extérieurs, puisqu'elles y restent en dépôt comme dans un magasin commun à toutes; et jusqu'ici nous sommes semblables en cela aux animaux, sauf quelques différences. Lorsque chez nous, qui sommes raisonnables, ces impressions ou espères ont été mitée en dépôt ou sont entrées dans le sens commun, dans l'imagination, notre entendement s'en sert pour agir selon l'ordre que nos puissances ont naturellement, et le même entendement produit d'autres espèces spirituelles un immatérielles, par une opération qui leur fait donner le nom d'entendement agissant; et c'est par ces espèces spirituelles ou idées, qu'il tire de son propre fonds, qu'il connaît et perçoit naturellement ce qui entre par les sens. C'est pourquoi les philosophes disent qu'il faut que notre entendement, pour percevoir, s'adresse à la fantaisie, et qu'il l'explore pour y puiser les espèces de ce qu'il doit percevoir, selon l'ordre naturel des puissances, parce que l'âme est unie au corps, dont elle dépend en ses opérations. 540. Mais chez la bienheureuse Marie arrivée à l'état dont je parle, cet ordre ne se gardait pas eu 387 tout, attendu que le Seigneur établit miraculeusement en elle pour l'entendement un autre mode d'action, indépendant de la fantaisie et du sens commun. Ainsi, su lieu des espèces que son entendement devait naturellement tirer des objets sensibles qui entraient par les sens, le Très- Haut lui en communiquait d'autres qui les représentaient d'une manière plus relevée; quant à celles qu'elle acquérait par les sens, elles s'arrêtaient dans l'imagination, sans que l'entendement agissant opérât par leur moyen, car il était en même temps illustré par les espèces surnaturelles qui lui étaient infuses. Notre grande Reine ne se servait de celles qu'elle recevait dans le sens commun qu'autant qu'il le fallait pour sentir et souffrir les douleurs , les afflictions et les peines sensibles. De sorte qu'il se reproduisit en réalité dans ce temple de l'auguste Marie ce qui arriva dans celui qui en était la figure: c'est que l'on taillait et achevait de polir toutes les pierres hors du temple, où l'on n'entendit ni marteau , ni cognée, ni le bruit d'aucun instrument (1). Les animaux étaient aussi égorgés et offerts en sacrifice sur l'autel qui était hors du sanctuaire (2); et dans ce saint lieu on n'offrait que l'holocauste de l'encens et des parfums qui brûlaient dans le feu sacré (3). 541. Ce mystère s'exécutait en notre grande Reine, car c'était dans la partie inférieure des sens de son âme quelle taillait les pierres des vertus qui regardaient (1) III Reg., VI, 7. - (2) Exal., XL., 27. - (3) Levit., VI, 12. 388 l'extérieur. Dans le vestibule des sens communs, elle faisait le sacrifice des peines, des douleurs et des tristesses qu'elle éprouvait pour les enfants de l'Église et dans leurs tribulations. Et dans le Saint des saints des, puissances de l'entendement et de la volonté, elle n'offrait que le parfum de sa contemplation et de la vision de la Divinité, et le feu de son incomparable amour. Les espèces qui entraient par les sens n'étaient pas proportionnées à tout cela, car elles représentaient les objets d'une manière plus terrestre et avec le bruit propre à leurs opérations; c'est pour cette raison que le pouvoir divin éloigna ces espèces, et les remplaça par d'autres infuses et surnaturelles des mêmes objets; mais elles étaient plus pures, pour servir à la contemplation de la vision abstractive de la Divinité, et pour accompagner dans l'entendement de la bienheureuse Vierge celles qu'elle avait de l'être de Dieu, qu'elle regardait incessamment, et qu'elle aimait dans le repos, dans la tranquillité et dans la sérénité d'une paix inviolable. 542. Ces espèces infuses dépendaient de l'être de Dieu, car elles représentaient en Dieu toutes choses à l'entendement de l'auguste Marie, comme le miroir représente aux yeux tout ce qu'on y met devant, de telle sorte qu'ils l'aperçoivent sans se détourner, pour regarder l'objet en lui-même. C'est ainsi qu'elle connaissait en Dieu toutes choses, ce que les enfants de l'Église demandaient, ce dont ils avaient besoin, ce qu'elle devait faire pour eux selon les peines qu'ils souffraient, et tout ce que la volonté divine ordonnait 389 à cet égard , afin qu'elle s'accomplit sur la terre comme au ciel , vue dans laquelle la bienheureuse Vierge demandait et obtenait tout du Seigneur. Le Tout-Puissant excepta de cette manière d'entendre et d'agir les oeuvres que la divine Mère devait faire pour obéir à saint Pierre et à saint Jean, et quelquefois aux autres apôtres. Elle-même demanda cette exception au Seigneur, pour ne pas interrompre l'obéissance, qui lui était si chère , et pour faire comprendre que par cette vertu l'on connaît la volonté de Dieu avec tant de certitude et d'assurance, que celui qui obéit n'a pas besoin de recourir à d'autres moyens pour la connaître; il n'a qu'à savoir si c'est son supérieur qui lui commande telle chose : car alors c'est sans doute ce que Dieu lui ordonne, ce qui lui est convenable , et ce que sa divine Majesté veut. 543. Pour tout le reste, en dehors de cette obéissance, qui s'étendait à l'usage de la sainte communion, l'entendement de la bienheureuse Marie ne dépendait point du commerce des créatures sensibles ni des images qu'elle en pouvait recevoir par les sens. Elle en fut entièrement délivrée, et se trouva dans la solitude intérieure, où elle jouissait de la vue abstractive de la Divinité, sans l'interrompre jamais, qu'elle dormît ou qu'elle veillât , qu'elle travaillât ou qu'elle fût en repos, et sans avoir besoin de raisonnements et de réflexions pour découvrir ce qui était de la plus haute perfection et le plus agréable au Seigneur, de même que les nécessités de l'Église, le temps et la 390 manière d'y pourvoir. Elle connut tout cela par la vue de la Divinité, comme les bienheureux par celle qu'ils ont. Et comme ce qu'ils connaissent le moins est ce qui regarde les créatures, de même notre grande Reine, outre ce qui concernait l'état de la sainte Église, son gouvernement et celui de toutes les âmes, connaissait comme principal objet les mystères incompréhensibles de la Divinité plus que tous les anges et que tous les saints ensemble. Ce fut là le pain et l'aliment de vie, éternelle dont elle fut nourrie dans cette solitude que le Seigneur lui avait préparée. De cette heureuse retraite elle prenait soin de l'Église sans se troubler, prévoyait tout sans inquiétude, et s'occupait sans se distraire, étant en tout remplie de Dieu, revêtue au dedans et au dehors de l'or très-pur de la Divinité, entièrement plongée et abîmée clans cet océan incompréhensible, et pourtant toujours attentive aux besoins et su salut de tous ses enfants, car sans cette sollicitude sa charité maternelle n'aurait pas été pleinement satisfaite. 544. C'est pour cela que les deux ailes d'un grand aigle lui furent données, avec lesquelles elle s'éleva si haut, qu'elle arriva à la solitude et à l'état où jamais n'a pu atteindre ni la pensée des hommes ni la pensée des anges; elle reçut aussi ces deux ailes, afin qu'elle descendit de cette hanté demeure, et quelle volât au secours des mortels, non d'un vol mesuré, mais d'un vol prompt et rapide. O prodige de la toute-puissance de Dieu! O merveille inouïe qui manifeste de la sorte sa grandeur infinie! Les paroles 391 me manquent, ma raison s'arrête devant un si profond mystère, dont la considération dépasse la portée de mon esprit. Heureux siècle d'or de la primitive Église, qui jouit d'un si grand bien! Ah! que nous serions heureux nous-mêmes si nous parvenions à mériter que le Seigneur renouvelât dans nos temps calamiteux ces prodiges et ces merveilles par sa bienheureuse Mère au degré possible; et dans la mesure de nos nécessités et de nos misères! 545. On appréciera mieux le bonheur de ce siècle et la manière d'agir de l'auguste Marie dans l'état dont je parle, si on l'observe dans divers faits qui se passèrent en certaines âmes qu'elle gagna au Seigneur. Pour citer un exemple, je dirai qu'il y avait à Jérusalem un homme fort connu parmi les Juifs à cause de la distinction de son rang et de sou esprit, qui avait quelques vertus morales-, mais qui du reste était fort zélé pour sa vieille loi, comme l'avait été saint Paul , et fort opposé. à la doctrine et à la loi de notre Sauveur Jésus-Christ. La très-pure Marie connut cela dans le Seigneur, qui par les prières de sa divine Mère avait préparé la conversion de cet homme. Et elle désirait vivement qu'il entrât dans le chemin de la vie et du salut, à cause de la bonne opinion qu'elle en avait. Elle le demanda au Très-Haut avec toute la ferveur de son ardente charité, et sa divine Majesté le lui accorda. Avant due notre grande Reine fût parvenue à l'état dont je parle, elle eût consulté la prudence et la très-sublime lumière qu'elle avait pour chercher les moyens propres à convertir cette âme ; 392 mais elle n'eut pas besoin ici de cette consultation, il lui suffit de regarder le Seigneur, dans lequel elle découvrait par son application tout ce qu'elle devait faire. 546. Elle connut que cet homme viendrait vers elle par le moyen de la prédication de saint Jean, et qu'il fallait qu'elle dît au saint d'aller prêcher en quelque endroit où ce Juif pût l'entendre. L'évangéliste fit ce qu'elle souhaitait, et en même temps l'ange gardien de cette âme lui inspira la pensée d'aller voir la Mère du Crucifié, dont tout le monde louait la charité , la modestie et la douceur. Cet homme ne devina pas alors le bien spirituel qui lui pouvait résulter de cette visite, car il n'avait point la lumière divine pour le connaître; mais, sans songer à cette fin, il résolut d'aller voir notre auguste Reine par une curiosité humaine, désirant savoir par lui- même quelle était cette femme si estimée de tous. Il se rendit auprès de la bienheureuse Marie, et à peine l'eut-il vue et eut-il entendu les paroles qu'elle lui adressa avec une prudence toute céleste, qu'il fut tout changé, tout renouvelé ! Il se prosterna aux pieds de la divine Mère, reconnaissant Jésus-Christ pour le Rédempteur du monde, et demandant son baptême. Il le reçut incontinent de la main de saint Jean; et au moment où l'apôtre prononçait la formule de ce sacrement, le Saint-Esprit vint sous une forme visible sur le catéchumène, qui devint un homme d'une grande sainteté. La très-pure Marie lit un cantique de louange au Seigneur pour ce bienfait. 393 547. Il y eut aussi une femme de Jérusalem qui , après avoir reçu le baptême abjura, la foi, ayant été trompée du démon par le moyen d'une sorcière sa. parente. Notre charitable Reine eut connaissance de la chute de cette âme, parce qu'elle la découvrit dans le Seigneur. Affligée de cet événement, elle travailla à la conversion de cette femme par beaucoup d'exercices, de larmes et de prières; mais la conversion est toujours plus difficile pour ceux qui s'éloignent volontairement du chemin de la vie éternelle après avoir commencé à y marcher. Néanmoins les prières de l'auguste Marie obtinrent le remède de cette âme séduite par le serpent. Ensuite cette charitable Reine connut qu'il fallait que l'évangéliste lui adressât quelques exhortations et tâchât de lui faire connaître son péché. Saint Jean le fit, et cette femme l'écouta avec beaucoup de docilité, se confessa à lui et recouvra la grâce. La bienheureuse Vierge lui donna de son côté plusieurs avis, afin qu'elle y persévérât et qu'elle résistât au démon. 548. En ce temps-là Lucifer et ses démons n'osaient point inquiéter l'Église dans Jérusalem, car ils craignaient de s'en approcher , à cause de la présence de notre puissante Reine; sa vertu les terrifiait et les éloignait. C'est pour cette raison qu'ils résolurent d'aller du côté de l'Asie, où saint Paul et quelques autres apôtres prêchaient, et entreprirent d'enlever quelques fidèles dans leurs filets. Ils en pervertirent plusieurs, et s'efforcèrent de les faire apostasier et de s'en servir pour troubler on empêcher la prédication. 394 Notre très-zélée Princesse connut en Dieu ces machinations du dragon infernal, et pria sa divine Majesté d'y remédier, s'il était convenable d'en prévenir les suites. Il lui fut répondu d'agir elle-même comme Mère et comme Reine et Maîtresse de tout ce qui est créé, et qu'elle avait trouvé grâce aux yeux du Très-Haut. Avec cette permission du Seigneur elle se revêtit d'une force invincible, et comme la fidèle épouse qui se lève du lit nuptial ou du trône de son époux, et prend ses propres armes pour le défendre contre ceux qui prétendent l'insulter, de même notre auguste Dame, avec les armes du pouvoir divin, se leva contre le dragon, lui arracha la proie qu'il allait dévorer, l'accablant sous le poids de son autorité et de ses vertus, et lui enjoignant de se précipiter de nouveau dans l'abîme. Et ce que la bienheureuse Marie ordonna fut exécuté. Je pourrais rapporter une infinité d'autres événements de ce genre entre les merveilles qu'elle opéra, mais ceux-là suffiront pour faire connaître l'état auquel elle était élevée, et la manière dont elle y agissait. 549. Pour compléter ce récit par un renseignement précieux, nous devons calculer l'âge qu'avait la sainte Vierge lorsqu'elle reçut ce bienfait, en résumant ce qui a été marqué en d'autres chapitres. Quand elle se rendit de Jérusalem à Éphèse, elle avait cinquante-quatre ans trois mois et vingt-six jours; et ce fut l'an 60 de la naissance du Sauveur, le 8 janvier. Elle demeura deux ans et demi à Éphèse, et revint à Jérusalem le 6 juillet de l'an 42, à l'âge 395 de cinquante-six ans et dix mois. Le premier concile dont j'ai parlé fut tenu par les apôtres, deux mois après que notre Reine fut retournée d'Éphèse à Jérusalem, de sorte que dans le temps de ce concile elle accomplit sa cinquante-septième année. Puis eurent lieu les combats qu'elle soutint contre les démons, et les triomphes qu'elle remporta sur eux ; ensuite elle passa à l'état que j'ai décrit, entrant en sa cinquante-huitième année, quarante-deux ans et neuf mois après la naissance de notre Sauveur Jésus-Christ. Elle resta dans cet état pendant les mille deux cent soixante jours dont saint Jean fait mention a chapitre douzième de l'Apocalypse, pour passer bientôt à celui que je dirai dans la suite. Instruction que la Reine du ciel m'a donnée. 550. Ma fille, il n'y a aucun des mortels qui puisse se disculper, s'il ne perfectionne sa vié à l'imitation de celle de mon très-saint Fils et de la mienne, puisque nous leur avons fourni l'exemple et le modèle où ils peuvent tous trouver de quoi imiter chacun dans son état; ainsi ils n'ont point d'excuse s'ils ne deviennent parfaits à la vue de leur Dieu incarné, qui s'est rendu le Maître de la sainteté pour tous. Mais sa divine volonté choisit quelques âmes et les sépare de l'ordre commun, afin que le fruit de son 396 sang profite davantage en elles, que l'imitation de sa vie et de la mienne se conserve plus parfaite, et que la bonté, la toute-puissance et la miséricorde divine se manifestent avec éclat dans l'Église. Et lorsque les âmes choisies pour de telles fins correspondent au Seigneur avec un fidèle et fervent amour, ce n'est que par une ignorance toute terrestre que les autres peuvent s'étonner que le Seigneur se montre si libéral envers elles, et si puissant à leur faire des faveurs qui surpassent la pensée humaine. Ceux qui les mettent en doute veulent priver Dieu de la gloire qu'il prétend avoir en ses oeuvres, et présument de les mesurer et de les régler d'après l'étroitesse et la bassesse de l'esprit humain, qui chez de pareils incrédules est d'ordinaire et plus dépravé et plus obscurci par les péchés. 551. Et si les âmes choisies de Dieu sont elles-mêmes si grossières que de douter de ses bienfaits, ou qu'elles ne se disposent point à les recevoir et à en user avec la prudence et avec l'estime que les oeuvres du Seigneur méritent, il est certain que sa divine Majesté est plus offensée par ces âmes à qui elle a distribué tant de dons et tant de talents, que par les autres qui n'ont pas été aussi favorisées. Le Seigneur ne veut pas qu'on méprise le pain des enfants et qu'on le donne aux chiens (1), ni que l'ou jette les perles devant ceux qui- les foulent aux pieds (2), parce que ces bienfaits d'une grâce particulière (1) Matth., XV, 26. - (2) Matth., VII, 6. 397 sont ce qu'il réserve par sa très-hauts providence; et la partie principale du prix de la rédemption du genre humain. Sachez donc, ma très-chère fille, que les rimes qui se laissent abattre par peu de confiance dans les événements contraires à leurs inclinations ou fort difficiles, commettent cette faute; et celles qui par une fausse humilité empêchent que le Seigneur ne se serve d'elles comme d'instruments de sa puissance pour tout ce qui est de son bon plaisir, y tombent aussi. Cette faute est encore plus blâmable lorsqu'elles ne veulent point reconnaître et glorifier Jésus- Christ en ces oeuvres pour éviter les peines qui pourraient leur eu résulter, et ce que le monde dira de choses qu'il trouvera étranges. De sorte qu'elles ne veulent servir le Seigneur, et ne faire sa volonté qu'en ce qui s'accorde avec la leur. Si elles doivent pratiquer un acte de vertu , ce doit être avec de certaines commodités; si elles doivent aimer, ce doit être dans la tranquillité qu'elles souhaitent; si elles doivent croire et estimer ces bienfaits, ce doit être en jouissant des caresses et des consolations. Mais lorsqu'il faut essuyer quelque affliction, ou souffrir quelque chose pour Dieu, aussitôt elles se plaignent, 29/30 CHAPITRE X. Le souvenir et les exercices de la passion auxquels la bienheureuse Marie se livrait. - La vénération avec laquelle elle recevait la sainte communion , et quelques autres oeuvres de sa vie trèsparfaite. Instruction que j'ai reçue de la grande Reine des anges. CHAPITRE XI. Le Seigneur éleva par de nouveaux bienfaits la bienheureuse Mère au-dessus de l'état dont il a été parlé dans le chapitre huitième de ce livre. Instruction que la grande Reine des anges m'a donnée. CHAPITRE XII. Comment l'auguste Marie célébrait son Immaculée Conception et sa Nativité. - Les bienfaits qu'elle recevait ces jours-là de son Fils notre Sauveur Jésus-Christ. Instruction que j'ai reçue de la grande Reine du ciel la bienheureuse Marie. CHAPITRE XIII. La bienheureuse Marie célèbre d'autres fêtes avec ses anges, notamment sa Présentation et les fêtes de saint Joachim, de sainte Anne et de saint Joseph. Instruction que la grande Reine du ciel m'a donnée. CHAPITRE XIV. La manière admirable avec laquelle la bienheureuse Marie célébrait les mystères de l'Incarnation et de la Nativité du Verbe incarné, et reconnaissait ces grands bienfaits. Instruction que j'ai reçue de la grande Reine des anges. CHAPITRE XV. Des autres fêtes que la bienheureuse Marie célébrait. - De la Circoncision, de l'Adoration des Rois, de sa Purification, du baptême, du jeûne de Jésus-Christ, de l'institution du très-saint Sacrement, de la Passion et de la Résurrection. Instruction que m'a donnée la grande Reine des anges. CHAPITRE XVI. De quelle manière la bienheureuse Marie célébrait les fêtes de l'Ascension de notre Sauveur Jésus-Christ, de la venue du Saint-Esprit, des anges et des saints, et comment elle faisait mémoire des bienfaits qu'elle avait reçus. Instruction que j'ai reçue de la grande Reine des anges. CHAPITRE XVII. Le Très-Haut envoya en ambassade l'ange saint Gabriel à la bienheureuse Marie, pour lui annoncer qu'il ne lui restait plus que trois ans à vivre sur la terre. - Ce qui arriva à saint Jean et à toutes les créatures à la suite de cet avis du Ciel. Instruction que j'ai reçue de la grande Reine des anges. CHAPITRE X. Le souvenir et les exercices de la passion auxquels la bienheureuse Marie se livrait. - La vénération avec laquelle elle recevait la sainte communion , et quelques autres oeuvres de sa vie trèsparfaite. 573. Sans négliger le gouvernement extérieur de l'Église, ainsi qu'on l'a vu jusqu'ici, la grande Reine du ciel se livrait dans sa solitude à d'autres exercices secrets, par lesquels elle méritait et obtenait de la main du Très-Haut des bienfaits innombrables pour 420 la même Église, tant en commun pour tous les fidèles, que pour des milliers d'âmes en particulier, qui parvinrent ainsi à la vie éternelle. Je rapporterai, de ces oeuvres cachées qui ont été ignorées jusqu'à présent, ce que je pourrai, dans ces derniers chapitres, pour notre instruction, pour notre admiration et pour la gloire de cette bienheureuse Mère. Je commence donc par faire savoir qu'entre plusieurs privilèges dont notre auguste Princesse jouissait, elle avait toujours présents dans sa mémoire toute la vie, toutes les rouvres et tous les mystères de son très-saint Fils; car, outre la continuelle vision abstractive de la Divinité qu'elle ne cessa d'avoir dans ces dernières années, et par laquelle elle connaissait toutes choses, le Seigneur lui accorda dès sa conception qu'elle n'oubliât jamais ce qu'elle avait une fois connu et appris , parce qu'elle jouissait en cela du privilège des anges, comme on l'a vu dans la première partie. 574. J'ai dit aussi dans la seconde partie, en faisant le récit de la Passion, que la divine Mère sentit en son corps et en son âme très-pure toutes les douleurs que notre Sauveur Jésus-Christ y souffrit, sans que rien lui fût caché, et sans qu'il y eût aucune peine qu'elle ne sentit avec le même Seigneur. Toutes les images ou espèces de la Passion demeurèrent imprimées dans son intérieur, telles qu'elle les reçut suivant la demande qu'elle en fit au Seigneur. Ces images n'en furent point effacées, comme les autres images sensibles, par la vision de la Divinité dont j'ai signalé les effets; mais au contraire Dieu les perfectionna, 421 afin qu'elles établissent une compatibilité miraculeuse entre la jouissance actuelle de cette vision et le sentiment simultané de ces douleurs, comme notre. grande Reine le désirait pour tout le temps qui lui restait à vivre dans sa chair mortelle; car, autant que cela dépendait de sa volonté, elle se consacra entièrement à ces exercices de la Passion. Son très-fidèle et très-ardent amour ne lui permettait point de vivre sans souffrir avec son très-doux Fils, depuis qu'elle l'avait vu et qu'elle l'avait accompagné du jardin des Oliviers au Calvaire. Néanmoins le Seigneur ne cessa de la combler des plus rares faveurs, ainsi que l'atteste toute cette histoire; mais ces faveurs, ces caresses furent des gages et des témoignages de l'amour réciproque de son très-saint Fils, qui, selon notre manière de concevoir, ne pouvait s'empêcher de traiter sa très-pure Mère en Dieu d'amour, tout-puissant et riche en miséricordes infinies. Quant à la très-prudente Vierge, elle ne sollicitait ni ne souhaitait ces faveurs, car elle ne tenait à la vie que pour être crucifiée avec Jésus- Christ, et pour continuer et renouveler en elle les douleurs de sa Passion ; sans cela il lui semblait inutile de vivre dans une chair passible. 575. C'est pourquoi elle régla ses occupations de telle sorte, qu'elle eut toujours au fond de son âme l'image de son très-saint Fils maltraité, affligé, couvert de plaies et défiguré par les souffrances de sa Passion , le regardant en elle-même en cette forme comme dans le miroir le plus brillant. Elle entendait les 422 injures, les affronts et les blasphèmes qu'il souffrit ; elle voyait les lieux , connaissait les temps et les circonstances de toute la Passion, et en contemplait à la fois toutes les scènes d'un oeil vif et pénétrant. Et quoiqu'à la vue de ce triste spectacle elle continuât durant tout le jour. des actes héroïques de toutes les vertus , et qu'elle sentit une grande douleur et une tendre compassion son très-prudent amour ne se contenta point de ces exercices, et la porta à en pratiquer d'autres avec ses anges, à certaines heures et à des moments déterminés auxquels elle se trouvait seule, surtout avec ceux qui portaient les devises des instruments de la Passion, comme je l'ai marqué dans la première partie. Elle voulut que ceux-là d'abord, et les autres anges ensuite, se joignissent à elle dans les exercices suivants. 576. Pour chaque espèce de plaies et de douleurs que souffrit notre Sauveur, elle fit des hymnes particulières avec lesquelles elle l'adorait d'une manière spéciale. Pour les injures dont l'accablèrent les Juifs et ses autres ennemis dans le cours dé sa vie apostolique, à cause de l'envie que leur inspiraient ses miracles, et dans le cours de sa très sainte Passion, pour exercer leur vengeance et leur fureur, pour chacune de ces injures, pour chaque parole blasphématoire, elle fit un cantique particulier, par lequel elle rendait au Seigneur la vénération quo ses ennemis s'obstinaient à lui refuser, et l'honneur qu'ils cherchaient à ternir. Pour chacune des moqueries, pour chacune des avanies qu'il essuya, 423 elle s'humiliait profondément par des génuflexions et des prosternations réitérées. De sorte qu'elle réparait et effaçait pour ainsi dire les opprobres et les ignominies dont son très-saint fils avait été couvert, et en sa vie et en sa mort, glorifiant sa divinité, son humanité, sa sainteté, ses miracles, ses oeuvres et sa doctrine. Elle l'exaltait et le magnifiait pour tout cela, et les saints anges ne cessaient de se joindre à elle, et répondaient aux cantiques qu'elle faisait, frappés d'admiration à la vue d'une telle sagesse, d'une telle fidélité et d'un tel amour chez une simple créature. 577. Assurément, quand même la bienheureuse Vierge ne se fût occupée pendant toute sa vie qu'à ces exercices de la Passion , elle eût plus souffert et plus mérité que. tous les saints ensemble. La violence dr. l'amour et des douleurs qu'elle sentait dans ces exercices, lui fit maintes fois subir un véritable martyre, car elle y eût succombé autant de fois, si la vie ne lui eût été conservée parla vertu divine, pour augmenter ses mérites et sa gloire. Or, si nous considérons qu'elle offrait toutes ces a ouvres pour l'Église , et avec quelle ardente charité elle le faisait, nous comprendrons combien ses enfants les fidèles sont redevables à cette Mère de clémence d'avoir augmenté avec tant d'abondance le trésor dont elle les enrichit , eux qui n'étaient d'abord que de misérables descendants d'Ève. Et afin que nous apportions dans notre méditation moins de mollesse et de tiédeur, je dis que les effets de celle de la bienheureuse Vierge étaient inouïs, car il arrivait souvent qu'elle versait des larmes de sang jusqu'à en 424 avoir le visage inondé; d'antres fois elle était baignée des sueurs de l'agonie , et des gouttes d'eau et de sang ruisselaient jusqu'à terre. Bien plus, la violence de la douleur arracha en certains cas son coeur de son siège naturel; et lorsqu'elle était réduite à une telle extrémité, son très-saint Fils descendait du ciel pour la fortifier, et pour guérir la blessure que son amour avait faite, ou que sa très-douce Mère avait reçue pour lui; et le même Seigneur la réconfortait, la renouvelait, afin qu'elle pût continuer ses douloureux exercices. 578. Comme je le dirai dans la suite, le Seigneur n'épargnait ces effets pénibles à la divine Mère que les jours qu'elle célébrait le mystère de la résurrection, afin que les effets correspondissent à leur cause. En outre, il y avait quelques-unes de ces peines qui n'étaient point compatibles avec les faveurs dont les effets rejaillissaient jusque sur le corps de la bienheureuse Vierge, car alors la jouissance excluait la peine Mais, même en ce cas, elle ne perdait jamais de vue l'objet de la Passion, et cet objet lui inspirait une nouvelle compassion, qui lui faisait mêler la reconnaissance de ces faveurs avec celle qu'elle éprouvait à la pensée de ce que son très-saint Fils avait souffert. De sorte qu'à la jouissance que lui procuraient les bienfaits elle joignait toujours lé souvenir de la Passion du Seigneur, pour tempérer jusqu'à un certain point par cette amertume la douceur des caresses. Elle fit aussi que l'évangéliste saint Jean lui permit de se retirer chaque vendredi de l'année pour célébrer 425 la mort et les funérailles de son très-saint Fils, et ce jour-là elle ne sortait point de son oratoire. Saint Jean restait dans le Cénacle pour répondre à ceux qui la demandaient, et afin que personne ne la troublât dans sa retraite; et lorsque l'évangéliste était occupé ailleurs, un autre disciple prenait sa place. La bienheureuse Vierge se retirait pour cet exercice le jeudi à cinq heures du soir, et ne sortait point jusque vers le midi du dimanche. 1lisis afin de ne pas laisser en souffrance les affaires importantes qui pouvaient se présenter pendant ces trois jours, notre grande Reine ordonna à l'un de ses anges de sortir sous sa forme en cas de nécessité, et alors le courtisan céleste expédiait rapidement ce qui ne pouvait pas être différé: si grande était la prévoyance qu'elle apportait en toutes les rouvres de charité utiles à ses enfants les fidèles. 579. Nous ne saurions ni exprimer ni même concevoir ce qui se passait en la divine Mère durant cet exercice de trois jours ; le Seigneur, qui seul en était l'auteur, le manifestera en son temps dans la lumière des saints. Je ne puis non plus expliquer ce que j'en ai compris, je dis seulement que la bienheureuse Marie, commençant par le lavement des pieds, continuait jusqu'au mystère de la résurrection, et à chaque heure commémorative elle renouvelait en elle-même tous les mouvements, tous les actes et toutes les oeuvres qu'avait faits, et toutes les souffrances qu'avait ressenties son très-saint Fils. Elle faisait les mêmes prières, les mêmes demandes qu'il avait faites, comme nous l'avons dit en son lieu. La divine Mère 426 éprouvait de nouveau en son corps virginal toutes les douleurs qu'a souffertes notre Sauveur Jésus-Christ, aux mêmes endroits et aux moments correspondants. Elle portait la croix et s'y étendait. Et pour tout comprendre en peu de mots, je dis que, tant qu'elle vécut, la Passion de son très-saint Fils se renouvelait en elle chaque semaine. Elle obtint cri cet exercice de grandes faveurs dit Seigneur pour ceux qui seraient dévots à sa très-sainte Passion. Et cette grande Dame, comme puissante Reine, leur promit, outre sa protection, une participation spéciale aux trésors de la Passion; car elle désirait vivement que cette pratique se conservât et se perpétuât dans l'Église. Et pour satisfaire ses désirs et exaucer ses prières, le Seigneur a voulu que beaucoup de fidèles se dent depuis livrés à ces exercices de la Passion dans la sainte Église, il l'imitation de la bienheureuse Vierge, qui fut la première Maîtresse qui enseigna cette salutaire pratique. 580. Parmi ces exercices, notre auguste Princesse célébrait avec nue ferveur particulière l'institution du très-saint Sacrement, en faisant de nouveaux cantiques, de louange et de reconnaissance , et des actes du plus ardent amour. Et pour cette solennité elle conviait d'une manière spéciale ses anges et un grand nombre d'autres esprits célestes, qui descendaient de l'empyrée pour l'assister et l'accompagner en ses hymnes au Seigneur. Et, par une merveille digne de sa toute- puissance, le Très Haut, qui avait. voulu que la divine Mère portât Jésus-Christ lui- même dans son sein 427 sous les espèces sacramentales, qui (comme je l'ai dit) y conservaient leur intégrité d'une communion à l'autre, envoyait du ciel des légions d'anges, afin qu'ils vissent ce prodige. en sa très-sainte Mère, et lui rendissent honneur et gloire pour les effets qu'il opérait sous les espèces sacrées, en cette créature plus pure et plus sainte que tous les anges et que tous les séraphins ensemble, qui n'ont vu ni avant ni après rien de semblable en tout le reste des créatures. 581. Ce qui n'excitait pas moins leur admiration, et ne doit pas moins exciter la. nôtre, c'est qu'encore que la grande Reine du ciel fût si saintement disposée quelle pût dignement conserver dans son sein Jésus-Christ sous les espèces sacramentales; elle se préparait néanmoins à le recevoir de nouveau quand elle communiait, (et elle le faisait presque tous les jours, excepté ceux où elle ne quittait point son oratoire), par de nouveaux actes de ferveur, par des oeuvres et par des dévotions extraordinaires qu'elle pratiquait pour cette préparation. A cet effet, elle offrait en premier lieu tout l'exercice de la Passion de chaque semaine, puis lorsqu'elle se retirait à l'entrée 'de la nuit qui précédait le jour de la communion, elle coin mentait d'autres exercices, se prosternant en forme de croix, faisant de nouvelles prières et adorant l'être immuable de Dieu. Elle demandait au Seigneur la permission de lui parler, et l'ayant obtenue, elle le suppliait de lui accorder, sans considérer sa bassesse terrestre, la communion de son très-saint Fils dans l'Eucharistie, et d'avoir égard, pour lui faire cette 428 faveur, à sa bonté infinie et a ta charité que le Verbe incarné témoigne lui-même en demeurant dans la sainte Église sous les espèces sacrées. Elle lui offrait sa passion et sa mort, les dispositions excellentes avec lesquelles il se communia lui- même, l'union de la nature humaine avec la nature divine en la personne du même Jésus-Christ, toutes ses oeuvres dès l'instant qu'il s'incarna dans son sein virginal, toute la sainteté et toute la pureté de la nature angélique, toutes les oeuvres de ces esprits célestes, et toutes celles des justes des temps passés, du présent et de l'avenir, dans tous les siècles. 582. Ensuite elle faisait du fond de son dîne des actes d'humilité sincère, se considérant comme une vile poussière d'une nature toute terrestre devant l'être de Dieu, à qui les créatures sont si peu comparables et si inférieures. Par ce retour sur son être et par la contemplation de l'être de Dieu qu'elle devait recevoir dans le très-auguste sacrement, elle produisait des actes d'amour si admirables, qu'il n'y a point dans la langue humaine de termes qui puissent les traduire, car elle s'y élevait au-dessus de tous les chérubins et de tous les séraphins. Et comme en sa propre estime elle prenait la dernière place entre les créatures, elle s'adressait aussitôt à ses anges et à tous les autres esprits célestes, et les priait avec une humilité incomparable de supplier avec elle le Seigneur de la préparer à le recevoir dignement, elle qui n'était qu'une créature terrestre. Les anges lui obéissaient avec admiration et avec joie, et l'accompagnaient en ces prières, 429 auxquelles elle s'occupait la plus grande partie de la nuit qui précédait le jour de la communion. 583. Et comme la sagesse de notre grande Reine, quoique finie en soi, n'en est pas moins incompréhensible pour nous, il est certain qu'on ne pourra jamais apprécier dignement le degré de mérite qu'atteignaient les oeuvres et les vertus qu'elle pratiquait, et les actes d'amour qu'elle produisait dans ces occasions. Mais ils étaient si parfaits, qu'ils obligeaient pour ainsi dire souvent le Seigneur de la visiter, ou de lui répondre en lui faisant connaître la complaisance avec laquelle il viendrait dans son sein et dans son coeur, et y renouvellerait les gages de son amour infini. Lorsque. le temps de communier était arrivé, elle entendait d'abord la messe que d'ordinaire disait l'évangéliste. Il n'y avait point alors d'épître ni d'évangile, puisque le Nouveau Testament n'était pas encore écrit; mais ils étaient remplacés par d'autres cérémonies et par divers psaumes et oraisons : quant à la consécration, elle fut toujours la même. La messe étant achevée, la divine Mère s'approchait pour communier, faisant trois profondes génuflexions, et tout enflammée de charité elle recevait sous les espèces sacramentales son propre Fils, auquel elle avait donné cette humanité très-sainte dans son sein virginal, et l'introduisait dans son coeur très-pur. Après avoir, communié, elle se retirait dans son oratoire et y pas-, sait trois heures dans le recueillement, si quelque pressante nécessité de son prochain ne la forçait d'en sortir. Et dans ces moments-là l'évangéliste mérita 430 de la voir maintes fois revêtue de splendeur et toute rayonnante comme le soleil. 584. La prudente Mère connut que, pour célébrer le sacrifice non sanglant, il fallait que les apôtres et les prêtres portassent un ornement particulier, et des habita mystérieux outre leur costume ordinaire. Dans cet esprit elle fit de ses propres mains des ornements et des habits sacerdotaux pour célébrer la messe, ayant ainsi établi dans l'Église cette partie du saint cérémonial. Ces ornements n'étaient point de la même forme que ceux, dont l'Église romaine se sert maintenant, mais ils n'en différaient pas beaucoup, bien que plus, tard on les ait réduits à la forme qu'ils ont aujourd'hui. Quant à l'étoffe, elle se rapprochait davantage de celle de nos ornements, car elle les fit en toile et en soie fort riche, su moyen des aumônes et des dons que lui faisaient les fidèles. Lorsqu'elle y travaillait, qu'elle les pliait, qu'elle les arrangeait, elle se tenait toujours à genoux ou debout, et elle n'avait point d'autres sacristains que les anges, qui l'assistaient en tout cela; aussi entretenait-elle avec une propreté incroyable tout ce qui servait à l'autel, et les ornements sortaient de ses mains imprégnés d'une odeur céleste qui augmentait la dévotion des ministres. 585. Plusieurs nouveaux convertis de divers royaumes et de diverges provinces où les apôtres prêchaient, venaient à Jérusalem pour visiter la Mère du Rédempteur du monde, et lui offraient de riches dons. Parmi ces. visiteurs figurèrent quatre princes 431 souverains,. qui étaient comme rois dans leurs provinces; ils lui apportèrent beaucoup d'objets d'un grand prix; afin qu'elle s'en servit et qu'elle les donnât aux apôtres et aux disciples. Notre grande Reine leur répondit qu'elle était pauvre comme son Fils, et que les apôtres l'étaient aussi bien que le Maître, et que ces richesses ne convenaient point au genre de vie qu'ils. professaient. Ils la prièrent avec instance de les accepter pour leur consolation , sauf à les distribuer aux pauvres ou à les employer au culte divin. Et pour ne pas les affliger, elle accepta une partie de ce qu'ils lui offrirent; elle fit des ornements pour l'autel de quelques riches brocards qui s'y trouvaient, et distribua le reste aux hôpitaux qu'elle avait accoutumé de visiter, et aux pauvres qu'elle servait et lavait dé ses propres mains; et lorsqu'elle remplissait ces offices de charité, comme lorsqu'elle donnait l'aumône aux pauvres, elle le faisait à genoux. Elle soulageait tous les nécessiteux, aidait à bien mourir les agonisants qu'il lui était possible d'assister, et ne se lassait point d'exercer les oeuvres de charité, soit par des secours extérieurs, soit en priant dans son oratoire. 586. Elle donna à ces princes qui la visitèrent des conseils et des instructions salutaires pour le gouvernement de leurs États, leur recommanda de rendre la justice avec impartialité, sans acception de personnes, de se reconnaître pour de simples mortels comme les autres hommes, et de craindre le jugement du souverain Juge, où tous doivent être jugés d'après leurs 432 propres œuvres, et surtout de travailler à l'exaltation du nom de Jésus-Christ et à la propagation de la sainte foi, sur le fondement de laquelle les monarchies véritables sont établies; car en dehors de la foi, c'est une chose funeste que de régner, c'est un déplorable assujettissement aux démons, et Dieu ne le permet dans ses secrets jugements que pour le châtiment de ceux qui règnent et de leurs sujets. Ces heureux princes promirent à la divine Mère de profiter de ses avis, et entretinrent dans la suite des relations avec elle par lettres et par d'autres correspondances. Il en arriva de même à l'égard de tous ceux qui la visitèrent; tous la quittaient en meilleur état et remplis d'une lumière, d'une joie et d'une consolation qu'ils ne pouvaient expliquer. Beaucoup de personnes qui ne s'étaient pas précédemment converties aussitôt qu'elles la voyaient, confessaient à haute voix la foi du véritable Dieu, sans pouvoir résister à la force intérieure qui les maîtrisait en arrivant auprès de sa bienheureuse Mère. 587. On ne doit pas être surpris de ces effets, puisque cette grande Dame était un instrument très-fficace de la puissance de Dieu et de sa grâce en faveur des mortels. Non-seulement ses paroles pleines de la plus haute sagesse les mettaient dans l'admiration et les convainquaient tous en les éclairant d'une nouvelle lumière; mais de même que la grâce était répandue sur ses lèvres pour la communiquer (1), de (1) Ps., XLIV, 3. 433 même par les charmes et par la beauté de son visage, par la douce majesté de sa personne, par la modestie de sa physionomie à la fois grave et agréable, et par la vertu secrète qui en sortait, comme l'Évangile le dit de son très-saint Fils (1), elle attirait les coeurs et les renouvelait. Les uns étaient dans le ravissement, les autres fondaient en larmes, ou bien exhalaient leur admiration en magnifiques louanges, confessant hautement la grandeur du Dieu des chrétiens qui avait formé une telle créature. Ah! ils pouvaient véritablement attester ce que quelques saints ont dit depuis, que Marie était un prodige divin de toute sainteté (2). Qu'elle soit éternellement louée et reconnue de toutes les nations pour la véritable Mère de Dieu, qui l'a rendue si agréable à ses yeux (3), si douce Mère pour les pécheurs, et si aimable pour tous les anges et pour tous les hommes. 588. Dans ces dernières années notre auguste Reine ne mangeait et ne dormait que fort peu , encore ne le faisait-elle que pour obéir à saint Jean, qui la pria de prendre quelque repos dans la nuit. Mais son sommeil n'était qu'une légère suspension des sens, pendant une demi-heure ou tout au plus une heure entière, sans perdre la vision de la Divinité en la manière que j'ai dite ailleurs. Sa nourriture ordinaire ne consistait qu'en quelques morceaux de pain , et si parfois elle mangeait un peu de poisson, c'était à la sollicitation (1) Luc., VI, 19. - (2) S. Ignat., mart., epist. 1; S. Ephtem, Orat. in Laud. Virg., et alii. - (3) Luc., 1, 48. 434 de l'évangéliste et pour lui tenir compagnie, car le saint fut aussi heureux à cet égard qu'en tous les autres privilèges de fils de la bienheureuse Marie; puisque non- seulement il mangeait avec elle à la même table, mais notre grande Reine lui apprêtait encore elle-même ses repas, les lui servait comme une mère à son fils, et lui obéissait comme su prêtre et au substitué de Jésus-Christ. L'auguste Vierge pouvait bien se passer de ce sommeil et de ces aliments, qu'elle paraissait prendre pour la forme plutôt que pour entretenir sa vie: aussi n'y était-elle contrainte par aucune nécessité; mais elle voulait témoigner sa soumission à l'apôtre, et pratiquer l'humilité en reconnaissant le besoin de la nature humaine, et en y satisfaisant jusqu'à un certain point, car elle était très-prudente en tout. Instruction que j'ai reçue de la grande Reine des anges. 589. Ma fille, les mortels remarqueront dans toute l'histoire de ma vie le souvenir et la reconnaissance que j'eus des oeuvres de la rédemption du genre humain, de la Passion et de la mort de mon très-saint Fils, surtout après qu'il se fut offert sur la croix pour le salut éternel des hommes. Mais dans ce chapitre j'ai particulièrement voulu vous donner 435 connaissance des exercices assidus et fervents par lesquels je renouvelais en moi non-seulement la mémoire, mais encore les douleurs de la Passion, afin de reprocher par mon exemple aux hommes rachetés, et de confondre l'oubli monstrueux qu'ils font de ce bienfait incompréhensible. Oh ! combien grossière, horrible et dangereuse est cette ingratitude des hommes 1 L'oubli est une marque évidente du mépris; car on n'oublie pas si facilement ce qu'on estime beaucoup. Or comment supposer, comment concevoir que les hommes méprisent et oublient le bien éternel qu'ils ont reçu, l'amour avec lequel le Père éternel a livré son Fils unique à la mort (1), la charité et la patience avec laquelle son même Fils et le mien l'a subie pour eux ? La terre insensible est reconnaissante à celui qui la cultive et qui l'améliore. Les bêtes féroces s'apprivoisent et s'adoucissent par les bons traitements qu'elles reçoivent. Les mêmes hommes, dans leurs rapports, reconnaissent la dette qu'ils contractent envers leurs bienfaiteurs; et si l'un d'eux manque à cette reconnaissance, on s'en ressent, on le condamne, et l'on considère cette faute comme une grande offense. 590. Quelle raison ont-ils donc de n'être méconnaissants qu'envers leur Dieu et leur Rédempteur, et d'oublier ce qu il a souffert pour les racheter de leur damnation éternelle ? Et après cette ingratitude ils se plaignent s'il ne leur accorde tout ce qu'ils (1) Joan., III, 16. 436 souhaitent. Afin qu'ils sachent combien cette insensibilité leur est funeste, je vous déclare, ma fille, que quand Lucifer et ses démons l'observent en un si grand nombre dames qui en sont frappées, ils tirent cette conséquence, et disent de chacune : Cette âme ne se souvient point et ne fait aucune estime de la faveur que Dieu lui a faite en la rachetant; nous sommes donc sûrs de nous en emparer: car une créature assez stupide pour tomber dans un pareil oubli sera certainement incapable de découvrir nos artifices. Approchons-nous-en pour la tenter et pour la perdre, puisqu'il lui manque ce qui pourrait la mieux défendre contre nous. Et, encouragés par la longue expérience qu'ils ont faite que cette conséquence est presque infaillible, ils travaillent avec une ardeur infatigable à effacer de l'esprit des hommes le souvenir de la rédemption et de la mort de Jésus-Christ, ils les portent à dédaigner de s'en entretenir ou de l'entendre prêcher, et, malheureusement pour la perte des âmes, ils ont réussi près de la plupart. Mais, au contraire, ils craignent de tenter ceux qui ont accoutumé de méditer sur la Passion, parce que les démons sentent que ce souvenir renferme une force, une vertu, dont l'influence souvent ne leur permet pas de s'approcher de ceux qui renouvellent en leur mémoire ces mystères avec dévotion. 591. Je veux donc, ma fille, que vous n'éloigniez point de votre coeur ce bouquet de myrrhe (1), et (1) Cant., I, 12. 437 que vous vous efforciez de m'imiter autant que possible dans les exercices que je faisais pour imiter moi-même mon très-saint Fils en ses douleurs, et. pour réparer les outrages que les ennemis qui font crucifié ont faits à sa divine personne par leurs injures et leurs blasphèmes. Tâchez maintenant dans le monde de le dédommager au moins un peu de la noire ingratitude des mortels. Et, pour le faire comme je veux que vous le fassiez, vous ne devez jamais interrompre le souvenir de Jésus-Christ crucifié, affligé et blasphémé. Persévérez en ces exercices sans les omettre, si ce n'est que l'obéissance ou quelque juste cause vous en empêche ; car si vous m'imitez en cette pieuse pratique, je vous rendrai participante des effets qu'elle me faisait éprouver. 592. Pour vous disposer chaque jour à la communion, servez-vous de ces mêmes exercices; imitez-moi en outre dans les autres oeuvres par lesquelles vous avez appris que je m'y préparais, considérant que si, étant Mère du même Seigneur que je devais recevoir, je ne me croyais pas digne de participer à l'Eucharistie et je tâchais par toute sorte de moyens d'acquérir la pureté que requiert un si auguste sacrement, vous devez faire bien plus, vous qui êtes pauvre et sujette à tant de misères, d'imperfections et de péchés. Purifiez le temple de votre intérieur, l'examinant au flambeau de la lumière divine, et l'ornant des vertus les plus excellentes; car c'est le Dieu éternel que vous recevez, Celui qui fut seul digne par lui-même de se recevoir sous les espèces 438 sacrées. Sollicitez l'intercession des auges et des saints, afin qu'ils vous obtiennent la grâce de sa divine Majesté. Et surtout ne manquez pas de vous adresser à moi, et de me demander ce bienfait; car je vous fais savoir que je suis l'Avocate et la Protectrice spéciale de ceux qui désirent recevoir avec une grande pureté la sainte communion. Et lorsqu'ils m'invoquent pour cela, je me présente dans le ciel devant le trône du Très-Haut, et je demande ses bénédictions en faveur de ceux qui veulent recevoir en parfait état de grâce l'adorable Sacrement, parée que je connais la préparation qu'exige dans un lieu la prochaine entrée de Dieu lui-même. Je n'ai pas perdu dans le ciel ce zèle de sa gloire, que je procurais avec tant de soin étant sur la terre. Après que vous aurez imploré mon intercession, vous solliciterez celle des anges , qui souhaitent aussi avec ardeur que les âmes s'approchent de l'adorable Eucharistie avec beaucoup de dévotion et de pureté. 439 CHAPITRE XI. Le Seigneur éleva par de nouveaux bienfaits la bienheureuse Mère au-dessus de l'état dont il a été parlé dans le chapitre huitième de ce livre. 593. Il a été dit au chapitre huitième que la grande Reine de l'univers fut nourrie par cet aliment, que le Seigneur lui procura dans l'état et de la manière que j'y ai fait connaître, pendant les mille deux cent soixante jours dont l'évangéliste fait mention au chapitre douzième de l'Apocalypse (1). Ces jours font environ trois ans et demi, par lesquels la divine Mère accomplit la soixantième année de son âge, plus deux mois et quelques jours; et c'était l'an quarante-cinq du Seigneur. Et de même que la pierre, dans le mouvement naturel avec lequel elle descend vers son centre, prend une plus grande vitesse à mesure qu'elle s'en approche davantage ; de même, plus notre auguste princesse s'approchait de sa fin et du terme de sa très- sainte vie, plus chez elle étaient rapides les élans de l'esprit et plus véhéments les désirs du coeur, pour arriver au centre de son repos éternel. (1) Apoc., XII, 5. 440 Dès l'instant de son immaculée Conception elle était sortie de l'océan de la Divinité comme un grand fleuve dont le cours fut tracé dans les siècles éternels; et par les affluents de tant de dons, de grâces, de vertus, de sainteté et de mérites il avait eût de telle sorte, que toute l'étendue des créatures était pour lui un lit trop étroit, et dans son impétuosité, dans l'espèce d'impatience que lui donnaient la sagesse et l'amour, il se hâtait de s'unir à cet océan d'où il était sorti, pour y retourner et en rejaillir ,une seconde fois en torrents de miséricorde sur l'Église (1). 594. Notre grande Reine vivait en ces dernières années, à cause de la douce violence de l'amour, dans une espèce de martyre continuel; car il est clair que, dans ces mouvements de l'esprit, il est métaphysiquement nécessaire que, quand le centre est plus Voisin , il attire avec une plus grande force l'objet qui s'en approche; et la bienheureuse Marie était si près du Bien souverain et infini, qu'elle n'en était séparée (comme elle l'a dit dans le Cantique des cantiques) (2), que par le treillis ou la muraille de la mortalité, et cet obstacle n'empêchait point qu'ils se regardassent par une vue et par un amour, réciproques; et du côté de tous les deux l'amour tendait avec tant d'impatience à franchir les milieux qui empêchaient l'union à l'objet aimé, qu'il ne souhaitait rien tant que de les anéantir, pour réaliser cette (1) Eccles., I, 7. - (2) Cant., II, 9. 441 union. Son très-saint Fils la désirait, mais le besoin que l'Église avait encore d'une telle Maîtresse l'arrêtait. La très-douce Mère la souhaitait aussi, et sans oser demander la mort naturelle, elle ne pouvait pourtant, pas s'empêcher de sentir la force de l'amour, et de souffrir violence dans les liens de la vie mortelle, qui arrêtaient son vol. 595. Mais, en attendant le temps déterminé par la Sagesse éternelle, elle souffrait les douleurs de l'amour, qui est fort comme la mort (1). Par ces mêmes douleurs elle appelait son bien-aimé , et lui disait de sortir de sa retraite (2), de venir aux champs, de s'y arrêter, et d'y voir les fleurs odoriférantes et les doux fruits de sa vigne (3). Elle blessé par les traits de ses yeux et de ses désirs le coeur de son bien- aimé (4); et le fit descendre des hauteurs en sa présence. Or il arriva qu'un jour, au temps dont je parle, les amoureuses ardeurs de la bienheureuse Mère s'augmentèrent de telle sorte, qu'elle eut véritablement sujet de dire qu'elle languissait d'amour (5); car, sans tomber dans les défauts de nos passions terrestres, elle devint malade par les transports de son coeur, qui se déplaça de son siège, le Seigneur le permettant afin que, comme il était la cause de la maladie, il le fût aussi glorieusement de la guérison et du remède. Les saints anges qui l'entouraient, étonnés de la force et des effets de l'amour de leur. (1) Cant., VIII, 6. - (2) Cant., VII, 11. - (3) Ibid., 12. - (4) Cant., IV, 9. - (5) Cant., II, 5. 442 Reine, lui parlaient en anges, afin de lui procurer quelque soulagement par l'espérance si assurée de la possession à laquelle elle aspirait; mais ces remèdes augmentaient sa flamme au lieu de l'éteindre; notre auguste Princesse ne leur répondait que pour les conjurer de dire à son bien-aimé qu'elle languissait d'amour (1); et ils répétaient au bien-aimé l'amoureux message dont elle les chargeait. On doit savoir que tous les mystères renfermés dans le Cantique des cantiques de Salomon s'accomplirent plus particulièrement chez cette unique et digne Épouse dans cette circonstance et dans plusieurs autres de ces dernières années. Il fallut que les ministres célestes qui l'assistaient sous une forme visible, la reçussent entre leurs bras à cause des douleurs qu'elle sentait. 596. En cette circonstance son très-saint Fils, accompagné de milliers d'anges qui le magnifiaient, descendit du ciel sur un trône de gloire pour la visiter. Et s'approchant de la divine Mère, il la renouvela, la réconforta dans ses défaillances, et lui dit en même temps : " Ma très-chère Mère, choisie pour être l'objet de notre complaisance, vos gémissements et vos soupirs ont blessé mon coeur (2). Venez, ma colombe, dans ma patrie céleste, où vos douleurs et vos larmes seront changées en joie, et où vous serez soulagée de vos peines. " Et aussitôt les saints anges placèrent, par ordre du (1) Cant., V, 8. - (2) Cant., IV, 9. 443 même Seigneur, leur Reine sur un trône, à côté de son très-saint Fils, et ils montèrent tous dans l'empyrée, au milieu des accords d'une musique céleste. La bienheureuse Vierge y adora le trône de la très-sainte Trinité. L'humanité de notre Sauveur Jésus-Christ la tenait toujours à son côté, causant par là une joie accidentelle à tous les courtisans du ciel; et le même Seigneur, faisant ressortir cette glorification de Marie, comme s'il avait voulu, pour ainsi dire, rendre plus vive l'attention des saints, dit au Père éternel 597. " Mon Père, Dieu éternel, cette Femme est Celle qui m'a donné la forme humaine dans son sein virginal; Celle qui m'a nourri de son lait et qui m'a entretenu par son travail ; Celle qui s'est associée à mes propres travaux, et qui a coopéré avec moi dans les oeuvres de la rédemption du genre humain; Celle qui a toujours été très-fidèle et qui a en tout accompli notre volonté avec la plénitude de notre bon plaisir. Elle est immaculée et pure, comme ma digne Mère ; par ses oeuvres elle cet arrivée ait comble de toute sainteté et de tous les dons que notre puissance infinie lui a communiqués; lorsqu'elle avait mérité la récompense éternelle et qu'elle en pouvait jouir pour toujours, elle eu est privée Mur notre seule gloire, retournant près de l'Église militante pour l'établir, la gouverner et l'enseigner ; c'est donc parce qu'en restant sur la terre elle peut aller au secours des fidèles, que nous lui avons différé le repos éternel, qu'elle 444 a mérité tant de fois. Il est conforme à la souveraine bonté et à la souveraine équité de notre Providence, que ma Mère soit récompensée de l'amour et des oeuvres qui nous la rendent agréable su dessus de toutes les créatures, et que la loi commune ne lui soit pas appliquée. Et si j'ai mérité pour toutes des récompenses infinies et une grâce sans mesure, il est juste que ma Mère les reçoive au-dessus de tout le reste de celles qui lui sont si inférieures, puisqu'elle correspond par ses oeuvres à notre grandeur libérale, et qu'elle ne présente aucun obstacle qui empêche la puissance infinie de notre bras de se manifester en elle avec éclat, et de lui faire part de nos trésors comme à la Reine et Maîtresse de tout ce qui a l'être créé. " 598. A cette proposition de la très-sainte humanité de Jésus-Christ, le Père éternel répondit : " Mon Fils bien-aimé, en qui je trouve la plénitude de mes complaisances (1), vous êtes l'aîné et le chef des prédestinés (2), et j'ai mis toutes choses entre vos mains (3), afin que vous jugiez avec équité toutes les tribus et toutes les nations (4). Distribuez mes trésors infinis, et faites-en part selon votre volonté à notre bien-aimée, qui vous a revêtu de la chair passible, et ce sera conformément à sa dignité, et a à ses mérites, qui sont d'une si haute valeur à nos yeux. " (1) Matth., XVII, 5. - (2) Rom., VIII, 29. - (3) Joan., III, 35. - (4) Joan., V, 22. 445 599. Alors notre Sauveur Jésus-Christ, sous le bon plaisir du Père éternel, détermina en la présence des saints, et par une espèce de promesse à sa très-sainte Mère, que dès ce jour-là, tant qu'elle vivrait en la chair mortelle, elle serait élevée par les anges à l'empyrée chaque dimanche, c'est-à-dire le jour qui mettait fin aux exercices qu'elle faisait sur la terre, et qui correspondait à la résurrection du même Seigneur, afin que, se trouvant en corps et en âme en la présence du Très-Haut, elle y célébrât la joie de ce mystère. Le Seigneur détermina aussi qu'en la communion de chaque jour, sa très-sainte humanité unie à la Divinité, lui serait manifestée d'une manière nouvelle et ineffable, différente de la manifestation qui lui avait été accordée jusqu'alors, afin que ce bienfait fût comme les arrhes, comme le gage précieux de la gloire qu'il avait préparée dans son éternité pour sa très- sainte Mère. Les bienheureux comprirent combien il était juste de faire cette faveur à la divine Mère, pour la gloire du Tout-Puissant et en témoignage tant de sa grandeur, que de la dignité et de la sainteté de l'auguste Vierge, à cause du digne retour qu'elle seule rendait à de telles oeuvres; et tous firent de nouveaux cantiques de gloire et de louange au Seigneur, qui est saint, juste et admirable en toutes ses oeuvres. 600. Puis notre Seigneur Jésus-Christ s'adressa à sa bienheureuse Mère, et lui dit : " Ma Mère bien-aimée, je serai toujours avec vous pendant le reste de votre vie mortelle, et ce sera d'une nouvelle 446 manière si merveilleuse, que jusqu'ici les hommes ni même les anges ne l'ont point connue. Par ma a présence vous ne vous trouverez point dans la solitude, et où je suis là sera ma patrie; en moi vous serez soulagée de vos peines; quoique le terme de votre exil soit proche ; je vous en adoucirai moi-même les rigueurs. Que les liens du corps mortel ne vous soient donc point à charge, vous en serez bientôt délivrée. Et en attendant que ce jour arrive, je serai le terme de vos afflictions, et je tirerai quelquefois le rideau qui gêne vos désirs amoureux. Pour tout cela je vous donne ma royale parole. " Au milieu de ces promesses et de ces faveurs, la bienheureuse Marie se renfermait dans les profondeurs de son humilité ineffable, où elle louait, exaltait et reconnaissait la munificence des bienfaits du Tout- Puissant; en s'anéantissant dans sa propre estime. C'était là un spectacle divin qu'on ne saurait décrire ni même concevoir dans la vie présente, que de voir Dieu lui-même élever justement sa digne Mère à une si haute excellence et à une si grande estime de sa sagesse et de sa volonté, et de la voir, elle, lutter, pour ainsi dire, avec la puissance divine, pour s'humilier, pour s'abîmer dans le néant, méritant par là même l'élévation qu'elle recevait. 601. Après tout cela, pour mieux la préparer à la vision béatifique, son âme fut illuminée et ses facultés furent retouchées, comme je l'ai déjà dit ailleurs, ou retrempées au feu divin. Le mystérieux rideau fut enfin tiré, et elle vit intuitivement Dieu; jouissant 447 pour quelques heures plus que tous les saints de la fruition et de la gloire essentielle, elle buvait les eaux de la vie à leur propre source, elle rassasiait ses très- ardents désirs, atteignait son centre, et s'y fixait pour reprendre bientôt le mouvement rapide qui l'y avait portée. Sortie de cette vision, elle rendit des actions de grâces à la très-sainte Trinité, pria pour l'Église , et , toute renouvelée et réconfortée , les mêmes anges la ramenèrent à son oratoire, où son corps était demeuré en la manière que j'ai expliquée ailleurs, afin qu'on ne s'aperçut pas de son ravissement. En, descendant de la nuée dans laquelle les auges l'avaient portée, elle se prosterna selon sa coutume, et s'humilia après une telle faveur plus que tous les enfants d'Adam ne se sont jamais humiliés pour reconnaître leurs péchés et leurs misères. Dies ce jour-là, pendant tout le temps qu'elle passa encore sur la terre, la promesse du Seigneur fut accomplie en elle; ainsi tous les dimanches, lorsqu'elle avait achevé les exercices de la Passion , après minuit , vers l'heure de la résurrection, tous ses anges l'élevaient sur un trône lumineux et la portaient dans l'empyrée, où Jésus-Christ son très-saint Fils venait la recevoir, et l'attirait à lui par une espèce d'embrassement ineffable. Et quoique la Divinité ne lui fut pas toujours manifestée intuitivement, cette vision , lors même qu'elle n'était point béatifique, se trouvait accompagnée de tant d'effets admirables et d'une si grande participation de ceux de la gloire, qu'elle surpasse tout ce que l'esprit humain peut imaginer. Dans ces occasions 448 les anges lui chantaient ce cantique : Regina caeli, laetare, alleluia; et c'était un jour fort solennel pour tous les saints, particulièrement pour saint Joseph, sainte Aune, saint Joachim, pour ses plus proches parents et pour ses anges gardiens. Ensuite elle consultait le Seigneur sur les affaires les plus importantes de l'Église, priait pour elle, surtout pour les apôtres, et s'en retournait sur la terre chargée de richesses, comme le vaisseau du marchand dont parle Salomon au chapitre trente- unième de ses Proverbes (1). 602. Sans doute, ce bienfait était une grâce insigne du Très-Haut; mais sa bienheureuse Mère y avait en quelque sorte droit à deux titres: l'un, parce qu'elle avait volontairement renoncé à la vision béatifique, qui lui était due à raison de ses mérites et parce qu'elle s'était privée de ces délices afin de prendre soin de l'Église sur la terre, où la violence de son amour et de ses désirs de voir Dieu faillit si souvent lui faire perdre la vie, que, pour la lui conserver, c'était un moyen fort convenable que de l'élever quelquefois en sa divine présence : or, ce qui était possible et convenable devenait comme nécessaire entre le Fils et la Mère; l'autre, parce que, renouvelant chaque semaine en elle-même la Passion de son très-saint Fils, elle en sentait si vivement. les douleurs, qu'elle se trouvait comme réduite à mourir de nouveau avec le même Seigneur, et par conséquent (1) Prov., XXXI, 14. 449 elle devait ressusciter avec lui. Et comme cet adorable Seigneur était déjà glorieux dans le ciel , il était juste qu'en sa présence même il fit participer sa propre Mère et son imitatrice à la joie de sa résurrection, afin que dans une semblable joie elle cueillît le fruit des douleurs et des larmes qu'elle avait semées (1). 603. Pour ce qui est du second bienfait que son très-saint Fils promit de lui accorder dans la communion, il est à remarquer que, jusqu'au temps dont je parle, notre grande Reine laissait passer plusieurs jours sans recevoir la communion, comme il arriva pendant le voyage d'Éphèse et en diverses absences de saint Jean, ou en d'autres circonstances. Sa profonde humilité l'obligeait' à se soumettre à tout cela sans s'en plaindre aux apôtres , à la décision desquels elle s'en remettait; car elle fut en tout le modèle et la maîtresse de la perfection , nous enseignant la soumission que nous devons pratiquer à son exemple, même en ce qui nous semble fort saint et fort utile. Mais le Seigneur, qui repose dans les coeurs humbles, et qui voulait surtout demeurer et reposer dans celui de sa Mère, pour y renouveler sans cesse ses merveilles, ordonna qu'après le bienfait dont je parle, elle communion chaque jour pendant le reste de sa vie. Elle connut cette volonté du Très-Haut dans le ciel; néanmoins, toujours très-prudente dans toutes ses actions, elle détermina que la volonté divine s'exécuterait (1) Ps. CXXV, 5. 450 au moyen de l'obéissance qu'elle rendait à saint Jean, afin d'agir en tout comme inférieure, avec humilité et comme soumise à celai qui la dirigeait dans sa conduite. 606. C'est pour cette raison qu'elle ne voulut point découvrir par elle-même à l'évangéliste ce qu'elle savait de la volonté du Seigneur. Or il arriva qu'un jour le saint apôtre fut fort occupé en la prédication, et que l'heure de la communion allait passer. Elle s'adressa aux saints anges, et leur demanda ce qu'elle devait faire: ils lui répondirent qu'il fallait accomplir ce que son très-saint Fils avait prescrit, qu'ils avertiraient saint Jean et lui apprendraient cet ordre de son Maître. Aussitôt un des anges alla trouver le saint où il prêchait, et se manifestant à lui, il lui dit : " Jean, le Très-Haut veut que sa Mère et notre Reine le reçoive sous les espèces sacramentales chaque a jour, tant qu'elle vivra dans le monde. " L'évangéliste, sur cet avis, sen retourna incontinent au Cénacle, où la très-pure Marie se préparait par le recueillement à la communion, et il lui dit : " Ma Mère et ma Maîtresse, fange du Seigneur m'a appris l'ordre de notre Dieu, qui veut que je vous administre son a corps adorable tous les jours sans en omettre aucun. " La bienheureuse Vierge lui répondit : " Et à vous, seigneur, que m'ordonnez-vous à cet égard? " Saint Jean répartit : " Il faut faire ce que votre Fils et mon Seigneur ordonne. " Et notre auguste Reine dit : " Voici sa servante toute prête à obéir. " Dès lors elle le reçut tous les jours tant qu'elle vécut sur la 451 terre. Mais les jours auxquels elle pratiquait les exercices de la Passion, elle ne communiait que le vendredi et le samedi, car le dimanche elle était enlevée dans l'empyrée, comme je l'ai dit, et cette faveur lui tenait lieu de la communion. 605. A partir de l'époque dont je parle, l'humanité de Jésus-Christ lui était manifestée sous les espèces sacramentelles, su moment où elle les recevait dans son sein, en l'âge qu'il avait lorsqu'il institua le très-saint Sacrement. Et quoique dans cette vision la Divinité ne lui fût découverte que par la vision abstractive qu'elle avait toujours, la très-sainte humanité lui était néanmoins manifestée glorieuse, beaucoup plus resplendissante et plus admirable que lorsqu'elle se transfigura sur le Thabor. Elle jouissait pendant trois heures de cette vision après avoir communié, et c'était avec des effets qu'on ne saurait exprimer. Ce fut le second bienfait que son très-saint Fils lui promit pour la dédommager en partie de l'ajournement de la gloire éternelle qui lui avait été préparée. Outre cette raison, le Seigneur en eut encore une autre pour opérer cette merveille, c'est qu'il voulait réparer par avance l'ingratitude, la tiédeur et les mauvaises dispositions avec lesquelles les enfants d'Adam , dans les siècles de l'Église, traiteraient et recevraient le mystère sacré de l'Eucharistie. Et si la bienheureuse Marie n'eût suppléé à ce manquement de toutes les créatures, ce bienfait n'eût pas été dignement reconnu de la part de l'Église, et le Seigneur n'eût pas non plus été satisfait du retour que les 452 hommes lui doivent pour s'être donné à eux dans cet auguste sacrement. Instruction que la grande Reine des anges m'a donnée. 606. Ma fille, quand les mortels, ayant fourni la courte, carrière de leur vie, arrivent au terme que Dieu leur a assigné pour mériter la vie éternelle, alors s'évanouissent toutes leurs illusions devant cette grande expérience de l'éternité, dans laquelle ils vont entrer pour la gloire ou pour la peine qui ne finira jamais. C'est là où les justes connaissent en quoi a consisté leur bonheur et leur remède, et les réprouvés leur perdition éternelle et irréparable. O ma fille combien heureuse est la créature qui, dans le court moment de sa vie, tâche de prévoir par la science divine ce qu'elle doit bientôt connaître par sa propre expérience. C'est là la véritable sagesse que de connaître le but dès le commencement et non-seulement à la fin de la carrière, afin de la parcourir avec moins d'incertitude, et même avec une certaine assurance de l'atteindre. Or, considérez maintenant quelles seraient les dispositions de ceux qui , en entrant dans la lice , regarderaient un prix considérable qu'on aurait placé au bout de l'espace à franchir, et qu'ils pourraient gagner en y courant à toute vitesse. Certes, ils s'élanceraient, ils courraient avec toute la vitesse possible, sans se laisser distraire ni amuser par rien 453 de ce qui pourrait les arrêter (1). Et s'ils ne couraient pas, s'ils ne regardaient pas le prix et la fin de leur course, on les ferait passer pour des fous ou pour des gens qui ne savent pas ce qu'ils perdent. 607. C'est là l'image de la vie mortelle des hommes, au terme de la courte carrière de laquelle se trouve pour prix la gloire éternelle, ou pour punition le tourment éternel, qui mettent fin à la course. Ils naissent tous à l'entrée de la carrière pour la parcourir par l'usage de la raison et par le libre arbitre; et personne ne peut prétexter l'ignorance de cette vérité, et encore moins les enfants de l'Église. Cela étant, que font de leur jugement ceux qui ont la foi catholique ? Pourquoi s'arrêtent-ils à la vanité? Pourquoi et comment s'attachent-ils à l'amour des choses passagères , apparentes et mensongères? Pourquoi songent-ils si peu à la fin où ils arriveront en si peu de temps? Comment ne s'occupent-ils pas de ce qui les attend à ce terme? Ignorent-ils peut-être qu'ils naissent pour mourir (2), et que la vie est fort courte, la mort inévitable, la récompense ou la punition infaillible et éternelle (3)? Que répondent à cela les amateurs du monde, qui consument leurs jours si rapides (ils le sont pour tous les mortels) à acquérir des richesses et des honneurs, et qui usent leurs forces et leurs facultés a la poursuite des plaisirs fugitifs et abjects de la terre? 608. Or, ma bien-aimée, considérez combien est (1) I Cor., IX, 24. - (2) Ps. LXXXVIII, 47. - (3) II Cor., IV, 17. 454 faux et perfide le monde dans lequel, vous êtes née, et que vous avez sous les yeux. Je veux que vous y soyez ma disciple, mon imitatrice, l'enfant de mes désirs et le fruit de mes prières. Oubliez-le entièrement avec. une intime horreur; ne perdez point de vue le terme vers lequel vous marchez d'un pas si accéléré, ni la fin pour laquelle votre Créateur vous a tirée du néant; soupirez toujours après cette fin ; qu'elle soit le but de tous vos efforts, de toutes vos aspirations; ne vous amusez point aux choses transitoires, vaines et mensongères; faites que le seul amour divin demeure en vous, et qu'il consume toutes vos forces; car ce n'est pas un véritable amour, que celui qui les laisse libres pour aimer quelque autre chose avec Dieu, et qui ne soumet, ne mortifie et n'attire toute la créature. Qu'il soit en vous fort comme la mort (1) , afin que vous soyez renouvelée comme je le désire. Ne contrariez point la volonté de mon très-saint Fils en ce qu'il veut opérer en vous, et soyez assurée de sa fidélité, et qu'il paie toujours le centuple (2). Méditez avec une humble vénération sur ce qui vous a été découvert jusqu'ici; je vous recommande et vous prescris d'en expérimenter de nouveau la vérité. C'est pourquoi, ayant achevé cette histoire, vous continuerez mes exercices avec un nouveau zèle. Rendez des actions de grâces au Seigneur de la grande faveur qu'il vous a faite de vous avoir ordonné par l'organe de vos supérieurs de le recevoir chaque jour (1) Cant., VIII, 6. - (2) Matth., XIX, 29. 455 dans l'adorable sacrement, et pour vous y disposer à mon imitation, continuez les prières que je vous ai enseignées. CHAPITRE XII. Comment l'auguste Marie célébrait son Immaculée Conception et sa Nativité. - Les bienfaits qu'elle recevait ces jours-là de son Fils notre Sauveur Jésus-Christ. 609. Tous les offices et tous les titres honorables que la bienheureuse Marie avait dans l'Eglise, de Reine, de Mère, de Gouvernante, de Maîtresse et les autres, le Tout-Puissant les lui donna, non vides comme les hommes les donnent, mais avec la plénitude et la grâce surabondante que chacun demandait et que. Dieu même pouvait lui communiquer. Elle les possédait d'une manière si parfaite, que comme Reine elle connaissait toute sa monarchie, l'étendue qu'elle avait, et jusqu'où allait soli pouvoir; comme Mère, elle connaissait ses enfants et les domestiques de sa famille, sans qu'aucun lui fût caché de tous ceux qui dans la durée des siècles appartiendraient à l'Église; comme Gouvernante, elle connaissait tous ceux qui étaient sous sa conduite; et comme Maîtresse pleine de toute sagesse, elle embrassait toute la 456 science doctrinale au moyen de laquelle la sainte Église allait, par son intercession, être gouvernée et enseignée dans tous les temps, dans tous les âges, par le Saint- Esprit, qui devait la diriger jusqu'à la fin du monde. 610. C'est pour cette raison que notre grande Reine eut une claire connaissance, non-seulement de tous les saints qui l'ont précédée et qui lui ont succédé dans l'Église, de leur vie, de leurs oeuvres, de leur mort et des récompenses qui leur étaient destinées dans le ciel ; mais encore de toutes les cérémonies, de tous les rites, de toutes les fêtes que l'Église établirait , et de toutes les décisions qu'elle rendrait dans la suite des temps; des raisons, des motifs, de la nécessité et des circonstances favorables qui détermineraient toutes ces choses par l'assistance du Saint-Esprit , qui nous donne la nourriture dans le temps le plus convenable pour la gloire du Seigneur et le progrès de l'Église. Et comme j'ai déjà parlé de tout cela dans le cours de cette histoire divine , notamment dans la seconde partie, je m'abstiendrai de répéter dans celle-ci ce que j'en ai dit. De cette plénitude de science et de sainteté qui se trouvait en notre auguste Maîtresse naquit en elle une sainte émulation de la reconnaissance et de la vénération que les anges et les saints témoignaient au Seigneur, du culte qu'ils lui rendaient, des fêtes qu'ils célébraient dans l'Église triomphante, et qu'elle voulait introduire dans l'Église militante, en tant que la seconde pourrait imiter la première, où elle avait vu si souvent 457 tout ce qui s'y faisait à la louange et à la gloire du Très-Haut. 611. Avec cet esprit plus que séraphique, elle commença à pratiquer en elle-même plusieurs des rites et des exercices que l'Église a imités depuis, et les enseigna aux apôtres, afin qu'ils les introduisissent selon qu'il était possible alors. Ce fut elle qui établit non-seulement les exercices de la Passion que j'ai précédemment indiqués, mais encore un grand nombre d'usages et de cérémonies qui ont été plus tard repris dans les temples, dans les congrégations et dans les communautés: Car elle pratiquait tout ce qu'elle connaissait être du culte du Seigneur ou de l'exercice de la vertu; et d'un autre côté elle était si éclairée, qu'elle n'ignorait rien de ce qui se pouvait savoir. Entre autres institutions dont elle fut la promotrice, il faut citer la célébration de plusieurs fêtes du Seigneur et des siennes, pour renouveler la mémoire des bienfaits dont elle se trouvait redevable, tant de ceux qui regardaient le genre humain en général que de ceux qui la regardaient en particulier, et pour rendre des actions de grâces et mi juste culte d'adoration à Celui qui en était l'auteur. Il est vrai qu'elle .y consacrait sa vie entière, sans jamais se laisser aller à la moindre négligence ni au moindre oubli; néanmoins, quand arrivaient les jours auxquels ces mystères avaient été opérés , elle s'y disposait d'une manière spéciale, et les célébrait par de nouveaux exercices et par de nouveaux actes de reconnaissance. Je parlerai de diverses autres fêtes dans les chapitres suivants, je 458 dirai seulement en celui-ci, comment elle célébrait son Immaculée Conception et le jour de sa Naissance, qui étaient les premiers mystères de sa vie. Elle avait commencé la commémoration de ces fêtes dès l'incarnation du Verbe, mais elle les célébrait avec un rite particulier après l'ascension, et surtout dans les dernières années de sa vie. 612. Le 8 décembre de chaque année, elle solennisait son Immaculée Conception avec des transports de jubilation et de reconnaissance qu'on ne saurait dépeindre; car notre auguste Reine prisait souverainement cet incomparable bienfait, auquel elle se croyait incapable de correspondre par une suffisante reconnaissance. Elle commençait dès la veille an soir, et passait toute la nuit en des exercices admirables, en des larmes de joie, en des actes d'humiliation et en des cantiques qu'elle faisait à la louange du Seigneur. Elle se considérait formée du limon commun de la terre, et descendante d'Adam dans l'ordre commun de la nature; mais choisie entre lors, et préservée elle seule de la loi commune, exempte du pesant tribut du péché, et comblée dès sa conception de tous les dons et de toutes les grâces. Elle conviait les anges à rendre des actions de grâces avec elle, et chantait avec eux les nouvelles hymnes qu'elle faisait. Puis elle priait encore les antres anges et les saints qui étaient dans le ciel de se joindre à elle ; mais elle s'enflammait de telle sorte en l'amour divin, qu'il fallait toujours que le Seigneur la fortifiait pour empêcher qu'elle ne se consumât et qu'elle ne mourût. 459 613. Après qu'elle avait consacré presque toute la nuit à ces exercices, notre Sauveur Jésus-Christ descendait du ciel, les anges l'élevaient sur son trône, et le Seigneur la menait avec lui dans l'empyrée, où la solennité était continuée avec une nouvelle joie et une gloire accidentelle des habitants de la Jérusalem céleste. La bienheureuse Marie s'y prosternait, et adorait la très-sainte Trinité, lui rendant de nouvelles actions de grâces pour le bienfait de son immunité et de sa conception immaculée. Ensuite les anges la replaçaient à la droite de Jésus-Christ son très- saint Fils; et alors le Seigneur faisait lui-même une espèce de déclaration à la louange du Père éternel, le glorifiant de ce qu'il lui avait donné une Mère si digne, si pleine de grâce et exempte du commun péché des enfants d'Adam. Aussitôt les trois personnes divines confirmaient de nouveau ce privilège, comme si elles en eussent approuvé, ratifié et assuré la possession à notre auguste Reine, et comme si elles se fussent félicitées de l'avoir tant favorisée entre toutes les créatures. Et pour attester de nouveau cette vérité aux bienheureux, il sortait du trône, au nom de la personne du Père, une voix qui disait : O Fille du Prince ! vos pieds sont beaux (1), vous avez été conçue sans aucune tache de péché. Une autre voix du Fils qui disait : Ma Mère, qui m'a donné la forme en laquelle j'ai racheté les hommes, est très pure et sans aucune contagion du péché. Et le Saint-Esprit ajoutait : Vous êtes toute 1) Cant., VII, 1. 459 belle, mon Épouse, vous êtes toute belle et exempte de la souillure du commun péché (1). 614. Après ces voix, on entendait celles de tous les choeurs des anges et des saints, qui répétaient avec une très-douce harmonie: Marie très-sainte, conçue sans le péché originel. La très-prudente Mère répondait à toutes ces faveurs par des actes de reconnaissance et d'adoration , et par des hymnes de louange su Très-Haut, avec une humilité si profonde, qu'elle surpassait tout ce que l'esprit angélique peut imaginer. Bientôt, pour terminer la solennité, elle~était élevée à la vision intuitive et béatifique de là très-sainte Trinité, et jouissait durant quelques heures de cette gloire, d'où les anges la ramenaient au Cénacle. Ce fut en cette manière que la solennité de sa Conception Immaculée se continua après l'ascension de son très- saint Fils. Et maintenant elle est célébrée le même jour dans le ciel d'une manière différente, que je rapporterai dans un autre livre que j'ai ordre d'écrire sur l'Église triomphante, si le Seigneur me le permet. La bienheureuse Vierge commença à solenniser cette fête et les autres dès l'incarnation du Verbe; car, aussitôt qu'elle se vit Mère de Dieu, elle commença à renouveler la mémoire des bienfaits qu'elle avait reçus pour cette dignité : alors elle célébrait ces fêtes avec ses saints anges, et avec le culte et la reconnaissance qu'elle rendait à son adorable Fils, de qui elle avait reçu tant de faveurs. (1) Cant., IV, 7. 461 Les autres choses qu'elle faisait dans son oratoire, quand elle était descendue du ciel, sont les mêmes que j'ai dites ailleurs, après d'autres semblables bienfaits; car ils accroissaient sans cesse son humilité admirable. 615. Elle solennisait la fête de sa Naissance le 8 septembre, jour où elle naquit, et la commençait à l'entrée de la nuit avec les mêmes exercices et les mêmes cantiques qu'à la Conception. Elle rendait des actions de grâces de ce qu'elle était née en vie à la lumière de ce monde, de ce qu'elle avait eu le bonheur d'être élevée au ciel incontinent après sa naissance, et de ce qu'elle y avait vu la Divinité intuitivement, comme je l'ai dit en la première partie. Elle s'offrait de nouveau à employer toute sa vie à ce qu'elle connaîtrait être à la plus grande gloire du Seigneur et le plus agréable à sa divine Majesté, puisqu'elle savait qu'elle lui était donnée pour cela. De sorte que Celle qui, dès l'instant qu'elle parut sur la terre, surpassa en mérite les plus grands saints et les plus hauts séraphins, prenait encore, arrivée presque au terme de sa vie, la résolution de recommencer à travailler, comme si c'eût été le premier jour auquel. elle. se fût mise à pratiquer la vertu, et elle suppliait de nouveau le Seigneur de l'assister, de gouverner toutes ses actions, et de les diriger à la plus haute fin de sa gloire. 616. Quant aux autres choses qui se passaient en cette fête, quoiqu'elle ne fût point enlevée au ciel comme le jour de sa Conception , son très-saint Fils 462 en descendait néanmoins, et venait dans sou oratoire avec un très-grand nombre d'anges, avec les anciens patriarches et prophètes, et particulièrement avec saint Joachim , sainte Anne et saint Joseph. Notre Sauveur Jésus-Christ descendait avec ce cortége, pour célébrer la Nativité de sa bienheureuse Mère sur la terre. Et la plus pure des créatures , en présence de cette céleste assistance , l'adorait avec une humilité admirable , et lui rendait de nouvelles actions de grâces du bienfait de l'existence, et des. faveurs dont il avait été accompagné. Ensuite les anges se joignaient à elle et lui chantaient : Nativitas tua, Dei Genitrix Virgo, etc. C'est-à- dire: "Votre naissance, ô Vierge, Mère de Dieu, a annoncé une grande joie à tout l'univers ; car de vous, comme de sa couche, s'est levé le Soleil de justice, qui est Jésus-Christ notre Dieu. " Les patriarches et les prophètes entonnaient à leur tour des cantiques de gloire et de reconnaissance; Adam et Ève, de ce que la Réparatrice du dommage qu'ils avaient causé était née;; les parents et l'époux de notre auguste Reine, de ce qu ils avaient eu une telle fille et une telle épouse. Enfin le Seigneur lui-même relevait sa divine Mère, prosternée par terre, et la plaçait à sa droite, où elle découvrait de nouveaux mystères par une vision de la Divinité qui n'était point intuitive et béatifique, mais qui, tout en restant abstractive, était plus pénétrante et plus lumineuse. 617. Par ces faveurs si ineffables, elle était de nouveau transformée en son très- saint Fils, enflammée 463 d'une plus vive ardeur, et toute spiritualisée pour travailler dans l'Église, comme si elle n'eût fait que commencer. Dans ces occasions, saint Jean l'évangéliste, qui méritait de prendre part à la fête, entendait la musique avec laquelle les anges la célébraient. Et pendant que le Seigneur lui-même restait dans l'oratoire. avec les anges et les saints qui l'accompagnaient, l'évangéliste y disait la messe, et notre auguste Reine communiait, se trouvant à la droite de son adorable Fils, qu'elle recevait dans son sein sous les espèces eucharistiques. Tous ces mystères faisaient un spectacle qui ravissait les saints d'une nouvelle joie, et ils servaient en même temps comme de témoins à la communion la plus digne que l'on ait vue et que l'on verra jamais dans le monde après celle de Jésus-Christ. Après que notre grande Dame avait reçu son très-saint Fils dans l'auguste sacrement, le Seigneur la laissait recueillie avec lui-même en cet état, et, reprenant son état glorieux et naturel, il s'en retournait au ciel. O merveilles cachées de la toute-puissance divine! Si Dieu se montre grand et admirable envers tous les saints (1), que n'aura-t-il pas fait envers sa digne Mère, qu'il aimait plus que tous, et pour laquelle il réserva tout ce qu'il y avait de plus grand et de plus excellent dans les trésors de sa sagesse et de sa puissance. Que toutes les créatures le glorifient, le louent et le bénissent. (1) Ps. LXVII, 36. 464 Instruction que j'ai reçue de la grande Reine du ciel la bienheureuse Marie. 618. Ma fille, je veux que la première leçon que vous tirerez de ce chapitre serve à dissiper certaines craintes que je découvre dans votre coeur, à raison de la sublimité et du caractère extraordinaire des mystères de ma vie, que vous écrivez dans cette histoire. Vous êtes intérieurement assaillie de deux doutes d'une part, vous vous demandez si vous êtes un instrument convenable pour écrire ces secrets, ou s'il ne vaudrait pas mieux qu'une autre personne plus savante et plus avancée en vertu les écrivît pour donner plus d'autorité à son travail, puisque vous êtes la moindre, la plus inutile et la plus ignorante de toutes. D'autre part, vous doutez que ceux qui liront ces mystères y ajoutent foi, parce qu'ils sont si rares et si inouïs, surtout les visions béatifiques et intuitives de la Divinité, dont je jouis si souvent pendant la vie mortelle. Je vais répondre au premier de ces doutes, en convenant d'abord avec vous que vous êtes la moindre et la plus inutile des créatures; car, puisque vous l'avez appris de la bouche du Seigneur, et que je vous le confirme, vous en devez être persuadée. Mais sachez que l'autorité de cette histoire et de tout ce qui s'y trouve renfermé ne dépend point de l'instrument, mais de l'Auteur, qui est la souveraine. Vérité, et de celle que ce que vous écrivez contient en soi; le plus haut séraphin n'y pourrait 465 rien ajouter s'il écrivait cette histoire, et vous non plus ne pouvez rien en omettre, rien en retrancher. 619. Il n'était pas convenable qu'un ange l'écrivit, et l'eût-il écrite, les incrédules et les endurcis de coeur y trouveraient encore à redire. Il fallait qu'une créature humaine en fût l'instrument, mais il n'était pas convenable que ce fût la plus savante et la plus sage ; car on aurait pu attribuer ce travail à sa science, ou bien la lumière divine y aurait moins éclaté, parce qu'on l'aurait confondue avec les lueurs de la raison naturelle. Il est de la plus grande gloire de Dieu que ce soit une femme que ne puissent aider ni la science. ni l'industrie personnelles. Moi-même j'y trouve une gloire et une satisfaction particulières, d'autant plus que vous êtes l'instrument choisi ; car vous saurez, et tout le monde doit savoir, qu'il n'y a rien du vôtre dans cette histoire, et que vous ne devez non plus vous l'attribuer qu'à la plume avec laquelle vous l'écrivez-vous n'êtes que l'instrument de la main du Seigneur, que l'organe de mes paroles. Et ce n'est pas parce que vous ôtes une vile pécheresse que vous devez craindre que les mortels ne me refusent l'honneur qu'ils me doivent ; puisque si quelqu'un n'ajoute pas foi à ce que vous écrivez, ce ne sera pas vous qu'il offensera, mais ce sera moi qu'il outragera en mettant mes paroles en doute. Quoique le nombre de vos péchés soit grand, la charité et la miséricorde du Seigneur peuvent les effacer tous; c'est pour le montrer qu'il n'a pas voulu choisir un autre instrument 466 plus grand, mais qu'il a daigné vous tirer de la poussière et manifester en vous sa puissance libérale, d'après les motifs que je vous ai expliqués, et par une conduite propre à faire mieux connaître la vérité et l'efficace qu'elle a par elle-même; c'est pourquoi je veux que vous vous y conformiez, que vous pratiquiez ses enseignements, et que vous deveniez telle que vous souhaitez être. 620. Pour ce qui regarde le second doute que vous avez; si l'on ajoutera créance à ce que vous écrivez, à cause de la grandeur de ces mystères, j'y ai répondu amplement dans tout le cours de cette histoire. Ceux qui se feront une juste idée de ma personne ne trouveront aucune difficulté à me croire ; car ils découvriront le rapport qu'il y a entre les bienfaits que vous rapportez et celui de la dignité de Mère de Dieu auquel tous les autres se rattachent, parce que sa divine Majesté fait ses oeuvres parfaites; et si quelqu'un en doute, assurément il ignore ce que Dieu est et ce que je suis. Si Dieu s'est montré si puissant et si libéral à l'égard des autres saints; si l'on dit dans l'Église de plusieurs d'entre eux qu'ils ont vu la Divinité pendant leur vie mortelle (et il est certain qu'ils la virent), comment, ou avec quel fondement me refusera-t-on ce que l'on accorde à d'autres qui me sont si inférieurs ? Tous les bienfaits que mon très-saint Fils leur a mérités, et toutes les faveurs dont il les a prévenus, n'ont eu d'autre but que sa gloire, et ensuite la mienne; or l'on estime et l'on aime plus la fin que les moyens, que l'on aime pour cette fin ; 467 il est donc évident que l'amour qui a porté la volonté divine à me favoriser a été plus grand que celui avec. lequel elle a favorisé tous les autres pour moi : et l'on ne doit pas trouver étrange que ce que le Seigneur a fait une fois envers eux , il l'ait fait plusieurs fois envers celle qu'il a choisie pour Mère. 621. Les personnes pieuses et prudentes savent; et c'est ce que l'on a enseigné dans mon Église, que la règle par laquelle on mesure les faveurs que j'ai reçues de la droite de mon très-saint Fils, est sa toute-puissance et ma capacité car il m'accorda toutes les grâces qu'il put m'accorder, et que je fus capable de recevoir. Ces grâces ne furent point stériles en moi, mais elles fructifièrent toujours autant qu'il était possible en une simple créature. Le même Seigneur était mon Fils, et son action est toute-puissante, pourvu que la créature ne lui oppose aucun obstacle; or, puisque je ne lui en opposai aucun, qui osera lui limiter ses opérations et l'amour qu'il avait pour moi comme étant sa Mère, quand lui-même me rendit plus digne de ses bienfaits que tous les autres saints, parmi lesquels il n'y en a pas un qui se soit privé dé jouir un seul moment de sa présence pour assister l'Église comme je le fis? Et si toutes les autres merveilles qu'il a opérées en ma faveur semblent excessives et incroyables, je veux que vous sachiez et que tous sachent aussi que tous ses bienfaits furent fondés et renfermés en celui de ma conception immaculée ; car ce fut une plus grande grâce de me rendre, digne de sa gloire lorsque je ne pouvais-la mériter, 468 que de la manifester lorsque je l'avais méritée, et que je ne présentais aucun empêchement à cette manifestation. 622. Ces avis suffiront pour dissiper vos doutes et vos craintes, le reste me regarde; pour vous, vous n'avez qu'à me suivre et à m'imiter; car c'est là pour vous la fin de tout ce que vous apprenez et écrivez c'est à cela que vous devez tendre, vous proposant sans cesse de pratiquer toutes les vertus que vous connaîtrez, sans en omettre aucune. Et pour cela je veux que vous considériez aussi ce que faisaient les aubes saints qui nous ont suivis, mon très-saint Fils et moi , puisque vous n'êtes pas moins redevable qu'eux à sa miséricorde, et que je ne me suis montrée envers aucun ni plus tendre ni plus libérale. Je veux que vous appreniez à mon école, comme ma véritable disciple, la charité, la reconnaissance et l'humilité; et j'exige que vous fassiez de tels progrès dans ces vertus, que vous vous y signaliez. Vous devez aussi, en sollicitant l'assistance des saints et des anges, célébrer mes fêtes avec une intime dévotion, et solenniser d'une manière spéciale celle de mon Immaculée Conception, en laquelle je fus si favorisée de la puissance divine; ce bienfait me pénétra d'une joie indicible, et maintenant j'en ai une toute nouvelle de voir que les hommes remercient et louent le Très-Haut pour un si rare miracle. A mon exemple, vous rendrez de plus ferventes actions de grâces au Seigneur le jour anniversaire de votre naissance , et vous y ferez quelque chose de particulier pour son service; en 469 outre, vous prendrez la résolution, dès ce jour-là, de perfectionner votre vie et de commencer de nouveau à y travailler; c'est ce que tous les mortels devraient faire , au lieu d'employer le jour de leur naissance à de vaines démonstrations d'une joie toute terrestre. CHAPITRE XIII. La bienheureuse Marie célèbre d'autres fêtes avec ses anges, notamment sa Présentation et les fêtes de saint Joachim, de sainte Anne et de saint Joseph. 623. La reconnaissance des bienfaits que la créature reçoit de la main du Seigneur est une vertu si noble, que par elle nous entretenons le commerce et la correspondance qui peuvent exister entre nous et Dieu lui-même, lui en nous distribuant les dons et les trésors de sa libéralité et de sa puissance, et nous en lui offrant humblement dans notre pauvreté les témoignages de notre gratitude. C'est le propre de celui qui donne d'une manière généreuse, de se contenter de la seule reconnaissance du nécessiteux qui a besoin de ses secours; la reconnaissance est un retour facile, prompt et agréable, qui satisfait l'auteur des libéralités, et qui l'oblige à les continuer envers 469 celui qui les reçoit. Et si cela arrive même entre les hommes lorsqu'ils ont un coeur magnanime et généreux , il en sera bien plus certainement de même entre Dieu et les hommes; car nous sommes la misère et la pauvreté même, et il est très-riche et très-libéral, et si nous pouvons imaginer quelque besoin en lui, c'est le besoin de donner, et non de recevoir (1). Aussi ce souverain Seigneur est-il si sage, si juste et si saint, que, s'il nous repousse, ce n'est jamais parce que nous sommes pauvres, mais parce que nous sommes ingrats. Il veut nous donner beaucoup, mais il veut aussi que nous soyons reconnaissants et que nous lui rendions la gloire, l'honneur et la louange que la gratitude renferme. Ce retour à l'égard des moindres bienfaits le porte à nous en départir de plus grands, et quand nous les reconnaissons tous, il les multiplie; mais il n'y a que ceux qui sont humbles qui se les assurent, parce qu'ils sont toujours reconnaissants. 624. La bienheureuse Marie fut la maîtresse de cette science, car ayant reçu à elle seule le comble et la plénitude des bienfaits que la Toute-Puissance pouvait communiquer à une simple créature, elle les reconnut tous avec toute la perfection possible. Pour chacun des dons qu'elle reconnaissait avoir reçu, soit dans l'ordre de la nature, soit dans l'ordre de la grâce (et elle n'en ignorait aucun), elle exprimait sa gratitude par des cantiques, de louange et par 471 d'autres actes admirables, dans lesquels elle en renouvelait la mémoire avec des hommages et des remerciements particuliers. Pour cela elle destinait dans l'année certains jours, et dans ces jours certaines heures dans lesquelles elle repassait en son esprit ces faveurs, et en rendait mille actions de grâces. A tous ces exercices, à tous ces soins, elle joignait l'activité infatigable avec laquelle elle s'occupait du gouvernement de l'Église et de l'enseignement des apôtres et des disciples ; en outre , elle donnait ses conseils à ceux qui venaient la consulter, et quoiqu'ils fussent en très-grand nombre, elle ne les refusait à aucun, et pourvoyait à tous les besoins des fidèles. 625. Et si la véritable reconnaissance est si agréable à Dieu , et le porte à renouveler et à augmenter ses bienfaits, qui pourra imaginer la complaisance avec laquelle il agréait celle que sa très-prudente Mère lui témoignait pour de si sublimes faveurs, et les louanges qu'elle lui offrait pour toutes et pour chacune en particulier, avec l'humilité et la charité la plus parfaite? Tous les autres enfants d'Adam par rapport à elle sont lâches et ingrats, et si inconsidérés, que s'il leur arrive de faire quelque petite chose, elle leur semble fort grande, tandis que notre très-reconnaissante Reine regardait tout ce quelle faisait de plus grand comme fort petit; et après avoir donné à ses actions la plénitude de toute la perfection possible, elle se croyait encore lâche et peu diligente. J'ai dit ailleurs que l'activité de la bienheureuse Marie était semblable à celle de Dieu , 472 qui est un acte très-simple qui agit par son être propre, sans pouvoir cesser ses opérations infinies. Notre grande Reine participa d'une manière ineffable à cette excellence de la Divinité, car elle paraissait être elle-même une opération infatigable et continuelle ; et si la grâce est, chez tous, impatiente d'être seulement oisive, on ne doit pas être surpris qu'en Marie, qui avait reçu une grâce sans bornes, et, si je puis m'exprimer de la sorte, sans la mesure commune, elle lui donnât une si haute participation de l'être de Dieu et de ses qualités. 626. Je ne saurais mieux faire comprendre ce secret que par l'admiration des saints anges qui la pénétraient davantage. Il arrivait souvent que, ravis de ce qu'ils contemplaient en leur grande Reine, ils disaient soit entre eux , soit en s'adressant à elle-même : " Dieu est puissant, grand et admirable en cette créature au-dessus de toutes ses oeuvres ! En elle la nature humaine nous surpasse de beaucoup. Que votre Créateur, ô Marie, soit éternellement béni et glorifié. Vous êtes l'ornement et la beauté de tout le genre humain. Vous êtes l'objet de la sainte émulation des esprits angéliques et de l'admiration des habitants du ciel. Vous êtes la merveille de la puissance de Dieu , le prodige glorieux de sa droite, l'abrégé des oeuvres du Verbe incarné, la parfaite image de ses perfections, le vestige de tous ses pas ; vous ressemblez en tout à Celui à qui ,vous avez donné la forme humaine dans votre sein. Vous êtes la digne Maîtresse de l'Église militante, 473 et la gloire spéciale de l'Église triomphante ! l'honneur des courtisans célestes et la Restauratrice de votre peuple. Que toutes les nations connaissent votre vertu et votre grandeur, que toutes les générations vous louent et vous bénissent. Ainsi soit-il. " 627. L'auguste Marie célébrait avec ces princes célestes la mémoire des bienfaits et des dons qu'elle avait reçus du Seigneur. Et la demande qu'elle leur faisait,de l'assister en cette reconnaissance ne lui était pas seulement inspirée par son très-ardent amour, qui lui méritait toutes ces faveurs et les lui procurait par cette soif insatiable que le feu de la charité cause là où il brûle; ce qui y contribuait aussi, c'était son humilité profonde, par laquelle elle se reconnaissait obligée au delà de toutes les créatures; c'est pourquoi elle les engageait toutes à l'aider à s'acquitter de sa dette, quoiqu'elle fût la seule qui pût dignement y satisfaire. Et par cette sagesse admirable elle attirait dans son oratoire la cour du souverain Roi , et faisait du monde un nouveau ciel. 628. Elle célébrait tous les ans le jour qui correspondait à sa Présentation dans le Temple, commençant le soir de la veille les saints exercices et les actions de grâces auxquels elle consacrait toute la nuit, comme aux jours de sa Conception et de sa Nativité. Elle reconnaissait la faveur que le Seigneur lui avait faite en l'introduisant dans son Temple à un âge si tendre , et le remerciait de tous les bienfaits dont il l'avait 474 prévenue pendant qu'elle y demeura. Mais ce qu'il y avait de plus admirable dans la célébration de cette fête, c'était que la grande maîtresse des vertus , quoique pleine de sagesse divine, rappelait à sa mémoire les instructions que le prêtre et sa Maîtresse lui avaient données en son enfance dans cette maison de prière. Elle repassait aussi en son esprit ce que ses saints parents Joachim et Anne lui avaient enseigné, et tout ce qu'elle avait entendu de la bouche des apôtres. Et elle faisait de nouveau tout ce qui lui avait été dit, de la manière convenable à cet âge plus avancé. Ainsi, quoique l'enseignement de son très-saint Fils lui fût bien suffisant pour diriger toutes ses actions, et valût plus que tous les autres enseignements, il n'en était point, de tous ceux qu'elle avait reçus, qu'elle ne voulût méditer. Car quand il s'agissait de s'humilier, d'obéir en inférieure, et de recevoir des leçons, elle ne perdait pas un moment, et il n'y avait pas de secrète industrie de ces vertus qu'elle négligeât. Oh ! avec combien de perfection elle exécutait les conseils des sages! Ne vous appuyez point sur votre prudence, et ne soyez point sage à vos propres yeux (1). Ne méprisez point les avis des anciens, et réglez-vous toujours sur leurs maximes (2). Ne vous élevez pas avec arrogance, mais accommodez-vous aux petits (3 ). 629. Quand l'auguste Vierge célébrait cette fête, elle éprouvait une espèce de doux regret naturel à la (1) Prov., III, 5 et 7. - (2) Eccles., VIII, 9. - (3) Rom., XII, 16. 475 pensée du séjour qui elle avait fait dans le Temple; elle l'avait pourtant quitté aussitôt qu'elle avait connu la volonté du Seigneur à cet égard , se soumettant à toutes les très-hautes fins pour lesquelles il lui ordonna d'en sortir, et le Seigneur continuait à la récompenser de cette prompte obéissance par diverses faveurs qu'il lai faisait en cette fête. Il descendait ce jour-là du ciel dans tout l'éclat de sa magnificence, accompagné des anges, comme dans les autres occasions, et s'adressant à la bienheureuse Mère dans son oratoire, il lui disait : " Ma Mère et ma Colombe , venez à moi, qui suis votre Dieu et votre Fils. Je veux vous donner un temple et une habitation plus haute, plus tranquille et plus divine, qui sera dans mon être propre. Venez, ma très-chère et ma bien-aimée, dans la demeure qui vous appartient légitimement. " Après ces très douces paroles, les séraphins relevaient lotir Reine de terre (car elle restait toujours prosternée en la présence de son Fils, jusqu'à ce qu'il lui ordonnât de se lever), et au milieu des accords d'une musique céleste, ils la plaçaient à la droite du même Seigneur. Elle sentait on connaissait incontinent que la divinité de Jésus-Christ la remplissait tout entière, comme le temple de sa gloire, et qu'elle l'inondait, l'entourait, l'enveloppait comme la mer le poisson qu'elle renferme dans son sein ; et cette espèce d'union et d'embrassement divin lui faisait éprouver de nouveaux effets ineffables, car elle recevait une certaine possession de la Divinité que je ne puis expliquer, et 476 la divine Mère, quoiqu'elle ne vit point Dieu face à face, y ressentait une joie extraordinaire. 630. La très-prudente Mère appelait cette grande faveur, mon très-sublime refuge et ma très-haute demeure, elle appelait aussi cette fête, la fête de l'être de Dieu, et récitait des hymnes admirables pour en exprimer à la fois la grandeur et sa reconnaissance. Elle employait la fui de ce jour à rendre des actions de grâces au Tout-Puissant au nom des patriarches et des anciens prophètes, depuis Adam jusqu'à ses propres parents , qui formaient comme le dernier anneau de la chaîne. Elle les rendait pour tous les dons de grâce et de nature que le Seigneur leur avait départis, pour tout ce qu'ils avaient prophétisé, et pour ce que les saintes Écritures rapportent d'eux. Puis elle s'adressait à ses parents saint Joachim et sainte Anne, les remerciait de ce qu'ils l'avaient offerte à Dieu dans le Temple dès son enfance, les suppliait de reconnaître en son nom ce bienfait dans la Jérusalem céleste, où ils jouissaient de la vision béatifique, et de prier le Très-Haut de lui enseigner à être reconnaissante, et de, la conduire en toutes ses actions. Et surtout elle les conjurait de nouveau de, rendre des actions de grâces au Seigneur tout-puissant de ce qu'il l'avait exemptée du péché originel pour la choisir pour sa Mère, car elle regardait toujours ces deux bienfaits comme inséparables. 631. Elle célébrait les fêtes de saint Joachim et de sainte Anne avec presque les mêmes cérémonies, et les deux saints descendaient dans l'oratoire avec notre 477 Sauveur Jésus-Christ et une multitude innombrable d'anges; et la bienheureuse Vierge rendait avec eux des actions de grâces au Seigneur de lui avoir donné des parents si saints et accomplissant si parfaitement sa divine volonté, ainsi que de la gloire par laquelle il les avait récompensés. Pour toutes ces oeuvres du Seigneur, elle faisait de nouveaux cantiques avec ses anges, qui les répétaient avec la musique la plus harmonieuse. Il arrivait encore une autre. chose à la fête de ses patents : c'est que les anges de cette mime Reine et plusieurs autres qui descendaient du ciel, lui expliquaient, chacun selon son rang et sa hiérarchie, un attribut ou une perfection de l'être de Dieu, et ensuite une autre du Verbe incarné. Cet entretien si divin lui causait une joie incomparable, et ne faisait qu'exciter encore l'ardeur de ses affections amoureuses. Saint Joachim et sainte Anne recevaient aussi une joie accidentelle très-grande, et à la fin de tous ces mystères notre auguste Princesse demandait la bénédiction à ses parents; ensuite ils s'en retournaient au ciel, et elle demeurait prosternée pour exprimer de nouveau la gratitude que lui inspiraient ces bienfaits. 632. Lors de la fête de son très-chaste et très-saint époux Joseph, elle célébrait les épousailles dans lesquelles le Seigneur le lui avait donné pour son très-fidèle compagnon, afin de cacher les mystères de l'incarnation du Verbe, et pour exécuter avec une si haute sagesse les secrets et les oeuvres de la rédemption du genre humain. Et comme tontes ces oeuvres du 478 Très-Haut et de son conseil éternel étaient comme en dépôt dans le coeur très- prudent de Marie, et qu'elle en faisait la digne estime qu'elles demandaient, la joie et la reconnaissance avec lesquelles elle en célébrait la mémoire étaient ineffables. Le très-saint époux Joseph descendait à la fête tout rayonnant de gloire, accompagné de milliers d'anges , qui la solennisaient avec une grande jubilation et une grande pompe, chantant de nouvelles hymnes et de nouveaux cantiques que la bienheureuse Marie faisait pour reconnaître les bienfaits que son saint époux et elle avaient reçus de la main du Très-Haut. 633. Après avoir ainsi passé plusieurs heures, elle s'entretenait une partie de ce jour avec le glorieux époux Joseph sur les perfections et les attributs divins; car, en l'absence du Seigneur, c'étaient les entretiens auxquels la tendre Mère se plaisait le plus. Et au moment de prendre congé du saint époux, elle le suppliait de prier pour elle en la présence de la Divinité, et de la louer en son nom. Elle lui recommandait aussi de prier pour les besoins de la sainte Église et des apôtres, et surtout elle lui demandait sa bénédiction. Le glorieux saint s'en retournait ensuite au ciel, et elle continuait dans son oratoire, suivant sa coutume , ses actes d'humilité et de reconnaissance. Mais on doit remarquer deux choses : la première, c'est que, quand son Fils vivait sur la terre, et se trouvait présent à ces fêtes; il se montrait ordinairement transfiguré à sa bienheureuse Mère, comme sur le Thabor. Il lui fit souvent cette faveur à elle seule, 479 surtout dans cet occasions, lui donnant par là quelque récompense de son intime dévotion et de sa profonde humilité, et la renouvelant par les effets divins que produisait en elle cette merveille. La seconde chose, c'est que, pour célébrer ces faveurs, elle ajoutait à tout ce que j'ai dit un autre soin bien digne de sa charité et de notre attention. Aux jours qui ont été indiqués et en d'autres jours dont je parlerai plus loin, elle nourrissait plusieurs pauvres, leur apprêtait elle-même à manger, et les servait à genoux. En pareil cas, elle recommandait à l'évangéliste de lui amener les pauvres les plus délaissés et les plus misérables, et le saint se conformait à ses instructions. En outre, elle apprêtait quelque autre chose de plus délicat pour l'envoyer dans les hôpitaux aux malades pauvres qu'elle ne pouvait appeler chez elle, et elle allait ensuite les consoler et les soulager par sa présente. Voilà comment la bienheureuse Marie célébrait ses fêtes ; voilà l'exemple qu'elle a proposé à l'imitation des fidèles, afin qu'ils se montrent constamment reconnaissants, et qu'ils offrent, autant qu'ils le peuvent, le sacrifice de leurs louanges et de leurs bonnes oeuvres. Instruction que la grande Reine du ciel m'a donnée. 634. Ma fille, le péché d'ingratitude envers Dieu est un des plus énormes que les hommes commettent, 480 un de ceux par lesquels ils se rendent le plus indignes et le plus abominables aux yeux du Seigneur et des saints, qui ont une espèce d'horreur pour cette honteuse insensibilité des mortels. Et quoiqu'il leur soit si funeste, chacun d'eux en particulier ne commet néanmoins aucun autre péché avec plus d'inconsidération ni plus fréquemment. Il est vrai que le Seigneur, pour n'avoir pas lieu d'être aussi irrité de cet oubli de ses bienfaits si odieux et si général , a voulu que la sainte Église réparât publiquement en partie le manque de reconnaissance que ses enfants et tous les hommes témoignent envers Dieu. C'est pour reconnaître ses bienfaits que le corps de l'Église lui adresse tant de prières et lui offre tant de sacrifices de louange et de gloire, qui sont ordonnés dans la même Église. Mais comme les faveurs et les grâces de sa libérale et attentive providence ne tombent pas seulement sur le commun des fidèles, mais s'adressent en particulier à celui qui reçoit le bienfait , ils ne sauraient s'acquitter de leur dette par la reconnaissance commune, parce que chacun y est spécialement obligé pour ce qui lui revient des divines largesses. 635. Combien s'en trouve-t-il parmi les mortels, qui pendant toute leur vie n'ont pas fait un seul acte de véritable reconnaissance envers Dieu de ce qu'il la leur a donnée et la leur conserve; de ce qu'il leur donne la santé, les forces, la nourriture, les honneurs , la fortune, et tant d'autres biens temporels et naturels? Il y en à d'autres qui, tout en connaissant l'Auteur de ces bienfaits, ne songent point à l'en 481 remercier; à la vérité, ils aiment Dieu, qui les leur a départis, mais pour l'amour qu'ils se portent à eux-mêmes, et parce qu'ils se complaisent en ces choses temporelles et terrestres, parce qu'ils se réjouissent de les posséder. Il y a là une illusion qu'on découvrira par deux marques : d'abord , quand ils perdent ces biens terrestres et passagers, ils s'affligent, se dépitent, se désolent, ils ne sauraient penser à autre chose; il n'y a rien qu'ils estiment ni qu'ils désirent, parce qu'ils n'aiment que ce qui est apparent et périssable. Et quoique bien souvent le Seigneur ne fasse que leur accorder le plus grand des bienfaits en les privant de la santé, des honneurs, des richesses et autres choses semblables, afin qu'ils ne s'y attachent point avec une affection désordonnée et aveugle, ils regardent néanmoins cette heureuse perte comme un malheur et comme une espèce d'injustice, et veulent toujours que leur coeur coure après les choses périssables pour périr avec elles. 636. Seconde marque de cette illusion : la passion aveugle qu'ils ont pour ce qui est passager les empêche de se souvenir des biens spirituels, qu'ils ne savent ni estimer ni reconnaître. Cette faute grossière est surtout énorme de la part des enfants de l'Église, que la miséricorde infinie, sans y être aucunement obligée, sans qu'ils l'eussent aucunement mérité, a daigné mettre dans le chemin assuré de la vie éternelle eu leur appliquant spécialement les mérites de la Passion et de la mort de mon très-saint Fils. Chacun de ceux qui sont aujourd'hui dans la saints Église 482 pouvait naître en d'autres temps et en d'autres siècles, avant que Dieu vint au monde, et, après son avènement, il pouvait le créer parmi les gentils, les idolâtres , les hérétiques et autres infidèles , où sa damnation éternelle aurait été inévitable. Sans qu'ils pussent se prévaloir d'aucun mérite, il les a tous appelés à la foi, il leur a fait connaître la vérité infaillible, il les a justifiés par le baptême., il leur a donné les sacrements, les ministres, la doctrine et la lumière de la vie éternelle. Il les a mis dans le chemin assuré, il les assiste par ses secours, il leur pardonne quand ils ont péché, il les relève, quand ils sont tombés, il les attend à la pénitence , il les convie par sa miséricorde, et il les récompense de la main la plus libérale. Il les défend par ses anges, il se donne lui-même à eux en gage et comme l'aliment de leur vie spirituelle; enfin, il les comble de tant de bienfaits, qu'on ne saurait ni les compter ni les mesurer, et il ne se passe point un jour, point une heure où leur dette ne grossisse. 637. Or dites-moi, ma fille, quelle reconnaissance ne doit-on pas à une si libérale et si paternelle clémence? Et combien sen trouve-t-il qui l'aient dignement? Le plus considérable bienfait est que, malgré cette ingratitude, les portes de cette miséricorde ne se soient point fermées, et que ses sources n'aient point été taries, parce qu'elle est infinie. Le principe d'où provient le plus souvent cette méconnaissance si effroyable chez les hommes, est leur ambition démesurée, et l'avidité avec laquelle ils convoitent les 483 biens temporels , apparenta et passagers. C'est cette soif insatiable qui cause leur ingratitude; car, comme ils désirent si vivement la possession des choses temporelles , tout ce qu'ils reçoivent leur parait peu de chose; ils n'en témoignent aucune reconnaissance, et ils oublient en même temps les bienfaits spirituels, et ainsi ils sont très-ingrats à l'égard des uns et des autres. A cette folie ils en ajoutent d'ordinaire une autre plus grande, qui est de demander à Dieu non-seulement ce dont ils ont besoin, mais tout ce qui leur vient à la fantaisie, et qui doit contribuer à leur propre damnation. C'est quelque chose de bas et de honteux parmi les hommes, que de demander un bienfait à celui qu'on a offensé, et surtout que de le lui demander pour s'en servir à l'offenser davantage. Or quelle raison aura un homme vil, terrestre et ennemi de Dieu, de lui demander la vie, la santé , la réputation , la fortune, et les autres choses qu'il a toujours reçues avec ingratitude, et dont il n'a jamais usé que contre Dieu même? 638. Ajoutez à cela qu'il ne lui a jamais témoigné aucune reconnaissance pour le bienfait de l'avoir créé, racheté, appelé, entendu, justifié, et de lui avoir destiné sa propre gloire dans le ciel. Et si l'homme vent obtenir cette gloire, il est évident qu'il ne pourra, après s'en être rendu si indigne par son ingratitude, la demander sans un excès d'audace et de témérité, sil ne demande d'abord la connaissance et la douleur d'une telle offense. Je vous assure, ma très-chère fille, que ce péché si réitéré de l'ingratitude 484 envers Dieu est une des plus grandes marques de réprobation chez ceux qui le commettent avec tant d'oubli et d'inconsidération. C'est aussi une mauvaise marque , que le juste Juge accorde les biens temporels à ceux qui les lui demandent, en oubliant le bienfait de la rédemption et de la justification; car ne faisant aucun cas de ce qui peut leur procurer la vie éternelle, ils demandent alors l'instrument de leur mort; et s'ils l'obtiennent, ce n'est pas une faveur, c'est la punition de leur aveuglement qu'ils reçoivent. 639. Je vous découvre toutes ces illusions, toutes ces erreurs, afin que vous les craigniez et que vous les évitiez. Mais sachez que votre reconnaissance ne doit pas être commune: car vous ne sauriez vous-même vous faire une idée de la grandeur des bienfaits que vous avez reçus. Ne vous laissez point abuser par une certaine retenue qui, sous prétexte d'humilité, pourrait vous empêcher de les reconnaître et d'en témoigner toute la gratitude à laquelle vous êtes tenue. Vous n'ignorez pas les efforts qu'a faits le démon pour vous détourner du souvenir des oeuvres et des faveurs du Seigneur et des miennes, par la vue de vos fautes et de vos misères, qu'il tâche de vous représenter comme incompatibles avec les dons et les lumières que vous avez reçus. Débarrassez-vous une bonne fois de toutes ces pensées, vous persuadant que plus vous attribuez à Dieu les biens que vous recevez de sa main libérale, plus vous vous abaissez , plus vous vous humiliez; et que plus vous lui devez, plus vous 485 vous trouverez pauvre pour vous acquitter envers lui d'une plus grande dette, n'étant pas capable de satisfaire à la plus petite que vous ayez. Il n'y a pas de présomption à connaître cette vérité, mais de la prudence ; il n'y a pas d'humilité à vouloir l'ignorer, mais de la folie, et une folie fort répréhensible; car vous ne sauriez reconnaître ce que vous ignorez, ni aimer beaucoup votre bienfaiteur si vous n'appréciez les bienfaits qui vous y obligent. Vous craignez de perdre la grâce et l'amitié du Seigneur ; et c'est avec beaucoup de raison , car il a fait en votre faveur ce qui suffirait pour justifier bien des âmes. Mais c'est une chose fort différente de craindre avec prudence de perdre cette grâce, ou de la révoquer en doute pour n'y ajouter pas foi ; et le démon cherche par ses artifices à vous donner ici le change : car au lieu d'une sainte crainte il veut vous inspirer une incrédulité opiniâtre sous les apparences d'un bonne intention et d'une crainte salutaire. C'est celle-ci seule qui doit vous servir à garder votre trésor, à vous conserver dans une pureté angélique, à m'imiter avec zèle, et à profiter de toutes les instructions que je vous donne pour cela dans cette histoire. 486 CHAPITRE XIV. La manière admirable avec laquelle la bienheureuse Marie célébrait les mystères de l'Incarnation et de la Nativité du Verbe incarné, et reconnaissait ces grands bienfaits. 640. L'auguste Marie étant si fidèle dans les petites choses, il est hors de doute qu'elle ne fût aussi très-fidèle dans les grandes. Et si elle fut si prompte, si attentive et si exacte à reconnaître les moindres bienfaits, il est certain qu'elle l'était aussi parfaitement que possible dans les plus grandes faveurs qu'elle et tout le genre humain reçurent de la main du Très-Haut. Entre tous ces bienfaits, l'oeuvre de l'incarnation du Verbe éternel dans le sein de sa très-heureuse et très-pure Mère tient le premier lieu; car ce fut l'oeuvre la plus excellente et la grâce la plus grande de toutes celles jusqu'auxquelles pouvaient aller, eu faveur des hommes, la puissance et la sagesse infinies, unissant l'être divin avec l'être humain en la personne du Verbe par l'union hypostatique, qui fut le principe de tons les dons que fit le Tout-Puissant à la nature humaine et à la nature angélique. Par cette merveille inouïe, Dieu contracta un tel engagement, due, si je puis m'exprimer de la sorte, il ne s'en serait point tiré d'une manière aussi glorieuse, s'il n'avait 487 trouvé en la nature humaine elle-même quelque caution qui, par sa sainteté et sa reconnaissance, profitât,aussi pleinement que possible d'un pareil bienfait, conformément à ce que j'ai dit dans la première partie. Cette vérité devient plus intelligible quand on se rappelle ce que la foi nous enseigne, à savoir que la divine Sagesse a prévu de toute éternité l'ingratitude des réprouvés, et combien ils profiteraient peu et useraient de la faveur si insigne et si ineffable que Dieu nous a faite en se faisant homme véritable , Maître, Rédempteur et Exemplaire de tous les mortels. 641. C'est pourquoi la même Sagesse infinie ordonna cette merveille de telle sorte qu'il y eût parmi les hommes quelqu'un qui pût réparer cette injure faite par tous ceux qui se montrent insensibles à un bienfait si sublime, et s'entremettre par une digne reconnaissance entre eux et Dieu, pour l'apaiser et le satisfaire autant qu'il était possible du côté de la nature humaine. C'est ce que fit en premier lieu la très- sainte humanité de notre Rédempteur Jésus-Christ, qui fut le Médiateur auprès du Père éternel (1), réconciliant avec lui tout le genre humain, et satisfaisant pour les péchés des hommes avec une surabondance de mérites et une ample compensation de notre dette. Mais compte ce Seigneur était vrai Dieu et vrai homme, il semble que la nature humaine lui aurait été encore redevable à lui-même, si parmi (1) I Tim., II. 5. 488 les simples créatures il ne s'en fut trouvé une qui lui payât cette dette tout autant qu'il était possible de leur côté avec la divine grâce. Sa propre Mère et notre auguste Reine lui rendit ce retour; car elle seule fut la Secrétaire du grand conseil et la Dépositaire de ses mystères. Elle seule les pénétra, les estima et les reconnut aussi dignement qu'on pouvait l'exiger de la nature humaine sans divinité. Elle seule pénétra notre ingratitude et la lâcheté avec laquelle, comparativement à elle, les autres enfants d'Adam tâchent quelquefois de la réparer. Elle seule sut et put apaiser et satisfaire son propre Fils après l'injure qu'il reçut des mortels quand tous ne le reçurent pas pour leur Rédempteur et leur Maître, et pour leur vrai Dieu incarné pour le salut de tous. 642. Notre grande Reine eut ce mystère incompréhensible si présent en sa mémoire, qu'elle ne l'oublia jamais un seul moment. Elle connaissait aussi toujours l'ignorance que tant d'enfants d'Adam avaient de ce bienfait; et pour la reconnaître, tant en son nom qu'au nom de tous, elle se prosternait chaque jour plusieurs fois, faisait d'autres actes d'adoration, et répétait continuellement en divers termes cette prière : " Souverain Seigneur, Dieu de mon âme, je me prosterne en votre divine présence en mon nom et en celui de tout le genre humain, et je vous loue et vous bénis pour le bienfait admirable de votre Incarnation ; je vous glorifie et vous adore dans le mystère de l'union hypostatique de la nature divine avec la nature humaine, en la divine personne du 489 Verbe éternel. Si les misérables enfants d'Adam ignorent ce bienfait, et si ceux qui le connaissent n'en rendent pas de dignes actions de grâces, souvenez-vous, Seigneur très-clément, vous qui êtes notre Père, souvenez-vous qu'ils vivent en une chair pleine de faiblesses, d'ignorance et de passions, et qu'ils ne peuvent venir à vous si vous ne daignez les attirer par votre bonté miséricordieuse (1). Pardonnez, pion Dieu, ce manquement d'une nature si fragile. Moi qui suis votre servante et un vermisseau de terre, je vous remercie de ce bienfait avec tous les courtisans de votre gloire, et pour moi et pour chacun des mortels. Et vous, mon adorable Fils, je vous supplie du plus intime de mon âme de vous charger de cette cause des hommes vos frères, et de leur obtenir le pardon de votre Père éternel. Secourez avec votre bonté immense ces infortunés conçus dans le péché, qui ignorent leur propre mal, et qui ne savent ce qu'ils font ni ce qu'ils doivent faire. Je prie pour votre peuple et pour le mien; puisque, en tant que vous êtes homme, nous sommes tous de votre nature, ne la méprisez pas; et en tant que vous êtes Dieu, vous donnez un prix infini à vos oeuvres. Faites a qu'elles soient le retour et la reconnaissance digne de notre dette : puisque vous seul pouvez payer ce que nous avons tous reçu et ce que nous devons au Père éternel, qui, pour le salut des pauvres et le (1) Joan., VI, 44. 490 rachat des captifs, a bien voulu vous envoyer du ciel sur la terre. Donnez la vie aux morts, enrichissez les pauvres, éclairez les aveugles; vous êtes notre salut, notre bien et tout notre remède (1). " 663. La grande Reine de l'univers faisait ordinairement cette prière et d'autres semblables. Mais , outre cette continuelle reconnaissance, elle ajoutait d'autres nouveaux exercices pour célébrer le sublime mystère de l'Incarnation, lorsque les jours arrivaient auxquels le Verbe divin se revêtit de chair humaine dans son sein : en ces jours elle était plus favorisée du Seigneur que dans les autres fêtes qu'elle célébrait : car celle-ci durait les neuf jours qui précédèrent immédiatement le 25 mars, c'est-à-dire celui où ce mystère fut accompli avec la préparation que j'ai dite an commencement de la seconde partie. J'y ai rapporté dans neuf chapitres les merveilles qui précédèrent l'Incarnation , pour disposer dignement la divine Mère qui devait concevoir le Verbe incarné dans son âme et dans son sein virginal. Je suis obligée d'en rappeler ici et d'en répéter brièvement les circonstances, pour indiquer la manière dont elle célébrait et renouvelait la reconnaissance de ce miracle et de ce bienfait ineffable. fils. Elle commençait cette solennité le 16 mars vers le soir, et pendant les neuf jours suivants jusqu'au 25, elle demeurait enfermée sans manger ni dormir; et pendant cette neuvaine, l'évangéliste seul (1) Luc., IV, 18; Matth., X, 8. 491 la voyait pour lui administrer la sainte communion. Le Tout-Puissant renouvelait toutes les faveurs qu'il fit à la bienheureuse Marie dans les autres neuf jours qui précédèrent l'Incarnation ; mais en ceux-ci elle recevait de son adorable Fils, notre Rédempteur, d'autres nouveaux bienfaits; car, comme il était déjà né de la très- digne Mère, il se chargeait de l'assister et de la favoriser en cette fête. Les six premiers jours de cette neuvaine il arrivait que, quelques heures après le commencement de la nuit, que la divine Mère consacrait à ses exercices ordinaires, le Verbe incarné descendait du ciel avec la même majesté et la même gloire qu'il y a à la droite du Père éternel, accompagné d'un très-grand nombre d'anges; et il entrait avec cet éclat dans l'oratoire où était sa très-sainte Mère. 645. La très-prudente et très-pieuse Mère adorait son Fils et son Dieu véritable avec une humble vénération, et avec ce culte que sa très-haute sagesse était seule capable de lui rendre dignement. Ensuite, parle ministère des saints anges, elle était élevée de terre et placée à la droite du même Seigneur sur son trône, où elle sentait une union intime et ineffable avec l'humanité et la Divinité, qui la transformait et la remplissait de gloire et de nouvelles influences, que je ne saurais exprimer. Dans cet état le Seigneur renouvelait en elle les merveilles qu'il opéra pendant les neuf jours avant l'Incarnation: le premier de ceux-ci répondant au premier de ceux-là, le second au second, et ainsi des autres. Il ajoutait aussi d'autres 492 nouvelles faveurs et de nouveaux effets admirables, conformes à l'état où se trouvaient le même Seigneur et sa bienheureuse Mère. Et quoiqu'elle conservât toujours là science habituelle de toutes les choses qu'elle avait connues jusqu'alors, dans cette occasion néanmoins son entendement était éclairé d'une nouvelle lumière et doué d'une nouvelle force pour user de cette science avec une intelligence et avec des effets plus merveilleux. 646. Le premier jour de cette neuvaine ; toutes les oeuvres que Dieu fit au premier jour de la création du monde lui étaient manifestées ; elle connaissait l'ordre et le mode suivant lesquels toutes les choses qui regardent ce jour-là furent créées: le ciel, la terre et les abîmes avec leur longueur, leur largeur et leur profondeur ; la lumière, les ténèbres, et leur division ; toutes les qualités et toutes les propriétés de ces choses matérielles et visibles. Et des invisibles, elle connaissait la création des anges, toutes leurs espèces, toutes leurs qualités, le temps qu'ils persévérèrent en la grâce, la lutte qui eut lieu entre les anges fidèles et les apostats, la chute de ceux-ci et la confirmation en grâce des autres; et tout le reste que Moïse renferme mystérieusement dans les œuvres du premier jour (1). Elle pénétrait aussi les fins qu'eut le Tout-Puissant en la création de ces choses et des autres, pour communiquer sa Divinité et pour la manifester par 'elles, de sorte qu'elles portassent (1) Gen., I, 1 tous les anges et tous les hommes, comme êtres intelligents, à le connaître et à le louer. Et comme le renouvellement de cette science n'était pas oiseux en la très- prudente Mère, son très-saint Fils lui disait : " Ma Mère et ma Colombe, je vous ai fait connaître toutes ces oeuvres de ma puissance infinie pour vous manifester ma grandeur avant de prendre chair dans votre sein virginal ; et maintenant je vous en renouvelle la connaissance pour vous donner de nouveau la possession, et pour vous constituer la Maîtresse absolue de toutes, comme étant ma Mère, voulant que les anges, les cieux, la terre, la lumière et les ténèbres vous servent et vous obéissent, et afin que vous rendiez de dignes actions de grâces au Père éternel, et que vous le bénissiez pour le bienfait de la création, que les mortels négligent de reconnaître. " 647. Notre grande Reine répondait à cette volonté du Seigneur, et satisfaisait à cette dette des hommes avec toute la plénitude possible , reconnaissant pour elle- même et pour toutes les créatures ces bienfaits incomparables. Elle passait le jour en ces exercices et en d'autres fort mystérieux, jusqu'à ce que son très-saint Fils s'en retournât au ciel. Le second jour, le Seigneur en descendait à minuit dans le même apparat, et renouvelait en sa divine Mère la connaissance de toutes les oeuvres du second jour de la création (1) la formation du firmament au milieu des eaux, la (1) Gen., I, 6, etc. 494 division des eaux supérieures et des eaux inférieures, le nombre et la disposition des cieux, leur construction et leur harmonie, leurs lois et leur nature, leur grandeur et leur beauté. Elle connaissait. tout cela avec une certitude infaillible, supérieure à tous les systèmes, quoiqu'elle connût aussi ceux que les docteurs et les écrivains ont conçus sur cette matière. Le troisième jour il lui était manifesté de nouveau ce que les livres saints en rapportent (1), et que le Seigneur rassembla les eaux qui étaient sur la terre, en forma la mer, et découvrit la terre afin qu'elle donnât des fruits, comme elle le fit aussitôt au commandement de son Créateur, produisant des plantes, des herbes, des arbres, et les autres choses qui la parent et l'embellissent. Elle connut la nature, les qualités et les propriétés de toutes ces plantes, et en quelle manière elles pouvaient être utiles ou nuisibles pour l'usage des hommes. Le quatrième jour elle connut en particulier la formation du soleil , de la lune , des étoiles, des cieux, leur matière, leur forme, leurs qualités, leurs influences, les orbites qu'ils décrivent, et les divers mouvements par lesquels ils distinguent les temps, les années et les jours (2). Le cinquième jour il lui était manifesté la création ou génération des oiseaux du ciel, des poissons de la mer, qui furent tous formés des eaux, et de quelle manière ces êtres se produisirent dans leur commencement, et devaient ensuite se conserver et se propager; elle connut (1) Gen., I, 9. - (2) Ibid., 14. 495 toutes les espèces et toutes les qualités des animaux de la terre et des poissons de la mer (1). Le sixième jour elle recevait de nouvelles lumières et de nouvelles notions sur la création de l'homme, comme étant la fin de toutes les autres créatures matérielles (2); et outre qu'elle voyait sa structure et l'harmonie de son organisation, en laquelle il les résume toutes d'une manière admirable, elle connaissait aussi le mystère de l'Incarnation, à laquelle se rapportait cette formation de l'homme, ainsi que tous les autres secrets de la sagesse divine, qui étaient renfermés en cette oeuvre et en celles de toute la création, par où le Seigneur faisait éclater sa grandeur et sa majesté infinie. 648. En chacun de ces jours l'auguste Vierge faisait un cantique particulier à la louange du Créateur, pour les oeuvres qui correspondaient à la création de ce jour, et pour les mystères qu'elle pénétrait en ces oeuvres. Elle faisait ensuite de grandes prières pour tous les hommes, surtout pour les fidèles, afin qu'ils fussent réconciliés avec Dieu et qu'ils apprissent à le connaître, à l'aimer, à le louer dans ses oeuvres et pour ses oeuvres, au moyen des lumières qu'ils recevraient et sur elles et sur la Divinité. Et comme elle prévoyait l'ignorance de tant d'infidèles, qui n'arriveraient point à cette connaissance ni à la véritable foi qui leur pouvait être communiquée; et que beaucoup de fidèles, tout en proclamant que le Très-Haut est (1) Gen., I, 20. - (2) Ibid., 27. 496 l'auteur de ces oeuvres , seraient fort négligents à lui en témoigner une juste reconnaissance, elle faisait des actes héroïques et admirables pour réparer tous ces manquements des enfants d'Adam. Cette généreuse correspondance lui attirait de nouvelles faveurs de la part de son très-saint Fils , qui l'élevait à de nouveaux dons et à une nouvelle participation de sa divinité et de ses attributs, rassemblant en elle ce dont les mortels s'étaient rendus indignes par leur odieuse insensibilité. Et il lui donnait un nouvel empire sur chacune des oeuvres de ce jour, afin qu'elles la reconnussent et la servissent toutes comme la Mère du Créateur, qui l'établissait Maîtresse souveraine de tout ce qu'il avait créé dans le ciel et sur la terre. 649. Au septième jour, ces divines faveurs lui étaient renouvelées avec surcroît. En effet, les trois derniers jours son Fils ne descendait point du ciel, mais la divine Mère y était enlevée , comme il arriva dans les jours correspondants qui précédèrent l'incarnation. Ainsi , à minuit, sur l'ordre du Seigneur, les anges la portaient dans l'empyrée, où après qu'elle avait adoré l'être de Dieu, les plus hauts séraphins l'ornaient d'un vêtement plus blanc que la neige et plus brillant que le soleil. Ils lui mettaient une ceinture de pierres précieuses si riches et si belles, qu'il n'y 'a rien dans la nature à quoi on puisse les comparer, car chacune surpassait en éclat le soleil, et même plusieurs s'ils eussent été unis ensemble. Ils l'ornaient ensuite de bracelets, de colliers et d'autres parures 497 dignes de la personne qui les recevait, et de Celui qui les donnait; car les séraphins descendaient avec un respect admirable tous ces bijoux du trône de la très-sainte Trinité, dont la participation était marquée d'une manière différente par chacun de ces ornements. Et non-seulement ils signifiaient la nouvelle participation des perfections divines que notre auguste Reine recevait, mais les séraphins qui la paraient (ils étaient au nombre de six), représentaient aussi de leur côté le mystère de leur ministère. 650. Après ces séraphins il en venait six autres, qui revêtaient leur Reine d'un autre ornement nouveau, et retouchaient, pour ainsi dire, toutes ses puissances, leur donnant une souplesse, une beauté et une grâce qu'il n'est pas possible d'exprimer. Quand ils avaient terminé leur travail, six autres séraphins leur succédaient, et par leur ministère ils lui donnaient les qualités et la lumière par lesquelles son entendement et sa volonté étaient élevés pour la vision et la jouissance béatifique. Et notre grande Reine une fois parée de tous ses atours et si ravissante, tous ces séraphins (au nombre de dix-huit) l'élevaient au trône de la très-sainte Trinité, et la plaçaient à la droite de son Fils unique notre Sauveur. Là il lui était demandé de déclarer ce qu'elle voulait et ce qu'elle désirait. Et la véritable Esther répondait : a Je demande, Seigneur, miséricorde pour mon peuple (1), et en son nom et an mien je désire et je veux reconnaître (1) Esth., VII, 3. 408 la faveur que votre toute-puissance miséricordieuse lui a faite, en donnant la forme humaine au Verbe éternel dans mon sein pour le racheter. " Elle présentait encore d'autres demandes pleines d'une charité et d'une sagesse incomparables, priant pour tout le genre humain, et spécialement pour la sainte Église. 651. Bientôt son très-saint Fils, s'adressant au Père éternel , lui disait : " Je vous glorifie, mon Père, et je vous présente cette créature, fille d'Adam, agréable à vos yeux, comme choisie entre toutes les autres créatures pour être ma Mère et le témoignage de nos attributs infinis. Elle seule sait pleinement correspondre par une digne estime et par une reconnaissance sincère à la faveur que j'ai faite aux hommes en me revêtant de leur nature pour leur enseigner le chemin du salut éternel et pour les racheter de la mort. Nous l'avons choisie pour apaiser notre colère contre l'ingratitude des mortels. Elle nous donne le retour que les autres ne peuvent ou ne veulent nous donner; mais nous ne pouvons rejeter les prières que notre bien-aimée nous fait pour eux avec la plénitude de sa sainteté et de notre complaisance. " 652. Toutes ces merveilles étaient réitérées pendant les trois derniers jours de cette neuvaine; et au dernier, c'est-à-dire au 25 mars, à l'heure de l'incarnation, la Divinité lui était intuitivement manifestée avec une plus grande gloire que celle de tous les bienheureux. Et quoique dans tous ces jours les saints 499 reçussent une nouvelle joie accidentelle, le denier jour était néanmoins plus solennel pour toute cette Jérusalem triomphante, qui faisait éclater des transports d'allégresse extraordinaire. Les faveurs que la bienheureuse Mère recevait dans ces jours surpassent infiniment tout ce que nous pourrions imaginer, car le Tout- Puissant lui confirmait et lui augmentait d'une manière ineffable tous les privilèges, toutes les grâces et tous les dons. Et comme elle était voyageur pour mériter, et qu'elle connaissait tous les états de la sainte Église, tant à son époque que dans les siècles futurs, elle sollicita et mérita pour tous les âges de grands bienfaits, ou, pour mieux dire, tous ceux que le pouvoir divin a opérés et opèrera jusqu'à la fin du monde en faveur des hommes. 653. Notre auguste Princesse obtenait, dam toutes les fêtes qu'elle célébrait, la conversion d'une infinité d'âmes, qui alors et depuis embrassèrent la foi catholique. Cette indulgence était pins grande le jour de l'Incarnation, car elle mérita pour plusieurs royaumes, plusieurs provinces et plusieurs nations, les faveurs qu'elles ont reçues par leur vocation à la sainte Église. Et les peuples qui ont persévéré avec plus de constance dans la foi catholique sont plus redevables aux prières et aux mérites de la divine Mère. Mais il m'a été particulièrement découvert que c'était pendant les jours auxquels elle célébrai le mystère de l'incarnation qu'elle délivrait toutes les Amer qui. étaient dans le purgatoire; et du ciel, où cette faveur lui était accordée en qualité de Reine de tout ce qui est 500 créé et de Mère du Rédempteur du monde, elle envoyait les anges qui les menaient à l'empyrée, et là elle les présentait au Père éternel comme le fruit de l'incarnation pour laquelle il avait envoyé son Fils unique su monde, afin de lui gagner les âmes que son ennemi avait tyrannisées, et elle faisait de nouveaux cantiques de louange pour toutes ces âmes. Et dans cette joie d'avoir augmenté la cour céleste , elle revenait sur la terre, où elle rendait de nouvelles actions de grâces pour ces bienfaits avec son humilité ordinaire. On ne doit pas être surpris de cette merveille, tarit fallait bien que le jour où la bienheureuse Marie fut élevée à la dignité immense de Mère de Dieu et de Maîtresse de tout ce qui est créé, elle distribuât les trésors de la Divinité aux enfants d'Adam , ses frères et ses propres enfants , lorsqu'ils lui avaient été tous remis ce jour-là, au moment où elle avait reçu dans son sein cette même Divinité unie hypostatiquement à sa propre substance; et sa seule sagesse parvenait à estimer dignement ce bienfait propre pour elle et commun pour tous. 654. Elle célébrait d'une autre manière et avec d'autres faveurs la fête de la Naissance de son adorable Fils. Elle commençait dès la veille avec les mêmes exercices, les mêmes cantiques et les mêmes dispositions que dans les autres fêtes; et à l'heure de la naissance, son très saint Fils descendait du ciel accompagné d'une infinité d'anges, et avec la même gloire et avec la même majesté que les autres fois. Il menait aussi avec lui saint Joachim, sainte Anne, saint 501 Joseph, sainte Élisabeth, mère de Baptiste, et plusieurs autres saints. Puis les anges,, par ordre du Seigneur, l'élevaient de terre et la plaçaient à sa divine droite, répétant avec une harmonie céleste le Gloria in excelsis qu'ils chantèrent le jour de la naissance (1), et d'autres hymnes que cette même Reine avait faites en reconnaissance de ce mystère et de ce bienfait, et à la louange de la Divinité et de ses perfections infinies. Après avoir consacré un temps assez long à ces louanges, la divine Mère demandait à son Fils Jésus la permission de descendre du trône, et se prosternait de nouveau en sa présence. En cette humble posture elle l'adorait au nom de tout le genre humain, et lui rendait des actions de grâces de ce qu'il était né au monde pour son salut. Après cet acte de reconnaissance elle faisait une fervente prière pour tous, et spécialement pour les enfants de l'Église, représentant la fragilité de la condition humaine, et le besoin qu'elle avait de la grâce et du secours de la divine droite, pour se relever et pour parvenir à la connaissance du Seigneur, et mériter la vie éternelle. Elle alléguait la miséricorde que le même Seigneur avait témoignée en naissant dans son sein virginal pour le remède des enfants d'Adam; la pauvreté dans laquelle il était né, les travaux et les peines qu'il avait supportés , le temps qu'elle l'avait nourri de son propre lait et entretenu comme Mère, et de tous les mystères qui lui arrivèrent en ces oeuvres. Son (1) Luc., II, 14. 502 très-saint Fils, notre Sauveur, agréait cette prière, et en présence de tous les auges et de tous les saints qui l'accompagnaient, il témoignait la satisfaction qu'il avait de la charité avec laquelle sa bienheureuse Mère priait pour son peuple; et lui accordait de nouveau, que comme maîtresse et dispensatrice de tous les trésors de la grâce, elle les appliquât et les distribuât entre les hommes selon sa volonté. C'est ce que la très-prudente Reine faisait avec une sagesse admirable au plus grand profit de l'Église. Et pour terminer cette. solennité, elle priait,les saints de louer le Seigneur dans le mystère de sa naissance, en son nom et en celui de tous les autres mortels. Puis elle demandait la bénédiction à son très-saint Fils, qui, après la lui. avoir donnée, s'en retournait au ciel. Instruction que j'ai reçue de la grande Reine des anges. 655. Ma fille et ma disciple, je veux que l'admiration avec laquelle vous écrivez les secrets que je vous découvre de ma vie et de ma sainteté, vous soit un sujet de louer le Tout -Puissant, qui a été si libéral envers moi, et de vous élever au-dessus de vous-même par la confiance avec laquelle vous devez implorer ma puissante intercession et ma protection maternelle. Mais si vous êtes surprise de ce que mon très-saint Fils ajoutait en moi grâces sur grâces et dons sur 503 dons, et me visitait et m'élevait si souvent au ciel, souvenez-vous de ce que vous avez écrit, que je me privai volontairement de la vision béatifique pour prendre soin de l'Église. Et quand même cette charité n'aurait pas mérité auprès du Très- Haut la récompense quelle le porta à me donner lorsque j vivais dans la chair mortelle, il suffisait que je fusse sa Mère et qu'il fût mon Fils pour qu'il opérât à mon égard des merveilles telles, qu'une intelligence créée ne saurait les concevoir, et qu'elles ne pourraient convenir à aucune autre créature. La dignité de Mère de Dieu est d'un ordre tellement supérieur à toutes les dignités possibles, que ce serait une grossière ignorance de me dénier les faveurs que n'ont point obtenues les autres saints. Quand le Verbe éternel prit de ma substance la chair humaine, Dieu lui-même contracta un engagement si considérable (pour emprunter votre langage), qu'il ne l'aurait point rigoureusement rempli, s'il n'avait en conséquence fait en ma faveur tout ce qui dépend de sa toute-puissance, et tout ce que j'étais capable de recevoir. Cette puissance de Dieu est infinie, et l'on ne saurait l'épuiser; elle reste toujours infinie, et ce qu'elle communique au dehors est toujours fini, toujours borné. Moi aussi, je suis une simple créature finie, et en comparaison de l'être de Dieu, tout ce qui est créé n'est rien. 656. Mais en outre je ne mis aucun empêchement de mon côté; au contraire, je méritais que la Toute-Puissance réalisât en moi sans restriction, sans mesure, 504 tous les dons, toutes les grâces et toutes les faveurs jusqu'où elle pouvait s'étendre. Et comme toutes ces faveurs, quelque grandes et admirables qu'elles fussent, étaient toujours finies, et que le pouvoir et l'être de Dieu sont infinis et sans bornes, on doit en conclure qu'il a pu accumuler en moi grâces sur grâces et bienfaits sur bienfaits. Et non-seulement il a pu le faire, mais il convenait qu'il le fit pour accomplir avec toute perfection cette oeuvre et cette merveille de me rendre sa digne Mère : puisque aucune de ses oeuvres n'est en son genre imparfaite ou défectueuse. C'est parce que toutes mes grâces sont renfermées dans la dignité dont il m'honora en me rendant sa Mère, comme dans le principe d'où elles découlent, que le jour auquel les hommes ont connu ma maternité divine, ils ont connu implicitement, et comme dans leur cause, les prérogatives qui m'appartiennent à raison d'une telle excellence ; seulement il a été laissé à la dévotion, à la piété et à la délicatesse des fidèles, pour complaire à mon très-saint Fils et pour mériter ma protection, de traiter dignement de ma sainteté et de mes dons, et de les déduire de mon titre de Mère de Dieu, pour les proclamer selon leur dévotion et ma dignité. Ainsi,plusieurs saints et divers docteurs ont reçu une science, des lumières et des révélations particulières sur quelques-unes des faveurs, et sur les nombreux privilèges que le Très Haut m'a accordés. 657. Et comme la plupart des mortels ont été à cet égard, les uns timides par un bon zèle, les autres 505 plus réservés qu'ils ne devaient l'être, par indévotion, mon très-saint Fils a voulu, dans sa bonté paternelle, leur découvrir ces mystères cachés, au moment le plus opportun pour la sainte Église, sans en confier le soin au raisonnement humain ni à la science sur laquelle il s'exerce, mais en ne s'en rapportant qu'à sa propre lumière et à sa divine vérité; afin que les mortels ressentent une nouvelle joie et conçoivent de plus vives espérances, sachant combien je puis les favoriser, et rendant au Tout-Puissant la gloire et la louange qu'ils lui doivent rendre en moi et dans les oeuvres de la rédemption du genre humain. 658. C'est là, ma fille, une obligation à laquelle je veux que vous vous regardiez comme la première et la plus rigoureusement soumise, puisque je vous ai choisie pour être ma fille et ma disciple spéciale, afin qu'en écrivant ma vie, votre coeur s'élevât à un plus ardent amour et à un plus grand désir de me suivre par l'imitation à laquelle je vous convie et vous appelle. L'enseignement pratique que renferme pour vous ce chapitre est que vous devez vous associer à la reconnaissance ineffable que j'eus du bienfait et du mystère de l'incarnation du Verbe éternel dans mon sein. Écrivez dans votre coeur cette merveille du Tout-Puissant, afin que vous ne l'oubliiez jamais; et signalez-vous surtout par ce souvenir les jours qui correspondent à l'accomplissement des mystères que vous écrivez de moi. Je veux que vous y célébriez en mon nom sur la terre cette fête avec des dispositions spéciales, et i'âme pénétrée d'une joie toute, particulière, 506 reconnaissant au nom de tous les mortels la grâce que Dieu leur a faite en s'incarnant en moi pour leur salut ; et je veux aussi que vous le glorifiiez pour la dignité à laquelle il m'a élevée en me choisissant pour être sa Mère. Sachez que rien ne cause aux anges et aux saints dans le ciel, après la connaissance qu'ils ont de l'être infini de Dieu, une plus grande admiration que de le voir uni à la nature humaine; et quoiqu'ils connaissent de plus en plus ce mystère, il leur en reste toujours plus à connaître pour toute l'éternité. 659 Or, afin que vous célébriez et renouveliez en vous ces bienfaits de l'incarnation et de la naissance de mon très-saint Fils, je veux que vous tachiez d'acquérir une humilité et une pureté angéliques ; car par ces vertus la reconnaissance que vous devez au Seigneur lui sera agréable, et, par ce retour, vous satisferez en partie aux grandes obligations que vous avez à Dieu, parce qu'il a bien voulu se revêtir de votre nature. Considérez et pesez l'énormité des péchés des hommes, qui, ayant Jésus-Christ pour frère, dégénèrent de cette excellence et de cette noblesse. Regardez-vous comme l'image du Dieu-Homme, et soyez persuadée que vous la méprisez et la défigurez par la moindre faute que vous commettez. Les enfants d'Adam oublient trop cette dignité nouvelle à laquelle la nature humaine a été élevée; ils ne veulent point se dépouiller de leurs anciennes coutumes et de leurs misères, pour se revêtir de Jésus-Christ (1). Mais, (1) Rom., XIII, 14 507 pour vous, ma fille, oubliez la maison de votre père et votre peuple (t), et tàchez de vous renouveler par la beauté de votre Réparateur, afin que vous soyez agréable aux yeux du souverain Roi. CHAPITRE XV. Des autres fêtes que la bienheureuse Marie célébrait. - De la Circoncision, de l'Adoration des Rois, de sa Purification, du baptême, du jeûne de Jésus-Christ, de l'institution du très-saint Sacrement, de la Passion et de la Résurrection. 660. En renouvelant la mémoire des mystères de la vie et de la mort de notre Sauveur Jésus-Christ, notre auguste Reine ne voulait pas seulement lui rendre la due reconnaissance pour elle et pour tout le genre humain , et enseigner à l'Église cette science divine comme Maîtresse de toute sainteté et de toute sagesse; mais, après avoir payé cette dette, elle prétendait encore apaiser le Seigneur, et incliner sa bonté infinie à la miséricorde et à la clémence, dont elle savait que la fragilité naturelle et la misère des hommes avaient besoin. La très-prudente Mère savait que leurs péchés irritaient extrêmement le Très-Haut, (1) Ps. XLIV, 10. 508 et que devant le tribunal de sa miséricorde ils ne pouvaient alléguer en leur faveur que la charité infinie avec laquelle il les a aimés et réconciliés avec lui, lorsqu'ils étaient pécheurs et ennemis (1). Et comme notre Rédempteur Jésus-Christ a opéré cette réconciliation par ses oeuvres, par sa vie, par sa mort et par ses mystères , e est pour cette raison que la bienheureuse Vierge croyait que les jours auxquels tous ces bienfaits arrivèrent étaient propices pour redoubler ses prières, pour apaiser le Tout-Puissant, et pour le supplier d'aimer les hommes parce qu'il les avait aimés ; de les appeler à la foi et à son amitié, parce qu'il les leur avait méritées; et de les justifier effectivement, parce qu'il leur avait acquis la justification et la vie éternelle (2). 661. Jamais les hommes ni même les anges ne parviendront à apprécier l'étendue des obligations qu'ale monde à la bonté maternelle de cette charitable Reine. Les grandes faveurs qu'elle reçut de la droite du Tout-Puissant toutes les fois que la vision béatifique lui fut manifestée durant sa vie mortelle, ne furent pas des bienfaits pour elle seule, mais aussi pour nous; car sa science et sa charité atteignirent dans ces occasions au plus haut degré possible chez une simple créature, et c'est avec les sentiments qu'elles lui inspiraient qu'elle désirait la gloire du Très-Haut dans le salut des créatures raisonnables. Et comme elle était en même temps dans l'état de (1) Rom., V, 8. - (2) Ibid.. 9. 509 voyageuse pour mériter et obtenir ce salut, elle souhaitait si vivement qu'aucun ne se damnât de ceux qui pouvaient arriver à la jouissance de Dieu, qu'on ne saurait s'imaginer l'ardeur de l'amour qui embrasait son chaste coeur. De là lui vint un continuel martyre qu'elle souffrit pendant toute sa vie, et qui l'aurait consumée à chaque heure, à chaque instant, si la puissance divine ne l'eût conservée. Et ce qui le lui causait, c'était de penser qu'un si grand nombre d'âmes se damneraient et resteraient privées éternellement de la vision et de la jouissance de Dieu; et que de plus elles subiraient les tourments éternels de l'enfer, sans aucune espérance du remède qu'elles auraient méprisé. 662. La très-douce Mère sentait ce malheur si lamentable avec une douleur immense, parce qu'elle le connaissait, le considérait et l'appréciait avec une sagesse égale. Et, sa très-ardente charité répondant à cette sagesse, elle n'eût pu trouver aucune consolation dans ces peines, si elle eût été abandonnée à la force de son amour et à ses réflexions sur ce que notre Sauveur a fait et a souffert pour racheter les hommes de la perdition éternelle. Mais le Seigneur prévenait en sa très-fidèle Mère les effets de cette douleur mortelle , et quelquefois il lui conservait miraculeusement la vie; d'autres fois il la distrayait de cette douleur par des considérations différentes, ou bien il lui découvrait les secrets cachés de la prédestination éternelle, afin que la connaissance des raisons et de l'équité de la justice divine adoucit 510 l'affliction de son coeur. Tels étaient, entre autres, les moyens que notre Sauveur Jésus-Christ prenait pour empêcher que la vue des péchés et de la damnation éternelle des réprouvés ne fit mourir sa très-sainte Mère. Or, si la prévision de ce malheureux sort a pu tant affliger le coeur compatissant de notre auguste Princesse, et a produit en son adorable Fils des effets tels, que, pour' remédier à la perte des hommes, il s'est offert à la passion et à la mort de la croix, quels termes employer pour exprimer la folie aveugle de ces mêmes hommes qui courent avec tant d'impétuosité et d'insensibilité à leur propre ruine, ruine si irréparable, que les suites n'en seront jamais assez calculées ! 663. Mais ce par quoi notre divin Maître adoucissait beaucoup cette douleur de sa Mère bien-aimée, c'était en écoulant ses prières et ses supplications pour les mortels, en lui témoignant que son amour lui était agréable, en lui offrant ses trésors et ses mérites infinis, en la faisant sa grande Aumônière, et en laissant à sa charitable volonté, la distribution des richesses de sa miséricorde et de ses grâces, afin qu'elle les appliquât aux âmes, selon qu'elle saurait être le plus convenable. Ces promesses du Seigneur à sa bienheureuse Mère étaient aussi fréquentes que les prières et les sentiments par lesquels elle les provoquait, et les unes et les autres augmentaient lors des fêtes qu'elle célébrait en mémoire des mystères de sou très- saint Fils. Pour la Circoncision, quand tenait le jour auquel le mystère eut lieu, elle commençait 511 les exercices ordinaires à la même heure que dans les autres fêtes, et le Verbe incarné descendait aussi dans son oratoire avec la même majesté et le même cortége d'anges et de saints. Et comme ce fut en ce mystère que notre Rédempteur commença à verser son sang pour les hommes et à se soumettre à la loi des pécheurs, comme s'il en eût été du nombre, les actes que sa très-pure Mère faisait en commémoration de la bonté et de la clémence de son très-saint Fils, étaient ineffables. 664. La divine Mère s humiliait profondément ; elle s'apitoyait avec une vive tendresse sur ce que l'Enfant-Dieu a souffert en un âge si tendre ; elle le remerciait de ce bienfait pour tous les enfants d'Adam ; elle pleurait l'ingratitude commune qui leur faisait méconnaître le prix de ce sang versé de si bonne heure pour le rachat de tous. Et comme si elle se fût trouvée confuse en la présence de sou adorable Fils de ce qu'ils ne reconnaissaient pas ce bienfait, elle s'offrait à mourir et à verser elle-même son propre sang pour satisfaire à cette dette, et pour imiter son Modèle et son Maître. Ces désirs et ces demandes amenaient entre elle et le même Seigneur de très-doux entretiens pendant tout ce jour-là. Il acceptait le sacrifice de sa bienheureuse Mère ; mais comme il n'était pas convenable que ses ardents désirs fussent accomplis, elle ajoutait de nouvelles inventions de charité en faveur des mortels. Elle priait son très-saint Fils de partager les douceurs, les. caresses et les faveurs qu'elle recevait de sa puissante droite entre 612 ses enfants les hommes, et de lui attribuer à elle une part spéciale dans les souffrances pour son amour et par ce même amour, demandant que, pour ce qui regardait la récompense, elle s'étendît sur tous, et que tous goûtassent de la suavité et des délices de son divin esprit, afin qu'attirés par ses charmes ils entrassent tous dans le chemin de la vie éternelle, et qu'aucun d'eux ne se damnât après que le Seigneur lui-même s'était fait homme et avait souffert pour attirer toutes choses à lui (1). Ensuite elle offrait au Père éternel le sang que son Fils Jésus a versé dans sa Circoncision, et l'humilité qu'il avait pratiquée en se laissant circoncire étant impeccable. Elle l'adorait comme Dieu et homme véritable ; et après toutes ces oeuvres et plusieurs autres d'une perfection incomparable, son très-saint Fils la bénissait, et s'en retournait au ciel à la droite de son Père éternel. 665. Pour l'Adoration des rois elle se préparait quelques jours avant que la fête arrivât, comme amassant quelques dons qu'elle pût offrir au Verbe incarné la principale offrande, que la très-prudente Dame appelait or, c'étaient les âmes qu'elle ramenait à l'état de grâce ; et pour cela elle se servait d'avarice du ministère des anges, qu'elle priait de l'assister à préparer ce don, en lui disposant plusieurs âmes par de saintes inspirations, afin qu'elles se convertissent au vrai Dieu, et qu'elles le connussent. Tout cela s'opérait par leur ministère, et plus encore par les (1) Joan., XII, 32. 513 prières qu'elle faisait; car c'était par ces prières qu'elle retirait plusieurs âmes du péché, qu'elle en amenait d'autres à la foi et au baptême, et qu'elle eu arrachait d'autres encore au pouvoir du démon à l'heure de la mort. A ce don elle ajoutait celui de la myrrhe, qui consistait dans ses prosternations les bras en croix, dans ses actes d'humiliation, et dans d'autres exercices de pénitence qu'elle faisait pour se préparer et pour avoir de quoi offrir à son propre Fils. La troisième offrande, qu'elle appelait encens, c'étaient les élans, les ardents transports de son amour, ses oraisons jaculatoires , et d'autres très-douces affections pleines de sagesse. 666. Le jour de la fête arrivé, son très-saint Fils descendait du ciel escorté d'une multitude innombrable d'anges et de. saints pour recevoir cette offrande ; la bienheureuse Vierge priait les courtisans célestes de l'assister, et, en leur présence, elle offrait ses dons au Seigneur avec les hommages d'un culte et les sentiments d'un amour admirables, et en même temps elle faisait une fervente prière pour mortels. Elle était ensuite élevée au trône de son adorable Fils, et là elle participait à la gloire de sa très-sainte humanité d'une manière ineffable, se trouvant divinement unie à elle, et comme transfigurée par ses splendeurs. Quelquefois le Seigneur lui-même la tenait appuyée sur ses bras, afin qu'elle pût, pour ainsi dire, se reposer de ses ardentes affections. Les faveurs qu'elle recevait étaient d'une nature telle, que nous n'avons point de termes pour les exprimer; car le 514 Tout-puissant tirait chaque jour de ses trésors des bienfaits anciens et nouveaux. (1). 667. Après avoir reçu ces faveurs, elle descendait da trône et demandait miséricorde pour les hommes. Elle terminait ces prières par un cantique de louange au nom d'eux tous, et conviait les saints à se joindre à elle. Il arrivait ce jour-là une chose merveilleuse, c'est que , pour finir cette solennité, elle demandait à tous les patriarches et à tous les autres saints qui s'y trouvaient, de supplier le Tout- puissant de l'assister et de la gouverner dans toutes ses actions. Elle adressait cette demande à chacun d'eux en particulier, s'humiliant devant tous comme si elle eût voulu leur baiser la main. Et son très-saint Fils le permettait aveu une complaisance incomparable, afin que la Maîtresse de l'humilité pratiquât cette vertu envers ses parents, et envers les patriarches et les prophètes qui étaient de sa propre nature. Mais elle n'exerçait point cette humilité envers les anges, parce. qu'ils étaient au ministres, et qu'ils n'avaient point avec la bienheureuse Vierge cette affinité de nature qu'avaient ses vénérables ancêtres : c'est pourquoi les esprits célestes s'associaient alors à ses exercices, en lui donnant leur concours d'une manière différente. 668. Elle célébrait ensuite le baptême de notre Sauveur Jésus-Christ avec beaucoup de reconnaissance de ce sacrement, et de ce que le Seigneur lui-même avait voulu le recevoir pour lui donner un (1) Math., XIII, 52 515 commencement dans la loi de grâce. Après lei prières qu'elle faisait pour l'Église, elle se retirait pendant quarante jours pour célébrer le jeûne de notre Sauveur, en le pratiquant de nouveau aussi rigoureusement que le divin Maître l'avait fait, et qu'elle-même l'avait imité, comme je l'ai rapporté dans la seconde partie.. Durant ces quarante jours elle ne dormait, ni ne mangeait, ni ne sortait de sa retraite, à moins que quelque nécessité pressante n'exigeât sa présence. Elle ne communiquait qu'avec l'évangéliste saint Jean pour recevoir de sa main la sainte communion, et pour expédier par son entremise les affaires les plus importantes qui se rattachaient su gouvernement de l'Église. Pendant ces jours-là le disciple bien-aimé jouait un rôle plus actif, parce qu'il s'absentait moins de la maison du Cénacle. Si beaucoup de malades se présentaient, il les guérissait en leur appliquant quelque objet appartenant à notre puissante. Reine. Un grand nombre de possédés venaient aussi au Cénacle, et plusieurs étaient délivrés avant d'y arriver, parce que les démons n'osaient s'approcher du lieu où était la bienheureuse Marie. En d'autres cas, l'application au malade du manteau, ou du voile, ou de tout autre objet servant à l'auguste Vierge, suffisait pour que les esprits rebelles se précipitassent aussitôt dans l'abîme. Et si quelques-uns essayaient de résister, l'évangéliste l'appelait, et à l'instant qu'elle arrivait auprès des possédés, les démons en sortaient sans attendre qu'elle le leur commandât. 669. Si j'étais obligée de raconter toutes les merveilles 516 qui se passaient pendant ces quarante jours à l'égard de notre divine Maîtresse, il faudrait que j'écrivisse volumes sur volumes; car, puisqu'elle cessait de dormir, de manger, de reposer, comment rapporter ce qu'avec son activité et sa sollicitude si efficaces elle opérait durant un si long laps de temps? Il suffit de savoir qu'elle appliquait, qu'elle offrait toutes ses oeuvres pour les progrès de l'Église, pour la justification des filmes, pour la conversion du monde et pour secourir les apôtres et les disciples qui prêchaient dans toutes les parties de l'univers. Après avoir achevé ce carême , son très-saint Fils la régalait par un festin semblable à celui que les anges firent au Seigneur lui-même lorsqu'il eut achevé son jeûne de quarante jours, comme on l'a vu plus haut. Toutefois, ce qui embellissait celui de l'auguste Marie, c'était la présence de notre Sauveur, glorieux , plein de majesté, et accompagné de milliers d'anges, dont les uns servaient leur Reine, les autres chantaient des hymnes d'une harmonie divine, tandis que le Seigneur donnait de sa propre main à sa Mère bien-aimée ce qu'elle mangeait. C'était pour elle un jour délicieux , plus à cause de la présence de son Fils et de ses caresses, qu'à cause du goût exquis des aliments et du breuvage célestes. Et pour rendre grâces de toutes ces faveurs, elle se prosternait, adorait le Seigneur et lui demandait sa bénédiction ; sa divine Majesté la lui donnait, et s'en retournait ensuite au ciel. Dans toutes ces apparitions de notre Seigneur Jésus-Christ, la très-pieuse Mère faisait des actes 517 héroïques d'humilité, de soumission et de vénération, baisant les pieds de son Fils, avouant qu'elle ne méritait point ces faveurs, et lui demandant une nouvelle grâce pour le mieux servir dès lors à l'aide de sa protection. 670. Il serait possible qu'imbues des idées de la sagesse humaine, certaines personnes s'imaginent que les apparitions du Seigneur que j'ai eu lieu de rapporter en tant d'occasions étaient trop fréquentes. Mais elles devraient commencer par mesurer la sainteté de la Maîtresse des vertus et de la grâce, et l'amour réciproque d'une telle Mère et d'un tel Fils , et nous dire de combien ces faveurs excèdent la règle avec laquelle elles mesurent cette cause, que la foi et la raison tiennent, que l'esprit humain ne saurait mesurer. Quant à moi, la lumière avec laquelle je connais cette cause me suffit pour ne point me faire douter de ce que je dis, d'autant plus que je sais que chaque jour, à chaque heure, à chaque instant, notre Sauveur Jésus-Christ descend du ciel entre les mains du prêtre, qui le consacre légitimement en quelque partie du monde que ce soit Et je dis qu'il descend, non par un mouvement corporel, mais par le changement du pain et du vin en son sacré corps et en son précieux sang. Ce prodige s'opère d'une manière différente, que je ne cherche ni à expliquer ni à prouver ici; mais la doctrine catholique m'enseigne que Jésus-Christ en personne, par une merveille ineffable, se trouve présent et réside dans l'hostie consacrée. Cette merveille, le Seigneur la renouvelle sans cesse 518 pour les hommes et pour leur salut, malgré l'indignité d'un si grand nombre d'entre eux , et parfois de ceux mêmes qui le consacrent. Or, si quelqu'un a pu le porter à continuer ce bienfait, ç'a été uniquement la bienheureuse Marie, pour laquelle il l'a principalement ordonné, comme je l'ai déclaré ailleurs. Qu'on ne suit donc pas surpris s'il l'a visitée si souvent, puisqu'elle seule a pu et su le mériter pour elle et pour nous. 671. Après le . jeûne elle célébrait la fête de sa Purification et de la Présentation de l'Enfant-Dieu dans le Temple. Lorsqu'elle était prête à offrir cette hostie, et que le Seigneur voulait l'accepter, la très-sainte Trinité lui apparaissait dans son oratoire avec les courtisans célestes. Et su moment où elle allait offrir le Verbe incarné, les anges la revêtaient des mêmes ornements que j'ai décrits pour la fête de l'Incarnation. Ensuite elle faisait une longue prière pour tout le genre humain, et en particulier .pour l'Église. Le fruit de cette prière et de l'humilité avec laquelle elle se soumit à la loi de la purification et la récompense des exercices qu'elle faisait, étaient de nouveaux accroissements de grâce, de nouveaux dons et de nouvelles faveurs qu'elle recevait pour elle-même, et en outre de grands bienfaits qu'elle obtenait pour les autres. 672. Elle célébrait la mémoire de la Passion, l'institution du très-saint Sacrement, la Résurrection, non-seulement chaque semaine, comme je l'ai dit plus haut , mais encore au jour anniversaire de l'accomplissement 519 du mystère. De sorte qu'elle renouvelait chaque année cette mémoire, comme l'Église le fait maintenant dans la semaine sainte. Aux exercices ordinaires de chaque semaine elle en ajoutait plusieurs autres, et à l'heure où Jésus-Christ fut crucifié, elle s'étendait sur la croix et y demeurait trois heures. Elle répétait alors toutes les prières que fit le Seigneur lui-même , et s'associait à toutes ses douleurs et à tous les mystères qui arrivèrent ce jour-là. Mais en la solennité du Dimanche suivant, qui correspondait à la résurrection, elle était transportée par les anges dans l'empyrée, où elle jouissait ce jour-là de la vision béatifique, tandis qu'elle n'était qu'abstractive aux autres dimanches de l'année. Instruction que m'a donnée la grande Reine des anges. 673. Ma fille, l'esprit divin dont la sagesse et la prudence gouvernent la sainte Église, n'a pas ordonné par mon intercession qu'on y célèbrerait tant de fêtes différentes seulement afin qu'on renouvelât la mémoire des mystères divins, des oeuvres de la rédemption du genre humain-, de celles de ma très-sainte vie et de celles des autres saints, et afin que les hommes, loin d'oublier les bienfaits qu'ils ne pourront jamais dignement reconnaître, se montrassent reconnaissants envers leur Créateur et leur Rédempteur; mais ces solennités ont été aussi établies afin qu'en ces 520 jours-là ils s'occupassent à de saints exercices, se retirassent intérieurement des distractions dans lesquelles les jette les autres jours le soin des choses temporelles, réparassent par l'exercice des vertus et par le bon usage des sacrements ce qu'ils ont perdu par ces distractions, imitassent les vertus des saints, recourussent à mon intercession, et méritassent le pardon de leurs péchés, la grâce et les bienfaits que la divine miséricorde leur destine par ces moyens. 674. C'est là l'esprit de la sainte Église avec lequel elle désire gouverner et nourrir ses enfants comme une tendre mère. Et moi qui suis la Mère commune de tous, j'ai prétendu par là les lier et les attirer au chemin assuré de leur salut. Mais le serpent infernal a toujours travaillé, et surtout dans les temps malheureux où vous vivez, pour empêcher ces saintes fins du Seigneur et les miennes; et lorsqu'il ne peut pervertir les institutions de la sainte Église, il emploie sa malice à les rendre au moins inutiles pour la plupart. des fidèles, et à faire que, pour beaucoup d'entre eux , ce bienfait ne soit qu'un plus grand motif de condamnation. Aussi le démon le leur allèguera-t-il lui-même au tribunal de la divine justice, non-seulement parce que dans les jours les plus saints et les plus solennels ils n'ont point suivi l'esprit de la sainte Église , en les consacrant à des oeuvres de vertu et au culte da Seigneur, mais parce qu'en de pareils jours ils ont commis des péchés plus graves, comme font ordinairement les hommes charnels et mondains. L'oubli et le mépris que les enfants de 521 l'Église témoignent en général de cette vérité , sont en effet tort grands et fort criminels : profanant les jours les plus saints et les plus sacrés, ils s'y livrent d'ordinaire aux jeux, aux plaisirs, aux désordres, à toutes sortes d'excès dans le boire et dans le manger, et lorsqu'ils devraient apaiser le Tout-Puissant, c'est alors qu'ils irritent davantage sa justice; et au lieu de vaincre leurs ennemis invisibles, ils s'en laissent vaincre eux-mêmes, et procurent un déplorable triomphe à leur orgueil et à leur malice. 675. Pleurez, ma fille, ce malheur, puisque je ne puis pas le pleurer maintenant, comme je le fis durant ma vie mortelle, et comme je le ferais si j'y étais encore; tâchez de le réparer autant qu'il vous sera possible avec le secours de la divine grâce , et travaillez à tirer vos frères de cet oubli si général. La vie des personnes consacrées à Dieu devrait différer de celle des séculiers, en ne faisant aucune distinction des jours et en les employant tous su culte divin , à l'oraison et à de saints exercices (et c'est ce que vous devez enseigner à vos inférieures); mais je veux d'une manière particulière que vous et elles vous vous signaliez dans la célébration des fêtes, surtout de celles du Seigneur et des miennes, par une préparation et une pureté de conscience plus grandes. Je veux que vous remplissiez tous les jours et toutes les nuits d'oeuvres saintes et agréables à votre divin Maître; mais aux jours de fête vous ajouterez de nouveaux exercices intérieurs et extérieurs. Redoublez de ferveur, recueillez-vous entièrement dans votre intérieur, et s'il 522 vous semble que vous faites beaucoup, travaillez de plus en plus pour assurer votre vocation et votre élection (1), et ne laissez jamais aucun exercice par négligence. Considérez que les jours sont mauvais (2), et que la vie passe comme l'ombre (3). Prenez bien garde,de vous trouver vides de mérite et d'oeuvres saintes et parfaites. Donnez à chaque heure son occupation légitime, comme vous savez que je le faisais, et comme je vous l'ai souvent appris et enseigné. 676. Or, afin que vous réussissiez en toutes ces choses, je vous avertis d'être fort attentive aux saintes inspirations du Seigneur, et parmi les autres faveurs, faites une estime particulière de celle qu'elles renferment. Votre fidélité doit être telle, qu'il n'y ait aucun acte de vertu ou de plus grande perfection qui vous vienne à la pensée, sans que vous l'exécutiez en la manière qu'il vous sera possible. Je vous assure, ma très-chère fille, que, par le peu de cas que les mortels font de ces saintes inspirations, ils perdent des trésors immenses de grâce et de gloire. J'imitais tout ce que je voyais faire à mon très-saint Fils lorsque je vivais avec lui, et je pratiquais tout ce que le divin Esprit m'inspirait de plus saint, comme vous l'avez appris. Je vivais dans ce soin continuel comme par la respiration naturelle, et c'est par ces affections que je portais mon très-saint Fils à m'accorder les faveurs et les visites qu'il me fit si souvent pendant ma vie mortelle. 677. Je veux aussi , afin que vous et vos religieuses (1) II Petr., I, 10. - (2) Ephes., V, 18. - (3) Ps. CXLIII, 4. 523 m'imitiez dans les retraites que je faisais, que vous régliez dans votre monastère l'ordre et le genre des exercices d'usage à pratiquer durant leur retraite, par celles que la supérieure autorisera à y passer quelques jours. Vous savez par votre propre expérience quel fruit l'on retire de cette solitude, puisque vous y avez écrit presque toute ma vie, et le Seigneur vous y a départi d'insignes et grandes faveurs, afin que vous perfectionniez la vôtre et que vous vainquiez vos ennemis. Or, afin que vos religieuses sachent comment elles doivent se comporter dans ces exercices pour en tirer un plus grand fruit, je veux que vous leur écriviez un traité particulier, où vous leur, marquerez les heures de toutes leurs occupations pendant leur retraite. Et ces occupations doivent être réglées de telle manière, que celles qui feront ces exercices ne manquent point aux actes de communauté, car on doit préférer cette obligation à toutes les dévotions particulières. Elles garderont pendant ce temps-là un silence inviolable, et marcheront toujours couvertes de leur voile, afin qu'on les distingue et que personne ne leur parle. Celles qui auront quelque office ne seront point pour cela privées de cet avantage; c'est pourquoi vous en, chargerez en vertu de l'obéissance d'autres religieuses qui le rempliront pendant ce temps-là. Priez le Seigneur de vous éclairer de sa lumière pour écrire ce traité, et je vous assisterai, afin qu'alors vous connaissiez plus particulièrement ce que je faisais, et que vous le leur proposiez pour leur instruction. 524 CHAPITRE XVI. De quelle manière la bienheureuse Marie célébrait les fêtes de l'Ascension de notre Sauveur Jésus-Christ, de la venue du Saint-Esprit, des anges et des saints, et comment elle faisait mémoire des bienfaits qu'elle avait reçus. 678. Je trouve en chaque oeuvre et en chaque mystère de notre auguste Reine de nouveaux secrets à pénétrer et de nouveaux sujets d'admiration; mais je ne saurais trouver de nouvelles paroles pour exprimer ce que j'en connais. Par ce qui m'a été manifesté de l'amour que notre Sauveur Jésus-Christ avait pour sa très-pure Mère et sa très-digne Épouse , il me semble que, selon l'inclination et la force de cette charité, il se serait privé du trône de la gloire et de la compagnie des saints pour rester auprès de sa Mère bien-aimée, s'il n'eût été convenable pour d'autres raisons que le Fils fût dans le ciel, et la Mère sur la terre, pendant le temps que dura cette séparation corporelle. On ne doit pas s'imaginer que cette appréciation de l'excellence de la sacrée Vierge déroge à celle de son très-saint Fils et à celle des saints , car la divinité du Père et du Saint-Esprit était en Jésus-Christ indivisible avec une suprême unité individuelle, et toutes les trois personnes sont en chacune paf un mode inséparable 525 d'inexistence, de sorte que la personne du Verbe ne pouvait jamais être sans le Père et sans le Saint-Esprit. Il est certain que la compagnie des anges et des saints, comparée avec celle de la bienheureuse Marie, était pour son très-saint Fils moindre que celle de sa très-digne Mère, et cela en considérant la force de l'amour réciproque de Jésus-Christ et de la très-pure Marie. Mais il était convenable, pour d'autres raisons, que le Seigneur, ayant achevé l'oeuvre de la rédemption du genre humain, s'en retournât à la droite du Père éternel, et que sa bienheureuse Mère demeurât dans l'Église, afin de procurer par ses soins et par ses mérites l'efficace de cette même rédemption, et d'assister à l'enfantement de la passion et de la mort de son très-saint Fils: 679. C'est avec cette providence ineffable et mystérieuse que notre Sauveur Jésus- Christ ordonna ses oeuvres, les laissant pleines de sagesse, de magnificence et de gloire divine, mettant sa confiance en cette femme forte, comme il le dit par Salomon dans ses Proverbes (1). Il ne fut point trompé dans sa confiance, puisque la très-prudente Mère, au moyen des trésors de la Passion et du sang du même Seigneur, appliqués par ses propres mérites et par ses soins, acheta pour son Fils le champ dans lequel elle planta, pour la faire fleurir jusqu'à la fin du monde, cette vigne (2) de l'Église, représentée par les âmes des fidèles en qui elle se conserva jusqu'alors, et parcelles (1) Prov., XXXI, 11. - (2) Ibid., 16. 626 des prédestinés , en qui cette Église sera transférée dans la Jérusalem triomphante pour tonte l'éternité. Et s'il était convenable à la gloire du Très-Haut que toute cette oeuvre fût confiée à la très-pure Marie, afin que notre Sauveur Jésus-Christ entrât dans la gloire de son Père après sa résurrection miraculeuse, il fallait aussi qu'il conservât avec sa bienheureuse Mère, qu'il aimait infiniment et qu'il laissait dans le monde, toute la correspondance, tout le commerce possible; ce n'était pas seulement (amour qu'il lui portait qui l'exigeait, c'était encore la place qu'occupait, c'était l'entreprise que menait notre auguste Maîtresse sur la terre , où la grâce , les moyens et les faveurs devaient être proportionnés avec la' cause et avec la fin très- sublime de tant de profonds mystères. Tout cela était glorieusement accompli par les fréquentes visites que le Fils lui-même faisait à sa Mère, et en l'élevant si souvent su trône de sa gloire, afin que ni cette invincible Reine ne restât toujours loin de la cour céleste, ni les courtisans divins ne fussent privés pendant des années entières de la vue désirable de leur Reine, puisque ce bonheur était possible et convenable pour tous. 680. Un des jours auxquels ces merveilles étaient renouvelées (outre ceux que j'ai indiqués), c'était celui où elle célébrait chaque année l'Ascension de son très-saint Fils. Ce jour-là était grand et fort solennel pour le ciel et pour elle, car elle s'y préparait dès le jour auquel elle célébrait la Résurrection de son adorable Fila. Durant tout ce temps elle faisait mémoire 527 des faveurs qu'elle avait reçues de son très-doux Fils, et de la compagnie des anciens patriarches et -des saints qu'il avait tirés des limbes, et de tout ce qui lui arriva pendant ces quarante jours, rendant des actions de grâces particulières pour chaque jour avec de nouveaux cantiques et exercices, comme si les merveilles qui s'étaient passées fussent arrivées alors, car elle avait toutes ces choses présentes en sa mémoire. Je ne m'arrête point à rapporter les particularités de ces jours, parce que j'en ai dit assez dans les derniers chapitres de la seconde partie. J'ajouterai seulement que dans cette préparation notre grande Reine obtenait des faveurs incomparables et. de nouvelles influences de la Divinité, par lesquelles elle était de plus en plus divinisée et disposée aux bienfaits qu'elle devait recevoir le jour de la fête. 681. Or, le jour mystérieux étant arrivé qui en chaque année répondait à celui où notre Sauveur Jésus-Christ monta su ciel, cet adorable Seigneur descendait en personne dans l'oratoire de sa bienheureuse Mère, accompagné d'une multitude innombrable d'anges, ainsi que des patriarches et des saints qu'il emmena lors de sa glorieuse ascension. Notre auguste Dame attendait cette visite prosternée, selon sa coutume, et anéantie dans les profondeurs de son. humilité ineffable; mais élevée au delà de tout ce que l'esprit humain et l'esprit angélique peuvent concevoir au plus haut degré de l'amour divin auquel puisse atteindre une simple créature. Son très-saint Fils lui apparaissait au milieu des choeurs des saints, 528 et renouvelant en elle la douceur de ses bénédictions, il ordonnait aux anges de l'élever de terre et de la placer à sa droite. Ils exécutaient aussitôt la volonté du Sauveur, et les séraphins mettaient sur son trône Celle qui lui avait donné l'être humain, et là son très-saint Fils lui disait : " Que désirez-vous? que demandez- vous? que voulez-vous? " A ces questions la bienheureuse Marie répondait : " Mon Fils et mon Dieu éternel , je désire la gloire et l'exaltation de votre saint nom, je veux reconnaître su nom de tout le genre humain la faveur que vous nous avez faite en élevant par votre toute-puissance en ce jour notre nature à la gloire et à la félicité éternelles. Je demande que tous les hommes connaissent, bénissent et glorifient votre Divinité et votre très sainte humanité. " 682. Le Seigneur lui répliquait : " Ma Mère et ma Colombe, choisie entre les créatures pour être ma demeure , venez avec moi dans ma patrie céleste, où vos désirs seront accomplis et vos de mandes expédiées, et où vous jouirez de la solennité de ce jour, non parmi les mortels enfants d'Adam, mais en la compagnie de mea courtisans et des habitants du ciel. " Ensuite toute cette céleste assemblée s'élevait dans la région de l'air, comme il arriva le jour même de l'Ascension, et parvenait à l'empyrée, la Vierge Mère étant toujours à la droite de son adorable Fils. Mais lorsque le saint cortège atteignait les sublimes hauteurs où il s'arrêtait dans un bel ordre , on remarquait dans le ciel comme un 529 nouveau silence et une nouvelle attention, non-seulement parmi les saints, mais jusque dans le Saint des saints. Alors notre grande Reine demandait au Seigneur la permission de descendre du trône, et, prosternée devant la très-sainte Trinité, elle faisait un cantique ineffable de louanges, qui s'appliquait aux mystères de l'incarnation et de la rédemption, et à toutes les victoires que son très-saint Fils remporta jusqu'au jour de sa glorieuse ascension, auquel il s'en retourna triomphant à la droite du Père éternel. 683. Le Très-Haut témoignait combien ce cantique lui était agréable, et tous les saints y répondaient par de nouveaux cantiques, glorifiant le Tout-Puissant en cette créature si admirable ; de sorte qu'ils recevaient tous une nouvelle joie par la présence et par l'excellence de leur Reine. Ensuite, par le commandement du Seigneur, les anges l'élevaient une seconde fois à la droite de son très-saint Fils, et la Divinité lui était manifestée par une vision intuitive et glorieuse, précédée des mêmes illustrations et du même cérémonial que j'ai rapportés ailleurs. L'auguste Vierge jouissait ce jour-là de cette vision béatifique pendant quelques heures, et alors le Seigneur lui donnait de nouveau la possession de ce lieu qu'il lui avait préparé pour son éternité, comme je l'ai dit en parlant de l'ascension. Pour exciter davantage notre admiration, et pour mieux découvrir l'étendue de nos obligations envers la divine Mère, je dois déclarer que, chaque année, le Seigneur lui-même lui demandait 530 ce jour-là si elle voulait demeurer dans cette jouissance éternelle pour toujours, ou redescendre sur la terre pour favoriser la sainte Église. Laissant ce choix à sa disposition, elle répondait : Que si c'était la volonté du Tout-Puissant, elle retournerait dans le monde afin d'y travailler pour les bommes, qui étaient le fruit de la rédemption et de la mort de son très saint Fils. 684. La très-sainte Trinité acceptait de nouveau cette renonciation que la divine Marie réitérait chaque année à la grande admiration des bienheureux, De sorte qu'elle se priva plusieurs fois pour un temps de la jouissance de la vision béatifique, afin de venir sur la terre assister l'Église et l'enrichir par ses mérites ineffables. Et puisqu'il nous est impossible de les déclarer, il faut bien, sans que cela laisse une lacune dans cette histoire , que nous en remettions la connaissance jusqu'au moment où nous l'aurons dans la vision divine. Mais tous ses mérites et toutes ses récompenses lui étaient gardés comme en dépôt dans la divine estime, afin qu'ensuite, quand elle en serait mise en possession, elle fût semblable à l'humanité de son Fils, au degré possible, comme celle qui devait être dignement à sa droite et sur son trône. Toutes ces merveilles étaient suivies des prières que notre charitable Reine faisait dans le ciel pour obtenir l'exaltation du nom du Très-Haut, la propagation de l'Église, la conversion du monde et une suite de victoires sur le démon; et tous ces avantages étaient accordés en la manière qu'ils se sont accomplis, et 531 qu'ils s'accomplissent dans tous les siècles de l'Église, et ces faveurs seraient encore plus grandes, si les péchés du monde ne l'empêchaient pas, en rendant les mortels indignes de les recevoir. Puis les auges ramenaient leur Reine dans l'oratoire du Cénacle aux sons d'une musique céleste, et y étant arrivée, elle se prosternait pour reconnaître de nouveau ces bienfaits. On doit remarquer que l'évangéliste saint Jean, par la connaissance qu'il avait de ces merveilles, eut le bonheur de participer jusqu'à un certain point à leurs effets; car il voyait souvent la bienheureuse Vierge rayonnante d'une telle splendeur, qu'il ne pouvait la regarder à cause de la divine lumière qui en rejaillissait de son visage. Et comme la Maîtresse de l'humilité ne faisait rien sans en demander à genoux la permission à l'évangéliste, le saint avait de fréquentes occasions de voir cette splendeur, et par la crainte respectueuse qu'elle lui causait, il était maintes fois troublé en la présence de notre grande Reine, tout eu éprouvant une joie ineffable et des effets extraordinaires de sainteté. 685. L'auguste Marie se servait des effets et des faveurs de cette grande fête de l'Ascension pour célébrer plus dignement la venue du Saint-Esprit, et pour s'y préparer pendant les neuf jours qui séparent ces deux solennités. Elle continuait toujours ses exercices, désirant de toute l'ardeur de son âme que le Seigneur renouvelât en elle les dons de son divin Esprit. Et lorsque le jour arrivait, ses désirs étaient accomplis par les oeuvres de la Toute-Puissance; car à la même 632 heure qu'il descendit la première fois dans le Cénacle sur le sacré collège, il descendait chaque année sur la Mère de Jésus, l'Épouse et le Temple de ]'EspritSaint. Cette venue n'était pas moins solennelle que la première, car il venait sous la forme visible de rayons de feu avec un grand bruit et une splendeur merveilleuse ; mais néanmoins ces signes n'étaient point manifestes à tous comme ils le furent lors de la première venue, parce qu'alors cette manifestation fut nécessaire, tandis qu'en, ce dernier cas il était convenable qu'elle ne fût connue entièrement que par la divine Mère, et un peu que par l'évangéliste. Quand elle recevait cette faveur, un très-grand nombre d'anges l'entouraient, faisant entendre les plus harmonieux cantiques à la louange du Seigneur, et le Saint-Esprit l'embrasait de ses feux, et la renouvelait par des dons extraordinaires et par de nouveaux accroissements de ceux qu'elle possédait déjà à un degré si éminent. Ensuite notre grande Dame lui rendait de très-humbles actions de grâces pour cette faveur, et pour celle qu'il avait faite aux apôtres. et aux disciples, en les remplissant de sa sagesse et de ses grâces, afin qu'ils fassent les dignes ministres du Seigneur et les fondateurs de sa sainte Église, et de ce que par sa venue il avait mis le sceau aux oeuvres de la rédemption du genre humain. Elle priait encore avec beaucoup d'instance le divin Esprit de continuer en la sainte Église pour les siècles présents et pour les siècles à venir les influences de sa grâce et de sa sagesse f et de ne point les suspendre en aucun temps 533 à cause des péchés des hommes, qui l'offensaient et qui s'en rendaient indignes. L'Esprit-Saint accordait toutes ces demandes à son Épouse incomparable, et la sainte Église en recevait le fruit, dont elle jouira jusqu'à la fin du monde. 686. La bienheureuse Marie ajoutait à tous ces mystères et à toutes ces fêtes du Seigneur et aux siennes, deux autres fêtes qu'elle célébrait avec une joie et une dévotion singulières en deux autres jours de chaque année: l'une des saints Anges, et l'autre des Saints de la nature humaine. Pour solenniser les excellences et la sainteté de la nature angélique , elle se préparait quelques jours. par les exercices qu'elle faisait dans les autres fêtes, et par de nouveaux cantiques de gloire et de louanges, où elle résumait l'oeuvre de la création de ces esprits célestes, surtout celle de leur justification et de leur glorification, tous les mystères et tous les secrets qu'elle connaissait de tous et de chacun en particulier. Puis, le jour qu'elle avait destiné étant arrivé, elle les conviait tous, et il en descendait des milliers de tous les choeurs et de tous les ordres dans son oratoire, où ils se manifestaient à elle avec une gloire et une beauté admirables. Bientôt deux choeurs se formaient, dans l'un desquels était notre Reine, et dans l'autre tous les esprits bienheureux, disant alternativement les louanges de Dieu; la bienheureuse Vierge commençait, et les anges répondaient avec une harmonie céleste durant tout ce jour. Et s'il était possible de révéler an monde les cantiques mystérieux que la très-pure Marie et les anges faisaient 534 alors, ce serait sans doute une des plus grandes merveilles du Seigneur, et tous les mortels en seraient ravis. Je ne trouve point de termes pour déclarer le peu que j'ai connu de ce mystère, et je n'en si d'ailleurs pas le temps. Mais en premier lieu ils louaient l'8tre de Dieu en lui-même, en toutes les perfections et en tous les attributs qu'ils connaissaient. Ensuite notre auguste Reine le bénissait et l'exaltait de ce qu'il avait manifesté sa majesté, sa sagesse et sa toute-puissance en créant d'aussi belles substances spirituelles, de ce qu'il les avait favorisées de tant de dons dans l'ordre de la nature et dans l'ordre de la grâce, de leurs ministères, de leur emploi et de leur promptitude à accomplir la volonté de Dieu et à assister les hommes et toutes les autres créatures. Les anges répondaient à ces louanges par le retour de leurs sentiments et la reconnaissance de leurs obligations, et chantaient tous ensemble au Tout-Puissant des hymnes magnifiques, pour le remercier de ce qu'il avait créé et choisi pour être sa Mère une Vierge si pure, si sainte et si digne de ses plus grands dons et de ses plus singulières faveurs, de ce qu'il l'avait élevée au-dessus de toutes les créatures en sainteté et en gloire, et de ce qu'il lui avait donné un empire absolu sur toutes, afin qu'elles la servissent, l'honorassent et la reconnussent pour la digne Mère de Dieu et la Restauratrice du genre humain. 687. C'était de cette manière que les esprits célestes s'entretenaient des grandes excellences de leur Reine, et bénissaient Dieu en elle. De son côté, elle 535 proclamait celles des anges, et rendait au Seigneur les mêmes louanges ; de sorte que ce jour était très-doux et très-agréable pour la sainte Vierge, et procurait une joie accidentelle aux anges, et spécialement aux mille anges qui avaient été destinés à sa garde ordinaire, encore qu'ils participassent tous, dans une certaine mesure, à la gloire qu'ils rendaient à leur Reine. Et comme ni de part ni d'autre les divins interlocuteurs n'étaient embarrassés par l'ignorance ou par un manque de sagesse et d'appréciation des mystères qu'ils confessaient, cet entretien était d'une sublimité incomparable , et nous en serons persuadés quand nous le connaîtrons dans le Seigneur. 688. Elle célébrait en un autre jour la fête de tous les Saints de la nature humaine, s'y disposant d'avance par plusieurs prières et par plusieurs exercices, comme dans les autres solennités ; et en celle-ci tous les anciens Pères, tous les patriarches, tous les prophètes et tous les autres saints qui étaient morts depuis la résurrection, descendaient du ciel pour la célébrer avec leur Restauratrice. Elle faisait en ce jour de nouveaux cantiques de reconnaissance pour la gloire de ces saints, et de ce qu'en eux la rédemption et la mort de son très-saint Fils avaient été, efficaces. La joie que notre grande Reine avait dans cette occasion était fort grande ; car elle connaissait le secret de la prédestination des saints, qui avaient traversé dans une chair mortelle une vie environnée de tant de périls, et qu'elle voyait déjà dans la félicité 538 assurée de la vie éternelle. Elle bénissait le Père des miséricordes pour ce bienfait, et récapitulait dans ces louanges les faveurs et les grâces que chacun d'eux avait reçues. Elle leur recommandait de prier pour la sainte Église, et pour ceux qui y combattaient en danger de perdre la couronne qu'ils possédaient déjà. Après cela elle faisait mémoire et témoignait une nouvelle reconnaissance des victoires qu'elle-même avait remportées par la vertu divine sur le démon, dans les combats qu'elle avait soutenus contre lui, récitant de nouveaux cantiques, et rendant d'humbles et ferventes actions de grâces pour ces faveurs et pour les Ames qu'elle avait délivrées de la puissance des ténèbres. 689. Ce sera un sujet d'admiration pour les hommes comme ce l'a été pour les anges, d'apprendre qu'une simple créature revêtue de la chair mortelle opéra tant et de si incessantes- merveilles, que la réalisation en paraîtrait impossible à plusieurs âmes ensemble, fussent-elles aussi ardentes que les plus hauts séraphins; mais notre auguste Reine avait une certaine participation de la toute-puissance divine, qui rendait facile pour elle ce qui est impossible pour les autres créatures. En ces dernières années de sa très-sainte vie, cette activité s'accrut de telle sorte chez elle, que nous ne saurions concevoir la grandeur de ses oeuvres ; elle n'y mettait aucune interruption, et ne reposait ni jour ni nuit, parce que le poids de la mortalité ne l'embarrassait point; au contraire, elle agissait comme les anges d'une manière infatigable, et 537 plus même que plusieurs anges ensemble; elle n'était plus qu'une flamme, un incendie d'une activité immense. Malgré cette énergie divine, les jours lui paraissaient courts, les occasions rares, et ses exercices bornés, parce que son amour s'étendait toujours infiniment au delà de ce qu'elle faisait, quoique le champ de son action fût incommensurable. J'ai dit fort peu de chose ou rien du tout de ces merveilles par rapport à ce qu'elles étaient en elles-mêmes; c'est ce que je reconnais et confesse ; car je vois une distance presque infinie entre ce qui m'a été manifesté, et ce que je ne saurais comprendre en cette vie. Et si je ne puis donner une entière connaissance de ce qui m'a été découvert, comment dirais-je ce que j'ignore, et sur quoi je ne connais que ma propre ignorance ? Tâchons de ne nous rendre pas indignes de la lumière qui nous attend pour le voir en Dieu, car cela seul pourrait nous servir de récompense; et quand même nous souffririons jusqu'à la fin du monde tous les supplices des martyrs, nous serions très-bien récompensés par la joie que nous aurons de connaître la dignité et l'excellence 'de la bienheureuse Marie, en la voyant à la droite de son adorable Fils, élevée au-dessus de tous les esprits angéliques et de tous les saints qui sont dans le ciel. 539 Instruction que j'ai reçue de la grande Reine des anges. 690. Ma fille, à mesure que vous avancez dans le récit de mes oeuvres et dans l'histoire de ma vie mortelle, je désire que vous avanciez aussi en ma parfaite imitation. Ce désir croit en moi, comme en vous la lumière et l'admiration de ce que vous entendez et que vous écrivez. Il est temps de réparer le retard que vous avez apporté jusqu'à présent, et d'élever votre esprit à l'état auquel le Très-Haut vous appelle, et auquel je vous convie. Remplissez vos oeuvres de toute la perfection et de toute la sainteté possible. Sachez que la guerre que vos ennemis, le démon, le monde et la chair vous font, est implacable, et que vous ne sauriez vaincre tant de difficultés et tant de tentations, si vous n'excitez dans votre coeur une émulation assez vive, une ardeur assez impétueuse pour que vous puissiez renverser d'un choc irrésistible le serpent venimeux, et lui écraser la tête; car, avec sa malice diabolique, il se sert d'une foule de ruses, soit pour vous abattre, soit du moins pour vous arrêter en cette carrière, et pour vous empêcher d'arriver à la fin que vous poursuivez, à l'état que le Seigneur vous prépare, et pour lequel il vous a choisie. 691. Vous ne devez point ignorer, ma fille, combien le démon est attentif à la moindre négligence et à la plus petite distraction des âmes, qu'il assiège et 539 épie toujours (1), se prévalant de leurs moindres imprudences pour s'introduire perfidement chez elles avec ses tentations, puis réveillant les passions vis-àvis desquelles il sait qu'elles ne se tiennent pas sur leurs gardes, afin qu'elles reçoivent la blessure du péché presque sans s'en apercevoir : et quand ensuite elles la sentent et qu'elles souhaitent le remède, c'est alors qu'elles trouvent une plus grande difficulté; car elles out besoin d'une plus forte grâce pour se relever après leur chute, que pour résister avant de tomber. Par le péché l'âme s'affaiblit dans la vertu; son ennemi s'enhardit , les passions se rendent plus puissantes ; et c'est pour cela qu'il y en a tant qui tombent, et si peu qui se relèvent. La ressource contre ce péril est de vivre avec une attention vigilante, avec un désir continuel de s'attirer la divine grâce, et avec une ferme résolution de pratiquer ce qui est le plus parfait, ne laissant aucun moment libre où l'ennemi puisse trouver l'âme oisive, négligente et sans quelque oeuvre de vertu. Par là le poids de la nature terrestre s'allège, on maîtrise les passions et les mauvaises inclinations, on intimide le démon, l'esprit s'élève et se fortifie contre la chair pour l'assujettir à la volonté divine. 692. Vous avez pour tout cela un vivant exemple en mes œuvres ; vous les écrivez, et je vous les manifeste par tant d'illuminations que vous avez reçues afin que vous ne l'oubliiez pas. Or, soyez attentive, (1) 1 Petr., V, 8. 540 ma très-chère fille, à tout ce qui vous est représenté dans ce brillant miroir: et si vous me reconnaissez pour votre Mère, pour votre Maîtresse et pour la Maîtresse de toute sainteté et de toute perfection véritable, ne tardez point à m'imiter et à me suivre. Il n'est pas possible que ni vous ni aucune autre créature arriviez à la perfection et à la sublimité de mes oeuvres: aussi le Seigneur ne vous y oblige pas; mars il vous est très-facile avec la divine grâce de remplir votre vie d'oeuvres vertueuses et saintes, et d'y consacrer tout votre temps et toutes vos puissances, ajoutant de saints exercices à d'autres exercices, des prières à d'autres prières, et des vertus à d'autres vertus, sans qu'il y ait une époque, un jour, une heure de votre vie que vous ne remplissiez de bonnes oeuvres, comme vous savez que je faisais. C'est pour cette raison que j'ajoutais de nouvelles oeuvres aux autres occupations que me donnait le soin que je prenais de l'Église; et que je célébrais tant de fêtes en la manière et avec les dispositions que vous avez connues et écrites. En achevant une action, je commençais à me préparer pour une autre, afin qu'il n'y eût pas dans ma vie un instant sans des oeuvres saintes et agréables su Seigneur. Tous les enfants de l'Église peuvent, s'ils le veulent, m'imiter en cela, et vous le devez faire plus que les autres; car c'est pour ce sujet que le Saint-Esprit a institué les fêtes de mon très- saint Fils, les miennes, et celles des autres saints que la même Église célèbre. 693. Je veux que vous vous signaliez d'une manière 541 toute particulière en ces diverses solennités, comme je vous l'ai prescrit en d'autres circonstances, et surtout en la mémoire des mystères de la divinité et de l'humanité de mon très-saint Fils, et de ceux de ma vie et de ma gloire. Je veux aussi que vous ayez une grande dévotion pour les anges, tant à cause de leur excellence, de leur sainteté et de leur ministère, qu'à raison des faveurs singulières que vous avez reçues par leur entremise. Je veux que vous tâchiez de leur ressembler par la pureté de votre âme, par la sublimité des saintes pensées, par l'ardeur de l'amour, et en vivant comme si vous étiez affranchie de votre corps terrestre et de ses passions. Ils doivent être vos amis et vos compagnons dans votre pèlerinage, afin qu'ils le soient plus tard dans la patrie céleste. C'est avec eux que doivent être maintenant vos entretiens les plus familiers; ils vous y. découvriront les inclinations de votre Époux , et vous donneront une connaissance certaine de ses perfections; ils vous enseigneront les- voies droites de la justice et de la paix; ils vous défendront contre les démons; ils vous avertiront de leurs tromperies, et à l'école ordinaire de ces ministres du Très-Haut vous apprendrez les lois de l'amour divin. Écoutez-les, et obéissez-leur en toute chose. 542 CHAPITRE XVII. Le Très-Haut envoya en ambassade l'ange saint Gabriel à la bienheureuse Marie, pour lui annoncer qu'il ne lui restait plus que trois ans à vivre sur la terre. - Ce qui arriva à saint Jean et à toutes les créatures à la suite de cet avis du Ciel. 694. Pour achever ce qu'il me reste à dire sur les dernières années de la vie de notre unique et divin Phénix, l'auguste Marie, il faut que le coeur et les yeux me fournissent l'encre avec laquelle je désire écrire des merveilles si douces, si tendres et si touchantes. Je voudrais inspirer aux dévots fidèles de ne point les lire ni les considérer comme passées, puisque la puissante vertu de la foi rend présentes les vérités; et si nous les regardons de près avec la piété convenable et avec une véritable dévotion chrétienne, nous en tirerons sans doute le très-doux fruit, nous en sentirons les effets, et notre coeur jouira du bonheur qui a été refusé à nos yeux. 695. La bienheureuse Marie arriva à l'âge de soixante-sept ans sans avoir interrompu sa carrière, ni arrêté son vol, ni diminué l'ardeur de son amour et la grandeur de ses mérites depuis son immaculée conception ; mais plutôt elle augmenta tout cela dans tous les moments de sa vie. Les dons et les faveurs 543 ineffables du Seigneur l'avaient toute divinisée et toute spiritualisée; les affections, les désirs et les aspirations de son coeur très-pur ne la laissaient point reposer hors du centre de son amour; les chaînes de la chair lui faisaient violence; l'inclination qu'avait la Divinité de l'unir à elle par un éternel et étroit lieu, était (selon notre manière de parler) à son plus haut degré; et la terre, indigne par les péchés des mortels de posséder le trésor des cieux, ne pouvait. le conserver plus longtemps sans le rendre à son véritable Maître. Le Père éternel réclamait son unique et véritable Fille; le Fils sa Mère bien-aimée; et le Saint-Esprit désirait les embrassements de sa ravissante Épouse. Les anges souhaitaient la présence de leur Reine; les saints celle de leur grande Maîtresse; et tous les cieux demandaient à leur manière leur Habitante et leur Impératrice, afin qu'elle les remplit de gloire, de beauté et de joie. Ils alléguaient seulement en faveur du monde et de l'Église le besoin qu'elle avait d'une telle Mère et Maîtresse, et la charité avec laquelle Dieu aimait les infortunés enfants d'Adam. 696. Mais comme le terme de la carrière mortelle de notre grande Reine était inévitable, le décret de la glorification de la bienheureuse Mère fut (pour employer notre langage) rendu dans le divin consistoire, où, fut considéré l'amour qui n'était dit qu'à elle seule, puisqu'elle avait amplement satisfait à la miséricorde envers les hommes pendant tant d'années que l'Église l'avait eue pour sa fondatrice et pour sa maîtresse. Le Très-Haut résolut de l'encourager 544 et de la consoler, en lui donnant un avis certain du temps qu'il lui restait à vivre, afin qu'assurée du jour et de l'heure si désirés, elle attendit avec joie la fin de son bannissement. En conséquence, la très-sainte Trinité députa le saint archange Gabriel avec plusieurs courtisans des hiérarchies célestes, afin qu'ils annonçassent à leur Reine quand et comment arriverait le terme de sa vie mortelle, et elle passerait à la vie éternelle. " 697. Le saint prince descendit avec les autres anges à l'oratoire de notre auguste Reine dans le Cénacle de Jérusalem, où ils la trouvèrent prosternée les bras étendus en croix, demandant miséricorde pour les pécheurs. Mais en entendant la musique céleste et en s'apercevant de la présence des saints anges, elle se mit à genoux pour écouter le divin ambassadeur et ses compagnons, qui, revêtus de robes d'une blancheur éclatante, l'entourèrent avec un empressement et un respect inexprimables. Ils avaient tous à la main des couronnes et des palmes différentes, qui représentaient par leur beauté et leur inestimable richesse les diverses récompenses et prérogatives de leur grande Reine. Le saint ange lui adressa d'abord lit salutation de l'Ave, Maria, et poursuivant, il lui dit : " Notre auguste Impératrice, le Tout-Puissant et le Saint des saints nous envoie de sa cour avec ordre de vous annoncer de sa part a la fin très-heureuse de votre pèlerinage et de votre . exil en la vie mortelle. Bientôt viendra le jour, divine Reine, bientôt viendra l'heure si désirée, où 545 par le moyen de la mort naturelle vous obtiendrez la possession éternelle de la vie immortelle qui vous attend à la droite et dans la gloire de votre très saint Fils, notre Dieu. Il ne vous reste plus dès aujourd'hui à vivre sur la terre que trois ans, après lesquels vous serez élevée et reçue en la joie éternelle du Seigneur, où tous les bienheureux vous attendent et souhaitent votre présence. " 698. La très-pure Marie entendit ce message avec une consolation ineffable., et se prosternant de nouveau , elle répondit comme lors de l'incarnation du Verbe : Ecce ancilla Domini, fiat mihi secundum verbum tuum: Voici la servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon votre parole (1). Ensuite elle pria les saints aunes de l'aider à rendre des actions de grâces pour une nouvelle qui lui était si agréable. La divine Mère entonna le cantique, et les séraphins et les anges lui répondirent alternativement l'espace de deux heures. Et quoique ces esprits angéliques soient par leur nature et par leurs dons surnaturels si actifs, si éclairés et si éloquents, la bienheureuse Vierge néanmoins les surpassait tous en tout, comme une reine ses sujets, car la sagesse et la grâce abondaient en elle comme chez la maîtresse , et en eux comme chez les disciples. Ayant achevé ce cantique, et s'humiliant de nouveau, elle chargea les esprits célestes de prier le Seigneur de la préparer pour passer de la vie mortelle à la vie éternelle, et de demander de sa part la même chose (1) Luc., I, 38 546 aux autres anges et aux saints qui étaient dans le ciel. Ils lui promirent de lai obéir en tout. Après cela saint Gabriel s'en retourna à l'empyrée avec tout son cortège. 699. La grande Reine de l'univers demeura seule dans son oratoire, et pleurant à la fois d'humilité et de joie, elle se prosterna; puis, baisant la terre comme la commune mère de tous, elle lui adressa ces paroles : " Terre , je vous offre les remerciements que je vous dois, puisque, sans que je le méritasse, vous m'avez nourrie durant soixante-sept ans. Vous êtes la créature du Très-Haut, et par sa divine a volonté vous m'avez conservée jusqu'à présent. Je vous prie de m'aider dans le temps qu'il me reste à demeurer parmi vos habitants, afin que, comme de vous et en vous j'ai été créée, de vous et par vous j'arrive à la fin désirée de la vue de mon Créateur. " Elle s'adressa aussi aux autres créatures, et leur dit : " Cieux, planètes, astres, éléments formés par la puissante main de mon Bien-Aimé, témoins fidèles et hérauts de sa grandeur et de sa beauté, je vous remercie aussi de ce que vous avez contribué par vos influences et par vos propriété à la conservation de ma vie; assistez-moi de nouveau dès aujourd'hui, car je la perfectionnerai avec la faveur divine dans le reste de ma carrière, afin de montrer ma reconnaissance à mon Créateur et au vôtre. " 700. Le jour auquel cette ambassade arriva, était celui qui dans le mois d'août répondait trois ans auparavant 547 à celui de la glorieuse mort de l'auguste Marie; dont je parlerai dans la suite. Mais dès qu'elle eut reçu cet avis, elle s'enflamma de nouveau au feu du divin amour, elle multiplia et prolongea tous ses exercices comme si elle avait eu à réparer quelque chose que par négligence ou par tiédeur elle eût omis jusqu'à ce jour-là. Le voyageur hâte le pas lorsqu'il voit finir le jour et qu'il lui reste encore beaucoup, de chemin à faire; l'ouvrier et le mercenaire redoublent d'efforts et de zèle quand le soir approche, et qu'ils n'ont point rempli leur tache. Mais notre auguste Reine pressait le pas dans ses oeuvres héroïques, non par crainte de la nuit, ni par aucune appréhension de ne pouvoir achever son travail , mais par l'amour et les ardents désirs de la lumière éternelle; non pour arriver plus tôt, mais pour entrer plus riche dans la joie du Seigneur. Elle écrivit aussitôt à tous les apôtres et à tous les disciples qui prêchaient en divers endroits du monde, pour les animer de nouveau à travailler à la conversion des peuples, et réitéra plusieurs fois ces exhortations pendant ces trois dernières années. Quant aux autres fidèles qui étaient près d'elle, elle leur donna des témoignages plus sensibles de son zèle, les encourageant et les affermissant dans la foi. Et quoiqu'elle ne leur découvrit point son secret, elle semblait néanmoins, par ses affections, comme se disposer à prendre bientôt congé d'eux, en cherchant à les laisser tous riches et comblés de bienfaits célestes. 701. Elle avait des raisons différentes qui la portaient 548 à ne point agir envers l'évangéliste saint Jean comme envers les autres, car elle le regardait comme son fils, et de son côté il l'assistait et la servait avec plus d'assiduité. C'est pour cela que notre auguste Princesse crut devoir l'informer de l'avis qu'elle avait de sa mort, et quelques jours après qu'elle l'eut reçu , lui ayant en premier lieu demandé sa bénédiction et sa permission, elle lui dit : " Vous savez, mon fils et mon seigneur, qu'entre les créatures du Très-Haut, je suis la plus redevable et la plus obligée à être soumise à sa divine volonté, et si tout ce qui est créé dépend de cette même volonté, son bon plaisir doit être entièrement accompli en moi pour le temps et pour l'éternité. Et vous, mon fils, vous me devez aider en cela, puisque vous connaissez les titres que j'ai d'être toute à mon Dieu. Il m'a manifesté par sa bonté et par sa miséricorde infinies, que le terme de ma vie mortelle pour passer à la vie éternelle, arrivera bientôt; et à partir du jour où j'ai reçu cet avis, il ne me reste plus que trois ans pour achever mon exil. Je vous supplie, seigneur, de m'aider pendant ce temps à rendre des actions de grâces et quelque retour au Très-haut pour les bienfaits immenses que j'ai reçus de son amour très-libéral. Priez pour moi, comme je vous en supplie du fond de mon âme. " 702. Ces paroles de la bienheureuse Mère brisèrent le coeur de saint,Jean, qui, sans pouvoir cacher sa douleur ni retenir ses larmes, lui répondit : " Ma Mère et ma charitable Maîtresse, je suis tout prêt à obéir à 549 la volonté du Très-Haut et à la vôtre, quoique mes mérites ne puissent égaler mes obligations et mes désirs. Mais vous, ma très-miséricordieuse Mère, protégez votre pauvre fils, qui se voit sur le point de rester orphelin et privé de votre sainte compagnie. " Saint Jean n'eut pas la force d'en dire davantage, suffoqué qu'il était par les sanglots et par les larmes que lui arrachait la douleur. Et quoique notre très- douce Reine l'animât et le consolât par de tendres paroles et des raisons très- efficaces, le saint apôtre resta dès lors pénétré d'une si cruelle tristesse, qu'il en était tout affaibli , tout abattu, comme il arrive aux fleurs qui, ayant suivi dans sa carrière le soleil qui les vivifie, s'inclinent et se flétrissent vers le soir quand elles commencent à être privées de ses rayons. La bienheureuse Mère fit de grandes promesses à saint Jean dans cette affliction, afin qu'il ne mourût point de douleur, l'assurant qu'elle exercerait en sa faveur l'office de mère et d'avocate auprès de son très-saint Fils. L'évangéliste fit part de cette triste nouvelle à saint Jacques le Mineur, qui en qualité d'évêque de Jérusalem s'employait avec lui au service de la Reine de l'univers (ainsi que saint Pierre le lui avait recommandé, et que je l'ai dit en son lieu); et dès lors les deux apôtres étant prévenus du peu de temps qu'ils avaient à demeurer avec leur auguste Maîtresse, résolurent d'en profiter : c'est pourquoi ils la visitaient plus fréquemment, et surtout l'évangéliste, qui ne pouvait s'en éloigner. 703. Dans le cours de ces trois dernières années de 550 la vie de notre grande Reine, la puissance divine ordonna, par une secrète et douce force, que toute la nature commençât à prendre davantage le deuil pour la mort de Celle qui par sa vie donnait la beauté et la perfection à l'univers. Les saints apôtres, quoiqu'ils fussent dispersés en divers endroits du monde, commencèrent à sentir une nouvelle peine que leur causait la crainte qu'ils avaient d'être privés de leur Maîtresse et de leur Protectrice; car une illumination divine et mystérieuse leur faisait comprendre que ce terme inévitable ne pouvait plus être fort éloigné. Les autres fidèles qui se trouvaient dans Jérusalem et dans la Palestine reconnaissaient en eux-mêmes comme un secret avis qui leur faisait appréhender que leur trésor et la cause de leur joie ne leur fussent bientôt enlevés. Les cieux, les astres et les planètes perdirent beaucoup de leur beauté et de leur éclat, comme le jour lorsque la nuit s'approche. Les oiseaux donnèrent des marques singulières de tristesse dans les deux dernières années. Ainsi, il y en avait un très-grand nombre qui s'assemblaient d'ordinaire où était la bienheureuse Vierge, voltigeant autour de son oratoire, et faisant entendre, au lieu de leurs chants agréables, des cris plaintifs et des gémissements, comme pour témoigner leur douleur, jusqu'à ce que la Reine de l'univers leur ordonnât elle-même de louer leur Créateur par leurs concerts naturels. Saint Jean, qui les accompagnait en leurs tristes gémissements, fut plusieurs fois témoin de cette merveille. Quelques jours avant la mort de la divine Mère, une infinité de petits oiseaux se présentèrent à elle, penchant la tête, becquetant la terre, et poussant des cris lugubres, comme pour se plaindre de ce qu'elle allait les quitter pour toujours, et lui demander en même temps sa dernière bénédiction. 704. Les bêtes féroces même prirent part à cette affliction universelle; car la bienheureuse Marie, allant un jour visiter les lieux sacrés de notre rédemption, selon sa coutume, fut entourée, en arrivant sur la montagne du Calvaire, de plusieurs de ces animaux qui étaient venus pour l'y attendre; les uns se prosternaient, les autres inclinaient leur tête, tous poussaient des gémissements lugubres, et manifestèrent pendant quelques heures la douleur qu'ils sentaient de ce que la terre allait perdre Celle qu'ils reconnaissaient pour leur Reine et pour l'honneur de l'univers. La plus grande merveille qui arriva dans ce deuil général de toutes les créatures fut que, durant les six mois qui précédèrent la mort de l'auguste Marie, le soleil, la lune et les étoiles, donnèrent moins de lumière qu'ils n'en avaient donné jusqu'alors aux mortels, et le jour de sa glorieuse mort ils s'éclipsèrent, comme à la mort du Rédempteur du monde (1). Plusieurs savants remarquèrent ce changement dans les cieux , mais les plus habiles en ignoraient la cause, et n en purent avoir qu'un grand étonnement. Quant aux apôtres et aux disciples qui, comme je le dirai dans la suite, assistèrent à sa très-douce et (1) Matth., XXVII, 45. 552 très-heureuse mort, ils connurent alors les regrets de toute la nature insensible, qui témoigna d'avance son deuil, tandis que les mortels, capables de raison , ne songeaient pas à pleurer la perte de leur légitime Reine et de leur véritable gloire. Pour ce qui regarde les autres créatures, il semble. qu'en elles fut accomplie la prophétie de Zacharie qui dit , qu'en ce temps-là toute la terre et toutes les familles de la maison de Dieu seraient dans les larmes, et que chaque. famille à part aurait un grand deuil, et que ce deuil serait comme celui qui arrive à la mort d'un fils unique, à laquelle tous ceux de la famille sont pénétrés de douleur (1). Ce que le prophète dit du Fils unique du Père éternel et du premier-né de la bienheureuse Marie, notre Sauveur Jésus-Christ, on le doit aussi appliquer, avec une juste proportion, à la mort de sa très-sainte Mère, comme étant la Fille aînée et la Mère de la grâce et de la vie. Et de même que les sujets et les serviteurs fidèles, non- seulement prennent le deuil à la mort de leur prince et de leur reine, mais s'affligent encore du moindre danger qui les menacent, dans la crainte de les perdre, de même les créatures irraisonnables donnèrent par avance des marques de leur tristesse lorsque la mort de l'auguste Marie approchait. 705. L'évangéliste les accompagnait en cette douleur, et fut le premier à s'affliger de cette perte plus que tous les autres, sans pouvoir cacher son affliction (1) Zach., XII, 10 et 12. 553 aux personnes qui le fréquentaient plus familièrement dans la maison du Cénacle. Quelques membres de la famille, et notamment deux filles du maître de la maison qui étaient très-assidues au service de la Reine de l'univers, et d'autres personnes dévotes, remarquèrent la tristesse de l'apôtre saint Jean, et le virent maintes fois verser des torrents de larmes. Et comme elles savaient que le saint était d'une humeur fort égale, il leur sembla que ce changement supposait quelque chose de grave et d'inquiétant; c'est pourquoi , touchées de compassion, elles le prièrent, à diverses reprises, avec instance, de leur apprendre la cause de sa nouvelle tristesse, pour le soulager autant qu'il leur serait possible. Le saint apôtre leur en cacha la cause durant plusieurs jours. Mais, pressé par les charitables importunités de ces braves gens , il leur découvrit, non sans une disposition particulière de la divine Providence, que l'heureuse mort de sa Mère et de sa Maîtresse approchait. C'étaient les titres que l'évangéliste donnait à l'auguste Vierge en son absence. Et ainsi cette perte dont l'Église était menacée commença à être connue et pleurée quelque temps avant qu'elle arrivât, par diverses personnes qui avaient des rapports plus fréquents avec notre bienheureuse Reine; car toutes celles qui apprirent cette affligeante nouvelle ne purent retenir leurs larmes et les démonstrations de leur inconsolable douleur. Dès lors elles visitaient plus souvent la très-pure Marie, se prosternant à ses pieds, baisant la terre sur laquelle elle avait marché, et la priant de 554 leur donner sa bénédiction, de les attirer après elle, et de ne les point oublier dans la gloire du Seigneur, où elle enlèverait avec elle le coeur de tous ses serviteurs et de toutes ses servantes. 706. Ce fut par une providence très-miraculeuse du Seigneur que plusieurs fidèles de ; la primitive Église furent avertis si longtemps d'avance de la mort de leur Reine; car il n'envoie point d'épreuves ou de fléaux au peuple qu'il ne les découvre auparavant à ses serviteurs, selon qu'il l'assuré par le prophète Amos (1). Et quoique cette affliction fût inévitable pour les fidèles de ce siècle, la divine clémence fit que la primitive Église réparât autant qu'il était possible cette perte de sa Mère,et de sa Maîtresse, eu la portant par ses larmes et, par sa douleur pendant l'espace de temps qu'il lui restait à vivre, à favoriser les fidèles et à les enrichir des trésors de la divine grâce, qu'elle pouvait, comme en étant la Maîtresse, leur distribuer pour les consoler au moment de son départ, ainsi qu'elle le fit en effet; car les entrailles maternelles de la bienheureuse Marie s'émurent d'une compassion extrême à la vue de leurs larmes, et elle obtint dans les derniers jours de sa vie de nouveaux bienfaits et de nouvelles miséricordes de son très-saint Fils, pour eux et pour tout le reste de l'Église: ce fut pour ne point priver les fidèles de ces faveurs que le Seigneur ne voulut pas leur ôter à l'improviste la divine Mère, en laquelle ils trouvaient leur (1) Amos., III ;7. 555 protectrice, leur consolation, leur joie, le secours dans leurs besoins, le soulagement dans leurs travaux , le conseil dans leurs doutes, la santé dans leurs maladies et toutes sortes de biens. 707. Il est certain que ceux qui ont cherché la grâce en Celle qui en était la Mère , n'ont jamais été frustrés dans leur attente. Elle a toujours secouru tous ceux qui n'ont point résisté à sa clémence maternelle. Mais on ne saurait s'imaginer les merveilles qu'elle opéra en faveur des mortels dans les dernières années de sa vie, à cause du grand nombre de personnes qui la visitaient. Elle donna la santé du corps et de l'âme à tous les malades qui se présentèrent à elle, en convertit beaucoup à la vérité de l'Évangile, et rétablit dans l'état de grâce une infinité d'âmes qu'elle tira du péché. Elle secourut plusieurs pauvres dans des nécessités pressantes, donnant aux uns ce qu'elle avait et ce qu'on lui offrait, assistant les autres d'une manière miraculeuse. Elle affermissait tous ceux qu'elle voyait dans la crainte de Dieu, dans la foi et dans l'obéissance qu'ils devaient à la sainte Église, et en qualité de trésorière des richesses de la Divinité, de la vie et de la mort de son très-saint Fils, elle voulut les distribuer avec une miséricorde libérale avant de mourir, pour laisser dans l'abondance les fidèles enfants de l'Église qu'elle allait quitter; et en outre elle les consola et les anima par la promesse des faveurs et des grâces qu'elle nous obtient aujourd'hui à la droite de son Fils. 556 Instruction que j'ai reçue de la grande Reine des anges. 708. Ma fille , pour comprendre la joie que causa en mon âme l'avis du Seigneur m'annonçant que la fin de ma vie mortelle approchait, il faudrait connaître la force de mon amour et du désir que j'avais de le voir et de jouir éternellement de sa divine présence dans la gloire qu'il m'avait préparée. Ce mystère surpasse la portée de l'esprit humain , et les enfants de l'Église se rendent indignes et incapables du peu qu'ils en pourraient pénétrer pour leur consolation; car ils ne regardent point la lumière intérieure, et ne, s'appliquent pas à purifier leurs consciences pour en recevoir de plus abondantes effusions. Nous avons été, mon très-saint Fils et moi, fort libéraux à votre égard en cette miséricorde et en plusieurs autres, et je vous assure, ma très-chère Fille, que bienheureux seront les yeux qui verront ce que vous avez vu, et les oreilles qui entendront ce que vous avez entendu. Gardez votre trésor, et prenez garde de le perdre; travaillez de toutes vos forces à recueillir le fruit de cette science et dé ma doctrine. Je veux que vous le fassiez consister en partie à m'imiter en vous disposant dès maintenant pour l'heure de votre mort , puisque quand même vous auriez quelque certitude de vivre, encore longtemps, cet espace devrait vous paraître fort court pour y assurer une affaire qui doit aboutir à une éternité de gloire ou à une éternité de supplices. 557 Aucune créature raisonnable n'a pu être aussi sûre que moi de la récompense: c'est là une vérité infaillible, et cependant je reçus l'avis de ma mort trois ans d'avance, et vous avez appris que je m'y préparai, comme créature mortelle et terrestre, avec la sainte crainte que l'on doit avoir à cette dernière heure. Je fis en cela ce qui me regardait en qualité de mortelle et de Maîtresse de l'Église, lui laissant un exemple de ce que les autres fidèles doivent faire comme mortels, qui ont un plus grand besoin de cette préparation pour ne point encourir la damnation éternelle. 709. Parmi les stupides illusions que les démons ont introduites dans le monde, il n'en est pas de plus grande ni de plus pernicieuse que l'oubli de l'heure de la mort, et de ce qui doit arriver dans le juste jugement du souverain Juge. Considérez, ma fille, que le péché est entré dans le monde par cette porte, car la principale chose que le serpent prétendit persuader à la première femme, fut qu'elle ne mourrait point et qu'elle ne devait point songer à la mort (1). Il continue à tromper les hommes par le même mensonge, de sorte qu'il y a un nombre infini d'insensés qui vivent dans cet oubli, et qui meurent sans avoir réfléchi un seul instant au malheureux sort qui les attend. Or, afin que vous ne tombiez point dans cette funeste erreur, souvenez-vous dés à présent que vous devez infailliblement mourir, que vous avez reçu beaucoup, et peu payé en retour, et que vous rendrez (1) Gen., III, 4. 558 un compte d'autant plus rigide, que le souverain Juge a été plus libéral à vous enrichir de ses dons, et plus patient à vous attendre. Je ne demande de vous ni plus ni moins que ce que vous devez à votre Seigneur et à votre Époux , et c'est de pratiquer toujours ce qu'il y a de plus parfait, sans négligence, sans interruption et sans oubli. 710. Et si votre faiblesse vous fait tomber dans quelque omission ou dans quelque négligence, faites en sorte que le soleil ne se couche point sans que vous vous en soyez repentie et confessée, si c'est possible, comme si vous aviez à rendre vos derniers comptes. Et après avoir pris la résolution de vous en corriger, quelque légère que puisse être la faute, vous commencerez à travailler avec une nouvelle ferveur et avec autant de soin que si vous n'aviez plus que quelques instants pour terminer une entreprise aussi importante et aussi difficile que l'est celle d'acquérir la gloire et la félicité éternelles, pour éviter de tomber dans une mort et dans des tourments qui n'auront point de fin. Ce doit être là l'application continuelle de toutes vos puissances et de tous vos sens, afin que votre espérance soit ferme et accompagnée de joie ; que vous ne travailliez point en vain, et que vous ne marchiez point au hasard, comme font ceux qui se contentent de pratiquer quelques bonnes oeuvres , et qui commettent une foule de péchés énormes (1). Ceux-là ne sauraient marcher avec (1) II Cor., I, 7 ; Philiè., II, 16 ; I Cor., IX, 26. 559 sûreté ni avoir la joie intérieure de l'espérance véritable : car leur propre conscience la leur fait perdre et les jette dans la tristesse, à moins qu'ils ne vivent dans l'insouciance et dans la folle allégresse de la chair. Pour remplir vos œuvres, continuez les exercices que je vous ai enseignés, et conservez l'habitude de penser à la mort, en faisant toutes les prières, tous les actes d'humiliation et les recommandations de l'âme qui vous sont ordinaires. En outre, recevez mentalement le viatique, comme si vous étiez près de partir pour l'autre vie, et détachez-vous de la vie présente , en oubliant tout ce qui s'y trouve. Enflammez votre coeur par des désirs ardents de voir Dieu, et montez jusqu'à sa présence, où vous devez avoir éternellement votre demeure, et maintenant votre conversation (1). (1) Philip., III, 20. 30/30 CHAPITRE XVIII. Les désirs de voir Dieu redoublent chez la bienheureuse Marie dans les derniers temps de sa vie. - Elle prend congé des lieux saints et de l'Église catholique, et fait son testament, assistée de la très-sainte Trinité. Instruction que la grande Reine des anges m'a donnée. CHAPITRE XIX. La bienheureuse et glorieuse mort de l'auguste Marie, et comment les apôtres et les disciples arrivèrent auparavant à Jérusalem, et s'y trouvèrent présents. Instruction que j'ai reçue de la grande Reine du ciel: CHAPITRE XX. De la sépulture du corps sacré de la bienheureuse Marie, et de ce qui y arriva. Instruction que j'ai reçue de la grande Reine du ciel. CHAPITRE XXI. L'âme de la bienheureuse Marie entra dans l'empyrée. - Comme celui de notre Rédempteur Jésus-Christ, son sacré corps ressuscita le troisième jour, et en ce même corps elle monta à la droite du Seigneur. Instruction que la grande Reine des anges m'a donnée. CHAPITRE XXII. La bienheureuse Marie est couronnée Reine des cieux, et de toutes les créatures. - Plusieurs grands privilèges lui sont confirmés en faveur des hommes Instruction que m'a donnée la grande Reine du ciel la bienheureuse Marie. CHAPITRE XXIII. Acte de louanges et d'actions de grâces que moi la moindre des mortels, soeur Marie de Jésus, a fait au seigneur et à sa très-sainte Mère, pour avoir écrit cette divine histoire avec l'assistance de la Reine du ciel elle-même. - Suit une lettre qu'elle adresse aux religieuses de son Monastère. PROTESTATION PUBLIQUE, DEMANDE ET CONSENTEMENT DE CE MONASTÈRE ET DES RELIGIEUSES DÉCHAUSSÉES DE L'IMMACULÉE- CONCEPTION DE CETTE VILLE D'AGRÉDA, POUR RECEVOIR POUR LEURS PATRONS ET POUR LEURS PROTECTEURS, EN PREMIER LIEU LA SUPRÊME REINE DU CIEL ET DE LA TERRE L'AUGUSTE MARIE, ET AVEC SON BON PLAISIR LE GLORIEUX PRINCE SAINT MICHEL ET NOTRE PÈRE SAINT FRANÇOIS 560 CHAPITRE XVIII. Les désirs de voir Dieu redoublent chez la bienheureuse Marie dans les derniers temps de sa vie. - Elle prend congé des lieux saints et de l'Église catholique, et fait son testament, assistée de la très-sainte Trinité. 711. Je me trouve plus pauvre de paroles et d'expressions lorsque j'en aurais un plus grand besoin pour dire quelque chose de l'état auquel parvint l'amour de. l'auguste Marie dans les derniers jours de sa vie, des élans et des entraînements de son très- pur esprit, de ses aspirations et de la véhémence incroyable de ses désirs pour arriver à l'étroit embrassement de la Divinité. Dans toute la nature je ne trouve point de terme de comparaison convenable, et si quelque chose peut en servir, c'est le feu, à cause des rapports qu'il présente avec l'amour. Cet élément est admirable par son activité et par sa force ; il n'y en a aucun qui souffre avec plus d'impatience d'être enfermé; car, ou il meurt dans sa prison, ou il la rompt pour s'élancer avec une légèreté extrême vers sa propre sphère. S'il se trouve enfermé dans les entrailles de la terre, il la déchire, entr'ouvre les montagnes, et arrache les rochers avec une violence irrésistible. Sa prison fût-elle de bronze, s'il ne la brise 561 point, du moins il en ouvre les portes avec une force terrible qui porte l'effroi dans les environs, et lance dans l'espace le globe de métal qui empêche sa sortie, avec cette violence que l'expérience nous fait voir. Telle est la nature de cette créature insensible. 712. Mais si le feu de l'amour divin avait atteint son plus haut degré d'intensité dans le coeur de la bienheureuse Vierge (je suis réduite à employer ces termes), il est clair que les effets correspondaient à la cause, et que ces effets devaient être beaucoup plus merveilleux dans l'ordre de la grâce, et surtout d'une grâce si immense, que les premiers ne le sont en celui de la nature. Revêtue de son corps mortel, notre auguste Reine fut toujours pèlerine dans le monde, et un Phénix unique sur la terre ; mais lorsqu'elle fut près de partir pour le ciel , et assurée de l'heureux terme de son pèlerinage, quoique son corps virginal se trouvât encore sur la terre, la flamme de son très-pur esprit s'élevait avec une vitesse inconcevable jusqu'à sa sphère, qui était la Divinité même. Elle ne pouvait arrêter ni empêcher les élans de son coeur, et il semblait qu'elle ne fût point Maîtresse de ses mouvements intérieurs; car elle avait livré toute sa liberté à l'empire de l'amour et aux désirs de la possession du souverain Bien qui l'attendait, en qui elle était transformée et comme détachée de la mortalité terrestre. Elle ne rompait point ces chaînes , parce qu'elles lui étaient conservées plutôt par miracle que naturellement ; elle n'entraînait pas non plus avec 562 elle le corps mortel et pesant, parce que le terme n'était pas encore arrivé ; et cependant la force de l'esprit et de l'amour eût pu l'enlever. Mais, dans ce doux et continuel combat, cette force suspendait eu elle toutes les opérations vitales de la nature, de sorte qu'il semble que le corps ne recevait plus de cette âme si divinisée que la vie du divin amour; et afin que la vie naturelle ne fùt-point consumée, il fallait la conserver par miracle, et qu'une autre cause supérieure intervînt pour la soutenir, et pour empêcher qu'elle ne défaillit à chaque instant. 713. Il lui arriva souvent dans ces derniers jours, pour donner une issue à ces effluves intérieurs si violents , de rompre le silence dans sa solitude, et d'exhaler les sentiments de son coeur, prêt à éclater; et alors, s'adressant au Seigneur, elle disait : " Mon très-doux Amour, mon souverain Bien, mon unique Trésor, attirez-moi après l'odeur de vos parfums (1), que vous avez fait goûter à votre servante et votre Mère pèlerine dans le monde. Ma volonté vous a toujours été consacrée, à vous qui êtes la Vérité suprême et mon véritable bien : elle n'a jamais su rien aimer hors de vous. O mon unique espérance et ma seule gloire ! n'allongez point ma carrière, ne reculez pas le terme où je dois trouver ma liberté si désirée. Déliez les chaînes de la mortalité qui me retiennent; faites que j'arrive à la fin vers laquelle je marche dès le premier instant auquel je (1) Cant., I, 4. reçus de vous l'être que j'ai (1). Ma demeure a été prolongée parmi les enfants de Cédar (2) : mais je regarde de toute la force de mon filme et de ses puissances le Soleil qui lui donne la vie; je me a dirige vers l'étoile polaire dont la lumière me guide, et je tombe en défaillance sans la possession du Bien que j'attends. O esprits célestes, je vous en conjure, par la noblesse et l'excellence de votre a nature angélique et par le bonheur que vous avez a de jouir de la vue et de la beauté de mon bien aimé, dont vous n'êtes jamais privés, ô mes amis, ayez compassion de mail. Plaignez, mes amis, cette pèlerine entre les enfants d'Adam, captive dans les chaînes de la chair. Dites à votre Maître et au mien la cause de ma douleur, qui ne lui est pas cachée (3); dites-lui que pour lui plaire j'embrasse ses souffrances dans mon bannissement, et très volontiers ; mais je ne puis vouloir vivre en moi; et si je vis en lui pour vivre, comment pourrai-je vivre en l'absence de ma vie ? L'amour me la donne, et ce même amour me l'ôte. Je ne saurais vivre sans aimer la vie; or comment vivrai-je sans la vie que j'aime uniquement ? Je languis dans cette douce violence ; entretenez-moi du moins des qualités de mon bien-aimé, car par ces fleurs aromatiques je serai fortifiée dans les défaillances que mon amour impatient me cause (4). " (1) Ps. CXLII, 8. - (2) Ps. CXIX, 5. - (3) Cant., V, 8. - (4) Cant., II, 5. 564 714. La bienheureuse Mère exhalait par ces paroles et par plusieurs autres encore plus tendres les feux de son esprit enflammé, au milieu de l'admiration et de la joie des saints anges qui l'entouraient et la servaient. Et comme ils sont si remplis de la divine science , ils répondirent dans une de ces occasions à ses désirs par les paroles suivantes : " Notre auguste Reine, si vous voulez entendre de nouveau les qua lités que nous connaissons de votre bien-aimé, sachez qu'il est la beauté même, et qu'il renferme en lui toutes les perfections qui surpassent le désir. Il est aimable sans défaut, agréable sans défiance, et plus délicieux que tout ce qu'il y a de plus exquis. Sa sagesse est inestimable, sa bonté sans mesure; sa puissance sans bornes, son être immense, sa grandeur incomparable, sa majesté inaccessible, et toutes les perfections qu'il renferme en lui sont infinies. Il est terrible dans ses jugements (1), impénétrable dans ses conseils (2) , très-équitable dans sa justice (3), très- secret dans ses pensées, véridique, dans ses paroles, saint dans ses oeuvres (4), et riche en miséricordes (5). Ce qui est vaste ne lui donne aucune étendue ; ce qui est étroit ne le limite point ; les choses tristes ne sauraient pas plus le troubler que ce qui est joyeux ne saurait l'émouvoir; sa volonté ne change point (6); il n'y a point d'abondance qui puisse rien ajouter, comme (1) Ps. LXV; 5. - (2) Rom., XI, 33 . - (3) Ps. CXXVIII, 137. - (4) Ps. CXLIV, 14. - (5) Ephes., II, 4. - (6) Jacob., I,17. 565 il n'y a point de nécessité qui puisse rien retrancher à ce qu'il a; le souvenir ne lui apporte, et a l'oubli ne lui ôte rien ; ce qui a été n'est point a passé pour lui; les choses à venir ne sont pas pour a lui des faits nouveaux. Il n'y a point de principe qui ait marqué le commencement de son être; et le temps ne lui donnera non plus aucune fin : sans qui aucune cause lui ait donné un principe, il l'a donné à toute chose (1) ; non qu'il eût besoin d'aucune (2) , mais toutes ont besoin de sa participation: il les conserve sans travail, et il les gouverne sans confusion. Celui qui le suit ne marche point dans les ténèbres (3) ; celui qui le tonnait, qui l'aime et qui jouit de sa présence est bien heureux; car il enrichit ses amis, et à la fin il les glorifie par sa vue et par sa compagnie éternelles (4). Telle est, auguste Reine, le Bien que vous aimez, et des embrassements duquel vous jouirez bientôt, pour, ne plus le quitter durant toute son éternité. ". Ainsi parlèrent les anges. 715. Ces entretiens se renouvelaient souvent entre notre grande Reine et ses ministres. Mais de même que quelques gouttes d'eau n'étanchent point la soif de celui qui est altéré par une fièvre ardente, et qu'au contraire elles l'augmentent ; de même ces sortes de soulagements ne modéraient point la flamme du divin amour en la très douce Mère, parce qu'ils renouvelaient (1) Eccles., XVIII, 1. - (2) II Mach., XIV, 35. - (3) Joan., VIII, 12. - (4) Joan., XVII, 3. 566 en son coeur la cause de ses amoureuses peines. Et quoique dans ces derniers jours de sa vie les faveurs que j'ai rapportées en parlant des fêtes qu'elle célébrait, lui fussent continuées avec celles qu'elle recevait tous les dimanches, outre tant d'autres qu'il n'est pas possible d'énumérer, il fallait néanmoins, pour la soulager et la fortifier dans les angoissés de son amour, que son très-saint Fils la visitât en: personne plus fréquemment que par le passé. Dans ces visites il la consolait par des caresses ineffables, et l'assurait de nouveau que son exil serait fort court; qu'il l'élèverait à sa droite, où elle serait placée, par Je Père et par le Saint-Esprit, sur son trône royal, et absorbée dans l'abîme de sa divinité; et que son élévation remplirait d'une nouvelle joie tous les saints, qui l'attendaient et qui la souhaitaient. Dans ces occasions la très-charitable Mère redoublait ses prières pour la sainte Église, pour les apôtres, pour les disciples et pour tous les ministres qui, dans les siècles à venir, serviraient l'Église en prêchant l'Évangile et en travaillant à la conversion du monde, afin que tous les mortels reçussent la foi., et arrivassent à la connaissance de la vérité divine. 716. Entre les merveilles que le Seigneur fit à l'égard de sa bienheureuse Mère dans ces dernières années, il y en eut une dont furent témoins non-seulement l'évangéliste saint Jean, mais encore plusieurs fidèles : c'est que, quand notre auguste Reine communiait, elle restait pendant quelques heures toute resplendissante et environnée de clartés si 807 admirables, quelle semblait être transfigurée par les dons de la gloire. Cet effet fui était communiqué par le sacré corps de son très-saint Fils, qui, comme on l'a vu, se manifestait à elle transfiguré et plus glorieux que sur le mont Thabor. Et tous ceux qui la regardaient dans cet heureux état se trouvaient pénétrés de joie, et sentaient des effets si divins, qu'ils pouvaient mieux en éprouver les douceurs que les déclarer. 717. La très-pieuse Reine résolut de faire ses adieux aux lieux saints avant de partir pour le ciel, et en ayant demandé la permission à saint Jean, elle sortit. de la maison en sa compagnie et en celle des mille anges qui l'assistaient. Et quoique ces princes célestes l'eussent toujours suivie dans toutes ses démarches, dans toutes ses occupations, dans tous ses voyages, sans l'avoir quittée un seul moment dès l'instant de sa naissante, dans cette circonstance ils se manifestèrent à elle avec une plus grande lumière, comme se félicitant de leur prochain départ. La bienheureuse Vierge, se débarrassant des occupations humaines pour marcher vers sa propre et véritable patrie, visita tous les lieux de notre rédemption, adressant à chacun d'eux un dernier adieu en versant des torrents de larmes au douloureux souvenir de ce que son Fils avait souffert; elle faisait les actes les plus fervente et les plus admirables, poussait de profonds gémissements, et priait pour toua les fidèles qui visiteraient ces saints lieux avec une pieuse vénération dans. tous les siècles à venir de l'Église. Elle s'arrêta plus longtemps 568 sur la montagne du Calvaire, demandant à son adorable Fils l'efficace de la mort et de la rédemption qu'il avait opérées en ce lieu pour toutes les âmes rachetées. Elle s'embrasa tellement des ardeurs de sa charité ineffable dans cette prière , qu'elle aurait perdu la vie naturelle avant de quitter la montagne, si elle ne lui eût été conservée par la vertu divine. 718. Son très-saint Fils descendit alors du ciel, et se manifesta à elle en ce lieu où il était mort. Et répondant à ses prières, il lui dit: " Ma Mère, ma très-chère Colombe et ma Coadjutrice en l'oeuvre de la rédemption du genre humain, vos désirs et vos demandes sont arrivés à mes oreilles et à mon coeur; je vous promets que je serai très-libéral envers les hommes, et que je leur donnerai de continuels secours de ma grâce, afin qu'en vertu de mon sang ils méritent, par leur libre arbitre, la gloire que je leur ai préparée, si eux-mêmes ne la méprisent. Vous serez dans le ciel leur Médiatrice et leur Avocate; et je comblerai de mes trésors et de mes miséricordes infinies tous ceux qui s'acquerront votre intercession. " Notre Sauveur Jésus-Christ renouvela cette promesse au lieu même où il nous racheta. Sa bienheureuse Mère, prosternée à ses pieds, lui en rendit des actions de grâces, et le pria de lui donner sa dernière bénédiction en ce même lieu consacré par son précieux sang et par sa mort. Le Seigneur la lui donna, et lui confirma toutes les promesses qu'il lui avait faites ; ensuite il s'en 569 retourna à la droite de son Père éternel. La très-pure Marie fut réconfortée dans ses amoureuses peines, et, continuant ses pieux exercices, elle baisa avec respect la terre du Calvaire, disant : " Terre sainte, lieu sacré, je vous regarderai du ciel avec la vénération que je vous dois, et je vous révèrerai dans cette lumière qui manifeste toutes choses en leur propre origine, d'où sortit le Verbe divin, qui vous a enrichie en prenant la chair mortelle. " Puis elle recommanda de nouveau aux saints anges de garder ces lieux sacrés, et d'assister par de saintes inspirations les fidèles qui les visiteraient avec dévotion, afin qu'ils connussent et appréciassent le bienfait inestimable de la rédemption, qui y avait été opéré. Elle leur recommanda aussi de défendre ces sanctuaires ; et si la témérité et les péchés des hommes n'eussent empêché cette faveur, il est certain que les saints anges les auraient mis à l'abri des profanations des infidèles; et encore les en ont-ils bien souvent garantis jusqu'aujourd'hui. 719. Notre grande Reine pria aussi les mêmes anges qui gardaient ces saints lieux, et l'évangéliste, de lui donner leur bénédiction dans cette dernière visite; après cela elle s'en retourna à son oratoire avec beaucoup de larmes, comme quittant avec une sorte de regret ce qu'elle aimait si tendrement sur la terre. Ensuite elle se prosterna la face contre terre, et fit une longue et très-fervente prière pour l'Église; elle y persévéra jusqu'à ce que, par la vision abstractive de la Divinité, le Seigneur lui répondit que ses 570 prières étaient, exaucées au tribunal de sa clémence. Et pour donner en tout la plénitude de sainteté à ses Qeuvres, elle demanda au Seigneur la permission de prendre congé de la sainte Église , et lui dit : " Souverain Seigneur, mon unique bien, Rédempteur du monde, chef des saints et des prédestinés; justificateur et glorificateur des âmes, je suis fille de la sainte Église que vous avez acquise et fondée par votre sang: permettez-moi, Seigneur, de faire mes adieux à une si bonne mère et à tous mes frères vos enfants. " Ayant connu à cet égard l'agrément de son très-doux Fils, elle s'adressa au corps de la sainte Église, et lui dit avec beaucoup de larmes et de tendresse ce qui suit : 720. " Église sainte et catholique (qui dans les siècles à venir serez appelée romaine), ma mère et ma maîtresse, véritable trésor de mon âme, vous a avez été l'unique consolation de mon exil; le refuge de mes peines et le soulagement de mes travaux, ma joie et mon espérance; c'est vous qui,m'avez a conservée en ma carrière, c'est en vous que pauvre pèlerine j'ai vécu loin de ma patrie, et c'est vous qui m'avez entretenue depuis que j'ai reçu en vous d'être de la grâce par votre chef et le mien, Jésus Christ mon Fils et mon Seigneur. En vous sont les trésors de ses mérites infinis, vous êtes, pour ses fidèles enfanta le passage assuré qui mène à la terre promise, et vous les protégez dans leur dangereux et a difficile pèlerinage. Vous êtes la maîtresse des nations que tous doivent révérer; en vous les afflictions, 571 les opprobres, les sueurs, les tourments, la croix et la mort sont des joyaux d'un prix inestimable, car tout a été consacré par la mort de mon u Seigneur votre Père, votre maître et votre chef, et réservé pour ses plus grands serviteurs et pour ses plus chers amis. Vous m'avez ornée de vos pierreries pour entrer aux noces de l'Époux, vous m'avez enrichie, comblée de dons et de présents, et vous avez en vous-même votre auteur dans l'adorable Sacrement. Heureuse mère, ma chère Église militante, vous êtes opulente et riche de trésors. Vous avez toujours eu tout mon cœur et tous mes soins; mais il faut que je vous quitte main tenant et que je m'arrache à votre douce compagnie pour arriver à la fin de ma carrière. Appli quez- moi l'efficace de tant de biens, arroses-moi abondamment des flots sacrés du sang de l'Agneau que vous avez en dépôt, et qui pourrait sanctifier des milliers de mondes. Je voudrais su prix de mille vies vous acquérir toutes les nations et toutes les générations des mortels, afin qu'elles profitassent de vos trésors. Ma bien- aimée Église, mon bon lieur et ma gloire, je vous laisse en la vie mortelle, mais je vous trouverai triomphante en la vie éternelle, dans cet être où toutes choses sont renfermées. Je vous regarderai de là avec tendresse, et je prierai toujours pour votre prospérité et pour tous vos progrès. " 721. Ce fut là l'adieu qu'adressa la très-pure Marie au corps mystique de la sainte Église catholique 572 romaine mère des fidèles, pour leur enseigner (quand ils en auront la connaissance) la vénération, l'amour et l'estime qu'elle avait pour elle , et qu'elle témoignait par de si douces larmes et par de si tendres affections. Après cet adieu, notre grande Dame détermina, comme Mère de la Sagesse, de faire son testament. Et lorsqu'elle eut manifesté au Seigneur ce très-prudent désir, sa divine Majesté voulut l'autoriser par sa présence. La très-sainte Trinité descendit donc dans l'oratoire de sa Fille et de son Épouse, avec une infinité d'anges qui entouraient le trône de la Divinité, et après que la très-pieuse Reine eut adoré l'être de Dieu infini, il sortit une voix du trône qui lui disait : " Notre Épouse et notre élue, exprimez votre dernière volonté comme vous souhaitez, nous l'accomplirons et la confirmerons en tous points par noire pouvoir infini. " La très-prudente Mère se retint quelque temps dans sa profonde humilité, parce qu'elle désirait savoir la volonté du Très-Haut avant de manifester la sienne propre. Mais le Seigneur répondit à cet humble désir, et la personne du Père lui dit : " Ma Fille, votre; volonté me sera agréable , vous ne vous priverez point du mérite de vos oeuvres en ordonnant ce que vous avez déterminé pour partir de la vie mortelle, car je satisferai vos désirs. " Le Fils et le Saint-Esprit confirmèrent cette parole. Et la bienheureuse Vierge ayant reçu ces promesses, fit sou testament en cette forme. 722." Dieu éternel, moi vermisseau de terre, je 573 vous glorifie et vous adore du fond de mon Ame, Père, Fils, et Saint-Esprit, trois personnes distinctes en un même être indivisible et éternel, en une seule substance et en une majesté infinie, en attributs et en perfections. Je vous exalte et vous confesse pour l'unique, le véritable et le seul Créateur et conservateur de tout ce qui a l'être. Je déclare en votre divine présence que ma dernière volonté est celle-ci : Je n'ai rien à laisser des biens de la vie mortelle et du monde dans lequel je vis , car je n'ai jamais possédé ni aimé autre chose que vous, qui êtes mon unique bien et toutes mes richesses. Je rends des actions de grâces aux cieux, aux astres, aux étoiles, aux planètes , aux éléments et à toutes les autres créatures, de ce qu'obéissant à votre volonté, elles ont pourvu à ma subsistance, sans que je l'eusse mérité. Je souhaite de tout mon coeur qu'elles vous servent et vous louent dans les offices et dans les ministères dont cous les avez char gés, et qu'elles pourvoient à la subsistance de mes frères les hommes. Et afin qu'elles le fassent mieux, je cède et transporte aux mêmes hommes la possession et, autant qu'il est possible, le domaine que votre divine Majesté m'avait. donné de toutes ces créatures irraisonnables. Je laisserai à Jean deux tuniques et un voile dont je me suis servi pour me couvrir, afin qu'il en dispose, puisque je le regarde a comme mon fila. Je demande à la terre de recevoir a mon corps, puisqu'elle est la mère commune, et quelle vous sert comme votre ouvrage. Je remets, 574 mon Dieu, entre vos mains mon âme dépouillée du corps et de tout ce qui est visible , afin qu'elle vous a aime et vous glorifie pendant toute votre éternité. Je laisse la sainte Eglise ma mère pour l'héritière universelle de tous mes mérites, de toutes a mes oeuvres, de tous mes travaux et de tous les trésors que j'ai acquis avec votre divine grâce, avec votre permission; je les lui donne en dépôt, a et je voudrais qu'il y en exit beaucoup plus. Je désire en premier lieu qui ils servent à l'exaltation de votre saint nom, et à obtenir que votre sainte volonté se fasse toujours sur la terre comme su a ciel, et que toutes les nations vous connaissent, vous aiment et vous rendent le culte suprême qui vous est dû, comme étant le seul et le véritable Dieu. 723. " En second lieu je les offre pour les apôtres, mes vénérables maîtres, et pour les apôtres présents et à venir, afin que votre clémence ineffable les rende des ministres aptes à leur office et, dignes de leur état, et que, par leur sagesse, leur vertu et leur sainteté , ils édifient et sanctifient les âmes rachetées par votre sang. En troisième lieu je les applique pour le bien spirituel des personnes qui me seront dévotes, qui me serviront et qui m'invoqueront, afin qu'elles obtiennent votre grâce et votre protection , et ensuite la vie éternelle. En quatrième lieu je désire que mes travaux et mes services vous portent à être favorable envers tous les pécheurs enfants d'Adam, afin qu'ils sortent du 575 malheureux état du péché. Et dès maintenant je me propose de toujours prier, et je prierai toujours pour eux en votre divine présence tant que le monde durera. C'est là, mon Dieu, ma dernière volonté, toujours soumise à la vôtre. Notre auguste Reine conclut ce testament, et la très-sainte Trinité le confirma et l'approuva, et notre Rédempteur Jésus-Christ, comme en autorisant toutes les dispositions, écrivit dans le coeur de sa Mère ces paroles en guise de signature : Que ce que cous vouiez et ordonnez se fasse. 726. Quand les enfants d'Adam, et en particulier ceux qui naissent dans la loi de grâce, n'auraient point d'autre obligation à la bienheureuse Marie que de les avoir fait héritiers de ses mérites immenses et de tout ce que son court et mystérieux testament enferme, ils ne sauraient s'acquitter de leur dette, pussent-ils en retour sacrifier leur vie au milieu de. tous les supplices que les plus grands martyrs ont soufferts Je ne fais point ici de comparaison, parce qu'il n'y eu a aucune, avec les mérites et les trésors infinis que notre Sauveur Jésus-Christ nous a laissés dans l'Église. Mais quelle excuse auront les réprouvés qui n'ont, fait leur profit ni des uns ni des autres, et qui les ont tous méprisés, oubliés et perdus? Quel sera leur tourment et leur désespoir lorsqu'ils reconnaîtront trop tard qu'ils ont perdu pour toujours tant de bienfaits et tant de trésors pour un plaisir passager? Ils avoueront l'équité du jugement par lequel ils sont très-justement punis et privés de la 576 présence du Seigneur et de celle de sa miséricordieuse Mère, qu'ils ont méprisé avec une folle témérité. 725. Après que notre grande Reine eut fait son testament, elle rendit des actions de grâces au Tout-Puissant, et lui demanda la permission de lui faire une autre prière; et l'ayant obtenue, elle dit : " Mon Seigneur très-clément, Père des miséricordes, si c'est votre gloire et. votre bon plaisir, je souhaite que mes vénérables maîtres les apôtres et les autres disciples assistent à ma mort, afin qu'ils prient pour moi, et que je parte avec leur bénédiction, de cette vie, pour aller jouir de la vie éternelle. " Son très-saint fils répondit à cette demande : " Ma très-chère Mère, mes apôtres sont déjà en route pour se rendre auprès de vous, et ceux qui sont dans les provinces les plus voisines arriveront bientôt; quant aux autres qui parcourent des régions éloignées, je leur enverrai mes anses qui les porteront, car ma volonté est qu'ils assistent tous à votre glorieuse mort pour votre consolation et la leur, et dans l'intérêt de ma plus grande gloire et de la vôtre. " L'auguste Vierge s'étant prosternée rendit des actions de grâces pour cette nouvelle faveur et pour toutes les autres, puis les divines personnes s'en retournèrent dans l'empyrée. Instruction que la grande Reine des anges m'a donnée. 726. Ma fille, vous admirez l'estime et le grand amour que j'eus pour la sainte Église, c'est pour cela que je veux vous aider à augmenter vos affections, afin que vous ayez aussi pour elle une nouvelle vénération, et que vous en conceviez nue plus haute idée. Vous ne, sauriez comprendre, tant que vous vivrez dans votre chair mortelle , ce qui se passait dans mon intérieur à l'égard de la sainte Eglise. Cependant, outre ce que vous avez appris, vous en découvrirez encore davantage si vous considérez les causes qui provoquaient les sentiments de mon cœur. Ces causes furent l'amour et les ouvres de mon très-saint saint Fils envers cette mime Église , et c'est sur quoi vous devez méditer jour et nuit, car par ce qu'il a fait pour l'Église vous connaîtrez l'amour que j'eus pour elle. Pour être son chef en ce monde (1), et. à jamais celui des prédestinée (2), il descendit du sein du l'ire éternel, et prit la chair humaine dans mes entrailles. Pour recouvrer ses enfants, qui étaient perdus par le premier péché d'Adam (3), il se revêtit de la chair mortelle et passible. Pour laisser aux hommes les exemples de son innocente vie (4) et la doctrine de la vérité et du salut, il vécut et conversa avec eux (1) Colos., I, 18. - (2) Rom., VIII, 29. - (3) Luc., XIX, 10. - (4) Baruch., III, 38. 578 durant trente-trois années (1). Pour les racheter en effet, et pour leur mériter des biens infinis de grâce et de gloire que les fidèles ne pouvaient mériter, il souffrit la plus cruelle Passion, il versa son sang a subit la mort douloureuse et ignominieuse de la croix (2). Enfin , pour que l'Église sortit mystérieusement de son corps sacré déjà inanimé; il se laissa ouvrir le côté d'un coup de lance (3). 727. Et c'est parce que le Père éternel se complut infiniment dans sa vie, dans sa Passion et dans sa mort, que le même Rédempteur institua dans l'Église le sacrifice de son corps et de son sang , afin que les fidèles en renouvelassent la mémoire (4), et l'offrissent pour apaiser et satisfaire la divine justice ; et aussi afin qu'il demeurât toujours sous les espèces sacramentales dans l'Église, pour être la nourriture spirituelle de ses enfants, et qu'ils eussent près d'eux la source même de la grâce, le viatique et le gage certain de la vie éternelle. Il envoya de plus le Saint-Esprit sur l'Église (5), afin qu'il la remplit de ses dons et de sa sagesse, lui promettant son assistance, et l'assurant qu'il la gouvernerait et la dirigerait à l'abri de l'erreur et de tous les dangers. Il l'enrichit de tous les mérites de sa Passion , de sa vie et de mort , les lui appliquant par le moyen des sacrements qu'il établit suivant les besoins des hommes , dès leur naissance jusqu'à leur mort, pour qu'ils pussent se purifier de leurs péchés , persévérer dans sa grâce , se (1) I Petr., II, 21. (2) Philip., II, 8. - (3) Joan., XII, 34. - (4) Luc., XXII, 19. - (5) Act., II, 2; Joan., XV, 26. 579 défendre contre les démons , les vaincre avec les armes de l'Église , et maîtriser leurs propres passions naturelles, et laissant à cet effet des ministres capables de les administrer. Il se communique dans l'Église militante familièrement aux limes saintes , il leur fait part de ses secrètes faveurs, il opère pour elles des miracles et des merveilles quand sa gloire l'exige, il agrée leurs oeuvres et il exauce les prières qu'elles lui adressent, soit pour elles, soit pour les autres, afin de conserver dans l'Église la communion des saints. 728. Il y laissa une autre source de lumière et de vérité, qui sont les saints Évangiles et les divines Écritures, dictées par le Saint-Esprit, les décisions des conciles, et les traditions anciennes et authentiques. Il lui a suscité aux temps opportuns de saints docteurs pleins de sagesse; lui a donné une multitude de maîtres habiles, de prédicateurs et de ministres; l'a illustrée par des saints admirables; l'a embellie par la variété des ordres religieux, où l'ou conserve et professe la vie parfaite et apostolique ; et continue à la gouverner par un grand nombre de prélats. Et afin que cette constitution de l'Église fût plus parfaite, il y a établi un chef supérieur, qui est le Pontife romain, son vicaire, avec une juridiction suprême et un divin pouvoir, comme chef de ce beau corps mystique, qu'il protége et défendra jusqu'à la lin du monde contre les puissances de la terre et de l'enfer (1). Et entre toutes ces faveurs qu'il a faites (1) Matth., XVI, 18. 580 et qu'il fait soit Église bien-aimée, la moindre ne fut pas de m'y laisser après son admirable ascension, afin que je la guidasse et que je l'affermisse par mes mérites et par ma présence. Je regardai dès lors, et je regarderai toujours cette Église comme mienne; le Très-Haut me fit cette donation, et m'ordonna d'en prendre soin comme en étant la Mère et la Maîtresse. 729. Ce sont là, ma très-chère fille, les grands titres et les pressants motifs que j'eus et que j'ai maintenant pour aimer la sainte Église comme vous avez vu que je l'aimais : et je veux que ce soient les mêmes qui vous excitent à m'imiter en tout ce qui vous regarde, comme étant ma disciple, ma tille, et celle de la même Église. Aimez-la, honorez-la et estimez-la du fond de votre coeur ; jouissez de ses trésors, et profitez des richesses du ciel, qui sont toises en dépôt dans l'Église avec son Auteur. Tâchez de l'unir à vous et de vous unir à elle, puisque vous trouvez en elle votre refuge, votre remède, la consolation dans vos épreuves, l'espérance en votre exil, et la vérité qui vous conduit parmi les ténèbres du monde. Je veux que vous travailliez pour cette sainte Église tout le reste de votre vie, puisqu'elle vous a été accordée à cette titi, et pour que vous m'imitiez dans la sollicitude infatigable que j'eus durant ma vie mortelle; c'est là votre plus grand bonheur, que vous devez reconnaître éternellement. Je veux aussi que vous sachiez que dans cette intention et ce désir je vous ai appliqué une grande partie ries trésors de 581 l'Église, afin que vous écrivissiez ma vie; et le Seigneur vous a choisie pour être la secrétaire des mystères cachés qui regardent sa plus grande gloire. Ne vous imaginez point que, pour avoir travaillé un peu par suite de ce choix, vous lui ayez donné une partie du retour que vous lui devez pour vous acquitter de cette dette ; au contraire, vous êtes maintenant plus obligée à mettre en pratique toute la doctrine que vous avez écrite; et tant que vous ne le ferez point, vous serez toujours pauvre, vous ne satisferez pas à votre dette, et il vous sera demandé un compte rigoureux de ce que vous avez reçu. Voici le moment de travailler, afin que vous vous trouviez préparée et libre à l'heure de votre mort, et qu'il n'y ait rien en vous qui vous empêche de recevoir l'Époux. Considérez à quel détachement j'étais arrivée, et combien j'étais débarrassée et affranchie de tout ce qui est. terrestre ; je veux que vous vous conduisiez par cette règle, et que vous veilliez à ce que l'huile de la lumière et de l'amour ne votas manque point, afin que vous entriez aux noces de l'Époux (1), et qu'il vous ouvre les portes de sa miséricorde et de sa clémence infinies. (1) Matth., XXV, 3. 582 CHAPITRE XIX. La bienheureuse et glorieuse mort de l'auguste Marie, et comment les apôtres et les disciples arrivèrent auparavant à Jérusalem, et s'y trouvèrent présents. 730. Le jour que la divine volonté avait déterminé approchait, le jour où l'Arche vivante et véritable du Testament devait être transférée dans le temple de la Jérusalem céleste avec beaucoup plus lie gloire et de joie que Salomon ne plaça dans le sanctuaire sous les ailes des chérubins celle qui eu était la figure (1). Trois jours avant la glorieuse mort de notre grande Dame, les apôtres et les disciples se trouvèrent réunis à Jérusalem dans la maison du Cénacle. Le premier qui y arriva fut saint Pierre, parce qu'un ange l'y transporta de Rome, où il était en ce moment. Le messager céleste lui avait apparu, et lui avait dit que la mort de la très-pure Marie approchait, et que le Seigneur ordonnait qu'il vint à Jérusalem pour y assister. Et lui ayant donné cet avis, il le porta d'Italie au Cénacle, où la Reine de l'univers était dans son oratoire. Déjà, chez elle les forces du corps cédaient à la force de l'amour divin, qui, à, mesure que sa (1) III Reg., VI, 8. 583 fin approchait, lui faisait sentir ses effets avec plus d'effcace. 731. Notre auguste Reine se présenta à la porte de l'oratoire pour recevoir le vicaire de notre Sauveur Jésus-Christ; et, s'étant mise à genoux , elle lui demanda sa bénédiction, et lui dit: " Je remercie et bénis le Tout-Puissant de ce qu'il m'a amené mon saint père, afin qu'il m'assiste à l'heure de ma mort. " Bientôt arriva saint Paul, auquel la bienheureuse Vierge rendit à proportion le même respect, lui témoignant par d'égales démonstrations la joie qu'elle avait de le revoir. Les apôtres la saluèrent comme Mère de Dieu, comme, leur propre Reine et comme Maîtresse de tout ce qui est créé, mais avec non moins de douleur que de vénération, parce qu'ils savaient qu'ils étaient venus pour assister à sa très-heureuse mort. Les autres apôtres et les disciples qui vivaient encore arrivèrent ensuite; et tous se trouvèrent réunis dans le Cénacle trois jours avant le triste événement: la divine Mère les reçut tous avec une profonde humilité et avec une tendresse maternelle, demandant à chacun sa bénédiction. Ils la lui donnèrent tous, et la saluèrent avec un respect inexprimable; et par l'ordre que notre Reine donna elle-même à saint Jean, ils furent tous logés et pourvus du nécessaire, l'apôtre saint Jacques le Mineur partageant tous ces soins avec saint Jean. 732. Quelques-uns des apôtres qui furent transportés par les mains des anges, apprirent d'eux le sujet de leur venue; et cette nouvelle les affligea 584 extrêmement, et leur fit répandre des torrents de larmes, parce qu'ils considéraient qu'ils allaient perdre leur Protectrice et leur unique consolation. Les autres l'ignoraient, et en particulier les disciples; car ils ne reçurent aucun avis extérieur des anges ils sentirent seulement, par quelques inspirations douces et efficaces, que c'était la volonté de Dieu qu'ils se rendissent immédiatement à Jérusalem, comme ils le firent. En y arrivant ils communiquèrent aussitôt à saint Pierre la cause de leur venue, afin qu'il les informât des circonstances particulières qui se présentaient; car ils comprirent tous que, s'il n'y en avait pas eu, le Seigneur ne les aurait pas appelés avec la force qu'ils avaient sentie. L'apôtre saint Pierre, en qualité de chef de l'Église, les assembla tous pour leur apprendre le sujet de leur venue, et leur dit: " Mes très-chers enfant et mes bien-aimés frères, le Seigneur ne nous a point appelés et fait venir à Jérusalem de divers endroits si éloignés sans une cause bien grande et bien affligeante pour nous. il vent élever à la gloire éternelle sa bienheureuse, Mère, notre Maîtresse, notre Protectrice, et toute notre consolation ; et il vont aussi que nous nous trouvions tous présents à sa glorieuse mort. Lorsque notre Maître et notre Rédempteur monta à la droite de son Père éternel, quoiqu'il nous laissât orphelins de sa vue si désirable, nous avions au moins sa très-sainte Mère pour notre refuge et pour notre véritable consolation dans la vie mortelle; mais maintenant que notre Mère et notre 585 Lumière nous quitte, que ferons-nous? Quelle protection et quelle espérance aurons-nous qui a nous anime dans notre pèlerinage? Je n'en trouve aucune, si ce n'est que nous la suivrons tous avec le temps. " 733. Saint Pierre ne put continuer son discours, suffoqué par les larmes et les sanglots qu'il ne put retenir. Les autres apôtres ne purent non plus lui répondre pendant longtemps que par des gémissements qu'ils poussaient du fond de leur coeur, et par des larmes abondantes ; mais lorsque le vicaire de Jésus-Christ fut assez maître de son émotion pour pouvoir parler, il reprit en ces termes : a Mes en farts, allons trouver notre Mère, restons auprès d'elle durant le peu de temps qu'il lui reste à vivre, et demandons-lui sa sainte bénédiction. v Ils se rendirent tous avec saint Pierre à l'oratoire de notre grande Reine, où ils la trouvèrent agenouillée sur une petite estrade sur laquelle elle s'appuyait lorsqu'elle prenait un peu de repos. Ils la virent tous resplendissante de beauté, revêtue d'une lumière céleste, et entourée des mille anges qui l'assistaient. 734. La disposition naturelle de sou corps virginal et de son visage était celle qu'elle avait cite à l'âge de trente-trois ans; car, à partir de cette époque, (comme je l'ai dit dans la seconde partie), elle ne subit aucun changement dans son état naturel ; elle ne sentit point l'action du temps, ni les effets de la vieillesse; elle n'eut aucune ride ni sur son visage, 586 ni sur ses membres ; elle n'éprouva aucun affaissement, aucun affaiblissement, et son corps ne maigrit point comme celui des autres enfants d'Adam , que la vieillesse abat et défigure, au point qu'ils ne conservent presque rien de leur jeunesse ou de leur maturité. Cette immutabilité fut un privilège unique pour la bienheureuse Marie, tant parce qu'elle correspondait à la stabilité de son âme très- sainte, que parce que ce .fut eu elle une suite de l'immunité qui la préserve du premier péché d'Adam, dont les effets à cet égard n'atteignirent ni son sacré corps, ni son âme très-pure. Les apôtres, les disciples et quelques autres fidèles étaient rangés dans l'oratoire de l'auguste Marie ; saint Pierre et saint Jean se trouvaient au chevet du lit. Notre grande Dame les regarda tous avec la modestie et l'humble douceur qui lui étaient ordinaires, et leur dit : " Mes très-chers enfants, permettez à votre servante de parler en votre présence, et de vous découvrir ses humbles désirs. " Saint Pierre lui répondit qu'ils l'écoutaient tous avec attention, et qu'ils lui obéiraient en ce qu'elle leur commanderait, et la supplia de s'asseoir sur le lit pour leur parler : car il parut à saint Pierre qu'elle devait être fatiguée d'avoir demeuré si longtemps à genoux, et que si elle priait en cette posture le Seigneur, il était juste que pour leur parler elle s'assit comme étant leur Reine. 735. Mais Celle qui était la Maîtresse de l'humilité et de l'obéissance jusqu'à la mort, pratiqua ces vertus à cette heure ; elle répondit qu'elle obéirait après 587 leur avoir demandé leur bénédiction, et les pria de lui permettre de se mettre en état de recevoir cette consolation. Avec le consentement de saint Pierre, elle descendit de l'estrade, et, se mettant à genoux devant le même apôtre, elle lui dit : " Seigneur, je vous supplie, comme pasteur universel et chef de la sainte Église, de me donner en votre nom et au sien votre sainte bénédiction, et de pardonner à votre servante le peu qu'elle a fait durant sa vie pour vous servir, afin qu'elle s'en aille à la vie éternelle. Et si c'est votre volonté, permettez que Jean dispose de mes habits, qui consistent en deux tuniques, et qu'il les donne à certaines filles pauvres qui m'ont toujours obligée par leur charité. " Ensuite elle se prosterna, et baisa avec beaucoup de larmes les pieds de saint Pierre, comme vicaire de Jésus-Christ, à la grande admiration du même apôtre et de tous les assistants, qui étaient profondément attendris. Elle s'adressa ensuite à saint Jean, et, s'étant aussi prosternée à ses pieds, elle lui dit : " Pardonnez-moi, mon fils, de ce que je ne me suis pas assez bien acquittée envers vous de l'office de Mère que le Seigneur m'a confié, lorsque étant sur la croix il vous destina pour être mon fils, et me nomma pour être votre Mère (1). Je vous rends d'humbles actions de grâces pour la bonté avec laquelle vous m'avez assistée comme fils. Donnez-moi votre bénédiction avant que j'aille jouir de la (1) Joan., XIX, 27. 588 compagnie et de la vue éternelle de Celui qui m'a créée. " 736. La très-douce Mère continua cet adieu, s'adressant séparément à tous les apôtres et à quelques disciples, et ensuite en général à tous les autres assistants, qui étaient nombreux. Puis elle se releva, et parlant à toute cette sainte assemblée, elle dit: " Mes très-chers enfants et seigneurs, vous avez toujours été écrits dans mon coeur, où je vous ai tendrement aimés avec la charité qui m'a été communiquée par mon très-saint Fils, que j'ai toujours regardé en vous comme en ses élus et en ses amis. Je m'en vais par sa sainte et éternelle volonté aux demeures célestes, où je vous promets comme Mère 'q ne vous me serez présents dans la très-claire lumière de la Divinité, dont mon âme désire et attend la vision avec confiance. Je vous recommande l'Église, ma mère, l'exaltation du nom du Très-Haut, la propagation de sa loi évangélique , l'estime des paroles de mon très-saint Fils, la mémoire de sa vie et de sa mort, et la pratique de toute sa doctrine. Aimez, mes enfants, la sainte Église, et aimez-vous les uns les autres de tout votre coeur, dans les liens de la charité et de la paix, que votre adorable Maître a toujours enseignées (1). Et vous; Pierre, pontife saint, je vous recommande mon fils Jean, et les autres aussi. " 737. La bienheureuse Marie acheva de parler, et (1) Joan., XIII, 34. 589 ses paroles, comme autant de dards enflammés du feu divin, percèrent et embrasèrent le coeur de tous les apôtres et de tous ceux qui étaient avec eux, et fondant en larmes, pénétrés d'une douleur inconsolable, ils se prosternèrent tous devant la très-douce Marie, qu'ils émurent si vivement par leurs sanglots et par leurs gémissements, que, ne voulant pas résister à leur juste douleur, elle se mit à pleurer elle- même avec ses enfants. Quelques instants après elle leur parla de nouveau, et les exhorta à prier avec elle et pour elle. en silence, ce qu'ils firent. Au milieu de ce doux calme, le Verbe incarné descendit du ciel sur un trône d'un éclat ineffable, accompagné de tous les saints de la nature humaine et d'une multitude innombrable d'anges de tous les chœurs, de sorte que la maison du Cénacle fut toute remplie de gloire. L'auguste Marie adora le Seigneur et lui baisa les pieds, et se prosternant devant sa divine Majesté, elle fit, pour la dernière fois dans la vie mortelle, le plus profond acte de reconnaissance et d'humiliation; en ce moment la grande Reine de l'univers s'humilia plus que tous les hommes ensemble ne se sont jamais humiliés s après leurs péchés, et ne s'humilieront jusqu'à la fin du monde. Son très-saint Fils lui donna sa bénédiction, et en présence des courtisans du ciel, il lui dit ces paroles : Ma très-chère Mère, que j'ai choisie pour ma demeure, voici l'heure à laquelle vous devez passer de la vie mortelle et du monde à la gloire de mon Père et à la mienne, où se trouve préparée à ma droite la place dont vous jouirez 590 pendant toute l'éternité. Et de même que j'ai voulu qu'en qualité de ma Mère, vous entrassiez dans le monde libre et exempte du péché , de même je veux que, pour vous en faire sortir, la mort n'ait aucun droit de vous toucher. Si vous ne voulez point passer par elle, venez avec moi, afin que vous participiez à ma gloire que vous avez méritée. " 738. La très-prudente Mère se prosterna devant son Fils, et lui répondit avec un air joyeux : " Mon Fils et mon Seigneur, je vous supplie de permettre que votre Mère et votre servante entre dans la vie éternelle par la porte commune de la mort naturelle, comme les autres enfants d'Adam. Vous qui êtes mon véritable Dieu, vous l'avez subie sans être aucunement obligé à mourir; il est juste que, comme j'ai tâché de vous suivre en la vie, je vous suive aussi en la mort. " Notre Sauveur Jésus-Christ approuva le sacrifice et la volonté de sa très-sainte Mère, et lui dit que ce qu'elle souhaitait pouvait s'accomplir. Aussitôt tous les anges commencèrent à chanter avec une harmonie céleste divers versets des cantiques de Salomon et d'autres nouvelles hymnes. Et quoique la présence de Jésus-Christ notre Sauveur ne fût manifestée par une illustration particulière qu'à saint Jean et à quelques apôtres, tandis que les autres éprouvaient seulement dans leur âme de divins et puissants effets, la musique des anges fut entendue, tant par les disciples et beaucoup de fidèles qui étaient avec eux, que par les apôtres. 591 L'air se remplit aussi d'une divine odeur, qui se faisait sentir comme la musique st faisait entendre jusque dans la rue. Toute la maison du Cénacle fut illuminée d'une splendeur admirable qui frappait tous les yeux, et le Seigneur, voulant augmenter le nombre des témoins de cette nouvelle merveille, y fit accourir beaucoup d'habitants de Jérusalem qui se trouvaient dans la rue. 739. Au moment où les anges commencèrent leurs chants, la bienheureuse Marie s'inclina sur son lit, sa tunique comme collée à son sacré corps , les mains jointes, les yeux fixés sur son très-saint Fils, tout embrasée de son divin amour. Et lorsque les anges vinrent à chanter ces versets du second chapitre du Cantique des cantiques : Hâtez-vous de vous lever, ma bien-aimée, ma colombe, ma toute belle, et venez; car l'hiver est passé; etc. (1), alors, à ces douces paroles, elle prononça celles que dit son très-saint Fils sur la croix: Seigneur, je remets mon âme entre vos mains (2). Puis elle ferma les yeux et elle expira. La maladie qui lui ôta la vie ce fut l'amour, sans aucun autre accident ou infirmité, et voilà comment le pouvoir divin suspendit l'intervention miraculeuse par laquelle il lui conservait les forces naturelles afin qu'elles ne fussent point consumées par l'ardeur sensible que lui causait l'amour divin, et, ce miracle cessant, ce feu sacré produisit son effet, et dessécha en elle l'humide radical du coeur, de sorte que la vie naturelle dut finir. (1) Cant., II, 10. - (2) Luc, XXIII, 46. 592 740. L'àme très-pure de Marie passa de son corps virginal à la droite et sur le trône de son très-saint Fils, où à l'instant elle fut placée avec une gloire immense. Bientôt on commença à s'apercevoir que la musique des anges s'éloignait dans la région de l'air, car tout ce cortége d'anges et de saints, accompagnant leur Roi et leur Reine, monta dans l'empyrée. Le corps sacré de l'auguste Marie, qui avait été le temple et le sanctuaire du Dieu vivant, resta revêtu de lumière et de splendeur, et il exhalait une odeur si délicieuse et si extraordinaire, que tous ceux qui se trouvaient présents se sentaient pénétrés dans leurs sens et dans leurs puissances d'une suavité céleste. Les mille anges composant la garde de la bienheureuse Vierge demeurèrent pour garder le trésor inestimable de son très-saint corps. Les apôtres et les disciples, partagés entre la douleur qui leur arrachait encore des larmes et la joie que leur causaient toutes ces merveilles, restèrent quelque, temps dans une sorte de ravissement, puis ils se mirent à chanter plusieurs hymnes et plusieurs psaumes à l'honneur de la très-pure Marie déjà morte. Cette glorieuse fin de la grande Reine de l'univers arriva un vendredi à trois heures du soir, à la même heure que son adorable Fils mourut, le 13 août, et à la soixante-dixième année de son âge, moins les vingt-six jours qu'il y a du 13 août, jour où elle mourut, jusqu'au 8 septembre, anniversaire de sa naissance , auquel elle aurait accompli les soixante-dix ans. Après. la mort de notre Sauveur Jésus-Christ, la divine Mère survécut dans le 593 monde vingt-un ans quatre mois et dix-neuf jours, et c'était la cinquante- cinquième année de son enfantement virginal. Il est facile de faire cette supputation. Lorsque notre Rédempteur Jésus-Christ naquit, sa Mère Vierge avait quinze ans trois mois et dix-sept jours. Le Seigneur vécut trente-trois ans et trois mois, de sorte qu'à l'époque de sa Passion, la bienheureuse Marie avait quarante- huit ans six mois et dix-sept jours; en y ajoutant vingt-un ans quatre mois et dix- neuf jours, on a soixante-dix ans moins vingt-cinq ou vingt-six jours. 741. De grandes merveilles et plusieurs prodiges marquèrent cette précieuse mort de notre auguste Reine; car le soleil s'éclipsa (comme je l'ai dit ailleurs) et en signe de deuil il déroba sa lumière pendant quelques heures. Beaucoup d'oiseaux de diverses espèces se réunirent autour de la maison du Cénacle, et par les cris plaintifs et les gémissements qu'ils ne cessaient de pousser, ils touchaient le coeur de tous ceux qui les entendaient. Toute la ville. de Jérusalem s'émut, et ses habitants frappés d'admiration accouraient au Cénacle , publiant à haute voix la puissance de Dieu et la grandeur de ses oeuvres. Il y en avait qui étaient tout éperdus et comme hors d'eux-mêmes. Quant aux apôtres, aux disciples et aux autres fidèles, ils ne faisaient que soupirer et pleurer. Beaucoup de malades accoururent, et tous furent guéris. Les âmes qui étaient dans le purgatoire en sortirent. Et la plus grande merveille fut, qu'au moment même où la bienheureuse Marie expira, trois personnes expirèrent 594 aussi, un homme à Jérusalem, et deux femmes qui habitaient près du Cénacle; elles moururent en état de péché et dans l'impénitence, de sorte qu'elles allaient être damnées; mais leur cause arrivant su tribunal de Jésus-Christ, sa très-douce Mère demanda miséricorde pour elles, et elles revinrent à la vie. Elles l'améliorèrent ensuite de telle sorte, qu'elles moururent en état de grâce et se sauvèrent. Ce privilège ne fut pas général pour les autres qui moururent ce jour-là dans le monde, mais seulement pour ces trois personnes de Jérusalem qui expirèrent à la même heure. Je dirai dans un autre chapitre ce qui arriva dans le ciel après la mort de l'auguste Vierge, et combien ce jour fut solennel dans la Jérusalem triomphante, pour ne point mêler cette joie avec le deuil des mortels. Instruction que j'ai reçue de la grande Reine du ciel: 742. Ma fille, outre ce que vous avez appris et rapporté de ma glorieuse mort, 1je veux vous faire connaître un autre privilège que mon très-saint Fils m'accorda à cette heure. Vous avez écrit que sa divine Majesté laissa à mon choix de mourir ou de passer à la vision béatifique et éternelle, sans me soumettre à cette peine de la mort. Et si je n'eusse pas voulu la subir, il est certain que le Très-Haut m'en eût exemptée ; 595 car, comme le péché n'eut aucune entrée en. moi, la peine du péché, qui fut la mort, n'en aurait point eu non plus. Il en eût été de même, et à plus forte raison, pour mon très-saint Fils, s'il ne se fût chargé de satisfaire à la justice divine pour les hommes, au moyen de sa Passion et de sa mort (1). Je choisis moi-même la mort pour l'imiter, comme je l'avais fait dans les douleurs de sa Passion, et parce que si, après avoir vu mourir mon Fils et mon Dieu véritable, j'eusse refusé la mort, je n'aurais point satisfait à l'amour que je lui devais, et j'aurais laissé une grande disparate en la ressemblance que je désirais avoir avec le même Seigneur incarné, et que sa divine Majesté voulait que j'eusse en toutes choses avec sa très- sainte humanité; et comme en refusant la mort je n'aurais pu désormais faire cesser cette disparate, mon âme n'aurait point joui de la plénitude de joie que j'éprouve d'avoir accepté la mort à l'exemple de mon adorable Fils. 743. C'est pourquoi il lui fut si agréable que je choisisse de mourir, ma prudence et mon amour lui causèrent une si grande satisfaction , qu'il me fit en récompense à l'instant même une faveur singulière pour les enfants de l'Église, selon mes désirs. Ce fut que tous mes dévots qui l'invoqueraient à leur mort, en me prenant pour leur avocate et en me demandant mon secours, en mémoire de mon heureuse mort et du choix que je fis de mourir pour l'imiter, ceux-là (1) Isa., LIII, 11. 596 soient sous ma protection spéciale en cette dernière heure, afin que je les défende contre le démon, que je les assiste, que je les protège, et qu'à la fin je les présente au tribunal de sa miséricorde, et que j'y intercède. pour eux. Le même Seigneur m'accorda pour tout cela une nouvelle délégation et une nouvelle puissance , et me promit de leur donner de grands secours de sa grâce pour bien mourir et pour vivre avec une plus grande pureté, s'ils m' invoquaient avant cette heure, et s'ils honoraient ce mystère de ma précieuse mort. C'est pourquoi je veux, ma fille, que dès aujourd'hui vous en fassiez une continuelle mémoire avec une intime dévotion, et que vous bénissiez et magnifiiez le Tout-Puissant de ce qu'il a daigné opérer à mon égard tant de saintes merveilles en ma faveur et en celle des mortels. Par là vous porterez le Seigneur et moi aussi à vous protéger en cette dernière heure. 744. Et comme la mort suit la vie, et qu'ordinairement elles se ressemblent, soyez persuadée que le gage le plus sûr de la bonne mort est la bonne vie, et qu'il n'y a rien de plus important que de détacher son coeur de l'amour des choses de la terre, qui en cette dernière heure afflige et opprime l'âme, et lui sert de fortes chaînes, de sorte qu'elle ne' jouit pas d'une pleine liberté et qu'elle a peine à s'élever au-dessus de fie qu'elle a aimé durant la vie: Oh 1 ma fille, combien peu les mortels entendent cette vérité, faisant en tout le contraire de ce qu'ils devraient faire pour s'assurer une bonne mort ! Le Seigneur leur 597 donne la vie afin qu'ils y travaillent à se débarrasser des effets du péché originel pour ne les point sentir à l'heure de la mort; et ces ignorants et infortunés enfants d'Adam emploient toute cette vie à se charger de nouveaux embarras et de nouvelles chaînes pour mourir captifs dans leurs passions, et sous le pouvoir tyrannique de leur ennemi. Je n'eus aucune part au péché originel, et ses mauvais effets ne pouvaient aucunement influer sur mes puissances; cependant je vécus en usant sans cesse dans ma conduite des plus grandes précautions, toujours pauvre, sainte et par. faite, et toujours détachée de tous les objets terrestres; aussi, comme j'expérimentai cette sainte liberté à l'heure de ma mort! Soyez donc attentive, ma fille, à ce vivant exemple, et débarrassez chaque jour de plus en plus votre coeur, de sorte qu'en avançant en âge vous vous trouviez plus libre, mieux préparée et sans aucune attache aux choses visibles, afin que, lorsque l'époux vous appellera au noces, vous ne soyez point alors obligée de. chercher une liberté et une prudence que vous ne trouveriez plus. 598 CHAPITRE XX. De la sépulture du corps sacré de la bienheureuse Marie, et de ce qui y arriva. 745. Il fallut que la vertu divine consolât et fortifiât d'une manière spéciale les apôtres, les disciples et tant d'autres fidèles dans leur affliction extrême, afin qu'ils ne se laissassent point entièrement abattre, et que quelques-uns même ne mourussent de la douleur que leur causa la mort de la bienheureuse Marie; car la certitude qu'ils avaient de ne pouvoir réparer cette perte en la vie présente, ne leur permettait aucun soulagement; la privation de ce trésor était sans compensation possible; comme la très-douce et très-charitable conversation de cette grande Reine leur avait ravi le cœur, se voyant privés d'une telle protectrice et d'une telle compagnie, ils se trouvèrent comme sans âme et sans vie. Mais le Seigneur, qui connaissait la cause d'une si juste douleur, les assista et les encouragea secrètement par sa vertu divine, afin qu'ils ne succombassent point à l'excès de leur douleur, et qu'ils s'occupassent de ce qu'il était convenable de faire pour le sacré corps, et de tout ce que réclamaient les circonstances. 599 746. Après ce divin secours, les saints apôtres, que regardaient particulièrement les mesures à prendre, décidèrent entre eux qu'il fallait donner la sépulture au très- saint corps de leur Reine. Ils lui destinèrent dans la vallée de Josaphat un sépulcre nouveau, qui y avait été préparé par une disposition mystérieuse de la providence de son très-saint Fils.. Et les apôtres se souvenant que le corps déifié du Seigneur lui-même avait été enveloppé dans un linceul avec des aromates, selon la coutume des Juifs (1), il leur sembla qu'il en fallait faire de même à l'égard du corps sacré de sa bienheureuse Mère, sans penser alors à autre chose. Or, voulant exécuter ce dessein, ils, firent venir les deux filles qui avaient assisté notre auguste Reine durant sa vie, et qui étaient héritières du trésor de ses deux tuniques; et ils leur ordonnèrent d'envelopper avec la plus respectueuse circonspection, dans un linceul enduit de parfums précieux, le corps de la Mère de Dieu, afin de le mettre ensuite dans le cercueil. Ces filles entrèrent, pénétrées d'une sainte et profonde vénération, dans l'oratoire où la vénérable défunte était sur son lit; mais la splendeur dont elle était revêtue les arrêta et les éblouit de telle sorte, qu'elles ne purent toucher ni voir le corps sacré, ni savoir en quel lieu déterminé il se trouvait. 747. Elles sortirent de l'oratoire avec plus de crainte et plus de vénération qu'elles n'y étaient entrées, et rapportèrent, toutes saisies d'étonnement, aux apôtres (1) Joan., XIX, 40. 600 ce qui leur était arrivé. Ils convinrent (non sans inspiration du ciel) qu'on ne devait point traiter cette Arche sacrée du Testament suivant les règles communes. Ensuite saint Pierre et saint Jean entrèrent dans le même oratoire, remarquèrent la splendeur, et entendirent en même temps la musique céleste des anges qui chantaient : Ave, Maria, gratia plena : Dominus tecum. Il y en avait d'autres qui disaient: Vierge avant l'enfantement, dans l'enfantement et après l'enfantement. Et dès lors beaucoup de fidèles de la primitive Église répétèrent avec dévotion ce divin éloge de la très-pure Marie; dès ce temps-là la tradition l'a transmis jusqu'à nous quile proclamons aujourd'hui, et la sainte Église l'a confirmé. Les deux apôtres saint Pierre et saint Jean restèrent quelque temps comme ravis en admiration de ce qu'ils entendaient et voyaient autour du corps sacré de la Reine de l'univers; et pour délibérer sur ce qu'ils devaient faire , ils se mirent à genoux et prièrent la Seigneur de le leur manifester. Ils entendirent aussitôt une voix qui leur dit : Qu'on ne découvre et qu'on ne touche point le sacré corps. 748. Ils connurent par cette voix la volonté divine; ensuite ils apportèrent un cercueil, et la splendeur s'étant tempérée, ils s'approchèrent du lit où était le corps virginal, et les deux mêmes apôtres joignirent avec une, vénération inexprimable les extrémités de la tunique qui l'enveloppait, le soulevèrent sans en changer la position, puis déposèrent dans le cercueil cet inestimable trésor. Ils le firent sans aucune 601 difficulté, car ils ne sentirent aucun poids, il leur semblait qu'ils touchaient seulement la tunique d'une manière presque imperceptible. Quand le corps eut été mis dans le cercueil, sa splendeur se tempéra encore davantage , de sorte que tous les assistants purent voir et observer de leurs propres yeux la beauté du visage et des mains de la bienheureuse Vierge, le Seigneur le disposant ainsi pour leur commune consolation. À lais sa toute-puissance se réserva si exclusivement cet auguste Tabernacle de sa demeure, soit en la vie, soit en la mort, que personne n'en vit que ce qui était nécessaire pour la conversation humaine, à savoir son très- modeste visage afin qu'on la reconnût, et ses mains avec lesquelles elle travaillait. 749. Tel fut le soin jaloux qu'il prit de sa pudique et bienheureuse Mère, qu'à cet égard il ne montra pas autant de zèle pour son corps déifié que pour celui de la très-pure Vierge. En sa conception immaculée et sans péché, il la fit semblable à lui-même, ainsi que dans sa naissance, en tant qu'elle ne fut point soumise aux règles communes et naturelles suivant lesquelles naissent les autres enfants. il la préserva aussi de toutes sortes de tentations contre la pureté. biais en cachant son corps virginal, il fit pour elle; en sa qualité de femme, ce qu'il ne fit point pour lui- même, parce qu'il était homme et Rédempteur du monde par le moyen du sacrifice de sa Passion. Déjà pendant sa vie notre très-pure Reine l'avait prié de lui faire la grâce que personne ne vit son corps après 602 sa mort, et son désir fut accompli. Ensuite les apôtres songèrent à la sépulture, et par leurs soins, aidés de la dévotion des fidèles, alors réunis en grand nombre à Jérusalem, ils se procurèrent beaucoup de flambeaux, à l'égard desquels il arriva une merveille c'est qu'étant tous allumés ce jour-là et les deux jours suivants, il n'y en eut aucun qui. s'éteignit ni qui se consumât même en partie. 750. Or, afin que cette merveille et plusieurs autres que le Tout-Puissant opéra en cette occasion , fussent plus notoires pour tout le monde, la divine Majesté poussa tous les habitants de la ville à se rendre aux funérailles de sa très-sainte Mère, et 'à peine resta-t-il dans Jérusalem un seul Juif ou un Seul Gentil qui n'accourût à la nouvelle de ce,spectacle. Les apôtres levèrent le sacré corps qui était le Tabernacle de Dieu ; nouveaux prêtres de la loi évangélique, ils portaient sur leurs épaules le Propitiatoire des divins oracles et des faveurs célestes; puis ils partirent du Cénacle dans le plus bel ordre, traversant la ville pour aller à la vallée de Josaphat, et c'était là le convoi visible pour les habitants de Jérusalem. Mais il y en avait un autre invisible, c'était celui des courtisans du ciel. En premier lieu s'y trouvaient les mille anges de notre auguste Reine, continuant leur musique céleste, que les apôtres, les disciples et beaucoup d'autres personnes entendaient, et qui dura pendant trois jours avec la plus douce et la plus admirable harmonie. Il descendit aussi des hauteurs du ciel une multitude innombrable d'autres anges avec les 603 anciens patriarches et les prophètes, notamment saint Joachim, sainte Anne, saint Joseph , sainte Élisabeth, saint Jean- Baptiste et un grand nombre d'autres saints que notre Sauveur Jésus envoya de l'empyrée afin qu'ils assistassent aux funérailles de sa bienheureuse Mère. 751. Tout ce convoi du ciel et de la terre, invisible et visible, marcha accompagnant le corps sacré; et il arriva tant de miracles durant le trajet, que le récit m'en arrêterait trop longtemps. Je dirai seulement que tons les malades qui se présentèrent, et en très-grand nombre, furent parfaitement guéris, quelles que fussent leurs maladies. Beaucoup de possédés furent délivrés sans que les démons osassent attendre que les personnes dont ils s'étaient emparés s'approchassent du très-saint corps. Il y eut quelque chose de plus merveilleux encore dans la conversion d'un grand nombre de Juifs et de Gentils; car les trésors de la divine miséricorde s'ouvrirent pour les obsèques de la bienheureuse Marie, et par là bien des personnes obtinrent la connaissance de notre Seigneur Jésus-Christ, se mirent à le confesser à haute voix pour le vrai Dieu et pour le Rédempteur du monde, et demandèrent en même temps le baptême. De sorte qu'après les funérailles les apôtres et les disciples employèrent plusieurs jours à catéchiser et à baptiser ceux qui se convertirent ce jour-là à la sainte foi. Les apôtres , en portant le vénérable corps, éprouvèrent des effets admirables de la divine lumière et reçurent des consolations célestes, et les disciples y participèrent 604 avec proportion. Tous ceux qui assistaient au convoi, sentant l'odeur délicieuse que le corps répandait, entendant la musique mystérieuse des anges, et remarquant plusieurs autres faits prodigieux, étaient saisis d'étonnement, et avouaient hautement que Dieu faisait éclater sa grandeur et sa puissance en cette créature ; et en témoignage de leurs sentiments ils se frappaient la poitrine avec la plus vive componction. 752. Ils arrivèrent au lieu où était l'heureux sépulcre , dans la vallée de Josaphat. Et les mêmes apôtres saint Pierre et saint Jean , qui avaient enlevé le trésor céleste du lit pour le mettre dans le cercueil, l'en ôtèrent avec le même respect et avec la même facilité, le placèrent dans le sépulcre et le couvrirent d'an suaire, tout cela par les mains des anges plutôt que par les leurs. Ils fermèrent le sépulcre avec nue grande pierre, selon la coutume, et les courtisans du ciel s'en retournèrent dans l'empyrée, tandis que les mille anges de la garde de notre aùguste Reine demeurèrent auprès de son sacré corps, en continuant la même musique. Le peuple se retira, et les saints apôtres et les disciples s'en retournèrent au Cénacle en arrosant la route de leurs larmes. La très-douce odeur que le corps de notre grande Reine avait répandue dans toute cette maison , s'y fit sentir un an entier, et elle se conserva plusieurs années dans l'oratoire. Ce sanctuaire continua à être dans Jérusalem un lieu de refuge pour ceux qui allaient y chercher un remède à toutes leurs peines, à toutes leurs nécessités, 605 car ils l'y trouvaient tous d'une manière miraculeuse, tant dans leurs maladies que dans leurs tribulations, et dans les autres maux qui affligent l'humanité. Quelques années après, les péchés des habitants de Jérusalem , entre plusieurs autres châtiments qu'ils leur attirèrent, les privèrent aussi de ce bienfait inestimable. 753. Les apôtres décidèrent dans le Cénacle que quelques-uns d'entre eux et des disciples resteraient auprès du saint sépulcre de leur Reine tant que l'on y entendrait la musique céleste , car ils attendaient tous la fin de cette merveille. Cette décision prise, les uns s'employèrent aux affaires qui regardaient l'Église, à catéchiser et à baptiser les néophytes; les autres se rendirent aussitôt au sépulcre, et tous le visitèrent durant ces trois jours. Mais saint Pierre et saint Jean répétaient et prolongeaient leurs visites plus que les autres, et quoiqu'ils allassent quelquefois au Cénacle, ils se hâtaient de regagner aussitôt le lieu où était leur trésor et leur coeur. Les animaux irraisonnables ne manquèrent pas non plus aux funérailles de la Reine de l'univers; car au moment où sou sacré corps approchait du sépulcre, on vit venir de l'air une infinité de petits oiseaux et d'autres plus grands, et des montagnes voisines plusieurs ])êtes féroces qui accouraient précipitamment au sépulcre : les uns par des chants lugubres, les autres par de tristes hurlements, tous par des mouvements de douleur, manifestaient b leur manière leurs regrets, comme s'ils eussent senti la perte commune. Il n'y eut que quelques Juifs 605 incrédules, plus durs que les rochers et plus cruels que les bêtes féroces, quine se montrèrent pas plus touchés de la mort de leur Réparatrice qu'ils ne l'avaient été de celle de leur divin Rédempteur. Instruction que j'ai reçue de la grande Reine du ciel. 754. Ma fille, je veux que le souvenir de ma mort naturelle et de la sépulture de mon sacré corps, amène pour vous une espèce de mort. civile et de sépulture morale, qui doit être le premier fruit et l'effet particulier du privilège que vous avez eu de connaître et de rapporter les mystères de ma vie. Je vous ai maintes fois manifesté ce désir et découvert ma volonté pendant tout le temps que vous avez employé à les écrire, afin que vous fissiez votre profit de ce grand bienfait que vous avez reçu de la bonté du Seigneur et de la mienne. C'est une chose honteuse qu'un chrétien, après qu'il est mort au péché, qu'il a été régénéré en Jésus-Christ. par le baptême, et qu'il a appris que le divin Seigneur a sacrifié pour lui sa vie, retombe encore dans le péché; mais elle l'est surtout pour ceux qui, par une grâce particulière, sont choisis et appelés pour être les plus chers amis du même Seigneur, comme le sont ceux qui, avec cet espoir, se consacrent à son plus grand service dans les ordres religieux , chacun selon son état. 607 755. En ces âmes les vices du monde font véritablement horreur au ciel; car l'orgueil, la présomption, la fierté, l'immortification, la colère, l'avarice, les souillures de la conscience et la difformité des autres péchés, forcent le Seigneur et les saints à détourner leurs regards d'une pareille monstruosité, et à en être plus irrités et plus offensés que lorsqu'ils les aperçoivent en d'autres personnes. C'est pourquoi le Seigneur en répudie plusieurs qui portent injustement le nom de ses épouses, et qu'il les laisse entre les mains de leur mauvais conseil , parce qu'elles ont indignement manqué à la fidélité qu'elles ont promise à Dieu et à moi en leur vocation et en leur profession. Aussi toutes les Mmes doivent-elles craindre ce malheur, afin de ne point commettre une infidélité si horrible. À votre tour, ma fille, il faut considérer combien vous seriez odieuse aux yeux de Dieu si vous vous rendiez coupable d'un pareil crime. Il est temps que vous mouriez à tout ce qui est visible, que votre corps soit enseveli dans la connaissance de vous-même et dans vos humiliations, et votre âme en l'être de Dieu. Vos jours et votre vie sont achevés pour le monde, et je suis le juge de cette cause pour exécuter en vous la division de votre vie et du siècle. Vous n'avez plus rien à faire avec ceux qui y vivent, ni eux avec vous. Écrire ma vie et mourir, ce doit être en vous une même chose, comme je vous l'ai dit si souvent, et comme vous me l'avez promis, en réitérant ces promesses entre mes mains avec des larmes qui partaient de votre coeur. 608 756. Je veux que ce soit là la preuve de ma doctrine et le témoignage de son efficace, je ne permettrai point que vous la décréditiez à mon déshonneur; mais il faut que le ciel et la terre connaissent la force de ms vérité et de mon exemple en la vérifiant dans toutes vos oeuvres. Pour cela vous n'avez point à user de votre raisonnement ni de votre volonté, encore moins de vos inclinations et de vos passions , car tout cela est fini pour vous. Votre loi doit être la volonté du Seigneur, la mienne et celle de vos supérieurs. Et afin que vous n'ignoriez jamais par ces moyens ce qui est le plus saint, le plus parfait et le plus agréable , le Seigneur a tout prévu, tout ordonné par lui-même; par moi , par ses anges et par ceux qui vous dirigent. N'alléguez point votre ignorance, vos craintes, votre faiblesse, encore moins votre lâcheté. Pesez vos obligations, calculez votre dette, tenez constamment les yeux ouverts à la lumière qui vous éclaire, agissez avec la grâce que vous recevez; car, avec tous ces bienfaits et tant d'autres dont vous êtes favorisée, il n'y a point de croix pesante pour vous, il n'y a point de .mort si amère qui ne vous doive être fort supportable et fort douce. Tout votre bien se trouve en la croix et en la mort, et vous y devez trouver toutes vos délices, puisque, si vous ne parvenez pas à mourir à tout, outre que je sèmerai d'épines toutes vos voies, vous n'acquerrez point la perfection que vous désirez, et vous n'arriverez point à l'état auquel le Seigneur. vous appelle. 757. Si le monde ne vous oublie point, oubliez-le 609 vous-même; s'il ne vous abandonne point, rappelez-vous que vous l'avez abandonné, et que je vous en ai éloignée. S'il vous poursuit, fuyez; s'il vous flatte, méprisez-le; sil vous méprise, souffrez-le; s'il vous cherche, faites qu'il ne vous trouve que pour glorifier .en vous le Tout-Puissant. )riais en tout le reste vous ne devez non plus vous rappeler à son souvenir que les vivants ne se rappellent à celui des morts, et de votre côté vous devez l'oublier comme les morts oublient les vivants: ainsi je veux que vous n'ayez pas plus de commerce avec les habitants de ce siècle que les vivants et. les morts n'en ont entre eux. Vous ne serez pas surprise qu'au commencement, au milieu et à la fin de cette histoire je vous répète si souvent cette leçon, si vous considérez combien il vous importe de la pratiquer. Réfléchissez, ma très-chère fille, aux persécutions secrètes que le démon vous a suscitées par le moyen du monde et de ses habitants sous divers prétextes. Et si Dieu l'a permis pour votre épreuve et pour l'exercice de sa grâce, ce n'en est pas moins pour, vous une raison d'être persuadée que votre trésor est précieux, que vous le portez dans un vaisseau fragile (1), et que tout l'enfer conspire contre vous. Vous vivez dans la chair mortelle environnée et combattue par des ennemis vigilants et rusés. Vous êtes l'épouse de Jésus-Christ, mon très-saint Fils, et je suis votre Mère et votre Maîtresse. Reconnaissez donc votre misère et votre (1) II Cor., IV, 7. 610 faiblesse, et, répondez à mes soins comme ma fille bien-aimée, et comme ma parfaite et toujours obéissante disciple. CHAPITRE XXI. L'âme de la bienheureuse Marie entra dans l'empyrée. - Comme celui de notre Rédempteur Jésus-Christ, son sacré corps ressuscita le troisième jour, et en ce même corps elle monta à la droite du Seigneur. 758. Saint Paul, parlant de la gloire et de la félicité des saints qui participent à la vision béatifique et à la jouissance bienheureuse, dit avec Isaïe que les yeux des mortels n'ont point vu, que leurs oreilles n'ont point entendu, et que leur esprit n'a point conçu les choses que Dieu a préparées pour ceux qui l'aiment et qui espèrent en lui (1). D'après cette vérité catholique, on ne doit pas être surpris de ce qu'on rapporte être arrivé à saint Augustin, bien qu'il fût une si grande lumière de l'Église. Il se disposait à écrire un traité sur la gloire des bienheureux, quand son grand ami saint Jérôme, qui venait de mourir et d'entrer dans la joie du Seigneur, lui apparut et lui (1) I Cor., II, 9 ; Isa., LXIV, 4 611 fit comprendre qu'il ne pouvait pas exécuter le dessein qu'il avait formé , parce que jamais langue ni plume humaine ne serait capable de manifester la moindre partie des biens dont les saints jouissent dans la vision béatifique. Voilà ce que lui dit saint Jérôme. Et quand, par les témoignages de la divine Écriture, nous saurions seulement que cette gloire sera éternelle, par ce seul endroit elle surpasse toute la portée de notre intelligence, qui ne peut atteindre à l'éternité, quelque effort qu'elle fasse : car l'objet étant infini, incommensurable, il est par là même inépuisable et incompréhensible, quels que soient l'ardeur et l'amour avec lesquels on cherche à le connaître. Et de même que Dieu est resté infini et tout-puissant en créant toutes choses, sans qu'elles aient épuisé sa puissance, pas plus que ne l'épuiseraient des milliers d'autres mondes, s'il lui plaisait de les créer, parce qu'il serait toujours infini et immuable ; de mime, quel que fût le nombre des saints qui le vissent, qui en jouissent, il leur resterait toujours infiniment à connaître et à aimer, parce qu'eu la création et en la gloire tous ne reçoivent sa participation que dans une certaine mesure, selon la capacité de chacun: tandis qu'en lui-même il n'a ni terme ni fin. 759. C'est pour cette raison que la gloire du moindre des saints est ineffable: que dirons-nous donc de la gloire de l'auguste Marie, puisque entre les saints elle est la très-sainte, quelle seule est plus semblable à son adorable Fils que tous les saints 612 ensemble, et que par sa grâce et sa gloire elle les surpasse tous comme la Reine surpasse ses sujets? C'est là une vérité que l'on peut et que l'on doit croire; mais en la vie mortelle il n'est pas possible de la comprendre ni d'en expliquer la moindre chose , parce" que la faiblesse et la disproportion de nos termes sont plus propres à l'obscurcir qu'à l'élucider. Travaillons maintenant, non à la comprendre, mais à mériter qu'elle nous soit un jour manifestée dans la même gloire , où selon nos oeuvres nous participerons plus ou moins à cette joie que nous espérons. 760. Notre Rédempteur Jésus-Christ entra dans l'empyrée avec l'âme très-pure de sa Mère à sa droite. Elle seule entre tous les mortels n'eut point de cause à soumettre au jugement particulier, et n'eut aucun compte à rendre de ce qu'elle avait reçu ; aussi ne lui en fut-il pas demandé; et c'est ce qui lui; avait été promis lorsqu'elle fut exemptée du commun péché, comme étant choisie pour Reine, et affranchie par un privilège exclusif des lois des enfants d'Adam. Par la mène raison, sans être jugée comme les autres, lors du jugement universel, elle viendra encore à la droite de sou très-saint Fils, pour juger avec lui toutes les créatures. Et si dans le premier instant de sa conception. elle fut une aurore brillante, rehaussée parles rayons du Soleil de la Divinité au-dessus des splendeurs des plus ardents séraphins, si elle fut depuis élevée jusqu'à toucher à la Divinité elle-même par l'union du Verbe avec sa très- pure substance et par 613 l'humanité de Jésus-Christ, il fallait bien, par conséquent, qu'elle fût pendant toute l'éternité sa compagne avec la ressemblance possible entre le Fils et la Mère, lui étant Dieu et homme, et elle une simple. créature. A ce titre, le Rédempteur la présenta lui-même devant le trône de la Divinité ; et, s'adressant au Père éternel en présence de tous les bienheureux qui étaient attentifs à cette merveille, la très- sainte Humanité dit ces paroles: " Mon Père éternel, ma très-chère Mère, voire bien-aimée Fille et l'Épouse a chérie du Saint-Esprit, vient recevoir la possession a éternelle de la couronne et de la gloire que nous a lui avons préparée en récompense de ses mérites. C'est elle qui est née entre les enfants d'Adam comme une rose entre les épines, toute pure et toute belle; elle mérite que nous la recevions en nos mains, et que nous lui donnions la place à laquelle aucune de nos créatures n'est arrivée, et à laquelle ne sauraient parvenir ceux qui ont été a conçus dans le péché. C'est elle qui est notre élue et notre unique favorite, à qui nous avons donné la grâce et la participation de nos perfections au dessus de la loi commune des autres créatures, et en qui nous avons déposé le trésor de notre Divinité incompréhensible et de ses dons; elle l'a très fidèlement gardé ; elle a fait profiter les talents a qu'elle a reçus de nous (1) ; elle ne s'est jamais i écartée de notre volonté, et elle a trouvé grâce (1) Matth., XXV, 20. 614 devant nos yeux. Mon Père, le tribunal de notre miséricorde et de notre justice est très-équitable; nous y récompensons les services de nos amis avec surabondance. Il est juste que ma Mère soit ré compensée comme mère: et si en toute sa vie et en toutes ses oeuvres elle a été semblable à moi autant que pouvait l'être une simple créature, elle doit l'être aussi en la gloire et s'asseoir comme moi sur le trône dé notre Majesté, afin que là où est la sainteté par essence, là, soit aussi la somme de la sainteté par participation. " 161. Le Père et le Saint-Esprit approuvèrent ce décret du Verbe incarné. Aussitôt cette âme très-sainte de Marie fut élevée à la droite de son adorable Fils, et placée sur le trône même de la très-sainte Trinité, où jamais hommes, ni anges, ni séraphins n'ont pu et ne pourront monter pendant toute l'éternité. C'est la plus haute et la plus excellente prééminence de notre Reine, que d'être sur le trône même des divines Personnes, et d'y être placée comme Impératrice, pendant que les autres n'ont qu'une place de serviteurs et de ministres du souverain Roi. Et les dons de gloire, de compréhension, de vision et de jouissance correspondent, chez l'auguste Marie, à l'éminence ou supériorité de ce lieu, inaccessible à toutes les autres créatures ; de sorte qu'elle jouit au-dessus de tous et plus que tous les bienheureux ensemble de cet objet infini , dont ils jouissent à des degrés et avec des différences sans nombre. Elle tonnait litre divin et ses attributs ; elle l'aime, elle 615 jouit de ses mystères, et pénètre ses profonds secrets plus que tout le reste des bienheureux. Et quoiqu'il y ait une distance infinie entre la gloire des divines Personnes et celle de la très-pure Marie, parce que, comme dit l'Apôtre, la lumière de la Divinité est inaccessible, et qu'en elle seule habite l'immortalité et la gloire par, essence (1) ; quoique l'âme très-sainte de Jésus;Christ surpasse aussi sans mesure les dons de sa Mère, il n'en est pas moins certain que la gloire de cette grande Reine, comparée avec celle de tous les saints, s'élève au-dessus de tous comme inaccessible, et a une ressemblance avec celle de Jésus-Christ qu'on ne saurait comprendre ni exprimer en cette vie. 762. Il n'est pas possible non plus de dépeindre la nouvelle joie que sentirent ce jour-là les bienheureux, chantant de nouveaux cantiques de louanges au Tout- Puissant, et à la gloire de sa Fille, de sa Mère et de son Épouse, en qui il glorifiait les oeuvres de sa droite. Et quoique le Seigneur lui-même ne puisse, avoir une nouvelle gloire intérieure, parce qu'il a eu et qu'il a de toute éternité toute la gloire d'une manière immuable et infinie, les démonstrations extérieures de sa complaisance en l'accomplissement de ses décrets éternels furent néanmoins plus grandes en ce jour: car il sortit une voix du trône comme de la personne du Père, qui disait: " En la gloire de notre bien-aimée Fille, notre sainte volonté (1) 1 Tim., VI, 16. 616 et nos désirs se sont accomplis avec la plénitude de notre complaisance. Nous avons donné . à toutes les créatures l'être qu'elles ont, les tirant du néant afin qu'elles participassent à nos biens et o à nos immenses trésors, selon l'inclination de notre bonté infinie. Ceux mêmes que nous avons rendus capables de notre grâce et de notre gloire n'ont pas profité de ce bienfait. Notre seule bien-aimée a et notre Fille n'a point pris part à la désobéissance a et à la prévarication des autres : elle a mérité ce que les enfants de perdition ont méprisé comme . indignes; notre coeur n'a été frustré en elle en aucun temps, en aucun moment. A elle reviennent les récompenses qua, par notre volonté commune et conditionnelle, nous avions préparées pour les anges rebelles et pour les hommes qui les ont imités, s'ils eussent tous coopéré à notre grâce et à notre vocation. Elle a réparé cette rébellion par n sa soumission et par son obéissance; elle nous a été pleinement agréable en toutes ses œuvres; elle a donc mérité de s'asseoir sur le trône de notre Majesté. " 763. Il y avait trois jours que l'âme très-sainte de Marie jouissait de cette gloire pour ne la quitter jamais, lorsque le Seigneur manifesta aux saints qu'il voulait qu'elle revint sur la terre, et qu'elle ressuscitât son corps sacré en s'y unissant, afin d'être de nouveau élevée en corps et en âme à la droite de son très-saint Fils, sans attendre la résurrection générale des morts. Les saints ne pouvaient ignorer la convenance 617 de cette faveur, ni le rapport qu'elle avait avec les autres qu'a reçues la Reine du ciel, et avec sa sublime dignité, puisqu'elle parait si croyable même aux mortels, que quand même la sainte Église n'en aurait pas approuvé la croyance, nous regarderions comme impies et insensés ceux qui prétendraient nier le fait. Mais les bienheureux le connurent de la manière la plus nette, aussi bien que le jour et l'heure où il devait s'accomplir, lorsque sa divine Majesté leur manifesta en lui son décret éternel. Et quand le moment arriva de faire cette merveille, notre Sauveur Jésus-Christ descendit du ciel, emmenant à sa droite l'Aine de sa bienheureuse Mère, au milieu d'innombrables légions d'anges, et des anciens patriarches et prophètes. Ils arrivèrent au sépulcre eu la vallée de Josaphat, et s'arrêtèrent tous devant le temple virginal ; puis le Seigneur, s'adressant aux saints, dit ces paroles : 764. " Ma Mère a été conçue sans péché, afin que de sa substance toute pure et immaculée je prisse l'humanité en laquelle je vins au monde et le rachetai du péché. Ma chair est sa chair, elle a coopéré avec moi aux oeuvres de la rédemption; c'est pourquoi je dois la ressusciter, comme moi même je ressuscitai d'entre les morts; et ce doit être au même moment et à la même heure; car je veux qu'elle me ressemble en tout. Les saints de la nature humaine rendirent tous des actions de grâces, et firent de nouveaux cantiques de louange au Seigneur pour ce bienfait. Et ceux qui se distinguèrent 618 le plus, ce furent nos premiers parents Adam et Ève, et après eux sainte Anne, saint Joachim et saint Joseph , comme ayant des titres particuliers pour glorifier le Seigneur en cette merveille de sa toute-puissance. Aussitôt l'âme très-pure de notre auguste Reine, sur l'ordre de son très-saint Fils, entra dans son corps virginal et le ressuscita, lui donnant une nouvelle vie immortelle et glorieuse, et lui communiquant' les quatre dons de clarté, d'impassibilité , d'agilité et de subtilité , qui correspondaient à la gloire de l'âme, d'où ils rejaillissent sur les corps. 765. La bienheureuse Marie, enrichie de ces dons, sortit en corps et en âme du sépulcre, sans mouvoir la pierre qui le fermait, la tunique et le suaire conservant les plis qu'ils avaient quand ils couvraient son. vénérable corps. Et comme il est impossible de manifester la beauté et la splendeur qu'elle recevait d'une si grande gloire, je ne m'y arrête point. Il me suffit de dire que, de même que la divine Mère donna à son très-saint Fils la forme humaine dans son sein virginal, la lui donnant toute pure, sans tache et. impeccable pour racheter le monde : de même, en récompense de ce don, le même Seigneur lui donna in cette résurrection et en cette nouvelle génération une autre gloire et une autre beauté semblable à la sienne. En ce commerce si mystérieux et si divin, chacun fit ce qu'il put; en effet, l'auguste Marie engendra. Jésus-Christ semblable à elle-même en tant qu'il fut passible; et Jésus-Christ la ressuscita, lui 619 communiquant de sa gloire tout ce qu'elle put en recevoir dans sa capacité de simple créature. 766. Alors se déroula en partant du sépulcre une procession très-solennelle aux sons d'une musique céleste à travers les régions de l'air, qu'elle franchit pour s'élever à l'empyrée. Cette merveille arriva à la même heure que notre Sauveur Jésus-Christ ressuscita, un dimanche, immédiatement après minuit; c'est pourquoi tous les apôtres ne purent point la remarquer alors, à l'exception de quelques-uns qui en furent témoins, parce qu'ils veillaient autour du vénérable sépulcre. Les saints et les anges entrèrent dans le ciel chacun selon son rang; après eux venait notre Rédempteur Jésus-Christ, ayant à sa droite la Reine, revêtue, comme dit David, de l'or d'Ophir (1), parée des plus riches ornements, et st belle, que les courtisans du ciel étaient ravis d'admiration. Ils se tournèrent tous vers elle pour la regarder et la bénir avec une nouvelle jubilation et avec de nouveaux cantiques de louange. C'est là où l'on entendit ces éloges mystérieux que Salomon avait écrits pour elle Sortez, filles de Sion, pour voir votre Reine (2), que louent les étoiles du matin, et que fêtent les enfants du Très-Haut. Quelle est celle-ci, qui s'élève du désert comme une colonne de vapeur, exhalant toute sorte de parfums (3)? Quelle est celle-ci, qui s'avance comme l'aube du jour, plus belle que la lune, brillante comme le soleil, terrible comme une armée (1) Ps. XLIV, 9. - (2) Cant., III, 11. (3) Ibid., 6. 620 rangée en bataille (1)? Quelle est celle-ci, qui monte du désert s'appuyant sur son bien-aimé (2), et répandant des délices avec abondance? Quelle est celle-ci; en qui la Divinité môme s'est tellement plu et complu plus qu'en toutes les créatures, et qu'il élève au-dessus de toutes jusqu'au trône de son inaccessible lumière et de sa majesté? O merveilles dont les cieux n'ont jamais été témoins! O prodige digne de la sagesse infinie! O miracle de la toute-puissance, qui la glorifie et l'exalte de la sorte! 767. La bienheureuse Marie arriva avec toutes ces gloires en corps et en âme au pied du trône de la très-sainte Trinité. Les trois personnes divines la reçurent avec un embrassement éternel et indissoluble, et le Père éternel lui dit : " Montez plus haut que toutes les créatures, ma Bien-Année, ma Fille et ma Colombe. " Le Verbe incarné lui dit : " Ma Mère , de qui j'ai reçu l'être humain, et le retour de mes oeuvres par votre parfaite imitation, recevez de ma main la récompense que vous avez méritée. " Le Saint-Esprit lui dit : " Ma très-chère Épouse, entrez dans la joie éternelle qui correspond à votre très-fidèle amour; aimez et jouissez sans inquiétude, car l'hiver des souffrances est passé (3), et vous êtes arrivée à la possession éternelle de nos embrassements. " Dans cet heureux état l'auguste Marie fut absorbée entre les personnes divines; et comme submergée dans cet océan infini et dans l'abîme (1) Cant., VI, 9. - (2) Cant., VIII, 5. - (3) Cant., II, 11. 621 de la Divinité, tandis que les saints étaient pénétrés d'une admiration ineffable et d'une nouvelle joie accidentelle. Et comme cette oeuvre de la Toute-Puissance renferme d'autres merveilles, je tâcherai d'en dire quelque chose dans le chapitre suivant. Instruction que la grande Reine des anges m'a donnée. 768. Ma fille, l'ignorance des hommes est lamentable et sans excuse, puisqu'ils oublient si volontairement la gloire éternelle que Dieu a préparée pour ceux qui se disposent à la mériter. Je veux que vous gémissiez sans cessé sur cet oubli si pernicieux, et que vous le pleuriez amèrement; car il est hors de doute que ceux qui oublient de la sorte la gloire et la félicité éternelles, sont fort exposés à les perdre. Personne n'a aucune excuse légitime pour se justifier de cette faute, non- seulement parce qu'il ne coûte pas beaucoup aux mortels d'en avoir et d'en conserver le souvenir, mais surtout parce que la plupart travaillent, au contraire, de tontes leurs forces à oublier la fin pour laquelle ils ont été créés. Il est certain que cet oubli vient de ce que les hommes s'abandonnent à l'orgueil de la vie, à la concupiscence des yeux et à la concupiscence de la chair (1), c'est parce qu'ils y consacrent toutes leurs forces et toutes les puissances (1) 1 Joan., II, 16. 622 de leur âme, et tout le temps de leur vie, qu'il ne leur reste aucun moyen , où qu'ils soient, de réfléchir d'une manière sérieuse, ou même autrement, au bonheur de l'éternelle béatitude. Que les hommes disent donc, qu'ils avouent s'il leur coûterait plus de s'en souvenir, qu'il ne leur coûte de suivre leurs passions aveugles, et de travailler à se procurer les honneurs, la fortune et des plaisirs passagers, qui finissent. avant la vie; et encore combien de fois ne parviennent-ils pas à se les procurer, après mille efforts et mille fatigues! 769. Combien il est plus facile aux mortels d'éviter ce désordre, et particulièrement aux enfants de l'Église, puisqu'ils ont la précieuse ressource de la foi et de l'espérance, qui leur enseignent cette vérité sans qu'ils doivent se donner la moindre peine! Et quand il leur en coûterait autant pour mériter les biens éternels que pour acquérir les honneurs, les richesses et les autres plaisirs apparents, ce serait toujours une insigne folie de se donner autant de mal pour les choses fausses que pour les choses réelles, pour les peines éternelles que pour la gloire qui n'a point de fin. Vous comprendrez , ma fille, combien il y a là de criminelle stupidité, pour la déplorer, si, vivant dans un siècle tourmenté par tant de guerres et de désordres, vous considérez le nombre des infortunés qui courent à la mort pour un vain et fugitif honneur, pour satisfaire leur vengeance ou pour les plus vils intérêts, ne se souvenant et ne se souciant non plus de ta vie éternelle que s'ils étaient privés de 623 raison. Assurément ils pourraient s'estimer heureux de terminer leurs destinées, comme les animaux, par la mort temporelle; mais comme la plupart ne commettent que l'iniquité, et que les autres vivent également dans l'oubli de leur fin, ceux-ci aussi bien que ceux-là encourent la mort éternelle. 770. C'est là une calamité au-dessus de toutes les calamités, c'est là, un malheur sans égal et sans remède. Affligez-vous donc, et gémissez avec une douleur inconsolable, de la perte de tant d'âmes rachetées par le sang de mon très-saint Fils. Je vous assure, ma très-chère fille, que du ciel où je suis, dans la gloire que vous avez connue, je serais pressée par ma charité, si les hommes ne s'en rendaient pas indignes, de leur faire entendre une voix qui retentirait dans tout l'univers, et je leur crierais : Hommes mortels et abusés, que faites-vous? A quoi pensez-vous? Savez-vous bien ce que c'est que de voir Dieu face à face, et de participer à sa gloire et à sa compagnie éternelle? Que prétendez-vous? Qui vous a troublé et, fasciné l'esprit de la sorte? Que cherchez-vous, si vous perdez ce véritable bien et ce bonheur éternel sans en pouvoir trouver un autre? Le travail est court, la gloire infinie, la peine éternelle., 771. Pénétrée de cette douleur que je veux exciter en vous, tâchez de travailler avec zèle pour ne point tomber dans ce péril. Ma vie, qui fut une souffrance continuelle, vous fournit un vivant exemple que vous avez connu; mais quand j'arrivai aux récompenses que je reçus, tout ce que j'avais souffert 624 me parut comme rien, et je l'oubliai comme si je ne l'avais jamais souffert. Résolvez-vous donc, ma chère fille, à me suivre dans le travail, et dussent vos épreuves surpasser toutes celles des autres mortels, regardez-les comme légères, de sorte que rien ne vous paraisse' difficile, ou pesant, ou trop amer, quand même il vous faudrait passer par le fer et le feu. Portez vos mains à des choses fortes (1), et donnez à vos sens comme à vos domestiques un double vêtement, en souffrant et en agissant avec toutes vos puissances. Je veux de plus que vous vous gardiez d'une autre erreur commune des hommes qui disent : Tâchons seulement de nous assurer le salut, un peu plus, un peu moins de gloire ne nous importe guère, puisqu'en . nous sauvant nous jouirons tous de la béatitude éternelle. Avec une semblable ignorance, ma fille, on n'assure point le salut, mais au contraire on le hasarde; car un pareil langage ne s'explique que par une grande folie et par un grand manque d'amour de Dieu, et ceux qui prétendent faire ces arrangements avec sa divine Majesté, l'offensent et la portent à les laisser en danger de tout perdre. La faiblesse humaine va toujours dans le bien moins loin que ses désirs, et si ces désirs ne sont pas grands, elle fait fort peu de chose; que s'ils sont tout à fait tièdes, elle court risque de ne rien avoir et de tout perdre. 772. Celui qui se contente d'un certain milieu ou (1) Prov., XXXI, 19, 21. 625 du dernier rang dans la vertu, laisse toujours quelque liberté à sa volonté et à ses inclinations, pour admettre à dessein d'autres affections terrestres, et pour aimer les choses passagères; et cette disposition ne saurait durer sans s'opposer bientôt à l'amour divin : c'est pourquoi il est impossible d'empêcher qu'entre ces deux sentiments l'un ne se perde , et l'autre ne subsiste. Sans doute, lorsque la créature se détermine à aimer Dieu de tout son coeur et de toutes ses forces comme il le commande (1) , le Seigneur tient compte de cette résolution, quand même l'âme n'arriverait point, à cause d'autres manquements, aux plus hautes récompenses. Mais si on les méprise délibérément, ou si on en fait peu de cas, alors, loin de témoigner l'amour d'un enfant ou d'un véritable ami, on ne montre que les sentiments d'un esclave qui se contente de manger et de passer son chemin. Tandis que si les saints pouvaient revenir sur la terre pour mériter encore quelque nouveau degré de gloire, en souffrant tous les. tourments imaginables jusqu'au jour du jugement, ils le feraient avec plaisir, parce qu'ils connaissent parfaitement la valeur de,la récompense, et qu'ils aiment Dieu d'un véritable amour. Il n'est pas convenable que cette grâce soit accordée aux saints, mais elle m'a été accordée, à moi, comme vous l'avez écrit dans cette histoire, et mon. exemple confirme cette vérité, et condamne la folie de ceux qui, pour ne point souffrir ni embrasser la croix de Jésus- (1) Deut., VI, 5. 626 Christ, demandent une récompense bornée,, contre l'inclination de la bonté infinie du Très-Haut, qui désire que les âmes aient des mérites qu'il puisse amplement récompenser dans le bonheur de la gloire éternelle. CHAPITRE XXII. La bienheureuse Marie est couronnée Reine des cieux, et de toutes les créatures. - Plusieurs grands privilèges lui sont confirmés en faveur des hommes 773. Lorsque notre Sauveur Jésus-Christ, prit congé de ses disciples pour aller souffrir,. il leur dit que leur coeur ne devait point. se troubler. pour les choses qu'il leur avait dites, parce qu'il y avait plusieurs demeures dans. la maison de, son, Père, qui est la béatitude (1), il les assurait par là qu'il y avait des places et des récompenses pour tous, malgré la différence de leurs. mérites et de leurs bonnes oeuvres; et leur enseignait que personne ne devait se troubler, ni s'affliger, ni perdre la paix et l'espérance en voyant son prochain favorisé de plus de grâces, ou , plus avancé dans la vertu, parce qu'il y a beaucoup de (1) Joan., XIV, 1 et 2. 627 degrés dans la maison de Dieu, où chacun sera content de la place qu'il occupera, sans porter envie au autres. Et c'est là un des grands bonheurs de cette félicité éternelle. J'ai dit que l'auguste Marie fut élevée su degré suprême sur le trône de la très-sainte Trinité, et je me sois souvent servie, pour rapporter des mystères si grands, d'une expression qu'ont aussi employée les saints et même les divines Écritures (1). Cette remarque pourrait suffire, toutefois j'ajoute, pour ceux qui sont moins savants, que Dieu étant un très-pur esprit sans corps, et en même: temps infini. immense et incompréhensible, n'a pas besoin d'un trône matériel; car il remplit toutes choses, il est présent chez toutes les créatures, aucune ne le comprend ou ne l'environne, mais au contraire il les comprend et les renferme tontes en lui-même. Les saints dans le ciel ne voient pas non plus la Divinité avec les yeux corporels, mais avec les yeux de l'âme; néanmoins, comme ils la regardent en un endroit déterminé (je recours à cette figure matérielle pour me faire mieux entendre), nous disons qu'elle est sur le trône où la très-sainte Trinité tient son siégea quoiqu'elle possède en elle-même la gloire, et qu'elle la communique en elle- même aux saints. Quant à l'humanité de notre Sauveur Jésus-Christ et à sa très- sainte Mère, je ne nie point qu'ils n'occupent dans le ciel un lieu plus éminent que les antres saints, et entre les bienheureux qui y seront en corps et en âme . (1) Apoc., I, 4 ; III, 21 628 il y aura un certain ordre d'après lequel ils seront plus ou moins près de notre Seigneur Jésus-Christ et de notre auguste Reine; mais ce n'est pas ici que je dois déclarer comment cela arrive dans le ciel. 776. Or, nous appelons trône de la Divinité cet endroit où Dieu se manifeste aux saints, comme cause principale de la gloire, et comme Dieu éternel , infini, qui ne dépend de personne, et de la volonté duquel toutes les créatures dépendent; il se manifeste comme Seigneur, comme Roi, comme Juge et comme Maître de tout ce qui a l'être. Notre Rédempteur Jésus-Christ a cette dignité en tant que Dieu par essence, et en tant qu'homme par l'union hypostatique par laquelle la divinité s'est communiquée à l'humanité sainte; c'est pourquoi il est dans le ciel comme Roi, comme Seigneur et comme Juge suprême, et quoique la gloire et l'excellence des saints surpassent infiniment tout ce que l'esprit de l'homme peut concevoir, ils n'y sont que comme des serviteurs infiniment inférieurs à cette Majesté inaccessible. Après notre Sauveur Jésus Christ la bienheureuse Marie participe à cette excellence à un, degré inférieur à son très-saint Fils, d'une manière spéciale, ineffable, et proportionnée à sa condition de simple créature immédiate au Dieu-Homme; elle est debout, toujours à la droite de son Fils (1) comme Reine et Maîtresse de tout ce qui est créé, étendant son empire jusqu'où s'étend celui de son Fils lui-même, quoique ce soit d'une autre manière. (1) Ps., XLIV, 9. 629 775. L'auguste Marie ayant été placée sur ce trône très-éminent, le Seigneur déclara aux courtisans du ciel les privilèges dont elle jouissait par cette participation à la Majesté. Et la personne du Père éternel, comme premier principe de tout, dit, en s'adressant aux anges et aux saints: Notre Fille Marie est l'objet que notre volonté éternelle a choisi et possédé entre toutes les créatures ; elle fait nos premières délices ; elle n'a jamais déchu du titre ni dégénéré de l'être de Fille que nous lui avons donné dans notre entendement divin, et elle a droit sur notre royaume, dont elle doit dire reconnue et couronnée pour légitime Maîtresse et pour Reine unique. Le Verbe incarné dit : Toutes les créatures qui ont été par moi créées et rachetées appartiennent d ma Mère véritable et naturelle; elle doit dire la Souveraine légitime de tout et dont je suis Roi. Le Saint-Esprit dit: Par le titre de mon Épouse, de mon unique et de mon élue, auquel elle a correspondu avec fidélité, la couronne de Reine pour toute l'éternité lui est également due. 776. Ensuite les trois personnes divines mirent sur là tète de l'auguste Marie une couronne de gloire si magnifique et d'une splendeur si nouvelle, qu'on n'en a vu et qu ou n'en verra jamais une semblable sur la tête d'aucune autre simple créature. Au même moment sortit une voix du trône qui disait : " Notre Bien-Aimée et notre Élue entre les créatures, notre royaume est le vôtre; vous êtes la Reine et la Maîtresse des séraphins, de tous nos ministres les anges, et de toute l'universalité de nos créatures. 630 Commandez et régnez sur elles (1); car, dans notre consistoire suprême, nous vous donnons la domination, l'empire et la majesté. Étant pleine de grâce au-dessus de tous, vous vous êtes humiliée en votre propre estime jusqu'au rang le plus bas ; occupez maintenant le rang suprême qui vous est dû, et recevez, par une délégation de notre autorité divine, le domaine sur tout ce que nos mains ont formé par notre toute-puissance. Du haut de votre trône, vous commanderez jusqu'au centre de la terre; et par le pouvoir que nous vous donc nous, vous assujettirez l'enfer, tous ses démons et tous ses habitants; ils vous craindront tous, comme la souveraine Impératrice des abîmes, sombres demeures de nos ennemis. Vous régnerez sur toute la terre, sur tous les éléments, et sur toutes les autres créatures. Nous mettons entre vos mains et nous soumettons à votre volonté les vertus et les effets de toutes les causes, leurs opérations, leur perpétuité, afin que vous disposiez des influences des cieux, de la pluie, des nuées, des fruits de la terre, et que vous distribuiez tout cela à votre gré, par une dispensation à laquelle notre volonté sera attentive pour exécuter la vôtre. Vous serez la Reine de tous les mortels, auxquels vous pourrez soit envoyer la mort, soit conserver et prolonger la vie. Vous serez l'Impératrice de l'Église militante, sa Protectrice, son Avocate, sa Mère et sa (1.) Ps. XLIV, 5. 631 Maîtresse. Vous serez la Patronne spéciale des royaumes catholiques, et si les fidèles et tous les enfants d'Adam vous invoquent du fond de leur coeur et vous servent fidèlement, vous guérirez leurs maux, et vous les secourrez dans leurs épreuves et dans leurs besoins. Vous serez la Protectrice, le Soutien, l'Amie de tous les justes nos amis; vous les consolerez, vous les fortifierez et les comblerez tous de faveurs, suivant qu'ils les mériteront par leur dévotion. Pont tout cela nous vous faisons la Dépositaire de nos richesses , et la Trésorière de nos biens; nous mettons en vos mains les secours de notre grâce, afin que vous les dispensiez ; nous ne voulons rien accorder au monde que ce ne soit par votre entremise, et nous ne voulons rien refuser de ce que vous accorderez aux hommes. La grâce sera répandue sur vos lèvres (1) pour tout ce que vous voudrez ordonner dans le ciel et dans la terre; les anges et les hommes vous obéiront partout, parce que tout ce qui est à nous est vôtre, comme vous avez toujours été nôtre; et vous régnerez avec nous vendant toute l'éternité. " 777. En exécution de ce décret et de ce privilège accordé à la Reine de l'univers, le Tout-Puissant commanda à tous les courtisans du ciel, anges et hommes, de rendre obéissance à l'auguste Marie, et de la reconnaître pour leur Reine. Cette merveille (1) Ps. XLIV, 3. 632 renfermait un autre mystère, et c'est que la divine Mère était ainsi récompensée de la profonde humilité et du culte de vénération avec lesquels elle avait honoré les saints lorsqu'elle était au nombre des voyageurs et qu'ils lui apparaissaient (comme on a pu le remarquer dans tout le cours de cette histoire), quoiqu'elle fût Mère de Dieu lui-même, et pleine de grâces au-dessus de tous les anges et de tous les saints. En effet, quand notre grande Dame vivait sur la terre, il était convenable pour son plus grand mérite qu'elle s'humiliât devant eux tous, parce qu'ils étaient compréhenseurs, et parce que le Seigneur l'ordonnait de la sorte; mais à présent qu'elle se trouvait en possession du royaume qui lui appartenait, il était juste que tous lui rendissent leur culte, et reconnussent leur infériorité et leur sujétion. C'est ce qu'ils firent dans ce très-heureux état, dans toutes les parties duquel règnent l'ordre, la proportion et l'harmonie. Les esprits angéliques et les âmes des saints rendirent cet hommage dans la même forme qu'ils avaient reconnu et adoré notre Seigneur Jésus-Christ, avec une crainte et un respect religieux, honorant sa divine Mère proportionnellement d'un culte semblable; et les saints qui étaient en corps et en Ame dans le ciel se prosternèrent, et révérèrent leur Reine par des actes corporels. Toutes ces démonstrations et le couronnement de l'Impératrice des cieux lui procurèrent une gloire ineffable, transportèrent les saints d'une nouvelle allégresse, et furent très agréables à la très-sainte Trinité; de sorte que ce 633 jour fut en tout solennel, et répandit dans le ciel une nouvelle gloire accidentelle. Ceux qui en reçurent le plus, ce furent son très-chaste époux saint Joseph, saint Joachim, sainte Anne et tous les autres parents de notre auguste Reine, et encore les mille anges de sa garde. 778. En contemplant le corps glorieux de la grande Reine, les saints découvrirent sur sa poitrine la formé d'un petit globe lumineux d'une beauté et d'une splendeur singulières, qui leur causa et leur cause encore une admiration et une joie incomparables. Et c'est comme une récompense et un témoignage de ce qu'elle a conservé dans son coeur, comme dans un digne sanctuaire, le Verbe incarné sous les espèces sacramentales, et de ce qu'elle l'avait reçu si dignement, avec des dispositions si pures et si saintes, sans la moindre imperfection, mais avec une souveraine dévotion, avec un respect et un amour tels, que jamais aucun saint n'y a pu parvenir. Quant aux autres récompenses qui correspondaient à ses vertus et à ses oeuvres sans égales, je ne saurais trouver de termes assez propres pour les exprimer; c'est pour quoi j'en remets la connaissance jusqu'à la vision béatifique, où chacun les découvrira selon qu'il l'aura mérité par ses oeuvres et par sa dévotion. J'ai dit au chapitre dix-neuvième de ce livre que la mort de notre Reine arriva le 13 août. Sa Résurrection, son Assomption et son Couronnement eurent lieu un dimanche, le 15 du même mois, jour auquel la sainte Église en célèbre la fête. Son sacré corps demeura 633 dans le sépulcre trente-six heures, comme celui de son très-saint Fils : car sa mort et sa résurrection arrivèrent aux mêmes heures auxquelles notre adorable Rédempteur mourut et ressuscita. J'ai fait plus haut la supputation des années, à l'endroit où j'ai dit que cette merveille s'accomplit dans l'année 55 du Seigneur, de laquelle s'étaient écoulés les mois qu'il y a depuis la naissance du même Seigneur jusqu'au 15 août. 779. Laissons notre grande Dame à la droite de son très-saint Fils, où elle règnera pendant les siècles des siècles, et revenons aux apôtres et aux disciples, qui, sans pouvoir essuyer leurs larmes, entouraient le sépulcre de la bienheureuse Marie dans la vallée de Josaphat. Saint Pierre et saint Jean, qui y demeurèrent avec plus d'assiduité, remarquèrent le troisième jour que la musique céleste avait cessé, puisqu'ils ne l'entendaient plus; et, éclairés de l'Esprit divin, ils en conclurent que la très-pure Mère était ressuscitée et élevée au ciel en corps et en âme comme son adorable Fils. Ils se communiquèrent leur pensée, et s'y confirmèrent mutuellement; saint Pierre, comme chef de l'Église , décida qu'il fallait s'assurer du prodige; afin que la réalité en fût manifestée à tous ceux qui avaient été témoins de la mort et de la sépulture de l'auguste Vierge. Pour cela il assembla le même jour tous les apôtres, tous les disciples et les autres fidèles auprès du sépulcre. Il leur exposa les raisons qu'il avait d'attester à l'Église la vérité de ce prodige, qui obtiendrait la vénération de, tous les siècles; et. procurerait 635 une grande gloire au Seigneur et à sa très-sainte Mère, lls approuvèrent tous le sentiment du vicaire de Jésus-Christ, et par son ordre ils enlevèrent aussitôt la pierre qui fermait le sépulcre, et y ayant bien regardé partout, ils n'y trouvèrent point le corps sacré de la Reine du ciel; sa tunique y était tendue comme lorsqu'elle le couvrait, de sorte qu'on voyait qu'il avait pénétré la tunique et la pierre sans les remuer ni les déranger; saint Pierre prit la tunique et le suaire, et les honora avec une juste vénération. Tous les autres en firent de même, convaincus de la résurrection et de l'assomption de la bienheureuse Marie; et, partagés entre la joie et la douleur, ils célébrèrent avec de douces larmes cette mystérieuse merveille, et chantèrent des psaumes et des hymnes à le louange et à la gloire du Seigneur et de sa très-sainte Mère. 780. Mais ils restaient tous à regarder le sépulcre, absorbés dans leurs tendres regrets, sans pouvoir s'en éloigner, jusqu'à ce que l'ange du Seigneur descendît, et se manifestant à eux, leur dit : " Hommes de Galilée, de quoi vous étonnez-vous, et pourquoi vous arrêtez-vous ici ? Votre Reine et la nôtre est maintenant en corps et en âme dans le ciel, ou elle règne pour toujours avec Jésus-Christ. Elle m'envoie afin que je vous confirme cette vérité, et pour vous dire de sa part qu'elle vous recommande de nouveau l'Église, la conversion des âmes et la prédication de l'Évangile; elle veut que vous repreniez au plustôt le ministère dont vous êtes chargés, et 636 quoiqu'elle soit dans la gloire, elle ne laissera pas de vous assister. " Ces paroles encouragèrent les apôtres, et dans leurs voyages ils expérimentèrent la protection de notre charitable Reine , surtout à l'heure de leur martyre , car alors elle leur apparut à tous, et présenta leurs âmes au Seigneur. On rapporte diverses autres choses de la mort et de la résurrection de la bienheureuse Vierge, mais comme elles ne m'ont pas été manifestées, je ne les écris point; du reste, dans toute cette divine histoire , je n'ai pas eu à choisir mes matières, et je n'ai pu dire que ce qui m'a été enseigné, et ce qu'il m'a été prescrit d'écrire. Instruction que m'a donnée la grande Reine du ciel la bienheureuse Marie. 817. Ma fille, si quelque chose était capable de diminuer la joie de la gloire ineffable que je possède, et si dans cet heureux état je pouvais recevoir quelque peine , assurément je serais fort affligée de voir la sainte Église et le reste du monde dans la triste situation où ils se trouvent maintenant, tandis que les hommes savent due je suis dans le ciel leur Mère, leur Avocate et leur Protectrice pour les secourir et pour les conduire à la vie éternelle. Cela étant, et le Très-Haut m'ayant accordé , comme à sa Mère et à raison 637 des autres titres que vous avez fait connaître, tant de privilèges que je fais servir et que j'applique en faveur des mortels avec une bonté et une clémence toutes maternelles, je serais, dis-je, fort affligée, si je pouvais l'être, de voir qu'ils ne s'en servent point pour leur propre avantage, et que tant d'âmes se perdent parce qu'elles ne m'invoquent pas du fond de leur coeur; cette vue seule suffirait pour déchirer mes entrailles de miséricorde. Mais si je suis à l'abri de la douleur, je n'en ai pas moins un juste sujet de me plaindre des hommes qui se procurent à eux- mêmes la peine éternelle, et qui ne veulent point me donner cette gloire de procurer leur salut. 782. On n'a jamais ignoré dans l'Église ce que vaut mon intercession et le pouvoir que j'ai dans le ciel pour secourir tous les mortels, puisque j'ai établi la certitude de cette vérité par une infinité de miracles et de merveilles que. j'ai opérés via faveur de mes dévots; j'ai toujours été libérale envers ceux qui m'ont invoquée dans leurs besoins, le Seigneur les a aussi favorisés à ma considération; et cependant , quoique le nombre dm âmes que j'ai assistées soit fort grand, il est bien petit par rapport à celles que je puis et que je désire assister. Pendant que le monde passe et que les siècles continuent leur marche rapide, les mortels tardent à se convertir à Dieu et à le connaître ; les enfants de l'Église s'embarrassent dans les pièges du démon , le nombre des pécheurs augmente aussi bien que celui des péchés, parce que la charité se refroidit, quoique Dieu se soit fait homme, qu'il 638 ait enseigné le monde par sa vie et par sa doctrine, qu'il l'ait racheté par sa Passion et par sa mort, qu'il ait établi la loi évangélique, toujours efficace si la créature veut concourir de son côté, qu'il ait éclairé l'Église au moyen de tant de miracles, de lumières et de bienfaits, par lui-même et par ses saints, et qu'il ait en outre ouvert les portes de ses miséricordes par sa bouté et par mon intercession, en me signalant comme la Mère, la Protectrice et l'Avocate de tous les mortels , au profit desquels je m'acquitte de ces offices avec tant de ponctualité, de charité et de zèle. Après cela doit-on être surpris si la justice divine est irritée, puisque les hommes s'attirent eux-mêmes par leurs péchés le châtiment qui les menace et qu'ils commencent à sentir? N'est-il pas évident que par toutes ces circonstances leur malice arrive à son plus haut degré ? 783. Tout cela, ma fille, est incontestable; mais ma bouté maternelle surpasse toute cette malice, incline la miséricorde infinie, arrête la divine justice, et le Très-Haut est disposé à distribuer libéralement ses trésors infinis, et à favoriser les mortels s'ils veulent profiter de mon intercession, et s'ils me portent à l'interposer avec efficace, en sa divine présence. C'est là la voie sûre à suivre ; c'est le puissant moyen à employer pour améliorer la situation de l'Église, pour remédier aux maux des royaumes catholiques, pour propager la foi, pour rendre la paix aux familles et aux États, et pour ramener les âmes à la grâce et à l'amitié de Dieu. J'ai, voulu, ma fille, 639 que vous travaillassiez et que vous m'aidassiez:en cette cause autant que vos forces vous le permettraient, avec l'assistance de la vertu divine. Vous ne devez pas voua imaginer que vous aurez. satisfait à cette obligation en écrivant ma vie, mais il faut encore que vous l'imitiez en profitant de mes conseils et des instructions salutaires que vous avez reçues avec tant d'Abondance, tant en ce que vous avez écrit, qu'au milieu d'autres faveurs innombrables qui ont suivi celle que le Très-Haut vous a faite de vous avoir choisie pour écrire ma vie. Considérez bien, ma très-chère fille, l'étroite obligation que vous avez de m'obéir comme à votre unique Mère, à votre véritable Maîtresse, à votre légitime Supérieure, puisque j'exerce envers vous tous ces offices, en vous comblant de tant d'autres bienfaits insignes; et que vous avez renouvelé maintes fois les voeux de votre profession entre mes mains , en me promettant alors une obéissance particulière. Souvenez-vous des promesses que vous avez faites si souvent au Seigneur et à ses anges; nous vous avons manifesté notre volonté, qui est que vous soyez, viviez et agissiez comme eux , que vous participiez dans la chair mortelle aux qualités et aux opérations angéliques, et que vous n'ayez, de conversation et de rapports,qu'avec ces esprits très-purs; et de même qu'ils se communiquent les uns aux autres leurs lumières, et que les supérieurs éclairent les inférieurs, de même ils vous instruiront des perfections de votre Bien-Aimé, et vous feront part de la lumière dont vous avez besoin pour pratiquer toutes les vertus, et 640 surtout la charité, qui en est la reine, et qui vous enflammera de l'amour de votre divin Maître et de votre prochain. Vous devez aspirer à cet état de toutes vos forces, afin de mériter que le Très-Haut accomplisse en vous sa très-sainte volonté, et se serve de vous pour tout ce qu'il désire. Que sa puissante droite vous accorde sa bénédiction éternelle, quelle vous manifeste la joie de sa face et vous donne sa pais : tâchez, de votre côté, de ne pas vous en rendre indigne. CHAPITRE XXIII. Acte de louanges et d'actions de grâces que moi la moindre des mortels, soeur Marie de Jésus, a fait au seigneur et à sa très-sainte Mère, pour avoir écrit cette divine histoire avec l'assistance de la Reine du ciel elle-même. - Suit une lettre qu'elle adresse aux religieuses de son Monastère. 784. Je vous bénin, Dieu éternel, Seigneur du ciel et de la terre, Père, Fils, et Saint- Esprit, un seul et véritable Dieu, substance et majesté unique en une trinité de personnes, je vous bénis de ce que, sans qu'il y ait aucune créature qui vous ait donné quelque chose la première, pour en attendre la récompense (1) (1) Rom., XI, 35. 641 vous découvrez par votre seule clémence ineffable, vos mystères aux petits (f) , et de ce que vous le faites avec une bonté immense et avec une sagesse infinie; vous accomplissez en cela votre bon plaisir : qui sera assez osé que d'y trouver à redire? Par vos oeuvres vous glorifiez votre saint nom, vous exaltez votre toute- puissance, vous manifestez votre grandeur, vous déployez vos miséricordes, et vous établissez la gloire qui vous est due connue saint, sage , puissant, bon , libéral , le seul principe et le seul auteur de tout bien. Personne n'est saint comme vous, personne n'est fort connue vous (2); vous ètes le seul Très-Haut qui tirez l'indigent de la poussière, et qui életez le pauvre du fumier (3). 0 Dieu suprême ! la terre Nous appartient, et les cieux sont à vous (4). Vous ètes le Seigneur et le Dieu véritable de toute science (5), vous ôtez et vous donnez la vie (6), vous humiliez et vous abattez les superbes jusque dans l'abime, vous élevez les humbles selon votre volonté , vous faites le pauvre et vous faites le riche (7) , afin que nul homme ne se glorifie devant vous (8), que le plus fort ne présume point de sa force, et que le plus faible ne perde point courage à cause de sa fragilité et de sa bassesse. 785. Je vous glorifie, Seigneur véritable, Jésus-Christ, Roi et Sauveur du monde. Je loue votre saint (1) Matth, XI, 45. - (2) I Reg., II, 2. - (3) Ps. CXII, 7. - (4) Ps. LXXXVIII, 12. - (5) I Reg., II, 3. - (6) Ibid., 6. - (7) Ibid., 7. - (8) I Cor., I, 29. 642 nom, et je donne la gloire à Celui qui donne la sagesse. Je vous exalte , auguste Souveraine des cieux, bienheureuse Marie, digne Mère de mon Seigneur Jésus- Christ, Temple vivant de la Divinité, dépositaire des trésors de sa grâce , principe de notre salut, Réparatrice de la ruine générale du genre humain, nouvelle joie des saints, gloire des oeuvres du Très-Haut, et unique instrument de sa toute- puissance. Je vous bénis, très-douce Mère de miséricorde, refuge des misérables, protectrice des pauvres, consolation des affligés; je vous glorifie sous ces titres, et tout ce que les anges et les saints reconnaissent en vous, par vous et de vous, je le reconnais; de tout ce dont en vous et par vous ils louent et glorifient la Divinité, je la loue et la glorifie à mon tour, et pour toutes choses et en toutes choses je vous bénis, je vous magnifie, je vous confesse et je vous crois, ô Reine et Maîtresse de tout ce qui est créé , qui, par votre seule et puissante intercession, et parce que les yeux de votre clémence m'ont regardée, avez porté votre très-saint Fils à jeter sur moi ceux de sa miséricorde paternelle, et à ne pas dédaigner, à votre considération, de choisir ce vermisseau de terre et la moindre de ses créatures pour manifester ses vénérables et mystérieux secrets. Le torrent de mes péchés, de mes ingratitudes et de mes misères n'a pu éteindre sa charité immense (1) , et mes honteuses et grossières infidélités n'ont pas été capables d'arrêter les écoulements de la (1) Cant., VIII, 7. 643 lumière et les communications de la sagesse divine dont il m'a favorisée. 756. Je déclare, ô Mère très-bénigne, en présence du ciel et. de la terre , que j'ai lutté contre moi-même et contre mes ennemis, et que mon âme s'est troublée, placée entre le sentiment de mon indignité et le désir de la sagesse. J'ai élevé mes mains en haut et j'ai déploré l'égarement de mon esprit (1); j'ai dirigé mon coeur vers la sagesse, et je l'ai trouvée dans la connaissance de moi-même (2); avec cette connaissance j'ai, possédé la paix, et quand je l'ai aimée et cherchée, j'ai trouvé une bonne possession et je n'ai pas été confondue (3). La douce force de la sagesse a opéré en moi (4), elle m'a découvert les choses les plus secrètes et les plus incertaines pour la science humaine (5). Elle vous a mise devant mes yeux, auguste Marie, magnifique image de la Divinité et Cité mystique de sa demeure, afin que, dans la nuit de cette vie mortelle, vous me guidiez comme une étoile, et que vous m'éclairiez comme la lune du divin Soleil, afin que je vous suive comme ma Reine, que je vous aime comme ma Mère, que je vous obéisse comme à ma Directrice, due je vous écoute comme ma Maîtresse, et qu'en me regardant en vous comme dans un miroir sans tache et très-pur, je réalise en moi le modèle de la haute perfection et de la sainteté que vous m'avez présenté par la connaissance et le nouvel (1) Eccles., LI, 26. - (2) Ibid., 27. - (3) Ibid., 28. - (4) Sap., VIII,1, etc. - (5) Ps. L., 7. 644 exemple de vos vertus ineffables et de vos actions héroïques. 787. Mais qui a pu porter la Majesté souveraine à s'abaisser ainsi jusqu'à cette vile esclave, sinon vous, ô rua puissante Reine, qui êtes la grandeur de l'amour, l'étendue de la charité , le prodige de la grâce , Celle qui nous attire la miséricorde et qui a comblé les abîmes que les péchés de tous les enfants d'Adam out creusés! La gloire, ô Vierge sainte ! vous appartient, et cet ouvrage que j'ai écrit vous appartient aussi , non-seulement parce qu'il contient votre très-sainte et très- admirable vie, mais parce que vous lui avez donné le commencement, le milieu et la fin; et si vous ne l'eussiez dicté vous-même comme Maitresse, jamais l'esprit humain n'aurait pu le concevoir. Chargez-vous donc de la reconnaissance , car vous seule la pouvez rendre dignement à votre très-saint Fils, notre Rédempteur, pour tut si rare bienfait. Pour moi je ne puis que vous en supplier au nom de la sainte Église et au mien. C'est ce que je désire faire, ô Mère et Reine des vertus! et, humiliée profondément en vitre présence, je confesse que j'ai reçu cette faveur et tant d'autres que je n'ai jamais pu mériter. Je n'ai écrit que ce que vous m'avez enseigné et prescrit, je ne suis qu'un muet instrument de votre langue, mit et dirigé par vote sagesse. Perfectionnez cet ouvrage de vos mains , non-seulement en le faisant dignement servir à la gloire du Très-Haut, mais en achevant encore ce qui y manque, afin que j'exerce votre doctrine, que je suive vos traces, que j'obéisse à vos 645 commandements, et que je coure à l'odeur de vos parfums (1), qui est le doux baume de vos vertus que voua avez répandu dans cette histoire avec une bonté ineffable. 788. Je me reconnais, ô Impératrice du ciel! comme la plus indigne et en même temps la plus redevable des enfants de la sainte l'Église. Et afin qu'elle ne soit pas témoin devant le Très-Haut et-devant vous d'une monstrueuse ingratitude de ma part, je déclare, je promets et je veux que l'on sache que je re-nonce à tout ce qui est visible et terrestre, et que j'assujettis de nouveau nia liberté sous l'empire de la volonté divine et de la vôtre, pour n'user de mon libre arbitre qu'en vue de son bon plaisir et pour sa plus grande gloire. Je vous prie, ô vous qui êtes bénie entre tontes les créatures, de ne point permettre, puisque par la clémence du Seigneur et par la vôtre j'ai, saris l'avoir mérité, le titre de soli épouse, que vous m'avez donné celui de fille et de disciple, et que le Seigneur Cotre Fils a daigné lui-même me le confirmer si souvent, de ne point permettre, ô très-pure Princesse, que je déchoie de ces titres honorables. Vous m'avez assistée de votre protection pour écrire votre vie miraculeuse, aidez-moi maintenant à pratiquer votre doctrine, en laquelle consiste la vie éternelle. Vous m'ordonnez de vous imiter, gravez en moi votre vive image. Vous avez sensé le bon gratin en mon cœur terrestre, conservez-le, arrosez- le, vous qui (1) Cant., I, 3. 646 êtes ma Mère, ma Gouvernante et ma Maîtresse, et faites qu'il rapporte du fruit au centuple (1); empêchez qu'il ne me soit enlevé par les oiseaux de proie, le dragon et ses démons, dont j'ai vu la colère dans tous les événements de votre vie que j'ai rapportés. Conduisez-moi jusqu'à la fin, commandez-moi comme Reine, enseignez- moi comme Maîtresse, et corrigez-moi comme Mère. Recevez en reconnaissance votre vie même, et la souveraine satisfaction que par elle vous avez donnée à la très-sainte Trinité, comme étant l'abrégé de ses merveilles. Que les anges et les saints vous louent, que toutes les nations vous connaissent, que toutes les créatures bénissent éternellement leur Créateur en vous et par vous, et que toutes les puissances de mon âme vous exaltent. 789. J'ai écrit cette divine histoire (comme j'ai dû le répéter si souvent) par ordre de mes supérieurs et de mes confesseurs qui dirigent mon âme, m'assurant par ce moyen que c'était la volonté de Dieu que je l'écrivisse et que j'obéisse à sa bienheureuse Mère, qui me l'a prescrit pendant plusieurs années, et quoique je l'aie soumise tout entière au jugement de mes confesseurs, sans qu'il y ait une phrase qu'ils n'aient vue et examinée avec moi , je la soumets néanmoins de nouveau à leur censure plus approfondie, et surtout à la correction de la sainte Église catholique romaine, à. l'enseignement de laquelle je proteste que je me soumets, comme étant sa fille, pour ne croire (1) Luc., VIII, 8. 647 que ce que la même sainte Église notre mère approuvera, et pour condamner ce qu'elle condamnera, parce que je veux vivre et mourir sous son obéissance: Ainsi soit-il. Aux religieuses de la Conception-Immaculée de la ville d'Agréda, de la province de Burgos, filles de notre père saint François, soeur Marie de Jésus, leur indigne servante et abbesse, au nom de l'auguste Reine la bienheureuse Marie, conçue sans la tache du péché originel. 1. Mes bien-aimées filles et très-chères soeurs présentes et à venir dans ce monastère de l'Immaculée-Conception de notre grande Reine, dès l'heure ou la providence du Seigneur m'eut attribué les fonctions de supérieure, que je remplis indignement en vertu de la sainte obéissance, mon coeur fut percé de deux traits de douleur qui le pénètrent et le déchirent encore à présent. D'abord je sentis une vive crainte en voyant remis entre fines mains et sous ma garde le vase du plus précieux du sang de notre Sauveur Jésus-Christ ; c'est-à-dire l'état et les âmes de Vos Révérences, appelées et choisies en vertu de sa Passion et de sa mort pour la plus grande pureté de vie et pour la plus haute sainteté. Ce grand trésor déposé dans des vases fragiles (1), et confié à (1) II Cor., IV, 7. 648 un autre vase plus terrestre et plus exposé à se briser, c'est-à-dire à la moindre religieuse, à la plus tiède et à la plus négligente, me causa une grande surprise et une peine plus grande encore. Je sentis ensuite une vive inquiétude qui était la conséquence de cette crainte : car comment celle qui ne sait pas garder sa vigne, gardera-t-elle les vignes des autres (1)? Avec quelle tristesse celle qui trouvait dans l'obéissance sa consolation et le remède à ses misères, ne devait-elle pas perdre un bien qu'elle connaissait, et commencer à exercer une autorité qu'elle ignorait? Vos Révérences ont ouï dire plusieurs fois que la pureté virginale et la chasteté religieuse est le premier fruit, le plus odoriférant et le plus doux de la vie et de la mort de notre Rédempteur Jésus-Christ, que c'étaient les titres honorables que notre séraphique Père saint François donnait à cette vertu. Que si le Sauveur a versé pour tous le sang de sen veines sacrées (2), nous devons être persuadées, nous antres religieuses, qu'il nous a appliqué ce sang et surtout celai de son coeur; car ce n'est pas sans mystère qu'il dit lui même à l'Épouse qu'elle lui a blessé le coeur (3); qui se laisse blesser le coeur ne veut point refuser son sang, et, il semble qu'il le verse et le donne avec on plus grand amour. Au moins, mes très-chères soeurs, nous savons toutes par lit doctrine véritable et. catholique, dans laquelle la sainte Église notés élève , que notre seigneur Jésus-Christ traite les âmes pures comme ses épouses, avec (1) Cant., I, 6. - (2) II Cor., V, 15. - (3) Cant., IV, 9. 649 une tendre familiarité, et qu'il leur fait des caresses et des faveurs toutes particulières, comme trouvant en elles ses délices et le fruit de son sang , de sa vie , de sa doctrine, de sa Passion et de sa mort douloureuse : cette vérité est établie dans toute l'Écriture, et spécialement dans les mystères du Cantique des cantiques que Vos Révérences méditent chaque jour. 2. Vous ne vous étonnerez donc pas de ma douleur et de mon inquiétude, et si vous ne voulez pas tant examiner ma faiblesse, que chacune de vous examine du moins la sienne propre. Considérez que nous sommes toutes formées du même limon et d'une pâte aisée à se rompre, des femmes imparfaites et ignorantes , et qu'aucune ne l'est plus que celle qui devrait l'étre moins ; c'est ce que vous devez toutes reconnaître et avouer, afin que nous craignions toutes le péril. Vos Révérences pourraient comprendre combien celui de la supérieure est plus grand que celui des inférieures, si elles mettaient dans un bassin de la balance leur tranquillité et leurs consolations, et dans l'autre mes soucis et mes afflictions. Il y a trente ans accomplis que je remplis indignement et malgré moi cet office. Or de quelle consolation ou de quel repos peut jouir une supérieure, sachant que si elle dort, si seulement elle sommeille, elle hasarde le trésor qui lui a été confié, puisque le Seigneur, pour nous assurer qu'il garde Israël , nous dit qu'il ne dort ni ne sommeille (1) ? (1) Ps. CXX, 4. 650 3. C'est beaucoup que Dieu ordonne à une créature terrestre et faible de ne point dormir; mais si on lui demande de ne pas sommeiller, qui pourrait se promettre de le faire, si le Seigneur même n'était la sentinelle qui nous garde avec vigilance, la vertu qui nous donne des forces, la lumière qui nous conduit, le bouclier qui nous défend, et l'auteur de toutes nos bonnes oeuvres? Vos Révérences m'ont vue plusieurs fois affligée, d'autres fois impatiente et toujours craintive dans cet office; et je vous avoue que par l'expérience de mes négligences j'y aurais perdu courage, si Dieu ne m'eût fortifiée comme Père de la consolation et des miséricordes. Je ne puis pas oublier les ordres qu'il m'a donnés et les promesses qu'il m'a faites, et j'avoue que, le cas échéant, il m'a toujours prescrit d'accepter cet office et d'obéir à mes supérieurs, me promettant l'assistance de sa puissante grâce; et pour me tranquilliser et me satisfaire davantage, le Seigneur a toujours porté nos supérieurs, sans que j'eusse manifesté ses ordres, à m'obliger par leur autorité de l'accepter; et l'obéissance étant toujours le parti le plus sûr, je me suis soumise su joug qui m'a été imposé de gouverner Vos Révérences. 4. Le Seigneur daigna joindre par l'entremise de sa divine Mère une autre assurance à celle-là; car cette charitable Reine m'informa qu'il était convenable que j'obéisse au Très-Haut et à ses ministres, en me chargeant du soin de sa maison; et afin de satisfaire le désir que j'avais d'obéir et d'être inférieure, 651 elle me promit avec une bonté maternelle qu'elle exercerait à mon égard l'office de supérieure, qu'elle me dirigerait en tout, que je lui obéirais, et que Vos Révérences m'obéiraient. C'est dans cette occasion, à l'époque où je pris le gouvernement, que la bienheureuse Mère m'ordonna d'écrire l'histoire de sa vie; elle me fit connaître que c'était sa volonté et celle de son très-saint Fils , comme je l'ai déclaré dans ma première Introduction, où j'ai aussi dit que ces ordres furent réitérés, à cause du retard que j'apportais à commencer l'ouvrage. Je connus dès le premier jour la grandeur de cette entreprise, et ce ne fut pas ce qui me décourageait le moins, quoique le légitime empêchement pour m'excuser d'écrire sur une matière si sainte et si sublime, fussent mes péchés et mes tiédeurs. Je ne fus pas fort instruite dans les commencements des fins que le Seigneur a eues en cet ouvrage, car il me suffisait d'obéir su Très-Haut et à mes supérieurs, sans éplucher sa sainte volonté. Ensuite, dans le cours de cette histoire, j'ai dit ce que la grande Reine du ciel m'a ordonné et manifesté pour ce: qui regardait mon propre avancement aussi bien que celui de Vos Révérences, comme vous le verrez lorsque vous lirez cette très-sainte vie, où vous trouverez beaucoup d'avis et d'instructions que la même Reine m'a prescrit de vous transmettre. 5. Mais à la fin de cette histoire, je veux m'expliquer d'une manière plus complète, en faisant connaître à Vos Révérences l'obligation en laquelle notre grande Reine les a mises; car j'ai souvent découvert 652 dans son cœur maternel l'amour particulier avec lequel elle regarde ce pauvre monastère; et j'ai su que c'est pour cela, et parce qu'elle agrée vos bons désirs et vos prières, qu'elle a daigné nous faire cette faveur singulière, à nous et à celles qui viendront après nous, de nous donner sa très-sainte vie comme un modèle et un miroir brillant et sans tache, afin que nous perfectionnions la nôtre. Et quand je n'aurais point d'autres raisons pour connaître. cette volonté de notre charitable Maîtresse, elle résulterait bien clairement pour tout le monde de l'ordre même qu'elle m'a donné d'écrire sa très-sainte vie. Cette bonté si maternelle modéra mes peines, dissipa ma tristesse, et ranima mon coeur affligé , car il est certain, mes sœurs, qu'encore que je fusse si tiède, je sentis que je devais travailler autant qu'il dépendait de moi , à vous porter à être des anges par la pureté, zélées pour la perfection , enflammées de l'amour qu'exigent le nom que nous avons et l'état que nous professons de filles de la très-pure Marie, et d'épouses de son très-saint Fils notre Rédempteur. 6. Je pouvais bien souhaiter tout cela et plusieurs autres biens à Vos Révérences, mais je ne pouvais point les mériter, et je ne me trouvais point non plus capable de vous nourrir de la doctrine et de vous former par les exemples dont vous aviez besoin et que je devais vous donner. Notre très-douce Reine y suppléa en se donnant elle-même à nous comme Maîtresse et comme exemplaire; et ce fut le plus grand bienfait qu'elle prit nous accorder en la vie mortelle 653 en laquelle nous nous trouvons. Nous avons reçu encore une autre faveur bien particulière que vous connaissez , mais dont vous n'appréciez pas assez toute la valeur; et vous ne devez pas croire, ni celles qui viendront après vous , que ce soit une simple cérémonie et une dévotion ordinaire : c'est d'avoir été toutes inspirées par un sentiment mystérieux d'élire et de nommer l'auguste Marie conçue sans péché originel, patronne et supérieure de cette communauté. Je proposai ce dessein à Vos Révérences pour les raisons que j'ai dites, et pour plusieurs autres qu'il n'est pas nécessaire de rappeler; ensuite nous finies ensemble un écrit, où nous déclarâmes prendre la grande Reine du ciel pour notre patronne; et que nous conservons, afin qu'aucune de celles qui viendront après nous, ne l'ignore et n'y déroge, et que toutes les supérieures de ce monastère se regardent comme les coadjutrices. et les vicaires de la bienheureuse Marie,, notre unique et perpétuelle supérieure, et afin que nous lui obéissions toutes, puisque tout notre bonheur consiste en cela. 7. La divine Mère m'accorda cette faveur à cette condition, parce que je suis la première supérieure de ce monastère, et celle qui en avait un plus grand besoin, comme la plus inférieure et la plus indigne des créatures. Et comme ce bienfait fut une confirmation du premier, je veux que Vos Révérences sachent que notre grande Reine a accepté l'élection que nous en avons faite pour être notre patronne et notre supérieure, et que son très-saint Fils l'a confirmée : 654 telle est la force que cette élection a dans le ciel. Après toutes ces précautions, j'ai remis entre les mains de la très-pure Marie le vase du précieux sang que le Seigneur m'a confié en me chargeant du soin des âmes de Vos Révérences, pour qu'il soit aussi en sûreté que je le désire. Et comme je n'ai pas été dégagée par là des obligations de la responsabilité qui m'incombent, je me jette sus pieds de Vos Révérences et de toutes celles qui viendront dans ce monastère, et. je vous prie au nom du Seigneur lui-même et de son auguste Mère, de vous reconnaître plus étroitement et plus fortement liées par les douces chaînes de l'amour divin que toutes les autres filles de l'Église et de notre saint institut. Abandonnez donc, mes très-chères soeurs, le monde; oubliez-le de tout votre coeur, sans vous souvenir des créatures ni de la maison de vos parents (1); débarrassez vos puissances et vos sens des images et des soins des choses passagères, car vous avez beaucoup à faire pour vous acquitter de cette dette, et vous ne sauriez contenter notre Seigneur Jésus- Christ et sa très-douce Mère par une vertu ordinaire et commune, mais seulement par une vie et par une pureté angéliques. On doit mesurer le retour par le bienfait que l'on a reçu. Or comment satisferez-vous avec ce que les autres âmes font pour satisfaire à leur obligation, si vous devez plus qu'elles toutes? Notre Sauveur. Jésus-Christ aurait pu se borner, à faire à l'égard de ce monastère (1) Ps., XLIV, 11. 655 ce qu'il fait communément à l'égard des autres, aussi bien que sa très-sainte Mère; mais sa divine clémence s'est montrée prodigue envers nous. Cela étant, serait-il juste, serait-il raisonnable que nous ne noue signalions point par notre amour, par notre humilité, par notre pauvreté, par notre oubli du monde et par. la perfection de notre vie? 8. Notre grande Reine et notre auguste Maîtresse s'acquitte de cet office comme une très-fidèle et une véritable Supérieure: En voici une preuve : Quand , sur le point d'achever d'écrire cette troisième partie, je me demandais comment je lui dédierais l'histoire de sa très-sainte Vie, elle répondit à mon désir en me témoignant qu'elle l'approuvait et qu'elle l'agréait, parce que tout ce que cette histoire contenait venait d'elle; mais ensuite elle me prescrivit de la dédier à Vos Révérences, afin de vous enseigner en elle et par elle le chemin de la vie et de la perfection très-sublimes auxquelles nous sommes appelées, et pour lesquelles nous avons été tirées du monde. Et comme c'est là surtout ce que j'ai voulu vous faire connaître par ce que j'écris ici, j'ai cru devoir vous rapporter les paroles mêmes par lesquelles l'auguste Vierge m'a prescrit de vous l'annoncer de sa part; et pendant que notre charitable Supérieure parlera, je me tairai. Voici quelles furent ses paroles 9. " Ma fille, dédiez cette histoire de ma vie à vos religieuses, nos inférieures; et dites-leur de ma part que je la leur donne comme le miroir devant lequel elles doivent orner leurs âmes, et comme 656 les tables de la divine loi, qui y est exposée dans les termes les plus clairs. Je veux qu'elles se gouvernent et qu'elles règlent leur vie par elle; exhortez-les donc vivement à l'apprécier, à l'estimer et à la graver dans leur coeur, fin qu'elles ne l'oublient jamais. J'ai manifesté au monde son remède, et à elles en premier lieu, afin qu'elles marchent sur mes pas, dont je leur montre si clairement la trace, et tout a été fait par la providence du Très-Haut. Sa divine Majesté veut que les religieuses de ce monastère observent inviolablement trois choses. La première est d'oublier le monde, de s'abstenir de toute espèce de relation et d'amitié intime avec les créatures, de quelque état, de quelque sexe ou de quelque condition qu'elles soient; et de ne parler que rarement à des personnes du siècle, et jamais en tête-à-tête, fût-ce pour de bonnes fins, si ce n'est au confesseur pour se confesser. La seconde, de conserver entre elles une paix et une charité inaltérables, s'aimant de tout leur cœur les unes les autres en Dieu, sans partialité, sans divisions ni disputes, et chacune souhaitant pour toutes ses consoeurs ce qu'elle désire pour elle-même. La troisième, de se conformer scrupuleusement à leur règle et à leurs constitutions dans les grandes choses et dans les petites, ô comme de très-fidèles épouses de Jésus-Christ. Pour s'acquitter exactement de tout cela, elles doivent avoir une dévotion cordiale pour moi, et aussi pour l'archange Michel, et pour mon serviteur 657 François. Et si l'une d'elles ose témérairement entreprendre d'altérer en quoi que ce soit ce qui est écrit dans l'acte de mon patronage, ou méprise ce bienfait singulier de l'histoire de me vie telle qu'elle est écrite, qu'elle sache qu'elle encourra l'indignation du Très-Haut et la mienne, et qu'elle sera punie en cette vie et en l'autre avec toute la sévérité de la divine justice. Quant à celles qui, pleines de zèle pour leur âme, pour l'honneur du Seigneur et pour le mien, travailleront à imiter cette vie, à la faire connaître et à maintenir dans la communauté la régularité, la paix et la charité que je veux qu'on y observe, je leur donne ma parole, comme Mère de Dieu, que je serai leur Mère, leur Protectrice et leur Supérieure; que je les consolerai et prendrai soin d'elles durant leur vie mortelle, et qu'après je les présenterai à mon très-saint Fils. Et si quelque autre monastère de religieuses, soit de mon ordre de la Conception, soit de tout autre institut quelconque, veut recevoir, estimer et pratiquer cette doctrine qui se trouve dans l'histoire de ma vie, je lui fais la même promesse qu'à vos religieuses. " 10. Ce sont là les paroles de la grande Reine du ciel, après lesquelles je devrais me dispenser de vous en dire davantage, si je ne me sentais forcée de continuer par la tendre affection que je dois avoir pour Vos Révérences, après qu'elles m'ont supportée tant d'années non-seulement comme sœur, mais même comme leur supérieure, malgré toute mon indignité. 658 Je ne puis refuser cette marque de reconnaissance à une pareille charité, et je n'y saurais mieux satisfaire qu'en vous priant avec les plus vives instances de n'oublier jamais les promesses et les menaces que vous avez entendues, considérant qu'elles ont été faites par une Maîtresse souverainement puissante, aussi libérale pour accomplir ce qu'elle promet, que sévère pour châtier ceux qui l'offensent. Je désire profondément inculquer dans votre esprit cet avis important, et suppléer par mes pressantes exhortations à la brièveté de la vie; car si je ne sais pas jusqu'où le Seigneur me la prolongera, je sais que la vie la plus longue est très-courte pour satisfaire à tant d'obligations; c'est pourquoi je voudrais que toutes les conversations de Vos Révérences ne servissent qu'à leur rappeler avec cet avis les bienfaits du Seigneur et ceux de sa bienheureuse Mère, à l'exclusion de tout autre souvenir. 11. Souvenez-vous aussi, mes bien-aimées soeurs, non-seulement des bienfaits cachés et secrets, mais encore des bienfaits publics que Dieu a répandus sur ce monastère dès le premier jour de sa fondation, les augmentant chaque jour avec une clémence libérale. Tout le monde a trouvé miraculeux qu'il se soit établi nonobstant la pauvreté de mes parents, et que les volontés des personnes qui composaient leur famille se soient accordées pour cela; car il eût semblé impossible d'unir six personnes pour le même dessein, si la droite du Très-Haut n'eût agi. En très-peu de temps notre maison fut établie sans avoir les 659 sources nécessaires pour faire face à nos premiers besoins, et pour distribuer d'une manière convenable notre couvent si exigu; et ce qu'a opéré alors la divine grâce a excité l'admiration de tous les fidèles. Nous avons encore reçu plusieurs autres bienfaits qu'il n'est pas nécessaire de rapporter, puisque Vos Révérences les ignorent, mais qui ne laissent pas d'obliger les coeurs humbles et reconnaissants à rendre à Dieu de justes actions de grâces pour tant de bonté, et à donner au monde la satisfaction que nous lai devons, en faisant tout notre possible pour devenir telles et aussi bonnes qu'il nous croit, et plus parfaites que nous ne l'avons été jusqu'à présent. Vos Révérences ont vu en un court laps de temps tout ce que je viens de dire. 12. Et afin de conclure avec une plus grande efficace la prière et l'exhortation que je vous fais, je rapporterai, quelque chose de ce qui m'est arrivé lorsque j'avais déjà entrepris cette histoire, puisque nos Supérieurs m'ordonnent d'en écrire ici nue partie, afin que Vos Révérences sachent combien elles doivent estimer la doctrine de la Reine du ciel. Il m'arriva un jour de l'Immaculée Conception qu'étant au choeur pour dire Matines, je reconnus une voix qui m'appelait et qui demandait de moi une nouvelle attention pour les choses d-en bâut. A l'instant je fus élevée de cet état à un autre plus sublime, où je vis le trône de la Divinité tout resplendissant de gloire et de majesté. Il sortit du trône une voix qui me semblait pouvoir se faire entendre de tout l'univers, laquelle 660 disait: " Pauvres abandonnés, ignorants, pécheurs, grands, petits, malades, faibles, vous tous enfants d'Adam , de quelque état, condition et sexe que vous soyez, prélats, princes et sujets; écoutez à tous d'un pôle à l'autre, recourez pour votre remède à ma libérale et infinie Providence, par l'intercession de Celle qui a donné la chair humaine au Verbe. Venez, car il est temps; et bientôt les a portes se fermeront, parce que vos péchés mettent des verrous à la miséricorde. Venez au plus tôt, hâtez-vous, puisque cette seule intercession empêche que ces verrous ne la ferment ; elle est seule assez puissante pour solliciter votre remède et pour l'obtenir. 13. Après avoir ouï cette voix du trône, je vis sortir de l'Être divin quatre globes d'une lumière admirable, qui se répandaient comme des astres très-éclatants dans les quatre parties du monde. Il me fut ensuite découvert que dans ces derniers siècles le Seigneur voulait exalter et étendre la gloire de sa bienheureuse Mère, et manifester au monde ses miracles et ses mystères cachés, réservés par sa Providence jusqu'au temps où la connaissance lui en serait le plus nécessaire, afin que tous ceux qui vivent à cette époque se prévalent du secours, de la protection et de la puissante intercession de notre auguste Reine. Je vis ensuite un dragon hideux à sept têtes sortir de l'abîme, accompagné de milliers d'autres, qui parcoururent tous ensemble le monde, cherchant et se désignant les hommes dont ils se serviraient 661 pour s'opposer aux desseins du Seigneur, et pour tâcher d'empêcher la gloire de sa très-sainte Mère, et les bienfaits qui allaient être déposés dans sa main pour l'univers entier. Le grand dragon et ses satellites tâchaient de répandre des flots de fumée et de venin pour envelopper les hommes de ténèbres et les infecter, afin de les détourner de chercher le remède de leurs propres calamités par l'intercession de la très-douce Mère de miséricorde, et de lui décerner assez de gloire pour se la rendre favorable. 14. Cette vision des dragons infernaux me causa une juste douleur. Mais je vis aussitôt après que deux armées bien rangées se disposaient dans le ciel à combattre contre eux. L'une de ces armées était de notre grande Reine et des saints, et l'autre était de saint Michel et de ses anges. Je connus que le combat serait acharné de part et d'autre. Mais comme la justice, la raison et la puissance sont du côté de la Reine de l'univers, l'issue de la lutte n'était pas douteuse. Néanmoins la malice des hommes abusés par le dragon infernal peut beaucoup empêcher les très-hautes fins du Seigneur. En effet, il ne tend dans ses desseins qu'à nous procurer le salut et la vie éternelle; mais comme il faut que notre libre arbitre y coopère de notre côté , la perversité humaine peut aussi s'en servir pour résister à la bonté divine. Et cette cause étant celle de notre très-douce et très-charitable Reine, il faudrait que tous les enfants de l'Église la regardassent comme la leur propre ; mais cette obligation regarde de plus près les religieuses de ce 662 monastère, parce que nous sommes les filles aînées de cette auguste Mère, que nous combattons sous son nom et sous le vocable du premier de ses privilèges et des dons qu'elle reçut en sa Conception immaculée et surtout parce que nous nous trouvons si favorisées de sa bonté maternelle. 15. Il arriva dans une autre circonstance que je me sentis fort inquiète, en me demandant si j'avais bien écrit cette divine histoire; et cette inquiétude était bien naturelle, puisque la grandeur de l'œuvre surpassait toute intelligence angélique et humaine; je comprenais que si je tombais dans quelque erreur, elle ne pouvait être légère; et je faisais d'autres réflexions qui , avec mon naturel timide et lâche, m'affligeaient beaucoup. Or, livrée à ces pensées, je fus appelée et élevée à un autre état supérieur, dans lequel je vis le trône de la très-sainte Trinité et les trois personnes divines, et la bienheureuse Vierge à la droite de son Fils, tous su milieu d'une gloire immense. Il se fit comme un silence dans le ciel, tous les anges et tous les saints étant attentifs à ce qui se passait sur le trône de la Majesté suprême. Je vis que la personne du Père tirait, comme du sein de son être infini et immuable, un très-beau livre, d'un plus grand prix et enrichi de plus d'ornements qu'on ne pourrait se l'imaginer; mais il était fermé: et l'ayant remis au Verbe incarné, il lui dit : " Ce livre et tout ce qui y est contenu est mien ; il m'est très-agréable. m Notre Sauveur Jésus-Christ le reçut avec une estime infinie; et, l'ayant comme 663 approché de sa poitrine, il répéta les paroles du Père éternel, que confirma à son tour le Saint-Esprit. Puis ils le mirent entre les mains de la bienheureuse Marie, qui le reçut avec une complaisance incomparable. Je considérais la beauté et la richesse du livre, et je remarquais l'approbation qui lui était donnée sur le trône de la Divinité ; et cela excita en moi un désir très-ardent de savoir ce qu'il contenait mais une crainte respectueuse m'empêchait de le demander. 16. Bientôt la grande Reine du ciel m'appela et me dit: " Voulez-vous savoir quel livre est celui que a vous avez vu? Soyez donc attentive et regardez-le. " La divine Mère l'ouvrit, et me le présenta, afin que je pusse le lire. Je le lus, et je trouvai que c'était la même histoire de sa très-sainte vie, dans le même ordre et avec les mêmes chapitra s que je l'avais écrite. Après cela notre auguste Reine ajouta: Vous pouvez bien être maintenant tranquille. Elle me dit cela pour modérer et calmer mes craintes, comme elle le fit; car ces vérités et ces faveurs du Seigneur sont d'une telle nature, qu'elles font. à l'instant cesser tout trouble, tout doute dans l'âme, qu'elles animent d'une très-douce force, qu'elles illuminent, qu'elles satisfont et reposent. Il est vrai aussi que le superbe dragon ne se croit pas vaincu pour cela; et le Seigneur le lui permettant pour nous éprouver, il revient inquiéter l'âme comme une mouche importune. Et c'est ce qu'il a fait à mon égard, sans me laisser écrire un mot dans cette histoire' qu'il n'ait contredit 664 avec une obstination incroyable, et par des tentations qu'il n'est pas nécessaire de rapporter. La plus ordinaire de ces tentations, c'était de me dire que tout ce que j'écrivais ne verrait que de mon imagination ou du raisonnement naturel, ou bien que tout était faux et uniquement propre à tromper le monde. Et la colère que cet ouvrage a inspirée à ce dragon est si grande, que, pour le décréditer, il s'humiliait à dire que ce n'était tout au plus qu'une méditation, et le fruit d'une oraison ordinaire. 17. Le Seigneur m'a défendue de toutes ces persécutions par le bouclier de l'obéissance et par la direction, les conseils et les instructions de mes directeurs, et pour me confirmer dans le bienfait que j'ai rapporté, il en ajouta un autre semblable à celui-là. Lorsque j'étais sur le point de finir cette histoire, un jour que je faisais oraison avec la communauté, je me trouvai placée, par les mêmes moyens que les autres fois, devant le trône de la Divinité; et après les actes et les opérations que l'âme y fait, je vis que du même être de Dieu et comme de la personne du Père, s'élevait un arbre d'une grandeur immense et d'une beauté merveilleuse. Notre Sauveur Jésus-Christ d'un côté, sa bienheureuse Mère de l'autre, et l'arbre entre les deux. Tous les mystères de l'incarnation , de la vie, de la mort et des oeuvres de notre Seigneur Jésus-Christ, et tous ceux de la vie et des privilèges de sa très-sainte Mère, étaient écrits sur les feuilles de cet arbre, qui me les présentèrent tous en général, et chacun cri particulier, tels que je les ai écrits. Le fruit de cet arbre 665 était comme un fruit do vie, et je connus que l'arbre était véritablement celui que signifiait cet autre que Dieu avait planté au milieu du paradis terrestre (1). Les saints regardaient cet arbre avec attention et avec plaisir. Et les anges disaient avec admiration : " Quel est donc cet arbre d'une beauté si merveilleuse, qui nous fait porter envie à ceux qui jouissent de ses fruits? Heureux , trois fois heureux ceux qui cueilleront et goûteront de ce fruit pour recevoir une- si grande grâce et la vie éternelle qu'il renferme en lui-même! Est-il possible que les mortels, pouvant se nourrir de ce fruit, ne se hâtent point de le cueillir? Venez, venez tous à cet arbre, car son fruit est déjà mûr, vous en pouvez goûter. " La fleur qui nourrissait les anciens patriarches et les prophètes, est devenue maintenant un fruit exquis. Les branches qui étaient si élevées, se sont maintenant abaissées à la portée de tous. " Les anges s'adressèrent à moi, et me dirent : " Épouse du Très-Haut, soyez la première à en cueillir avec abondance, puisque vous êtes si près de cet arbre de vie. Que ce soit là le fruit des peines que vous avez prises pour l'écrire; témoignez ainsi votre reconnaissance pour la manifestation des mystères qui vous ont été découverts; faites des prières au Tout-Puissant, afin que tous les enfants d'Adam les connaissent et profitent de l'occasion dans le temps qui leur est favorable, et qu'ils louent le Très-Haut en ses merveilles. (1) Gen., II, 9. 666 18, Il n'est pas nécessaire d'en dire davantage à Vos Révérences pour vous faire aimer cet arbre et ses fruits. Je vous le mets devant les yeux afin que vous étendiez vos mains pour en cueillir et en goûter. Et je vous assure , mes très-chères sceurs, qu'il ne vous arrivera point ce qui arriva à notre mère Ève; car le premier arbre et son fruit étaient défendus (1) , tandis que le Seigneur vous invite à toucher à celui- ci, car il l'a planté pour cela. Le premier arbre et son fruit renfermaient la mort, cet arbre-ci renferme la vie. Goûtons de ce fruit que notre Patronne et notre Supérieure nous présente, et éloignons-nous de celui qu'elle nous a défendu; car pour ne point le toucher, il faut ne pas le regarder, et pour ne pas le goûter, il faut ne point le toucher. Et afin que vous vous disposiez mieux à ce festin par les exercices spirituels que l'on a coutume de faire de temps en temps en religion, je vous donnerai pour les faire une méthode que je tirerai de cette histoire , suivant l'ordre de notre auguste Reine, ainsi que je l'ai dit plus haut. En attendant, vous vous servirez de celle qui a été tirée de la Passion de notre Seigneur Jésus-Christ, telle qu'elle est écrite. Demandez-lui sa divine grâce pour moi comme pour vous- mêmes, et que sa bénédiction éternelle descende sur toutes Vos Révérences. Ainsi, soit-il. J'ai achevé d'écrire pour la seconde fois cette divine Histoire et la Vie de la bienheureuse Marie le (1) Gen., III, 6. 667 6 mai de l'année 1660, le jour de l'Ascension de notre Seigneur Jésus-Christ. Je supplie les religieuses de cette communauté de ne point permettre que cet original sorte du monastère; que si, par quelque ordre des supérieurs, on veut l'examiner, elles n'en donneront qu'une copie; et si l'on demande l'original pour ta lui confronter, elles donneront seulement un livre après l'autre, et se feront rendre le premier avant de donner le second, et ainsi des autres, pour éviter de nombreux inconvénients, et parce que c'est la volonté de Dieu et celle de la Reine du ciel. Soeur Marie de Jésus. 668 PROTESTATION PUBLIQUE, DEMANDE ET CONSENTEMENT DE CE MONASTÈRE ET DES RELIGIEUSES DÉCHAUSSÉES DE L'IMMACULÉE- CONCEPTION DE CETTE VILLE D'AGRÉDA, POUR RECEVOIR POUR LEURS PATRONS ET POUR LEURS PROTECTEURS, EN PREMIER LIEU LA SUPRÊME REINE DU CIEL ET DE LA TERRE L'AUGUSTE MARIE, ET AVEC SON BON PLAISIR LE GLORIEUX PRINCE SAINT MICHEL ET NOTRE PÈRE SAINT FRANÇOIS La vénérable mère soeur Marie de Jésus l'écrivit elle-même étant abbesse dudit monastère. SOUVERAIN SEIGNEUR DIEU ÉTERNEL, Que tous les habitants du ciel en l'Église de la Jérusalem triomphante, et que tous les fidèles de l'Église militante sachent que nous toutes, religieuses de ce monastère de l'Immaculée-Conception de la bienheureuse Marie de cette ville d'Agréda, en notre nom et en celui de toutes celles qui doivent nous succéder dans le temps à venir, nous nous présentons en votre divine présence , et, prosternées contre terre , nous adorons votre saint nom et votre être immuable; une substance indivisible, une puissance et une majesté; un Dieu unique et véritable en trois personnes distinctes, Père, et Fils, et Saint-Esprit, et une seule Divinité, que nous adorons comme le Créateur universel 669 et comme la cause première de tout ce qui a l'être, et comme digne de toute gloire, de tout honneur et de toute louange; nous confessons qu'il est juste que les anges et les hommes vous bénissent, vous louent, vous servent et vous aiment de toutes leurs forces. En foi de ces vérités infaillibles, nous autres chétifs vermisseaux de terre, et pauvres femmes unies par la charité aux justes et aux saints du ciel et de la terre, et confiantes en votre divine miséricorde, nous faisons cette protestation du fond de notre coeur. Nous disons, nous déclarons et nous affirmons que tout notre désir et tout notre soin est de nous consacrer éternellement de toutes nos forces, de toute notre âme et de tout notre coeur à votre divin amour, à votre service et à tout ce qui vous sera le plus agréable. Nous reconnaissons que nous sommes nées dans le péché, pleines de misères et de répugnances pour le bien. Nous vivons environnées d'ennemis, assaillies de leurs tentations, affligées de notre propre fragilité, et toujours exposées à perdre le bonheur éternel de la vision béatifique; nous savons et avouons que nous ne pouvons rien sans voire divine assistance, et que tout ce qui est parfait et tout ce qui est saint procède de votre volonté et vient de votre plain ; vous êtes l'origine et le principe de toute vertu, de toute perfection, de toute sainteté, de toute bonté et de toute bénignité; les hommes les plus savants ont puisé leur science dans votre entendement, les plus sages sont devenus sages dans et par votre sagesse infinie; tous les saints et tous les justes ont été dans votre être immuable avant d'avoir l'existence 670 et la forme; c'est par votre grâce qu'ils ont pratiqué le bien, et si vous le voulez nous nous sauverons du milieu des flots de cette mer dangereuse et de cette vallée de larmes. Nous savons aussi qu'à raison de la fragilité de notre sexe, nous avons besoin d'une protectrice pour acquérir la récompense de notre .vocation, d'une colonne de feu, qui nous guide comme votre peuple, d'une maîtresse qui nous enseigne. votre divine loi, écrite avec le sang du Verbe incarné et émaillée des plaies de l'Agneau, d'une verge qui puisse frapper le rocher de notre coeur, afin d'en faire sortir l'eau qui rejaillisse jusqu'à la vie éternelle, d'une nuée qui nous couvre de son ombre dans ce long pèlerinage, d'un ange qui nous éloigne de Sodome, d'un messager qui nous recommande de craindre les périls de Babylone, d'une mère qui nous nourrisse,d'une amie qui nous console; d'une gouvernante qui nous commande et nous dirige ; et d'une reine dont nous soyons les servantes, d'un miroir de sainteté, d'un modèle de chasteté, d'un exemple de virginité qui soit la beauté de toutes les vertus et la règle de la véritable prudence, et de tout ce qui peut et gui doit être appelé saint et parfait. Nous confessons qui après votre, Fils unique incarné, toutes ces excellences et tous ces dons se trouvent au suprême degré en sa divine Mère, notre auguste Princesse la très-pure Marie, avec beaucoup d'autres grâces qui surpassent la conception de l'intelligence des hommes ;et des anges; et nous espérons de sa très-douce clémence qu'elle jettera sur, nous des yeux pleins de miséricorde. Dans cette confiance, 671 souverain Seigneur de tout ce qui est créé, prosternées en votre présence et assemblées en votre nom , afin que selon votre divine promesse vous soyez avec nous, nous vous: supplions Humblement durions accorder notre grande Reine, la Fille du Père, la Mère du Fils, et l'Épouse du Saint-Esprit, pour la Patronne, la Protectrice et la luire spéciale de ce petit troupeau; car dès maintenant pour toujours nous la nommons, la souhaitons, la constituons et la demandons pour notre unique espérance, pour l'organe de tout notre bonheur, pour notre avocate et pour notre médiatrice dans nos nécessités. Et voulant perfectionner ce désir, nous disons et offrons tout ce que les saints du ciel et de la terre peuvent dire, et tout ce qui peut, ô souverain Roi, vous être le plus agréable. Et pour vous attirer de notre côté autant que nous le pouvons avec votre divine grâce, nous vous offrons votre propre bouté et votre gloire infinie, votre Fils unique incarné, tous ses mérites infinis, l'amour avec lequel il a racheté le monde et nous a rendues ses épouses; sa propre Mère, notre charitable Maîtresse l'auguste Marie, comme la plus immédiate su même Fils, plus pure et plus sainte que toutes les créatures, écrite en votre mémoire éternelle avant aucune autre, préservée entre les enfants d'Adam de la commune contagion, choisie et sanctifiée dans le premier instant pour être la digne Mère de votre Fils unique, et élevée en dignité, en grâce, en mérites et en gloire au-dessus de tous les ordres des esprits angéliques et 672 des plus hauts séraphins. Et quoique nous combattions sous la bannière de notre Dame et sous le vocable du mystère de son immaculée conception, quoiqu'à ce titre nous soyons ses filles et que nous nous déclarions pour telles, puisque nous avons été réengendrées en religion sous ce nom , et que nous en faisons profession en notre habit et en notre institution , usant néanmoins maintenant de notre libre arbitre, et par une détermination spéciale, nous nous remettons de nouveau sous l'empire de cette grande Reine conçue sans le péché originel , et en la créance de ce privilège, unique et sans égal, nous la demandons, la proclamons et la nommons pour notre Patronne, encore qu'elle ne le fût point en vertu de notre profession. Et vous , auguste Impératrice du ciel et de la terre, ne dédaignez point d'agréer avec votre bonté ineffable l'humble affection de vos pauvres servantes, qui prosternées à vos pieds vous invoquent et répandent leur coeur en votre très-douce présence. Écoutez, ô Reine des vertus , les gémissements que nous poussons pour marquer que nous cherchons votre protection maternelle. Ne rejetez point celles qui vous appellent avec de si tendres désirs et avec tant de sincérité. Accueillez celles qui sollicitent votre assistance miséricordieuse que vous promettez à ceux qui vous implorent. Souvenez-vous, il Mère de la grâce, que par la divine bonté vous déclarez vous-même que le conseil et la justice, la prudence et la force sont avec vous; en vous se trouve toute l'espérance de la vie et 673 de la vertu, la vérité et le chemin de la grâce; en vous sont les richesses des trésors du ciel; votre esprit est plus doux que le miel, et votre héritage vaut mieux que les rayons du miel le plus exquis. Vous êtes Celle en qui le Créateur a reposé, et Celle qui habite en son héritage et qui prend racine dans ses élus et dans le peuple qu'il a honoré; vous avez établi votre demeure dans l'assemblée de tous les saints, votre mémoire vivra dans la cuite de tous les siècles; cent qui goûtent de vos douceurs en seront encore affamés, et ceux qui en boivent auront encore soif; celui qui toits écoute ne sera point confondus et ceux qui agissent par nous et en vous ne pècheront point. Considérez donc, ô notre douce vie, qu'ayant goûté et reconnu combien il est bon de s'asseoir à votre table , nous avons encore faim, et qu'ayant été nourries à Notre sein, nous sommes toujours plus altérées et plus avides de votre lait; nous brûlons d'éterniser votre mémoire clans les siècles à venir, et de paraître sans confusion à la fin des temps, pour avoir agi en vous par votre imitation. En votre lumière nous cherchons la prudence et le conseil; en votre sainteté, la justice parfaite et Véritable; en votre faveur, la force; en Notre intercession, notre espérance; en votre vérité, notre assurance; en votre direction, notre Noie; eu votre douceur, l'oubli de tout ce qui est terrestre; eu votre suavité, la facilité de la vertu; en votre abondance, le remède à toute notre pauvreté; et nous désirons uniquement être votre partage, votre héritage et votre peuple, que vous 674 viviez en nous et jettiez vos racines dans notre cœur, que vous soyez toujours pour nous, et que nous soyons toujours pour vous; nous désirons trouver en vous une Mère, une Maîtresse, une Reine, un exemple, un miroir, un modèle, une correction, un amour et tous les biens réunis, avec lesquels nous puissions nous préparer et nous orner dans notre pauvreté, pour entrer dans le lit nuptial de votre très-saint Fils notre Époux , afin que tous les anges et tous, les saints du ciel , et tous les justes de la terre vous connaissent pour notre Patronne, vous proclament telle par des hymnes de louanges , et qu'ils sachent que nous sommes vos servantes titrées, pour que le monde et tous ceux qui s'y trouvent nous oublient entièrement. Et pour donner encore plus de force et de valeur à ce contrat, nous promettons, en notre nom et en celui de toutes celles qui viendront après nous dans ce monastère, de renoncer de tout notre cœur au monde et à toutes ses vanités ; à tout l'amour, à toute l'amitié, au commerce, aux consolations et aux plaisirs de Babylone, et de ne point nous montrer indignes de notre profession, de notre habit, de notre nom, et du titre honorable de vos filles. Ainsi dépouillées de tout ce qui est terrestre et visible, nous promettons d'être vos servantes, vos véritables filles, et les épouses de votre Fils notre Rédempteur; et en foi de cette douce servitude, nous offrons en donation le droit que nous avons d'user de notre libre arbitre, afin que par votre intercession dès aujourd'hui notre 675 volonté soit soumise à vos pieds, et se trouve heureuse captive à la merci du saint et chaste amour de notre Seigneur Jésus-Christ. Nous célèbrerons vos neuf fêtes avec toute la solennité spirituelle qui nous sera possible. Nous ferons ces jours-là une procession avec votre sainte image, chantant votre divin cantique et les hymnes; et la veille nous jeûnerons. Nous continuerons à dire tous les jours vos litanies, sans en laisser passer aucun que nous ne vous invoquions et exaltions comme Reine de l'univers. Et dès maintenant, pour tout le temps à venir, nous vous offrons et dédions toutes nos bonnes œuvres, communes et particulières, afin que vous soyez connue, révérée et aimée de toutes les nations pour la très-digne Mère de Dieu, pour la Maîtresse de tout ce qui est créé, et pour l'Avocate et le refuge de fous les mortels. Et afin qu'en premier lieu le petit, troupeau de ce monastère, ses supérieurs et ces royaumes d'Espagne obtiennent cette grâce, nous vous offrons encore spécialement nos désirs et nos prières, afin que votre clémence maternelle porte le cœur de nos rois catholiques, Philippe et Mariamne, à vous prendre pour Patronne et Protectrice de tous leurs Étals, qu'en récompense de celte dévotion vous les pacifiiez, et que par votre protection vous les défendiez et réformiez, en y faisant régner la justice et la paix, et en éclairant ses habitants, pour qu'ils n'aient sur la terre d'autre crainte que la crainte de Dieu, qu'ils propagent son Évangile, son culte et la foi catholique dans le monde, et qu'ils sollicitent la définition 676 du mystère de votre immaculée, conception , jusqu'à ce que le Saint-Siège apostolique veuille le déterminer pour votre gloire et pour la consolation universelle de la sainte Église. Et pour de si hantes fins de votre honneur et du bon plaisir de votre très-saint Fils, nous nous offrons toutes dans ce monastère à travailler, à souffrir, et à faire tout ce que nous pourrons, avec la divine grâce, et à sacrifier même notre vie, si c'était nécessaire. Et comme nous souhaitons que toutes les créatures nous connaissent pour vos servantes et pour vos inférieures, et que votre très-saint et très-doux nom s'éternise eu nous, et soit le signe de notre être et de nos oeuvres, nous décidons que toutes les religieuses de ce monastère présentes et à venir s'appelleront Marie, conservant ce grand nom si elles l'ont, et le prenant si elles ne l'ont pas, avant ou après celui de leur baptême. Et moi, la plus petite de vos servantes, j'abdique entre vos mains l'office que j'ai de supérieure de cette humble communauté, afin que nous n'ayons plus d'autre Mère et d'autre Supérieure due vous, dont nous voulons être les inférieures ; et que toutes celles qui rempliront cette charge sachent qu'elles doivent se regarder comme vos coadjutrices et vos vicaires. Prosternées il vos pieds, nous vous prions, notre très-douce Mère, d'accepter cette élection, et de nous gouverner désormais comme notre Protectrice spéciale et notre unique Supérieure; et, afin que ce décret soit irrévocable, nous vous donnons dès maintenant la possession et la propriété de 677 ce monastère, sans qu'aucune de celles qui doivent nous succéder puisse intenter aucune action ou prétendre aucun droit ; et, en témoignage de cette vérité, nous plaçons votre sainte image sur le siège de la supérieure et sur l'autel du chœur, afin que vous jouissiez toujours de la prééminence de supérieure, et que nous jouissions aussi de votre vue, qui nous instruise, anime et conduise, afin qu'au jour du jugement vous nous présentiez devant le tribunal du juste Juge routine vos véritables filles et vos fidèles disciples, nourries de votre lait et dirigées par votre doctrine. Et d'autant que le patronage ne peut se conserver que par la fondation de sa patronne, et que vous êtes, ô grande Reine, si riche et si puissante, communiquant sans envie ce que vous avez reçu sans fiction , nous demandons à votre charité très libérale de doter cette pauvre famille par une vive foi, par une ferme espérance, par une ardente charité de Dieu cet du prochain, par nue véritable dévotion, par une humilité profonde, par une paix inaltérable et perpétuelle, par la pureté du coeur et des sens, par l'amour de la sainte pauvreté et de l'obéissance, par une crainte sainte et par l'oubli du monde; par l'éloignement des créatures, par la mémoire de notre vocation et des bienfaits que nous avons reçus, et par tous les dons et toutes les grâces dont nous avons besoin pour nous élever de la vie terrestre à la vie angélique et séraphique, et qui nous portent à faire sur la terre la très-sainte volonté du Seigneur, de même qu'elle se fait au ciel, et comme vous le 678 voulez et le désirez de nous qui sommes vos humbles tilles. Et parce que vous ètes en tout une mère très prévoyante, dont nous souhaitons suivre les traces par une imitation parfaite, nous vous prions aussi de nous accorder les bénédictions que nous attendons de votre main libérale, et de vous souvenir des nécessités temporelles de votre monastère, lui procurant le nécessaire, afin que nous n'ayons point à communiquer avec le monde autrement que par de simples mesures de prudence, et en plaçant toujours surtout notre confiance en votre très-saint Fils. Nous avouons en la présence du Très-Haut et en la vôtre que nous sommes indignes du moindre de ces bienfaits, puisque nous ne méritons. point la vie naturelle ni le secours des éléments et des autres créatures qui nous souffrent ; aussi nos prières et nos espérances ne sont point fondées sur nos mérites, mais sur les vôtres et sur ceux de votre très-saint Fils, sur la bonté infinie, sur la miséricorde éternelle du Très-Haut, et sur l'intercession de ses saints et de ses amis. Et comme ceux qui entre tous ont le plus favorisé et obligé ce monastère, sont le grand prince des armées célestes et le patron de la sainte Église, l'archange saint Michel, et notre père séraphique saint François, prince des pauvres évangéliques et réparateur de l'Église; que noue avons été élevées dans sa religion apostolique, qui par ses soins nous conduit à la perfection à laquelle l'état que nous professons nous engage; que vous, ô Reine des vertus, 679 devez nous gouverner par l'entremise de vos ministres et de vos favoris, et que nous savons d'une manière certaine que nos deus avocats et bienfaiteurs sont de ce nombre, par toutes ces considérations, nous vous prions du fond de notre coeur de nous donner et de nous nommer pour protecteurs et co-patrons spéciaux de cette famille, vos deux favoris saint Michel et saint François, en la dévotion desquels nous souhaitons nous distinguer ; nous recommandant à leur protection, afin qu'ils nous défendent de nos ennemis dans les périls de cette vie, qu'ils nous éclairent dans l'obscurité de la nuit, qu'ils nous enseignent dans l'ignorance, qu'ils nous animent et nous portent à pratiquer tout ce qui est le plus saint et le plus parfait; que le saint archange nous présente au dernier jour de notre vie, libres du péché, devant vous et devant le souverain Juge; et que notre glorieux hère nous reconnaisse pour ses véritables filles, et qu'il nous admette, en qualité de porte- enseigne de la sainte Église, parmi ceux qui ont suivi Jésus-Christ sous l'étendard de la sainte croix. Et vous, grand prince saint Michel, souvenez-vous de ces humbles religieuses, dévotes admiratrices de votre sainteté, et agréez notre zèle pour votre dévotion ; c'est pour le témoigner que nous célèbrerons perpétuellement vos trois feues avec un sentiment tout particulier de joie et de consolation nous jeûnerons la veille de ces fêtés, et celles qui le pourront jeûneront, à l'exemple de notre séraphique Père, le carême institué à votre honneur; nous 680 continuerons de vous invoquer, comme nous le faisons chaque jour, et nous aurons toujours une ferme confiance en votre protection, il cause de votre sainteté et de ce que vous devez ait Très-haut, de vous avoir choisi pour défendre la gloire et la vérité de son nom ineffable. Et vous, séraphin humanisé, glorieux saint François, recevez aussi les désirs et les affections de vos servantes, qui souhaitent avec une intime dévotion être vos filles particulièrement reconnues, suivre vos traces, imiter vos vertus et participer n votre esprit; et pour obtenir cette faveur, nous protestons que nous voulons toujours vivre sous l'obéissance de votre institut apostolique. Accordez-nous, Père charitable, ce bienfait ; obtenez-le du Seigneur pour nous et pour celles qui nous succèderont, et attirez la bénédiction de sa puissante droite sur toutes celles qui persévéreront. Et quoique nous ne voulions point de nous-mêmes appeler votre malédiction sur celles qui entreprendraient de mettre la division dans ce monastère et de troubler la paix que le Très-Haut nous a donnée, et cette union qui nous porte à la parfaite charité, ou qui voudraient nous séparer de l'esprit, et de l'obéissance de votre religion, qui est la nôtre, nous assurons néanmoins que celle qui, trompée par l'ennemi , le ferait, mériterait d'être maudite. Et, comptant sur la divine miséricorde, sur votre protection et sur celle de notre prince saint Michel, nous espérons que vous ne permettrez jamais qu'un si grand malheur arrive à ce monastère. Nous prions, nous avertissons et nous pressons, en présence du 681 Seigneur, celles qui nous succèderont d'observer toutes les choses qui se trouvent dans cette publique protestation, que nous toutes, religieuses de ce couvent, nous faisons d'un accord unanime. Et parce que c'est ce que nous voulons, établissons et déclarons d'un même consentement, nous le signons toutes ensemble, en ce monastère de l'Immaculée-Conception d'Agréda, ce 22 mars 1643. Nous renouvelons cet acte de patronage avec une nouvelle affection et un nouveau désir de plaire au Seigneur, ce 23 décembre 1657. FIN DU TOME SIXIÈME ET DERNIER.